Les fantômes de Maiden Lane – Tome 7 - Cher monstre...

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ELIZABETHHOYT

LESFANTÔMESDEMAIDENLANE–7

Chermonstre

Traduitdel’anglais(États-Unis)parDanielGarcia

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ElizabethHoyt

Chermonstre

LesfantômesdeMaidenLane7

Collection:AventuresetpassionsMaisond’édition:J’ailu

Traduitdel’anglais(États-Unis)parDanielGarcia

©NancyM.Finney,2014Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015Dépôtlégal:mars2015

ISBNnumérique:9782290107188ISBNdupdfweb:9782290107201

Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290107218

CompositionnumériqueréaliséeparFacompo

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Présentationdel’éditeur:Jeune actrice de talent sans travail, LilyStumpdoit quitter son bel appartement pour un logismodeste, dans unepropriété à l’abandon.C’est là, dans l’ancien jardind’agrément,quesonfilsIndiodécouvreunmonstre!Ouplutôtundrôledejardinier,véritableforcedelanature,quiarpenteleslieuxarméd’outilsterrifiants.Enréalité,ils’agitduvicomtedeKilbournequi,évadédel’hôpitalpsychiatrique,s’estcachédansleparcets’efforcedelerestaurer.Ehbien,ildoitpartir!luisignifieLily.Maislecolosses’incruste,décidéàtransformercettefricheenféerievégétale,avecfontaines,gloriettes,etmêmeunlabyrintheoùlescœurss’égarentetsecherchent…

Biographiedel’auteur:Elleestl’auteuredenombreusessériespubliéesauxÉditionsJ’ailu,parmilesquelleslacélèbretrilogieLestroisprincesquiaeuunénormesuccèsinternational.

Piauded’après©NicolaSmith/TrevillionImages

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015

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ElizabethHoyt

NéeenAmérique,elleabeaucoupvoyagé,enfant,à travers l’Europe.Diplôméed’anthropologieà l’universitéduWisconsin,elleembrassequelquesannéesplus tardlacarrièred’écrivain.Traduiteenplusieurslangues,elleestl’auteurdesériesàsuccès,dontlapluscélèbreestLestroisprinces, trèsremarquéepardesmilliersdelectricesdanslemonde.SouslepseudonymeJuliaHarper,elleécritégalementdesromancescontemporaines.

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DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

LESTROISPRINCES

1–PuritaineetcatinN°8761

2–Liaisoninconvenante

N°8889

3–LedernierduelN°8986

LALÉGENDEDESQUATRESOLDATS

1–LesvertigesdelapassionN°9162

2–Séduireunséducteur

N°9229

3–LereclusN°9309

4–Lerevenant

N°9360

LESFANTÔMESDEMAIDENLANE

1–TroublesintentionsN°9735

2–Troublesplaisirs

N°9899

3–DésirsenfouisN°10001

4–L’hommedel’ombre

N°10165

5–LelorddesténèbresN°10506

6–Leducdeminuit

N°10618

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Àmonagent,RobinRue,quiatoutfaitpourquecetouvragesoitpublié.

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Sommaire

Couverture

TitreCopyright

Biographiedel’auteur

ElizabethHoyt

DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

Chapitre1Avril1741,Londres,Angleterre

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

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Chapitre13

Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

ÉpilogueTroismoisplustard…

Remerciements

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Il existait autrefoisun roiquine vivaitquepour laguerre. Iln’ôtait jamais sacottedemailles, etnepensaitque stratégieset conflits.Lanuit, rêvantauxcrisd’effroide sesennemis, il souriaitdans sonsommeil…

(InspirédelalégendeduMinotaure)

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Avril1741,Londres,AngleterreMèred’unpetitgarçondeseptans,LilyStumpétaithabituéeauxdiscussionsportantsurdessujets

saugrenus.Comme,par exemple, la questionde savoir si lespoissonsportaient desvêtements.Oucelle,beaucoupplussérieuse,concernantlaprovenancedesfruitsconfits,etpourquoilesenfantsnepouvaientpasenmangertouslesmatinsaupetit-déjeuner.Sansparlerdel’éternellecontroversesurleschiensetleschats:pourquelleraisonlespremiersaboyaient-ils,etpaslesseconds?

VoilàpourquoiLilyneprêtad’abordpasattentionàsonfilsquandcelui-ciannonça,audéjeuner,qu’ilyavaitun«monstre»danslejardin.

—Indio,soupira-t-elle,avecunriend’exaspérationdanslavoix,est-ilvraimentnécessairequetuessuiestesdoigtscollantsdeconfituresurlespoilsdeDaffodil?Jenesuispassûrequ’elleapprécie.

C’était un gros mensonge. Daffodil, une jeune femelle lévrier italien au pelage fauve, secontorsionnaitavecdélectationpourléchersondosmaculédeconfiture.

Indioposasatartineetdéclarad’untonpatient.—Tum’asentendu,maman?Ilyaunmonstredanslejardin.Àgenouxsursachaise, ils’étaitpenchéenavantpourdonnerplusd’emphaseàsonpropos,et

unebouclebruneétaittombéesursonœildroit–lebleu.L’autreétaitvert,cequecertainstrouvaientdéconcertant.

—Avait-ildescornes?demandatrèssérieusementletroisièmemembredeleurpetitefamille.—Maude!sifflaLily.MaudeEllisposauneassiettedefromagesurlatableetplaqualesmainssurseshanchesmenues.

Elleavaitcinquanteans,arrivaitàpeineàl’épauledeLily,etn’avaitpaslalanguedanssapoche.—Etquoi!serécria-t-elle.Ilapeut-êtrevulediable.Lily étrécit les yeux en guise d’avertissement. Indio était sujet à des cauchemars et cette

conversationn’étaitpasunebonneidée.—Indion’apasvulediable.Nidemonstre,dureste.—Si!insistal’enfant.Iln’avaitpasdecornes,maisilavaitdesépauleslargescommeça!Ilécartagrandlesbraspourdonneruneidéedelacarruredumonstreenquestionet,cefaisant,

faillitrenversersonboldesoupe.Lilyrattrapacedernieràtemps,augranddamdeDaffodil.—Avaletasoupe,s’ilteplaît,Indio,avantqu’ellenefinissesurlesol.—Cen’étaitpasnonplusundunnie1,alors,déclaraMaudeens’asseyant.Lesdunniessontpetits.

Sauflorsqu’ilssemétamorphosentenchevaux.Ils’esttransforméencheval,monagneau?—Non,réponditIndio.Ilressemblaitàunhomme,maisentrèsgrand.Sesmainsétaientgrosses

comme…comme…

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Indiofronçalessourcils,cherchantvisiblementunecomparaisonappropriée.—Commetatête?suggéraLily.Oucommeunecuissedemouton?OucommeDaffodil?Daffodilaboyajoyeusementenentendantsonnom.—Est-cequ’ilétaitvert?hasardaMaude.Oudégoulinantd’eau?Lily soupira. Plus Indio s’essayait à décrire son « monstre » et plus Maude s’ingéniait à le

rattacher à sa longue liste de lutins, farfadets et autres créatures imaginaires plus ou moinsterrifiantes. Maude avait grandi dans le nord de l’Angleterre et avait été abreuvée de légendesceltiquesdurantl’enfance.EllelesavaitensuiteracontéesàLilylorsquecelle-ciétaitpetite–cequiavaitvaluàlafillettequelquesnuitstourmentées.C’estpourquoiLilys’efforçait,sansgrandsuccèsmalheureusement,d’empêcherMauded’infligerlesmêmesrécitsàsonfils.

La jeune femme balaya du regard le salon du modeste appartement dans lequel ils avaientemménagélaveille.UnepetitecheminéechauffaitlapiècedanslaquelleavaientétéinstalléslelitetlecoffreàvêtementsdeMaude.Unetableetquatrechaises trônaientaucentre.Unbureauainsiqu’unsofadéfraîchicouleurpruneplacédevantlacheminéecomplétaientl’ameublement.Uneporteouvraitsurl’anciendressingdevenulachambredeLilyetd’Indio.CesdeuxpiècesétaienttoutcequirestaitdeslogesduthéâtredeverduredesFoliesHarte.Lethéâtreavaitétéravagéàl’automneprécédentparun gigantesque incendie qui avait également détruit une grande partie du jardin d’agrémentl’entourant.Uneodeurde fuméepersistait, tel un fantôme, alorsque laplupart desgravats avaientpourtantétéévacuésdepuislongtemps.

Lilyfrissonna.Unendroitaussisinistrenepouvaitqu’influersurl’imaginationd’unenfant.Ilnefallaitpass’étonnerqu’Indioaitcruvoirunmonstre.

Cederniermorditdanssatartinedégoulinantedeconfiture.—Ilalescheveuxtoutemmêlésetilvitdanslejardin.Daffodilaussil’avu.Lily etMaude regardèrent la petite levrette qui, assise à côtéde la chaised’Indio, se léchait la

pattearrière.Voyantquelesdeuxfemmesl’observaient,elleroulasurledos.— Daffodil a peut-être mangé quelque chose qui lui a donné mal au ventre, suggéra Lily,

diplomate.Etsonmaldeventreluiaurafaitpenserqu’elleavaitvuunmonstre.Pourmapart,jen’aivuaucunmonstredanslejardin.EtMaudenonplus.

—Ily avait biencepêcheur avecungrosnez,qui traînaithier sur ledébarcadère,marmonnaMaude.

MaisdevantleregardcourroucédeLily,elles’empressad’ajouter:—Euh,maiscen’étaitpasunvraimonstre.Justeunhommeavecungrosnez.Indiomédital’argument.—Monmonstre avait un gros nez, dit-il. Et un crochet ! Peut-être pour couper les enfants en

morceauxavantdelesmanger?—Indio!s’exclamaLily.Celasuffit,maintenant.—Mais,maman…—Non.Discutonsplutôtdechosessérieuses.Oude lamanièred’apprendreàDaffodilàobéir

auxordres.Indiosoupirabruyamment.—Oui,maman,murmura-t-ilenaffichantuneexpressionsiaccabléequeLilyneputs’empêcher

depenserqu’ilferaitsansdouteunexcellentcomédien.ElleadressaunregardimplorantàMaude,quisecontentadesecouerlatête.— Je suis sûre queDaffodil aurait besoin d’un peu de dressage, insista-t-elle, en désespoir de

cause.

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—Sansdoute,concédaIndio.Ilterminasonpotageavantdedemander:—Jepeuxquitterlatable,s’ilteplaît,maman?ÀpeineLily eut-elle accepté qu’il sauta à bas de sa chaise et courut vers la porte.Daffodil se

précipitasursestalonsenaboyant.—Net’approchepasdel’étang!criaLilyjusteavantquelaporteneclaque.EllegrimaçaetsetournaversMaude.—J’aipeurdenepasm’êtretrèsbiendébrouillée.Maudehaussalesépaules.—Vousauriezpumieuxfaire,eneffet.Maiscegarçonestdugenresensible.Commevousàson

âge.—Ahbon?Maudeavaitété lanourricedeLily–etmêmeplusquecela,pourêtrehonnête.Elleavaitbeau

êtresuperstitieuse,Lilyavaittouteconfianceensonjugementdèsqu’ils’agissaitdesenfants.—Tucroisquejedevraisallerletrouver?—Oui,maispastoutdesuite.Laissez-luiletempsdesecalmer.Lilyhochalatête.—J’auraispréférétrouverunautreendroitpourposernosvalises.Quelquechosedemoins…Ellehésita,nesachanttropcommentqualifierl’atmosphèredecedécorenruine.—Mystérieux,suggéraspontanémentMaude.C’estsûrquetouscesarbresbrûlésetcethéâtreà

moitié effondré sont assez étranges. D’autant qu’il n’y a pas âme qui vive en dehors de nous. Jeglisserai un sachet d’ail et de sauge sousmonoreiller tous les soirs.Vous seriezbien aviséed’enfaireautant.

—Mmm,murmuraLily,évasive.Ellen’avaitguèreenviedeseréveillerensentantl’ailetlasauge.—Etjeneparlepasdesouvriers,repritMaude.J’ignoreoùM.Hartelesarecrutés,maisjene

seraispasétonnéequecesoitdanslarue.Voire,pire.Et,sepenchantversLily,elleajoutaàvoixbasse:—Àladescented’unbateauarrivantd’Irlande.—Enfin,Maude,jenecomprendspaspourquoitudétestesàcepointlesIrlandais.Ilscherchent

justedutravail.Commebeaucoupdemonde.Maudereniflaavecdédain,avantdebeurrervigoureusementunetartine.— De toute façon, ajouta Lily, nous ne resterons ici que le temps que M. Harte monte une

nouvellepiècedanslaquellej’auraiunrôle.—Et où lamontera-t-il ? répliquaMaude en jetant un coupd’œil auxpoutres carbonisées au-

dessusdeleurstêtes.Ildoitd’abordreconstruiresonthéâtre,etlejardinquil’abrite.Cequiprendraunebonneannée,sinonplus.

Lilyvoulutrépondre,maisMauden’enavaitpasterminé.— Je n’ai jamais eu confiance en cet homme, enchaîna-t-elle en agitant sa tartine. Il est trop

charmeur,ettropbavard.Ilseraitcapabledeconvaincreunoiseaudeseposersursamainavantdelemettredirectementdanslefour.Ou

de persuader une actrice qui a tout Londres à ses pieds de venir jouer dans son théâtre – etuniquementlesien.

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—Honnêtement,Maude,M.Hartenepouvaitsedouterquesondomaineseraitréduitencendresquelquessemainesaprèsm’avoirengagée.

Lily grimaça à ce souvenir. M. Sherwood, le propriétaire du Théâtre Royal – son précédentemployeur–,étaitunhommeplutôtvindicatif.Illuiavaitjuréqu’ilferaitensortequ’elleneretrouveplusdetravailàLondressielleacceptaitl’offredeM.Harte,lequelluiavaitproposédeluidoublersonsalaire.

Cela n’aurait pas été un problème si le théâtre deM. Harte n’avait brûlé peu de temps aprèsl’arrivéedeLily.La jeune femmeavait alorsdécouvertqueM.Sherwoodavait tenu sapromesse :désormaisplusaucunthéâtreàLondresnevoulaitl’engager.

Aprèssixmoisdechômageforcé,Lilyavaitfiniparépuisersesmaigreséconomiesetavaitdûserésoudreàquittersonbelappartement.

—Aumoins,M.Hartenoushébergegratuitement,risqua-t-elle.Maude,quivenaitd’avalerunegorgéedesoupe,secontentad’émettreunvaguebruitdegorgeen

réponse.Lilyseleva.—Jedevraispeut-êtreallerchercherIndio.—Etvotredéjeuner?demandaMaude,désignantleboldesoupeàmoitiépleindeLily.—Jeletermineraiplustard.Jen’aimepasqu’Indiosoittroublé.—Vousdorloteztropcegarçon,rétorquaMaude.Lilyseretintdesourire.Siquelqu’undorlotaitIndio,c’étaitbienMaude.—Jereviensdanscinqminutes.Lilygagna laportequiouvrait sur le jardin.Lebattant s’ouvritdansungrincementsinistre, la

chaleurdel’incendieayantfissurél’undesgonds.Dehors,letempsétaitmaussade.Degrosnuagesgris annonçaient encore de la pluie et le vent soufflait. Frissonnant, Lily croisa les bras sur sapoitrine.Elleauraitdûprendresonchâle.

—Indio!cria-t-elle,maissavoixfuthappéeparlevent.Elleregardaautourd’elle.Cequiavaitétéunplaisant jardind’agrémentn’étaitplusdésormais

qu’unchampdeboueetdecendres.Leshaies tailléesaucordeauquibordaientautrefois lesalléesgravillonnées avaient brûlé, elles aussi, et la plupart ne repousseraient jamais. Sur la gauche sedressaientlesruinesdukiosqueàmusique.Surladroite,quelquesarbresindemnessereflétaientdansun trou d’eau – les restes d’un étang d’ornement, à présent envahi par la vase. Ici ou là, quelquestouchesdevertsurnageaientaumilieudelagrisaille,maissouscecielbas,alorsquedesvolutesdebrumerampaientsurlesol,ilfallaitadmettrequeleparcapparaissaitplutôteffrayant.

Lily se reprocha d’avoir laissé son fils sortir,mais il était difficile de garder à l’intérieur ungarçondecetâge.Elleempruntaunealléeauhasard.Lesolboueuxétaitglissantetelles’envoulaitdenepasavoirprisletempsd’enfilerdeschaussures.SielleneretrouvaitpasrapidementIndio,elleruineraitsesmulesbrodées.

—Indio!Ellecontournalesvestigesd’unancienbosquet.Lesbranchescalcinéesdesarbress’agitaientau

vent.—Indio!Ungrognementmontadubosquet.Lilys’immobilisa.Le grognement se répéta. Il était trop fort, trop grave, pour provenir de son fils. Non, cela

ressemblaitplutôtaugrondementd’unanimal.D’ungrosanimal.

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Elle inspectavivement lesalentours.Envain.Quefaire?Regagner l’appartement?Mais Indioétaitlà,quelquepart!

Unnouveaugrognement.Plusfort,cettefois.SeigneurDieu!Lilyempoignasesjupes,aucasoùelledevraits’enfuirencourant,etrisquaun

pasendirectiondubosquet.Unsonbasetrocailleuxluiparvint.Courageusement,ellejetauncoupd’œilderrièreuntroncd’arbrecalciné.Elle ne vit d’abord qu’unemasse couverte de boue. Puis lamasse en question se déplia tout à

coup,révélantundosmassif,desépauleslargesetunetêtehirsute.Lilylaissaéchapperuncriétranglé.Lachosefitvolte-faceavecunerapiditéstupéfiante,etunefacemonstrueuse,couvertedesuie,la

fixaméchamment,lebras–lapatte?–levécommepourfrapper.Leditbrasseterminaitparunelamerecourbée.Lilyavalasasalive.Siellesurvivaitàcetterencontre,ellen’auraitplusqu’àprésentersesexcuses

àIndio.Carilyavaitbeletbienunmonstredanslejardin.

Lajournéeavaitmalcommencéetnesemblaitpasvouloirs’arranger,songeaApollonGreaves,vicomteKilbourne.

Uneestimationsommaireluiavaitrévélél’ampleurdesdégâtscausésparl’incendie:unebonnemoitiéduparcétaitentièrementdétruiteetunquartnevalaitguèremieux.Lasourcequialimentaitl’étangétaitbouchéeparuneaccumulationdedébris,réduisantl’étangàuneétendued’eaustagnantegagnée par la vase.Quant aux jardiniers engagés parAsa, ils étaient parfaitement inexpérimentés.Pour couronner le tout, la pluie persistante de ces derniers jours avait transformé les vestiges desFoliesHarteenunmarécageboueuxquirendaitimpossibletouteintervention.Ilfaudraitattendrequelaterreaitséchépourenvisagerdenettoyeretdereplanter.

Etvoilàque,maintenant,unefemmeétrangevenaits’ajouterautableau.Elleavaitdegrandsyeuxvertsetdescheveuxsinoirsqu’ilssemblaientimprégnésdecettesuie

quirecouvraitlepaysage.Sataillemenuelaissaitàpenserqu’ils’agissaitd’unejeunefille,maisuncoup d’œil à sa poitrine suffit à convaincre Apollon qu’il s’agissait bien d’une femme faite. Elleportait une robe extravagante, en velours vert rebrodé de rouge et d’or, et des mèches folleséchappéesdesonchignonbasdansaientautourdesonvisageauxjouesrosiesparlefroid.

Danssongenre,elleétaitplutôtjolie.Maislàn’étaitpaslaquestion.D’oùdiablesortait-elle?Pourautantqu’ilsache,lesseulsautreshumainsprésentsdanslesruines

des Folies Harte étaient les prétendus jardiniers qui travaillaient sur les bosquets bordant l’étang.Apollon avait tenté de passer sa frustration sur un tronc d’arbre calciné, essayant de le déterrer àmains nues puisque le seul cheval à leur disposition était employé par les autres, quand il avaitentenduunevoixdefemme.Puislafemmeavaitsurgid’unfourré.

Àprésent,elleregardaitsonbrasd’unaireffaré.Apollon suivit la direction de son regard et grimaça. Il avait instinctivement tendu le bras en

pivotant vers l’intruse, et devait reconnaître que la serpette qu’il tenait à la main pouvait paraîtremenaçante.

Il s’empressadebaisser lamain.Lesvêtementsmaculésdeboueetdesuie, le frontcouvertdesueur,ilsesentaitcommeungrosbalourdfaceàtantdedélicateféminité.

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Apparemment, songeste suffit à rassurer la jeune femme.Elle redressa l’échine–cequine lagranditpasbeaucoupplus.

—Quiêtes-vous?demanda-t-elle.Apollon lui aurait volontiers retourné la question, mais il n’en était pas capable. La faute en

incombaitauxsévicesquiluiavaientétéinfligésàBedlam2.Avecuntempsderetard,ilsesouvintqu’ilétaitsupposén’êtrequ’unsimplejardinier.Ilbaissa

donchumblementlesyeux–etsonregardtombasurd’élégantsescarpinsmaculésdeboue.«Quidoncétaitcettefemme?»sedemandadenouveauApollon.—Répondez-moi,reprit-elled’untonimpérieuxquicontrastaitavecledécorquil’entourait.Qui

êtes-vousetquefaites-vousici?Apollonregardafurtivementsonvisage–elleavaithaussélessourcils.Puisilsetapotaleslèvres

etlagorgeensecouantlatête.Siellenecomprenait,alorselleétaitplusbêtequ’elleneleparaissait.— Oh ! s’exclama-t-elle. Je ne pouvais pas savoir, ajouta-t-elle plus doucement. Mais peu

importe,vousnepouvezpasresterici.Apollonseretintdeleverlesyeuxauciel.Iltravaillaitdanscejardin,elledevaitbiens’enêtre

aperçue.Dequeldroitdécidait-ellequ’ildevaitpartir?—Vous,reprit-elle,ledésignantdudoigtcommesiellelecroyaitsourd.Elle n’était pas la première à commettre cette erreur. Beaucoup de gens s’imaginaient que

puisqu’ilnepouvaitpasparler,iln’entendaitpasnonplus.—Vous…nepouvez…pas…rester ici,articula-t-elleendétachantsoigneusementchaquemot,

avant demurmurer, pour elle-même :Bon sang, je ne saismêmepas s’ilme comprend.Mais j’aipeineàcroirequeM.Hartepermetteà…

Apolloncompritsoudain,entrehorreuretamusement,quecettefemmeleprenaitpourunsimpled’esprit.

L’undesescarpinsfrappalesol.—Regardez-moi,s’ilvousplaît.Apollonrelevalentementlesyeux,s’efforçantdeconserverunvisageinexpressif.Lajeunefemmeavait froncélessourcils,croyantsansdouteparaîtresévère,alorsqu’ellen’en

était que plus adorable. Telle une petite fille grondant un chaton. Il n’empêche qu’Apollon étaitfurieuxcontreelle.Ellen’auraitpasdûtraînerseuledansleparc.Sielleétaittombéesurunautrequelui–untypebrutal,commecertainsdeceuxquis’échappaientdeBedlam–,sadignité,voiresavie,auraientpuêtreendanger.N’avait-elledoncpasdemari,defrèreoudepèrepourveillersurelle?

Ils’aperçutqu’ellenefronçaitpluslessourcils.Sonexpressions’étaitmêmenettementradoucie.—Vousnepouvezpasmerépondre,biensûr,dit-elledoucement.Apollonavaitsouventétéconfrontéàlapitiédepuisqu’ilavaitperdusavoix.D’ordinaire,cela

luiinspiraitunmélangederageetdedésespoir–aprèsneufmois,ilcommençaitàdouterdereparlerunjour.Maislaquestiondel’inconnueneprovoquapaslaréactionhabituelle.Peut-êtreétait-cedûaufaitquec’étaitunefemme–celafaisaitsilongtempsqu’unefemme,endehorsdesasœur,n’avaitpasessayé d’engager la conversation avec lui. À moins que ce ne soit tout simplement lié à sapersonnalité.Cetteinconnuemanifestaitunecompassionsincère,dépourvuededédain,etcelafaisaittouteladifférence.

Ilsecoualatête.Ellesoupira,avantderegarderautourd’elle.—Quevais-jefaire,maintenant?marmonna-t-elle.JenepeuxquandmêmepaslaisserIndiotout

seuldehors.

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Apollons’efforçadenepaslaisserparaîtresasurprise.QuiétaitIndio?—Allez-vous-en!cria-t-ellesoudain,avecunetellevirulencequ’Apollonclignadesyeux.Ellepointaundoigtautoritaire.Ilréprimaunsourire.Envoilàunequinerenonçaitpasfacilement!Ilseretournapourregarder

dans la direction qu’elle lui indiquait, avant de reporter son attention sur elle en feignantl’incompréhensionlaplustotale.

—Bonsang!s’exclama-t-elle.C’estàdevenirfolle!Elle s’approchade lui et, sans se soucier du fait qu’il la dominait d’unebonne tête, plaqua les

mainssursontorseetlepoussa.Apollons’autorisaàreculerd’undemi-pas,avantdes’immobiliser.Lajeunefemmelevalesyeux

verslui.Deprès,découvrit-il,ilsétaientpailletésd’or.Elleentrouvritleslèvres.Illesfixaduregard.—Maman!L’exclamationlesfittousdeuxsursauter.Seretournant,Apollon,découvritunpetitgarçonplanté

dans l’allée longeant le bosquet. Ses cheveux noirs bouclés lui frôlaient les épaules. Il portait uneveste rouge et affichait un air farouche. Contrairement au chien qui l’accompagnait – un lévrierdélicat.

Au premier geste d’Apollon, l’animal se figea, puis déguerpit comme s’il avait le diable auxtrousses.

L’enfantsedécomposa,puisilcarralesépaulesetfusillaApollonduregard.—Lâchez-la!Lajeunefemmes’étaitenfintrouvéundéfenseur.Encorequ’ilauraitpréféréquelqu’undeplus

imposantphysiquement.Ellerejoignitlegarçon.—Tevoilàenfin,Indio!Tunem’aspasentenduet’appeler?—Jesuisdésolé,maman,réponditl’enfant,sansquitterApollonduregard–uneprécautionque

cederniern’auraitpassongéàluireprocher.J’exploraislesenvironsavecDaffodil.—Laprochainefoiscontentez-vousd’explorerlesabordsduthéâtre.Jenevoudraispasquetu

rencontresquelqu’unde…EllejetaunregardnerveuxàApollon.—Euh…disons,dangereux.Apollon essaya de paraître le plus inoffensif possible, malheureusement, c’était presque

impossible.Àquinzeans,soitquatorzeansplustôt,ilmesuraitdéjàunmètrequatre-vingts!Sil’onajoutait à cela sa carrure, sesmains comme des battoirs et son visage, que sa sœur avait un jourcomparéavecaffectionàceluid’unegargouille,passerpourunchérubinétaitunecauseperdue.

Àpreuve,lajeunefemmepritsonfilsparlamain.—Viens,Indio,dit-elle.AllonsvoiroùDaffodilestalléesecacher.—Mais,maman,murmural’enfantàvoixpresquehaute,etlemonstre?Il n’était nul besoin d’être un génie pour deviner à qui le garçonnet faisait référence.Apollon

faillitsoupirer.—Net’inquiètepas,réponditsamèred’unevoixferme.J’enaviseraiM.Harte,etjetepromets

quedemainmatin,ilseraparti.Après un dernier regard nerveux à l’adresse d’Apollon, elle pivota sur ses talons et entraîna

l’enfantdanssonsillage

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YeuxVertsaurait certainementunchocendécouvrantqui,du«monstre»oud’elle, serait jetéhorsduparc,songeaApollon.

1.Créaturefantastiquedelamythologieceltique.(N.d.T.)

2.NomdonnéauBethlemRoyalHospital, hôpitalpourmaladesmentauxfondéen1400àLondres.(N.d.T.)

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2

Le roi possédait une grande armée qu’il conduisit par monts et par vaux, soumettant toutes lespeupladesrencontréessursoncheminjusqu’àcequ’ilatteignelamer.Devantluisedressaituneîlesimagnifiquequ’ils’empressadelaconquériràsontour.Puisilyfitédifierunchâteaud’or,etdemandaàsareinedel’yrejoindre.Mais,lapremièrenuit,untaureaunoirluiapparutenrêve…

Pour quelqu’un qui possédait un parc d’agrément,AsaMakepeace ne vivait certes pas dans leluxe;àvraidire,ilflirtaitmêmeaveclamisèrelaplusnoire.

Apollonserenditchezluitôtlelendemainmatin.MakepeacehabitaitSouthwark,unquartiersurla rive sud de la Tamise, non loin des anciennes Folies Harte. Son appartement se trouvait autroisièmeétaged’un immeubledélabré,maisApollonn’yétait encore jamaisvenu. Ilyavaitdeuxportessurlepalier.

Ilfrappaàcellededroite,attendit,puiscollal’oreilleaubattant.Unbruitdepassefitentendre.Finalement,laportes’ouvritsurunvieilhommecoifféd’unbonnetdeveloursrouge.

—C’estpourquoi?ditl’homme,mécontent.Vousm’avezréveillé!Apollonreculad’unpasets’excusad’ungestedelamain.L’hommeclaqualaporteàl’instantoùMakepeaceouvraitlasienne.—Qu’ya-t-il?Satignasserousseévoquaitlacrinièred’unlion–unlionréchappéd’uncyclone–etsachemise

déboutonnéerévélaituntorsevelu.Maisaumoinsportait-ilunpantalon.Apollons’engouffrachezsonami,maisn’allapasbienlointantlapièceétaitencombréedetout

unfatrasd’objetsdivers.Despilesdelivresoccupaientleplancher,latableetmêmeunepartiedulit.Leportraitd’unhommebarbuétaitappuyécontreunmur,coincéentreuncorbeauempailléetunemaquettedebateaudeplusdeunmètredehaut,gréementcompris.Descostumesétaientpliésdansuncoin,etdespapierss’étalaientunpeupartout.

Makepeacerefermalaporte.Lecourantd’airfitvolerquelquespapiers.—Quelleheureest-il?Apollondésignaunehorlogeposéesurlatableentredeuxpilesdelivres,avantdes’apercevoir

qu’elles’étaitarrêtée.Bonsang!Décidantd’adopteruneméthodeplusdirectepourindiquerl’heureàsonami,ilsedirigeaversl’uniquefenêtredelapièceetenécartalesrideaux.

Songestesoulevaunnuagedepoussière,quidansajolimentdanslesrayonsdusoleilmatinal.—Ahhh!gémitMakepeace,commes’ilavaitététranspercédeplusieursflèches.Iltitubajusqu’aulit,oùilselaissachoir.—N’as-tudoncpasdecœur,Apollon?Iln’estpasencoremidi!

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Apollonsoupira.Ilrejoignitsonami,s’assitàcôtédeluisurlelitettiradesapocheleprécieuxcarnetetlecrayondontilneseséparaitjamais.

Quiestlafemmedanslejardin?écrivit-il,avantdefourrerlecarnetsouslesyeuxdeMakepeace.—Quellefemme?Etqueljardin?Serais-tudevenufou?Àmoinsquetuneveuillesparlerd’Eve

etdecejardin-là,auquelcastuteprendraissoudainpourAdam,etjeseraiscurieuxdetevoirvêtud’unesimplefeuilledevigne…

Apollonavaitreprislecarnet.Desyeuxverts.Jolie.S’habilleavecextravagance.AunpetitgarçonprénomméIndio.—Ah,elle!s’écriaMakepeace.C’estLilyStump.Lameilleureactricecomiquedesagénération.

Elle est incroyablement douée. Elle ensorcelle littéralement son public – en tout cas, la partiemasculine. Sur scène, elle se fait appeler Robin Goodfellow. Elle a eu raison de prendre unpseudonyme.C’estfortpratique.

Apollonluijetaunregardtorve.AsaMakepeaceétaitplusconnusouslenomdeM.Harte.Trèspeu de personnes, du reste, étaient au courant de ses deux identités.Makepeace avait recouru à cestratagème lorsqu’il avait ouvert les Folies Harte, près de dix ans auparavant, pour ménager safamille.Celle-ci,trèspieuse,désapprouvaitleslieuxdeplaisir,théâtreetjardind’agrémentcompris.Apollonavaittentéd’ensavoirplus,maisMakepeacesemontraittoujoursévasifsurcesujet.

Déloge-lademonjardin,écrivitApollonsursoncarnet.Makepeacelutsaphraseetarqualessourcils.—J’ail’impressionquetuoubliesquec’estmonjardin.Apollonlefoudroyaduregard.Makepeacelevalesmainsensigned’apaisement.—Mais,biensûr,jen’oubliepasquetuasinvestidedans,reprit-il.Etdemanièresignificative.Apollon ricana.En fait d’investissement significatif, il avait placé toutes ses économies, quatre

ansetdemiplustôt,danslesFoliesHarte.Etcomme,depuis,ilavaitpassélamajeurepartiedesontemps enfermé à Bedlam, il n’avait pas été en mesure de gagner de l’argent. Sa participation aucapitaldesFoliesHarteétaitdonctoutcequiluirestait,etcequil’empêchaitaussidequitterLondres.Cartantqueleparcn’auraitpasrouvertaupublic,etrecommencéàfairedesbénéfices,ilnepourraitpasrécupérersesfonds.

D’oùsadécisiond’aiderMakepeaceàrestaurersonétablissementauplusviteensupervisantlestravauxdeplantations.

Makepeacelaissaretombersesmainsetavoua:—JenepeuxpasrenvoyerMlleLilyStump.Apollon ne prit pas la peine d’écrire un commentaire. Il se contenta de hausser un sourcil

incrédule.Makepeaceseleva.—Ellen’apasd’autreendroitoùaller.Apollon attendit patiemment la suite. Être muet n’avait pas que des inconvénients : le silence

incitaitsouventvosinterlocuteursàsemontrerloquaces.Makepeacereniflasonaisselle,grimaçaetretirasachemise.— Je l’ai débauchée du Théâtre Royal, expliqua-t-il. Son directeur,M. Sherwood, a pris cela

commeunaffrontpersonnel.Depuis,ilusedetoutesoninfluencepourl’empêcherderetrouverdutravailailleurs.Aussi,quandelleestvenuem’annoncer,lasemainedernière,qu’ellen’avaitplusdequoipayersonloyer…

Ilhaussalesépaulesetjetasachemisedansuncoin.

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Mécontent,Apollonécrivitfébrilementsursoncarnet:Jenepeuxespérerdemeurerincognitosidesgenssepromènentdansleparc.PuisilselevaàsontourpourmontrerlecarnetàMakepeace.Celui-cis’esclaffa.—Etlesjardiniersquenousavonsembauchés?Tun’aspasfaittantdemanièresàleursujet.C’estdifférent.Nousavonsbesoind’eux.EtilsnesontpasaussiintelligentsqueMmeStump.—MademoiselleStump,corrigeaMakepeace.Iln’yapasdeM.Stump.Enfin,pourautantqueje

sache.ApolloncillaEtl’enfant?Makepeaces’emparad’unecruchemiraculeusementremplied’eau,qu’ilvidadansunecuvette.—C’estsonfils.Maistusaiscommentsontlesgensdethéâtre.Nesoisdoncpaspuritain.Donc, elle n’avait pas d’homme dans sa vie. Non pas que cela ait la moindre importance.

MlleStumpleprenaitpourunparfaitidiot.EtilseterraitdepuissonévasiondeBedlam.Ilsoupira.Trouve-luiunautrelogement.Makepeaceenrestabouchebée.—Quelleexcellenteidée,Kilbourne!Jevaisl’envoyerdanslemanoirdemesancêtres,aupays

deGalles.Ilestunpeubranlant,maislesdizainesdedomestiquesetlesmilliersd’hectaresdeterresqui l’entourent devraient lui faire oublier ces quelques inconvénients. Ou alors, le château quepossèdemafamilledanslesuddelaFranceserapeut-êtreplusàsongoût?Heureusementquetueslà.Jen’enrevienspasdenepasyavoirpensémoi-même.C’est…

Apolloninterrompitsadiatribeenluiplongeantlatêtedanslacuvette.Makepeacepoussaunrugissementetsecoualatêteavecunetellevigueurqu’Apollonfutpresque

aussiarroséquelui.—Ahem.Lesdeuxhommessetournèrentverslaported’unmêmemouvement.L’aristocrate qui se tenait sur le seuil n’était pas très grand – Asa le dépassait de plusieurs

centimètres et Apollon avait une tête de plus –, mais il savait prendre la pose, une hanchegracieusement fléchie, lamain reposant avec élégance sur une canne d’or et d’ébène. Il portait uncostumerose,richementbrodédebleu,d’or,denoiretdevert,etavaitdélaissélaperruqueblanchequ’arboraientlaplupartdesnobles,laissantsescheveuxblondsattachésencatoganparunnœuddeveloursnoir.Lapremièrefoisqu’ApollonavaitvuValentinNapier,septièmeducdeMontgomery–c’étaitlesoirdel’incendiequiavaitravagélesFoliesHarte–,ill’avaitprispourundandy.Depuis,iln’avait eu aucune raison de changer d’avis à son sujet. Sinon qu’il avait enrichi ce verdict d’unadjectif:Montgomeryétaitundangereuxdandy.

— Bonsoir, messieurs, les saluaMontgomery avec un petit sourire narquois. J’espère que jen’interrompsriend’intime?

Son regard passa d’Apollon, qui se raidit, à Makepeace. Ignorant le sous-entendu, ce dernierréponditenattrapantuneserviettepoursefrictionnerlescheveux.

—Uniquementmatoilettematinale.Sentez-vouslibredereveniràunautremoment,VotreGrâce.—Oh,maisvousêtestoujourstellementoccupé!objectaMontgomery.Du bout de sa canne, il fit tomber une pile de papiers qui encombraient un fauteuil. Son

expressionrappelaàApollonlechatgrisquesamèreavaitrecueillilorsqu’ilétaitenfant.Unjour,lechatavaitgrimpésurlemanteaudelacheminéeduboudoirdesamèreetavaitfaittomberunàunles

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bibelots disposés sur la tablette de marbre, les regardant s’écraser sur le sol avec un parfaitdétachement.

—Asseyez-vousdonc, suggéraMakepeace, avant d’ouvrir un tiroir pour en tirer une chemisepropre.

—Merci,fitMontgomery,sansparaîtrelemoinsdumondeembarrassé.Ils’assit,croisalesjambes,ôtauneminusculepoussièredesonpantalon,puislâcha:—Jesuisvenum’informersurmesinvestissements.Apollonserembrunit.Dèsledébutilavaitétécontrel’idéed’accepterl’argentdeMontgomery,

maisMakepeace,quiavaitlalanguebienpendue,avaitréussiàleconvaincre.Iln’enétaitpasmoinspersuadéqu’ilsavaientpactiséaveclediable.Montgomeryavaitséjournéàl’étrangerpendantplusdedixans,avantderentrerbrusquementàLondres.Personnenesemblaitsavoirgrand-choseàsonsujet–nicequ’ilavaitfaitdurantcesdixannées–,quandbienmêmesonnometsontitreétaientconnus.

C’étaitlàunmystèrequimettaitApollonmalàl’aise.— Tout se passe à merveille, assura Makepeace. Smith, ici présent, s’occupe de restaurer le

jardin.—Sssmith…sifflaMontgomery, se tournant versApollon, queMakepeace avait affublé de ce

pseudonymeridicule.JecroismesouvenirquevotreprénomestSamuel,c’estbiencela?—IlpréfèreSam,précisaMakepeace.VotreGrâce.—SamSmith,répétaMontgomerysanscesserdesourire.Avez-vousunlienavecHoraceSmith

dansl’Oxfordshire?Apollonsecoualatête.— Non ? C’est dommage. Mais, après tout, Smith est un nom très commun. Puis-je vous

demanderquelssontvosprojetspourleparc?Apollonfeuilletasoncarnetetletenditauduc,quisepenchapourexaminersescroquis.—C’est trèsjoli,dit-ilenseredressant.Jepasserai toutà l’heureafindemerendrecomptede

l’avancementdestravaux.ApollonetMakepeaceéchangèrentunregard.—Nevousdonnezpascettepeine,VotreGrâce,ditcedernier.—Ceneserapasunepeine.Plutôtunpetitcaprice.Quevousnepourrezpasmerefuser,n’est-ce

pas,monsieurSmith?Apollonhochala têteàcontrecœur.Iln’auraitpassudirepourquoi,mais iln’aimaitpas l’idée

queleducdéambuledansleparc.Montgomeryfaisaittournersacannedanssamain,contemplantlemiroitementdupommeaud’or.— J’imagine que nous aurons bientôt besoin d’un architecte pour rebâtir les différentes

constructionsquiornaientleparc.—Samvienttoutjustedecommenceràtravaillersurlesplantations,objectaMakepeace.Iladu

pain sur la planche – vous avez vu l’état des lieux. Nous avons le temps de nous préoccuper detrouverunarchitecte.

—Non,rétorquafermementMontgomery.Passinousvoulonsrouvrirleparcd’iciunan.—Unan?s’étranglaMakepeace.—Unan,confirmaMontgomery,avantdeseleveretdesedirigerverslaporte.Aucasoùvous

ne l’auriez pas remarqué, je suis quelqu’un d’impatient, ajouta-t-il. Si le parc n’est pas prêt àaccueillirdenouveauxvisiteurs–etl’argentqu’ilsydépenseront–enavrildel’annéeprochaine,jecrainsfortd’êtreobligédevousréclamerlarestitutiondemoncapital.

Ilouvritlaporte,seretournaetleuradressaunsourireangélique.

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—Aveclesintérêts,biensûr.Surce,ilsortitetrefermalebattantderrièrelui.—NomdeDieu,murmuraMakepeace.Apollonn’auraitpudiremieux.

—Tucroisquecelaexiste,«mépriseuse»?demandaLilyàMaude,quelquesjoursplustard.Lajeunefemmeétaitassiseàlatabledelacuisine,pendantqueMaudeétendaitlalessivedevantle

poêle.—Mépriseuse?répétaMaude,avantdesecouerlatête.Non,jen’aijamaisentenducemot.Zut ! Lily baissa les yeux sur la pièce qu’elle écrivait – Les Remords d’un panier percé – et

«mépriseuse»luiauraitconvenuàmerveille.—Tantpissicelan’existepas.Aprèstout,Shakespearepassaitsontempsàinventerdenouveaux

mots.Maudesetournaverselle.—Oui.Maisvousn’êtespasShakespeare.—Hmm.Lily se remit au travail. Elle trouvait que mépriseuse sonnait bien. En plus, il était facile à

comprendre.Cen’étaitpasparcequepersonnen’avaitencoresongéàl’inventerqu’ilfallaitsepriverdel’utiliser.

Elletrempasaplumedansl’encrieretinscrivitlemot.C’estalorsqu’onfrappaàlaporte.LilyetMaudesefigèrentetbraquèrentlesyeuxsurlebattantJamaispersonnen’avaitfrappéàla

porte.Certes,ellesn’habitaientlàquedepuismoinsd’unesemaine,maistoutdemême.Lilyfronçalessourcils.—OùestIndio?Maudehaussalesépaules.—Ilestsortijouerdehorsaussitôtaprèsledéjeuner.—Jeluiaipourtantditdenepass’éloigner,marmonnaLily,soudaininquiète.Elle s’était rendue chez M. Harte le lendemain de sa rencontre avec le « monstre », mais le

propriétaireavaitdéclaréqu’iln’étaitpasquestionquecettebrutequitteleparc.Aucundesargumentsraisonnables qu’elle lui avait opposés n’avait pu le convaincre de changer d’avis, aussi était-ellerepartie fortmécontente.Heureusement, lemuetne s’était plus aventuréprèsdes ruinesdu théâtre.Malheureusement,Indiosemblaitfascinéparlui.EndépitdesmisesengardedeLily,ilavaitdisparuàplusieursreprisesdansleparcencompagniedeDaffodil.

Avecunsoupir,lajeunefemmeselevapourallerouvrir.Etdécouvritunhommeencostumerosetirantsurlemauve,ledostournécarilcontemplaitleparc.

IlpivotaetLilyfutfrappéparsabeauté.Ilavaitdesyeuxd’unbleutrèspur,delongscilsbruns,despommetteshautes,uneboucheparfaitementdessinéequ’elleluiauraitpresqueenviée,et,commepourprouverquelaProvidenceétaitvraimentinjuste,d’admirablescheveuxblonds.Deceuxqu’elleauraitrêvéd’avoirlorsqu’elleétaitenfant.

Ellebattitdespaupières—Euh…quepuis-jepourvous?L’hommelagratifiad’unsourireravageur.—Ai-jeleplaisirdem’adresseràl’illustreRobinGoodfellow?

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Lilyseredressaetluiretournal’undessouriresdontelleavaitlesecret–etqu’ellesavaitplutôtdévastateur. Lily Stump n’était pas toujours aumieux de sa forme ni de sa personne, elle pouvaitavoirdesdoutes,despeursoulescheveuxmalcoiffés,RobinGoodfellow,enrevanche,n’étaitjamaisriendetoutcela.RobinGoodfellowétaitunecomédiennetrèspopulaire,aiméeduTout-Londres.

Sonsourirefitcillerl’inconnu.—Elle-même,répondit-elled’unevoixdegorge.Unelueuradmiratives’allumadanslesprunellesdel’homme.—Danscecas,permettez-moidemeprésenter:ValentinNapier,ducdeMontgomery.M.Harte

m’aapprisquevousrésidiezicietj’aivouluenprofiterpourfairevotreconnaissance.Ilsoulevasontricornenoiretinclinarespectueusementlatête.Lilyentenditunfracasdanssondos,maiselleneseretournapaspourvoircequeMaudeavait

cassé.Enréponseausalutduduc,elleesquissaunerévérence.—Jesuistrèshonoréedevousrencontrer,VotreGrâce.Puis-jevousoffrirunetassedethé?—Vousm’enverriezravi.Lily se retourna et échangea un regard entendu avec Maude. Les deux femmes n’avaient

évidemmentpasprévuderecevoirunduc,maisMaudefréquentait lemondedu théâtredepuispluslongtempsqueLily,etellesavaitjouerlacomédiepresqueaussibienqu’elle.

—Lesoleilestdesortie,déclaraLily.Nousprendronslethéaujardin,Maude.— Bien, madame, répondit cette dernière, se coulant avec aisance dans le rôle de la parfaite

domestique.Lilyreportasonattentionsurleduc.Ilsemblaitsceptique.—Nefait-ilpasunpeufrais?hasarda-t-il.Lilyétrécitimperceptiblementlesyeux.Leducsedoutaitsûrementqu’ellen’avaitpasenviequ’il

voieoùellevivait.—Sansdoute,VotreGrâce,mais j’aime le grand air.Cependant, si vous préférez un intérieur

étouffant…—Non,non,protestaleduc,uneétincelleamuséedansleregard.Elle avaitmarquéunpoint,mais il acceptait sa défaite debonnegrâce. Il s’effaçapour laisser

Maudesortirdeuxchaises–dépareillées,biensûr,maisLilyjugeapréférabledenepass’enexcuser.Montrer lamoindrevulnérabilité devant unhomme tel que lui était aussi imprudent que, pourunesouris,sortirdesontroualorsquelechatattendaitdevant.

Montgomery désigna galamment une chaise et Lily s’assit avec grâce. Il l’imita. Il semouvaitaveccettesorted’élégancenonchalantetypiquedeshommesdangereux.

Leducbalayaduregardlesrestescalcinésduparc.—Vousnetrouvezpascetendroitunpeumacabre?—Pas lemoinsdumonde,VotreGrâce,mentitLily.L’atmosphèredeceparcest toutà la fois

follementmystérieuse et charmante. Celam’est très bénéfique.Une comédienne a besoin de vivredansununiversquil’inspire.

—Jesuisheureuxdevous l’entendredire,déclara leduc.Commevous lesavezsansdoute, jesuisdésormaiscopropriétairedesFoliesHarte.

Lilyavaitdûsetrahir–unclignementdespaupières,peut-être?–,carilsepenchaverselle.—Ah!Vousl’ignoriez.Lediabled’homme!Elles’obligeaàsedétendre.—Jevousavoue,VotreGrâce,que jenesuispas trèsaucourantdespetitesaffaires liéesàce

parc.Celanemepassionneguère.

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—Non,biensûr,murmura-t-il,alorsqueMauderessortaitavecuntabouret.Elleleplaçaentreeux,avantderetourneràl’intérieur.Leduccontemplaletabouretd’unregard

comique.—Mais ces « petites affaires », comme vous dites, me mettent en position d’être votre – il

s’éclaircitdélicatementlavoix–employeur.Mauderevintsurcesentrefaitesavecleplateauduthé,épargnantàLilyd’avoiràformulerune

répliquesansdouteinappropriée.Maudeposasonplateausurletabouretetremplitdeuxtasses.PuiselletenditlasienneàLilyen

luiadressantunregardinterrogateur.Lilylaremerciad’unsourirepourluisignifierqu’ellen’avaitpasbesoind’aide.

Mauderepartitaussitôt.—Elleesttrèsloyale,n’est-cepas?commentaleduc.Lily goûta à son thé. Il n’était pas assez fort – Maude avait probablement puisé dans leurs

dernièresréserves–,maischaudàsouhait.—Lepropred’unbondomestiquen’est-ilpasd’êtreloyal,VotreGrâce?Ilinclinalatêtedecôtécommes’ilméditaitsaquestion,avantderépondre:—Pasnécessairement.Unserviteurpeuttrèsbiens’acquitterdesontravailàlaperfectionsans

pourautantêtreloyalenverssonmaître.Ilsourit,avantd’ajouter:—Biensûr,c’estaumaîtredeluimettrelemorsentrelesdents.Lily réprimaun frisson.Quelle imageméprisable.Décidément, les aristocratesne raisonnaient

pas comme le commun des mortels. Ils jouaient avec l’existence de leurs inférieurs de la mêmemanièrequ’Indios’amusaitàtriturerunefourmilièreavecunbâton,sanssesoucierdesdégâtsqu’ilscausaient.

—Jecroisquejen’aimepascetteidéedemors,murmuraLily.—Non?Vouspréférezlaisserleschevauxcourirlibrement?—Lesêtreshumainsnesontpasdeschevaux!—Certes,maislesdomestiquess’enrapprochent,répliqua-t-il.Lesunsetlesautressontlàpour

servirleursmaîtres.C’estleurseuleutilité.Lilyleregarda,espérantuneesquissedesourirequiluiprouveraitqu’ilplaisantait.Envain.Ilbutunegorgéedethéavantdedemander:—N’êtes-vouspasdemonavis,MlleGoodfellow?—Non,VotreGrâce,réponditLilyd’untonsuave.Non.Cettefois,ils’autorisaunsourire–beau,etdépravé.—Vousparlezsansdétour.Bravo.Voilàquiestrevigorant.Dites-moi,avez-vousunprotecteur?Bontédivine!Lilyfaillits’étrangler.Onpouvaitdifficilementfairepropositionplusinsultante.Ellesouritdenouveau,bienquecelaluifûtdeplusenplusdifficile.—Vosattentionsmeflattent,VotreGrâce,maisjenerecherchepasdeprotecteur.—Non?dit-il,balayantduregardlethéâtreenruine.J’imaginequevousconnaissezvotreintérêt

mieuxquequiconque,ajouta-t-il,ouvertementdubitatif.Quoiqu’ilensoit, j’auraisquelquechoseàvousproposer.L’undemesamisaprévudedonnerunepartiedecampagne,dansquelquessemaines,etilsouhaitemonteràcetteoccasionunepetitepiècedethéâtreécritepourlacirconstance.Iladéjàengagéunetrouped’acteurs,maisl’actriceprincipales’estmalencontreusementretrouvéeincapabledejouer.Unecertaine…indisposition,sivousvoyezcequejeveuxdire.

—Jevois.

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Lilyéprouvaitdelacompassionpourcetteactricequesagrossesseempêchaitdetravailler.Elleespérait que la malheureuse avait quelqu’un pour s’occuper d’elle. Elle-même ignorait ce qu’elleauraitfaitsansMaudequandIndioétaitarrivé.

—Maisjesuissurprise,VotreGrâce,ajouta-t-elle.Unelueurd’intérêts’allumadanslesyeuxbleusduduc.—Pourquoi?— J’aurais pensé que les préparatifs d’une fête privée n’étaient pas dignes de retenir votre

attention.—Ah!fit-ilavecunsourirequineluiétaitpasdestiné.Envérité,celam’arrangederendrece

petitservice.Sonbénéficiairesesentiraencoredavantagemondébiteur.Lilyavalasasalive.Leducessayait-ilégalementdefaired’ellesadébitrice?Probablement,mais

tantpis.Elleavaitbesoindetravailler.Etlesreprésentationsprivéesétaienttoujoursfortbienpayées.Elledevaitdoncs’estimerchanceusederecevoirunetelleoffre.

—J’acceptevolontiersvotreproposition,dit-elle.—Merveilleux,déclaraleduc.L’écrituredelapiècen’estpasencoreachevée,lesrépétitionsne

commencerontdoncpasavantunequinzainedejours.Jevouspréviendrailemomentvenu.—Merci.Illagratifiad’unlentsourire.— Votre talent est loué par tous, mademoiselle Goodfellow. Je suis personnellement très

impatientd’assisteràcettepartiedecampagne,etàlareprésentationquienseraleclou.Lilycherchaitquoi répondreàcelaquanddeux tornades soulevantunnuagedepoussièredans

leursillagesurgirentdujardin.Indiosefigeaendécouvrantquesamèreavaituninvité,tandisqueDaffodil,s’immobilisantàses

pieds, semettait à japper avec une telle énergie que ses pattes de devant quittaient le sol à chaqueaboiement.

Leducfixalechien,lesyeuxétrécis,etLilyressentitsoudainunecrainteirrationnelle.Heureusement,Mauderéapparutets’enallaprendre l’animaldanssesbras.Enmald’affection,

celui-cientrepritdeluiléchercopieusementlevisage.—Çasuffit,maintenant!letançaMaude.Indio,viensavecmoi.Elletenditlamainetl’enfantsedirigeaverselle.—Uninstant,ditleduc,quiarrêtacedernierenposantlamainsursonépaule.C’estvotrefils?

ajouta-t-ilàl’adressedeLily.Ellehochalatête,lespoingsserrésdanssongiron.Elleignoraitpourquoileducs’intéressaità

sonfils,maisellen’aimaitpascela.Pasdutout,même.Montgomeryglissa l’indexsous lementond’Indiopour luisoulever levisageetcontemplaun

instantsesyeuxvairons.—C’est fascinant, cesyeuxde couleursdifférentes. Jen’en ai rencontréde semblablesqu’une

seulefoisdansmavie.EtiladressaàLilyunautredesessouriresénigmatiques.

L’enfantl’espionnaitencore.L’après-mididulendemaintouchaitàsafinetlesoleilabandonnaitlapartiederrièreunebarrière

denuagesgrisalorsqu’Apollonexaminaitl’étang.Aveclesautresjardiniers,ilavaitpassécestroisderniersjoursàdéblayerlasourcequialimentaitlapièced’eau,ladébarrassantdesnombreuxdébris

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qui l’encombraient afin que le bassin d’agrément soit de nouveau alimenté en eau courante. Labesogneavaitétérudeetsalissante,maislerésultatsevoyaitdéjà:leniveaudel’étangavaitremontédeplusieurscentimètres.Unvieuxpontdepierre lançait sesarchesendirectiond’unepetite îleaucentreduditbassin.Levantlesmains,Apollonformauncadreavecsesdoigts.

Un frémissement dans les buissons l’avertit de la présencedugarçonnet.Puis les feuillages sefigèrentcommelorsqu’ungibiertentaitd’échapperàunrenard.

Apollonpritgardedenepasmontrerqu’ilavaitentendu.Ilétudia ledécorquis’inscrivaitdans lecadre. Ilavaitd’abordsongéàraser lepont,quiavait

souffertde l’incendie,pourtant,àbienyregarder, il luisemblaitque lesarchesconstitueraientuneruinedumeilleureffet,àconditionqu’ellesoitencadréedeplantationspourlamettreenvaleur.Peut-êtreunchênesurlabergeetunbosquetderoseaux,ouunarbusteàfleurssurl’île.

Il soupiraet laissa retomber sesmains.Lesarbresconstituaient sonprincipal souci.Laplupartn’avaientpasrésistéàl’incendie,orilfallaitdesannéespourqu’unarbrearriveàmaturité.Ilavaitluqu’il était possible de transplanter des arbres déjà adultes – les Français, paraît-il, maîtrisaientparfaitementcettetechnique–,maisilnes’yétaitencorejamaisrisqué.

À chaque jour suffisait sa peine. Pour l’heure, il lui fallait encore écarter un troncmort de laberge.Ilpivota,etfaillitglisserdanslaboue.Serattrapantdejustesse,ilgrimaçaauspectacledesabottecouvertedecelimonverdâtrequirecouvraitlabergelàoùl’eaus’étaitretirée.

Uncri étouffé étaitmontédubuisson– l’enfant avait dû croirequ’il allait tomber.Apollonnes’expliquaitpaslafascinationqu’ilsemblaitexercersurcegarçon.Sontravailétaitidentiqueàceluidesautresjardiniers,pourtantilnes’intéressaitqu’àlui.Enfait,Apollons’étaitaperçuque,toutenrestantcaché,ilserapprochaitchaquejourdavantage.Commes’ilcherchaitàsefaireremarquer.

Apollonsepenchapourramassersonherminetteàlongmanche.Illabrandit,puisl’abattitsurlesracinesquirattachaientencoreletroncmortàlaterre.Letranchantdelalameprovoquaun«crac»debonaugure.Ilavaitsectionnél’unedesracinesprincipales.

Il essuya la sueur qui lui perlait au front d’un revers de manche, libéra le tranchant del’herminettedelaracineetfrappadenouveau.

—Daffodil!murmuraunevoixdanslebuisson.Apollonseretintdesourire.Indion’avaitpasrecrutélemeilleurdespartenairesenespionnage.

Lapetitechiennenecomprenaitmanifestementpaspourquoisonmaîtretenaittantàresteràcouvert.Elleétaitsortiedubuissonpourrenifleruneodeurintéressante.

—Daffodil!Apollonsoupira.Devait-ilfeindred’ignorerlelévrier?Ilétaitmuet,maispasaveugle–nisourd.Daffodil venait droit dans sa direction. Après une semaine d’espionnage assidu, elle n’avait

manifestementpluspeurdelui.Àmoinsqu’ellen’enaitsimplementassezderester immobile.Ellereniflaletroncmort,sesracines,puiss’assitpoursegrattervigoureusementl’oreille.

Apollonluioffritsamainàrenifler,maislachiennerecula.Etcommeellesetrouvaitauborddel’étang,elleglissadanslaboueetdisparutsouslasurfacedel’eau.

—Daffodil!crial’enfant,affolé,ensurgissantdesacachette.Apollontenditlebraspourl’arrêter.—Ellevasenoyer!protestalegarçon.Apollonlesaisitparlesépaules,puissepenchapourleregarderdroitdanslesyeux.Etilgrogna.

Jamais il n’avait été plus frustré de ne plus pouvoir parler. Étant dans l’incapacité d’ordonner àl’enfantdesetenirtranquilleetdeluiobéir,ilenétaitréduitàgrognertelunanimal.Ettantmieuxsi

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celal’effrayait.Aumoinsnerisquait-ilpasdetenterdesauversachienne,aurisquedesenoyerlui-même.

Legamindéglutit.Apollonlelâcha,reculadedeuxpasetcommençad’ôtersesbottes.Puissachemise.Sansquitter

lepetitdesyeux.Cederniergémit:—Oui,s’ilvousplaît.Aidez-la!Sansperdreuneseconde,Apollonpivotaversl’étangetentradansl’eau.Lelévrierétaitréapparu

àlasurfacemais,paniqué,ilbattaitfurieusementdespattesaulieud’essayerdenager.Apollonl’attrapaparlapeauducou,lesoulevahorsdel’eau,puisrevintsurlaberge.Ilramassa

sachemisepouryenvelopperlelévrierquigrelottait,avantdeletendreaugarçon.Leslarmesauxyeux,celui-ciserrasonchiencontresapoitrine.—Merci,souffla-t-il.Daffodil toussa,hoquetaet, finalement,ouvritgrand lagueuleet régurgitaunpeud’eau sur la

chemise.Apollongrimaça.Ilallachercher labesacede toiledans laquelle il transportaitsondéjeuner. Ilavaiteu labonne

idéed’yrangersoncarnetavantd’allertravaillerauborddel’étang,luiépargnantlesrégurgitationsde la chienne.Réprimant un frisson, il entreprit de fouiller dans sa besace, et retrouva, enveloppédansuntorchon,unrestedepâtéencroûte.Daffodiltenditaussitôtlecoudanssadirection.Apollondéplialetissu,brisalepâtéetendonnaunmorceauàlachienne.Ellel’avalatoutrond.

Apollonfaillits’esclaffer.—Elleadoretoutcequiestàlaviande,expliqual’enfant.Apollonhochalatêteettenditunautremorceauauchien.— En fait, elle aime tout, poursuivit le garçon, qui paraissait moins intimidé. Le pain, les

saucisses,lepoulet,lespetitspois,lespommesetmêmelefromage.Saufleraisin.J’aivoululuiendonnerunefois,maisellenel’apasmangé.C’étaitvotredîner?

Pourtouteréponse,ApollonoffritlerestedepâtéencroûteàDaffodil.Elleluifitunsortavantdelui lécher la main, à la recherche de miettes. Elle semblait avoir déjà tout oublié de sa baignadeaccidentelle.

L’enfantluicaressalecrâne.—C’estgentilàvousdeluiavoirdonnéàmanger.Vous…vousaimezleschiens?IlregardaitApollon,l’airpleind’espoir,etcelui-ciserenditcomptequesesyeuxn’étaientpasde

lamêmecouleur:ledroitétaitbleu,legauche,vert.—C’est oncleEdwin quim’a donnéDaffodil, reprit l’enfant. Il l’avait gagnée à une partie de

cartes.Maman trouve ridiculedeparierpourunchien. Je l’ai appeléeDaffodilparcequec’estmafleurpréférée.Etaussilaplusjolie1.

Daffodil se tortilla dans ses bras et il la reposa précautionneusement sur le sol. La chienne selibéradelachemise,s’ébroua,puisarrosalesol,ainsiqu’uncoindeladitechemisedanslafoulée.

Apollonsoupira.L’enfantsoupiraaussi.Paspourlesmêmesraisons.—Mamanditquejedevrais luiapprendreàs’asseoirquandonluidemande,etsurtoutàvenir

lorsqu’onl’appelle.Maisjenesaispascommentm’yprendre.Apollonretintunsourire.S’iln’avaitpasdonnélerestantdesonpâtéàlachienne,elleauraiteu

droitàuneleçondedressage.

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Legaminleregardaittoujoursaveccandeur.— Jem’appelle Indio. J’habite dans l’ancien théâtre, expliqua-t-il en pointant le doigt dans la

directionduthéâtre.AvecmamèreetMaude.Mamanestunecomédiennecélèbre.EtMaudeestnotreservante.Vousnepouvezpasparler?

Apollonsecoualentementlatête.—Jem’endoutais,avouaIndio.Commentvousappelez-vous?Apollonnepouvaitpasrépondre.Detoutefaçon,ilétaitgrandtempsdeseremettreautravail.Il

ramassasonherminettedansl’espoirquecelainciteraitl’enfantàdéguerpir.Maiscederniersecontentadereculerd’unpas,l’airtrèsintéressé.Daffodil,quis’étaitéloignée

dequelquespas,grattaitàprésentuncoindeterreavecénergie.Apolloncommençaitàavoirfroid,s’activerl’aideraitàseréchauffer.Ilabattitsonherminettesur

lesracinesdutronc.—JevousappelleraiCaliban,décrétaIndio,alorsqu’illevaitdenouveausonherminette.Ilsetournaversl’enfant,quiluisourittimidement.—C’estunpersonnagedethéâtre.Il travaillepourunesortedemagicienquihabitesuruneîle

trèssauvage.Calibanpeutparler,lui.Maiscommeilestaussigrandquevous,j’aipenséqueçavousiraitbien.

Apollonfixa legamin,nesachantquefaire.Daffodilavait interrompusesgrattementspour lesregarder.Delaterreluiornaitlemuseau.

Apollon avait quantité de raisons de tourner le dos à cet enfant et de refuser son amitié. Il secachait,satêteétantmiseàprixparcequ’ilétaitaccuséd’uncrimehorrible.Enoutre,lamèred’Indioluiavaitclairementsignifiéqu’ellenevoulaitpasqu’ils’approchedesonfils.Etpuis,qu’avait-ilàluioffrir,lui,lemuetencavaleetaccablédetravail.

MaisIndioluisouriaitavecunetellegénérositéetuntelespoirdansleregardqu’iln’avaitpaslecœurde ledécevoir.Aussi, toutensachantquec’étaituneerreur,Apollonsesurpritàhocher latête.

Caliban.LefripondeLaTempête.Aprèstout,ilavaitéchappéàpire.Indioaurait toutaussibienpuchoisirBottom,cepersonnageduSonged’unenuitd’étéaffublé

d’unetêted’âne.

1.Daffodilestlenomanglaispourjonquille.(N.d.T.)

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3

Letaureaunoirétaitàlafoismagnifiqueetterrifiant.Ilouvritlagueuleets’exprimadanslelangagedeshommes:«Tuasenvahimonîle,maistuvasenpayerleprix.»Quandleroiseréveilla,ils’étonnadel’étrangetédesonrêve,puisn’ypensaplus…

—Indio!Uneheureplustard,Lilyfouillaitleparcduregard.Elledétestaitgardersonfilsenfermé,mais

elleseraitobligéed’enpasserparlàs’ils’obstinaitàdisparaîtreainsi.Lesoleilseraitbientôtcouché,etcejardinregorgeaitdetoutessortesdedangerspourunpetitgarçon.

