RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

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    Revue Philosophique de Louvain

    Philosophie de la philosophieClmence Ramnoux

    Citer ce document Cite this document :

    Ramnoux Clmence. Philosophie de la philosophie. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisime srie, tome 66, n92,

    1968. pp. 581-596;

    doi : 10.3406/phlou.1968.5457

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457

    Document gnr le 24/05/2016

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_202http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1968.5457http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1968.5457http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_202http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_92_5457http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/
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    hilosophie

    de

    la

    philosophie

    Nous

    poserons

    des

    questions relevant

    d une

    discipline

    que nous

    appellerions volontiers philosophie

    de

    la philosophie

    :

    critique

    de

    la

    philosophie

    envisage comme phnomne de culture

    parmi

    les autres,

    sans aucun

    privilge

    a

    priori

    sur

    les

    autres.

    Prcisons

    que

    par

    philosophie nous

    voulons dire une cration

    vivante,

    et non

    la

    rptition

    morte des crations

    du pass,

    ou l exposition de

    pices

    curieuses dans

    le

    muse imaginaire

    de

    toutes

    les cultures. Prcisons aussi que

    nous

    parlons

    de

    la philosophie en

    tant

    qu elle s occupe des plus grandes

    choses : pratiquement les questions d origine, de fin et de limite.

    Voici

    quelques-unes de

    nos questions

    :

    dans

    quelles conditions

    une

    tradition proprement

    philosophique nat-elle, s panouit-elle, meurt-

    elle ? La ntre

    est-elle

    en

    train

    de

    mourir ?

    Pourquoi

    certaines cultures

    se passent-elles tout

    fait de

    philosophie

    ? D ailleurs y a-t-il eu

    jamais

    de

    philosophie

    ailleurs

    qu en

    Grce,

    et

    dans

    l Europe

    hritire

    de

    la

    Grce ?

    Pourquoi

    certaines cultures prouvent-elles le besoin

    de

    philosopher leur religion, comme les

    Pres

    de l glise, et surtout les Pres

    grecs

    l ont

    fait

    ? Pourquoi d autres

    cultures, ou d autres ges des

    mmes cultures,

    prouvent-elles

    le

    besoin

    de rinvestir leurs

    philosophies dans des formes religieuses, avec tout un appareil

    de mythes,

    de rites,

    et

    mme une vie de communaut? Comme il

    semble

    bien

    que les sectes

    gnostiques

    grecques

    l ont

    fait,

    et

    comme il

    serait arriv

    au Bouddhisme. Ces questions obligent d ailleurs

    reconsidrer le

    caractre des

    communauts

    porteuses

    de

    livre,

    de

    doctrine orale,

    ou

    de

    ce

    qu elles appellent

    du

    nom de

    la Vrit .

    Leur typologie

    systmatique

    inclurait

    certainement

    le mode de transmission

    des

    doctrines

    qualifies

    de

    philosophiques .

    Cette

    philosophie

    de

    la philosophie

    est aussi une mise

    en

    question

    de

    la

    philosophie, et elle commence par suspendre la question de la

    vrit. Elle

    s intresse aux formes

    de

    la transmission,

    et

    singulire-

    (*) Texte

    d une

    leon

    publique

    donne Bruxelles, Ycole

    des

    Sciences

    'philosophiques

    et

    religieues

    de

    la

    FacuU

    universitaire

    Saint-Louis,

    le

    22

    fvrier

    1968.

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    582

    Clmence Ramnoux

    ment aux modes de l criture, puisque

    c est

    par l criture,

    et

    dans

    des

    textes, que

    nous est parvenu ce

    que

    nous

    appelons les

    grandes

    philosophies du

    pass.

    D o le choix que nous

    avions

    fait nagure

    des textes de

    la

    tradition prsocratique : ils

    poussent

    au jour,

    en

    effet,

    en

    un ge de

    mutation,

    dans

    la contestation,

    ou dans l accommodation

    des rcits sacrs

    traditionnels. La tradition

    en question avait

    d ailleurs

    subi, au

    pralable,

    maints

    bouleversements,

    et maintes

    restructurations lies

    l histoire

    sociale et politique.

    Une

    partie de notre

    thse

    consiste dire que

    la restructuration

    philosophique

    est

    reconsidrer

    dans

    la perspective

    des

    autres

    restructurations, que les

    philosophes

    ont

    le tort d abandonner aux

    historiens

    des religions.

    Les

    textes

    prsocratiques poussent

    au

    jour en

    profitant de

    ce qu on

    peut appeler

    la

    mutation

    d un

    champ smantique,

    ou en

    la

    provoquant.

    Les

    anciens

    donnaient dj les textes

    de Thaes

    et

    d Anaximandre

    pour les

    premiers

    de

    la philosophie. Les

    modernes aprs

    eux et

    d aprs

    eux

    parlent

    toujours

    d une

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    Philosophie de

    la philosophie

    583

    servateurs

    et

    les interprtes

    d une

    tradition, au contraire,

    le champ

    tait ouvert pour la philologie.

    Nous

    citions

    tout

    l heure

    Empdocle

    en

    exemple.

    A

    en croire

    ses

    plus rcents interprtes, Empdocle aurait pratiqu lui-mme,

    et

    non

    sans

    gnie, l exprience, au

    niveau,

    par

    exemple,

    o l on

    va

    voir

    ce

    qui

    se passe

    dans un

    uf

    germ. Si

    l on croit l uf

    cosmique,

    il

    y faut

    ou bien beaucoup

    de hardiesse,

    ou bien beaucoup

    de

    confiance

    en

    sa mission. Empdocle confesse que

    nul

    vivant-mortel

    n est

    capable

    de

    percevoir

    le tout. Cependant

    son oeuvre contient une

    description totalisante : nous croyons pouvoir

    l inscrire

    dans

    un

    schma

    imaginaire ;

    nous

    avons soutenu

    la

    thse, d ailleurs

    contestable, que

    le

    dit

    schma

    imaginaire

    s articule

    selon

    la

    structure

    d un

    cycle

    mythique.

    Empdocle serait

    donc plus enracin dans la

    tradition

    qu on ne croit,

    ou enracin dans une tradition plus dfinie

    qu on

    ne croit.

    Il

    serait

    hautement

    reprsentatif

    du type des accommodateurs ,

    plutt que

    du

    type des contestateurs .

    Cet

    article-ci relvera d autres

    exemples pour poser

    des questions

    plus compromettantes

    :

    qu est-ce

    que

    cela me dit,

    prsent,

    moi ?

