Année 2005-2006
Université paris VIII
UFR Sciences du Langage
Département Didactique des Langues
Master 1 Didactique des Langues
Option Langue des Signes Française
L’enseignement du français écrit pour les
sourds dans le cadre de l’approche bilingue
français écrit / LSF :
Quelle méthodologie ?
Sous la direction de
Marie Perini Mme Catherine Carlo
REMERCIEMENTS
Je remercie toutes les personnes sans qui ce travail n’aurait pu aboutir :
Mme Catherine Carlo, ma directrice de recherche, pour la rigueur qu’elle
m’a permis d’apporter à mon travail, malgré le manque de temps.
Mlle Marie-Anne Sallandre et Mme Ivani Fusellier-Souza, pour m’avoir
fait découvrir le Centre de la Ressource.
M. David Guibert, directeur du centre de la Ressource, pour m’avoir
acceptée un trimestre dans son établissement.
M. Jean-François Gianni, mon responsable de stage, pour l’attention qu’il
a porté à mon travail et pour le temps qu’il m’a consacré tout au long du stage.
Les enseignants du centre de la Ressource qui m’ont accueillie dans leur
classe, et plus particulièrement :
M. Jean-Pierre Chan, pour m’avoir supportée huit semaines dans sa
classe, pour avoir accepté une autre manière de concevoir
l’enseignement et pour ses encouragements à poursuivre dans cette
voie.
M. André Minguy, pour sa gentillesse, ses conseils et pour m’avoir
généreusement fourni l’histoire en LSF de La chèvre de Monsieur
Seguin, signée par lui-même et qui m’a été très utile pour concevoir
ma séquence didactique.
Gaëlle, Muriel, Claire et bien sûr Guillaume, pour leurs relectures attentionnées,
leurs conseils avisés et leurs encouragements.
SOMMAIRE
Introduction.......................................................................…...p. 5 .
Première partie : données théoriques..............p. 7
Chapitre I : Autour de la LSF………………...........................p. 9
I. Linguistique de la LSF ..............................................................p. 9
II. L’acquisition de la LSF…………………....……………..…...p. 16
III. L’enseignement de la LSF……………………………......….p. 19
Chapitre II : L’éducation de l’enfant sourd……………...........p. 23
I. Historique ………………………………………………..……p. 23
II. Le bilinguisme …………..........................................................p. 28
III. Etat des lieux ………………………………………………...p. 34
Chapitre III : Questionnements ................................................p. 40
I. Problématique autour de l’écriture ……………………………p. 40
II. Apprentissage de la langue écrite ………………………….…p. 45
III. Rapport à l’enseignement du FLE .....................................…..p. 49
Seconde partie : rapport de stage ....…………p. 53
Introduction : présentation du centre ……………......………..p. 54
Le stage : organisation et activités ……………...……………p. 57
I. La phase d’observation …………………………….………….p. 57
II. Intervention et analyse …………………………….………….p. 72
Conclusion …………………………………………...……….p. 83
Synthèse finale ……………....………...……………………...p. 85
Bibliographie ………………………….………………………………….p. 89
Glossaire……………………………………….………………………….p. 91
Annexes ……………………………………………….………………….p. 92
INTRODUCTION
Mon parcours universitaire m’a menée de la linguistique vers un champ qui me
passionne depuis longtemps, la didactique des langues. Ce n’est que plus tard que j’ai
découvert le monde des sourds, leur langue et leur culture. Je me suis donc spécialisée, à
l’occasion du Master 1 Didactique des langues, en didactique du français écrit pour les sourds.
La complexité de l’éducation des enfants sourds m’est apparue lorsque je me suis intéressée
de près à la LSF et à ceux qui la signent. « Sourd sévère, sourd profond, LSF, LPC, français
signé, AVS, audioprothésiste… » : la diversité des étiquettes est assez déconcertante dans le
domaine de la typologie de la surdité, des moyens de communication et des professionnels
attachés à l’éducation de l’enfant sourd. Les résultats en matière de compétences en français
sont tout aussi déconcertants. Emettre des jugements sur telle ou telle méthode n’est pas le
propos, car il apparaît que les recherches ne sont pas assez avancées pour déterminer quels
sont les processus cognitifs clairement mis en œuvre dans l’apprentissage de la lecture chez
l’enfant sourd. Elles ne permettent pas de valider clairement une méthode plutôt qu’une autre,
et encore moins de déterminer s’il peut exister une voie d’entrée dans la langue française
unique pour tous les enfants sourds. Elles permettent seulement de pointer des pratiques qui
font leurs preuves dans un certain contexte et d’autres qui sont inefficaces dans une certaine
mesure. Bien sûr, chacun a sa propre idéologie et la défend.
Depuis la création des premières prothèses auditives, à la fin du XIXème
siècle, les
technologies de plus en plus poussées laissent croire qu’un jour la surdité n’existera plus. Ce
moment souhaité par certains et tant redouté par d’autres est, selon le point de vue des
médecins eux-mêmes, loin d’arriver. C’est donc par l’éducation et non par l’assimilation au
monde entendant que l’on peut intégrer pleinement les sourds à la société. Cette socialisation
peut se faire par deux voies, car en France les parents ont le choix entre deux types
d’éducation. Le premier considère la surdité sous l’angle de la déficience, et tente d’y
remédier en donnant à l’enfant tous les moyens techniques lui permettant de maîtriser la
langue orale. Le second considère la surdité d’un point de vue culturel. L’enseignement
s’adapte alors aux spécificités de l’enfant et prend en compte ce qu’il possède déjà : un autre
regard sur le monde, une langue, une pensée visuelle… La loi française ayant récemment posé
les bases de ce choix, il reste que l’éducation bilingue se trouve confrontée à un manque de
recul, faute de pratiques sur le long terme. Elle souffre ainsi d’une carence en méthodes, en
professionnels, en supports pédagogiques. Compte tenu du récent droit à l’éducation bilingue
pour les enfants sourds, il est donc légitime de s’interroger sur la nature du bilinguisme en
question et sur les pratiques pédagogiques qu’elle suppose. En d’autres termes, quelle
méthodologie permet à l’enfant de devenir réellement bilingue?
Pour tenter de répondre à cette question et à celles qu’elle engendre, je présenterai
dans un premier temps les données théoriques que j’ai acquises lors de mes cours d’option. Il
s’agit des cours de HSLSF1, traitant de linguistique, d’analyse de corpus et de didactique
autour de la LSF. Ces données, approfondies à l’aide de lectures personnelles, s’organiseront
en trois thèmes : la LSF, l’éducation de l’enfant sourd et un questionnement sur la pédagogie
bilingue. La deuxième partie de ce mémoire apportera des éléments de réponse issus d’une
expérience pratique. Elle sera consacrée à mon rapport de stage, effectué au Centre de la
Ressource, à l’Ile de la Réunion.
1 HSLSF : Histoire et Structure de la Langue des Signes Française
PREMIERE PARTIE
DONNEES THEORIQUES
CHAPITRE I. AUTOUR DE LA LSF ...........................................p.9
I. LINGUISTIQUE DE LA LSF .....................................................................................p.9 I.1. La naissance des langues des signes ...……………...............………....................…..p.9
I.1.1 Le modèle sémiogénétique ...........................................................................p.9
I.1.2 Les recherches sur l’émergence des langues des signes ......................................p.10
I.2. Grammaire de la LSF : Modèle de C. Cuxac ..............................................................p.11
I.2.1. Analyse des Structures de Grande Iconicité ......................................................p.12
I.2.2. Analyse des structures standard ...................................................................p.13
I.2.3. Les énoncés mêlant les deux visées ............................................................. p.14
I.2.4. La multilinéarité des Langues de signes ......................................................p.14
II. ACQUISITION DE LA LSF ....................................................................................p.16
II.1. Conditions atypiques du processus d’acquisition et de transmission de la LSF .......p.16
II.1.1 La transmission de la langue .......................................................................p.16
II.1.2 Le territoire géographique ...........................................................................p.16
II.1.3 « L’oralité » des LS .....................................................................................p.17
II.2. Le rôle des LSEmg dans l’acquisition des LS institutionnalisées .............................p.17
II.2.1 La définition des LSEmg de Ivani Fusellier-Souza .....................................p.17
II.2.2 Structures et fonctions des LSEmg ..............................................................p.17
II.2.3 Implication des LSEmg dans l’acquisition tardive d’une LS
communautaire ..................................................................................................................p.18
III. ENSEIGNEMENT DE LA LSF ...........................................................................p.19
III.1. Le statut actuel de la LSF ........................................................................................p.19
III.2. La diversité des situations d’enseignement .............................................................p.19
III.2.1 Le milieu scolaire ......................................................................................p.20
III.2.2 Le milieu associatif ..................................................................................p.20
III.3. Les approches pédagogiques ...................................................................................p.21
III.3.1. Les formations ..........................................................................................p.21
III.3.2. Problématique : les besoins du public ......................................................p.21
CHAPITRE II. L’EDUCATION DE L’ENFANT SOURD .........p.23
I. HISTORIQUE DE L’EDUCATION DES JEUNES SOURDS ...............................p.23
I.1 L’apparition de deux systèmes d’éducation .................................................................p.23
I.2 La guerre des méthodes et le triomphe de l’oralisme...................................................p.24
I.3. La réintroduction de la langue des signes dans l’éducation ........................................p.26
II. LE BILINGUISME ....................................................................................................p.28
II.1 Qu’est-ce que le bilinguisme ? ....................................................................................p.28
II.1.1 Le bilinguisme en général ............................................................................p.28
II.1.2 Le bilinguisme sourd ....................................................................................p.28
II.2 Cadre familial et préscolaire ........................................................................................p.30
II.2.1 La nécessité de l’acquisition précoce d’une langue naturelle........................p.30
II.2.2 Quelle langue faire acquérir en premier? ......................................................p.30
II.3. Cadre scolaire ..............................................................................................................p.31
II.3.1 Les principes d’un projet bilingue .................................................................p.31
II.3.2. Quelles pratiques pédagogiques ? ................................................................p.32
III. ETAT DES LIEUX DE L’EDUCATION DES JEUNES SOURDS EN France ...p.34
III.1 Quelle scolarité pour les enfants sourds ? ...................................................................p.34
III.1.1. Les conditions d’un choix difficile ...............................................................p.34
III.1.2. Présentation des structures bilingues ............................................................p.35
III.2 La situation des sourds en France ................................................................................p.37
III.2.1 L’illettrisme ...................................................................................................p.37
III.2.2 Evaluation de la population active sourde .....................................................p.38
CHAPITRE III. QUESTIONNEMENTS ...................... ..................p.39
I. PROBLEMATIQUE AUTOUR D’UNE ECRITURE DES LANGUES DES SIGNES
p.39
I.1 Le rapport des sourds à l’écriture ...................................................................................p.39
I.2. Vers une écriture des Langues des Signes ? ..................................................................p.40
I.2.1. La vidéo : l’ « écrit » de la LSF ? ...................................................................p.40
I.2.2 Les systèmes de notation des LS actuellement utilisés ...................................p.41
I.3. Le projet LS-Script ........................................................................................................p.43
II. APPRENTISSAGE DE LA LANGUE ECRITE : QUELLE METHODE ? ..........p.44
II.1. Les différentes méthodes de lectures ...........................................................................p.44
II.1.1. La méthode syllabique ..................................................................................p.44
II.1.2. La méthode globale .......................................................................................p.45
II.2. Le cas des sourds : quelle voie d’accès à l’écrit ? ........................................................p.45
III. RAPPORT A L’ENSEIGNEMENT DU FLE ? .......................................................p.48
III.1. Fondements d’un rapprochement du public FLE et du public sourd signant .............p.48
III.2. Les caractéristiques de la didactique du FLE .............................................................p.48
III.3. Les adaptations au contexte de la surdité ...................................................................p.50
III.3.1. Principes permettant d’influencer positivement l’enseignement
du français pour les sourds ..................................................................................................p.50
III.3.2. Pour une utilisation du matériel pédagogique ? ...........................................p.51
CHAPITRE I. AUTOUR DE LA LSF
I. LINGUISTIQUE DE LA LSF2
On peut considérer deux grandes époques dans l’Histoire des recherches sur les
langues des signes. Les premiers linguistes qui s’intéressèrent à ce nouvel objet d’étude eurent
pour priorité de faire reconnaître les langues des signes comme des véritables langues. Ils ont
donc cherché à retrouver dans les langues signées les caractéristiques structurales des langues
vocales. Dans les années 6O, le linguiste W. C. Stokoe a démontré une double articulation du
signe et a décrit une phonologie de la langue des signes américaine (ASL). Les linguistes de
cette époque ont occulté le caractère iconique3 de ces langues, le considérant comme non
pertinent et appelé à disparaître. Mais par ce travail ils ont réussi à élever les langues signées
au statut de langues à part entière. La deuxième époque qui débute dans les années 80,
concerne des chercheurs, tels que P. Jouison, éducateur spécialisé à Bordeaux et C. Cuxac,
linguiste, qui se sont intéressés à ce qui fait la spécificité des LS, tels que l’iconicité et
l’utilisation originale qu’elles font de l’espace. Le travail de légitimation de la LSF n’est
aujourd’hui plus à faire. L’Etat français a reconnu la LSF comme langue à part entière et
ayant une légitimité éducative et culturelle4. Le but est ici de proposer une description
générale de la LSF en se référant au modèle établi par C. Cuxac et d’en montrer l’originalité.
I.1. La naissance des langues des signes
I.1.1 Le modèle sémiogénétique
Contrairement à une idée largement reçue, il n’y a pas de langue des signes unique et
universelle. Au contraire, on distingue une langue des signes pour chaque communauté de
2 Cette partie est basée sur le cours de HSLSF 3 de C. Cuxac qui traite de la linguistique de la LSF.
3 C. Cuxac défini l’iconicité comme le lien de ressemblance entre la forme du signe et son contenu référentiel.
Par exemple pour le signe « maison », les deux mains reprennent la forme d’un toit. C. S. Peirce, le premier à
avoir utilisé ce terme, ne l’a appliqué qu’aux signes non linguistiques, les signes linguistiques étant arbitraires
par définition (Saussure). 4 Loi du 11-02 2005, n° 2005-102 : Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté
des personnes handicapées.
sourds. Il existe également ce que I. Fusellier-Souza5, linguiste à l’université de Paris 8, a
nommé LSP ou LSEmg6, langues qui sont créées naturellement par des sourds isolés et
pratiquées avec leur entourage. Cette grande variété de langues a pourtant un tronc commun :
si l’on se réfère au modèle sémiogénétique7 établi par C. Cuxac, il existe un processus à
l’origine de toute création de signe, appelé processus d’iconicisation de l’expérience
perceptivo pratique (ou du réel). Il s’agit du processus par lequel le locuteur va rendre
iconique l’expérience en la restituant sous forme d’énoncés. Le même modèle défini « l’acte
de naissance » de toutes les langues des signes :
En premier lieu des sourds isolés créent naturellement leur langue signée, grâce au
processus d’iconicisation du réel.
Si les circonstances le permettent, plusieurs locuteurs de LSP vont se rencontrer,
faisant émerger une langue commune qui va se complexifier au fur et à mesure.
Certaines formes très iconiques vont également se simplifier avant d’être
standardisées.
A partir d’un certain niveau de maturité, on assiste à une bifurcation entre deux
stratégies dans le discours8 :
o Une première stratégie exploite la ressemblance formelle avec le référent.
C’est la visée illustrative qui « dit en montrant ».
o La seconde, non illustrative, a recourt aux signes standards, ceux-là mêmes
qui résultent d’une simplification d’une structure de grande iconicité au cours
de la formation de la langue.
En dernier lieu, la langue fait l’objet d’une institutionnalisation, comme l’a été la LSF
au XVIIIème
siècle par l’Abbé de l’Epée.
I.1.2 Les recherches sur l’émergence des langues des signes
Des recherches ont été menées sur la création de signes par des sourds isolés. Aux
Etats-Unis dans les années 90, S. Goldin Meadow a étudié ce qu’elle a appelé les Homesigns9
d’enfants sourds américains avant leur rencontre avec la communauté sourde. Elle a remarqué
que ces enfants sont les principaux créateurs de signes à l’adresse de leur entourage, et que les
5 Fusellier-Souza, I. 2004. Sémiogénèse des langues des signes : Etude de langues des signes primaires (LSP)
pratiquées par des sourds brésiliens. Thèse de doctorat sous la direction de C. Cuxac, Université Paris 8, Saint-
Denis. 6 (langues des signes primaires/émergeantes)
7 Qui décrit l’origine et la création des signes.
8 C’est la « bifurcation des visées »
9Traduit en français par « familiolectes »
signes produits sont très fortement iconiques. Cependant, dans la lignée de la linguistique
structurale américaine, elle a considéré que cette iconicité allait perdre de son importance au
cours du temps. M. Yau (1992), un autre linguiste américain, a mené une étude similaire sur
des adultes sourds isolés et a remarqué un vocabulaire très variable d’un individu à l’autre,
certains ayant créé plus de 1500 signes. I. Fusellier-Souza a mené pour sa thèse une étude sur
trois sourds brésiliens adultes, isolés de la communauté sourde. Elle a noté le même schéma
familial : l’individu sourd est le seul créateur de signes. Il a dans son entourage un
interlocuteur privilégié, qui peut être l’épouse ou un frère et qui joue le rôle de traducteur. La
syntaxe du locuteur sourd est toujours plus élaborée que celle de l’interlocuteur privilégié.
Ce processus de création commun à toutes les langues des signes leur confère une
grande proximité syntaxique. Mais ce qui diffère d’une langue à l’autre, c’est le lexique, à la
base de la deuxième stratégie du discours en LS. Lorsque deux locuteurs de deux langues des
signes différentes communiquent, ils exploitent donc majoritairement la première stratégie, et
se comprennent facilement. G. Jirou, étudiante en linguistique à Paris 8, a pour son mémoire
de Maîtrise étudié les stratégies employées entre des sourds appartenant à des petites
communautés ne pratiquant pas la même langue des signes. Elle a observé que les locuteurs
utilisent des structures de forte iconicité (mimes, gestes emblématiques), puis lorsqu’il y a
compréhension, le signe peut être raccourci par économie, puis standardisé. Elle a donc
assisté à un processus de création d’une langue commune.
L’iconicité, source de critique de nombreux linguistes, prend donc son sens et sa
valeur lorsqu’on l’inclut dans un modèle sémiogénétique. « Elle est à la fois le principe
fondateur et organisateur des LS. » (I. Fusellier-Souza)
I.2. Grammaire de la LSF : modèle de Christian Cuxac
Etudier une LS ne se résume pas à l’étude d’un ensemble de signes réalisés avec les
mains. C’est le corps entier du locuteur qui est signifiant. La langue fait bien sûr appel aux
mains, mais également au regard, aux mimiques faciales, aux mouvements du corps et du
visage. C’est cette combinaison d’éléments manuels et non manuels qui donne son sens au
signe. La bifurcation des visées, qui apparaît au cours du processus de formation des langues,
est une grande spécificité des LS. Elle donne le choix au locuteur entre deux stratégies
discursives :
La première, à visée illustrative, ou iconicisatrice, qui met en œuvre des Structures de
Grande Iconicité (SGI).
La seconde, à visée non illustrative, qui fait appel aux structures dites standard et
utilise des signes conventionnels, à l’instar de ceux que l’on trouve dans les
dictionnaires.
I.2.1. Analyse des Structures de Grande Iconicité (SGI)
C. Cuxac dénombre trois types d’iconicité. L’iconicité imagique, qui concerne les SGI,
l’iconicité dégénérée et l’iconicité diagrammatique10
, qui seront détaillées ci-après.
L’iconicité imagique est intentionnelle et est donc pertinente cognitivement. Les formes
produites sont nommés transferts, opérations mentales qu’effectue le locuteur. Il y a en effet
trois types de transferts :
Les transferts de taille et de forme : le locuteur reprend manuellement la forme d’un
objet, d’un animal ou d’une personne en utilisant la configuration appropriée. Ces
différentes configurations sont appelées proformes. Il en existe une quarantaine : par
exemple, la configuration main plate, paume vers le bas, est la proforme pour voiture ;
l’index tendu vers le haut est la proforme pour une personne debout.
Les transferts de situation : Le locuteur reproduit le déplacement d’un actant par
rapport à un locatif qui sert de repère.
Les transferts personnels : Il s’agit de prises de rôle, le locuteur se mettant dans la
peau d’un personnage et racontant à travers lui.
Ces transferts peuvent également se combiner, donnant lieu à des structures complexes, telles
que les doubles transferts, issus de la combinaison d’un transfert personnel et d’un transfert
situationnel. M-A. Sallandre a poursuivit et approfondi ce travail sur les transferts dans sa
thèse11
, permettant de dégager de nombreuses unités.
10
Ces deux derniers types d’iconicité ne font pas partie des SGI : la première porte sur les signes standard (2.2.1)
et la seconde sur les l’utilisation schématique de l’espace (2.2.3). 11
Sallandre, M-A. 2003. Les unités du discours en Langue des Signes Française. Tentative de catégorisation
dans le cadre d’une grammaire de l’iconicité. Thèse de doctorat sous la direction de C. Cuxac, Université Paris
VIII, Saint-Denis.
I.2.2. Analyse des structures standard
L’iconicité dégénérée
Les signes standard peuvent être iconiques ou non, en fonction des transformations
qu’ils ont subies au cours du temps. Mais dans tous les cas cette iconicité doit être considérée
comme non pertinente cognitivement, puisqu’il n’y a pas d’intention de donner à voir de la
part du locuteur. Ce type d’iconicité est donc appelé « iconicité dégénérée » et doit être
considéré comme un reste d’iconicité imagique sur un signe standard. Christian Cuxac a en
effet élaboré l’hypothèse selon laquelle l’iconicité imagique devient dégénérée dans le
processus de création de signes.
La compositionnalité du signe
Lorsque l’on analyse les signes standards, on prend en compte 4 paramètres manuels :
La configuration de la main
L’orientation de la main
Le mouvement effectué
L’emplacement du signe sur le corps du locuteur
Les signes sont également composés de paramètres non manuels, tels que les
mimiques faciales, les mouvements des lèvres, du visage et du buste. Chacun de ces
paramètres contient une liste finie d’unités qui se combinent pour créer une infinité de signes.
Ces unités prises séparément sont porteuses de sens : par exemple, l’emplacement du front
donnera une liste de signes ayant trait à la pensée et au savoir. Cette compositionnalité est
donc d’ordre morphémique, et non phonologique.
L’organisation des signes dans l’espace : l’iconicité diagrammatique
Les langues des signes ont une syntaxe spatiale diagrammatique, ce qui signifie
qu’elles font une utilisation schématique de l’espace. Dans les expressions temporelles, les
évènements sont positionnés sur une ligne imaginaire et placés dans l’ordre chronologique :
ligne d’avant en arrière pour le temps de l’énonciation, et ligne transversale pour le temps de
l’énoncé. Les relations actancielles font également appel à ce type de syntaxe, avec le recours
à une spatialisation des actants. Cela permet entre autre l’utilisation des verbes directionnels,
tel que le verbe [donner], dont le point de départ du mouvement spécifie l’agent et le point
d’arrivée le patient. Cette utilisation de l’espace permet également la construction de
références. Un pointage ou un regard sur une portion de l’espace de signation réactive la
personne, le lieu ou l’époque préalablement produits sur l’emplacement. L’ordre des signes a
donc moins d’importance que leur agencement dans l’espace. On observe cependant quelques
régularités. Ainsi, dans l’activité de récit, il convient de placer d’abord le décor et les
personnages, puis l’action. Dans le cas des verbes transitifs, l’ordre le plus fréquemment
employé est Agent – Patient – Verbe.
I.2.3. Les énoncés mêlant les deux visées
Il est à noter que ces deux visées, illustrative et non illustrative ne sont pas en
opposition constante. Dans l’activité de récit, elles se complètent, le signe standard étant
généralement l’introducteur du thème et du savoir partagé, les SGI apportant des informations
nouvelles. Le va-et-vient entre les deux visées est également permis grâce à l’iconicité des
signes standard. Bien que non pertinente cognitivement, elle facilite l’intégration d’un signe
standard dans une structure de transfert. Il s’agit selon C. Cuxac d’une contrainte de maintien
de l’iconicité pesant sur les signes standard. Cette postulation nous laisse donc penser que
l’iconicité, même dégénérée, ne disparaîtra pas au profit de signes arbitraires.
I.2.4. La multilinéarité des Langues de signes
L’énoncé en langue des signes met en jeu différents paramètres qui apportent simultanément
un ensemble d’informations :
Le signe manuel : il apporte le contenu lexical.
Le regard : il indique le registre discursif. Si le locuteur ne regarde pas l’interlocuteur,
il indique qu’il est en transfert12
. Si le regard est posé sur l’interlocuteur, le locuteur se
rend responsable de l’énonciation, il s’exprime avec des structures standard.
