Les Dossiers de la Philosophie N° 2- Octobre-Novembre 2014

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  • QU'EST-CE-QUI NOUS CONTRAINT ? EST-CE NOUS QUI DTERMINONS ? Jj r JJJJ dJJ ~~ ' r)

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    Se connatre soi-mme: est-ce ncessaire? ....__...J___,

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    N2 - Bimestriel - Octobre/Novembre 2014

    Sommaire

    ~-- .

    DOSSIBR Sommes-nous libres ? Le libre arbitre en question Libert, pour quoi faire ? Socit, ce qui nous contraint Test : Libre de mener votre vie ? Les crits de la libert

    TUDES La vrit vous rendra libre

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    10 16 20 21

    L'acte gratuit selon Andr Gide travers la figure de Lafcadio par Marc Alpozzo 48 Eloge de la tmrit spirituelle par Luc-Olivier d'Algange 51 Emmanuel Kant. Le concept de la libert est la clef de l'expliccation de l'autonomie de la volont 70 Saint Thomas d'Aquin. Somme thologique 82

    80 magazines positifs IBI par Pierre Connary 22 A lire sur www.lafontpresse.fr Ple &:anomie : Entreprendre, Cration d'entreprise magazine, Franchise & Business, Manager & Russir, Argent & Patrimoine, Spcial Argent, Bu-siness event'. P61e Actualit: Jour de France, Clbrit magazine, Intimit magazine, Numro spcial, France Confidens, Succs, lnfo de Stars, Sp-cial Stals, Gotha, Royaut, Dynastie du monde. P6le Auto : L'essentiel de r Auto, Automobile revue, Automobile revue 4x4, Pratique Auto, Spcial Auto, Moto passion, Spcial Tracteurs, France Agriculture. P6le Sport : Le Foot, Le Foot Gazette des Transferts, Paris Transferts, Saint-Etienne Transferts, Le Foot Saint-Etienne, Le Foot Marsellle, Le Foot Marseille magazine, Le Foot Paris magazine, Le Foot Lyon magazine, Le Foot magazine, Football magazine, Foot Mondial, Spcial Bleus. Le Journal du Rugby, Le Rugby ma-gazine, Footing magazine. P61e Ftmlnln : 1'9minin Psycho, Question Psy-cho, L'essentiel de la Psycho, sant revue, Fminin sant, Pratique sant, Sant revue Seniors, Mdecine naturelle, Sant mdecine douce, Bien tout ge, Vive la vie, Enfants bien-tre. P61e Malson-D6co : Maison Dco ration, Spcial dco, Dco campagne, Maison &Amnagements, L'essentiel de la Dco, Maison dcoration Culslnes, Faire soi-mme, Viva Jardin, Jar-din magazine, Jardiner, Spcial Potager. P61e Centres d'lnt6r6ts : Spcial Chats, Spcial Chiens, Spclal Cheval, Stop Arnaques, Vos droits, Question pratique, Pratique magazine, Astro revue, Belles rglons de France. P6le Cuisine : Cuisine magazine, Cuisine revue, Pratique magazine Cuisine, Cuisiner, Cuisiner au jour le jour, Viva Cuisine, Spcial Ptisserie, Terroirs de France, Cuisine rgionale, Le magazine du vin, France art de vivre. P61e Dcouverte : Science magazine, Science revue, L'essentiel de la Science, Question Philosophie, Philosophie pratique, Spcial Philo, Les dossiers de la philosophie, Tout sur tout, Pourquoi magazine, L'indiscret, Spcial Actualit, France magazine, Spcial Cline, Spclal Histoire, Spcial Guerres, La vie des Franais, Le magazine des Arts.

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  • Dossier Sommes-nous libres ?

    La libert d'expression, de penser, d'agir, de circuler, de croyance, sexuelle, d'esprit, de parole ... autant de liberts que nous voulons nous octroyer parce que nous pensons qu' travers nos choix, nos prises de positions, nos orientations, nos dcisions qui nous sont propres, nous nous sentons libres. Le libre-arbitre est-il rel ou une

    illusion ? Bref, sommes-nous vraiment libres ?

    E tre vraiment libre, est re-fuser les rgles, les principes, les lois, le pouvoir, la domi-nation. Etre totalement libre, c'est faire ses propres rgles, avoir ses propres principes, possder, matri-ser ... alors n'est-ce pas condamner la socit, l'existence d'autrui, la vie en communaut en favorisant sa propre libert ?

    La question philosophique par excellence Voil srement la plus grande question philosophique de tous les temps. Ce qu'on appelle le libre-ar-bitre est cette sensation que nous avons de contrler notre volont, d'tre le matre de nos penses, l'au-teur conscient de nos dcisions.

    Le libre arbitre est donc la faculr qu'aurait l'tre humain de se dter-miner librement et par lui seul, agir et penser, par opposition au dterminisme ou au fatalisme, qui affirment que la volont est dter-mine dans chacun de ses actes par des farces qui l'y ncessitent.

    Les Grecs ignoraient le libre arbitre, n'ayant pas la notion de volon-t mais plutt celle d'acte volon-taire, tudie au troisime livre de !'thique Nicomaque. Dans ce livre, Aristote dfinit le volontaire par l'union de deux fa-cults : la spontanit du dsir (agir par soi-mme), dont le contraire est la contrainte, er l'incentionnalir de la connaissance (agir en fonction d'une cause er en connaissanr cette cause), donc le contraire est l'igno-rance. Ainsi, j'agis volontairement quand : J'agis spontanment (je rrouve alors le principe de mes actes l'inrrieur de moi-mme, contrai-rement l'individu qui est emmen pieds et poings lis par des ravis-seurs), et J'agis en sachant ce que je fais (contrairement celui qui admi-. \ . .

    rustre a un panent un poison en croyant sincrement lui administrer un remde, parce que le pharmacien a interverti les tiquettes). Le volonraire suppose ainsi !'union de la spontanit er de l'intention-nalit ; il esr la condition de la res-ponsabilit morale de l'individu.

    Nous sommes esclaves des lois pour pouvoir tre libres. (Cicron)

    6 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    STPHANE DURAND, CHERCHEUR AU CENTRE DE RECHERCHES MATHMATIQUES, UNIVERSIT DE MONTRAL. NOTRE CERVEAU INCONSCIENT DCIDE c On pourrait dbattre thoriquement longtemps sur cette question, comme le font les philosophes depuis 1 500 ans! Mals ce qui est fascinant, c'est que depuis quelques annes toutes sortes d'ex-priences sont ralises sur des humains en train de prendre des dcisions, et dont le fonctionnement du cerveau est analy-s en temps rel par diffrentes mthodes d'imagerie mdicale (rsonance magntique, casque lectromagntique, lectrodes, etc.). Et ces expriences semblent toutes montrer que lorsqu'on ressent la sensation de prendre une dcision, ce n'est qu'une sensation justement ... car notre cerveau inconscient a dj pris la dcision quelques secondes auparavant. Ces expriences sont vraiment spectaculaires ! Bref, ces expriences semblent nier le libre-crbitre (au sens usuel). Mais atten-tion: l'absence de libre-arbitre ne veut pas dire que notre futur est prdtermi-n, car il existe un hasard quantique fondamental dans la nature. Notre devenir volue donc selon un mlange de hasard et de "dcisionsn prises dans notre cerveau profond suivant des algorithmes complexes faonns par l'volution, dans le but d'optimiser notre survie et notre bien-tre (ce dernier pris dans un sens trs large: le bien-tre d'aujourd'hui n'tant pas le mme qu' l'ge pr-historique). Mais le point crucial est que ces dcisions se prennent notre insu, notre conscience n'en est que le spectateur. Bref, notre cerveau inconscient dcide, puis nous envoie /'illusion que c'est notre volont qui dcide!

    Ces analyses aristorliciennes ont t fondamentales pour l'labora-tion scolastique du concept de libre arbitre. Les thologiens chrtiens retiendront d' Aristore la notion de libre comme associant la volont (spontanit) et la raison (inten-tionnalit), et comme fondant la

    responsabilit de l'individu devant les lois morales, pnales et divines.

    La controverse de la prdestination Le libre arbitre est l'une des deux rponses envisageables la ques-

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    La critique philosophique du libre arbitre tient au rle des

    motifs (raisons de choisir) dans la dtermination du choix et, par consquent, de l'action.

    Les dossiers de la Philosophie n2 - 7

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    TROIS CATGORIES DE CRITIQUES

    Le concept de libre arbitre a fait l'objet de trois catgories de cri-

    tiques, l'une thologique (attribuer l'homme un libre arbitre, n'est-ce pas nier ou du moins, minimiser le

    rle de la grce divine dans l'uvre du salut?), l'autre philosophique (le libre arbitre ne revient-il pas nier l'influence des motifs ou des

    mobiles qui dterminent nos choix et nos actions?), et la dernire

    d'ordre soit psychanalytique (le libre arbitre n'est possible que si

    l'on est en mesure de dominer son inconscient) soit de ce que l'on appelle les sciences humaines.

    La premire critique est motive par le prdestinationisme : elle

    aboutit aux querelles autour de la prdestination caractristiques

    de la Rforme dans sa version calviniste. La seconde est motive

    par le cncessitarisme (mais aussi, dans une mesure plus complexe le

    rationalisme), le fatalisme et le dterminisme.

    tion du salut (sotriologie) telle qu' labore par les thologiens de la Renaissance. rautre rponse est la prdestination chez Martin Luther, voire la double prdestination chez Jean Calvin. Plus largement, la question du libre arbitre tente de situer le rle de la volont humaine dans la conduite d'une vie bonne (susceptible de mener au salut) face un Dieu conu comme toue puis-sant. De cette faon, la question du libre arbitre craverse les trois monothismes et les rponses que chacun d'entre eux donne mritent l'examen.

    Le problme de la libert d'indiffrence La critique philosophique du libre arbitre tient au rle des mocifs (rai-sons de choisir) dans la dcermina-tion du choix et, par consquenc, de l'action. Suis-je vraiment libre de choisir entre deux objets (et deux fins), l'un qui reprsente un grand bien, ec I' aucre, un moindre bien ? De deux choses l'une. Soie je choisis le plus grand bien : peut-on alors dire que mon acre esc

    libre ? N'est-il pas plutt dtermin par les motifS, ou plus exactement, par la prvalence d'un motif sur lautre ? Soit je choisis le moindre bien, mais comment alors un acte aussi absurde pourrait-il tre libre ? Et si je le choisis afin de prouver que je suis libre, cela revient au premier cas de figure : la volont d'tablir la ralit de ma libert s'est avre un motif plus dterminant que l'objet prfrable. Dans lun et l'autre cas, je ne serai pas libre.

