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Deux lieux communs informent massivement l’art contemporain dans son rapport à la fiction. Le premier consiste à qualifier l’oeuvre d’art comme suspendue entre réalité et fiction. Le second justifie cette indéter- mination comme une conséquence de la spectacula- risation du monde, de l’indistinction entre le vécu et sa représentation. Que recouvrent ces lieux communs ? Quelles sont les limites du tout fictionnel ? Pourquoi les fictions artistiques manifestent-elles l’ambition de troubler les frontières entre réalité et fiction ? Les œuvres sur Internet et le brouillage de plus en plus grand entre auteur et utilisateur, original et duplica- tion, nous demandent de reconsidérer notre appro- che de la fiction. L’autonomie croissante du web, son auto-référentialité, ne permettent pas toujours de distinguer entre domaines factuels et fictionnels. La question des représentations est au coeur des arts visuels et de la fiction. Par sa puissance métaphori- que, le mot se prête à de très nombreuses définitions selon les contextes où il est utilisé. Dans leurs situa- tions aux marges des fictions canoniques, les fictions artistiques et visuelles viennent nous interroger sur le statut de la croyance et l’importance des niveaux de représentations dans la génération de nouveaux univers fictionnels. L’utilisation de plusieurs médias, les interactions entre l’auteur, l’oeuvre, l’utilisateur ou le spectateur, le désir de traverser les frontières entre réalité et fiction apparaissent comme trois ensembles de questions fondamentales qui se distinguent de celles abordées habituellement pour les fictions littéraires et cinématographiques. Quelles sont les particularités des fictions artistiques ? Les œuvres réalisées sur Internet modi- fient-elles notre appréhension de la fiction ? Les rapports entre fictions et représentations permettent-ils d’éclairer ces questions ? Cet ouvrage divisé en trois parties : 1) fictions et représentations, 2) fictions en ligne, 3) pratiques artistiques en regard de la fiction répond à ces questions. Des spécialistes de la fiction : Kendall L. Walton, Marie-Laure Ryan, Jean-Marie Schaeffer, Lorenzo Menoud; des artistes : Alain Declercq, Melik Ohanian, Khalil Joreidge et Joana Hadjthomas, Éric Rondepierre, Peter Hill, Yann Toma ainsi que d’autres personnalités internationales tentent de répondre à ces questions lors du colloque international Les arts visuels, le web et la fiction qui s’est tenu en Sorbonne à l’université Paris 1 en novembre 2006. LES ARTS VISUELS, LE WEB ET LA FICTION SOUS LA DIRECTION DE BERNARD GUELTON Publications de la Sorbonne 212, rue Saint-Jacques, 75005 Paris Tél. : 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24 VIENT DE PARAÎTRE Prix : 35 ISBN 978-2-85944-636-9 ISSN 1639-4518

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Deux lieux communs informent massivement l’art contemporain dans son rapport à la fiction. Le premier consiste à qualifier l’oeuvre d’art comme suspendue entre réalité et fiction. Le second justifie cette indéter-mination comme une conséquence de la spectacula-risation du monde, de l’indistinction entre le vécu et sa représentation. Que recouvrent ces lieux communs ? Quelles sont les limites du tout fictionnel ? Pourquoi les fictions artistiques manifestent-elles l’ambition de troubler les frontières entre réalité et fiction ? Les œuvres sur Internet et le brouillage de plus en plus grand entre auteur et utilisateur, original et duplica-tion, nous demandent de reconsidérer notre appro-che de la fiction. L’autonomie croissante du web, son auto-référentialité, ne permettent pas toujours de distinguer entre domaines factuels et fictionnels. La question des représentations est au coeur des arts visuels et de la fiction. Par sa puissance métaphori-que, le mot se prête à de très nombreuses définitions selon les contextes où il est utilisé. Dans leurs situa-tions aux marges des fictions canoniques, les fictions