Lesmainsenporte-voix,elleappeladenouveau:—Indio!«MonDieu ! pria-t-elle.Faites qu’Indio soit sain et sauf.Qu’il revienne couvert depoussière,

maculédeboue,maisindemne.»Elles’éloignaendirectiondel’étang.Depuisqu’elleétaitmère,elleavaitréapprisàprier.C’en

étaitmêmepresque drôle car, pendant des années, elle avait superbement ignoré la Providence.Etpuis,toutàcoup,elles’étaitsurpriseàimplorerleSeigneurchaquefoisqu’elleavaitpeurpoursonfils.

Faitesquesafièvreretombe.Faitesquesachutenesoitpasfatale.Merci,merci,deluiavoirpermisd’éviterl’embardéedelavoiture.Paslavérole.Tout,maispaslavérole.Seigneur,faitesqu’ilnesesoitpasperdu.Lily accéléra l’allure, au point qu’elle se retrouva presque courir. Dès qu’elle aurait remis la

main sur son fils, elle lui interdirait toute sortie. Cette fois, c’était décidé. Et pour le punir, ellel’enverraitaulitsansdîner.

Lesoufflecourt,ellearrivaenfindanslaclairièrequiabritaitl’étang.ElleouvraitlabouchepourappelerdenouveauIndio.

Etdemeuramuettedesurprise.Ilétaitlà–lemonstre.Dansl’étang,luitournantledos.Immergéjusqu’àlataille.Etnu.Pétrifiée,Lily battit des paupières.Lemonstre courbait la nuque comme s’il cherchait quelque

chosedansl’eau.Oucommes’ilétaitsubjuguéparsonproprereflet.Ouapeuré.Elleressentitdelapitiéàsonégard.Cen’étaitpassafautes’ilétaitsimassifphysiquement,etenmêmetempssidiminuémentalement.

Ilplongeasoudainsouslasurface.

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Lilyvoulutcrier,maisaucunsonnesortitdesabouche.Lesoleilcouchantavaitréussiàperceràtraverslesnuages.Ilbaignaitmaintenantl’étangd’une

lumièreambréequisereflétaitsurlesvaguesprovoquéesparleplongeondugéant.Celui-ciémergeadel’eau,cettefois,faceàLily.D’ungestevifquigonflalesmusclesdesesbras,ilrabattitenarrièrelescheveux trempésqui lui tombaientsur lesyeux.L’eauruisselantsursoncorpsréfléchissaitelleaussi les rayonsdu soleil, donnant à sapeauunéclatdoré, commes’il était ledieu tutélairedecejardinenruine.ToutepitiédésertaLilytandisqu’elleserendaitcomptequ’elles’étaittrompée.

Ilétait…Elleavalasasalive.Bontédivine,ilétaitmagnifique.Lesgouttelettesiriséesroulaientsursontorse,entresespectorauxpuissants,suivaientunsillon

de poils noirs qui descendait de son nombril pour disparaître – à sa grande déception – sous lasurfacedel’étang.

Lajeunefemmerelevalesyeuxets’aperçutquelegéant,le«monstre»,laregardait.Elleauraitdûavoirhonte.Ilétaitdéficientmentaletellelereluquaitcommes’ilétaitenmesure

de lui retourner pareille faveur… sauf que son expression n’avait rien de stupide, tout à coup. Ilsemblaitmêmeamuséparsonregard.

Elleeutalorsuneréactionaussidéconcertantequ’humiliante:elleéprouvauneboufféededésir.Pasplustardquelaveille,elleprenaitlethéavecl’undeshommesparmilesplusbeauxqu’elle

ait jamais rencontrés.Pourtant, endépit de ses traits aristocratiques,de sesyeuxbleu saphir, de sablondeurextraordinaire,leducdeMontgomeryl’avaitlaisséedemarbre.

Alorsquecette…«bête»,cethommeàlacarrureanimalechezquitoutsemblaitdémesuréavaitquelquechosed’attirant.

Detouteévidence,elleavaitbesoindeprendreunamant.Etsanstarder.Ilrevenaitverslaberge,levisagedenouveauinexpressif.Cettelueurd’intelligencequ’elleavait

crudécelerdanssonregardétait-ellelefruitdesonimagination?Lajeunefemmefaillits’étrangler.Ilsortaitpeuàpeudel’étang,sansmêmeprendrelapeinede

luitournerledos!Elleétaitcependantincapablederegarderailleurs.Était-elleàcepointimmorale?Toujoursest-il

quesesyeuxétaientirrésistiblementattirésverssonbas-ventre,quiémergeaitlentementdel’eau…—Maman!Lilysursautaetfitvolte-faceenportantlamainàsoncœur.—Indio!s’écria-t-elle,presquefurieuse,carsondiabledefilsavaitchoisicemoment-làpour

surgirdesbuissons.Ilsetenaitàquelquespasencompagniedelachienne,quiétaitencoreplussalequed’ordinaire.—Maman,Calibanpeutvenirdîneravecnous?—Je…quoi?fitLily,déroutée.—Caliban,répétaIndioenpointantledoigtderrièreelle.Lily jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Elle s’aperçut, avec un soulagement teinté de

déception,quelegéantreboutonnaitdéjàsonpantalon.Lalueurd’intelligencequ’elleavaitcruliredanssonregardavaitdisparu–àsupposerqu’ileneûtpossédéuneonce.

EllereportasonattentionsurIndio.—Caliban?Ils’appelleCaliban?Sonfilshochalatête.—Oui.C’estmoiquiluiaidonnécenom.

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—Tu…commençaLily,avantdes’interrompre.Très peu de temps après qu’Indio avait commencé à parler, elle avait découvert que le laisser

diriger la conversation pouvait l’entraîner dans des tours et détours incompréhensibles pourquiconqueayantplusdeseptans.Ilétaitdoncparfoispréférabledecoupercourt.

—Indio,c’estl’heurededîner,etMaudenousattend.Laissons…—S’ilteplaît,maman,l’interrompit-ilenlarejoignant.Iltirasursonbraspourl’obligeràsebaisser,etluimurmuraàl’oreille:—Iln’arienàmanger,etc’estmonami.—Je…LilyrisquaunregardducôtédeCaliban.Ilavaitenfilésachemiseetlaregardaittoutensegrattant…l’entrejambe,commel’auraitfaitun

simpled’esprit.Pourtant, un instant plus tôt, elle aurait juré qu’il n’avait rien d’un demeuré. Mais peut-être

s’efforçait-elled’expliquersapropreréactionenluiattribuantuneraisondontilétaitdépourvu.Baissantlesyeuxsurlepetitvisageimplorantdesonfils,ellepritsadécision.Seredressant,elle

déclaraàhauteetintelligiblevoix:—Biensûr,chéri,invitetonamiàdîner.Unsonétranglése fitentendredanssondos,maisquandellese retourna, levisagedeCaliban

n’exprimait qu’une indifférence stupide. Il renifla, cracha dans l’étang – pouah ! – et s’essuya labouched’unreversdemain.

Lilyluisourit.—Caliban?Aimeriez-vousmanger?Manger?Ellemimalegestedeporterdelanourritureàsabouche,puisceluidemastiquer.—Manger.Avec.Nous.Et,désignantlecheminquimenaitauthéâtre,elleajouta:—Authéâtre.Nousavonsdelabonnenourriture!Sesmimiques exagérées étaient ridicules – et insultantes siCaliban n’était pas simple d’esprit.

Ellel’observaavecattention,àlarecherchedumoindresigned’intelligence,maisilcontinuaitdelafixerd’unregardvide.

Ellesoupira.Cependant,ellerefusaitdes’avouerqu’elleétaitdéçue.IndiorejoignitCalibanetluipritlamainaussinaturellementques’ils’agissaitdesamère.—Viens!Maudeapréparédupouletrôti.Ilyauraaussipleindebonnesauce.Etdesboulettesde

pâte.Calibanregardal’enfant,puisdenouveauLily.Ellesecontentadehausserunsourcil,nevoyantpascequ’ellepouvaitajouter.Ellen’allaitquand

mêmepasrecommencersapantomime!UnelueurparutvacillerdanslesprunellesmarrondeCaliban.Dudéfi?Lilyn’auraitsuledire.Celan’avaitde toutefaçonpasd’importance :Calibanhochait lentement la tête,signifiantainsi

qu’ilacceptaitleuroffre.Lilysedétournaetrepritladirectionduthéâtre,Daffodilgambadantdevantelle.Soncœurbattait

unechamaderidicule,nota-t-elle.

C’étaitunetrèsmauvaiseidée.

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ApollonsuivaitLilyStump,lesyeuxrivéssursesjupesquisebalançaientaurythmedesespas.Le dos de la jeune femme était raide, mais sa nuque délicate, sur laquelle retombaient quelquesmèches échappées de son chignon, était terriblement tentante. Apollon éprouvait un désir presqueanimald’yplanterlesdents,dedécouvrirl’odeurdesapeau.

Ildéglutit.Ilavaitd’autantmoinsderaisonsd’avoiracceptésoninvitationàdînerqu’ilavaitdequoimanger:illuirestaitunautrequartierdepâtéencroûtedanslesruinesdukiosqueàmusiqueoùilavaitétablisoncampementdepuisqu’iltravaillaitàlarestaurationduparc.Enoutre,ilétaitfatiguéetencorehumidedesonplongeondansl’étangpoursedébarrasserdelasueuretdelapoussièredelajournée.Sachemise,fraîchementlavée,n’avaitpaseuletempsdesécheretluicollaitàlapeau.

Tout – tout – ce qu’il tentait de reconstruire serait anéanti si quelqu’undécouvrait sa véritableidentité.

Pourtant,iltenaitlamaind’ungarçonnetqu’ilconnaissaitàpeineetsuivaitlamèredecelui-ci.Peut-êtrelasolitudeluipesait-elle.Oupeut-êtres’était-illaisséinfluencerparleregardquelajeunefemmeavaitposésurluilorsqu’ilétaitsortidel’eau.Celafaisaitbienlongtempsqu’unefemmenel’avaitpasregardéainsi.Commesicequ’ellevoyaitluiplaisait.

Etqu’elleauraitaiméendécouvrirdavantage.Il avait passé quatre ans àBedlam, la plupart du temps enchaîné dans une cellule immonde. Il

s’étaitévadéaumoisdejuilletdernieretn’avaitcessédesecacher.Cequinefacilitaitévidemmentpas les rencontres féminines. Sans compter qu’il avait perdu l’usage de sa voix après une«correction»plusviolentequelesautres.L’undesesgeôliersluiavaitbaissésonpantalonet…

Apollonpréféraitnepasypenser.Ilinspiraungrandcouppourmaîtriserlacolèreetlahontequimenaçaientdelesubmerger.Indiolevalesyeuxverslui.—Caliban?Apollons’aperçutqu’ilavaitserrélamaindel’enfantavecunpeutropdeforce.Bâticommeil

l’était, c’était vraiment ridicule d’éprouver une telle peur. Il était sorti deBedlam.Non sans s’êtreassuréquelegeôlierenquestionnepourraitplusfairedemalàquiquecesoit.

Ilétaitlibre,désormais.Libre.Libre.Ilregardalesoleiljetersesderniersfeuxsurlesvestigesduparc.Cetendroitavaitétéunlieudeplaisiretd’agrément,maisquandilauraitterminédelerestaurer,

ilseraitencoreplusbeauqu’autrefois.Déjà,ilsapprochaientdel’ancienthéâtre.Apollonrepritl’expressionneutrequ’ilaffichaitenprésencedesautresjardiniers–justeàtemps.

Laportes’ouvritàlavoléeetunepetitefemmeauxcheveuxgriss’encadrasurleseuil,lespoingssurleshanches.

—Quiest-ce,celui-là?aboya-t-elle.—Nousavonsun invitépourdîner,expliquaMlleStump,et lorsqu’elle lui jetauncoupd’œil,

Apollon crut voir une étincelle espiègle dans son regard. Le « monstre » d’Indio, en fait. Saufqu’Indiol’appellemaintenantCaliban.

—Caliban?répétaMaude,avantd’examinerApollon.Oui,ilabienunetêteàs’appelerCaliban.Apollonsentitqu’ontiraitsursamain.IlbaissalesyeuxsurIndio,quimurmura:—Tuverras,ellen’apasl’aircommeça,maiselleesttrèsgentille.—Necommencepasàrâler,Maude,chuchotaMlleStump.

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—C’estmonami,expliquaIndio.EtiladonnétoutsondîneràDaffodil.En entendant son nom, la chienne se mit à s’agiter et, avec ce qu’elle considérait sans doute

commedelaférocité,entrepritdemordrelebasdupantalond’Apollon.—Hum,fitMaude.Danscecas,dépêchez-vousd’entrer.IndiopritDaffodildanssesbraspourépargnerlepantalond’Apollon.Lachienneluidonnaun

grand coup de langue sur le visage, lui arrachant un éclat de rire tandis qu’il rejoignaitMaude àl’intérieur.SamèregratifiaApollond’unregard indéchiffrableet lui fit signed’entrer. Iln’yavaitpasderaisonqu’elleaitdevinésonsubterfuge,tenta-t-ildeseconvaincre,malàl’aise,ensepenchantpourfranchirleseuil.

Ladernièrefoisqu’ilavaitpénétrédansce théâtre,c’était lesoirde l’incendie.AsaMakepeaceétaitunvieilami,leseulàquiilavaitestimépouvoirfaireconfianceaprèssonévasiondeBedlam.Ils’étaitcachédans leparc laveilledusinistre.Etenquelquesheuresseulement, ladésolations’étaitabattuesurleslieux.

Ilflottaitencoreunevagueodeurdebrûlé,nota-t-il,maisMlleStumpavaitvisiblementtentéderendresonnouveaulogisplusconfortable.Unetableetdeschaisesoccupaientlecentredelapièce.Unegravurereprésentantdesdamesélégantesétaitaccrochéeàl’undesmurs.Unbonfeuflambaitdanslacheminéeetdulingeséchaitàcôté.Desaiguillesàtricoter,unechaussetteàmoitiéterminéeetunepelotedelainegriseétaientposéessuruntabouret.Unepetitetabledetravailsupportaitunepiledepapiers,unebouteilled’encreetunmugébréchécontenantplusieursplumes.Unependulenoiretvert,assezlaide,trônaitsurlemanteaudelacheminée–maisellefonctionnait,contrairementàcelledeMakepeace.Unsofapourpre,quiavaitconnudesjoursmeilleurs,étaitinstallédevantlefeu.L’undespiedsmanquants,ilavaitétéremplacépardesbriques.

CedécornepouvaitévidemmentpassecomparerauxmaisonsdemaîtredanslesquellesilétaitinvitéavantsonemprisonnementàBedlam,maisc’étaitchaleureux,etc’étaittoutcequicomptait.

Maudedésignal’unedeschaisesentourantlatable.—Asseyez-vousdonc,milord.L’espaced’un instant,Apolloncessade respirer.Puis il compritquece titrehonorifiquene lui

avaitétédonnéquepardérision.Ilhochalatêteenpriantpourquesonexpressionn’aitpastrahisasurprise,etpritunsiège.

Maudefronçaitlessourcils.—Qu’est-cequiluiprend?marmonna-t-elle.Ilnepeutpasparler?—Non,réponditsimplementIndio,épargnantàApollond’avoiràrépondrepargestes.—Oh!s’exclamaMaude,prisedecourt.Onluiacoupélalangue?—Maude!serécriaMlleStump.Quelleidéehorrible!Ilaunelangue,assura-t-elle,puis,prise

d’undoute,ellesetournaversApollon:N’est-cepas,Caliban?Ilneputrésister.Illuitiralalangue.Indios’esclaffaetDaffodilaboya–c’était,apparemment,sapremièreréactionquellesquesoient

lescirconstances.MlleStumpdévisageaApollon,quisentitsesjoueslebrûler.Ilrentralalangue,fermalabouche

etrepritsonairidiot.Ellehaussalesépaulesets’assitabruptement.—Maquestionn’était pasdéplacée, sedéfenditMaude.Pourquoineparle-t-il pas si sa langue

fonctionnenormalement?J’aimeraisbienlesavoir.Indios’installaàcôtéd’Apollon.—Jenesaispaspourquoiilestmuet,maisilasauvéDaffodildelanoyade,déclara-t-il.

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—Quoi?s’écriasamère,quis’apprêtaitàs’emparerduplatposéaucentredelatable.Jet’avaispourtantinterditdet’approcherdel’étang.

—Jen’étaispasprèsdel’étang,expliquaIndio.C’étaitDaffodil.Calibanl’arécupéréedansl’eauetl’aenveloppéedanssachemise.Etaprès,elleadégueulésursachemise.

Lesdeuxfemmesjetèrentunregarddebiaisàlachemiseenquestion.Apollonréprimauneenviedelareniflerpours’assurerqu’ellenesentaitpluslevomi.

MlleStumpcilla.—Jecroyaist’avoirdéjàditque«dégueuler»étaitunvilainmot,Indio.—Pourtant,leschiensontunegueule,objectaIndio–nonsansbonsens,del’avisd’Apollon.Je

pourraisavoirdupoulet?—Oui,biensûr.MlleStumpservitlepoulet.Sapeauétaitdoréeetcroustillante,sachair,tendreàsouhait.—Quoiqu’ilensoit,ajouta-t-elle,onneparlepasdeceschosesàtable.—Jamais?s’enquitIndio,perplexe.—Jamais,confirmasamèred’untonferme.—MaissiDaffodilavaleunverdeterre,commelasemainedernière,ilfaut…—Comment se fait-il queCaliban se soit trouvé à proximité, quandDaffodil est tombée dans

l’étang?coupaMlleStump,forçantsavoix.—Iltranchaitlesracinesd’unvieuxtroncavecunedrôledehache,expliquaIndio.Apollonauraitvoulu luidirequ’il s’agissaitd’uneherminette,mais il secontentad’avalerune

bouchéedepoulet.—EtjemepromenaisavecDaffodil,poursuivitIndio.Maispasdutoutendirectiondel’étang,

s’empressa-t-ildepréciser.Apolloncoulaunregardauxdeuxfemmes.Ni l’uneni l’autrenesemblaientdisposéesàgober

cettehistoire.MlleStumps’emparadesonverreetparuts’absorberdanssacontemplation.—Ilestdoncjardinier,dit-elle.—Pasn’importequeljardinier,objectasonfils.C’estluiquiditauxautresquoifaire.Apollonfaillitavalersonpouletdetravers.Voyantqu’ils’étranglait,MlleStumpluitapotaledos.—Ahbon?fit-elleavecunregardlourddesous-entendus.Commentdiablecegaminavait-ildécouvertlavérité?Mêmelesautresjardiniersignoraientque

c’était lui qui avait dessiné les plans du futur parc. Il laissait des instructions écrites àHerring, lejardinierenchef,sibienquepersonnenesedoutaitqueleuremployeurtravaillaitaveceux.

—Qu’est-cequitefaitdirecela?voulutsavoirMaude,l’airintéressé.D’unetorsiondiscrètedupoignet,Apollonenvoyasonassiettevoleràterre.Lafaïencesebrisa,

le poulet et la sauce se répandirent sur le sol et Daffodil se précipita pour lécher le tout tandisqu’IndioetMaudes’empressaientdenettoyerdecraintequ’elleavaledesmorceauxd’assiette.

Dans la mêlée, Apollon croisa le regard de Mlle Stump. Elle l’observait avec curiosité et iléprouvaunesensationbizarre,presqueviscérale.

C’étaitpeut-êtresimplementdelapeur,maisilsuspectaitquelquechosedebienplusdangereux.

MaudeetIndiohouspillaientDaffodil,quileurdisputaitlesmorceauxdepouletsurlesol,maisLilys’étaitfigéeetregardaitfixementlesyeuxsombresdeCaliban.Ilsn’étaientpasdelacouleurducafé,nimêmedecedélicieuxthédeChinevendudansdespetitssachetsrougesqu’ellen’avaitplus

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lesmoyens de s’offrir.Non, ils ne ressemblaient à aucun de ces breuvages. Ils étaient simplementmarron.Unmarrontrèsordinaire.

Àceciprès…Àceciprèsqu’ilsétaientourlésparlescilslesplusextraordinairesqu’elleaitjamaisvuschezun

homme:courts,épais,trèsnoirs.Cequiconféraitàsesyeuxunebeautépresqueexotique.Mais il y avait plus troublant encore : cet éclat qui brillait dans leurs profondeurs.C’était une

lueurd’intelligence–aiguë,quiplusest–etcelaeffrayaitLily.ParcequesiIndiodisaitvrai,sicethomme, cet inconnu, n’était pas un simple jardinier, mais commandait aux ouvriers, alors il nepouvait être ce demeuré pour lequel elle l’avait pris. Elle fut soudain consciente de son gabaritexceptionnel,desavirilité.Ellel’avaitinvitéchezelle,avecsonpetitgarçonetunevieillefemme,etilsétaientsansdéfensefaceàlui.

Orelleétaitbienplacéepoursavoirquelsdégâtsunhommed’unetellestaturepouvaitcauser.Indioserassit.—Situveux,jepeuxtedonnerunpeudemonpoulet,proposa-t-ilàCaliban.Lily s’efforça de se raisonner. Indio avait peut-être mal interprété une scène dont il avait été

témoin.Unmuetnepouvaitpasdirigeruneéquipedejardiniers!Calibanétaitbeletbienunsimpled’esprit.

—Net’inquiètepas,dit-elleàsonfils.Maudevaluienserviruneautrepart.Cette dernière lui lança un bref regard,mais ne dit pas unmot.Elle alla chercher une assiette

propre,ladernièrequileurrestait,enfait,etcommençadelaremplir.Lilyavaitperdutoutappétit.— Indio, reprit-elle en effleurant le bord de son verre, explique-moi comment Daffodil a pu

tomberdansl’étang.Sonfilsgrimaça.—Ehbien,euh…onsepromenaittouslesdeuxetelleaglissé.Lilyattenditlasuite,maissonfilslaregardaitavecuneexpressioninnocenteplutôtsuspecte.—Indio,commença-t-elle,etilcompritqu’ildevaitendiredavantage.—Calibanaététrèsrapide.IlasortiDaffodildel’eaucomme…commes’ill’avaitpêchée.Elle

avaitunpeul’aird’unratmort.Pardon,Daffodil.Il gratifia la chienned’un regardd’excuse,quin’était pasnécessaire, car celle-cine luiprêtait

aucune attention.Elle s’était assise aux pieds de la chaise deCaliban. Sans doute avait-elle décrétéqu’ilétaitledieudelaNourritureTombéeduCiel.

—Hmm,fitLily.J’espèrequecelanesereproduiraplus.—Non,maman,murmurasonfils,têtebaissée.—Indio.Illaregarda,l’airimplorant.—Je suis très sérieuse, reprit-elle. Jeneveuxplusque tu t’approchesde l’étang,avecousans

Daffodil.ImaginecequiseseraitpassésiCalibann’avaitpasétélà?Indioregardalachienne,quiavaitposéunepattefinesurlacuissemuscléedeCaliban,etavalasa

salive.—Jeteprometsquejeneretourneraipluslà-bas,maman.—Parfait.Lilyétaitsoulagée.Certes,rienneluiassuraitqu’ilsesouviendraitdesapromesselaprochaine

foisquel’eaul’attireraittelleunesirène,maisiln’étaitpasinterditd’espérer.

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—Qu’as-tufaitd’autreaujourd’hui?demanda-t-elled’untondélibérémentplusléger.Jenet’aipasvudel’après-midi.

—Maissi,jesuisrevenupourlegoûter.Tuasoublié?Indioavaitrepliélesjambessouslui,unehabitudequeLilyauraitaiméluifairepasser.—C’estvraiquetuécrivaista…Ils’interrompitabruptementetcoulaunregardaugéantassisprèsdelui.Parchance, celui-ci se régalaitdesboulettesdepâtedeMaudeetneprêtaitpasattentionà leur

conversation.—Mmm,marmonnaLily.Etqu’as-tufait,ensuite?—Daffodiletmoi,onestallésducôtédel’ancienkiosqueàmusique.Maisonn’estpasentrés,

hein!Etaprès,Daffodilatrouvéuncrapaud.Lilyjetaunregardàlachienne,quiavaitàprésentlesdeuxpattessurlacuissedeCalibanetlevait

versluidesyeuximplorants.—J’espèrequ’ellenel’apasmangé.Cettechienneavaitladétestablehabitudedetrouvercomestiblesleschoseslesplusrépugnantes.—Non, répondit Indio,quiparaissaitpresquedéçu.Onaaussiattrapéuncriquet. Jevoulais le

mettredansunecage,maisDaffodill’aavalé.Jemedemandebienpourquoi.Ellen’avaitmêmepasl’airdeletrouverbon.

Mauderenifla.—Voilàquiexpliquepeut-êtrepourquoielleadégueuléensuite.—Pasdégueuler,chuchotaLily.—Vouspréférezvomi?— Je préférerais surtout qu’on ne parle pas de ces sujets-là à table, mais personne ne paraît

m’écouter, soupiraLily. Jevoisque tuas terminé tondîner, Indio,enchaîna-t-elle. Il est l’heuredeprendrelebain.

—Ma-maan, gémit-il de cette voix plaintive qu’adoptaient tous les enfants dès qu’on évoquaitleurtoilette.Calibann’apasfinidemanger.

Lilyaffichaunsourirecrispé.—Jesuissûrequ’ilpeuttrèsbientermineravecMaude.Indioindiquasonassiette.—Toinonplus,tun’aspasfini.—Jetermineraiplustard.La jeune femme se leva et se dirigea vers la cheminée, où un seau avait été accroché à la

crémaillèrebienavantlerepas.L’eaufumait,àprésent.Lilyprituntorchonettenditlamainverslapoignéeduseau,maisuneautremain–énorme–futplusrapide.

Elletressaillit,etregardaCalibansouleverleseaupleinaussifacilementques’ils’agissaitd’unebrindille.Aumoinsavait-ileu laprésenced’espritdeprendre, luiaussi,un torchonpournepassebrûler.

Ildemeuraimmobile,lestraitsindéchiffrables,jusqu’àcequ’elleseressaisisse.—Parlà,dit-elleenlecontournantgauchementpourleprécéderdanslachambreoùunbaquetà

moitiéremplid’eaufroideattendaitàcôtédulit.Vouspouveztoutverser,ajouta-t-elle.Il souleva un pan de sa chemise pour tenir le bas du seau, et Lily aperçut une partie de son

abdomenmusclé.Lesjouesenfeu,elles’empressadedétournerlesyeux.—Maman?

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Indiosetenaitsurleseuildelapièce.—Entre,dit-elleavecbrusquerie,et,àCaliban,endétachantchaquesyllabe:Mercidevotreaide.

Vouspouvezretourneràtable.Ilquittalapièce,refermantlaportederrièrelui.Indiotrempaundoigtdanslebaquet.—PourquoituparlesàCalibancommeça?Daffodil,quiavaitsuivisonmaître,posalespattesdedevantsurlereborddubaquet.—Commeçacomment?demandaLilydistraitement.Elleretroussasesmanchesettestal’eauaveclecoude,quiétaitplusfiablequelamain.Cebaquet

lui servait également pour sa toilette,mais elle devait s’accroupir dedans. Le grand tub en cuivrequ’ellesavaientétéobligéesdevendreluimanquait.

—Commes’ilnecomprenaitpas,expliquaIndio.—Déshabille-toi.Sonfilssoupirabruyamment—Ilcomprendtout.Lesmainssurleshanches,Lilyhaussaunsourcildubitatif.—Calibanestintelligent,insistaIndioensedébarrassantdesachemise.—Commentlesais-tu?Ilhaussalesépaules,lançasachemisesurunechaiseets’assitparterrepourôterseschaussettes.—Jelesais,c’esttout.Lilyréfléchit.Calibans’était lui-mêmeprésentécommeunidiot lapremièrefoisqu’ellel’avait

vu.Était-ceunerusedesapart?Etsioui,pourquoiferait-il…?—Maman,articulaIndio,decetonexagérémentpatientqueprenaientparfoislesgarçonsdesept

ans.Ilavaitfinidesedéshabiller,àl’exceptiondesoncaleçon.—Oui,chéri?—Jesuisassezgrandpourprendremonbaintoutseul.Laquestionpouvaitsedébattre.CarsiIndioétaitcapabledelaverlui-mêmecertainespartiesde

sonanatomie,tellesquelespieds,ilavaittendanceàoublierlereste.Lilysoupiraetl’embrassasurlajoue.—Jereviensdansdixminutes,d’accord?—Oui,répondit-ilenretirantsoncaleçon.Daffodils’enemparapendantqu’ils’immergeaitdansl’eau.Lilyouvritlaporte.—Maude,pourrais-tu…Elle s’interrompit.Maude avait disparu.En revanche,Caliban était toujours là.Une page de la

piècequ’elleétaitentraind’écrireàlamain,ils’étaitapprochédufeupourprofiterdelalumièredesflammes.Sonregardétaitconcentré.Detouteévidence,illisait.

Lilysortitdelachambre,refermalaporteetcroisalesbrassursapoitrine.Soncœurbattaitunpeutropviteàsongoût.

—Quiêtes-vous?lâcha-t-elle.

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4

Neufmoisplustard,lareineaccouchadesonpremier-né.Maisl’enfantétaithorriblementdifforme.Ilavaitlatête,lesépaulesetlaqueued’untaureau,alorsquelerestedesoncorpsavaitformehumaine.Sapeauétait d’unnoird’ébène.Quand la reinedécouvrit lemonstrequ’elleavait enfanté, elleperditconnaissanceetnerecouvrajamaistotalementlaraison…

ApollonsetournalentementversMlleStump.Ilétaitsiabsorbéparlapiècetellementspirituellequ’il lisait –unepiècequ’il la soupçonnait d’avoir écrite–qu’il n’avait entendu laporte s’ouvrir.Maintenant,ilétaittroptard.Peut-êtreques’ilneréagissaitpasàsesparoles…

—Jenesuispas idiote,voussavez.Sivous lisezcela,déclara-t-elleen indiquantdumentonlafeuille qu’il avait à la main, c’est que vous n’êtes pas un demeuré. Qui êtes-vous, et pourquoiprétendez-vousêtremuetetsimpled’esprit?

Apolloncompritquesonultimetentativen’avaitpasfonctionné.Ilreposalafeuillesurlapetitetabledetravailetcroisalesbrasàsontourensoutenantsonregard.Ellesetrompaitsurunpoint:ilétaitbeletbienmuet.

Ellefronçalessourcils–plutôtférocementpourunecréatureaussimenue.—Expliquez-moi.Fuyez-vousvoscréanciers,ouquelquechosedanscegenre?Commentvous

appelez-vous?Ellen’étaitpastrèsloindelavérité.Mieuxvalaitdoncladistraireavantquesonimaginationne

s’emballe.Ilsoupiraetdécroisalesbraspoursortirsoncarnetdesapoche.Illefeuilleta,trouvaunepageviergeetécrivit:Jenepeuxpasparler.

Puisilluitenditlecarnet.Elles’approcha,s’enemparaetyjetauncoupd’œil.—Vraiment?Ilhochalatêteettenditlamainpourrécupérersoncarnet.Elleleluirendit.—Alorsdites-moiaumoinsvotrenom.Ilécrivit:Calibanferal’affaire.Elleétudiasonécriture,lessourcilsfroncés,avantdeluirendrelecarnet.—Vous êtes vraiment muet ? insista-t-elle, d’une voix plus douce, cette fois, et empreinte de

curiosité.Apollonacquiesçaetécrivit:Jenevousveuxaucunmal,àvousetàvosproches.Lorsqu’illevalatête,ildécouvritqu’ellefixaitsurluiunregardintense.Lalueurdesbougiesse

reflétait dans ses yeux vert lichen, leur conférant une étrange profondeur.Apollon prit subitement

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conscience qu’elle était très belle. Sa beauté n’avait rien de classique, certes, mais avec son petitmentonpointuetsonregardpétillantd’intelligence,elleétaitàcouperlesouffle.

Dans une autre vie, il aurait pu l’impressionner avec son titre nobiliaire, ou son éloquence,songea-t-il.

Ilclignadesyeuxetcontemplalecarnetdontilavaitfroissélapageparmégarde.Ilsecachait,sontitrenevalaitplusriendanssasituationactuelle,etilétaitincapabledeparler.

Il prit une profonde inspiration, inhala le parfum qui émanait de sa chevelure – un mélanged’orangeetdecloudegirofle.

Ilreculad’unpas.Parprécaution.—Vousnem’aveztoujourspasditpourquoivousêtesici.Ilsoupira.Indioaraison,écrit-il,jesuisjardinier.Ellerepritlecarnet,lutsaphrasepuis,avantqu’ilpuissel’arrêter,feuilletalespagesprécédentes.—Vousn’êtespasunsimplejardinier,déclara-t-elle.Elleselaissachoirsurlesofasansparaîtreremarquerquecelui-cioscillaitdangereusementsous

elle.Craignantdelebrisersoussonpoids,Apollonpréféraallerchercherl’unedeschaises.Quandil

revint,lajeunefemmeexaminaitsescroquisdel’étangaveclepetitpontenarrière-plan.Ilplaçalachaisefaceausofaets’assit.MlleStumptournaunepage,tombasurunautrecroquis:celuid’unecascadeornementale.— C’est très joli, commenta-t-elle. Le parc ressemblera vraiment à cela quand vous aurez

terminé?Ilattenditqu’ellelèvelesyeuxpourhocherlatête.Elletournaencoreunepage.Lecroquissuivantreprésentaitungrandchênesedressantprèsdu

vieuxpont.Ellefronçalessourcils.—OùdiableM.Hartevousa-t-ildéniché?Jepenseque j’auraisétéaucourant s’ilexistaitun

jardiniermuetaussitalentueuxàLondres.Apollon ne pouvait répondre à cette question sans trahir son identité. Elle attendit quelques

secondes,passaàuneautrepage.Lecroquisqu’elledécouvritparutl’intriguer.—Qu’est-cequecelareprésente?Diverses lignes étaient tracées en travers de la double page du carnet grand ouvert. Certaines

étaientparallèles,d’autres secroisaient.Quelques-unesétaient sinueuses.Descerclesoudescarréss’inséraientçàetlàentreleslignes.

Apollon se pencha en avant, respirant avec bonheur son parfum, avant d’écrire en légende dudessin:Unlabyrinthe.

—Oh!Jevois!Maiscela?fit-elleendésignantuncercle,puisuncarré.Des folies. Des petites constructions pour abriter les amoureux, ou des animations, comme la

cascade.Ellessontdestinéesàétonnerlespromeneurs.—Etlà?demanda-t-elle,pointantledoigtsurleslignessinusoïdales.Apollon était excité qu’elle s’intéresse à son travail, mais frustré de ne pas pouvoir le lui

commenteràhautevoix.Ilrepritlecarnet,déchiraunepageviergeetl’inséradansladoublepagedulabyrintheavantd’y

écrire :Les lignes sinueuses représentent les portions de haies qui ont réchappé à l’incendie. Lesarbustesquilescomposentsonttoujoursvivants.

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Ilattenditqu’elleait lu,etrécupéralafeuillepouryajouterdesexplications.Ilécrivaitsursongenou,cequin’étaitpastrèspratique,carlecrayons’enfonçaitdanslafeuilledepapier.Les lignesdroites représentent les nouvelles plantations. Le labyrinthe occupera le centre du parc restauré.L’étangseraàuneextrémité,lethéâtreàuneautreafinque,duthéâtre,onpuisseapercevoirl’étangderrièrelelabyrinthe.Ilyauradespointsd’observationménagésàl’intérieurmêmeduthéâtre.Cesera…

Lapointedesoncrayonavaitfiniparpercerlafeuille.Ilserralepoing,contrarié.Unemaindélicaterecouvritlasienne,fraîcheetréconfortante.Illevalesyeux.—Ceseratrèsbeau,dit-elle.Vraimenttrèsbeau.Apollonavaitdumalàrespirer,soudain.MlleStumpsemblaittellementfascinéeparsesdessins!

Peu de gens s’intéressaient à son travail.MêmeAsa commençait à s’agiter lorsqu’il tentait de luidétaillersesprojets.

Maiscettejeunefemmeleregardaitcommes’ilétaituneespècedesorcier.Ilsedemandaitsielleserendaitcomptecombienlefaitdesemontrersiintéresséeajoutaitàsa

séduction.Ellebattitdescilsetôtasamain,commesielleserendaitsoudaincompted’enavoirunpeutrop

révéléd’elle-même.—Jesuisimpatientedemepromenerdansvotrelabyrinthe,reprit-elle.Celadit,jesuissûreque

je n’arriverai pas àm’en sortir toute seule. Je n’ai jamais été très douée pour les énigmes. Ilmefaudraunguide.Peut-être…

Laportequidonnaitsurlejardinserouvritetellesursauta.—Maude,oùdiableétais-tupassée?—Jesuisalléeaudébarcadèrechercherlesanguillesquecepêcheurm’avaitpromises.Lavieillefemmeposasonpaniersurlatable,puis,avisantlecarnetd’Apollon,demanda:—Qu’est-cequec’est?MlleStumpluidécochaunregardironique.—Calibann’estpasaussisimpletqu’ilessayaitdenouslefairecroire.—Alorsiln’estpasmuet?LesdeuxfemmesleregardèrentetApollonsesentitrougir.—Si,réponditMlleStump,et,seraclantlagorge,elleajouta:Jevaisallerm’assurerqu’Indio

n’apasoubliédeselaverlesoreilles.Ouqu’iln’apasrenversélamoitiédubaquetsurleparquet,commeladernièrefois.

Elleselevaenhâteetdisparutdanslapiècecontiguë.Maudesortitsesanguilles.—J’enaiprofitépourramenerunpeud’eaudufleuve,pour lavaisselle.Leseauestdevant la

porte.Siçanevousdérangepasdemel’apporter.Apollonfourrasoncarnetdanssapocheets’exécuta.S’ilavaitsuqu’ellesavaientbesoind’eau,il

auraitproposéd’allerlapuiserlui-mêmedanslaTamise.Il déposa le seau devant la cheminée, conscient que la vieille femme observait chacun de ses

gestes.Quandilseretourna,ellefixasurluiunregardperçant.—Vous avez toujours votre langue, dit-elle.Et puisqueLilyprétendquevousn’êtes pas idiot,

expliquez-moipourquoivousnepouvezpasparler?

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Apollonouvritlabouche–mêmeaprèsneufmoisdesilence,ilavaitgardéleréflexe.Aprèstout,pendantvingt-huitannées,laparoleluiétaitvenuesansypenser,etsansefforts.Unechosesisimple.Utiliséequotidiennement,etquiséparaitl’hommedel’animal.

Maisilenavaitperdul’usage.Sansdoutepourtoujours.Ilouvritdonclabouche.Etnesutplusquoifaireensuite.Carilavaitdéjàessayédeparler,bien

sûr. Il s’y était astreint durant des semaines, sans parvenir à émettre autre chose qu’un horriblegargouillis.Ilseremémoracejourfunesteoùc’étaitarrivé,labottedesontortionnairedeBedlampesantsursoncou,etilsentitpresquesagorgeserefermerdenouveaucommeunehuître.Sefermeràl’humanitéetaupouvoirdulangage.

—Maude!s’exclamaMlleStump.Elle était revenue. Et sans doute avait-elle lu quelque chose sur ses traits, car elle fusillait sa

servanteduregard.—Cessedeletourmenter,s’ilteplaîtajouta-t-elle.Ilnepeutpasparler,unpointc’esttout.Nous

n’avonspasforcémentbesoindesavoirpourquoi.Aurisquedepasserpourfaible,Apollonluisutgrédeprendresadéfense.Cependant,unepartie

delui-mêmeserévoltaitdevantsacouardise.Unhomme–mêmeprivédelaparole–n’avaitpasàsecacher derrière les jupesd’une femme.Apollonbaissa la tête pour éviter de croiser le regarddesdeux femmes et sedirigeavers la porte.Cedîner avait été une erreur, il l’avait sudès le début. Iln’auraitpasdûcéderà la tentation.À l’enviedesemêleràd’autrescommes’ilétait toujours leursemblable.

Unepetitemainhumideserefermasursonbrasalorsqu’ilatteignait laporte.Ilétaitsifurieuxcontrelui-mêmequ’ilfaillitlarepousserviolemment.

Ilserepritàtemps.Indio levait lesyeuxvers lui,sescheveuxencoremouillésbouclaientsursachemisedenuit. Il

semblaitbouleversé.—Tut’envas?Apollonhochalatête.—Ah,fit l’enfantenlui lâchantlebras.Maistureviendras,hein?Daffodilaussivoudraitbien

quetureviennes.La chienne dormant devant la cheminée, c’était s’avancer quelque peu que d’émettre une telle

affirmation.Apollonne savait que répondre.Laprudence lui commandaitdenepas revenir. Il s’exposerait

inutilementaudanger,etpasseulementàceluiquesonidentitésoitdécouverte.—S’ilvousplaît,plaidaMlleStump.Savoixétaitdouce,maissonregardferme.Apollonlesoutintuninstant,puisreportasonattentionsurIndioethochalatête.La réaction fut immédiate.Levisagedugarçonnet s’illuminad’ungrand sourireet il s’avança

commepourétreindreApollon.Auderniermoment,cependant,ilseretintetsecontentadetendrelamain.

Lamaind’Apollonengloutissaitcelledel’enfant,maisillaserracérémonieusementcommes’ilavaitaffaireàunducrichementvêtuetnonpasàunpetitgarçondeseptans,piedsnusetenchemisedenuit.

Ilauraitaimépouvoirdirequelquechosemais,fautedemieux,ilhochadenouveaulatête,puissortit.

Iln’avaitpasrefermélaportequ’ilentenditlaservantedireàMlleStump:

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—Vousêtesinconsciente.

Le problème, quand on voulait écrire des dialogues pleins d’esprit, c’est qu’il était préférabled’êtresoi-mêmespirituel,songeaitamèrementLily,lelendemainaprès-midi.

Or, pour l’heure, elle se sentait à peu près aussi spirituelle que Daffodil, qui pourchassaitvainementunemouche.

Laissantéchapperunsoupir,Lilyposalementonsursesbrascroisés.Ellecraignaitden’êtrepasbeaucoupplusintelligentequecettechienne.

—OncleEdwin!s’écriaIndio.Pourunefois,sonfilsavaitconsentiànepass’éloignerduthéâtresibienquesonexclamation

joyeuseluiparvint.Lilys’empressaderemettresatabledetravailenordre.Elleavaitàpeineachevéderangersespapiersquelaportes’ouvritàlavoléesurEdwinStump,

quisepenchapourfranchirleseuil,unpaquetsouslebras.Ilnes’étaitpascourbéparcequ’ilétaitgrand–ilnedépassaitLilyquedequelquescentimètres–,maisparcequ’ilportaitsonneveusursesépaules.

Maudesuivaitaveclebaquetcontenantlelingequ’ellevenaitdelaver.ElleregardaitEdwind’unairrevêche.

—Ouf!soupiracedernierendéposantIndiosurlesofa,enmêmetempsquesonpaquet.Daffodil sauta aussitôt sur lesgenouxde sonmaître, tandisqu’Edwin se tournait versLily, les

mainsappuyéesaucreuxdesesreins.—Ilaprisaumoinsdixkilosdepuisladernièrefois!—Tudevraispeut-êtrenousrendrevisiteplussouvent,suggérasasœur.Elles’approchadeluipourleserrerdanssesbras,puiss’écartaetétudiasonvisage.Edwinétaitsonaînédehuitansetneluiressemblaitpasdutout.Cequin’étaitguèreétonnantdans

lamesureoùilsn’avaientpaslemêmepère.LizzyStump,leurmère,étaitunecomédienneaufaîtedesagloirelorsqu’elleétaittombéeenceinted’Edwin,conséquenced’uneliaisonpassionnéeaveclefilsd’un comte. Huit ans plus tard, beaucoup de gin et le hasard avaient occasionné une deuxièmegrossesse.Entre-temps,sabeautéavaitsouffertdel’alcooletdesdéceptions:lefilsducomtes’étaitévaporédepuislongtempsetelledevaitdésormaissecontenterdesecondsrôles.Lilyavaitétéconçueaprèsunenuitdebeuverieavecunemployéduthéâtre.

Edwinavaitunlongvisageétroit,dessourcilsnoirstrèsmobilesquirenseignaientparfaitementsur son humeur du jour. Son sourire, souvent espiègle, était impossible à ignorer. Ses yeux noirspouvaientbrillerdemaliceouluiredemalveillance,etce,enl’espacedequelquessecondes.Maudemarmonnaitplussouventqu’àsontourquecegarçonétaitlebâtardduDiable,aussiminaudierquedangereux.Sansallerjusque-là,Lilyl’avaittoujoursunpeuconsidérécommeunesortedemagicien.

N’était-ilpasintervenuàplusieursrepriseslorsqu’elleétaitenfantetqueleurmèrealcooliquelanégligeait?

—Veux-tuduthé?s’enquit-elle.Edwinselaissachoirsurlesofa,dontlegrincementmenaçantinquiétaLily.—Tun’asriendeplusfort?—Nousavonsduvin,répondit-elleàcontrecœur.Iln’étaitpasraséetlechaumenoirdesabarbenaissantecontrastaitavecsaperruqueblanche.Illuiadressaunsourirecharmeur.

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—Alorssers-moiunverre,s’ilteplaît.Ignorant la grimace de Maude, Lily alla chercher la bouteille posée sur le manteau de la

cheminée.Sonfrèrelaremerciaquandelleluitenditsonverre.—Nomd’unchien!s’exclama-t-ilaprèsenavoiravaléunegorgée.Çaagoûtde…Lilyécarquillalesyeuxetdésignasonfilsduregard.—Çaagoûtdecrotte,terminaEdwinpoliment.—Pouah!fitIndio,soudainintéressé.Jepeuxgoûter?Edwinluidonnaunepetitetapesurlenez.—Non.Attendsencoreaumoinsunan.CommeLilyfronçaitlessourcils,Edwinlevalesyeuxauciel.—Peut-êtremêmedeux,ajouta-t-il.—Putain!serécriaIndio.Samèrefaillits’étrangler.—Indio!Mais Edwin riait si fort qu’il renversa une partie de son vin sur le sofa, au grand plaisir de

Daffodilquis’empressadelelaper.Dieumerci,Maudes’enmêla.—Indio,jecroisquetuferaismieuxd’allerjouerdehorsavecDaffodil.—Ohnon!—Oùdoncai-jemis…?commençaEdwin.Ilfeignitdebalayerlapièced’unregardperplexe,avantdes’emparerdupaquetqu’ilavaitposé

surlesofa.—Ah!Jecroisquec’estpourtoi,monneveu.Indio s’empressa de déballer le paquet, qui contenait une maquette de bateau en bois, avec

gréementetvoiles.Ilétaitauxanges.—Merci,oncleEdwin!Celui-cieutungestemagnanimedelamain.—Cen’estriendutout,petitgarnement.J’imaginequetuvasvouloirl’essayerdansl’étangque

j’aiaperçuenarrivant?—SeulementsiMaudeestàproximité,intervintLily.—OuCaliban,ajoutaIndio.Ellehésita,maislegéants’étaitmontrétellementgentilavecsonfils,laveille.—OuCaliban,acquiesça-t-elle.—Hourra!s’exclamaIndio.Etilseruadehors,suiviparDaffodilquiaboyaitcommeunefolle.MaudedécochaàLilyunregardquipromettaituneexplication,puissehâtaderattraperl’enfant.Lajeunefemmesoupiraets’assitàlatable.—Tun’auraispasdûdépenserautantd’argent,dit-elleàsonfrère.Ilhaussanonchalammentlesépaules.—Celanem’apascoûtéunefortune.«Iln’empêche,songeaLily.Cettesommeauraitétémieuxemployéepouracheterdesvêtements

ou de la nourriture. » Mais elle refusa de se perdre en récriminations. Edwin avait toujours été

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prodiguedesonargent.Etpuis,pourunenfantdeseptans,unpetitcadeaudetempsàautreétaitaussiutilequedesvivresoudeshabits.

Edwinluisouritcommes’ilavaitdevinésespensées.—QuiestCaliban?Unamiimaginaire?—Non,ilesttoutcequ’ilyadeplusréel.Lacuriositédesonfrèreétaitpiquée.—Etils’appellevraimentCaliban?— Oui, enfin non, nous ne savons pas grand-chose de lui. Il travaille comme jardinier pour

M.Harte.Indioaprisl’habitudedelesuivrecommesonombre.SaufqueCalibanétaitbienplusqu’unsimple jardinier,elleenétaitconvaincue.Elleserappela

sesgrossesmainsmaniantavecimpatiencelecrayonpourécrireoudessiner.Sescroquisétaienttoutbonnementmagnifiques.Etdirequelaveilleencore,elleleprenaitpourunsimpled’esprit!Àvraidire,ilétaitintelligent.Trèsintelligentmême.

Maispouruneobscureraison,ellen’avaitaucuneenviedediscuterdecetétrangejardinieravecsonfrère.

—Turestesdîneravecnous?s’enquit-elle.Ellecompritàsonregardqu’iln’étaitpasdupe,maisils’accommodadecetabruptchangement

desujet.—Malheureusement,non,répondit-il,serelevantpourreprendreduvin.J’aidéjàunengagement

quejedoisabsolumenthonorer.Ilbutunegorgée,avantdegratifiersasœurdesonpluscharmantsourire.—J’étaisvenuvoiroùenétaittapièce.Lilyserecroquevillasursachaise.—C’est tragique. J’aidumalà croireque j’aiepu réussir à écriredesdialoguespar lepassé.

Ceux-là manquent cruellement d’entrain. Je me demande si je ne devrais pas tout brûler etrecommencerdezéro.

D’ordinaire,c’étaitlàlemomentoùsonfrèrel’aidaitàsurmontersesdoutes.Cettefois,ilrestabizarrementsilencieux.

Lilyl’examinaavecattention.Ilcontemplaitsonverred’unairembarrassé.—Àcepropos…commença-t-il.Cen’estpastrèsgrave,enfait,maisj’avaispromisquetapièce

serait finied’écrire la semaineprochaine. J’ai trouvéunacheteurquivoudrait lamonterpouruneréceptionprivée.

—Quoi?s’étranglaLily.Ellesedemandauninstantsilaréceptionenquestionn’étaitpascelle-làmêmepourlaquellele

duc de Montgomery l’avait recrutée. Mais un vent de pure panique balaya bien vite cettepréoccupation.Commentdiablepourrait-elleterminerd’iciàunesemaine?

Edwinfitlagrimace.—C’estjustequejen’aipaseubeaucoupdechanceauxcartes,cesdernierstemps.J’aibesoinde

fairefructifierauplusvitelespartsquimereviennentsurcettepièce.Apparemment,l’acheteuravaitd’abordengagéMimsford,maiscettevieillecanailleafuiLondrespouréchapperàsescréanciers.

Lilyetsonfrèreavaientconcluunmarchéquelquesannéesplustôt,lorsqu’elleavaitcommencéd’écriredespièces.Edwinsechargeaitdelesvendresoussonnom.Outrequelesfemmesn’étaientpassupposéesécrirepourlethéâtre,ilétaitbienmeilleurnégociateurqu’elle.Ilsavaitaussinavigueràlalisièredelabonnesociétéetconnaissaitdoncquantitédegens.Jusqu’àprésent,leurarrangement

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avaitfonctionnéàmerveilleetilsavaientengrangédessommesrondelettes.MaislasituationdeLilys’étantbrutalementdétériorée,ellecommençaitàsedemanders’iln’étaitpaspréférablequ’ellevendesespièceselle-même.Certes,ceneseraitpastrèsjustepourEdwin…

Elles’ébrouamentalement.Elledevaitdetoutefaçonréfléchiràunesolution.—Àquidois-tudel’argent,Edwin?Ilserelevabrutalement.—N’emploiepascetonavecmoi,Lily.C’estinsultant.Etcelamerappellenotremère.Cettedernièreremarquearrachaunfrissondeculpabilitéàlajeunefemme.—Mais…Sonfrèreposasonverre,vints’agenouillerdevantsachaiseetluipritlesmains.—Je t’assurequ’iln’yapasdequoi t’inquiéter, sœurette.Contente-toide terminercettepièce,

d’accord?Leplusvitepossible.Illuiétreignitlesmainsavantd’ajouter:—Tusaisbienquetueslameilleure.Tuasautrementplusdetalentquecettevieilleharidellede

Mimsford.—Maisquesepassera-t-ilsijeneparvienspasàfiniràtemps?Leregardd’Edwins’assombritetilbaissalesyeux.—Ehbien,ilfaudraquejetrouveunautremoyendem’acquitterdemesdettes.Lepèred’Indio

pourrapeut-être…—Non, coupaLily, et cette fois, ce fut elle qui étreignit lesmains de son frère tant son cœur

s’affolaitdanssapoitrine.Promets-moidenepasl’approcher,Edwin.—N’oubliepasqu’ilesttrèsriche…—Promets-le-moi—Bon, c’est entendu, fit-il avec unemoue déçue.Mais il faudra bien que je remboursemes

créanciersd’unemanièreoud’uneautre.Lilyluilâchalesmains.—Jevaismedépêcherdeterminermapièce.Edwinlaregarda.Sescilsétaientsilongsqu’ilsdonnaientàsonregarduneexpressionpresque

innocente.Presque.—Lasemaineprochaine?demanda-t-ild’untonquisevoulaitléger.—Lasemaineprochaine,acquiesça-t-elle.—Merveilleux!Ill’embrassasurlesdeuxjoues,puisserelevapourdanseràtraverslapièce.Sabonnehumeur

étaitrevenue.—Merci,sœurettechérie.Voilàquim’ôteungrandpoids.Ilfautquejefile,maisjerepasseraila

semaineprochainerécupérerlemanuscrit.D’accord?Ilavaitdéjàfiléavantqu’elleaitpurépliquer.Lily fixa la porte d’un air incrédule. Comment parviendrait-elle à boucler sa pièce en une

semaine?

— Pourquoi nous cachons-nous dans les ruines d’un kiosque à musique ? demanda ArtemisBatten,duchessedeWakefield.

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Apollonadressaun sourire affectueuxà sa sœur jumelle.Ellen’était duchessequedepuis cinqmois,maiselledonnaitl’impressiond’êtrenéepourcerôle.Elleportaitunensemblevertfoncéornéd’uneprofusiondedentelle auxmanchesqui avait vraisemblablement coûtéunepetite fortune.Sescheveuxbrunsétaientsagementrassemblésenunchignonsurlanuque,etsonbonheurselisaitdanssoncalmeregardgris.Quelchangement!Pendantquatreannées,elleluiavaitrendurégulièrementvisiteàBedlam.Sonregardn’exprimaitalorsqueledésespoir.

Apollonsortitsoncarnetetécrivit:JenesouhaitepasquelesautresjardiniersetIndiotevoient.Pendantqu’ellelisait,ilinspectalecontenudupanierqu’elleavaitapporté.Unechemiseneuve–

Dieu soit loué –, des chaussettes, un chapeau, quelques délicieux pâtés en croûte et des fruits. Ils’emparad’unepommeetlacroqua.

—QuiestIndio?voulutsavoirArtemis,cequin’avaitrienquedetrèsnormal.Lapommecoincéeentrelesdents,Apollonécrivit:Unpetitgarçontrèscurieux,avecunchien,

unenounouetunemaman.Sasœuraffichauneexpressionincrédule.—Ilsviventici?Ilhochalatête.—Dansleparc?Ellebalayaduregardlesruinesdukiosqueàmusique.Deuxrangéesdepiliersenmarbreavaient

autrefoissupportéuntoitabritantunepromenadecouverte.Letoits’étaiteffondrédurantl’incendie,ne laissant que les piliers pour lesquels Apollon avait des projets. Après un solide récurage etquelquescoupsdemasseicioulà,ilsformeraientuneruinetoutàfaitpittoresque.Pourl’heure,ilsévoquaientdesinistresdoigtsnoirspointésversleciel.

Apollonavaitréquisitionnépoursonpropreusagelapièce,accoléeàl’arrièredukiosque,oùlesmusiciensetlesdanseurssepréparaientnaguèreavantdeseproduiredevantlepublic.Letoitetl’undesmursayantégalementdisparu,ilavaittenduunebâchegoudronnéepourseprotégerdelapluieetduvent,etavaitinstalléunmatelasetdeuxchaises.C’étaitunpeuspartiate,biensûr,maisc’étaitunparadiscomparéàsacelluledeBedlam.

Ilrepritsoncarnet,pourinscrire:Ilsviventdanslesruinesduthéâtre.Lamèreestcomédienne–RobinGoodfellow.Harteluiadonnélapermissiondelogericijusqu’àlaréouvertureduparc.

—TuconnaisRobinGoodfellow?L’espaced’uneseconde, ladignité touteducaled’Artemisavaitvoléenéclats.Onauraitditune

gaminevenantdedécouvriruntrésor.Apollondécidaqu’ilétaittempsdesedocumentersurlacarrièredeMlleStump.Ilhochalatête

prudemment.Artemisavaitdéjàretrouvésonaplomb.—Pourautantque jesache,RobinGoodfellowest très jeune.Àmonavis,ellen’apasplusde

trenteans.Apollonhaussa lesépaules, feignant l’indifférence,hélas, sasœur leconnaissaitbeaucoup trop

bienpourselaisserabuser.Ellearqualessourcils,sacuriositédéfinitivementpiquée.—Elledoitavoiraussibeaucoupd’espritpourjouertouscesrôlestravestis.Des rôles travestis ?Mlle Stump portait des habits d’hommes sur scène ?Apollon fronça les

sourcils,trouvantcelaunpeutroposéàsongoût,maissasœurenchaîna:—Je l’ai vue jouer auprintempsdernier, ici, auxFoliesHarte, avec cousinePenelope.Quelle

pièceétait-cedéjà?ajouta-t-elle,lefrontplissé.Oh,jenem’ensouviensplus,maispeuimporte!Tu

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luiasparlé?Apollonbaissaostensiblementlesyeuxsursoncarnet.—Tusaistrèsbiencequejeveuxdire.Ilpréféraéluder.Masituationnemepermetpasdefairedesvisitesmondaines.Artemisgrimaça.—Nesoispasridicule.Tunevaspastecacheréternellement…Ilécarquillalesyeux,incrédule.—C’estimpossible,s’entêta-t-elle.Tudoisabsolumenttrouverunmoyendevivretavie.Ettant

pissicelat’obligeàquitterLondres,oumêmel’Angleterre.Regardecela,fit-elleendésignantd’ungestelarge,labâche,leschaisesetlematelas.Cen’estpasuneexistence.

Ilécrivitfébrilement:Queveux-tuquejefasse?J’aibesoinderécupérerl’argentquej’aiinvestidansceparc.

—EmprunteàWakefield.Apollonfaillitricaner.Seretrouverledébiteurdesonbeau-frèreétaitbienladernièrechosequ’il

souhaitait.MaisArtemisinsista:—Ilteprêteraitvolontierslasommedonttuaurasbesoinpourterefaireunenouvellevie.Pars,

Apollon.Va sur le continent.Oudans les colonies.Les autoritésne tepoursuivront pas aussi loin.Surtoutsituchangesdenom.

Apollonlafusilladuregardetécrivit:Tuvoudraisquejerenonceaunomquejeporte?—S’illefaut,oui,répliqua-t-elle,plusdéterminéequejamais.Jenevoulaispast’enparler,mais

jecroisquej’aiétésuivie.Apollons’alarma.Suiviejusqu’ici,aujourd’hui?Ellesecoualatête.—Non,pasaujourd’hui.Maislorsdemesprécédentesvisites.Àdeuxoutroisreprises,j’aieule

sentimentqu’unhommemefilait.Cen’étaitpaslemêmechaquefois,celadit,jemesuisdoncpeut-êtretrompée.

Apollonserembrunit.—Nemeregardepasainsi.Jen’étaispassûre,etjenelesuistoujourspas,maisimagineunpeu

lesconséquencessionm’aréellementsuivieetqu’ondécouvretacachette!Tunepeuxplusresterici.Quittelepays.Ilenvadetasécurité.

Apollonécrivit:Jeneveuxpas.Jenesuispascoupable,Artemis.—Jesais,murmura-t-elle.Jesais.Malheureusement,tun’asaucunmoyendeleprouver.Iln’écrivitrienenréponse,cequirevenaitàacquiescer.Sasœurposalamainsursonbras.—TonobstinationàresterenAngleterrepourraittecoûtertrèscher.Jet’enprie,Apollon.Tues

bon,intelligentet…etmerveilleuxTuneméritespasderetourneràBedlam,maistuneméritespasnon plus cette existence de paria. Ne laisse pas ton désir de vengeance te consumer. Un nom estimportant,c’estvrai,maistul’esdavantageencore.Jenevoudraispasperdremonuniquefrère.

Apollonserisquaàlaregarderetcefutuneerreur.Elleavaitlesyeuxbrillantsdelarmes,cequilui était insupportable. Il lui prit lesmains, autantpour la réconforterquepour se réconforter lui-même.

Elleinhalaprofondément.—Promets-moijustedenepasrenonceràlavie.

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Ilpinçaleslèvres,maishochafermementlatête.Artemisluiadressaunsouriretremblant.—Peut-être que la présence deRobinGoodfellow se révélera une bonne chose, finalement. Il

paraîtqu’elleesttrèsjolie.«Jolie»n’étaitpasletermequiconvenait.Vive,futée,séduisante…Apollon s’efforçad’afficherune expression indifférente,mais sa sœurne se laissapasberner.

Elleéclataderireetluilançaunepomme.Ill’attrapaauvoletécrivit:CommentseporteSaGrâcel’Imbécile?Commeils’yattendait,Artemisserenfrogna.—Franchement,Apollon,tudevraisarrêterdel’appelerainsi.Aprèstout,ilt’asortideBedlam.Pourm’enchaînerdanssasinistrecave,rétorqua-t-ilparécrit.Oùjeseraisencoresitunem’avais

paslibéré.—Ellen’estpassisinistrequecela.Surtoutdepuisqu’ilyaentreposéduvin.Maximeseporte

trèsbien,pourrépondreàtaquestion.Etiltesalue,soitditenpassant.Apolloneutunemouesceptique.—Jet’assure!Pas convaincu, il se contentade secouer la tête.Sans la forcedepersuasiond’Artemis– et les

sentiments queWakefield éprouvait pour elle –, il croupirait toujours àBedlam.Le duc ne l’avaitcertainementpasaidéàs’évaderparcequ’illecroyaitsaind’esprit–ouinnocent.

Sasœursoupira.—Maximen’estpasaussiterriblequetulecrois.Etjel’aime.Neserait-cequeparégardpour

moi,tudevraistemontrerunpeupluscharitableàsonendroit.ApollonsedemandacombiendefoisWakefieldavaitdûendurerlemêmediscoursleconcernant,

maisilacquiesça.Ilnevoyaitpasl’intérêtdesedisputeravecsasœuràcesujet.Elleétrécitlesyeuxcommesielletrouvaitsacapitulationunpeutrophâtive,puis:—Parfait.J’espèrequ’unjour,vousdeviendrezamis.Oudumoins,s’empressa-t-elled’ajouter,

comme il la fixait d’un regard incrédule, que vous serez capables de vousmontrer courtois l’unenversl’autre.

Apollons’épargnalapeinederépondre.Ilpréféras’intéresserauxautresvivresapportésparsasœur,notammentunebellemichedepainfraisqu’ilposasurunmorceaudeboispours’encouperunetranche.

—Ilyaunechosedontjesouhaitaisdeparler,repritsasœur,d’unevoixanormalementhésitante.Apollonlevalesyeux.Elletournaitetretournaitunepommeentresesmains.— Il s’agit d’un bruit parvenu aux oreilles deMaxime – je suppose par Craven, son valet de

chambre,quisembletoutsavoirsurtoutlemonde.Cen’estqu’unerumeur,biensûr,maisj’aipenséquejedevaist’enavertir.

Abandonnantsamichedepain,Apollonglissaledoigtsouslementondesasœurpourlaforceràcroisersonregard.

—C’estàproposducomte,précisa-t-elle.Ilnecompritpastoutdesuite.Quelcomte?Puisilsesouvintdel’hommeaustère,enperruqueet

costumenoir,quiétaitvenu lui rendrevisiteunefois,uneseule, lorsqu’ilétaitencoreenfant,pourl’informerqu’étant sonhéritier, ildevaitêtreenvoyéenpension.L’hommesentait levinaigreet lalavande.Etilavaitlesmêmesyeuxquelui.

Apollonl’avaitdétestéd’emblée.

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Ilplongealeregarddansceluidesasœur–quiavaitheureusementhéritédesyeuxgrisdeleurmère–etattendit.

Artemiss’emparadesesmains.—Ilsemeurt,souffla-t-elle.

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Quand le roivitdequelmonstreavaitaccouchésa femme, il leva lebraspour le tuer,mais leprêtreretintsamain.«Lalégenderacontequeleshabitantsdecetteîleontautrefoisvénéréundieuquiavaitl’aspectd’ungrandtaureaunoir.Vousaurieztoutintérêt,sire,àlaisservivrecettecréature,plutôtquederisquerd’offenserunepuissanceaussiancienne.»…

LecapitaineJamesTrevillionconsultalapetitependuleenbronzeposéesurlatableàcôtédelui.16h15.Ilétaittempsderetournertravailler.Ilinséraunmarque-pagedanssonlivre–L’Histoiredela longue captivité et des aventures de Thomas Pellow. Il ramassa ensuite ses deux pistolets, qu’ilreplaçadanslesétuisdeladoublesangleencuirquisecroisaitsursontorse.Puisilattrapasacanne.