    8 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    Pour remdier ce problme, la doctrine de la seconde scolastique a invent le concept de liberc d'in-diffrence. Soit un individu appel choisir entre deux biens identiques, et donc indiffrents. Il y a ici une quivalence des motifs : rien ne le d-termine prfrer lun lautre. Or, la volont prouve qu'elle est doue de spontanit : mme en ce cas, elle peut se dterminer choisir. racte ne trouve pas alors son explication dans les motifs, ni par consquent dans les objets, mais dans le sujet lui-mme

    La totale libert est-elle utopique?

    en tant qu'il est dou d'une capacit agir arbitrairement. Le concept de libert d'indiffrence tablirait, avec la spontanit de la volont, la ra-lit du libre arbitre. Par extension, la libert d'indiffrence s'applique aussi aux cas o il ny pas d'quivalence des motifs : je puis fort bien prfrer un moindre bien un plus grand bien, prouvant ainsi que je suis le seul sujet ou la seule cause de mes actes.

    La libre ncessit selon Spinoza Pour Spinoza le libre arbitre est une totale illusion qui vient de ce que l'homme a conscience de ses actions mais non des causes qui le dter-minent agir. En effet, l'homme n est pas un (( empire dans un empire)) mais une partie de la substance infi-nie qu'il appelle Dieu ou la nature.

    Cependant, l'homme dispose bien d'une libert dans la mesure o il comprend avec sa raison pourquoi il agit. Est donc libre celui qui sait qu'il n'a pas de libre arbitre et qu'il agit par la seule ncessit de sa na-ture, sans tre contraint par des causes extrieures qui causent en lui des passions.

    Toutefois, observant que les hommes ne sont que des parties

  • Si les hommes naissaient libres, et tant qu'ils seraient libres, ils ne formeraient aucun concept du bien et du mal[ .. ] [car] Celui-l est libre qui est conduit par la

    seule raison et qu'il n'a, par consquent que des ides adquates (Spinoza) de la nature, il en dduit que cette hypothse d'une libert de l'homme ds la naissance est fausse. Les par-ties de la nature sont soumises toutes les dterminations de celle-ci, et elles sont extrieures l'homme. Il considre donc que le sentiment de libert de l'homme rsulte du fait qu'il n'a connaissance que des causes immdiates des vnements rencon-trs. Il rejette alors le libre-arbitre, parlant plutt de libre ncessit.

    Sur quoi repose le libre arbitre ? En rsum, deux points de vue ' . . . s opposent 1c1 qw traversent toute

    l'histoire de la philosophie travers bien des dnominations et des va-riantes diffrentes, opposition que nous essayerons de rsumer comme tant celle entre le point de vue de la premire personne et celui de la

    .. ' tro1s1eme personne.

    Du point de vue de la premire personne C'est--dire du point de vue de la

    conscience ou du sujet, personne ne peut dcider ma place, mme ne pas dcider est une dcision, et la moindre action digne de ce nom m'engage : pour faire une chose aus-si simple que lever le bras il faut que je le dcide, tout au moins faut-il

    ., . . que J y pense et nen ne se passerait sinon. Le libre arbitre est la condi-tion de la responsabilit.

    Cela fait-il du libre arbitre et du contrle qu'il suppose une donne vidente ? Est-il si vident que nous avons un contrle sur nos penses et nos motions ? La plupart de nos supposes actions , ne sont-elles pas en ralit des ractions mca-niques qui rpondent autant de facteurs intrieurs (motions, pr-jugs ... ) et extrieurs (les circons-tances) que nous ne contrlons pas ? Certes, je suis l'origine de tous mes choix, mais ai-je choisi ce que je suis ? Pour que nos actions soient vraiment les ntres, il faudrait que nous puissions nous choisir nous-mme, cela est-il possible ? Peut-on revendiquer un choix absolu de

    soi-mme ? Il faudrait alors avoir conscience d'avoir dlibrment choisi sa naissance. Peut-tre peut-on, plus raisonnahlement, revendi-quer un choix relatif de soi-mme, choix signifierait ici soit accepta-tion ( partir d'un pass qu'on n'a pas choisi), soit refus (le suicide en tant l'extrmit). Cela nous amne la question des conditions objec-tives du libre arbitre (celle des pos-sibilits objectives du choix) et au second point de vue.

    Du point de vue de la troisime personne C'est--dire pour un observateur ex-trieur objectif, chacun des actes d'un agent donn s'explique par des causes extrieures et s'insre dans une continuit. La science moderne en est l'expression la plus aboutie, elle est globalement dterministe (nous laissons de ct la question du probabilisme de la physique quan-tique), est--dire qu'elle envisage !'tat prsent de l'univers comme tant l'effet ncessaire de celui qui l'a prcd, et cela en vertu des lois

    QUAND LA PHYSIQUE ET LES NEUROSCIENCES S'EN M~LENT . Les deux disciplines scientifiques qui semblent les plus mme de pouvoir apporter des lments la question du libre-arbitre sont la physique (qui tudie les lois de la nature) et les neurosciences (qui tudient le fonctionnement du sys-tme nerveux et donc du cerveau, organe dcisionnel). La physique permet de mieux comprendre la notion de dterminisme tandis que les neurosciences touchent vraiment au libre-arbitre.

    de la nature. Ainsi, il apparat qu'un agent ne peut agir en ralit autre-ment qu'il n'agit en fait, et que s'il s'est engag dans une action A c'est que ni B, ni C (s'ahstenir) n'tait possible en fonction de son pass. ride de libre arbitre semble ici contradictoire avec celle de loi na-turelle. Comment pourrait-on nier que nos futurs possibles sont en ra-lit dtermins par notre pass rel ? Faut-il ncessairement opposer ces deux points de vue ? Objectivement le prsent est !'effet ncessaire du pass, mais cela rend-il absolument illusoire la ncessit face laquelle nous nous trouvons (subjective-ment) de dcider et d'agir? Doit-on tenir notre exprience de premire personne (celle de nos hsitations, nos choix, notre responsabilit ... ) comme purement illusoire ?

    De ce point de vue, les obstacles notre libert n'existent que par rap-port elle, et la question n'est pas : tre ou ne pas tre libre ? , mais comment se librer ? La libert deviendrait alors une pratique exi-geante, le libre arbitre une difficile conqute. F.G.

    POUR ALLER PLUS LOIN

    Didier rasme, Essai sur le libre arbitre.

    Martin Luther, De serva arbitrla (Du serf arbitre).

    Denis Diderot, Jacques le fataliste;

    George L. Fonsegrive, Essai sur le libre arbitre.

    Arthur Schopenhauer, Essai sur le libre arbitre.

    Les dossiers de la Philosophie n2 - 9

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    ' I

    Avoir plus de liberts, est-ce tre plus libre? Quel sens y a-t-il exiger toujours plus de liberts? Et lesquelles? Est-ce dire que la libert s'obtient par petits

    morceaux, que l'on est plus ou moins libre? Que la libert ne sera it donc pas une et indivisible comme le soutenaient Rousseau et Spinoza ?

    L es liberts posent le pro- Toutes les philosophies du libre est une des grandes motivations blme non plus de manire arbitre insistent sur cette exp- de la qute humaine : sans doute mtaphysique mais poli- rience de la libert, sur la des- ceci explique-t-il qu'elle demeure tique. Que revendique-t-on lors- cription de cette exprience psy- !'obsession de nos pratiques qu'on exige davantage de liberts ? chologique ou morale. Vrit ou comme de nos thories, en dpit Revendique-t-on plus de droits ? illusion, il est effectivement clair de l'incapacit de la dmontrer, de [essence de la libert est-elle de se que nous ressentons cette libert notre impuissance historique la transformer en droits ? et aspirons la dvelopper. Elle raliser.

    Que les gens sont absurdes! Ils ne se servent jamais des liberts qu'ils possdent, mais rclament celles qu'ils ne possdent pas ; ils ont la libert de

    pense, ils exigent la libert de parole. (Soren Kierkegaard)

    10 - Les dossiers de la Philosophie n2

    ' De la libert ...

    Le mot libert est souvent inter-prt de diffrentes manires dans la socit d'aujourd'hui car les gens se font leurs propres visions de la liber-t par rapport divers sujet d'tudes prcis comme leurs milieux ; leurs corps ; les contraintes... mais ne prennent pas en compte les simili-tudes et les diffrences du terme li-bert pour chaque sujet d'tude et ainsi se faire une ide plus gnrale, plus globale de la libert.

    En effet, le terme libert est sou-. . ' vent mterprete comme un statut

    public et collectif et par le fait de ne pas tre soumis, de ne pas avoir de contraintes, ni d'tre dpendant de quelqu'un ou quelque chose ; ain-si la libert est donc vue comme le fait d'agir de sa propre volont ; de mener son existence comme on veut (homme libre : homo liber) et de ne pas tre un homme qui sert servir les projets de quelqu'un d'autre. On trouve que la possibilit de choisir n'est pas absolue parce qu'on n'est dtermin par certains dsirs. Le dterminisme dsigne la doctrine d'aprs laquelle nos actes et penses sont causs par un ou plusieurs mo-tifs qui peuvent tre extrieurs ou intrieurs (vnements passs ... ).

    Cependant si la dfinition du mot libert se limitait a, il suffirait de la connatre pour la trouver avec assurance.

  • Quid des liberts individuelles

    On distingue au niveau de l'indivi-du plusieurs types de liberts : La libert naturelle : l'homme a le droit naturel d'employer ses facul-ts comme il l'entend ;

    La libert civile : elle s'inscrit dans le cadre d'un homme citoyen, tant libre de ses actes tant que ceux-ci ne sont pas contraires la Loi, ou ne nuisent pas autrui. Cette libert est trs dlicate d'application, en particulier en ce qui concerne le droit de la concurrence, puisque toute cration de commerce nuit par principe aux commerces ant-rieurs existants dans le voisinage. On y associe souvent la maxime sui-vante : La libert des uns s'arrte l o commence celle des autres ;

    La libert individuelle : dans la mme optique que la prcdente, elle reconnait l'homme le droit d'aller et venir librement sur le territoire national, ce qui inclut la possibilit d'y entrer ou d'en sortir. Cette liben a t tendue en Eu-rope grce aux accords de Schengen, permettant la libre circulation des personnes dans l'espace de la Com-munaut europenne ;

    La libert de culte (ou libert de conscience} : elle permet chaque individu de pratiquer la religion de son choix, ou de ne pas avoir de croyance religieuse, dans la me-sure o l'expression des croyances en question ne trouble pas l'ordre public (dclaration des droits de l'homme).

    La libert d'expression : elle per-met chacun d'exprimer ses penses sans censure pralable, mais non

    INDIVIDUELLES & COLLECTIVES

    Libert individuelle : libert que chacun peut exercer sparment des autres citoyens. Libert collective: droit que l'on peut exercer dans le cadre de la vie collective en socit.

    -

    sans sanctions si cette libert porte prjudice quelqu'un. Elle va de pair avec la libert de la presse.