artistiques et visuelles viennent nous interroger sur le statut de la croyance et l’importance des niveaux de représentations dans la génération de nouveaux univers fictionnels. L’utilisation de plusieurs médias, les interactions entre l’auteur, l’oeuvre, l’utilisateur ou le spectateur, le désir de traverser les frontières entre réalité et fiction apparaissent comme trois ensembles de questions fondamentales qui se distinguent de celles abordées habituellement pour les fictions littéraires et cinématographiques.Quelles sont les particularités des fictions artistiques ? Les œuvres réalisées sur Internet modi-fient-elles notre appréhension de la fiction ? Les rapports entre fictions et représentations permettent-ils d’éclairer ces questions ? Cet ouvrage divisé en trois parties : 1) fictions et représentations, 2) fictions en ligne, 3) pratiques artistiques en regard de la fiction répond à ces questions. Des spécialistes de la fiction : Kendall L. Walton, Marie-Laure Ryan, Jean-Marie Schaeffer, Lorenzo Menoud; des artistes : Alain Declercq, Melik Ohanian, Khalil Joreidge et Joana Hadjthomas, Éric Rondepierre, Peter Hill, Yann Toma ainsi que d’autres personnalités internationales tentent de répondre à ces questions lors du colloque international Les arts visuels, le web et la fiction qui s’est tenu en Sorbonne à l’université Paris 1 en novembre 2006.

les arts visuels, le web et la fiction

sous la direction de bernard guelton

Publications de la Sorbonne212, rue Saint-Jacques, 75005 ParisTél. : 01 43 25 80 15 – Fax : 01 43 54 03 24

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

Jean-Marie SCHAEFFER,Remarques sur la fiction, p. 22

Jérôme PELLETIER,Agir dans une image, p. 33

Kendall L. WALTON,Le sport comme fiction:

quand fiction et réalité coïncident (presque), p. 46

Jacinto LAGEIRA,En réalité, p. 53

FICTIONS ET REPRÉSENTATIONS

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Marie-Laure RYAN,Mondes fictionnels à l’âge de l’Internet, p. 66

Peter HILL,Vrais mensonges et superfictions, p. 85

Alexandra SAEMMER,Espaces intimes en réseau, p. 92

Monique MAZA,Web art fiction, communication.

Dé_dalle, web-frictions entre réels et fictions, p. 103

FICTIONS EN LIGNE

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PRATIQUES ARTISTIQUES EN REGARD DE LA FICTION

Yannick MAIGNIEN,Vérité et fiction sur le web, p. 112

Andy BICHLBAUM, du duo Les Yes Men,Welcome to Halliburton.com, p. 119

Lorenzo Menoud,Mes fictions – entre théorie et pratique, p. 124

Jean-Pierre MOUREY,« Fiction de l’encyclopédie », p. 136

Alain DECLERCQ,État de siège, p. 148

Joana HADJITHOMAS et Khalil JOREIGE,Amale, sauve-moi

A Perfect Day, p. 152

Éric RONDEPIERRE,Vers la fiction, p. 161

Melik OHANIAN,Seven Minutes Before, p. 167

Yann TOMA,Ouest-Lumière : d’une réalité

industrielle à une réalité fictionnelle, p. 170

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INTRODUCTION

Premières questions

Pratiques artistiques en regard de la fiction

Si la littérature et le cinéma ont nourri une réflexion approfondie sur la fiction, d’autres

domaines liés aux arts visuels sont largement restés inexplorés. Ainsi l’exposition peut

recourir aux fictions canoniques (vidéo, cinéma, dispositifs textuels), mais aussi à l’image

fixe, l’installation ou la performance. Quelle est l’importance respective de chacun de ces

éléments en rapport avec la fiction ? Que produisent leurs éventuelles cohabitations ? Quelle

est la place dévolue au « scénario », la place relative au concepteur ou au visiteur de

l’exposition ?

Deux lieux communs informent massivement l’art contemporain dans son rapport à la

fiction. Le premier consiste à qualifier l’œuvre d’art comme suspendue entre réalité et fiction.

Le second justifie cette indétermination comme une conséquence de la spectacularisation

du monde, l’indistinction entre le vécu et sa représentation. Que recouvrent ces lieux

communs ? Quelles sont les limites du tout fictionnel ?

Dans quelle mesure l’élaboration et le vécu collectif des œuvres sont-ils contradictoires ou

constitutifs d’une fiction ? Ludiques, politiques, les œuvres collectives peuvent impliquer un

assujettissement fort différent au monde. L’univers du jeu est susceptible d’engager un

rapport direct à la fiction. L’interrogation d’un univers social peut procéder d’une utopie,

d’une « micro-utopie » ou d’une action directe sur le monde.

Fictions en ligne

Les travaux artistiques réalisés sur l’Internet modifient-ils notre appréhension de la fiction ?

Le brouillage des différences entre auteur et utilisateur, original et duplication, ne

demandent-ils pas de reconsidérer notre approche de la fiction ? L’autonomie toujours

croissante du Web, son auto-référentialité, permettent-ils toujours de distinguer entre

domaines factuels et fictionnels? Les distinctions entre réalité et vérité, falsification et fiction,

qui ont permis de construire diverses approches de la fiction, semblent confondues dans

les discours qui tentent d’approcher l’univers de l’Internet.

