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Elizabeth Hoyt

Née en Amérique, elle a beaucoup voyagé, enfant, à traversl’Europe. Diplômée d’anthropologie à l’Université du Wisconsin,elle embrasse quelques années plus tard la carrière d’écrivain.

Traduite en plusieurs langues, elle est l’auteur de séries àsuccès, dont la plus célèbre est Les trois princes, très remarquéepar des milliers de lectrices dans le monde. Sous le pseudonymeJulia Harper, elle écrit également des romances contemporaines.

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L’homme de l’ombre

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Du même auteuraux Éditions J’ai lu

LES TROIS PRINCES

1 – Puritaine et catinNº 8761

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3 – Le dernier duelNº 8986

LA LÉGENDE DES QUATRE SOLDATS

1 – Les vertiges de la passionNº 9162

2 – Séduire un séducteurNº 9229

3 – Le reclusNº 9309

4 – Le revenantNº 9360

LES FANTÔMES DE MAIDEN LANE

1 – Troubles intentionsNº 9735

2 – Troubles plaisirsNº 9899

3 – Désirs enfouisNº 10001

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ELIZABETH

HOYTLES FANTÔMES DE MAIDEN LANE – 4

L’homme de l’ombre

Traduit de l’anglais (États-Unis)par Daniel Garcia

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Titre originalTHIEF OF SHADOWS

Éditeur originalGrand Central Publishing, Hachette Book Group, Inc., New York

© Nancy M. Finney, 2012

Pour la traduction française© Éditions J’ai lu, 2013

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À mon beau-frère préféré, Charles,un artiste au talent pluridisciplinaire,

qui s’intéresse aussi bien à la danseet au théâtre qu’aux arts visuels

et qui à l’occasionne dédaigne pas s’encanailler

en tournant des vidéos sentimentales.

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Remerciements

Comme toujours, je remercie toute l’équipe qui m’apermis de mener à bien cette entreprise : mon agent,Susannah Taylor, mon éditrice, Amy Pierpont, marelectrice, Carrie Andrews, ainsi que tous les autres, quiont travaillé sans relâche pour éditer ce livre.

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Approchez-vous tous, et faites provision de chandelles,car ce soir, je vais vous raconter l’histoire du Fantôme deSaint-Giles.

Londres, Angleterre, mai 1738

Il ne manquait que ce cadavre en travers de la chaus-sée pour clore la journée en beauté !

Isabel, baronne Beckinhall, soupira intérieurement.Sa voiture avait dû s’immobiliser en plein cœur de l’undes quartiers les plus malfamés de Londres – le quar-tier Saint-Giles. Et pourquoi Isabel se trouvait-elle dansSaint-Giles, alors que le jour déclinait ? Parce qu’elles’était portée volontaire pour représenter le comité desoutien à l’hospice pour enfants trouvés de Saint-Gileslors de la visite d’inspection du nouveau bâtiment del’établissement. Isabel se reprochait amèrement sonidiotie.

Plus jamais volontaire, se jura-t-elle. Tout avait pour-tant bien commencé. Isabel avait été accueillie par duthé chaud et des scones faits maison, probablement parlady Hero Reading en personne, l’une des deux damespatronnesses de l’hospice. Tandis qu’elle lui servait de

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nouveau du thé, lady Hero avait demandé à Isabel sielle accepterait d’inspecter le nouveau bâtiment encompagnie de l’austère – et un peu glacial – directeur del’établissement, M. Winter Makepeace. Isabel, ama-douée par le thé et les scones, avait accepté.

Mais M. Makepeace ne s’était pas donné la peine de semontrer !

Isabel fit la moue, oublieuse des convenances, à l’ins-tant où la portière de sa voiture s’ouvrait pour laissermonter Pinkney, sa camériste.

— Quelque chose ne va pas, madame ? demandaPinkney, ses grands yeux bleus écarquillés.

Le regard de cette jeune femme était l’un des nom-breux attributs qui la rendaient particulièrement sédui-sante. À vingt et un ans seulement, et quoique encoreun peu naïve, elle était l’une des femmes de chambre lesplus recherchées de Londres. Elle excellait dans l’art del’habillement, connaissant tout des dernières modes.

— Non, rien, répondit Isabel, le visage de nouveaucirconspect. As-tu découvert pourquoi il fallait autantde temps pour déplacer ce cadavre ?

— Oui, milady. Tout simplement parce qu’il n’est pasmort. Enfin, pas tout à fait. Harold et l’autre valet ontréussi à le tirer sur le bas-côté. Et vous n’allez pas lecroire, madame, mais c’est un acteur comique.

Isabel cligna des yeux.— Harold ?— Non, madame ! pouffa Pinkney. Le… euh, le cada-

vre qui n’est pas encore mort. Il porte une tenue d’Arle-quin, avec le masque. Et il…

Isabel n’écoutait déjà plus. Elle avait ouvert la por-tière pour descendre de voiture.

Dehors, les ombres s’allongeaient et la lumière deve-nait grisâtre, à mesure que le soleil disparaissait der-rière les toits. Un bruit assourdissant se faisait entendrevers l’ouest. Les émeutiers. Ils semblaient se rappro-cher dangereusement. Isabel frissonna et se dépêcha de

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rejoindre les deux domestiques penchés sur le fauxcadavre. Pinkney avait dû se tromper en…

Mais non.Isabel retint son souffle. Elle n’avait encore jamais

rencontré le célèbre Fantôme de Saint-Giles, mais elleétait convaincue qu’il s’agissait de lui. La fameuse tenued’Arlequin. Dans sa chute, il avait perdu son chapeau,révélant sa chevelure châtain foncé coiffée en queue-de-cheval. Une petite dague était attachée à sa ceintureet il tenait encore son épée à la main. Un masque noir,affublé d’un nez recourbé d’une longueur ridicule, nelaissait visibles que sa mâchoire carrée et sa boucheaux lèvres sensuelles.

