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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Première affirmation de la science Les philosophes de l'Antiquité grecque Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLM

Première affirmation de la science

Les philosophes de l'Antiquité grecque

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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Résumé

Table des matières1. La philosophie comme idéologie des cités-États..............................................................................22. Pythagore donne naissance à la «philosophie»................................................................................43. Tentative de synthèse politico-religieuse..........................................................................................64. Empédocle combine l'un et le multiple............................................................................................85. Xénophane, Parménide et le culte de l'un.......................................................................................106. Thalès et la Ionie.............................................................................................................................127. Anaximandre, Anaximène, Anaxagore...........................................................................................138. Héraclite et son successeur pythagoricien Platon...........................................................................169. Le projet politico-religieux de Platon.............................................................................................1810. Socrate et Platon, penseurs pro-oligarchie du déclin athénien.....................................................1911. Aristote modifie le système de Platon..........................................................................................2012. Aristote, le premier moteur, Dieu.................................................................................................2213. Il ne faut qu'un seul chef...............................................................................................................2314. Aristote et la politique ordonnée...................................................................................................24

1. La philosophie comme idéologie descités-États

L'Iliade et L'Odyssée, écrites par une ouplusieurs personnes que l'histoire a résumé en lafigure de Homère, est une œuvre très connue etégalement populaire en France. On a tendance àconsidérer, en raison de cela, que la Grèce del'Antiquité était une sorte de région du mondecomposée d'Ulysse, d'Ajax et d'Agamemnon,peuplant des cités bien établies, d'un hautniveau culturel, etc.

Toutefois, ces œuvres datent en réalitéd'entre 850 et 750 avant notre ère, alors quel'apogée de la civilisation grecque antique sedéroule lors du Ve siècle avant notre ère. Ainsi,si les œuvres écrites attribuées à une figurehistorique (par ailleurs douteuse) appeléeHomère ont bien relevé de l'éducation de lajeunesse masculine de la Grèce antique, ellesreprésentent surtout des mythes et légendesayant une fonction politique.

Quelle est la raison de cela ? Elle est simple :c'est le passage d'une civilisation de tribusmarquée par le patriarcat et le partagecommunautaire à un peuple organisé ayantconstitué ses institutions et étant divisé enclasses sociales.

La mythologie grecque correspondait à unétat d'arriération institutionnelle et à unrapport avec la nature où les activités de celle-ciapparaissaient comme relevant de dieux agissantde manière erratique.

Cependant, la société grecque développéen'avait que faire de cette vision héroïqueabstraite, personnalisant les phénomènesnaturels, si elle ne s'accordait pas à uneperspective rationnelle de gestion des cités-États. Aussi, si les dieux étaient vénérés dansleur ensemble, des dieux locaux commençaient àêtre célébrés en particulier, correspondant àl'établissement de communautés organisées, avecla classe dominante s'appuyant sur l'esclavage.

Voici comment Friedrich Engels, dans

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Les philosophes de l'Antiquité grecque

L'origine de la famil le, de la propriété privée etde l’État, parle de ce passage :

« Dans la constitution grecque des tempshéroïques, nous voyons donc la vieilleorganisation gentilice encore pleine de vieet de vigueur, mais nous y voyons déjà lecommencement de sa ruine : le droitpaternel, avec transmission de la fortuneaux enfants, favorise l'accumulation desrichesses dans la famille et fait de celle-ciune puissance en face de la gens ; ladifférence des richesses agit en retour surla constitution en créant les premiersrudiments d'une noblesse et d'une royautéhéréditaires ; l'esclavage, limité toutd'abord aux prisonniers de guerre, ouvredéjà la perspective de l'asservissement desmembres mêmes de la tribu, et même desmembres de sa propre gens ; l'ancienneguerre de tribu à tribu dégénère, dès cetteépoque, en brigandage systématique surterre et sur mer pour conquérir du bétail,des esclaves, des trésors, donc en sourcenormale de profit ; bref, la richesse estprônée et estimée comme bien suprême, etles anciennes règles gentilices sontprofanées pour justifier le vol des richessespar la violence.Il ne manquait plus qu'une seule chose ;une institution qui non seulementprotégeât les richesses nouvellementacquises par les particuliers contre lestraditions communistes de l'ordregentilice, qui non seulement sanctifiât lapropriété privée si méprisée autrefois etproclamât cette consécration le butsuprême de toute communauté humaine,mais qui mît aussi, sur les formesnouvelles successivement développéesd'acquisition de propriété, autrement dit,d'accroissement toujours plus rapide desrichesses, l'estampille de la légalisationpar la société en général ; une institutionqui non seulement perpétuât la naissantedivision de la société en classes, mais aussile droit de la classe possédante à exploitercelle qui ne possédait rien, et laprépondérance de celle-là sur celle-ci.Et cette institution vint. L’État futinventé. »

Le culte des dieux fut ainsi transformé enidéologie locale, propre aux cités-États, commebien sûr le culte d'Athéna à Athènes. Et de lamême manière, ce qu'on appelle « philosophie »n'est en réalité que l'idéologie de classes en luttedans la Grèce antique, avec les cités-États.

Les œuvres de Pythagore, Platon, Aristote,

etc. sont des contributions à la synthèse d'unevision du monde conforme aux nouvellesexigences de l'élite institutionnelle. Cela estvrai, bien entendu, sur tous les plans :économique, social, politique, religieux,scientifique, etc.

Là où réside la difficulté est que nous nedisposons pas de tous les documents datant decette époque, et que l'instabilité de la Grèceantique a empêché le triomphe d'une desdifférentes variantes idéologiques nées alors,qu'on appelle désormais platonisme,aristotélisme, néo-platonisme, stoïcisme,épicurisme, etc.

La victoire aurait pu se réaliser avecAlexandre le grand, disciple d'Aristote, mais sesvastes conquêtes englobaient trop rapidementdes cultures différentes dans un vaste empire etl'unification ne put se faire.

La civilisation grecque céda ainsi la place àla civilisation romaine. La philosophie grecquedevint romaine : le platonisme devint le néo-platonisme, l'aristotélisme céda la place austoïcisme. Finalement, le néo-platonisme allié austoïcisme, en passant par le judaïsme(notamment à Alexandrie), donna naissance auchristianisme. Par la suite, un retour à Aristotefut par contre effectué par la falsafa arabo-persane, qui réactiva la démarche scientifique etdonna naissance au matérialisme averroïste.

Ce qu'on appelle philosophie n'est donc pasune « sagesse », mais une idéologie, affirmant unstyle de vie, des valeurs politiques, des règleséconomiques, etc. Au sens strict, la «philosophie » n'a jamais existé en tant que telle:il s'agit d'une idéologie en construction, servantun but politique déterminé.

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2. Pythagore donne naissance à la«philosophie»

Pythagore est le point de départ, au VIesiècle avant notre ère, de ce qu'on appelle la «philosophie » de la Grèce antique ; la traditionveut d'ailleurs qu'il soit à l'origine du terme.

Un philosophe est un ami de la sagesse(sophia en grec), la restriction par rapport aufait d'être sage (soi-même en tant que tel) vientdu fait que, selon Pythagore, seul Dieu estréellement sage. Le philosophe c'est, en quelquesorte, l'ami de Dieu.

On voit donc ici qu'on est déjà dans lemonothéisme et, ainsi, il est faux de considérerque le culte d'un seul Dieu ne se serait produitqu'en Égypte avec Akhenaton, ainsi qu'avec lesHébreux. La conception du caractère unique deDieu est un passage théorique obligé lors de laprise en considération de la réalité et de laréflexion sur l'univers. On est ici à un stade peuélevé de cosmologie, et Dieu est le moyen defournir la base de l'explication du cosmos, del'univers.

La forme que prend cette cosmologie estalors, en raison de l'arriération des forcesproductives, étrange à nos yeux, voirefranchement obscure. Pythagore, s'il estuniquement connu des masses aujourd'huicomme une figure de l'histoire desmathématiques, est en effet et en fait unmystique, un puissant illuminé à l'origine d'uneécole de pensée.

La « tradition » qui a suivi sa mort luiattribue des miracles, dans une ambianced'autant plus « magique » que Pythagore n'alaissé aucun écrit et que ses enseignementsétaient « secrets ».

Il est ainsi raconté que Pythagore pouvaitguérir ses amis (par la musique), parler auxanimaux, prévoir les tremblements de terre,visiter le monde des morts, etc. Il sera racontéégalement qu'il a rencontré Zarathoustra, leBouddha, qu'il a reçu l'enseignement secret des

prêtres égyptiens, etc.

Sur ce plan, il ressemble à la figure mythiqued'Orphée, censé être le fils d'une muse et quiaurait vécu avant même la guerre de Troie. Estencore aujourd'hui très connue son histoire où ilva chercher Eurydice aux enfers : se retournantau dernier moment, elle reste prisonnière et ilreste inconsolable.

La religion orphique, de type magique et sansstructures réelles, exista ainsi parallèlement à cequi devint le pythagorisme, notamment dans descolonies grecques (comme en Italie actuelle) eton retrouve qui plus est de nombreux pontsthéoriques entre les deux, conséquences demêmes influences indienne et égyptienne.

On a notamment le principe de latransmigration des âmes. Les pythagoriciensfurent très connus pour leur végétarisme, leurrefus de porter de la laine, le mépris pour leurapparence au nom du caractère plus importantde l'univers par rapport aux individus.

Sur de nombreux points existent par ailleursdes informations contradictoires, en raison ducaractère secret des enseignements de l'école dePythagore. Celle-ci, cependant et en définitive,se donnait en fait comme tâche la formationd'une sorte d'élite, d'avant-garde.

Ainsi, si les historiens parlent de la cultureorphiste-pythagoricienne en raison de ladifficulté qu'il y a à séparer les deux traditions,l'orphisme est une simple mystique, alors que lepythagorisme est une mystique passée au staded'idéologie organisée et répondant aux besoinsde l'apparition de l’État après l'effondrement dumode de vie traditionnel des tribus grecques.

C'est ici le point central qu'il faut saisir.Contrairement à l'idéologie raciste qui s'estdéveloppée par la suite autour de la Grèceantique comme « européenne », les penseurs del'époque assumaient parfaitement de fréquenterles pays voisins, et même d'y trouver l'origine deleur pensée. Les références furent en effetl’Égypte, mais également Babylone, la Perse, laChaldée, et même l'Inde.

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Les philosophes de l'Antiquité grecque

Le refus de consommer de la viande est uneattitude commune chez nombre de philosophes,dans la tradition ouverte par Pythagore etconformément aux influences indiennes.

Celles-ci sont résumées de la manièresuivante par Porphyre, philosophe phénicien duIIIe siècle après JC :

« Toucher à de la nourriture animalepasse chez eux pour égal à la dernière desimpuretés et des impiétés. Et c'est le culterendu au divin et la piété envers lui quileur donnent la révélation de ce dogme. »

Le pythagorisme est par conséquent unsystème de pensée particulièrement élaboré, quipuise dans les idéologies de toute la zonegéographique, afin de formuler un tout cohérent.

Le « divin », compris de manière mystique,est la base de cette élaboration. En fait, lapériode de la Grèce de Homère, celle qui croitvraiment en les divers dieux tels que Zeus,Athéna, etc., est déjà finie aux yeux despenseurs de l'époque. On est là dans laconstruction d'un monothéisme définissant unemanière de vivre, une psychologie, de la mêmemanière qu'en Inde, afin de donner une baseidéologique à la nouvelle société.

Le pythagorisme tente dans ce cadre deformuler une religion monothéiste, au moyen del'âme qui transmigre dans des corps qui sont destombes, et cela dans le cadre d'un universharmonieux dépendant d'un Dieu unique.