Les mimiques faciales : dans le cas d’un transfert personnel, elles indiquent l’état
d’esprit du personnage transféré. Dans le cas d’un transfert de taille ou de forme elles
jouent un rôle qualitatif ou quantitatif et dans le cas d’un transfert situationnel elles
spécifient la nature du déplacement. Elles ont également un rôle aspectuel (duratif,
ponctuel...) ou modal (expression de la normalité, du conditionnel, d’une hypothèse
mentale...)
Les mouvements du corps : balancements et rotations apportent une rythmique qui
joue un rôle dans la coordination, dans le changement de thème ainsi que dans la
séparation des différentes propositions. Ils jouent donc un rôle de frontière syntaxique.
12
Il est donc dans une visée illustrative.
II. ACQUISITION DE LA LANGUE DES SIGNES13
II.1. Conditions atypiques du processus d’acquisition et de transmission
de la LSF
La LSF est proche des langues minoritaires en certains points. Elle est pratiquée par
une communauté insérée dans la communauté nationale, elle fait l’objet d’un désir de
reconnaissance de la part de ses locuteurs et elle a longtemps été (et est encore quelquefois)
considérée comme inférieure à la langue officielle. Certaines caractéristiques lui sont pourtant
particulières.
II.1.1 La transmission de la langue
Contrairement à toute autre langue naturelle, la LSF fait rarement l’objet d’une
transmission héréditaire. En effet, toutes les langues vocales sont transmises par les parents à
leur enfant. On peut donc parler de langue maternelle. Mais quel statut donner à la langue que
pratique un enfant sourd signant de parents entendants, puisqu’il l’aura acquise très
probablement à l’école ? On parlera donc de langue première, par opposition au français, qui
sera acquis comme langue seconde. Les articles traitant le sujet emploient également souvent
l’expression « langue naturelle de l’enfant sourd » pour mettre en évidence le caractère
premier de cette langue sur le développement cognitif. Il n’y a donc pas de processus naturel
d’acquisition de la langue des signes comme langue maternelle, hormis dans deux situations
très minoritaires14
: les enfants, sourds ou entendants, naissant de parents sourds et les enfants
sourds, naissant de parents entendants ayant fait le choix très tôt d’une communication
gestuelle.
II.1.2 Le territoire géographique
Les LS ne sont pas liées à une unité géographique. Les sourds signant ont en commun
une culture, une langue et ont le sentiment d’appartenir à une communauté. Mais ils ne se
trouvent pas sur un même lieu. Cet « éparpillement » des locuteurs entraîne une variation
lexicale d’un point à l’autre du territoire. Cependant, il est fort possible que l’essor des
nouvelles technologies de l’information et de la communication atténue cette variation,
13
Les parties II et III de ce chapitre sont basées sur le cours de HSLSF 6 de Ivani Fusellier-Souza dont le thème
est l’acquisition et la didactique de la langue des signes. 14
90% des enfants sourds naissent de parents entendants.
car la LSF est de plus en plus visible. De nombreux sites Internet en témoignent, tels que
websourd15
ainsi que des émissions télévisuelles comme « l’œil et la main », sur France 5.
II.1.3 « L’oralité » des LS
Les LS sont des langues à tradition orale, dans le sens où elles n’ont pas de forme
écrite. On peut facilement adapter un système d’écriture déjà existant à une langue vocale ne
possédant pas encore de forme écrite. Mais les LS ne disposent pas de système d’écriture
propre. Le français écrit est donc complémentaire de la LSF. Nous pouvons nuancer cette
affirmation car la vidéo, très utilisée, favorise la transmission et l’harmonisation de la langue.
Elle permet également de garder la trace d’un énoncé signé, ce qui constitue l’une des
caractéristiques de l’écriture.
II.2. Le rôle des Langues des signes Emergentes (LSEmg) dans
l’acquisition des LS institutionnalisées
II.2.1 La définition des LSEmg selon Ivani Fusellier-Souza
Les LSEmg sont des systèmes linguistiques gestuels pratiqués par un individu sourd
exclusivement intégré dans un entourage entendant. Ce sont des systèmes linguistiques à
forme simple par rapport aux formes complexes des langues des signes institutionnalisées. La
condition indispensable à l’évolution de ce système émergent est l’acceptation par l’entourage
familial de la mise en place d’une communication gestuelle : il doit y avoir interaction entre
l’enfant et son entourage. Les structures qui émergent alors apparaissent naturellement chez
l’enfant sourd, qui lui seul est dans un processus créatif.
II.2.2 Structures et fonctions des LSEmg
Dans ses recherches sur les « homesigns », S. Goldin-Meadow a analysé ces systèmes
et relevé qu’à trois ans environ, l’enfant dispose d’un vocabulaire d’une cinquantaine de
signes stabilisés. Lorsque le système est abouti, ces enfants sont notamment capables de
réaliser les actes de parole suivant :
Solliciter des objets et des actions des autres
Commenter ses actions et celles des autres
Raconter des évènements passés (détachement du ici et maintenant)
15
www.websourd.org
Utiliser des gestes de façon métalinguistique
Parler avec soi-même en jouant seul
Dans sa thèse, I. Fusellier-Souza a montré que l’organisation structurale des LSEmg
est fondée sur la spécialisation sémantique des paramètres, au même titre que les LS
institutionnalisées. Mais il s’agit bien sûr de systèmes plus simples que les LS
institutionnalisées. En effet, l’effort de création d’une LSEmg est beaucoup plus laborieux
que l’effort d’acquisition naturelle d’une langue. De plus, les langues institutionnalisées ont
une histoire longue et se sont donc complexifiées au fil des générations, tandis que les LSEmg
sont par définition des langues qui n’ont pas fait l’objet d’une transmission.
II.2.3 Implication des LSEmg dans l’acquisition tardive d’une LS
communautaire
Les recherches de J. Morford16
, qui font l’objet d’un résumé dans la thèse d’I.
Fusellier-Souza, ont porté sur deux adolescents sourds pratiquant chacun une LSEmg. Il
montre notamment que l’acquisition tardive d’une langue communautaire est réussie grâce
aux bases linguistiques présentes dans les LSEmg. L’usage préalable d’une LSEmg favorise
donc l’acquisition d’une LS communautaire. L’idée d’une période critique dans l’acquisition
d’une langue signée institutionnalisée est donc remise en cause dès lors qu’un système de
LSEmg a pu voir le jour. Ces systèmes ne sont pas à négliger dans la prise en charge d’un
enfant sourd scolarisé tardivement et ayant développé une LSEmg. Au contraire, ils peuvent
servir de base aux apprentissages. I. Fusellier-Souza présente deux perspectives différentes
dans la prise en charge d’un tel élève. La première est celle de S. Schaller, professeur de
langue des signes américaine (ASL) et interprète aux Etats-Unis, auteur de l’ouvrage A man
without words17
, dans lequel elle raconte son expérience d’enseignement auprès d’un jeune
sourd mexicain de 21 ans. Sa première priorité a été de lui enseigner l’ASL. La seconde
perspective est la propre expérience de I. Fusellier-Souza, qui, n’ayant aucune connaissance
de la surdité, est rentrée dans l’univers langagier de l’enfant dont elle avait la charge. Il
s’agissait d’un enfant de 12 ans, Jefferson. Dans le premier cas, l’adulte considère que son
élève part du vide et qu’il faut tout lui apporter. C’est une vision ethnocentriste, qui demande
à l’élève de rentrer dans le monde de l’adulte. Dans le second cas, il s’agit d’une perspective
16
Morford, J, (2003). Grammatical development in adolescent first-language learners. In Linguistics 41-4.
Mouton de Gruyter. 17
1991. New York : Summit books
de découverte de l’autre. Il y a prise de conscience que l’élève dispose déjà d’un système
langagier, et qu’il convient de se l’approprier pour rentrer en communication avec lui. En
outre l’enfant était capable de comprendre et de se faire comprendre des autres enfants sourds,
grâce au recours aux structures de grande iconicité. L’apprentissage de la langue
communautaire ne constitue pas une priorité puisque l’enfant n’est isolé ni linguistiquement
ni socialement de la communauté sourde. Même avant l’acquisition d’une langue des signes
institutionnalisée, les enfants sourds sont capables d’acquérir des concepts abstraits. C’est
pourquoi la pratique précoce d’une langue signée est primordiale pour un bon développement
cognitif de l’enfant. Le rôle de la famille est bien sûr essentiel pour rendre possible cette
communication.
III. L’enseignement de la LSF
III.1. Le statut actuel de la LSF
La loi de 2005 reconnaît la LSF comme langue minoritaire, lui confère le statut de
vecteur d’identité culturelle des sourds, et de vecteur de connaissances. C’est une langue
vivante, qui peut être à la fois langue enseignée et langue d’enseignement.
III.2. La diversité des situations d’enseignement
La LSF peut être enseignée à deux publics distincts : les enfants sourds et les adultes
entendants. La démarche cognitive ne sera pas la même selon le public. Pour les enfants
sourds il s’agit de l’acquisition du langage : la LSF a alors le statut de langue première. Ce
n’est le cas bien sûr que dans le cadre d’un projet bilingue. Les enfants sourds qui font l’objet
d’un projet oral18
auront le français comme langue première, sous réserve de l’efficacité de
cette oralisation. Pour les adultes entendants, il s’agit de l’apprentissage d’une langue
seconde. Le premier type d’enseignement se déroule dans la sphère scolaire et le second se
déroule dans la sphère associative.
18
Le projet oral vise l’apprentissage de la langue parlée. Voir Chapitre II.
III.2.1 Le milieu scolaire
Si le statut de la LSF est clairement établi par l’Etat, il n’en est pas de même dans le
milieu scolaire. Ainsi la LSF a rarement un statut équivalent au français, et sert
principalement d’outil de communication. Elle est langue d’enseignement, mais rarement
langue enseignée en elle-même : elle ne sert qu’à faire passer les contenus.
III.2.2 Le milieu associatif
La diffusion de la LSF vers le public entendant est croissante. De nombreuses
associations et écoles de langue des signes permettent aux apprenants de se familiariser ou se
perfectionner dans ce mode de communication. Mais cette formation s’effectue avec plus ou
moins de bonheur, tant est grande la diversité des types d’enseignements que l’on peut y
recevoir. En effet, la qualité des enseignements varie d’un lieu à l’autre, en raison du peu de
professionnels sourds formés en pédagogie. Certaines associations effectuent un travail de
longue date sur la didactique de la LSF et ont joué dans ce domaine un rôle de précurseur :
IVT (International Visual Theatre), l’ALSF (Académie de la LSF), Visuel. Le public est
également très hétérogène. Il peut s’agir de :
professionnels de la surdité, tels que éducateurs spécialisés, enseignants,
orthophonistes…
personnes désirant devenir interprète français/langue des signes
employés de services administratifs, amenés à côtoyer des usagers sourds
personnes cherchant à travailler dans le domaine de la surdité
parents d’enfants sourds (évidement)
Enfin, la LSF étant l’objet de recherches universitaires, certaines facultés proposent son
apprentissage (Paris 8, Grenoble, Lille, Poitiers…)
III.3. Les approches pédagogiques
III.3.1. Les formations
L’enseignement de la LSF connaît actuellement une grande diversité de méthodes,
mais tend à s’harmoniser. Certaines associations proposent aux sourds des formations en
didactique, et l’université Paris 8, en partenariat avec l’association Visuel, propose deux
formations diplômantes :
Le DPCU (Diplôme de premier cycle universitaire) spécialisation d'enseignement de la
Langue des Signes Française, qui forme des enseignants de LSF pour les adultes
entendants.
La licence professionnelle d’enseignement de la LSF en milieu scolaire. Partenariat
Paris 8 – Cnefei19
– Visuel LSF
Ces diplômes ont pour but d’apporter un statut et une qualification universitaire aux futurs
enseignants et de leur conférer ainsi une reconnaissance.
III.3.2. Problématique : les besoins du public
Compte tenu de l’hétérogénéité du public entendant, la nécessité de répondre aux
besoins spécifiques de chacun s’impose. Ces formations sont-elles à même de répondre à tous
les besoins ? Les futurs interprètes auront par exemple des besoins bien différents des
enseignants des milieux spécialisés. Les parents de très jeunes enfants sourds, désireux
d’instaurer une communication gestuelle avec leur enfant, auront des besoins propres. Le cas
des parents d’enfants sourds est très particulier, car à la même période parents et enfant vont
apprendre la même langue. Bien sûr les processus cognitifs seront différents de part et d’autre.
Mais il faut en tenir compte : comment enseigner une langue qui est à la fois une deuxième
langue pour les parents et une première langue pour l’enfant ? Quels sont les besoins pour ces
deux publics ? P. Dalle, président de l’ANPES20
, explique ces différents besoins. Pour
l’enfant, il s’agit d’acquisition du langage. Il va donc développer naturellement :
une fonction langage, c’est-à-dire l’établissement de correspondances entre pensée et
émission.
des compétences grammaticales, adaptées à la modalité visuelle.
une compétence langagière, en respectant les codes de la langue.
Les parents sont médiateurs dans ce processus d’acquisition, car c’est grâce à leur propre
compétence que va se développer, par interaction, la compétence linguistique de l’enfant.
Leurs besoins se situent davantage au niveau de l’apprentissage de la grammaire spatiale que
de l’acquisition d’un lexique fourni. En effet, le respect de la structure spatiale de la langue
est fondamental lorsque les parents s’adressent à leur enfant. Cela permet un bon
développement de ses capacités langagières, tandis qu’un signe standard peut être remplacé
19 CNEFEI : Centre National d’Etude et de Formation pour l’Enfance Inadaptée
20 Association Nationale de Parents d’Enfants Sourds
par le mime. Enfin, l’apprentissage d’un vocabulaire enfantin et de comptines signées permet
aux parents d’échanger avec leur enfant de manière ludique.
Or les cours de Langue des signes sont rarement adaptés à ces conditions particulières
d’apprentissage. Une solution, proposée par certains safep21
, consiste à faire intervenir
précocement un adulte sourd dans la famille. Cette intervention sera utile à plusieurs niveaux :
Au point de vue langagier, cette personne va exposer l’enfant à une langue des signes
de qualité et enseigner aux parents ce qui leur sera immédiatement utile dans la
communication avec leur enfant.
Elle va également faire prendre conscience aux parents de la richesse de la langue des
signes et tout ce qu’elle peut apporter à leur enfant, qu’ils vont voir progressivement
s’ouvrir à la communication et construire son identité.
Son attitude positive vis-à-vis de la surdité rassure les parents et leur permet de
projeter leur enfant dans l’avenir avec sérénité.
21
Safep : Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce
CHAPITRE II. L’EDUCATION DE L’ENFANT
SOURD
I. HISTORIQUE DE L’EDUCATION DES JEUNES SOURDS
I.1 L’apparition de deux systèmes d’éducation
De l’Antiquité au Moyen Age, on ne connaît aucune trace écrite permettant d’attester
d’une prise en charge particulière des sourds-muets. Deux systèmes sont apparus
successivement au cours de l’histoire.
La première méthode d’éducation pour enfant sourd apparaît à l’issue d’une
découverte médicale retentissante au XVIème
siècle : l’organe spécifique de l’audition est
distinct de celui de l’intonation. Autrement dit, on peut apprendre aux sourds à parler. Les
premiers à s’y essayer et à montrer publiquement leurs résultats sont des moines espagnols
dont le plus connu est Ponce de Leon. Ces précepteurs développent des méthodes permettant
de démutiser22
les sourds dont certaines sont encore utilisées aujourd’hui. D’abord réservé aux
familles aisées, ce système d’éducation prend progressivement de l’ampleur. Il s’ouvre aux
familles moins fortunées et s’exporte aux autres pays européens au cours du XVIIème
siècle.
Les précepteurs n’ignorent pas que les sourds s’expriment naturellement par gestes. Mais ils
rejètent ceux-ci, les considérant comme impropres à exprimer la pensée humaine.
Au XVIIIème
siècle, le modèle oraliste perdure et s’étend. Mais en France, à Paris, émerge
une méthode d’éducation novatrice dont l’initiateur est Charles Michel de l’Epée (1712-
1789). En observant des sourds communiquer entre eux, l’Abbé de l’Epée se rend compte que
les signes sont aptes à exprimer la pensée humaine, au même titre que les langues orales. Il
réfléchit alors sur un usage possible des gestes naturels des sourds dans la pédagogie du
français. Il apprend les signes à leur contact et fonde en 1760 une école mixte. Sa pédagogie
s’oppose totalement au système du préceptorat : il privilégie la groupalité et néglige
l’oralisation au profit du français écrit. Il favorise ainsi une double socialisation : au sein de la
communauté sourde grâce à la langue des signes et au sein de la société entendante grâce à
l’accès au français écrit. Mais sa démarche d’enseignement du français écrit est loin
d’être efficace. En effet, il juxtapose des signes de son invention aux signes naturels de la
22
Démutiser un sourd-muet, c'est-à-dire l’amener à produire et maîtriser ses émissions vocales.
langue de ses élèves. Ces signes méthodiques, comme il les nomme, sont des signes
grammaticaux. Ils renseignent sur le temps, la personne, le genre et la fonction grammaticale
du français. Au lieu de faciliter l’apprentissage du français, ce système brouille la
compréhension. Les élèves sourds peuvent écrire mécaniquement par le biais de la dictée, en
décodant ces signes, mais sans en comprendre le sens. Les démonstrations publiques, censées
montrer la compétence des élèves en français et qui ont eu un grand succès, n’était donc qu’un
leurre. On doit cependant à l’Abbé de l’Epée d’être le premier entendant à avoir basé son
enseignement sur les signes naturels des sourds, et d’être l‘initiateur d’une pédagogie visuelle,
qui va s’améliorer et s’enrichir au fil du temps.
Le système acquiert de la popularité et se développe en province, en Europe et même
dans le monde tout au long du XVIIIème
. C’est en 1789 que l’école de l’Abbé de l’Epée
devient l’Institution Nationale des Sourds-Muets, et l’Abbé Sicard (1742-1822) son premier
directeur. Auguste Bébian (1790-1839), responsable pédagogique de l’institution dès 1817,
est l’inspirateur de la vraie méthode bilingue. Il clarifie l’enseignement du français écrit en
supprimant l’usage des signes méthodiques. La langue des signes devient la langue de
référence qui rend possible l’acquisition du français écrit comme langue seconde. De
nombreux élèves sourds deviennent enseignants à leur tour. La communauté sourde
s’épanouit, la langue des signes s’enrichit, et de nombreux artistes et écrivains sourds
émergent à cette époque. A partir de 1830, il n’y a pas une seule grande ville qui ne soit pas
dotée d’une école de ce type. L’éducation de type oraliste a néanmoins continué à se
développer en parallèle, menant à de constantes querelles idéologiques.
I.2 La guerre des méthodes et le triomphe de l’oralisme
Jean-Marc Itard (1774-1838), médecin chef de l’Institution des Sourds-Muets depuis
1800, va avoir une grande influence sur le type de pédagogie employée. Sa vision de la
surdité est purement médicale : ce n’est qu’une maladie qu’il faut guérir. En matière
d’éducation, Itard s’acharne à vouloir faire parler les sourds. Il créé dès 1805 des classes
exclusivement oralistes, dont il expliquera l’échec par la « contamination » des signes appris à
la dérobée par ses élèves. Il propose donc de proscrire complètement la langue des signes de
l’éducation des sourds. Son successeur, Désiré Ordinaire, tente de faire interdire
totalement les signes. Mais devant la détermination des enseignants sourds, il démissionne.
Les gestualistes poursuivent alors leur enseignement bilingue, en commettant l’erreur
d’exclure complètement la parole de leur cours, provoquant la colère des partisans de
l’oralisme.
En 1880, lors du Congrès de Milan, se réunissent des partisans de l’oralisme pur, des
éducateurs et des enseignants entendants. Seulement deux sourds étaient présents lors de ce
congrès. Une préparation minutieuse, des démonstrations d’élèves sourds parfaitement
oralisés, et des discours retentissants en faveur de l’oralisme achèvent de convaincre le peu
d’éducateurs encore indécis. L’interdiction de la langue des sourds est votée à l’unanimité par
une majorité d’entendants. Dès sa mise en vigueur, l’oralisme est réinstallé comme la seule
voie d’accès aux connaissances. Tous les professionnels sourds sont remerciés. Tout enfant
surpris à signer est sévèrement puni. Les contacts entre générations sont soigneusement
évités, pour empêcher la transmission de la langue. Pendant trente ans, l’interdiction est
absolue. Mais les enseignants se rendent vite compte de la catastrophe. Binet, un psychologue,
écrit un article sur « l’état physique, moral et intellectuel des sourds ». L’article est bien
argumenté et aboutit à la nécessité de l’utilisation des gestes. De 1910 à 1970, la LSF est
toujours interdite en classe, mais est tolérée dans les cours de récréation et les cantines. Bien
que la langue ait perduré durant cette époque, elle s’est appauvrie. De plus les sourds ont fini
par être honteux de leur langue, ayant intégré les discours dévalorisants des éducateurs
entendants. Ils signent par nécessité mais ne se montrent pas. Nous sommes loin de la
communauté dynamique et fière de sa condition du siècle précédent. Cependant, la
conséquence la plus grave de ce siècle d’oralisme est que les sourds en sortent
majoritairement sous-éduqués.
I.3. La réintroduction de la langue des signes dans l’éducation
En France le chemin vers la reconnaissance de la langue des signes française a été
long :
en 1977, le ministère de la santé lève en termes nuancés l’interdiction de l’usage de la
LSF dans le milieu éducatif.
en 1985, un rapport de l'Education Nationale et des Affaires Sociales23
, fait ce
constat : « La nécessité d'une communication visuo-gestuelle s'impose dans toute sa
force, car elle seule est capable de restaurer dans leur authenticité et dans leur
chronologie, les étapes du développement linguistique ».
la loi de 199124
marque la première reconnaissance officielle de la langue des signes :
l’Assemblée Nationale accepte l’utilisation de la LSF pour l’éducation des jeunes
sourds et donne le choix aux parents entre les deux types d’éducation : « Dans
l’éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue
(langue des signes française et français) et une communication orale est de droit. »25
en 2002, l’Etat français reconnaît la légitimité culturelle et éducative de la LSF. Le
Ministre de l’Education a présenté à cette occasion un référentiel des différentes
compétences à acquérir dans l’apprentissage de la langue.
le 01 mars 2004, la LSF est enfin reconnue officiellement comme langue à part
entière. Elle peut être choisie par les élèves des collèges et lycées comme langue
vivante ou matière optionnelle au baccalauréat, aux examens et concours publics.
la loi du 11 février 200526
réaffirme la liberté de choix du mode de communication, en
l’étendant à la scolarité. Ce droit sera également inscrit dans le code de l’éducation,
(art. L 112-2-2), Elle réaffirme également la reconnaissance de la LSF comme langue
à part entière (art L 312-9-1). Enfin, sa terminologie a évolué : le bilinguisme n’est
plus opposé à l’oralisme, mais au monolinguisme, ce qui sous entend que le français
oral peut faire partie du projet bilingue.
Parallèlement au cadre législatif, certains n’ont pas attendu le feu vert des ministères
pour faire évoluer les choses. La fin des années 70 voit l’émergence d’un mouvement militant
en faveur d’une reconnaissance des sourds et de leur langue. L’association 2LPE27
se créé et
23
Rapport Bouillon/Delhom/Fournier/Kettler, de décembre 1985 24
Loi n° 91-73 du 18-01-1991 (Loi Fabius). 25
Article 33 26
Loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. 27
2LPE : Deux Langues Pour une Education
forge les principes d’une éducation bilingue, respectueuse de l’enfant sourd. Elle remet en
cause l’apprentissage de l’oral comme préalable aux autres apprentissages: il est long et
difficile, et entraîne un retard scolaire. En 1984 et 1985, 2LPE créé six classes bilingues de
maternelle et de primaire. Ce sont des classes « sauvages », financées par les parents, et qui
rencontrent une nette opposition de l’éducation nationale, du ministère de la santé et des
établissements oralistes. Des difficultés de tous ordres ont conduit au passage à une gestion
locale, et à la fermeture de quelques pôles. Actuellement, les classes bilingues de l’école
Ramonville-Saint-Agne sont en cours de régularisation. Elles font l’objet de la part du rectorat
de Toulouse, avec le concours d’IRIS28
et de l’APES29
Midi-Pyrénées, d’un processus de
formalisation et de description d’un parcours bilingue cohérent, de la maternelle à la
terminale.
28
IRIS : Institut de Recherche sur les Implications en langue des Signes 29
APES : Association des Parents d’Enfants Sourds
II. LE BILINGUISME
II.1. Qu’est ce que le bilinguisme ?