    La libert conomique : elle per-met chacun de percevoir des reve-nus et de dpenser ces revenus : li-ben de travailler et de consommer. Ce droit reste videmment bien thorique lorsque la conjoncture ne permet pas tous de trouver un em-ploi, mais prcise au moins que nul ne peut se voir refuser par principe un emploi pour des considrations autres que de qualification profes-sionnelle (par exemple sexe, origine ethnique, ge ou religion).

    Diffrentes formes de libert La libert mtaphysique Selon P.M. Simonin, elle tient, dans la dmarche chrtienne, la position de l'homme en tant qu'tre cr. Procdant de Dieu, il tient de lui sa ralit spirituelle et donc l'infinit de sa volont. Mais parce qu'il est cr, il apparat ncessairement comme un tre limit non seulement dans son essence mais galement dans son savoir et dans son pouvoir. Par voie de consquence, il n'est jamais im-mdiatement mais a en charge son devenir. Le processus dans lequel il s'engage est ainsi un chemin o les croisements imposent des choix. S'il tait parachev, il n'aurait mme pas choisir, il saurait. La liben mtaphysique est donc ici pose dans toute son ambivalence : positive puisqu'elle implique l' ac-complissement de la spiritualit ; ngative puisqu'elle rvle la fini-tude humaine.

    La libert morale Elle est une consquence de la pr-cdente. De sa position d'tre fini, l'homme tient la capacit de se tromper. D'avoir choisir entre le bien et le mal. Cenes non pas de dfinir le bien et le mal, certes non plus d'chapper aux consquences d'un choix pervers, mais en tout cas d'avoir choisir entre ces deux termes.

    La libert politique On devrait d'ailleurs crire plutt les liberts politiques. > La libre association : Elle trouvera sa concrtisation dans la loi de 1901; mais aussi dans celle autorisant les partis politiques. > La libert de la presse : Elle implique surtout l'absence de toute censure pralable, institution-nelle. Il faudra attendre l'instaura-tion de la III< Rpublique pour la voir concrtise ( la notable excep-tion des priodes de guerre et du rgime de Vichy). > Le suffra.ge universel ; On remar-quera sa lente instauration en An-gleterre; par opposition la France. Par ailleurs ce suffrage ne sera v-ritablement universel qu' partir de 1944, moment o les femmes se voient enfin accorder le droit de vote. On remarquera surtout que le suffrage universel n est pas une condition suffisante de la libert po-litique : encore faut-il que les candi-datures puissent tre multiples.

    La libert conomique. Elle aussi prsente plusieurs dimen-sions : > La libert d'entreprise implique qu'il n'y ait pas d'entrave la cra-tion d'entreprise; ni donc de condi-tions sociales ou conomiques, voire mme de caste comme ce fut le cas sous l'Ancien Rgime. Implique donc la disparition des ordres et des corporations. > La libert de concurrence l en-core implique la disparition des cor-porations et la libert des prix.

    Liberts ou droits ?

    On peut distinguer plusieurs ca-tgories de droits reconnus aux ci-toyens, qui sont apparus successive-ment dans le temps. Ces droits sont tous garantis par l'tat. Les premiers droits reconnus sont les droits-liberts (libert d' expres-sion, d'opinion, de runion, d'as-sociat ion ... ). Ils peuvent tre in di vi duels ou collectifs et

    Les dos.5iers de la Philosophie n2 -11

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    offrent aux individus une certaine autonomie et la possibilit d'agir sans soumission. Ce sont ces droits que reconnat la Dclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aot 1789, leur conqute ayant ncessit de longs combats. Parmi eux, les droits politiques (droit de vote et d'ligibilit) permettent une participation au pouvoir. Le stade suivant du dveloppement des droits des citoyens a concern les droits crances . Ils contribuent la dignit de l'individu, mais la diffrence des droits-liberts, ils ont un cot. Leur appellation vient de la ncessit de l'intervention de l'tat pour leur mise en uvre concrte. Il s'agit de droits conomiques et sociaux, tds que le droit l'ins-truction, le droit la sant, le droit au travail, le droit d'appartenance un syndicat. En France, ils sont inscrits dans le prambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Cette affirmation de droits nou-veaux a concid avec la cration de l'tat-providence, savoir d'un tat plus interventionniste conomique-ment et socialement. Aujourd'hui, apparat une troisime gnration de droits de l'homme. Ils concerneraient non seulement les citoyens d'un mme tat, mais impliqueraient une solidarit inter-nationale (ex : droit un environ-nement sain, droit des gnrations futures, droit d'ingrence humani-taire).

    Les paradoxes de la libert Premier paradoxe Si la libert tait totale, la responsa-bilit serait aussi absolue qinsaisis-sable. Si l'inverse, je ne puis chap-per totalement aux consquences de

    ' . . mes actes, c est que Je ne suis pas totalement libre, et donc pas non plus totalement responsable. C'est tout le problme d'Adam. S'il a pu enfreindre l'interdit divin, c'est qu'il tait effectivement libre. Mais sa libert ne va pas jusqu' pouvoir chapper l'viction du Paradis. Donc, ne serait-il que partiellement libre et responsable ? On retrouve la mme aporie dans la gestion

    des peines. Rousseau estime que le criminel a rompu le contrat. Il ne fait donc plus partie de la socit puisqu'il s'en est exclu de lui-mme. Mais alors, pourquoi donc serait-il contraint de supporter les sanc-tions prvues par des lois qui ne le concernent plus ?

    Second paradoxe Toute loi postule effectivement la libert, sans laquelle aucune norme ne pourrait avoir de sens. C'est dire que la rgle morale ou sociale pos-tule une libert que par ailleurs tout dment. En ralit, il ne peut selon Kant y avoir de libert au niveau phnomnologique dans la mesure o tout s'y succde dans le temps, et reste donc toujours la consquence de ce qui prcde. Tout y est donc dtermin. Mais il y a libert au niveau du noumne, de la chose en soi, de l'esprit. Remarquons simple-ment que Kant postule une libert transcendantale au niveau mme o celle-ci est improuvable, puisque nous savons que la chose en soi est indterminable.

    Troisime paradoxe Quand bien mme on accepterait la libert de chacun et sa responsabili-t, sur quels lments doit-on juger ? Sur les intentions ou sur les actes ? La libert de faire ce que lon veut ? Selon Gildas Richard, la manire la plus courante de concevoir la liber-t est celle qui consiste la dfinir comme l'tat de celui qui peut faire ce qil veut.

    12 - Les dossiers de la Philosophie n2

    le sentiment de libert dpend galement du respect des Dl'olts

    de l'Homme.

    La libert comme puissance Dans la proposition tre libre, c'est pouvoir foire ce que l'on veut , on discerne sans peine la prsence de deux lments, qui indiquent les deux conditions devant tre rem-plies pour qu'il y ait libert. Pour tre libre en effet, il faut pouvoir faire (le terme foire tant pris en un sens suffisamment gnral pour inclure aussi bien la parole que l' ac-tion) : il s'agit ici de la possibilit, de la capacit, donc de la possession des moyens de faire ; je suis libre si aucun obstacle ne s'interpose entre ma volont et sa satisfaction, ou si du moins je dispose des moyens permettant de surmonter l'obstacle ventuel. Mais il faut en outre que cette capacit et ces moyens soient employs faire ce que l'on veut, et non autre chose : il s'agit l de la d-termination de la fin ou du but, et il est exig que cette dtermination soit effectue par le sujet lui-mme ; je suis libre si je fois ce que je veux, moi, et non ce que veut un autre. La manire la plus simpliste d' envi-sager la libert est celle qui consiste mettre laccent avant tout, ou mme exclusivement sur la question du pouvoir, et considrer le vou-loir comme allant absolument de soi et comme ne posant pas problme. Il en rsulte deux consquences fon-damentales, qui n'ont pas toujours t indiques avec toute la prcision souhaitable, et qui touchent, d'une part au genre de rapport que le sujet entretient avec lui-mme, d'autre part au genre de rapport que les dif-

    frents sujets entretiennent les uns avec les autres.

    Les consquences quant aux rapports avec soi-mme Selon cette optique, le problme de l'acheminement du sujet vers la libert prend une tournure bien particulire. Certes, on admet bien que la libert n'est pas donne d' em-ble, qu'elle est obtenir, et qu'il y a donc devenir libre, et mme que ce devenir implique effort, tra-vail et patience : en bref, tre libre peut bien apparatre ici comme une tche. C'est, en effet, que les moyens d'action doivent tre acquis, et que cette acquisition implique bien des labeurs ou bien des combats : ce que je veux, il me faut devenir capable de !'obtenir. Mais prcisment, c'est cette conqute des moyens que se r-duit l'acheminement vers la libert.

    Les consquences quant aux rapports avec autrui S'agissant du genre de rapport entre soi et les autres, la conception de la libert comme possibilit de faire (ce que l'on veut) entrane des consquences aussi rigoureusement logiques que les prcdentes, et tout aussi aisment identifiables, mais qui n'ont pas non plus coutume d'tre vues et repres comme telles, est--dire comme des suites abso-lument ncessaires de la compr-hension de la libert dont il s'agit.

    Si la libert consiste pouvoir faire ce que l'on veut, il est de toute n-cessit que les liberts des diffrents sujets se limitent rciproquement, d'une manire telle que l'accrois-sement de la mienne ne puisse se faire que moyennant la diminution de celle des autres, et vice et versa. En effet, puisque tre libre signifie : possder et exercer les moyens de sa-tisfaire ses dsirs, et puisque la liber-t ne peut tre alors pleine et entire que si cette possession et cet exercice sont eux-mmes sans aucun obsta-cle et sans aucun frein, il en rsulte que je suis priv de libert, chaque fois que je dsire quelque chose qui est possd par un autre, ou chaque fois que est un autre qui possde le moyen de faire ou d'obtenir ce que

  • je veux, ou encore chaque fois que l'autre est en mesure de satisfaire un dsir qui contrarie le mien.

    Libre arbitre et libert

    La rflexion commune tend identifier libre-arbitre et liben, et ne comprend cette dernire que comme la capacit de se soustraire de toute dtermination. Elle oppose libert et ncessit, parce que la li-bert d'indiffrence est l'indtermi-n par excellence, et fait du mme coup de la libert d'indiffrence la racine mme de toute libert. Mais la libert d'indiffrence est-elle le fondement mtaphysique de la liben ? Il est noter que d'un autre ct, les hommes qui nous pa-raissent libres ne sont pas ncessai-

    rement ceux qui sont totalement in-dtermins, mais ceux au contraire qui accomplissent ce pour quoi ils semblent tre faits. Sera dit libre celui qui russit tre pleinement lui-mme.

    Dans un contexte spinoziste, cela si-gnifie qu'est libre celui qui concide avec son essence ou, pour le dire autrement, qui exprime sa ncessit propre. J'appelle libre une chose qui est et agit par la seule ncessit de sa na-ture ; contrainte, celle qui est dter-mine par une autre exister et agir d'une cenaine faon dtermine.