Pythagore va, pour ce qu'on en sait et cequ'on a compris de lui à travers l'histoire,définir cette harmonie, en tentant decomprendre que Dieu, qui est « 1 », peut gérerun univers qui est multiple. Pythagores'intéresse donc au nombre, il tente decomprendre comment ils ont été organisés demanière harmonieuse, « proportionnelle ».

Aristote, dans l'ouvrage intituléMétaphysique, raconte de la manière suivantequelle fut la conception des pythagoriciens :

« Ceux qu'on appelle les Pythagoricienss'appliquèrent tout d'abord auxmathématiques et leur firent faire degrands progrès ; mais, nourris dans cetteétude exclusive, ils s'imaginèrent que lesprincipes des mathématiques sont aussi lesprincipes de tous les êtres.Comme les nombres sont naturellement lespremiers entre les principes de cet ordre,ils crurent y découvrir une foule deressemblances avec les êtres et avec lesphénomènes, bien plutôt qu'on ne peut entrouver dans le feu, la terre et l'eau.Par exemple, suivant les Pythagoriciens,telle modification des nombres est lajustice; telle autre est l'âme et la raison ;telle autre représente l'occasion favorablepour agir; et de même pour chaque objeten particulier.En second lieu, ces philosophesremarquèrent que tous les modes del'harmonie musicale et les rapports qui lacomposent, se résolvent dans des nombresproportionnels.Ainsi, trouvant que le reste des chosesmodèlent essentiellement leur nature surtous les nombres, et que les nombres sontles premiers principes de la nature entière,les Pythagoriciens en conclurent que leséléments des nombres sont aussi leséléments de tout ce qui existe, et ils firentdu monde, considéré dans son ensemble,une harmonie et un nombre.Puis, prenant les axiomes qu'ils avaientévidemment démontrés pour les nombreset pour les harmonies, ils lesaccommodèrent à tous les phénomènes età toutes les parties du ciel, aussi bien qu'àl'ordonnance totale de l'univers, qu'ilsessayaient de renfermer dans leur système.Bien plus, quand ce système présentait detrop fortes lacunes, ils les comblaientarbitrairement, afin que l'échafaudage fûtaussi harmonieux et aussi concordant quepossible. J'en cite un exemple. A en croireles Pythagoriciens, le nombre dix est lenombre parfait, et la Décade contienttoute la série naturelle des nombres.Ils partent de là pour prétendre qu'il doity avoir dix corps qui se meuvent dans lescieux ; mais, comme il n'y en a que neufde visibles, ils en supposent un dixième,qui est l'opposé de la terre, l'Antichthôn.»

Ainsi, les pythagoriciens vénéraient le «tetractys » (« quaternaire »), formé par lasomme des quatre premiers nombres ( 1 + 2 + 3+ 4 = 10).

La forme représentant cela est la suivante, et

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elle forme le « serment » pythagoricien.

Dans une même logique, on trouve le grandquaternaire de 36, « la source et la racine del'éternelle Nature » et fruit de l'addition de lasomme des quatre premiers nombres impairs àla somme des quatre premiers nombres pairs.

On a là la vision selon laquelle le monde estordonné par les nombres et fonctionne selon laproportion. C'est, finalement, la base de lapensée humaine précédant le matérialismedialectique, la base de la pensée humainen'ayant pas encore réussi à liquider le conceptde Dieu et expliquant le monde par le rapportentre le « un » divin unique et le mondematériel multiple, foisonnant de variété.

3. Tentative de synthèse politico-religieuse

La démarche de Pythagore, qui a vécu au Vesiècle avant JC, a ainsi une fonction dans lecadre de la lutte de classes. Elle se situe dans lecadre historique où la Grèce passe d'un régimede tribus éparpillées et marqué par un certaincommunisme primitif, à un régime esclavagiste.

Pythagore produit une nouvelle idéologieunifiant ces tribus et même, dans l'idée, lescités-États, ainsi que le style qui doit êtrepropre à la nouvelle classe dominante. Celan'alla pas sans heurts ni complications. De fait,Pythagore partit à Crotone, où lespythagoriciens prirent le pouvoir, pour en êtrefinalement chassés.

Par la suite, il semble que les pythagoriciensdominèrent une zone entre Métaponte et Locres,puis à Tarente. De la même manière, les révoltesrenversèrent les pythagoriciens : ce fut l'échec dela tentative de Pythagore.

Ce qui compte ici cependant, c'est que lespythagoriciens se posaient comme une nouvelleélite, de type religieuse-politique, c'est-à-dire endéfinitive comme une caste particulièrement

sobre devant régir la société.

Pythagore a formulé sa vision du monde dansune explication où, parlant des panégyries, lesgrandes fêtes religieuses rassemblant tout lepeuple, il divise ce dernier en trois. Il expliqueque certains y vont pour la gloire parl'intermédiaire de leur force physique, les autrespour la gloire par l'intermédiaire de la vente demarchandises, et enfin la minorité y vient pourles discours vertueux, les œuvres d'arts, lesexploits, etc.

On retrouve les guerriers et les marchands, etla caste religieuse-politique doit dominer, elleseule connaissant la vérité, à savoir que lenombre est l'essence de chaque chose. De lamême manière que pour Pythagore il existe uneharmonie en musique, il en existe une enpolitique, qu'il s'agit de former.

Le politicien est une sorte de musicien.Résumant cette approche pythagoricienne,Jamblique raconte au IIIe siècle après JC danssa Vie de Pythagore :

« Pythagore fut aussi, dit-on, le fondateurde la science politique toute entière. Il aaffirmé, en effet, que parmi les choses quiexistent, rien ne se trouve sans mélange ;mais la terre contient une part de feu, lefeu une part d'eau et de vents, … ; enoutre, l'honnête est mêlé au déshonnête, lejuste à l'injuste, et ainsi de suite. De ceprincipe, le raisonnement prend son élandans l'une ou l'autre direction. Il y a,d'ailleurs, deux mouvements du corps etde l'âme : l'un est irréfléchi, l'autreréfléchi. »

La politique doit être définie par l'harmonie,comme la musique. De fait, les pythagoriciens sedivisaient en pratique entre mathématiciens («ceux qui savent ») et acousmaticiens (« ceux quiécoutent »)

Anatolius, un chrétien du IIIe siècle, expliqueque pour les pythagoriciens :

« le quaternaire est appelé Justice parceque le carré qui en provient a une aireégale à son périmètre, tandis que pour les

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Les philosophes de l'Antiquité grecque

nombres qui précèdent le périmètre ducarré est supérieur à l'aire, et que pourceux qui suivent le périmètre est inférieureà l'aire. »

Cela signifie que si l'on prend 4 comme baseet qu'on a un carré, alors 4²=16 et4+4+4+4=16, ce qui n'est pas vrai si l'on prend3 ou 5 (car 3²=9 et 3+3+3+3=12 et de la mêmemanière 5²=25 et 5+5+5+5=20).

C'est la base à prendre pour faire de lapolitique : il faut que les rapports, lesproportions entre l'aire et le périmètre soientbons, c'est-à-dire que tout soit équilibré. Il fautun rapport correct entre les droits et les devoirs,entre les citoyens et l’État, etc. ; lespythagoriciens étudient les mathématiques afinde pouvoir étudier ce qui est le mieux, c'est-à-dire le plus conforme au monde dans sa nature «ordonnée ».

On reconnait bien sûr ici ce que sera laphilosophie de la Renaissance et du nombred'or, du déisme et de la franc-maçonnerie, etc.

De la même idée, Macrobe raconte au IVesiècle après JC dans son Commentaire au Songede Scipion de Cicéron que :

« Les pythagoriciens ont choisi le huitièmenombre pour symbole de l'équité, parceque, à partir de l'unité, il est le premierqui offre deux composants pairs et égaux,quatre, plus quatre, qui peuvent être eux-mêmes décomposés en deux quantitéspaires et égales, ou deux plus deux.Ajoutons que sa recomposition peut avoirlieu au moyen de deux fois deux répétésdeux fois. Un tel nombre, qui procède à sapuissance par facteurs égaux et pairs, et àsa décomposition par diviseurs égaux etpairs, jusqu'à la monade exclusivement,qui ne peut avoir d'entier pour diviseur,méritait bien d'être considéré commeemblème de l'équité; et, d'après ce quenous avons dit précédemment de laperfection de ses parties et de celle de sonentier, on ne peut lui contester le titre denombre parfait. »

L'échec de Pythagore à proposer une gestion« modernisée » de la domination aristocratiquetémoigne de l'incapacité de la Grèce à s'unifier,

mais également de l'existence déjà forte decourants liés aux marchands et à la plèbe.

Et c'est sur les restes du pythagorisme quevont s'établir les « philosophes », qui vonttenter, l'un après l'autre, de « corriger » lepythagorisme pour donner naissance à unenouvelle entité politico-religieuse.

C'est précisément la raison qui fait queSocrate sera chassé de la cité. Ce n'est pas quesa « sagesse » dérangeait la société, c'est qu'ilformulait en réalité une proposition stratégiquede remplacement de l'ancienne idéologie. Dansle cas de Socrate, il s'agissait de l'établissementd'une religion unifiant la classe dominante,formant littéralement des castes et justifiantl'esclavage.

La « philosophie » grecque n'existe donc pasabstraitement ; elle possède toujours une naturepolitique. C'est pourquoi tant Platonqu'Aristote formuleront des conceptionspolitiques de la vie sociale, et c'est ce quipermet de comprendre les divergences etdifférences entre les courants philosophiques à lasuite de Pythagore.

On est dans le cadre d'une batailleidéologique pour une nouvelle formulationpolitico-religieuse.

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4. Empédocle combine l'un et lemultiple

L'échec de Pythagore appelait à être comblé.L'une des figures les plus marquantes fut alorsEmpédocle d'Agrigente, ville se situantaujourd'hui dans le sud de l'Italie.

On a de nouveau ici une figure mystique, seprésentant comme une figure divine, unvéritable porteur de message divin. Voici ce qu'ilexplique dans l'un de ses poèmes :

« Amis qui habitez la grande ville dont lesregards plongent sur les jaunes rochersd’Akragas, en haut près de la citadelle,empressés aux bonnes œuvres, portsd’honneur pour l’étranger, hommes qui neconnaissez pas la bassesse, salut à vous !Je marche parmi vous en dieu immortel,n’étant plus mortel maintenant, honoréparmi tous comme il convient, couronnéde bandelettes et de guirlandes de fleurs.Dès que, avec ces (adorateurs), hommes etfemmes, je fais mon entrée dans les villesflorissantes, des hommages me sonttémoignés ; ils me suivent en fouleinnombrable, me demandant quelle est lavoie du gain ; quelques-uns désirent desoracles, tandis que d’autres, qui ont étéblessés par les douloureux aiguillons detoutes sortes de maladies, désirententendre de moi le mot qui sauve. »

Empédocle se présente donc comme unsauveur ; lui aussi a en fin de compte unedémarche politico-religieuse. Sa perspective estévidemment pythagoricienne, mais il tente decombler un problème théorique, en étantclairement influencé par la pensée indienne.

Ainsi, il reprend le thème de latransmigration des âmes, qu'il interprètecependant dans un sens en apparence proche dumatérialisme, puisqu'il affirme que tout setransforme ; il n'y a ni début, ni fin :

« Il n’est pas d’entrée à l’existence ni defin dans la mort funeste, pour ce qui estpérissable ; mais seulement un mélange etun changement de ce qui a été mélangé.Naissance n’est qu’un nom donné à ce faitpar les hommes. »

En réalité, il s'agit surtout d'une visionexprimant la vision la plus idéaliste de la penséeindienne, où la vie est un cycle, divisé en quatreparties, allant du meilleur (l'amour) au pire (lahaine), puis recommençant sans fin. C'est niplus ni moins que la conception indienne desquatre « âges », avec à la fin la destruction et lacréation, dans un processus ininterrompu.

