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    1905-2005 :les enjeux de la lacit

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    SOMMAIRE

    VIVRE ENSEMBLEAlain Gresh et Michel Tubiana 7

    LA COMMISSION LACIT ET ISLAM :HISTORIQUE ET PHILOSOPHIE DUN DBATMichel Morineau 9

    DES ORIGINES DE LA LACIT, EN FRANCE, AUJOURDHUIAlain Bondeelle 23

    LE RENOUVEAU DE LA QUESTION LAQUEET LES PRINCIPAUX COURANTS LAQUES AUJOURDHUI

    Jol Roman 37

    LA LOI DE 1905Alain Boyer 51

    NOTRE LACIT PUBLIQUEEmile Poulat 61

    ENTRE ETHIQUE DE CONVICTIONET THIQUE DE RESPONSABILIT

    Jean Boussinesq 69

    LACIT, CEST--DIRE ?

    Jean Boussinesq 75UNE EXCEPTION FRANAISE LPREUVEDriss El Yazami 81

    LES MUSULMANS ET LA LACITTariq Ramadan 93

    BIBLIOGRAPHIE 109

    LES DATES DE LA LACIT 113

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    VIVRE ENSEMBLE

    Le catholicisme et la lacit sont-ils compatibles ? Pose en 1905 nos concitoyens, la rponse cette question aurait sans aucundoute entran, dans les deux camps qui se partageaient laFrance, une rponse ngative. La lacit est contraire aux loisdu Christ proclamait lEglise ; le catholicisme ne pourra jamaissadapter au monde moderne renchrissaient libres-penseurs et

    radicaux. Cent ans aprs ladoption de la loi sur la sparationdes Eglises et de lEtat, la question parat incongrue.Lislam et la lacit sont-ils compatibles ? Pose en 2005 nosconcitoyens, la rponse cette question entranerait sans aucundoute, une rponse ngative, un non angoiss, un non apeur,car la peur est devenue le principal moteur du dbat qui divisela France. Bien que lon narrte pas den condamner la thorie,

    la guerre des civilisations sinstalle dsormais dans les ttes.Cest une dmarche inverse qua adopte, il y a bientt dix ans,la commission Lacit et islam . Refusant tous les raccourcis,elle sest penche sur la lacit franaise, son histoire, ses lois ;elle a aussi rflchi lislam, ses dclinaisons multiples, etsurtout lextrme diversit des musulmans. Elle a point lesdifficults de lintgration - difficults avant tout sociales - , maisaussi montr comment la lacit et la France pouvaient accueillirlislam. Cest une partie de ce long cheminement que nous invi-tons ici le lecteur suivre. Loin des passions et de lhystrie, nousoffrons une vision ouverte de lavenir, une vision despoir qui per-mette tous, dans notre pays, de vivre ensemble .

    Alain Gresh, rdacteur en chef du Monde diplomatique

    Michel Tubiana, prsident de la Ligue des droits de lHomme.

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    LA COMMISSION LACIT ET ISLAM :

    HISTORIQUE ET PHILOSOPHIE DUN DBAT

    Michel Morineau

    Les antcdents

    La commission a t cre en 1996, par la Ligue de lenseigne-ment, suite un concours de circonstances quil nest pas

    opportun de relater ici. Mais elle sinscrit dans une suite dan-tcdents qui explique la facilit, la rapidit et la convictionavec lesquels elle sest mise en place.En 1986, dans le cadre dune large rflexion sur la lacit enga-ge depuis 1981, la Ligue avait organis Paris un premier col-loque sur le thme Lacit et Islam compatibilit incompatibi-lit ? (voir Panoramiques, n1). A lpoque il tait pass inaper-u car les proccupations en matire de lacit taient encoretournes vers le dualisme scolaire ; la guerre scolaire

    entre lcole prive et lcole publique faisait rage. Aucun mdiane sest dailleurs risqu rendre compte de ce sujet trange !Quinze ans plus tard, remarquons en passant le renversementde situation : le dbat sur la lacit sest focalis sur lislam etil nest plus question du dualisme priv-public ! Ce colloqueinaperu tait bien prmonitoire. Ajoutons mme, malicieuse-ment, une remarque secondaire: les responsables politiques quisoutenaient lcole prive et fustigeaient ces ringards laques sopposant aux subventions au priv, se sont retrouvs quelques

    annes aprs, protecteurs autoproclams les plus rsolus de lalacit franaise, face lislam !Puis fin 1992, la Ligue, avec son service culturel, organisait unegrande manifestation itinrante autour de la Mditerrane, inti-tule 1492-1992. De la chute du royaume de Grenade lave-nir du monde mditerranen . Sur ce sujet et avec une cen-taine de chercheurs, quatre colloques chelonns sur trois mois,se sont drouls Grenade, Toulouse, Montpellier et Tunispour finir. (voir les actes publis par luniversit de Grenade en

    espagnol et en franais).

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    Durant la dcennie 1990, dautres manifestations sur lislam et

    la lacit ont t programmes, toujours linitiative de la Ligueet toujours dans lindiffrence, ( Bastia, Fameck, Montpellier,etc.), auxquelles se sont ajouts de nombreux articles derflexion et une centaine de confrences locales. Le moins quonpuisse dire est que lintrt port par la Ligue cette questionntait pas que circonstanciel !Entre-temps, le congrs de Toulouse (1989), en conclusion destravaux sur la lacit, devait voter une importante rsolution : Une lacit pour lan 2000 ; dmocratie et solidarit , o la

    question dune lacit confronte la nouvelle donne de lim-plantation de lislam sur le territoire, tait bien pose.

    Les motivations

    Si la Ligue de lenseignement a analys srieusement, ds ledbut des annes 1980, la situation de lislam en France, cestparce lislam concerne directement ou indirectement plusieursmillions dindividus en France, dont un grand nombre rencontre

    des difficults pour sintgrer, comme acteurs sociaux et commecitoyens dans une dmocratie laque.Dune part, il sagissait de penser lassimilation politique dans la dmocratie franaise, de citoyens franais ou appels le devenir de confession musulmane, pour la plupart issusde limmigration maghrbine et africaine, galit de droits etde devoirs avec tous les autres citoyens, donc galement libresde pratiquer leur religion dans la dignit et dans le cadre res-pect de la lacit.

    Dautre part, il sagissait aussi dexaminer les difficults propresau culte musulman face aux procdures qui organisent enFrance, depuis 1905, les relations entre les glises et ltat.Le problme a donc t pos ds le dpart dans sa dimensionpolitique et non pas religieuse car si ltat est garant desliberts, de lordre public, des dispositions constitutionnelles etlgales qui organisent la sparation, il est aussi garant de la paixcivile et de la cohsion sociale ; il tait ais de constater unefois de plus que lexistence dun cadre juridique ne suffit pas garantir son application. Cest particulirement vrai dans ce

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    cas et lingalit, comme la discrimination, lencontre des

    citoyens franais de confession musulmane, continuaient fonc-tionner plein rgime dans notre rpublique laque. Au regardde lhistoire et des valeurs de la Ligue, ctait proprement insup-portable !Depuis sa cration, la Ligue de lenseignement est une associa-tion laque entirement oriente vers lducation et la formationdes citoyens. Cest ainsi quelle contribue la construction dela Rpublique : duquer le citoyen dabord, mais sans se priverdagir aussi sur lopinion publique et dclairer les dcisions poli-

    tiques touchant ces questions. Cest pourquoi la commission Lacit et Islam a t constitue.

    La commission Lacit et Islam

    La composition de cette commission est originale : outre sonpluralisme idologique, (croyants et non-croyants de toutes ori-gines), elle est constitue de personnalits hommes et femmes aux statuts trs divers (responsables nationaux et locaux dor-

    ganisations musulmanes de diverses tendances, ministres descultes, responsables syndicaux, journalistes, crivains, universitaireset enseignants, hauts fonctionnaires de ltat ou dinstitutionseuropennes, chercheurs de grandes institutions comme le CNRS,lEPHE, lEHESS, Sciences-Po... et bien sr de responsables dela Ligue) ; la moiti de ses membres, ou peu sen faut, est dori-gine ou de culture musulmane ( noter aussi la prsence deconvertis) et tous ont un vcu diffrent de la lacit dans leurspratiques sociales quotidiennes. Ce qui les relie ? Un objectif :

    analyser la composante musulmane de la socit franaise, etrechercher les voies dune intgration harmonieuse dans le cadreintangible de la lacit, de sa philosophie politique et des insti-tutions [1]. Essayer de peser ensuite sur les politiques publiquesdintgration et dans le dbat sur la lacit et lislam.Durant quatre ans, de 1996 2000, les travaux se sont rguli-rement agencs, au rythme dune runion mensuelle au sigenational Paris, anime par lauteur de ces lignes, alors respon-sable des tudes et des recherches, sous la prsidence du secr-taire gnral adjoint de la Ligue. La participation est trs assidue.

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    Un rapport intermdiaire a t rdig [2] et discut au cours

    dune journe nationale dtude en novembre 1998, largementouverte de nouveaux participants. Les ordres du jour sontrigoureux et mthodiquement prpars et les sances sont enre-gistres et systmatiquement dcryptes. De nombreux interve-nants extrieurs ont t sollicits, franais et trangers, universi-taires, responsables politiques, ministres des cultes ou hauts fonc-tionnaires. En quatre ans, la commission a accumul un savoirassez exceptionnel sur son objet et elle sest forg une culturedu dialogue et du dbat quon aimerait voir se gnraliser.

    Un accompagnement local

    Cette rflexion nationale sest accompagne localement duneffort dinformation aussi bien sur lislam en France (approcheculturelle et sociologique) que sur la lacit (approche historiqueet juridique). Un module dinformation , anim par une peti-te quipe de formateurs, membres de la commission, sest adres-s des enseignants, des ducateurs, des responsables dassocia-

    tions, des lus locaux, des responsables dinstitutions sociales.En deux ans, quarante journes ont runi environ 5 000 par-ticipants, dont une forte proportion de jeunes Franais deconfession musulmane.En rsum, si la commission Lacit et Islam a constituune originalit dans les pratiques de la Ligue de lenseignement,linitiative nen est pas moins inscrite dans sa grande traditiondouverture aux volutions de la socit franaise. La Ligue atmoign par ce dialogue de sa volont politique duvrer pour

    la paix civile et la justice sociale, cest--dire pour la lacit . Rien nelui est plus tranger que le clash des civilisations , formulemdiatise lexcs depuis le 11/9 et qui est lautre rponse la diversit des cultures.Pourquoi cette commission sest-elle interrompue sous lgide dela Ligue de lenseignement et comment sest-elle retrouve, avecle mme projet, hberge par la Ligue des Droits de lHommeet par Le Monde diplomatique, est une autre histoire, que jeraconterai un jour. Lessentiel est quelle poursuive aujourdhuises travaux car sa tche nest pas acheve.

