L'écriture de l'espace dans la chanson occitane contemporaine (1969-2007)
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L‟écriture de l‟espace dans la chanson
occitane contemporaine
(1969- 2007)
Université Michel de Montaigne- Bordeaux III Année universitaire 2011-2012
Perrine Charteau
Mémoire de Master 2 Recherche en Etudes Littéraires
L‟écriture de l‟espace dans la chanson
occitane contemporaine
(1969- 2007)
Directeur de mémoire : M. Guy Latry
Soutenance : 24 septembre 2012
Université Michel de Montaigne Bordeaux III- Année universitaire 2011-2012
Remerciements
Je remercie en premier lieu M. Guy Latry pour sa patience, ses conseils et ses
relectures attentives. Son accompagnement, ses encouragements et sa disponibilité me
furent d‟une aide précieuse.
Je le remercie à nouveau, en l‟associant à Mme Katy Bernard, pour leurs
enseignements en littérature et culture occitanes, dont le présent mémoire témoigne de
l‟importance qu‟ils ont pris dans mon orientation.
Merci également à l‟équipe du CIRDOC qui a fait en sorte de mettre à ma disposition
le plus de documents possibles, parfois dans des conditions climatiques extrêmes, et
dont le travail préparatoire a permis de rendre mes visites efficaces.
Merci enfin à celles et ceux de mon entourage qui par leur écoute ont contribué à
démêler des questions parfois très éloignées de leurs préoccupations et qui m‟ont
encouragée tout au long de l‟élaboration de ce travail.
2
Introduction
La chanson occitane a peu fait l‟objet d‟études universitaires. Toutefois, nous
pouvons citer le travail très important de l‟historienne Valérie Mazerolle, La chanson
occitane1, sur lequel nous nous sommes beaucoup appuyé. L‟auteur y étudie
chronologiquement les différentes périodes historiques de la chanson occitane, depuis
l‟émergence de la « Nouvelle Chanson Occitane 2 » jusqu‟aux années 2000. Cette étude
très complète évoque le contexte de la création, les enjeux politiques de cette chanson et
associe à la perspective historique une réflexion sociologique sur le fait chanson au
service de l‟identité.
Plus nombreux sont les articles concernant ce domaine, souvent dans une
perspective d‟étude sociolinguistique ou musicologique. Nous pouvons citer ici les
travaux de Médéric Gasquet-Cyrus, de Maria-Carmen Allen-Garabato ou d‟Elizabeth
Cestor dont la thèse portant sur Les musiques particularistes 3 nous a également été
utile.
Les littéraires se sont finalement peu intéressés à la chanson occitane
contemporaine et les textes sont rarement étudiés avec les outils d‟analyse textuelle.
Lorsque les chercheurs s‟intéressent à l‟objet, soit ils éludent le texte pour s‟en tenir au
fait social, soit le texte est simplement cité pour éclairer un point de vue.
Cela voudrait-il dire que la chanson occitane n‟intéresse qu‟en tant que
témoignage d‟une époque, vecteur de messages plus ou moins politiques ? La chanson
occitane est très souvent mentionnée pour son aspect revendicatif et volontiers comme
le fruit d‟une jeunesse « engagée ». C‟est en effet une réalité à ne pas occulter : la
chanson occitane est née de mouvements de revendications et fut et reste aujourd‟hui un
medium privilégié pour diffuser des idées. Mais cela ne doit pas confiner la création
occitane en ce domaine à une vocation utilitaire. S‟il y a chanson, alors il y a travail
d‟écriture, du moins travail des mots. La portée d‟un texte politique ou militant passant
par l‟efficacité de ce travail, l‟étude de la forme ne doit donc pas être négligée.
Notre démarche consiste à étudier la chanson occitane en tant qu‟objet
littéraire. Il est pourtant évident que l‟étude d‟un texte ne peut être complète sans la
prise en compte des éléments contextuels. L‟étude de la chanson en général nécessite
une pluridisciplinarité qui fait souvent la richesse des études en ce domaine. Il ne sera
1 Valérie Mazerolle, La chanson occitane 1965-1997, Presses Universitaires de Bordeaux, Pessac, 2008.
2 Que nous désignerons désormais, comme Valérie Mazerolle, par le sigle « NCO ».
3 Elizabeth Cestor, Les musiques particularistes : chanter la langue d‟oc en Provence à la fin du XX
e
siècle, L‟Harmattan, 2005.