Empédocle, qui était un médecin, appliquecela dans la physique elle-même, expliquant quele corps se maintient par l'amour, mais voit sesparties se séparer, se désagréger par la haine. Lecorps est un petit univers à lui tout seul :

« Celui-ci (le conflit de l’Amour et de laHaine) est manifeste dans la masse desmembres mortels.A un moment donné, tous les membres quifont partie du corps sont réunis parl’Amour au point culminant de la vieflorissante ; à un autre moment, séparéspur la Haine cruelle, ils errent chacunpour soi sur les écueils de la mer de la vie.Il en est de même des plantes et despoissons qui ont leur demeure dans leseaux, des bêtes qui ont leurs repaires surles collines, et des oiseaux de ruer, quicinglent avec leurs ailes. »

Dans la tradition pythagoricienne, le rapportaux animaux était ainsi évidemment pacifique ;on retrouve la conception que tout est relié, latransmigration des âmes étant le support.

Le philosophe du IIe siècle après JC, SextusEmpiricus, explique à ce sujet :

« L'école de Pythagore et d'Empédocled'Agrigente et le reste des Italiens [lesGrecs ayant établi des villes dans l'Italieactuelle] enseignent que nous sommesapparentés non seulement entre nous etaux dieux, mais aussi aux animaux privésde raison ; qu'en effet unique est le soufflequi parcourt tout l'univers à la manièred'une âme et qui nous unit à ces êtres.C'est pourquoi, en les tuant, en lesmangeant, nous commettons une injusticeet une impiété, car nous détruisons descongénères. En conséquence de quoi cesphilosophes ont conseillé de s'abstenir dece qui a vie et ils ont imputé une impiétéaux hommes qui rougissent de carnage

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chaud l'autel des Bienheureux. Empédocledit quelque part (fr. 136) : « Cessez doncce massacre aux clameurs funestes. Nevoyez-vous pas que vous vous entre-dévorez dans l'inconscience de votre esprit? » »

Il n'y a, cependant, jusque-là rien despécifiquement nouveau par rapport àPythagore. Voyons donc comment Empédocle atenté de formuler de manière modernisée uneconception politico-religieuse nouvelle, lui quitraversa toute la Grèce pour diffuser sonmessage.

Puisque Pythagore a affirmé que les nombresconstituaient l'univers, et qu'il n'a pas réussi,alors il faut modifier le rapport entre lesnombres et l'univers dans l'affirmation politico-religieuse.

Voici ce que dit Empédocle, avec le «multiple » désignant les nombres et « l'un »désignant l'univers :

« Je vais t’annoncer un double discours. Aun moment donné, l’Un se forma duMultiple ; en un autre moment, il sedivisa et de l’Un sortit le Multiple. Il y aune double naissance des chosespérissables et une double destruction.La réunion de toutes choses amène unegénération à l’existence et la détruit ;l’autre croît et se dissipe quand les chosesse séparent.Et ces choses ne cessent de changercontinuellement de place, se réunissanttoutes en une à un moment donné parl’effet de l’Amour, et portées à un autremoment en des directions diverses par larépulsion de la Haine.Ainsi, pour autant qu’il est dans leurnature de passer du Plusieurs à l’Un, et dedevenir une fois encore Plusieurs quandl’Un est morcelé, elles entrent àl’existence, et leur vie ne dure pas. Mais,pour autant qu’elles ne cessent jamaisd’échanger leurs places, dans cette mesure,elles sont toujours immobiles quand ellesparcourent le cercle de l’existence. Maisallons, écoute mes paroles, car c’estl’étude qui augmente la sagesse. Comme jele disais déjà auparavant, quand j’exposaisle but de mon enseignement, je vaist’exposer un double discours.A un moment donné, l’Un se forma duMultiple, à un autre moment, il se divisa,

et de l’Un sortit le Multiple — Feu, Eauet Terre et la hauteur puissante de l’Air ;la Plaine redoutée aussi, à part de ceux-ci,de poids égal à chacun, et l’Amour parmieux, égal en longueur et en largeur;Contemple-le avec ton esprit, et ne restepas assis, les yeux éblouis.C’est lui que nous savons implanté dansles membres des mortels ; c’est lui qui leurinspire des idées d’amour, et qui leur faitaccomplir les travaux de la paix. Ilss’appellent des noms de Joie etd’Aphrodite.Aucun mortel ne l’a encore vu se mouvoiren cercle parmi eux, mais toi prêtel’oreille à l’ordre de mon discours, qui netrompe point. Car tous ceux-ci sont égauxet de même âge ; cependant chacun a uneprérogative différente et sa natureparticulière.Et rien ne vient à l’existence à part eux,et ils ne périssent point ; car s’ils avaientpéri continuellement, ils n’existeraient pasmaintenant, et ce qui accroîtrait ce Tout,que serait-ce et d’où pourrait-il venir ?Comment, d’ailleurs, pourrait-il périr,puisqu’il n’y a aucun lieu vide de ceschoses ? Ils sont ce qu’ils sont ; mais,courant les uns à travers les autres, ilsdeviennent tantôt ceci, tantôt cela, ettoujours des choses analogues. »

Dans la même logique, Empédocle explique :

« Et dans le Tout, il n’y a rien de vide etrien de trop plein.Dans le Tout, il n’y a rien de vide. D’où,par conséquent, pourrait venir quelquechose qui l’augmentât ? »

Il explique ainsi qu'il y a dans l'universl'affrontement entre deux forces, dans un cyclese répétant à l'infini, la modification detendance expliquant tous les phénomènes. Il n'ya pas de création ni de destruction à part à lafin du cycle ; tout se transforme avec justementle cycle en arrière-plan.

La conception d'Empédocle ne consistait, surle plan des idées, qu'un en décalque de laconception indienne ; on retrouve d'ailleurs laconstante feu – terre – air – eau, une preuve deplus par ailleurs au parallèle indo-grec qu'il estnécessaire d'établir.

La situation de la Grèce étant différente de

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celle de l'Inde, avec aucune force nel'emportant, Empédocle finit, de manièremythique, appelé par une voix qui l'amena àdevenir dieu, en se précipitant dans le Vésuve,seules ses sandales étant retrouvées au bord duvolcan.

5. Xénophane, Parménide et le culte del'un

Avant Empédocle, deux « philosophes » onttenté de modifier la perspective de Pythagore.Xénophane et Parménide avaient cherché àrenforcer le côté divin, afin de donner plus depoids à l'établissement de la dimensionouvertement religieuse.

Xénophane, qui vécut au VIe siècle avant J.-C., témoigne du combat déjà fort marqué contrele polythéisme, Homère étant bien entendu unecible évidente dans ce combat, de par sacélébration de l'ancienne époque, et de par sesdieux aux traits humains.

Xénophane fait ainsi le reproche suivant :

« Homère et Hésiode ont attribué auxdieux tout ce qui, chez les hommes, esthonteux et blâmable; le plus souvent ilsleur prêtent des actions criminelles : vols,adultères, tromperies réciproques. »

Xénophane affirmait ainsi la religion commevision explicative de l'univers, ce qui ne pouvaitaller avec une perspective simplementanthropocentrique des « dieux ». A ses yeux :

« Si les bœufs et les chevaux et les lionsavaient des mains et pouvaient, avec leursmains, peindre et produire des œuvrescomme les hommes, les chevauxpeindraient des figures de dieux pareilles àdes chevaux, et les bœufs pareilles à desbœufs. »

On est donc là bien dans une étape

d'offensive contre le polythéisme, au nom d'unelecture scientifique du monde. Affirmer Dieu,c'est en effet affirmer l'unité de l'univers et doncune possible compréhension de celui-ci, mêmepartielle. A cela s'ajoute la possibilité depouvoir agir de manière correcte, d'être moral,de savoir ce qu'il faut faire. Le mystique estalors celui qui transmet le message « divin » etannonce ce qu'il faut faire pour être « conforme» aux exigences de la réalité.

Diogène Laërce présente de la manièresuivante la pensée de Xénophane :

« Dieu est une substance sphérique ; il n'aaucune ressemblance avec l'homme. LeTout voit, le Tout entend, mais il nerespire pas. Il est en même temps touteschoses, intelligence, pensée, éternité.Xénophane a le premier proclamé que toutce qui est engendré est périssable, et quel'âme est un souffle. Il enseignait encoreque la pluralité est inférieure àl'intelligence. »

Xénophane pose ici les principes élémentairesde toute religion monothéiste : Dieu équivaut àl'univers, il est toujours le même, alors que cequi se déroule dans l'univers se modifieconstamment. Empédocle a de fait la mêmeconception, et les « philosophes » grecsreprennent ainsi cette perspective à l'Inde et àl’Égypte.

On a le principe de la cassure, de laséparation radicale entre les humains et Dieu,les dieux n'étant considérés que comme desillusions propre aux humains à un certainmoment de l'histoire. Xénophane dit ainsi deDieu :

« Tout entier il voit, tout entier il pense,tout entier il entend.Mais, sans labeur aucun, son penser mènetout.Il reste, sans bouger, toujours en mêmeétat; il ne lui convient pas de s'en allerailleurs.Les mortels croient que les dieux sont néscomme eux, qu'ils ont des sens, une voix,un corps semblable aux leurs. »

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Dieu est ainsi l'univers, la totalité de ce quiest, et l'explication du mouvement qui existe.C'est là l'utilité du concept de Dieu. A la suitede Xénophane, Parménide a au Ve siècle repriscette argumentation.

La problématique de Parménide est la mêmeque celle qui sera au cœur du bouddhisme : quelrapport entre l'être, en tant que ce qui existe,avec le fait de ne pas exister ? Parménidefournit une réponse simple : il n'y a que l'être, iln'y a pas de non-être.

Parménide propose donc une rupture avec lepythagorisme en disant que les nombres, aufinal, ne sont pas ce qui est véritable, que toutcela relève de l'opinion : seul le « 1 » originel,l'ensemble, mérite notre attention. En ce sens, ilest en quelque sorte un équivalent du théologienhindouiste Adi Shankara.

Voici ce que dit Parménide :

« Il ne reste plus qu’un procédé; c’estcelui qui consiste à poser l’être.Dans cette voie, bien des signes seprésentent pour montrer que l’être estsans naissance et sans destruction, qu’ilest un tout d’une seule espèce, immobileet infini; qu’il n’a ni passé, ni futur,puisqu’il est maintenant tout entier à lafois, et qu’il est un sans discontinuité.Quelle origine, en effet, lui chercheras-tu?D’où et comment le feras-tu croître? Je nete laisserai ni dire, ni penser qu’il vient dunon-être; car le non-être ne peut se dire nise comprendre.Et quelle nécessité, agissant après plutôtqu’avant, aurait poussé l’être à sortir dunéant?Donc il faut admettre, d’une manièreabsolue, ou l’être, ou le non-être. Etjamais de l’être la raison ne pourra fairesortir autre chose que lui-même. C’estpourquoi le destin ne lâche point ses liensde manière à permettre à l’être de naîtreou de périr, mais le maintient immobile. »

Adi Shankara ne dit pas autre chose : il y al'apparence du mouvement, mais l'univers nesaurait être différent, sa nature est toujours lamême, il n'y a que lui qui existe réellement.

De par sa dimension, on ne saurait par

ailleurs en parler – on a là la même perspectiveque l'hindouisme.

Parménide fait alors de larges commentairesau sujet du « 1 » : puisqu'on ne peut pas enséparer les morceaux même théoriquement, onne peut pas le « diviser », en voir un début ouune fin ; de même comme il est entier et donc ilne lui manque rien.

On a ainsi un « monisme » : il n'y a quel'univers, mais comme chez Adi Shankara cetunivers est considéré comme n'étant réel quecomme entité totalement supérieure etinaccessible, incompréhensible.

Parménide en parle donc une sphère, en faitdonc comme une série de cercles qui, pardéfinition, n'ont ni début ni fin quel que soit lepoint sur lequel on se place.