II.1.1 Le bilinguisme en général
Il existe de nombreuses définitions du bilinguisme. Leurs différences reposent
essentiellement sur le niveau de compétence dans chaque langue que le locuteur bilingue est
censé maîtriser. L’approche la plus absolue est celle de L. Bloomfield (1935), qui définit le
bilinguisme par la "maîtrise de deux langues comme si elles étaient toutes deux la langue
maternelle". Ce « bilinguisme parfait », ne rend pas compte d’un grand nombre de situations.
M. Weinreich (1953) définit le bilinguisme de façon plus souple : "Est bilingue celui qui
possède au moins une des quatre capacités (parler, comprendre, lire, écrire) dans une langue
autre que sa langue maternelle." C. Hagège (1996), enfin, considère une personne comme
étant bilingue lorsque ses compétences linguistiques sont comparables dans les deux langues.
Mais toutes ces définitions ne font état que d’aptitudes, sans considérer l’aspect
fonctionnel du bilinguisme : quel rapport entretiennent ces langues l’une par rapport à
l’autre ? Pour M. Grosjean, les bilingues sont des personnes qui ont " la capacité de produire
des énoncés significatifs dans deux (ou plusieurs) langues […] et qui se servent de deux ou
plusieurs langues dans la vie de tous les jours ". On peut donc catégoriser les différents types
de bilinguisme en terme de compétence et d’utilisation. Il reste néanmoins à déterminer le
type de bilinguisme qui nous concerne.
I.1.2 Le bilinguisme sourd
Il s’agit donc de l’usage de la langue des signes et du français. L’association 2LPE
justifie l’importance de la maîtrise des deux langues : la LSF parce que l’individu est sourd, le
français parce que c’est la langue du pays dans lequel il vit. Elle insiste sur l’importance de
l’acquisition de l’écrit. D’abord parce qu’il est la porte d'accès à la scolarité et à la culture,
ensuite parce que la LSF ne disposant pas de système d’écriture, il vient compléter
parfaitement l'équipement linguistique nécessaire à la personne sourde pour être autonome.
Cette vision souligne l’appartenance de la personne sourde à deux mondes, la communauté
sourde et la société française. Le bilinguisme induit le biculturalisme. Si français et LSF
doivent (ce qui n’est pas encore le cas), avoir un statut égalitaire, elles n’ont pas pour autant
les mêmes rôles. Ainsi le CIS30
d’Aquitaine fait cette distinction :
« La LS est la langue naturelle de l’enfant sourd, celle qu’il doit pouvoir acquérir
inconsciemment de la manière la plus naturelle possible, la langue des échanges
spontanés, du plaisir, langue de structuration de la pensée et d’acquisition de la
culture.
Le français est la langue de la communauté nationale. C’est aussi un outil précieux de
développement culturel, d’accès à de nouvelles connaissances, de mémorisation et
d’expression. »
On peut pourtant nuancer cette affirmation : si la LS est la première langue de
structuration de la pensée, ce rôle n’en revient pas moins à la langue seconde lorsqu’elle est
suffisamment maîtrisée. De la même manière, l’accès à de nouvelles connaissances peut se
faire dans l’une ou l’autre langue selon le contexte. Il est également regrettable que la
dimension de plaisir ne figure pas dans le statut du français. On peut donc établir des liens
plus étroits entre les différentes fonctions de ces langues.
En ce qui concerne la nature de ce bilinguisme, cinq compétences sont exploitées :
production en interaction, production continue31
et compréhension « orale » de la LSF
production et compréhension écrite du français
Si la personne sourde est oralisée, alors s’ajoutent trois compétences, la production en
interaction, la production continue et la compréhension orale du français. La définition du
bilinguisme sourd fait encore débat aujourd’hui. Faut-il englober le français oral ou non ?
Cette question a mené à une nouvelle terminologie pour éviter les malentendus : bilinguisme
monomodal si l’oral ne fait pas partie des compétences, bilinguisme bimodal s’il en fait
partie.
II.2. Cadre familial et préscolaire.
II.2.1 La nécessité de l’acquisition précoce d’une langue naturelle.
Pour la construction de l’individu et du bilinguisme, la première condition est
l’acquisition précoce d’une langue naturelle. L’équipe québécoise de C. Dubuisson
(Université de l’UQAM), a montré que cette acquisition précoce favorise l’apprentissage
30
CIS : Centre d’Information sur la Surdité 31
Le CECR dissocie deux compétences de production orale : s’exprimer oralement en continu et prendre part à
une conversation.
d’une autre langue. C’est avec sa première langue que l’enfant va acquérir une connaissance
du monde, des concepts, qu’il va accéder à l’abstraction et aux emplois figurés. A.
Vanbrugghe, praticienne française, explique que les compétences ainsi acquises dans une
première langue sont transférables à une langue seconde. La première langue apporte donc à
l’enfant tout le bagage indispensable à l’apprentissage d’une autre langue.
II.2.2 Quelle langue faire acquérir en premier?
Rappelons que français et LSF sont deux langues naturelles. Mais si la LSF est acquise
naturellement par l’enfant sourd, l’apprentissage du français oral est artificiel. Il repose en
effet sur diverses techniques d’orthophonie et s’appuie sur l’optimisation des restes auditifs
par la mise en place de prothèses. C. Courtin, rapportant une étude de M. Marschark (1993),
explique que les enfants sourds dont les parents signent ont un développement cognitif
semblable à celui des enfants entendants. Cette étude nous permet d’insister une fois de plus
sur l’importance de l’acquisition précoce de cette langue. Tout retard entraîne des
conséquences sur l’acquisition du français écrit : les enfants signeurs natifs démarrent
l’apprentissage du français véritablement comme une deuxième langue, tandis que les
signeurs tardifs doivent acquérir deux langues en même temps. Les enfants oralistes, eux,
démarrent avec un déficit de connaissances32
. Entre ces trois types d’enfants, la différence se
situe au niveau du bagage expérientiel, c'est-à-dire au niveau des connaissances préalables à
l’apprentissage et à la conceptualisation.
P. Dalle33
explique les apports de la LSF comme langue première pour l’enfant sourd.
La LSF permet de tout dire, puisque c’est une langue, mais ceci dans de réelles conditions de
dialogue. La communication signée rétablit également des relations normales au sein de la
famille car les parents ont un véritable rôle de parents et non de techniciens de la parole. C’est
eux qui transmettent à leur enfant l’envie de s’exprimer. Quant au français signé, il s’agit d’un
autre moyen de communication qui organise le lexique de la LSF selon la syntaxe du français.
Comme l’indique C. Courtin, la LSF est très différente du français. Elle n’aide pas à
l’acquisition de sa syntaxe car il n’y a pas de transfert possible des compétences. Il est évident
qu’avant même la scolarisation, la langue choisie influence l’acquisition de l’écrit. Puisque le
français signé suit la syntaxe du français, est-il un élément facilitateur? Pour l’acquisition de
32
Tout dépend également du degré de surdité de l’enfant et de ses propres capacités à l’oral. L’éducation oraliste
fonctionne très bien dans certains cas. Toutefois son taux d’échec nous laisse penser qu’elle ne convient pas à la
majorité des enfants sourds profonds. 33
P. Dalle « Histoire et philosophie du projet bilingue » Enseigner et apprendre en LSF : vers une éducation
bilingue, Nouvelle Revue de l’AIS
la syntaxe, peut-être. Mais il s’agit d’un code et non d’une langue naturelle. De ce fait, il
bloque l’accès au sens et donc bloque la communication. Il ne permet pas l’acquisition de
connaissances et de concepts. Or les connaissances générales, qui sont à la base de
l’apprentissage de la lecture, s’acquièrent par la communication.
II.3. Cadre scolaire.
II.3.1 Les principes d’un projet bilingue
Le but du projet est de permettre à l’enfant de devenir réellement bilingue et biculturel.
Pour cela il est nécessaire de rétablir des conditions normales d’apprentissage. La vision de la
surdité est donc fondamentale. L’élève n’est pas un être déficient qu’il va falloir rééduquer. Il
a au contraire toutes ses potentialités et c’est pourquoi l’école ne doit pas se limiter en matière
d’objectifs scolaires et de projets professionnels. Les objectifs visés doivent être les mêmes
que pour les entendants. La communication mise en place doit se faire en LSF, afin de
permettre des échanges langagiers riches et variés au sein de la classe. Patrice Dalle accorde à
cet effet une nette priorité à ce que l’enseignant soit lui-même sourd en maternelle et en
primaire, « non seulement parce qu’il maîtrise mieux la langue des signes et comprend mieux
les enfants, mais aussi parce qu’il contribue, en étant un modèle, à la construction de l’identité
de l’enfant sourd, à l’acquisition d’une langue des signes de qualité et au développement de sa
socialisation. » Enfin, les classes doivent être accueillies au sein d’écoles ordinaires où élèves
sourds et entendants participent ensemble à la vie scolaire et extrascolaire de l’établissement.
Le but de cette mixité est de permettre aux enfants sourds et entendants de se rencontrer et
d’apprendre à vivre ensemble.
II.3.2. Quelles pratiques pédagogiques ?
Le statut de la LSF :
L’éducation bilingue se démarque de l’utilisation quasi générale qui est faite de la LSF
dans les établissements. La langue des signes, finalement acceptée dans la plupart des
structures scolaires, n’y a qu’un statut d’outil de communication, tandis que dans le projet
bilingue, la LSF a un double statut : elle est la langue d’enseignement, et première langue
enseignée. Elle est la base sur laquelle se construisent les autres acquisitions. Une pratique
signée de qualité fait donc l’objet d’une exigence des enseignants et elle est évaluée au même
titre que le français chez les élèves entendants. Les thèmes linguistiques ou métalinguistiques,
qui sont ordinairement appris en français, sont donc enseignés en LSF, puis transposés au
français écrit. Pour réaliser cet objectif, LSF et français font l’objet de cours séparés, mais les
activités sont menées en parallèle avec réalisation d’objectifs communs. Par exemple, pour
aboutir, en cours de français, au résumé d’un conte en respectant les différentes étapes du
récit, le travail sur la structure du récit se fera en LSF, le cours de français se chargeant de la
lecture de contes.
L’analyse contrastive :
Elle repose sur la mise en évidence d’équivalences ou de différences dans l’expression
d’une même unité de sens dans l’une et l’autre langue. Elle doit être menée, soit par un
enseignant bilingue, qui mène seul le travail sur les deux langues, soit par une organisation en
binôme. L’école Laurent Clerc, qui accueille des classes bilingues, travaille régulièrement
selon le principe du binôme. Il s’agit de l’association dans la même classe d’un enseignant
sourd, expert en LSF, sachant lire, et d’un enseignant entendant, expert en français écrit,
connaissant la LSF. Selon J. Duverger34
cette organisation a plusieurs intérêts. D’abord c’est
une nécessité au vu du manque d’enseignants experts dans les deux langues. Un texte
complexe peut-être difficile à comprendre pour la personne sourde, et difficile à traduire pour
la personne entendante. Ils se complètent donc en partageant leur compétences. Ensuite elle
permet de développer des compétences de bilinguisme fonctionnel chez l’élève, en apportant
des conditions idéales pour l’analyse contrastive entre les deux langues. Le principe un
enseignant – une langue, appelé loi de Grammont-Ronjat du nom de ses concepteurs, a déjà
fait ses preuves dans d’autres contextes35
. En l’occurrence, le binôme aide l’élève à passer
d’une langue à l’autre, en se référant à l’adulte compétent en cas de besoin. Il est toutefois
préférable ne pas abuser de ce travail, car il présente des inconvénients : non seulement il
demande une préparation minutieuse et concertée des séances mais en outre, il peut donner
l’impression que l’enseignement sourd n’est pas apte à enseigner le français seul, sans aide de
l’entendant. Connaissant l’importance du rôle identitaire de l’enseignant sourd auprès des
élèves, cet écueil est à éviter. Cette organisation souvent nécessaire pose également le
problème de la formation des professeurs : si trop peu d’enseignants entendants ont une
parfaite maîtrise de la LSF, les enseignants sourds formés à la pédagogie et experts en langue
française sont eux aussi trop rares. La seule solution est de proposer une formation complète
et de qualité, afin que chaque enseignant, sourd ou entendant, soit bilingue et biculturel.
Approche de la lecture :
34
J. Duverger « Le bilinguisme » les Actes de lecture n° 80, AFL 35
Ce principe créé pour viser un bilinguisme optimum, est appliqué dans certaines classes bilingues (français –
langue régionale) et dans des écoles françaises à l’étranger.
Un texte long en français peut représenter de nombreuses difficultés pour les élèves
sourds, encore en pleine acquisition des deux langues. Par exemple, dans le cadre d’une
lecture en classe36
, l’enseignant fait tout d’abord réfléchir les élèves sur la forme du texte : la
typographie, les titres et sous-titres, les éventuelles illustrations, renseignent sur le genre
littéraire et peuvent fournir des indications sur le thème et la manière dont celui-ci va être
traité. Cette étape permet aux élèves de développer des stratégies de lecteur autonome.
Ensuite, l’enseignant demande aux élèves une première lecture individuelle, à laquelle va
suivre une discussion en groupe sur le sens global du texte. Il s’agit principalement de
répondre aux questions « Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? ». Les élèves expliquent ce qu’ils ont
compris, argumentent et justifient leurs réponses dans le texte. Une seconde lecture
individuelle permet aux élèves de vérifier leurs hypothèses et donne lieu à des questions plus
approfondies, notamment sur l’implicite du texte. L’enseignant guide les élèves par ses
questions, valide ou invalide les hypothèses formulées. Cette phase permet également de
travailler sur les difficultés de la langue, qui sont relevées et expliquées. En dernier lieu, le
texte est traduit en LSF, de manière à s’assurer d’une compréhension fine de la part des
élèves. Le visionnage du résumé du texte en LSF peut également se faire avant la lecture, afin
de faciliter la compréhension et alléger la phase de compréhension du texte. Cette approche
rejette les écrits simplifiés. La démarche est basée sur le questionnement, le repérage
d’indices et la création d’hypothèses. Il est donc nécessaire de jouer le jeu de la complexité.
III. ETAT DES LIEUX DE L’EDUCATION DES JEUNES
SOURDS EN FRANCE
III.1 Quelle scolarité pour les enfants sourds ?
III.1.1. Les conditions d’un choix difficile
La loi de 2005 et le Code de l’Education donnent donc la liberté de choix aux parents
entre les deux options éducatives, bilinguisme et monolinguisme. Mais la pratique montre que
36
Approche présentée dans le fascicule Théo Prat’ n°8, AFL
les parents ne sont pas vraiment en situation d’exercer ce droit et ce choix. En effet, les
premières informations qu’ils reçoivent sont apportées par le corps médical, au moment du
diagnostic de la surdité. Elle est alors uniquement présentée sur le registre de la déficience,
qui peut être « réparée ». Appareillage et séances d’orthophonie sont alors proposés. On peut
regretter l’absence d’informations complètes et objectives dans ce domaine, afin que les
parents exercent réellement ce droit. D’autre part, les établissements s’inscrivant clairement
dans l’une ou l’autre option sont très rares, comme ces statistiques le présentent. Selon une
enquête réalisée par le CNEFEI de Suresnes et l’ ANPES, il apparaît qu’en 1996 :
5% des établissements se réclamaient d'une option strictement oraliste.
4% se réclamaient d'une option bilingue avec enseignement en LSF.
91% associaient l'oralisme à divers degrés de communication gestuelle (LFPC37
,
français signé, LSF)
De plus, 15% employaient au moins un enseignant sourd et 30% employaient un ou
deux interprètes. Les parents qui choisissent l’option bilingue ou strictement oraliste n’ont que
très peu la possibilité de le faire. La majorité des établissements proposent une pédagogie
mixte, selon le principe de la Communication Totale. Elle fait appel à toutes les techniques
favorisant la communication, qu’elle utilise à des degrés divers au service de l’acquisition du
français oral et écrit. En plus des établissements spécialisés, de nombreux enfants sourds sont
intégrés en milieu scolaire ordinaire. L’Etat, qui s’inscrit dans un processus de normalisation
et d’assimilation, en fait sa priorité. Cette intégration peut être individuelle ou collective,
partielle ou complète, avec différents types d’accompagnements. Les élèves peuvent
éventuellement passer d’un mode à l’autre au cours de leur scolarité. La décision de cette
intégration reste subordonnée aux propres capacités de l’enfant et aux choix familiaux.
III.1.2. Présentation des structures bilingues
Les services d’IRIS à Toulouse gèrent une vingtaine d’élèves répartis dans deux
écoles primaires, un collège et un lycée. Il s’agit de classes intégrées dans des établissements
publics ordinaires de l'Education Nationale et sous sa responsabilité.
L’enseignement se fait en LSF dans toutes les matières. Les professeurs, qu’ils soient sourds
ou entendants, sont bilingues. Pour certaines matières du Lycée, les professeurs entendants
sont traduits en LSF. L’équipe pédagogique comprend une forte proportion d'enseignants
sourds. Suivant la progression des élèves d’année en année, une classe de seconde s’est
37
LFPC : Langue Française Parlée Complétée, ou Cued Speech. Système d’aide à la lecture labiale.
ouverte en 2005, puis une première en 2006 et cette année s’ouvre une terminale.
L’apprentissage de l’oral ne fait pas partie du projet scolaire. Les familles qui le désirent
peuvent toutefois faire suivre leur enfant par une orthophoniste en dehors du temps scolaire.
Le groupe Laurent Clerc a ses locaux dans une école publique de Champs sur Marne
(77), et suit ses élèves dans un collège et un lycée relevant de l’Education Nationale.
L’apprentissage de l’oral n’est pas abandonné et est pris en charge par des orthophonistes.
Cependant, il ne fait pas l’objet d’une évaluation et n’est pas considéré comme un préalable
aux autres acquisitions. L’équipe comprend donc du personnel paramédical, orthophoniste et
audioprothésiste. Certains enfants sont en intégration individuelle en milieu ordinaire et suivis
par un service SSEFIS38
.
L’enseignement au collège est organisé comme suit :
6° et 5° : Intégration dans certaines matières avec interprète et soutien scolaire. Les
élèves sourds sont réunis en groupe pour les cours de LSF et français
4° et 3° : Intégration avec interprète et soutien scolaire
Le SEB (Service d’Education Bilingue) de Poitiers dépend de l’association 2LPE
Centre Ouest. Il propose un service d’Accompagnement des 0-3 ans, ayant ouvert en janvier
2006 ; un service d’Education Bilingue, gérant 22 élèves et un service d’Accompagnement
scolaire Jeunes Etudiants, qui suit 8 étudiants en BTS et lycée professionnel. L’équipe compte
six professionnels sourds et 10 professionnels entendants. L’enseignement n’est pas dispensé
de la même manière que dans les deux structures précédemment décrites :
A l’école, il s’agit de classes mixtes dans lesquelles élèves sourds et entendants
reçoivent les mêmes cours, grâce à deux enseignants au sein de la classe. Les élèves
sourds sont regroupés seulement pour les cours de LSF.
Au collège-lycée, les élèves sont intégrés en groupes et bénéficient d’un interprète,
sauf pour le français, les langues vivantes et la LSF, qui se déroulent avec des
enseignants spécialisés.
Comme à Laurent Clerc, l’expression vocale et la lecture labiale sont travaillés avec
une orthophoniste mais ne font pas l’objet d’une évaluation.
38
SSEFIS : Service de Soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire
Les classes bilingues de Bayonne suivent des enfants sourds de la maternelle au
collège. Elles sont accueillies au sein d’une école élémentaire et d’un collège.
La classe bilingue de Bordeaux, en partenariat avec l’INJS de Bordeaux, a été ouverte
en septembre 2005 et compte 3 élèves de maternelles et un élève de CP. L’équipe est
composée d’une enseignante entendante bilingue enseignant en LSF, d’une professionnelle
sourde experte en LSF et d’une éducatrice sourde pour la cantine.
III.2 La situation des sourds en France
III.2.1 L’illettrisme
Le GPLI39
défini les personnes illettrées comme « des hommes et des femmes pour
lesquels le recours à l’écrit n’est ni immédiat, ni spontané, ni facile et qui évitent et/ou
appréhendent ce moyen d’expression et de communication ». Le taux d’illettrisme des sourds,
différent selon les sources, est alarmant. Le milieu associatif annonce une fourchette de 50 à
80% de sourds illettrés. Le rapport de Dominique Gillot (1998) fait apparaître que 80% des
sourds de naissance sont illettrés. Les conséquences de l’illettrisme des sourds sont graves, et
touchent principalement l’insertion de ce public dans la communauté nationale. Par exemple,
tous les échanges professionnels ou administratifs sont extrêmement limités, car ils
nécessitent une certaine maîtrise de l’écrit. Les compétences étant pauvres à la fois en français
oral et écrit, l’accès à l’information des sourds illettrés est très restreint. Pour pallier cela,
certaines structures se rendent accessibles directement en LSF. Tout d’abord, le site
Websourd40
a été créé dans le but d’apporter des informations de toutes sortes directement en
langue des signes : actualités générales et de la communauté sourde, informations pratiques,
culture… Certaines administrations, comme la mairie de Toulouse proposent un accueil aux
personnes signeuses et rendent leurs sites accessibles en LSF. Des entreprises ont également
créé des pôles LSF et permettent de renseigner directement ces personnes, sans passer par un
interprète. Enfin, le domaine culturel fait également des efforts pour les sourds, en proposant
par exemple des visites guidées en LSF.
Tous ces efforts permettent de ne pas couper les sourds de la société, et sont à
encourager. Pourtant ils ne traitent que les conséquences de l’illettrisme et non ses causes.
39
GPLI : Groupement permanent de lutte contre l’illettrisme. Etude intitulée « De l’illettrisme, état des lieux de
la recherche universitaire concernant l’accès et le rapport à l’écrit », Paris, Centre Inffo, 1995 40
www.websourd.org, site mis en ligne le 13 décembre 2004
Celles-ci sont à considérer à deux niveaux : en amont, c’est la scolarisation des sourds qui est
encore largement inefficace ; en aval, en ce qui concerne la remédiation de l’illettrisme, les
méthodes appliquées sont rarement adaptées à la surdité et repose souvent sur des exercices
basés sur l’audition. Quelques formations bilingues sont néanmoins apparues dans certaines
associations (ARIS), ainsi qu’au GRETA paramédical et social de Paris41
.
III.2.2 Evaluation de la population active sourde
Selon les estimations de l’UNAPEDA42
, le taux de chômage des personnes sourdes
profondes en France à la fin 2004 était de 30 %, soit 10 000 demandeurs d’emploi. Le taux de
chômage des sourds sévères était de 15%, soit 11 000 demandeurs d’emploi. Au total
l’UNAPEDA dénombrait 103 000 personnes sourdes profondes et sévères « actives », dont 21
000 demandeurs d’emploi, soit 7,5 % de la population totale handicapée demandeur d’emploi.
Une autre source, l’ARIS43
, tout comme la DRASS, fait état de 50% de demandeurs
d’emplois sourds en Ile de France. Beaucoup de sourds vivent d'allocations attribuées par
l'Etat en fonction de leur statut. Si ces chiffres sont encore à vérifier, il est clair que la
situation de l’emploi pour les sourds est catastrophique. Les raisons tiennent à leur faible
niveau de formation, à un illettrisme massif, mais aussi au manque d’adaptation des postes
proposés.
41
GRETA PMS/ ESPACE AISP, 29 bis rue Cronstadt, 75015 Paris 42
UNAPEDA : Union Nationale des Associations de Parents d'Enfants Déficients Auditifs 43
Association Régionale pour l'Intégration des Sourds
CHAPITRE III. QUESTIONNEMENTS
I. PROBLEMATIQUE AUTOUR D’UNE ECRITURE DES
LANGUES DES SIGNES44
I.1 Le rapport des sourds à l’écrit
Les études les plus alarmantes en matière d’illettrisme des sourds annoncent un taux
de 8O%. Cette dure réalité est tout de même à nuancer. En effet, si le niveau moyen en
français « standard » est effectivement faible dans la population sourde, il faut souligner le
fait que les sourds entretiennent des liens très étroits et très complexes avec l’écrit. Une étude
menée dans le cadre du projet LS-Script45
nous apporte des précisions très intéressantes sur ce
point. Nous serons toutefois vigilants de ne pas en généraliser les conclusions à toute la
population sourde car l’échantillon de personnes de cette étude a été choisi pour le recul
qu’elles ont sur la langue, en raison de leur activité. L’échantillon portait donc principalement
sur des personnes étant amenées, en raison de leur métier, à s’exprimer longuement en LSF
(enseignants de LSF, intervenants universitaires, conférenciers, comédiens) ainsi que des
étudiants, un lycéen et un collégien. L’étude a montré que dans tous les cas, ces individus ont
une « pratique importante de la chose graphique46
». En effet, la préparation de discours, de
cours ou de script en LSF nécessite le recours à un support graphique, ne serait-ce que comme
support à la mémorisation ou à l’élaboration cognitive, par exemple lors d’une activité de
création.