    Faisant ce que je fais, tudiant les formes

    de

    prsentation des

    sagesses

    archaques, est-ce

    que

    je fais

    oeuvre

    vivante? Et

    que

    deviennent

    les

    sagesses

    du temps

    prsent, si

    on retourne contre elles

    les mthodes

    apprises avec

    et

    contre les

    sagesses

    du

    pass

    ?

    Que l on

    relve

    donc

    l exemple

    du discours

    ontologique de Parm-

    nide.

    Par

    sa structure, il est opposable aux formules d Heraclite. A

    vrai

    dire,

    la loi prsume du discours hracliten est beaucoup plus

    difficile saisir que la loi

    de

    progression du discours parmnidien.

    On ira, croyons-nous, droit l essentiel,

    en

    prenant les formules comme

    des

    phrases, articules chacune sur un ou

    quelques couples

    contrasts

    de

    mots. Il

    s agirait,

    en

    somme, d illustrer,

    en

    les mettant

    en phrases,

    les couples de

    contraires

    qui constituent le code

    de cette

    sagesse, selon

    une

    mode

    commune

    aux

    sagesses du

    mme

    ge

    (1).

    C est pourquoi

    nous

    nous

    sommes exprime ailleurs

    en

    disant que ces

    formules donnent

    un exemple

    de

    philosophie

    rduite

    sow

    code

    mis

    en

    phrases.

    Le travail

    est

    fait, parfois,

    avec une

    habilet surprenante, parfois

    ngligemment

    :

    on se contente de rassembler sous un en-tte

    une

    pure

    enumer tion de couples. C est un

    et

    le

    mme que

    ... , Le dieu est ... , Choses

    (i) Nous

    renvoyons notre

    communication

    prsente

    au congrs

    des Socits de

    philosophie

    de

    langue franaise de

    septembre

    1967, et

    notre

    postface

    la

    seconde

    dition

    de

    notre Heraclite.

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    Clmence

    Ramnoux

    prendre

    ensemble

    ... , Choses

    attacher

    : suivent des

    couples

    tantt plus abstraits, tantt plus

    concrets.

    Parfois encore, les

    couples

    sont

    parvenus

    l tat

    de pices dtaches

    cites

    dans

    le

    contexte

    d un

    doxographe.

    Cela

    ne veut pas dire que les sentences ainsi formes

    soient

    vides

    de

    sens. Au contraire,

    le

    jeu consiste

    arranger habilement

    les mots

    de

    faon former

    un

    sens, ou mme double-sens, ou

    condenser

    le

    plus

    de

    sens possible avec

    le moins de mots.

    On compltera

    l essentiel

    en

    disant

    que les sentences semblent renvoyer

    les unes aux

    autres par l articulation d un vocable rpt. Ce mode d articulation

    n exclut pas

    la possibilit

    d emboter, d adapter les unes aux autres

    les phrases,

    de

    plusieurs

    faons. On

    tiendrait ainsi

    un

    discours

    de

    structure, disons,

    labyrinthique, ramenant

    plusieurs reprises aux

    carrefours les plus importants.

    Maintenant,

    quel effet cela

    me fait-il

    prsent moi

    ?

    Premirement,

    entrer dans

    le

    jeu justement

    dveloppe l esprit de

    jeu,

    le

    contraire

    de

    l esprit

    de lourdeur

    , mme si les rgles du

    jeu

    n ont pas

    t restitues comme

    il

    faut,

    et

    le vrai sens a encore chapp.

    Mme

    si le vrai sens a chapp, la

    recherche

    fait beaucoup travailler,

    en

    remuant beaucoup de sens : le chercheur d or dit le matre, remue

    beaucoup de terre

    pour trouver

    un peu

    d or.

    Finalement

    ce

    but,

    dsign

    de

    loin comme

    le

    vrai sens , recule

    et

    recule encore, sans

    jamais

    cesser

    de

    solliciter.

    Si on

    ne

    le

    visait pas,

    en

    le

    diffrenciant

    des interprtations fallacieuses, on cesserait de

    travailler.

    Si on croyait

    l avoir trouv, on

    cesserait

    de

    travailler.

    La vise

    du sens maintient

    donc en tat d alerte, l attention fixe sur le texte mme

    et

    ses

    moindres

    accidents, de faon carter de

    lui

    tout ce qui ne colle pas exactement

    la

    parole authentifie,

    en

    laguant les interprtations

    prolifrantes.

    Une attitude

    se fomente,

    une habitude

    se

    nourrit, qui applique au

    texte mme, comme

    l homme

    de science

    s applique

    la chose

    mme,

    avec

    le dsir

    toujours

    insatisfait,

    sans cesse

    renouvel, de

    trouver

    le

    sens

    authentique

    par

    del

    les

    interprtations.

    Par

    opposition aux

    formules

    hraclitennes, le

    discours

    ontologique

    de Parmnide se prsente

    comme avanant

    selon une

    seule

    voie simple .

    La

    voie reprsente, sans doute, les dlinaments

    prliminaires

    du discours

    encore

    crire

    :

    c est--dire

    la fois

    le thme

    et

    les articulations, au sens de

    la

    structure

    rythmo-potique et

    de

    la

    structure

    grammaticale, dj plus

    que

    grammaticale,

    et

    non

    pas encore

    tout fait logique. La

    voie

    que

    suit

    le

    discours

    transmis par

    Sim-

    plicius, numrot 8 dans

    la

    collection de

    Diels,

    se prsente comme

    la

    suite

    purement

    linaire

    de

    50

    vers

    la

    queue

    les

    uns des autres.

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    Philosophie

    de h, philosophie 585

    Purement linaire est une expression qui fait mal sentir l intensit

    de

    l effort

    tendant

    fermer le discours sur lui-mme au moment

    de

    le clore. Grammaticalement, le sujet

    en

    question reste non nomm,

    ou nomm par le participe prsent

    du verbe et

    trait comme un

    substantif

    neutre.

    Grammaticalement, ce

    sujet non nomm d un

    verbe

    tre

    la

    troisime personne de l indicatif prsent

    rassemble

    une

    concatnation

    d attributs appels des

    signes,

    ou des bornes sur la

    route.

    Il

    y en

    a 8 de

    nomms

    : non-n, indestructible, tout d une seule

    masse,

    inbranlable,

    non

    terminer,

    tout entier tout

    la fois prsent,

    un

    et d un seul

    tenant.

    Nous

    ne

    savons

    rien

    d eux,

    si ce n est

    que

    justement ils marchent

    ensemble,

    ils se

    tiennent

    l un l autre comme par

    la

    main,

    et

    marchent

    tous

    ensemble avec ce sujet-l.

