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LES CATHOS

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VALÉRIE HANOTEL

LES CATHOS

PLON 76, rue Bonaparte

PARIS

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@ Librairie Plon, 1995. ISBN 2.259.02739-3

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A mes parents. A Christophe, Catherine et Victor.

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« Si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons bien rendu. »

VOLTAIRE, Le Sottisier.

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Avant-Propos

Jésus-Christ n'est pas mort à trente-trois ans sur la croix. On prétend qu'il « crèvera de solitude » vers l'an 2000. En ce moment, il agoniserait. La fin serait toute proche. Il n'y aurait plus grand monde à son chevet. Quelques fidèles égarés dans un univers cruel. L'ère post- chrétienne serait avancée. Ce sont les sondages qui annoncent la Mauvaise Nouvelle. Et les sociologues qui la confirment : 67 % de catholiques en France aujourd'hui, contre 81 % en 1986, 7 % de pratiquants réguliers contre 11 %. Les « non-pratiquants » d'hier sont désormais des « sans-religion » 1. Le grand retour du religieux n 'a pas eu lieu. « L'abandon de la religion semble même s'accen- tuer », constate Guy Michelat, directeur de recherche au CNRS. A peine plus d'un Français sur quatre peut être considéré comme un « chrétien croyant ».

La planète catho

Un quart de 53 millions de Français, cela fait tout de même 13,2 millions de personnes 2. Sans compter les

1. 1986 : « L'identité religieuse des Français », sondage Sofres pour La Vie, Le Monde et France Inter. 1994: «Les Français et la croyance », enquête de l'Institut CSA réalisée pour Le Monde, La Vie, L'Actualité religieuse dans le monde et le Forum des communautés chrétiennes (ARM, n° 122, 15 mai 1994).

2. Sur 56 652 000 Français, 51 275 000 le sont de naissance, 1 780 000 par acquisition. Le pays compte 3 597 000 étrangers. (Source : Insee, recensement 1990.)

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71 % qui n 'en ont pas « fini avec la foi » : les agnostiques, les « recommençants » (qui remettent les pieds à la messe), les curieux, les athées qu'une conversion guette toujours au coin d'une rue ou derrière un pilier. Une population assez importante pour qu'on s'interroge sur ses mœurs et ses traditions, ses peurs et ses rêves. Quand on quitte les contrées lunaires des sondages, on découvre une autre planète. Celle des cathos, avec ses églises bon- dées, ses messes les soirs de semaine, ses retraites fer- ventes, ses pèlerinages massifs, et ses communautés nou- velles en pleine expansion. Tout un monde un peu fermé, secret, presque souterrain, qui montre un autre visage qu'à l'air libre. La surprise n'est pas maigre. Entre le « charbonnier » qui prend tout le paquet religieux, le « conciliaire » qui anime sa paroisse, le « progressiste » qui la choque, le « charismatique » qui retourne aux sources, le « traditionaliste » qui s 'accroche au bon vieux temps et l' « intégriste » qui ne digère pas Vatican II, la foi prend des allures de continent. A chacun son pays, ses habitudes, son langage.

La France ne serait donc pas si déchristianisée que cela? Il resterait suffisamment de catholiques pour faire mentir les sondages pessimistes? C'est à n'y plus rien comprendre. «Vous vous trouvez dans une forêt », m'a expliqué le père Carron de la Carrière, responsable d'émissions religieuses sur France Culture et France 2, quand il m'a vue débarquer avec mon coupe-coupe. « Il y a forcément des arbres morts, mais il y a aussi des pousses vertes. Inutile de parler des arbres morts, tout le monde le fait. Parlez plutôt des pousses vertes. » J'ai suivi son conseil. Entre autres. Après tout, les vieilles souches méritaient elles aussi un petit détour.

Deux cents catholiques, laïcs ou religieux, ont répondu à mes questions, avec plus ou moins de méfiance, plus ou moins de sincérité - partagés entre le désir de témoigner,

partant d'évangéliser, et celui de se protéger. A leurs

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yeux, l 'arène médiatique a remplacé les jeux du cirque et la dent dure des journalistes les crocs des lions. Vas-y que je te harcèle de questions tordues pour te faire avouer que Dieu n'existe pas et que tout cela n'est que foutaise.