Les valeurs associées à l’écriture en général sont différentes en fonction de la
génération. Pour les plus de 40 ans, l’écriture appartient au monde des entendants. Pour les
plus jeunes, elle est le terrain neutre sur lequel sourds et entendants peuvent communiquer
sans ambiguïté. Mais pour tous, l’écriture est très valorisée. Elle permet de conserver la
44
Cette partie est basée sur le cours de HSLSF4, de M-A. Sallandre, portant sur l’analyse de corpus, et sur
l’intervention de Brigitte Garcia lors de ce cours. 45
Programme de recherche conduit par Dominique Boutet et Brigitte Garcia intitulé « La langue des signes
française (LSF) : quelles conditions pour quelles formes graphiques? » 46
Par « chose graphique » on entendra différents systèmes de dessins ou de symboles, ainsi que les ressources du
français, qui sont exploités pour « écrire » la LSF. Cette pratique d’une sorte de « LSF-français » est avérée
même pour des individus ayant une bonne maîtrise du français.
langue et d’assurer ainsi sa transmission ; elle est un support à la réflexion et un moyen
d’accès à l’information et au savoir. Enfin, elle est langue de communication, en direct
comme en différé. Par contre, elle est souvent présentée plus négativement comme une langue
de soumission de la population sourde par les entendants. L’éducation oraliste qu’ont vécu la
majorité de ces individus est en partie à l’origine de ces représentations très complexes. Les
difficultés à produire un texte peuvent alors être d’ordre psychologique, l’idée d’être lu (et
donc jugé) par un entendant provoquant un blocage. Il est donc très difficile d’évaluer le taux
d’illettrisme des sourds. En effet, le recul qu’ils peuvent avoir sur leurs difficultés en français
écrit témoigne de compétences linguistiques qui n’apparaissent pas dans leurs productions.
Leurs capacités peuvent donc être supérieures à ce qu’ils montrent réellement. L’apparition de
l’informatique a néanmoins permis d’alléger ce rapport à l’écrit : les traitements de textes
permettent d’effacer à loisir ce que l’on écrit, rendant invisibles les traces des difficultés
(brouillons et ratures sur la feuille). Les messageries instantanées ont vu apparaître un type
d’écrit purement fonctionnel ; beaucoup moins soumis à la norme et éphémère, permettant de
désinhiber les réticences à l’écriture.
I.2. Vers une écriture des Langues des Signes ?
I.2.1. La vidéo : l’ « écrit » de la LSF ?
Le cours de LSF47
fait beaucoup appel aux ressources du français. La dactylologie48
permet par exemple aux apprenants entendants d’épeler les mots dont ils veulent connaître la
traduction. Le français sous sa forme écrite est également très utilisé par l’enseignant pour
introduire le thème d’une leçon, en garder une trace, ou à un niveau plus linguistique, faire
apparaître la structure d’un énoncé signé. L’absence de support écrit propre à la LSF conduit
paradoxalement à utiliser une autre langue comme support d’apprentissage. La vidéo apporte
un complément d’importance à l’écrit. Elle fait ses preuves comme support d’apprentissage de
la LSF, tant pour les entendants que pour les enfants sourds. Elle est présentée comme un écrit
de la LSF car elle remplit certaines des fonctions de l’écriture :
elle stocke l’information, elle fixe la langue
elle est un moyen de diffusion de la langue
elle est un moyen de diffusion des connaissances directement dans la langue
47
Hors structures bilingues 48
Dactylologie : représentation manuelle des lettres de l’alphabet. Entre locuteurs de la LSF, elle sert
principalement à épeler des noms propres.
elle est un support pédagogique d’importance, en apportant un feed-back à l’apprenant
sur sa propre production, en présentant des leçons, des exercices…sans recours au
français écrit.
elle est le support d’une « grammaticalisation » de la langue, en conservant le lexique
(constitution de dictionnaires), les néologismes et des discours de référence.
Elle présente cependant des limites de taille en tant qu’écrit. La présence physique du
locuteur et l’impossibilité d’être appréhendée comme un tout (l’écran diffuse les images à la
suite contrairement au texte qui est perçu dans sa globalité), ne permet pas une prise de recul
suffisante par rapport à la langue. D’autre part, elle est difficilement utilisable en tant que
support au travail d’élaboration cognitive : prendre des notes, jeter quelques idées sur un bout
de papier n’a pas la même implication que se filmer soi-même pour conserver ses idées. En
conséquence, elle est un bon moyen d’expression, mais pas d’élaboration. Elle ne résout donc
pas tous les problèmes.
I.2.2 Les systèmes de notation des LS actuellement utilisés
Le système en partition :
Il s’agit de la réalisation d’un tableau comportant horizontalement le corpus vidéo
séquencé, où chaque unité aura été isolée, et verticalement la liste des paramètres que l’on
désire décrire49
. Certains systèmes ont étés entièrement informatisés, tels que ELAN ou
ANVIL, facilitant considérablement la partie technique de la transcription. L’intérêt de ce
système est que l’on peut ajouter autant de champs que souhaité, permettant une description
très fine. Il est par contre fortement orienté vers la recherche et ne permet pas une exploitation
didactique.
Le système HamNosys50
:
De caractère linéaire, ce système ressemble davantage à une écriture. Il consiste en une
liste de symboles codant les différents paramètres de la langue, toujours dans le même ordre.
Le dictionnaire de symboles est très fourni (entre 150 et 180 symboles) et est constamment
enrichi. Cependant, il ne s’agit pas d’une traduction écrite du signe, mais d’un système de
description très précis. Il doit toujours être accompagné des dessins des signes décrits et de la
traduction. Il a été conçu pour ne coder que les signes standard, afin de réaliser un
49
Cf. annexes 50
HamNosys : Hambourg Notation System. Cf. annexes
dictionnaire de la langue des signes allemande. Ces deux systèmes ne permettent donc pas un
accès direct au sens et sont intéressants uniquement pour la recherche linguistique.
Sign Writting51
(SW) :
Ce système a été créé dans le véritable but d’écrire les LS. Il permettrait, comme
l’indiquent ses concepteurs, de communiquer directement par écrit en LS. Son principe est de
décrire la forme du signe à l’aide d’un système de symboles très iconiques : 666 symboles en
tout codent une douzaine de paramètres, tels que la configuration des mains, les types de
contacts, les mimiques faciales… Son originalité est de ne pas être linéaire : les différents
symboles sont placés autour d’un symbole principal, en général la tête ou le buste, de manière
à avoir une vision directe de la réalisation du signe. Un outil informatique, SW-Edit, a été
édité pour transcrire directement en Sign Writing : les symboles sont regroupés par catégories,
et il suffit de les déplacer sur la grille centrale pour « écrire » le signe. Je me suis donc
essayée à la transcription d’un petit corpus, pour me rendre compte par moi-même si ce
système écrit vraiment les LS. Mon impression générale est de ne pas avoir écrit, mais d’avoir
décrit. Ce système demande en effet de s’attacher davantage à la forme qu’au sens. Pour
pouvoir retranscrire le plus fidèlement possible mon corpus, j’ai dû m’arrêter sur la plupart
des signes, en décomposant le mouvement jusqu’à ce que je puisse le reproduire moi-même et
le transcrire. Dans le cas d’une production écrite, il faudrait donc se représenter mentalement
le signe pour pouvoir ensuite « l’écrire ». L’aspect descriptif pose également problème pour la
lecture. On sait qu’un lecteur expérimenté lit en lecture globale, c'est-à-dire que le mot écrit
est directement relié au sens. Or SW permet seulement un accès à la forme du signe. Son
caractère fortement descriptif laisse donc un doute sur la possibilité de l’utiliser comme
support à la pensée. Sign Writing permet sans doutes de conserver une trace écrite de la
langue des signes avec plus ou moins de fidélité. Le système est imparfait, manque parfois de
précisions, mais il peut-être amélioré. Par contre, son utilisation pour la communication écrite
me semble difficile, tant le temps de transcription est long. Enfin, en ce qui concerne
l’éducation des enfants sourds, il me parait difficile, pour toutes les raisons invoquées ci-
dessus, d’envisager SW comme une véritable forme écrite de la langue des signes, avec le
même statut que le français écrit. Ce système peut par contre être un bon outil pour initier les
enfants au rôle et à l’importance de l’écrit. Il ne s’agit pas d’alphabétiser les enfants en langue
des signes, car aucun système à ce jour ne permet cela, mais de montrer que l’on peut garder
51
Cf. annexes
une trace graphique (plutôt qu’écrite) de leur langue maternelle. C’est en tous cas à ma
connaissance le système le plus iconique dans sa représentation et donc le plus proche de la
spécificité de la langue des signes. Reste pourtant l’énorme lacune qu’est la prise en compte
des Structures de Grande Iconicité, car on ne peut faire l’impasse sur des éléments aussi
fondamentaux de la langue des signes.
I.3. Le projet LS-Script
L’enquête de B. Garcia et D. Boutet avait pour but de recueillir des éléments sur les
attentes des sourds en matière d’écriture, afin de travailler à l’élaboration d’un système
vraiment adapté aux spécificités des LS. En effet, les systèmes HamNosys et SW ne codent
qu’une succession de signes standard. Cette centration sur le signe pose de graves problèmes.
Le regard n’étant pas codé, les transferts ne peuvent être transcrits. Le principe même d’une
transcription phonétique ou phonologique rend très difficile la production d’un texte. Ces
systèmes se limitent d’eux-mêmes en obéissant aux principes d’une écriture alphabétique.
Une écriture de LS doit prendre en compte ses traits spécifiques, en l’occurrence la Grande
Iconicité. L’idée du projet est l’isolement d’unités graphiques minimales en deçà du signe.
Cela demande un travail préalable sur le degré de sémantisation des espaces, conduisant à une
écriture de type morphématique (on n’écrit pas l’espace, c’est le morphème qui l’induit). Les
recherches portent donc sur la formalisation d’un niveau infralexical et sur une typologie des
espaces.
II. APPRENTISSAGE DE LA LANGUE ECRITE : QUELLE
METHODE ?
« Personne ne sait encore comment l’enfant sourd apprend à lire » Carol Musselman, Journal
of Deaf Studies and Deaf Education, 2000.
II.1. Les différentes méthodes de lectures
Deux conceptions de l’apprentissage de la lecture s’affrontent encore aujourd’hui,
reposant sur deux postulats théoriques :
II.1.1. La méthode syllabique
Egalement appelée voie phonologique ou méthode par assemblage, elle repose sur
l’idée que l’écrit est avant tout une notation de l’oral. Elle forme donc les élèves à déchiffrer
le code graphophonologique, en reliant les unités de base de l’écrit, les graphèmes (« f », ou
« ph » par exemple) aux phonèmes ([f]). La démarche utilisée est de partir des plus petites
unités, les lettres, qui forment des syllabes, pour aboutir au mot et enfin à la phrase. Ce
décodage est présenté comme peu coûteux pour la mémoire, le nombre d’associations
possibles entre graphèmes et phonèmes étant limité. Il existe cependant des différences entre
les langues52
. Par exemple, les élèves italiens apprennent plus vite à lire que les français, qui
eux-mêmes sont plus rapide que les britanniques. Ceci tient à la plus grande transparence
entre code écrit et code oral de l’italien par rapport au français, et du français par rapport à
l’anglais. Dans les années 70 cette méthode a été critiquée car elle semblait ne pas former des
lecteurs assez performants. En effet, la centration sur le code évacuait la question du sens. La
compétence en lecture était corrélée à la capacité à lire à haute voix, preuve que l’élève avait
acquis le code de l’écrit. Pourtant, certains enfants étaient capables de lire un texte à haute
voix sans en saisir le sens.
II.1.2. La méthode globale
Apparue donc dans les classes dans les années 70, la voie directe ou méthode par
adressage s’appuie sur les procédures mises en œuvre par les lecteurs experts. Ceux-ci n’ont
pas recours au décodage graphophonologique et associent directement la forme d’un mot à
son sens. Cela laisse à penser que langue écrite et langue orale ne sont pas aussi étroitement
liés qu’il n’y paraît. Le décodage est alors perçu comme un frein à la compréhension. La
démarche utilisée repose donc sur la mémorisation et la discrimination visuelle d’entrées
lexicales. Elle admet que l’apprentissage de l’identification des mots par reconnaissance
orthographique est plus long que la correspondance graphophonologique, mais plus efficace à
terme, développant chez l’élève des stratégies expertes. Sa limite principale serait que la
méthode par reconnaissance des entrées lexicales est trop coûteuse pour la mémoire. Les
enseignants, qui disposent d’une grande marge de manoeuvre, adoptent généralement une
méthode mixte, appelée semi-globale. Elle consiste à commencer par la méthode globale puis
à passer à la méthode phonologique, en instaurant un va-et-vient entre les deux voies. Ceci
permettrait à l’élève une acquisition plus rapide en début d’apprentissage, pour accéder
ensuite à la compréhension du code sans retards. Cependant, c’est la voie indirecte qui est
52
Données rapportées par Liliane Sprenger-Charolles, dans l’article L’apprentissage de la lecture : l’apport des
sciences cognitives. Revue de l’ACFOS : Connaissance surdité, octobre 2002, n°02
mise en avant comme « une étape incontournable de l’apprentissage de la lecture »53
. Les
textes officiels prévoient le glissement progressif de la voie indirecte vers la voie directe, au
fur et à mesure du développement des compétences du jeune lecteur. A un stade intermédiaire
de l’apprentissage, la voie directe permettrait de lire rapidement des mots déjà mémorisés et la
voie syllabique permettrait de lire les mots nouveaux.
II.2. Le cas des sourds : quelle voie d’accès à l’écrit ?
Deux points de vue sont naturellement en confrontation en matière d’acquisition de la
lecture chez les sourds :
Selon le point de vue dominant, les sourds utilisent les mêmes processus que les
personnes entendantes.
Selon un point de vue plus récent, les sourds utilisent des processus qualitativement
différents de ceux des entendants.
Le premier point de vue considère que l’appropriation de l’écrit des élèves sourds doit
se faire par la voie indirecte. C. Romand, orthophoniste, considère que les pré-requis à la
maîtrise de l’écrit sont dans le langage oral. Cette conception a à voir directement avec la
définition du lecteur : selon C. Romand, « être lecteur, c’est acquérir un code écrit et
comprendre le sens du texte que l’on a sous les yeux. Apprendre à lire est une activité
cognitive et linguistique complexe qui repose sur la connaissance d’une langue, la langue
française et s’appuie sur les représentations phonologiques. »54
Des recherches ont été menées
pour valider cette conception. Dans une étude menée en 1993, Leybaert et J. Alegria affirment
que les sourds utilisent des représentations phonologiques dans l’activité de lecture.
Cependant, il est nécessaire de nuancer cette affirmation, car les études ayant été
majoritairement effectuées sur des adolescents et des étudiants, il est difficile de déterminer si
l’encodage phonologique est un pré-requis à l’apprentissage de la lecture ou s’il en est une
conséquence. Une étude américaine de M. Geers et M. Mog’s, datée de 1989, accrédite
également la thèse d’un encodage phonologique. Ces auteurs montrent que les restes auditifs
et la capacité en lecture labiale sont prédictifs de compétences en lecture. Mais cela prouve
seulement que les enfants les moins sourds réussissent à entrer dans l’écrit par cette voie. Les
critiques de cette pédagogie sont les mêmes que celles qui sont faites dans le milieu
entendant : un trop fort accent mis sur la forme au détriment du sens. On peut relever de
53
Observatoire National de la Lecture, rapport de 2000 54
C. Romand, « l’accès à la langue française orale et écrite dans une approche bilingue. Les apports du LPC
pour l’acquisition de la lecture » Enseigner et apprendre en LSF : vers une éducation bilingue, Nouvelle revue de
l’AIS.
fréquents cas de personnes sourdes ayant un bon décodage mais une compréhension très
faible de ce qui est lu. Par contre, cette voie permettrait à l’apprenti lecteur entendant de
mettre du sens sur ce qu’il lit à l’audition de sa propre lecture. Qu’en est-il des sourds, étant
donné qu’ils ne s’entendent pas (ou peu) parler ? L’encodage serait alors davantage
kinesthésique, reposant sur la mémorisation de l’articulation du mot. L’aide du LPC (cf.
définition dans le glossaire) peut se révéler dans ce cas déterminante. A. Vanbrugghe,
professeure des écoles et formatrice au Cnefei, a fait l’expérience de ces lectures oralisées
avec ses élèves sourds, et s’est rendue compte qu’elles n’apportent aucun bénéfice au point de
vue de la compréhension. Il existe donc sans doute d’autres démarches d’encodage.
Le second point de vue, qui a émergé avec la reconnaissance de la LSF dans
l’enseignement, prône donc la voie directe, avec cette différence que l’analyse du texte se fait
dans une autre langue que celle de l’écrit, la langue des signes. Etant donnée la séparation qui
est faite entre code oral et code écrit par cette approche, l’usage d’une autre langue ne pose
aucun problème. Bien au contraire, la prise en compte d’une première langue change le
rapport à l’enseignement. On considère que les erreurs des sourds ne résultent pas seulement
de l’ignorance, mais qu’elles possèdent une motivation linguistique : « Ayant constaté la
permanence d’un certain type de difficultés spécifiques dans les productions écrites des élèves
sourds, telles que des contresens dus à une mise en ordre différente des éléments constitutifs
d’une phrase, D. Martenot explique que ces constructions constituent la représentation écrite
d’une suite signée qui vient logiquement se substituer à la démarche qui consiste chez les
entendants à produire la transcription écrite d’une suite audible. » 55
L’encodage utilisé serait
alors de type orthographique, la stratégie du lecteur étant de repérer dans le texte les « noyaux
sémantiques » (radicaux, racines de mots) en les isolant des affixes, pour construire le sens et
le reconstituer en LSF. Plusieurs arguments viennent conforter ce point de vue. Tout d’abord
l’imagerie médicale par tomographie56
ne permet pas d’affirmer qu’il est nécessaire que les
signaux liés à un mot lu visuellement fassent obligatoirement le détour par un codage
phonologique pour qu’on puisse se faire une représentation du sens de ce mot. Les études
portant sur le codage graphophonologique portent en général sur le seul accès au mot. Or les
compétences requises pour une lecture efficace sont complexes : analyse de la syntaxe, de la
structure du texte, mise en relation des différentes phrases entre elles, inférences mentales à
partir des connaissances générales, notamment pour comprendre l’implicite. La voie directe
55
Psychologie de la Surdité, B. Virole, p.422. Passage relevé dans un article du CIS d’Aquitaine : « La voie
lexicale » 56
qui permet d’obtenir des renseignements sur les zones du cerveau qui sont activées lors du processus de lecture
permet cette construction de compétence, grâce aux pré-requis apportés par la langue de
référence. C. Courtin indique que la maîtrise de l’écrit apparaît plus liée à celle de la LSF que
du français oral chez les enfants suivant un enseignement officiellement dit bilingue
(proposant l’enseignement du français dans ses deux modalités). La capacité de lecture est
donc davantage liée à la capacité de comprendre la langue des signes qu’à celle de
comprendre l’oral.
Pour nuancer ces propos, il est à noter que beaucoup de sourds utilisent différents
types d’encodage en même temps. Mais cela est soit une preuve d’une démarche originale
typique des lecteurs sourds, soit le résultat de l’appropriation des techniques d’enseignement
de l’écrit. C. Courtin propose comme solution une éventuelle familiarisation de l’enfant au
codage phonologique, une fois le codage par la voie directe mis en place. Mettre en sa
possession les deux méthodes lui permet ainsi de choisir lui-même celle qui lui convient le
mieux. Dans le même ordre d’idée, selon A. Vanbrugghe, les deux méthodes suivies à
l’extrême sont des écueils. La voie strictement phonologique insiste trop sur la forme au
détriment du sens, et est longue et laborieuse. La voie strictement idéo-visuelle (méthode
directe) priverait l’enfant d’un savoir minimal sur le système d’écriture alphabétique
initialement fondé sur le transcodage systématique des sons de la langue. La personne sourde
souhaitant développer ses compétences à l’oral, ne pourrait donc pas s’aider de l’écrit pour y
parvenir. Compte tenu du peu de connaissances sur la manière dont l’enfant sourd apprend à
lire, il est important d’appliquer un processus de précaution, en ne négligeant aucune piste.
III. LE RAPPORT A L’ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS
LANGUE ETRANGERE (FLE)
III.1. Fondements d’un rapprochement du public FLE et du public sourd
signant
Le rapprochement peut se faire à plusieurs niveaux : les deux publics considérés ont
une autre langue de référence que le français et appartiennent à une communauté propre.
Donc comme pour le public non francophone, le statut de la langue cible des sourds est le
FLE ou le FLS et va s'enseigner comme tel. De plus, dans les deux cas, la langue source (la
langue maternelle ou première) constitue une référence pour les nouvelles acquisitions.
Cependant, la première langue des sourds va être systématiquement utilisée dans
l’enseignement du français écrit, ce qui n’est pas le cas des apprenants entendants non
francophones. Les recherches menées par Colette Dubuisson (1998) tentent de faire un
rapprochement entre les deux publics57
sur la base d’une typologie d’erreurs. En effet, les
régularités observées dans les erreurs des écrits des personnes sourdes sont très proches de
celles relevées chez les apprenants entendants : omission, ajout non nécessaire ou mauvais
choix de mots outils58
, omission d’auxiliaires, erreur de genre, erreur dans le choix de la
catégorie grammaticale des mots, etc. La raison tient probablement à l’influence d’une langue
source (la LS pour les sourds) dans la production d’écrits, mais pas seulement. Il s’est avéré
que certaines erreurs typiques se retrouvent également dans les écrits de sourds oralistes,
telles que des confusions sur le temps du verbe ; des erreurs dans l’ordre des mots, ou une
redondance lexicale. Certaines erreurs observées tiendraient donc à la spécificité de la surdité.
III.2. Les caractéristiques de la didactique du FLE
La méthodologie ici décrite correspond aux principes de l’approche communicative,
apparue dans les années 70. Cette méthode cherche à enseigner une langue étrangère en
situation de communication naturelle. Elle repose sur une analyse préalable des besoins
langagiers de l’apprenant, et pose sa progression en matière d’objectifs fonctionnels (« donner
un ordre » par exemple) Les objectifs linguistiques sont alors les différents éléments de la
langue qu’il faut maîtriser pour réaliser l’objectif fonctionnel (l’impératif ou l’infinitif par
exemple, dans le cas de l’ordre)
L’enseignement de la grammaire : la méthodologie employée est une démarche
inductive. Celle-ci demande tout d’abord à l’apprenant d’observer des régularités dans un
corpus, d’en faire une analyse, puis de trouver la règle. Viennent ensuite les exercices
d’application, de systématisation. C’est donc l’élève, guidé par l’enseignant, qui découvre les
règles de la langue qu’il apprend. Cette démarche est à priori plus intéressante et plus
motivante pour l’apprenant.
Rôle et statut des acteurs de l’apprentissage : l’enseignant a un rôle de guide dans
l’apprentissage. Il tente notamment de faire prendre conscience à l’élève de ses propres
stratégies d’apprentissage, l’incite à réfléchir sur leur efficacité et à les optimiser. Le but est
que l’apprenant soit l’acteur de son apprentissage, qu’il soit capable de réfléchir à la manière
dont il apprend, et qu’il soit capable de s’auto évaluer. Il doit notamment être en mesure de
57
Le public sourd considéré ayant la LSF pour langue source. Les sourds oralisant ne sont pas concernés par ce
rapprochement. 58
Comme les prépositions, les déterminants ou les pronoms relatifs.
cerner ses lacunes, ses difficultés, et demander à l’enseignant de proposer des activités lui
permettant de les combler.
Le statut de l’écrit dans cette approche : les premières méthodes communicatives
étaient principalement centrées sur l’oral. L’écrit n’était alors qu’un support de l’oral et était
utilisé pour les exercices de grammaire. Mais les méthodes plus récentes ont pris conscience
de l’importance de l’écrit communicatif. Il existe en effet de nombreuses situations où l’on se
sert de l’écrit pour communiquer. L’essor de l’Internet accentue cette importance. (E-mails,
messagerie instantanée…) Ces méthodes ont donc inclu des activités prenant en compte cette
dimension communicative de l’écrit.