    Plus un tre est ncessaire, c'est--dire est parfuitement soi-mme, plus il est libre. Mais chez Spinoza, tout

    homme, en ce qu'il est une partie de ltendue, est soumis lenchane-ment des Causes, et est ncessaire-ment dtermin par une extriorit qui vient alors faire obstacle sa n-cessit interne. C'est ce qui explique que l'homme est soumis des pas-sions, c'est--dire qu'il est la cause inadquate de ce qui se passe en lui. tue dlivr de la passion et donc de la servitude consiste du coup de-venir la cause adquate de ce qui se passe en nous. Comment ds lors l'homme peut-il tre vritablement lui-mme et ainsi tre vritablement libre ? Il doit s'efforcer de parvenir une connaissance claire et dis-tincte de ses affections, pour qu'elles cessent d'tre des passions. Parvenir la connaissance adquate de mes affections et vivre selon

    Les dossiers de la Philosophie n 2 -13

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    la raison me permet certes d' aug-menter ma puissance. La conduite rationnelle ne ressemble pas du dehors la conduite passionnelle. Il reste que notre puissance est li-mite, du fait de celle des causes ex-trieures. C'est pourquoi, face aux vnements qui viennent contrarier notre tre propre, et que nous ne pouvons viter, Spinoza fait allusion un contentement de l'me pure-ment intrieur. Il s'agit de suppor-ter d'une me gale les vnements qui nous sont contraires. On peut ds lors affirmer que l'me peut en quelque sorte rester libre en adop-tant une indiffrence face aux choses extrieures. On est tout prs ici (et bien que Spinoza s'oppose ailleurs la doctrine stocienne) de l'ide sto-cienne d'aprs laquelle il faut se d-tacher des choses qui ne dpendent pas de nous, afin de trouver le sou-verain-bien. C'est l'indiffrence du sage qui est garante de sa libert. La libert du sage est donc bien li-bert d'indiffrence, non pas cepen-dant en ce q elle se confond avec le libre-arbitre, mais en ce qu'elle s'ob-tient par la systmatisation d'une indiffrence l'gard des choses sur lesquelles nous n'avons en dernire instance aucun pouvoir.

    Conversion de la ncessit en libert Analysons, chez Spinoza, le mca-nisme de cette conversion de la n-cessit en libert. tre libre, ce serait pour Spinoza tre la cause adquate de ses actes. Or, nous ne sommes pas spontanment la cause entire de nos actes. Nous sommes des tres finis et faibles dans la nature, et nous sommes d'abord esclaves, c'est--dire que nos actes expriment notre peur de tout ce qui nous menace, bien avant de reflter nos volonts. La joie qui exprime l'accroissement de notre pouvoir est plus rare dans la vie que la tristesse qui reflte la diminution de notre puissance. Souvent, les actes des hommes ap-paraissent tranges parce q ils d-pendent la fois de leurs dsirs et des causes extrieures. Ainsi, bien que notre dsir le plus profond soit de persvrer dans lexistence, il y

    a des hommes qui se suicident. A tout moment, la souffrance, la mort mme nous menacent. Comment convertir en libert cette servitude originelle de la condition hwnaine ? Pour tre libre, il faudrait que l'homme n'accomplisse que des actions dtermines par sa nature mme et non plus par les causes ext-rieures : ]'appelle libre une chose qui est et agit par la seule ncessit de sa nature, contrainte ceUe qui est dtermi-ne par une autre exister et agjr. Mais, encore une fois, comment l'homme, si fragile dans l'immense univers, parviendra-t-il se librer ?

    De la sagesse antique

    Ici, Spinoza propose une solution qui est celle de la sagesse antique. Pour tre libre dans l'univers, il suf-fit d'accepter l'univers ; on ne peut

    . ' pas avoir tout ce qu on veut ; on se librera, ds lors, en voulant ce que l'on a. Mais comment accepter tout ce qui nous arrive ? Spinoza rpond : par l'intelligence ; pour tre libr, il me suffit de com-prendre que tout ce qui m'arrive tait ncessaire, de concider par mon intelligence avec cette nces-sit inluctable. Si le malheur me frappe, quand j'aurai compris que l'enchanement des causes et des ef-fets dans lunivers rend ce malheur invitable, je serai apais, je cesse-

    14 - Les dossiers de la Philosophie n2

    rai de ptir, d'envisager mes souf-frances sous langle born de mon individualit, pour les considrer du point de vue de la totalit du point de vue de la liaison de toutes choses {c'est--dire, dans le langage de Spinoza, qui confond Dieu et la nature, du point de vue de Dieu). Et je pourrai atteindre non seulement le calme mais la parfaite batitude en comprenant que tout dcoule de l'ternelle dtermination de Dieu avec la mme ncessit qu'il dcoule de l'es-sence du triangle que la somme de ses trois angles est gale deux droits .

    La libert se rduit en somme pour Spinoza la conscience de la nces-sit. Mais il nous semble difficile de rduire la libert la rsignation. Pour Spinoza, se librer, n'est-ce pas se transformer en esclave volon-taire ? Les esclaves de lunivers -que nous sommes tous - seraient-ils d'autant plus libres que leur soumis-sion serait plus intrieure et plus to-tale ? Cette thorie porte la marque d'un sicle o le dveloppement des techniques tait encore rudimen-taire, o l'homme n'avait pas encore un grand pouvoir sur la nature. Aujourd'hui, une telle anirude de rsignation n'est plus suffisante. Elle serait mme un peu anormale. Pousse la limite, elle dcourage-rait toute action concrte. A quoi bon tenter une entreprise si le r-

    sultat, quel qu'il soit, doit tre ac-cept comme invitable ? Certains caractres faibles prfreront mme se rsigner d'avance. C'est la r-signation prsomptive dcrite par des psychiatres allemands, celle du candidat qui, craignant lchec, ne se prsente pas lexamen, celle du commerant qui se suicide avant la faillite. Courir au-devant de la fata-lit n'est pas se librer.

    Une question de conviction et de responsabilit ? Prtendre tre libre ne revient donc pas apporter des preuves indniables et formelles de sa libert. Tout repose sur la conviction q a la personne elle-mme de sa libert. Quelqu'un peut donc prtendre tre libre, peu importe la faon exacte dont il dfi-nit le fait d' tre libre , pour autant qil soit capable de se convaincre de sa libert, que les conceptions et sys-tmes de croyance auxquels il adhre l'amnent croire en sa capacit di-riger lui-mme sa vie. Quant aux l-gres diffrences d'interprtation in-hrentes aux auteurs, elles dpendent largement du sens que l'on peut pr-ter au terme libert.

    Dans la pense de Sartre, la liber-t est la capacit que nous avons de dfinir ce que nous sommes,

  • capacit qui dcoule du fait que nous possdons une indpendance totale dans les choix que nous fai-sons constamment. Ainsi, lorsque Sartre aborde le thme de la libert de l'homme, il dit de !'tre humain qu'il est libre, parce qu'une fois jet dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait. Pour lui, la libert se trouve donc au niveau du pouvoir que nous avons d'influer sur ce que nous faisons, et par consquent sur qui nous sommes.

    Sartre dfend l'ide que l'homme dispose d'une libert pleine et entire, et qu'il est responsable de chacun des gestes qu'il pose. Dans ce sens, le principe fondateur de !'existentialisme, qui est aussi la base de l'ide de libert totale, est le concept que /'existence prcde l'essence . Pour l'exprimer simple-ment, on peut dire que l'homme existe d'un point de vue matriel et biologique avant de possder une essence, un but, une identit. Il n'est pas simplement la cration d'un Dieu unique qui lui aurait dj insuffi un ensemble de valeurs et de morales, une nature humaine proprement parler. [tre humain se retrouve dlaiss par Dieu, mais, comme l'exprime Sartre, tout est permis si Dieu n'existe pas . Par consquent, l'homme se soustrait, au travers de son dlaissement, l'imposition d'une identit prd-termine qui dicterait sa conduite. Il est donc possible de constater que l'homme n'est soumis aucun dterminisme, qu'il est {seul}, sans excuses de quelque sorte que ce soit qu'il puisse invoquer pour chap-per la libert qu'il a de se dfinir comme homme, et par l mme la responsabilit qui lui incombe d'in-carner un modle d'Homme.

    En appliquant de faon pratique ces concepts thoriques, on peut remar-quer que la libert de choisir com-ment nous agissons ainsi que ce que nous sommes peut s exprimer de ma-nires varies. titre d'exemple, la valeur que nous accordons aux signes illustre trs clairement le principe de libert. Nous voyons des signes, des indications quant ce que nous

    L'tre humain est libre, parce qu'une fois jet dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait.

    (Jean-Paul Sartre) devrions faire, dans les vnements qui nous arrivent. Mais q est- qui nous dit qu'il faut interprter ces v-nements de cette faon, s'il y a mme interprtation faire ? Tout dpend de nous. Nous voyons dans des si-tuations particulires des signes, et nous attribuons ces signes la valeur que nous souhaitons qils aient. Ce-pendant, ni la situation elle-mme ni personne ne nous influencent quant la valeur que nous accordons ces vnements.

    De nombreux auteurs et philo-sophes arrivent un consensus pour dire qu'ultimement l'Homme est responsable de ses actions et que ni les autres, ni les vnements ex-

    trieurs, ni le principe d'une nature humaine prdfinie et universelle ne peuvent servir d'excuses pour se soustraire la responsabilit que nous avons vis--vis de nos actions, il serait intressant de se pencher sur l'tendue vritable de la libert que l'on accorde l'homme. En effet, on peut se demander jusq quel point celui-ci agit librement, et jusqu'o il est limit un nombre rduit d' al-ternatives par la ncessit, autant dans les relations interpersonnelles que dans le rapport que l'espce humaine entretient avec son milieu. Simplement, la question qui se pose est de savoir si l'Homme a vrita-blement des choix faire, ou si ses possibilits d'actions sont fortement

    : QUESTIONNEMENT _. EXISTENTIEL ....

    La libm. pour

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    ' I

    La libert est une notion intressante du point de vue philosophique parce que c'est un terme que nous utilisons souvent. Nous avons un usage ordinaire du mot : pour le sens commun, la libert s'est agir sans aucune

    contrainte. Elle est donc la facult d'agir selon sa volont sans tre entrav par le pouvoir d'autrui. Cependant, la libert aurait-elle la mme force sans contraintes?

    16 - Les dossiers de la Philosophie n2

  • L a contrainte est dfinie ce qui s'impose moi de l'ext-rieur. I..:homme revendique le pouvoir d'agir comme bon lui semble sans subir de contraintes. Inverse-ment, celui qui est contraint n'est pas libre, il doit se soumettre aux ordres d'un autre ou encore plus gnrale-ment, des forces qui s' imposent lui. Existe-t-il contradiction entre li-bert et contraintes ? Les contraintes rduisent la libert d'action, mais les contraintes limitent-elles pour au-tant nos liberts ?

