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GAUCHE Avenir 1 Il y aura 50 ans le 31 décembre, malgré les nombreuses et imposantes manifestations de protestation, le Gouvernement de Michel Debré faisait voter la loi qui portera son nom. En donnant un statut à l’enseignement privé, cette loi ouvrait la brèche par laquelle les partis de droite saperaient la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, fondatrice de la République laïque, c'est- à-dire unie et attentive à l’égalité de ses citoyens. Aujourd’hui, notre République dérive vers le communautarisme et le cléricalisme renaissant, dont l’histoire et le présent montrent les dangers de division et de conflits. Il faut réagir. C’est le but du colloque : «LAÏCITÉ 2010 : RENAISSANCE DE LA RÉPUBLIQUE INDIVISIBLE, LAÏQUE,DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE» (Titre 1 er de la Constitution Française) Samedi 10 octobre 2009 Salle Victor-Hugo 101, rue de l’Université – Paris 7 e INVITATION “Je veux ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui” Victor Hugo à l’Assemblée Nationale le 15 janvier 1850 “La question scolaire rejoint la question sociale. Ces deux questions se tiennent. Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles” Discours de Jaurès à la Chambre des Députés le 25 janvier 1910

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Actes du colloque du club Gauche Avenir sur la laïcité, qui s'est déroulé à Paris le 10 octobre 2009.

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Il y aura 50 ans le 31 décembre, malgré les nombreuses et imposantesmanifestations de protestation, le Gouvernement de Michel Debré faisaitvoter la loi qui portera son nom.

En donnant un statut à l’enseignement privé, cette loi ouvrait la brèche parlaquelle les partis de droite saperaient la loi du 9 décembre 1905 deséparation des Eglises et de l’Etat, fondatrice de la République laïque, c'est-à-dire unie et attentive à l’égalité de ses citoyens.

Aujourd’hui, notre République dérive vers le communautarisme et lecléricalisme renaissant, dont l’histoire et le présent montrent les dangers dedivision et de conflits.

Il faut réagir. C’est le but du colloque :

«LAÏCITÉ 2010 :

RENAISSANCEDELARÉPUBLIQUE

INDIVISIBLE,LAÏQUE,DÉMOCRATIQUEETSOCIALE»(Titre 1er de la Constitution Française)

Samedi 10 octobre 2009Salle Victor-Hugo

101, rue de l’Université – Paris 7e

INVITATION

“Je veux ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui”Victor Hugo à l’Assemblée Nationale le 15 janvier 1850

“La question scolaire rejoint la question sociale. Ces deux questions se tiennent.Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles”

Discours de Jaurès à la Chambre des Députés le 25 janvier 1910

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9h Accueil9h30 Ouverture du colloque par Marie-Noëlle Lienemann,

animatrice de Gauche Avenir9h40 Valeur universelle de la laïcité

Intervenant : Henri Peña-Ruiz. Philosophe. Auteurnotamment de «Dieu et Marianne, philosophie de la laïcité»

10h10 Sciences et laïcitéIntervenant : Guillaume Lecointre, Professeur au Museumd'Histoire Naturelle, coauteur de «Intrusions spiritualisteset impostures intellectuelles en sciences»

10h30 Les atteintes à la laïcité de l'enseignement :un cas d'écoleIntervenant : Eddy Kaldi. Enseignant-militant associatif

10h50 Echange avec les participantsAnimateur : Michel Charzat, Conseiller de Paris,ancien député

14h20 Contre le communautarismeIntervenant : Julien Landfried, porte-parole duMouvement Citoyen et Républicain, directeur del’Observatoire du communautarisme

14h40 Le retour du cléricalisme en Franceet dans l'Union EuropéenneIntervenante: Vera Pegna, représentante de la FédérationHumaniste Européenne auprès de l'OSCE( organisationpour la sécurité et la coopération en Europe)

15h Exiger le retour à la loi du 9/12/1905et son applicationIntervenant: Guy Georges, ancien syndicaliste,animateur de Gauche Avenir

15h20 Echange avec les participantsAnimateur : Ivan Levaï, Journaliste

16h50 Présentation du manifeste et conclusiondu colloquepar Paul Quilès, animateur de Gauche Avenir

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PROGRAMME

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INTERVENTIONDEMARIE-NOËLLELIENEMANN

Chers amis,

Je suis heureuse de vous accueillir au nom de Gauche Avenir et de vous direquelques mots de bienvenue. Je voudrais tout d’abord vous remercier de vousêtre déplacés nombreux pour défendre cette cause majeure : la laïcité.Le club "Gauche Avenir", est né de l’initiative de ses 18 premiers signataires, ily a maintenant deux ans, juste après l'élection présidentielle parce que nousestimions fondamental d'engager à nouveau une reconquête idéologique faceà la droite puisqueNicolas Sarkozy élu président considérait que sa victoire étaitaussi sur ce terrain.Nous ressentions la nécessité que la Gauche réaffirme son identité, son projet.C’est le premier objectif que nous poursuivons.

Le second qui justifie pleinement le travail de Gauche Avenir est d’œuvrer aurassemblement de la Gauche parce que nous pensons qu'il n'y aura pas devictoire sans un grand élan unitaire qui puisse la fédérer. Nous constatonsqu'au sein de la Gauche, les divergences de fond, entre les différents partis nesont plus clairement identifiées par les citoyens et que certaines divisions d'hierne sont plus pertinentes. Il est donc impératif de recomposer la Gauche dans sonunité. Evidemment, cette unité, pour nous, ne signifie pas la négation de la diver-sité, au contraire. Nous agissons pour reconnaître cette diversité,l’apport de chacun et réaliser une synthèse dynamique.Notre troisième raison d’être procède d’une constatation : la Gauche n'est passeulement la Gauche politique. C'est aussi des associations, des syndicats, desclubs, des citoyens qui doivent être partie prenante de cette reconquête, qu'ellesoit idéologique ou politique. Et qui doivent être en même temps entendus,compris, en dialogue permanent dans toutes les étapes de l'union de la gauchequand elle veut conquérir le pouvoir, mais aussi quand elle l'exerce.C'est pour cela que nous avons repris la formule qui évidemment ne peut pasêtre totalement calquée sur l'histoire, mais qui montre la dynamique que nousvoulons créer, à savoir l'idée d'un nouveau front populaire. C'était l'unité desforces de gauche autour d'un programme. Et il y avait une mobilisation demouvements, d'associations comme la Ligue des Droits de l'Homme, qui ontconstitué un puissant levier pour la victoireVoilà le but de notre club.

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Merci à tous les intervenants d’aujourd’hui.

Avant de donner la parole à Henri Peña-Ruiz, je vais excuser quelquespersonnalités, en particulier des partis politiques, le PCF, le PS, qui réunissentleurs instances de décision au même moment. Martine Aubry nous a adresséune lettre qui indique qu’elle «aurait été heureuse d’être à nos côtés» mais sonagenda ne le permet pas. Mme la Maire du 12e arrondissement de Paris, leprésident de la région de Lorraine, se sont excusés pour la même raison.

Nous avons reçu les excuses de Mme Hélène Langevin-Joliot, du ProfesseurChangeux, qui souhaite recevoir la documentation de notre colloque, duProfesseur PhilippeMeirieu, déjà requis par un autre engagement et qui «espèred’autres occasions de collaboration», de Mme Elisabeth Badinter, priseégalement par un autre engagement et qui «souhaite bonne chance» à notrecolloque.Le Mouvement Républicain des Citoyens est représenté par M. Chailley, leParti de Gauche par François Cocq. La région des Pays de Loire estreprésentée, comme la Mairie d’Aubervilliers et celle de Fontenay sous Bois.Trois syndicats sont présents, l’UNSA, la FSU, le SNPDEN, et 17 associations.Je donne la parole à Henri Peña-Ruiz, qui a signé l’appel de Gauche Avenir etmène le combat de la laïcité

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Les clubs, ont souvent été les creusets, les lieux de préparation des grandschangements qui ont permis la rénovation de la pensée de la gauche, enparticulier lorsque cette dernière était mal en point.C'est dans cet esprit - en référence aux clubs révolutionnaires, au club JeanMoulin, et d'autres qui ont marqué l'histoire de la gauche- que nous avons vouluinscrire notre démarche.

Ceux qui l'animent sont des hommes et des femmes qui n’appartiennent pas auxmêmes partis, des militants associatifs, syndicaux, des intellectuels. Renouer lesliens avec tous ces milieux est essentiel. Gauche Avenir rassemble des respon-sables qui ne sont plus en activité et aussi des jeunes. Vous connaissez bien celuiqui a été la cheville ouvrière et intellectuelle de ce colloque, notre ami GuyGeorges, qui symbolise des combats nombreux pour beaucoup d'entre vous, ettout particulièrement pour moi-même qui ai adhéré à la FEN avant d'adhérerau PS.Nous avons voulu mettre la Laïcité au cœur de nos réflexions après avoir traitéde la crise économique, de la crise financière, de la fiscalité.Nous avons pensé que la laïcité était une question de principe fondamentale pournous et pour la vision républicaine que nous voulons promouvoir. elle ne doitpas s'arrêter à nos frontières et elle est tout à fait essentielle dans le débateuropéen et même au niveau de la planète où l'on observe la montée desintégrismes religieux, le recul d'une pensée rationnelle libre, le recul de l'espritcritique. C'est un des grands combats de ce 21e siècle.Et puis, la laïcité, c'est un peu comme le féminisme. A certains moments del'histoire, on croit qu'on a gagné la bataille. Et on découvre que c'est uncombat permanent parce que les forces en face de nous sont des forcesmobilisées, puissantes, organisées..Par manque de pugnacité, de vigilance, oupar manque de réflexion sur la manière de transmettre à la jeunesse l'idéal quiest le nôtre, nous nous voyons perdre le terrain que nous avions conquis. Leplus grave évidemment, c'est quand les institutions de la République sontactrices de ces reculs idéologiques.Il est donc tout à fait important de contribuer à la mobilisation de la Gauche etdes laïques pour promouvoir ce bel idéal en lui donnant toute sa pertinencecontemporaine et en trouvant les mots, les concepts, les réflexions, les sujetsconcrets qui soient de nature à élargir le camp qui les défend. Il s’agit d’abordd’entretenir la flamme pour ceux qui l’ont. Mais faut-il encore la faire partageret je pense en particulier aux jeunes générations. Nous devons avoir souci deréfléchir à la manière de leur passer le flambeau. Nous aurons bien besoin d’euxpour continuer le combat.

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INTERVENTIONDEHENRI PEÑA-RUIZ

Je veux simplement rappeler ce qu'est véritablement la laïcité.Nicolas Sarkozy dans son discours de Latran : «La République a besoin decroyants parce que les croyants, ce sont des gens qui espèrent»Dans l'exercice de ses fonctions, le premier fonctionnaire de la Républiquebafoue l'égalité de traitement des croyants et des athéesAragon: «Celui qui croyait au ciel, Celui qui n'y croyait pasQu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pasQue l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y dérobât»«La rose et le réséda», dédiée àGuyMôcquet et Gilbert Dru, l'un croyant, l’au-tre athée.Gabriel Péri, communiste athée.D'Etienne d'Orves, officier catholique.Tous les quatre légalement assassinés par les nazis.

Qu'est-ce que la laïcité ?Ses adversaires , quelquefois inattendus car dans les rangs mêmes de ceux quidevraient la défendre, ont inventé deux arguments pour brouiller les cartes ;l'argument relativiste : il y a 36 définitions de la laïcité, 36 laïcités en Europe;l'argument pragmatique : c'est un beau principe, mais quand on est dans lecambouis de la pratique politique,il faut faire de petits accommodements raison-nables aux principes.

Je voudrais répondre à ces deux arguments qui ont à ce point brouillé l'idéal laïqueRacontons une histoire. Il était une fois dans notre république un creuset, lecreuset français où coexistaient des personnes issues de traditions diverses, descroyants, des athées, des agnostiques. Ils respiraient l'air de la laïcité sans y penser,comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir.N'est-il pas naturel que lorsque quelqu'un croit, il soit libre de croire; et lorsquequelqu'un ne croit pas, il soit libre de ne pas croire ? Ils refusaient de définir néga-tivement ceux qui ne croient pas en Dieu, mais qui croient dans le destin del'humanité. L'humanisme athée n'est pas la privation de la religion; il est uneoption spirituelle comme la religion.Ils vivaient donc sur la base de la liberté de conscience.L'idée que la République, cette res-publica qui est commune à tous, les traitâtde la même manière leur semblait tellement évidente !

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Déclaration du 26 août 1789 : «Les hommes naissent libres et égaux en droits»;Le mot «naissent» est le plus important puisqu'il veut dire que la liberté,l'égalité ne sont pas des cadeaux octroyés, alors qu'ils pourraient être refusés,mais des données natives. Dès qu'un être humain vit et respire, il doit jouir dela liberté et de l'égalité.L'égalité consiste à faire le même traitement de tous les citoyens. Finance-t-onsur fonds publics des écoles privées qui enseigneraient l'humanisme athée ? Laréponse est négative. On ne doit donc pas financer sur fonds publics des écolesprivées qui diffusent la croyance religieuse parce qu'on détourne l'argent descontribuables, athées ou agostiques, pour promouvoir la croyance religieuse.

Ils croyaient naïvement, ceux qui respiraient l'air de la laïcité sans le savoir, quec'était une donnée. Il se révéla que c'était une conquête.Cette conquête était périodiquement remise en question par ceux qui voulaientdonner à un monde inhumain le supplément d'âme d'un monde sans âme, ladimension caritative d'une religion instrumentalisée comme spiritualité decompension, ce qui ferait frémir Victor Hugo, croyant, disant «Je veux l'Eglisechez elle et l'Etat chez lui».

Les historiens ont brouillé les cartes. On appelle «concordat» la réintroductiond'avantages unilatéralement consentis au Vatican. Moyennant quoi l'Alsace-Moselle «bénéficie» encore du financement public de la religion dans les lycéeset collèges. Dans le régime concordataire, la religion est la règle et l'athéismeune dérogation à la règle, ce qui est humiliant puisqu'on donne à entendrequ'entre les options spirituelles des citoyens , il n'y a pas égalité de traitement.

Quand un parti de gauche mettra - il a à son programme l'abolition du concor-dat en Alsace-Moselle et le retour à l'égalité de traitement sur tout le territoire ?Quand un parti de gauche mettra-t-il dans son programme la remise en ques-tion de la loi Debré aujourd'hui aggravée par la loi Carle? Loi Debré quiorganise sur fonds publics le financement d'établissements religieux ayant leur«caractère propre» ? Hélas ! Je n'ai pas vu ces choses-là dans les programmesde la gauche républicaine.

Y a-t-il 36 définitions de la laïcté ? Sans dogmatisme, mais de façon raisonnée,je voudrais solliciter votre jugement.Fiction: nous sommes une assemblée constituante; nous étions les Etats Géné-raux et voilà que maintenant nous allons constituer notre république.