— Vit-il encore ? demanda Isabel à ses valets.Harold se pinça les lèvres.— Il respire, milady. Mais sans doute plus pour très

longtemps.Le vacarme des émeutiers se rapprochait toujours.

Isabel et ses valets se retournèrent au bruit d’une vitrebrisée.

— Chargez-le dans la voiture, ordonna Isabel, quis’était penchée pour ramasser le chapeau du Fantôme.

Will, le second valet, fronça les sourcils.— Mais, milady…— Tout de suite. Et n’oubliez pas son épée.Les premiers émeutiers s’apercevaient déjà au bout

de la rue. Les domestiques échangèrent un regard,avant de soulever le Fantôme par les pieds et lesépaules.

Au loin, une voix lança un cri hostile.Les émeutiers avaient repéré la voiture.Harold et Will conjuguèrent leurs forces pour hisser

le Fantôme et son épée dans la voiture. Isabel s’engouf-fra à son tour à l’intérieur, aussi vite qu’elle put. Vul’urgence, la grâce n’était pas à l’ordre du jour.

Abasourdie, Pinkney fixait le Fantôme allongé sur leplancher de la voiture. Isabel préféra ignorer le corps

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dans l’immédiat. Elle jeta le chapeau dessus, souleva labanquette et en tira deux pistolets cachés dans uncompartiment secret.

Pinkney poussa un petit cri d’effroi.La portière était toujours grande ouverte. Isabel ten-

dit les pistolets à ses deux valets.— Ne laissez personne grimper sur la voiture.Harold crispa les mâchoires, l’air grave.— Comptez sur nous, milady.Il prit les deux pistolets, en donna un à Will et monta

sur le marchepied de la voiture.— Vite, John ! cria Isabel à son cocher, avant de

refermer la portière.L’attelage s’ébranla juste au moment où un projectile

venait frapper l’une des parois de l’habitacle.— Milady ! s’écria Pinkney.— Chut ! lui intima Isabel.Elle attrapa un plaid posé à côté de sa camériste et le

déplia sur le Fantôme. Puis elle se rassit et se cram-ponna à sa banquette, tandis que l’attelage penchait decôté pour tourner au coin de la rue.

Un autre projectile atterrit sur le toit. Puis un visagedéformé apparut à la vitre.

Pinkney poussa un cri.Isabel croisa le regard de l’homme qui grimaçait. Ses

yeux, injectés de sang, trahissaient une ragedémentielle.

L’attelage bifurqua, et l’homme disparut. Isabel tirales rideaux de la fenêtre.

Un coup de feu partit. Certainement un des valets.— Milady, murmura Pinkney, livide, le cadavre…— Qui n’est pas encore mort, lui rappela Isabel, bais-

sant les yeux sur le plaid.De la vitre de la portière on n’apercevait qu’une cou-

verture jetée négligemment sur le plancher. Aucune rai-son à ce que le célèbre Fantôme de Saint-Giles se cachedessous.

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— Qui n’est pas encore mort, répéta Pinkney, avecobéissance. Qui est-ce ?

— Le Fantôme de Saint-Giles.Pinkney écarquilla de nouveau ses grands yeux bleus.— Qui ?Isabel lança un regard exaspéré à sa camériste.— Le Fantôme de Saint-Giles ! Le plus célèbre for-

ban de Londres. Toujours vêtu d’une combinaisond’Arlequin. Il viole et tue selon les uns, il sauve etdéfend selon les autres.

Les yeux de Pinkney menaçaient à présent de sortirde leurs orbites.

— Ces gens veulent sa mort, ajouta Isabel, avec ungeste de la main en direction de la fenêtre pour désignerles émeutiers.

Pinkney contemplait le plaid d’un air horrifié.— Mais pour… pourquoi, milady ?Un deuxième coup de feu se fit entendre. Pinkney sur-

sauta et souleva l’un des rideaux pour regarder par lavitre.

Isabel priait le ciel pour que ses valets réussissent àmaîtriser la situation. Elle avait beau être de noble nais-sance, cela ne suffisait pas à la protéger. L’an dernier,dans ce même quartier, un vicomte avait été tiré horsde sa voiture, dévalisé et passé à tabac.

La jeune femme prit une grande inspiration et sou-leva le plaid pour chercher à tâtons l’épée du Fantômequ’elle posa sur ses genoux. Si quelqu’un enfonçait laportière, elle pourrait toujours se défendre en lui don-nant un coup sur la tête.

— Ils veulent le tuer parce que, ce matin, il a sauvéMickey le Charmeur de la potence.

Le visage de Pinkney s’éclaira soudain.— Mickey le Charmeur, le pirate ? J’ai entendu par-

ler de lui. On raconte qu’il est beau comme le diable etpresque aussi riche que le roi.

Un projectile heurta la vitre. Isabel tressaillit.

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— Oui, le pirate, acquiesça-t-elle. Et ces gensdevaient poursuivre le Fantôme depuis le gibet deTyburn. Pauvre homme.

— Pardonnez-moi, milady, mais pourquoi l’avoirpris dans votre voiture ?

— Il me semble que la charité chrétienne comman-dait de lui éviter d’être réduit en pièces par une foule encolère, répliqua Isabel.

— Oui, milady, mais si ces gens veulent lui mettre lamain dessus et s’en prennent à notre voiture…

Isabel rassembla tout son courage pour sourire avecassurance. Elle serra plus fort dans sa main le pom-meau de l’épée posée sur ses genoux.