Samauditecanne.Elle était en bois, de facture ordinaire, et dotée d’un large pommeau. Trevillion s’y appuya

lourdementpourselever,afindeménagersajambedroite.Ilattenditquelquesinstants,letempsdes’habituer à la position verticale, et s’efforça d’ignorer la douleur qui lui cisaillait la cuisse.Unedouleurcompréhensibledanslamesureoùils’étaitcassécettejambenonpasune,maisdeuxfois.

Lasecondefractureavaiteudesconséquencesdramatiques,puisqu’elleluiavaitcoûtésonpostede capitainedesdragons.LeducdeWakefield lui avait certesoffert un emploi,mais il n’était pascertaindedevoirvraiments’enréjouir.

Ilregardaparlafenêtreletempsqueladouleurreflue.Desjardiniersportaientunegrandecaissequ’ils déposèrent près d’un massif. Puis ils en soulevèrent le couvercle, révélant des sortes debâtonnetsreposantsurdelapaille.

Sa jambe le faisant moins souffrir, Trevillion boitilla jusqu’à la porte et quitta la pièce. Sachambre, située au bout d’un couloir, donnait sur l’arrière de Wakefield House, la résidencelondonienneduduc.Sicen’étaitpasunechambrededomestique,cen’étaitpasnonplusunechambred’amis.

Ilesquissaunsourireironique.Ilvivaitdansunétrangeentre-deux.Ilmit cinq atrocesminutes àdescendre l’escalier pour rejoindre l’étagedudessous.Aumoins

était-ilreconnaissantauducd’avoireulabontédeluiattribuerunlogementaudeuxièmeétage.LesdomestiquesdeWakefieldHousevivaienttoussouslescombles,aucinquième.

Approchant du salonAchille, il entendit un rire de femme. Il ouvrit doucement la haute portepeinteenrosepâle.Troisladiesétaientréuniesautourd’unetableàthé.

Comme il s’approchait en traînant la patte, la benjamine, une jeune femme un peu ronde auxcheveuxchâtains,setournadanssadirectionunesecondeavantlesdeuxautres.

Trevillions’étaithabituéàcequeladyPhoebeBattensoittoujourslapremièreàs’apercevoirdesaprésence,maisils’enémerveillaitchaquefois.Carlajeunefemmeétaitaveugle.

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—Voilàmongeôlierquiarrive,lança-t-elled’untonléger.—Phoebe!laréprimandaladyHeroReadingdansunmurmure.LadyHeroétaitl’enfantdumilieudelafratrieWakefield:lacadetteduduc,maisl’aînéedelady

Phoebe.Lesdeuxfemmesneseressemblaientcependantpasdutout.LadyHeroétaitplusgrandequesa sœur, beaucoup plus svelte, et elle arborait une magnifique chevelure auburn. Sans doutes’imaginait-elle qu’il ne l’avait pas entendue. Elle se trompait, mais ce n’était pas grave. Il savaitparfaitementcequeladyPhoebepensaitdelui.Etcelanonplusn’avaitpasd’importance.LeducluiavaitconfiélaprotectiondesapetitesœuretTrevillionn’étaitpashommeàignorersesdevoirs.

—Prenezdoncunsiège,luiproposalatroisièmefemme.SaGrâce,laduchessedeWakefield,ArtemisBatten,étaitunefemmed’apparenceassezbanale–à

l’exception de ses beaux yeux gris –, mais qui affichait l’autorité d’une duchesse. Quiconqueignoreraitsonhistoiren’auraitjamaisdevinéque,quelquesmoisplustôt,ellen’étaitqueladamedecompagnied’unecousineéloignée.

Envérité,ArtemisBattenétaitunefemmeexceptionnelle.—Merci,milady.Trevillionchoisitunfauteuilàdistancerespectabledutrio.Saprésencen’étaitpasindispensable

dèslorsqueladyPhoebesetrouvaitencompagniedesasœuretdesabelle-sœur–oumêmetouteseule,maisàl’intérieurdeWakefieldHouse.Ilsepourraitcependantqu’elledécidedesortiraprèslethé,auquelcas,ildevraitl’accompagner.

QuecelaplaiseounonàladyPhoebe.LadyHeroseleva.—Ilfautquejerentre.Sebastianadûseréveillerdesasieste.—Déjà?fitladyPhoebeavecunepetitemoue,avantderetrouverlesourire.Laprochainefois,

nousprendronslethécheztoi.Danslanursery.LadyHeros’esclaffa.—Jecrainsqueprendrelethéavecdeuxenfantsenbasâgen’entraînedudésordre.—Désordreoupas,Phoebeetmoisommesimpatientesdevoirnosneveux,assuraladuchesse.—Et je vous recevrai volontiers, déclara ladyHero.Mais ne venez pas vous plaindre si vous

repartezavecdesmorceauxdebiscuitsécrasésdanslescheveux.—CeneserapascherpayépouravoirleplaisirdepasserunmomentavecWilliametSebastian,

décrétaladuchesse.Laissez-moivousraccompagner.J’aiprévudesortir,detoutefaçon.LadyPhoebefronçalessourcils.— C’est vrai ?Mais vous êtes déjà sortie ce matin. Presque en secret, je dois dire. Où donc

comptez-vousaller,cettefois?Le regard de la duchesse vacilla un court instant, assez cependant pour que Trevillion le

remarque.—RendrejusteunepetitevisiteàMmeMakepeaceàl’orphelinat.SiMaximeconsentàémerger

desonbureauetmedemande,vousluidirezquejeseraideretourpourledîner.— Il passe beaucoup trop de temps dans son bureau, acquiesça lady Hero. Le Parlement ne

s’écroulerapass’ils’accordeunoudeuxjoursdecongé.Elleembrassasasœuravantd’ajouter:—Àlasemaineprochaine,alors?Outereverrai-jeavant,àlasoiréedesOmbridge?LadyPhoebesoupira.—Maximerefusequejem’yrende.Ilprétendqu’ilyauratropdemonde.

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LadyHerodécochaunregardàladuchesse,quisetenaitderrièreladyPhoebe.Artemishaussalesépaulesavecunemoueattristée.

—Maxime a raison, ce sera la cohue, confirma ladyHero d’un ton badin. Je suis sûre que tudétesteraiscela.

Trevillionpinça les lèvresetdétourna le regardpourmasquerson irritation.LadyHero tentaitd’atténuerlecoup,maiselles’yprenaitmal.Iln’était legardeducorpsdeladyPhoebequedepuisquelquesmois–justeunpeuavantNoël–maisilavaiteulargementletempsdeserendrecomptequ’elle adorait les festivités. Les concerts, les bals, les thés, tout ce qui réunissait dumonde. Sonvisage s’illuminait chaque fois qu’elle assistait à l’un de ces événements.Mais son frère,MaximeBatten,ducdeWakefield,avaitdécrétéquecessortiesétaienttropdangereuses,aussifréquentait-elletrèspeuderéceptionsendehorsducerclefamilial.Etencore,leducdevait-ilchaquefoisdonnersonconsentement.

Trevillionchangeadeposition.SacanneripasurleplancheretladyPhoebetournalatêtedanssadirection.

Ilseraclalagorge.—Jecrois,milady,quelespiedsderosiersquevousaviezcommandéssontarrivés.J’aivules

jardinierslesdéballer.J’imaginequ’ilsn’ontpasbesoindevotresupervision,maissivoussouhaitezqu’ilslesplantentàdesendroitsprécis…

—Pourquoinel’avez-vouspasditplustôt?coupaladyPhoebe.Elle s’était levée et partait déjà vers la porte, ses doigts glissant légèrement sur le dossier des

siègespourseguider.Elles’arrêtaprèsdelaporteetseretournaàdemi.—Ehbien?Vousvenez,capitaineTrevillion?—Oui,milady.Ilselevaaussirapidementquesajambeleluipermettaitetsedirigeaverselle.—Aurevoir,machérie,ditladyHero,quicaressal’épauledesasœuravantdefranchirleseuil.

Essaiedenepasêtresiimpatiente.CommeladyPhoebelevaitlesyeuxauciel,laduchessedissimulaunsourire.Ellesortitàlasuite

deladyHero,sibienqueTrevillionseretrouvaseulavecladyPhoebe.—Vousavezvulesrosiers,fit-elle.Àquoiressemblaient-ils?— Je les ai aperçus depuis la fenêtre dema chambre,milady, précisa Trevillion lorsqu’il fut

parvenuàsahauteur.Jenepeuxdoncrienvousdiredeleurétat.—Hmm.Elle passa dans le couloir et prit la direction de l’escalier, la main courant le long du mur.

Trevillion ressentait toujours une certaine appréhension lorsqu’elle s’approchait de l’escalier. Cedernierétaithaut,incurvéetsesmarchesenmarbrepouvaientserévélerterriblementglissantes.MaisilavaitaussitrèsviteapprisqueladyPhoebedétestaitqu’onl’aideàdescendre.Defait,malgrésescraintes,pasuneseulefoisellen’avaitmanquéunemarcheensaprésence.

Ce qui ne l’empêchait pas de demeurer vigilant, et prêt à lui saisir le bras au cas où elletrébucherait.

—Vousmesurveillez,lança-t-ellesansseretourner.—C’estmontravail.—Celapourraitsediscuter.—Non,répliqua-t-il.Cen’estpasnégociable.Ilsavaientatteintlerez-de-chaussée.LadyPhoebefilaversl’arrièredelamaison.

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Trevilliongrimaçaenposantlepiedsurladernièremarche–ilavaittropsollicitésamauvaisejambe.Lajeunefemmeneseretournapas,maisilremarquaqu’elleralentissaitlepaspourl’attendre.

Ilclaudiquaderrièreelle.Ilyavaitunelargeterrassepavéelelongdelafaçadearrièredelademeureet,au-delà,ungrand

jardin.Àcetteépoquedel’année,laplupartdesmassifsétaientencoreensommeil.Leducemployaitdeux jardiniers, plus un commis pour les aider. Tous trois tournèrent les yeux vers lady Phoebelorsqu’elleapparut.

—Bonjour,milady, lançad’unevoixforte leplusvieux,unhommeaucorpsnoueux,pour luiindiqueroùilssetrouvaient.

—Bonjour,Givens.Nemeditespasquevousavezcommencéàplantersansmoi?—Non,milady,répondit l’autrejardinier,quiressemblaitàs’yméprendreàGivensavecvingt

ansdemoins.Trevillionlessuspectaitd’êtreparents,maisignoraitleurlien.—Nousnoussommescontentésd’examinerlespieds,ajoutaGivens.—Etcommentsont-ils?LadyPhoebes’avança.Lesrosiersavaientétédisposéssurlapelouse,enlisièredesmassifs.Trevillionpressalepas.Ilrattrapalajeunefemmeaumomentoùelles’approchaitdesmarches

conduisantdelaterrasseaujardin.—Sicelanevousdérangepas,milady,murmura-t-ilenluiprenantlebrasd’autorité.—Etsicelamedérange?répliqua-t-ellesurlemêmeton.Trevillionsevoyantmalrépondreàpareillequestion,ilsecontentadepréciser:—L’herbecommenceici.Elleacquiesça,gardantlatêtehautetandisqu’illaconduisaitverslesjardiniers.—Dommagequ’Artemisn’aitpaspuresterpourm’aider.—Eneffet,milady.C’estcurieuxquevousignoriezoùelles’estrenduecematin.Ellefronçalessourcils.—Jenecomprendspascequevousvoulezdire?—Vraiment?J’airemarquéqueladuchesseselivraitsouventàdescoursesmystérieuses.—Quoiquevoussous-entendiez,capitaineTrevillion,celanemeplaîtpas.Ilréprimaunsoupir.Ilsavaientrejointlesjardinierset ladyPhoebereportaostensiblementson

attentionsureux.Ilattendit,s’appuyantsursacanne,sedemandantsiladyPhoeben’avaitvraimentaucuneidéede

ladestinationdeladuchesse.LadyPhoebeétaittrèsprochedesabelle-sœur–vraimenttrèsproche.Ellen’ignoraitdoncpasqueladuchesseavaitunfrèrejumeau,ApollonGreaves,lordKilbourne,quis’étaitéchappéquelquesmoisplustôtdeBedlam,etétaittoujoursenfuite.

LadyPhoebesavait-elle,cependant,pourquoilordKilbourneavaitétéenferméàBedlam?Avait-elleeuventdutriplemeurtresanglantdontilavaitétéaccusé?Peut-êtren’était-ellepasaucourant:après tout, elle menait une existence plutôt recluse. Ou bien elle savait, mais elle avait décidéd’oubliercescandalevieuxdequatreans.

Lui,poursapart,nepouvait l’oublier.Carc’était luiquiavaitarrêté lordKilbournequatreansplustôt,alorsqu’ilétaitvautrédanslesangdesesamisdebeuverie.

Il nepourrait jamais réclamer son titre s’il continuaitd’être recherchépourdesmeurtresqu’iln’avaitpascommis.

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Lelendemain,Apollontailladaitsauvagementdesbranchesavecuneserpette,libérantsahargnesur unmalheureux arbuste. Pourquoi diable se souciait-il tout à coupde cette question ? Il n’avaitjamais accordé la moindre importance à son titre nobiliaire. Celui-ci, du reste, ne lui avait rienapporté,sinond’êtreséparédesasœur lorsqu’ilétait jeunegarçonpourêtreenvoyéenpension.Ilreniflaavecdédain.Lecomtenes’étaitjamaispréoccupédesavoirsilafamilledesonfilsmangeaitàsafaimouavaitdequoisevêtirdécemment.Enrevanche,ilavaitveilléàcequel’héritierdesonfils,etparconséquentlesien,reçoiveuneéducationdesplusdispendieuses.

Apollon interrompit sa tâche le temps d’essuyer la sueur qui coulait de son front. Il n’avaitvraimentaucuneraisondesesoucierdecetitre.Sinon…

Sinonquec’étaitunechosedeplusqu’onluiavaitvoléeàcausedecettehistoiredemeurtres.Ilgrognaetlevaitdenouveausaserpettepours’enprendreàl’arbustequandilentenditunevoix

sourdemarmonner.Iltenditl’oreille,regardatoutautourdelui.Ilsetrouvaitprèsdel’étang,dansuncoindésertdu

parc,alorsquelesautresjardiniersétaientoccupésàenleverdesarbresmortsnonloindukiosqueàmusique.Ils’étaitplusoumoinsattenduqu’IndioetDaffodillerejoignent,maisceux-cines’étaientpasmontrésdelajournée.

Detoutefaçon,lavoixneressemblaitpasdutoutàcelled’Indio.Intrigué, Apollon accrocha sa serpette à sa ceinture et sortit du fourré. Désormais, l’espace

séparantl’étangduthéâtreétaitàpeuprèsdégagé,àl’exceptiondecettepartie,encorechaotique.Desmorceauxdetroncscalcinésgisaientçàetlà,obstruantparfoislesallées.

Lavoixsefitplusforte.Elleprovenaitdederrièrel’unedesrareshaiesdemeuréesintactes.Apollons’approchaprudemmentetsedissimuladerrièreunarbrerestédeboutavantderisquer

uncoupd’œil.—…oualors,c’estquevousêtesunefripouille,milord,marmonnaitMlleStump.Elles’exprimaitd’unevoixartificielletoutenfaisantlescentpasdevantunarbreabattusurlequel

était poséeuneplanche.Laquelleplanche supportait despapiers, unepetitebouteilled’encre etdesplumes.

—Zut!pesta la jeunefemme,cettefoisavecsaproprevoix.Fripouille sonnemal.J’auraisdûm’endouter.

Elle se pencha sur une feuille et griffonna quelquesmots avant de se redresser. Elle carra lesépaules,posalepoingsurlahanche…etdevintunpersonnagemasculin.

—Sivousêtesungentleman,vouspaierezvosdettes,Wastrel.MlleStumpchangeadeposture,etrépliqua,unriencoquette:—Vraiment?Jugeriez-vousungentlemanàsesroupettes,milord?Apolloncompritalorsqu’ellejouaitunhommecommes’ilétaitunefemme.Pasétonnantqu’elle

soit réputée pour ses talents de comédienne. Bien que n’ayant recours à aucun des artificesordinairement utilisés au théâtre – perruques, costumes, maquillages –, il suffisait de la regarderjouerpoursavoirquelpersonnageelleinterprétait.

Il avait dû trahir sa présence d’une manière ou d’une autre, car elle pivota vivement dans sadirection,lamainsurlecœur.

—Quiestlà?Bonsang!Iln’avaitpasvoulul’effrayer.Ilsortitdesacachette.—Oh!s’exclama-t-elle.Voustravaillezlà?Jepeuxallerailleurssivousvoulez.Jenevoudrais

pasvousimportuner…

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Comme il secouait la tête, elle s’interrompit abruptement. Pendant quelques instants ilsdemeurèrentimmobiles,secontentantdeseregarder.Unepetitebriseagitaitlesbranchesdesarbresetfitvoleterunemèchedevantlevisagedelajeunefemme.Ellelacoinçaderrièrel’oreille,lesyeuxtoujoursrivéssurApollon.

Il sut tout à coup qu’il n’avait pas envie qu’elle parte. Il n’échangeait avec personne d’autrequ’ArtemisetMakepeace.Personne,sinonelle,désormais.MlleStumpavaitenpartiedécouvertsonsecret.Ellesavaitqu’iln’étaitpasqu’unebruteincapabledeparleretdépourvuedecervelle.Enoutre,elleréveillaitenluidesémotionsqu’ilcroyaitanéantiesàjamais.

Ilreculad’unpaspourluisignifierqu’illuicédaitlaplace.—Arrêtez!cria-t-elle.Elleparutaussisurprisequeluiparsonéclat.Elleseraclalagorgeetrepritplusdoucement:— Je… euh… je voulais simplement vous dire que vous ne me dérangez pas. Vous pouvez

continueràtravailler.Ilhochalatêteettournalestalons.—Attendez!lança-t-elledanssondos.Maisilcontinuasonchemin:danscertainscas,lesgestesétaientpréférablesauxexplications.Ilrejoignitl’arbustequ’ilélaguait,récupérasabesaceetsabêcheetretournaauprèsdelajeune

femme.Elleétaitdenouveaupenchéesursespapiers.Cettefois,ilveillaàfaireassezdebruitpournepas

luicauserdefrayeur.Elleseredressa.—Vousêtesrevenu?Était-cedusoulagementqu’ilavaitperçudanssavoix?Ilneputs’empêcherdesemoquerdelui-

même. Mlle Stump était une comédienne de renom, vive et ravissante. Même lorsqu’il possédaitl’usagedelaparole,ilachetaitleplussouventlesservicesdesfemmesquiseretrouvaientdanssonlit.Iln’avaitjamaisétéungrandséducteur–c’étaituneuphémisme.

Pourtant,MlleStumpsemblaitheureusedelerevoiretcelasuffitàgonflersoncœurd’allégresse.Ilposasabesacedansl’herbe,puisplantasabêcheaupiedd’unarbusteàremplacer.Lalamene

s’enfouitqu’àmoitiédanslaterre,aussiappuya-t-illepieddessuspourl’enfoncerjusqu’aumanche.Il sentit la lame couper les racines qu’elle rencontrait sur son chemin et en éprouvauneprofondesatisfaction. Ilavaitpasséunebonnepartiede lasoiréede laveilleàaffûtersabêchepourobtenirsemblablerésultat.

—Celanevousennuiepassi jecontinue? lançaMlleStump.Jedois finird’écrirecettepièceassezvite.Trèsvite,même.

Intrigué, il tourna la tête. La jeune femme examinait son manuscrit avec un froncement desourcilsquitrahissaitsoninquiétude.Makepeaceluiavaitexpliquéqu’ellenepouvaitpasmontersurscènepourlemoment.Écriredespiècesétaitsansdoutesonseulmoyendegagnerdequoivivre.

Ilsecoualatêteenréponseàsaquestion.—Jen’ensuisqu’autroisièmeacte,ajouta-t-elledistraitement.Monhéroïneaperduaujeutout

l’argentdesonfrère.Enfait,parcequ’elleestvêtuecommesonfrère.Ellerelevalesyeuxetdevinaqu’Apollonétaitdérouté.—C’est une comédie qui a pour titre : Les Remords d’un panier percé. L’intrigue est un peu

complexe car personne ne sait qui est qui. Il y a des jumeaux – un frère et une sœur du nom deWastrel.Lefrèreaconvaincusasœur,Cecily,desefairepasserpourluiafinqu’ilpuisseséduirelacaméristedeladyPamelaavecquiilestfiancé–ladyPamela,passacamériste.

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EllerepritsonsouffleetApollonsouritcar,contretouteattente,ilavaittoutcompris.Elleluirenditsonsourire.—C’estidiot,jesais,maislacomédien’estjamaisqu’unenchaînementd’événementsfarfelus.Ellebaissalesyeuxsursespapiers.—Donc,Cecily,vêtuecommeAdam–c’estleprénomdesonfrère–aperdubeaucoupd’argent

en jouant aux cartes avec lordPimberly.Et lordPimberly est le père deFanny, la camériste, et lesoupirantdeladyPamela.SaufquepersonnenesaitquePimberlyest lepèredeFanny.Sinon,biensûr,elleneseraitpascamériste.

Apollons’appuyasurlemanchedesabêcheethaussaunsourcil.— Fanny a été enlevée au berceau, expliqua Mlle Stump. Mais, heureusement, elle porte une

marquedenaissancequipermettradel’identifier lemomentvenu.Là,précisa-t-elleenindiquant lehautdesonseindroit.

Apollonmettait au défi n’importe quel homme de ne pas suivre des yeux le doigt de la jeunefemme.Quoique sévère, le décolleté carré de son corsage laissait voir le doux renflement de sesseinsqu’unfichulégerdissimulaitsagement.

—Quoiqu’ilensoit…enchaîna-t-elled’unevoixquiincitaApollonàreleverlesyeux.LesjouesdeMlleStumpavaientprisdescouleurs,maisc’étaitpeut-êtreàcauseduvent.—Quoiqu’ilensoit,j’écrisencemomentlascèneoùlordPimberlydemandeàCecily,déguisée

enAdam,deluirembourserunesommequ’ellen’aévidemmentpas.Et,biensûr,ilserendenmêmetempscomptequ’il,enfinelle,l’attire.

Apollonhochalatêteetagitaunpeusabêchepourdonnerl’illusionqu’ilcontinuaitàtravailler.Enréalité,ilcommençaitàcraindrequelalameneprenneracine.

MlleStumprevintàsonmanuscritet repritsavoixveloutée,qu’ApollonsavaitmaintenantêtrecelledeCecily,lasœurhabilléeenhomme.

—Jugeriez-vousungentlemanàsesroupettes,milord?EtellerépliquaaveclavoixgravedelordPimberly:—Pardonnez-moi,maisj’aiparlédedettes.LaCecilydecomédieaffichauneexpressionperplexe.—Ahbon?Jecroyaisquenousparlionsderoupettes.Apollonécoutaitbouchebée.Iln’essayaitmêmeplusdefeindredetravailler.—Pardonnez-moi,répliquaPimberly,maisjecroissavoirfaireladifférenceentredesdetteset

desroupettes.Cecilybattitdescils.—Trèsbien!Etquelleest-elle,s’ilvousplaît?Pouvez-vousmel’expliquer?Lecomiquevenaitducontrasteentrelagrivoiseriedudialogueetl’airdeparfaiteinnocencede

MlleStumpinterprétantCecily.Apollonétaittellementenchantéqu’iléclataderire.

LilyenoubliaCecilyetlepompeuxPimberly.Elleoubliasapièceettoutlereste,tantelleétaitstupéfaite.

Calibanriait.Ilavaitrenversélatêteenarrière,fermélesyeux,etriaitd’unbeauriremasculinquidécouvrait

ses dents blanches. Sa chemise aussi, était blanche. Il portait par-dessus un giletmarron auquel ilmanquait deux boutons. Lesmanches étaient retroussées jusqu’aux coudes, révélant des avant-brassolides,couvertsdepoilssombres.Sonpantalonétaitd’ungrispresquenoir. Ilavaitceintsoncou

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d’unfoulardrougeetaccrochéuneserpetteàsagrosseceinturedecuir.Lilyavaitcroisébeaucoupd’ouvriersaucoursdesonexistence,maisellenelesavaitjamaisvraimentregardés.Cependant,plusellecontemplaitCaliban,pluselleletrouvaitirrésistible.Trèsvirilphysiquement,etpourtantcapablede s’intéresser à sa pièce et de faire preuve d’un vrai sens de l’humour. Cet homme ne pouvaitdécidémentpasêtrelesimplejardinierpourlequelilsefaisaitpasser.

Mais une autre interrogation la taraudait à présent : s’il pouvait rire, pourquoi n’était-il pascapabledeparler?Car,pourrire,elleétaitàpeuprèssûrequ’ildevaitsollicitersescordesvocales.

Il rouvrit les yeux.Son riremourut dans sa gorgequand il accrocha le regarddeLily, et elles’aperçut qu’elle s’était rapprochéede lui – presque à le toucher – sansmême s’en apercevoir. Savirilitésemblaitagirsurelleàlamanièred’unaimant.

Il inclina la tête de côté, les vestiges de son hilarité encore visibles sur ses traits. Lily ne putrésister:elletenditlamainetluicaressalajoue.Ilétaitsichaud,simerveilleusementvivant.Ellesehissa sur lapointedespieds, samainglissa sur sanuque, sous lesépaissesboucleschâtaines.Elledésiraitjustelevoirdeplusprès,capturerunpeudesavitalité.

Elleétaitsiabsorbéequelorsqu’unevoixretentitdanssondos,ellesursautaviolemment.—Jesuisvenutechercher.Ellefitvolte-facepourvoirquiavaitenvahisonEden,maisCalibanfutplusrapidequ’elle.Illapoussadecôtésansdouceuretchargeal’inconnu,latêterentréedanslesépaulesàlamanière

d’untaureau.Ilatteignitl’hommeauventreetlaseuleforcedesonélansuffitàlesfairebasculertouslesdeuxàterre.Calibanseredressaetlevalepoing,maisl’autreavaitdesréflexes:iltournalatêtedecôtéàtempspouréviterlecoupquiluiauraitsansdoutebrisélenez.

L’inconnuétaitjeune,unetrentained’années,ettoutdenoirvêtu.Sescheveux,égalementnoirs,étaientattachésencatogan.Sontricorneétaittombédanssachute,ainsiquesacannedemarche.

—Arrêtez!criaLily,maisaucundesdeuxhommesneluiprêtaattention.L’inconnu jouait des jambes pour tenter de se libérer de l’étreinte deCaliban,mais ce dernier

pesait beaucoup plus lourd et lui donnait des coups de poing dans les flancs, lui arrachant desgémissementsdedouleur.

IlyeutunéclatmétalliqueetCalibansecabra.Seigneur!Sonadversaireavaitunpistolet!Lesdeuxhommesavaient lamaindessus, chacunessayantdebraquer le canon sur l’autre.De samainlibre,l’inconnudécochauncoupdepoingdanslamâchoiredeCaliban.Satêtebasculadecôtésousl’impact, mais il ne lâcha pas l’arme pour autant. Lily hésitait. Elle avait peur de s’approcher, etencorepluspeurdes’éloigner.ElleauraitvouluaiderCaliban,maisellenevoyaitpascomment.Sielle tentait de frapper son adversaire, elle risquait de distraireCaliban– or lamoindre distractionpourraitluiêtrefatale.

Unéclairdelumière,unehorribledétonation.Lilyhurlaetsebaissa,lesmainsplaquéessurlesoreilles.Quandelleseredressa,elleosaàpeineregarderdecraintedevoirdusangpartoutetCalibanfigé

dans lamort.Mais les deux hommes se battaient toujours.La balle les avaitmanqués et l’inconnuavaitlâchésonpistoletquineluiétaitplusd’aucuneutilité,l’armenepouvanttirerqu’uncoupàlafois.

—Maman?La voix haut perchée d’Indio trahissait sa frayeur. Il avait les yeux rivés sur les hommes qui

luttaientsurlesol.LecœurdeLilysemitàbattresifortqu’ellecrutqu’ilallaitjaillirdesapoitrine.Elle courut vers son fils, le souleva dans ses bras. Le serrant contre elle, elle se retourna et vitl’étrangertirerdesapocheundeuxièmepistolet.

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Calibanluiemprisonnalepoignetetlevalesyeux,commes’illacherchait.Leursregardss’aimantèrent.L’expressiondeCalibanétaitempreinted’unefureurbelliqueuse.«Untelhommeestcapabledetuer,pensa-t-elle.Jedevraisenavoirpeur.»Puis il eut unmouvementbrefdumenton.Lemessage était clair : il voulait qu’elleparte avec

Indio.Unefemmepluscourageuseseraitprobablementrestéepourluivenirenaide.Maisellen’étaitde

touteévidencepascourageuse.Elletournalestalons.Et tandis qu’elle s’enfuyait en sanglotant, son fils pressé contre elle, elle entendit la seconde

détonation.

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6

Alors,leroipritlebébéetl’enfermadansunlabyrintheimpénétrableérigéaucentredel’île.Lemonstregrandit là sans jamais voir aucun être humain. Mais certaines nuits, des gémissements lugubressemblables à ceux d’un taureau blessé se faisaient entendre, et ces nuits-là, les habitants de l’îles’enfermaientàdoubletouretgrelottaientd’effroi.

Trevillion contemplait le visage ensanglanté deKilbourne et sut que son orgueil allait lui êtrefatal.

Sa première balle l’avait raté. La seconde lui avait effleuré le crâne, qui saignait à présentabondamment,maisn’avaitpassuffiàlemettrehorsd’étatdenuire.Riennelepouvait,semblait-il.Kilbourneétaitcommecesbêtessauvagesquel’instinctdetuerrendaitinsensiblesàladouleur.

C’était l’orgueil,qui l’avait incité, lui, l’infirme,à s’attaquer seulàunhommede la staturedeKilbourne. L’orgueil, encore, qui l’avait poussé à s’annoncer au lieu de lui tomber dessus parsurprise.

Et c’était enfin par pur orgueil qu’il s’était persuadé qu’il était lemême homme qu’avant sonaccident.

Trevillioncontinuaitdesebattrealorsmêmequ’ilavaitdéchargésesdeuxpistolets.Sajambelefaisaitterriblementsouffriretiln’avaitplusaucunechancedel’emporter.Ilétaitpeut-êtreuncrétinorgueilleux,maisilétaitaussitrèsobstinéetsisadernièreheureavaitsonné,iln’étaitpasquestionqu’ilmeurecommeunlâche.

L’avant-brasdeKilbourneluiécrasait lagorge, l’empêchantàmoitiéderespirer.Danssamainlibre, le géant brandissait un couteau dangereusement affûté. Trevillion s’attendait que la lames’enfoncedanssoncrâned’uninstantàl’autre.

Ilregrettaitamèrementdenepasavoirdégainésesdeuxpistoletsavantd’interpellerKilbourne.Aumoinsaurait-ilpu lui tirerdessus lorsqu’il l’avaitchargé.Seulement, ilavaitcraintd’atteindre,parricochet,lafemmequisetrouvaitàcôté…

Toutàcoup,sajambecessadeluifairemal.Cela,c’étaitinquiétant.Destachesnoiresseformèrentdevantsesyeux,obscurcissantpeuàpeusavision.Puistoutrevintsubitement.Lalumière,l’air…etladouleur.Ilroulasurlecôtéet toussaviolemment, tandisquesajambeétaitagitéedespasmesfurieux.Il

tendit lamain,à la recherched’unearme,n’importe laquelle.Sespistoletsne lui serviraientplusàrien,maiss’ilpouvaitatteindresacanne,illabriseraitsurlecrânedeKilbourne.

Illevalesyeux.Kilbourne était accroupi à quelques mètres, les mains pendant entre les genoux comme ces

indigènesqu’onvoyaitsurdesgravuresetquitenaientplusdusingequedel’homme.Iln’avaitpas

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lâchésoncouteau.Aveclesangquidégoulinaitdesoncrâne,ilavaitvraimenttoutdusauvage.Exceptésesyeux.Illeregardaitsedébattreaveccirconspection,aucundoute,maisneparaissait

paslemoinsdumondemenaçant.Trevillionregardaautourdelui.—Vousattendezquequelqu’unvousvienneenaide,devina-t-il.Kilbournecilla,avantd’esquisserunsouriresardonique.Puisilsecoualatête.Trevillionsehissasurlescoudes.Sajambeétaitsidouloureusequ’ilneseraitpascapabledese

tenirdeboutavantunbonmoment.—Quoi,alors?Qu’attendez-vous?Kilbourneétait-ilcruelaupointdedifférersamort?Legéanthaussalesépaulesetcoinçasoncouteaudanssaceinture.Commeiltâtonnaitautourde

lui,Trevillionseraidit.C’estalorsqueKilbourneluitenditsacanne.Incrédule,lecapitaineregardatouràtoursacanne,puisl’assassin,ets’emparadecelle-ci.—Pourquoinemerépondez-vouspas?Vousnepouvezplusparler?Denouveau,lepetitsouriresardonique.Kilbournesecoualatête.Trevillion n’en revenait pas. Il était à terre, désarmé à l’exception de sa canne de marche, et

Kilbournenes’enprenaitpasàlui.Pire,ill’aidait.Trevillioneutunerévélationfulgurante.Lavéritéluiapparut,crue,simple,évidente.—Vousn’avezpastuécestroishommes,n’est-cepas?

Ignorant la brûlure de son crâne, Apollon regardait l’homme sur le sol. Il l’avait reconnud’emblée.C’étaitlecapitaineJamesTrevillion.Ilconnaissaitsonnomàprésent–ill’avaitapprisàBedlam–,maislematindesonarrestation,Trevillionn’étaitqu’unofficierdesdragons,enuniformerouge.Lehérautvenuannoncersachuteàvenir.

Aujourd’hui,Trevillionétaitvêtudenoir.Etlesholstersquiluibarraientletorseétaientvides:sesdeuxpistoletsgisaientdanslapoussière.Unbeaugâchis,carc’étaientdebellesarmes,avecdescrossesenargentrepoussé.

Cethommeétait venu l’arrêter.Pour le renvoyerdans l’enferdeBedlam.Apollonaurait dû letuer, ou, à tout lemoins, le rendre incapable de s’en prendre de nouveau à lui. Il connaissait deshommesquiégorgeraientTrevillionsanslemoindreremords.

Maispourlemeilleuroupourlepire,Apollonn’étaitpasdeceux-là.Ilavaittropsouffertdelaviolence, àBedlam.Désormais, il préférait utiliser desméthodesplus civiliséespour résoudre sesdilemmes.

Ilrécupérasabesace,l’ouvrit,sortisoncarnetetinscrivitdessus:Jenelesaipastués.Trevillionallongealecoupourlire.—Lascèneducrimedonnaitàpenserlecontraire,répliqua-t-il.Vousétiezcouvertdusangdes

victimes,vousaviezunpoignarddanslamainetvousn’aviezplustoutevotretête.Sesparolesétaientaccusatoires,maissontontrahissaitsacuriosité.Toutaufondd’Apollonuneinfimelueurd’espoirs’alluma.J’avaisbu.LajambedroitedeTrevilliondevaitlefairesouffrir,carilsemalaxaitlesmusclesdumollet.

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—J’ai vu beaucoup d’hommes après une nuit de beuverie. La plupart gardent un semblant deraison.Cen’étaitpasvotrecas.Vosproposétaientdépourvusdesens.

Apollonsoupira.Sablessurelebrûlaitetlesangquiencoulaitcommençaitàtrempersachemise.Mais il y avait pire : il sentait encore la main fraîche de Mlle Stump sur sa joue. L’arrivée deTrevillionavaitbrisécefragilemomentd’intimité.

Lajeunefemmesemblaitabsolumentterrifiéelorsqu’illuiavaitordonnédes’éloigneravecsonfils.Ilvoulaitallerlatrouverpours’assurerqu’elleallaitbienetqu’ellen’avaitpluspeur.

Quesaterreuravaitétécauséeparlasituation,etnonparlui.Il se redressa avec l’intention de laisser Trevillion là où il était. Sauf que le capitaine savait

désormaisoùilsecachait,unfaitqu’ilnepouvaitignorer.Enoutre,Trevillionétait lepremierdepuis très longtempsàécouterbel etbien saversiondes

faitsquiluiavaientvalud’êtrearrêté.Aussi, au lieu de l’abandonner à son sort, Apollon reprit-il son carnet pour écrire : Je me

souviensd’avoirpassélasoiréeavecmesamisetd’avoirbuunepremièrebouteilledevin.Maispasdelasuite.

PendantqueTrevillionlisait,ilôtasongiletetsachemise,puisenroulacettedernièreautourdesoncrâneensanglantéàlamanièredesturbansqueportaientlesTurcs.

—Vousauriezétédrogué?suggéralecapitaine.Apolloninclinalatêtedecôtéethaussalesépaulesd’unemanièrecenséesignifierProbablement.

IlavaiteutoutletempsderepenseràcettesoiréedurantsesquatreannéesàBedlam.L’hypothèsequelevinaitpuêtredroguésemblaiteneffettrèsplausible.

Ils’approchadeTrevillionetluitenditlamain.Celui-cilacontemplasilonguementqu’Apollonfaillitrenoncer.

Finalement,lecapitainemarmonna:—Jesupposequevousm’auriezdéjàtuésic’étaitvotreintention.Apollon haussa un sourcil, mais sitôt que Trevillion se fut emparé de sa main il l’aida à se

relever.Lecapitaineétaitraide.Ilneproférapasunsonquoiqu’ilfûtévidentqu’ilsouffrait.Il s’appuya sur sa canne,maisApollon continua de le soutenir. Et comme il ne protestait pas,

Apollonenconclutqu’il avait réellementbesoind’assistance. Il leguida jusqu’à l’arbreabattuqueMlleStumpavaittransforméentabledetravail.Trevillions’assitsurletroncengrimaçant,lajambedroiterigideettenduedevantlui.

Apollons’accroupitprèsdelui.—Pourquoinepouvez-vousplusparler?voulutsavoirlecapitaine.Apollonn’écrivitqu’unmotsursoncarnet:Bedlam.Trevillionfronçalessourcils.—Sivousn’avezpastuécestroishommes,c’estdoncqu’unautres’enestchargé.Unautrequi

n’atoujourspaspayépoursoncrime.J’aiarrêtéunhommequin’étaitpaslecoupable.Etjel’aifaitcondamner.

Apollon retint un sourire sardonique. Quatre ans. Quatre ans de privations, de sévices et decaptivité,toutcelaparcequequelqu’unavaitassassinésesamis.

Laportederrièrelaquelleétaientenferméssessouvenirsserouvritbrutalement.HughMaubry.JosephTate.WilliamSmithers.

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Maubry, dont les intestins jaillissaient hors de sonventre.Tate, à peuprès intact, à l’exceptiond’uneblessureàlapoitrineetdetroisdoigtsmanquants.Smithers,sonvisageenfantinsurprisparlamort,lesyeuxouverts,lagorgetranchée.

Apollon n’avait jamais été intime avec eux. Maubry et Tate étaient d’anciens camarades depensionetSmithersunparentéloignédeTate.Maisilsavaientpasséunebonnesoirée,àplaisanteretàboire–avantqu’Apollonseréveilleenpleincauchemar.

Ilclignadespaupières,chassant les terribles images,et reportasonattentionsurTrevillion.Cedernierarboraituneexpressionàlafoissombreetdéterminée.

—Cetteinjusticedoitêtreréparée–jedoislaréparer.Jevaisvousaideràdémasquerlevéritablemeurtrier.

Apolloneutunsouriresansjoie.Ilrepritsoncarnetetécrivitd’unemainsirageusequ’ilfaillitpercer lepapier :J’aipasséquatreansàBedlametdurantcesquatreannées,personnen’amisendoutemaculpabilité.Vous-même,vousmecroyiezencorecoupableiln’yapasdixminutes.C’estpourcelaquevousm’avezattaqué.Commentcomptez-vousvousyprendrepourdénicherl’assassin?

Trevillionlutetripostaavecflegme:—Pourêtretoutàfaitexact,c’estvousquim’avezattaqué.Apollonpréféraignorercedétail.Vossupérieurschezlesdragonsaccepteront-ilsquevousconsacriezdutempsàvotreenquête?LevisagedeTrevillionseferma.—Jenesuisplusdanslesdragons.Apollonn’enrevenaitpas.Mêmehabilléennoir,Trevillionavaittoutd’uncapitainedesdragons.

Baissantlesyeuxsursajambe,ilsedemandaàquandremontaitcetteblessure.IlneserappelaitpasqueTrevillionboitaitlematinoùill’avaitarrêté,maispressentaitquetoutequestionsurcesujetneseraitpaslabienvenue.

Ilsecontentadoncd’écrire:Maquestiondemeure–Commentcomptez-vousfairepourdémasquerl’assassinaprèstantd’années?

Trevillionrivaleregardsurlui.—Vousdevezbienavoirdessoupçons,ouaumoinsuneidéedequiauraitputuervosamis.Apollonplissalesyeux.Envérité,ilavaitpassédesheures,desjours,même,àréfléchiràcela.Nosboursesnousavaientétédérobées,écrivit-il.—Ellescontenaientbeaucoupd’argent?Paslamienne.Ilnemerestaitplusgrand-choseaprèsavoirpayélevin.Quantauxautres,ilsne

devaientguèreavoirplusqu’uneoudeuxguinées.Enrevanche,Tatepossédaitunebellemontreenorhéritéedesonpère.Elleaétéégalementvolée.

—Maigrebutinpourtroisassassinats,murmuraTrevillion.Certainssontcapablesdetuerpourmoins.—C’estvrai.Maisrarementavecautantd’acharnement.Ilfixaquelquesinstantslevideensemassantdistraitementlemolletavantdedemander:—Rappelez-moiquiétaientlesvictimes.Apolloninscrivitlesnomsdesestroisamis.Trevillionpinçaleslèvres.—Vouslesconnaissiezbien?Lesdeuxpremiersétaientdescamaradesavecquij’aimaissortiretboire,maisnousn’étionspas

intimes.QuantàSmithers,j’avaisfaitsaconnaissancecesoir-là.Sonvisagedemeureraitpourtantàjamaisgravédanslamémoired’Apollon.

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—Étaient-ilsriches?Avaient-ilsdesennemis?Maubry était le troisième fils d’un baron, il était destiné à rentrer dans les ordres. Tate était

l’héritierdesononcle,cequiluiauraitrapportébeaucoupd’argent–dumoinsselonlarumeurquicouraitaucollège.Pourcequiestdeleursennemis,jenesaisrien.

Trevillionlutcesquelqueslignes,puisdemanda:—Etvous?Aviez-vousdesennemis?Un sourire narquois aux lèvres,Apollon écrivit :Jusqu’à cette fameuse nuit, j’aurais répondu

non.—Trèsbien,déclaraTrevillion.Jevaisenquêterdemoncôté.Jereviendraivousvoirsij’aidu

nouveau,ousij’aid’autresquestionsàvousposer.Ilsemitdeboutavecdifficulté,maislorsqueApollonfitminedel’aider,illefoudroyaduregard.

Apollonn’insistapas.—Soyezprudent,milord,luiconseillal’anciencapitaine,faisantpourlapremièrefoisréférence

àsontitre.Sij’aipuvousretrouver,d’autreslepourrontaussi.Leregardd’Apollons’assombrit.Commentm’avez-vousretrouvé?— J’ai suivi votre sœur. SaGrâce est discrète et très prudente,mais j’avais remarqué qu’elle

s’absentait régulièrement etquepersonneàWakefieldHousene semblait savoiroùelle se rendait.Celaaéveillémacuriositéetj’aicommencéàlasuivre,profitantdecequemonnouvelemploimefacilitaitlachose.Aujourd’hui,c’estmonjourderepos.

Apollon était étonné. L’ex-dragon semblait en savoir long sur les habitudes des occupants deWakefieldHouse.

Quivousemploie?s’enquit-il.—JesuislegardeducorpsdeladyPhoebe.Sur ce, il ramassa ses pistolets qu’il replaça dans leurs étuis respectifs. Sans sa raideur toute

militaire,ilauraitpupasserpourunpirate,songeaApollonnonsansamusement.—Bonne journée,milord.Etn’oubliezpasmonavertissement.Si lesautoritésvous retrouvent

avantquej’aiepuprouvervotreinnocence,vousdevinezlesortquivousattend,j’imagine.Apollonledevinait,eneffet.Lamort.Oupire:Bedlam.Il acquiesça d’un signe de tête. Et regarda Trevillion s’éloigner en boitant en direction de la

Tamise.Ilramassaensuitesabesaceetpritladirectionopposée.Ilsesentaitvaguementnauséeux,àprésent,sansdoutelaconséquencedesablessure,maisilétait

pressédevérifierqueMlleStumpallaitbien.Ilaccéléral’allure,coupaàtraverslesfourréssanssesoucierdeladouleurquis’intensifiaitsous

son crâne. Il ne cessait de penser à la façon dont la jeune femme l’avait regardé, juste avant queTrevillion surgisse.Comme si elle le trouvait…beau. Personne ne l’avait jamais regardé ainsi, etsurtoutpasunefemme.

Lorsqu’il déboula dans le théâtre, il découvrit Mlle Stump et Maude penchées sur Indio quidévoraitunetartinedeconfitureetsemblaitallertoutàfaitbien.

MaisquandMlleStumpseretournaverslui,leregardqu’ellefixasurluiétaitemplid’effroi.

LorsqueCaliban franchit le seuil du petit appartement, Lily pensa :Dieu soit loué, car il étaitvivant, puis son soulagement semua très vite en :Dieudu ciel, parce que du sang luimaculait levisageetqu’un lingeensanglanté luicouvrait la tête.Enoutre, iln’avaitplus sachemise.Mêmesi

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c’était bien sûr beaucoupmoins important que de le savoir blessé, Lily ne put s’empêcher d’êtredistraiteparlavuedesontorsenu.

—Rappelez-vousKitty,sifflaMaude.Lilyl’auraitvolontiersgiflée,etpourtant,ellel’adorait.—Metsdel’eauàchauffer,secontenta-t-ellederépliquer.Maudemarmonnadanssabarbe,maissedirigeaverslefoyer.—Qu’ya-t-il?demandaIndio.PourquoiCalibanadusangpartout?Ilatuél’autrehomme?Ilsemblaitpluscurieuxqu’effrayé,etLilyledévisagead’unairhorrifié.Calibanvints’accroupiràcôtédelachaised’Indioetsortitsoncarnet.C’étaitjusteunedispute

deriendutoutentreamis.Lily lutcesquelquesmotsàhautevoix,puis leregardaavecincrédulité.MêmeDaffodiln’était

pasasseznaïvepourcroireàcetteexplication.Caliban parut soudain pris de vertige, car il commença à vaciller. Lily se précipita pour lui

prendre le bras – un bras terriblement musclé – et l’aida à s’asseoir sur une chaise. S’ils’évanouissait,elleseraitbienincapabledelerelever.MêmeavecleconcoursdeMaude.

—Ilestparti?demanda-t-elle.Celuiavecquivousvousêtesbattu?Calibanhochalatête.

Ellesepenchaetluichuchotaàl’oreille:—Ilestmort?Il esquissa un sourire flegmatique,mais secoua la tête. Ses yeux semblaient avoir dumal à se

fixersurelleetsapeau,d’ordinairedorée,avaitviréaugrisâtre.Lily s’empressad’aller chercher labouteilledevin sur lemanteaude la cheminée.C’était une

horriblepiquette,maisCalibann’étaitpasenétatdejugerdesaqualité.Detoutefaçon,ellecomptaitenfaireunusagemédicinal.

Elleremplitunverre,qu’elleluifourraentrelesmains.—Buvezça,ordonna-t-elle,avantdesetournerversMaude:Oùenestl’eau?—Dieuseulseraitcapabledefairebouillirdel’eauenaussipeudetemps,grommelalavieille

femme.— Il est blessé, Maude, lui rappela-t-elle. Ne bougez pas, ajouta-t-elle d’une voix ferme à

l’adressedeCaliban.Puisellefilachercherdanssachambreunechemiseusagéeoubliéeaufondd’unemalle.Lorsqu’elle revint dans le salon, Indio était descendu de sa chaise et dévisageait Caliban avec

curiosité.—Écarte-toi,demanda-t-elledoucementàsonfils.Elleentreprit ensuitededébarrasserCalibande son turbansanglant.Ainsipenchéesur lui, elle

percevaitlachaleurquiémanaitdesoncorps,ainsiquesonodeurmusquéesimasculine.Leturbanenquestionserévélaêtresachemise,désormaishorsd’usage.Lilysedemandas’ilen

avaitunederechange.Danslecascontraire,ilseraitforcédetravaillertorsenu,cequiconstitueraitunspectacleensoi,devait-ellereconnaître.Peut-êtrepourrait-ellefairepayerunshillingàdesdamespours’asseoirdevantlethéâtreavecunetassedethéetcontemplerlejardinierroulerdesmusclesenmaniant sa bêche ou son herminette, songea-t-elle, avant de se reprocher de se laisser aller à despenséespareilles.

Quoiqu’elle s’efforçât d’ôter avec précaution le tissu qui collait aux cheveux de Caliban, elleneputempêcherlesangfraisdecoulerdenouveauquandelletirasurledernierlambeaudechemise.

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—Voilàl’eau,annonçaMaudeendéposantlabouilloiresurlatable.Elle se pencha tandis que Lily versait un peu d’eau sur la tête de Caliban pour nettoyer ses

cheveuxengluésdesang.Uneestafiladedequelquescentimètresdelongapparutbientôtausommetdesoncrâne.

Maudeseredressaavecunegrimace.—Ça,c’estl’œuvred’uneballe,déclara-t-elle.Puisellesedirigeaverslecoffreenboiscontenantseseffets.—Merde!s’exclamaIndio.Uneballe?Etpourunefois,Lilynecorrigeapassonfils.Examinantlaplaieavecattention,elledemanda:—Crois-tuqu’ilfautlarecoudre,Maude?—Non.Elleesttroppeuprofonde,réponditlaservante,quiétaitrevenueavecunlingepropre.

Versezduvinsurcelingeetappliquez-lesurlaplaie.Lilyeutunemouedubitative,maiss’exécutanéanmoins.Dèsquelelingeentraencontactavecsoncrâne,Calibanémitungrognementdedouleur.—Çaluifaitmal!s’écriaLilyensoulevantlelinge.—Oui,maislevinvaaideràcicatriser,rétorquaMaude.ElleguidalamaindeLily,l’obligeantàpresserdenouveaulelingesurlaplaie.—Maintenez-leenplacequelquesinstants,conseilla-t-elle,puiselleversaunpeuplusdevinsur

latêtedeCaliban,ignorantsesgrimacesdedouleur.Indio,quis’étaitrassisdocilement,nemanquaitrienduspectacle.—Ça lui faitunedrôlede tête, commenta-t-il.Maintenant, sescheveuxsont rouges,marronet

noirs.Calibanesquissaunfaiblesourire.—Commentsefait-ilquetusachessoignercegenredeplaies,Maude?s’étonnaLily.— Depuis le temps que je fréquente les gens de théâtre, qui sont de sacrés bagarreurs, j’ai

eul’occasiondem’improviserinfirmièreplusd’unefois.Indioparuttrèsintéressé.—OncleEdwinadéjàreçuuneballedanslecrâne?—Hélas,non,mongarçon!Tononcleestquandmêmebonàquelquechose,commesauversa

peau,parexemple.MaudetapotalamaindeLilypourl’inciteràsouleverlelinge.Elleexaminadenouveaulaplaie,

puishochalatête.—Maintenant,nousallonsfaireunbandageavecsavieillechemise,décréta-t-elle.Elles déchirèrent des bandes d’étoffe, et après que Lily eut posé un carré de tissu plié sur la

blessure,MaudeentrepritdebanderlecrânedeCaliban.Quandelleeutterminé,ilressemblaitàunemomieprêtepoursesfunérailles.Indios’esclaffa.

—Ondiraitqu’ilauneragededents!Daffodil jappa avec enthousiasme.MêmeMaude ne put retenir un sourire, qu’elle s’empressa

bienvitederéprimer.—Netemoquepas,jeunegarnement.C’estlàuntrèsbeautravaild’infirmière.—Oui,Maude,acquiesçaIndioenretrouvantsonsérieux.Ilvaguérir,tucrois?—Biensûr! répliqua-t-elle.Mais tamèreferaitbiende l’emmeners’allongerdanssonlit,car

m’estavisqu’ilabesoindedormir,àprésent.Etd’unevoixpresquedouce,elleajouta:

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—Lepauvrenedoitpasavoirunbonmatelas,làoùilloge.Viens,nousallonspréparerledîner.Indio bondit de sa chaise, avide comme toujours d’aider les adultes dans leurs occupations de

grandespersonnes.Caliban,quiavaitfermélespaupières,gîtaitdangereusementsursachaise.—Arriverez-vousàmarcherjusqu’aulit?soufflaLily.Ilrouvritlesyeuxethochalatête.Sonregardavaitperdudesavivacité,luirappelantl’époque,

passilointaine,oùelleleprenaitpourunsimpled’esprit.Dieuquecetteidéeluiparaissaitridicule,àprésent!

—Pouvez-vousvousrelever?demanda-t-ellegentiment.Ilréponditenseredressantavecraideuretelles’empressadeglisserl’épaulesoussonaisselle.

Ellen’étaitpasvraimentàmêmede lesoutenir– ilétaitbien tropgrandet trop lourd–,maisellel’aidaàsediriger,d’unedémarchechancelante,verslachambre.

Lelitétaitsiétroitquec’enétaitpresquepathétique.QuandCalibanfutallongé,lacourtepointerabattuesurlui,onauraitditqu’iloccupaitunlitd’enfant.Sespiedsdépassaient,etl’undesesbraspendaitsurlecôtéjusqu’àtoucherleplancher.

Il paraissait toutefois assez confortablement installé ; il avait d’ailleurs fermé les paupières.Dormait-ildéjà?Lilysepenchapourluimurmureràl’oreille:

—Caliban?Il rouvrit les yeux. Leur couleur n’avait pas changé, pourtant Lily les trouva plus beaux

qu’auparavant.—Quiétaitcethomme?Pourquoil’avez-vousattaqué?Il secoua la tête et ferma de nouveau les yeux. S’il feignait de dormir, il était meilleur

comédienquebeaucoupdeprofessionnelsqueconnaissaitLily.Avecunsoupirdefrustration,ellegagnalepieddulit.LeschaussuresetlesguêtresdeCaliban

étaientcouvertesdeboue.Ellegrimaçadedégoût,cequinel’empêchapasdesemettreàl’ouvrage.Elle lui délaça ses guêtres, puis lui ôta ses chaussures – dont la taille l’impressionna –, avant derangerletoutsouslelit.Elleallaensuitechercheruneautrecouverturequ’elledrapasursontorse,carlacourtepointenelecouvraitpassuffisamment.

Après un dernier regard au blessé, elle quitta la chambre et referma sans bruit la portederrièreelle.

MaudeetIndioétaientassisdevantlefeu.Lavieillefemmesurveillaitlepetit,occupéàtouillerlecontenud’unemarmitefumante.EllesetournaversLilydèsquecelle-ciapparut.

—Ilyaduthéchaudsurlatable,dit-elle.Prenezunsiègeetbuvezunetasse.Maiscommencezd’abordparvouslaverlesmains.

Lilyhocha la tête, soudain très lasse.Elle trouvait curieusement réconfortant que son anciennenounouluiparlecommelorsqu’elleétaitenfant.

Dehors, lecielcommençaitdéjààse teinterdegrisetelleen futstupéfaite.Ellen’avaitpasvupasserletemps.

Elleallajusqu’autonneaud’eaufraîcheentreposédehors,prèsdelaporte,soulevalecouvercleetpritdequoi laver sesmains tachéesdeboueetde sang.Puiselle regarda l’eau teintéede rougetracerdessillonsdanslaterreàsespieds,etcelaluirappelacetteautrefoisoùelleavaitdûlaversesmainsensanglantées.LechervisagedeKittyétaittellementenfléqu’ellenepouvaitmêmeplusouvrirlesyeux.Seslèvresn’étaientqu’unemassesanguinolente.

Toutcelaàcaused’ungrandtypeviolent.

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LilyrepensaauxparolesdeMaude–Rappelez-vousKitty–et sedemandasiellen’étaitpasentraindecommettreuneerreurquipourraitluiêtrefatale.

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7

Le roi, dans son beau palais d’or, était d’humeurmorose. Il n’avait pas engendré d’autre enfant, ettandisqu’ilvieillissait,ilétaitdeplusenplusamerdeconstaterquesessujetsavaientdebeauxrejetons,alorsque luin’avaitpuenfanterqu’unmonstre.C’estpourquoi il finitparédicterun terribledécret :chaqueannée,sonpeupledevraitdonnerensacrificeàsonterriblefilsleplusbeaujeunehommeetlaplusbellejeunefilledel’île…

Àsonréveil,lelendemainmatin,Apollonpritconsciencededeuxchoses.Lapremière,qu’ilétaitallongédans un lit – unvrai – pour la première fois depuis qu’il s’était échappédeBedlam, et laseconde,qu’iln’avaitpasécritsesdirectivesdelajournéepourlesjardiniers.Cettedernièrepenséeassombritsonhumeur.Asaavaitrecrutédesjardinierscompétents,maissansinstructionsprécises,ilsavaientunefâcheusetendanceàs’éparpillerdansleparcsansselivreràuntravailefficace.

Hélas,celitsiconfortablen’incitaitguèreàselever!Cen’étaitcertespasungrandlit,maisilétaitmoelleux,propreetdotéd’unmatelasdignedecenom–autrementdit,pasrembourréavecdelapaille.Apollonétaitdonctrèstentédeserendormir…

Jusqu’àcequ’ilcomprennedansquellitilsetrouvait.CeluideMlleStump.Il se redressa en position assise, et une douleur fulgurante lui traversa le crâne. La pièce,

dépourvuede fenêtre, étaitplongéedans l’obscurité,Apollon savait toutefois,grâceà sonhorlogeinterne,qu’ildevaitêtresixouseptheures.

OùdiableétaitMlleStump?Ilposa lespiedspar terre, s’aperçutqu’iln’avaitplus seschaussuresni sesguêtres.L’élégante

MlleStumplesluiaurait-elleôtées?Aprèsquelquesminutesderecherche,illesretrouvafinalementsouslelitets’empressadelesenfiler.

Puisilsedirigeaverslaporte,qu’ilentrouvrit.Ilfut immédiatementaccueilliparDaffodil,apparemmentlaseuledelamaisonnéeàêtresurle

pieddeguerre.Elleluitournaautourenfrétillantetenagitantlaqueue.Apollonlapritdanssesbras,decraintequ’ellenesemetteàjapperetneréveilletoutlemonde.C’est alors qu’il vit Indio, assis sur une pile de couvertures posées à même le plancher. Il

partageait la couche de sa mère, tandis que Maude profitait du petit lit. Mais les deux femmesdormaientencore.

Apollon eut à peine le tempsde jeter un coupd’œil à la somptueuse cheveluredeMlleStumprépanduesursonoreillerqu’Indioselevaitenbâillant.

—Daffodildemandeàsortir.Moiaussi,j’aienviedefairepipi.Apollonjetaunregardalarméàlachienne,toujoursdanssesbras,tandisqu’Indioenfilaitenhâte

unpantalonsoussachemisedenuit.Tousdeuxsortirent.

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Dehors, le soleil se levait déjà. Apollon déposa Daffodil sur le sol et elle s’accroupitimmédiatement.

Indio,lui,s’enallacontournerlethéâtre.Apollonluiemboîtalepas.Legarçonnets’immobilisadevant l’undes rares arbres encorevivants –unvieux chêne auxbranches torturées– et ouvrit sabraguette.

CommeApollons’arrêtaitàcôtédelui,illevalatêteetluisourit.—J’essaiedeviserça,expliqua-t-ilenindiquantunnœudsurletronc,àenvironunmètredusol.Apollons’esclaffaetdéboutonnaàsontoursabraguette.Lesdeuxjetsd’urineatteignirentlenœuddansunpanachedevapeur,l’airmatinalétanttrèsfrais.

Celuid’Apollonduraunpeupluslongtempsqueceluid’Indio.—Mincealors!s’exclamacedernier,quireboutonnaitdéjàsonpantalon.T’esdrôlementfort.Ça

m’aprisdesjourspourarriveràviser.Apollon s’efforça de ne pas laisser ce compliment luimonter à la tête.Uriner avec précision

n’étaitmalheureusementpasuntalentreconnuàsajustevaleurensociété.—Indio!LavoixdeMlleStumprésonnaàtraversleparc.—Lepetit-déjeunerestprêt,ondirait,déclaralepetitgarçon.Ilsrebroussèrentchemin,etdécouvrirentMlleStumpsurleseuilduthéâtre,lesbrascroisés,un

châlejetésursesépaules.EnvoyantCaliban,elleportad’instinctlamainàsachevelure.—Oh,Caliban!J’ignoraisquevousétiezlevé.Bonjour.Apollonhochalatêteenguisedesaluttandisquelajeunefemmerepoussaitsescheveuxderrière

ses oreilles. Les malheureuses créatures enfermées à Bedlam avaient souvent les cheveux défaits,maislesleursétaientsalesetemmêlés,cedontellesnesesouciaientpas,dureste.

LacheveluredeMlleStumpétait,enrevanche,unspectacletoutcequ’ilyavaitdeplusintime–legenrede ceuxqu’on réserved’ordinaire àun amantou àunmari.Sesboucles soyeusesbrillaientsouslespremiersrayonsdusoleiletApollonfutprisd’uneenviefolled’yenfouirlesdoigts.

Sondésirselisait-ilsursestraits,toujoursest-ilquelajeunefemmebattitenretraiteàl’intérieuraprèsluiavoirglisséunregardnerveux.

—As-tufaittatoilette,Indio?s’enquit-elle.—Nooon…admitsonfilsàcontrecœur.Apollon lui tapota l’épaulepourattirer sonattentionet luimontra labarriqued’eauprèsde la

porte.D’ailleurs,luiaussiavaitbesoindefaireunbrindetoilette.Mlle Stump réapparut avec du linge propre. Indio se débarrassa de sa chemise de nuit et,

grelottant,croisalesbrassursontorseétroit.Lesourireauxlèvres,Apollonsoulevalecouvercledelabarrique,trempaunlingededans,qu’il

tenditensuiteaugarçon.Ilmouillaensuiteunautrelingepoursonusagepersonnel.D’ordinaire, ilpréféraitse laveràgrandeeau,autrementdit,seviderdirectementunseausur la tête,mais ilavaitl’intuitionqueMlleStumpn’apprécieraitpasqu’ilabîmelepansementqu’elleavaitpassédutempsàconfectionner.

Il choisit donc de se débarbouiller le visage et le cou de manière plus traditionnelle. Puis ilmouilla de nouveau le linge et entreprit de se laver les bras, les aisselles et le torse.Ce faisant, ilpivotasurlui-même,ets’aperçutalorsqueMlleStumpl’observaitdepuisleseuil.

Leursregardss’aimantèrentetApollonpritsoudainconsciencequ’ilétaitnujusqu’àlatailleetselivraitàuneactivitéprivéedevantelle.SonséjouràBedlaml’avaitdébarrasséde toutepudeur, les

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activitéslesplusintimess’exécutanttoujoursenprésencedetémoins–autresdétenusougardes.Decepointdevue, lesort réservéauxprisonniersde l’asile ressemblaitàceluideschevauxdansuneécurie.Àceciprèsquelaplupartdeschevauxétaientmieuxtraités.

Cela dit,Mlle Stump ne le regardait pas comme s’il était un animal,mais comme une femmeregardeunhommequ’elletrouveséduisant.

Voiremême,excitant.D’ailleurs,sesjouesavaientprisdescouleurs.Apollonsentitsonsexesegorgerdesang.—C’estbon,maman?demandaIndiodesavoixhautperchée.Jesuisassezpropre?—Quoi?fitMlleStumpenbattantdespaupières.Ah!euh…oui,c’est trèsbien,Indio.Rentre

vitesinontuvasattraperfroid.Sa chemise de nuit à la main, le garçonnet se dépêcha de rentrer. Daffodil, qui gambadait à

proximité,lerejoignitaugalop.Apollonsuivitàsontour,pluslentement.MlleStumpinstallasonfilsàtableetditquelquesmots

àMaude,puisdisparutdanslapetitechambreoùApollonavaitdormi.Quand elle en ressortit ses cheveux étaient coiffés – à la grande déception d’Apollon – et elle

avaitàlamainunefinecouverture,qu’elleluitendit.— Caliban, voulez-vous draper ceci sur vos épaules le temps que vous trouviez une autre

chemise?Fronçantlessourcils,elleajouta:—Vousavezuneautrechemise,n’est-cepas?Illuidécochaunsourirenarquoisquilafitrougirethochalatête.—J’espèrequevousaimezlethé,intervintMaude,parcequenousn’avonspasdecafé.Surce,elledéposaunethéièrefumantesurlatable.C’étaitapparemmentlesignalpours’asseoir,cequefitApollon.Dupain,dubeurreetuneassiette

deviande froide garnissaient la table.La chère était pour lemoins frugale,mais il se souvint queMakepeace lui avait dit queMlle Stump se trouvait présentement sans emploi. Il veilla donc à neprendre qu’une seule tranche de pain et très peu de viande. Il savait ce que c’était que de ne pasmangeràsafaim.Ill’avaittrèssouventvécuàBedlammalgréleseffortshéroïquesd’Artemispourlui apporterdequoiaméliorer sonordinaire.La faimétait encorepluspénibleque lescoups.Elleréduisait vos pensées à une seule et unique obsession :manger. Ce qui vous ravalait au rang desanimaux.