III.3. Les adaptations au contexte de la surdité
III.3.1. Principes permettant d’influencer positivement l’enseignement du
français pour les sourds
L’analyse des besoins telle qu’elle est menée par l’approche communicative est à mon
sens le préalable indispensable à la construction d’une pédagogie raisonnée réellement centrée
sur l’apprenant sourd. La réalisation des objectifs ainsi déterminés lui donne des compétences
directement utilisables. De plus, l’utilisation de supports authentiques ou semi-authentiques
fait apparaître la langue dans de réelles situations de communications et lui confère un
ancrage réaliste. Enfin, la mise en place de stratégies d’apprentissage, de l’auto évaluation et
de la démarche inductive permettent de responsabiliser l’apprenant, qui prend en charge sa
progression. La prise en compte de l’écrit par la méthode communicative est un fondement
supplémentaire à une possible adaptation. En analysant les situations requérant l’utilisation du
français écrit chez les sourds, on constate qu’elles sont nombreuses et variées : dans sa vie
quotidienne l’adulte sourd a par exemple besoin de savoir prendre un rendez-vous, de lire des
modes d’emploi, de rédiger une lettre, de chercher des informations sur Internet, de lire et
signer des contrats, d’accéder à l’information par le biais des journaux, d’Internet et des sous-
titrages à la télévision, de s’exprimer par écrit sur les services de messagerie d’Internet. Deux
types d’écrits sont alors à considérer :
les écrits à but communicatif59
, dont l’usage est aujourd’hui quotidien grâce à Internet.
Pour ce type d’écrit, les situations de communication sont très proches de celles que
l’on trouve dans des manuels de FLE. On peut transposer presque tous les objectifs
59
J’entends par communicatifs les écrits tels que courrier postal, courrier électronique et les services de
messagerie instantanée comme ICQ ou MSN messenger.
fonctionnels de ces méthodes : se présenter, demander un conseil, un renseignement,
parler de soi, informer…
les écrits non directement communicatifs : les textes littéraires, les écrits fonctionnels
(modes d’emplois, formulaires administratifs, pancartes) et les écrits à visée
informative, comme les articles de journaux. La méthodologie du FLE présentant des
écrits diversifiés, elle peut être à même de faire reconnaître aux apprenants leurs
formes, fonctions et normes. Cette connaissance des différentes formes textuelles
permet à l’apprenant d’anticiper le contenu d’un texte.
III.3.2. Pour une utilisation du matériel pédagogique ?
Il est sans doutes possible de rendre exploitables et cohérentes les ressources du FLE
avec des élèves sourds.
Les manuels de FLE : les manuels présentent l’avantage d’une longue expérience
méthodologique et d’une grande richesse dans la diversité des documents proposés et des
situations d’apprentissage, sans compter sur un large choix en matière de niveau et d’âge du
public. Bien utilisé, le manuel de FLE pourrait apporter une première base de travail autour
duquel viendraient se greffer d’autres activités et d’autres supports prenant davantage en
compte la spécificité du public. En effet, la méthodologie reposera avant tout sur les principes
de la pédagogie bilingue LSF/français écrit. Il faudra analyser les textes en les comparant avec
la LSF, prendre en compte les difficultés récurrentes des sourds pour les prévenir et introduire
des thèmes autour de la vie quotidienne des sourds. Bien sûr les activités d’écoutes
notamment doivent faire l’objet d’adaptation. Elles peuvent être remplacées par la
présentation aux élèves de la transcription des dialogues en français écrit. Cela présente
l’avantage d’apporter ce à quoi les sourds sont le moins exposés, le français oral60
. Ces
dialogues peuvent donc servir de base à une réflexion sur les différences d’expression dans les
deux modalités. Par exemple, un ton ascendant à l’oral, transcrit par un point d’interrogation,
suffit à exprimer le questionnement, tandis qu’à l’écrit il faut passer par une inversion du sujet
et du verbe. Ce travail sur les transcriptions de l’oral permet également de travailler sur la
diversité des formes linguistiques correspondant au même objectif fonctionnel (par exemple
un employé qui demande des informations à un usager/client). La traduction et la mise en
scène des divers dialogues permettent de travailler en LSF sur les différents langages
60
Il faudra donc veiller à la qualité de ces dialogues, certains manquant de réalisme.
possibles. Par exemple, un langage administratif, précis et concis, par rapport à un langage
commercial, nécessitant de nombreuses formules de respect et de politesse.
Les ressources multimédia : l’informatique, s’il est utilisé à bon escient peut constituer
un excellent complément de matériel éducatif pour les Sourds. Il permet le travail en
autonomie, responsabilise l’apprenant, et limite le stress face à l’erreur. Les NTIC61
présentent une grande palette d’activités exploitées par la didactique du FLE. Beaucoup de
pistes nous sont offertes pour exploiter cet outil, en fonction du niveau et des objectifs de
l’apprenant. Internet a en fait deux utilisations possibles : source d’information et moyen de
communication. Les services de messagerie sont parfois utilisés par les enseignants pour faire
correspondre leurs élèves avec une classe étrangère parlant la langue cible. Cette utilisation de
l’écrit en communication est exploitable avec le public sourd, mais elle doit faire l’objet d’un
projet de communication, pour ne pas rendre l’activité artificielle. Internet en tant que source
d’information présente l’intérêt de développer des stratégies de lectures efficaces. En effet la
lecture n’est pas linéaire sur Internet, elle repose sur le repérage d’indices. Des recherches
guidées sur Internet permettent à l’élève de développer de bonnes compétences, sachant que
la maîtrise de l’outil informatique est aujourd’hui un préalable à de nombreuses professions.
La didactique du français pour les sourds souffrant d’une carence en matériel
pédagogique, il semblerait judicieux de s’intéresser à ce qui existe dans des domaines
d’apprentissages relativement proches. Sans constituer une solution, ce matériel peut,
moyennant des adaptations nécessaires et beaucoup d’imagination, constituer une base de
travail et de progression62
. Les ressources du FLE me semblent plus directement exploitables
par un public adulte, en alphabétisation. Cependant, dans le cadre scolaire, certaines
compétences n’entrent pas dans le domaine d’action du FLE, à l’instar de la découverte de
textes littéraires et leur analyse avec un métalangage précis, en adéquation avec le
programme.
61
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication 62
Pour un exemple pratique d’une possible adaptation, cf. l’annexe 7.
DEUXIEME PARTIE
RAPPORT DE STAGE
INTRODUCTION : PRESENTATION DU CENTRE........................p.54
I. NOM ET STATUT.........................................................................................................p.54
II. POPULATION D’ELEVES AU SEIN DU CENTRE ET EN INTEGRATION.....p.54
III. EQUIPE PEDAGOGIQUE, PROFIL DES ENSEIGNANTS.................................p.55
LE STAGE : ORGANISATION ET ACTIVITES...............................p.57
I. LA PHASE D’OBSERVATION...................................................................................p.57
I.1. Les SEGAPP ..........................................................................................................p.57
I.2. Les maternelles .......................................................................................................p.59
I.3. Les primaires ..........................................................................................................p.62
I.4. Conclusions de l’observation .................................................................................p.71
II. INTERVENTION DANS LA CLASSE : ACTION ET ANALYSE........................p.72
II.1 Séquence de lecture ................................................................................................p.72
II.2 Enseignement de la grammaire...............................................................................p.79
II.2.1. Réflexions autour du verbe : Une séance ...............................................p.79
II.2.2. Vocabulaire grammatical: deux séances sur ce thème............................p.80
II.2.3. Les groupes verbaux .............................................................................p.81
II.2.4. Bilan sur la grammaire ...........................................................................p.81
CONCLUSION : QUESTIONS SOULEVEES PAR LA PRATIQUE... p.83
INTRODUCTION : PRESENTATION DU CENTRE
Ce stage s’inscrit dans le cadre du master1 FLE parcours LSF. Il s’agit d’un stage
obligatoire comportant une partie d’observation de classe et une partie de pratique
pédagogique. Il s’est déroulé au centre de la Ressource, à Sainte-Marie de l’Ile de la Réunion,
du 22 août au 16 décembre. Mon responsable pédagogique était M. Jean-François Gianni,
responsable pédagogique de la partie déficients auditifs (DA) du centre.
I. NOM ET STATUT
Le Centre de la Ressource dépend de l’Association de Patronage de l'Institut des
Jeunes Sourds et Aveugles de Marseille, l’IRSAM. Cette association, constituée en 1923 et
domiciliée à Marseille, gère actuellement 11 établissements en métropole et sur l'Ile de la
Réunion. Son but est de « promouvoir et faciliter l’instruction intellectuelle et professionnelle
ainsi que l’éducation des personnes déficientes sensorielles ».
Le Centre de la Ressource a été créé en 1956, et a été dirigé une longue période par
une congrégation religieuse originaire de Marseille. La direction laïque n’a été mise en place
que depuis 1999, date à laquelle le centre a vu son statut passer de « Institution-école » à
établissement médico-social.
II. POPULATION D’ELEVES AU SEIN DU CENTRE ET EN
INTEGRATION
Le centre de la Ressource ne s’occupe pas de la scolarité de tous les élèves sourds de
l’Ile. Elle a à sa charge 95 élèves, répartis sur deux antennes. L’antenne Nord correspond au
centre où j’ai effectué mon stage. Elle gère une soixantaine d'élèves en internat et semi
internat. Cet établissement accueille les élèves qui ne peuvent, momentanément ou
durablement, être en intégration dans le milieu scolaire ordinaire. Les raisons en sont
variables. Elles sont le plus souvent liées à un ensemble de difficultés très diverses, telles que
pathologie surajoutée, retards mentaux modérés ou importants, problèmes psychologiques ou
psychiatriques et problèmes sociaux de différentes intensités. Environ 40% des élèves
déficients auditifs de l’établissement ont au moins un handicap ajouté à la surdité. Certains
élèves sont dans ce centre pour des raisons géographiques, faute de pouvoir être accueillis
dans un autre établissement proche de leur domicile. Enfin certains parents sourds ont fait le
choix d’y scolariser leur enfant, préférant cette situation à celle de l’intégration en milieu
ordinaire. Ce centre accueille également des enfants scolarisés tardivement (parfois après 10
ans), venant principalement de l’Ile Mayotte, qui est dépourvue de structures spécialisées pour
les sourds.
Les élèves sont répartis comme suit :
14 élèves en maternelle, dont 9 avec un potentiel normal et 5 avec des difficultés.
30 en primaire, dont 22 en difficulté.
17 en SEGAPP (Section d’Enseignement Général Adapté au Projet Professionnel,
équivalent des sections SEGPA de l’éducation nationale)
7 élèves sont scolarisés en intégration en maternelle (école du Port) pour des raisons
géographiques.
La trentaine d’élèves dépendant de l'antenne sud est scolarisée en milieu ordinaire, et
bénéficie d’un accompagnement SSEFIS (Service de Soutien à l’Education Familiale et à
l’Intégration Scolaire) dispensé par les enseignants de la Ressource.
III. EQUIPE PEDAGOGIQUE ET PROFIL DES
ENSEIGNANTS
Chaque enfant fait l'objet d'un projet individualisé (PI), c'est à dire qu’une équipe
évalue ses besoins, ses capacités et les objectifs à réaliser pour son éducation. C'est une
équipe pluridisciplinaire qui se charge d'élaborer le PI lors de "synthèses", qui ont lieu en
général une fois par an. Elle est composé d'une équipe médicale et paramédicale ( Pédiatre,
ORL, Psychologue, Audio prothésiste, orthophoniste), d'une assistante sociale, du responsable
pédagogique, des éducateurs et du ou des enseignants qui ont en charge l'élève.
La prise en charge des enfants se définit selon trois axes, l'axe pédagogique, qui
concerne les apprentissages scolaires traditionnels et les apprentissages spécifiques à la
déficience (perception et communication). L’axe éducatif, qui vise une insertion scolaire,
sociale et familiale reposant sur les notions de responsabilité, d’autonomie et
d’épanouissement de soi. Enfin l'axe thérapeutique, qui concerne la surveillance médicale du
handicap et l’optimisation des potentiels sensoriels.
En ce qui concerne l'équipe pédagogique, tous les enseignants du centre sont titulaires
du CAPEJS (Certificat d'Aptitude Professionnelle à l'Enseignement auprès des Jeunes
Sourds). Il s’agit du diplôme dépendant du ministère de la santé et délivré à Chambéry. Ce
diplôme donne la double compétence de rééducation orthophonique et d'enseignement, de la
maternelle au secondaire et ce dans toutes les matières.
LE STAGE : ORGANISATION ET ACTIVITES
M. Gianni, mon responsable, m’a laissé toute liberté de choix dans mes activités. Des
réunions régulières avec lui me permettaient de discuter de mes observations et de l'informer
de mes projets.
J'ai décidé d'organiser mon stage en deux temps. D’abord une première période
d'observation, d'un mois et demi, pour me rendre compte d'un maximum de situations
d'enseignement différentes. Je suis passée dans presque toutes les classes, à raison d'une
semaine ou deux par classe ou par enseignant. Puis une deuxième phase, de deux mois, où j'ai
travaillé en binôme avec un enseignant pendant toutes les leçons de français.
I. LA PHASE D’OBSERVATION
I.1. Les SEGAPP
J’ai tout d’abord passé deux semaines dans la section SEGAPP, qui correspond à un
cycle secondaire, adapté aux élèves en grande difficulté scolaire.
Il y a quatre classes, 6ème
, 5ème
, 4/3ème
, et 4ème
B. La 4ème
B est une classe un peu à part,
regroupant trois élèves de environ 16/17 ans, mahoraises, scolarisées tardivement. Leurs
professeurs tentent de leur donner une autonomie, en leur faisant suivre des enseignements
très concrets, comme des cours de cuisine ou d’entretien du linge… Elles apprennent à lire en
cours de français, où elles doivent surtout apprendre et mémoriser du vocabulaire de base,
mais aussi en cours de cuisine, avec des pictogrammes, où le but est de les rendre autonomes
face à une recette de cuisine. La méthode consiste à partir de l’objet concret, à l’associer à une
photo de l’objet puis à une représentation symbolique (le pictogramme). Les recettes sont
faites d’abord en pictogrammes, puis en français, et toujours accompagnées de dessins, ou
chaque ingrédient à une couleur propre. La méthode est efficace, car les élèves savent refaire
ces recettes seules, en classe comme à la maison. Mais leur compétence se limite pour
l’instant à ce seul domaine culinaire.
Pour les autres classes, la section SEGAPP a pour but de dispenser les connaissances
de base et de préparer l'élève à sa future formation professionnelle en apprentissage en CFA.
La classe de 3ème prépare au Certificat de Formation Générale (CFG), comprenant une
épreuve écrite de français et maths, et un entretien oral. Une partie des enseignements
dispensés sont traditionnels, et une autre est davantage adaptée au thème de l’insertion
professionnelle.
Les enseignements généraux sont les mathématiques (5h), le français (5h), l’anglais
(1h), la LSF (1h), l’éducation civique (1h), l’« éveil » (2h) (SVT, histoire, géographie), le
dessin (1h) et l’EPS (2h). Le programme qui est appliqué dépend de l’enseignant et de ses
objectifs. La professeure de mathématiques insiste par exemple sur l’importance d’appliquer
le même programme que celui de l’éducation nationale, même si c’est difficile, tandis que le
professeur d’histoire et géographie base ses leçons sur la Réunion et la France, pensant
préférable d’adapter l’enseignement à la vie quotidienne des élèves, pour plus d’intérêt et de
compréhension. Cet enseignement est majoritairement très concret, présentant l’avantage de
ne pas mettre les élèves en situation d’échec, ce qui est important compte tenu de leur passé
scolaire parfois difficile. Mais il repose beaucoup sur des automatismes et peu sur une réelle
réflexion de l’élève. Par exemple, dans le cours de français, les notions sont très simplifiées,
et les exercices basés sur des reprises de modèle (par exemple des transformations de
phrases). A l’évaluation, la compréhension n’est que rarement vérifiée, la forme des phrases
étant souvent bonne. La conscience grammaticale des élèves est également très faible. Par
exemple, les élèves de 5ème
ne repèrent pas le verbe dans une phrase simple alors qu’ ils
connaissent plutôt bien la conjugaison de ces mêmes verbes.
En ce qui concerne les enseignements adaptés à la vie professionnelle, les élèves ont
deux heures d’Itinéraire De Découverte (IDD) par semaine. Il s’agit d’une pédagogie de
projet où les élèves des différentes classes se répartissent dans deux groupes. Chaque groupe
choisi un thème, effectue des activités de recherche documentaire et prépare un projet qu’il
présentera à l’école à la fin de l’année. Les élèves ont également une heure de Projet
Professionnel (PP), dont le but est l’aide à la recherche de stage et la préparation du dossier à
présenter au CFG pour les troisièmes. Ils ont enfin deux heures de technologie, où les activités
manuelles sont privilégiées par rapport à la théorie, toujours dans le but de favoriser la
motivation et la compréhension. Les élèves de troisième ont en outre dix stages d’une semaine
à réaliser au cours de l’année, dont le but est de déboucher sur un contrat d’apprentissage avec
l’entreprise en question.
La communication mise en place dépend également de chaque professeur. Il y a un
enseignant sourd, s’exprimant en LSF, qui se charge des cours de LSF et de technologie. Tous
les autres sont entendants, et s'expriment en français signé et à l’oral. Leur but est de s’adapter
à tous les élèves, certains étant plus dans l’oral et d’autres dans la langue des signes. Certains
des enseignants sont très communicatifs et se font bien comprendre de leurs élèves. D’autres
avouent ne pas être très forts en langue des signes, et font ce qu’ils peuvent : ils ponctuent de
signes ce qu’ils disent à l’oral. Le niveau faible en langue des signes des enseignants conduit
lui aussi inévitablement à une simplification des notions, faute de pouvoir les expliquer
finement dans la langue des élèves.
Dans le cours de français, les élèves répondent le plus souvent en français signé et à l’oral,
pour coller au français. Dans le cas de l’oral, l’inconvénient est qu’il enlève toute dynamique
de classe. Les élèves ne profitent pas des réponses de leurs camarades, et ils répondent
souvent en même temps.
La préparation professionnelle est de qualité à mon sens, concrète et dispensée par des
enseignants dynamiques et motivés. Par contre les enseignements fondamentaux ne me
paraissent pas tous très adaptés au niveau et aux besoins réels des élèves. Ils restent très
traditionnels dans leur application alors qu’il y a une réelle recherche à effectuer à ce niveau-
là, pour qu’ils soient réellement utiles aux élèves. Mon impression est que les enseignants
comme les élèves se rassurent en faisant les mêmes types d’activités que dans le milieu
ordinaire. Une analyse préalable des objectifs en matière de compétences des élèves
permettrait sans doutes d’élaborer un programme et des activités réellement adaptés à leurs
besoins. Il est à noter que beaucoup des enseignants avec qui j’ai discuté se montrent
insatisfaits du niveau de leurs élèves, et disent manquer de formation, de moyens et
d’information.
I.2. Les maternelles
Je suis passée ensuite à la section maternelle. L'équipe est composée de deux
enseignantes ayant en charge chacune une classe, d’un enseignant sourd de LSF, d’une
éducatrice spécialisée sourde, d’une professeure de dessin et de deux aides Médico-
pédagogique. Si chaque élève a son enseignante référente, il côtoie de nombreux intervenants
au cours de sa journée. Les deux classes sont très différentes, à la fois par rapport au public et
par rapport à la manière dont l'enseignement est dispensé.
La première classe regroupe des enfants à handicap associé, la plupart du temps en
cours de diagnostic. Deux enfants présentent des troubles autistiques, les trois autres sont
supposés en retard mental léger. La communication dans cette classe se fait en français signé
et à l’oral, parfois seulement à l'oral, et quelques éléments de LPC. L'usage des pictogrammes
est systématisé comme mode d'entrée dans l'écrit (les noms, les moments de la journée et de la
semaine par exemple). Les apprentissages sont individualisés, compte tenu des faibles
capacités d’attention des enfants. Il n’y a pas de cours de LSF, mais il y a plus de personnel
présent pour accompagner les enfants.
C’est la seconde classe que j’ai le plus observée. Elle compte 8 enfants, dont 3 de
parents sourds, et seulement une fille. Les activités de groupes sont possibles par rapport à
l’autre classe, mais elles n’en demeurent pas moins difficiles. La capacité de concentration
des enfants est très faible. Ils ont du mal à rester assis à leur table. L’enseignante doit
dépenser beaucoup d’énergie à capter le regard de tous pour une activité. Il faut sans arrêt
jongler entre celui qui joue dans son coin, celui qui se lève en pleine activité, et deux autres
qui se disputent. Elle doit également proposer des activités très courtes, et en changer
rapidement. Mais ces difficultés tendent à s’amenuiser au cours de l’année.
L’oralisation des enfants faisant partie du projet éducatif de l’école, l’enseignante doit
chaque matin vérifier qu’ils portent bien leurs appareils auditifs, et qu’ils fonctionnent. Un
audioprothésiste passe régulièrement pour prendre connaissance d’éventuels problèmes et
veiller au suivi des enfants. L’orthophoniste suit chaque élève individuellement environ une
heure par semaine sur le temps scolaire, et l’enseignante de l’autre classe prend en charge le
groupe pour le travail en langue orale. Si l’orthophonie vise un travail sur les techniques
d’articulation des phonèmes que l’enfant doit acquérir, la langue orale a une approche plus
communicative, et cherche à faire utiliser les mots appris au moyen d’activités ludiques.
Certains enfants apprécient ce genre d’activité et font des progrès, tandis que d’autres s’en
désintéressent complètement. Par ailleurs, la communication mise en place dans cette classe
se fait en LSF. L'une des priorités est de faire émerger une communication signée de qualité,
en proposant énormément d'activités permettant aux enfants de raconter des choses. Un thème
différent est choisi chaque mois par l’enseignante, et suivi en parallèle par le prof de LSF.
Durant la période où j’étais présente dans cette classe, le thème choisi était l’école. Les
objectifs visés étaient l’acquisition du vocabulaire lié à l’école, l’appropriation des moments
de la journée, de la semaine, ainsi que des éléments du règlement scolaire. Pour servir de
support au discours des enfants, l’enseignante utilise beaucoup d’images. Dans le thème de
l’école, il s’agissait de scènes de la vie quotidienne des enfants (le réveil, la toilette, le jeu,
l’école, …) Ces images font l’objet de commentaires, de mime, et de jeux divers (par exemple
remettre les images d’une journée dans l’ordre). Le matin, elle utilise un support imagé pour
leur faire raconter leurs journées du week-end, en leur demandant notamment si ils ont fait
comme l’enfant qui est sur l’image. Les enfant désignent telle ou telle activité que
l’enseignante formule en LSF. Sans ce support, les enfants s’expriment peu sur ce qu’ils font
à la maison.
La mise en place des repères temporels étant réputée difficile chez les jeunes sourds, la
première activité de la matinée est consacrée au calendrier. Dans un premier temps, en
groupe, les enfants doivent poser des étiquettes où sont inscrits les mots « hier »,
« aujourd’hui » et « demain » sur une bande de papier affichée au tableau présentant les sept
jours de la semaine. Puis ils doivent faire l’exercice inverse, c’est-à-dire placer l’étiquette du
jour de la semaine sur une bande de papier où figurent les mots « hier », « aujourd’hui » et
« demain ». Ensuite, au niveau individuel, les élèves disposent d’un calendrier collé sur leur
table, et d’un agenda sur lesquels ils doivent rayer les jours accomplis et entourer le bon jour.
Durant ma présence, l’enseignante a également travaillé sur des contraires, comme
garçon/fille, sur/sous, lourd/léger, ainsi que sur les couleurs. Chaque concept est expliqué en
langue des signes à l’aide d’exemples concrets, et au cours d’activités variées et progressives,
les enfants intériorisent à la fois le signe, le mot écrit et le mot épelé en dactylologie. En
dehors de la nécessité de développer la communication chez les élèves, les activités sont
similaires à celles de n’importe quelle classe maternelle, avec des dessins à colorier selon des
consignes, des lignes d’écriture… L’enseignante propose également des activités de
reconnaissance de mots, afin d’habituer les élèves à correctement utiliser leur regard pour
repérer les lettres. Elle présente des couples de mots se ressemblant, mais dont un seul est
connu des élèves. Ceux-ci doivent entourer le mot dont le sens leur a été donné. Ils répondent
majoritairement au hasard. Nous nous sommes rendu compte que le même type d’exercice
avec des images est tout aussi difficiles (les lotos par exemple), un réel travail sur le regard et
les stratégies de reconnaissances de lettres ou d’images est à réaliser.
La sensibilisation à la lecture fait également partie des priorités. A la bibliothèque de l’école,
l’enseignante présente des livres à ses élèves, leur lit des histoires, et leur laisse un temps de
lecture individuel. En classe, elle leur montre les mots qu’ils connaissent, leur fait mimer des
scènes, leur pose des questions à propos des images.
