LES ENJEUX DE LA LAICITE...

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1 LES ENJEUX DE LA LAICITE AUJOURD’HUI Jean-Louis AUDUC Nous vivons la confusion des espaces et des crises multiples Refuser la confusion des espaces : espace des services publics ; espace public de partage ; espace privé Le contrat social français repose sur la séparation du privé, de l’intime et de l’espace public. L’espace privé, c’est le lieu où la famille peut développer ses traditions, c’est son espace singulier, particulier, où elle peut éduquer comme elle le souhaite ses enfants et où, sauf atteinte physique entre personnes, personne n’a à regarder par « le trou de la serrure »…. La confusion « espace public » , « espace privé » conduit aujourd’hui des familles à vouloir que leurs convictions particulières totalement légitimes dans l’espace privé, soient développées dans « l’espace public » à la place des contenus définis nationalement. Nous l’avons notamment connu avec « les journées de retrait de l’Ecole ». Mais, cette réaction vient aussi du fait qu’un certain nombre de déclarations ou de textes réglementaires concernant notamment les boissons, la nourriture, la santé,etc… semble être vécu comme des intrusions du public dans l’espace privé. L’espace public qu’est un établissement scolaire, c’est le lieu du bien commun, de l’intérêt général qui n’est pas la somme des intérêts particuliers, d’une éducation à ce que signifie la République et ses valeurs. L’intérêt général, il s’exprime dans l’école à travers les programmes que la nation définit pour tous les jeunes, qui s’appliquent dans tous les établissements publics comme privés, ce que la Charte de la laïcité appelle « la culture commune et partagée ». Les programmes ne sont pas la somme des interventions de différents lobbys, mais ce que la nation, à un moment, juge utile de transmettre à tous. Les programmes présentent aux élèves des SAVOIRS légitimés et non des croyances ou des opinions Le développement d’un individualisme forcené conduit souvent à une reconnaissance difficile de l’altérité, du sentiment collectif. La triple crise de société : crise de sens, crise d’identités, crise d’utilité - Crise de sens : Lorsqu’on regarde la situation, la société est dans l’incapacité de définir quelles valeurs, quels principes, quels enjeux valent la peine d’être transmis aux générations futures…. Ce vide de sens facilite de fait tous les « lavages de cerveau »…… Cette crise est d’autant plus grave qu’elle se produit dans une situation où aucun parent n’est assuré que son enfant vive mieux qu’eux, ce qui implique une angoisse vis-à-vis de l’avenir et un sentiment que les valeurs affirmées par la République ne s’appliquent pas à tout le monde. - Crise d’identité : Beaucoup de familles, et d’ailleurs pas seulement celles ayant immigré il y a une deux ou trois générations, sont en situation de se dire : « Je ne sais pas comment me situer. Je ne sais pas toujours exactement d’où je viens ou je le fantasme….Je ne sais pas où je vais….. » . Beaucoup se vivent sans racines, ni d’ici, ni d’ailleurs. Si j’osais une comparaison, ils ressemblent à ces tomates hollandaises, sans goût, cultivés hors tout sol.

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LES ENJEUX DE LA LAICITE AUJOURD’HUI Jean-Louis AUDUC

Nous vivons la confusion des espaces et des crises multiples

Refuser la confusion des espaces : espace des services publics ; espace public de

partage ; espace privé

Le contrat social français repose sur la séparation du privé, de l’intime et de l’espace public.

L’espace privé, c’est le lieu où la famille peut développer ses traditions, c’est son espace

singulier, particulier, où elle peut éduquer comme elle le souhaite ses enfants et où, sauf

atteinte physique entre personnes, personne n’a à regarder par « le trou de la serrure »….

La confusion « espace public » , « espace privé » conduit aujourd’hui des familles à vouloir

que leurs convictions particulières totalement légitimes dans l’espace privé, soient

développées dans « l’espace public » à la place des contenus définis nationalement.

Nous l’avons notamment connu avec « les journées de retrait de l’Ecole ».

Mais, cette réaction vient aussi du fait qu’un certain nombre de déclarations ou de textes

réglementaires concernant notamment les boissons, la nourriture, la santé,etc… semble être

vécu comme des intrusions du public dans l’espace privé.

L’espace public qu’est un établissement scolaire, c’est le lieu du bien commun, de l’intérêt

général qui n’est pas la somme des intérêts particuliers, d’une éducation à ce que signifie

la République et ses valeurs. L’intérêt général, il s’exprime dans l’école à travers les

programmes que la nation définit pour tous les jeunes, qui s’appliquent dans tous les

établissements publics comme privés, ce que la Charte de la laïcité appelle « la culture

commune et partagée ». Les programmes ne sont pas la somme des interventions de

différents lobbys, mais ce que la nation, à un moment, juge utile de transmettre à tous.

Les programmes présentent aux élèves des SAVOIRS légitimés et non des croyances ou des

opinions

Le développement d’un individualisme forcené conduit souvent à une reconnaissance

difficile de l’altérité, du sentiment collectif.

La triple crise de société : crise de sens, crise d’identités, crise d’utilité

- Crise de sens : Lorsqu’on regarde la situation, la société est dans l’incapacité de

définir quelles valeurs, quels principes, quels enjeux valent la peine d’être transmis aux

générations futures…. Ce vide de sens facilite de fait tous les « lavages de cerveau »……

Cette crise est d’autant plus grave qu’elle se produit dans une situation où aucun parent

n’est assuré que son enfant vive mieux qu’eux, ce qui implique une angoisse vis-à-vis de

l’avenir et un sentiment que les valeurs affirmées par la République ne s’appliquent pas à

tout le monde.