Ils’appliquaàmangerlentement,parpetitesbouchées,telungentleman,cequ’ilétait,enversetcontretout.

Lethéétaitinsipide,maischaud,etilenbutdeuxtassestoutenregardantMlleStumpgrignotersatartine.À unmoment, il accrocha son regard et elle semordit la lèvre comme pour réprimer unsourire. Indio bavardait de tout et de rien, évoquant aussi bien lesmoineaux qu’il avait aperçus laveilledanslesarbres,quel’escargotmortqueDaffodilavaitvoulumangerlasemaineprécédente.

Cependant,aussiplaisantquefûtcepetit-déjeuner,Apollonn’oubliaitpasqu’ilavaitdupainsurlaplanche.Etqu’ildevaitd’abordfaireuncrochetparlekiosqueàmusiquepourrécupérersonuniquechemisederechange.

Ilsortitsoncarnet,l’ouvritàunepageviergeetécrivit:Mercipourlerepas,lepansementetlelit,maisjedoisretournertravailler.

MlleStumplutsonmotenrougissant.—Nousavonsétéheureuxdepouvoirvousaider,assura-t-elleenluirendantsoncarnet.

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Indio,quiavaitsuivileuréchange,sevoûtasursachaise.—Ohnon!Calibanestobligédepartir?Jevoulaisluimontrermonbateau.— Caliban est une grande personne, chéri. Il doit vaquer à ses occupations.Mais peut-être…

pourrions-nouspique-niqueravecluiàmidi?hasarda-t-elleaprèss’êtreéclaircilavoix.—Oui!s’exclamaIndio,toutexcité.Ils’agenouillasursonsiègeetsetournaversApollon.—Disoui,s’ilteplaaaaîîît!Apolloninclinalatêteavecunpetitsourire.—Hourra!criaIndio,entredeuxjappementssurexcitésdeDaffodil.—Assieds-toi correctementou tu risquesde renverser ton thé, le tançaMaude,maiselleaussi

souriait.Apollonquittalethéâtreenproieàunbien-êtretelqu’iln’enavaitpasconnudepuisuneéternité–

etce,endépitdesonmaldecrânepersistant.Ilentendaitdescoupsdehachedanslelointain,cequisignifiaitquelesjardinierss’étaientdéjàmisàl’ouvrage.Ilaccéléralepaspourregagnerlekiosqueàmusique.

Ilétaitentraindeboutonnersongilet–iln’enpossédaitmalheureusementqu’unseul,etcelui-ciétaittachéethumideaprèsavoirpassélanuitdehors–lorsqu’ilentenditlavoixirritéedeMakepeaceauloin.

Ilfinitdes’habilleràlahâteetcourutdansladirectiond’oùprovenaientlesinvectives,celles-cidevenantplusaudiblesàmesurequ’ilapprochait.

—Sivousvousimaginezquejevaisrecruterunprétenduarchitectequiestdesurcroîtunparfaitdilettantepourrestaurermonparcsousprétextequevousl’avezrencontrédansunbalenSuède…

—EnSuisse,rectifiaunevoixfamilière.EnSuisse.—EnSuisse,sivousvoulez,corrigeaMakepeacesansreprendresonsouffle,ehbien,vousvous

fourrezledoigtdansvotreœilducal.Ceparcestappeléàdevenirleplusbeaujardind’agrémentdetoutLondres,etmêmedumondeentier.Pourcela,nousavonsbesoind’unarchitecteexpérimenté,etpasd’unécerveléd’aristocratequivoudrafairejoujouavecdesblocsdepierre.

LetempsqueMakepeaceentermineavecsatirade,Apollonl’avaitpresquerejoint.Deboutaumilieudel’alléequiconduisaitaudébarcadèresurlaTamise,ilavaitlespoingssurles

hanches et fusillait du regard le duc deMontgomery, qui n’avaitmanifestement pas conscience dupérilauquelils’exposait.

À vrai dire, alors qu’Apollon s’arrêtait à quelques pas, le duc sortit une tabatière jolimentouvragéedesapocheetdécochaunsourireentenduàAsa.

— Franchement,monsieurMakepeace, je suis étonné que vous trouviez à redire aux originesaristocratiquesdemonarchitecte,alorsquevousêtesvous-mêmetrèsamiaveclevicomteKilbourne.

Apollon se pétrifia. Ils n’avaient jamais évoqué ni son vrai nom ni son rang en présence deMontgomery.Cedernier,dureste,étaitsupposéavoirvécuhorsd’Angleterrependantdesannéesetn’êtrerentréàLondresquel’étéprécédent.Comment,danscesconditions,pouvait-ilconnaîtresonidentité?

Sonregardcroisaceluid’Asa.Ilparaissaittoutaussisurprisquelui.Montgomerysemouchadansuncarrédedentelled’unetailledémesurée.—Àprésent, reprit-il, après avoir rangé tabatière etmouchoir dans sa poche, reprenons cette

conversationpluscalmement,voulez-vous?—Quedésirez-vousaujuste,Montgomery?grommelaMakepeace.Leduchaussalesépaulesavecnonchalance.

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—Jevousl’aidit:fairetravaillerunarchitectedemonchoixpourdessineretreconstruirelesnouveaux bâtiments du parc, à savoir le théâtre, le kiosque à musique et les diverses folies quiégaieront les jardins. Il va de soi que je le paierai surmes propres deniers.De toute façon, vousn’avezpasvraimentlechoix.

Àcesmots,Makepeaceémitungrondementquis’apparentaitàceluid’unfauve.—Jeprendscelapourunacquiescement,ironisaMontgomery,avantdetournerlestalonsetde

s’éloignerd’unpastranquille.Apollonsedemandas’ilavaittoutesatêtepourprovoquerainsiMakepeace.—Nousnepouvonsplusluifaireconfiance,Apollon,murmuracelui-ci.C’étaitdéjàlecasavant,

maisçal’estencoreplusmaintenantqu’ilconnaîttonnom.Apollonnepouvaitqu’êtred’accord.

— Ce n’est qu’un jardinier, marmonna Maude, un peu plus tard ce jour-là, tandis que Lilyemballaitlepique-nique.C’estdumoinscequ’ilvousadit,n’est-cepas?

—Crois-tuqu’ilpréféreralepouletrôtioulesœufsdurs?Lily avait passé lamatinée entière à travailler sur sa pièce afin de pouvoir s’offrir un peu de

tempslibredansl’après-midi,aussidisposait-elledetrèspeudetempspourpréparerlepique-nique.—Etcen’estpasqu’unsimplejardinier,précisa-t-elle.Jecroist’avoirdéjàexpliquéquec’était

luiquidessinaitlesplansdunouveauparc.—Mapetite,unhommedesastature,quitravailledurtoutelajournée,mangeratoutcequevous

placerezdanssonassiette.Maiss’ilestaussiimportantquevousleprétendez,pourquoivit-ildanslesruinesdukiosqueàmusiqueetporte-t-ildesvêtementssicommuns?

—Jel’ignore,Maude,avouaLily.Elle déposa lesœufs durs et le poulet dans le panier en osier.Celui-ci servait d’ordinaire aux

travaux d’aiguille deMaude, qui n’avait pas beaucoup apprécié queLily en vide le contenu sur latableafind’yplacerlesvivresdupique-nique.

—Peut-êtretraverse-t-ilunemauvaisepasse,reprit-elle.Ouqu’ilaimetoutsimplements’installerdanslesjardinssurlesquelsiltravaille.Oualors…

Mais elle était à court d’idées. À la vérité, elle ne parvenait pas à s’expliquer les étrangeshabitudesdeCaliban.

—Etcommentexpliquez-vousqu’ilrefusedevousdonnersonvrainom,etqu’ilaitvouluvousfairecroirequ’ilétaitsimpled’esprit?insistaMaude.

Lilynevoyaitpasquoirépondreàcela,aussibaissa-t-ellelatêtepourenvelopperlamoitiéd’unemichedepaindansuntorchon,avantdelaglisserdanslepanier.

— Tous les hommes, depuis les valets jusqu’aux aristocrates cousus d’or, sont à vos pieds,continuaMaude.Jevoisbiencommentilsvousregardentquandvousêtessurlascène,etmêmeendehors.Pourquoinelaissez-vouspasl’und’entreeuxvouscourtiser?

—Jenecourspasaprèslesaristocrates,coususd’oroupas,répliquaLilyd’untonléger.—Etjevousenfélicite,concédaMaude.Maisiln’yapasqu’euxsurterre.Pourquoivouloirà

toutprixpique-niqueravecunebrutedontvousnesavezpratiquementrien?Pourquoi,eneffet?Lilys’interrompitdeuxsecondes,letempsdetrouveruneexplication.—Ilal’allured’unebrute,maisilestdoux,répondit-elle.—Pasplustardqu’hier,ils’estbattucontreuninconnu!

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—Jesais!répliquaLily,et,croisantleregarddeMaude,elleajouta:J’ignorepourquoiils’estbattuaveccethomme,maisjesaisqu’ilconsidéraitquec’étaitdesondevoirdelefaire.

— Ma petite… commença Maude, dont le visage semblait avoir pris quelques ridessupplémentaires.

Lilyluipritlesmainsetlesluiétreignit.— Ilme regarde avec intérêt,mais pas du tout comme ces hommes que tu évoquais il y a un

instant. Avec eux, j’ai toujours l’impression d’être un objet qu’ils convoitent uniquement poursusciterlajalousiedeleursrivaux.AlorsquelorsqueCalibanmeregarde,j’ailesentimentquejeluiplaisvraiment.Qu’ilappréciemacompagnie.Etqu’ilaimeraitpouvoirmeparler.Moiaussi,j’aimeluiparler,Maude.Jesuisincapabledet’expliquercequejeressensexactement.Toutcequejesais,c’estque j’aienvied’êtreavec lui.Parcequequand jesuisavec lui, lesminutes, lesheuresmême,passentsivitequejenem’enaperçoispas.

—Jenevoudraispasvousfairesouffrir,mapetite,réponditMauded’unevoixradoucie.Maisjenepeuxpasm’ôterlevisagedeKittydelatête.Ellecontinuedehantermescauchemarsetjevoisçacommeunemiseengarde.Rappelez-vouscommentelles’étaitlaisséensorcelerparcethomme.

—C’étaitdifférent,assuraLily.Iln’étaitpasaussigentilqueKittylecroyait,etnouslesavionstous,depuisledébut.Nousluiavionsduresteconseillédenepaslefréquenter.

—Comme je vous conseille, aujourd’hui, de ne pas fréquenter ce Caliban. Réfléchissez : quesavez-vousdelui?Quevousa-t-ilditdesafamille,desonexistenceendehorsdeceparc?

—Rien,admitLily.Le reconnaître ne lui plaisait pas,mais c’était, hélas, la vérité. Caliban refusait de révéler son

identité.—Mais,Maude,iln’estpasviolent.Entoutcas,pasavecnous.Tuasvucommeilestdouxavec

Indio?—Sicen’étaitqu’unefaçade?objectaMaude.Ilétaitgentil,audébut,luiaussi.Jenesupporterais

pasdevousperdre,mapetite.Lilyfutbouleverséeparl’émotionquiselisaitdanslesyeuxdeMaude.Elleserraimpulsivement

lavieillefemmedanssesbras,etluichuchotaàl’oreille:—Tunemeperdrasjamais,Maude.Mêmesituessayais.—Oh,j’enaiassezdevous!fitcettedernièred’unevoixbourrueenselibérantdesonétreinte.

Maispromettez-moid’êtreprudente.—Jetelepromets,déclaraLilyavecsolennité.Là-dessus,ellepritlepanieretsortitavantqueMaudenetrouved’autresargumentsàluiopposer.Elle retrouva Indio dans la cour. Il était occupé à donner des coups de pieddans des branches

d’arbustescarboniséesquisebrisaientcommedesallumettestandisqueDaffodilreniflaitunpieddeviolettes.

—Tuasprislesœufsdurs?demanda-t-ilàsamère,sonprécieuxbateaudanslesbras.—Oui,réponditLilyens’engageantdansuneallée.—EtlestartelettesàlaconfituredeMaude?—Biensûr.—Youpi!Elle lui sourit, puis salua d’un signe de tête un groupe de jardiniers. Deux des trois hommes

s’arrêtèrent pour soulever poliment leur chapeau. En dehors de Caliban, elle voyait rarement lesjardiniers, leur travail s’effectuant pour l’essentiel à l’écart du théâtre. Elle se doutait bien qu’ilsfiniraientpars’enrapprocher,mêmesiellen’étaitpaspressée.Mettrelenezdehorsettomberchaque

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fois surunvisage inconnune serait guère agréable.Peut-êtredevrait-elledemander àM.Hartedefaireinstallerunverrouàleurporte.

Ils avaient parcouru quelques mètres lorsqu’elle se rendit soudain compte qu’elle ignorait oùtravaillaitCalibanaujourd’hui.

—Sais-tuoùsetrouveCaliban?demanda-t-elleàsonfils.—Prèsdel’étang.Ilcreuseuntrou.—Untrou?Pourquoifaire?—J’ensaisrien,réponditIndio,quelaquestionnesemblaitpaspréoccuper.Maisc’estunsacré

grostrou,entoutcas.Son tonétaitadmiratif.Pourungarçondecetâge,creuserun trouétaitensoiune justification

suffisantedutravailquecelaexigeait.Ilsatteignirentl’étangetlongèrentlabergejusqu’àcequ’ilstrouventCaliban.Le trou était en effet de belle taille : Caliban y disparaissait déjà jusqu’aux épaules. Daffodil

s’approcha du bord et aboya jusqu’à ce qu’il se décide à s’en extraire. Il portait toujours unpansementsurlecrâne,maiscedernierétaitmoinsimposantqueceluiconfectionnélaveilleparLilyetMaude.

IlsouritàIndio,quiluimontrafièrementsonbateau,puissetournaversLily.Mêmelevisage,lescheveuxet lachemisemaculésde terre, il restaitétonnammentattirant.Lilysentit soncœurbondirdanssapoitrine.

Elleseressaisitetdéclara:—Ilvafalloirfaireunbrindetoiletteavantdemanger.Il baissa les yeux sur sa tenue, et hocha la tête.Puis, sans avertissement, il se débarrassade sa

chemise et alla s’agenouiller au bord de l’étang où il commença à s’asperger d’eau la tête et lesépaules.Cethommeignoraitlesensdumot«pudeur»,apparemment.

Lily s’activa pour ne pas regarder dans sa direction. Elle étendit une couverture sur un carréd’herbeetentrepritdedéballerlecontenudesonpanier.Daffodil,quiavaithumélabonneodeurdenourriture,s’empressadelarejoindreettentadedéroberunetartelette.

—Non,Daffodil!criaIndio,quin’étaitpasprêtàluiabandonnersondessert.Prendsplutôtça.Etilluitenditlecroupiondepouletqu’ilsavaientgardéàsonintention.Daffodils’enfuitavecsontrophée.Lilyespéraqu’ellenel’enterreraitpas,commeellel’avaitfait

précédemment avec d’autres prises dumême genre, car lorsque venait l’heure de les déterrer, cen’étaitguèreragoûtant.

Calibanvints’asseoir.Ilavaitenfilésachemise,maisnel’avaitpasboutonnée.Le pouls de Lily s’emballa et elle détourna les yeux. Il avait rabattu ses cheveuxmouillés en

arrière,ets’iln’étaitpasbeauàproprementparler,iln’enétaitpasmoinsséduisant.—Voulez-vousunecuissedepoulet?s’enquit-elle.Ilyaaussidesœufsdurs.Ilhochalatête,undemi-sourireamuséjouantsurseslèvres.—Moi,jeveuxbienunœufdur,intervintIndio.—Lesinvitésd’abord,luirappelasamère.Elle prit une assiette, qu’elle garnit généreusement avant de la tendre à Caliban. Celui-ci

s’allongeasurleflanc,enappuisurlecoude,telunaristocrateromainetsemitàmanger.Lilyl’observaitducoindel’œiltoutenservantsonfils.Ellepritensuiteunœufetunetranchede

painpourelle-mêmeet s’installaplusconfortablement, les jambes repliées sous sa robe, levisageoffertauxrayonsdusoleildontlachaleurétaitlabienvenueaprèsletempsmaussadedecesderniersjours.

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Daffodilrevint,lecroupiondupoulettoujoursfièrementcoincédanslagueule.Calibansourit.—J’airemarquéqu’hiervousaviezri,ditLilyaprèss’êtreéclaircilavoix.Iltournaverselleunregardinterrogateur.—C’est justeque…commença-t-elle, avant de s’apercevoir qu’elle agitait lemorceaudepain

qu’elleavaitàlamain.Ellelereposasursonassiette,avantdecontinuer:—Vousavezridefaçontrèsaudible,etjemedemandais,puisquevouspouvezrire…Illaregardaittoujours,maissonexpressionétaitindéchiffrable.Lilyinspiraungrandcouppoursedonnerducourage,puissejetaàl’eau:—Quandavez-vousessayédeparlerpourladernièrefois?Iltenditlebraspourattrapersabesace,qu’ilouvritafind’ensortirsoncarnet.Ilyaplusieursmois,écrivit-il.Lilylutsaréponseets’humectaleslèvres.—Quandavez-vousperdul’usagedelaparole?Ilyaenvironneufmois.—C’esttrèsrécent!s’exclama-t-elle.Votreinfirmitén’estpeut-êtrequetemporaire.—Dequoivousparlez?voulutsavoirIndio.C’estquoi,une«firmité»?—C’estungenredemaladie,expliquaLily.VoyantquelevisagedeCalibans’étaitfermé,elledécidad’abandonnerlesujet.Provisoirement,

carelleétaitbiendécidéeàyrevenir.—Pourquoicreusez-vouscetrou?demanda-t-elle.Calibans’assitetIndioserapprochadeluipourlirecequ’ilinscrivaitsursoncarnet.J’ail’intentiondeplanterunchêneàcetendroit.—C’estungrandtrou,commentaLily.Ilesquissaunsourireetelledevina,avantmêmedeliresaréponse,qu’ilavaitdelarepartie.Ellenes’étaitpastrompée.Ceseraungrandchêne.—Maiscommentpouvez-vousplanterunsigrandarbre?Nerisque-t-ilpasdemourirenétant

déplantédel’endroitoùilsetrouve?Saquestionentraînaune longueréponse,etelleenprofitapourmangersonœufdur.Elleétait

émerveilléedevoiràquelpointCalibans’impliquaitdanssontravail.Indio,enrevanche,s’étaitdéjàdésintéressédusujet.Illorgnaitlestartelettes.

Finalement,Calibanluitenditsoncarnet.Ilavaitnoirciunepageentière.C’esttrèsdélicatdereplanterunarbreadulte,carlesracinesoccupentpresqueautantd’espace

quelesbranches.Et,biensûr,iln’existeaucunemachinequipermettedecreuseruntrousuffisammentgrand,nidetransporterunarbreaussivolumineux.

Lilyfitunepausedanssalectureetlevalesyeux.—Maisalors,sivousnepouvezpasrécupérertouteslesracines,comment…Iltapotalebasdelapageduboutdesdoigts.—Ah,fitLily,etellepoursuivitsalecture.Mais, de lamêmemanière qu’on peut tailler – et parfois, très sévèrement – les branches d’un

arbresansnuireàcelui-ci,onpeutégalementréduiresesracines.Dèslors,ildevientpossibledeletransporteravecunegrossemottedeterreaupiedmaisqui,comparéeàlatailledel’arbre,estsommetouteassezpetite.

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Tournantlatêteverslui,Lilydécouvritquesonvisageétaittrèsprochedusien.Elleclignadesyeux,oubliantuninstantlaquestionqu’ellevoulaitluiposer.Puislamémoireluirevint.

—Est-cequel’ensembleterre/racinenepèseraquandmêmepastrèslourd?Il sourit, l’air ravi par sa question. Lily ne put s’empêcher de lui retourner son sourire.

L’entourantdubras, il écrivitdans lecarnetposédanssongiron :Si,eneffet, je supposequecelapèseratrèslourd.

Ellesentaitsonsoufflecontresonoreille.—Voussupposez?Enfait,jen’aiencorejamaistransplantéd’arbreadulte.Maisjevaistenterl’expériencepourla

premièrefoiscetaprès-midi.Aimeriez-vousyassister?Si,quinze joursplus tôt, quelqu’un lui avaitproposéd’assister à la transplantationd’unchêne,

elleauraitregardécequelqu’unaveccommisération.Maisaujourd’hui,elleétaittrèsexcitéeparcetteperspective.

Peut-êtreavait-elletropvuCalibantorsenu.Cespectacleavaitfiniparluialtérerlaraison.Quoiqu’ilensoit,elleplongeasonregarddanslesienetréponditenluisouriantdenouveau:—Avecgrandplaisir.Son sourire à lui fut radieux, et destiné à elle seule, ne put-elle s’empêcher de penser. Puis il

s’évanouitlégèrementcommesonregards’attardaitsursabouche.Elleentrouvritspontanémentleslèvres,oscillaverslui.

—Maman, s’écria Indio, les lèvres barbouillées de confiture, je peux montrer mon bateau àCaliban,maintenant?

Les joues en feu, Lily s’écarta brusquement de Caliban, ce qui lui valut un regard amusé desapart.

—Oui,biensûr,répondit-elleàsonfilsenréprimantuneenvie irrésistibledetirer la langueàCaliban.

Aprèstout,c’étaitluiquiavaitcommencé–commencéquoi?ellen’auraitsuledire.Confiant,IndiotenditsonbateauàCaliban,quis’enemparad’ungesteprécautionneux,devinant

visiblementcombienlegarçonnettenaitàcejouet.Daffodil,toujourscurieuse,pointalenez.Lorsquel’hommeetl’enfantselevèrentfinalementd’unmêmemouvement,commed’unaccord

tacite,Lilyremarquaquesonfilsn’arrivaitqu’àlaceinturedeCaliban.LadouceurdontcedernierfaisaitpreuveenversIndioluiparutd’autantplusémouvante.Tousdeuxmarchèrentjusqu’àlabergedel’étangetIndiomitsonbateauàl’eautandisqueCalibanempêchaitDaffodildelesuivre.

CethommeneressemblaitpasdutoutaumarideKitty.Enaucunemanière.

Unpeuplustarddansl’après-midi,Apollonaccueillitlevéhiculequitransportaitlechênedestinéàêtrereplantéauborddel’étang.C’étaitunecharretteaméliorée,tiréepardeuxpuissantschevauxdetrait.L’extrémitélapluslargedelacharrettereposaitsurdeuxrouesetsupportaitlamotte.Lapartieduvéhiculequiportaitletroncressemblaitàunelonguelanguedeboisquinereposaitquesuruneseuleroue.Leschevauxétaientharnachésducôtédesracines,làoùsetrouvaitl’essentieldupoids.

L’attelage au complet était arrivé sur une barge descendant la Tamise. L’arbre et la charretteavaient été commandés spécialement à un architecte paysagiste avec lequel Apollon correspondaitsouslepseudonymedeM.Smith.Ils’étaitmontrétrèsprécisdanssacommande,n’hésitantpasàyjoindredenombreuxcroquis.Àsongrandsoulagement,lerésultatcorrespondaitparfaitementàsesattentes.

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Ilnerestaitplusqu’àplanterl’arbredansletroucreuséàceteffet.Lily,IndioetDaffodilattendaientprèsdutrouenquestion.Lesjardinierss’étaientmanifestement

habituésàlesvoirdansleparc,caraucunnes’étaitopposéaufaitqu’ilsassistentàlamanœuvre.Apollon aurait aimé diriger lui-même l’opération. Herring, le chef d’équipe, était un bon

travailleur,commetouslesouvriersoriginairesduYorkshire,etilsavaitdéchiffrersesordres,maisc’étaitunbesogneux,quimanquaitd’espritd’initiative.Ilperdaitvitepieddèsquequelquechosenesepassaitpascommeprévu.Et,enl’occurrence,latâcheétantinédite,beaucoupdechosesrisquaientdenepassepassercommeprévu.

Deuxdes jardiniers–des frères irlandais auxcheveuxnoirs– s’assuraientde l’équilibrede lacharrette pendant qu’un troisième – un Londonien trapu, arrivé sur le chantier le matin même –guidait les chevaux. Herring criait des ordres tandis qu’Apollon, rétrogradé au rang de quasi-figurant,setenaitàcôtédesautresjardiniers,unebêcheàlamain.

—Ons’arrêtelà!criaHerringquandl’attelageatteignitletrou,avantd’examinerlesnotesqueluiavaittransmisesApollonquelquesjoursplustôt.Jelisiciquelepatrondemandequelorsquelacharretteseraleplusprèspossibledutrouilfaudradételerleschevaux.

Ilhochalatêteetmarmonna:—C’estmafoilogique.LeschevauxfurentdoncdételésetApollonaida lesdeuxIrlandaisàpousser lacharrettesur la

courtedistancequi laséparaitduborddutrou.S’ilavaitmesurécorrectementlediamètreetsisoncorrespondantavaitsuivisesindicationsàlalettre,l’écartementdesrouesdelacharrettedevaitêtresuffisantpourchevaucherlafosse.

Lacharrettesepositionna,etApollonéprouvalafiertédutravailbienfait.— Au poil ! s’exclama Herring, avant de se souvenir de la présence de Lily : Pardonnez

l’expression,madame.Elleeutungestedésinvolte.—Nevousinquiétezpas,monsieurHerring.Elle échangea un regard amusé avec Apollon, qui se remit ensuite au travail. La motte

surplombaitàprésentletrou,tandisqueletroncduchênereposaitsurlacharrette,parallèlementausol.Daffodilvintreniflerleborddutrou,maisApollonlapoussagentimentdecôté.Ilnevoulaitpasprendre le risquequ’elle tombedans la fossequand ilsy logeraient lamotte.Car ilne restaitplusqu’à redresser lechênepour l’y laisserglisser, leplusdoucementpossible.Pource faire, il fallaitd’abordattacherdescordesautronc.

—Recule,ordonnaHerringàApollon.Laisseceuxquiontplusdejugeotesechargerdescordes.Sic’estmalfaitetqu’elleslâchent,onseradansdebeauxdraps.

Apollon obéit, s’obligeant à la patience.Quand le travail fut achevé, il saisit l’une des cordestandisquel’undesIrlandaisetleLondonienprenaientl’autre.

—Maintenant,tousensemble!criaHerring.Maisn’allezpastropvite!Ausignald’Herring,Apollonetlesjardinierscommencèrentàtirerlentementsurlescordesafin

de hisser l’arbre à la verticale. À présent que la manœuvre avait commencé, Apollon se fit laréflexionqu’ilauraitpuprévoirquelquescordessupplémentaires.Ilentiendraitcomptelaprochainefois,décida-t-il.

Ducoindel’œil,ilvitqueDaffodilétaitrevenueflairerletrou,maiscettefois,iln’étaitpasenmesure de la déloger. Sesmuscles le brûlaient et il entendait les grognements de ses coéquipiers.Cependant, l’arbre se redressait peu à peu, grand et majestueux. Il rendrait très bien au bord de

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l’étang,etd’iciàquelquesannées,quandsesbranchesseseraienttotalementdéployées,lespectacleseraitmagnifique.

Toutàcoup,ilsentitqu’unecordeserelâchait.Aumêmeinstant,l’undesjardinierspoussauncrirauque.Lacordesurlaquelleiltiraitluiavaitéchappé.Apollonlevalesyeux.Legrandchêneoscillauncourtinstant,avantdecommenceràchuter.

C’estalorsqu’Indiosurgitentrelacharretteetlui,pourportersecoursàDaffodil,quivenaitdeglisserdansletrou.

Le crimonta dans la gorge d’Apollon commede lui-même, tel un fauve emprisonné dans sestripesdepuisdesmoisetquinesupportaitplusdedemeurerencage.

—INDIO!

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Arrival’annéeoùlajeunefillechoisiepourlesacrifices’appelaitAriane.Elleétaitl’uniqueenfantd’unepauvrefemmeméritanteetlamalheureusepleuraabondammentlorsqu’elleappritlesortquiattendaitsafille.Puiselleséchaseslarmesetluidit:«QuandtuserasprésentéeàlaCour,salueleroi,maisn’oubliesurtoutpasdesaluerégalementlareine,bienqu’ellesoitfolle.Etdemande-luisiellesouhaitequetuapportesquelquechoseàsonfils.»…

Lilyentenditcrierlenomd’Indio,puistoutfutnoyédanslevacarmeduchênequis’abattait.Àl’endroitmêmeoùsetenaitCaliban.Àl’endroitmêmeoùavaitdisparuIndio.Leshommeshurlaient.Leschevaux,effrayés,s’enfuirentaugalop.L’emplacementdutroucreusé

censé accueillir l’arbre était maintenant un fouillis infâme sur lequel flottait un épais nuage depoussière.

Lilyseprécipitaenavant,repoussantlesjardiniersquitentaientdelaretenir.Indioétaitlà,maisiln’avaitpeut-êtrequ’unbrascassé.Lajeunefemmemarmonnaitcommesielledébattaitpoursavoirquel dieu saurait le mieux l’écouter. L’arbre était immense, ses branches, érigées en désordre,certainescassées,rendaientl’accèsdifficile.

—Lâchez-moi!cria-t-elle,alorsqued’autresmainsserefermaientsursesbras.Elleétaitpersuadéedepouvoirapercevoiraumoinsunsignedeleurprésence–lavesterouge

d’Indio,oulachemiseblanchedeCaliban.Ettoutàcoup,aumilieudutumulte,elleentenditunglapissement.—Silence!ordonna-t-elle.Àsongrandétonnement,lesjardiniersseturentpourtendrel’oreille.Dans le silence qui s’était brutalement abattu, les glapissements de Daffodil étaient à présent

parfaitementaudibles.Etilsprovenaientdel’intérieurdutrou.L’enchevêtrementdebranchesétaittelqu’ilnesemblaitpaslaisserassezdeplacepourlogerun

petitchien,etencoremoinsunenfantetunadulte.MaisalorsqueLilyregardait,lesyeuxécarquillés,unegrandemainagrippalereborddutrou.PuislatêteetlesépaulesdeCalibanémergèrent.IlserraitIndiocontresapoitrine.OnauraitditHéphaïstossurgissantdesaforgesouterraine.

Lilyn’avaitjamaisrienvud’aussifascinant.IlfitpasseruneDaffodilcouvertedepoussièrepar-dessuslereborddutrou.Lachiennes’ébroua

vigoureusement, avant de courir versLily en frétillant de la queue,mais la jeune femme l’ignorapourconcentrersonattentionsursonfils.Calibanl’avaitassisauborddutrouavantdesehisserlui-mêmeàlasurface.

—Maman!criaIndio.Etilfonditenlarmes.

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Lily s’agenouillaprèsde lui et le serradans sesbras tremblants.Ses cheveuxétaientpleinsdeterre, son nez saignait et il avait une écorchure au menton, mais en dehors de cela, il paraissaitindemne.

Sanslelâcher,ellesetournaversCaliban.—Merci,souffla-t-elle.J’ignorecommentvousavezréussiceprodige,maismercid’avoirsauvé

monfils.—Ilm’aattrapé,maman!Calibanm’aattrapéet ila sautédans le trou justeavantque l’arbre

tombe.Lily frissonna. Il s’enétait falludepeu.Si l’unedes rouesde lacharretteavaitglissé, lamotte

entièreseseraitécraséesureux.Elles’obligeaàsourirepourIndio.—Oui,jevois.Maisilnedevaitpasyavoirbeaucoupdeplace,là-dessous?—Non,iln’yenavaitpas,confirmaIndio.Enplus,CalibanétaitallongésurmoietsurDaffodil.Sepenchantverssamère,illuichuchotaàl’oreille:—Ilesttrèslourd,tusais.Daffodilcriaitetj’aicruqu’ill’avaitàmoitiéécrasée.Lily se mit à rire en dépit des sanglots qui lui obstruaient la gorge. Des sanglots d’émotion.

Contrairementàsonfils,ellecomprenaitqueCalibans’étaitcouchésurluipourleprotéger.Ellejetaunregardàcelui-ciavantderépondre:

—Tuasététrèscourageux,monchéri.EtDaffodilaussi.—Mais le mieux, maman, reprit Indio, en tirant sur sa manche pour attirer son attention, le

mieux,c’estqueCalibanaparlé!Tuasentendu?Ilacriémonnom!—Quoi?Lily dévisagea son fils avec incrédulité, avant de lever les yeux vers Caliban. Elle nota

distraitementqu’ilavaituneécorchureà la joue.Cecriqu’elleavaitentendu justeavant l’accident,était-cevraimentluiquil’avaitlancé?

Calibansedétourna,levisagetrèspâle.Lilyauraitvoulul’entraîneràl’écartpourluidemanders’ilpouvaitvraimentparler.

—Je suisheureuxquevotre fils soit sainet sauf,madame,déclaraHerringgentiment,mais ilsemblaitsurtoutpréoccupéparl’étatduchêne.

—Merci,réponditLily.Jevaisleramenerauthéâtrepourlelaveretpanserseségratignures.Jedoisaussim’occuperde…euh…

Nomd’unepipe!Commentlesjardiniersappelaient-ilsCaliban?Fautedeconnaîtrelaréponse,elleledésignad’ungestevague.

— Ah, mais c’est embêtant ! objecta Herring. Je vais avoir besoin de Smith. Surtout que lenouveaugarsvenudeLondresafilé.Iladûprendrepeur.

Smith?Lilyredressal’échine.—Jecrainsdedevoirinsister,monsieurHerring.M.Smithestblessé.—Bon,trèsbien,capitulalejardinierenchef.Detoutefaçon,onnepourrapasfairegrand-chose

depluspouraujourd’hui.Jemedemandecequejevaisraconteraupatron.— J’ai dans l’idée que cela ne posera pas de problème, marmonna Lily, ignorant le regard

d’avertissementdeCaliban.Tesens-tuenétatderentreràpiedauthéâtre,monchéri?ajouta-t-elleàl’adressedesonfils.

Sa question piqua au vif l’orgueil masculin de ce dernier – mais il était assez facile de leprovoquer.

—Biensûr,maman!répliqua-t-ild’untondédaigneuxquecontredisaitsapostureunpeuvoûtée.

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Maintenantquel’excitationétaitretombée,ilétaitévidentquecetaccidentavaitsapésonénergie.Ilbâillaàs’endécrocherlamâchoiretoutenreprenantlecheminduthéâtred’unedémarchetitubante.Calibanluilaissafairequelquespasavantdelesouleverd’autoritépourledéposersursesépaules.

Lily,quimarchaitderrièreeux,nequittaitpasCalibandesyeux.Ilparlait–oudumoins,ilavaitparlé.Un seulmot, certes,mais il n’yavaitpasde raisonsdepenserqu’il n’étaitpas capabled’enprononcerd’autres.

Maudeétaitalléefairedescourses,aussilethéâtreétait-ildésertàleurarrivée.Lilyattenditqu’ilssoientàl’intérieuravantdedemanderàCaliban:—Pouvez-vousparler?Il ouvrit la bouche, et pendant quelques terribles secondes, rien ne se passa. Puis des mots

sortirentdesabouche,unpeucommedescoassements.—Je…jecrois,oui…Ildéglutitetgrimaça,commesicesmotsétaientphysiquementdouloureux.—Oh!murmuraLilyenpressantlesdoigtssursabouche.Dieujesuiscontente!—Jetel’avaisdit!fanfaronnaIndio,toujoursjuchésurlesépaulesdeCaliban.—C’estvrai,reconnutLily,quis’essuyalesyeuxd’unreversdelamain.Ces temps-ci, elle avait tendance à jouer les fontaines. Elle inspira un grand coup pour se

reprendre.—Jecroisquetuauraisbesoindefaireunepetitesieste,monfils.Pour une fois, il ne protesta pas, preuve s’il en fallait qu’il était épuisé. Renonçant à lui faire

prendreunbain,Lilyinsistajustepourqu’ilsedébarbouillelevisageavantdesemettreaulit,oùils’endormitaussitôt.

Quandellesortitdelachambre,elletrouvaCalibanoccupéàliresesœuvres.Ilreposalafeuillequ’ilavaitàlamainetseraclalagorge—C’est…bon,dit-il.C’est…très…bon.Savoixétaitde touteévidencenaturellementprofonde,mais ilyavaitune rugositéqui laissait

devinerquesescordesvocalesavaientétéabîmées.—Merci.Lilyavaitsouventeudroitàdescomplimentssursespièces,maisilsluiétaienttoujourstransmis

parEdwin,quilesrecueillaitàsaplace.Jamaisonneluiavaitditenpersonnequ’onaimaitcequ’elleécrivait.

—Cen’estpasterminé,biensûr.Etj’aiencorebeaucoupàfairesijeveuxfiniràtemps–ilmereste à peine une semaine –, mais je crois que ce sera l’une de mes meilleures pièces. Enfin, àcondition que j’arrive à faire quelque chose de Pimberly. Pour l’instant, il est plutôtmoralisateur,mais…

Elles’interrompit,soupira:—Vousn’avezpasenvied’entendre…—Si,coupa-t-il.—Ah,murmura-t-elleenbaissanttimidementlesyeux,ellequin’étaitjamaistimide!C’estgentil

à vous. Mais… ne préférez-vous pas vous laver d’abord le visage ? Je regarderai ensuite voségratignures.

Ilhochalatête,sansdoutepourépargnersagorge,etellesentitsonregardpesersurelletandisqu’elleremplissaitunecuvetted’eau,puisprenaitdeslingespropres.Ellelerejoignitàlatable,oùils’étaitassis,etposasacuvetteàcôtédelui.

—Jepeux?demanda-t-elled’unevoixbizarrementrauque.

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Ilacquiesçadenouveauetlevalevisagepourqu’ellel’examine.Elle commença par jeter un coup d’œil sous le pansement sur son crâne. La plaie cicatrisait

correctementetnesemblaitpasavoirsouffert.Elleplongeaensuiteunlingedanslacuvette,l’essora,puis entreprit d’en tamponner le visagedeCaliban.Deprès, elle découvrait qu’il était vilainementégratignéàdenombreuxendroits.

Elleremouillalelinge.—Commentvavotredos?—Ça…va.Elleluinettoyalajouedroite,oùuneentaillesaignait.—Jeregarderaiquandj’enauraifiniavecvotrevisage.—Cen’estpas…nécessaire.Elle legratifiad’unsouriredoux,mais ferme.Sondosavaitdûdavantagesouffrirquesa face

lorsqu’ilavaitprotégédesoncorpsIndioetDaffodil.—J’ytiens.Il n’insista pas, elle continua donc de lui nettoyer avec précaution le nez, les sourcils et les

pommettes.Sonvisagen’étaitpasbeau,niavenant,maisLilyluitrouvaitunebonnetête.Entoutcas,trèsmasculine.

Etquilaséduisait.Cetteidéelatroublatellementqu’elles’interrompituninstant.Elleneconnaissaitpascethomme.

Ellesavaitjustequ’iln’avaitpashésitéàsejeterdansuntroupoursauverunenfant,qu’ilsemontraitaffectueux avec une chienne stupide et qu’il supportait sans ciller les récriminations deMaude, etqu’unseulregarddeluilafaisaitfondre…

Ellereplongealelingedanslacuvetteet,toutenl’essorant,demandaàbrûle-pourpoint:—Commentavez-vousperduvotrevoix?Ellereportasonattentionsurlui,etvitqu’ilavaitfermélesyeux.—S’ilvousplaît,murmura-t-elle.Elleavaitbesoinqu’illuidisequelquechosesurlui,sipeuquecesoit.Peut-êtrecomprit-illaraisondesarequête.Oupeut-êtreétait-iltropfatiguépours’opposeràelle.—C’était…pendantunebagarre,coassa-t-il.Il…unhommes’esttenudeboutsur…moncou.Ilportalamainàsagorge.Lilyétaitstupéfaite.Commentunhommed’unetellestature,dontellesavaitqu’ilétaitcourageux

etrapide,avait-ilpuavoirledessousdansunebagarre?Àmoins…—Combienétaient-ils?Ilrouvritlespaupières,uneétincellenarquoises’allumadanssonregard.—Trois.Quandmême…—Étiez-vousivre?Ouendormi?Ildétournalesyeuxcommes’ilavaithonte.Qu’avait-ilpusepasserpourqu’il réagisseainsi?

s’interrogea-t-elle.Ils’éclaircitlavoix,puis:—Je…j’étais…enchaîné.Enchaîné.Lilycilla.Àsaconnaissance,onn’enchaînaitquelesprisonniers.Elle ne s’alarma pas pour autant. Après tout, un homme pouvait se retrouver en prison pour

quantité demotifs – des dettes, notamment.Quelques années plus tôt,Edwin avait été incarcéré unmoisàlaprisondeFleet.

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Ellesepenchapourluinettoyerlementon.—Etvousavezperdulaparolecejour-là?—Non.Je…nepouvaispas…Ilinhalabrièvement.—J’étaissonné…Ils…touslestrois…Il déglutit, grimaça et Lily devina que l’histoire était sans doute plus complexe qu’elle ne

l’imaginait.Dèslorsqu’ilestenchaîné,unhomme,quellequesoitsacarrure,étaitréduitàl’impuissance.Les

faiblesenprofitaientsouvent,s’enivrantd’unepuissancefactice.Etcetteivressepouvaitlesconduireauxpirescruautés.

Était-cecequiétaitarrivéàCaliban?Cette idéeemplissaitLilyde rage.Personnen’avait ledroitd’essayerdeprouver savirilité en

attentantàcelledeCaliban.Elleseressaisit,sachantqu’iln’avaitcertespasenviedesapitié.—Jevois,dit-elled’unevoixlaplusneutrepossible.Ilsecoualatête,esquissaunsourire.—C’était…ilyaplusieurs…mois.Sabravoure,safiertétranquille,eurentraisondeLily.Ellelâchalelingequ’elleavaitàlamainet

s’inclinapourl’embrasser.LaréactiondeCalibanfutimmédiate.Illuienveloppalatailledesesbraspuissantsetl’attirasur

sesgenoux.Puis,refermantlamainsurl’arrièredesoncrâne,illuiinclinalatête,ets’emparadeseslèvres.

Et,oh,cethommesavaitembrasser!SalangueenvahitlabouchedeLilyavecunedouceautorité,semêlaàlasienne,caressante.Illui

mordillalalèvreinférieure,etritdoucementlorsqu’ellegémitdeplaisirens’arquantcontrelui.Endépitdesesjupes,quifaisaientbarrageentreleursdeuxcorps,Lilysentitsonsexedurciparle

désir.Iln’étaitdurestepasleseulàréagirphysiquementàleurétreinte.Sesseins,gonflés,semblaientsoudainàl’étroitdanssoncorsage,etellebrûlaitd’enviedesedébarrasserdesesvêtementsautantquedeluiarracherlessiens.

Éperdue, elle se surprit à lui agripper les cheveux, réclamant ce qu’elle n’était pas capabled’exprimerpardesmots.

Cefutluiquimituntermeàleurétreinte.Furieuse,ellelefusillaitduregardlorsqu’elleentenditMaudegrommelerdanssondos:

—Désoléedevousinterrompreenpleineaction,maisj’ailedîneràpréparer.

—Maispourquoiallons-nousauxFoliesHarte?s’enquitladyPhoebe,tardlelendemainmatin.Elle fronçait le nez d’un air dégoûté, sans doute à cause de la puanteur de laTamise, quoique

Trevillionlasoupçonnâtsurtoutdemanifestersonagacementdel’avoirtoujoursdanssonsillage.—J’avaiscrucomprendrequelethéâtreetleparcavaientétéentièrementravagésparl’incendie,

reprit-elle.—Eneffet,milady,répondit-il,foudroyantduregardlepasseurquilesécoutaitsansvergogne.

Maislejardinestenpleinerénovationet j’aipenséquecelapourraitvousintéresser.Enoutre, j’aiquelqu’unàvoirlà-bas,ajouta-t-ilavecflegme.Puisquejesuischargédeveillersurvousetquevousavezinsistépoursortir,j’étaisbienobligédevousemmener.

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—Oh,fit-elled’unetoutepetitevoixenlaissantsesdoigtstraînerdansl’eau.Trevillion soupira et tourna les yeux vers l’embarcadère des Folies Harte qui se rapprochait.

L’endroit était très couru avant l’incendie, et l’embarcadère était alors imposant et bien entretenu.À présent, à demi effondré, il n’en subsistait plus qu’une petite partie, qu’on avait soigneusementrénovée. Au second plan, la végétation incendiée offrait un spectacle sinistre – on avait dumal àimaginerquelelieuaitpuêtredédié,iln’yaguère,auplaisiretàlafrivolité.LarumeurprétendaitqueHarteavait l’intentiondetoutreconstruire,maisTrevillionjugeait la tâcheimpossibleàmoinsd’yengloutirunefortune.Etmêmeàceprix,lerésultatn’étaitpasgaranti.

Maislàn’étaitpassonproblème.Lepasseurlançaunecordepouramarrerleurbarqueàl’undespiliersdel’embarcadère.—Noussommesarrivés,milady,annonçaTrevillion,bienque ladyPhoebe l’eûtprobablement

déjàdeviné.Ilyauneéchellesurvotredroite.Lajeunefemmetâtonnapourtrouverlapetiteéchelledeboisquinecomptaitquetroisbarreaux.

Trevillionlalaissasedébrouillersanslaquitterdesyeux.—Maintenant,prenezmamain,milady.Illuifrôlal’avant-braspourqu’ellepuisserepérerfacilementsamain.—Jel’ai,dit-elleavecimpatience.Trevillionla tint fermement jusqu’àcequ’elleaitposé lepiedsur leponton.Il lasuivit leplus

rapidementpossible,malgrésajambeetsacannequinefacilitaientpassonascension.—Attendez-nous,dit-ilaupasseurenluijetantunepièce.—Bien,monsieur.Lepasseur s’allongea au fondde sabarque et rabattit son chapeau sur sonvisage, visiblement

décidéàtromperl’attenteparunesieste.— Par ici, milady, murmura Trevillion, qui offrit son bras gauche à lady Phoebe tout en

s’appuyantlourdementsursacannedelamaindroite.Unvaguecheminavaitétédégagépourconduireauparc,maisdesdébriscalcinésencombraient

encorelepassage.—Faitesattention,milady,lesoln’estpasrégulier.Lajeunefemmetournaitlatêtededroiteetdegauchetoutenmarchant.—Celasentencorelebrûlé,nota-t-elle.—Oui.Laterreetlesarbressonttoutnoirs.—Quec’esttriste,murmura-t-elle.J’aitellementaimécetendroit.Samélancolieselisaitsursonvisage.Trevillions’éclaircitlavoix.—Ilyaquelquessignesderenaissance,cependant,assura-t-il,pourlaréconforter.Ellehaussalessourcils.—Lesquels?—Descarrésd’herbeverte,répliqua-t-ilsansgrandeconviction.Etlesoleilbrille.Ah,j’aperçois

unefleurmauvesurlagauche!Toutn’estpasmort.LevisagedeladyPhoebes’illumina.—C’estvrai?Montrez-la-moi.Illuipritlamainpourl’approcherdelapathétiquepetitefleur.Ellelacaressasitendrementque

lespétalesn’enfurentmêmepaschiffonnés.—C’estprobablementuneviolette,déclara-t-elleenseredressant.Jel’auraisvolontierscueillie

poursentirsonparfum,maisjenevoudraispascondamnerlesquelquessurvivantes.

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Trevillions’interditdeluifaireremarquerqu’uneseuleviolettenefaisaitpasunjardin.Ilsreprirentleurchemin.LadyPhoebesoupira.—JemedemandecommentM.Hartevabienpouvoirreconstruireaprèsunteldésastre.Trevillionconsidéraitpoursapartque lacauseétaitperdued’avance,mais, làencore, il jugea

inutiled’exprimersapenséeàhautevoix.Commeilsapprochaientduthéâtre,Trevillionfronçalessourcils.Ilauraitdûpréparersavisiteet

enavertirlordKilbourneafinqu’ilsserejoignentenunendroitprécis.Levicomtepouvaitsetrouvern’importeoùdansleparc.

Sonproblème,cependant,futrésoludèsqu’ilsfurentenvueduthéâtre.LordKilbournecreusaituntrounonloindel’édifice.Unpetitgarçonbrunétaitassistoutprèsetsemblaitbavarderaveclui.

Trevillion fronçadenouveau les sourcils.D’où sortait cet enfant ? Il n’y avait pas lamoindrerésidencedansunrayond’unbonkilomètre.

Unpetitchienétaitrouléenbouleauxpiedsdel’enfant.Ilredressalatêteàleurapproche,puisbonditsursespattesetseprécipitaàleurrencontreenjappant.

—Couché!ordonnaTrevillionàl’animal,quisautaitsurlesjupesdeladyPhoebe.— Oh, capitaine, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de me protéger d’un petit chien de

compagnie!s’exclamacettedernière.Et,avantqueTrevillionaitpudécidersil’animalétaithostileoupas,elles’étaitdéjàaccroupie.Lechienentrepritaussitôtdeluidonnerdegrandscoupsdelanguesurlevisage.Elletenditles

mainsenriant,maisilétaittropexcitépourselaissercaresser.Cependant,elleirradiaitlittéralementdebonheur.

—Dequelleraceest-il?— Daffodil est un lévrier italien, expliqua l’enfant, qui avait suivi le chien. Vous pouvez la

caresser,ellenemordpas.Maiselleaimelécher,ajouta-t-ilbieninutilement.—Jem’enétaisaperçue,s’amusaladyPhoebe.J’aieuuneamie,autrefois,quipossédaitunpetit

lévrier.Dequellecouleurestsonpelage?—Fauve,réponditlegarçon,avantd’ordonneravecl’aplombdel’enfance:Ouvrezlesyeux!—LadyPhoebeestaveugle,intervintsèchementTrevillion.Lajeunefemmetressaillitettournaversluiunvisagedurquiproduisitsoneffet.Legarçon,lui,

avaitreculéd’unpas,etTrevillionremarquaquesesyeuxétaientdecouleursdifférentes.—Jesuisdésolé,marmonnal’enfant.—Tun’aspasàt’excuser,assuraladyPhoebe.Commentt’appelles-tu?—Indio.Lui,c’estmonamiCaliban,poursuivit-ilenpointantdudoigtlordKilbourne–augrand

étonnementdeTrevillion–etmamamanestàl’intérieurduthéâtre.LadyPhoebetournalatêteàcesmotscommesielleyvoyait.—Noussommesprèsduthéâtre?—Oui.—Maisjecroyaisqu’ilavaitétéincendié?—Oui,maisunepartieapuêtresauvée.Onyhabite.LadyPhoebeaffichauneexpressionstupéfaite.—Vousvivezici?Indio,quiavaitvisiblementdéjàoubliéqu’elleétaitaveugle,hochalatête.—Mamamanestunegrandecomédienne.SonnomdescèneestRobinGoodfellow.—C’est vrai ? s’exclama lady Phoebe,manifestement enchantée. Pourrai-je la rencontrer ? Je

suisl’unedesesadmiratrices.

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IlnefallutpasplusdequelquesminutesàMlleGoodfellowetàladyPhoebepourselierd’amitié.Unetablefutsortiedevantlethéâtreetlesdeuxfemmess’yinstallèrentpourprendrelethé.

—Elles…seconnaissaient…déjà?demandalordKilbourneàTrevillion.Lesdeuxhommes s’étaient suffisamment éloignésdu théâtre pour nepas être entenduspar les

dames, sans toutefois que le capitaine perde sa protégée de vue. Après un regard pour sa canne,Kilbourne avait suggéré qu’ils s’assoient sur un tronc couché. Trevillion avait été trop content desoulagersajambepoursesoucierdesonorgueil.

Depuis sa dernière visite, le vicomte avait miraculeusement retrouvé la parole, même si sonélocutionétaitencorelaborieuseetsavoixtrèsrauque.Ilyavaitcertainementuneexplicationàcettemétamorphose,maisTrevillions’eninquiéteraitplustard.

—Pasdutout,répondit-il,alorsqueladyPhoeberiaitauxproposdeMlleGoodfellow.—Vousenêtessûr?—Certain.—C’est…fascinant,murmuraKilbourne,quisemblaitquelquepeutroublé.Trevillion nota que son regard s’attardait une seconde de trop sur la comédienne. Il nota

égalementquelevicomteavaitplusieurségratignuresauvisage.—Je…suppose,repritKilbourne,quevousavez…desinformations…pourmoi?Trevillionseredressa.—Oui,milord.J’aienquêtésurvosamisquiontperdulavielanuitdudrame.Maubry,comme

vousmel’aviezexpliqué,sedestinaitàrentrerdanslesordres.D’aprèssesancienscamarades,ilneseconnaissaitpasd’ennemis,n’avaitpasdedettesetn’avaitpasnonplusoffenséquiquecesoitlorsdes quelques mois ayant précédé sa mort. Je pense que nous pouvons le considérer comme unesimplevictime.

Kilbournehochalatête,l’airsombre.Ilobservaittoujourslesdeuxfemmes.Trevillion l’imita.LadyPhoebe touchadiscrètement la tarteletteposée sur sonassietteavantde

s’en saisir etdemordrededans.Lecapitaine se fit la réflexionqu’elleavaitdéveloppéunegrandehabiletépourcontournersonhandicap.

—M.Tateétaitbienl’héritierdesononcle,reprit-il.ÀlamortdeTate,c’estuncousinéloignéquiaprofitédel’héritage,celui-cirapportantunerenteannuelled’environdeuxmillelivres.Cen’estpasunegrandefortune,maispasnonplusunesommeinsignifiante.Toutefois,lecousinenquestionvivaitdanslescoloniesd’Amérique.Iln’estrentréenAngleterrequ’ilyaunan.Biensûr,ilauraitpudépêcherdescomplicespourfaireassassinersoncousin,maiscelasembletoutdemêmeassezpeuprobable.

—Jesuisd’accord,acquiesçaKilbournedistraitement.MlleGoodfellowsepassaitlalanguesurleslèvrespourenôterquelquesmiettesdegâteau.Trevillionseraclalagorgeetenchaîna:—En revanche, s’agissantdeSmithers, lederniermembredu trio, j’ai trouvédes chosesplus

intéressantes.Kilbournelefixad’unregardaigu.—Quoidonc?—Àl’inversedesautres, ilavaitdesdettes,expliquaTrevillion.Degrossesdettes.Contractées

enversdesgenspeurecommandables:lespatronsd’untripotdeWhitechapel.—Ceseraitlemobile?demandaKilbourne,levisageindéchiffrable.— J’en doute, confessa Trevillion à contrecœur. Ses créanciers n’ont pas pu récupérer leurs

fondsavecsamort.Enoutre,tuerSmithersenmêmetempsquelesdeuxautresgentlemenauraitété

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unedécisionmalavisée.Orsil’ondoitreconnaîtreunechose,c’estquecesgredinssonttrèsavisésenaffaires.

Kilbourne serra les mâchoires et détourna le regard, cette fois, pas dans la direction deMlleGoodfellow.

—Alors…vousn’avezrien.—Pastoutàfait,milord,réponditTrevillion.Kilbourneluiadressaunregardvide,commes’ilavaittropsouventsuccombéàl’espoir,parle

passé,pours’autoriserlamoindreémotion.—Votre oncle a lui aussi des dettes,milord, expliqua Trevillion. Envers votre grand-père, le

comte.Etcela,depuisaumoinsdixans.Sivoushéritiezdutitre,jepensequ’ilseretrouveraitdansunesituationtrèsdélicate,car,biensûr,iln’apasunsoupourvousrembourser.Enrevanche,sivousétiezmortcettenuit-là,ilauraitprisvotreplacedanslasuccession,etn’auraitpluseuàredouterlaprisonpourdettes.

Kilbournenecillamêmepas,preuvequ’ilétaitaussiintelligentqueTrevillionlesuspectait.—Mais…jenesuispas…mort.Apparemment,j’auraisété…drogué.— Réfléchissez, reprit Trevillion à voix basse, car si ses soupçons étaient avérés, ils avaient

désormais pour ennemi un homme très puissant. Si vous aviez été tué avec les autres, votre oncleauraitfigurésurlalistedessuspects.Enrevanche,lefaitdevousréveiller,aprèsavoirétédrogué,aumilieu des cadavres de vos amis vous désignait comme le principal suspect. Vous risquiez lapendaison.Lescandaleauraitbiensûrrejaillisurvotrefamille,maisaumoins,votreonclen’yauraitétépourrien.Etilauraitobtenulemêmerésultatques’ilvousavaitassassiné:votremort.Admettez,milord,quec’étaitunplandiaboliquementbienconçu.

—Pardonnez-moi…denepas…partagervotre…enthousiasme,répliquaKilbourne,pince-sans-rire.Simoncousin,lecomtedeBrightmore…n’avaitpascraintd’êtresoupçonné…jeseraismortilyaquatreansetil…nem’auraitpasfaitenvoyeràBedlam.

Et,aprèsunepause,ilajouta:—Je…jecroisquej’auraisencorepréférélapendaison.Trevillion, pour sa part, était reconnaissant à Brightmore ; le comte lui avait indirectement

épargnélalourderesponsabilitéd’expédieruninnocentàlapotence.—Mais…repritKilbourne,sivotrethéorieestvraie,pourquoimononcle…nem’a-t-ilpasfait

assassiner…àBedlam?—Sansdoutepensait-ilquevouspéririezlà-bas,milord?Vousn’auriezpasétélepremier.Kilbournehochalatêteetgardaquelquesinstantslesilence.Peut-êtreréfléchissait-ilàtoutcela–

àmoinsqu’ilnelaissesimplementreposersagorge.—Mongrand-père…estmourant,dit-iltoutàtrac.C’estentoutcascequem’aannoncémasœur.—Alors, votre oncle va de nouveau souhaiter votremort, répliqua Trevillion. Il s’est livré à

desinvestissementsrisqués,cesdernierstemps.Sesdettesontdoubléenl’espacedeseulementcinqmois.

Kilbournefonçalessourcils.—Jepensequ’il est auxabois, continuaTrevillion, avantdedemander abruptement :Oùvous

êtes-vouségratignéainsi,milord?Vousenavezpartout.Kilbourneportalamainàsonvisage.—Hier…J’aifailliêtreécraséparunarbre…quenoustransplantions.Ilyavait…unnouveau

jardinier…Iladisparudepuis.Trevillionsursauta.

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—Onadécouvertvotrecachette,milord.Sij’aipusuivrevotresœur,lessbiresdevotreoncleenaurontététoutaussicapables.

Kilbournesecouavigoureusementlatête.—C’étaitunaccident.— Vous n’y croyez pas vous-même ou vous ne m’auriez pas parlé de ce jardinier

mystérieusementvolatilisé,rétorquaTrevillionavecimpatience.Aumêmeinstant,unevoixinconnuelançaàlacantonade:—Bonjour,lacompagnie!Quelqu’unpourrait-ilmedireoùsetrouveM.Smith?Les deux hommes tournèrent la tête d’unmêmemouvement. Ils virent un jeune homme roux,

d’environvingt-cinqans,s’approcherdesdames.—Bontédivine,marmonnaTrevillion,quicompritqueleurtête-à-têteétaitterminé.Écoutez-moi

bien,milord.Vousdevezquitterleparc.Trouvezunautreendroitoùvouscacherjusqu’àcequenouspuissionsrassemblerassezdepreuvescontrevotreoncle.

Kilbournefixaitlethéâtredesyeux.Ilsecoualatête.—Jenepeuxpas.Trevillionsuivitladirectiondesonregard–etdécouvritsanssurprisequeKilbourneregardait

MlleGoodfellow,quis’étaitlevéepouraccueillirlenouvelarrivant.—Vousnepouvezpas,ouvousnevoulezpas?Kilbournenedétournapaslesyeux,maissonexpressionsefitplusdéterminée.—Peuimporte.

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9

Lelendemainmatin,Arianeserenditauchâteau.Leroiétaitassissuruntrôneincrustédepierreries.Àsoncôté,lareinefilaitdelalainerougeaumoyend’unfuseauetd’unequenouilleenbois.Lejeunehommechoisienmêmetempsqu’Arianes’inclinapolimentdevantlesouverain,avantdesedétourner.Ariane, en revanche, n’avait pasoublié l’injonctionde samère.Elle fit la révérenceau roi, puis à lareine, etdemandapolimentàcelle-ci si elledésiraitqu’elleapportequelquechoseà son fils.Sansunmot,lareinetenditsonfuseauàlajeunefille…

LilycroisaleregarddeCalibanetsentitsesjoueslabrûler.Calibanlaregardaitcommes’illaconsidéraitdéjàsienne,aprèsseulementunbaiser.Elledétournalesyeux.Cen’avaitétéqu’unbaiser,etilsn’avaientpaseul’occasiond’enparler

depuis.Laveilleausoir,Maudes’étaitmontréetrèssarcastique,ettoutàfaitdésapprobatrice.Etcematin, Indio avait réclamé toute son attention. Puis lady Phoebe et le capitaine Trevillion étaientarrivés.

—Quiest-ce?demandaladyPhoebe.Elle avait tourné la tête en direction du jeune hommequi approchait.Daffodil avait fini de lui

faire la fêteet rejoignaitmaintenantsonmaître,quiavaitquitté la tabledu thépour jouerunpeuàl’écart.Lilyne levoyaitplusquededos,maiselle le soupçonnaitd’êtrepenché surune flaquedeboue.

—Jel’ignore,répondit-elle,s’efforçantdemasquersonirritation.Dieuduciel!LesFoliesHartecommençaientàressembleràunefoiredecomté.Toutessortesde

visiteurs s’ingéniaient apparemment à s’y donner rendez-vous. Se souvenant, un peu tard, de sesbonnesmanières,Lilyrajouta:

—Milady.LadyPhoebesourit.—Àquoiressemble-t-il?—C’estunjeunehommerouxauvisagetrèsavenant,expliquaLily.Ilporteuncostumemarron

foncé et un tricorne noir. Le gilet est d’une nuance plus claire et bordé d’un liseré pourpre.L’ensemblen’ariendeluxueux,maisesttrèsbiencoupé.Pourêtrefranche,ilestassezjoligarçon.

—Oh,parfait!murmuraladyPhoebe,visiblementsatisfaite.Lilyeutàpeineletempsdejeteruncoupd’œilamuséàladyPhoebe–elleparaissaitlittéralement

enchantée–quelejeunehommes’arrêtaitprèsd’elles.—Bonjour,lessalua-t-ilavecunpetitaccentécossaisenôtantsonchapeau.JesuisM.Malcolm

MacLeish.Àquiai-jel’honneur?—JesuisMlleRobinGoodfellow,réponditLilyens’inclinant.EtvoiciladyPhoebeBatten.

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—Sapristi ! s’exclamaM.MacLeish en écarquillant ses yeux bleus avec un rien de théâtralité.Quel honneur, mesdames ! J’ai eu le privilège d’assister à une représentation deComme il vousplaira,ilyadecelaunoudeuxans.VousétiezuneRosalindeparfaite,mademoiselleGoodfellow.

Lilys’inclinadenouveauenseretenantderire.—Merci,monsieur.—Et,milady,repritM.MacLeishquis’étaittournéversladyPhoebe,jesuissubjuguéparvotre

présence.—Vraiment,monsieur?répliqualadyPhoebe,quiesquissaunsourire.Parmaseuleprésence?—Ou…oui,milady,bafouillalejeunehomme,sedemandantdetouteévidencesielleletaquinait

oupas.Iljetaunbrefcoupd’œilàLily,maiscelle-cidécidadelelaissersesortirseuldutrouqu’ilavait

lui-mêmecreuséparexcèsd’enthousiasme.—Votrebeautésuffitàm’émerveiller,assura-t-il.LadyPhoebeéclataderire.Delapartd’uneautrefemme,celaauraitpupasserpouruneinsulte

ou, à tout lemoins, une façon aimable de rembarrer le jeune homme.Mais, venant d’elle, c’étaitsimplementunsigned’amusement.

Lily ne put s’empêcher de partager son hilarité. Le rire de lady Phoebe était décidémentcontagieux.

—Hélas,monsieurMacLeish,réponditcettedernière,s’efforçantderetrouversonsérieux,jemesuislaissédirequevousétiezvous-mêmetrèslaid.

Lejeunehommetressaillit–ilvenaitdecomprendre.Mais,àsoncrédit,ilseressaisittrèsvite,etsansoffenserl’intelligencedeladyPhoebe.

—Permettez-moideprotester,milady.Jesuisaucontraireréputé,pourmagrandebeauté.J’aileteintd’unblancpur,desdentsparfaites,demagnifiquesyeuxbleus…etdescheveuxcouleurd’or.

LadyPhoebesecoualatête.—Cen’estpasgentildementiràuneaveugle,monsieurMacLeish.Jesaisquevousêtesroux.Lejeunehommeportalamainàsoncœur.—Milady,vosparolesmeblessent.Jevousassurequej’aidenombreusesfemmesàmespieds.—Etautrepart?répliqua-t-elle.— Vous ne devriez pas taquiner ce garçon, milady, intervint le capitaine Trevillion, qui les

rejoignaitenboitant.Caliban l’accompagnait. Lily nota qu’il semblait aux aguets. Il lui accorda un bref regard,

quoiquetorride,avantdes’intéresseraunouvelarrivant.Lesparolesducapitaineavaientinterrompuleuraimableflirtetrefroidil’atmosphère.LadyPhoebeseraidit.EtM.MacLeish,avisantlespistoletsducapitaineTrevillion,retrouvason

sérieux.—Quiêtes-vous,monsieur?AvantqueTrevillionaitpurépondre,ladyPhoebes’enchargea:—C’estlecapitaineJamesTrevillion.Monfrèrel’adésignécommemongardeducorps,etilest

enchaînéàmoicommeunchienàunmorceaudepâté.— Je pense plutôt à vous comme à une tarte aux pommes, milady, murmura le capitaine

Trevillion,avantdedemanderaujeunehomme:Etvousêtes?—M.MalcolmMacLeish,réponditl’Écossais.Lilyétaitheureusedevoirqu’iln’étaitpasintimidéparlesmanièrestoutesmilitairesdel’ancien

capitaine des dragons. Caliban lui avait expliqué que le capitaine Trevillion était une « vieille

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connaissance»,maiselleavaitvucederniersebattreaveclui,ettoutrécemment,aussirestait-ellesursesgardes.