3
donc pas question de nier ces paramètres mais de n‟y faire appel que dans la mesure où
cela apportera à l‟analyse littéraire. C‟est en effet la vocation de ce travail : dégager
l‟imaginaire des auteurs et leurs particularités stylistiques ou expressives. Parallèlement
à la mise en avant de grandes caractéristiques communes, nous nous attacherons donc à
désigner les singularités des auteurs.
S‟il existe un élément qui fédère ces derniers, au delà de la revendication, c‟est
l‟espace. Tous nos auteurs, dans leurs chansons, évoquent l‟espace de manière
particulière. Soit comme objet de réflexion, de revendication, soit comme pur objet
poétique ou narratif. En effet, la revendication des années 70, qui voient émerger les
chanteurs de la NCO, concernait l‟utilisation de la langue, prioritairement, mais
également le droit de « vivre au pays ». A partir de cette idée, c‟est bien l‟espace qui est
en jeu, et qui est représenté dans presque toutes les chansons. Langue et territoire,
enjeux de ces luttes, deviennent des éléments centraux de la chanson occitane, et ce
jusqu‟à aujourd‟hui.
Comme le montre bien Valérie Mazerolle, la naissance de la chanson occitane
moderne à la fin des années soixante est étroitement liée à la construction d‟une identité
occitane. Il nous avait donc d‟abord paru intéressant d‟étudier comment cet espace est
représenté dans l‟écriture de la revendication ; comment l‟espace réel est modifié par la
représentation littéraire même lorsque, en apparence, l‟auditeur reconnaît cet espace
comme réel. Mais ensuite, il nous est apparu que ces représentations pouvaient être
dégagées de leur fonction revendicative pour devenir évocations poétiques, l‟un
n‟excluant pas toujours l‟autre. Certes, ces dernières restent liées à un attachement à la
terre, lorsqu‟elles évoquent le « pays », ou au refus d‟une réalité économique,
lorsqu‟elles évoquent Paris et l‟exil ; mais il se dégage de l‟évocation d‟une forêt
désolée un imaginaire personnel à l‟auteur qu‟il ne faut pas noyer sous les généralités,
au risque d‟occulter un pan entier de l‟écriture de ces chansons.Car si l‟espace est
central dans la production chansonnière, c‟est également parce qu‟il est un élément
poétique commun à toutes les chansons, partout dans le monde. La récurrence du sujet
n‟est pas une particularité occitane. Ce qui l‟est, c‟est l‟imaginaire construit autour de
cet élément.
Nous reprendrons ici le propos de Claude Mauron4 concernant la « géographie
poétique » de Max-Philippe Delavouët et qui correspond à l‟objet de notre recherche :
nous cherchons à mettre en avant « la distance entre les lieux réels dont [l‟auteur] s‟est
4 Claude Mauron , « Initiation à la géographie poétique de Max-Philippe Delavouët , La
pensée de midi, 2000/1 N° 1, p. 74-79.
4
inspiré (…) et le pays où évolue sa parole poétique ». C‟est cette « distance » qui nous
intéresse pour tenter de cerner les singularités créatives de ces écritures. En somme,
c‟est dans l‟imaginaire que nous pouvons penser trouver la marque de l‟expression la
plus personnelle des auteurs.