— C’est précisément ce pour quoi ils ne doivent pasdeviner que le Fantôme se trouve avec nous.

Pinkney cligna des yeux plusieurs fois, comme si elleessayait de suivre ce raisonnement, avant de sourire.Elle était vraiment ravissante, quand elle souriait ainsi.

— Oui, bien sûr, milady.Et elle s’adossa tranquillement à sa banquette. Proba-

blement devait-elle se penser hors de danger, mainte-nant qu’elle s’était fait expliquer la situation.

Isabel écarta discrètement un pan de rideau pourjeter un coup d’œil par la vitre de la portière. La plupartdes rues de Saint-Giles étaient étroites et tortueuses, cequi empêchait les voitures d’aller vite. Dans ce quartier,des poursuivants à pied pouvaient facilement vous rat-traper. Heureusement, John, le cocher, avait trouvé unerue à peu près droite. Il pressait l’allure des chevaux etles émeutiers se faisaient distancer. Isabel laissa retom-ber le rideau avec un soupir de soulagement.

C’est alors que l’attelage s’arrêta brutalement.Pinkney poussa un nouveau cri.— Du calme, lui ordonna Isabel, le regard sévère.S’ils étaient attaqués, ce n’était vraiment pas le

moment que Pinkney fasse une crise d’hystérie.

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La jeune femme écarta encore discrètement le rideau,puis s’empressa de cacher l’épée du Fantôme sous leplaid.

Juste à temps. La portière s’ouvrait déjà, révélant unofficier des dragons en uniforme écarlate et à la mineaustère.

Isabel lui sourit mielleusement.— Capitaine Trevillion ! Quel plaisir de vous voir.

À quelques minutes près, vous auriez pu nous aider ànous débarrasser des émeutiers.

Le capitaine rougit légèrement tout en inspectantl’intérieur de la voiture avec soin. Son regard s’arrêtasur la couverture.

Isabel souriait toujours. Elle posa négligemment sespieds sur le plaid.

Le capitaine releva les yeux sur elle.— Je suis soulagé de constater que vous et votre équi-

page êtes sains et saufs, milady. Saint-Giles n’est vrai-ment pas un quartier pour se promener, aujourd’hui.

— En effet. Mais je l’ignorais lorsque je suis partie dechez moi, répondit Isabel. Avez-vous pu rattraper cepirate qui a échappé à la pendaison ? s’enquit-elle enhaussant délicatement un sourcil.

Le capitaine pinça les lèvres.— Ce n’est qu’une question de temps. Nous finirons

par le capturer. Et le Fantôme de Saint-Giles aussi. Lesémeutiers nous apportent leur aide : ils les traquenttout autant que nous. Au revoir, milady.

Isabel hocha la tête. Elle n’osa reprendre sa respira-tion que lorsque l’officier des dragons eut refermé laportière et donné l’ordre au cocher de poursuivre saroute.

Pinkney renifla avec mépris.— Les perruques des militaires sont affreusement

démodées.Isabel récupéra l’épée du Fantôme et sourit à sa

camériste.

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Une demi-heure plus tard, l’attelage s’arrêtait devantson hôtel particulier.

— Portez-le à l’intérieur, ordonna-t-elle à Harold dèsqu’il ouvrit la portière.

— Bien, milady.Isabel descendit de voiture, l’épée du Fantôme à la

main.— Ah, Harold…— Oui, milady.— Bravo à tous les deux, congratula-t-elle en dési-

gnant Will. Vous nous avez bien défendus.Un sourire timide éclaira le beau visage d’Harold.— Merci, milady.Isabel le lui rendit, avant de pénétrer dans la maison.

Edmund, son cher et défunt mari, lui avait acheté Fair-mont House peu avant de mourir et lui avait offert cettemaison en cadeau d’anniversaire le jour de ses vingt-huit ans. Il savait alors qu’il était condamné et qu’à samort, les propriétés liées à son titre nobiliaire iraient àun cousin éloigné. Aussi avait-il tenu à installer la jeunefemme dans ses meubles, avec l’argent dont il pouvaitencore disposer.

Isabel vivait depuis maintenant quatre ans dans cettedemeure. Elle avait commencé par refaire entièrementla décoration. À présent, le hall d’entrée était lambrisséde panneaux de chêne doré, qui réchauffaient l’atmo-sphère. Et divers objets étaient venus égayer l’espace :un miroir ovale bordé de nacre ; un petit faune retenantun lièvre, le tout en marbre noir ; un guéridon à piedscambrés… Des objets qu’Isabel aimait pour leur origi-nalité ou pour leur forme plutôt que pour leur valeurmarchande.

La jeune femme glissa l’épée sous son bras et ôta sesgants et son chapeau, qu’elle tendit à son majordome.

— Merci, Butterman. J’ai besoin que l’on prépareimmédiatement une chambre d’amis.

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Butterman, en majordome apprêté et discret, ne cillapas devant l’épée et accueillit très calmement l’ordreconcis et pour le moins inhabituel de sa maîtresse.

— Bien, milady. La chambre bleue conviendra-t-elle ?— Ce sera parfait.Butterman fit signe à une femme de chambre et, aus-

sitôt, la soubrette se précipita vers l’escalier.Isabel se retourna vers la porte. Harold et Will

entraient à leur tour, portant le Fantôme par les bras etles jambes. Son chapeau mou était toujours posé surson ventre.

Butterman haussa une fraction de seconde un milli-mètre de sourcil avant d’ordonner, imperturbable :

— Dans la chambre bleue, Harold.— Oui, monsieur, répondit Harold, le souffle court.— Si vous le permettez, milady, murmura Butter-

man à Isabel, je pense que Mme Butterman pourraitvous être utile.