—J’aiétéengagécommearchitecteparSaGrâceleducdeMontgomerypourreconstruirelesbâtimentsdesFoliesHarte,expliquaM.MacLeish.Ilm’ainforméquejetrouveraisicilepaysagisteenchargedunouveauparc,uncertainM.Smith.

Calibanhochalatête.—C’estmoi.LevisagedeM.MacLeishs’éclaira.—Jesuisheureuxdevousrencontrer,monsieur.Iltenditlamain.Calibanlacontemplaquelquesinstants,commes’ils’agissaitd’unobjetétrange,

avantdesereprendreetdelaluiserrer.—Jevousserais très reconnaissantdemefairevisiter les lieuxetdemeprécisercequevous

avezvous-mêmeprévupourrestaurerleparc,repritMacLeish.LecapitaineTrevillionétrécitlesyeuxetéchangeaunregardentenduavecCaliban.Lilysoupira.Ellecommençaitàêtresérieusementlassedenepassavoirdequoiilretournait.Et,apparemment,ellen’étaitpaslaseule.—Jevousdemandepardon,intervintladyPhoebe,quis’exprimaitsoudaincommelafilleetla

sœurd’unduc,maisjenecroispasquevousm’ayezprésentéeàM.Smith,capitaine.Jevousavouequejesuiscurieusedefairelaconnaissancedel’hommequevousétiezsiimpatientdevoir.

Lily comprit, à la façon dont le capitaine Trevillion s’était raidi, qu’il n’appréciait guèrel’interruptiondeladyPhoebe,etellesedemandapourquoi.

Ilrépondittoutefoispoliment:—Milady,permettez-moidevousprésenterM.…—Sam,luivintenaideCaliban.JusteSamSmith.—M.SamSmith,continualecapitaineTrevillion.MonsieurSmith,ladyPhoebeBatten,lasœur

duducdeWakefield.Lady Phoebe tendit unemain impérieuse et Caliban n’eut d’autre choix que de s’en saisir. Se

penchantpourlabaiser,ilmurmurad’unevoixcassée:—Milady…jesuis…enchanté…defairevotreconnaissance.LadyPhoebeinclinalégèrementlatêtedecôté.—Auriez-vousattrapéunrhume,monsieurSmith?—Non…milady…murmura-t-il,sidoucementqueLilyenéprouvauninhabituelpincementde

jalousie.Jemesuisrécemmentblessé…àlagorge…etparconséquent…mavoix.Ellehochalatête.—Jevois.Ilvoulutlibérersamain,maisellelatenaitfermement.—Dites-moi,monsieurSmith,etsachantquec’estunpéchémortelquedementiràuneaveugle,

noussommes-nousdéjàrencontrés?Unecurieuseexpressionpassafurtivementsur les traitsdeCaliban.Lilyn’enétaitpascertaine,

maiscelaressemblaitàdelatristesse.—Non…milady.Nousnenoussommesjamais…rencontrés.—Ah!fit-elle,lelâchantfinalement.Danscecas,jemesuistrompée.CalibanreportasonattentionsurMacLeish.—Jevousmontrerai…le jardin…avecplaisir,dit-il, et aprèsunehésitation, il se tournavers

Lily:Jecrois…quecelavousintéresse…également,madame?Quediriez-vous…d’untour…après

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déjeuner?Disonsà15heures?Lily en eut presque le souffle coupé, mais elle parvint pourtant à répondre d’une voix

relativementneutre:—Jesuisimpatiented’êtreàcetaprès-midi,monsieurSmith.— Dans ce cas… si vous voulez bien… nous excuser, à présent ? dit-il. Par ici, monsieur

MacLeish,ajouta-t-ilavecungestedubras.— Lady Phoebe,mademoiselle Goodfellow, j’ai été ravi de vous rencontrer, déclara le jeune

Écossais.J’espèrequenoscheminssecroiserontdenouveau.—Moiaussi,répliqualadyPhoebeavecunsourire.Lilyesquissaunerévérence.M.MacLeishtouchasonchapeau.—CapitaineTrevillion.Cefutunplaisir.—Toutleplaisirfutpourmoi,assuralemilitaired’untonunrienironique.Tandisquelesdeuxhommess’éloignaient,Calibanexpliquantdéjààl’architectesesprojetspour

leparc,Trevillionsetournaverslesdames.—Sivousêtesprête,milady, jecroismerappelerquevousaviezunecourse« importante»à

fairecetaprès-midi.— Courir les boutiques est toujours important, capitaine, répliqua lady Phoebe le plus

sérieusementdumonde.Seulement,MlleGoodfellowaétéassezaimablepourconsentiràmelivrerlesecretdesestartelettesàlaconfiture.Jenepartiraidoncpasavantdeleconnaître.

—Ahbon?fitTrevillion,unenoted’incrédulitédanslavoix.LadyPhoebeluisourit.—Maisoui, capitaine.Alors soyezgentildenous laisser seulesun instant,quenouspuissions

converserlibrementàcesujet.Jesuissûrequel’endroitquevousaviezchoisipourvousentreteniravecM.Smithétaitsuffisammentéloignépourqu’onnevousentendepas.Peut-êtrepourriez-vousyretourner.

LecapitaineTrevillions’inclinaavecraideur.—Bien,milady.Ils’éloignaenclaudiquantetLilyeutpitiédelui.Ilétaitsifier,etladyPhoebeletraitaitparfois

unpeutropdurement.Cettedernièresepenchasoudainets’enquitdansunmurmure:—Ilestassezloin?Lilyjetaunregardaumilitaire.—Jecrois,milady.—Il faut enêtre sûre, chuchota ladyPhoebe.Cediabled’hommepossède l’ouïed’un…chien.

Enfin,d’unanimalquiauneouïeexceptionnelle.C’estterriblementagaçant.Lilyseretintdesourire.—Certainement,milady.—Maintenant,dites-moivite,avantquelecapitainenereviennefourrerlenezdansmesaffaires:

àquoiressembleM.Smith?Lily battit des paupières, prise de court. D’instinct, elle baissa à son tour la voix lorsqu’elle

répondit:—Ilesttrèsgrand–plusd’unmètrequatre-vingts–,larged’épaules,avecdegrandesmains.Ses

yeuxsontmarron,sescheveuxchâtains,etillesportelongs.Iln’estpasfranchementséduisant.LadyPhoebeplissalefrontpensivement.

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—A-t-ilunsignedistinctif?Lilyhaussalesépaules.—Jenevoispas.Àmoinsquevousneconsidériezungrandnezcommeunsignedistinctif?—Quesavez-vousdelui?Safamille?Sesamis?—Rien,avouaLilyavecunpetitfrissond’inquiétude.Riendutout.—Ah,zut!pestaladyPhoebe.—Qu’ya-t-il?s’alarmaLily.Quipensez-vousqu’ilsoit?—Oh,jenepenseàpersonneenparticulier!Jesuissimplementintriguéepartouscesmystères

quefaitlecapitaine.Jejureraisqu’ilnecherchequ’àmecontrarier.Ilregardedansnotredirection?Lilyjetauncoupd’œilaucapitaine.—Oui,milady.— Évidemment, marmonna lady Phoebe. Eh bien, faites-lui signe de revenir. Merci,

mademoiselleGoodfellow,pourceprécieuxmoment.J’espèrequevousm’autoriserezàvousrendredenouveauvisite?

—J’enseraistrèshonorée,assuraLily,alorsquelecapitaineTrevillionlesrejoignait.—Sivousêtesprête,milady,dit-il.—Jesuisprête.LecapitaineTrevillionplaçaadroitementsonbrassoussamaindèsqu’ellefutlevée.—Jevousdismoiaussiaurevoir,mademoiselleGoodfellow.Lilyluirenditsonsalutetlesregardas’éloignerdansl’allée.Unmauvaispressentimentlatenaillait.PourquiladyPhoebeavait-elleprisCaliban?Car,malgré

ses dénégations, Lily était persuadée qu’elle avait en tête quelqu’un de précis lorsqu’elle l’avaitinterrogéesurlui.

Ellebaissalesyeuxsurlesreliefsduthé.Laquestionquiseposaitàprésentétaitlasuivante:àquelpointétait-ildangereuxpourelledeserapprocherdeCalibanalorsqu’elleignoraittoujoursquiilétait?

Endépit de la fureurprévisibledeMakepeace,MacLeishn’était pasunmauvais choix, songeaApollon,unpeuplustardcejour-là–mêmesil’ÉcossaisétaittrèsjeunepouravoirlaresponsabilitéderebâtirseullesbâtimentsdesFoliesHarte.Entoutcas,ilsemblaits’yconnaîtreenarchitecture.Lapreuveneseconfirmeraitcertesquelorsqu’illeurmontreraitsesplanspourlenouveauthéâtreetlesautres constructions que le duc voulait voir dans le parc. D’ici là, Apollon décida d’accorder àMacLeishlebénéficedudoute.

Pourl’heure,alorsqu’ilserendaitàsonrendez-vousavecLily,ilsesurpritàhâterlepas.Ilétaitpressé de revoir la jeune femme – cette fois, sans visiteurs impromptus et, si possible, sans songarnementde fils et sans sa servanteau regarddésapprobateur. Il avaitoublié,durant son séjouràBedlam,lebonheurqu’ilyavaitàsimplementpasserunmomentavecunejoliefemme.Àlataquiner,àbadineravecelleet,oui,àluivolerunbaiser.

Ilignoraitcequ’elleavaitpensédeceluiqu’ilsavaientéchangé,etsiellelelaisseraitl’embrasserdenouveau,mais il étaitdéterminéàessayer. Il avaitperdubien tropde tempspour tergiverser. Ilavaitpasséquatreannéesenfermé,àsurvivreàpeine,pendantqued’autrestrouvaientl’amour,voiremêmefondaientunefamille.

Ilvoulaitrecommenceràvivre.Alorsqu’ilapprochaitduthéâtre,ilentenditdeséclatsdevoix…puisunhommequicriait.

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Ilsemitàcourir.Jaillissantdessous-bois,ildécouvritunhommemince,encostumepourpreetperruqueblanche,

quisetenaittoutprèsdeLily,ladominantdetoutesahauteur.Lajeunefemmeportaitunchâlesursaroberougecommesielles’étaitpréparéepourleurpromenadedansleparc.

— … t’ai dit que j’en avais un besoin urgent, postillonnait l’homme à la face de Lily. Tun’arriverasjamaisàlavendrepartoi-même,alorsn’essaiemêmepas.

— Il s’agit de mon travail, Edwin, répliqua courageusement la jeune femme, mais sa voixtrahissaituneappréhensionquifitvoirrougeàApollon.

—Qui…êtes-vous?lança-t-ilenfonçantsurlecouple,lespoingsserrés.L’homme fit volte-face et cligna des yeux. Il n’avait manifestement pas entendu Apollon

s’approcher.—Qui suis-je ? Et vous…qui êtes-vous, grande brute ? répliqua-t-il,mimant, pour la railler,

l’élocutionlaborieused’Apollon.Celui-ci ne songeamême pas à s’en offusquer. Il avait enduré bien pire que desmoqueries, à

Bedlam.Enrevanche, lasoudainepâleurdeLilyquandelle l’avaitvuarriverne luiplaisaitpasdutout.

—Caliban, je vous en prie, l’implora-t-elle. Pourriez-vous revenir un peu plus tard ?Disons,dansunedemi-heure?

Elle parlait d’une voix trop basse, trop contrôlée, comme si elle redoutait demettre l’inconnuhorsdelui.Etqu’elleenredoutaitlesconséquences.

—Tuconnaisce…celourdaud?crachal’homme,avantd’éclaterd’unrirecruel.Franchement,Lily, tu recrutes tes amants n’importe où, désormais. D’ici peu, tu soulèveras tes jupes devant unvulgairepaysan,àenjugerpar…

Lafindesatiradeseterminaparuncriétranglé,Apollonluiayantdécochéunreversdelamainquil’envoyaàterre.

—Non,neluifaitespasdemal!criaLily.Apollondétestaitl’idéequ’ellepuisseteniràcegoujat.—Jen’enaipas…l’intention,assura-t-ilenjetantunregardàl’autrecanaille,toujoursassisesur

lesol.Maisjeneresterai…pasnonplus…lesbrascroisés…pendantqu’ilvousinsulte.Surce,ilsepenchapourchargerl’hommeentraversdesonépauletelunvulgairesacdefarine.—Attendez-moiici,lança-t-ilàLily.L’hommeéructabizarrementetApolloncraignitqu’ilnevidelecontenudesonestomacsurses

vêtements. Il y tenait d’autant moins qu’il s’était lavé et avait changé de chemise avant de venirretrouverLily.

Iltournalestalonsetsedirigeaversl’embarcadère.—Caliban!Ilignoral’appeldelajeunefemme.Ilsemoquaitdesavoirquiétaitcetype;l’essentielétaitqu’il

n’approcheplusniLilyniIndio.—Reposez-moi…ordonna l’homme, qui dut reprendre sa respiration avant d’ajouter : savez-

vousseulementquijesuis?—Non.—J’auraivotretête,répliqual’autre,quiessayaitdeluidonnerdescoupsdepied.Apollonsedécidaàlereposerpar terre.Ouplutôtà lefaireglisserdesonépaulesibienqu’il

s’affalasurlesol.Detoutefaçon,ilsétaientsuffisammentloinduthéâtre,àprésent.L’inconnuétaitblancderage.Saperruqueavaitglissé,révélantdescheveuxnoirs,coupéscourt.

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—Jeconnaisdumonde,glapit-il.Desgensquipourraientvousinfligerunebellecorrection.—Je…n’endoutepas,ironisaApollon,quisavaitquelesmenacesnecoûtaientpascher.Sepenchantsurledandy,l’airmauvais,ilarticula:—Nerevenezpas…tantquevousneserez…pascapable…deluiparlerpoliment.Ilévitaaisémentlecoupdepieddansl’entrejambequel’autretentadeluidécocher,puistourna

lestalonsetrebroussachemin.Aprèstout,Lilyn’avaitpasparutrèscontentedelevoirpartir.Son retourneparut toutefoispas lui fairedavantageplaisir.Elle se trouvait toujoursdevant le

théâtre,àfairelescentpas.Elleseprécipitaversluidèsqu’ilapparut.—Queluiavez-vousfait?Ilhaussalesépaules.—Jel’ailaissé…choirparterre…commel’ordurequ’ilest.Sagorgelebrûlait,maisill’ignora.—Oh!fit-elle.Ellesemblasecalmerunpeu,avantderepartiràlacharge:—Vousn’auriezpasdûvousenmêler.Celanevousregardaitpas.Cen’étaitpasainsiqu’Apollonavaitespérépassersonaprès-midi.—Peut-être…voulais-jequecela…meregarde,risqua-t-ilens’approchantd’elleprudemment.— C’est juste que… commença-t-elle avant d’agiter la main d’un geste impuissant. C’est

impossible.C’est…Apollonhaussaunsourcil.—Lepèred’Indio?—Quoi? s’exclama-t-elle, stupéfaite.Non !D’oùvousestvenueune idéepareille?Edwinest

monfrère.—Ah.L’étau qui lui serrait la poitrine depuis que la jeune femme avait pris la défense du dandy

commençadesedesserrer.Lafamille,c’étaituneautrehistoire.Onnechoisissaitpassafamille.—Alors…ildevraitparler…àsasœurplus…poliment.Lilyplissalenezd’unemanièreadorable.—Iln’étaitpaslui-même.Ilaperdubeaucoupd’argent,etcelaluicausedusouci.Apollonluiprit lamainetlatiradoucementpourl’entraîneràsasuitedansl’unedesalléesdu

parc–loindel’embarcadère,oùilavaitabandonnéEdwin.—Jevois.Etc’est…votrefaute?—Non,biensûrquenon.Elleserenfrogna,maisselaissaguiderparApollon,quiconsidéracelacommeunevictoire.—Enrevanche,ilgagnedel’argentavecmespièces,ajouta-t-elle.—Commentcela?—Ehbien,ilsetrouvequ’ellessontpubliéessoussonnom.Elle ne semblait pas avoir remarqué qu’il lui tenait toujours la main et il ne jugea pas utile

d’attirersonattentionsurcefait.Ilaimaitsentirsesdoigtsgracilescontresapaume.—Etilestplusàmêmequemoidelesvendre,précisa-t-elle.—Pourquoi?Elledonnauncoupdepieddansuncaillou.—Edwinconnaîtplusdemonde.Ilademeilleuresrelations,demeilleursamis.Elleexhalaunsoupirdefrustration.—Ilestplusefficace,voilàtout.

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Apollon garda le silence, mais il ne comprenait pas. En quoi de « meilleures relations »facilitaientlapublicationd’unepiècedethéâtre?

— Mon père était factotum, reprit-elle d’une toute petite voix, comme si elle avait honte. Iltravaillaitdansle théâtreoùmamèreseproduisait.Sonmétierconsistaitàporter lescostumes, lesaccessoiresettoutcequidevaitêtredéplacéd’unendroitàunautre.Enfin,voussavezcequ’estunhommeàtoutfaire.

Pourtouteréponse,Apollonluiétreignitdoucementlamain.Lajeunefemmearrachaunepetitebrancheàunarbusteenpassant.—Lepèred’Edwinétaitlord.Enfin,lefilsd’unlord,cequi,comparéàunhommeàtoutfaire,

estplusoumoinslamêmechose.Mamèrem’aracontéquemonpèrenesavaitmêmepasliresonproprenom.Parcontre,c’étaituntrèsbelhomme.Cecidevaitcompensercela,jesuppose.

—Vous… commençaApollon, avant de grimacer de douleur.Vous n’avez pas connu… votrepère?

Ellesecoualatête,etluiadressaunregardcontrit.—Mamanaeubeaucoupd’amants,jelecrains.Ellenelesgardaitjamaistrèslongtemps.Quoi

qu’ilensoit,Edwinm’esttrèsutile.Ilsechargedevendremespièces,gardeunpeud’argentpourluietmedonnelereste.

—Combien?—Commentcela?—C’estvous,quiécrivezlespièces–etellessont…excellentes,sijemefie…àcequej’ailu.

Votrefrère…secontentedelesvendre.Combien…prend-ilpoursedonner…tantdepeine?Elleseraiditetvoulutlibérersamain.Apollonnelalâchapas.Leregardlançantdeséclairs,ellerépliqua:—Jenepensepasquecelavousregarde.Ils’immobilisaetluifitface.Ilsétaienttoutprèsdel’étangetdel’endroitoùlechêneétaittombé.

Aprèsinspection,Apollonavaitdécouvertquelabranchemaîtresses’étaitbriséeaucoursdelachute.Ilavaitcommandéunnouvelarbre,maiscelui-cin’étaitpasencorearrivé.

—Combien?La jeune femme soutint son regard quelques instants, par pur défi. Les rayons du soleil, qui

plongeaitdéjàversl’horizon,faisaientcommeunhaloscintillantautourdesonvisage.Ellefinitparbaisserlesyeux.—Vingt-cinqpourcent.—Vingt-cinqpourcent,répétaApollond’unevoixneutre,alorsmêmequ’ilétaithorrifié.Sait-il

quevous…n’avezpasd’engagements…encemoment?—Oui.Etc’estenpartiepourcelaquenousnousdisputions.Jevoulaisqu’ilneprennequevingt

pourcent.MaisEdwinesttoujourstrèspragmatiquedèsqu’ils’agitd’argent.Dèsqu’ils’agissaitdesonargentàlui,devinaitApollon.—Commentsavez-vouss’ilvousdonne…lebon…montant?Ellerelevalesyeux,surprise.—Edwinnemementiraitpas,assura-t-elleenprenantl’unedesesmainsentrelessiennes.Il…eh

bien,mamanabusaitdugin,voyez-vous,etquandjesuisnée,ellen’étaitplustrèsdemandée.Nisurscèneniparleshommes.C’étaitdevenuassezdurpourelle.

Ellebaissadenouveaulesyeux.—Très dur,même. Plus tard,Maude est arrivée.Mais quand j’étais toute petite, je ne pouvais

compterquesurEdwin.Ilveillaitàcequej’aietoujoursunendroitpourdormir–nousdéménagions

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souvent,d’unthéâtreàunautre,d’unmeubléàunautre.Ils’assuraitaussiquej’aiedequoimangeretmevêtir.C’estluiquim’aapprisàlireetàécrire.Jeluidoistout.Vraimenttout.

—Sansdoute,acquiesçaApollon.Mais…Indio?—QuoiIndio?dit-elleenplissantlefront.—Luiaussia…besoindenourriture…devêtement…etd’unendroitpourdormir,n’est-cepas?Ellehochalatête.—Maiscommentaura-t-il…toutcela,sivouslaissez…votrefrère…vousdépouiller?—Je…commença-t-elle avantde semordre la lèvre, jeneveuxpas lui causerde tort. Je sais

qu’Edwinpeutsemontrerégoïsteetcruel,maisc’estmonfrère.Etjel’aime.—Jecomprends,répliqua-t-il.Et,portantlamaindelajeunefemmeàseslèvres, ilembrassachacundesesdoigts, l’unaprès

l’autre.Quandilrelevalesyeux,elleleregardaitavecunesorted’émerveillement.—Jenesaisriendevous,murmura-t-elle.Jevousaid’abordprispourunsimpled’esprit.Puis

j’ai découvert que vous étiezmuet.Maintenant, vouspouvez parler,mais vous ne parlezpas pourautant.

Elle se haussa sur la pointe des pieds et lui effleura la joue de ses lèvres en une caresse plusintimequ’unbaisersurlabouche.

— Je ne sais rien de vous, répéta-t-elle.Mais j’aimerais qu’il en soit autrement. Pouvez-vousm’endireunpeu?

Apollonfermalesyeux.Ilavaitl’impressiondejoueraveclefeu.—Quedésirez-voussavoir?articula-t-il.

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10

Le jeune homme s’appelait Thésée. Ariane et lui furent conduits jusqu’au labyrinthe et poussés àl’intérieur.ThéséesetournaalorsversAriane.Quandilvitqu’elleavaitemportélefuseauavecelle,ileutunrireméprisant.«Tun’enauraspasl’usageici.Contente-toideresterderrièremoietlaisse-moituerlemonstre.»Surcesmots,ildégainaunglaivequ’ilavaitcachédanssatuniqueet,obliquantsurladroite,ildisparutdanslelabyrinthe…

Que désirait-elle savoir ? C’était très simple : Lily voulait connaître la véritable identité deCaliban – un nom, une histoire personnelle, quelque chose qui lui permettrait de le situer dans lemondeoùellevivait.

Maiselledevinaitqu’ilnepourraitpasrépondreàcela.Aussipréféra-t-ellecommencerparunerequêteplussimple.

—Avez-vousunefamille?Le soleil s’apprêtait à se coucher, etmalgré l’odeur persistante de brûlé, le parc demeurait un

endroitmagique.Calibanhochalatête.—J’ai…unesœur.Lilyluisourit.Elleétaitsoulagéequ’iln’aitpaséludésaquestion.—Plusjeune,ouplusâgéequevous?—Exactement…lemêmeâge…quemoi.—Unesœurjumelle!s’exclamaLily.Comments’appelle-t-elle?Ilsecouadoucementlatête,maisellenefutpastropdéçueparsarebuffadecarils’étaitouvertà

elle,sipeuquecesoit,etcelaseulcomptait.—Trèsbien.Vousl’aimez?—Beaucoup,répondit-il,etilmarquaunepausecommes’ilcherchaitsesmotsavantd’ajouter:

C’estl’être…quim’estleplusprécieux…aumonde.—C’estadorable,souffla-t-elle.Ilesquissaunsourire.—Vousmedonnezl’impressiond’être…redevenu…unpetitgarçon.— Ce n’était pas mon intention. Je crois sincèrement que la famille, les proches, sont très

importantsdanslavie.Jenepourraispasaimerunhommequin’accordeaucuneattentionauxautres.—Et…vous…m’aimez?Elleagitaledoigt.—Jenetombepasaussifacilementdanslespièges!Dites-moiplutôtsivousêtesnéàLondres?

fit-elleenseremettantàmarcher.—Non.

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—Dansuneville?—Non.Ellefitlamoue.—EnAngleterre?—Oui.Jesuis…anglais.Jesuisné…àlacampagne.—AunordouausuddeLondres?—Ausud.—Prèsdelacôte?—Non.Ilyavaitdeschamps.Desfermes.Etunétangoùmasœuretmoi…avonsapprisànager.—Etvousaviezdesparents?Elle avait baissé les yeux et s’absorba dans la contemplation de l’allée. La plupart des gens

grandissaientavecunpèreetunemère–saufelle,apparemment.—Oui.Mais…tousdeuxsontmorts…àprésent.—Jesuisdésolée.Ilhaussalesépaules.—Formiez-vousune famille trèsunie ?Avez-vous euune enfanceheureuse, avecunpèrequi

ramenaitdel’argentetunemèrequireprisaitvoschaussettes?—Pas…précisément.Monenfancenefutpas…malheureuse…loindelà,maismamère…était

souventmalade,etmonpère…Ilinspiraungrandcoupavantd’exhalerdansunsoupir:—Monpèreétait…fou.Lily s’arrêta net. Ou dumoins essaya, car il tira sur sa main pour l’obliger à continuer leur

déambulation.—Cen’étaitpas…aussi terrible…qu’ilyparaît…reprit-il.Notrepère…nesemontrait…pas

violent… avec nous.Mais c’était… un grand nerveux. Parfois… il lui arrivait de rester éveillé…plusieurs jours de suite, à planifier toutes sortes de projets…qui tous tombaient à l’eau.D’autresfois… il disparaissait pendant une semaine… ou plus… et nous ne savions jamais quand ilrentrerait…ni s’il rentrerait. Finalement, il réapparaissait…épuisé, et les poches vides. Il dormaitalorsunejournéeentièreetrestaitplusieursjours…aulit…yprenantmêmesesrepas.

Ilhaussalesépaules.—Quandj’étaispetit,jecroyais…quetouslesenfantsavaientdespères…commelemien.Lilyn’avaitrienàrépondreàcela.Ilspoursuivirentleurpromenadeensilencetandisquelesoleil

couchantdéployaitsurlecielsesnuancesderouge,d’oretd’orange.—Votresœurest-elletoujoursvivante?finitpardemanderLily,presquedistraitement.—Oh,oui!—Etvouslavoyez?Elleluiglissaunregarddebiaismaisilsecontentadesecouerlatêteensouriant.Zut.—Avez-vousd’autresparents?Destantes,desoncles,descousins…quesais-je?Vousêtesissu

d’unegrandefamille?—Non…pastrèsgrande…maisj’aiquelquesparents.Jenelesconnaispastrèsbien,cependant.

La…foliedemonpère…l’aécartédesonproprepère…etlerestedelafamilleasuivi…enfin,jesupposequec’estcequis’estpassé…Enfait,jenesaispas.Je…nelesvoyaisjamaisquandj’étaisenfant.

—Etdevenuadulte,avez-vousessayédeleurparler?

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Illuiétreignitlamain,sifurtivementqu’ellen’auraitsudiresic’étaitenréactionàsaquestion.—Non.Lilyretintunsoupir,puisessayauneautretactique.—Commentavez-vousconnuM.Harte?Ilrit.—J’airencontréMak…Harte,dansunetaverne…ilyadecelaplusieursannées.Cettefois,Lilys’arrêtaetl’obligeaàenfaireautant.—Quelnomavez-vousfailliprononcer?Mak…quelquechose.C’estsonprénom?Ilparaissaittoutcontrit.—Il…ilmetuera.—Quoi?—C’est…ungrandsecret.—Dites-le-moi,s’ilvousplaît.Ellecrutqu’ilnerépondraitpas.Mais,finalement,ill’attiraàluietilluipressalesmainscontre

lapoitrine,auniveauducœur.—Pouvez-vousmepromettre…denejamais…lerépéter?—Jevouslepromets.Ilsepenchaetluimurmuraàl’oreille:—Harten’estpassonvrainom.Ils’appelleAsaMakepeace.Lilysursauta,ets’écarta,bouchebée.—Quoi?—C’estlavérité,assura-t-il.—Maispourquoia-t-ilchangédenom?— Pour la même raison… je suppose… que vous, fit-il en lui tapotant le bout du nez, avez

changé…levôtre.—Stumpnesonnaitpasbienpourlascène.Ilmefallaitunnomplusjoyeux.— Bon… alors, peut-être pas tout à fait… pour la même raison, concéda-t-il. J’ai cru

comprendre…quesafamille…désapprouvaitqu’ilsesoitlancédanslethéâtre.—Voilàquinem’étonneguère,commentaLily.Lesfamillessontparfoisinsupportables.—Ahbon?dit-il,avantdes’emparerdeseslèvres.Sabouchesemouvaitsurlasienneavecuneexquiselenteur.Salanguefranchitlebarragedeses

lèvres,divinementdouces.Illuiavaitsaisilementonentrelepouceetl’indexpourluiimmobiliserlevisageetlasoumettreàsonbonplaisir.

—Lily…souffla-t-il.Lily.Jamaissonprénomn’avaitparuplusbeauàLilyqu’encetinstant,prononcéparlavoixsirauque

etenmêmetempssitendredeCaliban.La jeune femme se hissa sur la pointe des pieds pour lui entourer les épaules des bras. Elle

s’efforça de se presser contre lui, et laissa échapper un gémissement contrarié comme elle n’yparvenaitpas.Alorsilsepencha,lapritparlataille,etlasoulevaaussifacilementques’ils’agissaitdubateaud’Indio.Illacalacontresontorseafinquesonvisageseretrouveàlamêmehauteurquelesien,facilitantleurbaiser.UnetelleforceauraitdûeffrayerLily.

Orellenefitqu’accroîtresonexcitation.Sapoitrines’écrasaitcontreletorsepuissantdeCaliban,lehautdesesseinsfrottaitsurlalainede

songilet,etellevoulait…ellevoulait…

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Celafaisaitsilongtempsqu’ellen’avaitpasétéavecunhomme.L’émotion,lachaleurentreleursdeuxcorps, la grisaient aupoint de lui couper le souffle.Et soudain elle s’affolade sentir qu’elleperdaittoutcontrôled’elle-même.

—Attendez,souffla-t-elle,rompantleurétreinteetplaquantlamainsurletorsedeCaliban.Je…Il lui lécha paresseusement la commissure des lèvres. Il ne demandait rien, n’exigeait rien, se

contentait de la séduire, ce qui, en l’occurrence, était bien plus dangereux. Lily ne put retenir ungémissementavantdeseressaisirtoutàfait.

—Reposez-moisurlesol,dit-elled’unevoixqu’elleespéraitimpérieuse.—Vousêtessûre?s’amusa-t-il.Sespommettesétaientempourpréesetsonregardbrillaitd’unfeusensuel.Enétait-ellesûre?—Oui,répondit-elleavecuneconvictionenpartiefeinte.Calibansoupiraetlalaissaglisserlentementlelongdesontorse.—Euh…merci,dit-elle.Elle s’efforça de retrouver un semblant de dignité, échoua probablement, et lissa ses jupes en

évitantdeleregarder,avantdereprendre:—Nous devrions rentrer. J’ai envoyéMaude et Indio chercher des tourtes à la viandepour le

dîneretilssontsansdoutederetour.Vousêtesinvité,biensûr.—Jeseraistrèshonoré…d’accepter,répondit-ilaussicérémonieusementquesielleétaitlareine

enpersonne.Lilys’apprêtaitàrebroussercheminquandelles’aperçutqu’ilssetrouvaientdansunepartiedu

parcqu’elleneconnaissaitpas.—Oùsommes-nous?—Au cœur, dit-il d’une voix rugueuse. Au cœurmême… demon futur jardin. Au centre du

labyrinthe.Ellefrissonna.Cetendroitneluisemblaitpasdifférentduresteduparc,maislecœurd’unjardin

pouvaitsansdoute,àl’instardeceluideshumains,secamoufler.—Jenevoisrien,avoua-t-elle.Caliban la fit pivoter et lui plaqua le dos contre son torse afin qu’elle regarde dans lamême

directionquelui.—Ici,sousvospieds,sedresseraune…foliequelconque.Unefontaine…unepetitecascade…ou

unestatue.Autour,desbancsaccueillerontlesamoureux…quipourronts’embrasser.L’entréeseralà,fit-ilenindiquantladroite,etlelabyrinthe…s’enrouleratoutautourdenous…commeuneétreintedeverdure.

Lilytournaavecluitandisqu’iltraçaitdubraslescirconvolutionsdesonlabyrintheimaginaire.—Vousycroyeztellement,murmura-t-elle.Ellelesentithausserlesépaules.—Toutestdéjàlà…attendantlabonnepersonne…pourlerameneràlavie.Unlabyrinthe…est

éternel.Lilyfrissonnadenouveau.Selibérant,ellepivotapourluifairefaceetluisourit.—Indiodoitattendreledîneravecimpatience.Calibanhochalatête,maisneluirenditpassonsourire.—Jem’endoute.—Jen’arrivepasàcomprendrecommentvouspouvezvoirautantdechosesdanscequin’est

pourl’instantqu’unchampderuines,dit-elle,alorsqu’ilsreprenaientladirectionduthéâtre.

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Elleprenaitgardedenepaslefrôler,carelleavaitpeurqu’uneétincellenejaillisseaumoindrecontact.Elleétait tendue,à fleurdepeau, incroyablementconscientedechacundesmouvementsdeCaliban.

—Jelesvoisenesprit.Dansmatête,lejardinestachevé…etmagnifique.Ilsuffiradeplanteretdedéplacer…pourrévélerlestrésors…qu’ilrecèledéjà.

Glissantàlajeunefemmeunregardempreintdetendresse,ilajouta:—Voussavez,iln’yavraimentrien…demystérieuxlà-dedans.Lilyeutl’intuitionqu’ilneparlaitpasseulementduparc.Iltoussaunpeurudement.—Commentvavotregorge?s’inquiéta-t-elleaussitôt.— Elle est douloureuse. Mais c’était prévisible… après avoir passé tant de temps sans

fonctionner.—Jesuistrèscontentequevouspuissiezparlerdenouveau.Illuisouritetlaconversations’arrêtalà:ilsétaientarrivésauthéâtre.Daffodil accourut à leur rencontre, suivie de près par Indio qui les informa queMaude avait

acheté deux grandes tourtes et qu’ils devaient se laver tout de suite les mains s’ils voulaient lesmangerchaudes.

LilyetCalibans’exécutèrent.Ilsselavèrentlesmainsàlabarriqued’eauprèsdelaporte.—Tusais,maman,ditIndio,alorsqu’ilsprenaientplaceautourdelatable,lepasseurn’avaitplus

quedeuxdentsdanslabouche,etpourtantilpouvaitcrachertrèsloin.Etilsemitendevoirdenarrerendétailletalentpeuragoûtantdupasseur.Calibanmanifesta l’intérêtquiconvenaitausujetetLilyse réjouitde lacomplicitéqui liait les

deuxreprésentantsdelagentmasculine.MêmeMaudebaissaunpeulagardeletempsdedonnersonsentimentsurlalongueurdescrachatsetlenombremoyendedentsquecomptabilisaientlespasseursdelaTamise.

Lilyenavaitpresqueoubliésanervosité.Maiscelle-ciréapparutaussitôtlerepasterminé,quandMaudeentrepritdedébarrasserlatableavecl’aided’Indio.

Calibanentraînalajeunefemmedehorsetrefermalaportederrièreeux.—Vousvoyez?dit-il,pointantdudoigtl’étoilepolaire.Dansunan…deuxtoutauplus…vous

nepourrezplusvoir lesétoilesdans le jardin.Les lampions…et la lumièredes feuxd’artifice lesrenverrontàleurobscurité.

—Alorsj’aiintérêtàchérirlasauvageriedeslieuxpendantqu’ilenestencoretemps?s’amusaLily.

— Peut-être, murmura-t-il en l’attirant à lui. Vous pourriez aussi simplement profiter del’instant… Après tout… la plupart des Londoniens ne bénéficient pas… de cette vision du cielnocturne.Ellen’estquepournousdeux.

—Commesinousavionsunmondeànous.Ilsourit,justeavantdel’embrasser,etLilysutqu’ilressentaitlamêmechosequ’elle.Ilsétaient

séparésdumonde.AdametEve,dansunjardinquin’étaitpastoutàfaitceluid’Éden.Puisellenepensaplusàrien,laissalebaiserdeCalibanlaconsumertoutentièresouslavoûte

étoilée.Quand il s’écarta finalement, elle ressentit un vertige, perdit presque l’équilibre, comme si la

terres’étaitlégèrementinclinéesursonaxe.Calibanreculalentementdansl’ombre.—Demain…j’aimeraisvousmontrer…monîlesecrète.Aumilieudel’étang.

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—Sivousvoulez,répondit-elled’unevoixchevrotantequitrahissaitsonémotion.Ladernièrechosequ’elleentenditavantqu’ilnesoitavaléparl’obscuritéfutsonrire.

L’auben’étaitpasencorelevéequandApollonseréveilla,lelendemainmatin,maisilsuttoutdesuitequ’ilétaitdéjàtroptard.

Desgensarpentaientlejardin.—Ilaparlédukiosqueàmusique,lançaunevoixmasculine.Unoiseau,dérangédanssonsommeil,lançauntrillemécontentavantdes’envoler.Unhommepoussaunjuron.Ilsserapprochaientdangereusement.Apollon se levade sapaillasse, se félicitantd’avoir eu labonne idéededormir touthabillé. Il

attrapa ses chaussures et son couteau. Sa « chambre » n’avait en guise de porte que la toilegoudronnéequ’il avait accrochéepour seprotégerduventetde lapluie. Il se faufiladiscrètementdehors,piedsnus,etlongealekiosque.

Il distinguaungrouped’hommesdans la lumièregris-rosedupetitmatin. Ils venaient dans sadirection.

Dessoldats.Vesterougeetbaïonnetteaufusil.Lesoufflecourt,Apollons’obligeaàrefoulerlavaguedepaniquequilesubmergeait.Il pivota sur sa droite… et découvrit un autre soldat – un gamin dont les yeux bleus étaient

écarquillésdefrayeur.Cedernierpointasabaïonnettedanssadirection.Enréponse,Apollonbalançavivementsonbras

arméducouteauenunefeintehabile.Affolé,sonadversairecriaetreculaentitubant.—Parici!hurlaquelqu’un.—Regardez!lançaunautre.C’estlui!C’estl’assassin!Non.Non.Non.ApollonnevoulaitpasretourneràBedlam.Jamais.Ilpréféraitsetrancherlui-mêmelagorge.Alorsilpritsesjambesàsoncou.Il courutàperdrehaleineà travers le jardincalcinéqu’il avait rêvéde ressusciter, commes’il

avaitunearméededémonsàsestrousses.

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ArianeregardapensivementThéséedisparaître.Puis,dévidantlalainerougeenrouléeautourdufuseaudelareine,elletournaàgaucheets’enfonçaàsontourdanslelabyrinthe.Cedernierétaitfroidetsilencieux.Sesmursétaientfaitsdevieillespierresusées,carlalégenderacontaitqu’ilsedressaitsurl’îlebienavantqueleshommesneladécouvrent.Leventn’ysoufflaitpas.Aucunoiseaun’ychantait.Commesitoutavaitplongédanslesommeilsousl’effetd’unétrangesortilège…

Des coups frappés à la porte du théâtre réveillèrent Lily en sursaut. Elle s’assit dans son lit,regardaautourd’elle,tandisqueDaffodilaboyaitcommeunefolle.

Secouantlatêtepours’ébrouer,lajeunefemmeseleva,attrapasonchâleetsortitdelachambreencriant:

—Quiestlà?Elles’attendaitplusoumoinsàentendreEdwin–bienqu’ilselevâtrarementavantmidi–,mais

cefutunetoutautrevoixquiluirépondit:—Ouvrez,aunomduroi!Lilys’immobilisa,interdite,etfixalaported’unregardincrédule.Commelescoupsredoublaient,Daffodilseremitàaboyerfrénétiquement.Lily jeta un regard à Maude, qui s’était levée, elle aussi, et se tenait près d’Indio, une main

rassuranteposéesurl’épauledecedernier,quisemblaitàlafoisexcitéetunpeueffrayé.—Attrapelachienneettiens-la,ordonnaLilyàMaude.Ilnefaudraitpasqu’ellemordeunsoldat.Puiselleallaàlaporte,qu’elleouvritenaffichantsonpluscharmantsourire.—Oui?Elle découvrit un officier en uniforme. Il avait les traits tirés, le menton ombré d’une barbe

naissante,etparutsurprisdelavoir.—Unhommes’est-ilréfugiéchezvous?demanda-t-il.Unhommetrèscostaud.Dieutout-puissant!IlsenavaientaprèsCaliban.Lilyprialecielpourqu’Indionesemontrepas

tropbavard.— Non, répondit-elle d’une voix douce. Nous dormions jusqu’à ce que vous veniez nous

réveiller,major.L’hommerougit.—Jenesuisquesergent,madame.LesergentGreen.Nousrecherchonscethommeetnousavons

besoindefouillervotre…euh…maison.Lilyouvritgrandlaporte.— C’est un théâtre, sergent Green. Et les soldats du roi ont bien sûr ma permission pour

l’inspecter.Lesergenthochabrièvementlatête,etaussitôttroissoldatss’engouffrèrentàl’intérieur,souillant

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deboueleplancherlessivéparMaude.Lavieillefemmepinçaleslèvres,maiss’abstintdetoutcommentaire.—Puis-jevousoffrirduthé,sergent?s’enquitLily.—C’esttrèsaimableàvous,madame,maisj’aipeurquenousmanquionsdetemps,répliquale

sergentGreen.Seshommesenétaiententraindefouillerlachambre,allantmêmejusqu’àretournerlaliterie.—Quelqu’und’autrehabite-t-ildansce…euh…théâtre?repritGreen.—Non.Justemaservante,monfilsetmoi,réponditLily.Daffodil choisit cemoment pour grogner après le sergent et tenter de s’échapper des bras de

Maude.—Bien,fitlemilitaire,quijetauncoupd’œilagacéàlachienne.Etvousêtes…?—MlleRobinGoodfellow,réponditLilyavecmodestie.L’undessoldatstrébucha.—Lacomédienne?ditlesergentGreen,l’airimpressionné.—Vousavezentenduparlerdemoi,sergent?demandaLilyenouvrantdegrandsyeux,lamain

presséesurlapoitrine.Commec’estflatteur.—Jevousaivuedanscettepièceoùvousportiez…Lesergents’empourpradenouveau,etlâchadansunsouffle:—…unpantalon.Vousétiezgrandiose,madame.Grandiose.—Oh,merci !murmuraLily, feignantd’êtreconfuse.Pourriez-vousmedirequivoshommes

recherchentexactement?—Unreprisdejustice.C’estunhommetrèsdangereux.Ya-t-ild’autrespiècesdanslethéâtre,

madame?—Pasvraiment.Lescoulissessontencoreenpartiedeboutetontétéétayéespourdesraisonsde

sécurité.Naturellement, le sergent envoya deux de ses hommes fureter là-bas. Le troisième fouilla le

coffredeMaude,cequin’avaitaucunsens ; celui-ciétait troppetitpourcontenirunepersonnedetaillenormale,alorsCaliban…

Lilyluttaitpourgardersoncalmealorsmêmequesonespritbattaitlacampagne.D’autressoldatsavaient-ilsinvestileparcoun’yavait-ilquecesquatre-là?Existait-ilunmoyend’avertirCalibandeleurprésence?

Celadit,ildevaitprobablementêtredéjàaucourantdeleurprésence,carlessoldatsn’étaientpasdiscrets.

Auboutdequelquesminutes,unfracasetdesbordéesdejuronsleurparvinrent.Lesdeuxsoldatsdépêchésdanslapartieétayéeduthéâtreréapparurentcouvertsdesuieetdepoussière.L’undesdeuxclaudiquait.

Lily sourit, s’efforçant de ne pas montrer combien elle était impatiente que ces hommesdébarrassentleplancher.

—Sivousenavezterminé,sergent,j’aimeraispréparerlepetit-déjeunerdemonfils.— Merci de votre accueil, mademoiselle Goodfellow. Si vous apercevez un grand gaillard

danslesparages,avertissezimmédiatementlesautorités.—Jen’ymanqueraipas, assuraLily,des trémolosdans lavoix.Maispouvez-vousmedirece

qu’onluireproche?— Il est recherché pour meurtre, répondit le sergent Green d’un air sinistre. Le vicomte

Kilbournes’estéchappévoicineufmoisdel’asiledeBedlam,oùilétaitenfermépouravoirassassiné

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sauvagementtroisdesesamis.Sansraisonapparente.Lilylefixaduregard,muettedesaisissement.Ilparutsatisfaitparsaréaction.—Soyezprudente,mademoiselleGoodfellow.Ainsiquevotre filsetvotreservante.Kilbourne

estaussidangereuxqu’unfauve.Là-dessus,ils’inclinaetquittalethéâtreavecseshommes.Danslesilencequisuivit,LilysetournaversMaude.—Oh,monDieu!

—Maisiln’estque9heures,marmonnalajeuneblondequandAsaMakepeacelapoussaverslaporte,cematin-là.

Unrubanbleupendaitdesachevelureàmoitiédéfaite.—Onauraitpuaumoinssefaireunpetitcâlinavantquejeparte.—Laprochainefois,chérie,assuraMakepeace,etilsepenchapourluimurmurerquelquesmots

salacesàl’oreille.Apollon prenait bien garde de leur tourner le dos. Il contemplait une boîte de pâtes d’amande

ouvertesurunepiledepapiers– lespetites friandisesétaientdécoupéesenformed’orangesoudecitrons.Ilvoulaitéviterd’entendrecequeMakepeacesusurraitàsamaîtresse,maisaussiempêchercelle-cidevoirsonvisage.

Il lui avait fallu trois heures pour atteindre la porte deMakepeace. Il avait d’abord dû faussercompagnieauxsoldatsquiavaientinvestileparc,puiss’assurerqu’iln’étaitpassuivi.Aprèsquoiilavait passé un moment à épier l’immeuble où résidait Makepeace, au cas où les soldats auraientdécidé de le fouiller aussi. Mais ils ne s’étaient pas montrés, ce qui signifiait : soit qu’ils neviendraientqueplustard,soitqu’ilsn’avaientpasencoreétablidelienentreeux.

Quoiqu’ilensoit,Apollonnepouvaits’éterniserici.LaporteserefermasurlafilleetMakepeaceseretournaverslui.Ilarboraituneexpressiontrès

sérieuse,cequineluiressemblaitguère.—Depuisquanddiableas-turetrouvétavoix?—Celanedatequedequelquesjours.Makepeaceallaseplanterdevantlacheminée.—Personnenemeditjamaisrien,grommela-t-il.—Jenesuispasvenuicipourteparlerdemavoix,s’impatientaApollon.—Alorspourquoi?—Unedouzainede soldats…aumoins…ont investi leparc. Ils savaientqui j’étais…etoù je

logeais.—Quelqu’unt’atrahi.Makepeacetisonnalefeuavantdesuspendreunebouilloirepleined’eauàlacrémaillère.—Tupeuxrestericijusqu’àceque…—Non,jenepeuxpas,coupaApollon,quiremarquadistraitementqu’unepouleavaitrejointla

collectiond’automatesdeMakepeace.Unepetiteclésurlecôtépermettaitdelafairefonctionner.Probablementdevait-ellepondredes

œufs lorsque le mécanisme était remonté. Dieu seul savait où Makepeace avait pu dénicher unecuriositépareille.

—S’ilsensaventsi…longàmonsujet,reprit-il,cen’estqu’unequestion…detempsavantqu’ilsnedécouvrentnosliensd’amitié.Etilsviendrontici.JedoisquitterLondres.

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Cequil’obligeraitàlaisserLilyderrièrelui.Reverrait-ilunjourlajeunefemme?Voudrait-elleseulement lerevoirquandelleapprendraitpourquoi lessoldats le recherchaient?Apollonsepassalesmainsdanslescheveux.Safrustrationn’avaitd’égalequesondésespoir.

—Mais,lejardin…sedésolaMakepeace.Ilselaissalourdementtombersurunechaise,sanssesoucierdeslivresqu’ilfitainsitombersur

lesol.—Bonsang,Apollon,personned’autrequetoin’estcapablederedonnervieàceparc.Sansta

visionpoétique,ceneseraqu’unenchaînementgéométriquedehaiesetdebosquets.Apollongrimaça.—Jepourraist’adresserdesnotes…quetutransmettraisàmonsuccesseur.L’uniquechaiseétantoccupée,ilselaissachoirsurlelit.Ceparcauraitpuêtresonchef-d’œuvre.

Un lieu d’agrément entièrement conçu selon ses idées. Mais cela aussi, il devrait l’abandonnerderrièrelui.

—Moncarnet!s’exclama-t-ilsoudain.Jel’aioubliélà-bas.Jen’aieuqueletempsde…prendremeschaussures…etmoncouteau.

—Bonsangdebois!Apollonhaussalesépaules.—Heureusement,j’aipresquetout…danslatête.Ilsoupira.Certes,illuiseraitfacilederefairelesplans.Maislecarnetcontenaitaussitoutesses

conversationsdepuis sa fuitedeBedlam.Ainsique les réflexionsqu’ilnotait au jour le jour.Cetteperteluiétaitcommeuneblessure.

Ilfermalesyeux,taraudésoudainparuneautreangoisse.—Lily.Crois-tuqu’ilsvont…l’importuner?Lessoldats?—Non,réponditMakepeace.Ilsn’ontaucuneraisondepenserqu’elleteconnaît…N’est-cepas?Apollonhaussalesépaules,soudainaffreusementlas.—Sonfrèreest…venulavoirhier.Ils’estmontré…rudeavecelle…etjel’airossé.—Rossé?répétaMakepeace.—Enfin,pasvraiment,corrigeaApollon,avantdesesouvenirqu’ilavaitenvoyéEdwinbouler

danslapoussière.Disonsquejeneluiaipas…faitmal.Maisilm’aadressédesmenaces.—Qu’ilaapparemmentmisesàexécution,observaMakepeaceavecflegme.Ilbonditdesonsiègecommelabouilloirecommençaitdesiffler.—Quid’autresavaitquetuhabitaisleparc?Apolloncomptasursesdoigts.—Masœur…sonmari,biensûr…toi,Montgomery…etJamesTrevillion.Makepeaceavaitdécrochélabouilloiredelacrémaillère.—QuiestJamesTrevillion?—L’hommequim’aarrêté…lelendemaindesmeurtres.—Ettun’aspassongéàm’enparlerplustôt?s’exclamaMakepeace,outré.Levoilà,celuiquit’a

trahi.Inutiledechercherplusloin.Apollonsecoualatête.—Non.Ilacompris…qu’ilavaitcommisuneerreurenm’arrêtant.Ils’estmêmemisentête…

dedécouvrirlevéritablemeurtrier.Makepeaceposalabouilloireetjetadesfeuillesdethédansunethéière.—C’estcequ’ilt’adit.Commentas-tupuêtreaussinaïf?—Jenesuispasnaïf,sedéfenditApollon.

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—Ilt’aleurré,letempsd’avertirlesautorités.—Jel’aivupasplustardqu’hier.—C’estbienlapreuvequej’airaison!Makepeace remplit la théière et raccrocha d’un geste brusque la bouilloire au-dessus du feu,

faisantjaillirquelquesgouttesd’eauquis’évaporèrentengrésillant.—Ilt’atrahi,Apollo,reprit-il.—Non…Onfrappaàlaporteetlesdeuxhommesseturent.ApollonéchangeaunregardavecMakepeace

ets’emparaducouteauaccrochéàsaceinture.IlneretourneraitpasàBedlam.Makepeaceallaouvrirlaporte.Apollonsecachaderrièrelebattant.—MonsieurHarte?fitunevoixfamilière.Apollonrisquaunregard.Trevillion,appuyésursacanne,setenaitsurlepalier.Ilétaitseul.—Entrez,murmuraApollon,avecunsignedelamain.—Quiest-ce?sifflaMakepeacealorsqueTrevillionpénétraitàl’intérieur.—Trevillion.L’hommedont…jeteparlaisjustement.—Quoi?Celuiquit’atrahi?—Jenel’aipastrahi,répliquaTrevillionavecunedignitéempreintederaideur.—Vraiment?rétorquaMakepeace,sarcastique.Alors,expliquez-moipourquoivousdébarquez

icijusteaprèsqu’Apollonaétéobligédes’enfuirdesFoliesHarte?Dureste,commentsavez-vousoùj’habite,alorsquejen’avaisjamaisentenduvotrenomavantcematin?

—Cen’estpasmafautesivousêtesmalinformé,répliquaTrevillionavecunsourirenarquois.Apollonfaillitsefrapperlatêtecontrelemur.Évidemment,Trevillionpréféraitsedisputeravec

Makepeaceplutôtquedes’expliquer.Lasuite,cependant,luimontraqu’ilsetrompait.—Quantàvotrepremièrequestion,enchaînaTrevillion, jesuis iciparcequ’unsoldatquiétait

sousmesordres ilyaquatreans, lorsque j’aiarrêté lordKilbourne,m’a informéqu’unedescenteavaiteulieuàl’aubeauxFoliesHarte,maisquelordKilbourneavaitréussiàs’échapper.Jemesuisprésentéàvotreportedansl’espoirquevoussauriezoùils’étaitréfugié.Et,mafoi,j’aieuraison!

—Autrementdit,vousêtesrevenul’arrêter,s’emportaMakepeace.— Si j’avais voulu l’arrêter, il croupirait déjà derrière des barreaux, répliqua sèchement

Trevillion.LaporteserouvritàcetinstantetleducdeMontgomeryentrad’unpasnonchalant,commes’ilse

rendaitàunconcertprivé.—Jevousinterromps,messieurs?demanda-t-il,nonsansironie.—Non,aboyaMakepeace.Maisvousdébarquezchezmoisansyavoirétéinvité.Leducsoupira.—C’esttellementennuyeuxd’attendred’êtreinvité.D’autantquelesinvitationsarriventrarement

quandvouslesdésirez.C’estpourquoijepréfèrepasseroutreauxformalités.Dites-moi,vousn’avezpasdesiègesàoffriràvoshôtesdanscecapharnaüm?

—Leshôtesinvitéspeuventvolontierss’asseoirsurlelit,réponditMakepeace.Ceuxquinesontpasinvités…

—Quefaites-vous…ici,VotreGrâce?s’empressadedemanderApollon,avantqueMakepeaceterminesaphrase–quirisquaitd’êtreinsultantepourleduc.

Montgomerysetournaverslui.

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—Vousavezretrouvél’usagedevotrevoix,lordKilbourne.Apollonhochaimpatiemmentlatête.—C’est fascinant, repritMontgomery, comme si Apollon était quelque animal exotique qu’il

découvraitpourlapremièrefois.—Vousn’avezpas…réponduàmaquestion.Montgomeryécartalesmains.—J’aiapprisquevousaviezdesennuiset,biensûr,jesuislàpourvousaider.—Vous…voulezm’aider,répétaApollon,interloqué.—Quoideplusnormal?Vousêteslegéniequidessinemonfuturparcd’agrément.—Monparcd’agrément,rectifiaMakepeace.MontgomeryluiadressaunregardamuséavantdereportersonattentionsurApollon.—Vousaideréquivautdoncàmerendreservice,ajouta-t-il.—Si je puisme permettre,VotreGrâce, intervint Trevillion, comment avez-vous su que lord

Kilbourneavaitdesennuis?—Lesnouvellescirculentvite,murmuraMontgomery,quis’étaitpenchépourobserverlapoule

automate.—Surtoutlorsquel’ondisposed’informateursrétribués,fitvaloirTrevillion.—C’estpratique,eneffet,reconnutMontgomery.Ilseredressaetsourit.—Àprésent,reprit-il,sinousenavonsfiniaveclesamabilités,jesuggèrequenousdiscutionsde

lamanièredeprouverquelordKilbourneestinnocentafinqu’ilpuisseretournertravailler.Jetiensabsolumentàcequemonjardinrouvreauprintempsprochain.Or,ce…contretempsrisquedetoutdifférerdeplusieursmois.Etiln’enestpasquestion,conclut-il,avecunemouefâchée.

—Monjardin,marmonnaMakepeace,maislecœurn’yétaitplus.Ilallarécupérerlathéière,puisdistribualesplaces:—Trevillion,asseyez-vouslà,fit-ilenluiindiquantlesiègequ’ilvenaitdelibérer.Etvous,dit-il

auduc,vouspouvezvousasseoir,oupas,surlelit.Maintenant,quiveutduthé?Quelquesminutesplustard,ilsavaienttousunetassefumanteàlamain–destassesdépareillées,

biensûr–pourlethélemoinsmondainauquelaitjamaisassistéApollon.—Nousvousécoutons,lançaMakepeaceauduc.Quelestvotreplan?Montgomeryhumaprudemmentsonthé,engoûtaunepetitegorgée,avantdereposerenhâtesa

tassesurunepiledelivres.—Àl’évidence,nousdevonsdémasquerlevéritablemeurtrier.—Àl’évidence,répétaMakepeaced’untonrailleur.Leducl’ignora.— Dois-je déduire de la présence du capitaine Trevillion que vous avez déjà commencé une

enquête?ApollonéchangeaunregardavecTrevillionetl’autorisaàrépondred’unsignedetête.—Oui,VotreGrâce.Jemesuislivréàquelquesinvestigations,expliqualecapitaine.Ilsemblerait

quel’oncledelordKilbourne,WilliamGreaves,soittrèsendettéauprèsducomte,legrand-pèredelordKilbourne.

—Magnifique!s’écriaMontgomery.Voilàunexcellentcandidatdesubstitution.Ilnenousresteplusqu’àalerterlesautoritésaumoyend’allusionsbienplacées…

—Quel genre d’allusions ? l’interrompitMakepeace. Pour l’instant, nous n’avons pas la pluspetitepreuvedelaculpabilitédel’oncled’Apollon.

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—Oh,lespreuvessefabriquentfacilement!répliqualeduc.Ils’emparad’unepâted’amande,lalaissatomberdanssonthéetlaregardacouleravecungrand

intérêt.Unsilencestupéfaitavaitaccueillisasuggestion.Leducparutserendrecomptequequelquechoseclochait.Ilhaussalessourcilsd’unairinnocent.—Yaurait-ilunproblème?CefutTrevillionquisechargeaderépondre.—J’aipeurquenousnepuissions«fabriquer»despreuves,VotreGrâce,dit-ild’untoncalme,

maisferme.Nousdevonslesdécouvrirnaturellement.Leducfitlamoue.—Dieuquec’estassommant!Maméthodeestbeaucoupplusrapide.— Bon sang ! explosa Makepeace, et Apollon craignit un instant qu’il ne soit obligé de le

maîtriserphysiquement.Cesfaussespreuvessontcenséesconduireunhommeàlapotence!—Nesoyezpashypocrite,monsieurHarte,rétorqualeduc.VouscroyezGreavesaussicoupable

quemoi,vouscherchezsimplementàménagervotreconscienceavecdevraiespreuves.Lerésultatserapourtantlemême:unhommeseraarrêtéetlordKilbourneéchapperaàBedlam.

— Quoi qu’il en soit, décréta Trevillion, sans hausser la voix mais avec autorité, nousprocéderonsànotremanière,VotreGrâce.

Lesoldatetl’aristocratesefusillèrentduregard.Puisleducheurtasatassedethé,dontlecontenuserépanditsurdespapiers.

—Oh,trèsbien!dit-ilavechumeuralorsqueMakepeacepoussaitdescrisd’orfraie.Puisquejen’aiaucunechancedevousfairechangerd’avis,nousallonsdoncdevoirnousrendredanslamaisonde campagne de William Greaves, près de Bath, pour tenter de dénicher des documentscompromettants.

Sestroiscompagnonsleregardèrentavecstupéfaction.—Quoiencore?s’agaçaMontgomery.Trevillions’éclaircitlavoix,maisMakepeaceledevança.— Comment suggérez-vous que nous nous introduisions dans la maison de campagne de

Greaves?Quatrevisiteursclandestinspeuventdifficilementpasserinaperçus.—Oh,ceneserapasunproblème!ronronnaMontgomery.Greavesaprévudedonnerunepartie

decampagnedansquinzejours.Unereprésentationthéâtraleseralecloudesfestivités.Naturellement,je suis invité. J’arriverai donc avec mes amis : M. Smith, dit-il en glissant un regard entendu àApollon,etvousdeux.

— Il n’en est pas question, objecta Makepeace. Car Greaves s’empressera de faire arrêterApollon.

—Enfait,intervintcedernier,jen’aijamaisrencontré…mononcle.Makepeacesetournavivementverslui,commes’ils’estimaittrahi.—Commentcela,jamais?Apollonhaussalesépaules.—Peut-êtrequand…j’étaisbébé?admit-il.Sinon,jen’aiaucunsouvenirdelui,nidurestedela

famille. Il ne m’a probablement… jamais vu. Lady Phoebe ne pourrait-elle pas nous obtenir desinvitations à cette partie de campagne ? ajouta-t-il en se tournant vers Trevillion, qui buvaittranquillementsonthé.

—Non, répondit ce dernier sanshésiter. Son frère refusequ’elle se rende à des réceptions endehors de celles organisées par des membres de sa famille. Et cette règle souffre très peu

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d’exceptions.Toutefois…jecroissavoirqueWakefieldpossèdeunemaisonàBath.CelanedevraitpasêtretrèscompliquédesuggérerqueladyPhoebeailleprendreleseauxquelquesjours.Etcommeelleadorelethéâtre,elledevraitêtreautoriséeàserendreàunereprésentationprivée.Jevaism’enoccuper.

Montgomeryfrappadanssesmains.—Voilàquiestréglé.Danscesconditions,ilnenousresteplusqu’unechoseàfaire.—Laquelle?interrogeaMakepeace.LeducfixasonregardbleusurApollon,quisesentitsoudainnerveux.—Ehbien,transformerlordKilbourneenaristocrate–cequ’ilest,audemeurant.

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Arianesuivitlescouloirssinueuxdulabyrinthependantdeuxjoursetdeuxnuits.Ellemangeaitlepainetle fromageque samèreavaitdissimulésdans lesplisde sa robeetbuvait la roséequ’elle récupéraitdanslescrevassesdesmurs.Parfois,elleentendaitunrugissementanimaloucequiressemblaitàuncrihumain,mais la plupart du temps, tout était silencieux. Le troisième jour, elle découvrit son premiersquelette…

Deux semaines plus tard, Lily contemplait la façade de la maison de campagne de WilliamGreavesensongeantqu’elleauraitdûressentirdavantaged’excitation.

C’étaitsapremièreoccasionqu’illuiétaitdonnédepuisdesmoisderemontersurscène.Etdansl’unedesesproprespièces,quiplusest.Auprixd’uneffortsurhumain,elleavaitréussiàterminerd’écrireLesRemordsd’unpanierpercédans lesdélaisetavait faitporter lemanuscritàEdwin,endépit de ses doutes. Après tout, son frère avait déjà un acheteur, et tous deux avaient un besoinpressantd’argent.

Lily n’avait pas franchement été surprise quand le duc de Montgomery l’avait présentée auxautresacteursetqu’elleavaitapprisqu’elle joueraitdanslapiècequ’ellevenaitd’achever.WilliamGreaves était cet ami du duc qui avait commandité Les Remords d’un panier percé, et elleinterpréteraitlerôlevedettedeCecilyWastrel.

L’undansl’autre,lesévénementstournaientàsonavantage,et,entoutelogique,elleauraitdûêtreimpatientedemontersurscène.

Au lieu de cela, elle ressentait unemélancolie persistante.Caliban – lordKilbourne – avait detoute évidence échappé aux soldats, mais elle ignorait où il s’était réfugié. Indio avait passé lasemaineàarpenterleparcenselamentantsurladisparitiondesonami.MêmeMaude,quiauraitdûse réjouir que sesmises en garde concernantCaliban se soient révélées vraies, gardait le silence.Aprèsledépartdessoldats,Lilys’étaitrenduedansl’ancienkiosqueàmusique.Calibann’avaitlaisséderrièreluiquequelquesvêtements,unmorceaudepainetsoncarnet.Elleavaitemportécederniercommequelquesouvenirpathétique–dequoi,ellen’auraitsuledireprécisément.

Aussi,c’estavecunsouriredepurefaçadequ’ellepénétradans levestibuledeGreavesHouse.C’était une vieille demeure aux pièces étroites et assez sombres. Lily regarda autour d’elle,s’inquiétantdéjàdel’endroitoùilspourraientdresserlascène.

—Ah,voilànosacteurs!s’exclamaWilliamGreavesavecemphase.C’étaitunhommed’unesoixantained’années,quiavaitdûêtreséduisantdanssajeunesse,mais

que le temps n’avait guère épargné. Son teint gris, ses traits affaissés, les poches sous ses yeuxtrahissaientl’abusd’alcooletunenourrituretropriche.

—JesupposequevousêtesMlleGoodfellow?dit-ilàLily.Lajeunefemmes’inclina.

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—Vousavezparfaitementdeviné,monsieur,répondit-elle,avantdedésignerd’ungestelesautrescomédiens.Puis-jevousprésenterM.StanfordHume?