Cela ne signifie pas qu‟il existerait une opposition entre un réalisme insipide et
une abstraction glorifiée. Car nous trouvons cette « distance » partout où le travail des
mots se révèle. Ainsi, dans la description d‟un lieu réel, même nommé, même ancré
dans la réalité, une simple métaphore apparaît comme une mise à distance du modèle et
donc comme une marque de l‟imaginaire de l‟auteur. C‟est ici que se rejoignent tous les
paroliers de notre corpus. Si l‟opposition militants/poètes discriminait d‟emblée
l‟écriture de la plupart des auteurs, la focalisation sur l‟imaginaire est à la fois le point
de leur rencontre et de leur diversité. En étudiant par exemple l‟imaginaire autour du
chemin (en tant qu‟élément spatial et métaphorique), en constatant qu‟il s‟agit d‟un
motif partagé par tous, nous aurions de prime abord l‟impression d‟un autre lieu
commun. Mais les modes de représentation en sont multiples, dévoilent des sensibilités
contrastées et révèlent des esthétiques bien distinctes.
En mentionnant « la chanson occitane », nous sous-entendons qu‟il existe une
unité. Or, les artistes que nous étudions sont divers. D‟abord, nous devons clarifier ce
que nous entendons par chanson. Nous entendons par chanson toute parole chantée ou
scandée avec ou sans accompagnement musical mais toujours sur un air. Cette
définition volontairement large englobe donc théoriquement le chant lyrique ou la
polyphonie. Les définitions les plus répandues retiennent comme caractéristique le
caractère aisé de la transmission. Or, cette notion nous semble par trop subjective : les
chansons construites selon l‟art de la tençon, par exemple, sont-elles de transmission
orale aisée ? Sans doute moins qu‟un air traditionnel comme le Turlututu ; mais peut-on
alors discriminer la production des Fabulous Trobadors, adeptes de ce style d‟écriture ?
Nous sommes cependant confrontés aux tentatives de classification avancées
par les auteurs de chansons occitans comme Claude Sicre qui distingue notamment la
canson de la musica cantada5. Nous n‟entrerons pas dans ces considérations pourtant
primordiales de classification générique qui mériteraient un long travail à part entière.
Pour ces questions, nous pouvons renvoyer aux travaux de deux chercheurs: Paul
Zumthor pour son Introduction à la poésie orale 6et Stéphane Hirschi pour Chanson :
5 “Paraulas e musica”, in Occitans !, n° 72..
6 Paul Zumthor, Introduction à lapoésie orale, Paris, Seuil, 1983.
5
l‟art de fixer l‟air du temps7. Quant à l‟épithète “occitane”, nous avons été partisans de
la simplicité et d‟une définition la plus large possible. C‟est l‟utilisation régulière de la
langue qui nous a paru être l‟élément discriminant le plus pertinent. Nous avons
reconnu comme chanson occitane toute production rattachée à un auteur d‟expression
occitane et qui emploie régulièrement la langue dans ses productions.C‟est ainsi que,
même originaire d‟Astaffort (et malgré Les Chevaliers cathares), Francis Cabrel n‟entre
pas dans notre champ d‟étude. A l‟inverse, nous n‟en avons trouvé aucune occurrence,
si un auteur originaire du Nord avait chanté en occitan régulièrement, nous l‟y aurions
intégré.
Notre corpus ne pouvant englober toute la production chansonnière occitane,
nous avons dû établir des limites chronologiques. Nous décidons de nous intéresser aux
chansons produites à partir des années 1970. Nous avons travaillé à partir de la
Discographie occitane générale d‟Annie Zerby-Cros, dont le premier tome seulement
avait été porté à notre connaissance jusqu‟à récemment. Nous n‟avons donc pas
bénéficié de l‟inventaire établi en 2011 et qui concerne les textes parus après les années
80. Ainsi, pour les années allant de 1980 à 2011, nous avons effectué nos propres
recherches à partir du catalogue discographique du CIRDOC, de nos propres
connaissances et du site internet d‟Aure Séguier, paraulas.net, qui recense à ce jour plus
de 3000 textes de chansons occitanes.
Nous avons tenu à ne discriminer aucun type d‟écriture et à faire figurer dans
ce travail le plus d‟auteurs possibles. Si certains y figurent peu, et ce malgré
l‟importance de leur production dans la chanson occitane, c‟est que cela n‟était pas
justifié dans le cadre de notre problématique.
