L’enseignement du français écrit pour les sourds dans le...

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Année 2005-2006 Université paris VIII UFR Sciences du Langage Département Didactique des Langues Master 1 Didactique des Langues Option Langue des Signes Française L’enseignement du français écrit pour les sourds dans le cadre de l’approche bilingue français écrit / LSF : Quelle méthodologie ? Sous la direction de Marie Perini Mme Catherine Carlo

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Année 2005-2006

Université paris VIII

UFR Sciences du Langage

Département Didactique des Langues

Master 1 Didactique des Langues

Option Langue des Signes Française

L’enseignement du français écrit pour les

sourds dans le cadre de l’approche bilingue

français écrit / LSF :

Quelle méthodologie ?

Sous la direction de

Marie Perini Mme Catherine Carlo

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REMERCIEMENTS

Je remercie toutes les personnes sans qui ce travail n’aurait pu aboutir :

Mme Catherine Carlo, ma directrice de recherche, pour la rigueur qu’elle

m’a permis d’apporter à mon travail, malgré le manque de temps.

Mlle Marie-Anne Sallandre et Mme Ivani Fusellier-Souza, pour m’avoir

fait découvrir le Centre de la Ressource.

M. David Guibert, directeur du centre de la Ressource, pour m’avoir

acceptée un trimestre dans son établissement.

M. Jean-François Gianni, mon responsable de stage, pour l’attention qu’il

a porté à mon travail et pour le temps qu’il m’a consacré tout au long du stage.

Les enseignants du centre de la Ressource qui m’ont accueillie dans leur

classe, et plus particulièrement :

M. Jean-Pierre Chan, pour m’avoir supportée huit semaines dans sa

classe, pour avoir accepté une autre manière de concevoir

l’enseignement et pour ses encouragements à poursuivre dans cette

voie.

M. André Minguy, pour sa gentillesse, ses conseils et pour m’avoir

généreusement fourni l’histoire en LSF de La chèvre de Monsieur

Seguin, signée par lui-même et qui m’a été très utile pour concevoir

ma séquence didactique.

Gaëlle, Muriel, Claire et bien sûr Guillaume, pour leurs relectures attentionnées,

leurs conseils avisés et leurs encouragements.

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SOMMAIRE

Introduction.......................................................................…...p. 5 .

Première partie : données théoriques..............p. 7

Chapitre I : Autour de la LSF………………...........................p. 9

I. Linguistique de la LSF ..............................................................p. 9

II. L’acquisition de la LSF…………………....……………..…...p. 16

III. L’enseignement de la LSF……………………………......….p. 19

Chapitre II : L’éducation de l’enfant sourd……………...........p. 23

I. Historique ………………………………………………..……p. 23

II. Le bilinguisme …………..........................................................p. 28

III. Etat des lieux ………………………………………………...p. 34

Chapitre III : Questionnements ................................................p. 40

I. Problématique autour de l’écriture ……………………………p. 40

II. Apprentissage de la langue écrite ………………………….…p. 45

III. Rapport à l’enseignement du FLE .....................................…..p. 49

Seconde partie : rapport de stage ....…………p. 53

Introduction : présentation du centre ……………......………..p. 54

Le stage : organisation et activités ……………...……………p. 57

I. La phase d’observation …………………………….………….p. 57

II. Intervention et analyse …………………………….………….p. 72

Conclusion …………………………………………...……….p. 83

Synthèse finale ……………....………...……………………...p. 85

Bibliographie ………………………….………………………………….p. 89

Glossaire……………………………………….………………………….p. 91

Annexes ……………………………………………….………………….p. 92

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INTRODUCTION

Mon parcours universitaire m’a menée de la linguistique vers un champ qui me

passionne depuis longtemps, la didactique des langues. Ce n’est que plus tard que j’ai

découvert le monde des sourds, leur langue et leur culture. Je me suis donc spécialisée, à

l’occasion du Master 1 Didactique des langues, en didactique du français écrit pour les sourds.

La complexité de l’éducation des enfants sourds m’est apparue lorsque je me suis intéressée

de près à la LSF et à ceux qui la signent. « Sourd sévère, sourd profond, LSF, LPC, français

signé, AVS, audioprothésiste… » : la diversité des étiquettes est assez déconcertante dans le

domaine de la typologie de la surdité, des moyens de communication et des professionnels

attachés à l’éducation de l’enfant sourd. Les résultats en matière de compétences en français

sont tout aussi déconcertants. Emettre des jugements sur telle ou telle méthode n’est pas le

propos, car il apparaît que les recherches ne sont pas assez avancées pour déterminer quels

sont les processus cognitifs clairement mis en œuvre dans l’apprentissage de la lecture chez

l’enfant sourd. Elles ne permettent pas de valider clairement une méthode plutôt qu’une autre,

et encore moins de déterminer s’il peut exister une voie d’entrée dans la langue française

unique pour tous les enfants sourds. Elles permettent seulement de pointer des pratiques qui

font leurs preuves dans un certain contexte et d’autres qui sont inefficaces dans une certaine

mesure. Bien sûr, chacun a sa propre idéologie et la défend.

Depuis la création des premières prothèses auditives, à la fin du XIXème

siècle, les

technologies de plus en plus poussées laissent croire qu’un jour la surdité n’existera plus. Ce

moment souhaité par certains et tant redouté par d’autres est, selon le point de vue des

médecins eux-mêmes, loin d’arriver. C’est donc par l’éducation et non par l’assimilation au

monde entendant que l’on peut intégrer pleinement les sourds à la société. Cette socialisation

peut se faire par deux voies, car en France les parents ont le choix entre deux types

d’éducation. Le premier considère la surdité sous l’angle de la déficience, et tente d’y

remédier en donnant à l’enfant tous les moyens techniques lui permettant de maîtriser la

langue orale. Le second considère la surdité d’un point de vue culturel. L’enseignement

s’adapte alors aux spécificités de l’enfant et prend en compte ce qu’il possède déjà : un autre

regard sur le monde, une langue, une pensée visuelle… La loi française ayant récemment posé

les bases de ce choix, il reste que l’éducation bilingue se trouve confrontée à un manque de

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recul, faute de pratiques sur le long terme. Elle souffre ainsi d’une carence en méthodes, en

professionnels, en supports pédagogiques. Compte tenu du récent droit à l’éducation bilingue

pour les enfants sourds, il est donc légitime de s’interroger sur la nature du bilinguisme en

question et sur les pratiques pédagogiques qu’elle suppose. En d’autres termes, quelle

méthodologie permet à l’enfant de devenir réellement bilingue?

Pour tenter de répondre à cette question et à celles qu’elle engendre, je présenterai

dans un premier temps les données théoriques que j’ai acquises lors de mes cours d’option. Il

s’agit des cours de HSLSF1, traitant de linguistique, d’analyse de corpus et de didactique

autour de la LSF. Ces données, approfondies à l’aide de lectures personnelles, s’organiseront

en trois thèmes : la LSF, l’éducation de l’enfant sourd et un questionnement sur la pédagogie

bilingue. La deuxième partie de ce mémoire apportera des éléments de réponse issus d’une

expérience pratique. Elle sera consacrée à mon rapport de stage, effectué au Centre de la

Ressource, à l’Ile de la Réunion.

1 HSLSF : Histoire et Structure de la Langue des Signes Française

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PREMIERE PARTIE

DONNEES THEORIQUES

CHAPITRE I. AUTOUR DE LA LSF ...........................................p.9

I. LINGUISTIQUE DE LA LSF .....................................................................................p.9 I.1. La naissance des langues des signes ...……………...............………....................…..p.9

I.1.1 Le modèle sémiogénétique ...........................................................................p.9

I.1.2 Les recherches sur l’émergence des langues des signes ......................................p.10

I.2. Grammaire de la LSF : Modèle de C. Cuxac ..............................................................p.11

I.2.1. Analyse des Structures de Grande Iconicité ......................................................p.12

I.2.2. Analyse des structures standard ...................................................................p.13

I.2.3. Les énoncés mêlant les deux visées ............................................................. p.14

I.2.4. La multilinéarité des Langues de signes ......................................................p.14

II. ACQUISITION DE LA LSF ....................................................................................p.16

II.1. Conditions atypiques du processus d’acquisition et de transmission de la LSF .......p.16

II.1.1 La transmission de la langue .......................................................................p.16

II.1.2 Le territoire géographique ...........................................................................p.16

II.1.3 « L’oralité » des LS .....................................................................................p.17

II.2. Le rôle des LSEmg dans l’acquisition des LS institutionnalisées .............................p.17

II.2.1 La définition des LSEmg de Ivani Fusellier-Souza .....................................p.17

II.2.2 Structures et fonctions des LSEmg ..............................................................p.17

II.2.3 Implication des LSEmg dans l’acquisition tardive d’une LS

communautaire ..................................................................................................................p.18

III. ENSEIGNEMENT DE LA LSF ...........................................................................p.19

III.1. Le statut actuel de la LSF ........................................................................................p.19

III.2. La diversité des situations d’enseignement .............................................................p.19

III.2.1 Le milieu scolaire ......................................................................................p.20

III.2.2 Le milieu associatif ..................................................................................p.20

III.3. Les approches pédagogiques ...................................................................................p.21

III.3.1. Les formations ..........................................................................................p.21

III.3.2. Problématique : les besoins du public ......................................................p.21

CHAPITRE II. L’EDUCATION DE L’ENFANT SOURD .........p.23

I. HISTORIQUE DE L’EDUCATION DES JEUNES SOURDS ...............................p.23

I.1 L’apparition de deux systèmes d’éducation .................................................................p.23

I.2 La guerre des méthodes et le triomphe de l’oralisme...................................................p.24

I.3. La réintroduction de la langue des signes dans l’éducation ........................................p.26

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II. LE BILINGUISME ....................................................................................................p.28

II.1 Qu’est-ce que le bilinguisme ? ....................................................................................p.28

II.1.1 Le bilinguisme en général ............................................................................p.28

II.1.2 Le bilinguisme sourd ....................................................................................p.28

II.2 Cadre familial et préscolaire ........................................................................................p.30

II.2.1 La nécessité de l’acquisition précoce d’une langue naturelle........................p.30

II.2.2 Quelle langue faire acquérir en premier? ......................................................p.30

II.3. Cadre scolaire ..............................................................................................................p.31

II.3.1 Les principes d’un projet bilingue .................................................................p.31

II.3.2. Quelles pratiques pédagogiques ? ................................................................p.32

III. ETAT DES LIEUX DE L’EDUCATION DES JEUNES SOURDS EN France ...p.34

III.1 Quelle scolarité pour les enfants sourds ? ...................................................................p.34

III.1.1. Les conditions d’un choix difficile ...............................................................p.34

III.1.2. Présentation des structures bilingues ............................................................p.35

III.2 La situation des sourds en France ................................................................................p.37

III.2.1 L’illettrisme ...................................................................................................p.37

III.2.2 Evaluation de la population active sourde .....................................................p.38

CHAPITRE III. QUESTIONNEMENTS ...................... ..................p.39

I. PROBLEMATIQUE AUTOUR D’UNE ECRITURE DES LANGUES DES SIGNES

p.39

I.1 Le rapport des sourds à l’écriture ...................................................................................p.39

I.2. Vers une écriture des Langues des Signes ? ..................................................................p.40

I.2.1. La vidéo : l’ « écrit » de la LSF ? ...................................................................p.40

I.2.2 Les systèmes de notation des LS actuellement utilisés ...................................p.41

I.3. Le projet LS-Script ........................................................................................................p.43

II. APPRENTISSAGE DE LA LANGUE ECRITE : QUELLE METHODE ? ..........p.44

II.1. Les différentes méthodes de lectures ...........................................................................p.44

II.1.1. La méthode syllabique ..................................................................................p.44

II.1.2. La méthode globale .......................................................................................p.45

II.2. Le cas des sourds : quelle voie d’accès à l’écrit ? ........................................................p.45

III. RAPPORT A L’ENSEIGNEMENT DU FLE ? .......................................................p.48

III.1. Fondements d’un rapprochement du public FLE et du public sourd signant .............p.48

III.2. Les caractéristiques de la didactique du FLE .............................................................p.48

III.3. Les adaptations au contexte de la surdité ...................................................................p.50

III.3.1. Principes permettant d’influencer positivement l’enseignement

du français pour les sourds ..................................................................................................p.50

III.3.2. Pour une utilisation du matériel pédagogique ? ...........................................p.51

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CHAPITRE I. AUTOUR DE LA LSF

I. LINGUISTIQUE DE LA LSF2

On peut considérer deux grandes époques dans l’Histoire des recherches sur les

langues des signes. Les premiers linguistes qui s’intéressèrent à ce nouvel objet d’étude eurent

pour priorité de faire reconnaître les langues des signes comme des véritables langues. Ils ont

donc cherché à retrouver dans les langues signées les caractéristiques structurales des langues

vocales. Dans les années 6O, le linguiste W. C. Stokoe a démontré une double articulation du

signe et a décrit une phonologie de la langue des signes américaine (ASL). Les linguistes de

cette époque ont occulté le caractère iconique3 de ces langues, le considérant comme non

pertinent et appelé à disparaître. Mais par ce travail ils ont réussi à élever les langues signées

au statut de langues à part entière. La deuxième époque qui débute dans les années 80,

concerne des chercheurs, tels que P. Jouison, éducateur spécialisé à Bordeaux et C. Cuxac,

linguiste, qui se sont intéressés à ce qui fait la spécificité des LS, tels que l’iconicité et

l’utilisation originale qu’elles font de l’espace. Le travail de légitimation de la LSF n’est

aujourd’hui plus à faire. L’Etat français a reconnu la LSF comme langue à part entière et

ayant une légitimité éducative et culturelle4. Le but est ici de proposer une description

générale de la LSF en se référant au modèle établi par C. Cuxac et d’en montrer l’originalité.

I.1. La naissance des langues des signes

I.1.1 Le modèle sémiogénétique

Contrairement à une idée largement reçue, il n’y a pas de langue des signes unique et

universelle. Au contraire, on distingue une langue des signes pour chaque communauté de

2 Cette partie est basée sur le cours de HSLSF 3 de C. Cuxac qui traite de la linguistique de la LSF.

3 C. Cuxac défini l’iconicité comme le lien de ressemblance entre la forme du signe et son contenu référentiel.

Par exemple pour le signe « maison », les deux mains reprennent la forme d’un toit. C. S. Peirce, le premier à

avoir utilisé ce terme, ne l’a appliqué qu’aux signes non linguistiques, les signes linguistiques étant arbitraires

par définition (Saussure). 4 Loi du 11-02 2005, n° 2005-102 : Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté

des personnes handicapées.

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sourds. Il existe également ce que I. Fusellier-Souza5, linguiste à l’université de Paris 8, a

nommé LSP ou LSEmg6, langues qui sont créées naturellement par des sourds isolés et

pratiquées avec leur entourage. Cette grande variété de langues a pourtant un tronc commun :

si l’on se réfère au modèle sémiogénétique7 établi par C. Cuxac, il existe un processus à

l’origine de toute création de signe, appelé processus d’iconicisation de l’expérience

perceptivo pratique (ou du réel). Il s’agit du processus par lequel le locuteur va rendre

iconique l’expérience en la restituant sous forme d’énoncés. Le même modèle défini « l’acte

de naissance » de toutes les langues des signes :

En premier lieu des sourds isolés créent naturellement leur langue signée, grâce au

processus d’iconicisation du réel.

Si les circonstances le permettent, plusieurs locuteurs de LSP vont se rencontrer,

faisant émerger une langue commune qui va se complexifier au fur et à mesure.

Certaines formes très iconiques vont également se simplifier avant d’être

standardisées.

A partir d’un certain niveau de maturité, on assiste à une bifurcation entre deux

stratégies dans le discours8 :

o Une première stratégie exploite la ressemblance formelle avec le référent.

C’est la visée illustrative qui « dit en montrant ».

o La seconde, non illustrative, a recourt aux signes standards, ceux-là mêmes

qui résultent d’une simplification d’une structure de grande iconicité au cours

de la formation de la langue.

En dernier lieu, la langue fait l’objet d’une institutionnalisation, comme l’a été la LSF

au XVIIIème

siècle par l’Abbé de l’Epée.

I.1.2 Les recherches sur l’émergence des langues des signes

Des recherches ont été menées sur la création de signes par des sourds isolés. Aux

Etats-Unis dans les années 90, S. Goldin Meadow a étudié ce qu’elle a appelé les Homesigns9

d’enfants sourds américains avant leur rencontre avec la communauté sourde. Elle a remarqué

que ces enfants sont les principaux créateurs de signes à l’adresse de leur entourage, et que les

5 Fusellier-Souza, I. 2004. Sémiogénèse des langues des signes : Etude de langues des signes primaires (LSP)

pratiquées par des sourds brésiliens. Thèse de doctorat sous la direction de C. Cuxac, Université Paris 8, Saint-

Denis. 6 (langues des signes primaires/émergeantes)

7 Qui décrit l’origine et la création des signes.

8 C’est la « bifurcation des visées »

9Traduit en français par « familiolectes »

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signes produits sont très fortement iconiques. Cependant, dans la lignée de la linguistique

structurale américaine, elle a considéré que cette iconicité allait perdre de son importance au

cours du temps. M. Yau (1992), un autre linguiste américain, a mené une étude similaire sur

des adultes sourds isolés et a remarqué un vocabulaire très variable d’un individu à l’autre,

certains ayant créé plus de 1500 signes. I. Fusellier-Souza a mené pour sa thèse une étude sur

trois sourds brésiliens adultes, isolés de la communauté sourde. Elle a noté le même schéma

familial : l’individu sourd est le seul créateur de signes. Il a dans son entourage un

interlocuteur privilégié, qui peut être l’épouse ou un frère et qui joue le rôle de traducteur. La

syntaxe du locuteur sourd est toujours plus élaborée que celle de l’interlocuteur privilégié.

Ce processus de création commun à toutes les langues des signes leur confère une

grande proximité syntaxique. Mais ce qui diffère d’une langue à l’autre, c’est le lexique, à la

base de la deuxième stratégie du discours en LS. Lorsque deux locuteurs de deux langues des

signes différentes communiquent, ils exploitent donc majoritairement la première stratégie, et

se comprennent facilement. G. Jirou, étudiante en linguistique à Paris 8, a pour son mémoire

de Maîtrise étudié les stratégies employées entre des sourds appartenant à des petites

communautés ne pratiquant pas la même langue des signes. Elle a observé que les locuteurs

utilisent des structures de forte iconicité (mimes, gestes emblématiques), puis lorsqu’il y a

compréhension, le signe peut être raccourci par économie, puis standardisé. Elle a donc

assisté à un processus de création d’une langue commune.

L’iconicité, source de critique de nombreux linguistes, prend donc son sens et sa

valeur lorsqu’on l’inclut dans un modèle sémiogénétique. « Elle est à la fois le principe

fondateur et organisateur des LS. » (I. Fusellier-Souza)

I.2. Grammaire de la LSF : modèle de Christian Cuxac

Etudier une LS ne se résume pas à l’étude d’un ensemble de signes réalisés avec les

mains. C’est le corps entier du locuteur qui est signifiant. La langue fait bien sûr appel aux

mains, mais également au regard, aux mimiques faciales, aux mouvements du corps et du

visage. C’est cette combinaison d’éléments manuels et non manuels qui donne son sens au

signe. La bifurcation des visées, qui apparaît au cours du processus de formation des langues,

est une grande spécificité des LS. Elle donne le choix au locuteur entre deux stratégies

discursives :

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La première, à visée illustrative, ou iconicisatrice, qui met en œuvre des Structures de

Grande Iconicité (SGI).

La seconde, à visée non illustrative, qui fait appel aux structures dites standard et

utilise des signes conventionnels, à l’instar de ceux que l’on trouve dans les

dictionnaires.

I.2.1. Analyse des Structures de Grande Iconicité (SGI)

C. Cuxac dénombre trois types d’iconicité. L’iconicité imagique, qui concerne les SGI,

l’iconicité dégénérée et l’iconicité diagrammatique10

, qui seront détaillées ci-après.

L’iconicité imagique est intentionnelle et est donc pertinente cognitivement. Les formes

produites sont nommés transferts, opérations mentales qu’effectue le locuteur. Il y a en effet

trois types de transferts :

Les transferts de taille et de forme : le locuteur reprend manuellement la forme d’un

objet, d’un animal ou d’une personne en utilisant la configuration appropriée. Ces

différentes configurations sont appelées proformes. Il en existe une quarantaine : par

exemple, la configuration main plate, paume vers le bas, est la proforme pour voiture ;

l’index tendu vers le haut est la proforme pour une personne debout.

Les transferts de situation : Le locuteur reproduit le déplacement d’un actant par

rapport à un locatif qui sert de repère.

Les transferts personnels : Il s’agit de prises de rôle, le locuteur se mettant dans la

peau d’un personnage et racontant à travers lui.

Ces transferts peuvent également se combiner, donnant lieu à des structures complexes, telles

que les doubles transferts, issus de la combinaison d’un transfert personnel et d’un transfert

situationnel. M-A. Sallandre a poursuivit et approfondi ce travail sur les transferts dans sa

thèse11

, permettant de dégager de nombreuses unités.

10

Ces deux derniers types d’iconicité ne font pas partie des SGI : la première porte sur les signes standard (2.2.1)

et la seconde sur les l’utilisation schématique de l’espace (2.2.3). 11

Sallandre, M-A. 2003. Les unités du discours en Langue des Signes Française. Tentative de catégorisation

dans le cadre d’une grammaire de l’iconicité. Thèse de doctorat sous la direction de C. Cuxac, Université Paris

VIII, Saint-Denis.

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I.2.2. Analyse des structures standard

L’iconicité dégénérée

Les signes standard peuvent être iconiques ou non, en fonction des transformations

qu’ils ont subies au cours du temps. Mais dans tous les cas cette iconicité doit être considérée

comme non pertinente cognitivement, puisqu’il n’y a pas d’intention de donner à voir de la

part du locuteur. Ce type d’iconicité est donc appelé « iconicité dégénérée » et doit être

considéré comme un reste d’iconicité imagique sur un signe standard. Christian Cuxac a en

effet élaboré l’hypothèse selon laquelle l’iconicité imagique devient dégénérée dans le

processus de création de signes.

La compositionnalité du signe

Lorsque l’on analyse les signes standards, on prend en compte 4 paramètres manuels :

La configuration de la main

L’orientation de la main

Le mouvement effectué

L’emplacement du signe sur le corps du locuteur

Les signes sont également composés de paramètres non manuels, tels que les

mimiques faciales, les mouvements des lèvres, du visage et du buste. Chacun de ces

paramètres contient une liste finie d’unités qui se combinent pour créer une infinité de signes.

Ces unités prises séparément sont porteuses de sens : par exemple, l’emplacement du front

donnera une liste de signes ayant trait à la pensée et au savoir. Cette compositionnalité est

donc d’ordre morphémique, et non phonologique.

L’organisation des signes dans l’espace : l’iconicité diagrammatique

Les langues des signes ont une syntaxe spatiale diagrammatique, ce qui signifie

qu’elles font une utilisation schématique de l’espace. Dans les expressions temporelles, les

évènements sont positionnés sur une ligne imaginaire et placés dans l’ordre chronologique :

ligne d’avant en arrière pour le temps de l’énonciation, et ligne transversale pour le temps de

l’énoncé. Les relations actancielles font également appel à ce type de syntaxe, avec le recours

à une spatialisation des actants. Cela permet entre autre l’utilisation des verbes directionnels,

tel que le verbe [donner], dont le point de départ du mouvement spécifie l’agent et le point

d’arrivée le patient. Cette utilisation de l’espace permet également la construction de

références. Un pointage ou un regard sur une portion de l’espace de signation réactive la

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personne, le lieu ou l’époque préalablement produits sur l’emplacement. L’ordre des signes a

donc moins d’importance que leur agencement dans l’espace. On observe cependant quelques

régularités. Ainsi, dans l’activité de récit, il convient de placer d’abord le décor et les

personnages, puis l’action. Dans le cas des verbes transitifs, l’ordre le plus fréquemment

employé est Agent – Patient – Verbe.

I.2.3. Les énoncés mêlant les deux visées

Il est à noter que ces deux visées, illustrative et non illustrative ne sont pas en

opposition constante. Dans l’activité de récit, elles se complètent, le signe standard étant

généralement l’introducteur du thème et du savoir partagé, les SGI apportant des informations

nouvelles. Le va-et-vient entre les deux visées est également permis grâce à l’iconicité des

signes standard. Bien que non pertinente cognitivement, elle facilite l’intégration d’un signe

standard dans une structure de transfert. Il s’agit selon C. Cuxac d’une contrainte de maintien

de l’iconicité pesant sur les signes standard. Cette postulation nous laisse donc penser que

l’iconicité, même dégénérée, ne disparaîtra pas au profit de signes arbitraires.