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Dans quelle mesure l’élaboration et le vécu collectif des œuvres sont-ils contradictoires ou

au contraire constitutifs d’une fiction? Cette question évoquée à propos de l’art contemporain

retrouve dans l’univers du Web une résonance particulièrement vive. Il suffit d’évoquer

l’importance du jeu en ligne, créateur «d’univers persistants», le recyclage et l’appropriation

de fictions traditionnelles, la multiplication des identités fictives pour entrevoir la complexité

que peut revêtir la fiction lorsqu’elle est partagée en réseaux.

Fictions et représentations

La question des représentations est au cœur des arts visuels et de la fiction. De par sa

puissance métaphorique, le mot se prête à de très nombreuses définitions selon les

contextes où il est utilisé. Si les relations de correspondance, de renvoi ou de substitution

sont communes aux représentations factuelles et fictionnelles, quelles sont alors les

particularités de ces dernières ? Si l’absence de référence ou de dénotation dans notre

monde ordinaire ne nous aide guère à caractériser la fiction, comment en appréhender les

aspects positifs et créatifs ? Comment, en dépit de l’inexistence de toute dénotation, l’objet

fictionnel est-il malgré tout apte à modifier l’univers de croyance de celui ou celle à qui il est

destiné? Et puisque ce qui est conçu à un moment comme vérité peut devenir ultérieurement

simple croyance ou affabulation comme dans le mythe, ne faut-il pas alors considérer avant

toute chose l’usage et le niveau de croyance comme ce qui vient fonder un objet comme

fictionnel ?

Dans leurs situations aux marges des fictions canoniques, les fictions artistiques et visuelles

viennent nous interroger sur le statut de la croyance et l’importance des niveaux de

représentations dans la génération des univers fictionnels. Filmer une troisième fois

l’attaque d’une banque sous la directive de son auteur et braqueur (Pierre Huyghe) ; réaliser

comme artiste les actions de l’héroïne d’un livre qu’un écrivain avait préalablement pris

pour modèle chez cette même artiste (Sophie Calle) ; juxtaposer plusieurs films et autant de

trajets vers un même événement (Melik Ohanian) ; parodier le site de l’Organisation mondiale

du commerce (The Yes Men), construire un espace réel en trois dimensions en miroir de

celui du spectateur (Leandro Erlich) ; ou plus simplement figurer la sieste du peintre (Jean

Le Gac), etc., n’est-ce pas de façon à chaque fois différente nous mettre dans et devant le

passage d’un monde à un autre ? Et gommer un peu chaque fois la priorité de notre monde

ordinaire en l’ouvrant vers une pluralité de mondes possibles ?

Organisation des contributions

Voici les questions énoncées en novembre 2006 pour introduire au colloque « Les arts visuels, le

Web et la fiction ». Le regroupement des interventions en trois parties – 1) pratiques artistiques en

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regard de la fiction ; 2) fictions en ligne ; 3) fictions et représentations – a été repris en ordre inverse

dans cette publication afin de mieux cadrer la diversité des interventions et leurs enjeux. Ce

découpage n’a rien d’absolu, et un propos comme celui de Marie-Laure Ryan (« Mondes fictionnels

à l’âge de l’Internet ») pourrait se voir rapporté également au chapitre Fictions et représentations.

Par extension, la plupart des interventions sont là pour exemplifier autant de modalités de

représentations fictionnelles dans le champ artistique et dans celui d’Internet. Dans cette première

partie, Fictions et représentations, le concept de représentation n’est pas traité pour lui-même avant

de le rapporter à la fiction mais en se concentrant sur l’ambivalence de la notion de fiction (Jean-

Marie Schaeffer) ou sur certains territoires susceptibles d’en éprouver la validité : Kendall L. Walton,

« le sport » ; Jérôme Pelletier, « l’image interactive » ; Jacinto Lageira, « le fictionnalisme ». Dans ce

chapitre, il s’agira donc d’en interroger certaines délimitations.