- Crise d’identité : Beaucoup de familles, et d’ailleurs pas seulement celles ayant

immigré il y a une deux ou trois générations, sont en situation de se dire : « Je ne sais pas

comment me situer. Je ne sais pas toujours exactement d’où je viens ou je le

fantasme….Je ne sais pas où je vais….. » . Beaucoup se vivent sans racines, ni d’ici, ni

d’ailleurs. Si j’osais une comparaison, ils ressemblent à ces tomates hollandaises, sans

goût, cultivés hors tout sol.

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- Crise d’utilité : Vivre pleinement sa vie, c’est se sentir utile pour se sentir maître de

son destin. De trop nombreuses familles et de nombreux jeunes se sentent inutiles,sans

prise sur leur quotidien…..

Le développement de la situation présente montre la nécessité d’agir sur cette crise,

notamment pour éviter diverses tentations susceptibles d’être proposées à des jeunes par de

« mauvais bergers » et de les rendre donc moins perméable à certaines idéologies, certaines

dérives mortifères.

La laïcité , une TRIPLE LIBERTE , pour l’Etat et les services publics,

pour les religions, pour les personnes.

Les valeurs de la République sont avant tout un horizon à atteindre qui nécessite l’effort de

tous comme l’indique le préambule de la Constitution de 1946. Elles ne sont pas un absolu

toujours complètement mis en œuvre.

Il est nécessaire d’avoir cette vision dynamique des valeurs de la République qui nécessitent

donc la mobilisation de tous et l’engagement notamment dans des associations promouvant

les valeurs de la République souvent reconnues « d’utilité publique » pour faire que celles-ci

soient réellement mis en action et acquièrent toute leur efficacité.

La laïcité c’est la LIBERTE DE CONSCIENCE, l’EGALITE DE TRAITEMENT de

toutes les religions, LA NEUTRALITE, l’IMPARTIALITE de l’Etat

La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose avant tout sur trois valeurs

indissociables qui permette la coexistence des religions, car le cadre juridique et politique de la

laïcité n’est pas une machine de guerre contre les religions:

- La liberté de conscience qui permet à chaque citoyen de choisir sa spiritualité. Il n’y a

pas de croyance obligée, pas de croyance interdite. La liberté de conscience, c’est la

possibilité pour chacun de croire ou de ne pas croire, de pouvoir vivre avec une religion

ou sans, de pouvoir même en changer s’il le souhaite La liberté de culte permet à toutes

les religions l’extériorisation, l’association et la poursuite en commun de buts spirituels.

Ainsi comprise, la laïcité s’interdit toute approche antireligieuse.

- L’égalité en droit des options spirituelles et religieuses prohibe toute discrimination

ou contrainte et garantit que l’Etat ne privilégie aucune option.. Elle implique l’égalité

de tous les hommes quelle que soit leur option spirituelle, qu’il croit ou ne croit pas en

un Dieu. Pas plus qu’il ne défend un dogme religieux, l’Etat laïque ne promeut une

conviction athée ou agnostique.

- La neutralité du pouvoir politique implique que le pouvoir politique reconnaît ses

limites en s’abstenant de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux. Pour

que chaque citoyen puisse se reconnaître dans la République, elle soustrait le pouvoir

politique à l’influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse, afin que

chacun puisse vivre ensemble. Cette conception implique également que toutes les

religions respectent les lois de l’Etat et ne considèrent pas qu’elles on un « droit de

veto » sur les décisions prises par celui-ci.

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La laïcité suppose l’indépendance du pouvoir politique et sa primauté sur les

différentes options spirituelles ou religieuses. Celles-ci n’ont pas d’emprise sur l’Etat et ce

dernier n’en a pas sur elles.

De même, le spirituel et le religieux doivent s’interdire toute emprise sur l’Etat et

renoncer à leur dimension politique. La laïcité est incompatible avec toute conception de

la religion qui souhaiterait régenter, au nom des principes supposés de celle-ci, le

système social ou l’ordre politique.

La neutralité de l’Etat implique une totale impartialité de ses agents.

L’Etat-Civil , la meilleure traduction de la laïcité française

Il y a avec la création de l’Etat-civil, prééminence de l’Etat sur toute autre structure.

Conformément aux trois principes de la laïcité exprimés plus haut :

- La neutralité, l’impartialité de l’Etat permet à chacun d’avoir la garantie de son nom ,

de son prénom, de son mariage, en dehors de toute croyance ;

- La liberté de conscience est garantie par le fait que chacun après la déclaration de

naissance, le mariage, le décès peut aller accomplir les cérémonies religieuses qu’il

peut souhaiter ;mais, celles-ci viendront toujours en second. On ne peut se marier à

l’Eglise , au temple, à la synagogue, à la mosquée, à la pagode qu’après s’être marié à

la mairie. Un mariage seulement religieux n’est pas reconnu comme mariage.

- L’égalité en droit de toutes les croyances ou non croyance est garantie par le fait que

l’Etat ne se soucie pas de la cérémonie du culte ou de l’absence de cérémonie qui

pourra suivre l’acte accompli à la mairie.

L’Etat-civil permet donc de vivre en athée comme de vivre avec sa foi.

L’Importance de l’Ecole dans la laïcité française : Compte tenu du droit du sol , elle

construit un sentiment commun d’appartenance, met en avant les valeurs, les savoirs

faire, les savoirs qui réunissent et non ce qui peut diviser, ne nie pas d’où l’on vient et

ce qu’on est , mais qui sache où l’on va et sur quelles valeurs .