I.2.4. La multilinéarité des Langues de signes

L’énoncé en langue des signes met en jeu différents paramètres qui apportent simultanément

un ensemble d’informations :

Le signe manuel : il apporte le contenu lexical.

Le regard : il indique le registre discursif. Si le locuteur ne regarde pas l’interlocuteur,

il indique qu’il est en transfert12

. Si le regard est posé sur l’interlocuteur, le locuteur se

rend responsable de l’énonciation, il s’exprime avec des structures standard.

Les mimiques faciales : dans le cas d’un transfert personnel, elles indiquent l’état

d’esprit du personnage transféré. Dans le cas d’un transfert de taille ou de forme elles

jouent un rôle qualitatif ou quantitatif et dans le cas d’un transfert situationnel elles

spécifient la nature du déplacement. Elles ont également un rôle aspectuel (duratif,

ponctuel...) ou modal (expression de la normalité, du conditionnel, d’une hypothèse

mentale...)

Les mouvements du corps : balancements et rotations apportent une rythmique qui

joue un rôle dans la coordination, dans le changement de thème ainsi que dans la

séparation des différentes propositions. Ils jouent donc un rôle de frontière syntaxique.

12

Il est donc dans une visée illustrative.

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II. ACQUISITION DE LA LANGUE DES SIGNES13

II.1. Conditions atypiques du processus d’acquisition et de transmission

de la LSF

La LSF est proche des langues minoritaires en certains points. Elle est pratiquée par

une communauté insérée dans la communauté nationale, elle fait l’objet d’un désir de

reconnaissance de la part de ses locuteurs et elle a longtemps été (et est encore quelquefois)

considérée comme inférieure à la langue officielle. Certaines caractéristiques lui sont pourtant

particulières.

II.1.1 La transmission de la langue

Contrairement à toute autre langue naturelle, la LSF fait rarement l’objet d’une

transmission héréditaire. En effet, toutes les langues vocales sont transmises par les parents à

leur enfant. On peut donc parler de langue maternelle. Mais quel statut donner à la langue que

pratique un enfant sourd signant de parents entendants, puisqu’il l’aura acquise très

probablement à l’école ? On parlera donc de langue première, par opposition au français, qui

sera acquis comme langue seconde. Les articles traitant le sujet emploient également souvent

l’expression « langue naturelle de l’enfant sourd » pour mettre en évidence le caractère

premier de cette langue sur le développement cognitif. Il n’y a donc pas de processus naturel

d’acquisition de la langue des signes comme langue maternelle, hormis dans deux situations

très minoritaires14

: les enfants, sourds ou entendants, naissant de parents sourds et les enfants

sourds, naissant de parents entendants ayant fait le choix très tôt d’une communication

gestuelle.

II.1.2 Le territoire géographique

Les LS ne sont pas liées à une unité géographique. Les sourds signant ont en commun

une culture, une langue et ont le sentiment d’appartenir à une communauté. Mais ils ne se

trouvent pas sur un même lieu. Cet « éparpillement » des locuteurs entraîne une variation

lexicale d’un point à l’autre du territoire. Cependant, il est fort possible que l’essor des

nouvelles technologies de l’information et de la communication atténue cette variation,

13

Les parties II et III de ce chapitre sont basées sur le cours de HSLSF 6 de Ivani Fusellier-Souza dont le thème

est l’acquisition et la didactique de la langue des signes. 14

90% des enfants sourds naissent de parents entendants.

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car la LSF est de plus en plus visible. De nombreux sites Internet en témoignent, tels que

websourd15

ainsi que des émissions télévisuelles comme « l’œil et la main », sur France 5.

II.1.3 « L’oralité » des LS

Les LS sont des langues à tradition orale, dans le sens où elles n’ont pas de forme

écrite. On peut facilement adapter un système d’écriture déjà existant à une langue vocale ne

possédant pas encore de forme écrite. Mais les LS ne disposent pas de système d’écriture

propre. Le français écrit est donc complémentaire de la LSF. Nous pouvons nuancer cette

affirmation car la vidéo, très utilisée, favorise la transmission et l’harmonisation de la langue.

Elle permet également de garder la trace d’un énoncé signé, ce qui constitue l’une des

caractéristiques de l’écriture.

II.2. Le rôle des Langues des signes Emergentes (LSEmg) dans

l’acquisition des LS institutionnalisées

II.2.1 La définition des LSEmg selon Ivani Fusellier-Souza

Les LSEmg sont des systèmes linguistiques gestuels pratiqués par un individu sourd

exclusivement intégré dans un entourage entendant. Ce sont des systèmes linguistiques à

forme simple par rapport aux formes complexes des langues des signes institutionnalisées. La

condition indispensable à l’évolution de ce système émergent est l’acceptation par l’entourage

familial de la mise en place d’une communication gestuelle : il doit y avoir interaction entre

l’enfant et son entourage. Les structures qui émergent alors apparaissent naturellement chez

l’enfant sourd, qui lui seul est dans un processus créatif.

II.2.2 Structures et fonctions des LSEmg

Dans ses recherches sur les « homesigns », S. Goldin-Meadow a analysé ces systèmes

et relevé qu’à trois ans environ, l’enfant dispose d’un vocabulaire d’une cinquantaine de

signes stabilisés. Lorsque le système est abouti, ces enfants sont notamment capables de

réaliser les actes de parole suivant :

Solliciter des objets et des actions des autres

Commenter ses actions et celles des autres

Raconter des évènements passés (détachement du ici et maintenant)

15

www.websourd.org

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Utiliser des gestes de façon métalinguistique

Parler avec soi-même en jouant seul

Dans sa thèse, I. Fusellier-Souza a montré que l’organisation structurale des LSEmg

est fondée sur la spécialisation sémantique des paramètres, au même titre que les LS

institutionnalisées. Mais il s’agit bien sûr de systèmes plus simples que les LS

institutionnalisées. En effet, l’effort de création d’une LSEmg est beaucoup plus laborieux

que l’effort d’acquisition naturelle d’une langue. De plus, les langues institutionnalisées ont

une histoire longue et se sont donc complexifiées au fil des générations, tandis que les LSEmg

sont par définition des langues qui n’ont pas fait l’objet d’une transmission.

II.2.3 Implication des LSEmg dans l’acquisition tardive d’une LS

communautaire

Les recherches de J. Morford16

, qui font l’objet d’un résumé dans la thèse d’I.

Fusellier-Souza, ont porté sur deux adolescents sourds pratiquant chacun une LSEmg. Il

montre notamment que l’acquisition tardive d’une langue communautaire est réussie grâce

aux bases linguistiques présentes dans les LSEmg. L’usage préalable d’une LSEmg favorise

donc l’acquisition d’une LS communautaire. L’idée d’une période critique dans l’acquisition

d’une langue signée institutionnalisée est donc remise en cause dès lors qu’un système de

LSEmg a pu voir le jour. Ces systèmes ne sont pas à négliger dans la prise en charge d’un

enfant sourd scolarisé tardivement et ayant développé une LSEmg. Au contraire, ils peuvent

servir de base aux apprentissages. I. Fusellier-Souza présente deux perspectives différentes

dans la prise en charge d’un tel élève. La première est celle de S. Schaller, professeur de

langue des signes américaine (ASL) et interprète aux Etats-Unis, auteur de l’ouvrage A man

without words17

, dans lequel elle raconte son expérience d’enseignement auprès d’un jeune

sourd mexicain de 21 ans. Sa première priorité a été de lui enseigner l’ASL. La seconde

perspective est la propre expérience de I. Fusellier-Souza, qui, n’ayant aucune connaissance

de la surdité, est rentrée dans l’univers langagier de l’enfant dont elle avait la charge. Il

s’agissait d’un enfant de 12 ans, Jefferson. Dans le premier cas, l’adulte considère que son

élève part du vide et qu’il faut tout lui apporter. C’est une vision ethnocentriste, qui demande

à l’élève de rentrer dans le monde de l’adulte. Dans le second cas, il s’agit d’une perspective

16

Morford, J, (2003). Grammatical development in adolescent first-language learners. In Linguistics 41-4.

Mouton de Gruyter. 17

1991. New York : Summit books

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de découverte de l’autre. Il y a prise de conscience que l’élève dispose déjà d’un système

langagier, et qu’il convient de se l’approprier pour rentrer en communication avec lui. En

outre l’enfant était capable de comprendre et de se faire comprendre des autres enfants sourds,

grâce au recours aux structures de grande iconicité. L’apprentissage de la langue

communautaire ne constitue pas une priorité puisque l’enfant n’est isolé ni linguistiquement

ni socialement de la communauté sourde. Même avant l’acquisition d’une langue des signes

institutionnalisée, les enfants sourds sont capables d’acquérir des concepts abstraits. C’est

pourquoi la pratique précoce d’une langue signée est primordiale pour un bon développement

cognitif de l’enfant. Le rôle de la famille est bien sûr essentiel pour rendre possible cette

communication.

III. L’enseignement de la LSF

III.1. Le statut actuel de la LSF

La loi de 2005 reconnaît la LSF comme langue minoritaire, lui confère le statut de

vecteur d’identité culturelle des sourds, et de vecteur de connaissances. C’est une langue

vivante, qui peut être à la fois langue enseignée et langue d’enseignement.

III.2. La diversité des situations d’enseignement

La LSF peut être enseignée à deux publics distincts : les enfants sourds et les adultes

entendants. La démarche cognitive ne sera pas la même selon le public. Pour les enfants

sourds il s’agit de l’acquisition du langage : la LSF a alors le statut de langue première. Ce

n’est le cas bien sûr que dans le cadre d’un projet bilingue. Les enfants sourds qui font l’objet

d’un projet oral18

auront le français comme langue première, sous réserve de l’efficacité de

cette oralisation. Pour les adultes entendants, il s’agit de l’apprentissage d’une langue

seconde. Le premier type d’enseignement se déroule dans la sphère scolaire et le second se

déroule dans la sphère associative.

18

Le projet oral vise l’apprentissage de la langue parlée. Voir Chapitre II.

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III.2.1 Le milieu scolaire

Si le statut de la LSF est clairement établi par l’Etat, il n’en est pas de même dans le

milieu scolaire. Ainsi la LSF a rarement un statut équivalent au français, et sert

principalement d’outil de communication. Elle est langue d’enseignement, mais rarement

langue enseignée en elle-même : elle ne sert qu’à faire passer les contenus.

III.2.2 Le milieu associatif

La diffusion de la LSF vers le public entendant est croissante. De nombreuses

associations et écoles de langue des signes permettent aux apprenants de se familiariser ou se

perfectionner dans ce mode de communication. Mais cette formation s’effectue avec plus ou

moins de bonheur, tant est grande la diversité des types d’enseignements que l’on peut y

recevoir. En effet, la qualité des enseignements varie d’un lieu à l’autre, en raison du peu de

professionnels sourds formés en pédagogie. Certaines associations effectuent un travail de

longue date sur la didactique de la LSF et ont joué dans ce domaine un rôle de précurseur :

IVT (International Visual Theatre), l’ALSF (Académie de la LSF), Visuel. Le public est

également très hétérogène. Il peut s’agir de :

professionnels de la surdité, tels que éducateurs spécialisés, enseignants,

orthophonistes…

personnes désirant devenir interprète français/langue des signes

employés de services administratifs, amenés à côtoyer des usagers sourds

personnes cherchant à travailler dans le domaine de la surdité

parents d’enfants sourds (évidement)

Enfin, la LSF étant l’objet de recherches universitaires, certaines facultés proposent son

apprentissage (Paris 8, Grenoble, Lille, Poitiers…)

III.3. Les approches pédagogiques

III.3.1. Les formations

L’enseignement de la LSF connaît actuellement une grande diversité de méthodes,

mais tend à s’harmoniser. Certaines associations proposent aux sourds des formations en

didactique, et l’université Paris 8, en partenariat avec l’association Visuel, propose deux

formations diplômantes :

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Le DPCU (Diplôme de premier cycle universitaire) spécialisation d'enseignement de la

Langue des Signes Française, qui forme des enseignants de LSF pour les adultes

entendants.

La licence professionnelle d’enseignement de la LSF en milieu scolaire. Partenariat

Paris 8 – Cnefei19

– Visuel LSF

Ces diplômes ont pour but d’apporter un statut et une qualification universitaire aux futurs

enseignants et de leur conférer ainsi une reconnaissance.

III.3.2. Problématique : les besoins du public

Compte tenu de l’hétérogénéité du public entendant, la nécessité de répondre aux

besoins spécifiques de chacun s’impose. Ces formations sont-elles à même de répondre à tous

les besoins ? Les futurs interprètes auront par exemple des besoins bien différents des

enseignants des milieux spécialisés. Les parents de très jeunes enfants sourds, désireux

d’instaurer une communication gestuelle avec leur enfant, auront des besoins propres. Le cas

des parents d’enfants sourds est très particulier, car à la même période parents et enfant vont

apprendre la même langue. Bien sûr les processus cognitifs seront différents de part et d’autre.

Mais il faut en tenir compte : comment enseigner une langue qui est à la fois une deuxième

langue pour les parents et une première langue pour l’enfant ? Quels sont les besoins pour ces

deux publics ? P. Dalle, président de l’ANPES20

, explique ces différents besoins. Pour

l’enfant, il s’agit d’acquisition du langage. Il va donc développer naturellement :

une fonction langage, c’est-à-dire l’établissement de correspondances entre pensée et

émission.

des compétences grammaticales, adaptées à la modalité visuelle.

une compétence langagière, en respectant les codes de la langue.

Les parents sont médiateurs dans ce processus d’acquisition, car c’est grâce à leur propre

compétence que va se développer, par interaction, la compétence linguistique de l’enfant.

Leurs besoins se situent davantage au niveau de l’apprentissage de la grammaire spatiale que

de l’acquisition d’un lexique fourni. En effet, le respect de la structure spatiale de la langue

est fondamental lorsque les parents s’adressent à leur enfant. Cela permet un bon

développement de ses capacités langagières, tandis qu’un signe standard peut être remplacé

19 CNEFEI : Centre National d’Etude et de Formation pour l’Enfance Inadaptée

20 Association Nationale de Parents d’Enfants Sourds

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par le mime. Enfin, l’apprentissage d’un vocabulaire enfantin et de comptines signées permet

aux parents d’échanger avec leur enfant de manière ludique.

Or les cours de Langue des signes sont rarement adaptés à ces conditions particulières

d’apprentissage. Une solution, proposée par certains safep21

, consiste à faire intervenir

précocement un adulte sourd dans la famille. Cette intervention sera utile à plusieurs niveaux :

Au point de vue langagier, cette personne va exposer l’enfant à une langue des signes

de qualité et enseigner aux parents ce qui leur sera immédiatement utile dans la

communication avec leur enfant.

Elle va également faire prendre conscience aux parents de la richesse de la langue des

signes et tout ce qu’elle peut apporter à leur enfant, qu’ils vont voir progressivement

s’ouvrir à la communication et construire son identité.

Son attitude positive vis-à-vis de la surdité rassure les parents et leur permet de

projeter leur enfant dans l’avenir avec sérénité.

21

Safep : Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce

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CHAPITRE II. L’EDUCATION DE L’ENFANT

SOURD

I. HISTORIQUE DE L’EDUCATION DES JEUNES SOURDS

I.1 L’apparition de deux systèmes d’éducation

De l’Antiquité au Moyen Age, on ne connaît aucune trace écrite permettant d’attester

d’une prise en charge particulière des sourds-muets. Deux systèmes sont apparus

successivement au cours de l’histoire.

La première méthode d’éducation pour enfant sourd apparaît à l’issue d’une

découverte médicale retentissante au XVIème

siècle : l’organe spécifique de l’audition est

distinct de celui de l’intonation. Autrement dit, on peut apprendre aux sourds à parler. Les

premiers à s’y essayer et à montrer publiquement leurs résultats sont des moines espagnols

dont le plus connu est Ponce de Leon. Ces précepteurs développent des méthodes permettant

de démutiser22

les sourds dont certaines sont encore utilisées aujourd’hui. D’abord réservé aux

familles aisées, ce système d’éducation prend progressivement de l’ampleur. Il s’ouvre aux

familles moins fortunées et s’exporte aux autres pays européens au cours du XVIIème

siècle.

Les précepteurs n’ignorent pas que les sourds s’expriment naturellement par gestes. Mais ils

rejètent ceux-ci, les considérant comme impropres à exprimer la pensée humaine.

Au XVIIIème

siècle, le modèle oraliste perdure et s’étend. Mais en France, à Paris, émerge

une méthode d’éducation novatrice dont l’initiateur est Charles Michel de l’Epée (1712-

1789). En observant des sourds communiquer entre eux, l’Abbé de l’Epée se rend compte que

les signes sont aptes à exprimer la pensée humaine, au même titre que les langues orales. Il

réfléchit alors sur un usage possible des gestes naturels des sourds dans la pédagogie du

français. Il apprend les signes à leur contact et fonde en 1760 une école mixte. Sa pédagogie

s’oppose totalement au système du préceptorat : il privilégie la groupalité et néglige

l’oralisation au profit du français écrit. Il favorise ainsi une double socialisation : au sein de la

communauté sourde grâce à la langue des signes et au sein de la société entendante grâce à

l’accès au français écrit. Mais sa démarche d’enseignement du français écrit est loin

d’être efficace. En effet, il juxtapose des signes de son invention aux signes naturels de la

22

Démutiser un sourd-muet, c'est-à-dire l’amener à produire et maîtriser ses émissions vocales.

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langue de ses élèves. Ces signes méthodiques, comme il les nomme, sont des signes

grammaticaux. Ils renseignent sur le temps, la personne, le genre et la fonction grammaticale

du français. Au lieu de faciliter l’apprentissage du français, ce système brouille la

compréhension. Les élèves sourds peuvent écrire mécaniquement par le biais de la dictée, en

décodant ces signes, mais sans en comprendre le sens. Les démonstrations publiques, censées

montrer la compétence des élèves en français et qui ont eu un grand succès, n’était donc qu’un

leurre. On doit cependant à l’Abbé de l’Epée d’être le premier entendant à avoir basé son

enseignement sur les signes naturels des sourds, et d’être l‘initiateur d’une pédagogie visuelle,

qui va s’améliorer et s’enrichir au fil du temps.

Le système acquiert de la popularité et se développe en province, en Europe et même

dans le monde tout au long du XVIIIème

. C’est en 1789 que l’école de l’Abbé de l’Epée

devient l’Institution Nationale des Sourds-Muets, et l’Abbé Sicard (1742-1822) son premier

directeur. Auguste Bébian (1790-1839), responsable pédagogique de l’institution dès 1817,

est l’inspirateur de la vraie méthode bilingue. Il clarifie l’enseignement du français écrit en

supprimant l’usage des signes méthodiques. La langue des signes devient la langue de

référence qui rend possible l’acquisition du français écrit comme langue seconde. De

nombreux élèves sourds deviennent enseignants à leur tour. La communauté sourde

s’épanouit, la langue des signes s’enrichit, et de nombreux artistes et écrivains sourds

émergent à cette époque. A partir de 1830, il n’y a pas une seule grande ville qui ne soit pas

dotée d’une école de ce type. L’éducation de type oraliste a néanmoins continué à se

développer en parallèle, menant à de constantes querelles idéologiques.

I.2 La guerre des méthodes et le triomphe de l’oralisme

Jean-Marc Itard (1774-1838), médecin chef de l’Institution des Sourds-Muets depuis

1800, va avoir une grande influence sur le type de pédagogie employée. Sa vision de la

surdité est purement médicale : ce n’est qu’une maladie qu’il faut guérir. En matière

d’éducation, Itard s’acharne à vouloir faire parler les sourds. Il créé dès 1805 des classes

exclusivement oralistes, dont il expliquera l’échec par la « contamination » des signes appris à

la dérobée par ses élèves. Il propose donc de proscrire complètement la langue des signes de

l’éducation des sourds. Son successeur, Désiré Ordinaire, tente de faire interdire

totalement les signes. Mais devant la détermination des enseignants sourds, il démissionne.

Les gestualistes poursuivent alors leur enseignement bilingue, en commettant l’erreur

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d’exclure complètement la parole de leur cours, provoquant la colère des partisans de

l’oralisme.

En 1880, lors du Congrès de Milan, se réunissent des partisans de l’oralisme pur, des

éducateurs et des enseignants entendants. Seulement deux sourds étaient présents lors de ce

congrès. Une préparation minutieuse, des démonstrations d’élèves sourds parfaitement

oralisés, et des discours retentissants en faveur de l’oralisme achèvent de convaincre le peu

d’éducateurs encore indécis. L’interdiction de la langue des sourds est votée à l’unanimité par

une majorité d’entendants. Dès sa mise en vigueur, l’oralisme est réinstallé comme la seule

voie d’accès aux connaissances. Tous les professionnels sourds sont remerciés. Tout enfant

surpris à signer est sévèrement puni. Les contacts entre générations sont soigneusement

évités, pour empêcher la transmission de la langue. Pendant trente ans, l’interdiction est

absolue. Mais les enseignants se rendent vite compte de la catastrophe. Binet, un psychologue,

écrit un article sur « l’état physique, moral et intellectuel des sourds ». L’article est bien

argumenté et aboutit à la nécessité de l’utilisation des gestes. De 1910 à 1970, la LSF est

toujours interdite en classe, mais est tolérée dans les cours de récréation et les cantines. Bien

que la langue ait perduré durant cette époque, elle s’est appauvrie. De plus les sourds ont fini

par être honteux de leur langue, ayant intégré les discours dévalorisants des éducateurs

entendants. Ils signent par nécessité mais ne se montrent pas. Nous sommes loin de la

communauté dynamique et fière de sa condition du siècle précédent. Cependant, la

conséquence la plus grave de ce siècle d’oralisme est que les sourds en sortent

majoritairement sous-éduqués.

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I.3. La réintroduction de la langue des signes dans l’éducation

En France le chemin vers la reconnaissance de la langue des signes française a été

long :

en 1977, le ministère de la santé lève en termes nuancés l’interdiction de l’usage de la

LSF dans le milieu éducatif.

en 1985, un rapport de l'Education Nationale et des Affaires Sociales23

, fait ce

constat : « La nécessité d'une communication visuo-gestuelle s'impose dans toute sa

force, car elle seule est capable de restaurer dans leur authenticité et dans leur

chronologie, les étapes du développement linguistique ».

la loi de 199124

marque la première reconnaissance officielle de la langue des signes :

l’Assemblée Nationale accepte l’utilisation de la LSF pour l’éducation des jeunes

sourds et donne le choix aux parents entre les deux types d’éducation : « Dans

l’éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue

(langue des signes française et français) et une communication orale est de droit. »25

en 2002, l’Etat français reconnaît la légitimité culturelle et éducative de la LSF. Le

Ministre de l’Education a présenté à cette occasion un référentiel des différentes

compétences à acquérir dans l’apprentissage de la langue.

le 01 mars 2004, la LSF est enfin reconnue officiellement comme langue à part

entière. Elle peut être choisie par les élèves des collèges et lycées comme langue

vivante ou matière optionnelle au baccalauréat, aux examens et concours publics.

la loi du 11 février 200526

réaffirme la liberté de choix du mode de communication, en

l’étendant à la scolarité. Ce droit sera également inscrit dans le code de l’éducation,

(art. L 112-2-2), Elle réaffirme également la reconnaissance de la LSF comme langue

à part entière (art L 312-9-1). Enfin, sa terminologie a évolué : le bilinguisme n’est

plus opposé à l’oralisme, mais au monolinguisme, ce qui sous entend que le français

oral peut faire partie du projet bilingue.

Parallèlement au cadre législatif, certains n’ont pas attendu le feu vert des ministères

pour faire évoluer les choses. La fin des années 70 voit l’émergence d’un mouvement militant

en faveur d’une reconnaissance des sourds et de leur langue. L’association 2LPE27

se créé et

23

Rapport Bouillon/Delhom/Fournier/Kettler, de décembre 1985 24

Loi n° 91-73 du 18-01-1991 (Loi Fabius). 25

Article 33 26

Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. 27

2LPE : Deux Langues Pour une Education

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forge les principes d’une éducation bilingue, respectueuse de l’enfant sourd. Elle remet en

cause l’apprentissage de l’oral comme préalable aux autres apprentissages: il est long et

difficile, et entraîne un retard scolaire. En 1984 et 1985, 2LPE créé six classes bilingues de

maternelle et de primaire. Ce sont des classes « sauvages », financées par les parents, et qui

rencontrent une nette opposition de l’éducation nationale, du ministère de la santé et des

établissements oralistes. Des difficultés de tous ordres ont conduit au passage à une gestion

locale, et à la fermeture de quelques pôles. Actuellement, les classes bilingues de l’école

Ramonville-Saint-Agne sont en cours de régularisation. Elles font l’objet de la part du rectorat

de Toulouse, avec le concours d’IRIS28

et de l’APES29

Midi-Pyrénées, d’un processus de

formalisation et de description d’un parcours bilingue cohérent, de la maternelle à la

terminale.