    Les

    logiciens s expriment en

    disant que

    ces sept

    ou

    huit-l,

    enchans

    les

    uns

    aux

    autres par

    une

    loi

    de

    cohrence

    systmatique, constituent justement

    l essence de

    la chose en question.

    Leur

    cohrence systmatique

    suffit

    constituer le

    champ

    smantique

    o elle se

    dfinit.

    Si l on veut bien lire

    en admettant

    que

    la

    suite

    des vers

    reprend

    l numration en ordre, avec

    des

    accidents

    de

    parcours dont la maladresse

    confirme

    l authenticit, si on

    lit

    en

    admettant que la suite des vers commente chaque signe en aggravant

    sa densit, avec un grand

    effort

    pour

    enchaner

    les jointures, alors

    on croira

    mieux

    deviner

    ce

    que chaque signe veut dire : inversement,

    la

    mise

    en

    place

    des dveloppements

    les plus

    litigieux

    les

    claire.

    La rsurgence

    priodique, et quasi redondante, d une

    entit

    divine

    reprsentant sous

    trois noms,

    Dik,

    Anank,

    Moira,

    trois

    formes de

    la desse

    aux

    liens,

    contribue

    resserrer la solidit

    de

    la

    chane.

    Le

    tout

    referm sur

    soi-mme voque

    finalement

    l image de

    la Sphre.

    Inutile de demander si

    la

    Sphre reprsente le tout d un univers

    qualifi par

    les modernes

    de matriel, ou

    une

    structure

    gomtrique

    idale, ou une

    mtaphore

    pour le discours

    parfaitement constitu :

    elle appartient une couche

    de

    culture o l entit gomtrique n est

    pas

    encore

    clairement distingue

    de

    l entit physique,

    et

    la

    mtaphore

    glisse au

    symbole avec une

    espce

    d innocence.

    Les uns aprs les

    autres, de

    multiples interprtes

    ont relu

    et

    retraduit ce morceau clbre,

    en projetant

    dedans

    une

    inpuisable

    richesse de penses. Mais

    la

    prtention de

    nos contemporains va

    plus

    loin.

    Elle va

    dpasser la

    srie

    des

    rinterprtations

    rduites une

    fonction de

    la

    personne,

    ou

    de

    l poque

    de

    l hermneute. Une lecture

    purement formaliste

    du

    texte se prsente

    alors

    comme invitable

    tentation.

    Purement

    formaliste

    veut dire que sept ou huit vocables

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    586

    Clmence

    Ramnoux

    restent lis entre

    eux

    par leur appartenance

    commune

    un

    seul et

    mme sujet, d ailleurs

    parfois non

    nomm dans le

    texte,

    mais

    toujours

    impliqu comme le

    sujet du

    verbe tre employ avec un accent,

    et

    le

    sens

    fort.

    Sept

    ou

    huit

    vocables

    sont rendus solidaires par

    des concatnations assures

    grand

    renfort

    de mots de

    liaison,

    et

    la triple invocation la desse aux liens. Ils

    prennent

    sens les uns

    en

    relation

    avec

    les autres.

    Tous ensemble

    dfinissent un

    champ

    smantique, dans

    lequel

    la redondance

    de

    l tre prend

    un

    sens qu il ne

    faut

    pas chercher plus loin.

    Il

    ne faut pas chercher

    dfinir l tre

    autrement ni ailleurs. Explorer l espace

    ainsi

    dlimit reste ce que

    nous

    pouvons

    faire, et rien

    de plus.

    Nous

    admirons alors

    deux choses :

    la

    premire, que le vieux

    matre

    ait

    russi

    condenser

    dans

    son

    difice

    verbal

    le

    lent

    dpt

    de

    plusieurs

    gnrations

    d cole,

    en queste de parler des plus grandes

    choses

    avec

    des

    mots

    purs. La

    seconde,

    que le vieux matre

    ait

    russi

    constituer le

    champ

    smantique dans lequel les discussions

    ultrieures

    vont

    s inscrire,

    en

    s affrontant

    coups de

    formules

    renverses. Elles continuent s affronter avec les mmes vocables, en

    s inscrivant

    pour ou contre l tre un, immuable, indivisible

    et

    limit.

    Toutes vont

    prendre position par rapport

    la problmatique ainsi

    mise

    jour :

    comment est-il possible

    que

    toutes choses nous

    apparaissent

    multiples

    et

    changeantes,

    sur un fond

    d tre

    suppos

    un

    et

    identique

    ? Les

    doctrines subsquentes peuvent chercher

    la mdiation

    d un jeu fini

    ou infini d lments

    inchangeables,

    quoique

    interchangeables.

    Elles

    peuvent choisir

    de

    nier l tre absolument. Dans

    tous

    les

    cas,

    les doctrines

    ultrieures prennent

    leur sens dans le

    champ

    dfini par

    l ontologie

    de

    Parmnide, en prenant

    position

    pour

    ou

    contre

    , et

    les

    unes

    contre les autres.

    Le discours

    parmnidien se

    situe

    donc l articulation entre

    un

    pass d cole qu il achve,

    et

    un

    futur de

    philosophie

    dont

    il

    a labor le canevas.

    Mme

    aprs

    avoir

    mis

    entre

    parenthse

    la

    question

    de

    la

    vrit,

    nul ne

    pourrait

    ne

    pas

    admirer ces effets-l.

    Il

    est certain que Parmnide

    n a

    pas

    mis

    entre parenthse

    la

    question

    de

    la vrit.

    Bien au contraire, le nom de

    la

    Vrit prend

    dans son discours

    le

    sens

    qu il gardera

    en philosophie pour

    le meilleur

    et pour le

    pire.

    Sa prtention allait plus loin qu condenser

    un

    vocabulaire

    original,

    en

    ouvrant le

    champ

    clos des dbats futurs.

    Il

    croyait

    penser

    en parlant,

    parler

    en

    pensant, puisque parler, penser font une

    seule et mme chose, et

    font un

    avec la chose

    mme.

    Pourtant,

    le

    lisant

    distance, avertis

    contre les dangers des projections

    abusives

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    8/17

    Philosophie de la philosophie 587

    ou des

    transferts

    inconscients, il vaut

    mieux

    le lire

    sans rien

    changer,

    non pas mme un accent, au

    texte de

    la

    meilleure

    transmission.

    Il

    vaut

    mieux

    le

    lire

    en

    vitant

    provisoirement

    de

    mettre

    dedans

    des

    sens

    nous. Le texte ressort alors

    avec son opacit,

    opposant

    son

    nigme toujours vivante

    la

    ronde des interprtations. Lire ainsi,

    n est-ce pas lire potiquement

    ?