Après la mise en place par Jules Ferry entre 1881 et 1886 de l’école primaire laïque gratuite et

obligatoire ( mais qui ne touche pas aux collèges et lycées napoléoniens qui seront payants

jusque dans les années 1930 et qui conservent jusqu’à aujourd’hui leurs aumôneries ), la

République va décider de séparer les Eglises de l’Etat reprenant ainsi la formule de Victor

Hugo de 1850 : « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ».

Pourquoi la loi de Séparation ?

Trois grandes raisons expliquent sa mise en œuvre et le contenu de ses 43 articles :

- L’affaire Dreyfus où l’Eglise mène une campagne antisémite contre l’innocence de

celui-ci

- L’intervention de l’Eglise dans la vie publique contre le régime républicain lui-même

condamné pour ses principes démocratiques

- La politique d’un certain nombre d’évêques et de curés qui pour des raisons

financières n’hésitent pas à vendre notamment à de riches américains des cloîtres

romans entiers comme à Saint Michel de Cuxa, Trie sur Bigorre, Saint Guilhem du

Desert ( monuments qu’on retrouve aujourd’hui au musée des Cloisters à New

York)…..méprisant ainsi le patrimoine culturel français..

Il y eut débat sur la finalité de la Séparation.

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Certains, tel Emile COMBES voulait en France une loi anti-religieuse visant à promouvoir

l’athéisme.

C’est finalement la position d’Aristide Briand et Jean-Jaures qui l’emporta sur la base du

respect de la liberté de conscience et de la garantie de la liberté de cultes.

L’Etat s’émancipait des religions qui pouvaient vivre de manière autonome sans pouvoir

influer sur la vie de ceux qui ne les pratiquaient pas.

Il peut être utile de rappeler que la loi de 1905 ne choisit pas une religion qui serait supérieure

aux autres et permet à chacune d’exister. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la chaîne

de télévision publique France 2 le dimanche matin pour voir la place donnée à toutes les

religions jugées représentatives , au nom de l’égalité de traitement : bouddhisme, judaïsme,

Islam, cultes chrétiens orientaux, cultes orthodoxes, culte protestant, catholicisme….….

Ce rappel peut être aussi l’occasion de rappeler pourquoi dans la France laïque un certain

nombre de nos jours fériés sont liés à des fêtes chrétiennes.

En 1905, des jours fériés et chômés existaient dans le calendrier. C’étaient les grandes fêtes

religieuses chrétiennes et le dimanche.

Au cours de la discussion de la loi de 1905 , un amendement fut déposé qui

indiquait : « Cesseront d’être jours fériés tous ceux qui n’auront pas pour objet exclusif la

célébration d’évènements purement civils ou de dates astronomiques. Une loi ultérieure

instituera des fêtes civiques ».

Cet amendement, et notamment sa dernière phrase, fit peur au monde ouvrier et notamment à

la CGT qui luttait pour la diminution du temps de travail et qui ne voulait pas revivre ce qui

s’était produit avec le calendrier républicain sous la Révolution et la suppression des fêtes

religieuses et du dimanche: des jours de travail en plus avec le même salaire…. Les jours

fériés existants, quel que soit leur raison, étant pour le monde ouvrier des « acquis sociaux ».

Gain de cause fut donné donc au monde du travail et à leurs représentants syndicaux. L’article

42 de la loi de 1905 indiqua « Les dispositions légales relative aux jours actuellement fériés

sont maintenues » et un décret d’application de janvier 1906 confirma le dimanche comme

jour de repos hebdomadaire.

Fut également mis en place ce qu’on appelle « les jours protégés » qui donnent notamment

lieu à des possibilités d’absence pour les élèves et les fonctionnaires de toutes les religions

n’ayant pas le calendrier catholique et que rappelle la circulaire d’application de la loi de mars

2004 :

« Des autorisations d’absence doivent pouvoir être accordées aux élèves pour les grandes

fêtes religieuses qui ne coïncident pas avec un jour de congé et dont les dates sont rappelées

chaque année par une instruction publiée au Bulletin Officiel de l’Education Nationale.

L’institution scolaire et universitaire, de son côté, doit prendre les dispositions nécessaires

pour qu’aucun examen, ni aucune épreuve importante ne soient organisés le jour de ces

grandes fêtes religieuses. »

Les jours protégés

Georges Clémenceau est à l'origine du premier texte (1907) qui ne concernait alors que les

fêtes juives. C'est en fonction de ce texte que l'école de la rue des Hospitalières Saint-Gervais,

située dans le Marais de 1907 à 1940, fermait certains samedis et ouvrait certains jeudis 1

1 (Source : Catalogue Exposition « Du refuge au piège: les juifs dans le Marais » - Mai-Août

2005 - Mairie de Paris).

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Après la première guerre mondiale, les jours protégés furent étendus aux fêtes musulmanes et

arméniennes (d'ailleurs quelquefois sans rapport avec la religion puisque pour les Arméniens,

étaient « protégées » la fête nationale arménienne et la journée du souvenir du génocide de

1915).

Les circulaires annuelles de 1950 au milieu des années 1990 étaient d'ailleurs intitulées :

« Circulaire relative aux autorisations d'absence pouvant être accordées à l'occasion des

fêtes propres aux communautés arménienne, musulmane ou juive ». La dernière à avoir porté

cet intitulé fut la Circulaire n°960072SPER du 15 janvier 1996.