— Oui, merci Butterman, répondit Isabel, qui sui-vait déjà les deux valets dans l’escalier. Faites monterMme Butterman aussi vite que possible.

La femme de chambre terminait de faire le lit quandles valets pénétrèrent avec leur fardeau dans la pièce.Le feu crépitait déjà dans l’âtre.

Harold parut hésiter, sans doute parce que le Fan-tôme était couvert de poussière et ensanglanté, maisIsabel lui désigna le lit.

Les deux valets déposèrent leur charge sur la courte-pointe d’une propreté impeccable. Le Fantôme, tou-jours inconscient, laissa échapper un grognement.

Isabel jeta l’épée dans un coin de la pièce pour se por-ter à son chevet. Tous étaient maintenant hors de dan-ger, mais le pouls de la jeune femme continuait debattre la chamade. Elle prit conscience que toutes cespéripéties l’excitaient. Après tout, ils venaient de sauverle Fantôme de Saint-Giles ! Ce qui avait débuté comme

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une journée monotone avait tourné à l’aventureinattendue.

Le Fantôme gardait les yeux clos. Isabel lui ôta sonmasque avec précaution. À sa grande surprise, elle endécouvrit un autre en dessous, un simple carré de soieavec deux trous pour les yeux. Isabel examina le mas-que d’Arlequin qu’elle tenait à la main. Tout en cuir etteint en noir. L’arcade des sourcils et le nez recourbé defaçon grotesque évoquaient une figure de satyre. Lajeune femme posa le masque sur la table de chevet etreporta son attention sur le Fantôme. Du sang tachaitsa combinaison au niveau de la cuisse. Isabel tressailliten s’apercevant que du sang frais s’était mêlé au sangcoagulé.

— Butterman m’a parlé d’un homme blessé ? fitMme Butterman en pénétrant dans la pièce.

Elle s’approcha du lit et détailla le Fantôme quelquessecondes, avant d’ajouter :

— Bon, si nous voulons nous rendre compte de sesblessures, la première chose à faire est de le déshabiller,milady.

— Euh, oui, bien sûr, acquiesça Isabel.Les deux femmes s’attaquèrent aux boutons de la

combinaison d’Arlequin. Mme Butterman démarraitdu haut, Isabel du bas.

— Oh, milady ! s’exclama Pinkney, dans son dos.— Qu’y a-t-il, Pinkney ? demanda Isabel sans se

retourner.— C’est inconvenant, fit valoir Pinkney, qui semblait

aussi scandalisée que si Isabel avait suggéré d’entrertoute nue dans la cathédrale de Westminster. Ce Fan-tôme est un homme, milady.

— Je puis te certifier que j’ai déjà vu un homme nu,répliqua Isabel, amusée, tandis qu’elle baissait le panta-lon du Fantôme sur ses cuisses. Ses sous-vêtementsétaient maculés. Juste ciel ! Un homme pouvait-il survi-vre après avoir perdu autant de sang ?

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— Il a des plaies à l’épaule et aux côtes, ainsi quequelques égratignures, mais rien d’alarmant jusque-là,constata Mme Butterman, qui achevait de dénuder lapoitrine du blessé.

Isabel leva les yeux. Le torse du Fantôme était sculptétout en muscles et deux tétons foncés ressortaient sursa peau claire. Son ventre était ferme et plat. Son nom-bril s’apercevait sous quelques boucles de poils clairsqui se retrouvaient également entre ses pectoraux. Lajeune femme était fascinée. Elle n’avait pas menti endisant à sa camériste qu’elle avait déjà vu un hommenu – plusieurs, même. Mais Edmund avait dépassé lessoixante ans lorsque la maladie l’avait emporté, et iln’avait jamais ressemblé à cet homme fort qui se tenaitsous elle. Quant aux rares amants qu’Isabel s’était auto-risés, en toute discrétion, après la mort d’Edmund, tousétaient des aristocrates vivant dans l’oisiveté. Ilsn’avaient pas beaucoup plus de muscles qu’elle.

Le regard de la jeune femme suivit le sillon de poilsqui descendait du nombril pour disparaître dans lecaleçon.

Sur lequel elle avait posé sa main.Isabel déglutit avant de tirer sur la ficelle du sous-

vêtement, d’une main tremblante, pour le faire glissersur ses jambes. Son membre viril, au repos, lui apparut,long et épais ; ses testicules, sombres et lourds.

— Eh bien, commenta Mme Butterman avec ironie,au moins, il n’a pas l’air blessé à cet endroit.

— Oh, là, là, ajouta Pinkney, les joues empourprées.Isabel fronça les sourcils et souleva un coin du

couvre-lit pour cacher l’intimité du Fantôme incons-cient. Elle n’avait pas réalisé que sa camériste s’étaitrapprochée.

— Aidez-moi à lui retirer ses bottes, que nous puis-sions lui enlever son pantalon, demanda-t-elle àMme Butterman. Si nous ne voyons toujours pas deblessure grave, il faudra le retourner.

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À peine les deux femmes firent-elles glisser le tissu dequelques centimètres sur ses jambes qu’elles découvri-rent une belle estafilade sur sa cuisse droite. Du sang encoulait.

— Il n’y a sans doute pas besoin de chercher plusloin, conclut Mme Butterman. Nous pouvons appelerun médecin, si vous le souhaitez, milady, mais je saisme servir d’une aiguille et d’un fil.

Isabel hocha la tête. Elle était soulagée de voir que lablessure n’était pas si profonde qu’elle l’avait d’abordcraint.