    Ce serait donc commettre un attentat

    que de

    dire

    :

    ces textes

    n ont

    plus pour nous ni sens, ni vrit; ils font l objet d une lecture

    purement

    formelle;

    ils

    sont bons

    fournir un motif des exercices

    de

    traduction

    ou

    d analyse. D une part,

    le scrupule philologique

    nous

    oblige en effet les soumettre

    des exercices

    de lecture

    formelle,

    les dpouillant des fantaisies interprtatives. D autre part, le vrai sens

    de Parmnide recule

    et

    recule encore

    l horizon

    de

    la

    recherche,

    une

    recherche

    non finie

    avec

    des

    horizons

    toujours

    fuyants. La lecture

    gagne alors la fois en science

    et

    en mystre.

    Ce que le lecteur y gagne, lui, c est de s habituer une

    discipline

    et

    une

    frustration.

    Ayant

    gagn cette

    saine

    habitude sur

    ces

    textes

    lointains, il

    la transportera volontiers aux autres

    textes,

    mme aux

    textes prochains

    de

    la

    philosophie. Tous prsent galement

    il

    va

    les soumettre au mode formaliste de

    la

    lecture : dgager un vocabulaire

    dont

    les termes

    principaux

    prennent leur

    sens

    les

    uns par rapport aux

    autres

    ;

    rduire les

    contextes

    des

    philosophmes, dont

    l nonc

    sera

    soumis l analyse

    vrifier

    les

    modes

    de concatnation entre noncs

    principaux.

    Nous savons par le

    tmoignage

    des

    logiciens

    que beaucoup

    de textes,

    et mme des plus

    sducteurs, rsistent

    mal

    ce

    mode de

    lecture.

    Mais

    ce mode

    de lecture

    ne

    suffit encore

    pas.

    Il

    en faut encore

    un autre pour lequel

    la

    lecture

    formelle sert

    d preuve de purification.

    Une

    catharsis

    indispensable fait crouler les textes creux, disparatre

    les interprtations

    inadquates. Ce travail

    fait, il serait drisoire de

    comparer

    le tissu restant au tissu d une mathmatique. Le reste ne

    fait

    peut-tre

    rien

    d autre que

    construire

    un

    difice

    verbal

    beau

    par

    par lui-mme,

    mais un

    difice prpar tout

    de

    mme pour recevoir

    quelque

    chose. Quoi

    donc

    au

    juste ?

    Nous n avons envie de

    rpondre

    ni

    l tre

    mme, ni le Dieu inconnu. Le

    nom

    mme

    de

    l tre

    et

    celui du

    Dieu

    s y

    rduisent des vocables parmi les autres,

    et

    leur

    redondance

    impuissante

    invite

    chercher encore plus loin, ou se

    taire. Cette

    exprience constitue le mode

    potique de

    la lecture. Nous savons

    aussi, par le tmoignage des bons connaisseurs, que beaucoup

    de

    textes,

    et mme des textes clbres rsistent mal cette

    preuve-l.

    Voil

    pourquoi,

    aux

    philosophes

    qui

    organisent

    leur

    pense

    en

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    9/17

    588 Clmence Ramnoux

    systme et

    calquent

    les modes d expression

    de

    la

    science,

    mme si

    cette science n est plus

    la

    gomtrie,

    nous

    prfrons pour notre

    part

    les briseurs de systmes,

    et

    le mode d expression de

    la

    formule ou

    de

    la posie. A condition

    bien

    sr

    que

    ce

    mode de

    l expression ne

    soit pas le fruit d une impuissance construire, mais plutt les

    dbris

    d une construction prvue

    et

    refuse,

    remodele

    et refuse encore,

    comme inadquate perptuit. La lecture potique,

    ajoute

    la

    lecture

    smantique,

    ne

    se

    contente pas

    de

    respecter

    un

    agencement

    de

    mots.

    Elle

    essaye sur les

    mots

    des vcus

    de

    sens , quitte les

    rejeter

    et

    rejeter encore, comme

    inadquats

    ce secret

    : le

    vrai

    sens d un

    crivain diffrent et

    trs ancien.

    Ce

    faisant, elle

    ne

    cesse de viser

    le

    vrai

    sens,

    et

    non contente

    de le viser

    elle

    recreuse, elle largit le

    vide autour

    de

    lui.

    La lecture critique des textes anciens

    d une tradition exige

    donc

    un entranement

    spcial, trs

    semblable l exgse des textes religieux.

    Au terme

    de

    cet

    entranement,

    la critique se

    retourne contre

    les autres

    textes, ceux de tradition

    rcente et en apparence sans mystre.

    Elle

    va rejoindre

    alors,

    jusqu

    un

    certain

    point,

    la critique des logiciens

    mais

    jusqu

    un certain point seulement.

    Pour mieux nous expliquer, nous

    avions

    song

    prendre pour

    exemple

    un

    texte dj ancien (il date

    de

    la dcade 30-40)

    et

    connu

    du

    logicien

    Carnap. Carnap

    y

    dmonte

    un

    texte

    de

    Heidegger

    avec

    le dessein de

    prouver

    que

    ce

    texte

    ne

    signifie

    rien.

    Le processus

    consiste

    :

    1

    rduire le

    contexte choisi

    des noncs

    simples ;

    2

    se

    livrer

    l exercice

    appel analyse

    d noncs

    ;

    3

    reformuler les

    noncs

    rduits

    avec les

    moyens propres de

    la logique.

    La

    conclusion

    est

    qu une

    srie

    d noncs,

    qui prennent un sens

    quand

    on

    met en

    position de

    sujet

    un nom dsignant un

    donn

    exprimental,

    la pluie

    dans l exemple en question, et en position

    de

    verbe

    il

    pleut , la

    mme

    srie

    d noncs, ou des noncs

    de

    mme

    forme,

    ne font plus

    aucun

    sens,

    quand

    on

    met

    la

    place

    de

    sujet

    un

    terme

    qui

    ne correspond

    plus

    aucune

    exprience,

    bien

    qu il garde la forme grammaticale

    d un

    substantif

    comme

    le nant

    (2).

    Plutt

    que ce texte sign d un nom clbre,

    nous

    prfrerions

    prendre

    pour

    exemple

    l exercice

    d un collgue logicien,

    tendant

    dnoncer, et

    dmonter

    ce

    qu il

    appelle l illusion ontologique (3).

    (2) La

    science

    et la mtaphysique devant l analyse

    logique du langage,

    p. 26.

    (3)

    Communication

    au

    congres

    des socits

    de philosophie

    de langue franaise,

    septembre 1967,

    pp.

    39-41.

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    10/17

    Philosophie de

    la philosophie

    589

    M. Trottignon y attaque le discours ontologique par un seul nonc

    principal, savoir A est A.