Des circulaires de cadrage étaient régulièrement publiées pour préciser les publics concernés

comme la circulaire du 4 septembre 1963 et la dernière toujours en vigueur, rappelée dans les

circulaires annuelles, est celle du 23 septembre 1967.

A partir de la Circulaire FP-7 n°1885 du 18 octobre1996, l'intitulé de celle-ci fut : « relative

aux autorisations d'absence pouvant être accordées à l'occasion des principales fêtes

religieuses des différentes confessions ».

La circulaire du 16 décembre 1998 étendit les jours protégés à des fêtes religieuses

orthodoxes et à une fête bouddhiste.

La circulaire du 18 mai 2004 a explicitement inclus « les institutions universitaires » dans les

institutions concernées par les circulaires annuelles sur les jours protégés »

Ne pensons pas que la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation avait réglé spontanément

tous les problèmes et qu’il n’y ait pas eu de 1905 à 1914 des essais de mises en cause d’un

certain nombre des principes qu’elle portait.

Entre 1905 et 1914, on assista concernant un domaine comme l’école à une triple offensive :

- Offensive concernant la « baisse de niveau » des élèves des établissements publics.

Un rapport de l’académie française s’alarme en 1909 de la baisse « catastrophique » des

jeunes lycéens et alors que le pourcentage d’une classe d’âge arrivant au baccalauréat

s’élève au chiffre énorme de 1% ! , il indique que « Conçu pour une élite,

l’enseignement secondaire est donc inadapté à cette masse qui nous vient précisément

de milieux sociaux, de familles dans lesquelles on n’a jamais possédé ou jamais ouvert

un livre, en dehors de quelques ouvrages d’actualité. » . Le comité des forges ( le

MEDEF de l’époque) s’y met aussi en écrivant en 1910 que « les jeunes ne savent plus

aujourd’hui rédigés un dossier…. »

- Offensive concernant les contenus d’enseignement. Une association des « pères de

famille » met en cause , soutenue par plusieurs parlementaires, l’absence de neutralité

des manuels en vigueur jugés trop pro-républicains et réclament leur abandon. C’est à

cette occasion en 1908 que JAURES sépara l’impartialité indispensable de l’école de

la neutralité : « La plus perfide manœuvre des ennemis de l’école publique, c’est de la

rappeler à ce qu’ils appellent la neutralité et de la condamner par là à n’avoir ni

doctrine, ni pensée, ni efficacité intellectuelle et morale. En fait, il n’y a que le néant qui

soit neutre. » C’est cette logique que rappelle une des formules du décret du 18 février

1991: « L’école publique ne privilégie aucune doctrine. Elle ne s’interdit l’étude

d’aucun champ du savoir . Guidée par l’esprit de libre examen, elle a pour devoir de

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transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer

librement ses choix. »

- Troisième offensive autour des repas servis dans la demi-pension des collèges et

lycées qui ne respecteraient pas les interdits alimentaires catholiques ( viande ou gras le

vendredi, gras et gâteaux pendant la période de Carême), les jours de jeûne, la

possibilité de servir du pain béni après les Pâques…..…..

Cette offensive conduisit le ministère chargé de l’instruction publique a publié plusieurs

textes en ce début de XXe siècle concernant les cantines des établissements secondaires. La

logique de ces textes peut ainsi se résumer :

L’école a une attitude passive de respect des interdits religieux. Elle propose à l’élèves

des solutions alternatives : poisson le vendredi, repas sans porcs…..leur permettant de

se restaurer sans enfreindre les interdits religieux.

L’école n’a pas à avoir dans ce domaine un rôle actif en faisant la promotion de

pratiques alimentaires religieuses. Ainsi on ne peut servir pour certaines fêtes

religieuses du « pain béni ……

L’école fut aussi le lieu de crispations autour du politique et du religieux à la fin des années

1930.

Une circulaire de Jean Zay de la fin 1936 interdit tout acte de propagande et de prosélytisme

politique dans tout établissement scolaire.

Au printemps 1937, une circulaire rappelle que le refus de la propagande et du prosélytisme

concerne aussi le confessionnel.

La loi de mars 2004 concernant les signes ostensibles religieux s’applique parfaitement et ne

donne pas lieu à des incidents, même si se développent ici ou là des manifestations de

ralliements communautaristes ou religieux ( vêtements noirs portés en permanence,

ceinturons militaires……)

En effet, selon les textes , la laïcité de l’école, c’est non seulement le refus dans l’enceinte

scolaire de toute propagande et prosélytisme religieux, politique et commercial.

C’est d’ailleurs rappelé dans un arrêt du 1er

juillet 2004 du tribunal administratif de Pontoise

qui a jugé illégal la tenue dans un lycée d’un jeu « d’initiation à l’économie » par une banque

considèrant que : « ce jeu qui avait clairement des objectifs publicitaires et commerciaux pour

la banque organisatrice, tombait sous le coup de la prohibition des initiatives de nature

publicitaire, commerciale, politique ou confessionnelle en contrevenant au principe de

neutralité de l’école rappelé par de nombreuses circulaires et notes de service émanant du

ministre de l’éducation nationale. »

LES DEFIS POSES A L’ECOLE

L’intérêt général, il s’exprime dans l’école à travers les programmes que la nation définit

pour tous les jeunes, qui s’appliquent dans tous les établissements publics comme privés, ce

que la Charte de la laïcité appelle « la culture commune et partagée ».

Les programmes ne sont pas la somme des interventions de différents lobbys, mais ce que la

nation, à un moment, juge utile de transmettre à tous.

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C’est une démarche qu’on peut qualifier de patrimoniale au sens que les programmes

présentent ce qu’on a reçu des générations précédentes et ce qu’on juge utile de transmettre

aux générations suivantes.