    Vivre sans contraintes, une utopie? tre libre semble signifier que l'on fait ce que l'on veut, en ce sens tre libre serait ne rencontrer aucun obs-tacle, n'tre limit par aucune au-torit extrieure. Cependant, celui qui revendique son indpendance l'gard de toute loi, de toute ins-tance dominante, celui-ci ne se condarnne-t-il pas vivre seul en dehors de tout rseau social ?

    De plus, l'autorit peut dsigner aussi une forme de puissance lie ' . a un savoir, et en ce sens respecter une autorit c'est reconnatre les lois de la nature, c'est donc plutt une manire de gagner sa libert en se librant de son ignorance. Finale-ment, tre libre est-ce s'affranchir de

    . , . toute autonte ou au contraire res-pecter ce qui fait autorit ? N'est-il pas utopique de vouloir se soustraire toute loi sociale, morale ou natu-relle ? Alors comment tre libre ? Ne peut-on pas concilier la libert et la ncessit ? Il faudra alors s' in-terroger sur la possibilit d'tre son propre matre en exerant son auto-

    ./ A.

    rue sur so1-meme et assumer ams1 ses responsabilits.

    L'affranchissement de toute autorit Ptre libre c'est faire tout ce qui me plat : cette ide reue renvoie une notion de libert comme pos-sibilit de tout faire sans limite ni contrainte. Or, n'tre dtermin

    ' ' A. par nen, c est n avoir meme pas un motif de prfrer telle ou telle

    Cette libert humaine que tous se vantent de possder consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs apptits et ignorent les causes

    qui les dterminent. (Spinoza)

    chose. Mais cette libert d'indif-frence ne permet pas l'action. En effet, dans une fable de Buridan, un ne qui se trouvait gale distance de deux mmes picotins d'avoine finit par mourir de faim. I..:absence de contrainte ne peut tre qu'une condition ngative d'une vritable libert. La libert comme sentiment imm-diat de faire tout ce qui me plat , est--dire l'ide d'une volont ab-solument indtermine, s'prouve dans l'exprience du choix. La pos-sibilit d'agir sans aucune raison plutt qu'une autre est son pa-roxysme dans l'ide d'acte gratuit. Ainsi, dans Les Caves du Viitican de Gide, Lafcadio cherche se prouver labsolu de sa libert par un acte qui ne rpond aucune motivation : il va jeter du train o il se trouve un vieillard sans dfense. Ainsi revendiquer sa libert comme affranchissement par rapport toute autorit, est vouloir poser

    sa libert comme infinie et absolue. Mais est-ce seulement possible ?

    L'absence de contrainte est-elle possible ? Mais suffit-il pour tre libre de le vouloir ? Le dsir de se prouver sa libert n'est-il pas dj un premier motif l'acte de Lafcadio ? Le dsir du meurtre n'est-il pas une raison inavoue ? Finalement, la libert n'est-elle pas illusoire ? Le dtermi-nisme est la doctrine mtaphysique qui affirme que lensemble du rel est rgi par des relations de cause effet. Chaque phnomne serait d-termin par une cause, qu'elle soit physique, psychologique, sociale ou autre. Vouloir s'affranchir de toute autorit en rsistant aux diffrents dterminismes par son libre arbitre est-il envisageable ?

    Le libre arbitre, comme possibilit de commencer une nouvelle srie

    de phnomnes, se prsente comme un principe irrationnel, un brin d'indtermination dans le monde. I..:homme, en se croyant la seule exception qui n'obit pas aux lois universelles de la nature, se prend pour un empire dam un empire selon Spinoza. Le libre arbitre ne se-rait qu'une illusion des hommes qui se croient libres par cette seule cause qu'ils srmt conscients de leurs actiom et ignorants des causes par o ils sont dltermins (Spinoza, thique, III).

    Ainsi, s'affranchir de toute auto-rit, se poser au-del de toute loi semble impossible car, qu'on en ait conscience ou non, on est toujours inscrit dans une forme de dtermi-nisme. Faut-il en conclure que la libert est impossible ?

    Respecter l'autorit est compatible avec la libert Pour Descartes, le monde est ra-tionnel, il est domin par l'autorit de la raison, et pourtant le libre ar-bitre existe. La possibilit de choisir, de se dterminer par sa volont est possible. l.:homme selon Descartes

    Vivre sans contraintes, une

    Les dossiers de la Philosophie n 2 -17

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    La libert est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire tout ce qu'elles interdisent, il n'y aurait plus de libert, parce que les autres auraient tout de mme ce pouvoir. (Montesquieu)

    a deux facults : la volont infinie qui peut cout vouloir, et un enten-dement limit. Connatre, c'est faire porter la volont ce que prsente l'entendement. r erreur est une pr-cipitation de la volont qui affirme

    . . , comme vrai ce qw n est pourtant pas clair ec distinct.

    La libert a plusieurs degrs. Le plus bas correspond la libert d'indiffrence, esc--dire une li-bert qui n'a aucune raison de faire un choix plutt qu'un autre. Le plus haut degr est celui de la liber-t claire, c'est--dire la possibili-t d'agir en connaissance de cause, en ayant des raisons de faire tel ou tel choix. Par exemple, on choisie plus librement son orientation pro-fessionnelle lorsque l'on connat les diffrentes filires. Finalement, les animaux ne sont pas libres car leur libert d'indiffrence n'est pas une vritable libert.

    Ds lors tre libre, ce n' esc pas s' af-franchir de coute autorit au sens o on la rejetterait brutalement, mais ce serait comprendre les lois (de la nature) pour mieux les contrler. Ce serait ainsi, selon Francis Bacon, vaincre la nature en lui obissant .

    La libert est autonomie

    Dfendre un dterminisme absolu des choses c'est renoncer la pos-sibilit d'agir selon des dcisions sciemment choisies, c'est renoncer la possibilit pour un individu d'tre un sujet moral, c'est--dire d'cre responsable de ce qu'il fait ec non d'obir des lois qui lui sont extrieures. [autorit peut tre celle de la loi morale que je fais mienne travers la notion d'obligation, qui se distingue ainsi de la contrainte.

    Pour Kant, la moralit est ce qui fait la dignit de l'homme ec sa sup-

    18 - Les dossiers de la Philosophie n2

    riorit. I.:homme sait qu'il est libre par l'exprience d'une rsistance aux penchants naturels. Paradoxa-lement, c' esc le devoir qui rvle la libert humaine. La libert comme condition de possibilit del' exercice du devoir, d'une responsabilit, esc dite transcendantale . En ce sens, la Libert de faire tout ce que l'on veut est une fausse libert car elle ne consiste qu' s'adonner cous les d-terminismes rencontrs, summum de l'irresponsabilit.

    Ainsi, la Libert consiste faire ce que l'on veut non pas dans le sens de cder tous ses dsirs, mais d'tre capable de se dterminer par sa vo-lont et par la connaissance, et donc la matrise des dterminismes. Ce-pendant, si la Libert consiste ainsi vaincre des dterminismes ou les intrioriser, n'est-elle pas plutt une tche infinie, un idal, plutt qu'un tat acquis ?

    L'homme libre fait autorit sur lui-mme

    Pour l'existentialisme, l'homme a ceci de particulier que son exis-tence prcde l'essence , ce qui si-gnifie que l'homme existe d'abord et qu'il se dfinie ensuite. On ne peut le qualifier dfinitivement. Sa seule particularit est d'tre indfi-nissable. Exister consiste alors se choisir, tre Libre en dpassant ce qui pour-rait tre la dfinition de son essence. I.:homme est un tre toujours en projet dans la mesure o il ne con-cide jamais avec ce qu'il croit tre. Ainsi l'homme n'est pas libre , mais en perptuelle libration . La libert prise dans l'action devient

    ~' engagement dans le sens d'une action tenir, prouver constam-ment. S'affranchir de toute autorit serait alors se librer de tous les dter-

  • mtrusmes tout en ne reconnais-sant plus qu'une seule autorit : la sienne. Mais celle-ci serait sans cesse ' ' . a reconquenr.

    Renoncer ce dpassement de soi en s'identifiant ce que l'on croit tre est ce que Sartre appelle la mauvaise foi : cela consiste dire que l'on ne peut faire telle ou telle chose parce que l'on est ainsi. Or, la seule libert possible est de recon-natre que l'on a toujows le choix de faire autrement : on est condamn tre libre. La lchet n'a pas d'ex-

    l!obissance la loi qu'on s'est prescrite est libert. (Jean-Jacques Rousseau)

    cuse. Cette conception de la libert est trs morale car elle engage une responsabilit absolue.

    Sans contraintes, pas de relle libert ? Ainsi, le seul obstacle sa libert serait de ne pas la reconnatre, de vouloir y renoncer par lchet. Mais alors, ce ri est mme pas la libert que l'on renonce (puisqu'on y est condamn), mais sa jouissance. En ce sens, tre libre serait non pas vi-ter les obstacles, toute forme d'auto-

    . ' , . . . ) rite exteneure, mats au contratre s y confronter.

    ~tre libre, est-ce pouvoir faire tout ce que l'on veut ? Cette conception rpandue de la libert consiste as-similer la libert avec la toute-puis-sance de la volont. tre libre serait alors accomplir tous ses dsirs. Or l'exprience la plus quotidienne nous indique que l'homme est toujours soumis des contraintes externes (physiques ou sociales) et internes (instincts, habitudes, pas-sions).

    Ill --

    ai: -

    -- c Philosophie ... .c

    -de la libert

    b de Rudolf UWtlt

    Steiner, Ed . Anthroposophiques.

    Si la libert est absence d' obsta-cles, alors elle reste trangre la condition humaine. Mais si faire ce que l'on veut signifie que l'on agit conformment aux dcisions que l'on a prises, alors la libert rsulte de l'engagement du sujet qui veut surmonter ses contraintes. ce titre, elle ne peut tre infinie, mais elle est cependant effective, possible. Si tre libre c'est tre capable de se poser des objectifs et de les atteindre, alors c'est pouvoir rpondre de ses actes, bref tre responsable. En ce sens, la libert est la condition mme de la responsabilit morale et juridique d'un individu. La libert n'est pas une absence d'obstacle, mais la pos-sibilit de s'y confronter. Tout obs-tacle n'est donc pas alinant.

    Si tre libre c'est s'affranchir de toute autorit, alors c'est demeu-rer dans une libert infinie mais indtermine et ineffective. Les contraintes extrieures doivent tre

    ' I non pas ruees, mats compnses et dpasses. La libert consiste alors en une libration continue de toute autorit (au sens de ce qui possde une puissance) qui se voudrait ali-nante et rductrice pour finalement construire sa propre autorit (au sens de ce qui a comptence de), ga-rante d'une libert responsable.

    Sans contraintes, la libert ne serait qu'un mot vide dont l'exprience serait aussi dcevante qu' angois-sante. Encore faut-il savoir jouer avec ces contraintes, savoir les saisir pow mieux lew tordre le cou, ou s'en tenir distance afin d'en admi-rer la beaut ?