Sous l’intitulé Fictions en ligne sont rassemblées aussi bien des réflexions « généralistes » (ce qui

ne les empêche nullement d’être fort bien documentées : Marie-Laure Ryan, Yannick Maignien), que

des exemplifications particulières où l’auteur se voit directement impliqué comme artiste ou acteur

(Peter Hill, Andy Bichlbaum, Monique Maza) à l’exception de la posture plus classique d’une analyse

conçue de l’extérieur (Alexandra Saemmer). C’est probablement dans ce domaine des fictions en

ligne que les bouleversements des postures en regard de la fiction sont les plus immédiatement

perceptibles. Au cours de ce colloque, la question du jeu est apparue comme un champ de référence

très important pour aborder et réévaluer les déplacements engagés par les pratiques fictionnelles

non conventionnelles. Si les pratiques en ligne supposent toutes un minimum d’interactivité, on

notera que les pratiques en réseau orientent et débordent largement la question de l’interaction

appareillée. Comme évoqué en préambule, l’importance du jeu en ligne, créateur « d’univers

persistants », le recyclage et l’appropriation de fictions traditionnelles, la multiplication des identités

fictives permettent d’entrevoir la complexité que peut revêtir la fiction lorsqu’elle est partagée en

réseau. Mais c’est également la fiction comme moyen d’action sur le monde est exemplifiée avec

les actions des Yes Men. La scission constitutive entre réalité et fiction se voit momentanément

suspendue puis reconstruite. Entre la réalisation d’un faux site de l’Organisation mondiale du

commerce et sa revendication comme parodie, ou d’autres informations diffusées sur Internet puis

« rétablies », s’immisce le trouble médiatique avant le déni rapide des auteurs.

La partie Pratiques artistiques en regard de la fiction, conçue initialement pour illustrer la diversité

des abords artistiques de la fiction et engager le débat, vient former un troisième moment. À

l’exception de Jean-Pierre Mourey, tous les intervenants sont venus témoigner d’un engagement

artistique personnel susceptible de déplacer les territoires habituels de la fiction. Si Lorenzo Menoud,

artiste et théoricien, en abordant de front la délimitation du concept de fiction, dénie à l’image fixe

la possibilité d’être fictionnelle ou non fictionnelle, la notion de fiction visuelle n’est qu’indirectement

évoquée par les autres contributeurs. Le cinéma est convoqué trois fois, dont deux à ses marges :

extraction photographique du continuum cinématographique (Éric Rondepierre), ou multiplication

des écrans et trajets filmiques convergeant vers un unique événement (Melik Ohanian). Pour Joana

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Hadjithomas et Khalil Joreige, c’est l’interpénétration fiction/réalité – autre grand thème parcourant

ce colloque – qui motive le récit et l’aventure de leur film A Perfect Day. Alain Declercq partage à

travers sa démarche un terrain proche de celui des Yes Men dans la volonté d’utiliser la fiction

comme un moyen actif d’inquiéter la réalité politique et sociale de notre environnement. « Inquiéter

la réalité au moyen de la fiction », « brouiller les frontières », « jouer de l’interpénétration entre les

domaines factuels et fictionnels » ou « viser une action sur le monde » relèvent de niveaux distincts

dans certaines ambitions des fictions artistiques contemporaines. Elles s’affranchissent des

définitions canoniques de la fiction. Au-delà des premiers aperçus engagés par ce colloque, il s’agira

de savoir, dans un programme de recherche plus resserré, s’il faut voir là de simples visées ou des

caractéristiques propres aux fictions artistiques qui échappent aux définitions habituelles. Avant

d’évoquer ces questions particulièrement difficiles, il convient de remettre en perspective trois

grands ensembles de questions que ce colloque a permis d’entrevoir pour mieux cerner les fictions

artistiques : 1) celui du rapport entre fictions et médias ; 2) celui du rapport entre fiction et interaction ;

3) celui enfin des possibilités d’interpénétration entre fiction et réalité.

Fiction et médias : « intermédialité »

Il serait évidemment simpliste de vouloir aborder la fiction du seul point de vue des caractéristiques

des médias utilisés. Vidéo, photographie, dessin, peinture, par exemple, peuvent être fictionnels ou

non fictionnels, non pas du point de vue de leurs seules propriétés intrinsèques, mais du point de

vue de leurs usages et visées ou, plus largement, de leurs caractéristiques extrinsèques (fiabilité

du « narrateur », degré de croyance du spectateur, situation communicationnelle, etc.). C’est donc la

complexité de ces variables contextuelles qu’il faut pouvoir interroger. Hormis la situation interactive

et celle relative au réseau Internet, les principaux médias exemplifiés ici sont le cinéma et la

photographie. De façon sous-jacente, ils engagent un domaine extrêmement vaste sous le terme

d’image, et, dans ce contexte, il est convenu d’opposer l’image animée à l’image fixe dans sa facilité

à engager l’immersion fictionnelle.