Voici l'argumentation de Parménide, formuléesous forme de « sentences », témoignant del'idéologie religieuse à laquelle participe ladémarche de ce « philosophe » :

« Il n’est pas divisible, puisqu’il est entout semblable à lui-même, et qu’il n’y apoint en lui de côté plus fort ni plusfaible, qui l’empêche de se tenir uni etcohérent; mais il est tout plein de l’être,et de la sorte il forme un tout continu,puisque l’être touche à l’être.Mais l’être est immuable dans les limitesde ses grands liens; il n’a nicommencement ni fin, puisque la naissanceet la mort se sont retirés fort loin de lui,et que la conviction vraie les a repoussées.Il reste donc le même en lui-même etdemeure en soi: ainsi il reste stable; carune forte unité le retient sous la puissancedes liens et le presse tout autour.C’est, pourquoi il n’est pas admissiblequ’il ne soit pas infini; car il est l’être quine manque de rien, et s’il ne l’était pas, ilmanquerait de tout.Contemple fortement ces choses, qui sontprésentes à l’esprit, quoique absentes(pour les sens); car rien n’empêchera l’êtred’être uni à l’être, et rien ne fera qu’il soitdispersé entièrement et de tous côtés dansson arrangement, ni qu’il soit reconstruit.Or, la pensée est identique à son objet. Eneffet, sans l’être, sur lequel elle repose,vous ne trouverez pas la pensée; car rienn’est ni ne sera, excepté l’être, puisque lanécessité a voulu que l’être fût le nom

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unique et immobile du tout, quelles quefussent à ce sujet les opinions des mortels,qui regardent la naissance et la mortcomme des choses vraies, ainsi que l’êtreet le non-être, le mouvement, et lechangement brillant des couleurs.Or, l’être possède la perfection suprême,étant semblable à une sphère entièrementronde, qui du centre à la circonférenceserait partout égale et pareille; car il nepeut y avoir dans l’être une partie plusforte, ni une partie plus faible que l’autre.En effet le non-être, n’étant pas, nesaurait empêcher l’être de former un touthomogène, et l’être ne saurait être privéd’être, ici davantage, là moins, puisqu’aucontraire il est tout entier incorruptible;car il demeure égal de tous côtés dans seslimites. »

Xénophane et Parménide ont ainsi formulé ladimension « unique » du divin, mais ils ontainsi sacrifié la réalité, le mouvement. C'étaitimpraticable politiquement, d'où la tentatived'Empédocle de prolonger l'idée de la sphère endisant que la réalité connaissait des cycles.

Et inversement, il y a eu la tentative departir dans l'autre direction : de passer par lemouvement, les nombres, pour formuler unevision politico-religieuse.

6. Thalès et la Ionie

Les pythagoriciens sont, historiquement,surtout liés à la grande Grèce, les parties del'actuelle Italie qui ont été colonisées par desGrecs. Comme on l'a vu leur attention s'estsurtout porté sur Dieu, sur « l'un », c'est-à-direDieu en tant qu'être unique, le mondeconsistant en les chiffres, le « multiple ».

C'est le processus inverse qui s'est développéen Ionie, région consistant actuellement enl'ouest de la Turquie. Il existait alors unefédération de villes : Chios, Éphèse, Érythrée,Clazomènes, Colophon, Lébédos, Milet, Myonte,Phocée, Priène, Samos, Téos et Halicarnasse.

Pythagore vient de Ionie, mais son idéologies'est répandue en grande Grèce ; la tradition

ionienne est partie quant à elle dans une autredirection : celle de la compréhension dumultiple, du monde réel, de la physique.

Il faut ici absolument noter qu'est totalementfausse la vision bourgeoise moderne d'une Grèce« européenne ». C'est une lecture ethnique bienentendu erronée : la Grèce est tournée vers l'Estou le Sud, vers la Perse, l’Égypte, et absolumentpas vers l'Ouest. C'est l'empire romain quiinversera la tendance, après que la Grèce, parAlexandre le Grand, s'est unifiée et a réussi àtriompher militairement, pratiquement jusqu'àl'Inde.

Donc, l'idéologie de la Grèce antique est lefruit de deux développements parallèles : lespythagoriciens d'un côté et l'école ionienne del'autre. La bourgeoisie a tenté de gommer lavaleur historique de ce processus, en prétendantqu'il y aurait une « rupture » entre des «présocratiques » d'un côté, et de l'autre unephilosophie authentique ouverte par Socrate etdéveloppée par Platon.

Et cela, alors que le terme de « philosophie »a été façonné par Pythagore et qu'en réalité,Socrate et Platon ne sont en tant que tel riend'autre que des pythagoriciens justementinfluencés par l'école ionienne !

En quoi consiste donc cette école ionienne ?La figure la plus connue est Thalès, mais ontrouve également Anaximandre, Anaximène,Leucippe, Héraclite, Anaxagore. Tous se posentla question du mouvement ; ils inaugurent lesavoir scientifique grec, en profitant des apportségyptiens et babyloniens.

Ils tentent de comprendre, non pas l'un entant qu'ensemble absolu et unique, mais aucontraire ce qui compose le multiple et luipermet d'exister. Ils appellent la matière quicompose la réalité multiple la « physis », la «nature », au sens d'une sorte de matièrepremière, informe, qui est façonnée par quelquechose d'autre - reste à savoir quoi et surtoutcomment.

C'est Thalès qui inaugure cette tradition.

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Les philosophes de l'Antiquité grecque

Voici comment Aristote, dans la Métaphysique,présente la conception de Thalès :

« La plupart de ceux qui philosophèrentles premiers ne considérèrent les principesde toutes choses que sous le point de vuede la matière. Ce d'où sortent tous lesêtres, d'où provient tout ce qui se produit,où aboutit toute destruction, la substancepersistant la même sous ses diversesmodifications, voilà, selon eux, l'élément,voilà le principe des êtres.Aussi pensent-ils que rien ne naît ni nepérit véritablement, parce que cettenature première subsiste toujours (…).Thalès, fondateur de cette philosophie,regarde l'eau comme premier principe.C'est pourquoi il va jusqu'à prétendre quela terre repose sur l'eau ; amenéprobablement à cette idée, parce qu'ilvoyait que c'est l'humidité qui nourrittoutes choses, que le chaud lui-même envient, et que tout animal vit del'humidité. Or, ce dont viennent leschoses, est le principe de toutes choses.Une autre observation encore l'amena àcette opinion. Les semences de touteschoses sont humides de leur nature. Orl'eau est le principe de l'humidité deschoses humides.Quelques-uns pensent que les hommes desplus anciens temps, et, avec eux, lespremiers Théologiens, bien antérieurs ànotre époque, se figurèrent la nature de lamême manière que Thalès.Ils ont en effet représenté, comme lesauteurs de l'univers, l'Océan et Téthys ; etles dieux jurent, selon eux , par l'eau, parcette eau que les poètes appellent le Styx.Car ce qu'il y a de plus ancien est aussi cequ'il y a de plus sacré ; et ce qu'il y a deplus sacré, c'est le serment.Y a-t-il dans cette vieille et antiqueopinion une explication de la nature ?c'est ce qu'on ne voit pas clairement. Tellefut toutefois, à ce qu'on dit, la doctrine deThalès sur la première cause. »

Aristote souligne, à la fin de cet extrait, ladifférence avec les pythagoriciens. Lespythagoriciens cherchent la source du multiple,c'est-à-dire l'un, qui est la source de laproportion, de l'harmonie. A l'opposé, l'écolesuivant Thalès cherche la nature de ce qui estfaçonné par le principe du multiple.

Les pythagoriciens tentent de formuler unereligion en posant un Dieu « un » qui donne

naissance au multiple, tandis que l'école deMilet formule la religion en posant une «matière » qui obéit à des règles instaurées parune force divine.

7. Anaximandre, Anaximène, Anaxagore

Thalès avait ouvert une perspective trèsconcrète : étudier le « multiple » pourcomprendre comment, derrière, il y avait unordre, un Dieu. Il fut à l'origine d'une véritabletradition, d'une réflexion de fond visant àsyntéthiser un monothéisme en s'appuyant surla réalité matérielle elle-même, en tentant d'enexpliquer l'origine.

Anaximandre, qui vécut au VIIe siècle av.JC, fut le disciple de Thalès, et comme cedernier, il tenta de comprendre ce qu'était la «matière ». Cependant, il ne mit pas en avantl'eau, mais en quelque sorte ce qu'on pourraitdéfinir comme une sorte de grande boîte, degrand réservoir, où va tout ce qui a été et d'oùprovient tout ce qui sera.

Comme bien entendu, il y a une infinité dechoses, alors cette « boîte » est infinie. Voicicomment Aristote présente la conceptiond'Anaximandre :

« Anaximandre de Milet, fils dePraxiadès, concitoyen et associé de Thalèsdisait que la cause matérielle et l’élémentpremier des choses était l’illimité, et il futle premier à appeler de ce nom la causematérielle. Il déclare que ce n’est ni l’eau ni aucunautre des prétendus éléments, mais unesubstance différente de ceux-ci, qui estillimitée, et de laquelle procèdent tous lescieux et les mondes qu’ils renferment.Et les choses retournent à ce dont ellessont sorties « comme il est prescrit ; carelles se donnent réparation et satisfactionles unes aux autres de leur injustice,suivant le temps marqué », comme il le diten ces termes quelque peu poétiques. »

Il s'agit, on l'aura compris, de donner à la

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religion la base d'une explication du monde. Aulieu de dieux s'affrontant sans raison, demanière arbitraire de la même manière que deschefs de tribus, on a une base matérielle fixeobéissant à des principes déterminés.

La « boîte », qu'Anaximandre appelle «apeiron » (ce qui est sans fin, sans limites),fournit la matière selon des modalités précises :on a l'opposition entre le chaud et le froid, lefeu et l'humide. Ne pouvant expliquer ce qu'estla matière, Anaximandre tenta de s'en sortir enexpliquant, de manière apparemmentscientifique, le processus façonnant celle-ci.

Le disciple d'Anaximandre, du nomd'Anaximène, se situait dans la mêmeperspective. Il combina en quelque sorte,d'ailleurs, Thalès et Anaximandre, sauf qu'aulieu de l'eau, il prit l'air, qu'il considéra donccomme « infini ». L'air varierait, par lararéfaction et la condensation, consistant doncla matière primordiale.

On en revient à une justification de lamatière primordiale par une explicationprétendument scientifique : ce n'est pas parceque la matière est l'air que le moteur est lararéfaction et la condensation, mais inversementparce que l'air a cette propriété aux yeuxd'Anaximène qu'il est possible d'en faire lamatière primordiale.

Il faut noter, c'est un point important, quetant Thalès, Anaximandre qu'Anaximène ontdonc tenté de démontrer leur conception, aumoyen d'études de la réalité, notamment avecl'astronomie. Pour cette raison, on leur attribuela découverte des sciences physiques, ce qui esterroné, car on se situe ici ni plus ni moins quedans la tradition babylonienne, égyptienne,phénicienne, etc.

L'univers en lui-même devait « justifier » laconception divine, de type monothéiste. Il nes'agit nullement de « païens » qui seraient des «scientifiques » : une telle vision est un bricolagehistorique visant à masquer l'origine desreligions monothéistes, afin de protéger lesprétendues « révélations » des trois imposteurs,

les pseudos « prophètes » Moïse, Jésus etMahomet.

En réalité, on a des gens cherchant àformuler un monothéisme comme idéologieglobale et unificatrice, et pour cela recherchantune base justificatrice par l'explication «scientifique » de la matière.

Il ne faut pas perdre de vue le caractèrepolitique de l'entreprise. De fait, il fautégalement remarquer que le premier «philosophe » à s'installer à Athènes estjustement un disciple d'Anaximène, du nomd'Anaxagore, qui influença le chef politiquePériclès et l'artiste Euripide. A la fin de sa vie ildut partir en raison de l'accusation d'impiété :son système n'était pas parvenu non plus àsynthétiser son époque.