Les programmes présentent aux élèves des SAVOIRS légitimés et non des croyances ou des

opinions.

Le développement d’un individualisme forcené conduit souvent à une reconnaissance

difficile de l’altérité, du sentiment collectif. Il faut toujours se rappeler que l’intérêt général

n’est pas la somme des intérêts particuliers.

Pour affirmer ce qu’est un service public, ses missions, ses objectifs, un travail sur l’éthique

des ses personnels, leur exemplarité est indispensable.

Les programmes scolaires sont laïques ; ils ne sont pas neutres, car ils s’inscrivent dans un

certain nombre de valeurs qui sont celles de la République, mais ils se doivent d’être

impartiaux.

Les principes qui portent les programmes et leurs modalités d’application, , ce sont

notamment le refus de toutes discriminations, de tout racisme, l’égalité de traitement de tous,

la fraternité , la solidarité entre tous…...

En effet, la laïcité n’est pas exactement la neutralité

Elle repose sur des valeurs et des pratiques à faire fructifier. Dès 1908, Jean Jaurès l’avait

clairement indiqué : « La plus perfide manœuvre des ennemis de l’école publique, c’est de la

rappeler à ce qu’ils appellent la neutralité et de la condamner par là à n’avoir ni doctrine, ni

pensée, ni efficacité intellectuelle et morale. En fait, il n’y a que le néant qui soit neutre. »

La circulaire du 12 décembre 1989 et le décret du 18 février 1991 contiennent tous deux le

même paragraphe qui rappelle ce principe qui doit guider l’exercice du métier enseignant :

« L’école publique ne privilégie aucune doctrine. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du

savoir . Guidée par l’esprit de libre examen, elle a pour devoir de transmettre à l’élève les

connaissances et les méthodes lui permettant d’exercer librement ses choix. »

On peut assister aujourd’hui à diverses contestations des programmes nationaux qui sont le

fait de fondamentalistes, d’extrémistes se référant à toutes les religions ou philosophies. Ces

contestations proviennent aussi bien d’élèves que de parents d’élèves :

- Refus par des élèves ou des parents d’élèves que la classe visite ici une église, là une

mosquée au nom de leur religion ou de la laïcité de l’Etat. Ce qui montre l’importance

de bien montrer aux élèves ou à leurs parents la nature culturelle et non cultuelle des

édifices religieux. Ce passage « du cultuel au culturel » est inscrit explicitement dans

la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, notamment dans ses articles 16 et

17.

Il faut savoir que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905 a profondément

transformé le service des monuments historiques. De 1906 à 1914, il a intégré le service

des édifices diocésains….Il a consacré une attitude nouvelle à l’égard des édifices du

culte les plus éminents. Désormais placés sous la surveillance et l’entretien des Beaux

Arts, ils rejoignent le lot commun du patrimoine culturel à défendre pour son intérêt

artistique et historique et à restaurer en fonction de critères strictement « archéologiques.

De patrimoine des seuls croyants, ils deviennent l’héritage de l’ensemble de la

population dont ils constituent une part de l’histoire et de la culture.

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Cet aspect culturel de la loi de 1905 n’est souvent pas évoqué, alors qu’il a eu, en France

et ailleurs dans le monde, une importance considérable.

La loi de Séparation des Eglises et de l’Etat du 31 décembre 1905 est un moment

essentiel de l’histoire culturelle de la France.

Dans l’évolution du Service des Monuments historiques, elle marque une véritable coupure et

provoque une réorganisation administrative et financière. Elle entraîne une augmentation

considérable du nombre des Monuments historiques et un changement non moins essentiel

dans la conception que l’on pouvait en avoir.

Ainsi, au bout de trois ans, fin 1908, plus de 7000 objets supplémentaires sont classés, ce qui

porte leur nombre à 11 000. La tâche n’étant pas terminée le délai initial de trois ans sera

prorogé à trois reprises. Fin 1911, on compte 14 000 objets classés.

Le 31 décembre 1913, une nouvelle loi prend acte de cette évolution et accroît les pouvoirs

juridiques de l’État. Quelques mois plus tard, en juillet 1914, une Caisse nationale des

Monuments historiques et des Sites permettra de drainer des ressources supplémentaires pour

ce service au champ d’intervention accru.

Les contestations des programmes nationaux se manifestent en effet, tous azimuths.

On peut penser que cette déligitimation des savoirs enseignés , totalement contraire à

la laïcité, et qu’on a vu naître à l’occasion des contenus d’enseignement concernant

l’égalité hommes-femmes , porte en elle des germes de rupture d’un projet collectif

commun qui va à l’encontre de l’accès à une culture commune et partagée rappelé dans

les articles 7 et 12 de la charte de la laïcité :

« Les enseignements sont laïques. Afin de garantir aux élèves l’ouverture la plus objective

possible à la diversité des visions du monde ainsi qu’à l’étendue et à la précision des savoirs,

aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun

élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant

le droit de traiter une partie du programme. »

.

POUR UN ETABLISSEMENT SCOLAIRE, ESPACE LAIQUE DE SAVOIR ET DE

CITOYENNETE

L’importance de la communauté éducative incluant les familles et les élèves pour construire

du collectif et du vivre ensemble est aussi un enjeu important .

La laïcité c’est également la construction d’un projet collectif :approprié par tous, reposant sur

un vivre ensemble :

- mettant en avant les valeurs, les savoirs faire, les savoirs qui réunissent et non ce

qui peut diviser ;

- qui ne nie pas d’où l’on vient et ce qu’on est , mais qui sache où l’on va et sur

quelles valeurs .