La grande peur de l'an 2000

Le chrétien d'aujourd'hui se sent de nouveau persé- cuté. Les païens l 'encerclent, prêts à le faire bouillir dans leur marmite hérétique. L'Église a beau lui tapoter la main, lui dire qu'elle est là, qu'elle a survécu deux mille ans et n'est pas près de le lâcher, il n'y croit plus. Les chiffres (toujours eux) lui répètent le contraire et la société lui fait la grimace. Il faut dire que les temps sont rudes. Chômage, sida, corruption, guerres, porno- graphie..., cette fin de siècle sinistre provoque forcément un sentiment de déréliction. Que fait Dieu? Il roupille? S'il aime ses enfants, comme Il le prétend, comment peut-Il les laisser s 'enfoncer dans une telle misère ? Leur foi a de quoi en prendre un coup.

L'espérance de vie n 'a jamais été aussi élevée en France 1 et le manque d'espoir aussi tenace. Du coup, on cherche à se rassurer. On se barde de gris-gris (médailles pieuses comprises), on se tourne vers des gourous plus ou moins catholiques et on mélange allégrement les dog- mes de la religion avec les diktats de la superstition. Le culte était au menu, dégusté par des pratiquants en pension complète. Il est maintenant à la carte, testé par des touristes blasés. Ce mois-ci je vais à la messe. Le mois prochain j 'apprends à marcher sur les braises. Les signes traditionnels d'appartenance catholique (baptême, mariage religieux, catéchisme, vocations) continuent de baisser, tandis que la pratique dominicale plafonne à cinq mètres du sol. Les traditions se perdent, les confessions

1. 81,3 ans pour les femmes, 73,1 pour les hommes. (Source : Ined.)

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ne se font plus qu'à la télé et la morale s'est diablement laïcisée; 89 % des Français pensent désormais qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une religion pour bien se conduire 1. Notre société est véritablement « sortie de la religion ».

Et pourtant... pourtant, elle n'en a jamais autant parlé. Le Christ fait la une de la presse profane, le pape la for- tune des éditeurs. Des stars racontent leur conversion à la télévision et l'abbé Pierre a longtemps concurrencé Columbo avant de décider de se retirer. En 1992, le Caté- chisme de l'Église catholique a battu des records de ventes dès sa sortie2. Cinq ans plus tôt, c'est le dernier Sulitzer qu'on se serait arraché.

Aide l'autre et le ciel t'aidera

D'où vient ce sérieux soudain? De la crise, répondent les économistes. De la trouille, rectifient les sociologues. Les valeurs matérielles ayant prouvé leurs limites, il était grand temps de se tourner vers autre chose. Les chantres de La Palice 3 n'auraient pas mieux dit : quand on n'a plus rien à perdre, on a tout à gagner. A commencer par son salut. Les Français viennent de redécouvrir leur âme. De nobles aspirations ont supplanté leurs soucis prosaïques. La société s'est peut-être déchristianisée mais elle s'est également ré-humanisée. Il n'y a qu'à voir comme on se serre les coudes désormais, rognant sur son salaire pour lutter contre le chômage, vidant ses poches pour nourrir l'homme de la rue. Toutes les causes nous émeuvent, du

1. ARM, n° 122. 2. 600 000 exemplaires vendus en quelques semaines. 3. Les fameuses « vérités de La Palice » sont en fait l'œuvre des sol-

dats de Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice, maréchal de France (v. 1470-Pavie 1525) qui composèrent en son honneur une chanson pleine de bon sens : « Un quart d'heure avant sa mort, il était encore en vie... »

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sida aux villages d'enfants, de la myopathie à Kigali. L'heure est à la générosité, mes frères.