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    Une dmarche

    Les problmes concernant lintgration du culte musulman dansle paysage franais, galit de droit et de devoirs avec les autrescultes, sont en, dfinitive, assez peu nombreux. Cet examen at effectu par la commission la lumire de deux dmarches,qui sans se confondre se sont influences mutuellement. Il y aen premier lieu lclairage par le droit, les dispositifs juridiques,la loi franaise, qui dfinissent et organisent la place des cultesdans lespace rpublicain et prcise leurs rapports avec les pou-

    voirs publics. Ces dispositions juridiques ont fait leur preuve. Ilsest agit dexaminer leur application lislam et de rgler lesproblmes particuliers qui tiennent aux caractristiques de ceculte. Ce premier aspect relve en dernire instance de la respon-sabilit des pouvoirs publics dans un dialogue bien compris avecleurs interlocuteurs musulmans. La rflexion de la commission- consigne dans de nombreux textes - est une contribution.En second lieu, il y a ce qui appartient au registre des men-talits et des comportements des individus et des groupes dans

    la socit franaise. Ces attitudes et ces comportements quil est scientifiquement impossible de quantifier mais qui sobserventaisment au travers de propos publis, dopinions formules, dedcisions administratives, traduisent les jugements et les regardsrciproques quune socit et une minorit portent lune surlautre. Ce quon appelle les mentalits jouent en dfinitiveun rle considrable dans toutes ces questions et influencent enretour lapplication, voire la non application, ou encore le dtour-nement des dispositifs juridiques appliqus au culte musulman.

    La commission en a souvent discut.Cest donc en tenant compte de cette double approche, par leslois et par les mentalits, que la commission sest penche surdes problmes concrets comme lexercice de la libert de cultepour les musulmans, limplantation des mosques, la formationdes cadres religieux, la reprsentation de lislam, la place delislam dans lducation et la culture, le rle et linfluence desmdias dans limage de lislam en France, les discriminationsdans les entreprises et enfin la question du statut personnel confront la loi et la jurisprudence franaises.

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    une rfrence commune

    A cette double approche, par les lois et les mentalits, il fallaitune rfrence morale et philosophique commune, unanimementadmise par toute la commission. Les analyses et les points devue pousant sa diversit, les divergences entre ses membres sontsouvent importantes. Sans cette rfrence commune, il nest pasdissue possible aux dbats et cest donc trs naturellement quecest impose notre conception des Droits de lHomme et duCitoyen, mme sil a fallu plusieurs fois sen expliquer et lex-

    pliquer : lgalit des droits, bien sr, mais aussi le droit davoir,de ne pas avoir ou de changer de religions, ou encore lgali-t hommes-femmes. Quelque soit le prisme philosophique, cul-turel ou religieux au travers duquel chacun voit et interprte lemonde, les Droits de lHomme et du Citoyen demeure la rf-rence ; pour lislam aujourdhui, comme pour le catholicismehier, qui les a dabord combattu, ils doivent tre pris dans leurintgralit. La libert de conscience et la libert de culte ne seconoivent pas en dehors de cette totalit.

    et une philosophie de lintgration.

    Lislam en France, est une question la fois politique, socialeet culturelle ; elle nest pas que cultuelle. Par consquent, ellene pouvait pas tre aborde par la Ligue de lenseignement ind-pendamment de ses rfrences politiques et philosophiques : laLigue a une philosophie en matire dintgration et cest lalumire de cette philosophie politique que les dbats ont t

    conduit. Il est donc important de prciser en quelques lignesce qui fait lessentiel de ses positions.Parmi les droits de lhomme et du citoyen, figure celui du librechoix de ses appartenances et la libert de prserver la (ou les)culture(s) propre(s) chacun. Ce droit ne peut sexercer quedans une complte galit et une complte responsabilit descitoyens. Est-il aujourdhui utile de le rappeler ?

    Sans doute car, bien considrer lvolution rcente de la socitfranaise, nombres de questions restent en suspend. Les annes

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    1960-1970 ont constitu un moment de cristallisation des trans-

    formations lentes de la socit vers une plus grande reconnais-sance de sa diversit culturelle et religieuse. Le dveloppementdes rgionalismes, et la demande de revalorisation des culturesminoritaires (rgionales ou autres) ont conduit la socit fran-aise, malgr les rsistances, envisager de manire nouvelle laquestion de son identit et, de manire concomitante, celle delintgration en son sein de nouveaux groupes migrants ou decultures diffrentes.

    Dans les annes 1980-1990, lvolution devient trs sensible. Ladiversit est alors largement valorise dans lopinion et le mtis-sage culturel se poursuit, notamment dans la culture populairedes varits (chansons, danses, etc.) ; de nouvelles modali-ts didentification sexposent publiquement et de faon impen-sable vingt ans auparavant (les homosexuels, les handicaps, lesbeurs, les blacks, etc.). La prise de conscience dans les popula-tions anciennement immigres - majoritairement issues du nordde lAfrique - quun retour au pays est devenu illusoire, libre

    en contre partie des revendications identitaires, notamment reli-gieuses ; louverture des frontires en Europe et la multiplica-tion des flux (im)migratoires laissent poindre des inquitudesdiverses, transcrites par la progression du Front National. Dansle mme temps, de grandes mutations politiques perturbent leur manire les processus historiques didentification la col-lectivit nationale : il sagit notamment de la mise en place dela dcentralisation (qui cre un niveau infranational) et lautreextrmit, de la construction europenne (qui cre un niveau

    supranational) ; mme si la peur quun mtissage mondial affai-blisse la France et lui fasse perdre son identit est plus impor-tante que la ralit du phnomne, de fait, la reprsentationcollective du nous , dont la Nation offrait globalement etjusqualors le cadre naturel, est devenue problmatique. LaFrance des annes 80-90 ne sait pas trs bien ce quelle est entrain de devenir, ni o elle va et surtout, les citoyens se sen-tent impuissants ragir ; cest lamorce dune forte crise dupolitique qui se traduit par labstention dans les urnes. Dans lemme temps, cette dcennie a t celle de lirruption sur la

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    scne mondiale dun islam radical et politique violent, se mani-

    festant par des sries dattentats, dans les pays occidentaux enparticulier. Les mdias radicalisent leur tour la vision de cesphnomnes minoritaires mais spectaculaires : les immigrs deviennent des musulmans , et lamalgame sinstalle entreislam, islamisme, terrorisme

    Dans ces circonstances, une question rcurrente, parce quel-le a souvent jalonn notre histoire moderne resurgit. Lautre ,diffrent, a-t-il sa place dans une communaut nationale en crise

    et quelles conditions ? Formuler avec plus de pdagogie, lacommission la dcline ainsi : comment aider les gens doriginesdiverses et de diverses convictions, religieuses ou non, sint-grer la socit franaise - et aider la socit franaise lesintgrer- sans nuire lunit politique ralise de la nation ?Mais, sans les contraindre non plus, sans les obliger une assi-milation qui vaudrait un complet abandon deux-mmes, deleurs cultures, de leurs croyances et qui priverait la socit fran-aise denrichissements. Cette problmatisation , qui se veut

    un anti-dote la xnophobie et au racisme, orientera durable-ment les travaux.

    vacuer les faux dbats

    Dans sa recherche, la commission rejette demble loption communautariste .Une socit fonde sur le communautarisme entranerait lecloisonnement de communauts institues juridiquement, la mise

    lcart des citoyens qui ne se reconnatraient dans aucune,entranant la dsagrgation de la Nation, et laissant place unejuxtaposition de groupes irrductibles les uns aux autres, dispo-sant ventuellement de droits politiques diffrents selon leurreprsentativit ; lextrme, ils ne seraient unis que par lebiais dun tat Lviathan ou dun tat filet de scurit .La socit nationale pluraliste laquelle la commission serfre est dun autre ordre : elle constitue larchitecture, le cadre- extensible la communaut europenne - au sein duquel coha-biteraient, collaboreraient et changeraient pleinement, une plu-

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    plus forte raison si laccueil est hostile, comme cest sou-

    vent le cas en France , le lien avec sa culture dorigine estscurisant. Un temps variable selon les cas doit tre laiss chaque individu pour quil puisse ngocier, progressivement eten confiance, ses propres modalits dintgration. Le va et viententre culture daccueil et culture dorigine est essentiel et pourcela, il a besoin de la communaut dorigine ou de celle danslaquelle il se reconnat. Ce besoin nest pas contraire lmer-gence ou lapprofondissement dun sentiment dappartenance la nation. Il joue mme le plus souvent un rle dcisif dans le

    processus dintgration la citoyennet nationale.A contrario, lallgeance exclusive une communaut de culture,de foi, dhistoire, est incompatible avec les formes contempo-raines de la mobilit et de ladaptabilit sociale et profession-nelle, dautant plus ncessaires que la situation conomiqueimpose dsormais une capacit de mutation permanente. Lamono-appartenance psychologique communautaire est un obstacle lintgration. Lenfermement dans la culture dun seul groupene peut favoriser ni lesprit critique ni la libert de jugement

    individuel, il entretient lexclusion. Mais cette position nest pascontradictoire avec lutilit sociale des communauts. Elle plaidesimplement pour la reconnaissance de la complexit des phno-mnes identitaires et pour la reconnaissance de leur pluralit (ycompris chez un mme individu).Enfin, contrairement la vision fige et ferme quen donnelidologie nationaliste, la richesse culturelle de la France rsul-te autant du dynamisme propre son histoire, que de lapport,par agrgat et par immigration, de personnes et de cultures ht-

    rognes qui sy sont ctoyes et mles au cours du temps. Cestpar lchange et le mtissage, mais aussi par la transmission decultures particulires diverses, que sest constitue la culturenationale. Il est donc tout fait possible de concilier les diver-sits culturelles et les rencontres. Grce ladoption par les anciens , comme par les nouveaux Franais, des valeursrpublicaines, dmocratiques, universalistes, la nation franaise alabor sa cohsion par-del les appartenances particulires. cet gard, il ne faut pas minimiser le rle jou par ltat ; ila t essentiel dans la constitution de la nation, la France est

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    lun des rares exemples o la nation est ne dun tat (et non

    linverse).Retenir les questions davenir : comment concilier lunit politique de lanation et la diversit culturelle dun peuple appel slargir ?