    F.G.

    Les dossiers de la Philosophie n 2 -19

  • Dossier Sommes-nous libres ?

    V ous trouverez cl-aprs quarante .indicateurs in-ternes qw vous permet-tront d'valuer la distance que vous avez parcourue sur le chemin de la libert. tudiez chacune des liberts mentionnes et dcidez si elle vous appartient. Si vous devez faire un ef-fort de rflexion, c'est sans doute que vous n'tes pas aussi libre dans ce do-maine particulier que vous aimeriez le croire. Ne vous en fuites pas. Cela est invitable. N'oublions pas que le but de cette valuation est simple-ment de vous apprendre ce qui est vrai propos de vous-mme et non de vous prouver quoi que ce soit.

    Laissez les quarante liberts qui suivent veiller et remuer la par-tie secrte de vous-mme qui sait que toute forme d'esclavage est un mensonge. Puis suivez vos antennes naturelles : elles vous guideront vers une vie plus libre.

    Vous avez progress sur le chemin de la libert si :

    1. Vous ne souhaitez pas changer de place avec qui que ce soit.

    2. Vous surmontez les checs sans vous arrter ni regarder en arrire.

    3. Vous ne pensez pas votre vie sexuelle.

    4. Vous acceptez et apprciez les loges, mais ne les prenez jamais cur.

    5. Vous ne fuites pas d'excs de table et n'tes pas port suivre des , .

    reg1mes.

    Vous voulez savoir quel point vous tes vraiment libre? Alors, faites ce test labor par Guy Finley, auteur de

    Les cls pour lcher prise >

    6. Vous affrontez et faites ce qui est vrai pour vous sans craindre les consquences.

    7. Vous ne voulez rien de personne.

    8. Vous ne pensez plus l'argent que vous avez ou n'avez pas.

    9. Vous ne laissez pas les contrari-ts du moment qui vient de passer vous troubler dans le moment prsent.

    1 O. Les vieux ressentiments ne vous intressent pas.

    11. Vous passez plus de temps seul et gotez davantage votre solitude.

    12. Vous ne rvez plus de vacances parfaites.

    13. Vous ne cherchez plus du tout l'emporter sur votre interlocuteur dans les discussions mentales.

    14. Les nouvelles du soir ne vous effraient ni ne vous bouleversent.

    15. Vous ne concluez plus d'en-tentes avec vous-mme.

    16. Vous vous habillez pour tre l'aise et non pour attirer les compliments.

    17. Vous ne blmez personne pour ce que vous ressentez.

    18. Vous oublie-t le trait qui vous dplaisait chez quelqu'un.

    19. Vous tes sensible aux besoins des autres et les prenez spontan-ment en considration.

    20. Vous voyez la beaut dans la vie l o vous ne pouviez jamais en voir avant.

    21. Votre vie devient de plus en plus simple.

    22. Vous voyez votre erreur plus tt que tard et cesse-t plus vite de vous justifier.

    23. Vous excutez les tches qui vous dplaisent d'un esprit plus lger.

    24. Vous n'avez pas peur de n'avoir rien dire ou faire, si c'est vrai-ment le cas.

    25. Vous acceptez les critiques sans fuir les vrits qu'elles renferment peut-tre.

    26. Vous ne vous souciez pas de l'opinion des autres.

    27. Vous cessez de pousser les autres voir la vie votre faon.

    28. Vous apprciez le son du si-lence plus que celui de votre voix.

    29. Vous voyez en vous-mme les mmes traits dplaisants qui vous incitaient viter les autres.

    30. Vous dites ce que vous voulez et non ce que vous pense-t que les autres veulent vous entendre dire.

    31. Vous vous rjouissez du bon-heur des autres.

    32. Vous voyez de plus en plus quel point vous et les autres n'tes pas vraiment libres.

    33. Vos sautes d'humeur sont plus rares, plus lgres et passent beau-coup plus vite.

    34. Vous voyez que la socit est en train de se dtruire et que la seule solution est de changer soi-mme.

    35. Vous pouvez couter les autres sans prouver le besoin de leur dire ce que vous savez.

    36. Aucune peur ne vous stimule.

    37. Vous savez que pardonnez aux autres est la chose la plus aimable que vous puissiez vous faire.

    38. Vous tes conscient que le monde est ce qu' il est parce que vous tes ce que vous tes.

    39. Vous prfrez ne pas penser vous-mme.

    40. Vous ne voyez jamais de bonne raison d'tre inquiet ou effray.

    w LIBREZ-VOUS ! ai: CU'! .... FINLEY Les cls pour C lcher prise :

    Librez-vous des liens qui vous re-tiennent de Guy

    D ~ Finley, Editions Pocket, 254 pages.

    20 -Les dossiers de la Philosophie n 2

  • Le thme de la libert est certainement celui qui a le plus intress les philosophes. Slection de cinq ouvrages passionnants sur le sujet.

    ~ La philosophie rend libre Ce livre est fond sur la conviction que la philoso-phie constitue le cadre dans lequel l'homme peut comprendre le monde et agir sur sa propre vie, car elle fournit les outils qui lui permettent de d-couvrir sa vrit. Ce livre est donc une plonge dans les grands temps forts de l'histoire de la philosophie. Entrer dans la Philosophie par le d-but, c'est se donner les moyens de comprendre

    Un chemin de liberte La philosophie

    de t'Arirtquiti nos joun

    l'volution des ides et d'acqurir une vision ..,..,....,,_.."'" d'ensemble de la pense pour dchiffrer les

    diffrentes cls de comprhension du monde actuel. L'ambition des auteurs dpasse le cadre scolaire du

    Baccalaurat ou de la prpa. Ils offrent un bagage thorique et des outils adquats pour que chacun apporte ses propres rponses aux questions auxquelles il se trouve confront. c Un chemin de libert : La philosophie de /'Antiquit nos jours , de Da-mien Theillier et Augustin Celier, Editions Berg International. 240 pages.

    Liberts d'aujourd'hui Itsliberts - Mme lorsqu'elles sont respectes de longue date et solidement garanties. les liberts sont en questions toujours en question. Plusieurs dbats de lttllri!lftl forte actualit en tmoignent : rle des juges et indpendance de la justice, respect de la vie prive et acceptation des diffrences. -cole et lacit, progrs de la mdecine et biothique, libert de communication l'heure d'internet, accueil et intgration des trangers. Ils se renouvellent sur des sujets aussi varis que la question prioritaire de constitutionnalit, le mariage pour tous ou les l!r!JOOD

    ezc=i-enjeux de la protection de l'environnement et - du dveloppement durable. Autant de ques-tions qu'claire une rflexion sur les rapports entre droit et libert, justice et libert, libert et socit.

  • La vrit vous rendra libre

    ~ . ~

    a verte vous

    ren 1 Par Pierre Cormary

    ' A propos de Mensonge romantique et vrit romanesque de Ren Girard

    Aimez-vous Julien Sorel ou Le rouge et le noir? Stavroguine ou Les Dmons ? Prfrez-" vous Don Juan ou Dom Juan? Don Quichotte ou Don Quichotte ? Etes-vous roman

    ou personnage ? Si vous dites roman, vous serez heureux de lire cet article, si vous dites personnage, ce qui va suivre risque de vous dplaire. C'est que les personnages sont les piges de l'auteur. Vous ne me croyez pas ? Vous per-sistez tre Don Quichotte ? Vous vous reconnaissez dans Stavroguine ? Julien Sorel, c'est tout fait vous? Et si ce n'est pas vous, c'est celui que vous auriez aim tre. Car il est flatteur d'tre antisocial comme Julien ou sduc-teur comme Don Juan ou classieux comme Stavroguine ou idaliste comme Don Quichotte. Et comme vous ne cessez de le dire, il en manque des Don Quichotte aujourd'hui . Il en manque des idalistes, des rebelles, des rvolu-tionnaires qui chambarderaient un peu ce monde matrialiste pourri par le

    " fric. Etre romantique, voil la vrit! Diable! Nous ne savons plus si nous allons vous parler de ce livre qui, ds son titre, exprime exactement le contraire de votre credo. Pourtant, Mensonge romantique et vrit romanesque de Ren Girard, paru en 1961, est non seulement l'essai de critique littraire le plus pntrant jamais crit, il est aussi un trait anthropologique, une somme thologique, un digest psychologique, une thorie psychanalytique, un manuel de savoir-vivre, une srie d'exercices spirituels, une grande mditation politique enfin. Bref, un texte indispensable, essentiel et qui pourtant ne dit que trois choses - trois choses qui risquent de vous irriter. Un, le dsir est social. Deux, l'identit est une imitation d'autrui. Trois, la littrature est un combat du romanesque contre le romantique, c'est--dire de la vrit contre le mensonge.

    22 -Les dossiers de la Philosophie n 2

  • La littrature est un combat du romanesque contre le romantique, c'est--dire, de la v-rit contre le mensonge.

    Les dossiers de la Philosophie n2 - 23

  • La vrit vous rendra libre

    ien d 'extraordinaire, rtorquez-vous ? Et pourtant vous disiez l 'instant que vous adoriez Don

    uichotteetquevousvousnavriez que l'on n 'en trouve pas plus dans le monde -opinion fort discutable au demeurant puisque nous considrons, nous, qu'il y en a trop, de Don Quichotte. En vrit, ils courent les rues, vos rebelles. Idalistes de tout bord, radicaux purs et durs, babas cool sur le retour, punk en retard, altermondialistes en pointe, humani-taires rafleurs d 'enfants, marxo-lepnistes du net et d 'ailleurs, va-t-en-guerre impnitents, terroristes de papier, maudits toujours ravis, candides de toutes les causes, ils sont tous l, partout. Dans notre monde individualiste, il n 'y a plus que cela, des seuls contre tous , des lgions d'uniques, des meutes de solitaires. Dont Marylin Manson, Che Guevara, et pour certains Ben Laden sont les idoles.Alors non, ce n 'est pas tant de Don Quichotte dont nous avons besoin que de Cervants. Car l'idal de Don Quichotte n 'est qu'une illusion ro-mantique et c 'est Cervants qui la dnonce dans cette vrit romanesque qui s'appelle L'ingnieux hidalgo Don Quichotte de la Manche. Vous commencez comprendre ? Et cela commence vous dplaire ? Alors en route!

    Identits - pices rapportes

    Don Quichotte se voyait enAmadis de Gaule, Julien Sorel puisait ses forces en Napolon 1er, madame Bovary tentait de vivre en hrone romantique inspire de romans de seconde zone - la pauvre n 'avait mme pas de r-frences classiques ; et nous-mmes nous sommes nous successivement pris pour le comte de Monte-Cristo, Spiderman, Casanova, Harry Potter - avant de se rendre compte que l'on avait plus de points communs avec un personnage de Molire ou de Houellebecq.