Première question. Il y a parmi nous des croyants, des athées, des agnostiquescomme dans toute la population française. Lorsque j'étais membre de la commis-sion Stasi, je me suis renseigné sur les options spirituelles des Français. Ilapparaissait qu'il y avait en gros 45% d'athées, 5% d'agnostiques et 50% dedéistes ou de croyants , avec des fluctuations puisqu'on peut croire un jour et neplus croire le lendemain. Reste que je ne sais pas qui croit et qui ne croit pas;ça ne me regarde pas parce que c'est la sphère privée de chacun.

Imaginons que nous devions jeter les bases de notre république. Trois principesapparaissent comme évidents.

Premier principe ; la croyance religieuse doit-elle engager quelqu'un d'autreque le croyant ? Non. Donc la croyance est une affaire privée particulière quin'engage que les croyants, moyennant quoi elle doit être rigoureusement libre,libre de s'exprimer, de s'affirmer dans l'espace public. Un évêque hostile à lapilule du lendemain a bien le droit de le dire, mais pas une maîtrise sur l'espacepublic.Distinguons bien les choses: s'exprimer dans l'espace public, oui; avoir unpouvoir sur l'espace public est totalement illégitime.

L'humanisme athée n'engage que les athées. L'Union Soviétique stalinienne quiérigeait le matérialisme athée en religion officielle bafouait autant la laïcité quela Pologne qui impose la prière dans les écoles.

Nous comprenons que la laïcité, ce n'est pas l'athéisme officiel; mais ce n'est pasnon plus le régime des privilèges des religions.Le concept de laïcité n'implique aucune hostilité à la religion. Enrevanche,lorsque ceux qui croient veulent dicter la loi au nom de leur foi,s'opposent à l'IVG comme c'est le cas dans beaucoup de pays (pensons auxcommandos anti-IVG en Amérique, où ils veulent interdire l'enseignement dela biologie sous prétexte que l'évolution darwinienne contredit la lettre du récitbiblique), ceux-là doivent bien comprendre que la laïcité n'est pas hostile à la reli-gion, mais ce n'est pas non plus le privilège de la religion.

Quand on hurle au scandale parce qu'on remet en question le financement publicdes religions ou qu'on baptise liberté religieuse le fait de jouir de fonds publics,comme le maire socialiste de Lyon en a donné pour la communauté SanEdgidio, alors, on se demande qui a brouillé les cartes.

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Deuxième principe. Serait-il légitime que la puissance publique, qui est ce quinous unit tous par delà nos différences, donne plus aux croyants qu'aux athées ?Si nous prenons au pied de la lettre le principe d'égalité sans accommodementraisonnable, nous dirons : c'est illégitime.

Nous revendiquons en tant que citoyens la stricte égalité des croyants, des athées,des agnostiques, ce qui veut dire qu'on ne peut pas donner plus aux croyants qu'auxautres ; mais on ne doit pas non plus donner plus aux autres qu'aux croyants.Le deuxième principe que nous voterons est l'égalité stricte de tous les citoyensquelles que soient leurs options spirituelles.

Posons-nous la question : comment vivre fraternellement dans un horizon quidépasse nos différences sans les nier ? Il faut répondre, me semble-t-il : stricteégalité par la puissance publique des croyants, des athées, des agnostiques.C’est pourquoi j’ai jugé absolument scandaleuse la prise de position de NicolasSarkozy qui, ouvertement, dans l’exercice de ses fonctions, effectuait unediscrimination entre les citoyens de la République.Quelle honte que, dans l’exercice de ses fonctions, le premier personnage dela République bafoue le principe de l’égalité en accordant plus aux croyantsqu’aux athées ! Contradiction M. Sarkozy. Guy Môquet, dont vous avezdemandé qu’on lise la lettre bouleversante, n’était-il pas quelqu’un qui espé-rait ? Mais c’était l’espérance de l’en-deça. Celle qui faisait dire à Altapayoulka«Nous ne voulons pas seulement être égaux dans le ciel, mais aussi sur terre»Daignez aux athées la capacité d’espoir, «L’espoir» titre d’un livre de Malrauxsur la République espagnole.

C’est une discrimination explicite. Il est étrange que le Conseil Constitution-nel, que toute la gauche, aient pu laisser passer ces choses-là, sans mettre enaccusation un Président de la république qui bafoue l’égalité de traitement descitoyens de la République. Moi, professeur de l’école publique, si j’entre dansma classe et que je commence par dire « la République a besoin de croyants parceque les croyants, ce sont des gens qui espèrent», les parents d’élèves se lèveronttout de suite, scandalisés, en disant «Mais, Monsieur, vous utilisez votre parolepublique pour faire de la discrimination.» Le Président de la République, lui,ne se gène pas.Quelque temps plus tard, Fadela Amara présente le «plan banlieue» avecl’ouverture de 500 classes d’enseignement privé dans le moment même où onsupprime 12 000 postes d’enseignements.

Est-ce à cela que conduisent les accommodements raisonnables ?

Troisième principe : Quelle est la finalité de la puissance publique ? C’estévidemment ce qui est commun à tous

Trois quantificateurs logiques nous aident à penser cette chose. Quelle place ausingulier, au particulier, à l’universel ?Condorcet disait «les connaissances sont universelles et les croyances sontparticulières». Dire qu’elles sont particulières , cela n’est pas les dévaloriser, c’estdire qu’elles n’engagent qu’une partie des hommes. Donc la croyance est parti-culière. La santé, la culture, l’éducation les services publics sont universels.Lorsqu’un croyant entre dans un hôpital public, il est souhaitable qu’il soit soignéen fonction de ce que requiert son état de santé, sans franchise médicale, sansdépassement d’honoraires.L’Etat est assez pauvre pour se replier de ses services publics qui sont universelspour financer ce qui n’engage qu’une partie de la population, la croyance religieuse.Tel est le douloureux paradoxe en face duquel nous sommes : une Républiqueultralibérale qui se désinvestit de ses services publics, au nom de Lisbonne etde la dévolution à la concurrence privée de ce qui devrait rester de l’ordre desresponsabilités de l’Etat commun à tous.Un tel Etat est assez riche pour accorder des privilèges financiers à ceux quicroient par rapport à ceux qui ne croient pas.Dire qu’il faut réserver l’argent public à ce qui est d’intérêt public, ce n’est pasléser les croyants. Raisonnons : si un croyant va à l’hôpital public et qu’il y estsoigné gratuitement et avec la meilleure qualité de soins possible, il fait deséconomies par rapport à ce qu’il dépenserait dans l’hypothèse d’un libéralismequi l’obligerait à payer les soins et qui conditionnerait la qualité des soins à larichesse de la personne. Ce croyant fait des économies parce que la puissancepublique est présente dans le champ social d’une République sociale et laïque,comme le disait Jaurès. Ceux qui veulent consacrer ces économies à financer deslieux de culte le pourront d’autant plus facilement que la République sociale etlaïque, universelle, aura assumé son rôleIl n’est pas dans le rôle de la puissance publique de financer des lieux de culte,mosquées, temples ou autres. Il est dans son rôle que tous les citoyens accèdentgratuitement aux services publics – gratuitement, non, on le sait bien : financéspar l’impôt de tous. Enfin, il est dans son rôle que tous les citoyens accèdent àce qui est universel.

Je vous propose, à partir de cette observation, une définition simple de la laïcité.

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Trois mots grecs veulent dire peuple : laos, demos, ethnos. Laos, c’est la tota-lité d’une population ; demos, c’est la communauté des citoyens dont on sait qu’àAthènes, elle était singulièrement limitée ; ethnos qui a donné ethnographie, ungroupe d’humains selon ses caractéristiques culturelles.

Nous sommes leLaos.Nous sommes le peuple indivis.Les différences qui sont entrenous ne sauraient en aucun cas donner lieu à des affrontements si dumoins, la puis-sance publique reflète ce qui est commun à tous. La croyance religieuse oul’humanisme athée ne nous est pas commun.C’est une chose particulière. Le soucide la santé, de la culture, de l’éducation nous est commun. C’est universel.De grâce, ne sacrifions pas l’universel sur l’autel du particulier.

J’appelle «laïcité» l’union de tout le peuple indivis sur la base de la liberté deconscience, de l’égalité de traitement quelle que soit l’option spirituelle et de lafinalité universelle de la puissance publique.Trois principes qui entrent en résonance évidente avec le triptyque républicain.

Liberté de conscience : la religion n’engage que les croyants, l’athéisme que lesathées.Egalité de traitement : la puissancepubliquenepeut pas favoriser les unspar rapportaux autres.C’est pourquoi la loi Debré que le mouvement laïque cesse de combattre est uneinjustice perpétuée. Je veux rendre hommage à ceux qui ont prêté serment àVincennes de combattre cette loi.Quand Baubérot exclut l’égalité, il renforce le privilège des croyants. Il renforcel’accommodement raisonnable. Je vous demande un peu… Qu’est-ce que celasignifie de faire des accommodements raisonnables sur le principe d’égalité dessexes ? Cela veut dire qu’il faut mixer l’égalité des sexes avec un peu d’inégalité ?Est-ce qu’on va transférer une femme à un tribunal islamique sous prétexte dediversité des cultures ? Ou est-ce qu’on va la garder sous la protection de la loigénérale qui implique la stricte égalité des sexes ? Expliquez-moi cet accom-modement raisonnable du principe d’égalité des sexes : il faut introduire un peud’inégalité…comme par hasard pour les religions…

Non. Ceux qui ont inventé le concept abject de «laïcité ouverte» portent uneécrasante part de responsabilité. Quand je dis « je suis pour la justice et pour lesdroits de l’Homme», est-ce que je dis «attention, une justice ouverte, des droitsde l’Homme ouverts» Qu’est-ce à dire ? C’est une insulte à la connaissance de

la laïcité. Prétendre que la laïcité doit être ouverte, c’est sous-entendre qu’elleest fermée. Ce sont donc les adversaires qui l’ont baptisée «laïcité ouverte».

Je fais des conférences en Espagne, là où l’Eglise jouit encore de privilèges enraison de «son rôle historique» Parlons-en ! Les bûchers de l’Inquisition sontencore dans toutes les mémoires. Et ce que disait Franco ! «En Espagne, on estcatholique ou on n’est rien». C’est cela le rôle historique de l’Eglise qui justi-fierait qu’on continue aujourd’hui à la financer publiquement ? Est-ce fairepreuve d’hostilité à la religion quand je dis cela ?Non. Les adversaires de la laïcitépeuvent bien déguiser les choses comme ils veulent en disant qu’on est dogma-tique quand on défend une laïcité comme ils disent «intégriste». Quellestupidité ! L’intégrisme, c’est la non-reconnaissance de l’indépendance de lasphère privée ; c’est donc le contraire de la laïcité.

Quand je définis la laïcité comme l’alliance indissociable de 3 principes, libertéde conscience, égalité de traitement de tous les citoyens et finalité universellede la puissance publique, je ne vois pas en quoi cette définition est dogmatique.Victor Hugo , croyant, qui dans son testament disait «Je crois en Dieu ; je refusel’oraison de toutes les Eglises», qui s’exclamait le 15 janvier 1850 «je veux l’Eglisechez elle et l’Etat chez lui», donnait la formule impeccable de la laïcité, 50 ansavant la loi du 9 décembre 1905.

Il est maintenant temps de conclure.Deux objections. L’objection relativiste qui donne plusieurs définitions de lalaïcité. On sait ce que recouvre ce relativisme qui en d’autres temps pouvait êtreun outil de liberté et de critique. Ici, le relativisme est une volonté de noyer lepoisson, comme le fait Manuel Valls à Evry, quand il estime que la puissancepublique est fondée être dans son rôle lorsqu’elle finance des lieux de culte. Iln’y a pas 36 définitions de la laïcité. Ce n’est pas être dogmatique que de le dire.J’espère que vous ne m’estimez pas dogmatique quand je rappelle que les motsont un sens et non pas un autre.

Deuxième argument, l’argument pragmatique. Je me suis entendu dire par desresponsables socialistes : «oui, vous avez de beaux principes, mais dans lapratique, c’est différent..». Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce qu’un prin-cipe qu’on viole au nom de la pratique ? Lorsque Jean Glavany m’a proposé devenir l’aider à élaborer un projet de loi laïque pour l’AssembléeNationale et qu’ilmemet sous les yeux un projet qui commence par dire «il faudra renforcer le cahier

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des charges des écoles privées», j’ai dit «je ne fais pas de mise en cause ad nomi-nem, mais nous ne pouvons pas continuer à travailler ensemble ; le ver est dansle fruit.» A partir du moment où des socialistes considèrent que la loi Debré estune donnée qu’on ne remettra plus jamais en question et qu’on va même laconsacrer en renforçant le cahier des charges, le pire, c’est que vous renforcezle cahier des charges pour mettre les écoles privées à identité avec les chargesdes écoles publiques, vous supprimez toute spécificité des écoles privées .

Ni l’argument relativiste ; ni l’argument pragmatique…Ces deux arguments ontfait tant de mal à la laïcité ! Témoin cette odieuse loi «Carle» qui organise ceque dit si bien Eddy Khaldi, Nanterre qui va financer Neuilly .Pourquoi a-t-on tant de mal à réunir le camp laïque ? Pourquoi le concept delaïcité est-il à ce point perdu de vue ? Ce beau concept que nous respirons sansle savoir. N’est-il pas merveilleux de vivre dans un pays qui respecte les croyancesreligieuses et qui respecte aussi l’humanisme athée ? Qui respecte la liberté deconscience, l’égalité de traitement de toutes les options spirituelles et qui consa-cre les fonds publics uniquement à ce qui est universel ? N’est-ce pas une belleet grand-chose ? Pourquoi l’avoir oublié ? Pourquoi en avoir brouillé le sens ?Pourquoi avoir désespéré le camp laïque par des pratiques de compromission etde trahison ? Pourquoi ne pourrait-on pas dire : dans un délai d’une législature(5 ans) on demande aux écoles privées de se financer elle-même. On ne va pasleur couper les vivres tout de suite ; on leur donne 5 ans pour s’organiser. Et l’ar-gent public va aller à l’ouverture d’études surveillées, d’aide aux enfants endifficulté dans les écoles publiques. On retirera ainsi aux parents qui mettent leursenfants dans les écoles privées parce qu’ils veulent plus d’encadrement, lesraisons qu’ils ont de le faire en donnant aux institutions publiques l’argentpublic issu de tous les contribuables.

Je suis allé en Espagne tout récemment. J’y retourne pour défendre la laïcitéparce que nos amis espagnols ont besoin d’un sacré coup demain. Quand je leurdis qu’il y a en France des écoles privées financées par des fonds publics, ils sontabasourdis. Parce qu’ils voient dans la France le phare de la laïcité.