Nous avons organisé notre travail autour de trois grandes parties orientées vers
trois grands types d‟espace. Nous débuterons par l‟étude de la représentation de l‟espace
occitan. Nous verrons comment nos auteurs choisissent de prendre ou non des distances
avec l‟espace réel, selon la fonction qu‟occupe la représentation. Si l‟ailleurs ne peut
être reconnu comme tel qu‟à partir de la notion d‟ici, nous verrons dans un second
temps que le rapport entre les deux est plus complexe dans notre corpus. Car si l‟espace
occitan fait l‟objet de modes de représentations multiples, ce qui ne l‟est pas est d‟autant
plus complexe à définir. Nous nous interrogerons finalement sur les problématiques
liées à l‟Ailleurs en mettant en avant les tensions régissant sa représentation. Ces
tensions semblent se résoudre dans l‟isolement, propice à l‟évocation lyrique et à une
7 Stéphane Hirschi, Chanson : l‟art de fixer l‟air du temps, de Béranger à Mano Solo., Belles
Lettres/PUV, 2003.
6
mise à distance, temporaire, des problématiques collectives. Il apparaîtra que la
recherche d‟espaces de solitude, étudiés dans une dernière partie, Ici ou Ailleurs, permet
aux auteurs de révéler plus explicitement leur rapport affectif à l‟espace. Ce sera en
outre l‟occasion de faire la preuve de la pluralité thématique de la chanson occitane,
attachée à rénover autant qu‟à conserver le lien avec le trobar médiéval.
7
Première partie : présentation et représentation de l’espace occitan
Les chansons occitanes foisonnent évidemment de textes portant sur l‟espace
occitan lui-même. Nous verrons comment les auteurs ancrent leurs évocations dans un
espace précis et quelle valeur l‟Occitanie prend, selon les auteurs et les périodes. Si
l‟Occitanie est aujourd‟hui perçue comme un ensemble cohérent, la chanson, ses mots
ont servi cette construction, dès la fin des années soixante. L‟espace occitan est à la fois
l‟objet et l‟instrument d‟une revendication qui entraîne la recherche d‟images et favorise
l‟expression poétique, les auteurs adaptant le référent réel en fonction de leur message.
Cependant, de nombreuses représentations s‟éloignent de la revendication politique
pour ne revendiquer que l‟attachement d‟un auteur à sa terre. Là aussi une distance est
prise avec le réel qui réside souvent dans la nature exaltée de la représentation.
I) Désigner l’espace : toponymie et formules
Si nous parlons de représentation de l‟espace occitan, il faut d‟abord
comprendre comment les auteurs ancrent leurs textes dans une géographie et quelle
réalité recouvre pour eux le terme « Occitanie ». Si certains textes laissent peu de place
à l‟ambiguïté, notamment par l‟utilisation d‟une toponymie caractéristique, ce qui nous
permet de situer l‟action ou l‟évocation tient parfois à un jeu entre ce qui est dit et ce
que l‟auditeur y projette de ses propres représentations. Marti chantait dans Perqué
m‟an pas dit : « Mas perqué, perqué / M‟an pas dit a l‟escòla / Lo nom de mon país
?8 ». La chanson occitane va se charger de désigner ce pays, sans toujours le nommer
cependant. Parmi les moyens mis en place pour désigner l‟espace occitan, les auteurs
usent d‟une abondante toponymie qui permet l‟ancrage à la fois dans la géographie et
dans le niveau de réalité. Mais ils usent aussi de formules périphrastiques qui favorisent
la caractérisation de l‟espace occitan.
A) Toponymie imaginaire
Nous avons peu d‟occurrences d‟inventions toponymiques. Ce constat donne
un premier aperçu de l‟usage qui est fait de l‟espace par ces auteurs : la distance
8 Claude Marti, Occitania !, “Perqué m‟an pas dit?” (Marti), Ventadorn, 1969.
8
imaginaire qui est pourtant souvent à l‟œuvre sert rarement la construction d‟un espace.