I.3. Les primaires
Il y a six classes de primaire réparties comme suit :
un « CP adapté »
un CP2/CE1, avec des enfants progressant bien, pour qui on forme un projet de
scolarité ordinaire
un CE1/CE2 ; une « classe adaptée », avec des enfants en grande difficulté avec le
français
un CM/CM2
une classe regroupant des enfants présentant des handicaps associés (troubles mentaux
et moteurs).
Je n’ai pu visiter que quatre de ces six classes, par manque de temps. Le CP adapté et les HA
(Handicap Associés) ne seront donc pas décrits.
Les élèves du CP2/CE1 ont entre 7 et 8 ans. Les plus jeunes sont en deuxième année
de CP, les autres en CE1. Ils sont vifs et curieux, ont un bon niveau en langue des signes ainsi
qu’à l’oral. Ce profil d’élève se faisant rare dans cet établissement, l’enseignante se dit
chanceuse, et pense ne plus avoir ce genre d’élèves par la suite. Il est vrai que ce profil
d’élèves est aujourd’hui majoritairement intégré en milieu ordinaire, conformément aux
directives de l’éducation nationale. L’enseignante propose chaque journée de nombreuses
activités, chacune n’excédant pas trois quarts d’heure. Elle veille également à alterner les
phases oral/écrit, statique/debout, et tente d’apporter un côté ludique à chaque fois que c’est
possible : le recours au mime, au dessin, ainsi qu’à des mini compétitions entre élèves est très
fréquent. Tout cela favorise efficacement la motivation. C’est une enseignante très dynamique
qui pousse réellement ses élèves vers l‘avant. Elle est en outre exigeante avec ses élèves du
point de vue de l’oral, (moins pour un des enfants qui est de parents sourds), car elle considère
qu’ils ont des possibilités pour parler. Les activités se font donc en français signé, avec un
recours au mime fréquent, et à l’oral. Un exercice de lecture se fera dans les deux modalités :
d’abord en « signes » pour la compréhension, puis à l’oral, où les enfants doivent prononcer
les phrases chacun leur tour. L’enseignante, consciente de son niveau de langue des signes,
regrette que les textes vus en classe ne soient pas repris par le professeur de LSF, pour un
travail plus fin sur la langue. Comme pour les maternelles, c’est l’enseignante qui se charge
de l’apprentissage de la langue orale, tandis que l’orthophoniste prend chaque élève
individuellement au cours de la semaine. C’est une méthode de FLE, Alex et Zoé, qui a été
choisie comme support à la langue orale. Le but est de faire parler les enfants en
communication, principalement autour de questions comme « comment tu t’appelles ? », « Où
habites-tu ? » Compte tenu d’un apprentissage de la langue orale relativement efficace, il est
intéressant de se demander quel impact ces acquis ont sur la production en français écrit.
Quatre des enfants sur les cinq prononcent ce qu’ils lisent, et articulent les mots avant de les
écrire. Ils s’aident donc manifestement de l’oral, bien qu’ils utilisent les signes pour
s’exprimer entre eux. Avec leur enseignante, ils s’expriment en signes, mais le plus souvent
en y mettant la voix, parfois uniquement à l’oral. Un des enfants s’exprime d’avantage à l’oral
spontanément. Une autre élève ne parle presque pas, et lit en transcrivant chaque mot en
signe. Sa stratégie est tout aussi efficace, son niveau étant similaire à celui de ses camarades.
L’enseignante n’interférant pas dans ces stratégies, on peut donc constater que des enfants
suivant le même enseignement utilisent différemment les moyens de communication mis à
leur disposition, avec des résultats également satisfaisants.
La classe de CE1/CE2 est composée de quatre élèves de 11 ans en moyenne, et
rejoints par deux élèves de deux autres classes, une pour le français, et l’autre pour les
activités de maths, éveil et langue orale. Un des élèves quitte la classe pour les activités de
maths, qu’il suit avec la classe décrite précédemment.
Les élèves participent beaucoup, mais répondent souvent au hasard. Ils ne restent pas
concentrés très longtemps, et sont peu autonomes. Dans cette classe le travail sur l’oral a
également une place importante. L’enseignante s’exprime parfois en LSF, mais le plus
souvent en français signé et à la voix. Elle utilise aussi beaucoup le LPC. Le travail de la
langue orale se fait également avec la méthode Alex et Zoé et repose beaucoup sur le
questionnement. Mais la compréhension des élèves en lecture labiale est parcellaire, ils
répondent souvent à côté. En ce qui concerne le français écrit, les activités sont sensiblement
les mêmes que celles qu’on trouve en milieu scolaire ordinaire : des exercices de repérage du
verbe, des phrases à reconstituer à partir de mots mélangés, des textes à ponctuer. Les élèves
ne font appel à aucune stratégie pour faire ces exercices, et font davantage confiance au
hasard. Ce type d’exercice nécessitant une conscience grammaticale et donc préalablement
une bonne connaissance de la langue française, on peut facilement expliquer cet échec et le
peu d’intérêt que les élèves y portent. L’exercice de la dictée est souvent utilisé. Il s’agit de
phrases que les élèves ont recopiées la veille dans leur cahier et qu’ils doivent apprendre en
étude. Le jour de la dictée, l’enseignante donne une première fois la phrase en français signé,
puis deux fois en LPC. Ce sont des phrases simples, déclaratives et affirmatives. J’ai
remarqué que les élèves s’aident en prononçant les mots avant de les écrire. Mais seuls ceux
qui ont appris les phrases réussissent l’exercice. La lecture labiale seule ne suffit pas, ces
élèves ont besoin de connaître le mot pour le deviner à l’ouïe ou en lecture labiale.
La classe adaptée accueille des élèves dont on peut difficilement associer un niveau
correspondant aux classes habituelles. Ce sont des enfants en grande difficulté, qui ont de
faibles capacités de concentration et de mémorisation. Ils sont relativement turbulents, une
élève étant particulièrement perturbée, et nécessitent une attention constante. Malgré cela ils
participent beaucoup en classe et font état d’une grande motivation. La pédagogie mise en
place repose sur une méthodologie originale, particulièrement travaillée en amont.
L’apprentissage de la lecture et de l’écriture se fait avec des pictogrammes, et un grand travail
est fait sur l’autonomisation des élèves. Chaque texte à étudier est associé à une image, qui
reprend tous les éléments du texte. Les textes sont toujours courts, trois ou quatre phrases, et
simples. Texte et images sont affichés en grand format au tableau. L’étape préalable à la
lecture du texte est la description de l’image en groupe. Tout le vocabulaire qui en ressort est
inscrit par l’enseignante sur une partie du tableau, sous forme de vignette comprenant à la fois
le pictogramme et le mot. Cette activité terminée, les élèves disposent d’une sorte de
dictionnaire comprenant tout le vocabulaire nécessaire à la compréhension du texte. Il restera
affiché tout le temps de l’étude du texte, qui s’étale sur plusieurs séances. Lorsque cette étude
est terminée, le texte est affiché au mur du fond de la classe, et les pictogrammes sont repris
sur des vignettes consultables en permanence par les enfants. Ces vignettes permettent aux
enfants de reprendre tout le texte en pictogrammes.
Le travail sur la production écrite se fait à partir d’un autre support. Il s’agit de
plusieurs diapositives qui racontent une histoire. La description comprend plusieurs étapes.
Elle se fait tout d’abord en LSF : au premier passage, les enfants racontent toute l’histoire,
avec l’aide de l’enseignante qui pose des questions. Au deuxième passage, ils décrire plus
précisément, diapositive par diapositive. La deuxième étape est la formalisation en français
signé. Chaque enfant s’essaie à construire une phrase. Enfin les élèves passent à tour de rôle
au tableau pour écrire les phrases en pictogrammes. Tout ce travail se fait collectivement.
Pour la partie individuelle de ce travail, les enfants ont des feuilles sur lesquelles figurent les
dessins des diapositives, et les phrases correspondantes. Les enfants doivent écrire les
pictogrammes sous chaque phrase.
Pour entraîner les élèves au travail en autonomie, les enfants ont de très nombreux
mais courts exercices d’entraînement à faire seuls en classe, visant à les faire manipuler le
vocabulaire appris. Reconstitution de mots à partir des lettres, des syllabes, reconstitutions de
phrases,... Une pléthore d’exercices structuraux qui ont pour but de faire manipuler l’élève le
vocabulaire Chaque enfant choisi son activité et travaille seul. Il y a un roulement
régulièrement, et l’enseignante tourne auprès des élèves.
Cette méthode permet aux élèves de mémoriser plus rapidement le vocabulaire, grâce
à l’intermédiaire des pictogrammes. Ils se familiarisent avec l’ordre des mots dans la phrase
française, sans avoir à se poser les problèmes de flexions et d’accords grammaticaux. Mais
elle passe par la nécessité de formaliser les énoncés en français signé, ce qui pose problème
pour la traduction d’expressions, telles que « faire des bulles », ou « prendre son petit
déjeuner ». Comment transcrire ce genre d’expressions en gardant à la fois le caractère
iconique du pictogramme et la structure du français écrit ? Il faut passer par des
approximations. Par exemple, « faire des bulles » a été transcrit par le pictogramme qui
signifie « souffler ». On peut aussi se demander comment seront transcrites des notions plus
abstraites. Certains des pictogrammes reprennent de manière symbolique les signes de la LSF,
et constituent ainsi un bon moyen mnémotechnique. Les mots grammaticaux ne sont
d’ailleurs pas transcrits en pictogrammes et sont placés directement dans la phrase en
pictogramme.
Durant la période où j’ai observé cette classe, je n’ai vu qu’un seul type d’utilisation de la
production écrite en pictogrammes, la description d’image. J’espère que les pictogrammes
permettront aussi à ces élèves de s’exprimer, de faire des petits récits sur leur propre vécu. Un
début de projet de correspondance en pictogramme avec une classe d’une autre école était en
cours.
La classe dans laquelle je suis ensuite restée pour travailler avec l’enseignant, regroupe
deux niveaux :
un niveau appelé « CM Adapté » comprenant 5 élèves de 11ans environ, et qui
intégreront très probablement une structure du type SEGAPP
un niveau CM2 avec deux élèves en redoublement, pour qui on a formé le projet du
collège en milieu ordinaire. L’enseignant que j’ai suivi ne les prend en charge que
pour le français.
Il y a un tronc commun pour les enseignements dispensés. Les deux classes
bénéficient d’un enseignement en commun pour certaines heures de français. Entre eux, les
élèves s'expriment en LSF. Pour communiquer avec leur enseignant, ils utilisent soit l'oral,
soit la LSF, soit les deux modalités. Ils paraissent motivés et dynamiques, mais ils ne
participent que lorsque l’activité est facile. Ils veulent absolument répondre juste, comme s’il
s’agissait d’un jeu. Leur satisfaction d’avoir bien répondu est souvent démesurée, tout comme
leur déception de s’être trompés. La raison de leur erreur ne semble pas les intéresser. Ils ont
d’ailleurs une grande tendance à répondre au hasard. Ils sont de plus très peu autonomes dans
le travail. Ils ont besoin d'être très suivis, très guidés. Ils ont un grand manque de maturité et
de confiance en eux.
L’enseignant s’exprime à la voix et en français signé, ainsi qu’en LPC. Les trois
modalités sont parfois utilisées dans un même énoncé, ce qui conduit parfois à des contres
sens ou des non sens. Le LPC est utilisé soit pour faire prononcer un mot aux élèves, soit pour
coder un mot dont le signe est inconnu de l’enseignant. Les différents codes et langues maniés
sont confondus. Ils ne sont ni nommés, ni comparés. L’utilisation des signes dans la leçon de
français est dédiée à la transcription des mots du français. Par exemple, pour montrer à ses
élèves que le mot guépard n’est pas un verbe, il a transcrit en français signé la
« conjugaison », pour montrer que c’est impossible : « Je guépard, tu guépard, … ». D’abord
cette traduction ne prouve rien sur la nature du mot guépard, mais surtout elle forme un
énoncé correct en langue des signes. (Un pointage vers soi accompagné du signe [guépard] se
traduit par je suis un guépard). Cette démarche donne l’impression que les signes ne sont
qu’une transcription gestuelle du français. Pour s’assurer de la compréhension de ses élèves,
l’enseignant a souvent recours au mime. Il incite ses élèves à mimer les situations décrites en
français, parfois à les dessiner. C’est une bonne stratégie car elle permet de rendre concret ce
qui vient d’être lu. Mais l’utilisation de la langue des signes pourrait être également un bon
moyen de parler du français et de vérifier la compréhension.
Etant restée presque huit semaines dans sa classe, j’ai eu l’occasion de discuter avec
cet enseignant sur ses opinions en matière de pédagogie adaptée aux enfants sourds. Il m’a
expliqué en partie le faible niveau des élèves de primaire et SEGAPP en français par le fait
qu’on leur présente trop de textes, alors qu’ils ne savent même pas construire une phrase. Il
propose donc qu’on ne parte pas du texte dans la leçon de français. Il faut selon lui construire
leur compétence langagière en commençant par le mot, puis les phrases simples, les phrases
complexes, pour enfin aboutit au texte. Cependant, dans sa pédagogie, il utilise des textes,
mais la plupart du temps simplifiés. En ce qui concerne le rôle de la LSF, il considère qu’elle
n’a pas d’utilité pour l’acquisition du français, étant trop différente de la langue cible. Il ne
s’agit donc que d’un outil pour se faire comprendre. De plus, il est parfaitement conscient que
ses élèves ne maîtrisent pas suffisamment le français, mais il tente de leur donner une
conscience grammaticale, car le travail sur la grammaire fait partie du programme. Il a repris
depuis le début de l’année toutes les notions grammaticales de base, en proposant
principalement des exercices structuraux. La structure est vite acquise par imitation, mais au
détriment du sens. Voici un exemple des conséquences sur les élèves de cet apprentissage par
imitation: Lors d’un exercice à trous, il fallait placer le bon verbe, et le conjuguer
correctement. Les élèves ne se sont pas trompés sur l'accord, mais sur le choix du verbe:
Ils sont toujours quelque chose à dire,
Nous allons fiers d'être médecins.
Au final, cet enseignant s’est montré insatisfait. Il a admis volontiers que faire
manipuler aux élèves une langue qu'ils comprennent trop peut n'est pas logique, et pas
satisfaisant, et que la traduction en français signé ne permet pas forcément l'accès au sens,
mais une fois de plus, il ne voit pas en quoi la LSF pourrait aider, étant trop différente de la
langue cible. Je lui ai expliqué mon point de vue, qui est de mettre ces élèves en position de
traducteurs, car ils sont amenés sans arrêt à passer d’une langue à l’autre, et le seront dans leur
vie d'adulte. Pour moi, le français signé est un faux intermédiaire qui ne fait que brouiller la
compréhension, alors que la LSF permet un réel accès au sens. Il m’a alors demandé d’animer
une séance sur le texte « Ma rue », pour avoir une idée d’une utilisation possible de la langue
des signes en cours de français. J’ai animé cette activité avec les deux élèves de CM2.
Voici le texte :
Dans ma rue, je rencontre toujours des gens nouveaux. Je ne connais pas leur nom, mais je
sais qui ils sont et ce qu’ils font : le laveur de carreaux qui porte tout son matériel ; les
facteurs qui vont distribuer le courrier ; le camelot qui a toujours de nombreux lots dans son
parapluie ; la concierge qui est au courant de tout.
C'est un texte qui avait été étudié avant mon arrivée et qui avait fait l'objet d'un
exercice de vocabulaire. Il s'agissait d’un texte à trous reprenant les définitions des différents
métiers présents dans le texte. Lors de la correction, le professeur demandait la traduction des
phrases de l'exercice en français signé. L'exercice ayant plutôt été réussi, on peut penser que
le texte avait été bien compris.
Il s’agit d’un texte très court, qui contient seulement deux phrases, et le vocabulaire est
courant. Il contient cependant quelques difficultés syntaxiques, et a d’ailleurs posé des
problèmes aux élèves. La séance que je devais animer devait uniquement porter sur le sens.
La première chose que j'ai demandé aux deux élèves, à été de lire seules le texte, puis de
m'expliquer en LSF ce qu'elles avaient compris. J'avais caché le texte, ce qui les a fortement
perturbées. Il fallait qu’elles disent de mémoire ce qu'elles avaient retenu du texte. Une des
élèves a placé la rue avec des personnes, mais rien d'autre. J'ai ensuite posé des questions sur
le titre: à qui correspond le mot "ma", que veut dire "ma rue". On a donc dégagé le sens
général: une personne qui décrit sa rue, les personnes qu'elle y croise. Ensuite j'ai demandé un
travail plus précis, en reprenant chaque phrase. J'ai donc redécouvert le texte. J’ai demandé
aux filles de m'expliquer la première phrase et elles se sont empressées de la transposer en
français signé. J'ai du d'abord expliquer que je ne voulais pas d'une transposition mot à signe,
mais des explications du texte dans leur langue. Se détacher du texte de cette manière est pour
elles très perturbant, elles n'en ont pas l'habitude. Après une série de questions, je leur ai
demandé si elles avaient compris, et de me réexpliquer cette phrase en LSF. Karine, de
parents sourds, a bien traduit, mais Johana, qui a beaucoup de mal à se détacher des mots, est
restée très proche du français signé.
Pour la deuxième phrase, j’ai fait apparaître la structure en entourant les mots de liaison et la
ponctuation. Il y a trois propositions et une énumération de quatre exemples. Je leur ai
demandé d'expliquer morceau par morceau. Le travail s’effectuait en soulignant, en faisant
des flèches pour les pronoms et ce à quoi ils renvoient. On travaillait à chaque fois par toutes
petites étapes, car leurs réponses sont toujours très courtes, et elles ne vont jamais plus loin
que ce qui est demandé. Je dois souvent reformuler ce qu'elles disent, pour compléter.
Voici un extrait des questions/réponse que j’ai relevées, à titre d’exemple: (les mots entre
crochets sont les traductions des signes des deux élèves)
M - A qui correspond le pronom « leur »?
Karine: - signe [personne], répété, pour dire « les gens ».
Donc je replace la rue, je désigne les personnes, et je signe:
M - Je ne connaît pas leur nom, mais… quoi?
Karine : - [qui] [connaître], pour dire « je sais qui ils sont »
M - Oui, et quoi d’autre? Je sais deux choses, quelle est la deuxième ?
Karine: - [quoi].
M - Oui, qui ils sont, et ce qu’ils font. Que veut dire « ce qu’ils font »?
Karine et Johana: - [travaille] [quoi].
M - Oui, c’est leur métier. Comment c’est possible de ne pas connaître le nom d’une personne
mais de connaître son métier?
Karine: -[visage].
M - Oui, on reconnaît le visage des gens à force de les croiser dans la rue.
Ensuite nous sommes passé aux exemples. J’ai repris la traduction du texte depuis le
début, en plaçant quatre personnages. Je les ai pointés en demandant aux filles de les décrire
en se basant sur le texte. Elles ont rencontré des problèmes sur le sens du verbe porter,
qu'elles ont transposé en français signé. L’enseignant a alors mimé le personnage, et fait
deviner aux filles le matériel qu’il peut transporter (seau d’eau, raclette, échelle, ...).
L'expression "être au courant" n’était pas connue des élèves. Elles ont cherché des mots qui
ressemblaient, comme courir, cour... Je leur ai expliqué qu’il s’agit d’une expression. Je leur
ai expliqué le sens, puis je l’ai écrite au tableau, en un seul bloc. Pour terminer, je leur ai
demandé de traduire le texte dans son intégralité. Elles l’ont fait de manière satisfaisante,
mais il m’a semblé qu’elles reproduisaient de mémoire mes propres explications.
Bilan de la séance : J’ai essayé de montrer aux élèves des stratégies de lecture plus
efficaces que ce qu’elles font d’habitude :
Repérer la structure du texte pour anticiper sur ce qui va suivre, notamment grâce à la
ponctuation et aux mots de liaison, expliquer dans leur propre langue ce qu’elles ont compris
du texte, c’est-à-dire se rapprocher plus d’une traduction que d’une simple transposition en
français signé, qui demande moins d’efforts mais n’apporte aucun sens.
L’objectif que m’avait fixé leur enseignant, qui était de leur donner une bonne compréhension
du texte, a été réalisé, mais l’activité a été pour moi globalement insatisfaisante, pour
plusieurs raisons : les élèves se précipitent sur le français signé par habitude. Il est difficile de
leur demander de mettre du sens sur un texte. Ensuite je me rends compte que le lien entre les
explications en LSF et le texte est flou, ce qui veut dire qu’elles n’ont pas acquis, je pense,
l’autonomie suffisante pour lire seules ce texte efficacement. Enfin, mon propre niveau de
LSF m’a causé des difficultés pour m’exprimer clairement et donner des explications aussi
fines qu’il aurait été nécessaire.
I.4. Conclusions de l’observation
Le mode de communication entre professeurs et élèves en primaire est du même type
que pour les SEGAPP, c'est-à-dire majoritairement français signé accompagné de l’oral. Ce
mode de communication ne dépend que du libre choix des enseignants, en fonction de leurs
propres compétences en LSF et de leur idéologie.
Le projet du centre est proche du principe de la communication totale, que l’on
retrouve dans l’immense majorité des structures spécialisées. Il s’agit de la mise en place et de
l’utilisation de tous les moyens de communication au service de l’enseignement. Ainsi,
professeurs et élèves manipulent chacun à des degrés divers la LSF, le français signé, le LPC,
le français oral et écrit. Cependant, on l’a vu, ces différents codes et langues n’ont pas le
même statut, la communication par signe n’a qu’une fonction utilitaire, tandis que le français
oral fait l’objet d’un véritable enjeu pour la plupart des enseignants. D’une année à l’autre,
les élèves sont alors confrontés à différentes situations d’enseignement, pas tant au niveau de
la communication mise en place, qui est assez homogène, mais au niveau du degré d’exigence
de chaque enseignant par rapport à l’oralisation, au français écrit, et aux autres apprentissages.
Certains cherchent à se rapprocher au maximum d’une situation d’enseignement propre au
milieu ordinaire, d’autres adaptent davantage leurs méthodes à leur public.
Le fonctionnement du centre est plus proche du collège que de l’école primaire, car en
plus de leur professeur référent, les enfants ont un professeur de LSF, un professeur de sport
et doivent se rendre à leur séance d’orthophonie une fois par semaine et changent parfois de
classe pour certains enseignements. Le déplacement de certains élèves d’une classe à l’autre a
été décidé dans un souci de coller au mieux au profil de chacun (chaque enfant fait l’objet
d’un projet individualisé). Un élève a donc son enseignant référent, mais peut suivre les maths
ou le français dans un groupe qui correspond mieux à son niveau. Cela perturbe certains
enfants, particulièrement ballottés d’une classe à l’autre.
Seulement deux classes sont considérées comme normales, c'est-à-dire qu'il y a un
espoir d'intégration en milieu ordinaire. Les trois autres classes regroupent des enfants qui se
dirigeront précocement vers des filières professionnalisantes. Ils bénéficient déjà d'un
enseignement très concret avec des ateliers de cuisine, couture, entretien du linge... en plus
des enseignements fondamentaux.
Majoritairement, les enfants que j’ai rencontrés étaient peu motivés dès lors qu’une
activité présentait une difficulté, mais aussi peu curieux et répondant souvent au hasard. Ce
profil n’est bien sûr pas directement lié à la surdité, mais plutôt à la manière dont celle-ci a été
prise en charge. Cependant, on le retrouve dans de nombreuses structures spécialisées pour
enfants sourds. Un enseignement basé sur des automatismes, auquel s’ajoute un manque de
communication avec l’entourage a pu provoquer ce manque de curiosité et d’intérêt.
II. INTERVENTION ET ANALYSE
Je suis restée dans la classe CMA/CM2 durant les deux derniers mois de mon stage,
pour travailler en binôme avec l’enseignant sur les leçons de français. Je partageais mon
temps dans cette classe entre observations et enseignement.
les élèves de CMA : Jennifer, qui a un implant cochléaire, Morgan, Coralie, Annalie,
et Malika pour certains cours.
les élèves de CM2 : Johanna et Karine
l’enseignant : Jean-Pierre
II.1. Séquence de lecture
La première chose que l’enseignant m’a demandé de faire a été de chercher un texte et
d’en faire une séance de lecture. Je lui ai alors proposé de travailler sur une séquence autour
d’une histoire complète, car je trouvais plus intéressant qu’il y ait un suivi sur plusieurs
séances. Il était également plus facile pour moi de construire des activités progressives autour
d’un même thème que de chercher plusieurs textes différents faisant chacun l’objet d’une ou
deux séances. Nous avons choisi La chèvre de Monsieur Seguin, d’Alphonse Daudet. Je
souhaitais partir de la LSF, pour que les élèves connaissent l’histoire dans leur langue avant
qu’ils abordent le texte. L'histoire était longue et le niveau des élèves très faible. Entamer une
lecture suivie dans ce contexte aurait été, je pense, décourageant pour les élèves. Le principe
était donc de leur présenter l’histoire signée dans son intégralité, et de les faire ensuite
travailler sur des extraits du texte d’Alphonse Daudet. L’histoire en langue des signes m’a été
fournie par un des enseignants sourds du centre, qu’il a lui-même interprétée. Elle dure
environ huit minutes. Il s’agit d’un résumé qui comprend toutes les grandes étapes du récit.