    Comment envisager alors, avec le dveloppement de ces identi-fications collectives diverses et des multi-appartenances indivi-duelles, la question de lintgration de populations nouvellesdans la socit franaise ? Au-del, comment concilier ces iden-tits avec la prennisation dune culture politique commune,

    ouverte et dynamique, culture politique qui se rsume en unmot : citoyennet , elle-mme condition de la prennit dela nation franaiseSil nest plus souhaitable, comme certaines forces ont essay dele faire, dimposer une dilution plus ou moins complte des cul-tures et des identits collectives particulires dans une identitnationale homogne et uniforme, comment imaginer llaborationdu lien politique entre tous les rsidents dun mme lieu (duquartier ; de la ville, de la nation ou mme de lEurope) ? La

    nation franaise peut-elle encore constituer un cadre suffisantdidentification personnelle et collective et peut-elle encore consti-tuer le cadre pour construire une reprsentation politique ? Enrsum quest-ce qutre des franais aujourdhui ?Toutes ces questions sont aujourdhui lobjet dun vif dbat- en France et dans bien dautres pays. Elles le sont aussi dansla commission.Limportance dun progrs historique des mentalits, somme toutercent lchelle de lhistoire occidentale, (deux sicles peine),

    nest pas toujours bien mesure ; elle se traduit par louverturede ltat-nation la diversit, reconnue comme un droit : article10 de la Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen Nul ne peut tre inquit pour ses opinions, mme religieuses etc... .On a fini par oublier ce qui la prcd. Et trop oublier dolon vient, on finit aussi par oublier notre culture politique com-mune : la citoyennet nest jamais acquise, elle doit tre sanscesse revisite, approfondie, amliore sans pour autant faire dis-paratre les valeurs identitaires, culturelles ou cultuelles, propres chacun. Mais sans non plus se priver de les questionner!

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    Cette philosophie politique, succinctement rsume ici, sest

    applique notre approche de lintgration de lislam. Elle aprsid son examen, avec la lucidit qui convient car si nousformons des espoirs pour une intgration russie de lislam dansla socit franaise, nous savons aussi quil y faudra du tempset de la persvrance.

    En rsum

    Il faut sattendre ce que linstallation de lislam en France

    prenne quelques annes avant de se fondre dans le paysa-ge de la socit, linstar des autres cultes. Des responsabilitsrelvent directement de la communaut musulmane, comme parexemple la ncessit pour elle de prendre connaissance des loisde la Rpublique, de comprendre ses droits et ses devoirs, maisaussi de rflchir sur les conditions de lexercice du culte musul-man dans la France laque.En parallle, la nation franaise - les citoyens comme leurs repr-sentants - doit admettre sans rticence le droit dexpression des

    musulmans, dans leur diversit, et accepter que lexpressiondune conception musulmane de la vie fasse dsormais partiedu florilge des cultures qui animent notre socit.Il faut rsorber progressivement le contentieux entre les musul-mans maghrbins et africains pour lessentiel et la socitfranaise si lon veut continuer parler dun destin politiquecommun. Nos concitoyens doivent cesser davoir peur les unsdes autres et aller plus franchement au dialogue pour uneconnaissance mutuelle sans laquelle il sera difficile de continuer

    vivre et dcider ensemble de notre avenir politique et social.Pour cela, une attitude dpassionne est ncessaire. Il est donctemps de prendre le chemin dun dbat serein et sincre, carcest le seul moyen de faire voluer les mentalits, cest--direlopinion publique dont le poids est si dterminant dans toutesces questions.Une chose est certaine. Pendant des annes, la socit franaisea mconnu cette ralit musulmane lintrieur de ses fron-tires. Dun autre ct, beaucoup de musulmans ont cru, o sesont laisss convaincre, qu cause de leur religion, ils ne pour-

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    raient jamais vraiment sy intgrer.

    La commission Lacit et Islam aura au moins eu le mritedinterroger ces convictions, de bousculer quelques ides reues,de suggrer quun dialogue tait non seulement possible maisquil tait la seule voie raisonnable et quil y avait eu trop detemps de perdu. Si quelques fleurs lavenir poussaient dans leterreau de ces dbats, laudace de cette commission naurait past inutile la Rpublique

    NOTES :

    1/ Les btisseurs de la lacit franaise ont construit un cadre pour lexercicede la libert individuelle de conscience (le droit davoir, de ne pas avoir, dechanger de religion ou de philosophie) et pour lexercice de la libert collec-tive du culte. Dans ce cadre juridique et institutionnel, toutes les convictions- sauf les idologies totalitaires, racistes et xnophobes - peuvent coexisteravec leurs valeurs, leurs rgles, leurs rituels et leurs droits privs propres,quand il sagit des religions. La libert de conviction et la libert de les pra-tiquer publiquement ont pour corollaire lindpendance et la neutralit abso-lue de la puissance publique lgard de toutes les idologies, de toutes lescroyances.

    2/ Rapport rdig par Nathalie Doll au nom de la commission en 1998.Puis, Rapport de synthse rdig par Michel Morineau en 2000, lintgrationdes musulmans dans une France une et diverse .

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    DES ORIGINES DE LA LACIT, EN FRANCE,

    AUJOURDHUI

    Alain Bondeelle

    Mieux comprendre les origines de lide de sparation, lescirconstances et lopportunit du vote de la loi de sparationdes Eglises et de lEtat en 1905 impose de rflchir sur lessituations antrieures. Mon expos adoptera donc essentiellement

    un point de vue historique, et jinsisterai sur les modificationsde larticulation entre cit et religion en France jusqu 1905.A chaque pisode, je mettrai en regard les changements de cul-tures ou de mentalits qui accompagnent ou rendent ncessairesces modifications. Jen viendrai ensuite au problme de la spa-ration tel quil se pose aux Rpublicains en 1905, au parti quilsadoptent, la solution quils mettent en place et aux domainesdans lesquels elle sexerce. Je conclurai par les consquences dela loi en essayant den dgager les lments encore pertinents

    aujourdhui.

    I/ Larticulation entre cit et religion en France,du Moyen Age 1789

    A/ Rappel de la situation dans lAntiquit mditerranenne

    Dans les civilisations mditerranennes de lAntiquit, cit etreligion sont lies. Par exemple, dans la Grce antique, les Jeuxsont dabord une crmonie du culte dionysiaque. A Rome, leconsul, magistrat civil, est aussi le pontife, dignitaire religieux.La cit appartient au domaine du sacr et non au domaine duprofane. A linverse, dans la religion des Hbreux et dans leroyaume dIsral, les fonctions de roi et de prtre sont nette-ment distingues. Le Christ, lui, oppose Dieu et Csar. Dansle droit fil de cette opposition, le christianisme, qui devient lareligion de lEmpire Romain en 380, propose un modle surlequel vont se construire les monarchies occidentales, avec lop-position entre la cit de Dieu et la cit terrestre. Donc, dunepart confusion, dautre part distinction entre religion et cit.

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    B/ La France mdivale

    Pour la France mdivale, si la distinction entre la monarchiehrditaire et linstitution ecclsiastique parat vidente, le lienqui les unit demeure trs troit. Lhritier dynastique du trnedevient roi par la crmonie du sacre . Il reoit, comme unvque, lonction de lhuile sainte : il devient ainsi loint duSeigneur , le roi trs chrtien, lieutenant de Dieu sur la terre ;chaque institution y trouve son compte. Face aux autresroyaumes de la chrtient et aux fodaux ses vassaux, le roi deFrance obtient une lgitimit religieuse. En retour, lEglise peut

    sappuyer sur le bras sculier de la monarchie pour faire respec-ter le dogme et les pratiques, combattre et pourchasser les hr-tiques. Il existe mme, dans liconographie, une forte analogie,peut-tre intentionnelle, entre la ligne des rois dIsral qui abou-tit Jsus et la ligne des rois de France ; cest visible parexemple sur lensemble des glises pour certaines reprsentationsde larbre de Jess, et pour les galeries des Rois au fronton desgrandes cathdrales. Dans la France mdivale, la monarchie etlEglise entretiennent donc des liens organiques, tisss et resser-rs par une laboration thologico-politique.

    C/ la Renaissance et la Rforme

    La civilisation europenne est profondment transforme au XVeet au XVIe sicle. Pour ne citer que quelques lments : lou-verture vers des mondes nouveaux dont la Mditerrane cessedtre le centre ; dans le monde mditerranen lui-mme, lachute de Constantinople en 1453, la fin de la reconquista espagnole en 1492, la bataille de Lpante en 1571 modifientdurablement les grands quilibres politiques. Dans le domaineculturel, une approche plus exigeante des patrimoines delAntiquit devenue rfrence et modle, particulirement dansles domaines de larchologie et de la philologie, linvention delimprimerie et sa diffusion rapide changent compltement lesrelations aux textes et aux savoirs. En France, deux maniresdtre chrtien se distinguent peu peu partir de 1540 envi-ron. Pour le rform , de nouvelles pratiques, comme la lec-

    ture personnelle, le libre examen de la Bible devenue plus acces-sible parce quimprime, sappuient sur une nouvelle orientation

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    thologique qui privilgie la relation personnelle entre la cra-

    ture et son crateur, et le salut accord par la grce. Pour lescatholiques, lEglise reste lunique mdiatrice du salut. La coexis-tence difficile de ces deux courants, les positions diverses dessouverains successifs, le sentiment dun risque pour lunit duroyaume aboutissent quarante annes de guerres de religion entre catholiques, dnomms parfois Ligueurs, et rformsdnomms Huguenots. Ces guerres qui commencent en 1560 etqui sont caractrises par une violence et une frocit extraor-dinaires, ne sachveront quen 1598 par la promulgation de

    lEdit de Nantes. Pour la premire fois, le souverain, le roiHenri IV, lui-mme huguenot devenu catholique avant son cou-ronnement, tente de mettre en place la coexistence des deuxconfessions sur des bases territorialises : le royaume est catho-lique, mais les rforms obtiennent lautorisation dimplanterleurs lieux de culte dans un nombre limit de places qui leurseront garanties. Cette mesure ne fait dailleurs que reconnatrela ralit dune implantation protestante dans plusieurs zones duroyaume. Rforms et catholiques pourront galit occuper

    offices, charges et fonctions du royaume. Il existe donc l unpremier desserrement des liens entre lEtat monarchique et lareligion, desserrement jug dailleurs opportun par certains pen-seurs politiques de lpoque, Bodin entre autres.