Enfin, pas avec tout le monde. Justement, en ce moment, on commence à trouver qu'on profite un peu trop de notre bonté. La France, terre d'asile, ne voudrait pas se laisser aliéner par ses nobles sentiments. Il y en a qui ne sont ni Français ni catholiques, et qui osent profi- ter de notre air, ponctionner notre pauvre Sécu. La sainte crise a hélas des effets secondaires. Elle réveille la xéno- phobie. L'histoire regorge de précédents. Nous n'avons plus d'argent? Renvoyons les étrangers chez eux. Nous n'avons plus de chrétiens? Bannissons les musulmans. C'est simple. Il suffisait d'y penser. On trouvera bien des excuses à cette attitude peu fraternelle. La peur du terro- risme islamique justifiera qu'on exile en bloc Maghrébins inoffensifs et militants du FIS.

D'un coup de voile islamique nous voilà redevenus catholiques. Notre religion témoignera plus que jamais de notre identité nationale. On se met donc à la chercher frénétiquement dans nos placards (où grand-mère l'a- t-elle mise? à quoi ressemblait-elle, déjà?) et quand on la trouve, on l'exhibe triomphalement. Bien sûr, elle est piteuse, ratatinée, couverte de poussière. Mais on va l'astiquer, lui cracher un peu dessus pour mieux la faire briller et se pavaner avec.

C'est à ce moment-là qu'une question va poindre dans notre esprit éveillé : QU'EST-CE QUE LE CATHOLICISME? « La religion des chrétiens qui reconnaissent l'autorité du pape en matière de dogme et de morale », répond le Petit Larousse. Cette définition pourrait nous éclairer, s'il n'existait des traditionalistes catholiques (communément appelés intégristes) qui justement contestent cette auto- rité.

Deuxième question : QU'EST-CE QU'UN CATHOLIQUE? Sur ce chapitre, les dictionnaires pataugent autant que nous.

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« Qui appartient au catholicisme ; qui professe le catholi- cisme 1... » On ne s'en serait pas douté. Le Littré est un peu plus précis, et menaçant : « Qui appartient à la reli- gion romaine et n'appartient qu'à elle. » La définition de l'adjectif livre de maigres informations supplémentaires. A l'origine, « catholique » signifiait « universel ». Ce que les prêtres ne ratent pas une occasion de rappeler. Il n'y a qu'une Église, puisqu'elle est universelle : l'Église catho- lique. Le catéchisme est d'ailleurs formel : « L'Église est catholique, elle peut intégrer dans son unité, en les puri- f i a n t , t o u t e s l e s v r a i e s r i c h e s s e s d e s c u l t u r e s 2 . »

Ne pas prendre cette petite phrase pour un signe d'oecuménisme béat. Le christianisme n'est pas non plus un fourre-tout religieux. Il se résume à un catholicisme de rite latin (romain principalement), qui ouvre des bras paternels aux autres rites4 et à deux religions prodigues : l'orthodoxie et le protestantisme. Quant au reste, s'il reconnaît enfin ses racines juives, il ne tend qu'une oreille agacée à l'islam, l'hindouisme et autre boud- dhisme. A la veille du trentième anniversaire du concile Vatican II, que reste-t-il des réformes qui devaient moderniser l'Église? Que savent les cathos de leur reli- gion? Dans quel état d'esprit, enfin, s'acheminent-ils vers le quinzième centenaire du baptême de la France ? Réponse dans les pages qui suivent.

1. Petit Larousse, Petit Robert. 2. Catéchisme de l'Église catholique, § 1202. 3. Mouvement favorable à la réunion de toutes les Églises chré-

tiennes en une seule et, par extension, à celle de toutes les religions. 4. Rites byzantin, alexandrin ou copte, syriaque, arménien, maro-

nite et chaldéen (Catéchisme, § 1203).

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PREMIÈRE PARTIE

« Le christianisme ? Quelle belle religion ! Dommage que personne n'ait vraiment essayé. »

G.B. SHAW.