Stanford, les cheveux grisonnants et le visage rubicond, s’inclina en retenant une grimace. Lemalheureuxsouffraitd’unlumbago.

—MlleMollBennet?MollexécutaunerévérencequiincitaM.Greavesàplongerlesyeuxdanssondécolleté.—EtM.JohnHampstead?John sourit et s’autorisa un salut théâtral. Il était grand, mince et n’avait pas de préférence

s’agissantdusexedesespartenairesdelit.Cesquatre-làétaientlesacteursprincipaux.Lerestedelatroupeétaitessentiellementcomposéde

figurants.—BienvenueàGreavesHouse,déclaraM.Greavesavecchaleur,avantderuinersoneffetense

montrant très terreà terre :Monmajordomea faitpréparervoschambres, jecrois. Jecomptesurvouspourvousjoindreànousaudîner.Lacompagnieseracharmante.Ah,j’aperçoismonfilsetsafemme.Sivousvoulezbienm’excuser?

Etilsfurentabandonnésaumajordome.Lequel,biensûr,semontradédaigneux.—Lake, dit-il, claquant dans ses doigts à l’intention d’un valet,montrez leurs chambres à ces

personnes.—Merci,chéri,lançaJohn,toutsourire,aumajordome.Etilsemboîtèrentlepasauvalet.—Aumoins,noussommes logésdans lamaisondumaître,commentaMollavecphilosophie,

tandisqu’ilsgravissaientl’escalier.Ladernièrefoisquej’aiparticipéàunereprésentationprivée,ilsvoulaient nous héberger dans les écuries, comme des bohémiens ! J’ai protesté, bien sûr. Soit onm’offraitaumoinsunechambredeservice,soitjerentraisàLondres.Ilsontrâlé,maisj’aifiniparl’emporter. C’était pour une représentation de Richard II dans le Cambridgeshire, vous voussouvenez,Stanford?

—Jem’ensouviens,confirmacedernierdesontonunpeuprécieux.C’étaitd’undéprimant.—Jenesaispascequileurétaitpasséparlatête,acquiesçaMoll.Unepiècehistoriquepourune

partiedecampagne!Vousimaginez?Levaletqui,contrairementaumajordome,lesconsidéraitavecrespect,lesconduisitjusqu’àdeux

chambres. Après l’histoire de Moll, Lily appréhendait un peu de découvrir ce qu’on leur avaitréservé.Maisendehorsdufaitqueleschambressetrouvaientàl’extrémitéd’unlongcouloir,iln’yavaitrienàredire.

—Apparemment,nousallonsdevoirpartagerlemêmelit,constataMollenentrant.Jeneronflepas,çanedevraitdoncpasposerdeproblème.Dépêchons-nousdenousprépareretderedescendre.J’aicommel’impressionquenousseronsl’attractiondelasoirée.

C’était souvent le cas, songeaLily, alors qu’elles se succédaient à la table de toilette, avant detroquer leursvêtementsdevoyagepourune toiletteplusappropriée.Lesacteurs recrutéspourunereprésentationprivéeétaientgénéralementconsidéréscommedesinvités«professionnels»parleurshôtes,quiattendaientd’euxqu’ilsmettentdel’animation.

Moll avait revêtu une tenue brun foncé etmauve, tandis que Lily avait opté pour l’une de sestenues préférées, une robe cramoisie au décolleté plongeant, au corsage et auxmanches ornés dedentelleblanche.

—Allons-y,ditMollensortantdanslecouloir,oùJohnetStanfordlesattendaientdéjà.

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—Mesdames,lessaluaJohnens’inclinantexagérément.StanfordoffritlebrasàMoll.LilypritceluideJohn,etilsrejoignirentl’escalier.LajeunefemmeavaitdéjàtravailléavecMolletJohnparlepassé,etellepressentaitqueStanford

rempliraitsonrôleàmerveille.End’autrescirconstances,elleseseraitréjouie:unebelledemeureàlacampagne,unefête,descollèguespleinsd’espritetlaperspectivedebienmangerpendantquelquesjours.

Cesoir,toutefois,ellenevoyaitdanscetteréceptionqu’uneépreuveàendurer.Ils furent dirigés vers un grand salon, au premier étage. Lily en évalua mentalement les

dimensionsafindesavoirs’ilconviendraitàleurpièce.Laluminositén’étaitpasexcellente–iln’yavaitquedeuxfenêtres–,maisdanslamesureoùlareprésentationauraitlieulesoir,deschandellesgénéreusementdisposéesdevraientfairel’affaire.

ElleaccrochaleregarddeStanford,etlorsqu’illuiadressaunclind’œil,ellesutqu’ilpensaitlamêmechosequ’elle.

Puisleurhôtefitsonentréeet,aveclui,lerestedesinvités.Pourcommencer,GeorgeGreaves,lefilsdeWilliamGreaves,etsafemme.Leurhôteétantveuf,

Lilysoupçonnaitsabelle-filled’avoirenpartieorganisé laréception.C’étaitunefemmed’environtrenteans,assezbanaleetplutôteffacée,dontleregardbrillaitd’intelligence.Parcontraste,sonmariavaitunevoixquiportaitetquiauraitfaitmerveilleauthéâtre.GeorgeGreavesétaitplutôtmassif,maisbelhomme,commesonpèreavaitdûl’êtreautrefois.

Derrière eux suivait un jeune couple,M. etMmePhillipWarner.Mariés depuis peu, ils étaientvisiblement très épris l’un de l’autre. Ils étaient l’un et l’autre d’une beauté saisissante, qui laissaitprésagerderavissantsenfantsàvenir.

MlleHippolytaRoyle,unebruneséduisante,étaitaccompagnéedesonpère, sirGeorgeRoyle,quiavaitfaitfortuneenIndeetavaitétéanoblienrécompensedesesservicesàlanation.

OutreMlleRoyle, deux autres femmes seules avaient été conviées :Mme Jellett, uneveuvedebonnefamille,dontleregardtrahissaitlegoûtdesragots,etladyHerrick,lariche–etbelle–veuved’unbaronet.

Lilysefaisaitlaréflexionquelesfemmesétaientensurnombre,quandleurhôtes’exclama:—Ah,VotreGrâce,vousvoilàenfin!ElleseretournaetvitentrerleducdeMontgomery,MalcomMacLeish…EtCaliban.Sauf qu’il n’était plus Caliban, mais le vicomte Kilbourne. Les cheveux sévèrement tirés en

arrièreetattachésencatogan, ilportaitunevestebleusombre rebrodéed’oretd’écarlate,ungiletcrème,etavaittoutduparfaitaristocrate.

Lily portait une robe cramoisie qui révélait le renflement pâle de ses seins ravissants, et forttentants.

Apollonavaitl’impressiond’avoirétéfrappéentrelesdeuxyeux.—Vousnem’aviezpasditqueMlleGoodfellowseraitlà,souffla-t-ilàl’oreilledeMontgomery.—Ah,non?répliqualeduc.J’auraisdû?Laprécisionétaitd’importance?Oh,pourcela,Montgomerysavaitpertinemmentquelaprécisionétait«d’importance».Durant

ces deux semainespendant lesquellesApollon s’était préparédans la perspectivede cette partie decampagne, il avait passé une grande partie de son temps en compagnie du duc. Ce dernier étaitredoutablementintelligent,versatile,d’unégoïsmesansnometdotéd’unsensdel’humourespiègle

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qui le faisait rire lorsque les autres se trouvaient dans des situations fâcheuses.Unpeu commeungaminquiadoreraitorganiserdesbataillesentreinsectes.Àceciprèsqueleducétaitbeaucouppluspuissantqu’unpetitgarçon.

IlétaitdoncdifficiledesavoirsiMontgomeryavaitcaché laprésencedeLilyàApollonparcequecelal’amusait,oupourquelqueautreraisonplusvile.

Nonpasqu’Apollons’ensouciâtpourlemoment.Deux semaines s’étaient écouléesdepuisqu’il avaitvu la jeune femme.Deux semainespendant

lesquelles ils’étaitcouchéchaquesoirensedemandantcommentelleallaitoucequ’ellefaisait,etréveillé,chaquematinenpensantàelle.

Lily,quiavaitécarquilléimperceptiblementlesyeuxàsonentrée,sereprittrèsviteetaffichaunsourirepoliqu’Apollondétestad’emblée.

Sononcle,WilliamGreaves, faisait les présentations,mais il n’avait d’yeuxque pour la jeunefemme.

Ellefitunerévérence.—MonsieurSmith,murmura-t-elle,carc’étaitcepseudonymequ’ilavaitétédécidéd’employer,

etc’étaitdoncsouscenomqueleducl’avaitprésentéàGreaves.Apollonneputseretenir.Celafaisaittroplongtemps,etilignoraitcequeLilypensaitàprésent

delui.Sielleledétestaitousi–Dieul’enpréserve–elleleprenaitpourunassassinsanguinaire.Il s’emparadesamainet s’inclinapour laporteràses lèvresainsiqu’ilavaitapprisà le faire

enfant,etréapprisaucoursdecesdeuxdernièressemaines.—MademoiselleGoodfellow.Dansunvéritablebaisemain,onétaitsupposéembrasser l’airau-dessusde lamainde ladame,

maisApollonfrôlalesdoigtsdelajeunefemmedeseslèvres.Iln’étaitpasquestionqu’elleoubliecequ’ilsavaientpartagé.

Lorsqu’il se redressa, il surprit une étincelle irritée dans son regard et en fut ravi. Il préféraitencoresusciterdelacolèreplutôtquedel’indifférence.

Ilsfurentviteséparés,carleurhôteavaitd’autresinvitésàprésenter.—N’était-cepasintéressant?gazouillaMontgomerytandisqu’ilacceptaitunverredevinoffert

parunvalet.—Quelqu’unfiniraparvousassassinerdansvotresommeil,undecesjours,marmonnaApollon,

quicongédialevaletsansseservir,parcequ’ilvoulaitgarderlesidéesclairespourlasoiréeàvenir.—Àconditionquelequelqu’unenquestionparvienneàdéjouerlespiègesposéssursonchemin,

répliqualeducd’unairabsent.Ilplaisantaitprobablement,encoreque…Montgomerypouvaittrèsbiendormiravecdespièges

disposésautourdesachambre.Ilavaitdesmanièresdepotentatoriental.—Pourquoim’avez-vousemmené?demandasoudainMalcolmMacLeish.L’Écossaisparaissaitagacéet,pourlapremièrefois,Apollonseditqu’iln’étaitpeut-êtrepasle

seulmisérableinsecteaveclequelleduccomptaits’amuser.—Sansdoutepourvousrappelervosobligations,répliquaMontgomery.Etaussipourleplaisir,

biensûr.Apollonsedemandadequel«plaisir»ils’agissait,maisilsoupçonnaitleducdeneseréférer

jamaisqu’àsonpropreplaisir.IltournalesyeuxducôtédeWilliamGreaves,leurhôteetlaraisonprincipaledesaprésenceici.

Son oncle n’avait rien d’extraordinaire physiquement, un rien pompeux, il avait la bouche un peu

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molle.Était-ilcapabled’ordonnerlemeurtredetroishommes,uniquementpourpiégersonneveu?Celasemblaitpeuplausible,maissicen’étaitpaslui,alorsqui?

SiApollon n’avait pas décelé lamoindre trace de ressemblance entre son oncle et lui, il n’enallait pas de même de son cousin George. Celui-ci était aussi grand que lui, large d’épaules, lescheveuxchâtains.Sestraitsétaientmieuxdessinésquelessiens,cependant,lessimilitudesentreeuxétaient telles qu’Apollon avait, en le regardant, l’impression d’observer son propre reflet dans unmiroir.

IlenétaitlàdesesréflexionsquandMontgomerymurmura:— S’il vous plaît, n’essayez pas trop d’apparaître comme le héros tragique d’un sombre

mélodrame.Noussommesàunefête.Surcesmots, leducsedirigead’unpasdésinvoltevers ladyHerrick,quin’étaitpasseulement

belle,maispossédaitenoutreunejoliefortune.ToutàfaitlegenredeMontgomery,songeaApollon.Lamalheureuse.—Ilcollectionnelesgens,commental’architecte.Commeunearaignéecollectionnelesmouches

danssatoile.Illesattiredanssespièges,lesentortilledansdesfilsdesoieetillesgardejusqu’àcequ’ilenaitl’usage.

Et, tournantversApollonunregardunpeu tropcyniquepourquelqu’undesi jeune,MacLeishdemanda:

—Vousaussi,ilvousaajoutéàsacollection?—Non,réponditApollon,quiobservaitdenouveauLily.La jeune femme riait à quelque chose que racontait PhilipWarner. Sa gorge était d’un blanc

crémeuxetApollonmouraitd’enviedelalécherjusqu’àcequ’ellecessederireauxplaisanteriesdesautreshommes.

—Illecroitpeut-être,enchaîna-t-il,maisildécouvriraqu’ils’esttrompé.—C’étaitcequejepensais,moiaussi,murmuraMacLeish,quisuivaitsonregard.Etfinalement,

c’estmoiquimesuistrompé.Apollon lui jetaun coupd’œil, puis s’éloigna sansmotdire. Il ignorait cequi sepassait entre

Montgomeryetsonarchitecte,etn’avaitpasdetempsàperdreaveccela.SesyeuxétaientrivéssurLily.

Caliban–non,lordKilbourne–sedirigeaitverselleetLilynesavaittropquoifaire.Depuisledébut de la soirée, elle n’avait cessé de sentir son regard sur elle, épiant chacun de ses gestes.Cen’était pas juste : après tout, c’était lui qui s’était volatilisé sans une explication, sans même luienvoyer un mot pour lui dire qu’il allait bien. Et voilà qu’il réapparaissait brusquement, usanttoujours de ce pseudonyme ridicule. M. Smith. Avait-il seulement songé à inventer un prénomapproprié?Une terriblepensée traversasoudain l’espritdeLily.Dieuduciel !Elleneconnaissaitmêmepassonvraiprénom!Elles’étaitlaisséembrasserparunhommedontelleignoraitjusqu’auprénom!

—Quelestvotrevrainom?luidemanda-t-ellesansdétourlorsqu’ils’immobilisadevantelle.Elleavaitlesyeuxhumidesetcillaensepersuadantquec’étaientlàdeslarmesdecolère.Ilregardaautourdelui,probablementpours’assurerquepersonnenepouvaitlesentendre.Par

chance,M.PhilipWarner était allé rejoindre sa femme et personned’autre ne se trouvait à portéed’oreille.

—ApollonGreaves,vicomteKilbourne,murmura-t-il.

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Apollon?Apollon?Lilyfaillitglousser.En toutcas, ilnepourraitpasutiliserApollonavecSmith– l’effet seraitparfaitement ridicule.

Caliban ne convenait d’ailleurs pas davantage, tout bien réfléchi. Mais Apollon… Quelle mèreregarderaitsonnouveau-néenpensantaudieudelalumière?C’étaitunprénomd’autantpluslourdàporterqu’ilavaitunesœurjumelle…

Le flot de pensées de Lily s’arrêta brutalement. Elle venait de faire le rapprochement entre lasœurjumelledudieuApollon,etlaprobablesœurjumelledel’hommeApollon.

—VotresœurestArtémisBatten,duchessedeWakefield,siffla-t-elle.—Chuut!—Votresœurestduchesse!Ilhaussaunsourcil.—Oui,etalors?répliqua-t-il,commesitoutlemondeavaitunesœurduchesse.—Cequisignifiequeleducestvotrebeau-frère.—C’estsurtoutuncrétin,sicelapeutfaireunedifférencepourvous.—Non,celan’enfaitaucune.Etjemedemandepourquoivousm’adressezseulementlaparole?

Jenesuisqu’unemodesteemployée.—Vousnel’êtespasetvouslesaveztrèsbien,répliqua-t-il,agacé.Ilfautquejevousparle.Que

jevousexplique…—Jesuispayéepourêtreici,l’interrompitLilyavecautantdedignitéqueleluipermettaientles

circonstances.Alorsquevousêtesnéaumilieudetoutcela,poursuivit-elleendésignantd’ungrandgestelesalonauplafonddécoréàlafeuilled’or.Vousetmoin’avonsabsolumentrienencommun.J’ignorepourquoivousêtesvenuàcetteréception,maisjevousseraisreconnaissantedegardervosdistancesavecmoi.

Elleplaquaunsouriresursonvisageets’éloignad’unedémarchedélibérémentgracieuse.Ellenevoyait pas l’intérêt de faire une scène sous prétexte qu’elle avait le cœur brisé. Ce serait ridicule.Lorsque Caliban n’était qu’un jardinier sans le sou, pauvrement vêtu et muet, il n’était pas horsd’atteinte.Maintenantqu’ilarboraitdebeauxatours–songilet,àluiseul,devaitcoûterpluscherquecequ’ellegagnaitensixmois–,ilétaitàpeuprèsaussihorsdesaportéequelesoleil.

Apollon,rienquecela.Sonprénomneluiallaitpeut-êtrepassimal.S’ilétait ledieuApollon,ellen’étaitqu’unehumblebergère,ouàpeineplus.Saplaceétaitsur

terre, pas au ciel.Dans lamythologie, les bergères convolaient avec les dieux,mais l’aventure sefinissaitgénéralementtrèsmalpourlespauvresmortels.

EtLilyétaitbienplacéepoursavoirquec’étaitlamêmechosedanscemonde-ci.Lemajordomeentrasurcesentrefaitespourannoncerqueledînerétaitservi.Ilspassèrentdans

uneautrepièce,guèremieuxéclairée,étroiteettouteenlongueurcommesisaseulefonctionétaitdeloger une interminable table en acajou. Lily se retrouva assise entre le duc deMontgomery et lecharmant M. Warner. George Greaves était en face d’elle, avec Mme Jellett à sa gauche etMmeWarneràsadroite.

Ils avaient àpeinecommencédemangerqueMmeJellett,une femmed’âgemûr, arborantunerobed’unjaune-vertsaisissant,sepenchaverssonvoisinetluidemandad’unevoixforte:

—Avez-vousdesnouvellesdevotrecousindément,monsieurGreaves?Jecroissavoirqu’ilaéchappédepeuàlacapturedanslesruinesdesFoliesHarte.

ÀlafaçondontWilliamGreavespinçaleslèvres,iln’étaitpasdifficilededevinerqu’ilnetenaitpasàcequel’onabordecesujet.Cequi,biensûr,nedissuadapassesinvités.

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—On raconte qu’il a tué trois personnes avec un énorme poignard, assura MmeWarner enréprimantunfrissonmélodramatique.L’idéequ’unfouquiestaussiunassassinsoitenlibertédonneenviedesecachersoussonlit.

—Oudanslelit?murmuraleducdeMontgomery.—Offririez-vouslaprotectiondevotrechambre,VotreGrâce?s’enquitladyHerrickd’unevoix

languide.Leducs’inclina.—Pourvous,madame,jeseraisprêtàfairecesacrifice.—Quelcourage,commentaMoll.Celadevraitsuffireàenvoyerunefemmeauseptièmeciel.Saremarquefitglousserlesdames.Lilycontemplaitsonassiette,seforçantàn’éprouveraucunesympathiepourCaliban–Apollon–,

maisc’étaitdifficile.Lesautresparlaientdeluicommes’iln’étaitqu’unebêteàabattre.Aurait-ellepensélamêmechosesielleavaitentenduleshistoiresleconcernantavantdeleconnaître?L’aurait-ellecondamnéd’emblée,sansautreformedeprocès?

Probablement.Lapeuravaittendanceàvousfaireoubliercequ’ilyavaitdeciviliséenvous.—Dites-moi,monsieurGreaves,votrecousinest-ilfoudepuistoujours?insistaMmeJelletten

setournantversGeorge.Selivrait-ildéjààdesactivitésbizarresoucruelleslorsqu’ilétaitenfant?Depuislehautboutdelatable,WilliamGreavessemêlaàlaconversation.—Jecrains,madame,quececôtédenotrefamillen’aittoujourssouffertdebizarreries,déclara-

t-ild’unairsombre.Monfrèreétaitsujetàdescrisesd’excitationsuiviespardespériodesd’intensemélancoliedontilpeinaitsouventàserelever.

Ilbutunegorgéedevinavantd’ajouter:—C’estfortdommagequ’étantl’aîné,ilaithéritédutitre.—Ilseraitpréférablepourtouteslesgrandesfamillesanglaises,renchéritsonfils,quelestitres

puissent être retirés aux héritiers qui, en raison d’une maladie ou d’une déficience mentale,affaiblissentleslignéesdel’aristocratie.

—Sicettemesureétaitappliquée,commentaleducdeMontgomeryd’untonnarquois,lamoitiédestitresanglaisdevraientchangerdemains.Mongrand-père,parexemple,aimaitseprendrepourunvacher.

—Vraiment,VotreGrâce?fitJohn,quisepenchaenavantpourvoirleducàl’autreboutdelatable.Unvacher?Pasunberger?Ouunchevrier?

—L’obsessiondemongrand-pèreétaitparaît-iltrèsspécifique.Seuleslesvachesl’intéressaient.Certainsprétendaientquesonaffectionétaitlaconséquenced’unmalquejenementionneraipasici,carils’opposeàlabienséance.

— Et cependant, d’une certaine manière, vous l’avez déjà mentionné, Votre Grâce, remarquaMlleRoyle.

—Touché,madame,répliqualeduc,unrienirrité.MlleRoylehaussalesépaules.—Personnellement, jen’ai jamaistrouvélafolieamusante,soupira-t-elle,fût-elledenaissance

oucauséeparunemaladie.—Moncousinn’amêmepasl’excusedelamaladie,assuraGeorgeGreavesd’untondur.Ilest

nél’espritdérangé.Ettroisbravesgarçons–sespropresamis–ensontmorts.Jeregrettequ’ilaitétéinternéàBedlamaulieud’êtreenvoyédevantlesjuges,commeilleméritait.

— Enfin il s’agissait d’un gentleman titré ! lui rappela son père. Un tel procès aurait mis endangerlastructuremêmedenotregrandenation.

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—Danscecas,ilfallaitconfiersonsortàlaChambredeslords,répliquaGeorge.Jepréfèreunlordaccusédemeurtre et châtié enconséquence,plutôtqu’un fouquibat la campagne, etdont lesgensmurmurentqu’iln’estlibrequ’enraisondesonrang.Celapourraitdonneràréfléchiraupeuple,etpersonne,ici,nelesouhaite.

—Tuaspeut-êtreraison,admitsonpère,quel’argumentsemblaitébranler.— Je sais que j’ai raison, riposta George. Pensez à l’ignominie qu’il a déjà attirée sur notre

famille.Qu’arrivera-t-ils’ilassassined’autresinnocents?L’humeurautourdelatables’étaitsoudainassombrieàcetteperspective.Maisleducsechargea

dedétendrel’atmosphère.—L’ignominieneseracertainementpasplusgrandequecelleattiréesurnotrefamilleparmon

grand-onclelorsqu’ilsemitentêted’avoirdesrelations…euh,maritales,avecunejument.Aprèscecommentaire,laconversationreprituntourplusbadin.LilycoulaunregarddiscretàApollon.Ildégustaitsonrepassanstrahirlamoindreémotion.Il

devaitpourtantbienressentirquelquechose,àentendresonhistoireainsiexposéeàtoutelatablée?Sononcleet soncousinétaient sa famille, et cependant, non seulement ils le considéraient commecoupable des crimes dont il avait été accusé,mais ils feraient tout pour qu’il soit emprisonné oupendusionluimettaitlamaindessus.

Alorsquediablefaisait-ilici?Lilys’aperçutsoudainqueleducl’observait.Ellesesouvintqu’elleavaitunrôleàjouer–etque

leduc,pourunefois,n’étaitpeut-êtrepaslapersonnelaplusdangereusedel’assemblée.Aussisemêla-t-elleàlaconversationenveillantàneplusregarderducôtéd’Apollon.Detoute

façon,quoiqu’ilmanigançât,celanelaregardaitenrien,ellelasimplecomédienne.Lorsque,quelquesheuresplus tard, elle reprit le cheminde la chambrequ’ellepartageait avec

Moll, Lily était exténuée d’avoir dû jouer toute la soirée les jeunes femmes insouciantes etspirituelles.

Qu’illuiseraitdouxdebaisserenfinlagarde,seuleavecMoll.Maisàpeineeut-ellepoussésaportequ’ellecompritsonerreur.Molln’étaitpaslà.Enrevanche,levicomteKilbourneétaitallongésurlelit.

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13

Petit,enveloppédelambeauxdetissubleu,lesqueletteoffraitunevisiond’uneinfinietristesse.Desperlesdeverrerosesétaientdisséminées toutautour.Lajeune fillesacrifiéeau labyrinthe l’annéeprécédenteportait un collier de perles de lamême couleur. Ariane s’agenouilla à côté du squelette et récita uneprièrepour lesdéfuntsquesamère luiavaitapprise toutenrépandantde lapoussièresur lesrestes.Puisellesereleva,etpoursuivitsonchemindanslelabyrinthe…

Lilysefigeasurleseuil,avantdereculerd’unpas.Apollon tourna la têtedanssadirection.La journée, longueetharassante,avaiteuraisondesa

patience.—Sivouspartez,jevoussuivraietnousauronscettediscussiondanslecouloir,oùtoutlemonde

pourral’entendre.Lily le fusilla du regard,mais n’en pénétra pasmoins dans la chambre. Elle referma la porte

derrièreelle.—Dequoivoulez-vousparler?—Denous.—Iln’yarienàendire—Cen’estpasmonavis.Elledétournauninstantleregard,puisreportasonattentionsurlui.—Votrevoixs’estaméliorée.Il hocha la tête. Sa gorge était encore un peu douloureuse à l’occasion, et sa voix, toujours

rouillée,maisiln’avaitplusautantdedifficultésàs’exprimer.—Celafaitquinzejours,dit-il.OùestIndio?Lajeunefemmeenroulasesbrasautourdesataille.—Jel’ailaisséavecMaude.—Dansleparc?—Non,ilssontallésrendrevisiteàlaniècedeMaude,àlacampagne,letempsdemonséjourici.

Etvous,pourquoiêtes-vouslà?Ils’étiraetcroisalesmainssoussanuque.—Vousm’avezfaussécompagnie,toutàl’heure,quandj’aivouluvousparler.J’enaiconcluque

puisquevousnevouliezpasveniràmoi,jen’avaispasd’autrechoixquedeveniràvous.—Mollnevapastarderàarriver.—Non.Jeluiaidonnéassezd’argentpourlaconvaincrederesteràl’écart.Lilyouvritdegrandsyeux.—Vousnepouvezpasfaireunechosepareille!s’indigna-t-elle.Oùva-t-elledormir?Elleétait

impatientedeprofiterd’unbonlit.

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—Sivousvouleztoutsavoir,jeluiaioffertlemien.Lajeunefemmepinçaleslèvres,refusantdeselaisserattendrir.—Peuimporte,rétorqua-t-elle.Iln’estpasquestionquevouspassiezlanuitici.Et,ajouta-t-elle

avant qu’il puisse objecter, vous n’avez pas compris ma question : que faites-vous ici, chezM.Greaves?

—Jechercheàdémasquerlevéritablemeurtrier,dit-ild’unevoixlasse.Aprèsn’avoircessédeparlerdusujetavec leducetTrevillioncesdeuxdernièressemaines, il

commençaitàenavoirassez.—Pourquoinepasvousasseoir?dit-ilenluiindiquantunechaise.—Parcequeceneseraitpasconvenable.Apollon se demanda si elle le pensait réellement, ou si elle usait simplement du prétexte de

l’étiquettepourmettredeladistanceentreeux.—Commentcomptez-vousdémasquerunassassindansunepartiedecampagne?reprit-elle.—Nouspensonsqu’ils’agitdemononcle,avoua-t-il,puis,laregardantavecintérêt,ilajouta:

Vousdevezêtreépuisée.Elleredressalementon.—Nous?—Montgomery,TrevillionetHarte–enfin,Makepeace.Lilyledévisageaavecincrédulité.—VousavezrévélévotresecretauducdeMontgomery?articula-t-elle.Vousavezperdulatête?—Non.J’étaisjustedésespéré.Detoutefaçon,jen’aipaseuàleluidire:ill’avaitdécouvertpar

sespropresmoyens.Ilprituneinspiration,puis:—Lily,jen’aipasenviedeparlerdecelamaintenant.Je…Ils’assitdanslelit,sepassalamaindanslescheveux.—Savez-vousdequoijesuisaccusé?—Si jene l’avaispas suavantd’arriver ici, je l’auraisapprisaucoursdudîner, répondit-elle

aigrement.Illaregardad’unairgrave.—Jeveuxquevoussachiezquejen’aipascommiscesmeurtres.—Vraiment?—Lily…—Vousêtespartisansunmot.— Ils surveillaient le parc. Je ne pouvais pas vous faire parvenir unmessage sans prendre le

risquequelessoldatsdécouvrentquevousmeconnaissiez.—J’aidumalàvouscroire, répliqua-t-elledurement.Vousauriez trèsbienpu fairepasserun

messageàMaudequandellefaisaitlescourses,ouàunjardinier,outrouvermilleautresmoyensdem’avertir.

Apollon se contenta de la regarder. Peut-être avait-elle raison. Peut-être n’avait-il pas assezessayé.Àsadécharge,ilavaitététerriblementoccupéparlapréparationdeceplancensél’aideràsedisculperparcequ’ilsavaitquetantqu’iln’auraitpasobtenusaréhabilitation,iln’auraitrienàoffriràLily.

Ellepritapparemmentsonsilencepouruneréponse.—Sivousvousétiezsouciéuntantsoitpeudenous,vousvousseriezdébrouillépournousfaire

savoirquevousétiezenvie.

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—Jemesoucieénormémentdevous.—Vraiment?Pourtant,vousnousavezabandonnés–vousm’avezabandonnée–sansunmotni

unavertissement.—Lily…—Jepensaisquenousétionsamis.Ilselevad’unmouvementfluide.—Jepensaisquenousétionsplusquedesimplesamis,répliqua-t-ilens’avançantverselle.Elleécarquillalesyeuxetreculaspontanément,jusqu’àcequesondosheurtelaporte.Il aurait dû semontrer plus doux, l’approcher avecdavantagede précautions.Après tout, il se

pouvait qu’elle ait peurvu cequ’on avait raconté sur lui audîner.Mais il était fatigué– tellementfatigué–qu’onl’aitdépossédédetoutceàquoiiltenait.

Iln’entendaitpaslaperdre,elleaussi.Pass’ilpouvaitempêcherquecelaarrive.Ils’arrêtaàquelquescentimètresdelajeunefemme.—Nelesommes-nouspas,Lily?Plusquedesamis?Seslèvress’entrouvrirenttandisquesonsouffles’accélérait,maisellenesemblaitpaslemoins

dumondeavoirpeur.—Voussaveztrèsbienquenousl’étions,murmura-t-elle.—Celan’apaschangé.Elleéclatad’unrireperplexe.—Êtes-vousfou?—C’estcedontonm’accuse.—Nevouscachezpasderrièrelesrailleries,répliqua-t-elle,agacée.Toutachangé.Àcommencer

par vous. Vous… vous êtes un aristocrate. Un vicomte – et un jour, vous serez comte. Je suis labâtarded’unecomédiennealcooliqueetd’unhommeàtoutfaireillettré.

Apollonlapritauxépaules.Ildutseretenirdelasecouer.—Je suis lemêmehommeque lorsque je travaillaisdans leparc.Lemêmehommeque celui

avecquivousétiezsigentillequandj’étaismuet.—Non!répliqua-t-elle,sapoitrinesesoulevanttantsacolèreétaitgrande.Cethommeétaitdu

mêmemonde quemoi. Il était simple et… et attentionné. Et ce n’était pas unmauditaristocrate !acheva-t-elleenfrappantdupoingletorsed’Apollon.

—Vousnesavezpasquijesuisréellement.—Ehbiendites-le-moi!Apollonplongeasonregarddanslesbeauxyeuxvertsetsentitquelquechosesebriserenlui.Quatreannéesdetourmentsetdesolitude.Quatreannéesàs’entendredirecequ’ilétaitetcequ’iln’étaitpas.Quatreannéesd’abandonpresquetotal,passésàcroupirdansunecellulesordide.Maisiln’étaitpasmort.Etilrefusaitdésormaisdegaspillerunseulinstantdesavie.—Jesuistoutcequevouspensiezdemoi,murmura-t-il.Lejardinier,l’aristocrateetlefou.Ce

quej’aienduréàBedlamamismonâmeàl’épreuve,brûlantceluiquej’étaispourlerefaçonner.Jen’auraispassurvécusijenem’étaispaslaisséremodeler.

ApollonsetutetcontemplaLily,audésespoir.Elleluirenditsonregard,lesyeuxhumides.Ilappuyalefrontcontreceluidelajeunefemme.—Envérité,jenesaisplusquellesorted’hommejesuis.C’estcommesij’avaisétéfraîchement

démoulé et que j’étais encore trop brûlant pour évaluer ma consistance.Mais je sais une chose :

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quellequesoitlacréaturequejesuisdevenue,jesuisàvous.Aidez-moi,Lily.Donnez-moilaformequevoussouhaitezetranimezlesouffledevieenmoi.

Apollonavaitépuisélesmotspourlaconvaincre,aussifit-ilcequ’ilrêvaitdefairedepuisqu’ilavaitposélesyeuxsurelle,cesoir:ilcapturaseslèvres.

Son baiser était si doux, si tendre que, l’espace d’un instant, Lily fut incapable d’aligner deuxpenséescohérentes.Ellenepouvaitqueressentir–lachaleurdesabouche,sonsouffletièdesursajoue,sesmainsquiencadraientsonvisage.Salanguecaressalasienneetelleenconçutunbonheurinfini.

Elleglissalesmainsdanssescheveux,leslibéradececatogansiaustère.LibéraCalibandelordKilbourne.

Elleserenditcomptealorsquequelquesoit lenomqu’ilsedonnât,elle luienvoulaitencore.S’arrachantàseslèvres,ellemurmura:

—Jesuistoujoursfurieusecontrevous.—C’estvrai?souffla-t-ilavantdel’embrasserdanslecou.—Oui.Elleluitiralescheveuxpoursoulignersonpropos.Ilgrondaunpeu,maiscelanel’empêchapas

des’emparerànouveaudeseslèvres.—Jevaisvoircequejepeuxfairepourrentrerdansvosbonnesgrâces,murmura-t-il.Etavantqu’elleaitcompriscequ’ilsepassait,illasoulevadeterrecommesiellen’étaitpasplus

lourdequ’unchaton,pivotasur lui-mêmeet sedirigeavers le lit.Unesecondeplus tard,Lilyétaitallongéesurledos,Apollonsurelle.

Il se hissa sur les coudes pour ne pas l’écraser, mais ses jambes et son bassin la plaquaientfermementsurlematelas.

—Etcommentceciest-ilcenséarrangervotrecas?demanda-t-elleavecdignité.—Pourcommencer,vousnepouvezplusbouger,fit-ilremarquerenluicaressantlatempe.CommeLilyhaussaitlessourcils,ilsouritetexpliquaenôtantl’unedesépinglesquiretenaient

sonchignon:—Celamelaisseaumoinsletempsdeplaidermacause.Levantlesmainsenungestemoqueurdecapitulation,ellerépondit:—Jevousécoute.— Êtes-vous d’accord pour convenir que nous nous entendions singulièrement bien, dans le

jardin?Illuiretirauneautreépingle.—Àl’époque,j’ignoraisquivousétiez,objecta-t-elle.Illagratifiad’unregardsévère.—Cen’étaitpascequejedemandais.Êtes-vousd’accord,ouiounon?Ellelaissaéchapperunsoupircontrarié.—Jesuisd’accordpourreconnaîtrequejem’entendaissingulièrementbienavecl’hommequeje

croyaisquevousétiez.Mais…—Ah,ah!s’esclaffa-t-il,tendantlebraspourdéposerlesépinglessurlatabledechevet.Donc,

nous sommes tous les deux d’accord pour reconnaître que nous avions développé une relationparticulière.Leproblème,c’estquevousêtespersuadéequejenesuisplusl’hommequej’étaisalors.Jenesaispeut-êtrepastrèsbienquelhommejesuisdevenudepuismonséjouràBedlam,enrevanche

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jepeuxvouscertifierqueceluiquevousavezconnudans leparcest rigoureusement lemêmequeceluiquevousavezdevantvous,nouveauxvêtementsoupas.

—Non!répliquaLily.Elleécartalesjambespourplusdeconfort,toutens’envoulantdesesentiraussibiendanscette

position.—Non?répéta-t-ilenluicaressantlescheveux.Enquoisuis-jedifférent?Lilydevaitlutterpourgarderlesyeuxouverts.LesdoigtsdeCalibanquiluimassaientdoucement

lecrâneétaientundélice.—Votrenomn’estpluslemême,pourcommencer.—Quelle importance,unnom?chuchota-t-ilavantdedéposerunbaiseràcetendroitsensible,

justesousl’oreille.Vousm’appeliezCaliban,maissivousm’aviezappeléRoméo,n’aurais-jepasétélemême?Mamèrem’adonné lenomd’undieu réputépour sabeauté.Cela fait-ildemoiunbelhomme?Monmiroirmerappellechaquejourquenon.

Ilyavaitunefailledanssonraisonnement,Lilyenétaitsûre,etsielleavaitréussiàseconcentrerpourréfléchir,ellel’auraittrouvée.

—Tricheur,l’accusa-t-elle,d’unevoixqu’elleauraitvoulueplusassurée.Ilseredressaetellevitlesourirequiourlaitseslèvres.—Tentatrice,répliqua-t-il.Etill’embrassadenouveau.—Mesbaiserssont-ilsdifférents?demanda-t-iltoutcontresabouche.Ont-ilschangéenmême

tempsquemonnom?—Jenesauraisledire.Vousdevriezpeut-êtremefaireuneautredémonstration.Illuiléchalecoindelabouche.—Voussouhaitezvouslivreràuneexpériencescientifique,c’estcela?—Oui,admit-elle.—Commeilvousplaira.Il lui frôla les paupières de ses lèvres avant de capturer de nouveau sa bouche, étouffant son

gémissement.Sontorseluiécrasaitlapoitrine,etellerêvaitd’arracherleursvêtementspoursentirsapeaucontrelasienne.Ellesecambrasouslui.Elleavaitenviedefrottersesseinscontresontorse,maissoncorsetl’enempêchait,neluioffrantmêmepasl’illusiond’unecaresse.

Elleselaissaretombersurlematelasavecunsoupirdefrustration.Il s’agenouilla alors, la contempla avec un sourire arrogant qu’elle aurait volontiers fait

disparaîtred’unegiflesiellen’avaitpaseuautantenviedelui.—Alors?Jesuislemême?s’enquit-il.Savoixétaitunpeuplusrauque.Aumoinsn’était-ellepaslaseuleàêtretroublée.Cequiétaitune

piètreconsolation.—Jesuppose,répondit-elled’untonquisevoulaitdésinvolte,maisauquelilnecrutguèreàen

jugerparsongrandsourire.— Je suis lemême homme que celui du jardin, déclara-t-il, son sourire cédant la place à une

expressionsolennelle,presquesévère.Jemedéplacedelamêmefaçon,mespoumonsseremplissentpareillementd’air,moncœur…

Ils’interrompitcommepourdéglutir,puiscontinuaàvoixplusbasse:—Moncœurbataumêmerythme.Et sivousnedevezcroirequ’uneseulechose,LilyStump,

croyezcelle-ci:moncœurn’apaschangédepuislejardin.

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Lilyledévisagea.C’étaitlàdebellesparoles,maiselleavaitgrandiavecl’idéequ’onnepouvaitpasfaireconfianceauxnobles.Etellen’allaitpasfairetablerasedupasséenquelquesminutes.

Ilôtasaveste.—Aviez-vouspeurdeCaliban?Ellesecoualatête.Ildéboutonnasonsomptueuxgilet.—CalibanetApollonnefontqu’un.—Non.Calibanestmort.—Lecroyez-vousvraiment ?demanda-t-il,presqueavec indulgence. Je suisCalibanet je suis

Apollon.Unseuletmêmehomme.—Non.Ilsedébarrassadesongilet.—Si.—Enfait,iln’yajamaiseudeCaliban.Elleéprouvaitdelatristesse,commesiellepleuraitlapertedugentilgéant,dumueténigmatique,

qu’elleavaitapparemmentforgédetoutespièces.Ils’esclaffa,legredin.—Pensiez-vous que je faisais semblant de creuser des trous et de planter des arbres ? Je suis

Caliban,ApollonetSmith.Ilretirasachemise.Ilétaitàprésenttorsenu.—N’est-cepaslemêmecorpsqueceluiquevousavezvuémergerdel’étang?Lilyneputseretenir.Ellefitcequ’ellen’avaitpaspufairecejour-là:elleluicaressalapoitrine.—C’esticiquebatmoncœur,dit-ilenluiprenantlamainpourlapressercontresontorse.Le

mêmecœur,lesmêmesbattementsquedanslejardin.Il la lâcha,maisLily laissasamain làoùelleétaitquelques instants.Puiselle traçadudoigt le

contourdesonmamelon.Lapointedurcitàsoncontactetelleéprouvaundésirsoudaindelesentirsous sa langue. Au lieu de cela, elle leva son autre main et prodigua la même caresse à l’autremamelon,fascinéedelevoirrépondrepareillementàsesattentions.Cen’estqu’enentendantApolloninhalerbrièvementqu’ellelevalesyeuxetcompritlatorturequ’elleluiinfligeait.

Il avait renversé la tête en arrière, sa pomme d’Adammontait et descendait, et ses épaules silargesétaientsecouéesd’unlégertremblement.

Qu’ellepuissedéteniruntelpouvoirsurunhommeaussipuissantlastupéfiait.—Caliban,murmura-t-elle.Vouspermettezquejevousappelleainsi?Ilplongeasonregarddanslesien.—Caliban,Apollon,SmithoumêmeRoméo,peum’importe.Jeseraitoujourslemême.Lily hocha la tête, car elle était aumoins d’accord sur une chose : le nom qu’elle lui donnait

importaitpeu.—Laissez-moivousmontrer,dit-il.Il descendit du lit, ôta ses chaussures, ses chaussettes, son pantalon et son caleçon. Une fois

entièrementnu,ilécartalesbrasetsetintdevantelle.—JesuistelqueDieum’afait,niplusnimoins.Prenez-moicommejesuis.Ilpivotasurlui-même,etLilyneputs’empêcherd’aimercequ’ellevoyait.Ilétaitgrandetbien

fait, lataillemince,lescuissesmusclées.Lespoilssombresquipartaientdesonnombrilformaientunelignefinequidescendaitjusqu’àsonpubis,oùsonsexesedressaitàdemi.

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Il était terriblement viril. Attirant. Et, débarrassé de ses vêtements, il était redevenu l’hommequ’elleavaitrencontrédanslejardin.

Elletenditlamain.—Caliban,Apollon,Smith,Roméo,toi.Viensàmoi,quiquetusois.Ils’emparadesamaintendue,maisplutôtquedelarejoindresurlelit,ill’attiraàlui,l’obligeant

àseleveràsontour.—Pourcommencer, luimurmura-t-il à l’oreille, jeveuxque tu soisaussinuequemoi.Ainsi,

nousseronsvraimentégaux.Ildélaça,dénoua,déboutonnapatiemment,sesdoigtss’attaquantavechabiletéauxrubansettissus

délicats.Avecrespect,illadébarrassadesarobe,desesjupons,desoncorsetetsacamisole.Puisilmitungenouausol,posalepieddroitdeLilysursacuisseaprèsluiavoirôtésonsoulieretroulasonbassursajambe.Elleavaitemportésesplusbeauxbas,maisilsétaientquandmêmereprisésauxtalons.Calibanl’enroulaaussiprécautionneusementques’ilétaitendentelle,nes’interrompantquepourluieffleurerlemolletdeseslèvres.Ilprocédademêmeavecsonautrejambe.

S’appuyant de la main sur son épaule, Lily le regardait faire, troublée de voir ses cheveuxsombresfrôlerpresqueletriangledesaféminité.

Lorsqu’ileneutterminéavecledeuxièmebas,ellelaissasamainremonterlelongdesoncou,s’enfouir dans ses cheveux, qu’elle empoigna comme il faisait lentement courir sa bouche sur sacuisse.Lorsqu’ellesentitsonsoufflecaressersachairintime,ellevacillaetfaillitperdrel’équilibre

Apollon la prit alors aux hanches et l’assit au bord du lit. Puis il s’agenouilla devant elle, luisoulevalesjambes,qu’ilcalasursesépaulesavantdes’inclinerpourl’embrasser.

Là.Boucheouverte,salanguefouaillantlesreplisdesonsexe.Lilypoussaunpetitcri,lesoufflecoupé.Plusrienn’existaitquecepointsensibleaucreuxdeses

cuisses,qu’Apollonléchaitconsciencieusement,l’entraînantdansunespiraledesensationsinouïes.Elle sursautaviolemment lorsqu’il referma les lèvres sur lapetitecrêtecharnue,qu’il semità

sucerdélicatement,sansrelâche,jusqu’àcequ’elleperdepied.Ellesemorditlepoingetarqualesreinsaumomentoùsescuissesseraidissaientsurlesépaules

deCaliban.Unspasmelasecouaetellegémitcontresonpoingtandisquesavisions’assombrissaitetquelajouissancelasubmergeait.Etpendanttoutcetemps,lalangued’Apolloncontinuades’activerjusqu’àcequeLilysoitobligéed’appuyersursesépaulespourlefairecesser.

Il releva la tête, s’essuya la bouche d’un revers demain, avant d’allonger la jeune femme surlelit.Ils’étenditsurelle,latêteàlahauteurdesesseins.

—Sijolis,murmura-t-il.Puisilaspiralapointed’unseinentreseslèvres,arrachantàLilyunnouveaugémissementtandis

qu’il pinçait doucement son autre téton entre ses doigts. Le désir l’envahit de nouveau, presquedouloureux,alorsmêmequ’ellevenaitdejouir.Ildevaitarborerunebelleérection,àprésent,n’est-cepas?Êtreprêtàlaposséder?

Cependant, il ne semblait pas pressé, passant tranquillement d’un sein à l’autre, léchant,mordillant,suçant.Etquandilpinçaletétonqu’ilvenaitd’abandonner,ellefaillitcrier.

—S’ilteplaît,gémit-elleenluiagrippantlescheveuxdansl’espoirqu’ilredresselatête.S’il teplaît…

Illevalesyeux.—Quisuis-je,àprésent?Lily secoua la tête en se tortillant, au bord du gouffre, son corps le réclamant si fort que son

entrecuisseétaittrempé.

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—Celan’aaucuneimportance.Unpetitsouriresuffisantauxlèvres,ilsehissaau-dessusd’elle.Lily le regarda empoigner son pénis érigé, en approcher l’extrémité de sa fente et l’y frotter

doucement,l’enrobantdesonmielintime.Elleenroulalesjambesautourdeseshanches.—Maintenant,lepressa-t-elle.Maintenant.Illaregarda.Sonsourireavaitdisparu.Ilfléchitlégèrementleshanches,etentraenelle.Toutétaitimposant,chezlui.Sonsexe,commelerestedesapersonne.Lilytressaillit,écartagrandlescuissespourl’accueillir.Ilavaitfermélesyeuxetsonexpressionévoquaitlasouffrance.Ouunplaisirindicible.Ildonnaunpuissantcoupdereins,lapénétrantjusqu’àlagarde.Elleémitunbruitdegorge.Ilrouvritlesyeuxetlaregardad’unairinquiet.—Çava?Ill’emplissaitdélicieusement,l’écartelait.Ellenoualesbrasautourdesoncouetsouffla:—Oui.Bouge.Etc’estcequ’ilfit.Ilsemitàalleretvenirenelle,seretirantpresqueentièrementavantdes’enfoncerdenouveau,un

peuplusvitechaquefoisetunpeuplusfort,jusqu’àcequ’illapilonnelittéralement.Lilycaressaitsondoshumidedesueur,yenfonçaitlesongles,luifaisantprobablementmaletne

s’ensouciantpas.Elleempoignasesfessesmuscléespourleretenirdavantageenelle.Ilpritappuisursescoudesetsescoupsdereinsgagnèrentenpuissance.Lesyeuxrivésàceuxde

Lily, il repoussa tendrement unemèche de son front, puis inclina la tête et couvrit ses lèvres dessiennes.

Ellegémitdanssabouche.Peuimportaitsonnom.C’étaitcethomme-là,qu’elledésirait.Lajouissanceexplosaenelle,siviolentequ’ellerenversalatêteenarrièreencriant.Ilplongea

une dernière fois en elle, puis se retira et répandit sa semence sur son ventre dans un longgémissement.

Une seconde giclée tomba sur la cuisse deLily, etApollon se laissa aller sur elle de tout sonpoids.

Ellen’eutpaslaforcedelerepousser.

Lorsque Apollon se réveilla, il sentit une chair douce sous sa paume. Sa main remonta avecprécaution,serefermasurunsein,etilsouritsansmêmeouvrirlesyeux.

Sileparadisexistait,ildevaitressembleràcela.—Merci,fitunepetitevoix,etilserenditcomptequeLilyétaitégalementréveillée.Il ouvrit les yeux.La chambre dans laquelle il se trouvait étaitminuscule.La chandelle brûlait

encoresurlatabledenuit,projetantsalumièrevacillantesurleprofildelajeunefemme.—C’estmoi,quidevraisteremercier.Elletournalatêteverslui.—Non,paspourcela.Jevoulaisteremercierden’avoirpasjouienmoi.

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Sesjouess’étaientcolorées.Apollonsesouvintd’Indio.Detouteévidence,unhomme,autrefois,n’avaitpasprislapeinedese

retireràtemps.Apollon lui embrassa l’épaule, puis attrapa un coin du drap et entreprit de lui nettoyer

délicatementl’abdomenetlacuisse.—Jepeuxrester?Ellesoupira.—Oui.ÀmoinsqueMollnerevienneavantdemainmatin.Je…j’aimeraisqueturestes.Ilsourit.Ilsesentaitridiculementheureux.Elleluicaressalescheveux.—Alors,cesgensfontpartiedetafamille?Iln’étaitpassûrd’avoirenvied’abordercesujetpour lemoment–sonsangbleuparaissait la

plongerdansuncertaindésarroi.—Oui.—Tun’aspersonned’autre?—Àpartmasœur,non,dit-ilenappuyantlatêtecontresonépaule.—Ellesavaitquetutecachaisdansleparc?Illuijetauncoupd’œil.Ellefronçaitlégèrementlessourcils.—Artemis?Biensûr.Ellem’apportaitdesvêtementsetdesvivres.C’estparellequeTrevillion

m’aretrouvé.—T’aretrouvé?Apollonsoupira.—Trevillionmecherchait.Ilsavaitqu’Artemisétaitmasœur.Ill’asuivieetellel’aconduitun

jourauparc.Cefameuxjouroùtunousasvusnousbattre.Sonfroncementdesourcilss’étaitaccentué.—Mais…pourquoitecherchait-il?Apollonfrissonnasoudain.Lefeuétaitpresqueéteint.Ilselevaetsedirigeaverslacheminée.—Apollon?Il ferma lesyeux.Lilyne l’appelaitplusCalibanetcela luidéplaisait. Ilnevoulaitpasqueson

passésedresseentreeux.Iljetaunregardpar-dessussonépaule.Lajeunefemmes’étaitassisedanslelitetavaitremontéle

drapetlescouverturessursapoitrine,commepourérigerunebarrièreentreeux.Impossibledefaireautrement–toutleramenaittoujoursàcettefatalenuitoùsavieavaitbasculé.

—C’estTrevillionquim’avaitarrêtépourmeurtre.

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14

Lesjourssuivants,Arianetrouvad’autressquelettes.Elles’arrêtaitdevantchacun,récitaituneprièreetrépandait de la poussière. Alors qu’elle approchait du centre du labyrinthe, elle se demanda quelleshorreursl’yattendaient.Maisquand,auseptièmejour,leshautsmursdepierreenrévélèrentlecœur,elledécouvritquelquechosed’entièrementinattendu…

LilyobservaitApollo.Accroupi,nu,devantlacheminée,ilranimaitlefeu.Soncorpsmusclésedécoupait sur fond de braises rougeoyantes.Rien d’étonnant qu’on l’ait pris pour un assassin : sacarrureimpressionnanteavaitdequoieffrayer.

Maisque s’était-il passé, exactement ?Apollon s’étaitmontrépeu loquace, et cequ’elle savait,ellel’avaitapprisgrâceauxragots,ouparcequ’elleavaitludanslesjournauxàl’époquedudrame.LecapitaineTrevillionl’avaitarrêté,etvoilàsoudainqu’ilsedémenaitpourprouversoninnocence.Lilyavaitdumalàcomprendreceretournementdesituation,etelleétaitlassedenerecueillirquedesinformationsdesecondemain.

Elleseraclalagorge,rompantlesilence.—Peux-tumeracontercequis’estpassécettefameusenuit?Apollons’apprêtaitàajouterunebûchedanslefeu.Ilsuspenditunesecondesongeste,avantde

continuer. Puis il se redressa et s’essuya les mains. Les flammes renaissantes jetaient des lueursdoréessursapeau.Ilétaittourné,n’offrantquesonprofilàlajeunefemme.

—Ilfautquetusachesunechose,commença-t-ilcalmement.J’étaisjeune.Àpeinevingt-quatreans. Cela peut ne pas te paraître si jeune que cela, mais j’avais passé la majeure partie de monexistenceà l’école.D’abordàHarrow,oùmongrand-pèrem’avait inscritetpayaitmascolarité,etensuite,àOxford.QuandjesuisarrivéàLondres,jetouchaisunepetitepensiondemongrand-père.Jeladépensaisprincipalementenalcooletencatins.

IlpivotaenfinfaceàLily,maisellenedistinguaittoujourspassestraits.—C’est ainsi que vivent la plupart des jeunes aristocrates, reprit-il. Ils s’enivrent et dépensent

bêtementleurargent.Ilsnetravaillentpas–mêmesileurfamillemanquedetout.—Tafamilleétait-elledanslebesoin?Ilsecoualatêtesanshésiter.— Non. Mais ce n’était pas non plus la prospérité. Mon père avait épuisé pratiquement tout

l’argentdontildisposaitetlecomterefusaitdeluiendonnerdavantage.Mamèreetmasœurvivaientdoncà lacampagne, trèssimplement.Artemisn’avaitpasdedot.Ellen’amêmepaseudroitàunesaisonmondaine.

Ilrevintverslelit.

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—Maisjecommençaisàmelasserdemonoisiveté.Monexistencesebornaitàattendrelamortduvieuxcomtepourtouchermapartiedel’héritage.

Lilynepouvaitl’imaginer,lui,siactifphysiquementetmentalement,patientantensecroisantlesbras.

Ils’allongeaprèsd’elle,ledoscontrelatêtedelit,etl’attiraàlui,lebrasenrouléautourdesesépaules.

—ÀOxford, j’avais rencontré des gens qui professaient de nouvelles théories enmatière dejardinage.Ilsvoulaientrompreaveccettevieilleidéemédiévaledeslignesdroitesetdesplantationsordonnées.Cesgenspensaiententermesdepaysage,depanorama.UnefoisinstalléàLondres,j’aicommencéàcorrespondreaveceux,àéchangerdesidéesetdesplans.Puisj’aiétéembauchépourtravaillersurundomainedecampagne,toutprèsd’Oxford,justement.

IlresserrasonétreinteetLilyluiembrassalamainpourl’encourageràpoursuivre.— C’était une occasion unique de mettre enfin mes théories en pratique, reprit-il d’une voix

empreinte demélancolie.La réalisationde ce jardin réclamaune année entière de travail.Aussitôtaprès, je fus recommandé auprèsd’un autre employeur.C’est alors quemongrand-pèredécouvritmesactivités.

—Enquoicelaleconcernait-il?s’étonnaLily.—Rappelle-toicequejet’aidittoutàl’heure,murmura-t-ilenpressantlajouecontresatempe.

Lesaristocratesnetravaillentpas.Jamais.Quandmongrand-pèrel’aappris,ilm’acoupélesvivres.Ilconsidéraitmondésirderéaliserdesjardinscommelesigned’unealiénationmentalesemblableàcellequiavaitfrappémonpère.Ilcroyaittoutelalignéeatteinte.

—OhmonDieu,Apollon!Lilyn’avaitpasbeaucoupdefamille,maisêtrejugéaussidurementparcequ’ons’étaittrouvéun

intérêtdansl’existenceétaitodieuxetridicule.—Ce jour-là, reprit-il, jeme trouvais à Londres. Je suis tombé, par hasard, sur deux anciens

camaradesdecollègequejen’avaispasrevusdepuislongtemps.Ilsétaientaccompagnésd’unamiàeux.Nous avons décidé de passer la soirée ensemble.Nous avons réservé un petit salon dans unetavernedeWhitechapel,etnousavonscommandéduvinetdelanourriture.

—Pourquoivousrendredansl’undesquartierslesplussinistresdeLondres?—Parcequenousn’avionspasbeaucoupd’argent.Lataverneétaitbonmarché.—Etques’est-ilpassé?Ilprituneprofondeinspiration.—Jen’ensaisrien.Nousavonspartagéunepremièrebouteille,etaprès,c’estlenoircomplet.Je

mesuisréveillélelendemainmatinavecunemigraineatroce.Dèsquej’aibougé,j’aivomi.Etpuisj’aivumesmains.

—Apollon?Ellevouluttournerlatêtepourleregarder,maisill’enempêcha.—J’avaisdéjàétéivre,parlepassé,continua-t-il,maiscelan’avaitrienàvoir.C’étaitcommesi

je rêvais et que je n’arrivais pas àme réveiller.Mesmains étaient couvertes de sang. Je tenais unpoignarddanslamaindroite.Etmesamis…

Lily étreignit lamainqui reposait sur son épaule.Elle connaissait déjà le sort de ses amis.Lascènedumeurtreavaitétéabondammentracontéepartouslesjournaux,etpeuimportaitdesavoirsilesdétailsétaientvraisoupas.

Ilsavaientétéassassinés.Sauvagement.—Jesuisdésolée,chuchota-t-elle.Tellementdésolée.

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—Unepatrouilleestarrivée,dit-ild’unevoixsanstimbre.Ilssesontempressésdememettredeschaînes aux poignets, aux chevilles et autour du cou. Ils avaient peur de moi. J’ai été enfermé àNewgate,dansl’attentedemonprocès.Pendantplusieursjours,j’aiétémalade,j’aivomiencoreetencore, et j’étais incapable d’avoir les idées claires. Je n’ai pas gardé beaucoup de souvenirs deNewgate.Enrevanche,jemesouvienstrèsbiendeBedlam.

Lily lui embrassa la main pour se retenir de lui dire qu’il n’avait pas besoin de lui raconterBedlam.Carellepressentaitqu’illuifallaitenparler–nonpastantpourl’informer,elle,quepoursedélivrerd’unpoids.

—Cela…Ilsuffoquauninstantavantdedébiterd’unetraite:—L’odeur.Elleétaitpestilentielle.Commedansuneécuriemalentretenue,saufquelà,l’odeurde

fumiervenaitd’êtreshumainsetpasdechevaux.Ilsm’avaientenchaîné,carlespremiersjoursj’étaishorsdemoi,depeuretdedésespoir.Après, lafaimet lasoifm’avaientrendutropfaiblepourmebattre.

Lilylaissaéchapperunsanglot.Ellenesupportaitpasd’entendrequ’untelhomme,aussifortetaussibon,aitpuêtreravaléplusbasqueterre.Enchaînécommeunebête.Elles’agenouillasurlelitetenlaçaApollon,attirantsonvisagecontresapoitrine.C’estalorsqu’ellesentitquesesjouesétaientmouilléesdelarmes.

Ill’embrassaentrelesseins,avantdereprendre:— Artemis venait aussi souvent qu’elle le pouvait. Elle m’apportait de la nourriture et elle

soudoyaitmesgeôlierspourqu’ilsnemebattentpasàmort.Monpèreétaitdécédéunanavant lesmeurtresetnotremèrerenditl’âmequelquesmoisaprèsmoninternementàBedlam.Ilnefaitaucundoute que ce drame avait hâté sa fin.Ma sœur, si fière et si courageuse, fut obligée de travaillercommedamedecompagniechezunedenoscousines.

Savoixsebrisa.Lily luicaressadoucement lescheveuxdans l’espoirde leconsoler,mêmesiellesavaitquec’étaitimpossible.

—Aumoins,Artemisavaitun toitetsuffisammentàmanger,poursuivit-il.J’aipassédesnuitsblanchesaprèsavoirapprislamortdenotremère.Jecraignaisqu’Artemisneseretrouveàlarue.Etjenepouvaisrienfairepourelle.Strictementrien.Alorsquej’auraisdûêtrelàpourlaprotéger.Jen’étaismêmeplusunhommedignedecenom.

—Chuut,murmuraLily,incapablederetenirseslarmes.Cequ’avaitenduréApollonétaitd’uneinjusticeinnommable.—Lessévicesqu’ilsnousinfligeaientlà-bas…reprit-ild’unevoixhachée.Ilyavaitunefemme.

Unemalheureusequiavaitcomplètementperdul’esprit,maischantaitd’unesijolievoix.Unsoir,lesgardesontvoulus’enprendreàelle…Jelesaiinterpellés,jelesainargués.Etc’estàmoiqu’ilss’ensontpris.

Lilyenavaitlagorgenouée.SonApollonsicourageux,quin’avaitpascraintd’attirersurluilacolèredesesgeôliers!

—Ilsm’ontfrappéjusqu’àcequejeperdeconnaissance.C’estàcetteoccasionquej’aiperdumavoix.Après – après que j’ai été secouru par le duc deWakefield –, je suis resté alité le temps derecouvrer des forces,mais je n’ai pas cessé de penser à cette femme.Une nuit, je suis retourné àBedlamencachette,mais elle étaitmorte.Unemauvaise fièvre l’avait emportée.C’était sansdoutemieuxainsi.

Lillys’aperçutqu’ilavaitfermélesyeux.

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—Maisj’aifaitensortequelegardequiavaitvoulus’enprendreàelleets’enétaitprisàmoinepuisseplusjamaissévir.Jel’aisortideBedlampourle livreràunebandedemalfrats.J’ignorecequ’ilestdevenu.Jamaisjen’auraisfaitunechosepareilleavant.Bedlamm’achangé.

Bedlamauraitsurtoutpulebriserdéfinitivement,songeaLily.S’iln’avaiteulaforcederésister.Endépitdesonchagrin,elleétaitfascinée,émerveillée.Ellepritlevisaged’Apollonentresesmainsetplongeasonregarddanslesien.—Tuassurvécu.Tuasendurél’enfer,ettuassurvécu;Ileutunsourireamer.—Jen’avaispaslechoix.Ellesecoualatête.—Onatoujourslechoix.Tuauraispurenoncer,baisserlesbras,maistunel’aspasfait.Tuas

tenubon.Jepensequetuesl’hommelepluscourageuxquej’aiejamaisrencontré.— Dans ce cas, je crois que tu n’as pas rencontré beaucoup d’hommes, trouva-t-il la force

d’ironiser.Sontonétaitléger,maissestraitsmarquésparlesouvenirdecequ’ilavaitvécu.—Tais-toi!Ellel’embrassa,pascommeuneamante,maispresqueplatoniquement.D’abordsurlefront,puis

lesjouesetenfin,labouche.Avecuneinfiniedouceur.—Ilfautdormir,àprésent,souffla-t-elle,etellel’aidaàs’allonger.Aprèsavoirarrangé lescouvertures,elleposasa tête sur le torsed’Apollon,à l’écoutedeson

cœurquibattaitsourdement.Etc’estainsiqu’elles’endormit.

Apollonseréveillaavecl’impressiond’avoirtropdormi.Quandiltravaillaitdanslejardin,ilselevaitenmêmetempsquelespremierschantsd’oiseauxquiannonçaientl’aurore.Mais,ici,dansunlitmoelleux,avecunefemmeentresesbras,ilavaitdumalàs’extirperdestentaculesdusommeil.

—Quoi?marmonnaLilylorsqu’ilrepoussasonbrasquireposaitsursonventre.Il aurait aimé rester encoreunpeu,bien sûr.La réveiller avecdesbaisers et lui faire l’amour.

Mais les domestiques allaient bientôt se lever. Et plus il s’attarderait, plus il courrait le risque decroiserd’autresinvitésdanslescouloirs.

Il se leva donc et s’habilla, tandis que Lily soupirait et roulait sur la place toute chaude qu’ilvenaitdelibérer.

Il ramassasaveste, jetaun regardcirculaireavantdes’inclinerpourdéposerunbaiser sur leslèvresdelajeunefemme.

Ellefronçalessourcilsetouvritlesyeux.—Quoi?Qu’ya-t-il?Ilsourit.Àl’évidenceellen’étaitpasdugenreàseréveillerrapidement.—Jeteverraitoutàl’heure.Pour toute réponse, elle émit un grognement peu féminin avant de se couvrir la tête de son

oreiller.Apollonsouriaitencorequandilrefermalaportederrièrelui.Surprenantunmouvementducoindel’œil,iltournavivementlatête.Quelqu’unnevenait-ilpas

dedisparaîtreàl’angleducouloir?Ouavait-ilétévictimedesonimagination?

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Ilétrécitlesyeux,puisdécidaaprèsréflexionquemêmes’ilavaitréellementvuquelqu’un,c’étaittrèscertainementundomestique,vul’heure.