Nous avons une responsabilité et un devoir : défendre la laïcité en France, c’estaussi rendre le plus grand des services à Taslima Nasrin, au Bengladesch, àEducalaïca en Espagne, à nos amis italiens.Nous avons une immense responsabilité non seulement à l’égard de la Franceen disant qu’une république laïque et sociale est infiniment préférable à une

république ultralibérale qui transforme en charité la justice sociale. Ce que faitM. Sarkozy en disant que la République ne peut pas donner un sens à la vie, iln’y a que les religions pour faire ça. En érigeant le curé au-dessus de l’institu-teur. Il n’a rien compris. Ils ne peuvent être comparés, ils ne remplissent pas lamême fonction. Qu’est-ce que l’instituteur ? C’est quelqu’un qui instruit l’en-fant de ce qu’il ignore pour qu’un jour, cet enfant puisse se passer demaître. C’estcela, la fonction de l’école publique. On ne doit pas l’oublier.J’espère que vous ne m’avez pas trouvé dogmatique dans cette démonstrationraisonnée de l’idéal laïque et dans cet hommage vibrant de cette laïcité qui n’estpas plurielle, singulière, ouverte, fermée, qui est la laïcité tout court.N’adjectivons pas la laïcité. Le cœur est auprès de la raison. L’idéal laïque estl’avenir parce que dans un monde où les migrations de populations ne cessentde se développer, il est clair qu’on aura à traiter de la diversité culturelle ; et seul,un cadre juridico-politique émancipé de toute tradition particulière pourrafaire vivre ensemble, fraternellement, des personnes issues de cette diversité.

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INTERVENTIONDEGUILLAUMELECOINTRE

Enseigner le périmètre des sciences : un enjeu laïque et démocratique

UN PÉRIMÈTRE DE SCIENCETRÈS SOLLICITÉ

Les citoyens des pays occidentaux sont confrontés, dans l’exercice même de leurcitoyenneté, à deux périls opposés.

Ici, la science se trouve mimée ou instrumentalisée par des forces mercantiles,politiques ou religieuses pour servir des objectifs qui n’ont pas de rapport avecl’avancée des connaissances objectives. Cette dernière opération est facilitéeparce que la science semble détenir un prestige symbolique et les clés d’unecertaine efficience tout en étant dépourvue demoyens de défense. Par exemple,les forces religieuses peuvent facilement faire intrusion en science en entrete-nant une confusion entre discours de valeurs et discours de faits : soit oncherche à utiliser les sciences pour légitimer des positions de valeurs, soit on faitcomme si les méthodes de travail et résultats des scientifiques étaient en eux-mêmes l’expression de valeurs –forcément arbitraires- forgées à dessein. Dansce dernier cas, on réclamera alors en retour des modifications de la démarchescientifique elle-même pour «modifier» ces valeurs et les soumettre à celles véhi-culées par telle ou telle religion (ce fut le cas de l’Intelligent Design aux EtatsUnis d’Amérique), lorsqu’il ne s’agit pas tout bonnement de spiritualiser ladémarche scientifique.

Là, la science se trouve purement et simplement niée dans ses méthodes et sesrésultats sur la base d’arguments d’apparence rationnelle. Elle semble pouvoirêtre facilement niée parce qu’elle produit des assertions contre-intuitives, dansun langage spécialisé, et qui peuvent parfois paraître instables. La négation estfacilitée parce que l’on confond quatre acceptions courantes et vernaculaires dumot «science» : 1. la science comme ensemble de résultats à unmoment donné,2. la science comme communauté professionnelle, 3. la science comme ensem-ble d’applications à haute teneur technologique et 4. la science commeméthodecollective et rationnelle de compréhension du monde réel. Le procédé consistealors à «rejeter le bébé avec l’eau du bain», c’est-à-dire à refuser en bloc l’ap-proche rationnelle du monde réel parce que l’un des trois premiers motifs adysfonctionné (résultats instables, scientifiques malhonnêtes, «mauvaises»applications…).

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JEUX DEMOTS SUR LES «CROYANCES»

D’autres difficultés proviennent d’un relativisme larvé qui utilise le mot«croyance» comme passe-partout. Les hommes sont capables de produire touteune gamme d’assertions sur le monde : philosophiques, religieuses, théologiques,mythologiques, poétiques, oniriques, artistiques, politiques, scientifiques, narra-tives, idéologiques, morales, ludiques, etc. Nous serions enclins à penser que tousces modes reposent sur des croyances et produisent des croyances : tout seraitcroyance, autant pour les scientifiques qui «croient» aux assertions ration-nelles, que les religieux qui «croient» à une transcendance à l’origine dumonde,voire à la version littérale d’un texte sacré, ou encore d’un homme politique qui«croit» en un idéal de société. Si tout est croyance, nous serions alors autorisésà franchir le pas vers un relativisme où tout se vaut. Les assertions scientifiquesauraient le même statut que les assertions religieuses ou artistiques (ou autres).Ce serait oublier deux questions fondamentales : 1. Il y a différents sens au mot«croyance» et 2. les modalités de production des affirmations sur le monde sontextrêmement diverses : elles n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmesméthodes ; elles ne reposent pas sur les mêmes codes, les mêmes ressorts del’assentiment.

Il ne faut pas confondre le mot croyance au sens de «rational belief» et le motcroyance au sens de « faith» (foi). Si un scientifique croit à un résultat et soninterprétation issus de ses expériences, cette croyance est à prendre au sens dudegré de confiance (très élevé) qu’il est permis d’accorder au résultat enquestion, au-delà de tout doute raisonnable. Une propriété essentielle de cette«croyance» est qu’elle reste questionnable, que sa remise en cause est toujourspossible et même souhaitable. C’est le propre des assertions scientifiques. Lacroyance au sens de «foi», elle, ne peut être remise en cause, de par la défini-tion même du mot. La foi n’éprouve pas le besoin de se justifier : elle estl’affirmation de la vérité non négociable de ce qui est. Dès lors, elle ne tire passa légitimité de la possibilité d’être remise en cause, mais d’un pouvoir quiproduit et maintient l’affirmation. La «croyance» scientifique, elle, tire salégitimité de l’ouverture laissée à sa propre déstabilisation. Les assertions scien-tifiques sortiront renforcées d’une résistance à de multiples mises à l’épreuve.

En raison de ces différences fondamentales, il n’est pas souhaitable de parler de«croyance» lorsque l’on fait allusion au degré de confiance que les scientifiquesaccordent à leurs résultats, ni même à la confiance qu’ils accordent à leurbagage méthodologique (voir plus loin).

Enfin, ces différents modes de production d’assertions sur le monde sontméthodologiquement variés. Ils ont tous besoin de communiquer et donc detransmettre quelque chose à autrui, de convaincre, mais n’utilisent pas lesmêmes codes et techniques pour cela. Ce que chacun va tenter demobiliser chezautrui afin de se faire comprendre est même différent. Nous expliciterons parla suite comment les scientifiques produisent leurs affirmations et dans quel but.La nécessité de bien faire identifier ces modes ne résulte pas d’une volontéd’enfermer les assertions sur le monde dans des boîtes catégorielles étanches.Bien au contraire, c’est créer la condition même de leur dialogue : on nedialogue jamais aussi bien, l’échange n’est jamais aussi fructueux que lorsque lespartenaires identifient bien leurs objectifs et leurs modes de fonctionnementrespectifs. Par exemple, les problèmes que suscitent les créationnismes dans lessciences viennent précisément du fait que ceux-ci assignent aux sciences desobjectifs qui ne sont normalement pas les leurs ; et tentent de modifier lesméthodes scientifiques afin de les instrumentaliser.

DIVERSITÉ DES CRÉATIONNISMES

Depuis quelques années le créationnisme déguisé en science refait surface dansles medias et dans les écoles (du côté des élèves en France, du côté des parentsd’élèves aux Etats-Unis et en Australie), ainsi que dans la bouche de certainshommes et femmes politiques des pays développés (comme la Pologne, l’Italie,la Serbie, les Pays-Bas, sans parler des Etats-Unis d’Amérique), sans qu’il soittoujours possible pour le citoyen d’identifier s’il s’agit vraiment d’une affaire descientifiques. Il est vrai que certains journaux ont contribué à créer la confusion.Cette contribution tente de donner des clés pour identifier les limites dessciences et montrer en quoi le créationnisme se positionne bien au-delà,c’est-à-dire en dehors des sciences. En fait, le créationnisme n’est pas unproblème de scientifiques en tant que corps professionnel constitué. Aucune desaffirmations créationnistes n’est collectivement validée par les scientifiquesspécialistes des champs concernés. Le créationnisme vient de l’extérieur dumondedes sciences, pour être clair de forces politiques et religieuses qui éprouvent lebesoin de mobiliser de force les sciences et les scientifiques pour leurs besoins.

Examinons à présent les différentes versions du créationnisme. Nous ne traite-rons, d’un point de vue interne à la démarche scientifique, que de ceux d’entreeux qui entendent mobiliser la science de l’intérieur, soit au niveau de la sociétédes chercheurs, soit au niveau d’une redéfinition des objectifs de la science, voirede la démarche scientifique. Voici une typologie de ces créationnismes :

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A. Les créationnismes intrusifs :A.a. Nier la science : le créationnisme négateur d’Harun Yahya.A.b. Mimer la science : le créationnismemimétique deH.Morris et D. Gish.A.c. Plier la science : le «Dessein Intelligent» ou la théologie de William

Paley présentée comme théorie scientifique

B. Le spiritualisme englobant :B.a. Science et théologie vues comme les pièces d’un même puzzle : l’Uni-

versité Interdisciplinaire de ParisB.b. La fondation John Templeton : lorsque la théologie finance la science

Dans le monde occidental, le créationnisme «scientifique» le plus puissant et lemieux organisé est certainement celui de certains fondamentalistes protestants,qui cherche les preuves scientifiques de l’intégralité des affirmations de LaGenèse de la Bible. Littéralement, la Bible ne parle pas d’évolution des espècesmais de création. En prenant le texte non pas comme une métaphore mais aupied de la lettre, les créationnistes s’orientent à coup sûr vers un conflit avec ceque dit la science d’aujourd’hui du déroulement historique et des modalités dela formation de notre univers, de notre planète et de la vie qui s’y développe. Ceconflit est à deux étages. D’abord, un conflit factuel : les faits tels que les racon-tent les créationnistes (toutes les espèces sont le fruit d’une création divine, laterre a 6 000 ans) ne concordent pas avec ceux produits par la science d’au-jourd’hui (la diversité des espèces est le fruit d’un développement généalogiquepassé au cours duquel elles se sont transformées, et la terre a 4,5 milliards d’an-nées). Ensuite il faut traiter d’un conflit beaucoup plus profond, de natureépistémologique : comment les créationnistes prétendent-ils prouver scientifi-quement ce qu’ils avancent ? Il s’agit d’un scientisme extrême puisqu’ils fontoutrepasser ses droits à la science en la faisant légiférer sur un terrain expéri-mentalement inaccessible, dans le second cas ils tentent de prouver ce qui est déjàécrit dans le marbre et, dès lors, le scepticisme initial à l’égard des faits, attituderequise pour toute démarche scientifique, n’est plus de mise.Ce premier constat montre bien que, pour traiter ces questions, le scientifiqued’aujourd’hui ne peut pas se contenter de relever les erreurs factuelles commises par lescréationnistes. Quand bien même ne commettraient-ils pas d’erreurs, leurdémarche n’en serait pas valide pour autant. Il faut donc, d’un point de vuecritique et pédagogique, inévitablement définir la connaissance objective, rappe-ler comment les scientifiques l’acquièrent, définir les objectifs et les limites dela science. Ensuite, et seulement ensuite, on peut comprendre pourquoi lesconstructions créationnistes sont des fraudes scientifiques, pourquoi

«créationnisme» et «scientifique» sont deux mots antagonistes. Définir leslimites de la démarche scientifique implique en soi d’examiner les rapports entrescience et philosophie. C’est également utile car c’est sur ces frontières que lesspiritualistes convoquent la science.

DÉJOUER LES CRÉATIONNISMES «SCIENTIFIQUES» :

UN NÉCESSAIRE RETOUR À L’ÉPISTÉMOLOGIE

Le créationnisme des élèves pose de nouveaux problèmes aux enseignants euro-péens, dès lors qu’il s’affirme ouvertement en classe de sciences naturelles (enFrance : «SVT»). Face à la recrudescence des interventions créationnistes dansles classes, il ne saurait y avoir pour l’enseignant de conduite adéquate à uneposture scientifique et laïque sans qu’il soit informé de quelques élémentsd’épistémologie rappelant le type de contrat que la science a passé avec laconnaissance voici un peu plus de deux siècles.

Les sciences expérimentales vont prendre leur envol chez les philosophes-scientifiques naturalistes du XVIIème siècle dans un triangle situé entreAmsterdam, Londres et Paris, par un nouveau contrat qui va s’instaurer entrela science et la connaissance, toujours en vigueur aujourd’hui. Le nouveaucontrat est d’unir les hommes par leur raisonmise en œuvre dans un rapport auréel qui est l’expérimentation. Le projet scientifique devient un universalismenon dogmatique : le but de la science est de construire des connaissancesuniversellement partageables et partagées, des connaissances objectives. Uneconnaissance n’acquiert cette qualité d’objectivité que lorsqu’elle a été corro-borée par plusieurs observateurs indépendants. Encore aujourd’hui, il n’est pasplus beau cadeau donné à un scientifique que de voir un résultat qu’il a publiéconfirmé expérimentalement par une autre équipe avec laquelle il n’a pas inter-agi. La question de la reproductibilité des expériences scientifiques devientdonc centrale à cet objectif. Elle est fondée sur quatre piliers :

- Premier pilier. La démarche scientifique ne peut s’initier que sur unScepticisme initial concernant les faits. Nous n’expérimentons sur lemonderéel que parce que nous nous posons des questions. Si ce qui est à découvrir estdéjà écrit, nous n’avons d’emblée qu’une parodie de science. Ceci se produitchaque fois qu’une force extérieure à la science lui dicte ce qu’elle doit trouver.

- Deuxième pilier. Lesméthodes de la science sont réalistes. Lemonde là dehorsexiste indépendamment et antérieurement à la perception que j’en ai et auxdescriptions que l’on en fait. En d’autres termes, le monde des idées n’a pas la

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priorité sur le monde physique. Si je fais des expériences et que je les publie,c’est dans l’espoir qu’un collègue inconnu me donnera raison en ayant trouvéle même résultat que moi. Je parie donc que le monde physique se manifes-tera à lui comme il s’est manifesté à moi. Je ne vois aucun sens à l’activitéscientifique, en tant que poursuite d’un projet de connaissance universelle, sice réalisme n’est pas de mise.

- Troisième pilier. Les méthodes de la science mettent en œuvre la rationalitéde l’observateur. La rationalité consiste simplement à respecter les lois de lalogique et le principe de parcimonie. Ce sont des propriétés de l’observateur,pas celles des objets observés.

Logique - Aucune démonstration scientifique ne souffre de fautes de logique ;la sanction immédiate étant sa réfutation. L’universalité des lois de la logique,soutenue par le fait que les mêmes découvertes mathématiques ont pu être faitesde manière convergente par différentes civilisations, devrait recevoir une expli-cation naturaliste : elle proviendrait de la sélection naturelle.