    D/ La rvocation de lEdit de Nantes

    Mais au XVIIe sicle, une nouvelle vision politique appuye surla Contre-rforme, partage par Bossuet et par Louis XIV, enmonarque soucieux avant tout de lhomognit du royaume,aboutit la rvocation de lEdit de Nantes, en 1685. Cettelogique politique prtend refonder le royaume sur lhomogni-t de la religion du souverain et de ses sujets. La religiondevient, de ce fait, un instrument de contrle social : en effet,en rendant la religion catholique son monopole en matirede pouvoir spirituel, et en la contrlant, on contrle le royaume ;le systme de la direction des consciences et de la confession,particulier la pratique catholique, permet une diffusion plus

    homogne de la norme religieuse qui se confond alors avec lanorme morale et avec la norme politique. En tout cas, cette

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    raction va lencontre de toute la rflexion de la philoso-

    phie politique du XVIIe sicle reprsente par Hobbes, Spinoza,Locke, ou Bayle, qui fait au contraire apparatre la ncessit dupluralisme et de la tolrance. Dans les faits, les institutionssociales et politiques de la France, apparemment consolides,sont en ralit figes et bloques. Donc, partir de la rvocationde lEdit de Nantes, les liens entre la monarchie et linstitutionecclsiastique sont de nouveau resserrs, aux bnfices rciproquesdes deux institutions.

    E/ Le XVIIIe sicle

    Dans le domaine des ides, tout le travail de rflexion, dla-boration politique et juridique men par les Montesquieu,Voltaire, Rousseau, Condorcet et dautres encore, va se faire horsde ces institutions bloques, sans elles et contre elles. De nou-veaux paradigmes : limportance du travail de la raison, la notionde droit et des droits des individus, la distinction entre peupleet nation, la sparation des pouvoirs, la notion de progrs, vonttre dbattus et labors par les philosophes des Lumires et se

    rpandre en France et en Europe, sans entraner de modifica-tion dans les institutions politiques et religieuses du Royaume.A partir de 1770, lunanimit se fait sur la ncessit de les rfor-mer ; mais laccord ne se fait pas sur la nature et les modali-ts de ces rformes, si bien que toutes les tentatives chouent.

    II/ De la Rvolution 1905

    A/ La priode rvolutionnaire

    En 1789, les Etats Gnraux sont convoqus, et dun seul coup,larchasme du systme monarchique, avec la religion pour seulelgitimation, apparat de manire vidente, mme pour une par-tie des dignitaires de lEglise catholique. Du point de vue quinous intresse, la priode rvolutionnaire se caractrise par uncertain nombre dvnements, de dcisions, de lois, qui concer-nent et mlent souvent plusieurs domaines ; nous tenterons dendistinguer les consquences pour les individus, pour la nature delEtat, et pour la place dsormais dvolue aux religions.

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    1/ POUR LES INDIVIDUS :

    a) La Dclaration des Droits de lHomme affirme la libertdopinion et dexpression, mme religieuse.

    b) Un premier pluralisme religieux de fait sinstalle dansle royaume, avec la reconnaissance de la religion des Juifs,et avec le fait que les Protestants bnficiaient depuis 1787dun dit de tolrance.

    c) Enfin, un certain nombre de mesures traduisent pourtous les habitants du royaume, puis de la Rpublique, un

    rapport avec ladministration civile indpendant de touteappartenance ou rfrence religieuse. En particulier, ltatcivil tenu par les communes se substitue en 1791-92 auxregistres paroissiaux tenus par les curs, donc pour les seulscatholiques. Par voie de consquence, les faits anthropolo-giques, naissances, mariages (civils), dcs, prennent le passur les sacrements ou les crmonies religieuses qui lesaccompagnent ou les solennisent.Cest donc pour les individus, trois nouvelles acquisitions :libert de conscience et dexpression, lgitimit de la plura-lit de ces expressions, et surtout, dtermination de liden-tit et des droits de lindividu hors de la norme religieuse.

    2/ POUR LA NATURE DE L ETAT :

    a) Le fondement du pouvoir est dsormais politique etnon plus religieux ; la lgitimit du souverain, qui repo-sait sur une religion commune avec tous ses sujets, repo-

    se ds lors sur la nation.b) Ds 1789, le clerg cesse dexister en tant qu ordre ,cest--dire comme une catgorie sociale et politique quiserait dote dune spcificit et dun statut particulier.

    c) En 1791, intervient la suppression simultane des cor-porations et des congrgations1 de religieux, comme si cescorps intermdiaires, organiss les uns et les autres surdes bases religieuses qui leur assuraient cohrence et coh-

    sion, faisaient obstacle entre la nation et son souverain.

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    Le long XIXe sicle ne suffira pas effacer cette ide ne

    de la Rvolution, qui consiste naccepter que deux ins-tances dans le jeu politique, lEtat et le peuple, sans lamdiation des corps de la socit civile.En fondant la lgitimit de la monarchie sur la nation,en acceptant que le clerg disparaisse comme ordre dans la reprsentation des tats gnraux, en supprimantcorporations et congrgations, le pouvoir politique prendainsi son autonomie par rapport la religion.

    3/ QUANT AU STATUT DES RELIGIONS ET LA PLACE DE L EGLISECATHOLIQUE :

    a) Ds 1789, dans une situation de crise financire trsgrave, et dailleurs sur proposition de certains membresdu clerg, les biens ecclsiastiques deviennent biensnationaux. Ils seront vendus pour renflouer les caisses delEtat. Les membres du clerg tant ds lors privs deleurs ressources, lEtat sengage leur verser une pension.La possession de ces biens et les privilges financiers quiy taient attachs, imposaient lEglise un certain nombrede charges dans la socit de lAncien rgime, particuli-rement dans les domaines de linstruction, de la sant, delassistance. Ces charges sont dsormais transfres lEtat.Condorcet, par exemple, conoit un plan gnral dins-truction publique que les rgimes rvolutionnaires, fautede ressources, ne mettront en place que trs partiellement.Mais lide que cest lEtat, et non lEglise, dintervenir

    en ces domaines, est une ide neuve. Une obligationdEtat se substitue une fonction de charit etdassistance assure par une institution subsidiaire, lEglise.Ainsi se met en place un autre lment du processus delacisation.

    b) La mise en place en 1791 de la Constitution civile duclerg peut tre interprte soit comme une nouvelletentative de contrle de la religion par lEtat, soit commelinstauration dune religion nationale. LEglise de France

    dailleurs, est divise face cette dcision du pouvoir

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    politique : parmi les ecclsiastiques, les constitutionnels

    sy conforment, alors que les rfractaires la refusent.Une campagne de dchristianisation, la mise en place duculte de la Raison, puis du culte de lEtre suprme, sontsuivies aprs Thermidor par les deux premires lois desparation ; en effet cest dans la loi de 1795 quapparatpour la premire fois la phrase qui sera reprise dans laloi de 1905 : la Rpublique ne reconnat, ne subven-tionne ni ne salarie aucun culte .Un premier processus de lacisation sest donc mis en

    place, qui donne leur autonomie aux individus et lEtatface la religion. Dans les faits dailleurs, la dchristiani-sation est relle. Dautre part, la rfrence la Nation esten passe de remplacer toutes les autres.

    B/ Le systme des quatre cultes reconnus

    Le Concordat, ratifi par la Rpublique consulaire et le Saint-sige en 1801, inaugure un nouveau mode de relation entrelEtat et les religions. La signature du Concordat, la mise en

    place de deux synodes rforms, du Consistoire et du Sanhdrinisralites, inaugure le systme des quatre cultes reconnus etentrine le pluralisme en matire de religion. LEtat subvention-ne les religions et salarie les ministres des cultes. On peut yvoir un retour en arrire, le rgime consulaire et le rgime imp-rial sa suite se bornant rintroduire les religions instituesau sein de lEtat-nation, en leur rendant une position et desmoyens de subsistance quelles avaient perdus. Cependant, onne revient pas sur la lacisation de la socit : ltat civil est

    maintenu, le mariage civil est rendu obligatoire avant le maria-ge religieux, le divorce est possible ; le code civil simpose tout citoyen ou ressortissant ; luniversit impriale est mise enplace sans aucune rfrence religieuse. Le rtablissement descultes, leur contrle trs troit par lEtat (par exemple lesvques ne sont nomms par le Saint-sige quaprs consulta-tion du gouvernement franais, ils ne peuvent ni quitter leurdiocse ni se runir sans lautorisation de ce mme gouverne-ment) permet en fait un contrle de la socit par le biais dela religion. Des raisons politiques ont pu galement entrer en

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    ligne de compte : une volont dapaisement envers le reste de

    lEurope, ainsi que la volont de signifier dune manire forte-ment symbolique que la priode rvolutionnaire est termine. Sile Concordat peut, par la mme volont de contrler la soci-t au moyen de la religion, apparatre comme lcho de laRvocation, le contexte est donc tout diffrent. Dailleurs, leConcordat est trs mal reu par la socit politique, les gn-raux et lArme y sont violemment opposs, Bonaparte est obli-g de renouveler en partie le corps lgislatif pour obtenir laratification du texte. En fait, la France de 1801 est en voie de

    dchristianisation. Malgr quelques variations du dispositif aucours du XIXe sicle, le systme des cultes reconnus restera enplace jusquen 1905. Avec lui, lautonomie du pouvoir politiquepar rapport aux religions est confort et se maintient, y com-pris sous des rgimes politiques qui ne sont ni dmocratiquesni rpublicains.