Les trois témoignages d’œuvres ou de démarches qui sont en relation avec le cinéma font apparaître

trois modes très diversifiés qui permettent d’entrevoir les rapports entre la forme

cinématographique et la fiction lorsque celle-ci s’expérimente dans un contexte artistique qui

appartient en propre aux arts visuels. Pour Éric Rondepierre, le fait d’extraire des images

photographiques du continuum cinématographique vient enraciner celles-ci dans le film de fiction.

Le contexte cinématographique vient constituer un arrière-plan fictionnel sans davantage en

préciser le contenu. La restitution de plusieurs images produites en succession (photogrammes)

vient dans certains cas ébaucher un développement narratif sans construire néanmoins une fiction

autonome et explicite (« Trente étreintes »). Nous sommes, comme souvent lorsqu’il y a ambition

artistique et plasticienne dans le domaine des images, renvoyés tout autant à des propriétés

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narratives qu’à leur matérialité et à leur « résistance propre » de celles-ci. La séquence ou l’image

unique, extraite du film, vient se confronter à la réalité matérielle, soit par un pouvoir de fascination

qui lui est propre, soit par des marques accidentelles ou dégénératives. Il s’ensuit une question

récurrente propre à beaucoup de pratiques artistiques qui mettent en jeu un faire-semblant : toute

fiction est-elle inévitablement contredite ou mise à distance dès qu’il y a traitement du support

sémiotique pour lui-même ?

Chez Melik Ohanian, les récits sont là, démultipliés comme autant de parcours vers un même

événement. Mais au lieu d’être restitués dans une suite unique, nous pouvons les appréhender à

travers la situation globale de l’exposition de façon quasi simultanée. Les associations entre le son

et l’image sont alors partiellement défaites. En effet, en se concentrant sur un écran (et un trajet)

plutôt qu’un autre, rien n’empêche d’entendre simultanément le son d’un autre écran (et d’un autre

parcours). Les tensions entre visées descriptives et narratives sont patentes. La narration est propre

à chaque film, le dispositif global est l’objet d’une description. Certains ingrédients fictionnels sont

tangibles : la progression narrative, les actions des personnages, l’accompagnement musical,

l’événement – accident. Tout cela est conçu et imaginé à la fois pour l’élaboration des films et celui

du dispositif dans son ensemble. La situation d’immersion fictionnelle propre à chaque film agit

sans difficulté, et pourtant le processus global et le dispositif d’ensemble sont susceptibles de les

mettre à distance. D’où à nouveau, cette question récurrente d’une tension entre l’immersion

fictionnelle et l’expérimentation artistique (entre « fiction » et « diction » pour reprendre les mots de

Gérard Genette).

Avec Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, le trouble ne tient plus à cette tension entre fiction et

expérimentation artistique mais à l’interpénétration entre réalité et fiction par l’intermédiaire du

document. Le réel vient faire retour dans le film et en suspendre la constitution et la diffusion. Le

statut fictionnel du film était pourtant patent : le récit d’une aventure dans le Liban contemporain

avec des personnages imaginaires. Il se produit néanmoins, avec le simple emprunt d’une

photographie reproduite dans un quotidien comme support à la fiction, un renversement et un

tressage inattendus entre le vécu de personnages ayant participé à la guerre au Liban et ceux qui

ont été inventés pour le récit cinématographique.

Avec ces trois exemples est esquissée la question essentielle pour les fictions artistiques et visuelles

des rapports entre fiction et médias. En jouant des rapports entre cinéma et photographie, cinéma

et dispositif d’exposition, cinéma de fiction et document, ce sont également des cas d’intermédialité

qui sont interrogés. Si le rapport audio-visuel au cinéma facilite habituellement l’immersion

fictionnelle, d’autres convergences ou divergences peuvent en contredire les effets. L’intermédialité

lorsqu’elle est éprouvée et expérimentée peut donc jouer dans le sens de l’immersion ou de la

distance et poser la question des rapports fondamentaux entre visées artistiques et visées

fictionnelles. Ainsi, au-delà des pratiques artistiques utilisant un seul média, il apparaît essentiel de

cerner une variété de dispositifs (image/texte, image/image, image/son, installation, dispositif

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d’exposition) et d’en déterminer la nature, en abordant les différences entre les œuvres

intermédiales et les fictions canoniques, tant à propos de leur statut (fictionnel ou non fictionnel)

que de leur réception esthétique à proprement parler. Il se peut, en effet, que la complexité de telles

structures mixtes modifie nos modes d’immersion et, ainsi, notre jugement à leur sujet.