Parcimonie - Les théories que nous acceptons sur le monde sont les pluséconomiques en hypothèses. Plus les faits sont cohérents entre eux et moins lathéorie qu’ils soutiennent a besoin d’hypothèses surnuméraires nondocumentées. Les théories les plus parcimonieuses sont donc les pluscohérentes. La parcimonie est une propriété d’une théorie ; elle n’est pas lapropriété d’un objet réel. Ce n’est pas parce que nous utilisons la parcimoniedans la construction de nos arbres phylogénétiques que nous supposons quel’évolution biologique a été parcimonieuse, comme le croient erronémentcertains. Le principe de parcimonie est utilisé partout en sciences, mais il peutêtre aussi utilisé hors des sciences, chaque fois que nous avons besoin de nouscomporter en êtres rationnels. Le commissaire de police est, sur les écrans detélévision, le plus médiatisé des utilisateurs du principe de parcimonie. Ilreconstitue le meurtre avec économie d’hypothèses, ce n’est pas pour autantque le meurtrier a ouvert le moins de portes possibles, tiré le moins de ballespossible et économisé son essence pour se rendre sur les lieux du crime.

- Quatrième pilier : La science observe unmatérialismeméthodologique : toutce qui est expérimentalement accessible dans le monde réel est matériel oud’origine matérielle. Est matériel ce qui est changeant (Bunge, 1981), c’est-à-dire ce qui est doté d’énergie. En d’autres termes, la science ne travaille pas avecdes catégories par définition immatérielles (esprits, élans vitaux, etc.) ; celaparticipe de sa définition.

Ces propriétés conditionnent la reproductibilité des expériences, caractérisentles sciences expérimentales, et du même coup définissent la science par sesméthodes. On remarquera que cette définition est la plus large qui soit ; beau-coup plus large que les critères de scientificité retenus par les poppériens, etau-delà de l’imprécise et regrettable division entre «sciences dures» et «sciencesmolles». Mais si la science a pris son essor grâce à la philosophie matérialiste,elle n’est pas pour autant cette philosophie. Comme le rappelle le philosophePascal Charbonnat, «Le matérialisme ne subsiste dans les sciences qu’à l’état deméthode, et non pas comme conception de l’origine, démarche non empirique par défi-nition». C’est en ce sens qu’on parle de «matérialisme méthodologique».

Les créationnismes qui se préoccupent de science commettent tous aumoins une entorse à l’un des quatre piliers cités plus haut. Les spiritualistesenglobants (catégorie B) dénigrent et déforment le matérialismeméthodologique(quatrième pilier) pour pouvoir introduire en sciences un spiritualisme sanslimites. Les créationnismes intrusifs A.a et A.b sont pris en défaut demanquement au scepticisme initial sur les faits (premier pilier) : ce qui est àdémontrer scientifiquement est déjà écrit dans un texte sacré. On peutmême direque le créationniste qui se qualifie de scientifique est le contraire d’un scientifiquedans le sens où le premier cultive un scepticisme manipulateur sur les méthodestout en étant convaincu des faits «à démontrer», tandis que le second faitconfiance en ses méthodes pour questionner les faits au sujet desquels il estsceptique. Enfin, la catégorie A.c commet des fautes de parcimonie, tout enrécusant le matérialisme méthodologique que d’ailleurs il déforme pour mieuxl’accuser de tous les maux. Les créationnismes «scientifiques» sont incompatiblesavec la science, et c’est pour cela qu’ils tentent de la redéfinir à l’usage de leursbesoins politiques. Car en effet, à y regarder de près, les créationnismes soustoutes leurs formes prennent naissance en dehors des sciences et du milieu desscientifiques, mus par de puissants mouvements et motifs politiques (IntelligentDesign), idéologiques (Harun Yahya) ou religieux (tous).

Une dernière entorse commise par eux est, la plupart du temps, de déformer lesobjectifs des sciences. Au lieu de cantonner les sciences à l’élucidation dequestions de faits et à l’élaboration de connaissances objectives telles que définiesplus haut, ce qui devrait être, ils attendent des sciences qu’elles répondent ouprescrivent dans des secteurs qui ne relèvent normalement pas d’elles, afin de lesinstrumentaliser : attendre des sciences qu’elles répondent à des questionsmétaphysiques de sens, qu’elles nous rassurent, ou faire d’elles des prescriptricesde postures morales, politiques, législatives ou religieuses. Dévoyer ainsi une

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profession permet de l’infiltrer et d’utiliser son dynamisme pour légitimer descombats politiques ou métaphysiques que ces mouvements ne seraient pascapables de gagner par ailleurs. C’est un point à examiner en détail.

LA CONFUSION ENTRE LES QUESTIONS DE FAITS ET LES QUESTIONSMORALES :

UNE STRATÉGIE DE CHOIX POUR LES CRÉATIONNISMES

Les créationnismes philosophiques oumême «scientifiques» prônent un retourde la religion dans la démarche scientifique parce qu’ils qualifient celle-cid’«immorale». Selon eux, seule la religion saurait moraliser la science. Certainsvont même tenter de faire passer une théorie scientifique, la théorie contem-poraine – darwinienne – de l’évolution pour dégradante pour l’homme (cettethéorie dirait que «la vie d’un homme n’a pas plus de valeur que la vie d’un verde terre») ou encore comme prescrivant des comportements immoraux.L’indignation suscitée et attendue suffirait ensuite à remporter l’assentiment etmobiliser les citoyens contre cette science délétère pour les valeurs.

Il fut une époque où la science était le serviteur de la théologie, et donc de laphilosophie. A ce titre, la science mélangeait les discours sur les faits et lesdiscours de valeur. Depuis la révolution scientifique des XVII et XVIIIe siècles,la science n’a pourtant plus vocation de servir ou de justifier à dessein undiscours de valeurs. Son nouveau contrat passé avec la connaissance secantonne à mettre en lumière des faits expérimentalement reproductibles.Cela n’empêche en rien les valeurs d’être régies dans les domaines moral,civique, éthique, politique, voire théologique ou religieux. Une bonnecompréhension de cette séparation des rôles aidera à faire face à l’irruptiond’interventions idéologiques, politiques ou religieuses au sein du cours desciences, ou du dévoiement du cours de sciences naturelles en liste deprescriptions civiques. Par exemple, le simple fait scientifiquement prouvéqu’un sac plastique met plusieurs siècles à se dégrader dans un sol ne devraitpas conduire dans la même leçon de sciences à l’injonction selon laquelle il nefaut pas jeter les sacs au sol. Et si le sac ne mettait que trois jours à se dégrader,serait-il alors justifié de le jeter dans la nature ? Quelle est la véritablejustification de l’injonction civique ou morale ? Par ailleurs, lorsqu’unscientifique ou un enseignant de sciences dit «l’homme est un singe» il nes’agit en rien d’une insulte et l’assertion ne doit pas être prise comme telle. Ils’agit d’un discours de fait. Pour le discours scientifique, «singe» renvoie à«simiiformes» qui est, dans la classification, un ensemble argumenté par lafusion des deux os frontaux (entre autres caractéristiques) ; en d’autres termesune convention taxonomique. Cela revient à dire «comme le babouin, le

ouistiti, le gibbon et le chimpanzé, l’homme a ses deux os frontaux fusionnéset cette fusion fut acquise par ascendance commune». Cette assertion n’est pasde l’ordre du discours des valeurs ; elle est testable empiriquement (os frontauxpar l’anatomie, ascendance commune par la phylogénie).

En raison de l’indépendance desméthodes et objectifs de la science déjà évoquéeplus haut, la grande majorité des scientifiques n’utilise pas de valeurs ni depostures morales ni politiques dans le cours des démonstrations ; ni nedémontrent le bien fondé de valeurs. Même si certains ont pu le faire au coursde l’Histoire des sciences, par exemple en distordant les faits plus ou moinsconsciemment pour conforter des valeurs, ils ont été récusés a posteriori. Si lecœur méthodologique de la science est amoral (-et non pas immoral-), il n’enva pas de même pour le contrôle social de l’activité scientifique. Le cœur desdémonstrations est amoral, mais les scientifiques expriment ou se plient à desvaleurs, normes et lois au niveau du contrôle social de la science, par exemplelorsqu’un biologiste signe une charte contre la souffrance animale alors quel’anesthésie d’un animal ne sert pas en elle-même à l’expérience. Cettedistinction est importante pour déjouer les discours de rejet de la science sousprétexte d’immoralisme, ou de tentatives de «spiritualisation» de la démarchescientifique destinées à la «moraliser».

Aujourd’hui les rapports entre la science et la philosophie sont asymétriques.La science a acquis, depuis deux siècles, une pleine indépendance de sesproductions. Cela veut dire qu’aucune force extérieure à ses seules méthodesne saurait lui dicter d’avance ce qu’elle a à découvrir ou démontrer, sous peinede corruption du processus expérimental et démonstratif. Cela vaut pour lesforces mercantiles, idéologiques ou religieuses, mais aussi pour les injonctionsmorales ou politiques, les philosophies. Les sciences ne sont pas isolées de laphilosophie ; elles s’y enracinent. Mais elles ne se déploient pas pour unephilosophie particulière. En d’autres termes, si la philosophie matérialiste aémancipé les sciences, en retour les sciences ne lui doivent rien, pas plus à ellequ’à n’importe quelle autre philosophie. C’est en ce sens qu’on ne sauraitdemander à la science de servir sur commande une posture philosophique oudes valeurs, quelles qu’elles soient. Le rapport est asymétrique en ce sens quela philosophie, si elle le souhaite, peut en revanche prendre en compte lesrésultats des sciences expérimentales. Mais en aucun cas ces résultats n’aurontété produits à dessein. Là réside toute la différence entre «servir» et «servir à».Le rapport est asymétrique également dans le sens où, tout en ne produisantrien sur commande, la science a de surcroît le pouvoir d’exercer une fonction

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critique sur les productions de la philosophie, des religions, des superstitions,des pseudosciences, dès lors que ces productions prétendent légiférer dans lemonde réel. En ce sens la science est passivement contraignante pour laphilosophie. «Passivement» signifie que toute philosophie est libre ou nond’accepter une telle contrainte.

UNE DISTINCTION RAREMENT RELEVÉEMAIS POURTANT CAPITALE :

L’INDIVIDUEL ET LE COLLECTIF

Enfin, et en guise de conclusion, attirons l’attention du citoyen sur les méfaitsd’une confusion accrue entre les domaines du public et du privé. Lesscientifiques professionnels payés par l’Etat ont signé un contrat deconstruction collective de connaissances objectives. Une connaissance devientobjective lorsqu’elle a été vérifiée et validée par des observateurs indépendants,ce qui implique la dimension collective du contexte de validation. Lors des testsexpérimentaux menés, chaque scientifique laisse au vestiaire de son laboratoireses options métaphysiques et politiques personnelles. Le contexte de validationdes savoirs est donc tacitement laïque. Leur profession entière n’a pas à prendreposition activement sur le plan métaphysique, ceci relevant du métier dephilosophe (ou de théologien). Autrement dit, un scientifique du secteur publicinvité à titre professionnel devant un public doit s’abstenir de faire passer sesoptions métaphysiques personnelles pour validées scientifiquement –on ne letolérerait pas d’un enseignant de sciences naturelles. La raison en est évidente :la validation des savoirs scientifiques possède une dimension laïque intrinsèque,rarement revendiquée mais profondément ancrée dans l’ethos de la science.Pourtant, la principale activité des plus sophistiquées des formes duspiritualisme moderne telle la fondation John Templeton ou de l’UniversitéInterdisciplinaire de Paris est précisément de brouiller complètement ceslimites de légitimité. Le citoyen doit être armé d’une conscience laïque trèsmarquée pour déjouer les confusions qui sont à l’œuvre.

Rien de tout cela ne remet en cause la liberté individuelle d'opter pour unemétaphysique de son choix. Mais ce choix ne saurait constituer une connaissanceobjective. Les connaissances empiriques, universellement testables, constituent lapartie de nos savoirs qui unissent les hommes, et c’est pour cela qu’elles sontpolitiquement publiques. Les options métaphysiques restent personnelles etpolitiquement privées car elles peuvent diviser les hommes et donc devenir dans lechamppolitique une source d’oppression. Les organisations telles que leDiscoveryInstitute (promotrice de l’idée d’Intelligent Design), la John TempletonFoundation ou l’Université Interdisciplinaire de Paris en France ont bien compris

que pour faire gagner du terrain à la théologie il faut brouiller les limitesépistémologiques de légitimité entre religion et science, et les limites politiquesentre l’individuel et le collectif, entre le privé et le public. Ils ont bien comprisqu'en finançant des scientifiques, des laboratoires, des colloques, elles peuventcoopter des scientifiques individuellement afin de créer la confusion sur le projetcollectif d'une profession ; et faire passer une posture métaphysique pourscientifiquement validée –et donc collectivement validée. Il est donc de leur plushaut intérêt de se faire les amis de la science et des scientifiques. La fondationTempleton soutient l’American Association for the Advancement of Science qui publiele journal Science, et soutient surtout de nombreuses recherches. Sur le longterme, l’« ouverture » au dialogue entre science et religion sur laquelle la fondationTempleton ou l’UIP fondent leur communication risque de s’avérer désastreusepour l’autonomie de la science dans un contexte où le financement public desrecherches ne cesse de diminuer au profit des financements privés de ce type.

CONCLUSION :L’INDÉPENDANCE DES SCIENCES ET LA LAÏCITÉ

DE SON ENSEIGNEMENT SONT D’UN SEULTENANT.

Comment aider les citoyens ? Le scientifique citoyen doit être mobilisé, et il l’estsouvent avec générosité : il sait mieux que quiconque –en principe- de quoi estfaite sa démarche professionnelle. Pour travailler sur le long terme, il doit allervers le corps enseignant. L’enseignement d’un périmètre méthodologique dessciences, défi pédagogique porté sur une question épistémologique, apparaîtd’une urgence renouvelée et d’une portée politique évidente. Il ne s’agit pas dedélivrer une norme ni une description angélique de ce que font les scientifiquesdans leur laboratoire, mais d’énoncer enfin les termes d’un contrat qui est biencelui que nous enseignons tacitement à nos doctorants qui apprennent le métier.Un enseignement laïque des sciences prépare la laïcité professionnelle desfuturs scientifiques et donc leur indépendance quant à ce qu’il y a à dire de ration-nel sur le monde réel. En retour, la laïcité tacite des assertions scientifiquesmaintient la laïcité de l’enseignement : comment pourrait-on produire unenseignement laïque de résultats scientifiques si ceux-ci portaient la marque del’appartenance religieuse de ceux qui les ont produits ? C’est pourtant ce qui seprépare avec les sciences «enfin spiritualisées» que nous préconisent la Fonda-tion, John Templeton, l’Université Interdisciplinaire de Paris ou bien lespromoteurs de l’Intelligent Design. L’indépendance des sciences et la laïcité deson enseignement sont d’un seul tenant.

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INTERVENTIONDEEDDYKHALDI

D’abord, je vais citer le Président de la République, au travers de son livreco-écrit avec Thibault Collin et Philippe Verdin:«On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des valeurs tempo-relles, matérielles, voire même républicaines…La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle procède d’une démarchespirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle recherche sa source dans le débat politique oudans le modèle républicain… La morale républicaine ne peut répondre à toutes lesquestions ni satisfaire toutes les aspirations».Il ajoute :«La religion est un élément civilisateur. L’esprit religieux et la pratique religieuse peuventcontribuer à apaiser et à réguler une société de liberté».Il dit aussi, ceci cité par Henri Peña-Ruiz, il y a un instant :«Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bienet le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur». (citationextraite de son discours au Latran le 20 décembre 2007 lorsqu’il fut introniséchanoine.)