L’appartenance à un collectif est un élément important du Vivre ensemble. Pour dépasser les

tensions communautaires, il faut proposer des éléments d’une appartenance collective.

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L’établissement scolaire public doit se concevoir comme porteur d’un projet collectif

approprié par tous, élément d’un projet national collectif.

Ces initiatives doivent contribuer à faire de la laïcité, un ciment de la lutte contre les

communautarismes et faire que les convictions particulières ne l’emportent pas sur la loi

commune.

Un établissement scolaire est un espace laïque de savoir et de citoyenneté , qui développe

des pratiques de citoyenneté , des initiatives citoyennes, crée des espaces de médiation,

d’écoute et de dialogue avec les jeunes et les familles, parce qu’il a compris que le lien

social, déchiré par les inégalités et la crise, se reconstitue aussi dans la solidarité et par

l’engagement, que le civisme n’est pas une règle froide et abstraite, mais un apprentissage

collectif permanent.

Son espace doit être clairement identifié, symboliquement séparé de son environnement .

Emettrice vers le quartier où elle est située autant que réceptrice des initiatives qui s ‘ y

mènent, des problèmes qui s’y déroulent ; consciente qu’en tout en état de cause, elle a sa

marge de manœuvre propre par rapport à son environnement économique, social et culturel,

l’école doit refuser tout fatalisme.

Laïque, parce qu’elle est ouverte à tous les jeunes, quelles que soient leurs origines sociales,

ethniques ou religieuses ;l’école refuse toutes les doctrines d’exclusion et a la volonté et

l’ambition de faire réussir tous les élèves d’où qu’ils viennent. Elle s’inscrit dans une

démarche d’ indépendance de toute emprise politique, économique , religieuse ou

idéologique.

Elle promeut le savoir, parce qu’elle sait qu’aujourd’hui encore plus qu’hier, la poursuite

d’études est un élément clé de l’insertion sociale, parce qu’elle prête à s’adapter aux divers

publics tout en maintenant les mêmes objectifs pour tous. Elle enseigne des savoirs légitimés

et non des croyances ou des opinions.

La « Charte de la Laïcité » souligne dans ses articles 7 et 12, l’importance des programmes

scolaires comme « culture commune et partagée » , et le fait qu’aucun sujet ne peut être

exclu en collège et en lycée, du champ du savoir

Elle développe des pratiques de citoyenneté, des connaissances et des compétences sociales

et civiques et permet ainsi, en liaison avec les programmes scolaires de toutes les disciplines

à l’élève de comprendre le monde pour ne pas le subir pour reprendre la formule de Jean

JAURES. Elle promeut un sentiment d’appartenance à un territoire, une nation et met en

avant l’intérêt général et non les intérêts particuliers

Annexes :

- Textes de Messali HADJ et Aimé CESAIRE

- Circulaires de Jean ZAY ( 1936/1937)

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Le programme du PPA de Messali Hadj (1937)

La demande de laïcité des nationalistes algériens

L’association des oulémas, qui avait adhéré au mouvement des AML (Amis du manifeste de

la liberté) initié par Ferhat Abbas et qui regroupait aussi le PPA, présenta le 15 août 1944 un

nouveau mémoire dans lequel elle réclama l’application effective du décret du 27 septembre

1907 sur la laïcité : « Nous venons aujourd’hui, au nom de la religion et du peuple

musulmans, demander avec insistance l’application franche et intégrale du principe de la

séparation du culte musulman de l’administration algérienne …»

En mai 1950, l’association des oulémas présente à l’Assemblée algérienne un mémoire sur la

séparation du culte et de l’Etat : « On ne s’explique point les raisons pour lesquelles le

gouvernement français étant laïque – et la laïcité interdisant l’immixtion dans les affaires

religieuses –, l’Islam est le seul culte où l’administration ait à intervenir… Cette

administration assimile le culte musulman à un service administratif, le personnel de ce culte

à des fonctionnaires subalternes de police, nommés, rétribués, récompensés ou frappés de

sanctions… Nous venons aujourd’hui, au nom de notre religion, au nom de la justice et de la

démocratie, au nom du peuple musulman algérien, demander avec insistance l’application

intégrale du principe de la séparation du culte musulman de l’administration algérienne. »

L’association proposait notamment l’institution d’un conseil supérieur islamique élu.

Le 25 juillet 1951, Larbi Tébessi et Mohammed Kheireddine signaient un communiqué du

Front algérien pour la défense et le respect de la liberté, aux côtés d’Ahmed Mezerna et

Mustapha Ferroukhi du MTLD, Ahmed Francis et Kaddour Sator pour l’UDMA, Paul

Caballero et Ahmed Mahmoudi pour le Parti communiste algérien.