28

IRIS : Institut de Recherche sur les Implications en langue des Signes 29

APES : Association des Parents d’Enfants Sourds

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II. LE BILINGUISME

II.1. Qu’est ce que le bilinguisme ?

II.1.1 Le bilinguisme en général

Il existe de nombreuses définitions du bilinguisme. Leurs différences reposent

essentiellement sur le niveau de compétence dans chaque langue que le locuteur bilingue est

censé maîtriser. L’approche la plus absolue est celle de L. Bloomfield (1935), qui définit le

bilinguisme par la "maîtrise de deux langues comme si elles étaient toutes deux la langue

maternelle". Ce « bilinguisme parfait », ne rend pas compte d’un grand nombre de situations.

M. Weinreich (1953) définit le bilinguisme de façon plus souple : "Est bilingue celui qui

possède au moins une des quatre capacités (parler, comprendre, lire, écrire) dans une langue

autre que sa langue maternelle." C. Hagège (1996), enfin, considère une personne comme

étant bilingue lorsque ses compétences linguistiques sont comparables dans les deux langues.

Mais toutes ces définitions ne font état que d’aptitudes, sans considérer l’aspect

fonctionnel du bilinguisme : quel rapport entretiennent ces langues l’une par rapport à

l’autre ? Pour M. Grosjean, les bilingues sont des personnes qui ont " la capacité de produire

des énoncés significatifs dans deux (ou plusieurs) langues […] et qui se servent de deux ou

plusieurs langues dans la vie de tous les jours ". On peut donc catégoriser les différents types

de bilinguisme en terme de compétence et d’utilisation. Il reste néanmoins à déterminer le

type de bilinguisme qui nous concerne.

I.1.2 Le bilinguisme sourd

Il s’agit donc de l’usage de la langue des signes et du français. L’association 2LPE

justifie l’importance de la maîtrise des deux langues : la LSF parce que l’individu est sourd, le

français parce que c’est la langue du pays dans lequel il vit. Elle insiste sur l’importance de

l’acquisition de l’écrit. D’abord parce qu’il est la porte d'accès à la scolarité et à la culture,

ensuite parce que la LSF ne disposant pas de système d’écriture, il vient compléter

parfaitement l'équipement linguistique nécessaire à la personne sourde pour être autonome.

Cette vision souligne l’appartenance de la personne sourde à deux mondes, la communauté

sourde et la société française. Le bilinguisme induit le biculturalisme. Si français et LSF

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doivent (ce qui n’est pas encore le cas), avoir un statut égalitaire, elles n’ont pas pour autant

les mêmes rôles. Ainsi le CIS30

d’Aquitaine fait cette distinction :

« La LS est la langue naturelle de l’enfant sourd, celle qu’il doit pouvoir acquérir

inconsciemment de la manière la plus naturelle possible, la langue des échanges

spontanés, du plaisir, langue de structuration de la pensée et d’acquisition de la

culture.

Le français est la langue de la communauté nationale. C’est aussi un outil précieux de

développement culturel, d’accès à de nouvelles connaissances, de mémorisation et

d’expression. »

On peut pourtant nuancer cette affirmation : si la LS est la première langue de

structuration de la pensée, ce rôle n’en revient pas moins à la langue seconde lorsqu’elle est

suffisamment maîtrisée. De la même manière, l’accès à de nouvelles connaissances peut se

faire dans l’une ou l’autre langue selon le contexte. Il est également regrettable que la

dimension de plaisir ne figure pas dans le statut du français. On peut donc établir des liens

plus étroits entre les différentes fonctions de ces langues.

En ce qui concerne la nature de ce bilinguisme, cinq compétences sont exploitées :

production en interaction, production continue31

et compréhension « orale » de la LSF

production et compréhension écrite du français

Si la personne sourde est oralisée, alors s’ajoutent trois compétences, la production en

interaction, la production continue et la compréhension orale du français. La définition du

bilinguisme sourd fait encore débat aujourd’hui. Faut-il englober le français oral ou non ?

Cette question a mené à une nouvelle terminologie pour éviter les malentendus : bilinguisme

monomodal si l’oral ne fait pas partie des compétences, bilinguisme bimodal s’il en fait

partie.

II.2. Cadre familial et préscolaire.

II.2.1 La nécessité de l’acquisition précoce d’une langue naturelle.

Pour la construction de l’individu et du bilinguisme, la première condition est

l’acquisition précoce d’une langue naturelle. L’équipe québécoise de C. Dubuisson

(Université de l’UQAM), a montré que cette acquisition précoce favorise l’apprentissage

30

CIS : Centre d’Information sur la Surdité 31

Le CECR dissocie deux compétences de production orale : s’exprimer oralement en continu et prendre part à

une conversation.

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d’une autre langue. C’est avec sa première langue que l’enfant va acquérir une connaissance

du monde, des concepts, qu’il va accéder à l’abstraction et aux emplois figurés. A.

Vanbrugghe, praticienne française, explique que les compétences ainsi acquises dans une

première langue sont transférables à une langue seconde. La première langue apporte donc à

l’enfant tout le bagage indispensable à l’apprentissage d’une autre langue.

II.2.2 Quelle langue faire acquérir en premier?

Rappelons que français et LSF sont deux langues naturelles. Mais si la LSF est acquise

naturellement par l’enfant sourd, l’apprentissage du français oral est artificiel. Il repose en

effet sur diverses techniques d’orthophonie et s’appuie sur l’optimisation des restes auditifs

par la mise en place de prothèses. C. Courtin, rapportant une étude de M. Marschark (1993),

explique que les enfants sourds dont les parents signent ont un développement cognitif

semblable à celui des enfants entendants. Cette étude nous permet d’insister une fois de plus

sur l’importance de l’acquisition précoce de cette langue. Tout retard entraîne des

conséquences sur l’acquisition du français écrit : les enfants signeurs natifs démarrent

l’apprentissage du français véritablement comme une deuxième langue, tandis que les

signeurs tardifs doivent acquérir deux langues en même temps. Les enfants oralistes, eux,

démarrent avec un déficit de connaissances32

. Entre ces trois types d’enfants, la différence se

situe au niveau du bagage expérientiel, c'est-à-dire au niveau des connaissances préalables à

l’apprentissage et à la conceptualisation.

P. Dalle33

explique les apports de la LSF comme langue première pour l’enfant sourd.

La LSF permet de tout dire, puisque c’est une langue, mais ceci dans de réelles conditions de

dialogue. La communication signée rétablit également des relations normales au sein de la

famille car les parents ont un véritable rôle de parents et non de techniciens de la parole. C’est

eux qui transmettent à leur enfant l’envie de s’exprimer. Quant au français signé, il s’agit d’un

autre moyen de communication qui organise le lexique de la LSF selon la syntaxe du français.

Comme l’indique C. Courtin, la LSF est très différente du français. Elle n’aide pas à

l’acquisition de sa syntaxe car il n’y a pas de transfert possible des compétences. Il est évident

qu’avant même la scolarisation, la langue choisie influence l’acquisition de l’écrit. Puisque le

français signé suit la syntaxe du français, est-il un élément facilitateur? Pour l’acquisition de

32

Tout dépend également du degré de surdité de l’enfant et de ses propres capacités à l’oral. L’éducation oraliste

fonctionne très bien dans certains cas. Toutefois son taux d’échec nous laisse penser qu’elle ne convient pas à la

majorité des enfants sourds profonds. 33

P. Dalle « Histoire et philosophie du projet bilingue » Enseigner et apprendre en LSF : vers une éducation

bilingue, Nouvelle Revue de l’AIS

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la syntaxe, peut-être. Mais il s’agit d’un code et non d’une langue naturelle. De ce fait, il

bloque l’accès au sens et donc bloque la communication. Il ne permet pas l’acquisition de

connaissances et de concepts. Or les connaissances générales, qui sont à la base de

l’apprentissage de la lecture, s’acquièrent par la communication.

II.3. Cadre scolaire.

II.3.1 Les principes d’un projet bilingue

Le but du projet est de permettre à l’enfant de devenir réellement bilingue et biculturel.

Pour cela il est nécessaire de rétablir des conditions normales d’apprentissage. La vision de la

surdité est donc fondamentale. L’élève n’est pas un être déficient qu’il va falloir rééduquer. Il

a au contraire toutes ses potentialités et c’est pourquoi l’école ne doit pas se limiter en matière

d’objectifs scolaires et de projets professionnels. Les objectifs visés doivent être les mêmes

que pour les entendants. La communication mise en place doit se faire en LSF, afin de

permettre des échanges langagiers riches et variés au sein de la classe. Patrice Dalle accorde à

cet effet une nette priorité à ce que l’enseignant soit lui-même sourd en maternelle et en

primaire, « non seulement parce qu’il maîtrise mieux la langue des signes et comprend mieux

les enfants, mais aussi parce qu’il contribue, en étant un modèle, à la construction de l’identité

de l’enfant sourd, à l’acquisition d’une langue des signes de qualité et au développement de sa

socialisation. » Enfin, les classes doivent être accueillies au sein d’écoles ordinaires où élèves

sourds et entendants participent ensemble à la vie scolaire et extrascolaire de l’établissement.

Le but de cette mixité est de permettre aux enfants sourds et entendants de se rencontrer et

d’apprendre à vivre ensemble.

II.3.2. Quelles pratiques pédagogiques ?

Le statut de la LSF :

L’éducation bilingue se démarque de l’utilisation quasi générale qui est faite de la LSF

dans les établissements. La langue des signes, finalement acceptée dans la plupart des

structures scolaires, n’y a qu’un statut d’outil de communication, tandis que dans le projet

bilingue, la LSF a un double statut : elle est la langue d’enseignement, et première langue

enseignée. Elle est la base sur laquelle se construisent les autres acquisitions. Une pratique

signée de qualité fait donc l’objet d’une exigence des enseignants et elle est évaluée au même

titre que le français chez les élèves entendants. Les thèmes linguistiques ou métalinguistiques,

qui sont ordinairement appris en français, sont donc enseignés en LSF, puis transposés au

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français écrit. Pour réaliser cet objectif, LSF et français font l’objet de cours séparés, mais les

activités sont menées en parallèle avec réalisation d’objectifs communs. Par exemple, pour

aboutir, en cours de français, au résumé d’un conte en respectant les différentes étapes du

récit, le travail sur la structure du récit se fera en LSF, le cours de français se chargeant de la

lecture de contes.

L’analyse contrastive :

Elle repose sur la mise en évidence d’équivalences ou de différences dans l’expression

d’une même unité de sens dans l’une et l’autre langue. Elle doit être menée, soit par un

enseignant bilingue, qui mène seul le travail sur les deux langues, soit par une organisation en

binôme. L’école Laurent Clerc, qui accueille des classes bilingues, travaille régulièrement

selon le principe du binôme. Il s’agit de l’association dans la même classe d’un enseignant

sourd, expert en LSF, sachant lire, et d’un enseignant entendant, expert en français écrit,

connaissant la LSF. Selon J. Duverger34

cette organisation a plusieurs intérêts. D’abord c’est

une nécessité au vu du manque d’enseignants experts dans les deux langues. Un texte

complexe peut-être difficile à comprendre pour la personne sourde, et difficile à traduire pour

la personne entendante. Ils se complètent donc en partageant leur compétences. Ensuite elle

permet de développer des compétences de bilinguisme fonctionnel chez l’élève, en apportant

des conditions idéales pour l’analyse contrastive entre les deux langues. Le principe un

enseignant – une langue, appelé loi de Grammont-Ronjat du nom de ses concepteurs, a déjà

fait ses preuves dans d’autres contextes35

. En l’occurrence, le binôme aide l’élève à passer

d’une langue à l’autre, en se référant à l’adulte compétent en cas de besoin. Il est toutefois

préférable ne pas abuser de ce travail, car il présente des inconvénients : non seulement il

demande une préparation minutieuse et concertée des séances mais en outre, il peut donner

l’impression que l’enseignement sourd n’est pas apte à enseigner le français seul, sans aide de

l’entendant. Connaissant l’importance du rôle identitaire de l’enseignant sourd auprès des

élèves, cet écueil est à éviter. Cette organisation souvent nécessaire pose également le

problème de la formation des professeurs : si trop peu d’enseignants entendants ont une

parfaite maîtrise de la LSF, les enseignants sourds formés à la pédagogie et experts en langue

française sont eux aussi trop rares. La seule solution est de proposer une formation complète

et de qualité, afin que chaque enseignant, sourd ou entendant, soit bilingue et biculturel.

Approche de la lecture :

34

J. Duverger « Le bilinguisme » les Actes de lecture n° 80, AFL 35

Ce principe créé pour viser un bilinguisme optimum, est appliqué dans certaines classes bilingues (français –

langue régionale) et dans des écoles françaises à l’étranger.

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Un texte long en français peut représenter de nombreuses difficultés pour les élèves

sourds, encore en pleine acquisition des deux langues. Par exemple, dans le cadre d’une

lecture en classe36

, l’enseignant fait tout d’abord réfléchir les élèves sur la forme du texte : la

typographie, les titres et sous-titres, les éventuelles illustrations, renseignent sur le genre

littéraire et peuvent fournir des indications sur le thème et la manière dont celui-ci va être

traité. Cette étape permet aux élèves de développer des stratégies de lecteur autonome.

Ensuite, l’enseignant demande aux élèves une première lecture individuelle, à laquelle va

suivre une discussion en groupe sur le sens global du texte. Il s’agit principalement de

répondre aux questions « Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? ». Les élèves expliquent ce qu’ils ont

compris, argumentent et justifient leurs réponses dans le texte. Une seconde lecture

individuelle permet aux élèves de vérifier leurs hypothèses et donne lieu à des questions plus

approfondies, notamment sur l’implicite du texte. L’enseignant guide les élèves par ses

questions, valide ou invalide les hypothèses formulées. Cette phase permet également de

travailler sur les difficultés de la langue, qui sont relevées et expliquées. En dernier lieu, le

texte est traduit en LSF, de manière à s’assurer d’une compréhension fine de la part des

élèves. Le visionnage du résumé du texte en LSF peut également se faire avant la lecture, afin

de faciliter la compréhension et alléger la phase de compréhension du texte. Cette approche

rejette les écrits simplifiés. La démarche est basée sur le questionnement, le repérage

d’indices et la création d’hypothèses. Il est donc nécessaire de jouer le jeu de la complexité.

III. ETAT DES LIEUX DE L’EDUCATION DES JEUNES

SOURDS EN FRANCE

III.1 Quelle scolarité pour les enfants sourds ?

III.1.1. Les conditions d’un choix difficile

La loi de 2005 et le Code de l’Education donnent donc la liberté de choix aux parents

entre les deux options éducatives, bilinguisme et monolinguisme. Mais la pratique montre que

36

Approche présentée dans le fascicule Théo Prat’ n°8, AFL

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les parents ne sont pas vraiment en situation d’exercer ce droit et ce choix. En effet, les

premières informations qu’ils reçoivent sont apportées par le corps médical, au moment du

diagnostic de la surdité. Elle est alors uniquement présentée sur le registre de la déficience,

qui peut être « réparée ». Appareillage et séances d’orthophonie sont alors proposés. On peut

regretter l’absence d’informations complètes et objectives dans ce domaine, afin que les

parents exercent réellement ce droit. D’autre part, les établissements s’inscrivant clairement

dans l’une ou l’autre option sont très rares, comme ces statistiques le présentent. Selon une

enquête réalisée par le CNEFEI de Suresnes et l’ ANPES, il apparaît qu’en 1996 :

5% des établissements se réclamaient d'une option strictement oraliste.

4% se réclamaient d'une option bilingue avec enseignement en LSF.

91% associaient l'oralisme à divers degrés de communication gestuelle (LFPC37

,

français signé, LSF)

De plus, 15% employaient au moins un enseignant sourd et 30% employaient un ou

deux interprètes. Les parents qui choisissent l’option bilingue ou strictement oraliste n’ont que

très peu la possibilité de le faire. La majorité des établissements proposent une pédagogie

mixte, selon le principe de la Communication Totale. Elle fait appel à toutes les techniques

favorisant la communication, qu’elle utilise à des degrés divers au service de l’acquisition du

français oral et écrit. En plus des établissements spécialisés, de nombreux enfants sourds sont

intégrés en milieu scolaire ordinaire. L’Etat, qui s’inscrit dans un processus de normalisation

et d’assimilation, en fait sa priorité. Cette intégration peut être individuelle ou collective,

partielle ou complète, avec différents types d’accompagnements. Les élèves peuvent

éventuellement passer d’un mode à l’autre au cours de leur scolarité. La décision de cette

intégration reste subordonnée aux propres capacités de l’enfant et aux choix familiaux.

III.1.2. Présentation des structures bilingues

Les services d’IRIS à Toulouse gèrent une vingtaine d’élèves répartis dans deux

écoles primaires, un collège et un lycée. Il s’agit de classes intégrées dans des établissements

publics ordinaires de l'Education Nationale et sous sa responsabilité.

L’enseignement se fait en LSF dans toutes les matières. Les professeurs, qu’ils soient sourds

ou entendants, sont bilingues. Pour certaines matières du Lycée, les professeurs entendants

sont traduits en LSF. L’équipe pédagogique comprend une forte proportion d'enseignants

sourds. Suivant la progression des élèves d’année en année, une classe de seconde s’est

37

LFPC : Langue Française Parlée Complétée, ou Cued Speech. Système d’aide à la lecture labiale.

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ouverte en 2005, puis une première en 2006 et cette année s’ouvre une terminale.

L’apprentissage de l’oral ne fait pas partie du projet scolaire. Les familles qui le désirent

peuvent toutefois faire suivre leur enfant par une orthophoniste en dehors du temps scolaire.

Le groupe Laurent Clerc a ses locaux dans une école publique de Champs sur Marne

(77), et suit ses élèves dans un collège et un lycée relevant de l’Education Nationale.

L’apprentissage de l’oral n’est pas abandonné et est pris en charge par des orthophonistes.

Cependant, il ne fait pas l’objet d’une évaluation et n’est pas considéré comme un préalable

aux autres acquisitions. L’équipe comprend donc du personnel paramédical, orthophoniste et

audioprothésiste. Certains enfants sont en intégration individuelle en milieu ordinaire et suivis

par un service SSEFIS38

.

L’enseignement au collège est organisé comme suit :

6° et 5° : Intégration dans certaines matières avec interprète et soutien scolaire. Les

élèves sourds sont réunis en groupe pour les cours de LSF et français

4° et 3° : Intégration avec interprète et soutien scolaire

Le SEB (Service d’Education Bilingue) de Poitiers dépend de l’association 2LPE

Centre Ouest. Il propose un service d’Accompagnement des 0-3 ans, ayant ouvert en janvier

2006 ; un service d’Education Bilingue, gérant 22 élèves et un service d’Accompagnement

scolaire Jeunes Etudiants, qui suit 8 étudiants en BTS et lycée professionnel. L’équipe compte

six professionnels sourds et 10 professionnels entendants. L’enseignement n’est pas dispensé

de la même manière que dans les deux structures précédemment décrites :

A l’école, il s’agit de classes mixtes dans lesquelles élèves sourds et entendants

reçoivent les mêmes cours, grâce à deux enseignants au sein de la classe. Les élèves

sourds sont regroupés seulement pour les cours de LSF.

Au collège-lycée, les élèves sont intégrés en groupes et bénéficient d’un interprète,

sauf pour le français, les langues vivantes et la LSF, qui se déroulent avec des

enseignants spécialisés.

Comme à Laurent Clerc, l’expression vocale et la lecture labiale sont travaillés avec

une orthophoniste mais ne font pas l’objet d’une évaluation.

38

SSEFIS : Service de Soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire

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Les classes bilingues de Bayonne suivent des enfants sourds de la maternelle au

collège. Elles sont accueillies au sein d’une école élémentaire et d’un collège.

La classe bilingue de Bordeaux, en partenariat avec l’INJS de Bordeaux, a été ouverte

en septembre 2005 et compte 3 élèves de maternelles et un élève de CP. L’équipe est

composée d’une enseignante entendante bilingue enseignant en LSF, d’une professionnelle

sourde experte en LSF et d’une éducatrice sourde pour la cantine.

III.2 La situation des sourds en France

III.2.1 L’illettrisme

Le GPLI39

défini les personnes illettrées comme « des hommes et des femmes pour

lesquels le recours à l’écrit n’est ni immédiat, ni spontané, ni facile et qui évitent et/ou

appréhendent ce moyen d’expression et de communication ». Le taux d’illettrisme des sourds,

différent selon les sources, est alarmant. Le milieu associatif annonce une fourchette de 50 à

80% de sourds illettrés. Le rapport de Dominique Gillot (1998) fait apparaître que 80% des

sourds de naissance sont illettrés. Les conséquences de l’illettrisme des sourds sont graves, et

touchent principalement l’insertion de ce public dans la communauté nationale. Par exemple,

tous les échanges professionnels ou administratifs sont extrêmement limités, car ils

nécessitent une certaine maîtrise de l’écrit. Les compétences étant pauvres à la fois en français

oral et écrit, l’accès à l’information des sourds illettrés est très restreint. Pour pallier cela,

certaines structures se rendent accessibles directement en LSF. Tout d’abord, le site

Websourd40

a été créé dans le but d’apporter des informations de toutes sortes directement en

langue des signes : actualités générales et de la communauté sourde, informations pratiques,

culture… Certaines administrations, comme la mairie de Toulouse proposent un accueil aux

personnes signeuses et rendent leurs sites accessibles en LSF. Des entreprises ont également

créé des pôles LSF et permettent de renseigner directement ces personnes, sans passer par un

interprète. Enfin, le domaine culturel fait également des efforts pour les sourds, en proposant

par exemple des visites guidées en LSF.

Tous ces efforts permettent de ne pas couper les sourds de la société, et sont à

encourager. Pourtant ils ne traitent que les conséquences de l’illettrisme et non ses causes.

39

GPLI : Groupement permanent de lutte contre l’illettrisme. Etude intitulée « De l’illettrisme, état des lieux de

la recherche universitaire concernant l’accès et le rapport à l’écrit », Paris, Centre Inffo, 1995 40

www.websourd.org, site mis en ligne le 13 décembre 2004

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Celles-ci sont à considérer à deux niveaux : en amont, c’est la scolarisation des sourds qui est

encore largement inefficace ; en aval, en ce qui concerne la remédiation de l’illettrisme, les

méthodes appliquées sont rarement adaptées à la surdité et repose souvent sur des exercices

basés sur l’audition. Quelques formations bilingues sont néanmoins apparues dans certaines

associations (ARIS), ainsi qu’au GRETA paramédical et social de Paris41

.

III.2.2 Evaluation de la population active sourde

Selon les estimations de l’UNAPEDA42

, le taux de chômage des personnes sourdes

profondes en France à la fin 2004 était de 30 %, soit 10 000 demandeurs d’emploi. Le taux de

chômage des sourds sévères était de 15%, soit 11 000 demandeurs d’emploi. Au total

l’UNAPEDA dénombrait 103 000 personnes sourdes profondes et sévères « actives », dont 21

000 demandeurs d’emploi, soit 7,5 % de la population totale handicapée demandeur d’emploi.

Une autre source, l’ARIS43

, tout comme la DRASS, fait état de 50% de demandeurs

d’emplois sourds en Ile de France. Beaucoup de sourds vivent d'allocations attribuées par

l'Etat en fonction de leur statut. Si ces chiffres sont encore à vérifier, il est clair que la

situation de l’emploi pour les sourds est catastrophique. Les raisons tiennent à leur faible

niveau de formation, à un illettrisme massif, mais aussi au manque d’adaptation des postes

proposés.

41

GRETA PMS/ ESPACE AISP, 29 bis rue Cronstadt, 75015 Paris 42

UNAPEDA : Union Nationale des Associations de Parents d'Enfants Déficients Auditifs 43

Association Régionale pour l'Intégration des Sourds

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CHAPITRE III. QUESTIONNEMENTS

I. PROBLEMATIQUE AUTOUR D’UNE ECRITURE DES

LANGUES DES SIGNES44

I.1 Le rapport des sourds à l’écrit

Les études les plus alarmantes en matière d’illettrisme des sourds annoncent un taux

de 8O%. Cette dure réalité est tout de même à nuancer. En effet, si le niveau moyen en

français « standard » est effectivement faible dans la population sourde, il faut souligner le

fait que les sourds entretiennent des liens très étroits et très complexes avec l’écrit. Une étude

menée dans le cadre du projet LS-Script45

nous apporte des précisions très intéressantes sur ce

point. Nous serons toutefois vigilants de ne pas en généraliser les conclusions à toute la

population sourde car l’échantillon de personnes de cette étude a été choisi pour le recul

qu’elles ont sur la langue, en raison de leur activité. L’échantillon portait donc principalement

sur des personnes étant amenées, en raison de leur métier, à s’exprimer longuement en LSF

(enseignants de LSF, intervenants universitaires, conférenciers, comédiens) ainsi que des

étudiants, un lycéen et un collégien. L’étude a montré que dans tous les cas, ces individus ont

une « pratique importante de la chose graphique46

». En effet, la préparation de discours, de

cours ou de script en LSF nécessite le recours à un support graphique, ne serait-ce que comme

support à la mémorisation ou à l’élaboration cognitive, par exemple lors d’une activité de

création.