Dans les 28 propositions de l’UMP, une seule proposition est explicite. Lasuppression de la carte scolaire. Rien à l’époque de la campagne électorale surcelles qui sont mises en œuvre depuis juin 2007 : la suppression des IUFM, lasuppression des postes, la suppression des RASED, la suppression des mater-nelles... Un seul point a été suivi d’effets, les privilèges au privé : «l’UMP veutdonner aux parents le choix de l’établissement qui convient le mieux à leurs enfants. Leparti a pour objectif de supprimer la carte scolaire mais compte procéder par étapes...».D’ailleurs, il n’a pas procédé par étape il l’a supprimée définitivement dès lapremière année. «Dans ce contexte, l’UMP qui prend acte des relations apai-sées avec l’école privée, entend donner plus de liberté et d’implication auxétablissements privés sous contrat et permettre aux parents qui le veulent descolariser leurs enfants dans le privé.»Emmanuelle Mignon, ex-directrice de cabinet du Président de la République,dit en 2004 dans une interview donné au «Monde» :«J’ai toujours été conservatrice, j’aime l’ordre. Je crois à l’initiative individuelle, àl’effort personnel et, en matière économique, à la main invisible du marché.Par exemple, je suis pour une privatisation totale de l’Education nationale».

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Pendant la période dite de Vichy, il est important de voir quelles mesures, rela-tives à l’éducation, ont été prises. Abrogées par ordonnance en 1945, certainesde ces dispositions ont été rétablies ou sont sur le point de l’être .

L’Eglise avait rencontré Pétain pour obtenir des subsistes scolaires. Ce qu’ellea obtenu. Ils ont été étendus avec le décret Poinso Chapuis, les lois Marie etBarangé, et surtout, la loi Debré.Le 18 septembre 1940, les écoles normales sont supprimées. Voyons aujourd’huiles IUFM. Regardons la comparaison présidentielle du curé et du pasteur.13 décembre 1940 : les devoirs envers Dieu dans les programmes. 13 décembre1940 les délégations cantonales, ancêtres des DDEN, sont supprimées. Regar-dons les tentatives actuelles pour les écarter de l’Ecole. On a reconnu d’utilitépublique les instituts catholiques de Paris. Voyez les accords Vatican-Kouchner !La «caisse des écoles privées» instaurée en 1940, supprimée en 1945 réapparaîtdans la loi «libertés, responsabilités locales» du 13 août 2004. En gros, on a prati-quement rétabli tout ce qui avait été abrogé en 1945.

Arrive 1959, nous abordons une autre phase, après l’aide à la famille , l’aide àl’établissement .C’est le dualisme consacré, c’est la loi Debré. «Vichy n’était pasallé aussi loin». Cette loi Debré devient, aujourd’hui, de plus en plus unconcordat scolaire. Le secrétaire général de l’enseignement catholique désignépar la conférence épiscopale s’arroge le droit de représenter l’enseignementprivé globalement. Risque redouté par Debré : «je vous le dis, il n’ait pasconcevable pour l’avenir de la Nation, qu’à côté de l’édifice public, de l’éducationnationale, l’Etat participe à l’élaboration d’un autre édifice qui lui serait enquelque sorte concurrent et qui marquerait, pour faire face à une responsabilitéfondamentale, la division absolue de l’enseignement en France».C’est ce qu’il se passe aujourd’hui, sous nos yeux.Olivier Giscard d’Estaing, rapporteur de la loi Pompidou, publie dans lemême temps, un ouvrage intitulé «Education et civilisation». Son titre estexplicite : «Pour une révolution libérale de l’enseignement». Giscardd’Estaing dit en gros : l’enseignement catholique est surdimensionné, il doitservir de cheval de Troie au libéralisme scolaire. A partir de là, il faut organiserla concurrence, donner des moyens à l’enseignement privé et multiplier lesformes d’enseignement financé par l’Etat et les collectivités locales. Il parledéjà de désinstitutionnaliser l’école d’individualiser le rapport à l’école pour,en particulier, supprimer la carte scolaire. Il veut aussi démanteler le servicepublic dont la surface est jugée trop importante. Il propose d’organiserl’apprentissage le plus tôt possible. Il évoque l’inutilité de l’enseignement

Le 14 février 2008, en charge de l’éducation, dans le cadre du plan «EspoirBanlieue» M. Darcos déclare :

«... l’enseignement privé a fait la preuve de sa capacité à accueillir des publics très divers,y compris des élèves en difficulté, et à leur proposer une pédagogie et un encadrement leurpermettant de renouer avec la réussite scolaire. Leur savoir-faire reste trop souvent auxportes de la banlieue parce que nous refusons de leur donner les moyens permettant derépondre à la demande. Je suis ministre de toutes les formes d’enseignement, et je veuxoffrir aux familles la même liberté de choix que celles dont disposent les familles des centresurbains».

Il faut que les choses soient dites clairement : depuis la loi Debré, laRépublique joue contre son camp.D’abord parce qu’on n’a plus une République unique, indivisible et laïque. Il nes’agit pas de retracer tous les épisodes.La loi Goblet du 30 octobre 1886 pour le premier degré définit unprincipe fondamental : «à école publique fonds publics à école privée fondsprivés». La loi Falloux, qui n’est évidemment pas une loi laïque, est toujours,considérée, par la juridiction administrative actuelle comme fondatrice dusecond degré.

Ces deux lois nous disent, la même chose : «Il y a des écoles fondées etentretenues par la puissance publique qui prennent le nom d’écolespubliques» et «celles fondées et entretenues par des associations ou particuliersqui prennent le nom d’écoles privées.»A partir de là, la loi Debré, est, toujours, une entorse au principe générald’interdiction de financement. D’ailleurs, le juge administratif a fixé unejurisprudence pour le 1er degré qui se traduit par l’interdiction formelle de toutfinancement qui n’est pas explicitement mentionné dans une loi. Il faut doncune habilitation législative expresse.Pareillement avec la loi Falloux, qui fixe une limite de 10 %. La propositionde loi Bourg-Broc, de 1993-1994 visait à faire sauter ce verrou des 10%.

Christian Nique historien, dans le livre qu’il publie : «Comment l’écoledevient une affaire d’Etat» mentionne deux principes qui s’opposent dans leservice public d’enseignement : «un principe dit commercial», «un principedit patriote».Derrière ce «principe commercial», l’école marchande. L’école patriote devaitinstaller la République, la conforter.

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préélémentaire pour le supprimer. Tout cela nous dit, aujourd’hui, quelque chose.Il y a, depuis cette époque-là, une union sacrée entre le libéral et le clérical.Personnifiée par la secrétaire générale adjointe de l’enseignement catholique,Nicole Fontaine, qui nous vient du «club de l’Horloge».1984 arrive, et le grand service public unifié laïque de l’éducation a l’issue quel’on connaît. Depuis cette époque, la gauche est complexée. La gauche ne parleplus du rapport public/privé. La loi Debré s’est aggravée constamment on estpassé à la «parité»L’enseignement privé revendique la parité des moyens et la disparité desobligations.

En 1962, l’enseignement public formait les enseignants du privé. A partir de92, des moyens ont été donnés pour que l’enseignement privé mette en placedes centres de formations pédagogiques, financés par l’Etat. Il y en a 26 pourformer des enseignants sous tutelle : en application des accords Lang-Cloupet.

La suppression des IUFM et l’accord Vatican-Kouchner sont liés. L’enseigne-ment catholique voulait maintenir un verrou en matière de formation et derecrutement de ses maîtres. Il fallait donc que cette formation des CFP ne soitpas adossée à l’Université publique mais à des facultés catholiques. Et l’ensei-gnement privé revendique aussi la formation des maîtres de l’enseignementpublic dans ses facultés libres. Des maquettes pour cette formation des ensei-gnants publics ont été proposées.

L’association «des créateurs d’écoles» a repris le plan d’Olivier Giscard d’Es-taing. Elle voulait «faire sauter des verrous», diminuer la surface de l’Etat enmatière d’éducation, organiser la concurrence, supprimer la carte scolaire,introduire le bon scolaire, le chèque éducation.Dans cette équipe il y avait le Ministre de l’Education nationale, Darcos, leconseiller éducation à l’Elysée, Dominique Antoine, un certain nombre derecteurs. Cette équipe était déjà en place en 1993 avec Bayrou. C’était son cabi-net, Guy Bourgois, Président de «Créateurs d’écoles», directeur de cabinet deBayrou, Darcos, directeur adjoint.Ces «démanteleurs» avaient suggéré à Bourg-Broc une proposition de loipermettant de faire sauter le verrou de 10 % de la loi Falloux pour financer lesinvestissements des établissements privés. Ces «Créateurs d’écoles» étaient enpremière ligne en 2007. Le privé revendiquait la «parité». Aujourd’hui ildemande une déconnexion de cette «parité» pour se développer avec desmoyens supplémentaires. C‘est la loi Carle, l’individualisation du rapport à

l’école : le chèque éducation .Fuite en avant et concurrence sauvage danslaquelle l’enseignement catholique revendique d’être associé à l’Etat. Alorsque la loi Debré ne connaît légalement que des établissements à «caractèrepropre».C’est ce que dit très clairement, le secrétaire général de l’enseignement catho-lique : «l’enseignement catholique est associé à l’Etat». Ce secrétaire général del’enseignement catholique qui ne se satisfait pas de la loi Carle, qui dit «c’estun compromis à un instant T». On voit bien que la guerre scolaire n’est pasapaisée.Les projets libéraux se concrétisent, programmés, en catimini, comme nous ditSOS Education : «il n’y a d’espoir que si l’Education nationale se trouve menacée danssa survie par la concurrence d’un grand secteur éducatif libre.»

C’est aussi le propos du n° 2 du MEDEF que vous avez peut-être lu le 4 octo-bre 2007 dans l’édito dumagazine «Challenge » sous le titre : « le gouvernementdoit défaire méthodiquement le programme du conseil national de la résis-tance». Il nous dit : « le programme ambitieux de réforme tout azimut lancé par legouvernement Sarkozy possède une profonde unité quand bien même les annoncessuccessives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impressionde « Patchwork » tant elles paraissent varier d’importance inégale et de portée diverse».Et il cite le statut de la fonction publique, les régimes spéciaux de retraite, laréforme de la Sécurité sociale, le paritarisme et l’Educationnationale...»Dans «les Echos» du 5 décembre 2006, l’éditorialiste demande de se séparer dupréambule de la constitution de 1946, dont le point 13 dit : «la Nationgarantit l’égal accès de l’enfant et des adultes à l’instruction, à la formationprofessionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuitet laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat.»

Ces clés de lecture, montrent une grande cohérence dans la politique del’Éducation nationale menée aujourd’hui.L’enseignement catholique aujourd’hui accepte d’être le cheval de Troie deslibéraux pour le libre marché scolaire.L’enseignement privé, c’est la discrimination, comme le montre, une étude duCNDP en 2004. On constate, d’après cette étude que les catégories socialesfavorisées sont pour 39% dans le privé et 20% dans le public que les catégoriessociales défavorisées sont pour 18 % dans le privé et 43 % dans le public.

Illustrons cette offensive clérico- libérale par 5 dossiers lourds.

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Les moyens budgétaires d’abord. La rigueur pour le public, les faveurs pourle privé. En 2007, quand on supprime 11.200 postes on en supprimethéoriquement 20 % dans le privé parce qu’ il y a des postes de contractuel dedroit public dans le second degré. Au lieu d’en supprimer 2.240 on va ensupprimer 1 400.Pourtant l’enseignement privé dans le second degré c’est 24 élèves par classe.Dans le public c’est plus de 28 par classe. On a dans le public, 27 % deboursiers dans le privé 10 à 11 %.Avec le «plan banlieue», l’Etat organise la concurrence avec son propre servicepublic. L’Etat ne finance plus a posteriori, mais il finance a priori. Enparticulier, cette année, à Sartrouville s’ouvre un lycée Jean-Paul II dans unezone où il y a des jeunes issus de l’immigration. Cet établissement sera souscontrat dès cette année alors que vous avez observé que par exemple, à Lille,le lycée Averroès ou à Lyon, l’autre lycée musulman attendent 5 annéescomme le prévoit la loi Debré pour passer contrat.

Des jardins d’éveil catholiques pour les moins de 3 ans, «et en deçà». Commele rappelle gravement, Eric De Labarre, secrétaire général de l’enseignementcatholique, qui détaillait déjà, voilà plus d’un an, le mode d’emploi de lacréation de ces jardins d’éveil confessionnels et de leur financement par lespouvoirs publics «en vérité je vous le dis: quiconque n'accueille pas leRoyaume de Dieu en petit enfant n'y entrera pas»…

Décembre 2007, au Latran, Nicolas Sarkozy déclarait : «la République […]répugne à reconnaître la valeur des diplômes délivrés dans les établissementsd’enseignement supérieur catholiques […]. Cette situation est dommageablepour notre pays». Décembre 2008, le Saint-Siège et la France signent par unaccord leur reconnaissance.

Le chèque éducation a fait une entrée sournoise, par la petite porte descommunes, obligées, d’abord par l’article 89, aujourd’hui par la Loi Carle, definancer la scolarisation de leurs élèves hors communes, dans le privé…Ce «libre choix» de la ségrégation sociale supporté par les collectivités les plusdémunies sera imputé sur l’ensemble des citoyens.

Je vais conclure, en rappelant que non seulement la République depuis 50 ansjoue contre son camp.Mais aujourd’hui c’est très clair :La République jouedans le camp de l’enseignement privé.PhilippeMeirieu a raison d’affirmer : «La guerre scolaire n’est pas de l’histoire

ancienne, elle se déroule, aujourd’hui, sous nos yeux. (…) Nous sommesaujourd’hui devant un choix décisif, nationaliser l’enseignement privé ouprivatiser l’enseignement public.»

Il y a 50 ans la pétition nationale du CNAL de février à mai 1960, recueillit prèsde 11 millions de signatures.Cette mobilisation extraordinaire déboucha sur le rassemblement de Vincennesle 19 juin 1960 et sur le serment qui se terminait par ces mots : «... que l’effortscolaire de la République soit uniquement réservée à l’Ecole de la Nation,espoir de notre jeunesse».Opposons aux déclarations du Président de la République ce jugement d’EdgardQuinet.«...l’instituteur a un dogme plus universel que le prêtre, car il parle tout ensemble aucatholique, au protestant, au juif et il fait entrer dans la même communion civile (…)du vivre ensemble, quelle que soit leur origine sociale, quelle que soit ou non la religionde leurs parents».