    C/ De la loi Falloux la sparation

    Grce au Concordat, puis la Restauration, lEglise catholique,

    qui tait moribonde en 1801, connat dans la premire moitidu XIXe sicle un dveloppement impressionnant. Lexpansioncoloniale, le dveloppement concomitant des missions religieusesrenforce sa position au sein de la socit et de lEtat. Le votede la loi Falloux en 1850 sous la seconde Rpublique finissan-te, en confiant lEglise un rle de contrle sur tous les ordresdenseignement, porte cette puissance son apoge.Dans ses premires annes, le second Empire sappuie surlinfluence plutt conservatrice de lEglise, toujours dans le

    mme objectif du contrle social. Mais par ailleurs, cetteinfluence inquite, parce que, sans avoir retrouv le statut dins-titution dEtat quelle avait avant 1789, lEglise occupe de faitdans la socit franaise une place qui apparat beaucoup dis-proportionne. Avant mme la fin du second Empire, ses pr-rogatives commencent tre rognes. Par exemple, Victor Duruy,ministre de lInstruction publique des annes 1860, dmantlepatiemment les dispositions de la loi Falloux qui donnaient lEglise un contrle sur lenseignement suprieur et lenseigne-ment secondaire. Mais cest avec la naissance des gouvernements

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    rpublicains partir de 1877 que le processus de lacisation de

    la socit le mot lacit apparat pour la premire foisdans le Littr en 1877 - se met, ou se remet en place. Ainsile divorce, qui avait t supprim sous la Restauration, est rta-bli en 1884 ; des obsques civiles sont possibles, le cimetiredevient un espace civil ; entre 1881 et 1886, les lois Ferry etGoblet instituent un enseignement lmentaire public, gratuit,obligatoire, laque, dont les enseignants congrganistes sontexclus, de mme que linstruction religieuse est exclue des pro-grammes de lcole publique. La loi sur les associations est vote

    et promulgue en 1901 ; elle est extrmement favorable auxassociations civiles et laques, et trs dfavorable aux congrga-tions religieuses, qui seront interdites partir de 1904 dans len-seignement. Cest donc une reprise du processus de lacisationpar la loi.Durant toute cette priode de construction de la Rpublique,les catholiques, plutt lis aux monarchistes, et lEglise catho-lique, sont sur la dfensive. Une tentative de ralliement laRpublique, encourage partir de 1891 par le pape Lon XIII,

    connat un succs limit et suscite de la part des Rpublicainsironie ou mfiance. Mais cest lattitude de la majorit descatholiques au moment de laffaire Dreyfus, leur engagementmassif dans un antismitisme nationaliste et antirpublicain quiva contraindre lensemble des Rpublicains rflchir sur cequi les a diviss jusqualors : la ncessit ou non de la spa-ration complte des glises et de lEtat. Pendant laffaireDreyfus, si la hirarchie de lEglise catholique se tient sur larserve, la presse catholique, dirige par la congrgation des

    Assomptionnistes, se montre au contraire violemment engage,au point que certains directeurs diocsains de La Croix , quisont des ecclsiastiques, deviennent les directeurs ou les prsi-dents des ligues anti-smitiques dpartementales.Le XIXme sicle se caractrise donc, dune part par la mon-te en puissance de lEglise catholique, dautre part par unelimitation de cette puissance partir de 1860, et par la laci-sation progressive de la socit et des institutions sous la troi-sime Rpublique. Ce mouvement aboutit enfin, loccasion delaffaire Dreyfus, la dcision de la sparation.

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    III/La loi de sparation des glises et de lEtat

    A/ Les circonstances

    De 1901 1904, les rapports entre le gouvernement rpublicainet lEglise catholique se dgradent, en premier lieu avec la loisur les associations trs dfavorable aux congrgations religieuses,puis avec la loi de 1904 qui interdit les congrgationsenseignantes, et amne donc les tablissements denseignementsecondaire catholiques fermer leurs portes. A lpoque cestablissements accueillent prs de la moiti des garons, et une

    proportion plus leve encore de filles. Le conflit est aigu,public, et stend toutes les villes du territoire. En 1904, la suite dune visite du Prsident de la Rpublique au RoidItalie Rome, les relations avec le Saint-Sige sont rompues.Le Pape, rfugi depuis 1870 au Vatican, se considre en effettoujours comme le seul souverain lgitime Rome, et le garantdes congrgations qui, chappant la juridiction territoriale desvques, ne relvent que de lui.Le programme rpublicain dfini par Gambetta dans son dis-

    cours de Belleville en 1869 prvoyait expressment la sparationdes glises et de lEtat telle quelle avait dj t adopte parla Convention en 1795 ; la mise en place du systme des cultesreconnus entre 1801 et 1808 avait abouti en fait lannula-tion de cette premire sparation. Presque chaque anne par-tir de 1879 une proposition de loi sur la sparation est dpo-se la Chambre des dputs ; aucune naboutit. Quand, en1902, une commission est mise en place pour llaboration dela loi de sparation, les rpublicains sont partags.Pour les rpublicains modrs, les opportunistes , en effet, lesystme des cultes reconnus permet un contrle des religions.Dautres rpublicains, plus anticlricaux, Allard, Viviani,Clemenceau, et les ligueurs de la Ligue des Droits de lhommepar exemple, souhaitent une action forte qui limite lemprisedes religions, en fait du catholicisme, sur la socit. Combestente de concilier les deux impratifs en proposant une spara-tion qui serait articule avec une sorte de nouvelle constitutioncivile du clerg, solution qui associerait sparation et contrle.Briand, rapporteur de la loi venir, Buisson, prsident de la

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    C/ Ladministration de la loi

    Au ministre de lIntrieur, le bureau des cultes est maintenu.Si lEtat ne reconnat plus les cultes, il les connat. LEtat sim-pose de ne pas intervenir dans lorganisation interne propre chaque religion ; ainsi, lorsque lEglise catholique refuse lorga-nisation des associations cultuelles prvues par la loi, le gouver-nement se refuse saisir cette occasion de semer la divisionparmi les catholiques. Il prend des dispositions transitoires pourpermettre aux pratiques cultuelles de se poursuivre, jusqu lamise en place dune rglementation acceptable par les deux par-

    ties. De mme en 1907, aprs la mort dun gendarme au coursdune chauffoure qui survient lors de linventaire des objetsdu culte dans une glise, Clmenceau, ministre de lIntrieur etlui-mme anticlrical convaincu, prend la dcision de suspendreles inventaires. Lapplication de la loi dans la logique de la neu-tralit conduit chercher toujours le compromis dapaisementet ne jamais interfrer avec lorganisation propre chaque reli-gion. Dans le domaine de la jurisprudence aussi, la loi de 1905a toujours t une loi librale applique libralement. Par

    exemple, lorsque de nombreuses municipalits voudront inter-dire les processions, la majorit des arrts municipaux pris ence sens seront annuls par le Conseil dEtat, au motif de lalibert des cultes. Il en sera de mme pour larrt municipalinterdisant aux prtres daccompagner les dfunts au cimetireen tenue ecclsiastique.Il faut maintenant distinguer lattitude des catholiques et cellede lEglise. Le pape Pie X prononce dans une lettre encycliqueune condamnation de principe ; le clerg franais, quant lui,

    semble comprendre le dsir du gouvernement den finir avec leproblme de la liaison organique entre lEtat et les religions, etne parat pas, pour sa part, tre dispos faire des inventairesune preuve de force. Mais la majorit des catholiques prendle prtexte de lencyclique pour transformer les inventaires enun nouvel pisode de la guerre contre la Rpublique, commeelle lavait fait pour laffaire Dreyfus. Laccommodement viendraseulement en 1924, par un accord sign entre Briand alorsministre des affaires trangres et le Saint-sige, aux termesduquel le Saint-sige accepte finalement lorganisation de cul-

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    tuelles diocsaines. LEglise ayant ainsi fait un pas, lEtat en fait

    un autre en reconnaissant des associations cultuelles diocsainesqui ntaient pas lorigine prvues par la loi. Il est possiblede considrer la condamnation de lAction Franaise en 1927,mouvement politique qui prtendait fonder sur la doctrinecatholique la lgitimit de son combat anti rpublicain, commeun geste de bonne volont de lEglise catholique envers laRpublique.

    IV/ En conclusion. Les consquences de la loi

    Je voudrais enfin voquer rapidement les consquences de la loi.Revenons dabord sur les principes : libert de conscience, liber-t des cultes, autonomie de lEtat par rapport aux religions.

    1. La complte libert de conscience implique que lindividu estresponsable de ses choix, totalement et dans tous les domaines.Responsable soit dassumer ce dont il a hrit, y compris dansle domaine religieux, soit de le rvoquer, soit de faire dautreschoix.

    2. LEtat reste la source unique de la loi et du droit. Il estdonc ncessairement neutre, et doit donc sinterdire de prendreparti ou de manifester sa prfrence pour tel choix mtaphy-sique ou religieux. On est pass du combat anticlrical au dis-positif de lorganisation des limites.

    3. Loin dune simple opposition entre lespace priv et lespa-ce public, cette nouvelle configuration dlimite en fait troisespaces : lespace priv -celui des individus, des familles -, les-

    pace public et social de la socit civile, enfin lespace publicet civique de lEtat, de la loi et du droit. Si la religion estexclue du troisime espace, elle a toute sa place dans la soci-t civile, comme lensemble des autres corps intermdiairesreconnus par la Rpublique : syndicats, partis, associations,organisations professionnelles quelles quelles soient, organisa-tions culturelles. Les associations religieuses deviennent doncdes organisations de droit priv.

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    4. Cest un dispositif libral ouvert, avec prise de risque. En

    effet, les religions tant libres, on renonce les contrler, et contrler par elles la socit. Bien plus, cette loi exclut quilsoit possible lavenir, en sappuyant sur le texte de la loi ousur sa jurisprudence, de mener un combat anticlrical ouantireligieux, ou prtendre dire ce qui est religieux et ce qui nelest pas.