Les valeurs associées à l’écriture en général sont différentes en fonction de la

génération. Pour les plus de 40 ans, l’écriture appartient au monde des entendants. Pour les

plus jeunes, elle est le terrain neutre sur lequel sourds et entendants peuvent communiquer

sans ambiguïté. Mais pour tous, l’écriture est très valorisée. Elle permet de conserver la

44

Cette partie est basée sur le cours de HSLSF4, de M-A. Sallandre, portant sur l’analyse de corpus, et sur

l’intervention de Brigitte Garcia lors de ce cours. 45

Programme de recherche conduit par Dominique Boutet et Brigitte Garcia intitulé « La langue des signes

française (LSF) : quelles conditions pour quelles formes graphiques? » 46

Par « chose graphique » on entendra différents systèmes de dessins ou de symboles, ainsi que les ressources du

français, qui sont exploités pour « écrire » la LSF. Cette pratique d’une sorte de « LSF-français » est avérée

même pour des individus ayant une bonne maîtrise du français.

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langue et d’assurer ainsi sa transmission ; elle est un support à la réflexion et un moyen

d’accès à l’information et au savoir. Enfin, elle est langue de communication, en direct

comme en différé. Par contre, elle est souvent présentée plus négativement comme une langue

de soumission de la population sourde par les entendants. L’éducation oraliste qu’ont vécu la

majorité de ces individus est en partie à l’origine de ces représentations très complexes. Les

difficultés à produire un texte peuvent alors être d’ordre psychologique, l’idée d’être lu (et

donc jugé) par un entendant provoquant un blocage. Il est donc très difficile d’évaluer le taux

d’illettrisme des sourds. En effet, le recul qu’ils peuvent avoir sur leurs difficultés en français

écrit témoigne de compétences linguistiques qui n’apparaissent pas dans leurs productions.

Leurs capacités peuvent donc être supérieures à ce qu’ils montrent réellement. L’apparition de

l’informatique a néanmoins permis d’alléger ce rapport à l’écrit : les traitements de textes

permettent d’effacer à loisir ce que l’on écrit, rendant invisibles les traces des difficultés

(brouillons et ratures sur la feuille). Les messageries instantanées ont vu apparaître un type

d’écrit purement fonctionnel ; beaucoup moins soumis à la norme et éphémère, permettant de

désinhiber les réticences à l’écriture.

I.2. Vers une écriture des Langues des Signes ?

I.2.1. La vidéo : l’ « écrit » de la LSF ?

Le cours de LSF47

fait beaucoup appel aux ressources du français. La dactylologie48

permet par exemple aux apprenants entendants d’épeler les mots dont ils veulent connaître la

traduction. Le français sous sa forme écrite est également très utilisé par l’enseignant pour

introduire le thème d’une leçon, en garder une trace, ou à un niveau plus linguistique, faire

apparaître la structure d’un énoncé signé. L’absence de support écrit propre à la LSF conduit

paradoxalement à utiliser une autre langue comme support d’apprentissage. La vidéo apporte

un complément d’importance à l’écrit. Elle fait ses preuves comme support d’apprentissage de

la LSF, tant pour les entendants que pour les enfants sourds. Elle est présentée comme un écrit

de la LSF car elle remplit certaines des fonctions de l’écriture :

elle stocke l’information, elle fixe la langue

elle est un moyen de diffusion de la langue

elle est un moyen de diffusion des connaissances directement dans la langue

47

Hors structures bilingues 48

Dactylologie : représentation manuelle des lettres de l’alphabet. Entre locuteurs de la LSF, elle sert

principalement à épeler des noms propres.

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elle est un support pédagogique d’importance, en apportant un feed-back à l’apprenant

sur sa propre production, en présentant des leçons, des exercices…sans recours au

français écrit.

elle est le support d’une « grammaticalisation » de la langue, en conservant le lexique

(constitution de dictionnaires), les néologismes et des discours de référence.

Elle présente cependant des limites de taille en tant qu’écrit. La présence physique du

locuteur et l’impossibilité d’être appréhendée comme un tout (l’écran diffuse les images à la

suite contrairement au texte qui est perçu dans sa globalité), ne permet pas une prise de recul

suffisante par rapport à la langue. D’autre part, elle est difficilement utilisable en tant que

support au travail d’élaboration cognitive : prendre des notes, jeter quelques idées sur un bout

de papier n’a pas la même implication que se filmer soi-même pour conserver ses idées. En

conséquence, elle est un bon moyen d’expression, mais pas d’élaboration. Elle ne résout donc

pas tous les problèmes.

I.2.2 Les systèmes de notation des LS actuellement utilisés

Le système en partition :

Il s’agit de la réalisation d’un tableau comportant horizontalement le corpus vidéo

séquencé, où chaque unité aura été isolée, et verticalement la liste des paramètres que l’on

désire décrire49

. Certains systèmes ont étés entièrement informatisés, tels que ELAN ou

ANVIL, facilitant considérablement la partie technique de la transcription. L’intérêt de ce

système est que l’on peut ajouter autant de champs que souhaité, permettant une description

très fine. Il est par contre fortement orienté vers la recherche et ne permet pas une exploitation

didactique.

Le système HamNosys50

:

De caractère linéaire, ce système ressemble davantage à une écriture. Il consiste en une

liste de symboles codant les différents paramètres de la langue, toujours dans le même ordre.

Le dictionnaire de symboles est très fourni (entre 150 et 180 symboles) et est constamment

enrichi. Cependant, il ne s’agit pas d’une traduction écrite du signe, mais d’un système de

description très précis. Il doit toujours être accompagné des dessins des signes décrits et de la

traduction. Il a été conçu pour ne coder que les signes standard, afin de réaliser un

49

Cf. annexes 50

HamNosys : Hambourg Notation System. Cf. annexes

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dictionnaire de la langue des signes allemande. Ces deux systèmes ne permettent donc pas un

accès direct au sens et sont intéressants uniquement pour la recherche linguistique.

Sign Writting51

(SW) :

Ce système a été créé dans le véritable but d’écrire les LS. Il permettrait, comme

l’indiquent ses concepteurs, de communiquer directement par écrit en LS. Son principe est de

décrire la forme du signe à l’aide d’un système de symboles très iconiques : 666 symboles en

tout codent une douzaine de paramètres, tels que la configuration des mains, les types de

contacts, les mimiques faciales… Son originalité est de ne pas être linéaire : les différents

symboles sont placés autour d’un symbole principal, en général la tête ou le buste, de manière

à avoir une vision directe de la réalisation du signe. Un outil informatique, SW-Edit, a été

édité pour transcrire directement en Sign Writing : les symboles sont regroupés par catégories,

et il suffit de les déplacer sur la grille centrale pour « écrire » le signe. Je me suis donc

essayée à la transcription d’un petit corpus, pour me rendre compte par moi-même si ce

système écrit vraiment les LS. Mon impression générale est de ne pas avoir écrit, mais d’avoir

décrit. Ce système demande en effet de s’attacher davantage à la forme qu’au sens. Pour

pouvoir retranscrire le plus fidèlement possible mon corpus, j’ai dû m’arrêter sur la plupart

des signes, en décomposant le mouvement jusqu’à ce que je puisse le reproduire moi-même et

le transcrire. Dans le cas d’une production écrite, il faudrait donc se représenter mentalement

le signe pour pouvoir ensuite « l’écrire ». L’aspect descriptif pose également problème pour la

lecture. On sait qu’un lecteur expérimenté lit en lecture globale, c'est-à-dire que le mot écrit

est directement relié au sens. Or SW permet seulement un accès à la forme du signe. Son

caractère fortement descriptif laisse donc un doute sur la possibilité de l’utiliser comme

support à la pensée. Sign Writing permet sans doutes de conserver une trace écrite de la

langue des signes avec plus ou moins de fidélité. Le système est imparfait, manque parfois de

précisions, mais il peut-être amélioré. Par contre, son utilisation pour la communication écrite

me semble difficile, tant le temps de transcription est long. Enfin, en ce qui concerne

l’éducation des enfants sourds, il me parait difficile, pour toutes les raisons invoquées ci-

dessus, d’envisager SW comme une véritable forme écrite de la langue des signes, avec le

même statut que le français écrit. Ce système peut par contre être un bon outil pour initier les

enfants au rôle et à l’importance de l’écrit. Il ne s’agit pas d’alphabétiser les enfants en langue

des signes, car aucun système à ce jour ne permet cela, mais de montrer que l’on peut garder

51

Cf. annexes

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une trace graphique (plutôt qu’écrite) de leur langue maternelle. C’est en tous cas à ma

connaissance le système le plus iconique dans sa représentation et donc le plus proche de la

spécificité de la langue des signes. Reste pourtant l’énorme lacune qu’est la prise en compte

des Structures de Grande Iconicité, car on ne peut faire l’impasse sur des éléments aussi

fondamentaux de la langue des signes.

I.3. Le projet LS-Script

L’enquête de B. Garcia et D. Boutet avait pour but de recueillir des éléments sur les

attentes des sourds en matière d’écriture, afin de travailler à l’élaboration d’un système

vraiment adapté aux spécificités des LS. En effet, les systèmes HamNosys et SW ne codent

qu’une succession de signes standard. Cette centration sur le signe pose de graves problèmes.

Le regard n’étant pas codé, les transferts ne peuvent être transcrits. Le principe même d’une

transcription phonétique ou phonologique rend très difficile la production d’un texte. Ces

systèmes se limitent d’eux-mêmes en obéissant aux principes d’une écriture alphabétique.

Une écriture de LS doit prendre en compte ses traits spécifiques, en l’occurrence la Grande

Iconicité. L’idée du projet est l’isolement d’unités graphiques minimales en deçà du signe.

Cela demande un travail préalable sur le degré de sémantisation des espaces, conduisant à une

écriture de type morphématique (on n’écrit pas l’espace, c’est le morphème qui l’induit). Les

recherches portent donc sur la formalisation d’un niveau infralexical et sur une typologie des

espaces.

II. APPRENTISSAGE DE LA LANGUE ECRITE : QUELLE

METHODE ?

« Personne ne sait encore comment l’enfant sourd apprend à lire » Carol Musselman, Journal

of Deaf Studies and Deaf Education, 2000.

II.1. Les différentes méthodes de lectures

Deux conceptions de l’apprentissage de la lecture s’affrontent encore aujourd’hui,

reposant sur deux postulats théoriques :

II.1.1. La méthode syllabique

Egalement appelée voie phonologique ou méthode par assemblage, elle repose sur

l’idée que l’écrit est avant tout une notation de l’oral. Elle forme donc les élèves à déchiffrer

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le code graphophonologique, en reliant les unités de base de l’écrit, les graphèmes (« f », ou

« ph » par exemple) aux phonèmes ([f]). La démarche utilisée est de partir des plus petites

unités, les lettres, qui forment des syllabes, pour aboutir au mot et enfin à la phrase. Ce

décodage est présenté comme peu coûteux pour la mémoire, le nombre d’associations

possibles entre graphèmes et phonèmes étant limité. Il existe cependant des différences entre

les langues52

. Par exemple, les élèves italiens apprennent plus vite à lire que les français, qui

eux-mêmes sont plus rapide que les britanniques. Ceci tient à la plus grande transparence

entre code écrit et code oral de l’italien par rapport au français, et du français par rapport à

l’anglais. Dans les années 70 cette méthode a été critiquée car elle semblait ne pas former des

lecteurs assez performants. En effet, la centration sur le code évacuait la question du sens. La

compétence en lecture était corrélée à la capacité à lire à haute voix, preuve que l’élève avait

acquis le code de l’écrit. Pourtant, certains enfants étaient capables de lire un texte à haute

voix sans en saisir le sens.

II.1.2. La méthode globale

Apparue donc dans les classes dans les années 70, la voie directe ou méthode par

adressage s’appuie sur les procédures mises en œuvre par les lecteurs experts. Ceux-ci n’ont

pas recours au décodage graphophonologique et associent directement la forme d’un mot à

son sens. Cela laisse à penser que langue écrite et langue orale ne sont pas aussi étroitement

liés qu’il n’y paraît. Le décodage est alors perçu comme un frein à la compréhension. La

démarche utilisée repose donc sur la mémorisation et la discrimination visuelle d’entrées

lexicales. Elle admet que l’apprentissage de l’identification des mots par reconnaissance

orthographique est plus long que la correspondance graphophonologique, mais plus efficace à

terme, développant chez l’élève des stratégies expertes. Sa limite principale serait que la

méthode par reconnaissance des entrées lexicales est trop coûteuse pour la mémoire. Les

enseignants, qui disposent d’une grande marge de manoeuvre, adoptent généralement une

méthode mixte, appelée semi-globale. Elle consiste à commencer par la méthode globale puis

à passer à la méthode phonologique, en instaurant un va-et-vient entre les deux voies. Ceci

permettrait à l’élève une acquisition plus rapide en début d’apprentissage, pour accéder

ensuite à la compréhension du code sans retards. Cependant, c’est la voie indirecte qui est

52

Données rapportées par Liliane Sprenger-Charolles, dans l’article L’apprentissage de la lecture : l’apport des

sciences cognitives. Revue de l’ACFOS : Connaissance surdité, octobre 2002, n°02

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mise en avant comme « une étape incontournable de l’apprentissage de la lecture »53

. Les

textes officiels prévoient le glissement progressif de la voie indirecte vers la voie directe, au

fur et à mesure du développement des compétences du jeune lecteur. A un stade intermédiaire

de l’apprentissage, la voie directe permettrait de lire rapidement des mots déjà mémorisés et la

voie syllabique permettrait de lire les mots nouveaux.

II.2. Le cas des sourds : quelle voie d’accès à l’écrit ?

Deux points de vue sont naturellement en confrontation en matière d’acquisition de la

lecture chez les sourds :

Selon le point de vue dominant, les sourds utilisent les mêmes processus que les

personnes entendantes.

Selon un point de vue plus récent, les sourds utilisent des processus qualitativement

différents de ceux des entendants.

Le premier point de vue considère que l’appropriation de l’écrit des élèves sourds doit

se faire par la voie indirecte. C. Romand, orthophoniste, considère que les pré-requis à la

maîtrise de l’écrit sont dans le langage oral. Cette conception a à voir directement avec la

définition du lecteur : selon C. Romand, « être lecteur, c’est acquérir un code écrit et

comprendre le sens du texte que l’on a sous les yeux. Apprendre à lire est une activité

cognitive et linguistique complexe qui repose sur la connaissance d’une langue, la langue

française et s’appuie sur les représentations phonologiques. »54

Des recherches ont été menées

pour valider cette conception. Dans une étude menée en 1993, Leybaert et J. Alegria affirment

que les sourds utilisent des représentations phonologiques dans l’activité de lecture.

Cependant, il est nécessaire de nuancer cette affirmation, car les études ayant été

majoritairement effectuées sur des adolescents et des étudiants, il est difficile de déterminer si

l’encodage phonologique est un pré-requis à l’apprentissage de la lecture ou s’il en est une

conséquence. Une étude américaine de M. Geers et M. Mog’s, datée de 1989, accrédite

également la thèse d’un encodage phonologique. Ces auteurs montrent que les restes auditifs

et la capacité en lecture labiale sont prédictifs de compétences en lecture. Mais cela prouve

seulement que les enfants les moins sourds réussissent à entrer dans l’écrit par cette voie. Les

critiques de cette pédagogie sont les mêmes que celles qui sont faites dans le milieu

entendant : un trop fort accent mis sur la forme au détriment du sens. On peut relever de

53

Observatoire National de la Lecture, rapport de 2000 54

C. Romand, « l’accès à la langue française orale et écrite dans une approche bilingue. Les apports du LPC

pour l’acquisition de la lecture » Enseigner et apprendre en LSF : vers une éducation bilingue, Nouvelle revue de

l’AIS.

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fréquents cas de personnes sourdes ayant un bon décodage mais une compréhension très

faible de ce qui est lu. Par contre, cette voie permettrait à l’apprenti lecteur entendant de

mettre du sens sur ce qu’il lit à l’audition de sa propre lecture. Qu’en est-il des sourds, étant

donné qu’ils ne s’entendent pas (ou peu) parler ? L’encodage serait alors davantage

kinesthésique, reposant sur la mémorisation de l’articulation du mot. L’aide du LPC (cf.

définition dans le glossaire) peut se révéler dans ce cas déterminante. A. Vanbrugghe,

professeure des écoles et formatrice au Cnefei, a fait l’expérience de ces lectures oralisées

avec ses élèves sourds, et s’est rendue compte qu’elles n’apportent aucun bénéfice au point de

vue de la compréhension. Il existe donc sans doute d’autres démarches d’encodage.

Le second point de vue, qui a émergé avec la reconnaissance de la LSF dans

l’enseignement, prône donc la voie directe, avec cette différence que l’analyse du texte se fait

dans une autre langue que celle de l’écrit, la langue des signes. Etant donnée la séparation qui

est faite entre code oral et code écrit par cette approche, l’usage d’une autre langue ne pose

aucun problème. Bien au contraire, la prise en compte d’une première langue change le

rapport à l’enseignement. On considère que les erreurs des sourds ne résultent pas seulement

de l’ignorance, mais qu’elles possèdent une motivation linguistique : « Ayant constaté la

permanence d’un certain type de difficultés spécifiques dans les productions écrites des élèves

sourds, telles que des contresens dus à une mise en ordre différente des éléments constitutifs

d’une phrase, D. Martenot explique que ces constructions constituent la représentation écrite

d’une suite signée qui vient logiquement se substituer à la démarche qui consiste chez les

entendants à produire la transcription écrite d’une suite audible. » 55

L’encodage utilisé serait

alors de type orthographique, la stratégie du lecteur étant de repérer dans le texte les « noyaux

sémantiques » (radicaux, racines de mots) en les isolant des affixes, pour construire le sens et

le reconstituer en LSF. Plusieurs arguments viennent conforter ce point de vue. Tout d’abord

l’imagerie médicale par tomographie56

ne permet pas d’affirmer qu’il est nécessaire que les

signaux liés à un mot lu visuellement fassent obligatoirement le détour par un codage

phonologique pour qu’on puisse se faire une représentation du sens de ce mot. Les études

portant sur le codage graphophonologique portent en général sur le seul accès au mot. Or les

compétences requises pour une lecture efficace sont complexes : analyse de la syntaxe, de la

structure du texte, mise en relation des différentes phrases entre elles, inférences mentales à

partir des connaissances générales, notamment pour comprendre l’implicite. La voie directe

55

Psychologie de la Surdité, B. Virole, p.422. Passage relevé dans un article du CIS d’Aquitaine : « La voie

lexicale » 56

qui permet d’obtenir des renseignements sur les zones du cerveau qui sont activées lors du processus de lecture

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permet cette construction de compétence, grâce aux pré-requis apportés par la langue de

référence. C. Courtin indique que la maîtrise de l’écrit apparaît plus liée à celle de la LSF que

du français oral chez les enfants suivant un enseignement officiellement dit bilingue

(proposant l’enseignement du français dans ses deux modalités). La capacité de lecture est

donc davantage liée à la capacité de comprendre la langue des signes qu’à celle de

comprendre l’oral.

Pour nuancer ces propos, il est à noter que beaucoup de sourds utilisent différents

types d’encodage en même temps. Mais cela est soit une preuve d’une démarche originale

typique des lecteurs sourds, soit le résultat de l’appropriation des techniques d’enseignement

de l’écrit. C. Courtin propose comme solution une éventuelle familiarisation de l’enfant au

codage phonologique, une fois le codage par la voie directe mis en place. Mettre en sa

possession les deux méthodes lui permet ainsi de choisir lui-même celle qui lui convient le

mieux. Dans le même ordre d’idée, selon A. Vanbrugghe, les deux méthodes suivies à

l’extrême sont des écueils. La voie strictement phonologique insiste trop sur la forme au

détriment du sens, et est longue et laborieuse. La voie strictement idéo-visuelle (méthode

directe) priverait l’enfant d’un savoir minimal sur le système d’écriture alphabétique

initialement fondé sur le transcodage systématique des sons de la langue. La personne sourde

souhaitant développer ses compétences à l’oral, ne pourrait donc pas s’aider de l’écrit pour y

parvenir. Compte tenu du peu de connaissances sur la manière dont l’enfant sourd apprend à

lire, il est important d’appliquer un processus de précaution, en ne négligeant aucune piste.

III. LE RAPPORT A L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS

LANGUE ETRANGERE (FLE)

III.1. Fondements d’un rapprochement du public FLE et du public sourd

signant

Le rapprochement peut se faire à plusieurs niveaux : les deux publics considérés ont

une autre langue de référence que le français et appartiennent à une communauté propre.

Donc comme pour le public non francophone, le statut de la langue cible des sourds est le

FLE ou le FLS et va s'enseigner comme tel. De plus, dans les deux cas, la langue source (la

langue maternelle ou première) constitue une référence pour les nouvelles acquisitions.

Cependant, la première langue des sourds va être systématiquement utilisée dans

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l’enseignement du français écrit, ce qui n’est pas le cas des apprenants entendants non

francophones. Les recherches menées par Colette Dubuisson (1998) tentent de faire un

rapprochement entre les deux publics57

sur la base d’une typologie d’erreurs. En effet, les

régularités observées dans les erreurs des écrits des personnes sourdes sont très proches de

celles relevées chez les apprenants entendants : omission, ajout non nécessaire ou mauvais

choix de mots outils58

, omission d’auxiliaires, erreur de genre, erreur dans le choix de la

catégorie grammaticale des mots, etc. La raison tient probablement à l’influence d’une langue

source (la LS pour les sourds) dans la production d’écrits, mais pas seulement. Il s’est avéré

que certaines erreurs typiques se retrouvent également dans les écrits de sourds oralistes,

telles que des confusions sur le temps du verbe ; des erreurs dans l’ordre des mots, ou une

redondance lexicale. Certaines erreurs observées tiendraient donc à la spécificité de la surdité.

III.2. Les caractéristiques de la didactique du FLE

La méthodologie ici décrite correspond aux principes de l’approche communicative,

apparue dans les années 70. Cette méthode cherche à enseigner une langue étrangère en

situation de communication naturelle. Elle repose sur une analyse préalable des besoins

langagiers de l’apprenant, et pose sa progression en matière d’objectifs fonctionnels (« donner

un ordre » par exemple) Les objectifs linguistiques sont alors les différents éléments de la

langue qu’il faut maîtriser pour réaliser l’objectif fonctionnel (l’impératif ou l’infinitif par

exemple, dans le cas de l’ordre)

L’enseignement de la grammaire : la méthodologie employée est une démarche

inductive. Celle-ci demande tout d’abord à l’apprenant d’observer des régularités dans un

corpus, d’en faire une analyse, puis de trouver la règle. Viennent ensuite les exercices

d’application, de systématisation. C’est donc l’élève, guidé par l’enseignant, qui découvre les

règles de la langue qu’il apprend. Cette démarche est à priori plus intéressante et plus

motivante pour l’apprenant.

Rôle et statut des acteurs de l’apprentissage : l’enseignant a un rôle de guide dans

l’apprentissage. Il tente notamment de faire prendre conscience à l’élève de ses propres

stratégies d’apprentissage, l’incite à réfléchir sur leur efficacité et à les optimiser. Le but est

que l’apprenant soit l’acteur de son apprentissage, qu’il soit capable de réfléchir à la manière

dont il apprend, et qu’il soit capable de s’auto évaluer. Il doit notamment être en mesure de

57

Le public sourd considéré ayant la LSF pour langue source. Les sourds oralisant ne sont pas concernés par ce

rapprochement. 58

Comme les prépositions, les déterminants ou les pronoms relatifs.

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cerner ses lacunes, ses difficultés, et demander à l’enseignant de proposer des activités lui

permettant de les combler.

Le statut de l’écrit dans cette approche : les premières méthodes communicatives

étaient principalement centrées sur l’oral. L’écrit n’était alors qu’un support de l’oral et était

utilisé pour les exercices de grammaire. Mais les méthodes plus récentes ont pris conscience

de l’importance de l’écrit communicatif. Il existe en effet de nombreuses situations où l’on se

sert de l’écrit pour communiquer. L’essor de l’Internet accentue cette importance. (E-mails,

messagerie instantanée…) Ces méthodes ont donc inclu des activités prenant en compte cette

dimension communicative de l’écrit.