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INTERVENTIONDE JULIENLANDFRIED

Je suis l'auteur de ce petit livre «Contre le communautarisme» (Armand Colin,2007) que je n'aurai pas la prétention de résumer en quelques minutes.Je vais commencer par donner une définition du communautarisme, que j'aiforgée dans ce livre, qui concerne le cas français.Je vais ensuite essayer de distinguer ce qui est mesurable sur le plan démogra-phique et ce qui relève de l'ordre de l’idéologie.Je vais dans un troisième point aborder un certain nombre de questions qui n'ontpas été abordées, par exemple la question de l'islam, de l'islamisme. Dans maconclusion, j'aborderai le problème essentiel quand on discute du communau-tarisme qui est le problème politique.La définition que j'ai essayé de construire dans ce livre, c'est que le commu-nautarisme en France est la dynamique créée par la rencontre entre troisacteurs.D'abord les entrepreneurs communautaires, c’est-à-dire des responsablesd'associations communautaires, des intellectuels, des responsables demédias, quipeu à peu ont réussi à peser dans le débat public et à obtenir une place que jeconsidère comme disproportionnée par rapport à leur véritable représentativité.On peut citer énormément d'organisations que je place dans cette catégorie d'en-trepreneurs communautaires, du CRIF à l'instrumentalisation qui peut être faitedu Conseil Français du culte musulman( CFCM) et de ses principales compo-santes, l'Union des Organisations Islamiques de France, en particulier. Je citeégalement des organisations qui ne sont pas à connotation religieuse, je pensenotamment au Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN), dirigépar Patrick Lozès, des associations régionales, ou à des mouvements indépen-dantistes qui ont réussi à peser dans le débat public demanière disproportionnée.Je pense à l'organisation deM. Talamoni et à l'influence qu'elle pouvait avoir àla fois sur les médias (le soutien non- implicite que «Le Monde» lui a accordépendant presque 10 ans), à son poids dans le monde politique puisque le réfé-rendum de 2003 était directement issu des revendications de Talamoni et sesamis.Deuxième acteur, les médias. Ce qui a changé par rapport à 1905, c'est que noussommes dans une société médiatique. Il n'est plus nécessaire pour peser politi-quement de représenter des gens démographiquement. Vous pouvez avoir unpoids politique qui ne dépend pas du fait que vous ayez 1 000, 10 000, 100 000adhérents, sympathisants, membres de votre association, de votre Eglise. Dansla société médiatique contemporaine, il suffit d'être une poignée pour peser. Ilsuffit d'allumer sa télévision, de lire un journal ou d'écouter la radio pour s'en

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rendre compte. La plupart du temps, vous serez confrontés à des gens qui nereprésentent qu'eux-mêmes ou pas beaucoup plus qu'eux-mêmes. Dans lasociété très atomisée qui est la nôtre, les entrepreneurs communautaires ne déro-gent pas à la règle; même s'ils parlent au nom d'une communauté qui ne leur arien demandé - pour peu que la communauté ait un sens sur le plan anthropo-logique, il n'en demeure pas moins qu'il est impossible pour la plupart d'entre-eux de démontrer qu'ils représentent plus que quelques dizaines de personnes.

Les médias participent, dans ce cadre, de manière décisive ; à la légitimisationdes entrepreneurs communautaires. Parce qu'évidemment, tant que vousn'avez pas accès à ces médias, vous n'existez pas. Avant que Patrick Lozès soitinterviewé en tant que «représentant des Noirs de France» à la télévision,personne n'aurait eu l'idée qu'il représentait les «Noirs de France». Quandl’ancien Président du CRIF, Roger Cukiermann était interrogé à la télévision,par la presse, et qu'il exprimait un point de vue qu'il présentait comme étantcelui des Juifs de France, c'était un raccourci intellectuel fâcheux, mais quin'était pas discuté par les médias à l'origine de l'invitation ou de la mise envisibilité du responsable de l'entrepreneur communautaire

Troisième élément du tableau, les responsables politiques. S'il n'y a pas à unmoment donné des responsables politiques qui accèdent aux demandes desentrepreneurs communautaires, il n'y aura pas de dynamique. Si par exempleil n'y a pas un maire qui dit : d'accord pour réserver la piscine le mardi de 14hà 16h. pour les femmes supposées de confession musulmane, la revendicationd'avoir des horaires réservés tombe d'elle-même. S'il n'y a pas acceptation parle responsable politique, la revendication communautaire tourne en rond.Depuis un certain nombre d'années, cette acceptation s'est multipliée. Qu’onpense aux politiques de discrimination positive, aux politiques qui ont été misesen œuvre comme la politique de la parité qui est, de mon point de vue, unepolitique de discrimination positive sur critères de genre, ou aux politiques dediscrimination positive sur critères ethniques réclamées de manière récurrentepar des responsables politiques de droite comme de gauche. N. Sarkozy lafaisait avant son élection. Yazid Zabeg continue de les défendre. Dans legouvernement, il y a des dissensions et des points de vue différents sur cettequestion. A gauche aussi, des responsables politiques au PS et au PCF sontfavorables à des politiques de discrimination positive sur critères ethniques.Vous vous rappelez sans doute la multiplication des lois dites mémoriellesadoptées par les deux Assemblées, Assemblée Nationale et Sénat. Avant qu’uneloi soit votée, diverses propositions de lois sont présentées. Par exemple, avant levote de la loi pénalisant la négation du génocide arménien, des dizaines depropositions de lois ont été déposées par des députés ou des sénateurs ; toujours

issus bizarrement de circonscriptions à forte population d’origine arménienne…On pourrait multiplier les exemples. Pour prendre l’exemple paroxystique dudîner du CRIF, qui se déroule tous les ans en janvier ou février selon lecalendrier, rien ne force les responsables du gouvernement ou de l’opposition às’y rendre ; c’est une décision adulte, réfléchie. En s’y rendant, ils donnentévidemment une légitimité au CRIF qui est la bienvenue puisque ce dîner n’apas d’autre but que de lui donner cette légitimité (la critique que je fais n’a devaleur qu’à titre d’exemple). Le CRIF a eu un rôle jurisprudentiel en Francepuisqu’il est copié par d’autres. Demain, vous aurez un «CRIF» musulman et iln’y aura aucune raison de lui refuser ce qu’on a accepté avec le CRIF.

C’est ce que j’appelle la perversion du principe d’égalité dans la République.Quand on a accordé un privilège à un groupe, on l’accorde à un autre, au nomdu principe d’égalité.

Cette définition est finalement d’ordre idéologique. Ces trois groupes serencontrent et créent une dynamique. Mais ils ne suffisent pas à établir qu’il yaurait une démographie en France pour soutenir le communautarisme. Pourle dire autrement, il n’y a pas en France de risque de balkanisation, delibanisation, comme on le lit parfois chez certains critiques, et qui conduirait àune guerre civile. On ne va pas assister à une désagrégation de la communauténationale en communautés ethniques antagonistes. Je ne pense pas qu’onpuisse faire cette peinture de la situation parce que si on s’intéresse auxprincipales variables démographiques qui structurent la société française, en cequi concerne en particulier les mariages mixtes, la France continue à secaractériser comme un pays particulièrement exceptionnel à l’échelleinternationale, caractérisée par une assimilation des populations d’origineétrangère réellement étrange si on compare avec ce qui se passe dans les autrespays. Si on compare la France et les Etats-Unis, ce sont deux pays qui nefonctionnent pas de la même manière. Si vous êtes une petite fille de couleurnoire en France, vous ne pouvez pas déterminer avec précision qu’elle va fairedes enfants avec un blanc, un noir ou quelqu’un d’origine maghrébine ouautre. Aux Etats-Unis, sans peine vous pouvez déterminer que cette petite fillenoire fera des enfants avec un noir ; on en est à peu près sûr.

La France continue à fonctionner comme un pays qui assimile les populationsd’origine étrangère par lemariagemixte, demanière tolérante à la notion de race.En revanche, elle est intolérante sr le plan culturel. Les Français sont hostilesaux différences culturelles trop significatives qu’on peut mesurer par deux indi-cateurs essentiels 1) la maîtrise de la langue : si vousmaîtrisez la langue française,vous avez déjà de grandes chances de vous intégrer à la société française ; 2) le

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statut des femmes. Pourquoi les Français sont aussi hostiles, quand on les inter-roge, au port d’un signe religieux distinctif pour les femmes – voile, burqa - ?Tout simplement parce que cela défie le modèle démographique français ; jereprends là ce qu’écrivait Emmanuel Todd, il y a 15 ans, dans «Le destin desimmigrés». Tout simplement parce qu’une femme voilée est, par définition,sortie du marché matrimonial, qu’elle est «réservée à des musulmans». C’estprofondément «intolérable» pour l’anthropologie démographique traditionnelle,française tout au moins. Ce qui explique une très grande différence entre laFrance et les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne.Cela nous donne des raisons d’être optimistes, même si on peut se poser laquestion de savoir si l’idéologie différentialiste dans laquelle nous vivons, qui estd’abord une idéologie victimaire qui construit la société comme uneagglomération de communautés concurrentes, ne produit pas à la longue uneévolution inéluctable. Aujourd’hui, on se pose la question de savoir si lesadolescents de 15 ans qui se définissent d’abord sur des critères ethniques, feront,jeunes adultes, des choix matrimoniaux pour des raisons ethniques. On ne saitpas ce qui sera de l’ordre du discours et de l’ordre de la réalité démographiqueIntuitivement, j’ai envie de dire que nous sommes dans le discours et que laréalité de la société française reste une société de mélange démographique. Sice n’était pas le cas, la France prendrait une direction catastrophique ; mais jene le crois pas. En revanche, sur le plan idéologique, nous avons des raisons d’êtrepessimistes parce que je ne vois aucune force s’ériger contre les entrepreneurscommunautaires ni contre la manière dont les responsables politiques, la plupartdu temps, accèdent à leurs demandes, sans résister à leurs revendications.Troisième point, la question de l’islam, l’islamisme..Quand on s’intéresse aujourd’hui à la question de la laïcité, c’est souvent le biaispar lequel les médias abordent la question. D’abord, je ne fais que me répéter,cette question de l’assimilation touche aussi les populations du Maghreb,d’Afrique Noire, de confession musulmane.Je ne vois pas se constituer en France, à l’horizon des 10 ou 20 prochaines années,une communauté musulmane fermée démographiquement, hostile au mariageexogamique et qui finirait par se «libaniser» indépendamment de l’évolution ducorps démographique national. Cela paraît difficilement envisageable.En revanche, il faut constater démographiquement que la religion dynamiqueen France n’est pas la religion catholique. La religion musulmane estévidemment la religion dynamique, qu’on peut constater par la multiplicationdes lieux de culte musulman, ou l’importance du ramadan dans la sociétéfrançaise. Ce qui n’est pas nécessairement un symbole de communautarisme.Démographiquement, cette dynamique implique que beaucoup derevendications d’ordre communautariste, par exemple, dans le cadre de l’école

publique, sont liés à la religion musulmane : le fait d’avoir dans les cantines telou tel plat ou tel ou tel aménagement, par exemple le fait de mettre de côté telenseignement.Le second point, c’est qu’on ne voit pas de dynamique de l’enseignementconfessionnel musulman en France. Pour différentes raisons. D’abord pour desraisons sociales, il faut avoir les moyens de payer l’école privée. Deuxièmementpour des raisons de compétences. On ne crée pas un collège ou un lycée commeça ; il faut des compétences administratives, pédagogiques, juridiques. Il faut desenseignants ; et force est de constater que dans les organisationsmusulmanes quiont aujourd’hui pignon sur rue, aucune d’entre elles n’a la capacité dedire : « dans les 6 mois, je dépose un dossier de création d’un lycée ou d’uncollège musulman ».Le seul secteur aujourd’hui confessionnel, dans l’enseignement secondaire, quiest dynamique sur le plan démographique, c’est l’enseignement privé juif dontpersonne ne parle parce que c’est politiquement incorrect d’en parler, qui est leplus fermé sur le plan démographique et qui pose des questions en termes dedynamique 1) la question de la sécurité des élèves de confession juive dans lesécoles publiques, une des principales raisons pour lesquelles ils sont obligés dese réfugier dans des établissements scolaires privés ; 2) est-ce que les PouvoirsPublics et les partis politiques doivent systématiquement avaliser des projets dansl’enseignement secondaire d’écoles confessionnelles juives ou non ? Parce quesi c’est simplement pour ne pas avoir à régler des problèmes qui concernentl’enseignement public, ce n’est pas une solution très positive .Je finis simplement pour dire que le principal problème pour le communauta-risme, même si on ne doit pas s’exonérer de critiquer les entrepreneurscommunautaires, les véritables responsables, ce sont les responsables politiques.Personne ne les oblige à prendre telle ou telle décision si elle est attentatoire auxprincipes républicains les plus élémentaires. Je rejoins là Henri Peña-Ruiz quidisait ce matin qu’il n’y a pas 36 définitions de la laïcité ; la loi est égale pourtous… C’est un principe qu’on peut comprendre, diplômé ou pas. Pas besoinde sortir de l’ENA pour le comprendre Visiblement, aujourd’hui le cadrepolitique devient une notion difficile à appliquer intégralement ; en tout cas, ilest contourné demanière de plus en plus aisée par des responsables peu exigeantsavec les principes.

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INTERVENTIONDEVERAPEGNA

Les « nouveaux droits » des églises dans l’Union Européenne

Il y a une cinquantaine d’années le pape Jean Paul II décide de reconquérir uneEurope toujours plus sécularisée, donc «en perte de valeurs morales». Pour ce fairele Saint Siège - chef de file des églises dans l’offensive théocratique sur les insti-tutions européennes - déclare vouloir atteindre les objectifs suivants : assurer lemaintien des relations Église-État telles qu'elles existent au sein des Étatsmembres (concordats, privilèges financiers et autres) et enraciner les relationsÉglise-État dans le droit communautaire afin d’acquérir le statut de partenaireà plein titre des institutions européennes.Un dessein clair qui se heurte cependant à des résistances, mais voilà qu’en1993 arrive la manne du Livre Blanc de Jacques Delors. Dans le chapitretraitant de l'implication de la société civile dans les processus de gouvernancede l’Union il est question de «l’identité» des églises et des communautésreligieuses qui «ont une contribution spécifique à apporter». Ces mots permettrontaux hiérarchies religieuses d’obtenir une écoute officielle au plus haut niveaudes institutions de Bruxelles et constitueront l’obstacle principal à la mentionde la laïcité dans le traité constitutionnel européen. À sa place un article, le 52,accueille les demandes vaticanes et ouvre la porte à l’intervention des églisesdans le processus démocratique européen. «Supprimez» est l’amendementprésenté par M. de Villepin alors chef de la délégation française, mais quelquesmois plus tard - les symboles religieux ostensibles aidant - la France considèreque l’article 52 est un «bon compromis». Seul le gouvernement belge fait partde son opposition par écrit. Et Benoît XVI de se réjouir: « ...l’article 52 de laconstitution européenne garantit les droits institutionnels des églises...».Mais que sont les droits institutionnels des églises ? Et comment en sommes-nous arrivés là ? Lors du débat sur la mention des racines chrétiennes dans lepréambule du traité constitutionnel européen, il ne fut guère question d’unquelconque droit institutionnel des églises. Par contre, un large battagemédiatique sur l’objectif symbolique – la mention de l’héritage chrétien et dedieu – entretenu au plus haut niveau par les hiérarchies chrétiennes, y compriscelles de pays non-membres de l’Union comme le Russie orthodoxe, ontpermis de faire passer sous silence leur objectif politique, bien plus difficile àfaire avaler à des populations sécularisées.