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NAISSANCE D'UN CATHO

On ne naît pas catholique, on le devient. Un peu malgré soi, il faut bien le dire, puisque la plupart des enfants sont baptisés dans les semaines qui suivent leur naissance A en juger par leurs cris, ils préféreraient faire autre chose ce jour-là que recevoir de l'eau glacée (même bénite) sur le front. Mais ce n'est pas un hasard si l'Église appelle le baptême une « seconde naissance ». Le curé tente donc de couvrir les délicieux braillements en prononçant d'une voix forte les paroles rituelles : « Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit! » Puis il trace une croix, d'un doigt enduit d'une huile parfumée appelée saint chrême, sur un front qui en a déjà assez vu. Et voilà. Un chrétien de plus pour les sondages. Beaucoup de Français se contenteront de cette simple formalité pour se déclarer catholiques en toute bonne foi. Mais revenons un peu en arrière.

Version n° 1 : des parents très pieux

Il était une fois, deux cathos qui s'aimaient d'amour tendre. Ils se fiancèrent, se marièrent devant Dieu et lui

1. En 1984, 65 % des bébés étaient baptisés. En 1991, on en compte moins de 60 % (448 609 baptêmes d'enfants de moins de sept ans pour 759 056 naissances).

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demandèrent beaucoup d'enfants. Le Seigneur, dans sa très grande bonté, exauça leur souhait. Neuf mois après leur nuit de noces, un premier bébé tout potelé vint récompenser leur attente. Ils le firent baptiser très vite afin que le cher ange passât d'un monde sans Christ à la communauté des enfants de Dieu Pendant la cérémo- nie, ils lurent avec application les paroles de Paul VI pour expliquer leur démarche. « Nous croyons à un seul bap- tême institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ pour la rémission des péchés. Le baptême doit être administré même aux petits enfants qui n'ont pu encore se rendre coupables d'aucun péché personnel, afin que, nés privés de la grâce surnaturelle, ils renaissent " de l'Eau et de l'Esprit-Saint " à la vie divine dans le Christ Jésus 2. » Pour leur bambin, revêtu de la délicate robe blanche fami- liale 3, la voie était désormais toute tracée. Il grandirait dans la foi, bercé par un joli catéchisme, entouré de pieuses personnes et comblé de sacrements. « C'est extra de le voir entrer dans cette communauté si vieille et pro- mise à tant d'avenir », résume la jeune maman, sur un petit nuage.

Version n° 2 : des parents moins pieux

Il était une fois deux concubins qui s'aimaient d'amour tendre mais ne voulaient pas se marier. Les institutions et eux faisaient trois. Pourtant, quand le fruit de leurs entrailles vit le jour, ils souhaitèrent qu'il fût béni. Comme eux-mêmes l'avaient été et leurs parents avant eux. Il est des traditions qui ne se remettent pas en ques- tion, même chez les anarchistes du sacrement. Ils

1. L'Église. 2. 30 j u i n 1968. 3. N o r m a l e m e n t il n e do i t la p o r t e r q u ' u n e fois bap t i sé , p o u r sym-

b o l i s e r la p u r e t é r e t r o u v é e , ma i s t ous les b é b é s a r r i v e n t dé j à hab i l l é s à l 'église. C 'es t p lu s s imple .

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allèrent donc trouver monsieur le curé, un peu penauds, pour lui expliquer qu'ils vivaient dans le péché mais tenaient à faire baptiser leur enfant. Le prêtre ne leva pas le sourcil réprobateur qu'ils redoutaient, mais accueillit gentiment leur démarche. « A l'occasion de la demande du baptême, tout le monde a le droit de découvrir cette merveille qu'est l 'amour de Dieu pour chacun d'entre nous », répondit-ill. Il leur demanda tout de même de songer à se marier (« Pourquoi voulez-vous prendre vis-à- vis de votre enfant un engagement religieux que vous avez refusé de prendre l 'un envers l'autre?... Il n'est jamais trop tard pour Dieu, il ne vous dit jamais : " Vous êtes hors délais ", " Vous êtes trop vieux " ») et il leur fit promettre que leur enfant serait élevé dans la foi chré- tienne. Devant leurs réticences, il leur proposa de réflé- chir (il n'était pas un distributeur de sacrements nom d'une pipe!) et de différer ce baptême. « Ne croyez pas qu'on vous rejette. C'est une invitation à aller plus loin, au contraire, à avancer sur le chemin de la foi. » Ils réflé- chirent. Mais ils ne voulaient pas que leur enfant fasse partie des 14 170 chrétiens2 obligés de demander le bap- tême après l'âge de raison. Ils furent donc un peu hypo- crites et assurèrent que cet enfant serait élevé en chré- tien. On lui dénicha un parrain et une marraine âgés d'au moins seize ans3, baptisés et confirmés (pas si simple), et toute la famille eut la joie d'assister à une cérémonie jugée indispensable par les grands-parents. Malheureuse- ment, ce jour-là, leur petit-fils n'était pas le seul à entrer dans la famille des chrétiens. Il fut baptisé avec deux braillards qui gâchèrent un peu la cérémonie. Mais on ne célèbre pas plusieurs baptêmes le même jour, dans la même église, « sauf pour un juste motif ». C'est un « acte