J’ai organisé cette séquence en cinq étapes :
1ère
étape - Présentation de l'histoire en LSF
J’ai expliqué aux élèves qu’ils allaient voir une histoire en langue des signes et qu’on
travaillerait ensuite dessus. Au premier passage, tout n’avait pas été compris par la totalité des
élèves. J’ai alors posé des questions très générales, pour dégager la situation de départ. J’ai
ensuite passé l’histoire plusieurs fois, en posant des questions plus précises. A la fin de la
séance, tous les enfants avaient bien compris l’histoire et étaient capables de la raconter en
groupe, en s’aidant les uns et les autres. J’ai été étonnée de voir que les élèves n’ont pas tout
compris au premier passage de la vidéo. Mais une enseignante sourde m’a fait remarquer que
regarder une vidéo en LSF s’apparente beaucoup à une activité de lecture pour ces enfants. La
langue des signes filmée s’apparente plus à de l’écrit dans le sens où il n’y a pas d’interaction
entre le locuteur et le récepteur. Je comprends mieux les difficultés qu’ont eues ces élèves,
compte tenu notamment de leur niveau relativement faible en LSF. J’avais effectivement
traité cette activité comme une leçon de lecture, en posant des questions d’ordre général puis
plus précis, et en proposant plusieurs visionnages. Mais je ne m’étais pas rendue compte de la
similitude avec la lecture. Il y a un véritable travail à faire en amont sur la langue des signes.
A la fin de la séance, nous sommes allés au CDI pour chercher des images permettant
d’illustrer l’histoire.
2ème
étape - Ecriture collective du résumé selon le principe de la dictée à l'expert
J’ai expliqué aux élèves que nous allions écrire le résumé de l’histoire, et que c’est eux
qui allaient me dicter ce qu’il fallait écrire. Pour faciliter le passage au résumé, j'avais
découpé l'histoire en une dizaine de séquences, chacune correspondant à une étape dans le
récit. Je les ai passées aux élèves au fur et à mesure. La séance s’est bien déroulée, les enfants
ont discuté entre eux sur ce qu’il fallait intégrer au résumé. Voici donc le texte produit :
La chèvre de M. Seguin.
Avant, M. Seguin avait six chèvres. Le loup les a toutes mangées. Il décide d’acheter
une septième chèvre. Il la choisi très jeune et très jolie : poils blancs et sabots noirs. Il
l’attache dans le pré. Au début, tout va bien.
Blanquette s’ennuie. Elle veut aller dans la montagne. Elle le dit à M. Seguin. Il se fâche et
enferme Blanquette. Elle se sauve par la fenêtre et va dans la montagne. Le soir,
Blanquette entend le cri du loup et l’appel de M. Seguin. Elle hésite, et décide de rester. Le
loup arrive. Il veut manger Blanquette. Elle n’est pas d’accord, et décide de se défendre.
Elle se bat toute la nuit avec le loup. Au matin, elle tombe épuisée. Le loup se jette sur elle
et la mange.
C’est moi qui traduisait au fur et à mesure ce que le disaient les élèves en LSF. Mais
j’ai fait le choix, sans vraiment m’en rendre compte, d’une syntaxe et d’un vocabulaire très
simple. Le but étant qu’ils soient capables de lire seuls ce résumé, j’ai cherché à annuler les
difficultés au maximum. Les élèves ont ensuite recopié de texte dans leur cahier, mais il n’a
pas fait l’objet d’une activité de vocabulaire.
3ème
étape - Lecture du résumé, sans la vidéo, en groupes séparés
Le groupe des CMA : Lors d’une première séance c’est l’enseignant qui a pris en charge
la lecture du résumé. Il a demandé aux élèves de traduire le petit texte mais ils n’étaient pas
très motivés. Ceux qui voulaient bien s’y prêter transposaient les phrases en français signé
avant même de les avoir lues en entier. Le vocabulaire vu aux séances précédentes était déjà
oublié (décider, attacher, s’ennuyer, se fâcher, se sauver, hésiter, se défendre, se jeter sur).
L’enseignant m’a alors demandé de préparer la séance prochaine. L’objectif n’était pas une
traduction exacte du texte pour ces élèves, mais qu’ils y prendre des repères pour raconter
l’histoire. Pour cette étape, j’ai demandé aux élèves cinq minutes de lecture individuelle et
silencieuse. Je leur ai ensuite expliqué qu’on allait lire l’histoire ensemble en leur faisant
comprendre que je ne voulais pas de transposition en français signé. Au début, personne ne se
dévouait pour expliquer sa lecture. Il s’agissait pour eux d’une activité difficile. Ils n’aiment
pas se mettre en danger, ils ont trop peur de se tromper. Pour les aider et les mettre en
confiance, j’ai posé des questions, auxquelles ils ont très bien répondu : qui sont les
personnages ? (La chèvre, M. Seguin, le chamois, le loup). Quel est le premier personnage à
apparaître dans l’histoire ? (M. Seguin). Et qu’est ce qu’il lui arrive ? (Le loup a mangé toutes
ses chèvres). J’ai ensuite demandé à un volontaire de traduire les deux premières phrases.
Coralie a essayé. Puis Morgan. Annalie refusait toujours. Jennifer, qui est implantée, oralisait
avec Jean-Pierre. Phrase après phrase, ils traduisaient chacun leur tour. Ils restaient assez
proches du français signé mais semblaient avoir compris. Je reprenais les petits oublis ou
imprécisions et posais régulièrement des questions sur le sens pour vérifier la compréhension.
Les enfants intégraient d’ailleurs certains des éléments de réponse à leur récit, ce qui montre
qu’ils pouvaient se détacher du texte. Au bout de quatre phrases (jusqu’à sabots noirs), j’ai
demandé qui voulait bien raconter le début de l’histoire. Coralie et Morgan l’ont fait, à tour de
rôle. Annalie s’intégrait peu à peu. Jennifer continuait de raconter à l’oral avec Jean-Pierre.
Nous avons continué jusqu’à « enferme Blanquette », et de nouveau je leur ai demandé de
raconter l’histoire depuis le début. Coralie, Morgan et Annalie ont participé. Toujours phrase
après phrase, nous avons terminé le texte en traduisant et en expliquant. J’ai demandé alors si
quelqu’un voulait bien raconter toute l’histoire, au tableau. Ils ont hésité, cela leur semblait
trop long ! Ils ne veulent pas passer au tableau, parce qu’ils doivent tourner le dos au texte. Il
faut leur dire qu’ils ont le droit de se tromper, que nous sommes là pour les aider. Coralie a
commencé. Elle a tout relu une fois puis s’est lancé. A part quelques imprécisions elle s’en est
très bien sortie. Annalie est ensuite passée. Elle a eu plus de difficultés, mais est parvenue à
raconter toute l’histoire, Coralie lui soufflait un peu. Morgan a lui aussi voulu raconter
l’histoire, en restant assis à sa place. Mais il a du partir en orthophonie... C’était dommage car
qu’il est rare qu’il propose lui-même d’intervenir. Jennifer a raconté aussi à l’oral avec Jean-
Pierre.
Le groupe des CM2 : La même démarche a été utilisée mais en une seule séance. Karine
et Johana ont fait une traduction fidèle du texte. Elles n’ont pas fait de français signé, ont pris
le temps de lire avant de traduire. La séance a été très satisfaisante. Pour l’étude, Jean-Pierre
leur a donné des questions de compréhension, avec pour consigne de répondre par une phrase.
Les CMA ont eu le même exercice.
4ème
étape - Présentation d’un extrait du texte d’Alphonse Daudet : Blanquette et le
loup. (Projeté au tableau)
La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles. Elle se retourna et vit dans l’ombre
deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient... C’était le loup.
Enorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là, regardant la petite chèvre
blanche et la dégustant pas avance. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se
pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.
« Ha ! ha, la petite chèvre de M.Seguin » ; et il passa sa grosse langue rouge sur ses
babines d’amadou.
Le texte est court quoique complexe pour ces élèves. Il y a beaucoup de vocabulaire
inconnu, et les verbes sont au passé simple, temps que les élèves connaissent mal. Il y a
également quelques finesses de la langue à faire passer. L’étude de ce texte s’est déroulée sur
deux séances. Lors de la première séance, j’ai essayé de dégrossir le texte. Nous avons dégagé
le sens général puis nous avons décrit le loup et relevé le vocabulaire des couleurs. J’ai
demandé de souligner les termes qui renvoient à la chèvre en bleu et les termes qui renvoient
au loup en rouge. Nous avons traduit le texte approximativement. Il commençait à y avoir une
réflexion de la part des élèves (surtout les CM2) sur la manière de traduire et le choix du
lexique. Johana a fait une proposition pour les yeux reluisants du loup, meilleure que la
mienne et Karine a fait de même pour l’ombre. Nous les avons donc adoptées.
Lors de la deuxième séance j’ai dit aux enfants qu’on allait terminer l’explication du
texte, mais ils n’étaient pas du tout d’accord. « On a déjà fait ce texte, on a terminé... » Ces
élèves n’aiment pas rester trop longtemps sur une même activité, cela leur donne l’impression
de ne pas avancer. J’ai expliqué qu’on n’avait pas tout expliqué, que le texte est difficile. J’ai
obtenu leur accord mais pas leur motivation. Je leur ai demandé de lire cinq minutes le texte
individuellement et de relever le vocabulaire qu’ils ne connaissaient pas. Ils m’ont demandé
presque tout le vocabulaire que j’avais déjà expliqué. Je leur ai ensuite demandé de
m’expliquer le texte. Personne n’osait, ou personne ne voulait. Nous avons alors travaillé
phrase par phrase. Le premier paragraphe n’a pas trop posé de problèmes, Coralie, Karine et
Johana ont traduit les phrases. Toute la fin a été laborieuse parce que les enfants ne
participaient pas beaucoup. Ils voulaient bien répondre à mes questions, mais pas traduire le
texte. J’ai terminé rapidement la séance, parce que j’avais le sentiment qu’elle ne leur
apportait rien de plus que la précédente.
5ème
étape - Exploitation et réinvestissement du vocabulaire sous forme de jeu
(concours)
Le but était de retrouver de la motivation chez les élèves. Ce sont des exercices
simples, visant à vérifier ce qui restait du vocabulaire et des structures grammaticales. J’ai
répertorié tout le vocabulaire contenu dans les deux textes étudiés sur la chèvre de M. Seguin.
La séance consistait à manipuler ce vocabulaire et le réinvestir dans d’autres phrases. Il
s’agissait principalement de traductions, du français vers la LSF, puis de la LSF vers le
français. Chaque bonne réponse donnait un point à l’élève. J’ai commencé par des mots que
j’écrivais au tableau et dont les élèves devaient donner la traduction en LSF. Puis je donnais
des signes, que les élèves devaient traduire en écrivant le mot au tableau. J’ai procédé de la
même manière avec des phrases. Les phrases que je donnais en LSF étaient sur le même
modèle que celles que j’avais déjà écrites au tableau, de manière à ce qu’ils puissent s’aider
de la structure en traduisant en français. Voici le vocabulaire utilisé :
noms adjectifs verbes
La chèvre
Le loup
Le chamois
Les poils
Les sabots
Le pré
La montagne
Au début
Le matin
Le soir
La nuit
L’ombre
La fenêtre
Le cri
L’appel
Le bruit
La feuille
Les oreilles
Les yeux
Le train de derrière
La langue
Les babines
Septième
Jeune
Joli
Blanc
Noir
Rouge
Amadou
Court
Droit
Enorme
Immobile
Petit
Gros
Méchant
Assis
Epuisé
Manger
Décider
Acheter
Choisir
Attacher
S’ennuyer
Aller
Dire
Se fâcher
Enfermer
Se sauver
Appeler
Hésiter
Rester
Se battre
Tomber
Se jeter sur
Entendre
Se retourner
Reluire
Regarder ; voir
Déguster
Savoir
Se presser
Les élèves étaient très motivés par l’idée du concours et par l’exercice de traduction.
Ils ont tous beaucoup participé et ont trouvé l’activité très amusante. C’est Karine qui a gagné.
Ce type d’activité n’a pas grand intérêt au niveau de la progression dans la compétence de
lecteur, mais il permet de mémoriser de façon ludique le vocabulaire et les structures de
phrases appris au cours des dernières séances. Une fois cette étape passée, il aurait été
nécessaire d’approfondir le vocabulaire. Je pensais faire le même genre d’exercice sur les
contraires, notamment pour les adjectifs de la liste, et aussi sur les nuances de sens (grand,
énorme...), mais je n’en ai pas eu le temps.
Bilan: La motivation des élèves a été difficile à obtenir pour les activités demandant le
plus de réflexion. Les élèves ont refusé de participer lors de la quatrième étape, ce qui m’a
beaucoup perturbée. Faire deux séances sur le même texte était pour eux inutile, alors qu’ils
étaient bien conscients de ne pas pouvoir le traduire. Capter la motivation chez ces élèves et
susciter leur intérêt est l’enjeu majeur avant d’aborder un travail, quel que soit son intérêt
pédagogique. Ne devant travailler que sur le sens, les séances se sont déroulées à l'oral. Or
j'aurais souhaité pouvoir exploiter davantage les textes à l'écrit, de manière à en dégager les
difficultés principales, qui auraient servi de pistes pour les séances de grammaire et
vocabulaire. Relever le vocabulaire inconnu aurait également permis aux élèves de le
mémoriser plus facilement. En ce qui concerne l’exercice de traduction, mon niveau de LSF
étant encore faible, je ne pouvais pas juger la qualité des énoncés signés des élèves. Je me
référais donc souvent à eux, en leur demandant ce qui leur paraissait être le plus naturel,
puisque c’est leur langue de référence. Cela dit, j’étais bien consciente du peu de recul qu’ils
avaient par rapport à leur langue. Produire un énoncé en LSF spontanément n’a rien à voir
avec une réflexion sur la manière de traduire le français. Ce travail leur a permis tout de
même de se rendent compte qu’ils manipulaient deux langues différentes, et qu’il faut
réfléchir pour bien traduire. Si je ne pouvais juger leur niveau de LSF, leurs énoncés me
permettaient de voir s’ils avaient compris ou non le sens des phrases qu’ils essayaient de
traduire.
II.2 enseignement de la grammaire
L’enseignant m'a ensuite confié la lourde tâche de m'attaquer à la grammaire. Cela a
été un travail fastidieux, peu formateur pour des élèves qui n'ont de toute façon aucune
conscience grammaticale, hormis quelques automatismes. A ce niveau là de compétence en
français, le travail sur la grammaire ne peut conduire qu'à un renforcement des automatismes.
Une grammaire intuitive, en contexte me semblait beaucoup plus pertinente.
II.2.1. Réflexions autour du verbe : Une séance
Lors de cette phase, nous avons tenté de définir ce qu'est un verbe, en essayant de
repérer des régularités à l’aide d’un petit corpus. J’ai réutilisé le vocabulaire vu aux séances
précédentes. Je leur ai demandé de traduire les phrases, et d’y entourer le verbe. Ils n’ont pas
fait d’erreurs. Je leur ai ensuite montré que lorsqu’on cache les verbes, la question que l’on se
pose est différente. Nous avons abouti à deux questions qui permettent de distinguer les
verbes d’action et d’état (fait quoi ? et comment ?). J’ai ensuite entamé un tableau avec les
questions à poser en titre des deux colonnes et je leur ai demandé de le terminer. Durant la
deuxième heure, Jean-Pierre leur a fait recopier la leçon dans leur cahier. Il a effacé les verbes
du tableau pour que les élèves s’exercent à les classer. C’est lui qui se chargera des exercices
d’application lors des prochaines séances. La séance a duré une heure, or j’avais prévu
beaucoup plus. Je me suis rendue compte que je ne sais pas bien gérer mon temps, la leçon a
été trop longue. Jean-Pierre m’a fait remarqué que j’aurais du en faire moins, et seulement
pendant une demi-heure, de manière à pouvoir faire des exercices d’application. Mais dans
l’ensemble la séance a bien marché, les élèves étaient bien présents. Ils aimaient beaucoup
traduire maintenant qu’ils avaient acquis cette gymnastique.
Bilan : Les élèves savent repérer le verbe dans une phrase, pour peu qu’ils en
connaissent le sens. Mais ce repérage est intuitif. Je voulais aboutir à une définition même
imparfaite de ce qu’est un verbe. Cet objectif n'a pas été atteint à mon sens car les élèves ont
au plus compris que le verbe peut traduire différentes choses. Cela m’a amenée à me poser
des questions sur l'intérêt de donner si tôt des étiquettes grammaticales. De plus, j'ai eu
l'occasion de me confronter à la complexité de tout ce à quoi renvoie le verbe. Il me semble
impossible de représenter cette notion à partir de deux distinctions. Le mieux est alors soit de
s’en tenir à ces deux étiquettes en sachant qu’elles ne couvrent pas tout le champs des verbes,
soit de faire une catégorie pour les verbes d’action, une pour les verbes d’états, et une pour les
verbes qu’on ne sait pas classer...en expliquant qu’on étudiera ces verbes-là plus tard. Le but
est aussi de montrer que le français est très complexe, et qu’on ne peut pas tout rentrer dans
des cases. Simplifier les choses n’est pas la solution à mon avis. Cette stratégie peut d’ailleurs
être utilisée à chaque fois qu’on doit classer des mots : il y a ce qu’on connaît, et le reste.
II.2.2. Vocabulaire grammatical: deux séances sur ce thème.
Nous avons abordé le vocabulaire autour de la conjugaison. Puisque les élèves avaient
des conjugaisons à apprendre, il pouvait être nécessaire de les sensibiliser au vocabulaire
utilisé. La conjugaison étant un exercice très mécanique, on peut faire apparaître clairement
les parties d'un verbe... Il n’y a toutefois rien de nouveau dans tout cela. Nous avons travaillé
sur le radical, l’infinitif, les terminaisons et les pronoms personnels. Pour la trace écrite dans
le cahier, ils ont recopié une conjugaison qui était affichée sur un mur de la classe (marcher)
et ils ont entouré les pronoms, le radical, les terminaisons et le verbe à l’infinitif.
Pour la deuxième séance, avec le groupe des CMA, j’ai demandé aux élèves de
retrouver les verbes d’un texte, d’en donner les infinitifs, le temps et la personne. Je leur ai
appris à utiliser le Bescherelle. Les élèves savent maintenant chercher correctement les
informations, en allant dans le lexique, et utilisant les verbes modèles. La séance a bien
marché, les élèves étaient bien présentes, le travail les a intéressés. Ils ont cherché ensemble
dans le livre, ont discuté entre eux des réponses à donner.
II.2.3. Les groupes verbaux
Il s’agissait de déterminer les caractéristiques propres à chaque groupe verbal, par
l'observation. Je leur ai demandé de prendre leur classeur de français et de me donner des
verbes, que je classais au fur et à mesure dans un tableau à trois colonnes. Au bout d’un
moment, je leur ai demandé de classer eux même les verbes. Pour ceux du deuxième groupe,
je leur ai demandé de chercher dans le Bescherelle les conjugaisons du verbe finir et du verbe
tenir. J’ai essayé de leur montrer la différence entre les deux types de verbes. J’ai continué
avec d’autres verbes en –ir. A la fin, je leur ai demandé ce que je devais écrire comme titre
pour chaque colonne du tableau (terminaison et critère de sélection). Les élèves n’étaient pas
du tout intéressés par cette activité. A la fin de la séance, ils ont recopié le tableau dans leur
cahier.
II.2.4. Bilan sur la grammaire
Le but était de reprendre les différents acquis en grammaire autour d’un exercice.
Nous avons travaillé sur ce texte :
L’accident.
En ville, Pierre et Jean jouaient au foot. Pierre a tapé très fort dans le ballon, et Jean n’a pas
réussi à le rattraper. Un gros chien a aperçu le ballon et a couru après. Il a bondi dessus en
plein milieu de la rue et une voiture l’a renversé. Pierre et Jean ont pris le chien et l’ont
emmené chez le vétérinaire.
-« Ce n’est rien, a dit le vétérinaire, juste une patte cassée ! »
Lors de la première séance, nous avons d’abord traduit le texte, phrase par phrase.
Devant le manque d’enthousiasme des enfants je suis allée trop vite sur cette partie. J’aurai du
passer une heure dessus, je pense, et aboutir à une traduction intégrale du texte. Je suis arrivée
seulement à une compréhension globale, suffisante pour la poursuite de l’exercice. Ensuite les
élèves devaient repérer le verbe dans la phrase et entourer son radical, sa terminaison et le
pronom personnel correspondant au sujet. Puis ils devaient donner l’infinitif et le groupe, et
indiquer le temps. Les élèves se sont aidés de Bescherelle.
Pour la deuxième séance, je les ai fait travailler chacun sur des tâches différentes.
Quand Coralie écrivait une phrase au tableau et repérait les verbes, Jennifer entourait le
radical et la terminaison du verbe précédent, et Morgan et Annalie se chargeaient de trouver
l’infinitif dans le Bescherelle. J’ai fait un roulement régulier dans ces différentes tâches, en
m’efforçant de n’en laisser aucun dans un état de passivité et en maintenant un rythme
dynamique. Nous avons travaillé phrase par phrase et chacune a été traduite par tous les
élèves, sauf par Jennifer qui préférait lire à haute voix. L’activité de traduction plaisait
beaucoup à Annalie et Coralie.
CONCLUSION : QUESTIONS SOULEVEES PAR
LA PRATIQUE
Bilinguisme: Quelles possibilités de faire étudier le français écrit sans l'usage
systématique de la LSF?
L’analyse contrastive entre le français écrit et la LSF est primordiale dans la
construction du bilinguisme. Mais, pour viser une autonomie totale par rapport au français, ne
faudrait-il pas imaginer des activités faisant travailler le français sans le recours à la LSF ? La
méthodologie du FLE met en garde contre l'utilisation de la langue maternelle et préconise
d’avantage le travail en immersion (étude de la langue cible dans la langue cible; à la fois
langue d'apprentissage et métalangue). Elle reconnaît cependant le bien fondé de l'utilisation
de la langue maternelle comme support métalinguistique dans certaines activités. Cependant
les modalités des deux langues qui nous concernent imposent presque ce recours systématique
pour des raisons méthodologiques claires, qui sont la lenteur de l'écrit par rapport à l'oralité de
la LSF, et la non pertinence d’utiliser l’oralité du français. L'usage de la LSF est donc
indispensable pour parler de l'écrit, faire des hypothèses, et vérifier la compréhension de
l'élève. Mais le cours de français peut vite se résumer à de la traduction et de la comparaison
systématique du français écrit avec la LSF. C’est ce que j’ai fait durant ce stage, et je me suis
rendue compte que cela peut devenir fastidieux, démotivant pour l'élève. Il faut un maximum
de variété dans les activités proposées, notamment dans l’utilisation des langues. Il me
semblerait à ce titre très intéressant de réfléchir sur une typologie d’activités possibles en
fonction des objectifs visés. Toutefois, comme premier élément de réponse, les nouvelles
technologies sont à mon avis un bon vecteur pour des activités faisant travailler seulement le
français. En effet, les services de messageries instantanées ainsi que les envois de courriels
permettent une approche communicative de la langue cible, par l’écrit. Cela peut également
faire prendre conscience à l’élève de l’importance de la maîtrise du français dans la société.
Grammaire : À partir de quand introduire l'étude de la grammaire?
On a tendance à le faire très tôt, mais si la langue n'est pas maîtrisée, les élèves
manipulent une matière qui ne fait pas sens. On ne peut alors développer chez eux que la
capacité à systématiser une règle, suivre un modèle de façon le plus souvent rigide. Cela ne
fait que donner à l'élève des automatismes, car il n’est confronté qu'à un français simplifié,
qui rentre dans des cases prédéfinies. Une grammaire intuitive, en contexte me semble
beaucoup plus pertinente. Elle consisterait avant tout en une immersion dans l’écrit, en
production et compréhension, pour que l’élève puisse obtenir un minimum d’intuitions sur la
syntaxe du français. Une grammaire plus explicite, centrée sur les difficultés relevées par les
élèves dans les textes étudiés, permettrait de renforcer ces premiers acquis.
Motivation de l'élève: Comment motiver l'élève?