    Pour conclure, lEtat estil tenu une position de modestieen matire de sens, en matire dthique, ou bien existe-t-il des

    universaux immanents qui simposent tous, hors de touterfrence mtaphysique ou religieuse ? Cest un dbat. La loisapplique encore aujourdhui. La lacit, laquelle la loi ne faitaucune rfrence explicite, est devenue constitutionnelle en 1946et en 1958. De cette conjonction, peut-on tirer toutes lesrponses et les dispositions prendre vis--vis de cultes nonpratiqus sur le territoire de la Rpublique en 1905 ?La question est pose.

    Alain BondeelleResponsable du groupe Lacit de la Ligue des Droits de lHomme,Prsident de la Ligue de l'Enseignement (fdration de l'Oise), Prsident del'A.R.E.L.C. (Association Religions Lacit Citoyennet)."Pour bien comprendre la lacit aujourd'hui" in Incroyance et Foi, automne 2004.

    NOTES :

    1/ Les congrgations sont des ordres religieux dhommes et de femmes quisuivent une rgle, prononcent des vux, et par consquent renoncent certains de leurs droits individuels.

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    LE RENOUVEAU DE LA QUESTION LAQUE ET LES

    PRINCIPAUX COURANTS LAQUES AUJOURDHUI

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    L'intensit du dbat sur le voile est venu rappeler que la ques-tion de la lacit conserve en France une vivacit toute particu-lire. Mais les passions suscites par ce dbat, les outrances etles crispations qui se sont manifestes alors viennent aussi du

    fait que plusieurs questions qui avaient au cours des dix ouvingt ans prcdents suscit d'pres polmiques se sont retrou-ves investies ici au point que des positions brandies au nomde la lacit ont en ralit peu voir avec elle, et beaucoupavec ces autres dbats. Quest-ce que ce dbat sur la lacit estvenu raviver ou mettre en scne ?

    La question de la lacit a t en France laffrontement entrelEglise catholique et la Rpublique. Cet affrontement a connu

    avec le vote de la loi de Sparation, en 1905, un de ses pi-sodes majeurs, ainsi que son aboutissement, au moins sur leplan juridique. Mais dans les profondeurs de la socit, dans lapolitique, il se poursuit de manire vive travers toute la pre-mire moiti du XXe sicle. Pour que cet affrontement secalme, il faudra notamment lengagement patriotique de laRpublique, couronn par la victoire, lors de la Premire guerremondiale, et le compagnonnage des catholiques et des non-catholiques dans la Rsistance pendant la Seconde guerre mon-diale. Au cours de la seconde moiti du XXe sicle, la tensionautour de la question de la lacit va sapaiser et relativementdisparatre. Pour lessentiel, les catholiques non seulement vontse rallier la Rpublique, mais, au fond, au pluralisme de lor-ganisation de la socit rpublicaine, se fondre dans le paysage,intgrer des comportements de pluralisme politique, notammentavec, progressivement, une dispersion du vote catholique entrela gauche et la droite. De son ct, le camp laque et rpubli-cain, va tre aux prises avec un certain nombre de difficults,ou de contradictions internes, tenant notamment la dcoloni-

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    sation, mais surtout lclatement du cadre rpublicain de rf-

    rence pendant la guerre dAlgrie.Dans la priode qui va de la Libration jusquau dbut desannes 80, la question de la lacit va progressivement devenirune question historique, une question ancienne, une questionqui ne fait plus clivage, qui ne fait plus dbat : on na pasnormment, dans ce contexte et dans cette priode, de contri-butions sur la lacit, douvrages ou de parutions, voire quasi-ment aucun, et dailleurs, ce relatif effacement de la questionde la lacit va de pair avec un relatif effacement dautres

    notions, dautres questions comme celle de Rpublique ou decitoyennet. En revanche, ces questions seffacent au profitdune question, elle, omniprsente, la question conomique etsociale. Tout est conomique et social. Et les problmes, les cli-vages, les discussions tournent autour de cette question cono-mique et sociale, dans une France qui est emporte par cemouvement de modernisation, de croissance conomique, avecun enjeu central qui est celui des ingalits sociales, du partagedes richesses, du partage des revenus. La question de la lacit

    revient - et avec elle les questions de la rpublique, de lacitoyennet - partir du moment o se dfait la dynamique quiavait t celle de la priode des 30 Glorieuses.Certes, les braises pouvaient sembler couver sous la cendre : onsonge immdiatement aux deux moments qui ont raviv l'affron-tement sculaire entre l'cole publique et l'cole prive, en 1983-1984 et en 1993, qui ont t les deux grands mouvementssociaux majeurs des vingt dernires annes. Dans le premier cas,il sagissait des prrogatives de lenseignement priv catholique,

    et dans le second, de celles de lcole publique. Mais ce pour-rait bien tre l une fausse piste. Ces deux mobilisations n'ontpas t accompagnes de dbats ou de propositions thoriquesportant sur la question de la lacit. Il ny a pas eu un affron-tement idologique autour de la lacit, ce fut un affrontementautour de l'cole. En effet, dans les deux cas, la question defond de la lacit n'a gure t voque et il s'est davantage agide l'enjeu social de l'cole : possibilit d'un recours dans le pre-mier cas, maintien du service public dans le second, voil lesthmes qui ont mobilis des "consommateurs d'cole", davantage

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    que des partisans ou des adversaires de la lacit. Tous les

    observateurs se sont accords dire que l'enjeu social fonda-mental de cet affrontement tait la question de l'organisationdes parcours au sein de l'institution scolaire, de la question dela russite scolaire, la question de l'galit des chances, la ques-tion des modalits de l'unification du systme scolaire, beaucoupplus que la question du partage entre catholiques et rpubli-cains autour de la lacit, mme si la rhtorique dans laquellecela a pu se dire parfois pouvait tre celle-ci.En revanche, le renouveau du dbat sur la lacit a davantage

    voir avec la rsurgence d'autres thmatiques politiques, commecelle de la Rpublique ou celle de la citoyennet, toutes deux,comme la lacit, remarquablement absentes des dbats desannes 50, 60 et 70. C'est que la question laque est venueconjoindre trois crises : une crise culturelle, une crise sociale etune crise politique.

    Au confluent de trois crises

    La crise culturelle tout d'abord, lie l'essor du diffrentialismeet de la revendication d'autonomie de l'individu. L'une des pos-trits les plus indiscutables de mai 68 fut de venir contester lecadre culturel de rfrence de l'appartenance nationale et rpu-blicaine. Tous les traits culturels porteurs d'une significationidentitaire ont alors t valoriss, tandis que l'on reprochait laculture dominante d'avoir voulu les radiquer. On souligne lapertinence sociale, et ventuellement politique, d'un certainnombre de diffrences culturelles qu'on jugeait auparavant

    comme tant des piphnomnes individuels sans signification,ou bien des singularits qui devaient tre rduites pour pouvoirparler politiquement, pour pouvoir aborder l'espace public. C'estainsi que les diffrences sociales, rgionales, ethniques, de genreou encore lies aux prfrences sexuelles ont t, tour tourou simultanment, valorises, chacune d'entre elles manifestantune singularit prcieuse conserver et une accroche possiblepour la revendication individualiste. Ces diffrences sont mul-tiples et on s'aperoit que n'importe quel clivage peut tre, unmoment donn, investi d'une valeur diffrentielle. Les diffrences

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    linguistiques, avec en particulier la rsurrection des langues

    rgionales, seront un des thmes forts du dbut des annes1970, tout comme les diffrences mmorielles : on va commen-cer valoriser ce qu'il peut y avoir de spcifique dans unemmoire paysanne, dans une mmoire ouvrire, dans desmmoires sociales, situes, en jouant ces mmoires singulirescontre la mmoire nationale englobante. Plus tard, la dimensionlinguistique et mmorielle slargira aux cultures issues desimmigrations, allant jusqu englober la diffrence ethniquecomme pouvant tre investie d'un certain nombre de significa-

    tions. Enfin, c'est aussi le dbut des revendications des diff-rences axes sur les prfrences sexuelles, et notamment, ledbut des mouvements homosexuels et de la prsence publique,de la signification publique de l'homosexualit.Ce diffrentialisme se fonde sur une revendication de l'autono-mie de l'individu. Il va particulirement saffirmer dans le dbatpdagogique. Pour caricaturer un peu le dbat : la pdagogieest-elle essentiellement le moyen de faire apprendre un lveindiffrenci, socialement, ethniquement, culturellement, sexuelle-

    ment, des contenus de savoir unifis et universels ? Ou bien aucontraire, est-elle le moyen d'accompagner un individu singulier,socialement, ethniquement, culturellement, sexuellement, et his-toriquement situ, vers sa propre autonomie et vers sa proprematurit ? Ce dbat, partir de 1968, va partager trs profon-dment les pdagogues et au-del la socit. La querelle pdago-gique connatra son apoge au milieu des annes 1980, lorsqueles avances du diffrentialisme pdagogique vont commencer,sous l'influence d'Alain Savary, atteindre l'organisation interne

    de l'institution scolaire, tandis que d'un autre ct, une ractionbrutale contre ce diffrentialisme pdagogique va se traduire parla publication de nombre de pamphlets ou de libells, dont leplus clbre et le plus systmatique est sans doute le livre deJean-Claude Milner, De l'cole. Au-del dune condamnation sansappel du diffrentialisme pdagogique, mme sous ses formes lesplus modestes, il y raffirme la valeur universelle de l'cole, lavaleur universelle des savoirs, la valeur universelle d'unedmarche pdagogique qui ne doit pas tre diffrencie et quine doit pas faire acception de qui elle a en face d'elle, mais qui