    24 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    Tant pis ! Mme les Ridicules et les Dpressifs ont une valeur littraire, donc suprieure. Et souffrir comme Michel nous permettra d 'tre couts, sinon reconnus. Vivre par procura-tion donne une certaine lisibilit sociale. Que celui qui n 'a jamais imit personne ose faire ce mensonge.

    Dans notre monde individualiste, il ny a plus que cela, des .

    Le dsir mimtique, tel que le conoit Ren Girard, ne consiste pas dsirer l'autre, mais tre l'autre.Imiter le saint, le hros, le dandy. Imiter le fou quand il est sublime ou le sa-laud quand il est lumineux et qu'il plat aux femmes. Imiter par-dessus tout le sducteur. Lorsque dans Les Dmons,PiotrVerkhovenski dit Stavroguine qu'il est beau , ce n 'est pas tant par homosexualit latente que par admiration introjective du disciple envers le matre. Car c 'est le matre qui dit quoi d-sirer, quoi penser, quoi faire. Le matre ou le mdiateur - soit celui qui possde le Verbe et qui le dispense son gr, sans toujours se rendre compte que ses paroles seront plus effectives dans l'esprit d 'autrui que dans le sien.Ainsi Stavroguine a-t-il engendr le sla-vophisme orthodoxe de Chatov, le nihilisme rvolutionnaire de Piotr Verkhovenski et la religion de l'homme-dieu de Kirilov sans que lui, au grand dsespoir de ces derniers, ne soit particulirement slavophile, rvolutionnaire, ou ne se prenne pour le dieu qu'eux voient en lui et vnrent de tout leur cur. Lui ne se contente que d'observer le progrs des ides en eux et de voir les monstres idologiques qu'ils deviennent.

  • Plus que tout autre, l' crivain est le mdiateur suprme, celui qui dsigne le dsir. Dans la recherche du temps perdu, le Narrateur avoue plusieurs fois qu'il ne s'intresse

    quelque chose qu'en fonction de ce qu'en dit son crivain prfr, Bergotte, dans ses livres. ]'tais incapable de voir ce dont le dsir n'avait pas t veill en moi par quelque

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  • La vrit vous rendra libre

    L'idal de Don Qilichotte n'est qu'une illu-sion romantique et c'est Ceroants qui la dnonce dans cette vrit romanesque qui s'appelle L'ingnieux hidalgo Don Quichotte de la Manche.

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  • ' lecture. A la question proverbiale qui a fait le bonheur des magazines littraires, Pourquoi lit-on? ,on peut rpondre dfinitivement : pour dsirer. Si la littrature est la vraie vie, c'est moins parce qu'elle remplace la vie que parce qu'elle rend cette vie plus vivante. Ce qu'il y a dans les livres nous rend compte de ce qu'il y a dans la vie. Contrairement ce que pensent les barbares, on lit pour vivre et on vit pour s'vader. . . ou pour se flinguer. Kirilov, Werther ou le feu follet de Drieu La Rochelle pourront bien se suicider - pas nous qui lisons leurs aventures et qui avons fini par comprendre que le suicide, comme disait Napolon (notre ct Julien Sorel) est une erreur de jugement . En vrit, lire est le meilleur antidote contre le suicide et ne pas lire le meilleur moyen d'avoir envie d 'en finir au plus vite. Depuis que nous avons lu le Trait du dsespoir de Kierkegaard, nous savons rire de notre propre dsespoir alors que nous en observons plein qui sont prison-niers du leur et qui ne veulent surtout pas entendre parler de Kierkegaard, les pauvres imbciles ... videmment, !'crivain n'est pas le seul m-diateur. La mdiation peut prendre autant de formes individuelles (hros fictifs ou rels, parents modles ou rvs) que de formes abstraites (ge d 'or rvolu, lgende familiale ou rgionale, idal politique ou religieux). Tout est bon pourvu que c'en impose. Ce que nous sommes, c'est ce que nous avons pris d 'intressant et de joli chez les autres, illustrant parfaitement ce qu'a dit Montaigne - notre fait n 'est que pices rapportes . A A A Etre, c 'est paraitre, c 'est etre par , et ceci est vrai autant pour le snob qui hante les salons que pour l'homme authentique qui se moque des snobs (et qui la plupart du temps est plus ennuyeux que ces der-niers). L'authenticit, quelle barbe et quel mensonge ! Tant de gens qui sont persuads

    d 'tre naturellement naturels ! Certes, il est vexant de constater que notre belle identit n'est que juxtaposition et collage d 'humeurs, peaux empruntes, masques vols ou man-teaux d'Arlequin. Et notre petit moi mritant et vindicatif l-dedans ? Il faut casser le miroir. Se connatre, ce n 'est pas se regarder dans une glace en se disant qu'on est le plus beau ou le plus laid, autre-ment dit en se jugeant par rapport aux autres, c 'est se demander qui nous imitons et qui nous imite. Parmi ceux qui m 'ont fait , quel est celui qui je rends grce et quel est celui que je maudis ? Un tel est-il mon modle ou mon rival ? Si je n'aime pas celui-ci, est-ce parce que je n 'arrive pas lui ressembler? Et celui-l, dois-je encore l'aimer ou est-ce

    ' temps de le tuer ? A moins que cela ne soit lui qui veuille me tuer ? Suis-je }esse James ou Robert Ford

  • La vrit vous rendra libre

    qualits des autres.Athos lui donnait de sa grandeur, Porthos de sa verve, Aramis de son lgance. Si d'Artagnan et continu de vivre avec ces trois hommes, il ft devenu un homme suprieur.

    Cet exemple positif corrige quelque peu les exemples ngatifs qui semblent seuls trouver grce aux yeux de Girard. En insis-tant sur l'envie, la jalousie et finalement la haine auxquelles semble immanquablement conduire le dsir mimtique, l 'auteur de Mensonge romantique en oublie la dimen-sion d 'veil que celui-ci peut contenir. Un professeur de khgne, un crivain scanda-leux, un oncle d 'Amrique, Ren Girard0) lui-mme sont susceptibles de marquer vie un esprit sensible sans que pour autant celui-ci ne s'aline ces derniers. Par ailleurs, tre chrtien, n'est-ce pas imiter le Christ? En fait, et Girard finit par le reconnatre un peu plus loin, c 'est lorsque l'on sait que l'on a des mdiateurs que l'on est le plus apte les comprendre puis s'en affranchir. C'est bien parce que je sais que je ne me suis pas fait tout seul que je me comprends et que je me retrouve. C'est bien parce que je n'ai

    ,,,,. ' A pas commence a penser par mo1-meme que je pense aujourd'hui de moi-mme. Quant au Christ, Il est en moi mais Il n 'est pas moi.

    Schpountz et donjuans Or, le propre du romantique est de croire qu'il pense de lui-mme par lui-mme - mieux, qu 'il est son seul crateur, sans dieu ni

    ,,

    matres . Evidemment, c'est toujours celui qui se croit sans dieu ni matres qui est celui en qui investissent tous les dmons. Le vaniteux romantique ne se veut plus le disciple de personne, crit Girard. Il se per-suade qu'il est infiniment origina1

  • Le secret de Donjuan est qu'il ne peut suppor-ter le bonheur des autres. Son plaisir consiste moins sduire les belles qu' les atTacher leurs amants qui sont pour lui comme autant de rivaux potentiels.

    Les dossiers de la Philosophie n2 - 29

  • La vrit vous rendra libre

    du monde, le romantique tait un dieu su-blime ; pris dans le monde, il est un martyr sublime. Et Girard de faire malicieusement remarquer que ce sont toujours les mmes qui sont jaloux, cocus, proies permanentes de mille rivaux et qui perdent chaque fois. C'est que l'envie ou la jalousie sont moins le rsultat de conjectures particulires qu'un tat d 'esprit persistant. Nous avons tous eu dans nos familles un oncle castr ou une grand-mre douloureuse qui passaient leur vie rpter que les gens taient mchants sans se rendre compte que c'tait peut-tre eux qu'ils l'taient. Mais tre la victime des autres, quelle jouissance ! Aussi grande que celle de pouvoir accuser ! S'acharnant trouver la batitude seulement en lui-mme et ne la trouvant finalement ja-mais (car le moi est hassable), le romantique finit par s'en prendre tous ceux qui l'ont trouv dans l'altrit. En premier lieu Don Juan - dont on dit trop qu'il provoque les envies alors que c'est lui qui ontologiquement est envieux. Le secret de Don Juan est qu'il ne peut supporter le bonheur des autres. Son plaisir consiste moins sduire les belles qu' les arracher leurs amants qui sont pour lui comme autant de rivaux potentiels.Au fond,

    Le hasard me .fit voir ce couple d'amants trois ou quatre jours avant leur voyage. jamais je n 'ai vu deux personnes tre si contentes l'une de l'autre et faire clater plus d 'amour. La tendresse invisible de leurs mutuelles ardeurs me donna de l'motion ;j'en fus frapp au cur et mon amour commena par la jalousie. Oui, je ne pus souffrir de les voir si bien ensemble ; le dpit alarma mes dsirs, et je me .figurais un plaisir extrme pouvoir troubler leur intelligence et rompre cet engagement dont la dlicatesse de mon cur se tenait offe~ se. (l,2)

    La violence de cet aveu fondamental qui rvle le caractre profondment jaloux et destructeur de Don Juan ne devrait pas cacher sa dimension extraordinairement comique. Je ne pus souffrir de les voir si bien en-semble est une rplique qui commence par inquiter et qui, quand on y repense, finit par dclencher le rire. Rien de plus gro-tesque en effet que l'intention sadique qui s'avoue comme telle. Rien de plus ridicule que la mchancet candide et spontane -nous allions dire authentique ! Le grand seigneur mchant homme est au fond un

    Retrouver le temps c'est accueillir une vrit que la plupart des hommes passent leur exis-tence fuir, c'est reconnatre que l'on a tou-jours copi les Autres afin de paratre original leurs yeux comme ses propres yeux.