    Il

    commence par montrer que le

    verbe

    tre

    est

    ici

    employ

    dans

    un

    sens

    quivoque.

    L quivoque

    du

    verbe

    tre

    est

    connue

    de

    longue date,

    puisque les

    catgories d Aristote

    ont

    prcisment

    pour fin

    de

    dire en quels sens le verbe tre se

    prend.

    Bien que le sens

    soit quivoque, au su d Aristote, celui-ci admettait tout

    de

    mme

    la

    possibilit de parler de

    l tre,

    ou de ce qui est en tant prcisment

    qu *7

    est,

    parce

    que les emplois

    divers

    et discernables

    se

    rapportent

    tous

    une seule et mme chose.

    La

    rigueur d Aristote, qui n est pas

    comparable

    celle du logicien contemporain, consiste connatre et

    avouer le moment

    o la

    sagesse renonce

    la

    perfection de

    la

    rigueur.

    L analyse

    dcompose

    donc

    l nonc

    A est A, en A est d un

    ct,

    de

    l autre

    est

    A, en

    dissociant deux

    sens

    du verbe

    tre.

    Elle

    le

    recompose

    ensuite

    l aide

    d une

    copule artificielle, une copule

    logique

    dite neutre,

    dont

    on

    ne

    connait

    mme

    pas

    d abord la

    valeur exacte,

    mais qu on

    dsigne

    par

    un signe.

    Ce

    signe se laisse

    lui-mme

    rduire

    en plusieurs

    facteurs,

    parmi

    lesquels un

    signifie en tous

    temps, un

    signifie

    sous tous

    les rapports. Le rsidu pourrait alors s exprimer

    il

    existe une relation

    constante entre A est

    et

    est A.

    Le membre

    en

    fonction de

    sujet rassemble

    un

    nombre

    indfini

    de

    virtualits exprimables en lui accrochant des

    attributs, exactement

    comme

    Parmnide accroche

    un

    sujet

    non nomm des

    signes,

    en

    nombre

    fini,

    qui marchent tous ensemble. Ici, supposant un nombre

    fini d attributs,

    ils entretiennent entre

    eux

    un

    nombre fini

    calculable

    de

    relations.

    La meilleure

    loi

    de

    cohrence systmatique entre

    les relations exprime l essence de A.

    Le second

    terme,

    en position d attribut dans

    l nonc

    reconstitu,

    a

    pour

    sujets

    possibles une

    srie de termes lis entre

    eux

    par

    une

    seule loi. Ils

    font

    tous des sujets possibles pour cet attribut-l.

    Donc, dans

    le

    premier terme,

    le

    verbe tre

    a le

    sens d une

    essence

    qui

    dfinit

    les

    limites

    d un

    systme.

    Dans

    le

    second

    terme,

    le

    verbe tre

    a le

    sens

    d une

    gense

    qui constitue une srie.

    La relation

    qui est incluse dans l nonc

    correct

    du principe

    ontologique d identit nonce

    elle-mme

    qu il existe une

    relation

    constante,

    en

    tous temps

    et

    sous tous les

    rapports,

    entre le

    systme

    qui

    constitue l essence de

    A, et

    le devenir o se produit

    la gense

    de A.

    L illusion ontologique

    se produit

    quand

    on fait

    converger les

    ides

    de

    systme et

    de srie

    jusqu au point o

    elles

    se confondent.

    Si

    nous

    avons compris, le systme qui constitue l essence de tout

    ce

    qui

    est

    se

    confond

    avec

    la

    gense

    d une

    srie

    identifiable,

    la

    limite,

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    11/17

    590

    Clmence Ramnoux

    avec

    un Individu, substituable

    la

    lettre A,

    et

    dsignable

    autrement

    par

    le pronon

    II.

    Mais

    nous prfrons

    reprendre le texte de

    notre

    auteur :

    Cette illusion est dsigne dans

    la

    formule par le signe

    Z,

    qui

    sans doute

    exprime bien un

    acte

    de rflexion,

    mais

    comme

    cet

    acte

    n a

    de

    sens

    que

    dans

    le

    discours

    de

    tel

    ego

    dtermin

    sur

    tel contenu

    d exprience

    dtermin, il exprime

    que

    toute exprience

    suppose une

    rflexion

    de soi

    par

    le

    langage, non qu il

    y

    ait une rflexion du

    soi

    de l tre dans le langage qui est le moyen de cette rflexion. Toute

    tentative

    de

    poser la question

    ontologique au sein

    du

    langage

    relve

    d une confusion

    entre

    le

    moyen

    et les fins .

    La

    critique

    de

    M. Trottignon

    porterait,

    au

    fond,

    sur la possibilit

    de

    faire

    dire

    au

    verbe

    tre

    de

    notre

    langue

    autre

    chose

    qu une

    fonction

    de

    relation, dans laquelle d ailleurs

    le

    sens mme

    de l tre,

    et

    de

    la

    relation

    qu il exprime,

    a

    besoin d tre soigneusement

    analys. A

    est A

    prend un sens satisfaisant

    et clair,

    si

    on veut

    dire que le

    vcu

    rel

    d un

    ego

    dtermin

    comporte

    une relation

    constante avec la

    prsence

    relle

    d un

    objet de

    son exprience.

    L illusion

    lui

    fait

    signifier la

    prsence

    et

    la constance d un grand tre rflchi dans les formes

    de

    la

    langue.

    La critique

    de

    Carnap portait sur la possibilit d introduire

    en

    fonction

    de sujet

    dans

    la

    phrase,

    ou

    dans

    l nonc

    reform

    selon

    les

    exigences du logicien,

    la

    place

    du mot simple dsignant une

    exprience

    facile

    reproduire,

    un

    vocable fabriqu tel que le

    non-tre

    ou le nant.

    On peut bien expliquer comment le vocable

    s est

    form au cours de

    l histoire. On peut

    en

    raconter

    l histoire, en reconstituant

    les

    noncs

    successifs, les

    jeux

    de

    langage

    accumuls

    qui s loignent

    progressivement

    d une exprience d origine. Les deux critiques se rejoignent pour

    nier

    la possibilit

    de constituer un

    discours valable

    sans rfrence

    prcise

    une

    exprience reconstituable.

    La

    critique

    smantique

    des textes

    de

    la

    tradition

    va

    dans

    le

    sens

    de

    Carnap, et

    porte

    de

    l eau son moulin, parce qu elle reconstitue

    la gense

    de vocables

    rares,

    et

    explique

    la

    formation

    d difices

    verbaux

    singuliers,

    tel

    par exemple

    le

    discours ontologique de Parmnide.