— Allez chercher tout le nécessaire, madame Butter-man. Pinkney vous aidera. J’ai le sentiment que cethomme n’aimerait pas tomber entre les mains d’unmédecin.

Mme Butterman quitta la pièce, Pinkney sur sestalons.

Isabel se retrouva seule avec le Fantôme. Pourquoil’avait-elle sauvé ? Dans le feu de l’action, elle n’avaitpas vraiment réfléchi : l’idée d’abandonner un hommesans défense à une foule en furie la révulsait. Mais àprésent que le Fantôme se trouvait chez elle, elle réali-sait que ce personnage avait piqué sa curiosité. Quelgenre d’homme pouvait ainsi risquer sa vie, déguisé enArlequin ? Était-il un vulgaire vide-gousset ou bien unescrimeur aguerri ? À moins qu’il n’ait simplementl’esprit un peu dérangé ? Quoi qu’il en soit, c’était unhomme en pleine force de l’âge. Athlétique. Attirant. Etnu sous ses yeux.

Enfin, presque.Isabel tendit la main pour retirer le carré de soie qui

couvrait encore le haut de son visage. Était-il beau ?monstrueux ? ou juste ordinaire ?

Mais au moment où la jeune femme allait s’emparerde son masque, la main du Fantôme saisit brusque-ment la sienne.

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Il ouvrit les yeux. Derrière son masque, son regard lafoudroya, implacable.

— Ne faites pas cela, murmura-t-il d’une voiximpérieuse.

Cette journée ne se déroulait décidément pas commeprévu.

Winter Makepeace contemplait les beaux yeux bleusde lady Isabel Beckinhall et il se demandait comment ilpourrait s’extraire de cette situation délicate sans révé-ler son identité.

— Ne faites pas cela, répéta-t-il à voix basse.Le poignet de la jeune femme était menu, mais oppo-

sait une résistance certaine sous ses doigts. Ses propresmuscles, eux, manquaient désespérément d’énergie.

— Très bien, répondit-elle. Depuis combien de tempsêtes-vous réveillé ?

Elle ne faisait aucun mouvement pour libérer sonpoignet.

— Je suis revenu à moi quand vous m’avez baissé lepantalon.

Winter aurait pu imaginer des circonstances beau-coup moins agréables pour reprendre conscience.

— Alors vous n’êtes pas aussi étourdi que nous lepensions, ironisa-t-elle.

Winter tourna la tête pour inspecter le décor quil’entourait. Une vague de nausée le submergea et il fail-lit s’évanouir de nouveau.

— Où suis-je ?Il parlait toujours à voix basse. Peut-être que s’il se

contentait de murmurer, lady Beckinhall ne pourraitpas reconnaître sa voix.

— Chez moi, répondit-elle. Je ne toucherai pas àvotre masque si vous ne le voulez pas.

Winter ne se faisait guère d’illusions ; il n’était pas enmesure d’user d’autorité. Il était nu, blessé et il se

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trouvait dans une maison qu’il ne connaissait pas. Lasituation n’était pas à son avantage.

La jeune femme haussa délicatement un sourcil.— En revanche, vous pourriez peut-être lâcher mon

poignet ?Il écarta les doigts.— Pardonnez-moi.Lady Beckinhall se massa le poignet.— Je vous ai sauvé la vie, tout à l’heure. Mais vous

êtes désormais à ma merci, dit-elle, balayant du regardla nudité du Fantôme. Je doute que vous soyez sincèredans vos excuses.

Elle était intelligente. Calculatrice. Et elle savait s’yprendre pour séduire un homme.

Winter devinait le danger.— Une chose est sûre, je n’ai pas à me faire pardon-

ner ma nudité devant une dame. Je me suis réveillédans le plus simple appareil. Et je sais qui en est res-ponsable. Vous.

Elle écarquilla légèrement les yeux et se mordit lalèvre, comme si elle voulait se retenir de rire.

— Je puis vous assurer que ma… euh, curiositén’était dictée que par le désir d’analyser la gravité devotre état, monsieur.

— Alors, vous me voyez honoré par votre curiosité,madame.

Winter n’avait pas pour habitude de badiner ainsiavec les femmes. Il se sentait meurtri par son accidentet déboussolé par cette conversation inattendue. Enoutre, lady Beckinhall lui avait fait comprendre, lors deleurs précédents échanges – quand il n’était pour elleque M. Makepeace, le directeur de l’hospice pourenfants trouvés de Saint-Giles –, qu’elle ne le tenait pasen très haute estime.

Peut-être se laissait-il aller parce qu’il portait sonmasque. Et qu’il se trouvait dans une pièce au décorintimiste.

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Ou peut-être était-ce la conséquence du coup qu’ilavait reçu sur la tête.

— Avez-vous découvert ce que vous cherchiez ?La jeune femme esquissa un sourire.— Au-delà de mes espérances.Winter inspira profondément. Il devait se concentrer

pour calmer la tension qui montait de son entrejambe.Heureusement, la porte s’ouvrit et il ferma les yeux.Winter devinait qu’il était préférable que les autresignorent son réveil. Il n’aurait pas pu expliquer pour-quoi et il préférait ne pas se poser de questions inutileset obéir à son instinct, qui lui avait déjà sauvé la vie desdizaines de fois.

Cependant, il souleva légèrement les paupières pourtenter d’apercevoir quelque chose.

Son champ de vision était limité : deux femmes, aumoins, s’étaient jointes à lady Beckinhall.

— Comment va-t-il ? demanda l’une d’elles – unedomestique, à en juger par le ton de sa voix.