Fiction & interaction : immersion et « interactivité »

L’interaction entendue comme modalité d’immersion – ou de distanciation – permet-elle de redéfinir

la situation classique auteur-œuvre-utilisateur à travers les arts numériques, les dispositifs

audiovisuels ou l’exposition d’œuvres plastiques ? L’implication de plusieurs acteurs dans

l’élaboration d’une œuvre a-t-elle un impact sur leurs statuts respectifs ?1 Voici des questions

fondamentales esquissées dans ce colloque, qui permettent d’envisager à elles seules un vaste

programme de recherche.

Ainsi la notion d’immersion, fondamentale pour l’approche de la fiction, est-elle solidaire ou bien

contradictoire avec la notion d’interaction ? Il est évidemment impossible de produire une réponse

globale à cette question, et cela nécessite d’examiner plusieurs compréhensions et différents

contextes pour ces notions. Dans cette publication, les contributions de Jean-Marie Schaeffer,

Jérôme Pelletier et Marie-Laure Ryan sont déterminantes pour tenter de clarifier ces problèmes.

Mais, tout d’abord, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la situation classique

d’appréhension d’une œuvre d’art suppose une situation d’interaction entre l’œuvre et le spectateur

avant d’envisager la situation plus récente des « interactions appareillées » en circuit fermé ou en

ligne. La situation classique d’appréciation de l’œuvre d’art est celle d’une appréhension et d’une

évaluation actives d’un objet esthétique par un spectateur qui met en jeu ses capacités perceptives

et ses modèles culturels. L’interaction entre l’œuvre et le spectateur suppose au préalable une

interaction entre l’œuvre et son auteur. Ces deux constructions réciproques (œuvre/auteur et

œuvre/spectateur) engagent une troisième relation entre auteur et spectateur, qui, dans le cas de

la situation traditionnelle, n’est plus « interactive » : la réciprocité n’en est pas constitutive.

Tout cela peut être fort complexe, et la description n’en sera probablement jamais totalement

épuisée. L’absorption du spectateur dans l’œuvre est possible sans être indispensable. À l’inverse,

son appréhension critique contredit cette immersion. Dans la peinture narrative, des personnages

imaginaires, des actions, une mise en séquence du tableau, sont susceptibles d’engager une forme

de récit et d’immersion fictionnelle pour le spectateur qui décide de mettre en suspens son

appréhension des constituants matériels du tableau et son appréciation esthétique. Les leurres

utiles à l’immersion n’ont pas nécessairement besoin de la précision descriptive, et d’autres

stratégies plus créatives de la part du peintre peuvent être opérationnelles pour produire illusion et

immersion. Il suffira de penser à l’efficacité de la peinture chinoise de paysage dans ses meilleurs

exemples pour s’en convaincre.

1 - De façon plusspécifique, la notion

d’agent virtuel intelligentchatterbot(s) dans les

dialogues en ligne vient-elle esquisser une

situation limite dans laconstruction réelle ou

fictive du sujet eninteraction ?

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Il convient cependant de rappeler avec Marie-Laure Ryan que « l’immersion, en tant qu’expérience

produite par la richesse de la perception et l’intensité du travail de l’imagination, n’est pas limitée

à la fiction ; on peut s’immerger dans un récit historique comme dans un roman, et dans une

installation basée sur des images du monde actuel comme dans la représentation d’un monde

imaginaire. L’immersion est le résultat d’un certain style de représentation, qui peut s’appliquer

aussi bien au monde actuel qu’à un monde imaginaire. Mais elle atteint dans la fiction une intensité

sans précédent, car la modélisation d’un monde imaginaire n’est pas soumise à la censure qui

limite les représentations du monde actuel à l’information vérifiable »2.