Anaxagore se plaçait donc dans laperspective de l'école de Milet, mais il s'étaitconcentré sur la question du « moteur » de lamatière, plus que sur la matière elle-mêmecomme justification du divin.

Or, en procédant de cette manière, ilparvenait à un embryon de thèses matérialistes,en contradiction fondamentale avec la naturemême de son projet. Si en effet la matière estfaçonnée par des contraires, alors selonAnaxagore ces contraires n'existent pas au-delàde la matière, mais dans la matière elle-même.La matière serait elle-même source descontraires.

Voici comment Aristote présente la démarchede l'école de Milet et plus précisémentd'Anaxagore, dans ce qu'elle a de particulier.

« Quant aux autres physiciens, ils pensentque les contraires sortent de l’être un quiles renferme, comme le croientAnaximandre et tous ceux qui admettentà la fois l’unité et la pluralité des choses,par exemple, Empédocle et Anaxagore.Car ces deux derniers philosophes fontsortir aussi tout le reste du mélangeantérieur ; et la seule divergence de leursopinions, c’est que l’un admet le retourpériodique des choses, tandis que l’autren’y admet qu’un mouvement unique ; c’estque l’un regarde comme infinies les parties

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similaires des choses et les contraires,tandis que l’autre ne reconnaît pourinfinis que ce qu’on appelle les éléments.Si Anaxagore a compris de cette façonl’infinité de l’être, c’est, à ce qu’il semble,parce qu’il se rangeait à l’opinioncommune des Physiciens, que rien ne peutvenir du néant ; car c’est par le mêmemotif qu’il soutient que "tout à l’origineétait mêlé et confus" et que "toutphénomène est un simple changement,"comme d’autres soutiennent encore qu’iln’y a jamais dans les choses quecomposition et décomposition.Anaxagore s’appuie de plus sur ceprincipe que les contraires naissent les unsdes autres ; donc ils existaientantérieurement dans le sujet ; car il fautnécessairement que tout ce qui se produitvienne de l’être ou du néant ; et s’il estimpossible qu’il vienne du néant, axiomesur lequel tous les physiciens sontunanimement d’accord, reste cette opinionqu’ils ont dû accepter, à savoir que detoute nécessité les contraires naissentd’éléments qui existent déjà et sont dansle sujet, mais qui grâce à leur petitesseéchappent à tous nos sens. »

Comme on le voit, la conclusion d'Anaxagoreest logique : si les contraires existent, la matièreprimordiale ne saurait leur échapper dans sanature même. Les contradictions sont partout ets'entremêlent :

« Les choses se trouvant dans notremonde unique ne sont pas isolées les unesdes autres, ni tranchées comme à la hache,ni le chaud à partir du froid, ni le froid àpartir du chaud. »

« Les Hellènes parlent mal quand ilsdisent : naître et mourir. Car rien ne naîtni ne périt, mais des choses déjà existantesse combinent, puis se séparent de nouveau.Pour parler juste, il faudrait donc appelerle commencement des choses unecomposition et leur fin une désagrégation.»

Le processus est sans fin, d’où sa thèse,attribuée le plus souvent au français AntoineLaurent de Lavoisier qui n’a fait que lareprendre :

« Rien ne naît ni ne périt, mais des chosesdéjà existantes se combinent, puis se

séparent de nouveau. »

On comprend qu'Anaxagore ait pu êtreaccusé d'impiété. Si en effet tout se mélange etil n'y a rien de mélangé, comment peut-il alorsjustifier l'existence d'un Dieu ? SelonAnaxagore, ce Dieu est une « intelligence » («nous » en grec) qui lui, justement, n'est pas «mélangé ».

Mais alors pourquoi irait-il façonner,organiser la matière ? Il y a une faillepermettant clairement l'athéisme, et c'estdirectement le chemin que vont prendre, à lasuite d'Anaxagore, les penseurs du courantmatérialiste de l'époque : Leucippe, Démocrite,Épicure.

Inversement, Héraclite va tenter de formulerune vision équivalente à celle d'Anaxagore, maisen préservant le principe du divin.

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8. Héraclite et son successeurpythagoricien Platon

Héraclite est une figure importante del'antiquité grecque, car il va tenter une fuite enavant qui va redonner de l'impulsion à la «philosophie ». Il avait en effet conscience que lesefforts de l'école ionienne ne pouvaientqu'aboutir à l'athéisme par les sciencesnaturelles.

Partant de là, il tenta de relancer le conceptde Dieu, en expliquant que ce qu'était Dieuc'était le principe même du changement. CommeDieu est tout, le changement est tout, jusqu'aunihilisme. Héraclite est ainsi connu pour sonexpression à la fois dialectique etincompréhensible, puisque selon lui tout est toutle temps en contradiction et c'est doncégalement le cas de toute affirmation, y comprispar Héraclite lui-même.

Cela donne des choses comme :

« C'est une même chose qu'être vivant etmort, éveillé et dormant, jeune et vieux.Ces choses sont changées les unes dans lesautres et de nouveau changées. »

« Ce qui s'oppose coopère, et de ce quidiverge procède la plus belle harmonie, etla lutte engendre toutes choses. »

« Joignez ce qui est complet et ce qui nel’est pas, ce qui concorde et ce quidiscorde, ce qui est en harmonie et endésaccord ; de toutes choses une et d’une,toutes choses. »

Dieu est ainsi le processus contradictoire lui-même, et donc l'univers en tant que tel obéit àcela en s'éteignant et en se rallumant :

« Ce monde (cet ordre du monde -cosmos), le même pour tous, aucun desdieux, aucun des hommes ne l'a fait, maistoujours il a été, est et sera, feu toujoursvivant, allumé selon la mesure, éteintselon la mesure. »

Il y a ici nombre d'intuitions par rapport aumatérialisme dialectique, qui doivent interpeller.Toutefois, ce qui est central ici, est queHéraclite « sauve » Dieu en en faisant lechangement en tant que tel de la réalité. Là oùParménide supprime la matière pour faire un «Dieu » toujours semblable à lui-même, Héracliteutilise une matière toujours changeante pourformer un « Dieu » dont le principe essentiel esttoujours le même.

Voici comment Aristote présente, de manièrecritique, la perspective établie par Héraclite. Eneffet, si tout change tout le temps, alors pardéfinition il n'est plus possible de ne rien dire,puisqu'en fait il faut parler sans arrêt en secontredisant de manière ininterrompue.

« Mais je le répète, c'est en voyant quecette nature tout entière, que nous avonssous les yeux, est incessamment livrée aumouvement, et qu'il est impossible desavoir la vérité sur ce qui change sanscesse, que les philosophes ont été poussésà croire que l'homme ne peut jamaisconquérir la vérité, au milieu de cebouleversement perpétuel et général.C'est là l'hypothèse qui fit fleurir la plusextrême de toutes les doctrines que nousvenons de citer, celle des soi-disantdisciples d'Héraclite, parmi lesquels il fautcompter Cratyle, qui en était enfin arrivéà ce point de croire qu'il ne devait mêmepas proférer une seule parole, qui secontentait de remuer le doigt, et quifaisait un crime à Héraclite d'avoir osédire « Qu'on ne pouvait jamais se baignerdeux fois dans la même eau courante »;car, pour lui, il pensait qu'on ne pouvaitpas même dire qu'on s'y baignât une seulefois. »

La position de Héraclite a ceci d'historiquequ'elle clôt donc la perspective ouverte parl'école ionienne, tout comme Parménide clôt laperspective pythagoricienne. L'école ionienne acherché à saisir la matière, mais celle-ci setransformant, on ne peut que tomber sur latransformation ininterrompue et donc àl'absence de définition.

Inversement, la recherche de l'origine dumultiple dans les nombres ne peut aboutir qu'au

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culte de « l'un », qu'on imagine alors statique,unique, et en fin de compte silencieux, àl'opposé du « un » de Héraclite qui se modifiesans cesse.

C'est alors qu'intervient un autre philosophe,qui va réussir le pari de combiner les deux écolesen un nouveau système, dont la réussite va êtregigantesque. Platon va reprendre à la fois laconception de Parménide et celle de Héraclite,pour former une nouvelle entité théoriquepolitico-religieuse très élaborée.

Il va placer le « un » de Parménide dans unmonde parallèle, au-delà du nôtre, au-delà de laphysique (d'où le concept grec de «métaphysique », au-delà de la physique, pourparler du divin). Et il va placer le « un » deHéraclite au sein de notre monde.

Par conséquent, il existe ici des choses «pures » dans le monde parallèle, et notre monden'est que le reflet imparfait de cet autre monde.Le monde des « idées » permet à notre monded'exister.

Voici comment Aristote présente laperspective établie par Platon :

« À ces diverses philosophies succéda cellede Platon d'accord le plus souvent avec lesdoctrines pythagoriciennes, mais qui,quelquefois aussi, a ses vues particulières,et s'écarte de l'École Italique. Platon, dèssa jeunesse, s'était familiarisé dans lecommerce de Cratyle, son premier maître,avec cette opinion d'Héraclite que tous lesobjets sensibles sont dans un écoulementperpétuel, et qu'il n'y a pas de sciencepossible de ces objets. Plus tard ilconserva cette même opinion.D'un autre côté, disciple de Socrate, dontles travaux, il est vrai, n'embrassèrent quela morale, et nullement l'ensemble de lanature, mais qui toutefois s'était proposédans la morale le général comme but deses recherches, et le premier avait eu lapensée de donner des définitions, Platon,héritier de sa doctrine, habitué à larecherche du général, pensa que sesdéfinitions devaient porter sur des êtresautres que les êtres sensibles ; car,comment donner une définition communedes objets sensibles, qui changentcontinuellement ?Ces êtres, il les appela Idées, ajoutant que

les objets sensibles sont placés en dehorsdes idées, et reçoivent d'elles leur nom ;car c'est en vertu de leur participationavec les idées, que tous les objets d'unmême genre reçoivent le même nom queles idées. Le seul changement qu'il aitintroduit dans la science, c'est ce mot departicipation.Les Pythagoriciens en effet disent que lesêtres sont à l'imitation des nombres;Platon, qu'ils sont par leur participationavec eux : le nom seul est changé. »

L'allégorie de la caverne utilisée par Platonest également très connue. Des prisonniers,enchaînés, regardent des ombres sur le mur etpensent que c'est la réalité. En réalité, il s'agitde projections de marionnettes qui sont mises enmouvement derrière eux, à la lumière d'un feu.Et au-delà de la caverne, il y a le soleil,véritable réalité. Le philosophe s'arrache ainsiaux projections, pour passer par les chiffres(pythagoriciens), puis les idées, pour rejoindre lesoleil, symbole de ce qui est toujours unique.

C'est l'idée de la réalité consistant en de lamatière façonnée par des chiffres. Quant au « un», c'est ce qui a donné naissance aux chiffres, etc'est même pour Platon la seule chose qui existevraiment : on retrouve la conception deParménide et de son « un » qui ne changejamais.

On a un schéma à trois étages. Celui tout enbas s'appuie sur Héraclite et sa réalité quichange tout le temps, et le second est composédes « idées », qui sont en fait les combinaisonsmathématiques formant la matière. Un exempletrès connu de cette conception se retrouve dansla film Matrix, lorsque « Neo » comprend qui ilest et voit le couloir et ce qui s'y trouve commes'il s'agissait de chiffres défilant. Tout en haut,équivalent au soleil de l'allégorie de la caverne,on retrouve le « un » de Parménide.

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9. Le projet politico-religieux de Platon

Il ne faut pas perdre de vue que l’œuvre dePlaton se situe dans une perspective deconstruction politico-religieuse. Il n'y a pasd'originalité particulière dans la démarche dePlaton, sa seule particularité étant de tenter decombiner les deux principales traditions «philosophiques » qui avaient, de fait, le mêmebut.