Cet usage revêt différentes formes : on trouve d‟abord des inventions hybrides qui
désignent une réalité en la rebaptisant de manière caricaturale. Par exemple, les
Fabulous Trobadors rebaptisent simplement le quartier Arnaud Bernard en quartier
« Ali Bernard ». Si l‟espace ne s‟en trouve pas modifié, c‟est sa symbolique qui est mise
en avant. Ici, la toponymie imaginaire sert la création d‟une symbolique liée à l‟espace
existant. Dans une autre perspective, Jean-Paul Verdier, avec le pays de Tabou-le-Chat,
crée quant à lui un pays imaginaire sans pour autant le baptiser, la désignation résidant
uniquement dans cette périphrase. Il crée cependant, mais c‟est très anecdotique au vu
de notre corpus, une “rue de la vertu 9” pour Faits Divers I. Dans la Carriera Passa-
Miseria10
de Decomps et chantée par Fraj, la dénonciation de la construction d‟une
autoroute s‟effectue par la création d‟un espace fictif, construit à partir d‟un toponyme
évocateur et donné comme réel par le défini. Là encore, l‟occurrence n‟est pas
significative.
B) Toponymie réelle : nommer pour situer, nommer pour symboliser
Plus présente, la toponymie réelle reste le moyen le plus répandu dans la
désignation de l‟espace. Mais on ne peut en conclure que cela viendrait d‟un conflit
avec l‟imaginaire, puisque cet apparent réalisme peut à la fois ancrer le texte dans la
réalité géographique et être utilisée pour ce qu‟elle symbolise. Ainsi, à partir de ce
premier degré de désignation, apparaît déjà une distance avec le réel, dans une optique
militante ou non.
Nous trouvons d‟abord des chansons qui mentionnent une ville précise, et dont
l‟action pourrait pourtant se situer ailleurs. Ainsi, dans Morlana 11
, de Nadau, la fête du
village pourrait être n‟importe quelle fête dans n‟importe quel village. Ce qui semble
importer ici, c‟est de situer la rencontre amoureuse dans un espace réel, en l‟occurrence
rural. Si l‟affectif intervient peut-être dans ce choix, toujours est-il que l‟auteur voulait
représenter une fête comme il y en a tant.
9 Jean-Paul Verdier, Faits Divers, “Faits Divers” (Verdier), 1975.
10 Eric Fraj, Subrevida, “Carrièra Passa-Misèria” (Descomps), 1978.
11 Nadau, Saumon, “Morlana” (Maffrand), 2003.
9
A un autre niveau, on trouve une toponymie qui peut viser la description d‟un
endroit précis, souvent en forme d‟hommage. Dans Amont 12
, de Marti, le vent d‟Autan
situe l‟espace clairement au sud. Marti cherche ici à permettre la localisation réelle de
l‟espace, celui de l‟enfance, qu‟il souhaite rendre dans sa concrétude :
Entre lo Roc del Bau
E la ròca encantada
Pugèm, que nos espèra
A l‟òrri dels companh
Del costat de Llerbes
Cet exemple montre que le toponyme réel ne sert pas un message politique ni
ne sous-entend une proximité entre l‟auditeur et le chanteur. Nous voyons que la
représentation hésite cependant entre réel et imaginaire avec “la roca encantada” , qui
introduit le regard de l‟enfant et met à distance le modèle réel. Nous retrouverons cette
hésitation, toujours chez Marti, dans Lo camin del solelh 13
.
La toponymie peut également être utilisée pour évoquer le symbole.
Généralement, ces villes-symboles sont liées à l‟Histoire, et plus particulièrement à la
croisade contre les Albigeois. Lorsque Christian Almerge chante Trencavel14
,
l‟évocation de la figure historique ne se fait pas sans référents toponymiques : le Rhône,
Montpellier, Béziers, Toulouse, Narbonne, Carcassonne, pour ne citer que quelques
noms, sont réunis de manière très dense pour dresser un portrait autant de la croisade
que du jeune vicomte. Mais c‟est Marti encore, dont les textes sont plus volontiers liés à
l‟Histoire, qui, avec Montsegur15
en donne un exemple caractéristique. Il ne faut
cependant pas se hâter dans l‟interprétation, puisque les symboles historiques occitans, à
la faveur des luttes sociales, sont aussi bien contemporains. Ainsi, la difficulté
d‟identifier les cinq cents de Montségur repose-t-elle sur la confusion entre l‟évocation
des bûchers et celle de la manifestation dont le site fut le témoin. Dans Roges e negres
mos remembres 16
, il y a une abondance de toponymes qui renvoient plus à l‟Histoire,
donc au temps, qu‟à l‟espace en lui-même. Marti crée au fil de ses chansons un espace
fait d‟histoire. Notons une mention de Massilia Sound System qui, dans Violent 17
,
présente deux expressions données comme caractéristiques de l‟espace marseillais :