Dans ce bref aperçu, plusieurs points ont été évoqués : les interactions entre l’auteur, l’œuvre et

l’utilisateur et donc la situation de l’œuvre d’art et les relations entre interaction et immersion

fictionnelle. Dans les contributions à ce colloque, la discussion du problème de l’immersion par

Jean-Marie Schaeffer est importante. Elle ne concerne pas néanmoins la situation propre à l’œuvre

d’art, mais la nécessité de tenir compte à la fois des approches platonicienne et aristotélicienne de

la fiction : « immersion d’un côté, modélisation de l’autre ». Outre qu’il s’agit de distinguer entre

immersion fictionnelle et situation de leurre ou d’illusion, il s’agit d’expliquer de façon plus spécifique

que l’immersion fictionnelle peut se comprendre en termes d’interaction entre différents niveaux de

traitement mental : « L’immersion tire profit de l’efficacité de leurres de nature pré-attentionnelle,

mais en même temps la traduction de ces leurres en croyances perceptives se trouve bloquée au

niveau du traitement attentionnel (conscient). » Par ailleurs, l’immersion dans le jeu chez l’enfant

peut entraîner cependant une sortie du jeu et une « composante de collaboration active » avec les

autres. À ce niveau, il n’y a pas de contradiction entre l’immersion fictionnelle et l’interaction entre

différents niveaux de traitement mental. Cette situation est-elle la même pour l’œuvre d’art ? Car le

sentiment est bien que, dans un cas, l’interaction avec l’œuvre permet l’immersion fictionnelle mais

que, dans un autre, une visée évaluative de certaines qualités propres à l’œuvre déjoue cette

immersion.

La discussion de l’œuvre d’art en termes d’interaction est engagée par Jérôme Pelletier à propos

précisément de l’œuvre d’art interactive : « De la même manière que la musique sans l’expérience

auditive de la musique n’est rien d’autre que des suites de notes sans expression, de même l’art

digital interactif sans l’expérience corporelle de l’interaction n’est qu’un environnement d’images

non expressives ou un algorithme à la base d’un programme d’ordinateur. C’est parce que l’art

interactif a à voir avec l’art musical qu’il ne saurait être justement compris ni comme la création d’un

environnement à la manière de Saltz, ni comme la création d’un algorithme à la manière de Lopes.

De la même manière que ce sont nos expériences auditives et les imaginations auxquelles elles

donnent lieu qui donnent à la musique son expressivité (cf. Walton, 1994), ce sont nos expériences

corporelles et auditives et les imaginations qu’elles suscitent qui donnent à l’art interactif son

expressivité éventuelle. Que reste-t-il alors de l’unicité de l’œuvre d’art interactive ? Une réflexion

sur l’ontologie de l’œuvre musicale devrait peut-être aider à formuler une réponse à cette question.

En attendant, rien ne nous empêche de continuer à faire comme si nous interagissions de manière

2 - Voir le texte de Marie-Laure Ryan, p. 66.

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unique avec une œuvre unique. » Ainsi Jérôme Pelletier se garde-t-il de conclure. Mais la situation

avec l’œuvre d’art interactive est-elle si différente de l’œuvre d’art traditionnelle ? Dans un premier

temps, l’interaction est solidaire d’une absorption dans l’œuvre si ce n’est d’une immersion. Dans

un deuxième temps, un autre type d’interaction intervient qui consiste à confronter mentalement

cette œuvre avec d’autres du même genre ou à un modèle. C’est seulement dans ce deuxième temps

qu’une interaction avec l’œuvre – cette fois « externe » – permet de l’identifier comme œuvre d’art.

Fiction & interpénétration : la volonté d’une action sur le monde

Au-delà des dispositifs interactifs (cognitifs ou appareillés), qu’en est-il des fictions artistiques visant

à contaminer ou à brouiller plus ou moins volontairement les rapports entre la fiction et la réalité

(ou la vérité) ? Autrement dit, qu’en est-il des œuvres dont la structure ou le but est de questionner

leur propre fictionnalité et ses limites ? La volonté d’une action sur le monde appartient de façon

singulière à un certain nombre d’œuvres artistiques (Sophie Calle, Pierre Huyghe, Alain Declercq,

les Yes Men). Cette volonté engage-t-elle une possibilité réelle ou relève-t-elle d’une simple

intention ? Cette possibilité est l’une des interrogations importantes de ce colloque et des

contributions rassemblées. Cela, certes, ne va pas de soi et contredit en partie la scission constitutive

entre domaine factuel et fictionnel qui fonde la notion de fiction. Il est admis que les fictions

traditionnelles sont susceptibles de modifier en profondeur l’état d’esprit et, en définitive, les

croyances réelles sur le monde pour la personne qui accepte d’éprouver le jeu fictionnel. Cette

possibilité de transformation de croyances fausses3 en croyances vraies par l’intermédiaire d’un

faire-semblant, ou la construction de mondes imaginaires, engage donc une action réelle de la

fiction sur l’individu, et donc sur son monde. La condamnation platonicienne de la fiction témoigne

de l’inquiétude d’une contamination active entre le jeu fictionnel et le comportement réel. Mais cette

« contrepartie dans la réalité » ne se construit pas seulement « à l’arrivée » comme une possibilité

de transformation des croyances pour le lecteur ou le spectateur de la fiction mais déjà « à l’origine »

dans les emprunts au réel opérés par l’auteur qui élabore la fiction. En quoi les fictions artistiques

contemporaines sont-elles susceptibles de modifier, de déplacer ou d’étendre cette capacité de la

fiction à éprouver le réel ?