Socrate, le maître de Platon, était d'ailleursun pythagoricien, croyant en l'éternité de l'âme,étant végétarien, etc. Platon était donc de soncôté un « héraclitéen », mais penchant vers lesvaleurs « socratiques ».

Cela a donc un sens à la fois politique etreligieux, car Socrate est un moraliste, et lamorale sert justement de base à la politique.Des œuvres qui nous restent de Platon (à savoiruniquement les dialogues, le reste étant perdu),c'est bien sûr dans l'ouvrage appelé laRépublique que l'on retrouve établis les principespolitico-religieux conseillés par lui.

On y trouve d'ailleurs un mythe, celui d'Er,personnage qui assiste au processus deréincarnation et constate que chaque vie estjugée et qu'en fonction de son parcours, sanouvelle vie est par la suite différente une foisréincarnée, selon les mérites et les torts.

Il est impossible de ne pas voir le parallèleavec l'hindouisme ; Platon exprime en fait uneversion totalement idéalisée du communismeprimitif ayant prédominé dans les communautésguerrières, avant leur invasion, leur installationet leur soumission de peuplades comme esclaves.

Réincarnation selon le mérite, hiérarchiestricte, collectivité complète des élites, sanspropriété (sauf pour les paysans donc) ni unquelconque luxe : c'est la tribu en guerre, maisformée en « État », qui est l'idéal de Platon.

On a d'ailleurs, comme dans l'hindouisme etde fait dans les State esclavagistes, une divisionau sein de la couche dominante, en paysans, en

« gardiens » (c'est-à-dire en guerriers) et en «philosophes » (c'est-à-dire le clergé).

Voici également comment se termine laRépublique, juste après que le mythe d'Er aitété raconté :

« nous devons considérer que l’âme estchose immortelle, et qu’elle est capable desupporter tous les maux ainsi que tous lesbiens. Nous nous tiendrons alorsconstamment à la route qui mène vers lehaut, et nous pratiquerons la justice, liéeà la prudence, de toutes les façonspossibles.Ainsi nous pourrons être amis aussi bienavec nous-mêmes qu’avec les dieux, aussibien lors de notre séjour ici que lorsquenous aurons remporté les prix querapporte la justice, comme des vainqueursfaisant un tour de piste triomphal; et nouspourrons tant ici, que dans lecheminement millénaire que nous avonsdécrit, connaître un plein succès ! »

On est ici dans une démarche toutearistocratique, et d'ailleurs la société prônée parPlaton est ultra hiérarchisée, les enfants étantcollectivisés et éduqués par les « gardiens », lesfemmes peuvent être membres de l'élite en tantque tel mais sont également « mises en commun» ; les postes formant la division sociale sontbien définis et intouchables.

A cela s'ajoute une sobriété exemplaire, afinde maintenir l'élite loin de tout luxe et depréserver la mentalité combattante de la « raced'or ».

Le plus ascétique de tous, c'est bien entendule « philosophe », qui doit alors devenir le roi depar ses qualités. A l'opposé du poète qui doitêtre chassé de la cité en raison de son caractèresuperflu et irrationnel, le philosophe est le grandguide, car il comprend de manière rationnelle ;il est désintéressé et peut conduire la cité.

L’œuvre de Platon s'appelle de fait Politeiaen grec, terme venant de « polis » signifiantcité-État et désignant en quelque sorte lapolitique, les droits des citoyens, la forme dugouvernement, etc.

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Le principe des « idées » pures qui seraientdans un monde « idéal » au-delà de la matièreforme un moteur idéologique visant à célébrer leBeau, le Bien, le Bon, c'est-à-dire à servir depôle de référence à une société tribale organiséeen cité-État et dominant la vie sociale par unsystème de castes.

La démarche de Platon est doncfondamentalement réactionnaire. On comprendqu'il ait pu assumer la tradition ionienne etcelle pythagoricienne : leur fusion devait, à sesyeux, permettre de ramener la cité-État, sur leplan politique interne, au point de départ del'existence des tribus grecs.

10. Socrate et Platon, penseurs pro-oligarchie du déclin athénien

Platon n'avait en fait pas le choix dans sespropositions stratégiques concernant l’Étatidéal. Sa proposition stratégique de formationd'un régime ultra-hiérarchisé - qui est la mêmeque son maître Socrate - correspond en effet auxintérêts de toute une frange de l'éliteathénienne, non seulement par rapport auxesclaves, mais par rapport aux « hommes libres» eux-mêmes.

Il faut, pour saisir cela, regarder l'histoire dela Grèce antique. Lorsqu'on parle de celle-ci, onentend la Grèce actuelle, avec également ce quifut appelé la grande Grèce, c'est-à-dire les côtesméridionales de la péninsule italienne, ainsi quela Ionie, c'est-à-dire la façade ouest de l'actuelleTurquie.

La tradition de Pythagore est liée à la grandeGrèce, celle qui s'est tournée plutôt vers desquestions scientifiques étant liée à la Ionie. Maisen Grèce même, ces divers penseurs nerecevaient que peu d'écho, car à l'époqueprédominait comme idéologie le paganisme bienconnu des dieux Zeus, Poséidon, Athéna, etc.

Il n'y avait pas tant de dogme que des rituelsdivers et variés, différents selon les endroits, et

toujours adaptés aux « hommes libres »s'appuyant sur l'esclavage.

Or, le cadre de l'époque est égalementmarquée par la formation d'un gigantesqueempire perse, d'une puissance militaire sanségale.

Cet empire prit justement le contrôle indirectdes régions grecques de la Ionie, avecl'instauration de régimes fantoches pro-perses,qui durent cependant faire face à des révoltesdemandant l'appui de Sparte et d'Athènes, lesprincipales cités-États de la Grèce antique.

Seule Athènes accepta initialement et celadonna des périodes de guerre au Ve siècle av. J.-C., l'empire perse de Darius menant même unraid contre Athènes qui échoua avec la fameusebataille de Marathon en 490 av. J.-C.

Athènes fut cependant abandonnée et mise àsac par l'offensive de Xerxès, avant la victoiregrecque la même année avec cette fois un frontspartiate et athénien, lors de la bataille navalede Salamis.

Athènes, par la suite, refusa - au prix encoreune foi de la mise à sac - l'alliance proposée parXerxès, qui proposait des réparations, unealliance à égal et des territoires en échange del'aide à la soumission du reste de la Grèce.Enfin, les batailles de Platées et du cap Mycalemirent fin aux guerres dites médiques, avecl'échec complet de l'empire perse dans sonoffensive.

Or, dans ce processus de résistance àl'expansion perse, Athènes se plaça au cœurd'une alliance de 31 villes et entendait prolongerl'initiative en renforçant les liens contre l'empireperse. Sparte était alors déjà sur le déclin et sereplia sur sa propre zone, réussissant àmaintenir les alliances locales.

Athènes et Sparte se firent donc de nouveauface, bloquant la formation d'un empire grecunifié. L'alliance autour d'Athènes putcependant prendre le contrôle des mers locales,au moyen d'une politique massive deconstruction d'une force navale très développée

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techniquement.

Athènes devint une puissance toujours plushégémonique au sein de son alliance, élargissantses prérogatives, se permettant d'élargir sacitoyenneté néanmoins toujours aristocratique.C'est l'apogée d'Athènes, avec comme dirigeanthistorique Périclès, et comme symboles leParthénon et l'Acropole.

A la fin du IVe siècle av. J.-C pourtant,Athènes et la Ligue de Délos échouèrent face àSparte et la Ligue du Péloponnèse, lors de laguerre dite du Péloponnèse. Elle s'étala de 431 à404 av. J.-C et marqua l'effondrementd'Athènes.

Ainsi, « l'âge d'or » dura véritablement 50années, entre les guerres dites médiques avec laPerse, et la défaite face à Sparte, lors de laguerre dite du Péloponnèse.

Or, si l'on regarde plus précisément lecontexte, on voit que Socrate est né vers 470 etmeurt en 399 av. J.-C. Platon sera son discipleet Aristote le disciple de Platon.

Cela signifie que les trois plus grands «philosophes » de la Grèce antique apparaissentalors qu'Athènes est effondrée, brisée par uneguerre longue épuisant l'économie et assassinantles hommes, passant dans l'ombre d'autrespuissances, notamment Sparte.

Qui plus est, Sparte fit en sorte d'instaurerun régime oligarchique dans Athènes vaincue.De mai 404 av. J.-C. à janvier 403 av. J.-C. , les« Trente » réduisirent le nombre des citoyens deplein droit à 3 000 et désignèrent les 500membres d'un conseil, instaurant un régime deterreur.

Alcibiade et Critias, deux disciples deSocrate, y jouèrent un rôle capital (Critias estégalement de la famille de Platon, tout commeun autre membre des « Trente », Charmide).

Et c'est justement quand les « Trente »furent renversés que la démocratie athéniennerétablie condamna alors Socrate à boire la ciguëpour ne pas croire aux dieux reconnus par l’État

et pour corrompre la jeunesse. On comprendaisément qu'il représentait un courant pro-oligarchie, le même qu'on retrouve mis en avantdans la République de Platon.

11. Aristote modifie le système dePlaton

Aristote est le véritable titan de l'antiquitégrecque. Si la figure de Platon est davantageconnue, c'est parce que celui-ci a joué un rôlemoteur dans l'affirmation de l'idéologiechrétienne.

Toutefois, c'est Aristote qui parvient àdévelopper le plus profondément les questionsscientifiques et cela, dans pratiquement tous lesdomaines. Il intervient de fait à un momenthistorique, celui où, enfin, la Grèce parvient às'unifier.

Aristote est en effet macédonien, de la villede Stagire, et c'est lui qui va éduquer pendantdeux décennies le grand unificateur : Alexandrele grand. Le grand problème, évidemment, seraqu'Alexandre le grand n'a pas fait qu'unifier laGrèce en s'opposant à la Perse, comme levoulait son père, il a également conquise celle-ci,pour arriver aux portes de l'Inde. Cela a liquidéun problème d'unification pour en aboutir à unautre.

La philosophie d'Aristote estparticulièrement complexe, et ses explicationsfoncièrement abruptes. Comprendre saperspective est par contre relativement facile dupoint de vue du matérialisme historique.

En apparence, en effet, Aristote s'oppose àPlaton. Les commentateurs bourgeois n'ont ainsijamais pu expliquer l'apparition d'un « néo-platonisme » qui, à la fin de la Grèce antique etdans l'empire romain naissant, combinait lesphilosophies de Platon et d'Aristote. C'est, enréalité, absolument cohérent.

Aristote est de fait resté pendant vingt ans à

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l'Académie, auprès du chef de file de cette école,Platon lui-même. Il ne nous reste que lesdialogues de Platon, nous n'avons pas sesenseignements directs. Mais Aristote les aconnu. Voici comment il résume ceux-ci :

« Platon admet encore, en dehors deschoses sensibles et des Idées, les êtresmathématiques, qui sont desintermédiaires entre les Idées et les choses,différant des objets des sens en ce qu'ilssont éternels et immobiles, et différant desIdées, en ce qu'ils peuvent être en trèsgrand nombre semblables les uns auxautres, tandis que, dans chaque genre,l'Idée ne peut jamais qu'être seule etunique.Comme les Idées, suivant lui, sont lescauses de tout le reste, il dut prendre leséléments des Idées pour les éléments detous les êtres sans exception ; et de mêmeque, sous le rapport matériel, il adoptapour principes le Grand et le Petit, demême sous le rapport de l'essence sonprincipe fut l'unité ; car c'est par leGrand et le Petit que les Idées quiparticipent à l'unité sont aussi lesnombres.Cependant, en admettant que l'unitéforme l'essence des choses et qu'il estimpossible que ce soit autre chose quel'unité qui puisse être appelée l'Être,Platon se rapprochait beaucoup desPythagoriciens; c'était dire à peu prèscomme eux que les nombres sont pour lereste des choses la cause qui constitue leuressence.Mais ce qui appartient proprement àPlaton, c'est d'avoir substitué une dualitéà l'infini, qui est Un, dans le systèmepythagoricien, et d'avoir soutenu quel'infini se compose du Grand et du Petit.Enfin, Platon isole les nombres des objetssensibles, tandis que les Pythagoriciensconfondent les nombres avec les choseselles-mêmes et ne regardent pas les êtresmathématiques comme les intermédiairesdes choses. »

Or, Aristote n'est pas convaincu de cela. Il necomprend pas comment quelque chose qui est «un » pourrait aboutir au multiple. Commentune idée, comme celle de la table, pourrait-elledonner plusieurs tables, qui plus estdifférentes ?