Ilpivotadansl’autredirection…pours’apercevoirqueleducdeMontgomeryl’observait.Ilfituneffortpourêtrepoli.—J’ignoraisquevousétiezunlève-tôt,VotreGrâce.Montgomeryarquaunsourcil.—Qu’est-cequivousfaitcroirequej’aidormi?Apollon l’examina avec attention. Le duc portait un costume pourpre sans un faux pli, et ses

cheveuxétaientimpeccablementattachésenunélégantcatogan.—Avez-vousdormi?demanda-t-il,histoired’enavoirlecœurnet.Unsourireénigmatiqueincurvaleslèvresduduc.—Jetrouvelesommeilassommant.Surtoutlorsquejepeuxpasserlanuitàdesactivitésplus…

plaisantes.—Jevois.Apollon emboîta le pas au duc, sans savoir où celui-ci comptait se rendre. Pour sa part, il

cherchaitlasalledupetit-déjeuner,carilressentaitlebesoinurgentdeboireuncafécorsé.Ilespéraitquesononcleavaitprévud’enserviràsesinvités.—Lematin est lemeilleurmomentpourdécouvrir quelshabitantsd’unemaisonnéen’ont pas

dormidans lachambrequi leurétait réservée,commenta leducd’un tondeparfaite innocence.Envous voyant sortir de celle deMlleGoodfellow, je comprendsmieux votre colère d’hier, lorsquevousavezdécouvertqu’elleétaitprésenteàlafête.

Apollonlefusilladuregard.—Jevousseraisreconnaissantdegardercequevousavezvupourvous.—Pourquoi irais-je enparler ? répliquaMontgomery, qui semblait sincèrement étonnépar sa

requête.Quevautuneinformationsielleestpartagéepartoutlemonde?Apollon comprit que, quoi qu’il pût répondre, il apporterait de l’eau aumoulin du duc, aussi

préféra-t-ilchangerdesujet.—Avez-vousdécouvertquelquechosed’intéressantenfuretantdanslamaison,VotreGrâce?Montgomeryreniflaavecdédain.—«Fureter»estuntermebientrivial.Apollonsecontentadeleregarder.Leduclevalesbrasauciel.—Bon, très bien ! Ne vous énervez pas. De toute façon, je ne pourrais pas lutter contre vos

poings.J’aidécouvertqueMmeJellettemploieuntrèsséduisantettrès jeunevaletqu’elleemmènepartout avec elle, que l’un des valets deM.William Greaves a passé une partie de sa jeunesse àNewgate,queM.etMmeWarner,bienquemariésdepuispeu, fontchambreàpart–cedont jemedoutais–etqueladyHerrickaunemarquedenaissanceenformedepapillonsurlafessegauche.Ah,jeprécisequecettemarqueprendunejolieteintelavandequandellereçoitunetape!

Apollons’arrêtaaumilieuducouloiretdévisagealeduc.— Quoi ? fit ce dernier, vaguement irrité. Je défie n’importe quel homme de ne pas saisir

l’occasion,lorsqu’elleseprésente,defesserunjoliderrière.Apollonsoupiraetseremitenmarche.—Riend’autre?Leducfronçaunmomentlessourcilsavantd’ajouter:—MlleRoylesemblenourrirunecertaineaversionàmonendroit.

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Apollonretintunsourire.—J’auraispenséquenombredejeunesfemmespartageaientcetteaversion.—C’estvrai,concédaleducavecdésinvolture.Maiscelam’affecte.Cequiestassezfascinant,je

doisdire.Apollonlevalesyeuxauciel.Lavanitéduducétaitsanslimites.—Vousavezglanéquantitéd’informations,VotreGrâce,maisaucunen’estutileàmacause.—On ne sait jamais, répliqua le duc. Une information en apparence anodine peut se révéler

primordiale le moment venu. C’est pourquoi je m’astreins à collectionner toutes sortes derenseignements,aussitriviauxpuissent-ilsparaîtredeprimeabord.Maisnevousinquiétezpas:nousne sommes ici que depuis moins de vingt-quatre heures. J’ai bien l’intention d’en découvrirdavantageaujourd’hui.

Apollonplissalesyeux.—Pourquoiaujourd’hui?—Vousn’êtespasaucourant?répliquaMontgomery,aveccetteexpressionamuséequ’Apollon

commençaitàdétester.Denouveauxinvitéssontarrivésdurantlanuit.Surce, ilouvritgrand laportede lasalledupetit-déjeuner, révélantunEdwinStumpoccupéà

mangeruntoast.Ce ne fut pourtant pas Edwin qu’Apollon fixa du regard, mais les deux autres personnes

présentes.Unefemmeassezbanaleauvisageavenant,etunhommedehautetailleauteintolivâtre,dontlesyeuxétaientdecouleurdifférente:l’unbleu,l’autrevert.

Montgomery,quis’étaituninstantfigé,murmurad’untonravi,telunenfantquiseverraitoffrirunénormesacdebonbons:

—Voilàquiestmerveilleux!

Unpeuplustarddanslamatinée,Lily,assisesurunechaise,observaitStanfordprendrelaposepourdéclamersatirade:

—Etsijamaisjesurprendsdenouveaumafilledansunepositionaussidélicate,soyezassurés,messieursqueje…

IllançaunregarddedétresseàLily,quin’avaitpasbesoindeconsulterlespagesqu’elletenaitàlamain.Aprèstout,elleétaitl’auteurdesRemordsd’unpanierpercé.

—J’étriperailecoupable,souffla-t-elle.—J’étriperailecoupable,marmonnaStanfordpourlui-même,avantdereprendreàvoixhaute:

J’étriperailecoupablepourqu’ilnepuisseplusjamaisréitérersonforfait.Ellegrimaça.Cen’étaitpascequ’elleavaitécritdemieuxcommedialogues,maiselleavaitune

excuse:elleavaitachevélasecondemoitiédelapièceenmoinsd’unesemaine.Sapremièrepièceluiavaitréclaméuneannéeentièredetravail.

Etpourtant,elleavaitbrûlésonmanuscritaussitôtterminé.—Bonjour,meschéris!Lajeunefemmeseretournaetn’encrutpassesyeux.Toutdebleucielvêtu,Edwinsetenaitsurle

seuil,lesbrasécartés.Ils’attendaitdetouteévidenceàrecevoirunaccueilaussichaleureuxqued’ordinaire,etilnefut

pas déçu. Moll et les autres comédiennes se ruèrent vers lui. Stanford et John s’approchèrentégalement,quoiqued’unpasplustranquille,maisilsadmiraienttoutautantEdwin,àleurmanière.

Cequipouvait,hélas,s’expliquer!TousignoraientqueLilyétaitlevéritableauteurdelapièce.

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EllelaissaEdwinl’embrassersurlesjoues,avantdeluidemanderavecunsouriresuave:—Pourrais-jeprofiterdequelquesminutesdetontempssiprécieux,moncherfrère?—Naturellement,acquiesça-t-ild’unevoixforteafindemontrerauxautrescombien ilétaitun

frèreattentionné.—Enprivé,précisaLily.Edwinparutdevinersoudainquequelquechoseclochaitpeut-être.—Euh…biensûr.Elleseleva,posasonmanuscritsurunetableetconduisitsonfrèredansuneantichambre,dont

ellerefermasoigneusementlaporte.—Quese…commençaEdwin,maisLilylecoupanetenluiassenantunegiflemagistrale.—Lily!s’écria-t-ilenportantlamainàsajoue.Sonregardexprimaitsastupéfactionetsondésarroi.Lespoingssurleshanches,sasœurrépliqua:—N’essaiesurtoutpasdemeprendreparlessentiments,EdwinStump!l’avertit-elle.Etellelegifladenouveau.—Tu as dénoncéApollon aux autorités. Ils auraient pu le ramener àBedlam.Ou l’envoyer à

l’échafaud.Toutcelaparcequetuétaisvexéqu’ilt’aitjetédehors.— Je n’étais pas vexé, corrigea-t-il, remettant d’aplomb sa perruque. Je m’inquiétais pour ta

sécurité.— Ma sécurité ? répéta Lily, éberluée – c’était à croire que son frère la prenait pour une

demeurée.Tuasperdul’esprit?—Moi,non,maislui,si.C’estunfoudangereux.Toutlemondeestaucourantdesescrimes.—Cen’estniunfouniunassassin.Tulesaispertinemment.Tut’esmontrémalveillantettum’as

blessée.Ilparutétonné.—Jet’aiblessée?— Tu m’as blessée, oui, répéta Lily, s’obligeant à la patience. J’apprécie beaucoup lord

Kilbourneetjetrouvetacruautéenverslui–etenversmoi–impardonnable.Ilestici,àcettefête.— Je l’ai croisé dans la salle du petit-déjeuner, fit Edwin d’un air boudeur. Il a pris un

pseudonymeridicule.Smith.—Ilest icipour tenterdedémasquer levéritablemeurtrier.Nesongemêmepasà ledénoncer

unedeuxièmefois,c’estcompris?—Je…balbutia-t-il.MaisLily…—Pasmêmeaccidentellement,Edwin.Ilbaissalesyeux.—Trèsbien,murmura-t-il.—Parfait.Lilytournalestalonsdecraintededirequelquechosequipourraitnuireàsarelationavecson

frère,maiscelui-cilaretintparlebras.—Lily…Ils’éclaircitlavoix.Ilsemblaittrèsnerveux.—Jecroisquejedoisteprévenir.Lilys’affola.Avait-ildéjàparléd’Apollonàquelqu’un?—RichardPerry,lebaronRoss,estici.

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Aucœurdu labyrinthe se trouvait un jardinmagnifique, quoiqueà l’état sauvage.Des vignes viergesmontaient à l’assaut d’amas de vieilles pierres entre lesquelles poussaient des arbres aux branchesnoueusesetauxfeuillescouleurémeraude.Aucentred’unepetiteclairièremiroitaitunétangauxeauxcristallines.Despetitesfleursjaunesetblanchespoussaientsursesbergesmoussues.Maislemonstresetrouvaitégalementlà,àdemiimmergédansl’eauqu’ilrougissaitdesonsang…

Apollonserenditdanslesalonoùlescomédiensavaientdécidéderépéterleurpièce.Dèsqu’ilentra,MollBennett,quirécitaitunetirade,luiadressaunclind’œiletdésignadumentonunepetiteportesurlecôtédelapièce.

Apollonhochalatêteetsedirigeaversladiteporte.Ils’étaitliéd’amitiéavecMolllaveilleausoirlorsqu’ill’avaitconvaincuedeluiabandonnerlachambrequ’ellepartageaitavecLily.

Alorsqu’ils’approchaitdelaporte,ilentenditdesvoix.—…Indio…ditLily,quisemblaittrèsémue.Apollon ouvrit le battant d’un geste si brusque qu’Edwin faillit lui tomber dans les bras. Il le

poussaàl’intérieur,entraàsontouretrefermalaporte.Lily,trèspâle,setenaitdansuncoin,maisilgardalesyeuxrivéssurEdwin.—Ditesunmotsurmoioumonpasséetvous…Edwinlevalesmainsensignedecapitulation.—Inutiled’enrajouter,masœurm’adéjàmenacédupire.—Vraiment?répliquaApollonenfaisantunpasverslui.LapâleurdeLilyl’inquiétait.Qu’avaitdoncpuluiracontersonfrèrepourlamettredanscetétat?—Quoiqu’ellevousaitdit,reprit-il,sachezceci:jenevousaimepas.Sivousvousenprenezà

elleouàmoi,vousleregretterezjusqu’àlafindevosjours.C’estclair?Lapommed’Adamd’Edwinjouaauyo-yo.—Je…euh,oui…c’esttoutàfaitclair.Il jetauncoupd’œilà sa sœuret,pour lapremière fois,Apollondiscernaune lueurde regret

danssesprunelles.—Maisjevousassurequejeneferaisjamaislemoindremalàmasœur.—Tiensdonc?Edwinbaissalatêteetdéclara:—Ilyaunechosequevousdevezsavoir.Apollonétrécitlesyeux.Iln’avaitpaslemoinsdumondeconfianceenEdwinStump.—Lilym’aexpliquéquevouscherchiezl’hommequiatuévosamis.Sitantestquecenesoitpas

vous.—Cen’estpasmoi.

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Edwincillaàplusieursreprisesetrecula.—Non,biensûr.Nouslesavonstous,n’est-cepas,Lily?Lajeunefemmesoupira.—Iln’atuépersonne,Edwin.Ilfronçalessourcilscommesilatranquilleassurancedesasœurletroublait.—Trèsbien,trèsbien.Mais,vouscomprenez,commejeviensjustedevousvoirencompagnie

duducdeMontgomery…—Etalors?répliquaApollon.SaGrâcem’apportesonconcours.Edwinhaussalesépaules,l’airsournois.—Vraiment?—Queveux-tudire?lepressaLily.Exprime-toisansdétour,s’ilteplaît.—J’essaie!rétorqua-t-il, l’airbizarrementblesséparletondesasœur.Leducadorecollecter

desinformationsdetoutessortes–desinformationsquelesgenspréféreraientgardersecrètes.—Insinueriez-vousquec’estunmaîtrechanteur?demandaApollon.Edwingrimaça.—Jen’iraispas jusque-là.Disonsplutôtquec’estunmanipulateur.Mais iln’est jamaisbonde

laissertombersessecretsentresesmains.—Vouspensezquejel’ignore?lâchaApollonavecflegme.—Jepensequevousnevousêtespasrenducomptequevousétiezdéjàsoussacoupe,rétorqua

Edwin.Ilsaitquevousêtesunassassinenfuite…Lilyouvrantlabouchepourprotester,ilrectifia:—Bon,d’accord,unassassinprésuméenfuite.Pourquoi,danscesconditions,aurait-ilacceptéde

vousaider?—Jen’aipasd’argent,fitvaloirApollon.Ilnepeutrienespérergagnerdemapart.— N’allez pas vous imaginer que vous n’avez que de l’argent à perdre. Certaines choses de

valeurn’ontpasdeprix.Unfrissonglacialvrillal’échined’Apollon.IlsetournaspontanémentducôtédeLily.Levisage

fermé,ellenequittaitpassonfrèredesyeux.—Jevousauraimisengarde,repritcedernier.Apollonsecontentadeleregardersansmotdire.—Bien,fitEdwinenseredressantdignement,sivousenavezfiniavecmoi…Apollonluidésignalaporte.Lamainsurlapoignée,Edwinseretourna.—Lily,je…—Va-t’en,Edwin,luilança-t-elle.Ilhochalatêteetsortit.Àpeineeut-ildisparuqu’Apollondemanda:—QuiestlordRoss?

C’étaitlapremièrefoisqueLilyseretrouvaitconfrontéeàcechoix.Jusqu’àprésent,Indioétaittoujourspassé,naturellement,enpremier.AvantEdwin,avantMaude.Cen’étaitqu’unenfant–sonenfant–et,parconséquent,leplusvulnérabled’entretous.

Maisétait-ceencorevrai?ElleexaminaApollon.Ilavaitremissesvêtementsdelaveilleetavaitprisletemps,aucoursde

lamatinée,des’attachersescheveux.

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Pourêtrefranche,ellelepréféraitsanssoncatogan.Apollon comptait beaucoup pour elle, c’était indéniable. Elle avait couché avec lui – c’était la

première fois qu’elle prenait un amant depuis qu’elle était mère.Même en cet instant, alors qu’ill’interrogeait en la fixant d’un regard empli de compassion elle était consciente de sa présencephysique. C’était injuste : il avait abattu avec une facilité déconcertante, sans même essayer, luisemblait-il,lesbarrièresqu’elleavaitérigéespourseprotéger.

Ellecroisalesbrassursapoitrine,pourconserverunpeudedistanceaveclui.Siellen’yprenaitgarde,ilseraitcapabledeluifaireoublierleplusimportantetcequiétaitenjeu.

Indio.Indio,quiétaitvulnérableetqu’ellesedevaitdeprotéger.—RichardPerry,lordRoss,estunhommefortuné.Unaristocrate,commetoi.Apollon ouvrit la bouche comme pour réfuter la comparaison, mais c’était évidemment

impossible.—Ilestmariéetpèredefamille,poursuivitLily.Jecroisqu’iladeuxfils,maisjen’ensuispas

certaine.Jenel’aipasrevudepuisdesannées.Etellenesongeaitpasàs’enplaindre.Apollon fit un pas vers elle et malgré ses bras croisés, elle sentit sa présence physique la

submerger.—Ilalesmêmesyeuxqu’Indio,dit-il.Unbleuetl’autrevert.Lilypritunelenteinspiration.—Oui.C’estlepèred’Indio.Ilfronçalessourcils.Nonpourlacondamner,maisparcequ’ilsemblaitdéconcerté.—Lily,je…—Rossn’estpasaucourant,coupa-t-elle.Ill’interrogeaduregard.—Jeneluiaipasdit.Ilesttrèsimportantqu’ilignorel’existenced’Indio.—Mais…Lilyn’eutpaslaforcedegarderpluslongtempssesdistances.Ledangerétaittropproche.Elle

agrippalebrasd’Apollondesdeuxmains.—S’ilteplaît…s’ilteplaît,promets-moidenepasparlerd’IndioàRichardnimêmedelaisser

entendrequej’aiunfils.Ilhochalatête.—Bien sûr, dit-il, puis, baissant les yeux sur lesmains de la jeune femme, il les prit dans les

siennes.T’a-t-ilfaitdumal?Parcequesic’estlecas,je…—Non!Ellefaillitrire,quoiqueriendetoutcelanel’amusât.—Inutiledet’instituermonprotecteur.Enfait,jeteseraistrèsreconnaissantedeneriendiredu

toutàRichardàmonsujet.—Ilaététonamant.Lilyvoulutselibérer,maisilrefusaitdelalâcher.—Alors,c’estdecelaqu’ils’agit?Tuesjaloux?Seigneurjenepeuxpascroire…Sa réaction la surprit, et la laissa muette de saisissement : il éclata de rire. Un rire amer et

tourmenté.—J’aimeraisquecesoitquelquechosed’aussisimplequedelajalousie,avoua-t-ilenl’attirant

danssesbras.Maisc’estbienplusterrible.

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Sabouches’écrasasurlasienneenunbaiserardent.Sonsouffleétaitbrûlantetilsentaitlecafé.Ilenavaitsansdoutebuaupetit-déjeuner,etLilyregrettasoudaindenepasavoirétéauprèsdeluiàcemoment-là.Ellesouhaitait toutpartageraveccethomme,serendait-ellecompte :sesrepas,sonlit,sesrêves.Ellevoulaitleregarderseraserlematin.Ellevoulait…Dieuduciel!Ellevoulaitvraimenttout.Ellelevoulaitlui.

Aupointqu’elleenoubliasesbonnesrésolutions.Elleluirenditsonbaiseravecfièvre,commes’ilsnes’étaientpasvusdepuisdesannées,laissant

échapperunpetitgémissementplaintif.—Chuut,murmura-t-ilenluicaressantlevisage.Ilyavaitdesgensdanslapièced’àcôté,Lilylesavaitetn’enavaitcure.Ellesecramponnaaux

épaulesApollon,rêvantdelesentirnucontreelle,etqu’ilredevienneCalibanl’espacedequelquesinstants.

C’est alorsqu’il la soulevaet l’assit surunepetite tablequivacilla sous sonpoids. Il lâchaunjuron,puis lui retroussa ses jupesetglissa lamainentre sescuisses. Il alladroit aubut,glissa lesdoigtsentrelespétalesdesonsexesansautrepréambule,commes’ilavaittouslesdroits.

Lilygémitdenouveau.—Chut!l’admonesta-t-il.Maisdéjàsonpouceentamaitunlentmouvementcirculairesursonclitoris.Lilyluimorditl’épaulepournepascrier.Ils’inclinapourluilécherlagorge.Et,sansprévenir,ilretirasamain.Lilypoussaungrognementquiluiarrachaunriresensueltandisqu’ildéboutonnaitsonpantalon.

Ilsepositionnaentresescuisses,lesluiécartadavantage.—Arrête,sifflaLily.Latablevasebriser.Ilsecontentadelaregarder,souritet…lapénétrad’uneseulepoussée.Uneinvasionsidélicieuse

qu’ellefaillitcrier.—Unjour,haleta-t-il,jeteprendraidansunendroitoùtupourrasgémiretcriertoutsonsoûl.Et

crois-moi,jeteferaicrier!Qu’ildemeureainsiimmobilealorsquesonsexeétaitlogéprofondémentenelle,larendaitfolle.—Bouge!lesupplia-t-elle.Alors il plaqua lamain contre lemur et commençade lapilonner.C’étaitmerveilleux,mais à

chaque coup de reins, la table heurtait le mur, et Lily s’affola un peu. Le bruit risquait d’attirerquelqu’un.Oh,Seigneur!ellen’avaitaucuneenvied’arrêter…

—Enroulelesjambesautourdemoi,luidit-ilàl’oreille.—Ilsvontnousentendre.—Lily,machérie.S’ilteplaît.Àpeineeut-ellefaitcequ’illuidemandaitqu’illuiempoignalesfessesetlasouleva.Empaléesur

sonpénis,ellesecramponnaàlui.Lapositionétaitd’unetelleobscénitéqu’elleauraitdûs’évanouirdehonte.

Or,ellefaillitjouir.Apollon s’était adossé aumur, les yeux fermés, et la faisait aller et venir sur sa virilité avec

autorité,l’utilisantcommeuninstrumentdeplaisir.C’étaitd’unevoluptétellequ’ellen’étaitpassûredepouvoirseretenirdecrier.Probablementperçut-illedanger,carilrouvritlesyeuxetmurmura:—Embrasse-moi.

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Lily approcha ses lèvres des siennes. Elle avait l’impression d’être une poupée entre ses braspuissants.Sonbaiserfuttrèssage,d’abord.Presquechaste.Ilcontrastaitentoutcasbizarrementaveclasauvageriedeleurétreinte.Cependant,Lilyenvoulaitdavantage.Elleauraitaiméqueceladureàjamais,qu’Apollonlapossèdeencoreetencoreetencore…

Cependant,lamagienepouvaitpasêtreéternelle.Lorsqu’ilralentitlerythme,Lilyglissalamainentreeuxettitillasonclitorisavecdeuxdoigts.Ilarquaunsourcil.—Que…quefais-tu…?haleta-t-il.—Jemecaressependantquetumebaises.Ilserralesmâchoires,etLilysentitsasemencel’inonder.Etlorsqu’ellejouitàsontour,elleluimorditlecou.

GreavesHouseétaitunedemeuresinistre.Trevillion contemplait le sombre édifice tout en aidant lady Phoebe et sa vieille cousine,

MlleBathildaPicklewood,àdescendredevoiture.Uneseulelanterneéclairaitleperron–soitparcequeleurhôteétaitradin,soitparcequ’iln’étaitpasparticulièrementhospitalier.

—L’écrin n’est guère accueillant, commentaMllePicklewood en posant le pied sur l’allée degravier.J’espèreaumoinsquelapièceserabonne.

—C’esttrèsgentilàM.Greavesdenousinviter,lagrondaladyPhoebe.Ilnenousconnaîtmêmepasetjesuissûrequ’iln’afaitcelaqueparcourtoisieenversHippolyta.Enfait,c’estparpurhasards’ilaapprisquenousrésidionsàBath.

MllePicklewoodlançaunregardàTrevillionavantdeprendrelebrasdeladyPhoebe.—Oui,unpurhasard.Lecapitaines’abstintderépondreetsuivit lesdeuxfemmes.MllePicklewoodétaitdouéed’une

perspicacité déroutante. Et il était convaincu qu’elle pouvait se montrer redoutable quand lescirconstancesl’exigeaient.

Laporteleurfutouverteparunmajordomeobséquieux,quipritleschâlesdecesdamesavantdelesconduiredansunsalon,aupremierétage.Cettepièce,aumoins,étaitbrillammentéclairéepardesdizainesdebougiesfixéessurdescandélabresdispersésunpeupartout.L’unedesextrémitésdusalonavaitétédébarrasséedesesmeubles,pourservirdescène,etuntriodemusiciensétaitinstallédansuncoin.Plusieursrangéesdesiègesfaisaientfaceàcedispositif.Unedouzained’invitésavaientdéjàprisplaceetconversaientenattendantquelapiècecommence.

Unhommed’unesoixantained’annéesseportaàleurrencontre.—Ah,ladyPhoebe,jeprésume?Ilparlaitfortets’adressaitàMllePicklewood.LadyPhoebeeutunsourirecontraint.—Oui,c’estmoi.EtvousêtesmonsieurWilliamGreaves?—Eneffet,milady,acquiesça-t-ild’unevoixtoujoursaussisonore.—Puis-jevousprésentermacousine,MlleBathildaPicklewood?EtvoicilecapitaineTrevillion.Trevillionnotanonsansamusementqu’ellen’avaitpasprislapeinedejustifiersaprésence.Leur

hôtesaluaMllePicklewood,puissetournaverslui.Ilécarquillalesyeuxendécouvrantlespistoletsattachéssursontorse.

—Oh…euh…bienvenue.—Merci,monsieur,réponditTrevillion.

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—Ilyauraunpetitbalaprèslareprésentation.J’espèrequevousyassisterez,ladyPhoebe?—LadyPhoeberentrerachezelleaussitôtlapièceterminée,réponditTrevillionàsaplace,cequi

luivalutunfroncementdesourcilscourroucédelapartdesaprotégée.Tant pis. Assister à une représentation théâtrale où tout lemonde était assis c’était une chose,

participeràunbalenétaitunetoutautre.TrevillionsavaitqueWakefieldn’aimeraitpasquesasœurrestepourlebal.Etc’étaitWakefieldquipayaitsesgages.

— Bon, eh bien, laissez-moi vous montrer vos sièges, reprit Greaves, qui leur indiqua deuxchaisesvidesaupremierrang.MlleRoylem’aditqu’elleétaitvotreamie,ladyPhoebe?

—Eneffet,confirmacelle-ciavecunsourire.Unefemmebruneassiseàcôtédesdeuxchaisesvidesseretournaetleurfitsigne.— J’ignorais cependant… balbutia Greaves. Je vais demander à un valet d’apporter un autre

siège.—Ceneserapasnécessaire,déclaraTrevillion.Laissonscesdamesentreelles.Jemetrouverai

unsiège.Greavesacquiesçaavecgratitudeetescortalesdeuxfemmesjusqu’àleursplaces.CequilaissaTrevillionlibred’allers’installerprèsdeKilbourne,audernierrang.—Jevoisquevousaveztrouvélemoyendevenir,chuchotalevicomte.—C’étaitfacile,réponditTrevillion.LadyPhoebeadorelethéâtresoustoutessesformes.—Etsicelan’avaitpasétélecas?—Jemeseraisdébrouilléautrement. Jene l’auraispas forcéeàassisteràunspectaclequ’elle

n’aimepas.Avez-vousdécouvertquelquechose?Kilbournehésita,puissecoualatête.—Non, pas encore. J’espérais fouiller le bureau de mon oncle, mais l’occasion ne s’est pas

encoreprésentée.—Ungrandnombred’invitéssupposedesdomestiquesenextra,commentaTrevillion.Maisvous

avezhésitéavantdemerépondre,milord.Kilbournegrimaça.—Cen’estrien,sansdoute.Leducm’aappriscematinqu’unvaletdemononcleavaitséjournéà

Newgate.Curieuxpourundomestique,admettez-le.Trevillionhaussalesépaules.Detelleshistoiresn’étaientpasrares,àLondres,oùilétaitfacile

pourunhommedeserefaire.— En outre, le frère de Mlle Goodfellow m’a mis en garde contre Montgomery, ajouta

Kilbourne.Àl’encroire,nousnedevrionspasluifaireconfiance.Trevillionricana.—Voilàquin’estpasnouveau,milord.—Non,eneffet.Mais,àprésent,jemedemandesiMontgomerynetravaillepascontrenous.—Quelseraitsonintérêt?Kilbournelegratifiad’unregardsardonique.—Quelestsonintérêtdetravaillerpournous?—Iltientàcequevousterminiezlejardin,luirappelaTrevillion.Celadit,jesuisd’accordavec

vous.—Avez-vous trouvéquelquechose surmoncousin?Nepourrait-ilpasêtre lecommanditaire

desmeurtres,plutôtquemononcle?—Jen’airientrouvé.Ilvitassezparcimonieusement,enfait.Seulsonpèreadesdettes.Kilbournesecoualatête.

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—Quidois-jecroire?LefrèredeMlleGoodfellow?Montgomery?Ounil’unnil’autre?—Hmm.Montrez-moilefrère.Kilbournejetaunregardcirculaire.—Là.IlvientjustedefranchirlaporteavecMontgomery.Trevilliontournadiscrètementlatêteetvitunhommesecenperruqueblanche,unpasderrièrele

duc.Lequelétaitflanquéparl’architecteécossaisqu’ilsavaientrencontrédansleparc–MacLeish.—Jetrouveétrangequ’ilvousmetteengardecontreleducetqu’enmêmetempsilrecherchesa

compagnie.—Mmm,acquiesçaKilbournedansunmurmure. J’aimeraisbiensavoircequeMontgomerya

derrièrelatête.—Vousnecroyezpasqu’ilabesoindevouspourlejardin?Kilbournehaussalesépaules.—Si,c’estpossible.Maisjenesuispasleseuljardinierqu’ilpouvaitrecruter.Ildoityavoirune

autreraison.—C’estlegenred’hommeàvouloirmultiplierlesavantagespardeux,commentaTrevillionIlseraiditenvoyantMontgomerys’approcherdeladyPhoebe.—Bonsang.—Qu’ya-t-il?L’étiquette.Ilavaitoubliél’étiquette.LadyPhoebe,entantquefilleetsœurd’unduc,occupaitle

plushautrangdel’assistanceféminine.EtpuisqueMontgomeryétaitduc,ilétaitlegentlemandeplushautrang.Ildevaitdoncs’asseoiràcôtéd’elle.

—Jen’aimepaslesavoirsiprèsdemaprotégée,marmonnaTrevillion.—Jenelevoispastenterquoiquecesoitdansunepiècebondée,observaKilbourne.Etpuis,elle

estavecsonchaperon.Cellequiressembleàunguerriertartare.Trevillionn’étaitpassatisfaitpourautant.Iln’appréciaitpasdedevoirabandonnerlaprotection

deladyPhoebeàunevieillefemme,aussiredoutablesoit-elle.Lesmusicienscommencèrentà jouer,et lesilencesefit.PuisuncomédienetMlleGoodfellow

entrèrent en scène en se disputant à propos d’une soubrette que le personnage masculin –apparemmentlefrèrejumeaudeMlleGoodfellowdanslapièce–voulaitséduire.

Unecomédie.Trevillionn’aimaitquetrèsmodérémentlethéâtre,etassezpeulescomédies.Aussipréféra-t-ilobserversaprotégée.Àsagrandesurprise,ilconstataqueMontgomeryavaitéchangésaplaceavecl’architecte,quisetrouvaitmaintenantassisàcôtédeladyPhoebe.

TrevillionserembrunitetsetournaversKilbourne.Maisc’étaitpeineperdue.Levicomten’avaitd’yeuxquepourMlleGoodfellow.

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Ariane pensa d’abord s’enfuir, mais le monstre demeurait immobile et silencieux. Finalement,rassemblantsoncourage,elles’approchadelui.Ilétaitallongé, facecontreterre,entièrementnu,sesbrasmassifs étendus sur les fleurs, tandis que sesmembres inférieurs restaient dans l’eau.Du sangcoulaitd’unemultiplicitédecoupuressursesjambesetsontorse.Satêtedetaureauétaittournéesurlecôté.Etalorsqu’Arianelefixait,ilouvritunœil…

Il lui avait fait l’amour et, pourtant, il ne l’avait jamais véritablement vue, songeaApollon enobservantLilysurscène.Elleavaittroquélarobedanslaquelleelleétaitapparueàlapremièrescènepourunpantalonetunevested’homme,etdissimulésescheveuxsousuneperruquemasculine.Ilétaitévident aupremiercoupd’œilqu’il s’agissaitd’une femmedéguiséeenhomme.Leproposn’étaittoutefoispasdeduperlepublic,maisdel’amuseretdeleséduire.

Etdoncelleleséduisait.Elleétait toutbonnement…fascinante.Apollonn’avaitpasdemotspourdécrire lecharmequi

émanaitd’elle.Elleirradiaitlittéralementetilsesurpritàsepencherenavantcommepourcapterunpeudecettelumièrequ’ellesemblaitprodiguer.Ilauraitvouluqu’ellenes’adressequ’àlui,retenirsonattentioncommeelleretenaitlasienne.

L’ennui, c’est qu’il n’était pas le seul. Tout le monde, dans la salle, voulait sa part de RobinGoodfellow.Sonjeuavaitquelquechosed’hypnotisantetApollonsedemandaitcommentilavaitpupossédercettefemmelaveilleetréagiràprésentcommes’ilignoraittoutd’elle.

Elle s’approcha de son partenaire tout en débitant sa tirade et lui décocha une œilladelangoureuse.Apollonétaitàlafoisadmiratifetoutréqu’ellepuisseregarderunautrehommequeluidecettefaçon.

Tousleshommesdanscettepiècedevaientavoiruneérection.Ils’efforçades’adosserdenouveauàsonsiègepourtenterd’échapperàcesortilège.Envain.Il était une brute mal dégrossie, il le savait depuis l’année de ses quinze ans, quand il avait

commencéàdépassersonpèreen taille.Commentunecréatureaussidélicatepouvait-elleaccepterd’avoir quoi que ce soit à voir avec lui ? C’était pourtant le cas. Elle l’avait laissé la caresserintimement.Etlaprendre.

Apollondécidasoudainque,siridiculequeleurcoupleapparaisse,ilnepermettraitpasàLilydechangerd’avis.Elleétaitsienne,désormais,ets’ilavaitsonmotàdire,elleleresteraitàjamais.

Lareprésentations’étaittrèsbienpassée,songeaitLilyavecsatisfaction,alorsqu’elleachevaitdese démaquiller. Certes, Stanford avait oublié une tirade entière dans le troisième acte et le jeunehomme interprétant le beau valet avait un peu trop tendance à tirer la couverture à lui.MaisMoll

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s’étaitacquittéedesonrôleavecuncharmantmélanged’humouretdepaillardise.QuantàJohn, ilétaitsibeauetsichevaleresquequeLilyavaitbienfaillitomberamoureusedeluipourdevrai.

Oui,onpouvaitparlerd’unbeausuccès.—Tuasfini,chérie?s’enquitMoll,détournantlesyeuxdesonmiroiràmain.J’ail’intentionde

danseraveclebeauduc.EtdeboireunoudeuxverresduvindeM.Greaves.J’espèrequ’ilestbon,maismêmes’ilnel’estpas,celanem’empêcheradem’enivrer!

Lilys’esclaffa.—Nem’attendspas,ilfautquejemerecoiffe.Aprèss’êtreinspectéeunedernièrefois,Molls’enalla.Lilysouritàsonrefletdanssonpropremiroir.C’étaitunpeuridicule,maisellevoulaitsefaire

bellepourApollon.Ilnel’avaitencorejamaisvuejouersurscèneetelleappréhendaitsonverdict.Avait-ilaimélapièce?

Ellefronçalenez.Siellenesedépêchaitpas,ellemanqueraitlebaletseseraitpomponnéepourrien.

Danslesilencedupetitboudoirquiservaitdelogeauxcomédiensd’unsoir,elleentenditdespass’approcherdanslecouloir.Elles’empressadepiquerunedernièreépingledanssescheveux,puisseleva,toutsourire,alorsquelaportes’ouvraitdéjà.

Sonsouriresefigeaquandelledécouvritquientrait.LordRossn’avaitpasbeaucoupchangéenseptansetdemi.Ilaffichaittoujourscettepostureun

peuraide, trèsmartiale,etportait toujoursuneperruquesoigneusementboucléeetpoudrée.Ilavaitégalementgardéunventreplat.Etdesyeuxvairons.

Enrevanche,lesridesaucoindesesyeuxs’étaientcreuséesetsaboucheaffichaitenpermanenceunemouedésabusée.

Peut-êtrequelacruautéfinissaitpars’imprimersurunvisageàlalongue.—LilyStump,lança-t-ild’unevoixveloutée.La voix d’Apollon ne ressemblerait jamais à cela, elle le savait.Même si sa gorge guérissait

complètement,ilgarderaituntimbreunpeurugueux.Etelleenétaitravie.—Richard,répondit-elled’untonégal.—LordRoss,jevousprie.Iln’avaitpasélevélavoix,maisLilyvitqu’ilserraitlespoings.Ellehochalatête.—Trèsbien,milord.Enquoipuis-jevousêtreutile?Ilentradanslapièce.—Vouspouvezl’êtreenrestanthorsdemoncheminetengardantlesilence.Lily pivota pour qu’il ne puisse pas l’acculer dans un coin. Le boudoir ne contenait que deux

petitestables,unechaise,saboîteàmaquillageetlescostumes.Maisilyavaitlesmiroirsàmain.S’illefallait,elleenbriseraitunetutiliseraitleséclatspoursedéfendre.

—Trèsbien,répéta-t-elle.Ils’avançad’unpas.—Jurez-le-moi.Ellelecontournahabilement,empoignasesjupesetprofitadecequelaporteétaitrestéeouverte

pourprendresesjambesàsoncou.—LilyStump!rugit-ildanssondos.Maisilauraitfalluêtrefollepours’arrêter.

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Etellenel’étaitpas.Ellebifurquaàl’angleducouloiretfaillitentrerencollisionavecunvalet.—Mademoiselle?fit-il,surpris.—Pardonnez-moi,dit-elle.Elle n’était pas censée s’excuser auprès d’un domestique, elle le savait, mais au diable

lesconvenances.Affichantunsourire,elledemanda:—Savez-vousoùsetientlebal?Levaletluidésignal’escalier.—Aurez-de-chaussée.Voulez-vousquejevousyconduise?—Ceseraittrèsgentilàvous.Ellelesuivitdansl’escaliersansunregardenarrière.Maintenantqu’ellenecouraitplusetquele

sangneluirugissaitplusauxtympans,elleentendaitlamusique.Le valet s’inclina devant la porte de la salle de bal. Lily le gratifia d’un autre sourire avant

d’entrer.Une profusion de chandelles illuminait la pièce. L’odeur de cire, conjuguée à celle des fleurs

disposéesunpeupartout,saturaitl’atmosphère,larendantpresqueirrespirable.IlfaisaitaffreusementchaudetLilyregrettadenepasavoird’éventail.Àenjugerpar lasallebondée,M.Greavesdevaitavoir invité quantité de voisins, devina-t-elle.Elle avait à peine fait un pas qu’elle fut abordée parM.Warner,quiluiréclamaunedanse.

Elleétaitdéçue–elleespéraitqu’Apollonseraitprésent–,maisellesegardabiendelemontrer.Sonrôleneselimitaitpasàsaprestationsurlascène:elleétaitaussilàpourdivertirlesinvités.

Aussidansa-t-elleavecM.Warner,puisavecM.MacLeish.Lorsqu’elleaperçutRichardprèsdelaporte,quiaffichaituneexpressionfurieuse,elledécidades’éloignerdansladirectionopposée–enl’occurrence,lesportes-fenêtresquiouvraientsurlejardin.D’uncoupd’œilpar-dessussonépaule,elles’assuraitqueRichardnelasuivaitpasquandunemainserefermasursonpoignet.

Elle se retrouva entraînée sans cérémonie dans l’escalier quimenait au jardin plongé dans lapénombre,

AvantdereconnaîtreApollon.—Oh!futtoutcequ’elletrouvaàdire.—Tuasl’aireffrayée,murmura-t-il.Pourquoi?Ellelissasesjupes.—Ilyadequoi!Tum’asquasimentenlevée!Àlalumièrequifiltraitparlesportes-fenêtresellecrutvoirApollonesquisserunsourire.—Sij’avaisvoulut’enlever,jet’auraischargéesurmonépaule.—Parcequetut’imaginesquejet’auraislaisséfaire?répliqua-t-elleredressantl’échine.—Ohqueoui!—Tuesbiensûrdetoi.—Mmm.Entremêlantsesdoigtsauxsiens,illatiradoucementdanslejardin,avantd’ajouter:—J’aiaimétapièce.—Merci,soufflaLily,quisesentitrougircommeunegamine.Ilsouritdenouveau.Bienquelesportes-fenêtresaientétéouvertes,lesinvitésn’étaientpassupposéssepromenerdans

le jardin, aucune lanterne n’avait donc été allumée. Tandis qu’ils s’enfonçaient dans le jardin, la

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lumièrevenuedelasalledebals’estompa,jusqu’àcequeLilyaitl’impressiond’êtrepratiquementaveugle.

—Oùallons-nous?—Cetaprès-midi,j’aidécouvertquelquechosequejevoudraistemontrer.La nuit était fraîche, et si Lily n’avait pas couru et dansé, elle aurait eu froid. Elle ferma les

paupièresquelquesinstants,etquandellelesrouvrit,ellelevalesyeuxverslecielétoilé.—Quec’estbeau!murmura-t-elle.Apollon,dontellevoyaitlasilhouettemaintenantquesavisions’étaitaccoutuméeàl’obscurité,

levaàsontourlatête.—C’estunebellenuit,reconnut-il.Ilsmarchèrentunmomentensilence,desbribesdemusiqueleurparvenantparintermittence,puis

uneespècedemursurgitsoudaindevanteux.—Qu’est-cequec’est?s’inquiétaLily.Ils’immobilisa,etellesut–ellen’auraitpuexpliquercomment–,ellesutqu’ilsouriait.—Unlabyrinthe.

Apollonsedemandas’iln’étaitpasfoud’emmenerunefemmedansunlabyrintheenpleinenuit,maisl’idées’étaitimposéed’elle-même.

—Viens,dit-il.Lilylesuivitsansrechigner,maissavoixétaitmalassuréelorsqu’ellefitremarquer.—Nousrisquonsdenousperdre.—Non.Jel’aiexplorécetaprès-midi.Iln’estpastrèscompliqué.—Mêmedanslenoir?—Mêmedanslenoir,assura-t-il.Celadit,ilnefaitpascomplètementnuit,ajouta-t-ilenindiquant

lesétoilesetlecroissantdelune.—Hum,fit-elle,àdemirassurée,maissanss’arrêterpourautant.Le labyrinthe était ancien si bien que les haies étaient très hautes. Par endroits, la végétation

menaçaitmêmed’envahir lesalléeset ils étaientobligésdemarcher l’underrière l’autre,Apollonouvrant alors le chemin. Même lorsque la jeune femme se trouvait dans son dos, il entendait lebruissementdesesjupes,sarespiration,sondélicieuxparfum–orangeetcloudegirofle.

Quandilstournèrentaudernierangle,ilbandaittoutàfait.— Où sommes-nous ? s’enquit-elle d’une voix presque respectueuse, comme si elle devinait

l’importancedulieu,etlepourquoidesaprésenceici.Ilyavaitdevanteuxunbassindepierrepeuprofond,bordédebancs,égalementenpierre.Une

statuesedressaitaucentre.Ç’avaitdûêtreunefontaineautrefois,maisl’eaunecoulaitplus,lebassinétaitvideàl’exceptiondequelquesfeuillesmortesquipourrissaientsurlesbords.

—Noussommesaucœurdulabyrinthe,réponditApollon,lagorgeserrée.Lilys’approchadubassin,contemplalastatue,puissetournaverslui.—Aucœurdulabyrinthe?répéta-t-elle.Ilcroisasonregard,quireflétaitlecielnocturneet,au-delà,l’universentier,ethochalatête.—Oui.Elle demeura immobile un moment et Apollon n’aurait su dire à quoi elle pensait. Puis,

finalement,désignantlastatue,elleritdoucement.—Unminotaure.C’estapproprié,j’imagine.

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Apolloncontemplaàsontourlastatuetoutencornesetépaulesmassives.—Lemonstredulabyrinthe?—Oui.T’ai-jeditqu’audébut,Indiopensaitquetuétaisunmonstre?—Et?Suis-jetoujoursunmonstreàtesyeux?—Non.Tunel’espas…Tunel’asjamaisété.Etelleattirasatêteàellepourluidonnerunbaiser.Unbaiserpassionné,quiexprimaitsondésir

sansdétour.Apollon luttapournepas l’étreindreavec force tant il craignaitde lui fairemal. Il seretint,etlalaissaprendrelesrênes,explorersabouchetoutsonsoûl.

—Apollon,souffla-t-elleenagrippantlesreversdesaveste,fais-moil’amour.C’étaitlesignalqu’ilattendait.Ilrepritsabouchemais,cettefois,c’étaitluiquimenaitladanse.

Toutenl’embrassantavecfièvre,ilsuivitduboutdesdoigtsleborddesondécolleté,lesglissaentresesseins.C’était tièdeetmoiteàcetendroit,et il futprisd’unefurieuseenviedegoûteràsapeau.Inclinantlatête,ilfitcourirsalanguesurlerenflementdesesseins.

—Apollon,gémit-elle.Jet’enprie…Ildéposaunepluiedebaiserslelongdesoncou,luimordillalanaissancedel’épaule.IlsentitlesmainsdeLilys’activerfébrilemententreeuxetserenditcomptequ’elleessayaitdelui

déboutonner son pantalon. Il voulut l’aider, mais elle était déjà parvenue à ses fins. La seconded’après, sa main se refermait sur son sexe en érection et il se figea. Ses doigts minces, qui lecaressaientsansvergogne,s’immobilisèrentuninstantlàoùperlaitunegouttedeliquidenacré.

Etdansunrayondelune,Apollonlavitporterlamainàseslèvresetselécherlesdoigts.C’enfuttrop.Sedébarrassantvivementdesaveste,illajetasurlesoldevantl’undesbancsquientouraientle

bassin.—Mets-toiàgenoux,ordonna-t-ild’unevoixsigutturalequ’ilentressaillit.Elleobéit, lesbrasenappuisur lebanc,commesielles’offraitensacrificeàquelquemonstre

mythologique.—Commecela?demanda-t-elle,enluiglissantunregardpar-dessussonépaulequilefitdurcir

encoredavantage,siunetellechoseétaitpossible.—Exactementcommecela,oui.Il s’agenouilla derrière elle, releva ses jupes avec déférence, comme s’il dévoilait uneœuvre

d’art. Ses bas blancs apparurent d’abord, puis ses cuisses, que la lune parait d’un éclat argenté.Etenfin ses fesses. Ses fesses si joliment rebondies. S’il devait mourir maintenant, il emporterait àjamaislavisiondesfessesdeLily–ilnepouvaitrêvermieux.

—Écartelesjambes,luiordonna-t-ilencore.Elles’exécutadocilement,révélantunpeuplusdesonanatomie,quelapénombreauréolaitd’une

pudeurtrèsexcitante.Ilglissalesdoigtsjusqu’àsafentetouthumide.—Apollon…gémit-elleensetrémoussantlégèrement.—Tuaimescela?demanda-t-ild’unevoixpâteuse,commeivredesonodeurféminine.—Tu le sais trèsbien, répliqua-t-elle, cambrant les reins telleune jumentqui seprésenterait à

l’étalon.Dieuqu’illadésirait!Apollonpritsavirilitéàpleinemainets’insinuaentrelescuissesdeLily,quigémitdeplusbelle

ens’arquantdavantagecontrelui.

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Iln’étaitplusenétatdepenser,n’étaitplusquesensationsetdésiràl’étatpur.Empoignantlajeunefemmeauxhanches, ilplongeaenelle, la têterenverséeenarrière.Elleétaitbrûlanteetdouceà lafois, et tellement étroitequ’il en aurait pleuréd’émotion.Cequine l’empêchapasde semettre enmouvementavecunebelleénergie,leursdeuxcorpssoudésl’unàl’autrecommes’ilsneformaientplusqu’uneseulechairavantqu’ilneseretirepresquecomplètement.

Levisage reposant sur sesbras repliés,Lilygémissait debonheur. Il s’inclina sur ellepour laprotégeretpourlafairesienne.

—Queveux-tu,monange?chuchota-t-ilavantdeluilécherlanuque?Dis-le-moi.—Toi…souffla-t-elle.Jeveux tonsexeenmoi,quim’emplit toutentière…jeveuxque tume

prennesencoreetencorejusqu’àcequej’enoubliemonproprenom.Sesparolesl’affolèrentetluifirentperdretoutcontrôle.Ilsecabra,seretirapours’enfonceren

elleavecunevigueurrenouvelée,l’hommeayantcédélaplaceàl’animal.Lesdoigtspresséssurlachairtendredeseshanches,illalabouraitfollement,etsesmusclesintimesserefermaientcommeunpoingsursonsexesidurquec’enétaitdouloureux.

Elle bascula dans l’extase en gémissant sourdement, et il l’y rejoignit en laissant échapper unrugissementdebêtefauve.

Les étoiles tournoyant au-dessus de leurs têtes, Apollon s’affala sur elle, le souffle coupé, sedemandants’ilrecouvreraitsonhumanité.

Ous’ill’avaitperdueàjamaispourcettefemme.

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17

Si sa têteétaitbiencelled’un taureau, l’œilque lapaupièreavaitdévoiléétaitmagnifique.D’unbrundoux,humideetemplidesouffrance.Dansl’instantelleoubliasapeurpourneplusressentirquedelapitié.Etplutôtquedes’enfuir,elles’agenouillaprèsdelabêteetentrepritdelaversesplaies.Cependant,ellesedemandaitcequ’ilétaitadvenudeThésée,carelleétaitconvaincuequec’étaitluiquiavaitinfligécesblessuresaumonstre…

Lily se réveilla tard, le lendemain matin, en proie à un curieux mélange d’allégresse etd’appréhension. Elle allait revoir Apollon, mais elle savait à présent que leur liaison seraitnécessairementcourte.Leursdeuxmondesétaienttropdifférents, lefossésocialbientropprofond.Même s’il tenait à elle, Apollon devrait, tôt ou tard épouser une femme de son rang. Et ellen’imaginaitpassecontenterd’êtresamaîtresse.Maispuisqueletempsleurétaitdésormaiscompté,elleentendaitprofiterdechaqueinstant.

SielleseréjouissaitderevoirApollon,ellen’enéprouvaitpasmoinsunecertaineinquiétudeàl’idéequ’ellenepourraitpaséviteréternellementRichard.

S’efforçantdechassersescraintes,elledescenditdéjeunerencompagniedeMoll.Touslesinvitésétaientdéjàrassemblésdanslasalleàmanger,carilétaittard–presque1heure

de l’après-midi. L’heure du petit-déjeuner était depuis longtemps passée pour les gens quitravaillaient,mais,biensûr,cesderniersnedansaientpasjusqu’àl’aube.

Troisgrandestablesavaientétédresséespourservirtoutlemondeetplusieursvaletss’affairaientpour les garnir en café chaud, assiettes de viande froide,œufs durs et petits pains craquants. LilyrepéraApollonpresque toutdesuiteetéchangeaunsourireentenduavec lui.PuisellevitRichard,assisàcôtéd’unejoliefemmequidevaitêtresonépouse.

Lilyn’éprouvaitriend’autrequedelapitiépourelle.Molletellesedirigèrentrésolumentjusqu’àlatableoùsetrouvaientJohn,lesWarneretaussi,

hélas, son frère. Cette table étant la plus éloignée de celle de Richard, ceci compensait cela. Ellerisquaunautreregardendirectiond’Apollon,etdécouvritqu’ilobservaitRichardd’unairpensif.

Bonsang.Cediabled’hommeétaitbeaucouptropperspicace.—Bonjour,mademoiselleBennet,lançaM.WarnerlorsqueMolletelleapprochèrent.Ilselevaaussitôt,imité,quoiquepluslentement,parJohnetEdwin.— Et bonjour Mlle Goodfellow, ajouta-t-il. Votre prestation d’hier soir était splendide.

MmeWarner etmoi-même avons beaucoup apprécié. J’imagine que vous devez être très fière devotrefrère,carj’aicrucomprendrequ’ilétaitl’auteur.

Il adressa un grand sourire à Edwin qui, pour une fois, semblait un peu déstabilisé par lecompliment.

—Àvraidire,intervintJohn,M.Stumpestréputé,parmilesgensdethéâtre,pourl’intelligence

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etlavivacitédesescréations.J’aimoi-mêmedéjàjouédansdeuxdesespièces.—Vousavezbeaucoupdetalent,monsieurStump,renchéritMmeWarner.Lilyauraitdûêtrehabituéeàcequesonfrèrereçoivedes louangesquiauraientdûluirevenir,

cependant,ellenepouvaitpass’empêcherderessentirchaquefoisunpetitpincementaucœur.Uneexpressionétrangesepeignitsurlestraitsd’Edwin,quiécartasoudainlesbras.—Messieurs,mesdames!Puis-jeavoirvotreattentionuneminute?Lesautresinvitéstournèrentversluidesregardsétonnésoucurieux.Edwinétaitdanssonélémentdès lorsqu’ilavaitunpublic. Il s’inclina,puisgagna lecentrede

lasalle.— J’ai reçu beaucoup d’éloges pour la pièce à laquelle vous avez assisté hier soir, mais le

momentestvenuquejevousrévèlelenomduvéritableauteurdesRemordsd’unpanierpercé.Edwinmarquaunepausetoutethéâtrale,avantdesetournerversLilyetdelasaluerbienbas.—Ils’agitdemapropresœur,MlleRobinGoodfellow!Elleavaitbeausavoircequ’ilallaitdire,Lilyn’en futpasmoinsprisedecourt.L’espaced’un

instant,ellesecontentadeleregarder,lesyeuxécarquillés.Lesourireauxlèvres,illarejoignit,luipritlamainetl’emmenaaumilieudelapièce.

LesinvitésapplaudirentetLilyn’eutd’autrechoixquedesaluer,etencoresaluer.Pendantce temps,unvalets’étaitapprochédeM.WilliamGreavespour luichuchoterquelques

motsàl’oreille.M.Greavesquittaaussitôtlasalleàmanger.Danslebrouhahadesapplaudissements,Lilydemandaàsonfrère:—Pourquoi?Ilhaussalesépaules,l’airpenaud.Lilysedemandas’ilneregrettaitpasdéjàsarévélation.—Ilétaittemps,luimurmura-t-ilàl’oreille,carlesapplaudissementssemblaientnepasvouloir

cesser.Etendépitdemonégoïsmeetdemamesquinerie,jet’aime,petitesœur.Alorsque, leslarmesauxyeux,Lilyenlaçaitsonfrère,ellevitApollonquiapplaudissaitàtout

rompre,luiaussi,leregardemplidefierté.

ApollonregardaitLilyrougiretsourirealorsqu’onlareconnaissaitenfincommel’auteurdesespièces.Ilauraitvoululaprendredanssesbraspourlaféliciter,maisilsn’enétaientpasaupointoùilpouvaitl’étreindreenpublic–pasencore.Aussi,aprèsavoirapplaudi,profita-t-ilduremue-ménagepours’esquiver.

Danslecouloir, lesvaletsquiallaientetvenaientneluiprêtèrentpas lamoindreattention.Ilsedirigeaverslebureaudesononcle,quisetrouvaitégalementaurez-de-chaussée,maisdanslapartiedelamaisonréservéeàlafamille.

Ilétaitpresquearrivéàlaportequandunevoixlehéla.—MonsieurSmith?Ilseretourna,etdécouvritsononclequileconsidéraitd’unœilperplexe.—Puis-jevousaider,monsieurSmith?J’aipeurquevousnetrouviezriend’intéressantparici,à

partmonbureau.—Pardonnez-moi,ditApollonsanstrahirlemoindreembarras.J’aidûm’égarer.—Apparemment,acquiesçaGreaves,dontleregardsefitplusaigu.Dites-moi,monsieurSmith,

j’avaisunequestionàvousposer:noussommes-nousdéjàrencontrés?—Jenecroispas,monsieur.

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C’était lavérité,dureste: iln’avaitaucunsouvenird’unevisited’unquelconquemembredelafamille lorsqu’il était enfant.Sauf le jouroù songrand-père était venu lui annoncerqu’il entrait àHarrow.

—C’estétrange,murmuraGreavesalorsqu’ilsrebroussaientcheminensemble.Votretêtemeditvaguementquelquechose.J’ail’impressiondevousavoirdéjàvuquelquepart.

Apollonauraitvoulupresserlepas,maisils’obligeaàcalquersadémarchesurcelle,trèslente,desononcle.

—Monpère,lecomte,estunhommeimposant,repritGreaves.J’avaispeurdeluiquandj’étaisenfant.Sesépaulesmassives,sesgrandesmains…

Ilsemblaitperdudansdessouvenirspeuplaisants,cependantilcontinua:—Monfrèreetmoin’avonspashéritédesamorphologie,maisjemesuislaissédirequemon

neveuavaitlamêmecarrurequelui.MonfilsGeorgeluiressembleaussiunpeu.IlregardaApollonetilyavaitdanssesyeuxuneinterrogationquiparaissaitletroublerauplus

hautpoint,voirel’effrayer.—MonsieurGreaves,appelaunvaletdanssondos.Greavesseretourna.— Ah, Vance, vous voilà ! s’exclama-t-il. Si vous voulez bien m’excuser, monsieur Smith ?

ajouta-t-ilàl’adressed’Apollon.—Maisjevousenprie.Ilsuivitsononcleduregardtandisqu’ilrejoignaitledomestique.—J’espèrequevousavezl’affairebienenmain,lançaGreaves.—Oui,monsieur,maissijepeuxme…Levalettournalatêtepourchuchoteràl’oreilledeGreaves,révélantainsilatachedevinquilui

couvraitpresquetoutelajouegauche.Apollonreculadansl’ombre,lecœurbattantàtoutrompre.Ilavaitdéjàvucevisage.Quatreansplustôt.DansunetavernedeWhitechapel.Ilattenditquelesdeuxhommesaientdisparudanslebureauavantderegagnerlasalleàmanger.

Quesononcleemploieunvaletquis’étaittrouvédansl’aubergelanuitducrimenepouvaitêtreunesimplecoïncidence.Était-celuil’assassin?Greavesl’avait-ilenvoyéfairelesaleboulot?

Les invités étaient toujours à table. Apollon se faufila jusqu’à son siège, à côté du duc deMontgomery.

—Avez-vousdécouvertquelquechose?s’enquitcederniertoutenbeurrantuntoast.—J’étaisauxtoilettes,mentitApollon.—Allons,allons,répliqualeduc.Nejouezpasauplusfinaveclevieuxrenardquejesuis.Ilmorditdanssontoast,etApollonsoupira.Iln’avaitpasgrandeconfianceenMontgomerymais

pourl’heure,c’étaitsonseulallié.—L’undesvaletsdeWilliamGreavessetrouvaitàlataverne,lesoirdesmeurtres.Montgomerycessademastiquer.—Vousêtessûr?—Ilaunetachedevinsurlajouegauche.—Bien,fitleducavantd’avalersabouchée.Danscecas,ilnousfautdécouvrirdepuiscombien

detempslevaletenquestionestauservicedeGreaves.—Comment…?Mais Apollon n’avait pas terminé de formuler sa question que Montgomery se penchait par-

dessuslatable.

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—Dites-moi,George,depuiscombiendetempsvotrepèreemploie-t-ilcevaletavecunetachedevin?

—Troisans,réponditprudemmentGeorgeenregardanttouràtourleducetApollon.Montgomeryn’étaitbiensûrpaslemoinsdumondetroublé.—C’estcurieux,dit-il.J’aivuunhommequiarboraitlamêmemarquedenaissance,ilyadeux

ans,àChypre.ÀChypre?Apollon jeta un coupd’œil àGeorgeGreaves, se demandant s’il allait gober cette

histoireridicule.Apparemmentpas,àenjugerparsaminesuspicieuse.Ilsoupiratandisquelesinvitésautourd’euxcontinuaientdediscuter.—Àquoijouez-vous?siffla-t-il.—Cen’étaitqu’unesimplequestion,sedéfenditleducenrecouvrantunautretoastdemarmelade

d’orange.—Vousvouliezl’alerteràdessein?— Oui et non. Je commence à me lasser que rien ne se passe. Parfois, il n’est pas mauvais

d’envoyerlerenarddanslepoulailler,histoiredevoirsiunserpentnes’ycachepas.Apollonlefusilladuregard.—Vousneconnaissezrienauxpoulaillers.Leducluioffritsonpluscharmantsourire.—Croyez-vous?Apollonavalaunegorgéedecafé.Toutledilemmeétaitlà:devait-ilouiounonfaireconfiance

auduc?Ilobservadenouveausoncousin,quibuvait tranquillementsonthé.IlavaitréponduqueVance

n’était au service de son père que depuis trois ans. Ce qui ne voulait pas dire queWilliam ne leconnaissaitpasàl’époquedesmeurtres.Etpuis,Georgeavaitpumentir.Lepèreetlefilsétaientpeut-être complices depuis le début. Après tout, George avait autant intérêt que William à ce qu’ildisparaissedupaysage.

Siseulementildisposaitdelamoindrepreuvecontresononcle…Cetteconsidérationemportasadécision.Iltenteraitunedeuxièmeexpéditiondanslebureau.Cettenuit.

Ce soir-là, quand Lily regagna sa chambre, Apollon s’y trouvait de nouveau. Elle aurait dûs’offusquerdesonarrogance,maisn’éprouvaqu’uneimmensejoieteintéedetristesse.

Elledoutaitfortqueleurrelationsepoursuiveaprèslapartiedecampagne.Unefoisqu’ilauraitdémasqué lemeurtrier,Apollon retrouverait sonexistenced’avant. Il était calmeetdéterminé,et ilsavaitcequ’ilvoulait.Ilétaitnépourêtrecomteetleseraitunjour.

Unecomédiennen’avaitpassaplacedanssavie.—Tusemblespensive,remarqua-t-ilenluitendantlamain.Adosséàlatêtedelit,ilneportaitquesachemiseetsonpantalon.Lilys’approchasanshésiter.Àquoibonfairedesmanièresalorsqueletempsleurétaitcompté?Il l’attira dans ses bras, le dos pressé contre son torse, et commença d’ôter les épingles qui

retenaientsacoiffure.—T’ai-jedéjàditcombienj’admiraistescheveux?

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—Ilsontpourtantd’unchâtaintrèsordinaire.—D’untrèsjolichâtain,rectifia-t-ilenenfouissantlenezdansunemèchequ’ilvenaitdelibérer.—Es-tuentraindesentirmescheveux?—Oui.—Tuesidiot!—Non,amoureux.Jet’aibeaucoupobservée,aujourd’hui.Lilyluijetaunregardpar-dessussonépaule.—PendantquetutepromenaisavecMlleRoyledanslejardin?—Oui.J’auraispréféréêtreavectoi,maiscelan’auraitpasétéprudent.—Queveux-tudire?—Mononclem’afaitremarquerqu’illuisemblaitm’avoirdéjàrencontré,puisilm’aparlédu

physiqueimposantdesonpère,mongrand-père.EtMontgomeryaposéunequestionrisquéeàmoncousin.

Lilyseretournatoutàfait.—Tucroisqu’ilsontdécouvertquituétais?Ilhaussalesépaules.—Peut-être.Oupeut-êtrepas.Jepensequemononcleadessoupçons,mais,pourl’instant,cela

nevapasplusloin.Quantàmoncousin…franchement,jen’ensaisrien.Lilyposalamainsursontorse.— Tu dois te montrer prudent. Ton oncle a tué pour t’empêcher d’obtenir le titre. Rien ne

l’empêcheraderecommencer.—Jesaismeprotéger,assuraApollon,enlagratifiantd’unsourireindulgent.—Nesoispasstupide.Aucunhommenepeutarrêteruneballe.Sonsourires’envola.—Tuasraison,reconnut-il,etaprèsavoirdéposéunbaisersursonfront,ildemanda:Àprésent

explique-moipourquoiRosstetrouble.Lilynes’attendaitpasàuneattaqueaussifrontale.—Ilnemetroublepas.Je…—Lily,jetiensàtoi.Etjeteprotégeraisijelepeux.Dis-moitout,jet’enprie.Elle ouvrit la bouche, la referma. Ils se sépareraient sous peu et ne se reverraient sans doute

jamais.Luidevait-ellequoiquecesoit?Maispourl’heure–avantquelavienelessépare–,ilsétaientproches.Sileschosesavaientété

différentes,elleauraitpufairedecethommesonmari.Elleauraittenusamaison,élevésesenfantsetdormiauprèsdeluijusqu’àcequ’ilsaientdescheveuxblancs.

Alorspeut-êtreluidevait-ellelavérité.Elleposalatêtesurletorsemuscléd’Apollonetcommençasonrécit.—Quandj’étaispetite,quejedéménageaisdethéâtreenthéâtreavecmamère,ilyavaituneautre

fille de mon âge. Elle s’appelait Kitty et c’était ma meilleure amie. Ses parents étaient tous deuxcomédiens. Kitty était une rousse aux yeux bleus, et quand elle riait, son nez se retroussait d’unemanière charmante.Elle était gentille, drôle, et je l’adorais.Elle aimait les gâteaux etMaudenousorganisaitdesthésderrièrelascènependantquenosparentsrépétaient.

Apollonsemitàluicaresserlescheveuxsansmotdire.Lilysedemandaits’ilavaitlamoindre

idée de ce que c’était que d’avoir une amie dans ce milieu bohème où elle avait grandi. S’ildevinaitcombienleslienstissésavecunetelleamiepouvaientêtreforts.

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—L’année de nos dix-sept ans, Kitty rencontra un homme. Il n’appartenait pas au monde duthéâtreet,pourtoutdire,ilvenaitd’unautremonde.C’étaitunaristocrate.Ilétaitbeauetrichemais,surtout,ilsemblaittrèséprisdeKittyet,ànosyeux,rienn’étaitplusimportant.Nousétionsencoredesgamines,etmêmesinousavionsétéélevéesparmidesgensdethéâtre,nousneconnaissionspasgrand-chosedelavie.Ilnemeseraitpasvenuàl’espritdem’inquiéter.JemesouviensqueMaudeadéclaréunjourquelesangbleunesemélangeaitpasfacilementausangordinaire,maisnousn’enavons pas tenu compte.Cette histoire était tellement romantique, tu comprends ? Il venait attendreKitty tous les soirs à l’entrée des artistes. Même lorsqu’il pleuvait ! Il disait l’aimer, et nous lecroyions.L’amourneconsiste-t-ilpasàoffrirdesfleursetdesbijouxetàattendresouslapluie?