1. Le Baptême, par Michel Leprêtre, Centurion, 1989. 2. Chiffres 1991. 3. Age demandé par l'Église depuis 1983, afin qu'ils aient une matu-

rité humaine et spirituelle suffisantes.

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communautaire », pas une réjouissance privée. Le bam- bin fut malgré tout dignement introduit dans le monde des « cathos festifs ». A lui désormais les joies des cadeaux de Noël et des œufs de Pâques, des fous rires au caté ou à la messe.

Version n° 3 : des parents impies

Ce n'est un secret pour personne : les catholiques fran- çais sont de moins en moins pratiquants, et les « non- pratiquants » de moins en moins « festifs ». C'est-à-dire que même le versant le plus païen de la religion est en train de disparaître. Nos compatriotes « oublient » très souvent de faire baptiser leurs descendants. Trop de tra- vail, pas assez de temps, aucun contact avec la paroisse, ignorance de la religion, allergie à la tradition, excommu- nication pour cause de divorce ou de remariage : toutes les excuses sont bonnes. Y compris celle de laisser le choix de sa religion à l'enfant. Ce qui fait bondir le clergé comme un seul homme. Comment pourrait-on choisir quelque chose de totalement inconnu ? « Heureusement, remarque le père Jacques-Olivier Bourdeau \ la liberté est un argument spécieux qu'on entend de moins en moins. » Si les cathos continuent sur cette pente, 50 % seulement de leurs bébés seront baptisés en l'an 2000 (contre 92 % en 1958) 2. L'heure est grave.

Et les limbes dans tout ça?

Mais alors, que vont devenir toutes ces petites âmes pri- vées de baptême s'il leur arrive malheur? Au XIIe siècle,

1. Curé de Sainte-Thérèse à Boulogne-Billancourt. 2. Les Français sont-ils encore catholiques?, par G. Michelat,

J. Potel, J. Sutter, J. Maître, Le Cerf, 1991.

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nos ancêtres les cathos prétendaient qu'elles allaient dans les limbes 1 - endroit réservé aux innocents qui ne pouvaient accéder au ciel faute d'avoir été baptisés avant leur mort, mais ne méritaient pas d'être damnés pour autant. Ce flou éternel angoissait beaucoup les familles qui se dépêchaient de faire baptiser leurs nouveau-nés pour leur épargner le néant. Ils croyaient ainsi les pour- voir d'une sorte d'assurance tous risques pour aller au ciel. Mais cette croyance est tombée en désuétude. Encore que... « Il y a trente-cinq ans, en Ardèche, ma mère a perdu son premier fils deux jours après sa nais- sance, raconte Jean-Philippe, un DRH 2 très catholique. Et le prêtre de la famille lui a dit d'un air compatissant : " Ma pauvre madame T., quand on pense que votre enfant ne verra jamais le Christ et qu'il restera jusqu'à la fin des temps dans les limbes... " Maman était une jeune femme très pieuse. Cette réflexion l'a complètement traumati- sée. Du coup, elle a fait baptiser ses cinq enfants le pre- mier dimanche suivant leur naissance. Bien sûr, elle n'a jamais été en état d'assister à aucun de ces baptêmes. »