Inversement, qu'est-ce qui fait que la choseformée par l'idée serait elle-même « une », et

non pas plusieurs ? Pourquoi y a-t-il un homme,une femme, et non pas des choses qui seraientplusieurs choses en même temps ?

Aristote modifie par conséquent le systèmede Platon. Il est d'accord pour séparer le mondeen deux, mais il n'est pas d'accord pour direqu'une « idée » d'en haut participe au monded'en bas et fait exister des choses.

Il dit qu'il y a d'un côté les formes, de l'autreun agrégat de matière. Les formes donnentjustement des formes à la matière.

La matière peut potentiellement prendreforme ; en puissance, la matière peut avoir uneforme, cela relève du possible, la matière est unesorte de pâte à modeler. Mais il faut la « forme» pour lui accorder cela, c'est qui agit. Voicicomment Aristote explique cela :

« Ce qui produit cette erreur, c'est quenos philosophes veulent trouver unedéfinition qui unifie la puissance et l'acte,et qu'ils cherchent en même temps unedifférence entre les deux. Mais, ainsi quenous l'avons dit, la matière dernière et laforme des choses se confondent ;seulement, l'une est en puissance, etl'autre est en acte.C'est tout à fait la même recherche que dedemander la cause de l'être qui est Un, etde demander la cause qui le fait être Un.Toute chose est Une ; et, à un certainpoint de vue, l'être en puissance et l'êtreen acte n'en font également qu'un.En résumé, il n'y a donc pas d'autre causede l'unité que la cause motrice, qui faitpasser l'être de la puissance à l'acte. »

Aristote explique ici que toute chose consisteen de la matière, façonnée par la forme, sauf cequ'il appelle l'être, c'est-à-dire le principe mêmede la vie, qui est un « un » parce qu'il est à lafois en puissance et en acte. Et il l'appelle le «moteur », car c'est lui qui permet le passage dela puissance à l'acte, de la possibilité à laréalité.

Ce « premier moteur », c'est ce qui va êtreappelé « Dieu », c'est le grand horloger dudéisme.

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12. Aristote, le premier moteur, Dieu

Aristote a donc formulé l'idée d'un « premiermoteur », qui permet à des « formes » defaçonner de la matière. Seulement, on voit malalors au fond quelle est la différence, enapparence, avec Platon. On pourrait dire eneffet que le « premier moteur » est unéquivalent du « un », les « formes » étant ceque Platon appelle les « idées ».

Il y a une nuance de taille cependant, carAristote a modifié le schéma de Platon. Chez cedernier, l'un et les idées sont au ciel. Comme ilavait besoin de justifier comment on arrive à lamatière, il a utilisé les « nombres », qui sont un« sas » entre les idées et la matière (qui estainsi « formulée » par les nombres).

Aristote abaisse les idées, qu'il appelle «formes », pour les mettre dans notre propremonde. De cette manière, le rapport entre lamatière et ce qui la forme est « direct », par «la puissance » et « l'acte ».

On en revient toutefois au problème qu'avaitPlaton : dans notre monde, tout change tout letemps. Que seraient les formes ? C'est justementpour cela que Platon avait placé les idées auciel.

Aristote arrive alors avec le principe ducercle, qui est « pur » car infini, sans début nifin quel que soit le point où l'on se place. Et ildit : les planètes, les espèces, voilà ce qui estintermédiaire entre nous et le « premier moteur».

C'est le principe de l'éternel retour, quigarantit la « stabilité » dans un monde «instable ». Les individus passent, l'espèce reste.

Naturellement, Aristote ne savait pas alorsque les planètes ne suivaient pas un cercleparfait, ni par ailleurs que les espèces évoluaient; il ne savait pas non plus que l'universconnaissait une évolution dialectique, car pardéfinition, comme représentant d'une sociétéesclavagiste, pour lui tout était

fondamentalement statique, répétitif.

Mais là n'était pas le problème, au fond, caril cherchait à formuler une proposition politico-religieuse, justement dans un cadre esclavagisteet dans la situation particulière de la Grèced'alors.

Cette proposition est d'ailleurs très connu enFrance, puisqu'il s'agit ni plus ni moins quecelle du « grand horloger, » du « grandarchitecte », développée à l'époque des Lumièrespar le déisme, par la franc-maçonnerie, par leculte de l'être suprême lors de la révolutionfrançaise.

La dimension religieuse est évidente,lorsqu'Aristote présente ce qu'est le «philosophe » :

« La science qu'étudie le philosophe estdonc la science de l'Être en tant qu'Être,de l'Être entendu dans toute sa généralité,et non pas partiellement. »

C'est ce qui a été appelé la « métaphysique», ce qui est au-delà de la physique ; lephilosophe est en quelque sorte un « superprêtre », un théologien.

Le « philosophe » est celui qui comprendpourquoi le monde est en mouvement. Dieu estle « moteur », la cause du mouvement. Cequ'Aristote reproche à Platon qui puise dansHéraclite sa thèse du mouvement perpétuel, eten général également aux philosophes s'étantrapprochés du matérialisme avec le mouvementcomme « valeur en soi » de l'univers », c'est quele mouvement n'est pas expliqué.

Aristote dit ainsi :

« De là vient que quelques philosophes ontaffirmé que l'acte est éternel, commeLeucippe et Platon, attendu, disent-ils,qu'il faut que le mouvement subsistetoujours. Mais ces philosophes ne nousapprennent pas pourquoi le mouvement alieu, ni quel il est; ils ne nous apprennentpas non plus comment il est ce qu'il est,et ils ne remontent pas davantage jusqu'àsa cause. »

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Avec Aristote, par contre, le monde devientcompréhensible, car il est organisé par lesformes – en ce sens, c'est une porte ouverte à lascience, en tant que recherche des « principes »et des « causes » dans chaque domaine.

Cette science peut se contenter d'êtrelogique, et Aristote est à l'origine d'uneréflexion très approfondie à ce sujet. L'une deses démarches très connue est le syllogisme, dutype « Socrate est un homme, les hommes sontmortels, donc Socrate est mortel.

Cet appel à la logique signifie, par contre, lerejet de la dialectique, puisque celle-ci necorrespond pas aux principes « logiques » ;comme le dit Aristote :

« Par exemple, si l'objet est blanc, et quenous disions qu'il n'est, ni blanc, ni noir,nous sommes dans le faux; car il enrésulterait que le même objet serait blanc,et qu'il ne le serait pas. Il n'y a qu'uneseule des deux assertions accouplées quisoit vraie de l'objet; et c'est lacontradiction du blanc.Ainsi, il est également impossible d'êtredans le vrai, soit qu'on suive Héraclite,soit qu'on suive Anaxagore. Si l'on s'entient à leur doctrine, on est amené àattribuer les contraires à un seul et mêmeobjet. »

Aristote fonctionne, par refus de ladialectique, par simple analogie, rapprochant lesformes suivant leur fonctionnement apparent.Et, bien évidemment, « Dieu » est statique. Eneffet, s'il était en mouvement, il aurait besoind'une cause le faisant se mouvoir. On en finiraitplus, et Aristote pose un principe premier, lacause des causes, Dieu en tant que moteur, Dieucomme seul objet connu de lui-même par lascience, où puissance et acte se confondent.

On a là un système établi de manièreapprofondie.

13. Il ne faut qu'un seul chef

Aristote a posé le principe de « Dieu » de lamanière la plus développée. Tant le judaïsmeque le christianisme et l'Islam ne pourront pasne pas puiser chez lui. C'est lui qui avéritablement porté la définition d'un Dieucomme conséquence logique d'une certainevision du monde.

Aristote prétend, de fait, non pas formulerquelque chose de nouveau, mais en revenir aux «sources », afin de masquer précisément lanouveauté de sa thèse. Il n'hésite pas àexpliquer ainsi que :

« Ainsi donc, rationnellement etnumériquement, le premier moteur estunique et immobile; et ce qu'il meutéternellement et continuellement estunique aussi. Donc, il n'y a qu'un seul etunique ciel.Une tradition qui nous est venue del'antiquité la plus haute, et qui a ététransmise à la postérité sous le voile de lafable, nous apprend que les astres sont desDieux, et que le divin enveloppe la naturetout entière.Tout ce qu'on a pu ajouter de fabuleux àcette tradition n'a eu pour but que depersuader la multitude, afin de rendre plusfacile l'application des lois et de servirl'intérêt commun. C'est ainsi qu'on aprêté aux Dieux des formes humaines, etmême parfois aussi des figures d'animaux,et qu'on a imaginé tant d'autresinventions, qui étaient la suite et lareproduction de celles-là.Mais si l'on dégage de tout cela ce seulprincipe, que les hommes ont cru que lessubstances premières sont des Dieux, onpeut trouver que ce sont là réellement descroyances vraiment divines, et qu'aumilieu des alternatives où, tour à tour, etselon qu'il a été possible, les arts et lessciences philosophiques ont été, suivanttoute apparence, découverts et perdusplus d'une fois, ces doctrines de nosancêtres ont été conservées jusqu'à nosjours, comme de vénérables débris.C'est là du moins dans quelle mesurerestreinte nous apparaissent, avec quelqueclarté, la croyance de nos pères et lestraditions des premiers humains. »

En réalité, Aristote ne fait là que proposer

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un monde ordonné, où justement l'ordre eststatique et où donc il s'agit d'agir de manièrepolitiquement conforme à cet ordre. C'est unethèse politique, au service de l'esclavagisme, caril y aurait de manière logique des maîtres et desesclaves.

Voici comment Aristote présente sa visionpolitique du monde :

« Tout dans l'univers est soumis à unordre certain, bien que cet ordre ne soitpas semblable pour tous les êtres,poissons, volatiles, plantes.Les choses n'y sont pas arrangées de tellefaçon que l'une n'ait aucun rapport avecl'autre. Loin de là, elles sont toutes enrelations entre elles; et toutes, ellesconcourent, avec une parfaite régularité, àun résultat unique. C'est qu'il en est del'univers ainsi que d'une maison bienconduite.Les personnes libres n'y ont pas du tout lapermission de faire les choses comme bonleur semblé ; toutes les choses qui lesregardent, ou le plus grand nombre dumoins, y sont coordonnées suivant unerègle précise, tandis que, pour les esclaveset, les animaux, qui ne coopèrent quefaiblement à la fin commune, on les laisseagir le plus souvent selon l'occasion et lebesoin.Pour chacun des êtres, le principe de leuraction constitue leur nature propre; jeveux dire que tous les êtres tendentnécessairement à se distinguer par leursfonctions diverses ; et, en général, toutesles choses qui contribuent, chacune pourleur part, à un ensemble quelconque, sontsoumises à cette même loi. »

Pour Aristote, le problème de fond des autres« philosophes », c'est que leur propositionpolitico-religieuse ne pose pas un chef. En cesens, Aristote représente déjà un certain passagede l'ordre esclavagiste à un ordre féodal.