— Il n’a pas bougé, répondit lady Beckinhall.Elle se garda bien d’expliquer qu’ils avaient eu une

petite conversation. Mais Winter n’était pas surpris :lady Beckinhall avait l’esprit vif, il l’avait comprisdepuis longtemps.

— Nous devrions lui ôter son masque, suggéra uneautre voix, plus jeune.

— Cela ne me paraît pas raisonnable, objecta ladyBeckinhall. Il pourrait nous tuer s’il apprenait que nousconnaissons son identité.

La plus jeune poussa un petit cri d’effroi sanscomprendre que la voix de lady Beckinhall était un peutrop solennelle pour être sérieuse.

La dame la plus âgée soupira.— Bon, je vais recoudre sa plaie. Ensuite, nous pour-

rons l’installer plus à son aise.À ces mots, Winter comprit qu’il allait passer un très

mauvais moment.

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Comme tout son corps était endolori, il ne s’était pasrendu compte que sa cuisse droite l’élançait plus parti-culièrement. C’était donc là que se situait la blessurequ’avait cherchée lady Beckinhall.

Il ferma les yeux et attendit, s’efforçant de contrôlersa respiration et de se détendre.

C’est l’effet de surprise qui rend la douleur insupporta-ble, lui avait expliqué son mentor, bien des années plustôt. Si tu t’y attends, la douleur ne devient qu’une sensa-tion parmi d’autres, que tu peux maîtriser.

Il pensait à l’hospice et aux efforts qu’il faudraitdéployer pour déménager les quatre-vingt-deux enfantsdans le nouveau bâtiment, tandis que des doigts s’acti-vaient sur sa blessure pour en rapprocher les bords. Ladouleur fusa jusque dans son dos mais il réussit à nepas ciller. Toute son attention était concentrée sur ledéménagement. Il essayait d’imaginer comment réagi-rait chacun des petits pensionnaires à ce grandchambardement.

Les nouveaux dortoirs étaient beaucoup plus spa-cieux que les précédents et éclairés par de grandes fenê-tres. Une aiguille lui transperçait les chairs. La plupartdes enfants seraient heureux du changement. JosephTinbox, par exemple. Il avait déjà onze ans, mais ils’amuserait beaucoup à courir dans les couloirs. Ladouleur causée par l’aiguille était à peine supportable. Enrevanche, un garçon comme Henry Putnam, qui venaitd’arriver à l’hospice et qui se souvenait encore de sonabandon, pourrait en être perturbé. Et cette aiguille quitraçait un sillon dans la chair. Winter se promit de fairetrès attention à Henry Putnam.

Tout à coup, il sentit un liquide en contact avec sablessure. Winter eut l’impression que sa jambe prenaitfeu. Il dut faire appel à toute sa volonté et à toute sonexpérience pour ne pas tressauter. Il inspirait. Expirait.Se concentrait sur le déménagement…

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Au bout de quelques minutes, il réalisa que l’aiguilleavait cessé son va-et-vient étourdissant. Une main seposa sur son front. Il n’eut pas besoin d’ouvrir les yeuxpour deviner que lady Beckinhall était penchée sur lui.

— Il ne semble pas avoir de fièvre, murmura-t-elle.Winter sentait le souffle de la jeune femme balayer

son front. Cette douce caresse sembla un instant voya-ger sur son corps dénudé et électriser ses terminaisonsnerveuses… Il divaguait. Le coup qu’il avait reçu sur latête s’avérait plus sérieux qu’il ne l’avait imaginé.

— J’ai aussi monté de l’eau chaude pour le laver, ditla domestique.

— Merci, madame Butterman, mais vous en avezassez fait pour ce soir, répondit lady Beckinhall. Je vaism’en charger moi-même.

— Mais, milady… protesta la jeune personne.— Vous m’avez été d’un grand secours toutes les

deux, la coupa lady Beckinhall. Laissez-moi l’eauchaude et des linges propres. Vous pouvez emporter lereste.

Une petite agitation, un bruit d’objet métallique tom-bant dans une bassine en étain, la porte qui s’ouvre et sereferme dans la foulée.

— Êtes-vous toujours réveillé ? demanda ladyBeckinhall une fois le silence revenu dans la chambre.

Winter ouvrit les yeux. Elle tenait un linge humide àla main et le fixait. Il se raidit à l’idée qu’elle s’apprêtaità le toucher.

— Votre blessure saigne encore un peu, l’avertit-elle.J’ai pensé qu’il serait préférable de la nettoyer. À moinsque vous n’ayez peur d’avoir mal ?

Le mettait-elle au défi ?— Je n’ai pas peur de ce que vous pourriez m’infliger,

milady.

Isabel prit une profonde inspiration. La lueur dedéfiance qui brillait dans les yeux du Fantôme ne lui

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avait pas échappé. Il était resté immobile pendant queMme Butterman le recousait et elle avait redouté qu’ilne se soit de nouveau évanoui. Mais à présent, ses jouesreprenaient des couleurs.

— Vous n’avez donc peur de rien ? demanda-t-elle.Ni de moi, ni d’une foule en colère sur le point de vousmassacrer ? Dites-moi, monsieur le Fantôme, quecraignez-vous ?

Winter soutint son regard.— Dieu, je suppose. Tout homme est supposé crain-

dre son Créateur.— Non, pas tous les hommes, objecta Isabel, qui

n’avait encore jamais tenu de conversation philosophi-que avec un homme dénudé et masqué.

Elle appliqua délicatement le linge humide sur lablessure avant d’ajouter :

— Certains hommes n’ont peur ni de Dieu ni de lareligion.

Elle sentit les muscles du Fantôme se raidir.— C’est vrai, acquiesça-t-il, suivant des yeux les mou-

vements de la jeune femme. En revanche, la plupartcraignent la mort. Et leur juge dans l’au-delà.