La guerre des baptêmes

Certains prêtres ne sont pas étrangers à l'éloignement des nourrissons des fonts baptismaux. Dans les années soixante-dix, le père Sala et le père J. Moingt ont entraîné 24 % du clergé dans leur insurrection contre le baptême sociologique 3. Le premier des sacrements devait désor- mais se préparer par étapes, afin que la foi fût vraiment

1. « Limbes des enfants. » Il y avait aussi les « limbes des

patriarches l'Écriture », où les âmes des justes attendaient la rédemption. Mais Écriture ne parle pas des limbes et l'Église n'en a jamais fait un dogme.

2. Directeur des ressources humaines. 3. Faits racontés par l'abbé René Laurentin, Le Figaro, 24

décembre 1981.

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solide. Arguments énoncés : 1° Les baptêmes de conve- nance, peu ou pas suivis d'éducation religieuse, faisaient des chrétiens mort-nés. 2° Le droit à la liberté requérait que l'enfant choisisse lui-même de se faire baptiser. 3° Les protestants eux-mêmes admettaient depuis 1973 la libre option entre baptême immédiat ou différé. Le 21 novembre 1980, la Congrégation de la foi mettait un bémol aux nouvelles théories qui dispersaient des ouailles déjà en voie de disparition. Mieux valait baptiser si l'on souhaitait évangéliser par la suite. Dont acte.

Baptême clandestin

L'obsession du baptême pousse certains cathos à le donner eux-mêmes au bébé qu'ils jugent en danger 1. Les cheveux de Laetitia, trente-quatre ans, se sont dressés sur sa tête le jour où sa mère lui a appris que son fils avait été baptisé dans son dos. « J'ai cru qu'ils avaient organisé une cérémonie en cachette et je ne supportais pas qu'ils n'aient pas respecté ma décision. Je refusais d'enfermer mon fils dans une religion. Mais j'ai su par la suite que c'était ma grand-mère qui avait baptisé mon fils en douce, dans la salle de bains de la clinique, par peur qu'il lui arrive quelque chose. Venant d'elle, c'était un geste vraiment pieux, dépourvu d'hypocrisie sociale. Je l'ai très bien pris. » De toute façon, Laetitia ne risquait rien. Ce genre de baptême n'a de valeur officielle que s'il a été effectué en présence d'un témoin et déclaré à la paroisse locale.

1. « En principe, le baptême ne peut être célébré que par un évêque, un prêtre, ou un diacre. Une seule exception : en cas de dan- ger de mort, n ' importe quelle personne peut baptiser du moment qu'elle a, à ce moment-là, l 'intention de faire ce que fait l'Église, et qu'elle sait que la personne désire être baptisée (ou, si c'est un enfant, que les parents désirent le faire baptiser) [...] L'Église n 'accorde pas le baptême sans le consentement des parents. » Le Baptême, par Michel Leprêtre, op. cit.

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Baptême à domicile

Si tu ne vas pas à l'église, l'Église ira à toi. A l'heure du cocooning et du télétravail, les prêtres ne refusent Pas de dispenser quelques sacrements à domicile '. Hélène, petite catho cuvée 1993, a connu les délices d'un baptême dans le salon de ses parents, près de Montpellier. « C'est le prêtre qui nous l'a proposé, confie sa mère amusée, avé une pointe d'assent. On ne serait pas allés chercher une idée pareille, mais finale- ment, on a aimé. Il est arrivé avec un cierge pascal et tout son matériel. Je lui ai passé un plat et une carafe pas trop laide. Ma fille aînée s'est mise au piano et nous nous sommes tous recueillis. J'ai l'impression que la cérémonie a été à la fois plus intime et plus spontanée qu'elle ne l'aurait été à l'église. Nous avions longue- ment préparé ce baptême avec le prêtre qui nous avait laissés choisir les lectures et les prières. Ça a été du sur-mesure. Nos enfants ont même écrit des poèmes pour la circonstance. »