(Boualem Touaright sur le site Memoria.dz )

« L’association des oulémas fut laïque car sa lutte s’inséra dans la dénonciation de l’emprise

de l’administration coloniale sur le culte et l’enseignement…. Elle ne cessa de revendiquer

l’application effective de la laïcité en Algérie qui ne fut pas respectée, l’administration gérant

directement l’exercice du culte musulman… Le 15 août 1944, l’Association s’adressait de

nouveau au gouvernement français considérant : «…toute immixtion dans ces questions

religieuses comme une iniquité, une violation aux droits des individus et une attaque contre

les principes sacrés du respect de la religion et de la liberté de

conscience… » Elle réclamait « l’application franche et intégrale du principe de la

séparation du culte musulman de l’administration algérienne »…. Elle fut contre l’utilisation

de la revendication religieuse et identitaire à des fins politiques, s’interdisant même toute

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action ou discours à caractère politique. Elle fut contre toutes les discriminations pour des

raisons sociales, sexistes, religieuses ou ethniques. Pour elle, l’indépendance du peuple

algérien passait par l’élévation de son niveau culturel, l’affirmation de son identité par

l’enseignement des vrais principes de l’Islam, la lutte contre les hérésies et les pratiques

obscurantistes qui favorisaient la soumission du musulman »

Boualem Touarigt- Publié le 26 mars 2013- sur le site: memoria.dz

Changement d’attitude de l’association des oulémas après 1962

« Fondée en 1931 par Abd El-Hamid Ben Badis, l’Association des oulémas d’Algérie

demandera avec constance l’application de la loi de 1905 afin que les associations cultuelles

musulmanes échappent au contrôle colonial. Après la Libération, en 1962, l’ Association des

oulémas se prononcera en revanche pour un islam d’Etat. »

Khaled Bakdash

Paru dans le mensuel de la Ligue de l’enseignement avril 2005

Le poète CESAIRE et la laïcité

Cet appel de 1941, qui était le premier texte publié d’Aimé Césaire depuis le Cahier parisien

de 1939, est capital pour comprendre son œuvre, son engagement et son action à venir.

L’appel de 1941, c’est l’ouverture au combat internationaliste, c’est la naissance d’un peuple

qui se lève, qui s’exprime et qui se crée, c’est le prolongement du message, des valeurs, de

l’universalisme des valeurs de la Révolution française. Si celle-ci est un bloc, elle se perpétue,

aujourd’hui encore, dans les combats que nous menons, ici et maintenant, pour la laïcité et

pour la liberté. Parlons-en, de la laïcité et de la liberté, en rappelant ces mots de Césaire dans

Les Armes miraculeuses : « Mais Dieu ? comment ai-je pu oublier Dieu ? je veux dire la

Liberté. »

A propos d’Aimé CESAIRE

« La gauche a tout à gagner à assumer cet universalisme enraciné (tout autre universalisme

n’est qu’opportunisme ou poudre aux yeux), car là se situe un point de clivage évident,

profond et salutaire avec les forces de l’obscurantisme, du conservatisme et de la xénophobie,

qui font du seul repli identitaire et de la peur de l’autre la réponse à tous nos problèmes. Cela

signifie donc qu’il faudrait que la gauche assume la lutte pour notre identité (républicaine,

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culturelle, etc.), et qu’elle refuse que les termes de « nation » ou de « patrie » soient récupérés

par une droite arrogante qui ne fait en parallèle que nier les fondements mêmes de cette

identité, notamment par les actions indignes et liberticides qu’elle entreprend. De la même

façon, pour invoquer un autre exemple, la gauche doit fermement clamer et défendre la laïcité,

contre tous les coups de boutoirs des intégristes religieux de tous bords, qui veulent imposer à

la tête de l’État qui la loi biblique et le droit canonique, qui la loi coranique, qui la loi

talmudique, etc. Et ce d’autant plus que la laïcité comme esprit public[3] a une vocation

clairement universaliste, puisqu’elle permet à des cultures, des croyances et des modes de vie

différents, parfois divergents, de cohabiter pacifiquement. Dans un État laïc, la loi commune

vise le seul intérêt général, sans distinction de croyance religieuse ; elle est donc

universellement partageable.

Voilà pourquoi, entre autres, il devrait être impératif pour la gauche de lutter pour notre

identité et nos particularités. C’est, malgré les apparences, diablement universaliste ! Et

hardiment progressiste soit dit en passant… Pour ceux qui auraient encore des doutes, lisez ou

relisez le Discours sur le colonialisme et le Discours sur la Négritude d’Aimé Césaire : ses

thèses semblent plus que jamais d’actualité, et son verbe est immortel. En voilà l’exemple :

« Maintenir le cap sur l’identité – je vous en donne l’assurance –, ce n’est ni tourner le dos

au monde ni faire sécession au monde, ni bouder l’avenir, ni s’enliser dans une sorte de

solipsisme communautaire ou dans le ressentiment. Notre engagement n’a de sens que s’il

s’agit d’un ré-enracinement certes, mais aussi d’un épanouissement, d’un dépassement et de

la conquête d’une nouvelle et plus large fraternité. »

https://eleutheries.wordpress.com/tag/aime-cesaire/

Contre l’anti-sémitisme

« Disons d’un mot : qu’à la lumière des événements (et réflexion faite sur les pratiques

honteuses de l’antisémitisme qui ont eu cours et continuent encore semble-t-il à avoir cours

dans des pays qui se réclament du socialisme), j’ai acquis la conviction que nos voies et celles

du communisme tel qu’il est mis en pratique, ne se confondent pas purement et simplement ;

qu’elles ne peuvent pas se confondre purement et simplement. »

( Lettre d’Aimé CESAIRE à Maurice Thorez . 1955)

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( Jacques SIMON. Le Messalisme (1926-1954) .Février 2011)

Rappel souvent peu fait de ce qui s’est fait en 1914-1918

« En 1914-1918, cinq cent mille soldats musulmans, issus d'Afrique du Nord ou d'Afrique

noire, participent à la guerre. Pour eux, l'armée fait venir des imams et construit des mosquées

démontables. Le commandement veille à ce que les prescriptions islamiques soient observées

: nourriture conforme aux interdits coraniques, absence d'alcool dans les cantines, célébration

des fêtes religieuses, respect des rites d'inhumation. Certains officiers, qui parlent arabe et

vivent comme leurs hommes, vont jusqu'à jeûner pendant le ramadan.