— Et vous, murmura-t-elle. Avez-vous peur de lamort ?

— Non, répondit-il sans la moindre émotion.Elle se pencha sur sa blessure pour l’examiner plus en

détail. Mme Butterman avait fait du bon travail. Si laguérison se passait bien, le Fantôme garderait une cica-trice, mais elle serait discrète. Il aurait été trop dom-mage d’abîmer une aussi belle cuisse.

— Je ne vous crois pas.Il sourit subitement, comme si son amusement le sur-

prenait lui-même.— Non ? Et pourquoi vous mentirais-je ?Elle haussa les épaules.— Par bravade. Cela correspondrait bien à votre

manie de vous déguiser.

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— Précisément, acquiesça-t-il. Je hante les rues deSaint-Giles avec un masque, une tenue d’Arlequin etune épée. Pourquoi ferais-je cela si j’avais peur de lamort ?

— Parfois, les gens déjouent leur peur de la mort ens’en moquant.

Elle lavait à présent le haut de sa cuisse, s’appro-chant dangereusement de son entrejambe. Winter sen-tit son sexe se dresser et le couvre-lit se souleva à cetendroit. Lady Beckinhall rinça son linge dans la cuvettecomme si de rien n’était et reprit sa tâche.

Winter lui saisit le poignet.— Et vous, je crois que vous jouez à me provoquer.Isabel contemplait la bosse qui déformait le

couvre-lit.— En admettant que vous ayez deviné juste, dit-elle,

avant d’accrocher son regard, la question est de savoirsi vous aimez ce genre de provocation ?

— Quelle importance ? demanda-t-il avec une gri-mace cynique.

— Vous avez raison. Pourquoi provoquer un hommequi resterait indifférent ?

— Pour le simple plaisir du jeu sans doute.La jeune femme baissa les yeux sur son poignet, qu’il

serrait toujours.— Vous me faites mal.Au lieu de la libérer, le Fantôme tira sur son bras pour

la forcer à se pencher sur lui. Elle était si près de sonvisage qu’elle pouvait voir l’anneau ambré qui entouraitson iris.

— Je suis désolé de vous faire mal, madame. Maissachez que je ne suis pas une poupée avec laquelle ons’amuse.

Isabel aurait voulu qu’il enlève son masque afinqu’elle puisse enfin voir le visage de ce Fantôme quiavait réussi à piquer son intérêt. Elle n’était pashabituée à tant de franchise. Les gentlemen de sa

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connaissance préféraient s’exprimer par énigmes dis-tinguées, qui souvent finissaient par ne plus rien signi-fier. Était-il un homme du peuple ? Cependant, il nes’adressait pas à elle comme s’il se savait d’un milieusocial inférieur.

Au contraire, il conversait avec elle sur un plan d’éga-lité. Et comme s’ils s’étaient déjà rencontrés.

— Non, en effet, vous n’êtes pas une poupée.Excusez-moi.

Il écarquilla les yeux, comme s’il était surpris, et larelâcha subitement.

— C’est moi qui devrais m’excuser. Vous m’avezsauvé la vie. J’en ai parfaitement conscience. Merci.

Isabel se sentit rougir devant ces aveux. Bontédivine ! Cela ne lui était plus arrivé depuis qu’elle étaitjeune fille. Elle avait badiné avec des ducs, flirté avecdes princes. Pourquoi cet inconnu, avec ses paroles sisimples, l’émouvait-il autant ?

— Oublions cela, répondit-elle, jetant le linge dans lacuvette. Vous avez perdu beaucoup de sang. Reposez-vous jusqu’à demain matin. Vous n’êtes pas en état debouger pour l’instant.

— Vous êtes bien généreuse.Elle secoua la tête.— Je croyais que nous étions tombés d’accord pour

dire que je n’avais pas de cœur.Il ferma les yeux et un sourire se dessina sur ses

lèvres.— Vous venez de me prouver le contraire, lady

Beckinhall.Isabel le regarda, attendant qu’il ajoute autre chose.

Mais sa respiration se fit plus sourde.Le Fantôme de Saint-Giles s’était endormi.

La lumière gris-rose de l’aube perçait par la fenêtrequand Isabel ouvrit les yeux. Un instant, elle se

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demanda pourquoi son dos la faisait souffrir et pour-quoi elle avait dormi dans un fauteuil. Puis son regardtomba sur le lit à côté.

Il était vide.Elle se releva, les muscles raidis. Le couvre-lit avait

été remis grossièrement et une tache de sang ressortaitau milieu des draps blancs. Isabel posa sa main sur lematelas. Il était froid. Le Fantôme avait dû s’éclipserdepuis un moment.

La jeune femme alla ouvrir la porte pour appeler unefemme de chambre. Elle voulait se renseigner, même sielle savait déjà, en son for intérieur, qu’il était parti sanslaisser de traces – à part cette tache de sang.

Elle revint vers le lit vide, qu’elle contempla d’un airmorose en attendant la femme de chambre. Tout àcoup, un détail lui revint en mémoire, qui ne l’avait pasfrappée hier soir – elle était sans doute trop fatiguéepour réagir. Lady Beckinhall. Il l’avait appelée par sonnom, alors que personne ne l’avait prononcé en saprésence.

Isabel retint son souffle. Le Fantôme de Saint-Giles laconnaissait.

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Vous n’allez pas le croire, mais le Fantôme de Saint-Giles n’était qu’un simple mortel. Acteur de théâtre, ilinterprétait le rôle d’Arlequin au sein d’une troupe itiné-rante qui se déplaçait de ville en ville. Et quand il dégai-nait son épée de bois contre le méchant de la pièce, celafaisait un drôle de bruit – Clip ! Clap ! – qui déclenchaitl’hilarité des enfants.