Nom d'un petit bonhomme

A quoi reconnaît-on un catholique français? A son pré- nom. Normalement 2. « L'Église demande que le prénom de l'enfant ne soit pas étranger à la foi chrétienne, explique le père Louis-Marie Chauvet, théologien et prêtre en paroisse3, car par le baptême, l'enfant acquiert son identité de chrétien. » Depuis la fin du XIIIe siècle on

1. Le sacrement de l'onction des malades (nouvelle désignation de l'extrême-onction) est bien sûr le plus répandu.

2. La bizarre vogue des prénoms étrangers a plutôt brouillé les pistes. Quelle est la religion de Kevin Martin ou Brandon Dupont? Élé- mentaire, mon saint Watson!

3. «Le baptême », Panorama, hors-série n°21.

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donne aux petits le nom du saint patron chargé de les protéger. D'où la surabondance de Pierre, Paul et Gene- viève. Mais le champion toutes catégories depuis le xve siècle, c'est Marie. Une fille sur soixante s'appelle Marie depuis 1980 1. Légions virginales auxquelles il faut ajouter des quantités de prénoms composés, chez les femmes, comme chez les hommes. Marie-Louise a son Louis-Marie, Jeanne-Marie son Jean-Marie... Certaines familles bon chic ne sauraient concevoir un rejeton sans le dédier à la Vierge. Au moins pour son deuxième ou son troisième prénom. Bonne mère!

Intermède téléphonique à Saintes2

Catherine. - Bonjour, mon père. Je souhaiterais faire baptiser mon petit garçon.

Le curé. - Bien sûr. Quel âge a-t-il? Catherine. - Deux ans. Le curé (timidement). - Vous êtes mariée? Catherine. - Oui. Le curé (incrédule). - A l'église? Catherine (amusée). - Oui, mon père. Le curé. - Et comment s'appelle votre fils? Catherine. - Victor. Le curé (ahuri). - En plus, il porte un prénom français?

Mais je le baptise dès que vous le voulez. Les gens comme vous sont trop rares!

1. La Cote des prénoms en 1994, par Philippe Besnard et Guy Des- planques, Balland. Le Carnet du jour du Figaro a annoncé la naissance de 23 Marie en 1991, 31 en 1992 et 20 en 1993. Les années passent mais le prénom reste le premier de la liste.

2. Charente-Maritime. Conversation rigoureusement authentique.

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A quoi servent les parrains?

Pas de baptême sans parrain ni marraine. Mais quand on interroge les cathos sur le rôle réel ou supposé de ces honorables personnes, les trois quarts d'entre eux répondent en choeur : « Si les parents ont un accident, le parrain et la marraine pourront les remplacer. »

« C'est une ânerie, proteste le père Jérôme Beau, curé de Saint-Séverin 1. Les parrains ont pour mission d'assu- mer une paternité spirituelle. Aimer leur filleul, être pré- sents tout au long de sa croissance spirituelle, attentifs, à l'écoute... » Depuis 1969, l'Église a quelque peu réduit leur rôle à une simple participation. On n'exige même plus qu'ils soient baptisés tous les deux. Le prêtre ne s'entretient pas avec eux et la marraine ne porte plus qu'un cierge pendant la cérémonie, au lieu du bébé. « Ce sont les parents qui sont les premiers responsables de l'éducation de la foi de leur enfant2. » A bon entendeur... Reste aux parrains le plaisir d'offrir des cadeaux et la joie de recevoir quelques demandes de baby-sitting. Certains bons cathos prennent leur rôle très au sérieux. « J'écris régulièrement à mon filleul, explique Henri, jeune mili- taire de carrière. Je lui envoie des livres, des photos de moi. Je me comporte un peu comme un second père. Je veux qu'il sache que je serai toujours là quand il aura besoin de moi. » D'autres râlent, quand ils ne refusent pas purement et simplement l'honneur qu'on leur fait. « T'es là pour raquer », résume sobrement Isabelle. « Je sais qu'on me l'a proposé parce que j'étais célibataire et sans enfant, renchérit Catherine, une décoratrice de quarante ans. Et ça, je ne peux pas le supporter. »