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Je ne vais pas reparcourir les différentes étapes qui ont vu l’église catholique s’in-sinuer dans les institutions européennes jusqu’à obtenir (Traité de Lisbonne) lapossibilité d’intervenir dans le processus législatif européen. Intervenir sur quoi ?

En juin 2002 une note de la COMECE, la commission des évêques européensle précise : « sur des sujets pour lesquels les Églises sont préoccupées ou ont un intérêtdans des projets de loi» Donc ce sont les églises qui choisissent quand et sur quoiintervenir. Intervenir pour quoi faire ? Pour imposer les principes de ladoctrine morale catholique à une population européenne toujours plussécularisée et toujours moins croyante. Les non-croyants sont estimés êtreentre 35 et 50% des Européens mais la grande majorité de ceux qui se disentcatholiques étant peu enclins à suivre les préceptes de l’église, il faut les leurimposer par la loi, en passant de la sphère religieuse à la sphère institutionnelleet ainsi transformer le péché en crime. Ratzinger, lorsqu’il était le préfet pourla congrégation de la doctrine de la foi a déjà jonglé avec ces concepts endécrétant que la pédophilie était un péché mais pas un crime et qu’il ne fallaitsurtout pas y mêler la justice. Donc le mot d’ordre est : faire passer lesprincipes de la morale catholique dans les directives et lois européennes queles gouvernements membres de l’Union sont obligés de transposer ensuitedans leur législation nationale. Je simplifie évidemment mais l’alliance entre letrône et l’autel est toujours actuelle et si aujourd’hui les églises ont le statut departenaire à plein titre des institutions européennes, nous le devons à cettealliance mais également à une opposition qui a l’échine bien souple.

Le plan du Vatican prévoit deux niveaux: le niveau institutionnel qui a desretombées sur la démocratie et sur l’état de droit et le niveau pratique et bientangible qui assure la mainmise des hiérarchies religieuses sur le fonctionnementquotidien de nos états. La mise en œuvre de ce plan s’est déroulée avec uncrescendo qui a commencé par des récriminations sur le fait que la religion étaitreléguée à la sphère privée : il s’est poursuivi par la revendication du rôle publicdes religions, ensuite de leur rôle politique (le Pape y insiste dans sa dernièreencyclique) et ensuite de leur rôle institutionnel. Et enfin l’adjectif institutionnela été précédé par le mot droits au pluriel. C’est le Pape lui-même qui a annoncéque le traité constitutionnel européen, donc le traité de Lisbonne, reconnaissaitaux églises des droits institutionnels.

Le pas est vite franchi entre la reconnaissance de droits institutionnels et la reven-dication de la part des églises chrétiennes d’exercer un droit de regard sur lesprojets de loi du Parlement européen.

Or tous nos pays ont adopté l’état de droit - un principe déclaré ou sous-jacentà toutes nos constitutions - comme principe politique de gouvernance. L’état dedroit n’est pas une simple formalité. Sans état de droit les lois et les fonction-naires publics ne sont pas obligés de respecter les principes des traités dont leurpays est signataire ni d’appliquer les normes de conduite établies. Sans état dedroit la dignité et l’égalité de tous n’est pas assurée et la possibilité qu’uncitoyen obtienne ce dont il a été injustement privé ainsi que les prestationssociales qui lui sont dues est limitée. Un élément essentiel de l’état de droit estun système judiciaire impartial et fort qui défend son indépendance à l’égard despouvoirs législatif et exécutif ainsi que la primauté du droit. Nous en avonsconstaté l’importance ces jours-ci en Italie. Également essentiel dans nos démo-craties représentatives est le parlement, principal instrument du contrôledémocratique et de la responsabilité politique.

Cependant le Traité de Lisbonne introduit un concept juridique nouveau quiest opposé à l’état de droit : la légitimité de la participation des églises auprocessus législatif européen ; des églises, donc d’un sujet non représentatif et,qui plus est, théocratique. Cela modifie de façon significative le système dedémocratie représentative qui est le nôtre et comporte : la fin officielle de lalaïcité, la double représentation des citoyens catholiques, la dé-légitimation duparlement dont les élus ne sont plus considérés à même de représenter lesinstances de leurs électeurs. Que tout cela se soit fait en catimini, sans débatpublic, et dans le silence quasi-total des médias, confirme le pouvoir quemaîtrise le Vatican et la collusion dont il jouit parmi nos politiques. Ce que jecomprends moins – ne m’en voulez- pas, chers amis – c’est l’indifférence desFrançais, en particulier bien sûr de la gauche française, des laïques françaisdevant cette mise à mort de la laïcité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Bien entendu, c’est une indifférence qui a plané sur toutes les tentativesd’édification d’une Europe politique: de la Charte des droits fondamentauxadoptée à Nice en 2000 au Traité de Lisbonne en passant par le traitéétablissant une Constitution pour l'Europe de 2004, rejeté par les Pays-Bas etpar la France quoique pour des raisons ne touchant pas à la laïcité. Cetteindifférence, je le sais bien, est à imputer en grande partie au manqued’information, voire à la désinformation délibérée voulue par nos politiques etapplaudie par le Vatican. Néanmoins, voilà où nous en sommes : l’état de droitest violé pour faire place aux églises au plan institutionnel.Et j’en viens à la mainmise des hiérarchies religieuses sur le fonctionnementquotidien de nos états et, partant, sur notre vie quotidienne. En premier lieu,

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pour mettre les choses dans leur contexte, il faut prendre acte de la tendance audésengagement de nos états vis-à-vis des charges d’éducation et plus engénéral des services publics et de ce qui touche à la solidarité sociale. (A cepropos, j’ai lu avec plaisir sur Respublica la mobilisation pour la défense du statutpublic de la Poste ainsi que l’existence du Mouvement de Défense de l'hôpitalPublic : un genre de nouvelle qui mérite d’être diffusée parmi les associationslaïques et humanistes). Une tendance qui favorise les églises tout comme lacomplaisance – mais cela est vrai non seulement en France mais aussi auRoyaume Uni et aux Pays-Bas – envers les communautarismes, ce qui n’a rienà voir avec le respect des droits de l’homme, bien au contraire. Eh bien, dans sadernière encyclique Benoît XVI insiste sur le principe de subsidiarité. Il affirmeque la mondialisation – l’église catholique pense toujours en termes planétaires- doit être gouvernée de façon subsidiaire : là où les pouvoirs publics n’arriventpas l’église, elle, arrive et est en mesure de fournir aux citoyens les servicesnécessaires - avec les deniers publics, bien entendu. En Italie, En Pologne et auRoyaume Uni ce phénomène va bon train.

La délégation des services publics aux églises et aux organisations confessionnelless’accompagne de la demande, toujours plus pressantes, des autorités vaticanes à ceque l’objection de conscience religieuse soit reconnue par la loi, c’est-à-dire dansles traités/concordats entre le Saint-siège et les États, mais également dans lesdirectives européennes et dans les résolutions de l’ONU. Un projet de concordatentre le Saint-Siège et la Slovaquie lequel définissait l’objection de conscienceuniquement selon la morale catholique a été congelé par le Conseil de l’Europe. Ilest vrai qu’obliger quelqu’un à agir contre sa conscience n’est pas acceptable, maisque faire si l’objecteur en question est responsable d’un service public ?Que faire s’ilrefuse de fournir un service auquel le citoyen a droit ?Qu’en est-il alors des droits desautres et de la primauté du droit ? Les exemples nemanquent pas : les gynécologueset infirmiers qui refusent une demande d’interruption de grossesse, unmaire ou unmagistrat qui refuse de reconnaître à des homosexuels leurs droits légitimes, unpharmacienqui refuse de livrer la pilule du lendemain alors que la loi l’oblige à livrertous les médicaments prescrits par le médecin. Cela est le cas en Italie où par deuxfois le Pape a enjoint les pharmaciens à exercer leur objection de conscience. LePape, le chef d’un État étranger, le seul en Europe, qui n’est pas signataire de laConvention Européenne des Droits de l’Homme enjoint des citoyens à enfreindrela loi. Voilà comment la liberté religieuse peut être poussée jusqu’à la subversion.J’ai bien dit subversion car il faut appeler les choses par leur nom.Le secteur public qui suscite le plus la convoitise du Vatican est assurément celuide l’éducation. Et la réaction du Vatican a été bien vive quand l’OSCE a publié

«The Toledo guiding Principles on teaching about Religion and Beliefs inpublic Schools» qui met les options spirituelles, dont l’athéisme, sur le mêmeplan. En Italie c’est déjà à la maternelle que les enfants suivent «l’heure dereligion » qui est une heure de catéchisme dont sont chargés des enseignants quisont payés par l’état mais choisis par leur diocèse. L’importance attribuée à cesecteur ne concerne pas uniquement l’endoctrinement classique des élèves.Elle concerne en tout premier lieu l’introduction du créationnisme dans lesprogrammes scolaires. Le créationnisme et la doctrine du dessin intelligent queles institutions religieuses - tout au moins celles catholique et musulmane -essayent de faire pénétrer dans nos écoles incite les jeunes à croire qu’il n’y a paslieu de distinguer une démarche scientifique d’une explication dogmatique etqu’il est donc légitime de choisir entre deux théories du même ordre. Cela estune attaque au libre examen et à la liberté de comprendre et quelqu’un a ditqu’empêcher à un jeune de comprendre la théorie de l’évolution est une atteinteà la liberté de pensée et aux droits de l’homme.

Mais le créationnisme - terrain d’entente de ces deux religions, plus celleorthodoxe - va bien au-delà du rejet de l’évolutionnisme. C’est un concept desociété, celui des intégristes chrétiens et musulmans qui veulent mettre unfrein à la liberté de la femme et à l’émancipation individuelle, qui attaquent lascience et empêchent la recherche d’évoluer. Comme a dit Madame Charfi,physicienne à l’Université de Tunis, la confrontation n’est pas entre l’occidentet l’Islam mais entre les intégristes d’une part et les laïques de l’autre.

En 2007 un parlementaire français présente au Conseil de l’Europe un rapportsur les dangers de l’enseignement du créationnisme dans les écoles. Dans unelettre au président du Conseil, le Saint-Siège écrit que ce n’est pas le momentde soumettre ce rapport au parlement, et qu’il est préférable d’en renvoyerl’examen à plus tard. Il a fallu qu’une parlementaire luxembourgeoise se battepour que le rapport soit mis à l’ordre du jour, discuté et adopté deux ans plustard. Voilà l’importance que les hiérarchies vaticanes attribuent au créationnismeet voilà comment elles arrivent à conditionner l’activité politique et culturelledes organisations européennes.

Le Vatican étant une puissance planétaire, son activité ne se limite pas àl’Europe. À l’ONU, le Saint-Siège insiste, en bonne compagnie avec l’OIC(Organisation de la conférence islamique), afin que les religions soientconsidérées titulaires de droits et cela par le biais de lois qui condamnent, parexemple, le blasphème alors que dans notre culture juridique seules les personnes

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sont titulaires de droits. Mais subvertir le socle même des droits de l’homme etde la démocratie ne gêne guère les hiérarchies catholiques.

Je crois que j’en ai assez dit pour vous convaincre que nous nous trouvons faceà un plan lourd de dangers pour notre avenir et qui peut compter sur de solidesalliés politiques pour sa mise en œuvre. Plus que jamais je suis convaincue dedeux choses : que la défense de la laïcité dans un seul pays est un leurre et qu’ilne suffit plus de défendre la laïcité dans son sens étroit de séparation des égliseset de l’état. Il faut y ajouter la séparation de la religion et de la politique, dudogme et de la loi.

Aujourd’hui la défense de la laïcité et la défense de la démocratie vont de pair.Le plan institutionnel n’est pas la chasse gardée des politiques; il est aussi le nôtrecar c’est là que se joue une partie essentielle de notre avenir. L’Europe politique- qui est encore au stade de projet - part des acquis de la démocratie : liberté desindividus, égalité en droits, état de droit et la laïcité, même si elle n’apparaît pasnommément, s’inscrit à plein titre dans ce projet. C’est à nous, militants laïquesde la replacer au centre d’un ensemble de préoccupations très large qui part del’état de droit pourmieux défendre l’égalité et la citoyenneté, la liberté de penséeet d’expression, pourmieux combattre les privilèges et les discriminations. C’estun combat que chacun de nous doit mener en premier lieu dans son propre pays,bien sûr, car chaque avancée nationale ajoute du poids au combat européenmaisnous ne pouvons pas ignorer que les orientations ainsi que les décisionsmajeuresse déterminent au-dessus de nos têtes, dans les organisations européennes oùnous devons faire entendre notre voix.

INTERVENTIONDEGUYGEORGES

J'attire votre attention sur la citation deVictorHugo, qui figure en première pagedu dossier que vous avez reçu.. Hugo le catholique- il ne s'en cachait nullement-apostrophait le «parti clérical», la conjonction des partis monarchiste et bona-partiste d'une part , la Hiérarchie Catholique d'autre part. C'était le 15 janvier1850, à l'ouverture du débat sur le projet de loi Falloux. Victor Hugo s'écriait«Je veux ce que voulaient nos pères, l'Eglise chez elle et l'Etat chez lui».

Plus d'un demi-siècle s'écoule avant que cette volonté visionnaire devienneréalité, le 9 décembre 1905 avec l'article 2 de la loi de séparation des Eglises etde l'Etat.

Aujourd'hui, la plus haute autorité de la République ouvre aux Eglises les portesde l'Etat et le proclame.N'oublions pas que lorsqu'il était ministre de l'Intérieur,il a constitué une commission chargée de réfléchir à l'actualisation de la loi.Onn'en parle pas. Mais elle est toujours là.

Deuxième rapprochement dans le temps. Je cite Jaurès. Le 30 juillet 1904,Jaurès assiste à la distribution des prix au collège de Castres où il a été élève. Ily développe longuement sa conception de la démocratie

«Si la démocratie fonde, en dehors de tout système religieux, toutes ses insti-tutions, tout son droit politique et social, famille,patrie,propriété, souveraineté,si elle ne s'appuie que sur l'égale dignité des personnes appelées aux mêmesdroits, et si son essence et son office est d'assurer l'égalité des droits, alors démo-cratie et laïcité sont identiques et indivisibles.»

Nous sommes là un peu plus d'un an avant le vote de la loi de séparation. Sonorientation finale est toute dans cette déclaration où chaque mot compte:La démocratie est fondée sur la séparation du politique et du religieux;Elle s'appuie sur l'égalité des droitsCette égalité s'inscrit dans la loi car ce n'est pas une vertu naturelle. Lacordairel'a dit 50 ans auparavant : «Entre le fort et le faible,entre le riche et le pauvre,entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère.»• Pas de laïcité sans l'égalité des personnes et des droits,• Pas de laïcité sans démocratie,• Pas de démocratie réelle sans laïcité...