Winter Makepeace, le très austère directeur de l’hos-pice pour enfants trouvés de Saint-Giles, crapahutait, àl’aube, sur les toits de Londres. Parvenu à destination,il se laissa glisser le long des tuiles et resta quelques ins-tants suspendu dans le vide, les doigts accrochés à labordure du toit. Puis, d’un mouvement de reins, ils’engouffra dans un grenier par une fenêtre ouverte. Ilatterrit sur le plancher en grimaçant : sa cuisse le faisaitsouffrir et ses pieds endoloris s’étaient écrasés sur le solavec un bruit mat.

D’ordinaire, il était capable de rentrer par la fenêtrede sa chambre sans faire le moindre bruit.

Winter grimaça de nouveau quand il s’assit sur son litpour examiner sa combinaison d’Arlequin. Elle étaitsale, maculée de sang et surtout déchirée sur une

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grande partie de la jambe droite. Il la retira, en prenantsoin de la faire glisser doucement sur sa blessure pan-sée, puis il la roula en boule et la glissa sous son lit avecson épée, son masque et le reste de son déguisement. Iln’était pas sûr de pouvoir réparer les dégâts : il étaitcapable de se débrouiller avec une aiguille, mais pasd’accomplir des miracles. Winter soupira. Il serait pro-bablement obligé de se procurer un nouveau costume.Le problème, c’est qu’il n’en avait pas les moyens.

Il se releva et se dirigea, nu, vers sa table de toilette oùil versa l’eau du pichet dans la cuvette pour se débar-bouiller. Pour la première fois de sa vie, il regrettait dene pas disposer d’un miroir, qui lui aurait permis desavoir s’il avait des bleus ou des égratignures sur levisage.

Winter soupira une nouvelle fois et s’agrippa quel-ques instants au rebord de sa table de toilette, laissantl’eau ruisseler sur son visage et retomber goutte àgoutte dans la cuvette. Il avait mal partout. Et il n’auraitsu dire à quand remontait son dernier repas. Il lui fal-lait pourtant s’habiller et remplir ses obligations de lajournée comme si de rien n’était. Donner la classe à desgarçons turbulents et récalcitrants, préparer le démé-nagement de l’orphelinat et, en premier lieu, s’assurerque sa sœur cadette, Silence, était saine et sauve.

Son programme était chargé.Mais Winter se sentait si las qu’il s’écroula sur son lit.

Quelques minutes de repos lui paraissaient indispensa-bles avant de se jeter dans le tumulte du quotidien.

Il ferma les yeux avec l’impression qu’une main déli-cate et féminine lui caressait la joue.

Bang ! Bang ! Bang !Réveillé par les coups frappés à sa porte, Winter se

redressa d’un bond dans son lit, ce qui lui provoqua unélancement douloureux à la cuisse droite. Le soleilpénétrait à flots dans sa chambre. Et à en juger par

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l’inclinaison des rayons, la matinée touchait à sa fin.Winter avait beaucoup trop dormi.

— Winter ! appela une voix féminine alors que lescoups reprenaient contre sa porte. Tu es là ?

— Une seconde !Winter tira sa chemise de nuit de sous son oreiller et

la passa par-dessus sa tête. Il chercha son pantalon duregard sans réussir à se rappeler où il l’avait posé laveille.

— Winter !Avec un soupir, Winter arracha son drap de lit pour

l’enrouler autour de lui, avant d’aller ouvrir la porte.— Ce n’est pas trop tôt ! s’exclama Temperance Hun-

tington, baronne Caire, sa sœur aînée.Elle s’engouffra dans la pièce, suivie d’une fillette de

treize ans aux cheveux noirs et aux joues toutes roses.Mary Pentecôte était l’aînée des pensionnaires del’orphelinat, aussi s’acquittait-elle d’un certain nombrede tâches.

Temperance se tourna vers elle.— Va dire aux autres que nous l’avons trouvé.— Oui, madame, acquiesça Mary. Je suis bien

contente que vous soyez sain et sauf, monsieur, ajouta-t-elle à l’attention de Winter.

Et elle s’éclipsa.Temperance inspecta la chambre comme si elle cher-

chait quelqu’un qui se serait caché dans un coin, puiselle fronça les sourcils avec sévérité.

— Enfin, Winter ! Nous avons passé une partie de lanuit et de la matinée à te chercher. J’ai craint le pire,hier soir, en apprenant que les émeutiers écumaient lequartier Saint-Giles. D’autant que tu avais disparu.

Temperance se laissa choir sur le lit. Winter ouvrit labouche pour répondre, mais sa sœur n’en avait pasterminé.

— Et puis, Silence nous a fait prévenir dans la soiréequ’elle avait épousé Mickey O’Connor et qu’elle était

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Et toujours la reine du roman sentimental :

Le 6 févrierTous les mystères d’Écosse

« Les romans de Barbara Cartland nous transportent dans un mondepassé, mais si proche de nous en ce qui concerne les sentiments.L’amour y est un protagoniste à part entière : un amour parfoiscontrarié, qui souvent arrive de façon imprévue.Grâce à son style, Barbara Cartland nous apprend que les rêves peuvent toujours se réaliser et qu’il ne faut jamais désespérer. »

Angela Fracchiolla, lectrice, Italie

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10165CompositionFACOMPO

Achevé d’imprimer en Italiepar GRAFICA VENETA

Le 3 décembre 2012

Dépôt légal : décembre 2012EAN 9782290066775

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ÉDITIONS J’AI LU87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris

Diffusion France et étranger : Flammarion