III.3. Les adaptations au contexte de la surdité

III.3.1. Principes permettant d’influencer positivement l’enseignement du

français pour les sourds

L’analyse des besoins telle qu’elle est menée par l’approche communicative est à mon

sens le préalable indispensable à la construction d’une pédagogie raisonnée réellement centrée

sur l’apprenant sourd. La réalisation des objectifs ainsi déterminés lui donne des compétences

directement utilisables. De plus, l’utilisation de supports authentiques ou semi-authentiques

fait apparaître la langue dans de réelles situations de communications et lui confère un

ancrage réaliste. Enfin, la mise en place de stratégies d’apprentissage, de l’auto évaluation et

de la démarche inductive permettent de responsabiliser l’apprenant, qui prend en charge sa

progression. La prise en compte de l’écrit par la méthode communicative est un fondement

supplémentaire à une possible adaptation. En analysant les situations requérant l’utilisation du

français écrit chez les sourds, on constate qu’elles sont nombreuses et variées : dans sa vie

quotidienne l’adulte sourd a par exemple besoin de savoir prendre un rendez-vous, de lire des

modes d’emploi, de rédiger une lettre, de chercher des informations sur Internet, de lire et

signer des contrats, d’accéder à l’information par le biais des journaux, d’Internet et des sous-

titrages à la télévision, de s’exprimer par écrit sur les services de messagerie d’Internet. Deux

types d’écrits sont alors à considérer :

les écrits à but communicatif59

, dont l’usage est aujourd’hui quotidien grâce à Internet.

Pour ce type d’écrit, les situations de communication sont très proches de celles que

l’on trouve dans des manuels de FLE. On peut transposer presque tous les objectifs

59

J’entends par communicatifs les écrits tels que courrier postal, courrier électronique et les services de

messagerie instantanée comme ICQ ou MSN messenger.

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fonctionnels de ces méthodes : se présenter, demander un conseil, un renseignement,

parler de soi, informer…

les écrits non directement communicatifs : les textes littéraires, les écrits fonctionnels

(modes d’emplois, formulaires administratifs, pancartes) et les écrits à visée

informative, comme les articles de journaux. La méthodologie du FLE présentant des

écrits diversifiés, elle peut être à même de faire reconnaître aux apprenants leurs

formes, fonctions et normes. Cette connaissance des différentes formes textuelles

permet à l’apprenant d’anticiper le contenu d’un texte.

III.3.2. Pour une utilisation du matériel pédagogique ?

Il est sans doutes possible de rendre exploitables et cohérentes les ressources du FLE

avec des élèves sourds.

Les manuels de FLE : les manuels présentent l’avantage d’une longue expérience

méthodologique et d’une grande richesse dans la diversité des documents proposés et des

situations d’apprentissage, sans compter sur un large choix en matière de niveau et d’âge du

public. Bien utilisé, le manuel de FLE pourrait apporter une première base de travail autour

duquel viendraient se greffer d’autres activités et d’autres supports prenant davantage en

compte la spécificité du public. En effet, la méthodologie reposera avant tout sur les principes

de la pédagogie bilingue LSF/français écrit. Il faudra analyser les textes en les comparant avec

la LSF, prendre en compte les difficultés récurrentes des sourds pour les prévenir et introduire

des thèmes autour de la vie quotidienne des sourds. Bien sûr les activités d’écoutes

notamment doivent faire l’objet d’adaptation. Elles peuvent être remplacées par la

présentation aux élèves de la transcription des dialogues en français écrit. Cela présente

l’avantage d’apporter ce à quoi les sourds sont le moins exposés, le français oral60

. Ces

dialogues peuvent donc servir de base à une réflexion sur les différences d’expression dans les

deux modalités. Par exemple, un ton ascendant à l’oral, transcrit par un point d’interrogation,

suffit à exprimer le questionnement, tandis qu’à l’écrit il faut passer par une inversion du sujet

et du verbe. Ce travail sur les transcriptions de l’oral permet également de travailler sur la

diversité des formes linguistiques correspondant au même objectif fonctionnel (par exemple

un employé qui demande des informations à un usager/client). La traduction et la mise en

scène des divers dialogues permettent de travailler en LSF sur les différents langages

60

Il faudra donc veiller à la qualité de ces dialogues, certains manquant de réalisme.

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possibles. Par exemple, un langage administratif, précis et concis, par rapport à un langage

commercial, nécessitant de nombreuses formules de respect et de politesse.

Les ressources multimédia : l’informatique, s’il est utilisé à bon escient peut constituer

un excellent complément de matériel éducatif pour les Sourds. Il permet le travail en

autonomie, responsabilise l’apprenant, et limite le stress face à l’erreur. Les NTIC61

présentent une grande palette d’activités exploitées par la didactique du FLE. Beaucoup de

pistes nous sont offertes pour exploiter cet outil, en fonction du niveau et des objectifs de

l’apprenant. Internet a en fait deux utilisations possibles : source d’information et moyen de

communication. Les services de messagerie sont parfois utilisés par les enseignants pour faire

correspondre leurs élèves avec une classe étrangère parlant la langue cible. Cette utilisation de

l’écrit en communication est exploitable avec le public sourd, mais elle doit faire l’objet d’un

projet de communication, pour ne pas rendre l’activité artificielle. Internet en tant que source

d’information présente l’intérêt de développer des stratégies de lectures efficaces. En effet la

lecture n’est pas linéaire sur Internet, elle repose sur le repérage d’indices. Des recherches

guidées sur Internet permettent à l’élève de développer de bonnes compétences, sachant que

la maîtrise de l’outil informatique est aujourd’hui un préalable à de nombreuses professions.

La didactique du français pour les sourds souffrant d’une carence en matériel

pédagogique, il semblerait judicieux de s’intéresser à ce qui existe dans des domaines

d’apprentissages relativement proches. Sans constituer une solution, ce matériel peut,

moyennant des adaptations nécessaires et beaucoup d’imagination, constituer une base de

travail et de progression62

. Les ressources du FLE me semblent plus directement exploitables

par un public adulte, en alphabétisation. Cependant, dans le cadre scolaire, certaines

compétences n’entrent pas dans le domaine d’action du FLE, à l’instar de la découverte de

textes littéraires et leur analyse avec un métalangage précis, en adéquation avec le

programme.

61

NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication 62

Pour un exemple pratique d’une possible adaptation, cf. l’annexe 7.

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DEUXIEME PARTIE

RAPPORT DE STAGE

INTRODUCTION : PRESENTATION DU CENTRE........................p.54

I. NOM ET STATUT.........................................................................................................p.54

II. POPULATION D’ELEVES AU SEIN DU CENTRE ET EN INTEGRATION.....p.54

III. EQUIPE PEDAGOGIQUE, PROFIL DES ENSEIGNANTS.................................p.55

LE STAGE : ORGANISATION ET ACTIVITES...............................p.57

I. LA PHASE D’OBSERVATION...................................................................................p.57

I.1. Les SEGAPP ..........................................................................................................p.57

I.2. Les maternelles .......................................................................................................p.59

I.3. Les primaires ..........................................................................................................p.62

I.4. Conclusions de l’observation .................................................................................p.71

II. INTERVENTION DANS LA CLASSE : ACTION ET ANALYSE........................p.72

II.1 Séquence de lecture ................................................................................................p.72

II.2 Enseignement de la grammaire...............................................................................p.79

II.2.1. Réflexions autour du verbe : Une séance ...............................................p.79

II.2.2. Vocabulaire grammatical: deux séances sur ce thème............................p.80

II.2.3. Les groupes verbaux .............................................................................p.81

II.2.4. Bilan sur la grammaire ...........................................................................p.81

CONCLUSION : QUESTIONS SOULEVEES PAR LA PRATIQUE... p.83

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INTRODUCTION : PRESENTATION DU CENTRE

Ce stage s’inscrit dans le cadre du master1 FLE parcours LSF. Il s’agit d’un stage

obligatoire comportant une partie d’observation de classe et une partie de pratique

pédagogique. Il s’est déroulé au centre de la Ressource, à Sainte-Marie de l’Ile de la Réunion,

du 22 août au 16 décembre. Mon responsable pédagogique était M. Jean-François Gianni,

responsable pédagogique de la partie déficients auditifs (DA) du centre.

I. NOM ET STATUT

Le Centre de la Ressource dépend de l’Association de Patronage de l'Institut des

Jeunes Sourds et Aveugles de Marseille, l’IRSAM. Cette association, constituée en 1923 et

domiciliée à Marseille, gère actuellement 11 établissements en métropole et sur l'Ile de la

Réunion. Son but est de « promouvoir et faciliter l’instruction intellectuelle et professionnelle

ainsi que l’éducation des personnes déficientes sensorielles ».

Le Centre de la Ressource a été créé en 1956, et a été dirigé une longue période par

une congrégation religieuse originaire de Marseille. La direction laïque n’a été mise en place

que depuis 1999, date à laquelle le centre a vu son statut passer de « Institution-école » à

établissement médico-social.

II. POPULATION D’ELEVES AU SEIN DU CENTRE ET EN

INTEGRATION

Le centre de la Ressource ne s’occupe pas de la scolarité de tous les élèves sourds de

l’Ile. Elle a à sa charge 95 élèves, répartis sur deux antennes. L’antenne Nord correspond au

centre où j’ai effectué mon stage. Elle gère une soixantaine d'élèves en internat et semi

internat. Cet établissement accueille les élèves qui ne peuvent, momentanément ou

durablement, être en intégration dans le milieu scolaire ordinaire. Les raisons en sont

variables. Elles sont le plus souvent liées à un ensemble de difficultés très diverses, telles que

pathologie surajoutée, retards mentaux modérés ou importants, problèmes psychologiques ou

psychiatriques et problèmes sociaux de différentes intensités. Environ 40% des élèves

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déficients auditifs de l’établissement ont au moins un handicap ajouté à la surdité. Certains

élèves sont dans ce centre pour des raisons géographiques, faute de pouvoir être accueillis

dans un autre établissement proche de leur domicile. Enfin certains parents sourds ont fait le

choix d’y scolariser leur enfant, préférant cette situation à celle de l’intégration en milieu

ordinaire. Ce centre accueille également des enfants scolarisés tardivement (parfois après 10

ans), venant principalement de l’Ile Mayotte, qui est dépourvue de structures spécialisées pour

les sourds.

Les élèves sont répartis comme suit :

14 élèves en maternelle, dont 9 avec un potentiel normal et 5 avec des difficultés.

30 en primaire, dont 22 en difficulté.

17 en SEGAPP (Section d’Enseignement Général Adapté au Projet Professionnel,

équivalent des sections SEGPA de l’éducation nationale)

7 élèves sont scolarisés en intégration en maternelle (école du Port) pour des raisons

géographiques.

La trentaine d’élèves dépendant de l'antenne sud est scolarisée en milieu ordinaire, et

bénéficie d’un accompagnement SSEFIS (Service de Soutien à l’Education Familiale et à

l’Intégration Scolaire) dispensé par les enseignants de la Ressource.

III. EQUIPE PEDAGOGIQUE ET PROFIL DES

ENSEIGNANTS

Chaque enfant fait l'objet d'un projet individualisé (PI), c'est à dire qu’une équipe

évalue ses besoins, ses capacités et les objectifs à réaliser pour son éducation. C'est une

équipe pluridisciplinaire qui se charge d'élaborer le PI lors de "synthèses", qui ont lieu en

général une fois par an. Elle est composé d'une équipe médicale et paramédicale ( Pédiatre,

ORL, Psychologue, Audio prothésiste, orthophoniste), d'une assistante sociale, du responsable

pédagogique, des éducateurs et du ou des enseignants qui ont en charge l'élève.

La prise en charge des enfants se définit selon trois axes, l'axe pédagogique, qui

concerne les apprentissages scolaires traditionnels et les apprentissages spécifiques à la

déficience (perception et communication). L’axe éducatif, qui vise une insertion scolaire,

sociale et familiale reposant sur les notions de responsabilité, d’autonomie et

d’épanouissement de soi. Enfin l'axe thérapeutique, qui concerne la surveillance médicale du

handicap et l’optimisation des potentiels sensoriels.

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En ce qui concerne l'équipe pédagogique, tous les enseignants du centre sont titulaires

du CAPEJS (Certificat d'Aptitude Professionnelle à l'Enseignement auprès des Jeunes

Sourds). Il s’agit du diplôme dépendant du ministère de la santé et délivré à Chambéry. Ce

diplôme donne la double compétence de rééducation orthophonique et d'enseignement, de la

maternelle au secondaire et ce dans toutes les matières.

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LE STAGE : ORGANISATION ET ACTIVITES

M. Gianni, mon responsable, m’a laissé toute liberté de choix dans mes activités. Des

réunions régulières avec lui me permettaient de discuter de mes observations et de l'informer

de mes projets.

J'ai décidé d'organiser mon stage en deux temps. D’abord une première période

d'observation, d'un mois et demi, pour me rendre compte d'un maximum de situations

d'enseignement différentes. Je suis passée dans presque toutes les classes, à raison d'une

semaine ou deux par classe ou par enseignant. Puis une deuxième phase, de deux mois, où j'ai

travaillé en binôme avec un enseignant pendant toutes les leçons de français.

I. LA PHASE D’OBSERVATION

I.1. Les SEGAPP

J’ai tout d’abord passé deux semaines dans la section SEGAPP, qui correspond à un

cycle secondaire, adapté aux élèves en grande difficulté scolaire.

Il y a quatre classes, 6ème

, 5ème

, 4/3ème

, et 4ème

B. La 4ème

B est une classe un peu à part,

regroupant trois élèves de environ 16/17 ans, mahoraises, scolarisées tardivement. Leurs

professeurs tentent de leur donner une autonomie, en leur faisant suivre des enseignements

très concrets, comme des cours de cuisine ou d’entretien du linge… Elles apprennent à lire en

cours de français, où elles doivent surtout apprendre et mémoriser du vocabulaire de base,

mais aussi en cours de cuisine, avec des pictogrammes, où le but est de les rendre autonomes

face à une recette de cuisine. La méthode consiste à partir de l’objet concret, à l’associer à une

photo de l’objet puis à une représentation symbolique (le pictogramme). Les recettes sont

faites d’abord en pictogrammes, puis en français, et toujours accompagnées de dessins, ou

chaque ingrédient à une couleur propre. La méthode est efficace, car les élèves savent refaire

ces recettes seules, en classe comme à la maison. Mais leur compétence se limite pour

l’instant à ce seul domaine culinaire.

Pour les autres classes, la section SEGAPP a pour but de dispenser les connaissances

de base et de préparer l'élève à sa future formation professionnelle en apprentissage en CFA.

La classe de 3ème prépare au Certificat de Formation Générale (CFG), comprenant une

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épreuve écrite de français et maths, et un entretien oral. Une partie des enseignements

dispensés sont traditionnels, et une autre est davantage adaptée au thème de l’insertion

professionnelle.

Les enseignements généraux sont les mathématiques (5h), le français (5h), l’anglais

(1h), la LSF (1h), l’éducation civique (1h), l’« éveil » (2h) (SVT, histoire, géographie), le

dessin (1h) et l’EPS (2h). Le programme qui est appliqué dépend de l’enseignant et de ses

objectifs. La professeure de mathématiques insiste par exemple sur l’importance d’appliquer

le même programme que celui de l’éducation nationale, même si c’est difficile, tandis que le

professeur d’histoire et géographie base ses leçons sur la Réunion et la France, pensant

préférable d’adapter l’enseignement à la vie quotidienne des élèves, pour plus d’intérêt et de

compréhension. Cet enseignement est majoritairement très concret, présentant l’avantage de

ne pas mettre les élèves en situation d’échec, ce qui est important compte tenu de leur passé

scolaire parfois difficile. Mais il repose beaucoup sur des automatismes et peu sur une réelle

réflexion de l’élève. Par exemple, dans le cours de français, les notions sont très simplifiées,

et les exercices basés sur des reprises de modèle (par exemple des transformations de

phrases). A l’évaluation, la compréhension n’est que rarement vérifiée, la forme des phrases

étant souvent bonne. La conscience grammaticale des élèves est également très faible. Par

exemple, les élèves de 5ème

ne repèrent pas le verbe dans une phrase simple alors qu’ ils

connaissent plutôt bien la conjugaison de ces mêmes verbes.

En ce qui concerne les enseignements adaptés à la vie professionnelle, les élèves ont

deux heures d’Itinéraire De Découverte (IDD) par semaine. Il s’agit d’une pédagogie de

projet où les élèves des différentes classes se répartissent dans deux groupes. Chaque groupe

choisi un thème, effectue des activités de recherche documentaire et prépare un projet qu’il

présentera à l’école à la fin de l’année. Les élèves ont également une heure de Projet

Professionnel (PP), dont le but est l’aide à la recherche de stage et la préparation du dossier à

présenter au CFG pour les troisièmes. Ils ont enfin deux heures de technologie, où les activités

manuelles sont privilégiées par rapport à la théorie, toujours dans le but de favoriser la

motivation et la compréhension. Les élèves de troisième ont en outre dix stages d’une semaine

à réaliser au cours de l’année, dont le but est de déboucher sur un contrat d’apprentissage avec

l’entreprise en question.

La communication mise en place dépend également de chaque professeur. Il y a un

enseignant sourd, s’exprimant en LSF, qui se charge des cours de LSF et de technologie. Tous

les autres sont entendants, et s'expriment en français signé et à l’oral. Leur but est de s’adapter

à tous les élèves, certains étant plus dans l’oral et d’autres dans la langue des signes. Certains

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des enseignants sont très communicatifs et se font bien comprendre de leurs élèves. D’autres

avouent ne pas être très forts en langue des signes, et font ce qu’ils peuvent : ils ponctuent de

signes ce qu’ils disent à l’oral. Le niveau faible en langue des signes des enseignants conduit

lui aussi inévitablement à une simplification des notions, faute de pouvoir les expliquer

finement dans la langue des élèves.

Dans le cours de français, les élèves répondent le plus souvent en français signé et à l’oral,

pour coller au français. Dans le cas de l’oral, l’inconvénient est qu’il enlève toute dynamique

de classe. Les élèves ne profitent pas des réponses de leurs camarades, et ils répondent

souvent en même temps.

La préparation professionnelle est de qualité à mon sens, concrète et dispensée par des

enseignants dynamiques et motivés. Par contre les enseignements fondamentaux ne me

paraissent pas tous très adaptés au niveau et aux besoins réels des élèves. Ils restent très

traditionnels dans leur application alors qu’il y a une réelle recherche à effectuer à ce niveau-

là, pour qu’ils soient réellement utiles aux élèves. Mon impression est que les enseignants

comme les élèves se rassurent en faisant les mêmes types d’activités que dans le milieu

ordinaire. Une analyse préalable des objectifs en matière de compétences des élèves

permettrait sans doutes d’élaborer un programme et des activités réellement adaptés à leurs

besoins. Il est à noter que beaucoup des enseignants avec qui j’ai discuté se montrent

insatisfaits du niveau de leurs élèves, et disent manquer de formation, de moyens et

d’information.

I.2. Les maternelles

Je suis passée ensuite à la section maternelle. L'équipe est composée de deux

enseignantes ayant en charge chacune une classe, d’un enseignant sourd de LSF, d’une

éducatrice spécialisée sourde, d’une professeure de dessin et de deux aides Médico-

pédagogique. Si chaque élève a son enseignante référente, il côtoie de nombreux intervenants

au cours de sa journée. Les deux classes sont très différentes, à la fois par rapport au public et

par rapport à la manière dont l'enseignement est dispensé.

La première classe regroupe des enfants à handicap associé, la plupart du temps en

cours de diagnostic. Deux enfants présentent des troubles autistiques, les trois autres sont

supposés en retard mental léger. La communication dans cette classe se fait en français signé

et à l’oral, parfois seulement à l'oral, et quelques éléments de LPC. L'usage des pictogrammes

est systématisé comme mode d'entrée dans l'écrit (les noms, les moments de la journée et de la

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semaine par exemple). Les apprentissages sont individualisés, compte tenu des faibles

capacités d’attention des enfants. Il n’y a pas de cours de LSF, mais il y a plus de personnel

présent pour accompagner les enfants.

C’est la seconde classe que j’ai le plus observée. Elle compte 8 enfants, dont 3 de

parents sourds, et seulement une fille. Les activités de groupes sont possibles par rapport à

l’autre classe, mais elles n’en demeurent pas moins difficiles. La capacité de concentration

des enfants est très faible. Ils ont du mal à rester assis à leur table. L’enseignante doit

dépenser beaucoup d’énergie à capter le regard de tous pour une activité. Il faut sans arrêt

jongler entre celui qui joue dans son coin, celui qui se lève en pleine activité, et deux autres

qui se disputent. Elle doit également proposer des activités très courtes, et en changer

rapidement. Mais ces difficultés tendent à s’amenuiser au cours de l’année.

L’oralisation des enfants faisant partie du projet éducatif de l’école, l’enseignante doit

chaque matin vérifier qu’ils portent bien leurs appareils auditifs, et qu’ils fonctionnent. Un

audioprothésiste passe régulièrement pour prendre connaissance d’éventuels problèmes et

veiller au suivi des enfants. L’orthophoniste suit chaque élève individuellement environ une

heure par semaine sur le temps scolaire, et l’enseignante de l’autre classe prend en charge le

groupe pour le travail en langue orale. Si l’orthophonie vise un travail sur les techniques

d’articulation des phonèmes que l’enfant doit acquérir, la langue orale a une approche plus

communicative, et cherche à faire utiliser les mots appris au moyen d’activités ludiques.

Certains enfants apprécient ce genre d’activité et font des progrès, tandis que d’autres s’en

désintéressent complètement. Par ailleurs, la communication mise en place dans cette classe

se fait en LSF. L'une des priorités est de faire émerger une communication signée de qualité,

en proposant énormément d'activités permettant aux enfants de raconter des choses. Un thème

différent est choisi chaque mois par l’enseignante, et suivi en parallèle par le prof de LSF.

Durant la période où j’étais présente dans cette classe, le thème choisi était l’école. Les

objectifs visés étaient l’acquisition du vocabulaire lié à l’école, l’appropriation des moments

de la journée, de la semaine, ainsi que des éléments du règlement scolaire. Pour servir de

support au discours des enfants, l’enseignante utilise beaucoup d’images. Dans le thème de

l’école, il s’agissait de scènes de la vie quotidienne des enfants (le réveil, la toilette, le jeu,

l’école, …) Ces images font l’objet de commentaires, de mime, et de jeux divers (par exemple

remettre les images d’une journée dans l’ordre). Le matin, elle utilise un support imagé pour

leur faire raconter leurs journées du week-end, en leur demandant notamment si ils ont fait

comme l’enfant qui est sur l’image. Les enfant désignent telle ou telle activité que

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l’enseignante formule en LSF. Sans ce support, les enfants s’expriment peu sur ce qu’ils font

à la maison.

La mise en place des repères temporels étant réputée difficile chez les jeunes sourds, la

première activité de la matinée est consacrée au calendrier. Dans un premier temps, en

groupe, les enfants doivent poser des étiquettes où sont inscrits les mots « hier »,

« aujourd’hui » et « demain » sur une bande de papier affichée au tableau présentant les sept

jours de la semaine. Puis ils doivent faire l’exercice inverse, c’est-à-dire placer l’étiquette du

jour de la semaine sur une bande de papier où figurent les mots « hier », « aujourd’hui » et

« demain ». Ensuite, au niveau individuel, les élèves disposent d’un calendrier collé sur leur

table, et d’un agenda sur lesquels ils doivent rayer les jours accomplis et entourer le bon jour.

Durant ma présence, l’enseignante a également travaillé sur des contraires, comme

garçon/fille, sur/sous, lourd/léger, ainsi que sur les couleurs. Chaque concept est expliqué en

langue des signes à l’aide d’exemples concrets, et au cours d’activités variées et progressives,

les enfants intériorisent à la fois le signe, le mot écrit et le mot épelé en dactylologie. En

dehors de la nécessité de développer la communication chez les élèves, les activités sont

similaires à celles de n’importe quelle classe maternelle, avec des dessins à colorier selon des

consignes, des lignes d’écriture… L’enseignante propose également des activités de

reconnaissance de mots, afin d’habituer les élèves à correctement utiliser leur regard pour

repérer les lettres. Elle présente des couples de mots se ressemblant, mais dont un seul est

connu des élèves. Ceux-ci doivent entourer le mot dont le sens leur a été donné. Ils répondent

majoritairement au hasard. Nous nous sommes rendu compte que le même type d’exercice

avec des images est tout aussi difficiles (les lotos par exemple), un réel travail sur le regard et

les stratégies de reconnaissances de lettres ou d’images est à réaliser.