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    est uniquement centre sur les contenus de connaissances. Cette

    thmatique va rapparatre trs fortement ensuite dans le dbatsur la lacit.La question du diffrentialisme sera aussi luvre dans ledbat sur l'anti-racisme. On peut en effet dvelopper deux stra-tgies anti-racistes. Une stratgie diffrentialiste, qui formuleradailleurs la notion de droit la diffrence : nous pouvonscoexister dans la mme socit parce que nous sommes diff-rents et quoi que nous soyons diffrents ; on met alors l'accentsur la valorisation des diffrences. Et une contre-argumentation

    selon laquelle le droit la diffrence enferme chaque individudans sa diffrence singulire, dans sa diffrence culturelle, oudans sa diffrence ethnique, et qui souligne la ncessit demettre l'accent sur ce qui transcende nos diffrences, c'est--diresur notre appartenance commune l'humanit. Nous nous res-semblons bien au-del de toutes les diffrences qui peuventexister entre nous, mme si cela revient rvrer en nous un tre homme passablement abstrait. Pierre-Andr Taguieff aconsacr en 1986 un livre, La Force du prjug, une analyse des

    diffrentes stratgies anti-racistes et des contradictions danslaquelle chacune d'entre elles peut tre amene s'enfermer, olon sent dj poindre une prfrence pour la stratgie universa-liste, et une critique de la stratgie diffrentialiste, que les vo-lutions ultrieures de Taguieff, viendront radicaliser. Commentconstruit-on l'humanit de lhomme ? La construit-on sur labase d'une rfrence universelle qui nous rassemble tous oubien sur la base du dialogue entre nos spcificits et nos diff-rences ? Bien entendu, cette manire de poser le dbat est un

    peu caricaturale. Mais cette alternative demeure, mme si loncherche en rduire les asprits.Enfin, en troisime lieu, c'est sans doute au sein du mouve-ment fministe que la revendication diffrentialiste a t pousse son plus haut point, suscitant une fracture entre fminismeuniversaliste et fminisme diffrentialiste. Le fminisme universa-liste consistant dire que la femme est un homme comme lesautres, c'est--dire qu'il n'y a aucune diffrence acceptable entreles femmes et les hommes, ni en termes d'emploi, ni en termesde statut, ou mme de destin. Au contraire, le fminisme

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    diffrentialiste met l'accent sur le fait que les femmes sont

    profondment diffrentes des hommes, mergence que consa-crera le livre dAnnie Leclerc, Parole de femme, paru en 1974.D'un ct, on cultive un idal d'indistinction et d'indiffrencia-tion entre les femmes et les hommes, d'un autre ct, se dve-loppent soit des mouvements de scession, qui radicalisent cettediffrentialisation, notamment le mouvement lesbien ; soit desmouvements mettant l'accent sur la question de la mixit, c'est--dire sur une question trs diffrente de l'indiffrenciation oude l'indistinction. Et l encore, ces deux sensibilits vont vi-

    demment rmerger dans le dbat sur le voile avec une doubleorientation extrmement forte.

    La seconde crise est une crise sociale, qui a vu s'estomper l'af-frontement social classique, en termes de classes sociales, tandisque montait la question de l'exclusion sociale. Ds lors, la ques-tion centrale devenait non plus celle de la juste rtribution dutravail, mais celle de l'appartenance la communaut nationale,comme fondement de droits sociaux. Tandis que le socialisme

    peinait retrouver une nouvelle vigueur, le dbat se focalisaitsur limmigration et sur l'intgration, avec en toile de fond lasuspicion envers le degr d'intgration des immigrs ou enfantsd'immigrs issus de la colonisation.

    Cette crise sociale vient poser une question majeure : que fai-sons-nous ensemble ? Pourquoi sommes-nous ensemble dans unemme socit ? Elle se dveloppe sur fond de fragilisation de cequi tait l'oprateur d'intgration sociale majeur de la priode

    prcdente, savoir le travail, qui se trouve atteint par la mon-te du chmage, mais aussi par les transformations internes auxrelations de travail et d'une faon gnrale, lindividualisation dela relation au travail : depuis lvolution du contrat de travail,affect par l'externalisation de contrats salariaux vers descontrats de sous-traitance dans de nombreux secteurs d'activitsconomiques, jusqu celle des postes de travail. On assiste un dtricotage du collectif de travail et de la capacit qu'ale travail de faire lien. Le passage dune socit dintgrationconflictuelle, pyramidale, une socit qui a plutt l'allure d'un

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    caine en France viendra rappeler ce que fut cette conception et

    relancer la thmatique rpublicaine, en montrant comment elletait mme de proposer un contenu doctrinal qui permettaitde faire le lien entre l'individu et le collectif.Dans la priode prcdente l'quation Rpublique/Etat/Souverainetallait de soi et ne pouvait pas tre mise en cause.Elle n'avait jamais t autant de soi qu' la priode du gaul-lisme triomphant, o, la France tant libre de son empire colo-nial, il y avait une espce d'adquation complte entre cesnotions et l'Hexagone, sur le plan territorial, part quelques

    excroissances outre-mer. A partir du moment o se trouventmises en cause les frontires de la souverainet, on va avoir unsecond dlitement de la question nationale, qui s'articule aupremier. Et dans ce contexte de monte de la question natio-nale, on va assister l'effondrement des capacits de rponsedu vocabulaire politique classique qu'taient en gros le gaullismeet le socialisme. En revanche, on va voir monter en puissanceles thmatiques lies la Rpublique, et bien entendu, au pre-mier rang dentre elles, la lacit. Il sagit dune quasi-rsurrec-

    tion : on ne trouvait le mot de Rpublique dans aucun textepolitique la fin des annes 1970, tandis qu partir de 1988-89, on n'entendra plus que cela.

    Il nest donc pas tonnant que sous limpact de ces trois crises,crise culturelle, crise sociale, crise politique, la notion de lacitait t revisite, finalement relativement tt, puisque les pre-mires grandes r-laborations de la question de la lacitremontent la deuxime moiti des annes 80, notamment

    dans le cadre de la Ligue de lenseignement. Cest partir dece moment quon va revisiter lhritage thorique de la lacit,branl par la question du diffrentialisme culturel, par la ques-tion de lexclusion sociale, par la question de la multi ou pluri-souverainet lie la construction europenne, et par laquestion de la critique du totalitarisme. Et, dans ce contexte,paradoxalement, la question de lislam nest pas prsente. Cenest pas dabord lislam quon rencontre quand on r-labore laquestion de la lacit. Toutefois, on va trs vite se rendre compteque la question de lislam va croiser la question culturelle, la

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    question de la crise sociale, la question de la crise politique et de

    la souverainet, avec les soupons de multi-appartenance, ou dedouble allgeance ports lencontre des musulmans. Elle vacroiser enfin la question de la critique du totalitarisme, avec lesoupon port sur lislam dtre une religion de sens, de nature,ou de tradition quasi-totalitaire ou para-totalitaire. Bref, onsaperoit que tous les ingrdients sont runis pour une cristal-lisation de ces dbats autour de la question de lislam, et doncpour rorienter la rflexion sur la lacit partir de la consid-ration prioritaire de lislam.

    Pourquoi les musulmans ?

    Bien entendu, lislam ntait pas concern par les dbats sur lalacit de la fin du XIXme sicle et du dbut du XXmesicle, et que donc notre conception de la lacit navait pas eu connatre de lislam, tandis que celui-ci navait pas tconfront lmergence dun Etat lac. Il tait ds lors invi-table que leur rencontre produise quelques incomprhensions et

    quelques frictions (sans compter des problmes pratiques,comme celui des lieux de culte, videmment non prvus par lelgislateur de 1905).

    Mais ce nest l quune partie de la rponse : car la vrit estque la France coloniale connaissait bien lislam, et que lAlgrie,compose de dpartements franais, tait un pays majoritaire-ment musulman. Il faut donc corriger la proposition prcdenteet dire que lislam a t volontairement exclu de la rflexion

    laque et du cadre institutionnel de la lacit. Or cette exclusionnest pas circonstancielle : les Franais musulmans dalorstaient les indignes exclus de la citoyennet. Devenir citoyenfranais voulait dire abjurer la religion musulmane. De plus,lislam et les confrries furent utiliss comme moyen de la ges-tion coloniale des populations et explicitement opposs aunationalisme naissant (qui de son ct tenta lui aussi dinstru-mentaliser lislam). Quand vient le temps de la confrontation,avec la guerre dAlgrie, le musulman cesse dtre seulement lenon-citoyen pour prendre le visage de lennemi et de la menace,

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    avec le choix fait par le FLN dune stratgie dattentats terro-

    ristes aveugles. Lorsque partir des annes 1990, les enfants oupetits-enfants des coloniss font valoir leur volont dtreFranais musulmans, ils viennent rveiller une vieille histoire.

    Nous et eux

    Aussi faut-il lire les dbats sur la lacit et le voile commemobilisant non seulement des principes et des ides, mais aussides reprsentations plus ou moins confuses issues de ce pass

    trouble. Dans un premier temps, cest limmigr qui fera lesfrais de cette stigmatisation, puis ces jeunes issus de limmigra-tion qui sont lorigine, depuis le dbut des annes 1980,dune violence sociale dun genre nouveau : les meutesurbaines. Depuis, le soupon et la stigmatisation seront leurlot, sur fond de racisme ordinaire et dun discours politico-mdiatique qui les prsente comme le nouveau pril quimenace notre pays. Ce discours est bien entendu tenu par lex-trme-droite en permanence, mais loccasion la droite et

    mme la gauche ne ddaignent pas de lentonner. Il fournit sur-tout laccompagnement rythmique de tous les discours et detoutes les mesures sur la dlinquance, de lappel la peur, pourvenir en effet cristalliser toutes les peurs dune socit franaiseincertaine et vieillissante. Cette peur se focalise dailleurs, enretrouvant l encore un imaginaire trouble venu du pass colo-nial, sur la figure du garon arabe, condens de menaces dif-fuses (cf. Eric Mac et Nacira Gunif-Souilamas, Les fministes et le

    garon arabe, LAube, 2004). Ce discours a comme contre-partie

    le discours et les mesures de lintgration, un peu dcals toute-fois, puisque les ressorts sociaux de lintgration sont en panne,et que jamais on na eu affaire une immigration aussiintgre : francophone et francophile, accoutume laFrance depuis des gnrations.