    Don Juan est moins l'pouseur du genre humain que son ternel jaloux - comme lui-mme l'avoue sans s'en rendre compte ds le dbut de la pice de Molire :

    30 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    petit merdeux plein d 'aigreur qui en veut la terre entire - et qui en ce sens a tout fait sa place parmi les grands aberrants de Molire, Don Garcie de Navarre etArnolphe

  • en tte.Tout le contraire de Casanova soit dit en passant! La grande uvre romanesque est donc la rvlation (souvent comique) de l'illusion romantique. En langage proustien, elle est celle qui nous fait passer du temps perdu au temps retrouv. Si celui-ci est, comme nous l'assure Proust, une rvolution spirituelle et morale, c 'est parce qu'il est le moment o le mdiateur a t reconnu, admis, intgr et .finalement distanc. Le temps retrouv, c'est le temps o le mdiateur est redevenu un tranger et o la conscience a retrouv son intimit, c 'est--dire son humilit. Retrouver le temps c 'est accueillir une vrit que la plupart des hommes passent leur existence fuir, c'est reconnatre que l'on a toujours copi les Autres a.fin de paratre original leurs yeux comme ses propres yeux. Retrouver le temps, c'est abolir un peu de son orgueil ,dit encore Girard Et dans l'uvre de Proust, c'est l la grande diffrence entre Jean Santeuil, ouvrage romantique sans gnie o l'auteur s'merveille de son intelligence

    et de sa sensibilit et la Recherche, uvre romanesque gniale dans laquelle il ne cesse de rvler la vanit du dsir mimtique et qui constitue en fin de compte une gigantesque qute dceptive des tres et des choses. Pour rvler le snobisme, il faut avoir t snob -comme pour expliquer le vice, il faut avoir t

    A

    vicieux. Etre proustien , ce n 'est donc pas goter la saveur des salons, c'est en rvler l'amertume, la vanit, et parfois la laideur - moins qu'il n 'y ait une saveur de l'amertume ou une amertume de la saveur qui font que le lecteur, comme le Narrateur, reste malgr tout attach ceux-ci. La vrit est que la complaisance proustienne l'gard du monde ne s'est jamais rellement tarie. uvre souveraine et ternelle, la recherche du temps perdu n 'en fonctionne pas moins encore avec des comme et des autant que qui constituent autant de mtaphores symptomatiques que de dsirs mimtiques non rsolus. Car c'est quand lam-taphore disparat que le mdiateur est rvl dans sa radicalit ( moins que la mtaphore

    Les dossiers de la Philosophie n2 - 31

  • La vrit vous rendra libre

    Le diable connat nos instincts de pouvoir et de domination qui ne sont rien d'autre, quoique sur un mode autoritaire, que le bon vieux dsir d'te'rnit, et il a l'art de caresser notre essence dans le sens de celle-ci.

    ne se transforme en mtamorphose comme chez Kafka). Or, dans la Recherche, la du-chesse de Guermantes reste la duchesse de Guermantes. Mme si la fin le Narrateur nous a tout dit de sa scheresse de cur et de son intelligence limite, le souvenir qu'on en garde est celle de cette grande dame qui un soir l'opra sourit celui-ci. La lucidit n 'a pas tu le charme de la duchesse, ou du moins le souvenir enfantin de ce charme. En restant fidle la langue traditionnelle, Proust nous prsente un monde polymorphe, cruel et dcadent autant qu'il nous apprend en dcrypter les signes - et cette initiation pour le moins amorale la smiologie mondaine reste son affaire bien plus que la condam-nation morale que d'aucuns ont voulu voir chez lui. Du monde, Proust devait penser la mme chose qu'OscarWilde, savoir qu' en faire partie est une corve mais qu'en tre exclu est une tragdie . Donc, tout est signe dans les mondes prous-tiens. Combray, le salon Verdurin ou le fau-bourg Saint-Germain obissent des rituels aussi prcis que sophistiqus et qui ne souf-frent aucun cart.Ainsi Combray le djeu-ner qui tous les samedis est avanc d'une heure et que tous les membres de la famille se plaisent rappeler comme si c 'tait l un vnement civique ou le dbut d 'un cycle lgendaire. Mieux, on aime le rpter devant les trangers qui ignorent cette habitude

    32 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    et sont venus visiter la famille. Un peu ridi-cules, ils n 'ont pas t initis la vrit de Combray

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    Les dossiers de la Philosophie n2 -33

  • La vrit vous rendra libre

    11 est impossible quiconque de se dpartir de tout snobisme - comme il est impossible de se dpartir de toute apparence sociale. L'apparence est une ralit de la vie - et sans doute la plus prenne.

    (comme par exemple Alceste le fait la toute fin du Misanthrope). Et pour les antiprous-tiens (cela existe encore), le fait que Proust fasse de cette socit de snobs le matriau de son livre tablit, quelle que soit l'ironie qu'il y met ou la satire qu'il en tire, qu'il n 'a pas renonc au dsir mtaphysique d 'en faire partie ... au moins par l'criture - la preuve tant qu'il n 'a rien trouv d 'autre crire. En effet, c 'est quand la particule, le nom, le mot ne sont plus utiliss comme des rf-rences que 1' on se dbarrasse pour de bon du mimtisme social et psychologique. C'est Dostoevski que sera rserve cette tape mme si ce dernier n 'arrive pas comme tel dans la chronologie.

    Salauds et snobs

    Pourquoi les hommes ne peuvent-ils plus al-lger leurs souffrances en les partageanto> ? se demande douloureusement Ren Girard - et l'on sent dj le penseur catholique qui commence pointer en lui. Parce que l'homme est devenu son propre Dieu mais un Dieu qui paradoxalement se retrouve en enfer. Car tre Dieu, c 'est tre seul, c 'est perdre toute possibilit de consolation suprieure, c'est tre oblig de ne compter que sur soi et seulement sur soi ... et c'est tre tent par le nant (en langage humain par le suicide) ds que cela ne va pas. Dieu tait ce qui nous aimait encore quand nous ne nous aimions

    34 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    plus. Comment pourrions-nous nous aimer si nous sommes Lui ? Nous voil abandonns nous-mmes, alins notre haine de soi, incapables de nous pardonner ce que Lui nous aurait pardonn. Lentement, notre moi glisse de l'unicit l'isolement et notre tre se confond avec notre pch. Comme le dit encore Girard, le pch originel n 'est plus la vrit de tous les hommes comme dans l'univers religieux mais le secret de chaque individu, l'unique possession de cette subjec-tivit qui proclame bien haut sa toute-puis-sance et sa matrise radieusecs) ... et qui en mme temps souffre tous les diables. C'est que le moi romantique met de 1' orgueil dans sa damnation! Qu'il soit bon parce que les autres sont mchants ou mchant parce que les autres sont bons (mais dans ce cas, leur bont manque d 'amplitude comme celle par exemple de Don Ottavio face la mchan-cet suprieure de Don Giovanni), il s'agit toujours d 'tre seul contre tous. Et entre le mouton du troupeau et le loup solitaire, le romantique a vite choisi qui il sera. Sa des-cente en enfer n 'est qu'une garantie de son lection. Ils iront tous s'ennuyer au paradis sauf lui qui prcisment n'est pas comme eux et a besoin d 'un enfer passionnant, ha ! C 'est la raison pour laquelle la plupart d 'entre nous ont un petit faible pour les personnages malfiques car ils flattent nos besoins mtaphysiques, sinon mphisto-phliques .Certes, Dieu pourrait tout autant

  • nous combler mais Dieu est exigeant. Dieu n 'est pas marrant. Surtout Dieu est vertical et d 'une verticalit du haut laquelle il est difficile de se hisser tant nous sommes lourds. Alors que le diable est tout aussi vertical mais d'une verticalit du bas et laquelle il est trs facile de se laisser glisser.Le diable, qui n'est pas matrialiste pour un sou, sait que nous prfrons encore une transcendance dvie l'absence de transcendance. Le diable connat nos instincts de pouvoir et de domination qui ne sont rien d 'autre, quoique sur un mode autoritaire, que le bon vieux dsir d'ternit, et il a l'art de caresser notre essence dans le sens de celle-ci. Sa malignit est de nous faire croire qu'il nous traite en unique, voire en privilgi (le pacte) alors qu'il nous traite en meute - et qu'en enfer nous allons prcis-ment nous retrouver les uns sur les autres. Tout le contraire de Dieu devant Lequel nous avons parfois l'impression de faire partie d'une foule indiffrencie (l'glise, les fidles, le troupeau de brebis) alors que c'est avec Lui que nous pouvons entretenir une relation individuelle.Avec le diable, nous ne sommes que des particuliers lotis la mme enseigne alors que devant Dieu, nous sommes rendus notre singularit propre. Et c'est pourtant le diable qui continue nous charmer, et c'est toujours Don Ottavio qui nous parat aussi niais. Le salaud plutt que le faible. Le salaud, surtout, plutt que le snob. Ah le snobisme ! La seule chose au monde que nous ne pardonnons pas ! Nos puis-sances d 'imagination sont infinies lorsqu'il s'agit de snobisme, remarque Girard. Ce crime est le seul, peut-tre, que notre littrature d 'avant-garde, pourtant si prise de justice, ne songe jamais rhabiliter
  • La vrit vous rendra libre

    L'goste finit par ressembler tout le monde du fait qu'il veut comme tout le monde se distinguer des autres. Certes, nous ferons semblant de dpasser cette ralit, mais nous serons toujours plus attirs par le baron de Charlus ou la duchesse de Guermantes que par Legrandin ou madame Verdurin. C'est que Charlus et la duchesse incarnent un snobisme souverain, crateur, celui autour duquel vont se modliser tous les autres, celui qui va susciter le dsir mi-mtique. Au contraire, Legrandin est une fi-gure du snobisme vaincu et Verdurin celui du snobisme arrogant. Eux n 'arrivent pas suivre ou suivent mal. Bref, si tous les snobs sont navrants, les snobs qui ont chou dans

    36 -Les dossiers de la Philosophie n 2

    leur snobisme sont pitoyables. Or, combien de gens mprisent-ils le grand monde pour la secrte raison qu'ils s'y sont cass les dents? Combien d 'entre nous font mine de snober les people aprs avoir tout essay pour en tre? Combien de frustrs de la jet-set? On sera moins bless par le salaud qui vous a fait un coup bas que par le snob accompli qui s'est moqu de votre tentative de snobisme. Quelle humiliation que d 'avoir t confondu dans son apparence par des gens qui ont russi garder la leur ! Quelle blessure que d 'avoir t dgomm dans son snobisme par

  • des snobs plus forts que vous ! C'est lorsqu'on attente la vanit d 'autrui qu'on est sr de lui faire le plus mal - et parfois de le pous-ser au suicide comme dans Ridicule, le film de Patrice Leconte qui illustrait merveille cette lutte mort des apparences entre elles.

    Gardon~nous donc bien de maugrer contre le snobisme de peur que les souffrances du ntre apparaissent. Comme le dit trs jus-tement Girard, l'indignation qu'excite en nous le snob est toujours la mesure de notre propre snobisme

  • La vrit vous rendra libre

    qui met les coudes sur la table que celui qui fait publiquement remarquer qu'il ne faut pas mettre les coudes sur la table ( moins que celui qui ne mette les coudes sur la table ne le fasse exprs pour indisposer ceux avec qui ils dnent et dont il veut heurter la dlicatesse, sachant bien qu'ils n 'oseront rien lui dire). Qu'elle soit celle du puissant contre l'humble ou du parvenu contre l'homme bien lev, la vulgarit est toujours et avant tout la volont de faire honte autrui. Autrui aurait pourtant tort de rougir. Car les distinctions mondaines qu'opre dans le monde le vulgaire pour le rabaisser ne sont rien moins que grotesques. Rien de

    la saintet est un idal que l'on ne veut