La sensibilisation à la lecture fait également partie des priorités. A la bibliothèque de l’école,

l’enseignante présente des livres à ses élèves, leur lit des histoires, et leur laisse un temps de

lecture individuel. En classe, elle leur montre les mots qu’ils connaissent, leur fait mimer des

scènes, leur pose des questions à propos des images.

I.3. Les primaires

Il y a six classes de primaire réparties comme suit :

un « CP adapté »

un CP2/CE1, avec des enfants progressant bien, pour qui on forme un projet de

scolarité ordinaire

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un CE1/CE2 ; une « classe adaptée », avec des enfants en grande difficulté avec le

français

un CM/CM2

une classe regroupant des enfants présentant des handicaps associés (troubles mentaux

et moteurs).

Je n’ai pu visiter que quatre de ces six classes, par manque de temps. Le CP adapté et les HA

(Handicap Associés) ne seront donc pas décrits.

Les élèves du CP2/CE1 ont entre 7 et 8 ans. Les plus jeunes sont en deuxième année

de CP, les autres en CE1. Ils sont vifs et curieux, ont un bon niveau en langue des signes ainsi

qu’à l’oral. Ce profil d’élève se faisant rare dans cet établissement, l’enseignante se dit

chanceuse, et pense ne plus avoir ce genre d’élèves par la suite. Il est vrai que ce profil

d’élèves est aujourd’hui majoritairement intégré en milieu ordinaire, conformément aux

directives de l’éducation nationale. L’enseignante propose chaque journée de nombreuses

activités, chacune n’excédant pas trois quarts d’heure. Elle veille également à alterner les

phases oral/écrit, statique/debout, et tente d’apporter un côté ludique à chaque fois que c’est

possible : le recours au mime, au dessin, ainsi qu’à des mini compétitions entre élèves est très

fréquent. Tout cela favorise efficacement la motivation. C’est une enseignante très dynamique

qui pousse réellement ses élèves vers l‘avant. Elle est en outre exigeante avec ses élèves du

point de vue de l’oral, (moins pour un des enfants qui est de parents sourds), car elle considère

qu’ils ont des possibilités pour parler. Les activités se font donc en français signé, avec un

recours au mime fréquent, et à l’oral. Un exercice de lecture se fera dans les deux modalités :

d’abord en « signes » pour la compréhension, puis à l’oral, où les enfants doivent prononcer

les phrases chacun leur tour. L’enseignante, consciente de son niveau de langue des signes,

regrette que les textes vus en classe ne soient pas repris par le professeur de LSF, pour un

travail plus fin sur la langue. Comme pour les maternelles, c’est l’enseignante qui se charge

de l’apprentissage de la langue orale, tandis que l’orthophoniste prend chaque élève

individuellement au cours de la semaine. C’est une méthode de FLE, Alex et Zoé, qui a été

choisie comme support à la langue orale. Le but est de faire parler les enfants en

communication, principalement autour de questions comme « comment tu t’appelles ? », « Où

habites-tu ? » Compte tenu d’un apprentissage de la langue orale relativement efficace, il est

intéressant de se demander quel impact ces acquis ont sur la production en français écrit.

Quatre des enfants sur les cinq prononcent ce qu’ils lisent, et articulent les mots avant de les

écrire. Ils s’aident donc manifestement de l’oral, bien qu’ils utilisent les signes pour

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s’exprimer entre eux. Avec leur enseignante, ils s’expriment en signes, mais le plus souvent

en y mettant la voix, parfois uniquement à l’oral. Un des enfants s’exprime d’avantage à l’oral

spontanément. Une autre élève ne parle presque pas, et lit en transcrivant chaque mot en

signe. Sa stratégie est tout aussi efficace, son niveau étant similaire à celui de ses camarades.

L’enseignante n’interférant pas dans ces stratégies, on peut donc constater que des enfants

suivant le même enseignement utilisent différemment les moyens de communication mis à

leur disposition, avec des résultats également satisfaisants.

La classe de CE1/CE2 est composée de quatre élèves de 11 ans en moyenne, et

rejoints par deux élèves de deux autres classes, une pour le français, et l’autre pour les

activités de maths, éveil et langue orale. Un des élèves quitte la classe pour les activités de

maths, qu’il suit avec la classe décrite précédemment.

Les élèves participent beaucoup, mais répondent souvent au hasard. Ils ne restent pas

concentrés très longtemps, et sont peu autonomes. Dans cette classe le travail sur l’oral a

également une place importante. L’enseignante s’exprime parfois en LSF, mais le plus

souvent en français signé et à la voix. Elle utilise aussi beaucoup le LPC. Le travail de la

langue orale se fait également avec la méthode Alex et Zoé et repose beaucoup sur le

questionnement. Mais la compréhension des élèves en lecture labiale est parcellaire, ils

répondent souvent à côté. En ce qui concerne le français écrit, les activités sont sensiblement

les mêmes que celles qu’on trouve en milieu scolaire ordinaire : des exercices de repérage du

verbe, des phrases à reconstituer à partir de mots mélangés, des textes à ponctuer. Les élèves

ne font appel à aucune stratégie pour faire ces exercices, et font davantage confiance au

hasard. Ce type d’exercice nécessitant une conscience grammaticale et donc préalablement

une bonne connaissance de la langue française, on peut facilement expliquer cet échec et le

peu d’intérêt que les élèves y portent. L’exercice de la dictée est souvent utilisé. Il s’agit de

phrases que les élèves ont recopiées la veille dans leur cahier et qu’ils doivent apprendre en

étude. Le jour de la dictée, l’enseignante donne une première fois la phrase en français signé,

puis deux fois en LPC. Ce sont des phrases simples, déclaratives et affirmatives. J’ai

remarqué que les élèves s’aident en prononçant les mots avant de les écrire. Mais seuls ceux

qui ont appris les phrases réussissent l’exercice. La lecture labiale seule ne suffit pas, ces

élèves ont besoin de connaître le mot pour le deviner à l’ouïe ou en lecture labiale.

La classe adaptée accueille des élèves dont on peut difficilement associer un niveau

correspondant aux classes habituelles. Ce sont des enfants en grande difficulté, qui ont de

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faibles capacités de concentration et de mémorisation. Ils sont relativement turbulents, une

élève étant particulièrement perturbée, et nécessitent une attention constante. Malgré cela ils

participent beaucoup en classe et font état d’une grande motivation. La pédagogie mise en

place repose sur une méthodologie originale, particulièrement travaillée en amont.

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture se fait avec des pictogrammes, et un grand travail

est fait sur l’autonomisation des élèves. Chaque texte à étudier est associé à une image, qui

reprend tous les éléments du texte. Les textes sont toujours courts, trois ou quatre phrases, et

simples. Texte et images sont affichés en grand format au tableau. L’étape préalable à la

lecture du texte est la description de l’image en groupe. Tout le vocabulaire qui en ressort est

inscrit par l’enseignante sur une partie du tableau, sous forme de vignette comprenant à la fois

le pictogramme et le mot. Cette activité terminée, les élèves disposent d’une sorte de

dictionnaire comprenant tout le vocabulaire nécessaire à la compréhension du texte. Il restera

affiché tout le temps de l’étude du texte, qui s’étale sur plusieurs séances. Lorsque cette étude

est terminée, le texte est affiché au mur du fond de la classe, et les pictogrammes sont repris

sur des vignettes consultables en permanence par les enfants. Ces vignettes permettent aux

enfants de reprendre tout le texte en pictogrammes.

Le travail sur la production écrite se fait à partir d’un autre support. Il s’agit de

plusieurs diapositives qui racontent une histoire. La description comprend plusieurs étapes.

Elle se fait tout d’abord en LSF : au premier passage, les enfants racontent toute l’histoire,

avec l’aide de l’enseignante qui pose des questions. Au deuxième passage, ils décrire plus

précisément, diapositive par diapositive. La deuxième étape est la formalisation en français

signé. Chaque enfant s’essaie à construire une phrase. Enfin les élèves passent à tour de rôle

au tableau pour écrire les phrases en pictogrammes. Tout ce travail se fait collectivement.

Pour la partie individuelle de ce travail, les enfants ont des feuilles sur lesquelles figurent les

dessins des diapositives, et les phrases correspondantes. Les enfants doivent écrire les

pictogrammes sous chaque phrase.

Pour entraîner les élèves au travail en autonomie, les enfants ont de très nombreux

mais courts exercices d’entraînement à faire seuls en classe, visant à les faire manipuler le

vocabulaire appris. Reconstitution de mots à partir des lettres, des syllabes, reconstitutions de

phrases,... Une pléthore d’exercices structuraux qui ont pour but de faire manipuler l’élève le

vocabulaire Chaque enfant choisi son activité et travaille seul. Il y a un roulement

régulièrement, et l’enseignante tourne auprès des élèves.

Cette méthode permet aux élèves de mémoriser plus rapidement le vocabulaire, grâce

à l’intermédiaire des pictogrammes. Ils se familiarisent avec l’ordre des mots dans la phrase

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française, sans avoir à se poser les problèmes de flexions et d’accords grammaticaux. Mais

elle passe par la nécessité de formaliser les énoncés en français signé, ce qui pose problème

pour la traduction d’expressions, telles que « faire des bulles », ou « prendre son petit

déjeuner ». Comment transcrire ce genre d’expressions en gardant à la fois le caractère

iconique du pictogramme et la structure du français écrit ? Il faut passer par des

approximations. Par exemple, « faire des bulles » a été transcrit par le pictogramme qui

signifie « souffler ». On peut aussi se demander comment seront transcrites des notions plus

abstraites. Certains des pictogrammes reprennent de manière symbolique les signes de la LSF,

et constituent ainsi un bon moyen mnémotechnique. Les mots grammaticaux ne sont

d’ailleurs pas transcrits en pictogrammes et sont placés directement dans la phrase en

pictogramme.

Durant la période où j’ai observé cette classe, je n’ai vu qu’un seul type d’utilisation de la

production écrite en pictogrammes, la description d’image. J’espère que les pictogrammes

permettront aussi à ces élèves de s’exprimer, de faire des petits récits sur leur propre vécu. Un

début de projet de correspondance en pictogramme avec une classe d’une autre école était en

cours.

La classe dans laquelle je suis ensuite restée pour travailler avec l’enseignant, regroupe

deux niveaux :

un niveau appelé « CM Adapté » comprenant 5 élèves de 11ans environ, et qui

intégreront très probablement une structure du type SEGAPP

un niveau CM2 avec deux élèves en redoublement, pour qui on a formé le projet du

collège en milieu ordinaire. L’enseignant que j’ai suivi ne les prend en charge que

pour le français.

Il y a un tronc commun pour les enseignements dispensés. Les deux classes

bénéficient d’un enseignement en commun pour certaines heures de français. Entre eux, les

élèves s'expriment en LSF. Pour communiquer avec leur enseignant, ils utilisent soit l'oral,

soit la LSF, soit les deux modalités. Ils paraissent motivés et dynamiques, mais ils ne

participent que lorsque l’activité est facile. Ils veulent absolument répondre juste, comme s’il

s’agissait d’un jeu. Leur satisfaction d’avoir bien répondu est souvent démesurée, tout comme

leur déception de s’être trompés. La raison de leur erreur ne semble pas les intéresser. Ils ont

d’ailleurs une grande tendance à répondre au hasard. Ils sont de plus très peu autonomes dans

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le travail. Ils ont besoin d'être très suivis, très guidés. Ils ont un grand manque de maturité et

de confiance en eux.

L’enseignant s’exprime à la voix et en français signé, ainsi qu’en LPC. Les trois

modalités sont parfois utilisées dans un même énoncé, ce qui conduit parfois à des contres

sens ou des non sens. Le LPC est utilisé soit pour faire prononcer un mot aux élèves, soit pour

coder un mot dont le signe est inconnu de l’enseignant. Les différents codes et langues maniés

sont confondus. Ils ne sont ni nommés, ni comparés. L’utilisation des signes dans la leçon de

français est dédiée à la transcription des mots du français. Par exemple, pour montrer à ses

élèves que le mot guépard n’est pas un verbe, il a transcrit en français signé la

« conjugaison », pour montrer que c’est impossible : « Je guépard, tu guépard, … ». D’abord

cette traduction ne prouve rien sur la nature du mot guépard, mais surtout elle forme un

énoncé correct en langue des signes. (Un pointage vers soi accompagné du signe [guépard] se

traduit par je suis un guépard). Cette démarche donne l’impression que les signes ne sont

qu’une transcription gestuelle du français. Pour s’assurer de la compréhension de ses élèves,

l’enseignant a souvent recours au mime. Il incite ses élèves à mimer les situations décrites en

français, parfois à les dessiner. C’est une bonne stratégie car elle permet de rendre concret ce

qui vient d’être lu. Mais l’utilisation de la langue des signes pourrait être également un bon

moyen de parler du français et de vérifier la compréhension.

Etant restée presque huit semaines dans sa classe, j’ai eu l’occasion de discuter avec

cet enseignant sur ses opinions en matière de pédagogie adaptée aux enfants sourds. Il m’a

expliqué en partie le faible niveau des élèves de primaire et SEGAPP en français par le fait

qu’on leur présente trop de textes, alors qu’ils ne savent même pas construire une phrase. Il

propose donc qu’on ne parte pas du texte dans la leçon de français. Il faut selon lui construire

leur compétence langagière en commençant par le mot, puis les phrases simples, les phrases

complexes, pour enfin aboutit au texte. Cependant, dans sa pédagogie, il utilise des textes,

mais la plupart du temps simplifiés. En ce qui concerne le rôle de la LSF, il considère qu’elle

n’a pas d’utilité pour l’acquisition du français, étant trop différente de la langue cible. Il ne

s’agit donc que d’un outil pour se faire comprendre. De plus, il est parfaitement conscient que

ses élèves ne maîtrisent pas suffisamment le français, mais il tente de leur donner une

conscience grammaticale, car le travail sur la grammaire fait partie du programme. Il a repris

depuis le début de l’année toutes les notions grammaticales de base, en proposant

principalement des exercices structuraux. La structure est vite acquise par imitation, mais au

détriment du sens. Voici un exemple des conséquences sur les élèves de cet apprentissage par

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imitation: Lors d’un exercice à trous, il fallait placer le bon verbe, et le conjuguer

correctement. Les élèves ne se sont pas trompés sur l'accord, mais sur le choix du verbe:

Ils sont toujours quelque chose à dire,

Nous allons fiers d'être médecins.

Au final, cet enseignant s’est montré insatisfait. Il a admis volontiers que faire

manipuler aux élèves une langue qu'ils comprennent trop peut n'est pas logique, et pas

satisfaisant, et que la traduction en français signé ne permet pas forcément l'accès au sens,

mais une fois de plus, il ne voit pas en quoi la LSF pourrait aider, étant trop différente de la

langue cible. Je lui ai expliqué mon point de vue, qui est de mettre ces élèves en position de

traducteurs, car ils sont amenés sans arrêt à passer d’une langue à l’autre, et le seront dans leur

vie d'adulte. Pour moi, le français signé est un faux intermédiaire qui ne fait que brouiller la

compréhension, alors que la LSF permet un réel accès au sens. Il m’a alors demandé d’animer

une séance sur le texte « Ma rue », pour avoir une idée d’une utilisation possible de la langue

des signes en cours de français. J’ai animé cette activité avec les deux élèves de CM2.

Voici le texte :

Dans ma rue, je rencontre toujours des gens nouveaux. Je ne connais pas leur nom, mais je

sais qui ils sont et ce qu’ils font : le laveur de carreaux qui porte tout son matériel ; les

facteurs qui vont distribuer le courrier ; le camelot qui a toujours de nombreux lots dans son

parapluie ; la concierge qui est au courant de tout.

C'est un texte qui avait été étudié avant mon arrivée et qui avait fait l'objet d'un

exercice de vocabulaire. Il s'agissait d’un texte à trous reprenant les définitions des différents

métiers présents dans le texte. Lors de la correction, le professeur demandait la traduction des

phrases de l'exercice en français signé. L'exercice ayant plutôt été réussi, on peut penser que

le texte avait été bien compris.

Il s’agit d’un texte très court, qui contient seulement deux phrases, et le vocabulaire est

courant. Il contient cependant quelques difficultés syntaxiques, et a d’ailleurs posé des

problèmes aux élèves. La séance que je devais animer devait uniquement porter sur le sens.

La première chose que j'ai demandé aux deux élèves, à été de lire seules le texte, puis de

m'expliquer en LSF ce qu'elles avaient compris. J'avais caché le texte, ce qui les a fortement

perturbées. Il fallait qu’elles disent de mémoire ce qu'elles avaient retenu du texte. Une des

élèves a placé la rue avec des personnes, mais rien d'autre. J'ai ensuite posé des questions sur

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le titre: à qui correspond le mot "ma", que veut dire "ma rue". On a donc dégagé le sens

général: une personne qui décrit sa rue, les personnes qu'elle y croise. Ensuite j'ai demandé un

travail plus précis, en reprenant chaque phrase. J'ai donc redécouvert le texte. J’ai demandé

aux filles de m'expliquer la première phrase et elles se sont empressées de la transposer en

français signé. J'ai du d'abord expliquer que je ne voulais pas d'une transposition mot à signe,

mais des explications du texte dans leur langue. Se détacher du texte de cette manière est pour

elles très perturbant, elles n'en ont pas l'habitude. Après une série de questions, je leur ai

demandé si elles avaient compris, et de me réexpliquer cette phrase en LSF. Karine, de

parents sourds, a bien traduit, mais Johana, qui a beaucoup de mal à se détacher des mots, est

restée très proche du français signé.

Pour la deuxième phrase, j’ai fait apparaître la structure en entourant les mots de liaison et la

ponctuation. Il y a trois propositions et une énumération de quatre exemples. Je leur ai

demandé d'expliquer morceau par morceau. Le travail s’effectuait en soulignant, en faisant

des flèches pour les pronoms et ce à quoi ils renvoient. On travaillait à chaque fois par toutes

petites étapes, car leurs réponses sont toujours très courtes, et elles ne vont jamais plus loin

que ce qui est demandé. Je dois souvent reformuler ce qu'elles disent, pour compléter.

Voici un extrait des questions/réponse que j’ai relevées, à titre d’exemple: (les mots entre

crochets sont les traductions des signes des deux élèves)

M - A qui correspond le pronom « leur »?

Karine: - signe [personne], répété, pour dire « les gens ».

Donc je replace la rue, je désigne les personnes, et je signe:

M - Je ne connaît pas leur nom, mais… quoi?

Karine : - [qui] [connaître], pour dire « je sais qui ils sont »

M - Oui, et quoi d’autre? Je sais deux choses, quelle est la deuxième ?

Karine: - [quoi].

M - Oui, qui ils sont, et ce qu’ils font. Que veut dire « ce qu’ils font »?

Karine et Johana: - [travaille] [quoi].

M - Oui, c’est leur métier. Comment c’est possible de ne pas connaître le nom d’une personne

mais de connaître son métier?

Karine: -[visage].

M - Oui, on reconnaît le visage des gens à force de les croiser dans la rue.

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Ensuite nous sommes passé aux exemples. J’ai repris la traduction du texte depuis le

début, en plaçant quatre personnages. Je les ai pointés en demandant aux filles de les décrire

en se basant sur le texte. Elles ont rencontré des problèmes sur le sens du verbe porter,

qu'elles ont transposé en français signé. L’enseignant a alors mimé le personnage, et fait

deviner aux filles le matériel qu’il peut transporter (seau d’eau, raclette, échelle, ...).

L'expression "être au courant" n’était pas connue des élèves. Elles ont cherché des mots qui

ressemblaient, comme courir, cour... Je leur ai expliqué qu’il s’agit d’une expression. Je leur

ai expliqué le sens, puis je l’ai écrite au tableau, en un seul bloc. Pour terminer, je leur ai

demandé de traduire le texte dans son intégralité. Elles l’ont fait de manière satisfaisante,

mais il m’a semblé qu’elles reproduisaient de mémoire mes propres explications.

Bilan de la séance : J’ai essayé de montrer aux élèves des stratégies de lecture plus

efficaces que ce qu’elles font d’habitude :

Repérer la structure du texte pour anticiper sur ce qui va suivre, notamment grâce à la

ponctuation et aux mots de liaison, expliquer dans leur propre langue ce qu’elles ont compris

du texte, c’est-à-dire se rapprocher plus d’une traduction que d’une simple transposition en

français signé, qui demande moins d’efforts mais n’apporte aucun sens.

L’objectif que m’avait fixé leur enseignant, qui était de leur donner une bonne compréhension

du texte, a été réalisé, mais l’activité a été pour moi globalement insatisfaisante, pour

plusieurs raisons : les élèves se précipitent sur le français signé par habitude. Il est difficile de

leur demander de mettre du sens sur un texte. Ensuite je me rends compte que le lien entre les

explications en LSF et le texte est flou, ce qui veut dire qu’elles n’ont pas acquis, je pense,

l’autonomie suffisante pour lire seules ce texte efficacement. Enfin, mon propre niveau de

LSF m’a causé des difficultés pour m’exprimer clairement et donner des explications aussi

fines qu’il aurait été nécessaire.

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I.4. Conclusions de l’observation

Le mode de communication entre professeurs et élèves en primaire est du même type

que pour les SEGAPP, c'est-à-dire majoritairement français signé accompagné de l’oral. Ce

mode de communication ne dépend que du libre choix des enseignants, en fonction de leurs

propres compétences en LSF et de leur idéologie.

Le projet du centre est proche du principe de la communication totale, que l’on

retrouve dans l’immense majorité des structures spécialisées. Il s’agit de la mise en place et de

l’utilisation de tous les moyens de communication au service de l’enseignement. Ainsi,

professeurs et élèves manipulent chacun à des degrés divers la LSF, le français signé, le LPC,

le français oral et écrit. Cependant, on l’a vu, ces différents codes et langues n’ont pas le

même statut, la communication par signe n’a qu’une fonction utilitaire, tandis que le français

oral fait l’objet d’un véritable enjeu pour la plupart des enseignants. D’une année à l’autre,

les élèves sont alors confrontés à différentes situations d’enseignement, pas tant au niveau de

la communication mise en place, qui est assez homogène, mais au niveau du degré d’exigence

de chaque enseignant par rapport à l’oralisation, au français écrit, et aux autres apprentissages.

Certains cherchent à se rapprocher au maximum d’une situation d’enseignement propre au

milieu ordinaire, d’autres adaptent davantage leurs méthodes à leur public.

Le fonctionnement du centre est plus proche du collège que de l’école primaire, car en

plus de leur professeur référent, les enfants ont un professeur de LSF, un professeur de sport

et doivent se rendre à leur séance d’orthophonie une fois par semaine et changent parfois de

classe pour certains enseignements. Le déplacement de certains élèves d’une classe à l’autre a

été décidé dans un souci de coller au mieux au profil de chacun (chaque enfant fait l’objet

d’un projet individualisé). Un élève a donc son enseignant référent, mais peut suivre les maths

ou le français dans un groupe qui correspond mieux à son niveau. Cela perturbe certains

enfants, particulièrement ballottés d’une classe à l’autre.

Seulement deux classes sont considérées comme normales, c'est-à-dire qu'il y a un

espoir d'intégration en milieu ordinaire. Les trois autres classes regroupent des enfants qui se

dirigeront précocement vers des filières professionnalisantes. Ils bénéficient déjà d'un

enseignement très concret avec des ateliers de cuisine, couture, entretien du linge... en plus

des enseignements fondamentaux.

Majoritairement, les enfants que j’ai rencontrés étaient peu motivés dès lors qu’une

activité présentait une difficulté, mais aussi peu curieux et répondant souvent au hasard. Ce

profil n’est bien sûr pas directement lié à la surdité, mais plutôt à la manière dont celle-ci a été

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prise en charge. Cependant, on le retrouve dans de nombreuses structures spécialisées pour

enfants sourds. Un enseignement basé sur des automatismes, auquel s’ajoute un manque de

communication avec l’entourage a pu provoquer ce manque de curiosité et d’intérêt.