    Ces

    difices tiennent grammaticalement

    debout, mme si

    leur

    sens

    se

    laisse difficilement

    rfrer

    une exprience commune. On ne

    peut

    pas montrer

    du

    doigt le

    sujet du verbe

    tre dans l difice

    verbal

    du

    pome parmnidien.

    Mme en

    dessinant

    la

    Sphre, on

    ne

    sait pas

    si

    la

    Sphre

    est physique,

    mathmatique

    ou mtaphorique,

    Pourtant,

    selon

    Parmnide,

    tre,

    penser,

    parler

    s identifient

    quand

    il rcite

    son

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    12/17

    Philosophie

    de

    la

    philosophie 591

    pome. Son pome se veut plein comme un

    oeuf, et

    non vide comme

    une coque.

    Nous

    ne

    pouvons

    pas ne pas respecter ce qui nous est

    dit de

    cette faon -l,

    dit

    et

    mme

    impos avec une pathtique

    insistance. Ou bien suffirait-il, peut-tre,

    en

    rcitant son

    pome,

    de montrer

    du

    doigt n importe quoi de prsent

    ?

    La

    critique

    potique intervient

    donc justement pour

    se substituer

    la critique

    smantique. La

    critique

    potique

    admet

    que de

    grands

    vocables, des

    signes

    sur

    la

    route,

    marchent ensemble,

    et

    tous ensemble dlimitent, pour ainsi dire,

    un espace

    dans lequel remue quelque chose,

    et

    prcisment ce

    que nous

    visons,

    mais quoi(4) ?

    En philosophie

    il

    faudrait faire place, et

    lgitimement place, un

    procd autre que le procd logiquement

    recommandable

    qui

    consiste

    faire

    correspondre

    chaque

    chose

    un

    signe, et

    chaque

    signe

    une

    chose. Autre

    mme

    que celui qui consiste

    dresser l arbre

    des

    sens

    pris par

    un mme

    mot. Celui-ci consisterait cerner une notion,

    insaisissable

    autrement, avec un groupe de mots. A

    condition

    de

    les faire

    marcher tous ensemble, nonpas comme des synonymes, ni

    mme

    comme

    des quivalents, mais comme simultanment ncessaires : leur

    jeu

    dlimite une

    rgion

    o la pense

    bouge avant

    d avoir russi

    dsigner,

    ni nommer. L enchanement

    en

    mode de concatnation logique

    masque alors

    sous

    une fausse apparence

    de

    dmonstration un autre mode

    de

    la

    cohrence,

    ou

    de la cohsion

    :

    la

    cohsion assure

    par

    l attraction

    d un noyau commun impossible

    saisir. Le travail mme

    que

    les

    hommes

    de

    bonne volont

    font

    pour simuler la rigueur d une

    dmonstration

    drisoire trahit une exigence frustre, ignorante de ce

    qui

    pourrait

    la

    satisfaire.

    Pour nous expliquer

    encore un peu

    plus

    avant,

    avec encore

    un peu plus

    de

    compromission, nous citerons un autre texte du mme

    Carnap, en

    montrant jusqu o on peut y souscrire, partir

    d o

    il

    ne

    faut plus,

    et ce qu on

    pourrait bien

    proposer

    la

    place :

    Quel

    rle

    la

    mtaphysique joue-t-elle

    dans

    l histoire

    ?

    Nous

    pouvons

    voir

    en

    elle le

    remplaant

    de

    la

    thologie

    sur

    le plan

    de

    la

    pense conceptuelle. Les

    sources prsumes

    surnaturelles

    de

    connaissance invoques

    par la thologie

    se

    voient remplaces par des sources

    naturelles, mais supposes extra-exprimentales

    de

    connaissance. A

    regarder

    de

    plus prs ce vtement maintes fois

    modifi,

    nous trouvons

    qu il recouvre

    le

    mme contenu

    que le mythe

    (4)

    Un

    ami suggre

    pour

    rponse

    :

    c est

    le

    dsir,

    c est l ros.

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    13/17

    592

    Clmence

    Ramnoux

    Jusqu ici

    on

    peut suivre avec approbation. A partir d ici

    on

    ne

    peut

    plus

    :

    La mtaphysique surgit elle-mme

    du

    besoin de

    donner

    une expression au sentiment de la vie,

    Vattitude

    observe dans la

    vie par tout homme,

    la

    position

    qu il

    prend,

    dans

    l ordre sentimental

    et volontaire,

    l gard

    du monde

    extrieur, de ses semblables, des

    problmes qui retiennent son activit et

    des destins

    dont

    il subit

    l influence.

    Cette vie

    affective la plupart du temps se manifeste, sans

    qu il en ait conscience, dans

    tout

    ce

    que

    l homme

    fait

    et

    dit; elle

    donne son empreinte son visage,

    voire

    sa dmarche. Beaucoup

    prouvent alors le besoin de

    la traduire en

    outre sous quelque forme

    particulire,

    tendant

    rendre

    ce

    sentiment de

    la vie

    perceptible

    plus

    intimement, lui

    donner une intensit

    concentre.

    S ils sont artistes,

    c est

    dans

    quelqu uvre

    d art

    qu ils

    cherchent

    extrioriser

    ce

    qu ils veulent traduire. Retenons

    ce

    qui est

    essentiel

    notre

    thse,

    que l art est

    un

    moyen d expression parfaitement adquat

    mais

    pas

    du

    tout

    la

    mtaphysique

    au sentiment de

    la vie.

    Un

    moyen

    ou un autre,

    nous

    n aurions rien objecter au fond.

    Les

    choses

    pourtant sont

    telles,

    en mtaphysique,

    que par

    la forme

    de ses

    product ions, elle

    donne l illusion

    d tre

    ce

    qu elle n est

    pas. Elle

    se donne

    la forme d une thorie, d un

    systme de propositions servant

    en

    apparence, se

    fonder

    les unes sur les autres; elle semble ainsi possder

    un contenu

    comme

    les

    vraies

    thories, et

    nous

    avons

    vu

    qu il

    n en

    est rien

    ...

    Nous sommes ports considrer

    la

    mtaphysique comme

    un succdan de

    l art, certainement

    trs imparfait

    ...(5).

    Le sentiment de vie est

    srement

    inadquat

    la

    motivation

    de

    la

    mtaphysique. Un excs de

    positivit

    aboutit un excs de

    romantisme. A lire ce texte, on gagerait

    que la

    balance de l histoire

    remplacera

    bientt la prminence du positivisme

    logique

    par une nouvelle

    vague de

    romantisme. Par quoi, pourtant, remplacer

    le

    sentiment

    de

    vie,

    et

    le besoin

    de

    l exprimer avec une intensit concentre ?