Apollonl’enlaçatendrementcommesielleétaitencoreuneenfant.—Unjour…Lilyavalasasalive,s’efforçantderaffermirsavoix.—Unjour,j’airemarquéunbleusursajoue,avantqu’elleneledissimulesouslemaquillageet

j’ai trouvécelabizarre–on se fait rarementdesbleusà la joue.Kittym’aexpliquéqu’elle s’étaitcognée contre une porte, et je l’ai crue. Je n’ai pas songé un seul instant à mettre en doute cemensongestupide.

Apollonluiembrassalatempe.—Elle l’a épousé, aprèsunecourassiduequi aduréplusd’unan. Il avaitvraiment lebéguin.

Malgrél’oppositiondesafamilleetdesonmilieu,iln’apashésitéàépouserunecomédienne.Cettefois,Apollonparutvouloirréagiràsesparoles,maisLilyneluienlaissapasletemps.—Jen’aipasrevuKittypendantprèsd’unan.Ellem’écrivaitqu’elleétaitheureuse,maisqueson

mari n’aimait pas la partager, même avec une vieille amie comme moi. Elle me manquaitterriblement,maisj’étaisheureusequ’elleaittrouvél’amour.Lorsqu’elleafiniparmerendrevisite,elle boitait, mais comme elle m’a raconté qu’elle avait trébuché sur un trottoir et s’était foulé lacheville,jen’aipascherchéplusloin.Hélas,ses«accidents»sontdevenusdeplusenplusfréquentsetsesvisitesdeplusenplusrares.Unjour,alorsqu’ellen’étaitpasmariéedepuisdeuxans, je l’aicroisée dans un salon de thé.Malgré sonmaquillage, j’ai bien vu qu’elle avait un œil au beurrenoir…

Apollonluiembrassalescheveux.—Etqu’as-tufait?—Jel’aisuppliéedelequitter,biensûr.Ellecomptaitbeaucoupd’amisdanslemilieuduthéâtre.

Nouspouvionsl’héberger,lacachers’illefallait,luitrouverdutravail.—Qu’a-t-ellerépondu?—Qu’ellenesupportaitpasl’idéedelequitter.Leplusincroyable,c’estqu’endépitdetoutce

qu’illuifaisaitsubir,ellecontinuaitdel’aimer.Kittyconsidéraitqu’ilavaitconsentiunimmense

sacrificeen l’épousantcontre l’avisdesa famille,etelleestimaitqu’endurer sonaffreuxcaractèreétaitleprixàpayer.

—Un homme n’a jamais aucune excuse pour frapper une femme, quelle qu’elle soit, articulaApollon.Etencoremoinss’ilprétendl’aimer.

Lilygardalesilenceunmoment,savourantsonétreinte.—Lorsquejel’airevue,reprit-elle,elleétaitenceinte.Elleétaitsiheureusequej’aicommencéà

medirequejem’étaistrompée.Quesonmariavaitfiniparserendrecomptequ’elleétaitadorableetavaitjurédeneplusjamaislafrapper.C’estentoutcascequ’ellem’aassuré,etjevoulaisvraimentlacroire.

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Apollons’étaitraidiàl’évocationdelagrossessedeKitty.—J’étaistellementnaïve,murmuraLily.—Tun’asrienàtereprocher,assura-t-il.Quoiqu’ilaitpuarriver.Lilysecoualatête.Sielleavait insistédavantage,sielleenavaitappeléàl’instinctmaternelde

Kitty…Mais,non.Ellen’avaitrienfaitdetoutcela.Ellepritlamaind’Apollon,laserraavecforce.—Kittyadébarquécheznousenpleinenuit.Ellenousatousréveillés–Edwin,Maudeetmoi–

encognantàlaporte.Mamèreétaitmorteentre-temps,etEdwin,quiavaitperdubeaucoupd’argentau jeu, était revenuhabiter avecnous.C’estMaude,qui aouvert.Quand je l’ai entenduecrier, j’aibondidemonlit.Kitty…

Ellesemorditlalèvreenrespirantbruyamment,s’efforçantderetenirseslarmes.—Tun’espasobligéedemeraconter,chuchotaApollon.Lilysecouadenouveaulatête.—Tune comprendrais pas tout, sinon.Elle était…couverte de sang. J’ignore comment elle a

réussiàarriverjusqu’ànous,maisl’amourpoursonbébéadûlaporter.Ellel’aimaitdéjàtellement.—NomdeDieu,lâchaApollon,quisemitàbercerdoucementLily.—Sonmaril’avaitfrappéesauvagement.L’undesesyeuxétaitcomplètementferméetl’autresi

enflé…Même si elle avait survécu, elle aurait gardé desmarques indélébiles. Je ne suis pas sûrequ’elleauraitpurecouvrerl’usagedel’œilquiétaitfermé.Sonnezétaitécrasésibienqu’elledevaitrespirerparlaboucheet,oh,Apollon,lesangcoulaitaussientresesjambes!Sonbébéarrivait.

ApollonpressalevisagedeLilycontresajoueetelleserenditcomptequecelle-ciétaithumide.Ilpleuraitpourunefemmequ’iln’avaitpasconnue.Ilpleuraitsursonsupplice.

—Nousn’avionsplus le tempsd’appelerunesage-femme.Maude…Maudeaétémerveilleuse.ElleaemmenéKittyjusqu’àmonlitetestmêmeparvenueàconvaincreEdwindenousaider.Iln’étaitpascenséêtreprésent,biensûr,maisjenepensepasqueKittyenaitriensu.Elles’étaitévanouieetMaudedisait…Maudedisait…

Lilyenfouitlevisagedanssesmains.Sonchagrin,sonvieuxchagrin,lasubmergeaitdenouveau.Pauvre,pauvreKitty!Elleétaitsiviveetsijolie,maistoutcedontLilysesouvenait,c’étaitdesonvisageravagé.C’étaittellementinjuste.

—Chut,machérie,chut,luimurmuraitApollonsanscesserdelabercercommeunbébé.—Jesuisdésolée,hoqueta-t-elleens’essuyantlesjouesd’unreversdemain.Son nez coulait et ses yeux étaient rouges. Ce n’était pas pour voir une femme en larmes

qu’Apollonétaitvenucesoir.—Non,dit-il,siabruptementqueLilylevalatête.Luiaussiavaitlesyeuxrouges.—Net’excusepaspourlescrimesdecemonstre,nipourladétressequetuenressens,ajouta-t-il

plusdoucement.Ellehochalatête.—Lebébéestnéenvironuneheureaprèsl’arrivéedeKitty,peuavantl’aube.Maisellen’apaspu

levoir.Elleavaitcesséderespirerlorsqu’ilestvenuaumonde.J’aid’abordcruqu’ilnesurvivraitpasnonplus,ilétaitsipetit,maisMaudesavaitquoifaire.ElleaenvoyéEdwinchercherunenourriceetaréchauffélebébéendéposantdechaquecôtédesoncorpsdesbriqueschaudesenveloppéesdansdeslinges.

Lilyesquissaunsouriretremblantàcesouvenir.Cepetitgarçonavaitétésonenfantdèsledébut.

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—Ilnepleuraitmêmepas, figure-toi ! Il se contentait de contempler lemondequi l’entouraitavecsesyeuxgrands.Àlanaissance,ilsétaientbleustouslesdeux.Cen’estqueplustardquel’unaviréauvert.Etilavaitunpetittoupetdecheveuxnoirsausommetducrâne.Edwinvoulaitl’appelerGeorge,maisjetrouvaisceprénomtropbanal.J’aipréféréIndio.

Apollonaccrochasonregard.—QuiétaitlemarideKitty,Lily?—LordRoss,répondit-ellesanshésiter,alorsqu’ellenel’avaitjamaisditàquiquecesoit.Nous

avons toutdesuitesuques’ilapprenaitque lebébéavaitsurvécu, ilchercheraità lui fairedumal.Parcequ’ilavaitditàKittylorsqu’il l’avaitbattueàmortqu’ilvoulaitunenouvelleépouse,qui luidonneraitdeshéritiersdignesdesonlignage.Alors,j’aiquittéLondresquelquetemps.Jejouaisdansdestroupesdeprovinceetnousavonsvoyagéàtraverstoutel’AngleterreavecMaudeetlanourrice.QuandjesuisrevenueàLondres,j’aisimplementditqu’Indioétaitmonfils.

—Donc,Rossn’estpasaucourant.—Non.Etilnedoitjamaisl’être.Ils’estremariéetadeuxpetitsgarçons.Jen’osepenseràce

queseraitsaréactions’ildécouvraitqu’iladéjàunhéritier…néd’unecomédiennesansfamille.Apollonserralespoings.—Mais qu’il ne soit pas puni pour son crime alors qu’il a battu une femme – sa femme – à

mort…ceseraittropinjuste.Lilys’agenouillapourluifaireface.—Je neveuxpas que tu t’enmêles,Apollon.Ni que tu enparles à qui que ce soit.Tant qu’il

s’imagineraquelebébéestmortavecKitty,ilneconstituerapasundanger.Apollonplissadesyeux.—Alorspourquoit’observe-t-ilsanscessedepuisqu’ilestarrivé?—JesuisladernièreàavoirvuKittyvivante.Ildoitsedouterqu’elles’estréfugiéechezmoi.Et

donc,quejesaiscequ’illuiafait.—Alorsilteconsidèrecommeunemenace.—Jesuisunecomédienne.Unepersonnesansimportancedanslescerclesoùilévolue.Apollonluipritlesmains.— As-tu vu comment tout le monde t’a applaudie, ce matin ? Je veux bien admettre que

l’aristocratieboudequelqu’uncommetoi.Maislasociétéestuntout.Déjà,avantquetusoisreconnuecommeauteure,lesgenslouaienttestalentsdecomédienne.Iladebonnesraisonsdetecraindre,Lily.

—Même si tu as raison, je ne veux pas que tu racontes cette histoire à quiconque. Indio doitabsolumentêtreprotégé.

—Chut,souffla-t-il, luiencadrant levisagedesesgrandesmains.Je teprometsquejenevousexposeraipasaudanger,Indioettoi.

—Merci.Elles’inclinapourembrassersonmentonunpeurâpeuxetrépéta:—Merci.—Jeregretteque tuaiesconnucela.Personnenedevraitêtre témoindesatrocitésquepeuvent

commettreleshommes.Etsurtoutpastoi.Elleesquissaunsourireamusé.—Surtoutpasmoi?Etpourquoicela?Ill’attirasursesgenoux.—Parce que tu esma lumière etma source de joie. Et que si tum’y autorises, je passerai le

restantdemesjoursàteprotégerdeshorreursdumonde.

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—C’est une tâche impossible. Vivre, c’est affronter à la fois la beauté et la monstruosité del’existence.

—Tu as peut-être raison.Mais cela nem’empêcherait pas d’essayer. Je voudrais que tes yeuxrayonnentdebonheurjouraprèsjour.

—Merci,répondit-elle,émueparcequi,hélas,n’arriveraitjamais.Elledéposaunbaiseraucoindesabouche,etquandilenprofitapours’emparerdeseslèvres,

elleaccueillitsalanguepourunlongetlangoureuxbaiser.—Aide-moi,murmura-t-elleens’agenouillantdenouveau.Elledégrafasoncorsagetandisqu’ils’occupaitdesesjupes.Puisilluidélaçasoncorsetetl’en

débarrassa avant de lui ôter sa camisole. Uniquement vêtue de ses bas, elle s’assit sur lui àcalifourchon.

—Tuesmagnifique,dit-ild’unevoixrauque,sesmainscourantlentementsursescuisses.Jel’aipensé d’emblée lorsque je t’ai vue pour la première fois dans le jardin.Mais là, nue… jamais jen’auraisosérêveràuntelcadeaudesdieuxquandj’étaisàBedlam.

—Apollon…murmuraLily,bouleversée.Elle lui caressa les cheveux, ne put s’empêcher de retirer le ruban qui les lui attachait sur la

nuque.Ilsouritcommesic’étaitunevieillehabitude,ungesteentreamantsquiseconnaîtraientdepuisdesannéesetnonpasseulementquelquessemaines.

Sentantquesesyeuxlapiquaient,Lilyrenversalatêteenarrièreetattiralatêted’Apolloncontresapoitrine.Ellenevoulaitpasruinercebeaumomentd’intimitéparunaccèsdemélancolie.

Maisildevaitavoirdevinésasoudainetristesse.—Lily?fitens’écartant.Ellefitminedesedébattreaveclesboutonsdesabraguette,cequinel’empêchapasd’insister:—Lily.—Cen’estrien,murmura-t-elle.Je…j’aijusteenvied’oublier.Peux-tum’aideràoublier?Elleauraitdûsesentircoupabled’utiliseruntelfaux-fuyant,maisellenepouvaits’yrésoudre.

Aprèstout,elleavaitledroitàcesinstantsdebonheur,mêmes’ilsn’étaientpasdestinésàdurer.Alors elle ouvrit son pantalon et dénoua le lien qui fermait son caleçon. Son sexe jaillit

orgueilleusement,etelles’enempara,leregardatressaillirsoussesdoigts.—Enlèvecela,dit-elle,impérieuse,enindiquantsachemise.Il se redressa, fit passer celle-ci par-dessus sa tête avant de se radosser aux oreillers. Lily le

contempla,serepaissantduspectaclepourlegraverdansuncoindesamémoire.Siellel’avaitpu,elleauraitcommandésonportraitàunsculpteur,etellesavaitqu’ellen’auraitpasregrettéladépense.Sonregardglissasursesépaulesauxmusclesbiendessinés,sursesbicepsdontellenepourraitpasfaireletouraveclesdeuxmains,sursontorsepuissantdontellesuivitlesreliefsduboutdel’index.

Apolloncommençaàs’agitersouselle,maisellesecoualatête.—Non.Jen’aipasterminé.Ilétrécitlesyeux.—Commetuvoudras,répondit-ilcependant.Elle semordit la lèvre, se retenantde sourire,puisellecontinua sonexploration, s’arrêtantun

instantauniveaudesonnombrildontellefitlentementletour,avantdesuivrelesillondepoilsquidescendaitjusqu’àsonsexeérigéqu’elleexaminasansvergogne.

Et soudain, sans songer à demander la permission d’Apollon, elle se pencha et le prit dans sabouche.Elleenavaittropenvie.

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Il sursauta violemment. Du coin de l’œil, elle le vit approcher lesmains de sa tête et hésiter,commes’ilnesavaittropquoifaire.

Àvraidire,ellenelesavaitpasplusquelui,carellen’avaitencorejamaisfaitcela.Ellen’avaittoutefoispasl’intentiondelaissersonmanqued’expériencelapriverdecemoment.

Elle commença par sucer l’extrémité engorgée de son sexe, qu’elle tenait à deux mains,promenantdoucementlalangueautour.

Bienqu’Apollongémisse,ellen’étaitpassûredeluidonnerbeaucoupdeplaisir.Aprèstout,sescaresses n’avaient pas grand-chose à voir avec les solides coups de reins dont il la gratifiaitlorsqu’ilsfaisaientl’amour.

Prised’unesoudaineinspiration,ellelevalatêteetdemanda:—Quefais-tuquandtuestoutseul?Ilcilla,prisdecourt,puisouvritdegrandsyeux.—Quoi?Ilnepouvaitpasnepassavoirdequoielleparlait.L’aurait-ellechoqué?—Montre-moi,s’ilteplaît.Ellelelâchaetleregardaempoignersonsexedelamaindroite.Maisils’entintlà.Elles’inclinaalorspourdéposerunbaiserà l’endroitoùunegouttecristallineperlait.Et, sans

changerdeposition,ellerépéta:—S’ilteplaît.Ilhocha la têteet commençaà secaresser, samainallantetvenant sur toute la longueurde sa

virilitéplusvigoureusementetplusrapidementqueLilynel’auraitosé.Ellecontemplaitcespectacle,fascinée.Selivrait-ilsouventàcettepratique?Etàquoipensait-ildanscesmoments-là?

Àchaquemouvement, sonpoingvenaitheurter sonabdomen.Maisquandelle sepenchaet luiléchaletorse,ilsefigea.

—Non!Net’arrêtepas!Seredressant,ellesepositionnaau-dessusdelui.DesamainlibreApollonluiagrippalafesse

pourl’attirerplusprèsetlapénétrad’unseulcoup.Inclinéeenavantpourleprendreentièrementenelle,Lilyentrepritdelechevaucheravecénergie,seservantdeluipoursedonnerduplaisir.Ilnelaquittaitpasdesyeux,

Ellesoutintsonregardjusqu’àcequ’unemyriaded’étoilesexplosedevantsesyeuxluiarrachantuncriquiressemblaitàunsanglotdebonheur.

Apollonrefermalesmainssurseshanches,sescoupsdeboutoirdeplusenplusfrénétiquesavantqu’ilsuccombeauplaisir.

Allongée contre lui quelques instants plus tard, lui caressant distraitement les cheveux, Lily sedemandasiellepourraitreveniràsonexistenceantérieure.

OusiApollonnel’avaitpasemmenéedansunlabyrintheoùelleseperdraitàjamais.

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18

LemonstreauxbeauxyeuxregardaArianelesoigner.Quandelleeutterminé,ilvoulutserelever,maiscommeilvacillaitsursesjambes,elleluientouraimpulsivementlatailledubraspourl’aideràgarderl’équilibre.Ilbaissasurelleunregardintrigué,puislaconduisitàunetonnelleoùilluioffritdesbaiesetdel’eaufraîche.Etbienqu’ilnepûtparler,sonregardn’enétaitpasmoinsintelligent,luisembla-t-il…

Apollonsefaufiladiscrètementdanslecouloirmenantaubureaudesononcle,sitantestqu’unhommedesastaturepuissese«faufilerdiscrètement».

Minuit avait sonné depuis longtemps et, pour autant qu’il sache, tous les invités dormaient, ycomprisLily.Ilavaitquittéàregretladouceétreintedesesbras,maisilespéraitqueceneseraitpaspourlongtemps.

Ilétaitdéjàimpatientderetournerauprèsd’elle.Parchance,laportedubureaudesononclen’étaitpasverrouillée,etilypénétrasansbruit.La

pièceétaitdedimensionsmodestes.Sur l’uniqueétagère, il crut reconnaîtredes livresdecomptes.Unepetitetableetunechaiseétaientdisposéesdevant,tandisqu’unbureauetunfauteuiltrônaientprèsdelacheminée.

Apollonsedirigeadroitvers lebureau, sur lequel ilyavaiten toutetpour toutunbuvard,unencrieretunassortimentdeplumesdansunpot.Ilposasachandelle,s’assitdanslefauteuiletessayad’ouvrir l’un des tiroirs du bureau – celui du milieu. Il n’était pas verrouillé non plus, mais nerenfermaitquequelquespapierssansimportanceetunpetitcanif.

Ils’intéressaalorsautiroirdegauche.Quiserévélacomplètementvide.Àl’évidence,sononclen’étaitpasunhommed’affaires, cequi expliquait sansdoutequ’il se retrouvât criblédedettes.Letiroirdedroite,enrevanche,étaitverrouillé.

Apollons’étaitpenchépourexaminerlaserrurequandunevoixretentit.—Quefaites-vousàmonbureau,monsieur?Redressantlatête,ildécouvritsononclesurleseuil.Ilouvritlabouchedansl’intentiondedébiter

quelquemensonge…avantdedéciderqu’ilenavaitassezdementir.Ilseredressa,s’adossaaufauteuil.— Je cherche des preuves que vous avez tué trois hommes à seule fin deme priver demon

héritage.Sononcleenrestauninstantbouchebée.—Vous…quoi?Apollonsoupira.— Je suis votre neveu, dit-il. Apollon Greaves, vicomte Kilbourne. À votre service,

naturellement,ajouta-t-ileninclinantlatêteavecdérision.

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WilliamGreavesfaillitenlaissertomberlachandellequ’ilavaitàlamain.Ilreculad’unpas.—Kilbourne…Vousêtesfou.—Non,répliquaApollond’untonpatient.Jenelesuispas.Etvousêtesbienplacépourlesavoir.—Quefaites-vousici?demandaWilliam,quin’avaitapparemmentpassuivilaconversation.Apollonvoulutselever,maissononclecria:—Restezoùvousêtes!Nevousapprochezpas!—Mononcle…commençaApollon,s’obligeantaucalme.—Non!Greavespivotasursestalonsets’enfuit,avecuneétonnantecéléritépoursonâge.—Àl’aide!Àl’assassin!criait-il,savoixdiminuantàmesurequ’ils’éloignait.Ehbien,voilàquiallaitprécipiterlesévénements.Apollonrécupérasachandelleetsortitàsontour.Tandisqu’ilregagnaitlachambredeLily,ilne

croisa qu’un valet, qu’il salua de la tête.Mais lamaisonnée, alertée par les cris de son oncle, seréveillaitpeuàpeu.

Étonnamment,Lilydormaittoujoursquandilentra.Illacontemplauninstantavantdeserésoudreàlaréveiller.—Lily,fit-ilenluisecouantl’épaule.—Quoi?demanda-t-elled’unevoixensommeillée.Enentendantlevacarmeenbas,elles’assitabruptement.—Apollon!—Chut!dit-ilens’asseyantprèsd’elle.Jet’aime.Ellelefixad’unairstupéfait,puis:—Je…—Nousn’avonsplusletemps,l’interrompit-il.Mononclem’adémasqué,jedoism’enfuir.Elleinspiraungrandcoup.—Oui,biensûr.Apollonplongeasonregarddanslesien.—Retrouve-moidemainsoir,auborddel’étang.Làoùtum’asvumebaigner.Tutesouviens?—Je…Oui.Elles’empourpralégèrement,etApollonneputs’empêcherd’êtrecharmé.—Vers18heures,reprit-ilenselevant.Encasdeproblème,préviensMakepeace.Despasrésonnaientdéjàdanslecouloir,maisApollonpritletempsd’embrasserLily.—Jet’aime.Nel’oubliejamais.Puisilseruaverslaporte.De l’autrecôtédubattant l’attendaientdeuxvaletset lemajordome. Ilpoussa lemajordomede

côté, et s’apprêtait à faire de même avec les valets quand l’un d’eux voulut le frapper. Apollonesquivasanspeineetenvoyasoncoudedansl’estomacdesonadversaire,quisecourbaendeuxdedouleur.Visiblementpartagéentresondevoiretledésirdeménagersesentrailles,l’autrevaletreculad’unpas.Apollon feinta,puis lecueillitaumentonavantdes’élancerdans lecouloir. Ilcroisadesfemmesetdeshommesàdemihabillésquinecherchèrentpasvraimentàl’arrêter.

Sansralentir, il tournaà l’angleducouloir, faillitheurterM.Warnerquisortaitd’unechambrequin’étaitpaslasienne–intéressant!–dévalal’escalieretfonçaàtraverslevestibule.

Quelquessecondesplustard,ilcouraitdanslanuit.Ilentenditdescrisdanssondos,puislemartèlementdessabotsd’unchevallancéaugalopquise

rapprochaient.Ilfitvolte-faceàladernièreseconde,prêtàesquiverlecavalieretsamonture.

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Etdécouvrit,stupéfait,leducdeMontgomeryquitiraitsurlesrênesd’unsuperbeétalonnoir.—Qu’attendez-vous?aboyaleduc,lamaintendue.Montez!

Illuiavaitditqu’ill’aimait.Enproieàunsentimentd’irréalité,Lilycontemplaitlaporterestéeouverte.Ill’aimait.Maisquesignifiaientcesmotspourlui?Allait-illuiproposerderesteraveclui?Oun’était-celà

qu’uneformulequ’ilservaitàtouteslesfemmesavecquiilcouchait?Non. Lily chassa cette deuxième hypothèse dès qu’elle lui vint à l’esprit. Apollon était

foncièrementhonnête.S’ildisaitqu’ill’aimait,c’étaitvrai.Elle enéprouvaun sentiment étrangeet ténu,qui ressemblait aubonheur.Ridicule.D’unepart,

elleignoraitsiApollonavaitréussiàs’enfuir,d’autrepart,l’exempledeRichardetdeKittyluiavaitamplementprouvéquelesaristocratesetlescomédiennesn’étaientpasfaitspours’apparier.

Cependant…Apollonparviendraitàs’échapper.Ilétaitfortetdéterminé.Ilétaitvenuàboutsansmaldedeux

valetsetd’unmajordome,etaucundesinvitésn’étaitdetailleàl’affronter.Donc,ils’enfuirait.Etelleleretrouveraitlelendemainsoir,danslejardin.Et…

Etquoi?Peut-être trouveraient-ilsunesolution.Après tout,Apollonn’étaitpasunaristocratecommeles

autres.Et…etellel’aimait.Pourtantelleneputréprimerunfrisson.C’étaitprendrebeaucoupderisques,nonseulementpour

elle,maisaussipourMaudeetpourIndio.Pouvait-ellemettreleurbonheurendanger?—Entoutcas,ilabongoût,fitunevoix.Lilysursauta,etseraiditenvoyantGeorgeGreavesentrertranquillementdanslachambre.—Jevousdemandepardon?—Ah,ça,vouspourriez,petitecatin!répliqua-t-ilsanshausserleton.Etilrefermalaportederrièrelui.Lilyserralespoings.Elleétaitprêteàbondirhorsdulitetàs’enfuir–nue,s’illefallait.—Sortezdemachambre!—C’estmachambre,enfait,ouplusexactementcelledemonpère,cequirevientàpeuprèsau

même,ripostaGeorge.Iltiraunechaiseenfacedulit.—Vousavezabusédel’hospitalitédemonpère,mademoiselleGoodfellow.—Commentcela?IlcroisalesjambesetLilynotaqu’ilétaitentièrementvêtu–pantalon,gilet,chemiseimmaculée

etmême,cravate.Àquoidiables’occupait-ildoncpendantquesesinvitésdormaient?—Vousavezconspiréavecmoncousinpourdétruirenotrefamille.— Il n’y a aucune conspiration.Votre cousinn’apas commis lesmeurtresdonton l’accuse. Il

cherchesimplementàleprouver.—Pensez-vousunseulinstantquejevaisavalervossornettes?demandaGeorgeavecdédain.Je

le répète :vousavezconspiré avec lordKilbourne.Peut-êtredans l’idéedenous assassinerdurantnotresommeil.

—Quoi?

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Lilyétaitabasourdie.GeorgeGreavescroyait-ilréellementqu’Apollonétaitvenuàcettepartiedecampagnepourtuertoutlemonde?Ildevaitbienserendrecomptequecelanetenaitpasdebout.

—Ilestfou,repritGeorge,levisagerouge,lesyeuxexorbités.Toutlemondelesait.Etjesuislasdelevoirsalirlaréputationfamiliale.

Bontédivine!songeaLily.Etsic’étaitGeorge,levraifoudelafamille?—J’aipeurdeneriencomprendreàcettehistoire,déclara-t-elle,jouantlesécervelées.Maisce

n’est pas très gentil à vous de vous introduire dansma chambre, alors que je n’aimême pasmacamisole.Sivousvoulezbiensortir…

—Le titre auraitdû revenir àmonpère, et pas àmononcle fou et son assassinde fils. Ils ontsouillélalignéefamiliale,maisjevaismettreuntermeàcescandaleunebonnefoispourtoutes.

Lilyinspiraungrandcoup.Puisquesatactiquen’avaitpaspayé,autantêtreplusdirecte.—Pourquoimedites-voustoutcela?—Parcequevotrerelationavecmoncousinmepermettrad’enfinir.J’ignoreoùmoncousinest

allésecacher,maisvouslesavez,j’ensuissûr.—Non,jenelesaispas.Jesuisdésolée.Ilaprobablementdécidédequitterl’Angleterre.Greavessourit,maissonsouriren’avaitriend’amusé.—J’endoutefort.Etilseraitdommagepourvousquevousignoriezoùils’estréfugié,cardans

cecasvousnemeserezplusd’aucuneutilité…etvotreprétendufilsnonplus.—Que…quevoulez-vousdire?bredouillaLily.—Ils’appellebienIndio,n’est-cepas?Ungarçond’environseptans,avecunœilbleuetl’autre

vert.—Commentconnaissez-voussonexistence?murmuraLily,abasourdie.—IlalesmêmesyeuxquemonbonamilordRoss,secontentaderépondreGreaves.Lilyétaitmédusée.Elleauraitdû se lever, s’habiller,quitter cettechambreetoublier toutes les

insinuationsdeGreaves.MaisilyavaitIndio.—Avez-vous rencontré sa femme ? reprit-il d’une voixmielleuse.C’est la fille d’unmarquis

fortuné. Ross était ravi de s’être trouvé une pareille épouse.Mais une bonne partie de sa dot estaffectéeàl’héritierdutitre.Lepèredelamariéeseraitfortmécontentd’apprendrequel’héritierqu’ilcroitconnaîtredoitenréalitésacrifiersondroitd’aînesseàunenfantnéd’unecomédienne.EtDieuseulsaitcommentréagiraitRosss’ilapprenaitquesonfilsaînéesttoujoursvivant.Honnêtement,jeneparieraispascherdelaviedel’enfant.

Lily demeura silencieuse tandis que le monde s’écroulait. Il n’y avait plus aucun espoir pourApollonetelle.Maispeut-êtren’yenavait-iljamaiseu.Elleavaitjusterêvé,etsonrêveétaitpartienfuméeaveclespremièreslueursdel’aube.

Jet’aime,avait-ildit.Unedouleurlatraversa,fulgurante,etilluisemblaqu’ellesaignait,quelesangs’écoulaitlentementd’unendroitquepersonnenepouvaitvoir.

Maiscelan’avaitplusaucuneimportance.Elleétaitunemère.EtIndioétaitsonfils.ElleregardaGeorgeGreavesdroitdanslesyeux,lementonhaut.—Qu’attendez-vousdemoi?articula-t-elle,etelleéprouvaunecurieusefiertéenconstatantque

savoixnetremblaitpas.

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19

Arianerestaplusieursjoursauprèsdumonstre,quiseremettaitlentementdesesblessures.Endépitdesonapparenceeffrayante,elleletrouvaitdouxetgentil.Lejardinquilesentouraitétaitsplendide,maisterriblementsilencieux.Unjour,Théséesurgitd’undescouloirsdulabyrinthe,saleetcouvertdesangséché.«Éloigne-toidecemonstre!cria-t-ilàAriane,brandissantsonglaive.Car,cettefois, jenemelaisserai pas battre. Et je n’aurai pas de repos tant que je n’aurai pas tranché la tête de cette bêteimmonde.»…

Ilétaitpresque18heures,lelendemain,quandLilys’approchaprudemmentdel’étangdesFoliesHarte. Le ciel commençait à se teinter demauve et les oiseaux pépiaient à quimieuxmieux pouraccueillir la nuit. C’était presque beau, et pour la première fois, elle eut une idée de ce à quoiressembleraitlefuturparc.Laplupartdestroncscalcinésavaientétédéblayéset,durantsonabsence,lavégétationayantsurvécuavaitcommencéàreverdirsouslesassautsduprintempsnaissant.

Delavie.Lily, elle, en revanche, nemarchait pas vers la vie,mais vers lamort, unpistolet braquédans

ledos.CarGeorgeGreaveslasuivaitcommesonombre.Depuislaveille,ilnel’avaitpasquittéed’unesemelle,saufquandelledevaitallerauxtoilettes–

etencore,ilrestaitderrièrelaporte.Siellenel’aimaitguèreauparavant,àprésent,elleledétestait.C’était un être véritablement méprisable. Il avait été jusqu’à refuser de payer un prix honnête aupasseurlorsqu’ilsavaientatteintl’embarcadèredesFoliesHarte.

George Greaves était non seulement un homme médiocre et mesquin, mais il était en outreterriblementdangereux.

Etelles’apprêtaitàtrahirceluiqu’elleaimaitpourcetignoblepersonnage.— Plus un bruit, à présent,murmura-t-il de cette voix qu’elle ne supportait plus. Nous allons

attendrevotreamant,aprèsquoivousserezlibredepartir.Lilyendoutait,maisellen’avaitguèrelechoix,aussicontinua-t-elledemarcherjusqu’àlaberge

del’étang.Elles’immobilisa.—C’esticiqu’ilm’adonnérendez-vous.—Vraiment?ricanaGreavesenjetantunregardcirculaire.Ehbien,jesupposequelabouedoit

paraîtreromantiqueauxfous.Etàleursmaîtressesdebasseextraction.Lily renonçaàprotesterde l’innocenced’Apollon.EllesoupçonnaitGeorgeGreavesdesavoir

pertinemmentqu’iln’avaitpascommislescrimesdontonl’accusait.—Restezlàoùvousêtes,luiordonna-t-iltandisqu’ilbattaitenretraitedansunfourré.Etnejetez

pas lemoindre regard demon côté. Si vous tentez de l’avertir dema présence, je vous tue après

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l’avoirabattu.C’estcompris?—Oui.Ilyeutuncourtsilence,pendantlequelLilycrutentendrelescrisdesmouettesquivolaientau-

dessusdelaTamise.—Oùestvotrefils?demandaGreavesavecunnaturelglaçant.Vousl’avezlaisséavecsanurse,

n’est-cepas?Lilyneréponditpas.Iln’étaitpasquestionqu’ellelivrelapluspetiteinformationluipermettant

delocaliserIndio.Ilgloussa,s’amusantdesonmutisme.—Nousenreparleronsplustard,faites-moiconfiance.Quelquechoseparutbougerdansleurdos.Lilytournalatête.Maistoutétaitparfaitementtranquille.—C’étaitprobablementunchien,ditGeorge,cequiétaitridicule.Siunchienerrantavaitvécudanslejardin,Lilyl’auraitsu.Puisunbruitsefitentendre:celuid’unhommequimarchaitd’unpasdéterminé.Lilyredressal’échine.Apollonapprochait.Bonsang,ilétaitunpeuenavance.Georgearmasonpistolet,etelleavalasasalive.—Jepensaisquevousvouliezl’arrêter,s’étonna-t-elle.—C’estundangereuxassassin,chuchota-t-il.Mieuxvautprévenirqueguérir.Nevousinquiétez

pas,jesuisbontireur.Vousnerisquezrien.Lilyécoutaàpeinesaréponse.Ellereculad’unpasdanssadirection.—Quefaites-vous?siffla-t-il.Restezàvotreplace!Elle fit un autre pas au moment où Apollon apparaissait sur le chemin. Il portait un costume

marrontrèsordinaireetuntricornenoirquiluidonnaientl’allured’unpetit-bourgeois–unmédecin,ouunboutiquier.Quelqu’undelamêmepositionsocialequ’elle.

Quelqu’unqu’ellepourraitaimeretavecquiellepourraitvivrepourlerestantdesesjours.Illuisouritàl’instantoùill’aperçut.Ellefitalorsvolte-faceetseruasurGeorge.Refermantles

mainssursonpistoletbraquésurl’hommedesavie,ellepréféraledirigerverssonproprecœur.Ladétonationfutassourdissante.

ApollonvitLilypivoteretsejetersurGeorgeGreaves.Puisunedétonationretentit,accompagnéed’unéclairetd’unpanachedefuméenoire.Lajeunefemmereculaentitubant,avantdes’écroulersurlesol.Morte.Elleétaitmorte.Georgelevalesyeux.IlvitApollonetpointasonpistoletdanssadirection.Maisilavaitdéjàtiré

sonuniqueballepourtuerLily.PourassassinersaLily!Aveugléparlahaine,Apollonlechargea,envoyasonpistoletvalserdanslefourréetabattitsonpoingsursonvisage.

Georgetombaàlarenverse.Apollonlesuivitàterre,continuantdeleboxer,déterminéqu’ilétaitàdétruireladernièrechosequeLilyavaitvueavantdemourir:levisagedesonassassin.

Le sang gicla.George ouvrit la bouche, sans doute pour crier, pour supplier qu’on l’épargne.MaisApollonn’entendaitplusrien.

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Quelquechosesebrisasoussonpoingetilsesentitsourire.IlétaitdevenulemonstrequeLilyavaitd’abordvuenlui.

Celan’avaitplusd’importance.Plusrienn’avaitd’importance.Georgecrachadusangetundébrisblancquiavaitdûêtreunedent.Sesyeux,enrevanche, les

yeuxquiavaientviséLily,demeuraientouverts.Apollonlevadenouveaulepoing.—Apollon…LavoixressemblaitàcelledeLily,maisçanepouvaitpasêtrelasienneparceque…parceque…Lesmainsdelajeunefemme,blanchesetdouces,s’enroulèrentautourdesesdoigtsensanglantés

pourl’arrêter.Apollonentendaitdenouveau.LarespirationsifflantedeGeorge.Lesbruitsbizarresquisortaientdesaproprebouche,etqui

ressemblaientàdessanglots.EtLily…Dieuduciel,Lilymurmuraitsonnom!Illaregarda.Sonvisageétaitnoircisuruncôtéetilyavaitdestracesdesangsursajouedroite.ApollonlâchaGeorgeetseredressa.—Comment…commentest-cepossible?hoqueta-t-il.Jet’aivuet’écrouleràterre?—Laballem’estpasséeau-dessusdel’épaule.—Seigneur,Lily!fit-ild’unevoixrauqueenl’attirantàluipourdéposerunepluiedebaiserssur

sonvisage,pours’assurerqu’elleétaitbienvivante.Nemerefaisjamaiscela!—Jenelereferai jamais,promit-elle,alorsqueleslarmesroulaientsursesjoues, laissantdes

traînéesnoiressurcellequiétaitmaculéedepoudre.Àcetinstant,RichardPerry,baronRoss,sortitdesfourrés.—Éloignez-vousd’elle,Kilbourne,ordonna-t-il.—Allezvousfairefoutre,luirétorquaApollon,peut-êtreparcequ’ilétaittropépuisépourêtre

surpris.—Éloignez-vousd’elle,oujelatue,répétaRoss,quibrandissaitnonpasun,maisdeuxpistolets.Apollonselevaetreculad’unpasàcontrecœur.—Ilfaudraquenousparlionssérieusementdetoutecetteracailleàquitudonnesdesrendez-vous

secrets,chérie.—J’ignoraisqu’ilétaitlà,marmonnaLily.—Imaginiez-vousunseulinstantquemonbonamiGeorgenemeparleraitpasdecequ’ilavait

découvertausujetdemonfils?intervintRoss.Bonsang!Quandjepensequ’ilm’assuraitquetoutserait facile.Vous capturer, se débarrasser deKilbourne et récupérermon fils.Et voilà le résultat.Avez-voustuéGeorge?

—Malheureusement,non!répliquaApollonsansmêmejeterunregardàGreavesquigisaitsurlesol,larespirationtoujoursaussilaborieuse.Maisbaissezcesatanépistolet.

IlcommençaitàenavoirassezquedesgenspointentdesarmessurLily.Rossl’ignora.SonregardétaitrivésurLily.—Oùest-il?Oùavez-vouscachéIndio?

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20

Lemonstre se redressa. Il carrasesépaulesmassives, serra lespoingsetpenchasa têtede taureau,dirigeantsescornesmenaçantesversThésée.Cederniern’hésitapasunseulinstant.Songlaivebrandi,ilsejetasurlemonstreenpoussantuncriguerrier.Lemonstreneréagitqu’àlatoutedernièreseconde,maisalors,d’unbrusquemouvementdelatête,ilempalalejeunehommesursescornes…

— Seriez-vous devenu fou ? demanda Lily à Ross d’un ton presque plaisant. Vous croyezvraimentquejevaisvousdireoùsetrouveIndioalorsquevousavezbattusamèreàmort?

—Dites-le-moioujevoustue,grondaRoss.Bienqueprévisible,lamenaceglaçalessangsd’Apollon.—Lily…plaida-t-il.Lajeunefemmecroisalesbrassursapoitrine.—Allezaudiable!Jenelivreraipasmonfilsàunratdevotreespèce.—Monfils,vousvoulezdire,répliqua-t-il.Apollonperditlepeudepatiencequ’illuirestait.—Bonsang,Montgomery,allez-vousvousdécideràagir?—Oh,trèsbien!répliqualeducd’untonagacé,etdesaposition,justederrièreApollon,illogea

uneballedanslajambedeRichard.Lebarons’affalaausolengémissant.Lilybattitdespaupières.—Que…?Leduccontemplasonpistoletfumantenfronçantlessourcils.—Jecroisquelecanontireunpeuàdroite.Jevisaissonentrejambe.Ils’approchadeRossetenvoyavalserd’uncoupdepiedlesdeuxpistoletsqu’ilavaitlâchésdans

sachute.PuisilsetournaversApollon.—Figurez-vousquecettehistoirecommenceàmecoûtercher.Trèscher,même.Lilycilladenouveau.ElleregardaitApollond’unairahuri.—Comment…?Ill’attiradanssesbras.Aprèsavoircrulaperdre,lachaleurdesoncorpsluiétaitunréconfort.—Chut,coupa-t-il.Necherchepasàcomprendre.Laisse-lemarmonner.J’auraiaumoinsappris

celadanslavoiturequinousamenaitdeLondres.—C’étaitunsimerveilleuxpigeon,commentaMontgomery,mélancolique,encontemplantRoss

qui se tordait sur le sol. Un mariage secret, un héritier caché, un filon que j’aurais pu exploiterpendantdesannées.

—Vousaviezprévudelefairechantercontredel’argent?s’exclamaLily.

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—De l’argent ? répéta le duc d’un air offensé. Je ne donne pas dans la vulgarité. Non : desinformations, des renseignements, des recommandations…Le genre de choses que j’adore.Hélas,ajouta-t-ilavecunsoupir,monboncœurmeperdra!Sanscompterquejetenaisabsolumentàcequece parc soit terminé au plus tôt. Kilbourne est le paysagiste le plus imaginatif que j’aie jamaisrencontré.

LilyécarquillalesyeuxetsetournaversApollon.—Tul’asemmenéavectoiànotrerendez-vous?Ilhaussalesépaules.—Ilm’asembléquec’étaituneprécautionutile.J’avaisl’intentiondem’enfuird’Angleterreavec

toietjecraignaisquetun’aiesétésuiviejusqu’ici.—Maisjecroyaisquetuteméfiaisdelui?—C’esttoujourslecas.Maisilm’aaidéàm’enfuirdechezmononcle.— Et je viens de tirer sur Ross, renchérit le duc, qui avait retrouvé son ton enjoué habituel.

Voulez-vousquejelogeaussiuneballedanslajambedeGreaves?Illemériteraitamplement,etj’aiunautrepistoletdansmapoche.

EdwinStumpchoisitcemoment-làpoursurgird’unfourré,suivideprèsparleducdeWakefieldetlecapitaineTrevillion.Lestroishommes,visiblementessoufflés,brandissaienttousunpistolet.

Apollonbattitdespaupières.—Nousarrivonstroptard?demandaEdwin.—Oui,réponditLilyd’untonglacial,l’airdevouloirendécoudre.—Bontédivine!marmonnaApollon.SaGrâcel’Imbécilequisecachedansdesbuissons.Que

faites-vousici?—Ehbien,Kilbourne,vousavezretrouvévotrevoix?observaWakefieldd’unevoixtraînante.

C’estbiendommage,mais je supposequema femmeestenchantée.Etvousêtes?ajouta-t-il ensetournantversMontgomery.

Cederniersepermitunecourbettenarquoise.—Montgomery.Etvous,Wakefield,jeprésume?Wakefieldarquaunsourcil.—Eneffet,acquiesça-t-il.IlreportasonattentionsurApollon.—Onm’avait expliquéquenous étions là pour vous sauver.Mais je constate que j’ai étémal

informé.—Vous l’auriez sauvé simon frère vous avait amenés à temps, intervintLily en adressant un

regardnoiràEdwin.—J’aimal…seplaignitRoss,toujoursàterre.George,lui,secontentaitdegémir.WakefieldbaissalesyeuxsurRichard.—LordRoss, je crois ? dit-il d’une voix dangereusement douce. Le fils né de votre premier

mariage est sous la garde dema femme. Elle semble s’être entichée de lui. Je ne peux que vousféliciterdel’avoirretrouvéenvie.Cen’estpastouslesjoursqu’onsedécouvreunhéritier.

LeslèvresdeRossseretroussèrentsurunsouriremauvaisetApollonregrettaqueMontgomeryn’aitpasmieuxvisé.

—Maisjecomptebienleprendreavecmoi.C’estmonfils,aprèstout.— Oh, non, vous n’en ferez rien ! répliqua Wakefield. J’ai entendu de la bouche de deux

personnesau-dessusdetoutsoupçonunehistoirehorribleàproposdelamortdesamère.Sivous

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n’avezpasenviequej’enquêteplusenprofondeursurlaquestion–etjesuissûrquevousn’enavezpasenvie–,jevoussuggèredeneplusjamaischercheràrevoirvotrefils.

L’espace d’un instant, Ross parut sur le point de pleurer, mais personne n’aurait songé às’apitoyersursonsort.

—Dieumerci,toutestbienquifinitbien,commentaEdwinens’asseyantsurunesouched’arbre.Jepeuxtelediremaintenant,Lily,j’aifailliavoiruneattaquequandj’aireçutonmessage.

Apollonfronçalessourcils.—Quelmessage?— Le message que j’avais réussi à confier à un valet avant de quitter Greaves House avec

George.J’espéraisqu’Edwinsauraitquoifaire.Etilasu–mêmes’ilétaitunpeuenretard.Edwinaffichaunaircontrit.— Lily, pourquoi diable as-tu quitté Greaves House en compagnie de George ? demanda

Apollon,quisemblaitenpleineconfusion.—Ilm’avaitmenacéaprès tondépart.Et ilm’a tenueenrespectavecunpistoletdurant tout le

trajetderetouràLondres.Unflotdebilemontadanslagorged’Apollon.Quelidiot!Ilauraitdûsedouterqu’ilexposerait

Lilyaudangerens’enfuyantdeGreavesHouse.—Jesuisdésolé,machérie.Jen’auraispasdût’abandonnerlà-bas.Lajeunefemmesecoualatête.—Tunepouvaispasdevinerqu’ils’enprendraitàmoi.Etsituétaisresté,tucroupiraisàBedlam

àl’heurequ’ilest.Tudevaisfuir,Apollon.Ilgrimaça.Iln’étaitpasencoredisposéàs’absoudreentièrement.Leschosesauraientputourner

beaucoupplusmal.—Etdonc,tuasenvoyéunmessageàtonfrèrepourluidemanderdes’adresseràTrevillion?—Ainsiqu’àtasœur,complétaLily.J’aipenséqu’uneduchessepourraitnousaider.Trevillionseraclalagorge.—J’aijugéqu’enl’occurrence,SaGrâcenousseraitplusutile.—Aunomduciel,Lily,pourquoias-tuvoulut’emparerdupistoletdeGeorgesitusavaisquedes

renfortsarriveraient?s’étonnaApollon.—Ilsn’étaientpas encore là et toncousin s’apprêtait à temettre en joue. Jenepouvaispas le

laisserfaire.Apollonavait lagorge tellementnouéepar l’émotionqu’ilnepouvaitplusparler.Tandisqu’il

étreignait la jeune femme avec force, Edwin désigna les deux hommes à terre qui geignaient deconcert.

—Qu’allons-nousfaired’eux?—CommeilestclairqueMontgomeryatirésurGreavespoursauverlaviedeMlleGoodfellow,

jesigneraimoi-mêmeunrapportencesenspourlestribunaux,déclaraWakefield.Hélas,étanttitré,Rosséchapperaprobablementà laprison!Maisdans lamesureoù ila tentéde tuer l’unedespluscélèbres comédiennes de la capitale, le scandale sera tel qu’il aura tout intérêt à s’exiler. Quant àGreaves…

—C’est lui qui a commis lesmeurtres dont on accusaitApollon, l’interrompit Lily. J’en suiscertaine,mêmesijenepeuxpasleprouver.

—Non,cen’estpasmoi!serécriaGeorge,maissontonn’étaitguèreconvaincant.—Pourcequi estdecettehistoire, intervintTrevillion, j’aipris la libertédecuisiner levalet,

Vance, après votre départ de Greaves House, Kilbourne. Montgomery m’avait expliqué que vous

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l’aviezreconnu.Enfait,VancetravaillaitpourGeorgeGreavesavantd’entrerauservicedesonpère.Quandj’aiinforméVancequ’ilavaitétévusurleslieuxdumeurtre,ils’estmontrétoutàcouptrèsbavard.

—Quoi?s’étranglaGeorge.— Vous devriez recruter des assassins plus futés, Greaves, lâcha Trevillion. Vance semblait

persuadéque jepossédais toutes lespreuvespour l’envoyer augibet et il s’est confessé sans faired’histoires.D’autantqu’ilenaaprèsvous.Ilsembleraitquesarétributionn’aitpasétéàlahauteurdelatâche.Quoiqu’ilensoit,ilm’aexpliqué,devanttémoins,quevousl’aviezchargédetuerlesamisdelordKilbourne,dansl’intentiondefaireaccusercedernierdesmeurtres.

—C’estfaux,murmuraGeorge.—Malheureusement,votrepèrea,luiaussi,entenducetteconfession,ajoutaTrevillion.Lechoca

étérude.—Mononclen’étaitaucourantderien?demandaApollon.Trevillionsecoualatête.—Visiblement.Quandj’aiquittéGreavesHouse,ils’étaitalitéetunmédecinavaitétéappeléà

sonchevet.Ilestàcraindrequ’ilnes’enremettejamais.Georgemarmonnaunjuron.—Vousn’auriezpasdûêtrel’héritier,lança-t-ilàApollonavecunregardmauvais.Votrelignée

est souillée.Et siBrightmoren’était pas intervenu, vous auriez été pendu au lieud’être enfermé àBedlam.Toutlemondesaitquevousêtesaussifouquel’étaitvotrepère!J’auraisdûvoustuermoi-mêmeplutôtquedem’enremettreàVance.

—Ehbien,voilà,maintenantnousdisposonsdevos aveux,déclaraTrevillion.Enprésencededeuxducs,quiplusest.

L’airsatisfait,lecapitainesepenchapourhisserGeorgesursespieds.L’airtoutaussisatisfait,WakefieldsetournaversApollon.—Vousdevriezêtre réhabilité très rapidement,dit-il.Artemisenseraenchantée–et jen’aurai

plusàm’inquiéterdelavoirsortirsubrepticementavecdespaniersdeprovisionspourvous.—Je suis tellementheureuxdecontribuer àvotre tranquillitéd’esprit, repartitApollon,pince-

sans-rire.IlsouritàLily.—SinousallionsvoircommentIndioetDaffodils’entendentavecleschiensdemasœur?lui

proposa-t-il.

Ilétait tard,cesoir-là–minuitpassé–,quandLilygagnasachambre.Aprèslesévénementsduparc, ilyavaiteulesretrouvaillesavecIndio,renduesquelquepeuagitéesparlesquatrechiensduducqueDaffodilsemblaitconsidérercommesesjouetsquandbienmêmeilsétaientbienplusgrandsqu’elle.Ilyavaitaussieulesprésentationsàlasœurd’Apollonqui,siaimableetsimplefût-elle,n’endemeuraitpasmoinsuneduchesse.Lily avait ensuite pris unbain, forcément lascif, avecApollon,suivid’undîneraumenuduquelilyavaitducanardrôtiaccompagnédecarottesnouvelles.

Épuiséecommeellel’était,elleneremarquapasd’embléequ’unhommeoccupaitsonlitdanslachambrequiluiavaitétéréservéeàWakefieldHouse.

Quandellelevit,ellesefigea.—Tunepeuxpasresterici!siffla-t-elle.Ilavaittiréledrapjusqu’àsonnombril,maisilétaitfacilededevinerqu’ilétaitnudessous.

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—Etpourquoicela?s’étonnaApollon,quisemblaitavoiroubliétouteslesrèglesdebienséancequ’onavaitbiendûluiinculquerenfant.

—Parcequenoussommescheztasœur.—Enfait,c’estlamaisondeSaGrâcel’Imbécile,rectifia-t-il.Maisjecomprendscequetuveux

dire.Celategênedelasavoiràl’étagedudessous?—Pourquoiappelles-tuainsi tonbeau-frère?voulut savoirLilyencommençantàdégrafer sa

robe. Je le trouve très gentil,même s’il est un peu raide. Et j’ai cru comprendre qu’il t’avait faitévaderdeBedlam.

Apollonserenfrogna.—Ilaséduitmasœuravantdel’épouser.Lilyarquaunsourcil.—Etc’estaussiunimbécile.—Alors,siEdwindécidedet’affublerd’unqualificatifsousprétextequetum’as…—Ilseradanssondroit,lacoupaApollonavecunebelleassurance.Ildevraitmêmelefaire.Lilyignoraits’ilplaisantait,maiselleavaitl’intuitionqu’ilétaitonnepeutplussérieux.—Leshommesontvraimentdedrôlesdeprincipes.—Etlesfemmesdedrôlesd’idées.Toutensedébarrassantdesesjupons,Lilyreprit:—Richard…—Non,s’ilteplaît!Nemefaispasl’offensedemecompareràcetteordure.— Je suis désolée, s’excusa-t-elle, et elle était sincère, carApollon n’avait strictement rien en

communavecRichard.Maisjeveuxquetucomprennesquelquechose.MêmesiRichardn’avaitpasétéviolent,jenepensepasqueleurmariageauraitétéheureux.

Roulantsurleflanc,Apollonsehissasurlecoude.— Tu t’obstines à comparer ce qui n’est pas comparable, dit-il doucement. Je me fiche

éperdumentdusangbleuetdestitresnobiliaires.Jepensaisquelesévénementsd’aujourd’huiavaientamplementprouvéqu’ilfallaitêtrefoupourêtreobsédéparsalignée.

Lilysedébarrassaitmaintenantdesoncorset.—Tafamillen’aimerapastevoirépouserunecomédienne.—Ma famille se résume à Artemis et, par alliance, à Sa Grâce l’Imbécile. Les as-tu trouvés

inhospitaliers?—Non,mais…—Ilsneleserontjamais.Ilseleva,entièrementnucommeelles’endoutait,ets’approchad’ellepourluiprendrelamain.—Dequoias-tupeur,Lilychérie?— Je… commença-t-elle, avant de s’interrompre, parce qu’elle ne savait pas exactement ce

qu’elleredoutait.EllelevasurApollonunregardperdu.Illuisouritet,portantsamainàseslèvres,embrassatendrementchacundesesdoigts.—Je t’aime et tum’aimes. Je nourrissais encorequelquesdoutes jusqu’à cet après-midi,mais

après t’avoir vue te jeter sur le pistolet de George Greaves, je n’en ai plus aucun. Et puisque tum’aimesetquejet’aime,ilmeparaîtlogiquequenousnousmariionsetquenouspassionslerestantdenosjoursensemble,entourésd’uneribambelled’enfants.

—Uneribambelle?marmonnaLily,quelquepeusceptique.Heureusement,Apollonnerelevapas.

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Ilposaungenouausoldevantelle,quineportaitplusquesacamisole.—Lily Stump, dit-il, de sa voix qui demeurerait à jamais un peu rocailleuse, veux-tu demoi

commeépoux?Consens-tuàêtre la lumièredemes joursafinque jeneregrette jamaisdem’êtrebaignédansunétangboueux?

Éclatantderire,Lilyleforçaàseredresser.—Oui,souffla-t-ellecontreseslèvres.Oui.

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Épilogue

Uncris’échappades lèvresd’Ariane.Lemonstres’ébrouaet lecorpsdeThéséeretombasur lesol.Lajeunefillecouruts’agenouillerauprèsdelui,maiscompritd’embléequesesblessuresétaienttrop profondes. Thésée la regarda, un peu surpris. « Je suis le héros, articula-t-il dans un derniersouffle.C’estlemonstre,quiauraitdûmourir,pasmoi.»Etsonâmedésertasoncorps.

Ariane récita une courte prière. Quand elle se releva, elle vit que le monstre était entré dansl’étangjusqu’àmi-cuissepourlaverlesangdeThéséequiavaitcoulésursontorse.Illuitournaitledos.

«Monstre ! » cria-t-elle.Maisàpeineavait-elledit celaqu’elle le regretta. « Je suisdésolée,reprit-elled’unevoixplusdouce.Vousn’êtespasunmonstre,quoiquepuissentdirelesautres.»Àcesmots, la bête se retourna vers elle.Des larmesbrillaient dans ses yeux. « Je ne connaismêmepasvotrenom,continuaAriane.Peut-êtren’enavez-vouspas.Alors,jevousappelleraiAstérion,commeledieuquigouverneauxétoiles–sivousenêtesd’accord.»

Astérionhochagravementlatête.Ariane lui tendit la main. « Voulez-vous sortir avec moi du labyrinthe ? Votre jardin est

magnifique,maisaucunoiseaun’ychanteetlasolitudeyestpesante.»Alors,Astérionprit lamaind’Ariane et, remontant le fil rougeque la reine lui avait donné, la

jeunefillerebroussapatiemmentchemin.Biensûr,celapritplusieursjourscarmêmeavecl’aidedufil,lesdédalesdulabyrintheétaientinterminables.MaisArianepassaitletempsenparlantàAstériondel’îlequ’ildécouvriraitdehors,etdupeuplequil’habitait.Quandilsatteignirentenfinlasortiedulabyrinthe et qu’Ariane entendit des oiseaux chanter, elle se tourna vers Astérion avec un grandsourire aux lèvres. Mais quelle ne fut pas sa surprise de découvrir la métamorphose de soncompagnon.Eneffet, siAstérionavaitgardé lesmêmespuissantesépauleset lemême torsemassif,sonvisageétaitdésormaisceluid’unhomme.Etayantunebouchehumaine,ilpossédaitbiensûrlafacultédeparler.Aussitomba-t-ilàgenouxdevantAriane.

«Tum’as sauvée la vie, doucevierge,dit-il d’unevoix rauqueetunpeuhaletante.Depuisdesannées,tousceuxquientraientdansmonlabyrinthenesongeaientqu’àmetuer.Tueslapremièreàm’avoirregardécommeunêtredotéd’uneâme.Etcefaisant,tuasbrisélamalédictiondontj’étaisvictime.»

«Etj’ensuisheureuse»,assuraAriane.Tousdeuxmarchèrent jusqu’aupalais d’or.Mais celui-ci avait bien changé. Ses grandes salles

étaientdésertes.Lessoldatsquilegardaientetlescourtisansquilepeuplaientavaientdisparu.Aprèsavoir déambulé des heures durant, Ariane et Astérion finirent par trouver la reine folle. Lamalheureuse sanglota en voyant son fils. Pour la première fois depuis des années, elle lâcha sa

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quenouille afin de le prendre dans ses bras. Le roi, lui, étaitmort. Unmatin qu’il s’était emportécontre les oiseaux qui chantaient sur le balcon de sa chambre et qu’il avait voulu les chasser, lebalconavaitcédésoussonpoidsetilavaitsuccombéàsachute.

L’île,désormaissanschef,étaitenpleinchaos.Lepeupleavaitenvahilesrues,enproieàlapeuretàlaconfusion.AlorsAstérionsetintaubalconroyaletlevalesmains.

«Monbonpeuple!commença-t-ild’unevoixforte,ettouteslestêtessetournèrentverslui.Monbonpeuple,bienquenésousl’aspectd’unebête,grâceàlabontéd’Ariane,jesuisredevenuhomme.Jeconnaislaviolence,maisjepréfèrelapaix.Sivousm’acceptezcommevotrechef,jem’efforceraidevousgouverneravecplusd’équitéquemonpère.EtjegarderaiArianeàmescôtéscommeépouse,pournejamaisoublierl’importancedelabonté.»

Lapopulationl’acclama,biensûr.AstérionsetournaalorsversArianeetluisourit.«Veux-tuêtremon épouse et ma reine, et m’apprendre la bonté ? lui demanda-t-il. Veux-tu être mon amour àjamais?»

Arianeluirenditsonsourire.«Tun’asnulbesoinquejet’apprennelabonté.Maissituveuxdemoicommefemme,jet’épouseraiavecgrandplaisir,etjeseraitonamouràjamais,monroi.»

Etc’estcequ’ellefit.

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Troismoisplustard…Encompagniede son fils adoptif,Apollon contemplait fièrement legrandchênenouvellement

replantédontlesfeuillessereflétaientdansleseauxclairesdel’étang.Iltrouvaitletableausublime.Indio,poursapart,nourrissaitdespenséesplusterreàterre.—Jepourraiygrimper?—Non,réponditApollond’untonferme.EtDaffodilpasdavantage.Entendantsonnom,lapetitechiennesemitàaboyeretàbondirsifollementqu’ellefaillitencore

tomberdansl’étang.Indiolaissaéchapperungémissementcensétraduiresadéceptionavantdepasserimmédiatement

àautrechose.—Jepeuxcommencerlepique-nique,maintenant?—Oui.—Etmangerunmorceaudegâteautoutdesuite?—SiMaudelepermet,réponditApollon,quin’étaitpasstupide.—Youpi!s’exclamaIndio.Tuviens,Daffodil?L’enfantetlechiencoururentendirectionduthéâtre.Apollonleuremboîtalepastranquillement,

inspectantlesprogrèsdestravauxenchemin.Ilsavaientreplantéunegrandepartiedesmassifs.Maiscommeilfaudraitdesannéesàlaplupartdesarbresetdesarbustespouratteindreleurtailleadulte,Apollonavaitrajoutédesplantesàcroissancerapideetàfeuillagepersistantafinqueleparcdemeurevert toute l’année. Ilavaitaussiplantéenbordured’alléesdesfleursannuelles, flaquesdecouleursvivesquiajoutaientunetouchedegaieté.

—Ah,tevoilà!s’exclamaLily,quivenaitàsarencontre.Danssarobecramoisie–sacouleurpréférée–,elleluiévoquaituncoquelicot.Apollonsouritet

luitenditlamain.—J’aibienpeurqu’Indion’aitprisdel’avancepourallerterminerlesrestesdenotregâteaude

mariage.Lilys’emparadesamain.—Ilfautbienquequelqu’unlesmange.Maudeenafaitbientrop,etilenrestedestasd’autres.Ilss’étaientmariés trois joursplus tôt,aucoursd’unepetitecérémonie intimemarquéesurtout

parl’abondancedegâteauxconfectionnésparMaude–dontilsavaientmangédesmorceauxàchaquerepas,depuis.

ApollonattiraLilyàlui.—Àquoias-tupassétamatinée?lataquina-t-il,carilconnaissaitpertinemmentlaréponse.

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Artemis leur avait offert une petitemaison de ville à proximité du parc.C’était son cadeau demariage,avait-elledéclaré,maisApollonétaitbiendécidéàlaluirembourserdèsqu’ilauraittouchésonhéritage.Cequi,d’aprèssesinformations,neseraitplustrèslong.

—Tun’imaginescombienc’estdifficiledetrouverlabonnenuance,réponditLily.Jevoulaisdesmurspêchepourmonbureau,maislacouleuraviréàl’orange.Lespeintressontentrainderepasserunecouchedejaunepar-dessus,maisaveclachancequimecaractérise,jecrainsquecelanetourneencoreàlacatastrophe.

—Hmm,murmuraApollon,quiécoutaitlesondesavoixplusquesesparoles.—Ensuite,nousattaqueronstonbureau.J’aipenséàdesmurslavande.Avecpeut-êtredesrayures

roses.Ilfronçalessourcils.—Jesuisparfaitementlaconversation,sedéfendit-il.—Tantmieux.Elleinhalabrièvementetajouta:—J’aiquelquechosepourtoi.—Quoidonc?Lilyfouilladanslapochedesarobe.—J’aitrouvécecicematin,envidantlecoffrequej’avaisauthéâtreetj’aipensé…Elleluitenditsoncarnet.Apollons’enempara,émerveillé.—Jel’avaisrécupéréaprèslavisitedessoldats,continua-t-elle,lesmotssebousculantpresque

danssabouche.Etjel’avaisgardé.Jenesaispastroppourquoi,caràcemoment-là,j’ignoraissijetereverraisunjour.Maisquandjel’airetrouvécematin,jemesuisdit…enfin…

Elle lui reprit le carnet et le feuilleta jusqu’à trouver la page où elle avait griffonné quelqueslignes.Apollonsepenchapourleslire.

Jet’aime,maBête.Jet’aime,Caliban.Jet’aime,Apollon.Jet’aime,Roméo.Jet’aime,Smith.Jet’aime,monJardinier.Jet’aime,monAristocrate.Jet’aime,monAmour.Jet’aime,monMari.Jet’aime,monAmi.Jet’aime,Toi.

Ilinspiraungrandcoup,puisregardaLily.—Pourunécrivain,jemanquecruellementd’inspirationetd’éloquence.Je…Apollonl’attiradanssesbrasetlafittaired’unbaiserpassionné.—Sais-tuoùnoussommes?demanda-t-ilquandilrelevalatête.—Oui,murmura-t-elle,lespaupièrescloses.Aucœurdulabyrinthe.Etquandellerouvritsesbeauxyeuxverts,Apollonyluttoutl’amourqu’elleluiportait.—Danstoncœur,ajouta-t-elle.Etdanslemien.

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Remerciements

ÀSusannahTaylor,quiaprisletempsdelirelapremièreébauchedeceroman.ÀCindyDees,quim’aconseilléepourlafindel’intrigue.ÀJenniferGreen,quiatrouvélenomdeDaffodil.EtàSienna,lachienned’ElissaDominici,qui

m’aservidemodèlepourDaffodil.ÀS.B.Kleinman,LeahHultenschmidtettouslesmerveilleuxcollaborateursdemonéditeurqui

ontpermisàcelivredevoirlejour.