C’est ici qu’il faut tenter de démêler à nouveau les délimitations et les recouvrements entre visées

artistiques et visées fictionnelles. Je distinguerai à titre d’esquisse ou d’hypothèse, trois niveaux de

réalité susceptibles d’appartenir à l’œuvre artistique : 1) la concrétude d’un objet qui sert à la

représentation symbolique (peinture, sculpture, exposition…) ; 2) la réalité d’une action (théâtre,

performance, intervention…) ; 3) la réalité d’un monde en ligne au moyen d’une interaction entre

plusieurs utilisateurs (actions, œuvres et jeux en ligne…).

(1) Avant même qu’un tableau puisse relever d’un genre narratif et fictionnel, la simulation d’un

personnage (ou de n’importe quel autre élément figuratif) s’élabore avec plus ou moins de gestes,

de couches et de matière. De cette façon, l’illusion figurative se confronte avec une matière picturale

3 - Ou momentanémentsuspendues.

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qui la contredit. Cette inscription matérielle vient s’opposer à la neutralité du support textuel. Il s’agit

là d’une première façon pour l’œuvre artistique (qu’elle relève ou non de la fiction) de s’incarner

dans un support sémiotique et de se concrétiser dans une réalité matérielle.

(2) La concrétude de gestes et d’actions de personnages réels au théâtre n’empêche nullement

d’appréhender celui-ci comme un art qui relève de la fiction. L’invention de personnages et celle

d’une histoire suffit la plupart du temps à l’établir. Mais que se passe-t-il lors d’une intervention

dans la rue (happening) ou dans un autre type d’espace public comme dans une conférence

internationale dans le cas des Yes Men ? Malgré sa proximité constitutive avec le théâtre, l’art de la

performance brouille les territoires entre ce qui relève d’un faire-semblant et ce qui relève d’une

adresse directe aux participants. Au-delà de toute référence à la performance, les enquêtes

fictionnelles d’Alain Declercq sont rattrapées par le réel : « Le 24 juin 2005, à Bordeaux, la brigade

criminelle et la brigade anti-terroriste débarquent dans l’atelier d’Alain Declercq. Celui-ci prépare

Mike, un film sur l’iconographie du complot international, dans la lignée de ses œuvres sur le

11 septembre et sur la société de contrôle. Declercq est interrogé, l’atelier fouillé, documents et

ordinateur disséqués. Nous pouvons ainsi mesurer la puissance d’analyse de nos services dits de

renseignements, incapables de distinguer entre le réel et sa réflexion. Depuis, Alain Declercq a

terminé son film, devenu mythique grâce à la DST4. » On entrevoit là une façon directe qu’a l’œuvre

artistique de pouvoir éprouver le réel grâce à un film de fiction.

(3) Ébranler l’idéologie de l’OMC à travers un faux site de l’OMC, ou acheter en vrais dollars un nouvel

avatar sont d’autres façons d’éprouver une réalité politique et économique (aux confins d’un territoire

artistique habituellement reconnu). Ces deux derniers exemples, propres à Internet, engagent un

rapport à la fiction de nature très différente. La réalité virtuelle et fictionnelle est clairement établie

dans le cas du jeu en ligne alors qu’elle se produit à deux moments distincts dans le cas des

pratiques activistes des Yes Men. L’incarnation dans la concrétude d’un support sémiotique (objet,

geste, événement) est constitutif aux œuvres d’art, mais la visée d’une action dans la réalité sociale

et politique appartient en propre à certaines œuvres contemporaines. Celles-ci s’emparent dans

certains cas de modalités fictionnelles pour mieux remettre en cause l’acceptation commune du

monde. Ce faisant, dans leur volonté de transformation, elles déplacent les lieux du caractère

nécessairement scindé de la fiction.

4 - Nicole Brenez, troisentretiens avec l’auteurconduits entre le 26 juillet et le 9 septembre 2006, à Paris puis à Montréal.

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