    Que

    ce qui

    va

    tre

    dit

    la

    suite

    reste

    l tat

    de

    simple

    suggestion : un

    simple rapprochement

    faire

    entre

    la

    leon que

    l historien

    croit

    pouvoir tirer du

    surgissement de

    la philosophie en

    Grce,

    et

    la

    faon dont

    Lvi-Strauss

    justifie la fonction

    du

    mythe.

    La philosophie

    semble

    surgir dans Vcart

    grandissant

    entre une

    tradition

    dj

    fortement

    problmatise, mais toujours

    vivante, et

    des techniques, au

    sens

    grec de

    la techn , dj rationnelles

    et

    pourvues d un

    vocabulaire adquat, avec des structures de pense propres. Rduit par

    (s)

    Anthropologie structurale, p. 239.

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    14/17

    Philosophie

    de

    la

    philosophie 593

    l analyse, le mythe, selon Lvi-Strauss, se condenserait en des

    relations qui : 1 dfinissent une problmatique 2 essayent

    de

    la

    mdiatiser.

    Citons

    l auteur

    pour

    ne

    pas

    risquer

    de

    fausser

    sa

    pense

    :

    Ce mythe (il s agit

    de

    l histoire d dipe

    et

    de

    sa famille) exprime

    l impossibilit o se

    trouve

    une

    socit

    qui croit l autochtonie de

    l homme

    de

    passer

    la reconnaissance du

    fait que chacun de

    nous

    est rellement n

    de l union

    d un homme et d une

    femme. La

    difficult est insurmontable. Mais le mythe

    offre

    une sorte d instrument

    logique qui permet de jeter un

    pont

    entre le problme

    initial

    :

    nat-on

    d un seul ou

    de deux

    ? Et la

    problmatique

    qu on

    peut

    pproxim tivement formuler

    :

    le mme

    nat-il du

    mme

    ou de l autre ?

    Par ce moyen

    une

    corrlation

    se

    dgage.

    La

    survaluation de

    la

    paternit du

    sang

    est

    la

    sous-valuation de celle-ci comme l effort pour chapper

    l autochtonie l impossibilit

    d y

    russir. L exprience peut dmentir

    la thorie.

    Mais

    la vie sociale vrifie la cosmogonie, dans la

    mesure

    o l une et l autre trahissent la

    mme structure

    contradictoire (6).

    Sans chercher

    mieux

    expliquer les dernires lignes difficiles,

    retenons

    cette leon : que le

    mythe

    surgit

    et

    fleurit

    prcisment l

    o l humanit se trouve aux prises avec une aporie de culture.

    Or

    l histoire

    de

    la philosophie

    attache ses commencements

    formulerait

    avec

    fruit une

    hypothse

    similaire, concernant les

    compositions

    dcores

    du

    nom

    de

    discours

    de la Nature

    substitues

    aux

    cosmogonies.

    L histoire le la philosophie attache ses renaissances aurait mme

    avantage essayer

    la

    mme hypothse sur les mtaphysiques . D o

    l ide de rapprocher

    la philosophie du mythe, mais

    tout

    autrement

    que

    Carnap,

    et sans faire intervenir le sentiment de vie .

    Il

    s agirait

    d une

    solution

    conquise par

    un

    travail

    singulier de

    l intelligence

    sur

    un

    problme insoluble,

    provisoirement

    ou

    dfinitivement.

    Seulement,

    les difficults

    auxquelles rpond

    le mythe

    se dfinissent

    un

    stade

    infrieur, concernant des problmes de l ordre de celui qui tait voqu

    tout

    l heure

    :

    les

    hommes

    naissent-ils

    de la

    Terre,

    ou

    de la

    Mre

    seule, ou des deux?

    La

    Mre produit-elle l homme ou

    offre-t-elle

    seulement la nourriture au germe paternel

    Si

    ces problmes sont

    encore vivants,

    et

    troublants,

    c est dans l imagination

    des enfants,

    ou dans l inconscient infantile des adultes. Ils chappent aux

    philosophes

    et

    aux

    savants,

    parce

    que

    l angoisse

    avec laquelle les

    hommes

    les

    agitaient ne les

    agitent plus, ou

    ne

    les agitent que dans leurs

    rves.

    Non seulement

    la solution

    scientifique

    est acquise, mais elle est mo-

    (6)

    Anthropologie

    structurale,

    p.

    239.

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    15/17

    594

    Clmence Ramnoux

    tivement assimile. Les difficults

    la

    provocation desquelles

    rpond

    la mtaphysique se dfinissent un tout autre

    niveau.

    Elles se

    dfinissent

    aussi

    un

    niveau

    tel

    que

    les

    hommes problmatiss disposent

    de

    vocables,

    de

    modles

    de phrases,

    et

    de concatnation

    d noncs,

    conquis

    dans et par

    le

    travail intellectuel et

    pratique

    fourni pour

    matriser les difficults matrisables, dans la

    lutte

    avec les autres

    hommes

    ou

    la nature. Il

    est

    normal

    qu ils transposent

    ce

    matriel

    pour

    tenter de

    matriser

    des

    difficults

    non

    matrisables. Ce faisant

    ils btissent des ponts, qui

    sont

    des constructions inadquates quoique

    clbres. Telles quelles, ces constructions ont aid des gnrations

    vivre avec

    leurs

    difficults.

    Ce

    fut

    pour

    les Grecs

    la

    difficult

    d accorder

    les

    rcits

    sacrs de

    leur tradition avec

    de

    nouvelles exigences rationnelles ou thiques :

    des exigences

    de

    rationalit acquises

    la faveur

    de diverses

    techniques,

    dont les techniques

    du

    calcul

    et

    de l criture; des exigences acquises

    avec

    les institutions de justice

    et

    de

    gouvernement. Les

    meilleurs des

    Grecs

    ont

    ragi en rapportant aux dieux ou au

    divin

    leurs

    exigences. Mais

    cela ne s est pas fait sans contestation. Pendant

    longtemps, toute leur histoire pourrait-on dire, les Grecs ont conserv des

    constructions

    parallles, dont

    les unes drivaient

    visiblement

    des

    cosmogonies traditionnelles, les autres se prsentaient

    avec

    un

    appareil

    savant,

    et

    avaient

    oubli

    leur

    obscure

    origine.

    Le

    cas

    de

    la

    Grce

    est

    remarquable

    en

    ceci

    qu il

    s agit

    d une

    couche primaire, pourrait-on dire,

    de

    philosophie, primaire en ce

    sens que les nouvelles

    formes

    de

    discours

    taient employes pour la premire fois. Tandis que toute philosophie

    europenne est secondaire, ou

    tertiaire, en

    ceci qu elle difie sur

    l hritage des Grecs.