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La loi du 9 décembre 1905 inscrit cette indivisibilité dans le marbre. Elle n'a pasbesoin d'un ravalement.Fin mars 2009, à Saint Quentin, le Chef de l'Etat déclarait sans qu'on s'enémeuve beaucoup : «la société égalitaire est contraire à la liberté». C'est clair, uneconception inégalitaire de la société à l'opposé de celle de Jaurès et de LacordaireVoilà, dans ce raccourci au travers de deux siècles, où nous en sommesC'est à ce niveau institutionnel que la laïcité est attaquée.. Il faut bien sûr s'op-poser à toute atteinte à ce qui est la base de toute vie démocratique.Et il faut reconstruire. Ou tout au moins s'y préparer.L'affrontement n'a changé ni de sens ni d'âme.

On a tendance à réduire l'enjeu laïque au seul périmètre de l'enseignement dela jeunesse. La raison en est évidente. C'est par la conception et l'organisationde l'enseignement qu'une société progresse vers la démocratie ou régresse.L'enseignement est l'élément précurseur de l'évolution dans un sens ou dansl'autre. Les dictatures le savent bien.Condorcet en 1792, Carnot en 1848, ouvraient la voie de la démocratie enprônant un enseignement indépendant des dogmes et des politiques. JulesFerry et Goblet l'ont empruntée avec les lois de l'enseignement laïque.Certes, ils dépossédaient l'Eglise - il n'y en avait qu'une bien organisée - d'uneprérogative millénaire, le façonnement des esprits. Que l'Eglise Catholique aitattaqué la loi de 1905 sur ce terrain ne peut surprendre.En janvier 1910,le parti clérical passe à l'offensive à la Chambre des Députés endéposant un projet de loi instituant la «répartition proportionnelle scolaire», c'està dire que les établissements scolaires publics et privés seraient financés par desfonds publics en fonction du nombre d'élèves. La deuxième citation de votredossier est un court extrait de la longue intervention de Jaurès pour convaincreles députés de rejeter ce projet. Ce qu'ils firent.Au nom de l'unité de la Nation,de l'égalité devant l'instructiondu progrès social, tributaire de la qualité de cette instruction :«Laïcité de l'enseignement et progrès social sont indivisibles»Vous savez comment le parti clérical est parvenu à ses fins, son entêtement àrelancer son exigence entre les deux guerres; le régime de Vichy qui lui donneun début de satisfaction dès juillet 1940; les partis de droite, MRP et RPF quiprennent le relais dès la Libération ; jusqu'au vote de la première loi de finan-cement des établissements d'enseignement privés, la loi Barangé, «cette brèchepar laquelle tout le reste doit passer». Cette brèche par laquelle tout le reste esteffectivement passé. On ne l'appelle plus «répartition proportionnelle scolaire».On l'appelle «parité public/privé».

Vous l'avez entendu ce matin, la droite cléricale ne s'est pas contentée de cette«parité» ; elle veut maintenant détruire l'école laïque.La société inégalitaire, la liberté du «renard libre» sont revenues par l'école.C'est par là qu'il faudra d’abord reconstruire. Sur la base de principes univer-sels qui n'ont pas à être accommodés à je ne sais quelle sauce de pseudomodernité par des épithètes.

Reprenons. La condition nécessaire à l'organisation démocratique de la société,c'est l'égalité de ses membres. L'égalité originelle ; proclamée par les articles 1 et10 de la déclaration des droits de l'Homme du 26 août 1789, reprise dans ladéclaration universelle de 1948. Les dictatures, religieuses ou autres, ne l'ont pasratifiée...Elle est inscrite dans la loi française depuis le 9 décembre 1905.Par son article 1er, liberté de conscience, premier principe de la laïcité. Etgarantie de l'exercice des cultes. En ce sens la laïcité n'est pas antireligieuseL'article 2 détermine les conditions de la séparation entre les Eglises et l'Etat,leur indépendance réciproque: «L'Etat ne reconnaît, ne salarie, ne subventionneaucun culte».Aucun acte de la vie civile, politique ou sociale ne doit subir l'influence de toutdogme. Sinon, il n'y a pas égalité des droitsLe second principe de la laïcité est cette indépendance réciproque. En ce sens,la laïcité est anticléricaleEn ancien instituteur, j'ai fait ce que je conseillais à mes élèves, prendre undictionnaire. Que dit le Larousse ?«Cléricalisme : tendance favorable à l'intervention du clergé dans les affairespubliques».Par delà la litote, c'est clair ; l'article 2 de la loi s'oppose au cléricalisme.Aujourd'hui, le Pouvoir reconnaît tous les cultes. Il le dit; il l'écrit.Aujourd'hui, l'Etat subventionne les cultes par des voies détournées certes (jelisais récemment que les établissements d'enseignement privés sont catholiquesà 95%). Et le Pouvoir cherche des moyens d'augmenter ce financement.

Aujourd'hui, des religions sont associées à l'élaboration des actes de la vie civile,politique ou sociale..

Le retour au principe de l'égalité des droits est une condition nécessaire. Ce n'estcertainement pas une condition suffisante pour asseoir l'égalité sociale.«La laïcité est indissociable de la question sociale»...Dans quel sens ? Pour tout ce qui relève de l'organisation collective de la société.C'est avant tout par l'organisation des services publics que s'exprime cette égalité.

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Prioritairement, ceux qui répondent à des droits fondamentaux :- l'éducation, le service public de l'enseignement gratuit et laïque- la santé, l'égalité devant les soins- la justice, l'égalité devant une justice indépendante- la sécurité

Il suffit de les énumérer pour voir surgir à l'esprit tous les manquements actuelsà ces droits.Ce sont aussi les secteurs d'activité qui conditionnent l'organisation collectivede la société, l'utilisation des ressources naturelles; la recherche et le progrèsscientifique, l'énergie, les transports, la poste... Rien de tout cela n'est et ne doitêtre mercantile.Non seulement il faut défendre les services publics ; il faut s'engager à lespromouvoir.Qu'ils soient accessibles à chacun, certes.Qu'on préserve surtout leur indépendance. Selon la bonne vieille formule, ilssont au service du public, c’est-à-dire indifférents et rétifs aux tentations de tousles prosélytismes.Il faut penser à une charte des services publics, un traité de déontologie laïquequi engagerait par sa signature tout postulant à un emploi de la FonctionPublique

Il faut revenir au sage adage qui a prévalu dans l’élaboration de la loi de 1905,au sain principe de gestion des fonds publics : ces fonds publics au service public.En commençant par l’école. A cette évidence de bon sens que les entreprisesprivées doivent assurer leur autofinancement. Alors, le principe d’égalité repren-dra tout son sens.

Je conclus.Oui, la laïcité est indissociable de la démocratie et du progrès social.C’est l’égalité des droits dans la richesse des différences. Et non point l’égalité desdifférences dans la diversité des droits, comme le Pouvoir actuel nous y entraîne.Je ne sais si le triptyque républicain figure au fronton de l’Elysée. Aujourd’hui n’ysubsiste que le mot liberté, celle du plus fort. Exit l’égalité. Exit la fraternitéIl faut réagir. Ce n’est pas par hasard que la Constitution de la République ainscrit ces trois qualificatifs «laïque, démocratique , sociale», indivisibles commele soulignait Jaurès..

La République est laïque. Elle est démocratique parce que laïque. Elle estsociale parce que laïque.

CONCLUSION PARPAULQUILÈS

Merci d'abord à tous les participants.

En écoutant de vieux militants raconter les combats anciens, je me disais : c'estterrible qu'un sujet aussi fondamental que la laïcité soit si souvent victime d'unetelle déformation, insupportable aux yeux et aux oreilles de tous ceux qui sontprofondément laïques et croient à son universalité. La laïcité, pierre angulairede la République, n'est en rien antireligieuse. Pour faire croire qu’elle est unconcept négatif, certains lui accolent des adjectifs visant à gommer son carac-tère universel. D’après eux, elle devrait être «positive» aujourd’hui, pourmarquer la différence avec un combat d’un autre siècle et qu’ils considèrent donccomme suranné !

Eh bien, non, pour nous, c'est un combat moderne et je retiens une idée de noséchanges d'aujourd'hui. Il faudrait que l'on soit capable de prouver que lalaïcité est une idée neuve en Europe. Capable non seulement de le dire, mais dele prouver dans les partis politiques, les syndicats, les associations... Il y a là toutun travail. Il ne faut pas se contenter de ressasser, un peu parmasochisme parfois,les trahisons, les insuffisances. C'est d’ailleurs un problème général à gaucheaujourd'hui. On se complaît tous les jours à montrer les différences. Elles exis-tent et elles donnent lieu à des débats, c’est normal. Mais il ne s’agit parfoisseulement que de nuances, excessivement mises en avant par des ambitionscontradictoires.... Mais, à un moment donné, sur tous les grands thèmes et lesvaleurs qui sont des marqueurs de la Gauche- la laïcité fait partie de ceux-là –il faut être capable de débattre comme on l'a fait aujourd'hui, de s'affronterparfois. C'est signe de vie, à condition de ne pas en rester là. Par exemple, il ya eu tout à l’heure des critiques vives ; mais si on s’arrête aux critiques, c’est l’enter-rement de la laïcité, c’est l’incapacité d’envisager un changement, une victoire.

En créant il y a deux ans le club Gauche Avenir, nous n’avions pas l’ambitionirréaliste de changer à nous seuls la gauche, pour lui permettre d’accéder aupouvoir. Par contre, nous avons souhaité faire discuter ensemble des gensappartenant à des sensibilités différentes, qui entendent et disent des chosesdifférentes. Eh bien, nous avons pu aujourd’hui modestement contribuer àfaire converger les analyses sur les valeurs, sur les principes. C’est ce que nousallons continuer à faire, de façon à aboutir à des propositions d’actions et de

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projets destinés à la gauche dans l’opposition, mais aussi au pouvoir. Il est vraique, là, les promesses n’ont pas toujours été tenues, mais on ne va pas y revenircent fois, en s’accusant mutuellement ! Quelqu’un me disait récemment «oui,mais il faut, si on est sur une route, ne pas oublier de regarder dans le rétrovi-seur». A quoi j’ai répondu «Vous avez raison, mais sur la route, il faut aussiregarder devant soi, pour éviter les accidents et aussi au loin, pour savoir quelleroute on va prendre et quel est l’horizon que l’on se fixe».

Ces trois éléments sont inséparables : donner un coup d’œil dans le rétroviseurpour savoir quelles erreurs ont été commises et pour ne pas les recommencer ;regarder ce qui est à ses pieds, c'est-à-dire les actions que l’on mène quotidien-nement ; et puis regarder loin en fixant la perspective. S’il n’y a pas deperspective, comment faire rêver à un changement ? On parlait de la jeunessetout à l’heure. Si vous ne lui présentez pas un idéal, un changement par rapportà la réalité d’aujourd’hui, vous ne la convaincrez pas.

Voila ce que je voulais simplement vous dire, avant de lire le manifeste. Je précisequ’il s’agit d’un texte du club Gauche Avenir, qui n’engage que lui. Il a été écrità partir des textes de préparation, des interventions au cours de nos échanges ;il a été modifié au fur et à mesure, en vous écoutant. Il va être distribué. Il serasur notre site internet et envoyé à la presse.

Ce manifeste se veut une interpellation de tous ceux qui s’intéressent durable-ment à la laïcité et notamment des partis politiques, à qui il demande desengagements. Ce document leur sera donc envoyé.

Je précise que les interventions ont été enregistrées. Nous allons les publier surle site internet, afin que chacun puisse les retrouver et que ceux qui n’ont paspu venir puissent les entendre.

Enfin, je rappelle queGauche Avenir est un club qui compte plus de 2 000 signa-tures. Si vous ne l’avez pas encore fait, vous pouvez signer et nous rejoindre !

Voici donc le texte du manifeste.

BIBLIOGRAPHE

Dieu et MarianneHenri Peña-Ruiz

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE (PUF)

Les créationnismes, une menace pour la société françaiseOlivier Brosseaux et Cyrille Baudoin

EDITIONS SYLLEPSE 2008

Main basse sur l'Ecole PubliqueEddy Khaldi et Muriel Fitoussi

EDITIONS DEMOPOLIS

Contre le Communautarisme Julien LandfriedEDITIONS ARMAND COLIN

La bataille de la laïcité - 1944/2004Guy Georges

EDITIONS SUDEL

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Nous appelons les partis politiques qui se réclament de cet idéal à s'opposerrésolument à toute tentative de modifier la loi du 9 décembre 1905, à inscriredans leur programme les mesures nécessaires à cette renaissance et às'engager solennellement à les appliquer, le moment venu, notamment :- réhabiliter dans ses applications l'article 2 de la loi de 1905 et, en consé-quence, s'engager à légiférer dans le sens d'un retour à l'autofinancement desétablissements privés d’enseignement ;

- s'opposer à l'intrusion à tous les niveaux (mondial, européen, national) despouvoirs religieux dans l'élaboration des lois régissant la vie civile etœuvrer à la création d’une «organisation mondiale de la laïcité», à l’imagede l’«Organisation internationale de la francophonie», appelée à intervenirà l’ONU, dans les instances européennes ;

- stopper la désorganisation des services publics et leur mise en concur-rence, notamment dans l'éducation, la santé, la recherche scientifique ;

- renforcer au contraire les services publics par l’élaboration d’une «chartedes services publics», garantissant leur indépendance vis-à-vis des pouvoirspolitiques, religieux, économiques, charte que devrait signer tout postulantà un emploi de la Fonction Publique ;

- développer l’enseignement à l’école de la laïcité et notamment de la loide 1905.

MANIFESTEDU10OCTOBRE 2009

Le 9 décembre 1905, les représentants du peuple inscrivaient dans la loi lesprincipes indéfectibles de la laïcité, valeur universelle d'unité, de liberté, d'éga-lité, de concorde et pierre angulaire de la République

Par son article 1er, la loi proclamait la liberté de conscience, le droit de croireou de ne pas croire, et le libre exercice des cultes. De ce fait, la laïcité n'est pashostile aux religions, contrairement à une contre-vérité courante.

Par son article 2, elle proclamait l'indépendance réciproque de l'Etat et descultes. De ce fait, elle s'opposait au cléricalisme, c’est-à-dire l'intrusiond'autorités religieuses dans la vie politique et les lois de l'Etat. En stipulant que«la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte», elle posait comme unprincipe l’universalité de son orientation, condition de l’égalité de traitementde tous les citoyens, qu’ils croient en Dieu ou non.

Aujourd'hui, la laïcité est bafouée par les agissements et les intentionsdéclarées des plus hautes autorités de l'Etat. La République est fragilisée parla progression du communautarisme social, ethnique, religieux, qui divise deplus en plus la société. Elle subit de plus en plus fortement les pressions d'uncléricalisme renaissant, qui s'installe dans l'Union Européenne et enparticulier en France, comme en témoigne la récente violation du Code del’éducation, qui confie la délivrance des diplômes universitaires au seulEnseignement Supérieur Public.

Gauche Avenir dénonce ce recul de plus d'un siècle et souhaite le réveil desconsciences, pour que renaisse la République indivisible, laïque, démocratiqueet sociale.

Ce 10 octobre 2009, nous appelons à un réengagement de toutes les forceslaïques et à leur conjonction dans une structure de coordination, à l’image dece que représenta le CNAL dans l’enseignement, afin de redonner corps etvigueur à l'idéal laïque.

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LELIVRENOIRDELALAÏCITÉ

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