II. INTERVENTION ET ANALYSE

Je suis restée dans la classe CMA/CM2 durant les deux derniers mois de mon stage,

pour travailler en binôme avec l’enseignant sur les leçons de français. Je partageais mon

temps dans cette classe entre observations et enseignement.

les élèves de CMA : Jennifer, qui a un implant cochléaire, Morgan, Coralie, Annalie,

et Malika pour certains cours.

les élèves de CM2 : Johanna et Karine

l’enseignant : Jean-Pierre

II.1. Séquence de lecture

La première chose que l’enseignant m’a demandé de faire a été de chercher un texte et

d’en faire une séance de lecture. Je lui ai alors proposé de travailler sur une séquence autour

d’une histoire complète, car je trouvais plus intéressant qu’il y ait un suivi sur plusieurs

séances. Il était également plus facile pour moi de construire des activités progressives autour

d’un même thème que de chercher plusieurs textes différents faisant chacun l’objet d’une ou

deux séances. Nous avons choisi La chèvre de Monsieur Seguin, d’Alphonse Daudet. Je

souhaitais partir de la LSF, pour que les élèves connaissent l’histoire dans leur langue avant

qu’ils abordent le texte. L'histoire était longue et le niveau des élèves très faible. Entamer une

lecture suivie dans ce contexte aurait été, je pense, décourageant pour les élèves. Le principe

était donc de leur présenter l’histoire signée dans son intégralité, et de les faire ensuite

travailler sur des extraits du texte d’Alphonse Daudet. L’histoire en langue des signes m’a été

fournie par un des enseignants sourds du centre, qu’il a lui-même interprétée. Elle dure

environ huit minutes. Il s’agit d’un résumé qui comprend toutes les grandes étapes du récit.

J’ai organisé cette séquence en cinq étapes :

1ère

étape - Présentation de l'histoire en LSF

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J’ai expliqué aux élèves qu’ils allaient voir une histoire en langue des signes et qu’on

travaillerait ensuite dessus. Au premier passage, tout n’avait pas été compris par la totalité des

élèves. J’ai alors posé des questions très générales, pour dégager la situation de départ. J’ai

ensuite passé l’histoire plusieurs fois, en posant des questions plus précises. A la fin de la

séance, tous les enfants avaient bien compris l’histoire et étaient capables de la raconter en

groupe, en s’aidant les uns et les autres. J’ai été étonnée de voir que les élèves n’ont pas tout

compris au premier passage de la vidéo. Mais une enseignante sourde m’a fait remarquer que

regarder une vidéo en LSF s’apparente beaucoup à une activité de lecture pour ces enfants. La

langue des signes filmée s’apparente plus à de l’écrit dans le sens où il n’y a pas d’interaction

entre le locuteur et le récepteur. Je comprends mieux les difficultés qu’ont eues ces élèves,

compte tenu notamment de leur niveau relativement faible en LSF. J’avais effectivement

traité cette activité comme une leçon de lecture, en posant des questions d’ordre général puis

plus précis, et en proposant plusieurs visionnages. Mais je ne m’étais pas rendue compte de la

similitude avec la lecture. Il y a un véritable travail à faire en amont sur la langue des signes.

A la fin de la séance, nous sommes allés au CDI pour chercher des images permettant

d’illustrer l’histoire.

2ème

étape - Ecriture collective du résumé selon le principe de la dictée à l'expert

J’ai expliqué aux élèves que nous allions écrire le résumé de l’histoire, et que c’est eux

qui allaient me dicter ce qu’il fallait écrire. Pour faciliter le passage au résumé, j'avais

découpé l'histoire en une dizaine de séquences, chacune correspondant à une étape dans le

récit. Je les ai passées aux élèves au fur et à mesure. La séance s’est bien déroulée, les enfants

ont discuté entre eux sur ce qu’il fallait intégrer au résumé. Voici donc le texte produit :

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La chèvre de M. Seguin.

Avant, M. Seguin avait six chèvres. Le loup les a toutes mangées. Il décide d’acheter

une septième chèvre. Il la choisi très jeune et très jolie : poils blancs et sabots noirs. Il

l’attache dans le pré. Au début, tout va bien.

Blanquette s’ennuie. Elle veut aller dans la montagne. Elle le dit à M. Seguin. Il se fâche et

enferme Blanquette. Elle se sauve par la fenêtre et va dans la montagne. Le soir,

Blanquette entend le cri du loup et l’appel de M. Seguin. Elle hésite, et décide de rester. Le

loup arrive. Il veut manger Blanquette. Elle n’est pas d’accord, et décide de se défendre.

Elle se bat toute la nuit avec le loup. Au matin, elle tombe épuisée. Le loup se jette sur elle

et la mange.

C’est moi qui traduisait au fur et à mesure ce que le disaient les élèves en LSF. Mais

j’ai fait le choix, sans vraiment m’en rendre compte, d’une syntaxe et d’un vocabulaire très

simple. Le but étant qu’ils soient capables de lire seuls ce résumé, j’ai cherché à annuler les

difficultés au maximum. Les élèves ont ensuite recopié de texte dans leur cahier, mais il n’a

pas fait l’objet d’une activité de vocabulaire.

3ème

étape - Lecture du résumé, sans la vidéo, en groupes séparés

Le groupe des CMA : Lors d’une première séance c’est l’enseignant qui a pris en charge

la lecture du résumé. Il a demandé aux élèves de traduire le petit texte mais ils n’étaient pas

très motivés. Ceux qui voulaient bien s’y prêter transposaient les phrases en français signé

avant même de les avoir lues en entier. Le vocabulaire vu aux séances précédentes était déjà

oublié (décider, attacher, s’ennuyer, se fâcher, se sauver, hésiter, se défendre, se jeter sur).

L’enseignant m’a alors demandé de préparer la séance prochaine. L’objectif n’était pas une

traduction exacte du texte pour ces élèves, mais qu’ils y prendre des repères pour raconter

l’histoire. Pour cette étape, j’ai demandé aux élèves cinq minutes de lecture individuelle et

silencieuse. Je leur ai ensuite expliqué qu’on allait lire l’histoire ensemble en leur faisant

comprendre que je ne voulais pas de transposition en français signé. Au début, personne ne se

dévouait pour expliquer sa lecture. Il s’agissait pour eux d’une activité difficile. Ils n’aiment

pas se mettre en danger, ils ont trop peur de se tromper. Pour les aider et les mettre en

confiance, j’ai posé des questions, auxquelles ils ont très bien répondu : qui sont les

personnages ? (La chèvre, M. Seguin, le chamois, le loup). Quel est le premier personnage à

apparaître dans l’histoire ? (M. Seguin). Et qu’est ce qu’il lui arrive ? (Le loup a mangé toutes

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ses chèvres). J’ai ensuite demandé à un volontaire de traduire les deux premières phrases.

Coralie a essayé. Puis Morgan. Annalie refusait toujours. Jennifer, qui est implantée, oralisait

avec Jean-Pierre. Phrase après phrase, ils traduisaient chacun leur tour. Ils restaient assez

proches du français signé mais semblaient avoir compris. Je reprenais les petits oublis ou

imprécisions et posais régulièrement des questions sur le sens pour vérifier la compréhension.

Les enfants intégraient d’ailleurs certains des éléments de réponse à leur récit, ce qui montre

qu’ils pouvaient se détacher du texte. Au bout de quatre phrases (jusqu’à sabots noirs), j’ai

demandé qui voulait bien raconter le début de l’histoire. Coralie et Morgan l’ont fait, à tour de

rôle. Annalie s’intégrait peu à peu. Jennifer continuait de raconter à l’oral avec Jean-Pierre.

Nous avons continué jusqu’à « enferme Blanquette », et de nouveau je leur ai demandé de

raconter l’histoire depuis le début. Coralie, Morgan et Annalie ont participé. Toujours phrase

après phrase, nous avons terminé le texte en traduisant et en expliquant. J’ai demandé alors si

quelqu’un voulait bien raconter toute l’histoire, au tableau. Ils ont hésité, cela leur semblait

trop long ! Ils ne veulent pas passer au tableau, parce qu’ils doivent tourner le dos au texte. Il

faut leur dire qu’ils ont le droit de se tromper, que nous sommes là pour les aider. Coralie a

commencé. Elle a tout relu une fois puis s’est lancé. A part quelques imprécisions elle s’en est

très bien sortie. Annalie est ensuite passée. Elle a eu plus de difficultés, mais est parvenue à

raconter toute l’histoire, Coralie lui soufflait un peu. Morgan a lui aussi voulu raconter

l’histoire, en restant assis à sa place. Mais il a du partir en orthophonie... C’était dommage car

qu’il est rare qu’il propose lui-même d’intervenir. Jennifer a raconté aussi à l’oral avec Jean-

Pierre.

Le groupe des CM2 : La même démarche a été utilisée mais en une seule séance. Karine

et Johana ont fait une traduction fidèle du texte. Elles n’ont pas fait de français signé, ont pris

le temps de lire avant de traduire. La séance a été très satisfaisante. Pour l’étude, Jean-Pierre

leur a donné des questions de compréhension, avec pour consigne de répondre par une phrase.

Les CMA ont eu le même exercice.

4ème

étape - Présentation d’un extrait du texte d’Alphonse Daudet : Blanquette et le

loup. (Projeté au tableau)

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l’ombre

deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient... C’était le loup.

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Enorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là, regardant la petite chèvre

blanche et la dégustant pas avance. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se

pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.

« Ha ! ha, la petite chèvre de M.Seguin » ; et il passa sa grosse langue rouge sur ses

babines d’amadou.

Le texte est court quoique complexe pour ces élèves. Il y a beaucoup de vocabulaire

inconnu, et les verbes sont au passé simple, temps que les élèves connaissent mal. Il y a

également quelques finesses de la langue à faire passer. L’étude de ce texte s’est déroulée sur

deux séances. Lors de la première séance, j’ai essayé de dégrossir le texte. Nous avons dégagé

le sens général puis nous avons décrit le loup et relevé le vocabulaire des couleurs. J’ai

demandé de souligner les termes qui renvoient à la chèvre en bleu et les termes qui renvoient

au loup en rouge. Nous avons traduit le texte approximativement. Il commençait à y avoir une

réflexion de la part des élèves (surtout les CM2) sur la manière de traduire et le choix du

lexique. Johana a fait une proposition pour les yeux reluisants du loup, meilleure que la

mienne et Karine a fait de même pour l’ombre. Nous les avons donc adoptées.

Lors de la deuxième séance j’ai dit aux enfants qu’on allait terminer l’explication du

texte, mais ils n’étaient pas du tout d’accord. « On a déjà fait ce texte, on a terminé... » Ces

élèves n’aiment pas rester trop longtemps sur une même activité, cela leur donne l’impression

de ne pas avancer. J’ai expliqué qu’on n’avait pas tout expliqué, que le texte est difficile. J’ai

obtenu leur accord mais pas leur motivation. Je leur ai demandé de lire cinq minutes le texte

individuellement et de relever le vocabulaire qu’ils ne connaissaient pas. Ils m’ont demandé

presque tout le vocabulaire que j’avais déjà expliqué. Je leur ai ensuite demandé de

m’expliquer le texte. Personne n’osait, ou personne ne voulait. Nous avons alors travaillé

phrase par phrase. Le premier paragraphe n’a pas trop posé de problèmes, Coralie, Karine et

Johana ont traduit les phrases. Toute la fin a été laborieuse parce que les enfants ne

participaient pas beaucoup. Ils voulaient bien répondre à mes questions, mais pas traduire le

texte. J’ai terminé rapidement la séance, parce que j’avais le sentiment qu’elle ne leur

apportait rien de plus que la précédente.

5ème

étape - Exploitation et réinvestissement du vocabulaire sous forme de jeu

(concours)

Le but était de retrouver de la motivation chez les élèves. Ce sont des exercices

simples, visant à vérifier ce qui restait du vocabulaire et des structures grammaticales. J’ai

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répertorié tout le vocabulaire contenu dans les deux textes étudiés sur la chèvre de M. Seguin.

La séance consistait à manipuler ce vocabulaire et le réinvestir dans d’autres phrases. Il

s’agissait principalement de traductions, du français vers la LSF, puis de la LSF vers le

français. Chaque bonne réponse donnait un point à l’élève. J’ai commencé par des mots que

j’écrivais au tableau et dont les élèves devaient donner la traduction en LSF. Puis je donnais

des signes, que les élèves devaient traduire en écrivant le mot au tableau. J’ai procédé de la

même manière avec des phrases. Les phrases que je donnais en LSF étaient sur le même

modèle que celles que j’avais déjà écrites au tableau, de manière à ce qu’ils puissent s’aider

de la structure en traduisant en français. Voici le vocabulaire utilisé :

noms adjectifs verbes

La chèvre

Le loup

Le chamois

Les poils

Les sabots

Le pré

La montagne

Au début

Le matin

Le soir

La nuit

L’ombre

La fenêtre

Le cri

L’appel

Le bruit

La feuille

Les oreilles

Les yeux

Le train de derrière

La langue

Les babines

Septième

Jeune

Joli

Blanc

Noir

Rouge

Amadou

Court

Droit

Enorme

Immobile

Petit

Gros

Méchant

Assis

Epuisé

Manger

Décider

Acheter

Choisir

Attacher

S’ennuyer

Aller

Dire

Se fâcher

Enfermer

Se sauver

Appeler

Hésiter

Rester

Se battre

Tomber

Se jeter sur

Entendre

Se retourner

Reluire

Regarder ; voir

Déguster

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Savoir

Se presser

Les élèves étaient très motivés par l’idée du concours et par l’exercice de traduction.

Ils ont tous beaucoup participé et ont trouvé l’activité très amusante. C’est Karine qui a gagné.

Ce type d’activité n’a pas grand intérêt au niveau de la progression dans la compétence de

lecteur, mais il permet de mémoriser de façon ludique le vocabulaire et les structures de

phrases appris au cours des dernières séances. Une fois cette étape passée, il aurait été

nécessaire d’approfondir le vocabulaire. Je pensais faire le même genre d’exercice sur les

contraires, notamment pour les adjectifs de la liste, et aussi sur les nuances de sens (grand,

énorme...), mais je n’en ai pas eu le temps.

Bilan: La motivation des élèves a été difficile à obtenir pour les activités demandant le

plus de réflexion. Les élèves ont refusé de participer lors de la quatrième étape, ce qui m’a

beaucoup perturbée. Faire deux séances sur le même texte était pour eux inutile, alors qu’ils

étaient bien conscients de ne pas pouvoir le traduire. Capter la motivation chez ces élèves et

susciter leur intérêt est l’enjeu majeur avant d’aborder un travail, quel que soit son intérêt

pédagogique. Ne devant travailler que sur le sens, les séances se sont déroulées à l'oral. Or

j'aurais souhaité pouvoir exploiter davantage les textes à l'écrit, de manière à en dégager les

difficultés principales, qui auraient servi de pistes pour les séances de grammaire et

vocabulaire. Relever le vocabulaire inconnu aurait également permis aux élèves de le

mémoriser plus facilement. En ce qui concerne l’exercice de traduction, mon niveau de LSF

étant encore faible, je ne pouvais pas juger la qualité des énoncés signés des élèves. Je me

référais donc souvent à eux, en leur demandant ce qui leur paraissait être le plus naturel,

puisque c’est leur langue de référence. Cela dit, j’étais bien consciente du peu de recul qu’ils

avaient par rapport à leur langue. Produire un énoncé en LSF spontanément n’a rien à voir

avec une réflexion sur la manière de traduire le français. Ce travail leur a permis tout de

même de se rendent compte qu’ils manipulaient deux langues différentes, et qu’il faut

réfléchir pour bien traduire. Si je ne pouvais juger leur niveau de LSF, leurs énoncés me

permettaient de voir s’ils avaient compris ou non le sens des phrases qu’ils essayaient de

traduire.

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II.2 enseignement de la grammaire

L’enseignant m'a ensuite confié la lourde tâche de m'attaquer à la grammaire. Cela a

été un travail fastidieux, peu formateur pour des élèves qui n'ont de toute façon aucune

conscience grammaticale, hormis quelques automatismes. A ce niveau là de compétence en

français, le travail sur la grammaire ne peut conduire qu'à un renforcement des automatismes.

Une grammaire intuitive, en contexte me semblait beaucoup plus pertinente.

II.2.1. Réflexions autour du verbe : Une séance

Lors de cette phase, nous avons tenté de définir ce qu'est un verbe, en essayant de

repérer des régularités à l’aide d’un petit corpus. J’ai réutilisé le vocabulaire vu aux séances

précédentes. Je leur ai demandé de traduire les phrases, et d’y entourer le verbe. Ils n’ont pas

fait d’erreurs. Je leur ai ensuite montré que lorsqu’on cache les verbes, la question que l’on se

pose est différente. Nous avons abouti à deux questions qui permettent de distinguer les

verbes d’action et d’état (fait quoi ? et comment ?). J’ai ensuite entamé un tableau avec les

questions à poser en titre des deux colonnes et je leur ai demandé de le terminer. Durant la

deuxième heure, Jean-Pierre leur a fait recopier la leçon dans leur cahier. Il a effacé les verbes

du tableau pour que les élèves s’exercent à les classer. C’est lui qui se chargera des exercices

d’application lors des prochaines séances. La séance a duré une heure, or j’avais prévu

beaucoup plus. Je me suis rendue compte que je ne sais pas bien gérer mon temps, la leçon a

été trop longue. Jean-Pierre m’a fait remarqué que j’aurais du en faire moins, et seulement

pendant une demi-heure, de manière à pouvoir faire des exercices d’application. Mais dans

l’ensemble la séance a bien marché, les élèves étaient bien présents. Ils aimaient beaucoup

traduire maintenant qu’ils avaient acquis cette gymnastique.

Bilan : Les élèves savent repérer le verbe dans une phrase, pour peu qu’ils en

connaissent le sens. Mais ce repérage est intuitif. Je voulais aboutir à une définition même

imparfaite de ce qu’est un verbe. Cet objectif n'a pas été atteint à mon sens car les élèves ont

au plus compris que le verbe peut traduire différentes choses. Cela m’a amenée à me poser

des questions sur l'intérêt de donner si tôt des étiquettes grammaticales. De plus, j'ai eu

l'occasion de me confronter à la complexité de tout ce à quoi renvoie le verbe. Il me semble

impossible de représenter cette notion à partir de deux distinctions. Le mieux est alors soit de

s’en tenir à ces deux étiquettes en sachant qu’elles ne couvrent pas tout le champs des verbes,

soit de faire une catégorie pour les verbes d’action, une pour les verbes d’états, et une pour les

verbes qu’on ne sait pas classer...en expliquant qu’on étudiera ces verbes-là plus tard. Le but

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est aussi de montrer que le français est très complexe, et qu’on ne peut pas tout rentrer dans

des cases. Simplifier les choses n’est pas la solution à mon avis. Cette stratégie peut d’ailleurs

être utilisée à chaque fois qu’on doit classer des mots : il y a ce qu’on connaît, et le reste.

II.2.2. Vocabulaire grammatical: deux séances sur ce thème.

Nous avons abordé le vocabulaire autour de la conjugaison. Puisque les élèves avaient

des conjugaisons à apprendre, il pouvait être nécessaire de les sensibiliser au vocabulaire

utilisé. La conjugaison étant un exercice très mécanique, on peut faire apparaître clairement

les parties d'un verbe... Il n’y a toutefois rien de nouveau dans tout cela. Nous avons travaillé

sur le radical, l’infinitif, les terminaisons et les pronoms personnels. Pour la trace écrite dans

le cahier, ils ont recopié une conjugaison qui était affichée sur un mur de la classe (marcher)

et ils ont entouré les pronoms, le radical, les terminaisons et le verbe à l’infinitif.

Pour la deuxième séance, avec le groupe des CMA, j’ai demandé aux élèves de

retrouver les verbes d’un texte, d’en donner les infinitifs, le temps et la personne. Je leur ai

appris à utiliser le Bescherelle. Les élèves savent maintenant chercher correctement les

informations, en allant dans le lexique, et utilisant les verbes modèles. La séance a bien

marché, les élèves étaient bien présentes, le travail les a intéressés. Ils ont cherché ensemble

dans le livre, ont discuté entre eux des réponses à donner.

II.2.3. Les groupes verbaux

Il s’agissait de déterminer les caractéristiques propres à chaque groupe verbal, par

l'observation. Je leur ai demandé de prendre leur classeur de français et de me donner des

verbes, que je classais au fur et à mesure dans un tableau à trois colonnes. Au bout d’un

moment, je leur ai demandé de classer eux même les verbes. Pour ceux du deuxième groupe,

je leur ai demandé de chercher dans le Bescherelle les conjugaisons du verbe finir et du verbe

tenir. J’ai essayé de leur montrer la différence entre les deux types de verbes. J’ai continué

avec d’autres verbes en –ir. A la fin, je leur ai demandé ce que je devais écrire comme titre

pour chaque colonne du tableau (terminaison et critère de sélection). Les élèves n’étaient pas

du tout intéressés par cette activité. A la fin de la séance, ils ont recopié le tableau dans leur

cahier.

II.2.4. Bilan sur la grammaire

Le but était de reprendre les différents acquis en grammaire autour d’un exercice.

Nous avons travaillé sur ce texte :

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L’accident.

En ville, Pierre et Jean jouaient au foot. Pierre a tapé très fort dans le ballon, et Jean n’a pas

réussi à le rattraper. Un gros chien a aperçu le ballon et a couru après. Il a bondi dessus en

plein milieu de la rue et une voiture l’a renversé. Pierre et Jean ont pris le chien et l’ont

emmené chez le vétérinaire.

-« Ce n’est rien, a dit le vétérinaire, juste une patte cassée ! »

Lors de la première séance, nous avons d’abord traduit le texte, phrase par phrase.

Devant le manque d’enthousiasme des enfants je suis allée trop vite sur cette partie. J’aurai du

passer une heure dessus, je pense, et aboutir à une traduction intégrale du texte. Je suis arrivée

seulement à une compréhension globale, suffisante pour la poursuite de l’exercice. Ensuite les

élèves devaient repérer le verbe dans la phrase et entourer son radical, sa terminaison et le

pronom personnel correspondant au sujet. Puis ils devaient donner l’infinitif et le groupe, et

indiquer le temps. Les élèves se sont aidés de Bescherelle.

Pour la deuxième séance, je les ai fait travailler chacun sur des tâches différentes.

Quand Coralie écrivait une phrase au tableau et repérait les verbes, Jennifer entourait le

radical et la terminaison du verbe précédent, et Morgan et Annalie se chargeaient de trouver

l’infinitif dans le Bescherelle. J’ai fait un roulement régulier dans ces différentes tâches, en

m’efforçant de n’en laisser aucun dans un état de passivité et en maintenant un rythme

dynamique. Nous avons travaillé phrase par phrase et chacune a été traduite par tous les

élèves, sauf par Jennifer qui préférait lire à haute voix. L’activité de traduction plaisait

beaucoup à Annalie et Coralie.

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CONCLUSION : QUESTIONS SOULEVEES PAR

LA PRATIQUE

Bilinguisme: Quelles possibilités de faire étudier le français écrit sans l'usage

systématique de la LSF?

L’analyse contrastive entre le français écrit et la LSF est primordiale dans la

construction du bilinguisme. Mais, pour viser une autonomie totale par rapport au français, ne

faudrait-il pas imaginer des activités faisant travailler le français sans le recours à la LSF ? La

méthodologie du FLE met en garde contre l'utilisation de la langue maternelle et préconise

d’avantage le travail en immersion (étude de la langue cible dans la langue cible; à la fois

langue d'apprentissage et métalangue). Elle reconnaît cependant le bien fondé de l'utilisation

de la langue maternelle comme support métalinguistique dans certaines activités. Cependant

les modalités des deux langues qui nous concernent imposent presque ce recours systématique

pour des raisons méthodologiques claires, qui sont la lenteur de l'écrit par rapport à l'oralité de

la LSF, et la non pertinence d’utiliser l’oralité du français. L'usage de la LSF est donc

indispensable pour parler de l'écrit, faire des hypothèses, et vérifier la compréhension de

l'élève. Mais le cours de français peut vite se résumer à de la traduction et de la comparaison

systématique du français écrit avec la LSF. C’est ce que j’ai fait durant ce stage, et je me suis

rendue compte que cela peut devenir fastidieux, démotivant pour l'élève. Il faut un maximum

de variété dans les activités proposées, notamment dans l’utilisation des langues. Il me

semblerait à ce titre très intéressant de réfléchir sur une typologie d’activités possibles en

fonction des objectifs visés. Toutefois, comme premier élément de réponse, les nouvelles

technologies sont à mon avis un bon vecteur pour des activités faisant travailler seulement le

français. En effet, les services de messageries instantanées ainsi que les envois de courriels

permettent une approche communicative de la langue cible, par l’écrit. Cela peut également

faire prendre conscience à l’élève de l’importance de la maîtrise du français dans la société.

Grammaire : À partir de quand introduire l'étude de la grammaire?