    Pour l Europe

    moderne,

    la

    problmatique fut d accorder le rcit

    sacr

    de

    la Gense, interprt avec ralisme, avec les

    dcouvertes

    nouvelles en mcanique cleste. Et pour

    nous,

    une

    de

    nos

    problmatiques

    sera

    d accorder

    une

    thique

    traditionnelle, d origine

    chrtienne

    incontestablement,

    avec toutes

    sortes d inventions, dont, par

    exemple,

    la matrise des processus

    de

    la

    procration.

    Il s agit l

    de

    problmatiques

    de

    culture, telles que

    mme

    la solution rationnelle d un problme

    prcis ne

    les supprime pas.

    Dans la

    mesure

    o les reprsentations

    traditionnelles

    sont

    lies aux systmes de

    la parent,

    la

    hirarchie

    sociale

    et

    au pouvoir, on s en dbarrasse par la violence,

    aussi

    bien

    et mieux que par

    la

    raison. Ou sinon

    la

    violence, la lente

    usure

    du

    temps.

    Certaines

    problmatiques de culture

    disparaissent

    tout

    simplement

    avec

    le

    temps,

    aprs

    avoir

    fort

    irrationnellement dur

    pendant

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    16/17

    Philosophie

    de

    la philosophie

    595

    des gnrations.

    Pendant

    tout ce temps les

    hommes

    problmatiss

    ont

    russi vivre : il est tout fait

    habituel, et nullement

    scandaleux,

    qu une

    socit vive

    avec

    ses

    contradictions,

    non seulement

    avec

    mais

    d elles-mmes,

    comme le moteur de

    son dynamisme. Les vocations

    philosophiques seraient

    alors

    motives par une haute exigence de

    rationalit, associe une vive sensibilit aux valeurs religieuses.

    Que

    l une ou l autre vienne

    disparatre,

    ou

    tre incomprise

    dans le

    milieu,

    les

    vocations philosophiques

    vont

    souffrir ou

    disparatre. Leur

    frquence

    serait

    fonction

    d un

    certain dynamisme social li

    la

    pro-

    blmatisation des cultures.

    Telle

    est

    la

    suggestion, telle

    l hypothse

    essayer

    ct

    du

    sentiment de

    vie

    de Carnap.

    Pour tre

    moins

    romantique,

    elle

    n en

    dmystifie pas moins

    d une

    certaine faon la philosophie. Quel rle

    accorder

    dans

    ce

    cas

    la

    mtaphysique dmystifie

    ?

    dans une culture

    hyper-lucide,

    et

    largement

    dbarrasse de sa

    tradition. Que nous

    reste-

    t-il faire,

    nous,

    philosophes

    de

    ce

    temps, qui

    ne

    soit de

    l histoire ?

    Nous

    reste-t-il seulement souffrir et

    disparatre?

    Nos

    historiens

    ont dj reconstitu l anamnse d un pass

    que

    nos archologues

    reconduisent jusqu aux

    ges

    rvolus o

    la philosophie

    ne possdait pas encore

    sa langue

    propre pour

    parler.

    Il nous

    resterait,

    semble-t-il,

    reconduire

    les pseudo-solutions

    jusqu aux

    problmatiques sous-jacentes,

    enracines

    dans une

    culture

    en

    mutation.

    Une

    faade de logique

    disparatrait

    alors au

    profit

    d une gnalogie des problmatiques.

    Problmatiques parmi lesquelles

    les

    unes

    s effacent

    avec

    le temps,

    qui

    a

    rompu

    leur aiguillon,

    en

    assurant l assimilation motive d une solution

    rationnelle.

    Les

    autres persistent

    et

    se reformulent d une

    faon

    toujours

    nouvelle. Pourquoi,

    par exemple,

    l homme

    possde-t-il un tel apptit

    d tre,

    avec une si courte

    dure de

    vie? Il nous

    resterait

    formuler

    le

    bilan

    des problmatiques non rsolues

    de

    la

    condition

    humaine.

    En attendant,

    aider

    les

    hommes

    vivre

    avec

    des

    conseils

    simples :

    viter les

    pseudo-solutions

    des

    faiseurs de systme, viter

    1

    exacerbation pascalienne d une

    problmatique

    dchirante,

    rduite au

    dilemme tragique ; mais accepter

    de

    vivre avec ses problmes en toute

    lucidit.

    Des textes

    survivent

    aux

    problmatiques^dont le

    temps

    a

    bris

    l aiguillon. Ils se prsentent comme anachroniques

    et

    mystrieux :

    fascinants

    aussi,

    parce qu ils remuent des tragdies oublies de

    la

    psych.

    C est

    alors qu ils

    relvent d une

    critique

    smantique

    dmystifiante,

    suivie d une

    lecture potique pacifiante.

    L espce

    de

    beaut

    propre

    ces

    textes

    provoque

    des

    hommes

    vocation philosophique,

  • 7/25/2019 RAMNOUX, C., Philosophie de La Philosophie

    17/17

    596

    Clmence

    Ramnoux

    fortement

    dmystifis, trop

    lucides pour accepter une fausse faade

    de logique, tenter ce mode de l expression

    plutt

    que celui de

    la

    gomtrie.

    Pour

    clore

    cet

    article,

    rien

    ne

    vaudra

    mieux

    qu un

    chantillon

    de

    pome ontologique,

    de

    tradition franaise et

    de

    style renaissant

    Premier

    en son

    rien

    clos

    se celait en son

    Tout,

    Commencement de soi, sans

    principe et

    sans bout,

    Inconnu,

    fors

    soi,

    connaissant toute

    chose,

    Comme toute de soi,

    par

    soi, en soi enclose,

    Masse

    de dit en soi-mme

    amasse,

    Sans lieu et sans espace en

    terme

    compasse,

    Qui ailleurs ne

    peut

    qu en son propre tenir,

    Sans

    aucun

    temps

    prescrit pass

    ou avenir,

    Le

    prsent

    seulement

    continuant

    prsent,

    Son tre de vieillesse

    et

    de jeunesse exempt :

    Essence pleine

    en soi d infinit

    latente,

    Qui seule en soi se plat et seule se contente,

    Non agente,

    impassible,

    immuable, invisible,

    Dans

    son

    ternit

    comme incomprhensible,

    Et qui de soi soi

    tant

    sa

    jouissance

    Consistait

    en bont, sapience et puissance.

    (Maurice

    Scve)

    Paris-Nanterre.

    Clmence

    Ramnoux.