12 Claude Marti, Et pourtant elle tourne, “Amont” (Marti), 1992.
13 Claude Marti, Lo camin del solelh, “Lo camin del solelh” (Marti), 1976.
14 Christian Almerge et le groupe Test, Fantastic Album, “Trencavel” (Almerge), 2010.
15 C. Marti, Montségur !, “Montségur” (Marti), 1972.
16 C.Marti, Occitania !, “Roges e negres mos remembres” (Marti), 1969.
17 Massilia Sound System, Parla patois, “Violent”, 1991.
10
« c‟est violent » et « c‟est méchant » et qui les mettent en pratique par divers exemples
dont : « Monter au sommet de Montségur, c‟est méchant ! ». Si cette citation paraît
anecdotique, elle nous intéresse en ce qu‟ici, la ville, et plus précisément le mont à
gravir pour atteindre le château, a perdu sa charge historique pour devenir un élément
parmi d‟autres de l‟espace occitan. Il ne s‟agit pas d‟un effacement de la symbolique
mais d‟un déplacement : d‟élément de l‟Histoire occitane à revendiquer, le toponyme
est déjà un symbole intégré, réutilisé comme tel, et que l‟on n‟a plus besoin
d‟expliciter.
Avec la réflexion sur les quartiers initiée par les membres de la Linha
Imaginòt, à partir des années 90, le toponyme est remplacé par l‟odonyme. Saint-
Sernin18
texte de Claude Sicre chanté par les Femmouzes T. décrit ainsi la vie du
marché toulousain, le dimanche matin. Mais l‟utilisation de cette toponymie, qui limite
le phénomène de projection aux seuls auditeurs initiés peut créer un hermétisme. C‟est
le cas par exemple chez Mauresca Fracas Dub ou les Fabulous Trobadors, et chez tous
les auteurs qui intègrent à leurs textes l‟énumération de quartiers. Lorsque dans Vetz T.
19, de Massilia Sound System, le canteur
20 parle des “escaliers de la Montée des
Accoules”, l‟usage de l‟odonymie semble exclure l‟auditeur non-marseillais. Dans Bus
de nuit 21
, l‟auteur s‟adresse ouvertement à un public très restreint :
Du centre-ville, des quartiers-nord et des quartiers-est aussi,
Demandons à Vigouroux et aux élus à la mairie,
Que les bus roulent, roulent, roulent, roulent toute la nuit.
Et plus loin :
Pour ceux de Septèmes, pour la Sauvagère,
Pour ceux de la Rose et des quartiers.
Ici, le message est clairement ancré dans des problématiques locales et dans
une réalité concrète qui ne concerne que les destinataires de la dédicace. L‟écriture est
proche d‟un style discursif, il n‟y a pas de prise de distance avec l‟espace. Il faut aussi
noter que Marilis Orionaa dans Balansun 22
utilise également l‟énumération mais dem
anière originale : ce sont en effet les “noms de maisons anciennes du village de
18 Femmouzes T., Femmouzes T., “St Sernin” (Sicre), 1996.
19 Massilia Sound System, Chourmo !, “Vetz T.”, 1993.
20 Nous empruntons ce terme à Stéphane Hirschi qui désigne ainsi le “narrateur” d‟une chanson,
distinguant ainsi le chanteur et l‟auteur du “je” d‟une chanson. 21
Massilia Sound System, Chourmo !, “Bus de nuit”, 1993. 22
Marilis Orionaa, Ca-i !, “Balansun” (Orionaa), 1996.