    En parallle, la monte dun islamisme politique conqurantdabord, en Iran et en Afghanistan, qui essaime bientt vers leMoyen-Orient et le Maghreb, avant de choisir la fuite en avantterroriste aprs son chec politique vient sceller durablement les

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    Pour ceux-ci, ce dbat a fourni l'occasion de revisiter les textes

    qui dfinissent la lacit, et de revenir cette dfinition. La la-cit y apparat fondamentalement comme une disposition juri-dique, destine assurer l'indpendance de l'Etat par rapport aureligieux et assurer la libert religieuse. Les matres mots de lalacit sont sparation, coexistence, neutralit. La lacit est ainsiune libert publique, qui se dfinit par une sorte d "agnosticismeinstitutionnel" (Paul Ricoeur). Au-del de cette stricte dfini-tion, l'enjeu est celui de la conception d'une socit civilelaque comme espace de confrontation rgle. Comment grer le

    pluralisme des convictions et des croyances dans une mmesocit ? La solution laque revient formuler la rponse entermes de pluralisme, de libert et de neutralit de l'Etat.L'essentialisme laque, lui, veut aller plus loin et proposer uncadre unitaire d'intgration des individus, qui laisse peu deplace au pluralisme. Au regard d'une analyse dans ces termes etdans cette nature, le modle franais, cest un libralisme com-munautaire. On est libraux, cest--dire formalistes, individua-listes, universalistes lgard de tout ce qui pourrait tre des

    communauts sur le sol national, de ce qui pourrait faire refairedu communautarisme. Il ny a que lindividu qui compte, onmet laccent sur les liberts individuelles, mais cest un libra-lisme communautaire, puisquau niveau national, en revanche,on refait communaut au niveau rpublicain, et la rpubliqueest la communaut de rfrence, dune certaine manire. Do,dailleurs, le double registre dargumentation que lon voitmobilis en permanence dans ces dbats, une argumentationsur les liberts individuelles, une argumentation sur les valeurs

    collectives.

    Ce qui menace aujourdhui la lacit, cest tantt latteinte auxliberts individuelles, tantt latteinte aux valeurs collectives,avec parfois une rhtorique qui consiste passer de lun lautre sans que le lien soit tabli. Dans ces perspectives, la la-cit franaise a quelque chose dune chauve-souris. Je vous rap-pelle la phrase de La Fontaine : Je suis oiseau, voyez mes ailes, jesuis souris, vive les rats !

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    Paradoxalement, alors mme que lessentialisme laque ne cesse

    de dnoncer les drives du communautarisme, il verse dans cequ'on pourrait appeler un communautarisme national-rpublicain.La cause laque mrite dtre dfendue et soutenue, mais sansdoute pas au prix de tels malentendus ou de tels amalgames. Etil serait bon que les vritables lacs ne sen tiennent pas seule-ment aux noncs, mais fassent aussi un peu attention auxconditions dnonciation (et de rception) de leurs discours, ceque faisaient dj les grands anctres. Il est vrai quils avaientclairement identifi lennemi : lobscurantisme. A lheure du

    triomphe des marques, de la tl-ralit, des jeux de hasard, desmenaces virtuelles, de lhoroscope et des extra-terrestres, il fauttre atteint dune certaine myopie ou dun certain strabismepour ne voir que des foulards.

    Jol Roman

    Agrg de philosophie, directeur de la collection Pluriel chez Hachette.Collaborateur de la revue Esprit et de la Ligue de lEnseignement.Chronique des ides contemporaines (en collaboration avec Valrie Marange, chezBral, 1995, rdition en 2000)La dmocratie des individus (Calmann-Levy,1998)Introduction, choix des textes et participation la traduction de Michael

    Walzer, Pluralisme et dmocratie (Editions Esprit, 1997)Contribution au Dictionnaire des intellectuels franais, sous la direction de Jacques

    Julliard et Michel Winock (Le Seuil, 1996)Le barbare et l'colier, en collaboration avec Jean-Claude Pompagnac et Laurence

    Cornu (Calmann-Lvy, 1990)

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    LA LOI DE 1905

    par Alain Boyer

    Au milieu dun dbat souvent irrationnel, un retour au texte de la loi de 1905savre ncessaire, afin de connatre ses contours, son volution et ses limites.Pour mettre fin aux ingalits de fait entre les diffrents cultes, il faut privil-

    gier une interprtation librale de la loi, dans lesprit des premiers lgislateurs,

    en particulier Aristide Briand et Jean Jaurs.

    Nous vivons une priode de monte des intolrances, de pres-sion mdiatique, dhystrie propos du voile, dhypocrisieautour du religieusement et du politiquement correct et de lin-tolrable. Dans nos contradictions, nous sommes souventproches, sur ces thmes, de la casuistique ! Il est urgent derevenir aux grands principes et aux textes fondateurs, comme laloi de 1905, non pour les sacraliser, mais pour les interroger,

    pour aussi se laisser interpeller par eux, dans notre pratiquequotidienne et dans notre situation actuelle.

    La crainte de nouvelles polmiques ou de drapages incontrlsa amen les pouvoirs publics refuser dorganiser, suffisam-ment lavance et avec lclat qui convenait, la commmorationdu centenaire de la loi de 1905. Seuls des contacts ont t prisavec lAcadmie des Sciences Morales et Politiques, M. JeanCluzel, son secrtaire perptuel et M. Andr Damien, membre

    de lInstitut, pour leur confier la responsabilit dune comm-moration scientifique, mais sans risque de polmiques, doncaseptise. Le Prsident de la Rpublique a confi M. BernardStasi, en juillet 2003, la prsidence dune commission derflexion sur lapplication du principe de lacit dans laRpublique. Or que constate-t-on ? Cette commission a travaillsous la contrainte mdiatique, elle a t coiffe par une com-mission parlementaire (la commission Jean-Louis Debr), et ellesest vu imposer la conclusion de ses travaux par des fuites bien

    orchestres. Elle servira sans doute dalibi pour justifier a posteriori

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    La loi de 1905

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    mique, quil y ait loi ou non ? Il est craindre que ce ne

    soient des forces hostiles aux valeurs de libert et dgalit quifondent notre Rpublique. Quant la fraternit, elle en a prisun srieux coup.

    Il convient donc de revisiter la loi telle quelle tait en 1905,mais surtout telle quelle sest constamment adapte avec prag-matisme des situations changeantes. Elle a, en effet, t modi-fie (neuf fois depuis 1905). Le Conseil dEtat la interprte.Les Accords Briand-Cerretti de 1923-1924 ont permis de

    mettre en place les associations diocsaines. La Constitution etla Convention europenne de sauvegarde des droits de lhom-me de 1950 ratifie en 1973 lont approfondie et ont tenduson champ dapplication. De nombreuses dispositions lgislativesnon intgres la loi initiale lont complte (en particulier surle rgime de scurit sociale spcifique des ministres du culteissu de la loi de 1978, alors que la loi de 1905 avait prvulextinction dfinitive de leurs droits pension (article 11).

    La loi, ce quelle tait et ce quelle est devenueLa loi nonce des principes qui ont gard toute leur vitalit,mais une grande partie de ses articles visait rsoudre dabordles problmes pratiques de lpoque et rgler le transfert desbiens des tablissements publics des cultes aux associations cul-tuelles. Son application a t limite dans lespace. Elle ne pou-vait non plus prvoir toutes les volutions de la socit franai-se. Il existe aussi bien des malentendus sur le caractre privou public des religions et des cultes, qui nont pas t par lasuite traits de faon gale dans la pratique.

    Les deux premiers articles de la loi ont pos les grands prin-cipes. Larticle 1 est un article de libert : La Rpublique assu-re la libert de conscience. Elle garantit le libre exercice descultes sous les seules restrictions dictes ci-aprs dans lintrtde lordre public. Larticle 2 fonde la sparation : LaRpublique ne reconnat, ne salarie ni ne subventionne aucunculte. En consquence, partir du 1er janvier qui suivra la pro-

    mulgation de la prsente loi, seront supprimes des budgets de

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    Islam & Lacit

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    lEtat, des dpartements et des communes, toutes dpenses rela-

    tives lexercice des cultes. Mais ces deux articles se combi-nent avec lobligation pour lEtat dorganiser des aumneriesdans les services publics (prisons, hpitaux, internats et arme)pour prserver la libert du culte et donc dentretenir des agents publics du culte .

    Pour mettre un terme la situation antrieure des cultes recon-nus par lEtat, la loi comporte de nombreux articles qui nontplus aujourdhui de porte juridique et qui sont devenus obso-ltes : sur le transfert des biens, sur les ministres du culte

    qui nont plus dsormais de statut public (mais qui nont pasde vrai statut priv). On voquera leur inligibilit, pendant huitans aprs promulgation de la loi (article 40), les condamnationsspciales si on constate la clbration dun mariage religieux sansmariage civil pralable, sil y a abus de position dominante, avecdes droits particuliers (secret de la confession), avec des inter-dictions daccs la fonction publique enseignante et mmedentre dans les coles primaires publiques. Tout ceci est rgldepuis longtemps.

    Un titre entier de la loi est consacr la police des cultes. Leclerg affectataire est responsable de la police lintrieur deldifice du culte, mme si cet difice est proprit de lEtat oudune commune, et cela jusque sur le parvis de ldifice.

    Cependant, la loi de 1905 est loin dpuiser notre lacitpublique comme vient de nous le rappeler fort opportunmentEmile Poulat. En effet, elle ne concerne que les relations Eglises-

    Etat, en sparant juridiquement des institutions qui taient jus-quici extrmement mles, et elle ne traite que des aspects cul-tuels. Bien dautres aspects fondamentaux ne sont pas abords :le Code Civil, la lacit des espaces publics, la non-discrimina-tion ; dautres ne sont que brivement rappels, en particulierla lacit de lcole (publique), : en prcisant que lenseignementreligieux ne peut tre donn aux enfants gs de six treize ans, inscritsdans les coles publiques quen dehors des heures de classe (article 30).

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    La loi de 1905

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    Les congrgations relvent du titre III de la loi de 1901. Celle-

    ci avait t considre alors par lEglise catholique comme uneloi liberticide puisque ltat se rservait le droit dautoriserou non une congrgation et crait mme un dlit de congrga-tion non autorise. De plus la loi de 1904, a interdit touteactivit denseignement congrganiste ce qui a entran legrand exil des congrganistes . Or la suite de lacte dit loide Vichy de 1942, introduit la Libration dans la lgalit rpu-blicaine, la reconnaissance lgale par dcret en Conseil dEtat,est devenue possible et la pratique sen est rpandue depuis

    1970. Les congrgations comme les Jsuites, les Carmlites, maisaussi des congrgations orthodoxes, bouddhistes, protestantes,hindouistes sont aujourdhui reconnues, avec les nombreux avan-tages attachs ce statut qui se rapproche du rgime des fon-dations, le contrle de ladministration y tant bien allg.

    La loi devait stendre tous les territoires, y compri