1. Paris 5'. 2. Le Baptême, par Michel Leprêtre, op. cit.

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La fée « carat » bosse

Le choix de la marraine rappelle effectivement ce conte des frères Grimm qui a bercé notre enfance : La Belle au bois dormant. On invite une bonne fée à se pen- cher sur le rejeton afin qu'elle le fasse bénéficier de ses pouvoirs. Mais les temps ont changé. Les baguettes magiques ont été remplacées par une bonne situation et un compte en banque rebondi. On espère que ces deux atouts permettront à la marraine de jouer les fées lorsque le petit s'éveillera du long sommeil de l'enfance. Sa baguette sociale devrait lui ouvrir les portes d'un monde auquel les parents n'ont parfois pas accès. Le calcul n'est pas idiot. Il est simplement choquant. Comme le fait de choisir des gens seuls en espérant secrètement que leur héritage ira tout entier au tendre filleul. « Émue d'avoir été choisie, je n'y ai vu que du feu, raconte Domitille, une jeune et jolie banquière. J'ai pensé que ces amis (pour- tant de fraîche date) m'appréciaient au point de vouloir tisser des liens familiaux avec moi. Mais j'ai vite déchanté. J'avais à peine accepté qu'on me fourrait un catalogue sous le nez pour me montrer le cadeau de bap- tême que je pourrais lui faire. Et puis les demandes de baby-sitting ont commencé à pleuvoir. " Tu peux prendre ton filleul un week-end, si tu veux. - D'accord, dès qu'il aura une grosse voiture " (Le gamin a dix-huit mois.) Rire contraint de la mère. " Il t'adore, tu sais. - Moi aussi, mais ma vie n'est vraiment pas organisée pour garder un enfant si petit. - Ah ! ces marraines modernes, soupira la mère martyre (sous-entendu : rien à en tirer). - Dans le fond, pourquoi n'as-tu pas choisi une mère de famille? Elle aurait pu te dépanner plus facilement. - (La mère, avec des trémolos dans la voix.) Mais c'est pour toi que je l'ai fait. Comme tu n'as pas d'enfant, j'ai pensé que ce serait gentil de te prêter le mien. Tu verras, plus tard tu

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seras bien contente d'avoir un bâton de vieillesse. " J'ai apprécié cette attention à sa juste valeur! »

Soyons honnêtes, les meilleurs parrains et marraines sont encore les oncles et les tantes du petit, réquisition- nés dans les trois quarts des cas. Eux au moins ne dispa- raissent pas dans la nature après le baptême. Ils ont éga- lement moins tendance que les amis à se brouiller avec les parents - ou à « oublier » leur engagement. Pourtant, le clergé n'est pas tout à fait favorable à cette pratique, même s'il ne s'y oppose pas. On ne prive pas un enfant de deux adultes supplémentaires dans son entourage.

Tu seras catho, mon fils1

Voilà le poupon baptisé. Une bonne chose de faite. Ad vitam aeternam, car le baptême ne s'annule pas. Le petit a été « comme greffé sur Jésus », pour reprendre les termes de l'évêque de Coutances, Mgr Jacques Fihey2. « C'est cela être chrétien : vivre avec Dieu, vivre à la suite de Jésus. » Mais qu'attend-on de lui désormais? « Dans toute association existent plusieurs manières d'adhérer, répond Michel Leprêtre 3, on peut être membre bienfai- teur, membre honoraire ou membre actif. Mais un bap- tisé n'est pas destiné à se contenter d'être un membre honoraire ou bienfaiteur. Il est invité à être un membre actif. » Donc croyant. Donc pratiquant. Donc chaste, modeste, bienveillant, serviable, aimant, fidèle et obéis- sant. Donc assidu à la messe et au catéchisme (pour l'apprendre ou l'enseigner)... En un mot: ses droits seront infimes et ses devoirs infinis.

1. D'après les statistiques, cela marche mieux avec les filles. 2. « Le baptême », Panorama, art. cité. 3. Le Baptême, par Michel Leprêtre, op. cit.