Il dit ainsi :

« Aucun de ces philosophes ne nousexplique comment les nombres peuventformer une certaine unité, ni commentl'âme ne fait qu'un avec le corps, en unmot comment la forme et la chose peuventcomposer un tout unique. Il est certainque la réponse à cette question estimpossible pour tous ces philosophes, à

moins qu'ils ne disent, avec nous, que c'estle principe moteur qui fait l'unité deschoses.Quant à ceux qui prennent le nombremathématique pour principe premier, etqui composent toujours de cette manièretoute autre substance, venant à la suite dece premier principe, en donnant à chacunedes principes différents, ils ne font de lasubstance de l'univers entier qu'unesuccession d'épisodes, puisque aucunesubstance, qu'elle soit ou qu'elle ne soitpas, ne peut avoir la moindre influence surune autre, et ils reconnaissent par làplusieurs principes divers.Mais les choses ne veulent pas être malgouvernées :Tant de chefs sont un mal; il ne fautqu'un seul chef. »

14. Aristote et la politique ordonnée

Aristote a laissé un œuvre très précise ausujet de la question de la constitution et dudroit. Dans La politique, il exprime la thèse trèsconnue selon laquelle l'homme serait un «animal politique ». Mais cela va de pair avec savision du monde, où toutes les choses sont «ordonnées ».

L’œuvre aura un grand retentissement, carc'est pas moins qu'Alexandre le grand qui serale disciple d'Aristote, témoignant des richessesde la démarche. Il connaîtra égalementjustement un « faux », le Secretum Secretorum,qui va être le document peut-être le plus connuau moyen-âge.

Sans doute d'origine arabe et datant du Xesiècle, on y trouve de prétendues lettresd'Aristote à Alexandre le Grand, expliquant lapolitique, la santé, l'astronomie, et mêmeparfois l'alchimie, avec la fameuse « Tabled'émeraude » (« Ce qui est en bas est comme cequi est en haut; et ce qui est en haut est commece qui est en bas »).

De fait, la position d'Aristote est la plusélaborée de toute l'antiquité et elle a pavé lavoie aux conceptions posant la loi comme refletconforme de l'ordre divin. Le Coran de

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Les philosophes de l'Antiquité grecque

Mahomet se situe directement dans cetteperspective politico-religieuse, et on y trouved'ailleurs des références à Alexandre le Grand.

Ce qui différencie Aristote de sesprédécesseurs, c'est qu'il propose un modèle «souple » ; il ne propose pas une théorie politiquefixe. Il a un idéal bien entendu « philosophique», à savoir comme il le formule :

« l'État le plus parfait est évidemmentcelui où chaque citoyen, quel qu'il soit,peut, grâce aux lois, pratiquer le mieux lavertu, et s'assurer le plus de bonheur. »

Cependant, il constate que tous les citoyensn'ont pas le même niveau – rappelons ici qu'ilparle, bien entendu, uniquement de la classedominante par définition, les esclaves n'étant ence sens pas citoyens.

Aristote justifie ainsi l'esclavage, et lepatriarcat en général. Il se situe, comme Platon,dans une perspective anti-démocratique de typeélitiste. Voici comment il exprime son point devue :

« D'abord, il y a nécessité dans lerapprochement de deux êtres qui nepeuvent rien l'un sans l'autre : je veuxparler de l'union des sexes pour lareproduction. Et là rien d'arbitraire ; carchez l'homme, aussi bien que chez lesautres animaux et dans les plantes, c'estun désir naturel que de vouloir laisseraprès soi un être fait à son image.C'est la nature qui, par des vues deconservation, a créé certains êtres pourcommander, et d'autres pour obéir. C'estelle qui a voulu que l'être doué de raisonet de prévoyance commandât en maître ;de même encore que la nature a voulu quel'être capable par ses facultés corporellesd'exécuter des ordres, obéît en esclave; etc'est par là que l'intérêt du maître et celuide l'esclave s'identifient.La nature a donc déterminé la conditionspéciale de la femme et de l'esclave. C'estque la nature n'est pas mesquine commenos ouvriers. Elle ne fait rien quiressemble à leurs couteaux de Delphes.Chez elle, un être n'a qu'une destination,parce que les instruments sont d'autantplus parfaits, qu'ils servent non àplusieurs usages, mais à un seul. Chez les

Barbares, la femme et l'esclave sont desêtres de même ordre. La raison en estsimple : la nature, parmi eux, n'a pointfait d'être pour commander. Entre eux, iln'y a réellement union que d'un esclave etd'une esclave; et les poètes ne se trompentpas en disant :Oui, le Grec au Barbare a droit decommander,puisque la nature a voulu que Barbare etesclave ce fût tout un.Ces deux premières associations, dumaître et de l'esclave, de l'époux et de lafemme, sont les bases de la famille; etHésiode l'a fort bien dit dans ce vers :La maison, puis la femme, et le bœuflaboureur.car le pauvre n'a pas d'autre esclave quele bœuf. Ainsi donc l'association naturellede tous les instants, c'est la famille ;Charondas a pu dire, en parlant de sesmembres, « qu'ils mangeaient à la mêmetable » ; et Epiménide de Crète, « qu'ilsse chauffaient au même foyer ». »

Aristote ne propose donc pas une cité idéale,mais un mode de gestion de la cité, ens'appuyant sur les critères d'ordre qu'il aformulé. Il n'est pas simplement en faveur d'unestructure patriarcale simplifiée, comme dans laRépublique de Platon, où la figure du chef defamille se confond avec celle du personnelpolitique ou encore du roi.

Il est véritablement pour former desindividus, afin qu'ils soient en mesured'appréhender la complexité de la réalité. Dieumet en mouvement le monde, l'âme le corps, lemaître l'esclave, selon des modalités multiplesqu'il s'agit d'étudier afin de réaliser cela demanière la meilleure.

C'est la raison pour laquelle Aristote rejetteSocrate et Platon, qui voulaient que l'élite,forcément masculine, partage en communautéles enfants, les femmes et les biens. La cité n'estpas une famille, ni un individu, c'est unassemblage de figures diverses.

Ces figures diverses s'associent cependant,l'association étant l’État, qui doit se gérercomme une sorte de partition musicale. Aristotedit ainsi :

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« L'État, en effet, est une sorted'association ; s'il est une association decitoyens obéissant à une constitution,cette constitution venant à changer et à semodifier dans sa forme, il s'ensuitnécessairement, ce semble, que l'État nereste pas identique ; c'est comme lechœur, qui, figurant tour à tour dans lacomédie et dans la tragédie, est changépour nous, bien que souvent il se composedes mêmes acteurs.Cette remarque s'applique également àtoute autre association, à tout autresystème, qu'on déclare changé quandl'espèce de la combinaison vient à l'être ;c'est comme l'harmonie, où les mêmessons peuvent donner tantôt le modedorien, tantôt le mode phrygien. Si doncceci est vrai, c'est à la constitutionsurtout qu'il faut regarder pour prononcersur l'identité de l'État. »

On retrouve ici comme chez Pythagore lethème du monde comme étant « organisé » etdont il faudrait connaître les chiffres lecomposant afin de parvenir à l'harmonie, à ceciprès qu'Aristote prône une adaptation à lasituation.

Par conséquent, il pose la question de ladirection politique, qui varie, car, selon lui, enparlant de la cité-État:

« Elle ne peut d'une part se passer delaboureurs, d'artisans et de mercenaires detout genre ; mais d'autre part, la classeguerrière et la classe délibérante sont lesseules qui la composent politiquement.Ces deux grandes divisions de l'État sedistinguent encore entre elles, l'une par laperpétuité, l'autre par l'alternative desfonctions. »

Aristote dresse alors tout un panorama dessituations possibles. Il dresse ainsi, en quelquesorte, le premier inventaire de « sciencespolitiques ». Voici ce qu'il dit :

« Les déviations de ces gouvernementssont : la tyrannie, pour la royauté ;l'oligarchie, pour l'aristocratie ; ladémagogie, pour la république. Latyrannie est une monarchie qui n'a pourobjet que l'intérêt personnel dumonarque ; l'oligarchie n'a pour objet quel'intérêt particulier des riches ; la

démagogie, celui des pauvres. Aucun deces gouvernements ne songe à l'intérêtgénéral (…). La tyrannie, comme je viensde le dire, est le gouvernement d'un seul,régnant en maître sur l'associationpolitique ; l'oligarchie est la prédominancepolitique des riches ; et la démagogie, aucontraire, la prédominance des pauvres, àl'exclusion des riches (…).C'est un grand problème de savoir à quidoit appartenir la souveraineté dansl'État. Ce ne peut qu'être ou à lamultitude, ou aux riches, ou aux gens debien, ou à un seul individu supérieur parses talents, ou à un tyran. L'embarras est,ce semble, égal de toutes parts (…). Toutesles sciences, tous les arts ont un bien pourbut ; et le premier des biens doit êtrel'objet suprême de la plus haute de toutesles sciences ; or, cette science, c'est lapolitique. Le bien en politique, c'est lajustice ; en d'autres termes, l'utilitégénérale. »

On l'aura compris : l'utilité générale, endéfinitive, est définie par la religion, par lamétaphysique, par les philosophes. MaisAristote tombe alors dans une contradiction.Faut-il en effet combiner politique, sciences etreligion ?

D'un côté, Aristote privilégie clairement lavertu, la recherche « philosophique » d'unevision politico-religieuse adéquate. Il dit ainsiclairement :

« Partout où l'éducation a été négligée,l'État en a reçu une atteinte funeste. C'estque les lois doivent toujours être enrapport avec le principe de la constitution,et que les mœurs particulières de chaquecité assurent le maintien de l'État, demême qu'elles en ont seules déterminé laforme première. Des mœurs démocratiquesconservent la démocratie ; oligarchiques,elles conservent l'oligarchie ; et plus lesmœurs sont pures, plus l'État est affermi(...)Pour nous, il est de toute évidence que laloi doit régler l'éducation et quel'éducation doit être publique. »

Mais en faisant de la vision « cosmologique »l'aspect principal, il est obligé de repousser àl'arrière-plan les intérêts individuels. Aristotesouligne de fait la vanité qu'il y a à ne pas se

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contenter de se subordonner à l'ordre cosmique.Il dit clairement, s'opposant à l'esprit deconquête :

« L'homme vertueux peut savoirnoblement supporter la misère, la maladieet tant d'autres maux; mais le bonheurn'en consiste pas moins dans lescontraires.Dans la Morale encore, nous avons définil'homme vertueux : l'homme qui, par savertu, ne prend pour des biens que lesbiens absolus ; et il n'est pas besoind'ajouter qu'il doit aussi savoir faire deces biens-là un emploi absolument beau,absolument honnête. De là même estvenue cette opinion vulgaire, que lebonheur dépend des biens extérieurs.Autant vaudrait attribuer un jeu savantsur la lyre à l'instrument lui-même plutôtqu'au talent de l'artiste. »

En pratique, la tradition d'Aristote vaabandonner la religion toujours plus, pour setourner vers la science et la bonne politique.

Ainsi, lorsque Mahomet va réaliser d'unecertaine manière l'appel d'Aristote à formulerune vision politico-religieuse combinant moral,politique et métaphysique, le courant «philosophe » va directement prendre appui surAristote.

Et, à partir d'Al-Farabi, il va soutenir lascience et le roi contre la religion, culminant enfin de compte dans l'averroïsme. C'est en ce sensque si Aristote tente de justifier une visionpolitique où les citoyens esclavagistes gèrent aumieux leur vie, au final la justification qu'il atrouvé - la cosmologie qui lui est propre – a étéune bombe à retardement matérialiste, réaliséepar Al-Farabi, Avicenne, Averroès.

Quant à l'empire d'Alexandre le Grand, ils'effondrera immédiatement, cédant la place àl'empire romain. C'est alors la perspective dePlaton qui triomphe surtout, pavant la voie auchristianisme.

Première publication : août 2014Illustration de la première page: détail de L'école d'Athènes de Raffael lo Sanzio, Platon à gauche, Aristote à droite

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