En 1916, une mosquée édifiée dans le Jardin colonial de Nogent- sur- Marne est confiée aux

imams attachés au gouvernement militaire de Paris. « Nous sommes les enfants de la France,

déclarent-ils (en arabe) le jour de l'inauguration, nous sommes venus volontairement de notre

pays pour aider jusqu'à notre dernier souffle notre noble Mère la France, qui est la

représentante du droit et qui marche dans la voie droite. »

En 1919, c'est également à Nogent-sur-Marne qu'une koubba (édifice funéraire) est bâtie dans

le cimetière des combattants musulmans. C'est encore l'hommage aux soldats des colonies qui

est à l'origine de la mosquée de Paris.

En 1920, la Chambre des députés vote une subvention permettant de financer la construction

du bâtiment, pendant que le conseil municipal de la capitale, sollicité par le gouvernement,

offre le terrain qui fait face au Jardin des plantes.

En 1926, la mosquée est inaugurée en présence du président de la République, Gaston

Doumergue, et du sultan du Maroc.

En 1928, une autre mosquée est édifiée à Fréjus, où séjournent des milliers de soldats

coloniaux. »

http://initiationphilo.fr/articles.php?lng=fr&pg=441

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Circulaires Jean Zay

Circulaire du 1er juillet 1936

Je vous prie d’inviter les chefs d’établissements secondaires à veiller à ce que soient

respectées les instructions interdisant tout port d’insignes. (…) Vous voudrez bien considérer

comme un signe politique tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de

provoquer une manifestation en sens contraire. L’ordre et la paix doivent être maintenus à

l’intérieur des établissements scolaires, mais en même temps vous veillerez à ce que les chefs

d’établissements évitent les incidents et les éclats et que l’on procède, dans toute la mesure

possible, par la persuasion plutôt que par la contrainte.

Circulaire du 31 décembre 1936

Mes prédécesseurs et moi-même avons appelé déjà à plusieurs reprises votre attention sur les

mesures en vue d’éviter et de réprimer toute agitation de source et de but politiques dans les

lycées et collèges. Un certain nombre d’incidents récents m’obligent à revenir encore sur ce

sujet d’importance capitale pour la tenue des établissements d’enseignement du second degré

et d’insister d’autant plus que des modes coutumiers d’infraction font place à des manoeuvres

d’un genre nouveau.

Ici le tract politique se mêle aux fournitures scolaires. L’intérieur d’un buvard d’apparence

inoffensive étale le programme d’un parti. Ailleurs, des recruteurs politiques en viennent à

convoquer dans une « permanence » un grand nombre d’enfants de toute origine scolaire,

pour leur remettre des papillons et des tracts à l’insu, bien entendu, de leurs parents et les

envoyer ensuite les répandre parmi leurs condisciples.

Certes les vrais coupables ne sont pas les enfants ou les jeunes gens, souvent encore peu

conscients des risques encourus et dont l’inexpérience et la faculté d’enthousiasme sont

exploitées par un esprit de parti sans mesure et sans scrupule. Il importe de protéger nos

élèves contre cette audacieuse exploitation. A cet effet, toute l’action désirable devra être

aussitôt entreprise auprès des autorités de police par MM. les chefs d’établissements, les

inspecteurs d’académie et vous-mêmes.

On devra poursuivre énergiquement la répression de toute tentative politique s’adressant aux

élèves ou les employant comme instruments, qu’il s’agisse d’enrôlements directs ou de

sollicitations aux abords des locaux scolaires. Je vous rappelle que les lois et règlements

généraux de police permettent sans conteste aux autorités locales d’interdire les distributions

de tracts dans leur voisinage lorsqu’elles sont de nature à troubler l’ordre, tout spécialement

quand le colportage est l’oeuvre de mineurs non autorisés. Une circulaire de M. le ministre

de l’Intérieur, en date du 20 mai 1936, a précisé en cette matière les pouvoirs de l’autorité

administrative. Il conviendra, le cas échéant, d’appeler sur ce texte l’attention de MM. les

préfets.

Eventuellement aussi, on indiquera aux parents qu’un recours leur est ouvert contre les

personnes se trouvant, par leur intervention, à la source des sanctions prises contre les

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enfants. Quant aux élèves, il faut qu’un avertissement collectif et solennel leur soit donné et

que ceux d’entre eux qui, malgré cet avertissement, troubleraient l’ordre des établissements

d’instruction publique en se faisant à un titre quelconque les auxiliaires de propagandistes

politiques, soient l’objet de sanctions sans indulgence. L’intérêt supérieur de la paix à

l’intérieur de nos établissements d’enseignement passera avant toute autre considération.

Toute infraction caractérisée et sans excuse sera punie de l’exclusion immédiate de tous les

établissements du lieu où elle aura été commise. Dans les cas les plus graves, cette exclusion

pourra s’étendre à tous les établissements d’enseignement public. Tout a été fait dans ces

dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de

s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se

développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les

écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas.

Circulaire du 15 mai 1937

Ma circulaire du 31 décembre 1936 a attiré l’attention de l’administration et des chefs

d’établissements sur la nécessité de maintenir l’enseignement public de tous les degrés à

l’abri des propagandes politiques. Il va de soi que les mêmes prescriptions s’appliquent aux

propagandes confessionnelles. L’enseignement public est laïque. Aucune forme de

prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d’y veiller avec

une fermeté sans défaillance.