J'ai observé un manque de curiosité plutôt qu'un manque de sérieux, car la motivation
est chez ces élèves fonction de la facilité. Cela rend le travail de l’enseignant fatigant, celui-ci
devant déployer beaucoup d’énergie à instaurer une dynamique de classe. Le travail de
lecture/traduction ne peut être efficace que si il y a participation active des élèves. Il faut qu'il
y ait questionnement, élaboration d’hypothèses de lecture et discussions avec le groupe pour
les confronter avec celles des autres. Le problème est que l'on propose des activités aux élèves
sans prendre le temps de leur en expliquer les intérêts ni les objectifs. Il me paraît primordial
de responsabiliser l'élève et de l'intégrer à cette réflexion autour des activités proposées.
Demander par exemple aux élèves quelle matière on est en train d’étudier, pourquoi nous
sommes en train de voir telle notion et à quoi elle sert… peut aider à la motivation. Toute
pédagogie, aussi bonne soit-elle, sera inefficace si les élèves restent passifs. Dans ce centre, le
moyen le plus fréquemment utilisé pour motiver les élèves est de privilégier un aspect ludique
et concret. Mais la motivation est également à mettre en rapport avec la charge cognitive
demandée. Même si elle présente un intérêt, une activité ne motivera pas les élèves si elle est
trop difficile. J’ai donc appris qu’il faut faire très attention à ne pas donner d’activités trop
difficiles. Les élèves sont vite déroutés, ne veulent plus participer, de peur de se tromper. Il
faut donc savamment doser le niveau de difficulté. Enfin, le dynamisme de l’enseignant, ainsi
que la variété des activités sont déterminants pour favoriser la motivation des élèves.
SYNTHESE FINALE
L’association d’une partie théorique et d’un stage pratique a été pour moi
particulièrement enrichissante. Ma formation théorique s’est progressivement constituée grâce
aux quatre cours d’option que j’ai choisis et qui m’ont permis d’acquérir des connaissances
dans divers domaines touchant à la surdité : la linguistique de la LSF, son enseignement, son
acquisition. Mais pour étoffer un début de réflexion dans ce domaine, les cours ne suffisent
pas. Des lectures, notamment dans le domaine de la didactique du français pour les sourds, la
participation à des colloques et surtout le contact avec des personnes sourdes m’ont apporté
des connaissances plus approfondies et un début d’opinion quand à la « meilleure » manière
d’enseigner le français aux sourds.
Ainsi, avant de réaliser mon stage, je me sentais relativement bien armée pour
m’essayer à l’enseignement. Pourtant mes idées sur l’éducation des enfants sourds étaient très
simplistes. Je pensais qu’il suffisait de faire la classe en langue des signes pour être efficace.
Mais la confrontation à la réalité m’a ouvert les yeux sur la complexité de ce que représente
l’enseignement. Il ne suffit pas de revendiquer une pédagogie bilingue avec un enseignement
en LSF et de la LSF, encore faut-il avoir les moyens pratiques et théoriques de la mettre en
place. Mon positionnement théorique s’est donc heurté à divers éléments :
Le type de pédagogie sur lequel je m’interrogeais ne fait appel qu’au français écrit et à
la LSF. C’était sans compter sur des élèves qui apprennent à oraliser depuis la maternelle et
dont certains, mais pas tous, se servent efficacement de ces acquis. Il fallait pouvoir tenir
compte de cette diversité de profil, et ne pas hésiter à oraliser ou utiliser le LPC lorsque
l’élève en faisait la demande. Ensuite j’ai été déçue de constater que les enfants ne sautaient
pas de joie lorsque je tentai avec eux le type de pédagogie qui est largement revendiqué par la
communauté sourde. C’était là sans compter sur des élèves habitués à une autre manière de
travailler et qui ont été déconcertés par mes drôles de méthodes. Je ne savais pas à quel point
susciter de la motivation chez l’élève est le préalable indispensable à toute activité
pédagogique. Enfin vouloir enseigner en LSF est une chose, mais dans la réalité cela
correspond à un véritable projet pédagogique. La question n’est pas de savoir en quelle langue
enseigner, mais de savoir comment utiliser la LSF et le français écrit pour développer
efficacement le bilinguisme chez l’enfant sourd.
Les deux apports de ma formation, que j’ai tenté de synthétiser dans ce mémoire,
m’ont donc permis d’apporter une approche de réponse à la problématique énoncée dans
l’introduction : Quelle méthodologie permet réellement à l’enfant de devenir bilingue ? Les
quelques éléments de réponse que j’ai pu élaborer sont en fait, dans le cadre du bilinguisme
tel que je l’ai décrit dans la partie théorique, des éléments qui, à mon sens, favorisent la
réussite d’un tel projet. Ils me semblent aujourd’hui évidents, mais seule la pratique en
confrontation au bagage théorique a permis de les dégager :
La première chose à déterminer est le type de bilinguisme à viser. On l’a vu, il peut
englober ou non la modalité orale du français. Le principe de base est simplement que cette
modalité orale ne constitue en rien un pré-requis indispensable pour l’apprentissage du
français écrit. Elle peut néanmoins aider les élèves qui la maîtrisent suffisamment.
Selon moi, il faut tout d’abord faire prendre conscience aux élèves qu’ils manipulent
deux langues différentes, et que le passage de l’une à l’autre relève de la traduction. Il faut
pour cela qu’ils connaissent et respectent les règles des deux langues en questions. Cela
suppose bien sûr un travail sur le français et sur la LSF avec un enseignant sourd, mais aussi
un enseignement reposant sur l’analyse contrastive entre les deux langues. Pour cela il est
nécessaire que professeur de LSF et professeur de français travaillent en collaboration, de
manière à ce que les acquisitions dans une langue profite à l’autre. Les deux langues doivent
donc être liées dans un projet cohérent. En se confrontant à la traduction, l’élève prend
conscience des différences fondamentales qu’il existe entre les deux langues et apprend à les
structurer correctement. Ce qu’il faut surtout éviter, à mon sens, c’est le français signé, qui
assure un faux continuum entre français et LSF et parasite le message. Ensuite, en ce qui
concerne la lecture de texte, il faut que l’élève devienne autonome dans sa recherche de sens.
Il faut donc lui proposer des stratégies de lectures, comme, entre autres, l’analyse de la
structure du texte, le repérage des mots vraiment porteurs de sens et des indices
grammaticaux. Pour faire acquérir plus facilement la structure du français, il faut le faire
manipuler. Une simple leçon de vocabulaire peut apporter beaucoup: présenter les verbes et
expressions figées construits dans des phrases avec leurs prépositions, présenter les
conjugaisons isolées puis en contexte, c'est-à-dire dans des phrases d'exemples. Le travail sur
la polysémie est également très important, car il permet à l’élève de prendre conscience qu'il y
a plusieurs façons de dire une même chose. Par exemple, dans une leçon de vocabulaire, on
peut réexploiter les mots et tournures inconnues en apportant des nuances de sens, des
synonymes, des contraires, et différentes phrases d'exemple. On peut également changer le
contexte dans lequel le mot est apparu. Le but est de faire vraiment manipuler le français, de
faire étudier son fonctionnement, sa structure, en comparaison avec la LSF, par la traduction.
Ce stage m’aura donc permis de faire évoluer ma vision des choses passablement
caricaturale en matière d’éducation de l’enfant sourd. Mais si la pratique m’a permis
d’apporter quelques éléments de réponse à ma problématique, elle a fait émerger de nouvelles
perspectives de recherche, que j’espère pouvoir traiter dans la suite de mes études. Les divers
éléments que j’ai pu relever concernant les caractéristiques de la pédagogie bilingue
demandent à être étoffés, afin de constituer un modèle d’éducation efficace et abouti.
Parallèlement à cela, il me parait urgent de développer des supports pédagogiques en
adéquation avec ce modèle, travail que je compte entamer lors de mes travaux de Master 2.
Actuellement, chaque enseignant fabrique lui-même ce dont il a besoin pour ses cours. Mais
cette carence en matériel est pesante pour l’enseignant, qui doit fournir un grand travail de
recherche et de création, notamment en ce qui concerne les traductions en LSF des textes qu’il
fait étudier à ses élèves. L’originalité de ce matériel est qu’il doit construire sa progression
autour des deux langues, français écrit et LSF. Il doit également respecter les différentes
caractéristiques du modèle de la pédagogie bilingue. Par exemple, chaque texte présenté doit
avoir une version en LSF, la méthode employée doit favoriser le travail en autonomie,
proposer des activités variées et faire appel à une grammaire intuitive... Pour compléter au
mieux la liste des critères indispensables, il convient d’établir un cahier des charges respectant
les besoins et les attentes des enseignants eux-mêmes. Un travail d’enquête auprès d’un grand
nombre d’enseignants permettra d’aboutir cette étape indispensable à l’élaboration d’un
support pédagogique de qualité. Il faudra ensuite établir une programmation originale
conciliant le travail sur le français et la LSF, pour permettre à l’élève d’appliquer une même
notion dans les deux langues. A cet effet, il faudra établir, pour chaque objectif, une typologie
d’activités faisant travailler la LSF, le français ou les deux langues en analyse contrastive.
J’espère, durant mon année de Master 2, pouvoir mener à bien ce travail préalable qui me
permettra de produire, à plus long terme, des supports pédagogiques utilisables en milieu
scolaire.
BIBLIOGRAPHIE
Revues et articles :
COURTIN, C. (2005). « Langue des signes française, français oral, Langue française
parlée complétée et développement de la lecture-écriture chez l’enfant sourd, quelle
complémentarité ? », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF: vers une
éducation bilingue, Editions du Cnefei, hors série juin 2005, 37/44.
DALLE, P. (2005). « Histoire et philosophie du projet bilingue, L’ANPES et le rôle
des parents », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF: vers une éducation
bilingue, Editions du Cnefei, hors série juin 2005,7/18.
KELLERHALS, M-P. (2005) « Une expérience d’entrée en littérature en cycle 3 en
classe LSF », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF: vers une éducation
bilingue, Editions du Cnefei, hors série juin 2005, 53/66.
VANBRUGGHE, A. (2005). « Apprendre à lire sans entendre, apprendre à lire sans
parler : controverses et tabous », La nouvelle revue de l’AIS, enseigner et apprendre en LSF:
vers une éducation bilingue, Editions du Cnefei, hors série juin 2005, 85/108.
ROMAND, C. (2005). « L’accès à la langue orale et écrite dans une approche
bilingue. Les apports du LPC pour l’acquisition de la lecture. », La nouvelle revue de l’AIS,
enseigner et apprendre en LSF: vers une éducation bilingue, Editions du Cnefei, hors série
juin 2005, 77/84.
Langue des signes, voix de la lecture, des yeux pour lire, Théo-Prat’ n°8, AFL
MONDEME, G. (2002). « Bilinguisme et voie directe », Lecture et surdité, les actes de
lecture n°80, AFL, décembre 2002 .
COURTIN, C. (2002). « Lecture-écriture et développement socio-cognitif de l’enfant sourd »,
Lecture et surdité, les actes de lecture n°80, AFL, décembre 2002
DUVERGER, J. (2002) « Le bilinguisme », Lecture et surdité, les actes de lecture n°80, AFL,
décembre 2002.
TRIMOTEAU-MADEC, F. (2002) « Lecture et surdité : une revue de la littérature »,
Connaissance et surdité n°01, octobre 2002.
« Lecture et surdité : quelques repères », Connaissance surdités n°02, octobre 2002
SPRENGER-CHAROLLES, L. (2002). « L’apprentissage de la lecture : l’apport des sciences
cognitives. », Connaissance surdités n°02, octobre 2002
Ouvrages :
Dubuisson, C. & Daigle D. 1998. Lecture, écriture et surdité : visions actuelles et nouvelles
perspectives. Montréal : Ed. Logiques.
Cuxac C. 2000. La langue des signes Française (L.S.F.) : les voies de l’iconicités, in Faits de
langues n°15-16, Ophrys.
Moody B. 1983. Introduction à l’histoire et à la grammaire de la langue des signes, IVT,
diffusion ellipses
Sites Internet :
o Sign Writing : http://www.signwriting.org/
o ANPES : http://anpes.free.fr/
o Bases documentaires de l’ACFOS :
http://www.acfos.org/sedocumenter/base_doc/index.php
o Websourd : http://www.websourd.org/
o 2LPE Centre-Ouest : http://2lpeco.free.fr/
o Centre d’Information sur la Surdité d’Aquitaine : http://www.cis.gouv.fr/
o Texte de François Brosjean « le droit de l’enfant à grandir bilingue » :
http://www2.unine.ch/webdav/site/ltlp/shared/documents/francais.pdf#search=
%22le%20droit%20de%20l'enfant%20%C3%A0%20grandir%20bilingue%22
o Claude Stoll « le bilinguisme: une approche typologique » Bulletin APLV -
Régionale de Strasbourg. Bulletin n° 54, mai 1997 :
http://averreman.free.fr/aplv/num54-bilinguisme.htm
GLOSSAIRE
Les moyens de communication :
LSF : Langue des Signes Française.
ASL ou Ameslan : American Sign Language, Langue des signes américaine.
Dactylologie : représentation gestuelle de l’alphabet.
Français signé : lexique de la LSF organisé selon la syntaxe du français.
LPC ou LFPC : Langage parlé complété ou Langue Française Parlée Complétée.
C’est un code gestuel facilitant la lecture labiale.
FCSC : Français complété signé et codé : Combinaison de français signé et de LPC.
Communication totale : Système d’éducation utilisant tous les modes de
communication possibles.
CFA : Centre de Formation des Apprentis.
Les sigles :
2LPE : Deux Langues pour une Education.
ACFOS : Action Connaissance Formation pour la Surdité
AFL : Association Française pour la lecture.
ANPES : Association Nationale de Parents d’Enfants Sourds.
APES : Association de Parents d’Enfants Sourds.
CECR : Cadre Européen Commun de Référence pour les langues.
CIS : Centre d’Information sur la Surdité
CNEFEI : Centre National d’Etudes et de Formation pour l’Enfance Inadaptée.
GPLI : Groupement permanent de lutte contre l’illettrisme.
GRETA : groupement d'établissements publics locaux d'enseignement qui fédèrent
leurs ressources humaines et matérielles pour organiser des actions de formation
continue pour adultes.
Iris : Institut de Recherche sur les Implications en langue des Signes.
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication.
SAFEP : Service d’accompagnement familial et d’éducation précoce.
SSEFIS : Service de soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire.
UNAPEDA : Union Nationale des Associations de Parents d’Enfants Déficients
Auditifs.
ANNEXES
ANNEXE 1 : Typologie des surdités ..........................................p.94
ANNEXE 2 : Appareillages ........................................................p.95
ANNEXE 3 : Implant cochléaire ................................................p.96
ANNEXE 4 : Alphabet dactylologique .......................................p.97
ANNEXE 5 : Langage Parlé Complété .......................................p.98
ANNEXE 6 : Les systèmes de notation des LS ...........................p.99
ANNEXE 7 : Un exemple d’adaptation d’une unité didactique ...p.101
Annexe 7
EXEMPLE D’ADAPTATION D’UNE UNITE DIDACTIQUE
J’ai choisi d’essayer d’adapter cette unité à un public d’enfants sourds en fin du cours
primaire. La difficulté est de trouver des activités qui comblent les lacunes de la méthode (peu
d’activités impliquant l’écrit en communication) en respectant le niveau des élèves. La
méthodologie utilisée sera un enseignement bilingue LSF/français écrit. Les activités
d’écoute seront transformées en lecture des transcriptions écrites. Tous les exercices seront
conservés moyennant quelques adaptations, sauf l’exercice 7, qui sera remplacé par un
entraînement à l’écriture des chiffres en toutes lettres. Un texte plus complexe ayant pour
thème « les français et les voyages » sera présenté. Ce texte présentera des données chiffrées,
pour correspondre à un des objectifs linguistiques de la méthode. Il s’agit d’un document
authentique, extrait d’un article diffusé sur le site de l’association ABM, Aventure du Bout du
Monde. Deux activités seront rajoutées : Un travail d’écriture, pour manipuler les différentes
notions abordées. Il s’agira d’un écrit communicatif. Une recherche individuelle sur Internet,
avec résolution de tâches. Les activités seront dédoublées sur deux séances d’environ une
heure trente.
PREMIERE SEANCE :
Texte correspondant à la transcription de l’exercice 3: Il est préférable de
présenter ce texte en premier car il est court et simple. Le langage utilisé est très précis et ne
nécessite donc pas une longue explication avec les élèves.
Avant la lecture (individuelle), on fera réfléchir les élèves sur la présentation du texte :
c’est un dialogue, la typographie est donc particulière. Après la lecture on demandera aux
élèves dans quel contexte on peut rencontrer ce type de dialogue (dans un aéroport) et de quel
type sont les informations réclamées par le premier personnage (type administratif). On peut
éventuellement demander aux élèves de mettre un titre à ce texte.
Le texte étant bien compris, on demandera aux élèves de faire l’exercice 3. Bien
montrer que le document est de type administratif, qui nécessite donc un langage précis et
concis.
Texte correspondant à la transcription de l’exercice 1 : Ce texte est déjà plus
long et plus complexe. Cependant, les exercices 1 et 2 sont suffisamment simples pour que les
élèves les fassent sans discussion préalable. Ils ont surtout pour rôle d’aider à la
compréhension.
Avant la lecture, les élèves doivent réfléchir sur la forme du texte : il y a des tirets,
c’est donc un dialogue, comme le premier texte. Par contre les phrases sont plus longues, ce
n’est donc peut-être pas le même contexte.
Ensuite, les élèves lisent le texte et font les exercices 1 et 2.
L’enseignant va ensuite corriger les deux exercices et s’assurer que les élèves ont bien
compris en posant d’autres questions sur le sens du texte.
Il va ensuite exploiter le texte en soulevant quelques problèmes : la valeur du conditionnel
dans « je voudrais une chambre » et les autres possibilités d’exprimer la demande ; quels sont
les indices de l’interrogation, et ensuite à quoi sert le pronom interrogatif « quel »
(éventuellement par opposition aux autres pronoms interrogatifs connus) voir aussi si ces
indices sont les mêmes que ceux du premier texte (absence de mot interrogatif) ; les
différentes possibilités de donner son accord.
Traduction en LSF des textes. Les élèves vont jouer les deux dialogues, d’une
part pour s’assurer de leur bonne compréhension et ensuite pour rendre compte dans leur
langue maternelle des différences de registre des deux textes. Le premier (correspondant à
l’exercice 3) étant à l’oral sur un ton sec et exigeant de la précision dans les réponses, le
second faisant plus appel à la politesse (relation client vendeur), et faisant une place au choix,
aux préférences du client. Ces différences seront traduites en LSF par les mimiques faciales,
l’ampleur des gestes,…
Activité grammaticale : l’écriture des adjectifs numéraux cardinaux. On peut
commencer par faire répertorier les différents types d’informations chiffrées dans les deux
textes (date, prix,…). Ensuite, l’enseignant demande aux élèves d’essayer d’écrire au tableau
en toutes lettres les nombres qui ont étés notés dans les documents des exercices 2 et 3, mais
toujours avec le mot qui permet de savoir de quoi il s’agit (trente et un juillet, cinq franc).
Après avoir corrigé puis ajouté d’autres nombres en toutes lettres, l’enseignant tentera de faire
deviner les règles d’accord de vingt et cent et la règle d’écriture du trait d’union.
Activité grammaticale : l’accord du pronom « quel » : exercices 4 et 5. Le
premier exercice est un exercice d’observation. Les élèves doivent faire le lien entre le genre
et le nombre du groupe nominal des phrases et celui de l’adjectif interrogatif. Il faut
simplement faire une croix dans la bonne colonne. On peut donner un équivalent de ces
phrases dans un registre moins soutenu : « c’est quoi l’heure de départ ? ». Le deuxième
exercice sert juste à vérifier si les élèves ont compris la règle d’accord de l’adjectif
interrogatif. C’est la dernière activité de la séance.
DEUXIEME SEANCE :
Activité de repérage : Sur la base des textes et des exercices de la première
séance, l’enseignant établit avec ses élèves un champ lexical sur le thème de l’hôtel et un
autre sur le thème plus général du voyage. Cela permettra aux élèves de disposer d’un petit
lexique utilisable pour leurs productions écrites sur ces thèmes. Mais les items ne seront pas
présentés seuls comme dans le manuel, mais avec une ou des phrases d’exemple, à chaque
fois que c’est nécessaire, de manière à mémoriser les différentes constructions :
Sur le thème de l’hôtel : demander/réserver un chambre, faire la chambre ; utiliser/
faire la salle de bain, la salle de bain est libre ; prendre/commander son petit déjeuner, monter
le petit déjeuner dans la chambre ; la taxe de séjour ; le restaurant de l’hôtel ; la clé de la
chambre.
Sur le thème du voyage : La date de départ, d’arrivée, prendre l’avion ; le passeport ;
passer des vacances, prendre des vacances, être en vacances ; bagages, soute à bagages,
bagage à main ; valise ; prendre un vol pour… ; visiter la ville, visiter un musée,
(différent :rendre visite) ; se promener.
Activité de compréhension écrite :
Les français et les voyages : les séjours à l’étranger
Depuis plusieurs années, c’est près d’un quart des Français (23 %) qui partent au moins une
fois par an à l’étranger pour raisons personnelles ou professionnelles avec un budget moyen
tout compris par personne de l’ordre de 1 150 € ; soit 30% de plus que la moyenne
européenne.
Globalement après une progression en 1994 et 1995, les départs hors frontières ont subi un
net ralentissement en 1996 et 1997 (-2,9 % et -5,9 %) à cause notamment de la baisse de la
consommation des ménages ces deux années là pour remonter ensuite en 98 (environ 17
millions de départs) jusqu’aux attentats de septembre 2001 qui ont marqué un frein logique
pour quelques mois à l’envie d’ailleurs (ou tout du moins de certaines destinations). En tout,
les Français ont effectué 17,25 millions de séjours hors frontières en 2002 dont 15, 9 millions
pour des raisons personnelles.
(http ://www.abm.fr/pratique/frvoyage.html)
Le texte est très complexe, d’un point de vue syntaxique et sémantique. Il va soulever
de nombreuses difficultés. La méthode de lecture choisie permet d’approcher le texte
progressivement, d’un sens global vers une compréhension fine. La première étape va
permettre de prendre conscience qu’il s’agit d’un texte à visée informative. Après la première
lecture, les élèves discutent avec l’enseignant pour dire ce qu’ils ont compris ou pas du sens
global du texte. Le titre aide déjà beaucoup à comprendre de quoi parle le texte. Comme le
texte est complexe, la deuxième lecture sera assortie d’une tâche de repérage. Le plus simple
est de commencer par le relevé des données chiffrées, et déterminer à quoi elles renvoient
(date, prix, pourcentage, …). Le repérage des termes indiquant la dynamique des départs et
ceux indiquant les facteurs va permettre par exemple la constitution d’un tableau ou d’un
frise, ce qui va clarifier nettement la compréhension. La traduction du texte par les élèves à la
fin de l’activité va permettre de s’assurer de la parfaite compréhension des élèves. Cela
s’avère d’autant plus utile que la datation d’évènements se réalise de façon complètement
différente dans les deux langues. Cette traduction peut donc mener à une analyse contrastive
intéressante. Enfin, on pourra s’attarder sur certaines formes récurrentes du texte, comme
l’expression de la cause.
Activité grammaticale : la marque du pluriel. Il s’agit de l’exercice 6, qui est
plutôt facile. Il s’agit de mettre des groupes nominaux au pluriel.
Activité de production écrite, par groupe : sur la base du texte de l’exercice 1, le
premier groupe devra rédiger une lettre de réservation d’une chambre au Grand Hôtel de
France. Ecrite à la première personne, elle devra contenir les informations suivantes : nom et
prénom (à inventer) ; nombre et taille des/de la chambre(s) ; exigences du client (salle de bain,
petit déjeuner) ; dates d’arrivée et de départ. Le client devra aussi demander des informations,
telles que le prix de la chambre. Le deuxième groupe devra fournir les réponses aux questions
du client, remplir la facture proposée dans l’exercice 2, et récapituler la réservation, avec le
numéro de la chambre et l’étage. Certaines réponses pourront être modifiées, comme les prix,
à mettre de préférence en euros. Le but étant de manipuler des données chiffrées, et utiliser
des formes correctes du français pour demander et fournir des renseignements, demander des
précisions, exprimer ses préférences.
Activité de recherche sur le net : Il s’agira de se rendre sur le site
www.lonelyplanet.fr, de choisir un pays (dans la rubrique « destinations »), et de répondre à
un ensemble de questions, telles que le prix du billet d’avion, les formules proposées (dates de
départ, d’arrivée, prix, type de formule, hôtel, …) et aussi des informations chiffrées sur le
pays en question (nombre d’habitants, monnaie, …). Cette activité sera guidée par
l’enseignant, qui fera en sorte d’orienter les élèves vers les bonnes informations.
Top Related