On a tendance à le faire très tôt, mais si la langue n'est pas maîtrisée, les élèves

manipulent une matière qui ne fait pas sens. On ne peut alors développer chez eux que la

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capacité à systématiser une règle, suivre un modèle de façon le plus souvent rigide. Cela ne

fait que donner à l'élève des automatismes, car il n’est confronté qu'à un français simplifié,

qui rentre dans des cases prédéfinies. Une grammaire intuitive, en contexte me semble

beaucoup plus pertinente. Elle consisterait avant tout en une immersion dans l’écrit, en

production et compréhension, pour que l’élève puisse obtenir un minimum d’intuitions sur la

syntaxe du français. Une grammaire plus explicite, centrée sur les difficultés relevées par les

élèves dans les textes étudiés, permettrait de renforcer ces premiers acquis.

Motivation de l'élève: Comment motiver l'élève?

J'ai observé un manque de curiosité plutôt qu'un manque de sérieux, car la motivation

est chez ces élèves fonction de la facilité. Cela rend le travail de l’enseignant fatigant, celui-ci

devant déployer beaucoup d’énergie à instaurer une dynamique de classe. Le travail de

lecture/traduction ne peut être efficace que si il y a participation active des élèves. Il faut qu'il

y ait questionnement, élaboration d’hypothèses de lecture et discussions avec le groupe pour

les confronter avec celles des autres. Le problème est que l'on propose des activités aux élèves

sans prendre le temps de leur en expliquer les intérêts ni les objectifs. Il me paraît primordial

de responsabiliser l'élève et de l'intégrer à cette réflexion autour des activités proposées.

Demander par exemple aux élèves quelle matière on est en train d’étudier, pourquoi nous

sommes en train de voir telle notion et à quoi elle sert… peut aider à la motivation. Toute

pédagogie, aussi bonne soit-elle, sera inefficace si les élèves restent passifs. Dans ce centre, le

moyen le plus fréquemment utilisé pour motiver les élèves est de privilégier un aspect ludique

et concret. Mais la motivation est également à mettre en rapport avec la charge cognitive

demandée. Même si elle présente un intérêt, une activité ne motivera pas les élèves si elle est

trop difficile. J’ai donc appris qu’il faut faire très attention à ne pas donner d’activités trop

difficiles. Les élèves sont vite déroutés, ne veulent plus participer, de peur de se tromper. Il

faut donc savamment doser le niveau de difficulté. Enfin, le dynamisme de l’enseignant, ainsi

que la variété des activités sont déterminants pour favoriser la motivation des élèves.

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SYNTHESE FINALE

L’association d’une partie théorique et d’un stage pratique a été pour moi

particulièrement enrichissante. Ma formation théorique s’est progressivement constituée grâce

aux quatre cours d’option que j’ai choisis et qui m’ont permis d’acquérir des connaissances

dans divers domaines touchant à la surdité : la linguistique de la LSF, son enseignement, son

acquisition. Mais pour étoffer un début de réflexion dans ce domaine, les cours ne suffisent

pas. Des lectures, notamment dans le domaine de la didactique du français pour les sourds, la

participation à des colloques et surtout le contact avec des personnes sourdes m’ont apporté

des connaissances plus approfondies et un début d’opinion quand à la « meilleure » manière

d’enseigner le français aux sourds.

Ainsi, avant de réaliser mon stage, je me sentais relativement bien armée pour

m’essayer à l’enseignement. Pourtant mes idées sur l’éducation des enfants sourds étaient très

simplistes. Je pensais qu’il suffisait de faire la classe en langue des signes pour être efficace.

Mais la confrontation à la réalité m’a ouvert les yeux sur la complexité de ce que représente

l’enseignement. Il ne suffit pas de revendiquer une pédagogie bilingue avec un enseignement

en LSF et de la LSF, encore faut-il avoir les moyens pratiques et théoriques de la mettre en

place. Mon positionnement théorique s’est donc heurté à divers éléments :

Le type de pédagogie sur lequel je m’interrogeais ne fait appel qu’au français écrit et à

la LSF. C’était sans compter sur des élèves qui apprennent à oraliser depuis la maternelle et

dont certains, mais pas tous, se servent efficacement de ces acquis. Il fallait pouvoir tenir

compte de cette diversité de profil, et ne pas hésiter à oraliser ou utiliser le LPC lorsque

l’élève en faisait la demande. Ensuite j’ai été déçue de constater que les enfants ne sautaient

pas de joie lorsque je tentai avec eux le type de pédagogie qui est largement revendiqué par la

communauté sourde. C’était là sans compter sur des élèves habitués à une autre manière de

travailler et qui ont été déconcertés par mes drôles de méthodes. Je ne savais pas à quel point

susciter de la motivation chez l’élève est le préalable indispensable à toute activité

pédagogique. Enfin vouloir enseigner en LSF est une chose, mais dans la réalité cela

correspond à un véritable projet pédagogique. La question n’est pas de savoir en quelle langue

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enseigner, mais de savoir comment utiliser la LSF et le français écrit pour développer

efficacement le bilinguisme chez l’enfant sourd.

Les deux apports de ma formation, que j’ai tenté de synthétiser dans ce mémoire,

m’ont donc permis d’apporter une approche de réponse à la problématique énoncée dans

l’introduction : Quelle méthodologie permet réellement à l’enfant de devenir bilingue ? Les

quelques éléments de réponse que j’ai pu élaborer sont en fait, dans le cadre du bilinguisme

tel que je l’ai décrit dans la partie théorique, des éléments qui, à mon sens, favorisent la

réussite d’un tel projet. Ils me semblent aujourd’hui évidents, mais seule la pratique en

confrontation au bagage théorique a permis de les dégager :

La première chose à déterminer est le type de bilinguisme à viser. On l’a vu, il peut

englober ou non la modalité orale du français. Le principe de base est simplement que cette

modalité orale ne constitue en rien un pré-requis indispensable pour l’apprentissage du

français écrit. Elle peut néanmoins aider les élèves qui la maîtrisent suffisamment.

Selon moi, il faut tout d’abord faire prendre conscience aux élèves qu’ils manipulent

deux langues différentes, et que le passage de l’une à l’autre relève de la traduction. Il faut

pour cela qu’ils connaissent et respectent les règles des deux langues en questions. Cela

suppose bien sûr un travail sur le français et sur la LSF avec un enseignant sourd, mais aussi

un enseignement reposant sur l’analyse contrastive entre les deux langues. Pour cela il est

nécessaire que professeur de LSF et professeur de français travaillent en collaboration, de

manière à ce que les acquisitions dans une langue profite à l’autre. Les deux langues doivent

donc être liées dans un projet cohérent. En se confrontant à la traduction, l’élève prend

conscience des différences fondamentales qu’il existe entre les deux langues et apprend à les

structurer correctement. Ce qu’il faut surtout éviter, à mon sens, c’est le français signé, qui

assure un faux continuum entre français et LSF et parasite le message. Ensuite, en ce qui

concerne la lecture de texte, il faut que l’élève devienne autonome dans sa recherche de sens.

Il faut donc lui proposer des stratégies de lectures, comme, entre autres, l’analyse de la

structure du texte, le repérage des mots vraiment porteurs de sens et des indices

grammaticaux. Pour faire acquérir plus facilement la structure du français, il faut le faire

manipuler. Une simple leçon de vocabulaire peut apporter beaucoup: présenter les verbes et

expressions figées construits dans des phrases avec leurs prépositions, présenter les

conjugaisons isolées puis en contexte, c'est-à-dire dans des phrases d'exemples. Le travail sur

la polysémie est également très important, car il permet à l’élève de prendre conscience qu'il y

a plusieurs façons de dire une même chose. Par exemple, dans une leçon de vocabulaire, on

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peut réexploiter les mots et tournures inconnues en apportant des nuances de sens, des

synonymes, des contraires, et différentes phrases d'exemple. On peut également changer le

contexte dans lequel le mot est apparu. Le but est de faire vraiment manipuler le français, de

faire étudier son fonctionnement, sa structure, en comparaison avec la LSF, par la traduction.

Ce stage m’aura donc permis de faire évoluer ma vision des choses passablement

caricaturale en matière d’éducation de l’enfant sourd. Mais si la pratique m’a permis

d’apporter quelques éléments de réponse à ma problématique, elle a fait émerger de nouvelles

perspectives de recherche, que j’espère pouvoir traiter dans la suite de mes études. Les divers

éléments que j’ai pu relever concernant les caractéristiques de la pédagogie bilingue

demandent à être étoffés, afin de constituer un modèle d’éducation efficace et abouti.

Parallèlement à cela, il me parait urgent de développer des supports pédagogiques en

adéquation avec ce modèle, travail que je compte entamer lors de mes travaux de Master 2.

Actuellement, chaque enseignant fabrique lui-même ce dont il a besoin pour ses cours. Mais

cette carence en matériel est pesante pour l’enseignant, qui doit fournir un grand travail de

recherche et de création, notamment en ce qui concerne les traductions en LSF des textes qu’il

fait étudier à ses élèves. L’originalité de ce matériel est qu’il doit construire sa progression

autour des deux langues, français écrit et LSF. Il doit également respecter les différentes

caractéristiques du modèle de la pédagogie bilingue. Par exemple, chaque texte présenté doit

avoir une version en LSF, la méthode employée doit favoriser le travail en autonomie,

proposer des activités variées et faire appel à une grammaire intuitive... Pour compléter au

mieux la liste des critères indispensables, il convient d’établir un cahier des charges respectant

les besoins et les attentes des enseignants eux-mêmes. Un travail d’enquête auprès d’un grand

nombre d’enseignants permettra d’aboutir cette étape indispensable à l’élaboration d’un

support pédagogique de qualité. Il faudra ensuite établir une programmation originale

conciliant le travail sur le français et la LSF, pour permettre à l’élève d’appliquer une même

notion dans les deux langues. A cet effet, il faudra établir, pour chaque objectif, une typologie

d’activités faisant travailler la LSF, le français ou les deux langues en analyse contrastive.

J’espère, durant mon année de Master 2, pouvoir mener à bien ce travail préalable qui me

permettra de produire, à plus long terme, des supports pédagogiques utilisables en milieu

scolaire.

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BIBLIOGRAPHIE

Revues et articles :

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parlée complétée et développement de la lecture-écriture chez l’enfant sourd, quelle

complémentarité ? », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF: vers une

éducation bilingue, Editions du Cnefei, hors série juin 2005, 37/44.

DALLE, P. (2005). « Histoire et philosophie du projet bilingue, L’ANPES et le rôle

des parents », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF: vers une éducation

bilingue, Editions du Cnefei, hors série juin 2005,7/18.

KELLERHALS, M-P. (2005) « Une expérience d’entrée en littérature en cycle 3 en

classe LSF », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF: vers une éducation

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ROMAND, C. (2005). « L’accès à la langue orale et écrite dans une approche

bilingue. Les apports du LPC pour l’acquisition de la lecture. », La nouvelle revue de l’AIS,

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juin 2005, 77/84.

Langue des signes, voix de la lecture, des yeux pour lire, Théo-Prat’ n°8, AFL

MONDEME, G. (2002). « Bilinguisme et voie directe », Lecture et surdité, les actes de

lecture n°80, AFL, décembre 2002 .

COURTIN, C. (2002). « Lecture-écriture et développement socio-cognitif de l’enfant sourd »,

Lecture et surdité, les actes de lecture n°80, AFL, décembre 2002

DUVERGER, J. (2002) « Le bilinguisme », Lecture et surdité, les actes de lecture n°80, AFL,

décembre 2002.

TRIMOTEAU-MADEC, F. (2002) « Lecture et surdité : une revue de la littérature »,

Connaissance et surdité n°01, octobre 2002.

« Lecture et surdité : quelques repères », Connaissance surdités n°02, octobre 2002

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cognitives. », Connaissance surdités n°02, octobre 2002

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Ouvrages :

Dubuisson, C. & Daigle D. 1998. Lecture, écriture et surdité : visions actuelles et nouvelles

perspectives. Montréal : Ed. Logiques.

Cuxac C. 2000. La langue des signes Française (L.S.F.) : les voies de l’iconicités, in Faits de

langues n°15-16, Ophrys.

Moody B. 1983. Introduction à l’histoire et à la grammaire de la langue des signes, IVT,

diffusion ellipses

Sites Internet :

o Sign Writing : http://www.signwriting.org/

o ANPES : http://anpes.free.fr/

o Bases documentaires de l’ACFOS :

http://www.acfos.org/sedocumenter/base_doc/index.php

o Websourd : http://www.websourd.org/

o 2LPE Centre-Ouest : http://2lpeco.free.fr/

o Centre d’Information sur la Surdité d’Aquitaine : http://www.cis.gouv.fr/

o Texte de François Brosjean « le droit de l’enfant à grandir bilingue » :

http://www2.unine.ch/webdav/site/ltlp/shared/documents/francais.pdf#search=

%22le%20droit%20de%20l'enfant%20%C3%A0%20grandir%20bilingue%22

o Claude Stoll « le bilinguisme: une approche typologique » Bulletin APLV -

Régionale de Strasbourg. Bulletin n° 54, mai 1997 :

http://averreman.free.fr/aplv/num54-bilinguisme.htm

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GLOSSAIRE

Les moyens de communication :

LSF : Langue des Signes Française.

ASL ou Ameslan : American Sign Language, Langue des signes américaine.

Dactylologie : représentation gestuelle de l’alphabet.

Français signé : lexique de la LSF organisé selon la syntaxe du français.

LPC ou LFPC : Langage parlé complété ou Langue Française Parlée Complétée.

C’est un code gestuel facilitant la lecture labiale.

FCSC : Français complété signé et codé : Combinaison de français signé et de LPC.

Communication totale : Système d’éducation utilisant tous les modes de

communication possibles.

CFA : Centre de Formation des Apprentis.

Les sigles :

2LPE : Deux Langues pour une Education.

ACFOS : Action Connaissance Formation pour la Surdité

AFL : Association Française pour la lecture.

ANPES : Association Nationale de Parents d’Enfants Sourds.

APES : Association de Parents d’Enfants Sourds.

CECR : Cadre Européen Commun de Référence pour les langues.

CIS : Centre d’Information sur la Surdité

CNEFEI : Centre National d’Etudes et de Formation pour l’Enfance Inadaptée.

GPLI : Groupement permanent de lutte contre l’illettrisme.

GRETA : groupement d'établissements publics locaux d'enseignement qui fédèrent

leurs ressources humaines et matérielles pour organiser des actions de formation

continue pour adultes.

Iris : Institut de Recherche sur les Implications en langue des Signes.

NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.

SAFEP : Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce.

SSEFIS : Service de soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire.

UNAPEDA : Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Déficients

Auditifs.

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ANNEXES

ANNEXE 1 : Typologie des surdités ..........................................p.94

ANNEXE 2 : Appareillages ........................................................p.95

ANNEXE 3 : Implant cochléaire ................................................p.96

ANNEXE 4 : Alphabet dactylologique .......................................p.97

ANNEXE 5 : Langage Parlé Complété .......................................p.98

ANNEXE 6 : Les systèmes de notation des LS ...........................p.99

ANNEXE 7 : Un exemple d’adaptation d’une unité didactique ...p.101

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Annexe 7

EXEMPLE D’ADAPTATION D’UNE UNITE DIDACTIQUE

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J’ai choisi d’essayer d’adapter cette unité à un public d’enfants sourds en fin du cours

primaire. La difficulté est de trouver des activités qui comblent les lacunes de la méthode (peu

d’activités impliquant l’écrit en communication) en respectant le niveau des élèves. La

méthodologie utilisée sera un enseignement bilingue LSF/français écrit. Les activités

d’écoute seront transformées en lecture des transcriptions écrites. Tous les exercices seront

conservés moyennant quelques adaptations, sauf l’exercice 7, qui sera remplacé par un

entraînement à l’écriture des chiffres en toutes lettres. Un texte plus complexe ayant pour

thème « les français et les voyages » sera présenté. Ce texte présentera des données chiffrées,

pour correspondre à un des objectifs linguistiques de la méthode. Il s’agit d’un document

authentique, extrait d’un article diffusé sur le site de l’association ABM, Aventure du Bout du

Monde. Deux activités seront rajoutées : Un travail d’écriture, pour manipuler les différentes

notions abordées. Il s’agira d’un écrit communicatif. Une recherche individuelle sur Internet,

avec résolution de tâches. Les activités seront dédoublées sur deux séances d’environ une

heure trente.

PREMIERE SEANCE :

Texte correspondant à la transcription de l’exercice 3: Il est préférable de

présenter ce texte en premier car il est court et simple. Le langage utilisé est très précis et ne

nécessite donc pas une longue explication avec les élèves.

Avant la lecture (individuelle), on fera réfléchir les élèves sur la présentation du texte :

c’est un dialogue, la typographie est donc particulière. Après la lecture on demandera aux

élèves dans quel contexte on peut rencontrer ce type de dialogue (dans un aéroport) et de quel

type sont les informations réclamées par le premier personnage (type administratif). On peut

éventuellement demander aux élèves de mettre un titre à ce texte.

Le texte étant bien compris, on demandera aux élèves de faire l’exercice 3. Bien

montrer que le document est de type administratif, qui nécessite donc un langage précis et

concis.

Texte correspondant à la transcription de l’exercice 1 : Ce texte est déjà plus

long et plus complexe. Cependant, les exercices 1 et 2 sont suffisamment simples pour que les

élèves les fassent sans discussion préalable. Ils ont surtout pour rôle d’aider à la

compréhension.

Avant la lecture, les élèves doivent réfléchir sur la forme du texte : il y a des tirets,

c’est donc un dialogue, comme le premier texte. Par contre les phrases sont plus longues, ce

n’est donc peut-être pas le même contexte.

Ensuite, les élèves lisent le texte et font les exercices 1 et 2.

L’enseignant va ensuite corriger les deux exercices et s’assurer que les élèves ont bien

compris en posant d’autres questions sur le sens du texte.

Il va ensuite exploiter le texte en soulevant quelques problèmes : la valeur du conditionnel

dans « je voudrais une chambre » et les autres possibilités d’exprimer la demande ; quels sont

les indices de l’interrogation, et ensuite à quoi sert le pronom interrogatif « quel »

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(éventuellement par opposition aux autres pronoms interrogatifs connus) voir aussi si ces

indices sont les mêmes que ceux du premier texte (absence de mot interrogatif) ; les

différentes possibilités de donner son accord.

Traduction en LSF des textes. Les élèves vont jouer les deux dialogues, d’une

part pour s’assurer de leur bonne compréhension et ensuite pour rendre compte dans leur

langue maternelle des différences de registre des deux textes. Le premier (correspondant à

l’exercice 3) étant à l’oral sur un ton sec et exigeant de la précision dans les réponses, le

second faisant plus appel à la politesse (relation client vendeur), et faisant une place au choix,

aux préférences du client. Ces différences seront traduites en LSF par les mimiques faciales,

l’ampleur des gestes,…

Activité grammaticale : l’écriture des adjectifs numéraux cardinaux. On peut

commencer par faire répertorier les différents types d’informations chiffrées dans les deux

textes (date, prix,…). Ensuite, l’enseignant demande aux élèves d’essayer d’écrire au tableau

en toutes lettres les nombres qui ont étés notés dans les documents des exercices 2 et 3, mais

toujours avec le mot qui permet de savoir de quoi il s’agit (trente et un juillet, cinq franc).

Après avoir corrigé puis ajouté d’autres nombres en toutes lettres, l’enseignant tentera de faire

deviner les règles d’accord de vingt et cent et la règle d’écriture du trait d’union.

Activité grammaticale : l’accord du pronom « quel » : exercices 4 et 5. Le

premier exercice est un exercice d’observation. Les élèves doivent faire le lien entre le genre

et le nombre du groupe nominal des phrases et celui de l’adjectif interrogatif. Il faut

simplement faire une croix dans la bonne colonne. On peut donner un équivalent de ces

phrases dans un registre moins soutenu : « c’est quoi l’heure de départ ? ». Le deuxième

exercice sert juste à vérifier si les élèves ont compris la règle d’accord de l’adjectif

interrogatif. C’est la dernière activité de la séance.

DEUXIEME SEANCE :

Activité de repérage : Sur la base des textes et des exercices de la première

séance, l’enseignant établit avec ses élèves un champ lexical sur le thème de l’hôtel et un

autre sur le thème plus général du voyage. Cela permettra aux élèves de disposer d’un petit

lexique utilisable pour leurs productions écrites sur ces thèmes. Mais les items ne seront pas

présentés seuls comme dans le manuel, mais avec une ou des phrases d’exemple, à chaque

fois que c’est nécessaire, de manière à mémoriser les différentes constructions :

Sur le thème de l’hôtel : demander/réserver un chambre, faire la chambre ; utiliser/

faire la salle de bain, la salle de bain est libre ; prendre/commander son petit déjeuner, monter

le petit déjeuner dans la chambre ; la taxe de séjour ; le restaurant de l’hôtel ; la clé de la

chambre.

Sur le thème du voyage : La date de départ, d’arrivée, prendre l’avion ; le passeport ;

passer des vacances, prendre des vacances, être en vacances ; bagages, soute à bagages,

bagage à main ; valise ; prendre un vol pour… ; visiter la ville, visiter un musée,

(différent :rendre visite) ; se promener.

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Activité de compréhension écrite :

Les français et les voyages : les séjours à l’étranger

Depuis plusieurs années, c’est près d’un quart des Français (23 %) qui partent au moins une

fois par an à l’étranger pour raisons personnelles ou professionnelles avec un budget moyen

tout compris par personne de l’ordre de 1 150 € ; soit 30% de plus que la moyenne

européenne.

Globalement après une progression en 1994 et 1995, les départs hors frontières ont subi un

net ralentissement en 1996 et 1997 (-2,9 % et -5,9 %) à cause notamment de la baisse de la

consommation des ménages ces deux années là pour remonter ensuite en 98 (environ 17

millions de départs) jusqu’aux attentats de septembre 2001 qui ont marqué un frein logique

pour quelques mois à l’envie d’ailleurs (ou tout du moins de certaines destinations). En tout,

les Français ont effectué 17,25 millions de séjours hors frontières en 2002 dont 15, 9 millions

pour des raisons personnelles.

(http ://www.abm.fr/pratique/frvoyage.html)

Le texte est très complexe, d’un point de vue syntaxique et sémantique. Il va soulever

de nombreuses difficultés. La méthode de lecture choisie permet d’approcher le texte

progressivement, d’un sens global vers une compréhension fine. La première étape va

permettre de prendre conscience qu’il s’agit d’un texte à visée informative. Après la première

lecture, les élèves discutent avec l’enseignant pour dire ce qu’ils ont compris ou pas du sens

global du texte. Le titre aide déjà beaucoup à comprendre de quoi parle le texte. Comme le

texte est complexe, la deuxième lecture sera assortie d’une tâche de repérage. Le plus simple

est de commencer par le relevé des données chiffrées, et déterminer à quoi elles renvoient

(date, prix, pourcentage, …). Le repérage des termes indiquant la dynamique des départs et

ceux indiquant les facteurs va permettre par exemple la constitution d’un tableau ou d’un

frise, ce qui va clarifier nettement la compréhension. La traduction du texte par les élèves à la

fin de l’activité va permettre de s’assurer de la parfaite compréhension des élèves. Cela

s’avère d’autant plus utile que la datation d’évènements se réalise de façon complètement

différente dans les deux langues. Cette traduction peut donc mener à une analyse contrastive

intéressante. Enfin, on pourra s’attarder sur certaines formes récurrentes du texte, comme

l’expression de la cause.

Activité grammaticale : la marque du pluriel. Il s’agit de l’exercice 6, qui est

plutôt facile. Il s’agit de mettre des groupes nominaux au pluriel.

Activité de production écrite, par groupe : sur la base du texte de l’exercice 1, le

premier groupe devra rédiger une lettre de réservation d’une chambre au Grand Hôtel de

France. Ecrite à la première personne, elle devra contenir les informations suivantes : nom et

prénom (à inventer) ; nombre et taille des/de la chambre(s) ; exigences du client (salle de bain,

petit déjeuner) ; dates d’arrivée et de départ. Le client devra aussi demander des informations,

telles que le prix de la chambre. Le deuxième groupe devra fournir les réponses aux questions

du client, remplir la facture proposée dans l’exercice 2, et récapituler la réservation, avec le

numéro de la chambre et l’étage. Certaines réponses pourront être modifiées, comme les prix,

à mettre de préférence en euros. Le but étant de manipuler des données chiffrées, et utiliser

des formes correctes du français pour demander et fournir des renseignements, demander des

précisions, exprimer ses préférences.

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Activité de recherche sur le net : Il s’agira de se rendre sur le site

www.lonelyplanet.fr, de choisir un pays (dans la rubrique « destinations »), et de répondre à

un ensemble de questions, telles que le prix du billet d’avion, les formules proposées (dates de

départ, d’arrivée, prix, type de formule, hôtel, …) et aussi des informations chiffrées sur le

pays en question (nombre d’habitants, monnaie, …). Cette activité sera guidée par

l’enseignant, qui fera en sorte d’orienter les élèves vers les bonnes informations.