11
Balansun, plus quelques noms de bois, rivières et fontaines23
” qui se trouvent listés pour
dénoncer la disparition d‟un bois.
L‟énumération peut toutefois se défaire de la revendication : dans
Mademoiselle Marseille 24
, François Ridel (Tatou ou Moussu T. , membre de Massilia
Sound System et parolier et chanteur du groupe Moussu T. e lei Jovents) personnifie la
ville en inventant un rendez-vous entre elle et le canteur. Cette recherche est surtout
l‟occasion de nommer différents quartiers (Saint-Jean, le Panier, Canebière) , ce qui
nous conduit à penser que la “couleur locale” est une autre motivation à l‟utilisation de
la tpoponymie réelle.
C) Absence de toponymie : la désignation formulaire
L‟espace peut être désigné sans faire appel à la toponymie , les auteurs ayant
recours à diverses formules et exploitant notamment celles qui sont construites autour
du país. La notion de pays est assez complexe à saisir et il n‟est pas évident de
comprendre quelle réalité elle recouvre. Dans la chanson, le país peut être une ville, une
région, l‟Occitanie, rarement la France, ou bien un pays donné comme imaginaire.
Celui-ci va être caractérisé par un élément significatif mouvant : pays du soleil, pays de
poètes, pays de lutte ou d‟oliviers…
C‟est d‟abord Marti qui parle de ce país avec le País que vòl viure 25
. Ici, le
terme est immédiatement rattaché à la notion de tèrra et d‟appropriation : « es la vòstre
amics / es la teuna vinhairon ». Mais le país, c‟est aussi ceux qui ont marqué son
histoire :
E Marcelin Albert
E la Comuna de Narbona
E los qu'an tuats los Crosats
E Marcelin Albert
E la Comuna de Narbona
Totis los qu'an cantat: Libertat !
C‟est qu‟à ce stade, la chanson occitane est totalement liée au message
politique et le terme país est omniprésent, qui aboutira au slogan « Volem viure al país »
. Ici, le terme désigne un espace que l‟on comprend être l‟Occitanie grâce aux
23 Présentation de la chanson intégrée à la pochette de l‟album Ca-i !.
24 Moussu T. e lei Jovents, Mademoiselle Marseille, “Mademoiselle Marseille (Ridel), 2005.
25 C. Marti, Marti canta un país que vòl viure, “Un país que vòl viure” (Marti), 1969.
12
références citées par Marti qui joue entre le sentiment d‟appartenance (“la teuna”, “la
vòstre”) et la mise à distance (“un país”).
Lorsque ces références historiques sont absentes, c‟est dans le titre des
chansons que l‟on trouve une précision de ce que recouvre le terme. Pour les auteurs de
la NCO, il est courant de relier le país à un adjectif fortement connoté : l‟exemple le
plus marquant est celui du « país escorjat » de Miquèla. Daumas dans Paura Provença,
au titre évocateur, utilise par deux fois cette construction : “país entralhat” et “país
estrifat”. Dans Occitania, chantée par Eric Fraj, il est question d‟un « país del solelh a
vendre ». Le pays y est représenté de manière traditionnelle par le soleil, mais la
formule-slogan sert aussi à dénoncer l‟exploitation économique du paysage. Si ce type
de construction a un certain succès parmi les auteurs de la NCO c‟est qu‟ils peuvent par
ce moyen trouver des formules efficaces.
Mais le país, c‟est aussi un espace que les auteurs aiment simplement décrire.
Lo meu país de La Talvera ne précise jamais, pas même dans le titre, de quel espace il
s‟agit. En effet, le texte, décrit sur plus de quatre-vingt vers un país qui n‟est jamais
nommé, un pays fait de valeurs et d‟éléments naturels. Un pays qui « n‟a ni nom ni
frontièra », qui est lié à la littérature (« dins lo vèrs s‟espandís / d‟una fòla epopèia »), à
la nature, aux luttes. Un pays qui « es pertot » et qui peut-être « n‟existís pas enlòc » 26
et donc « es sus la tèrra entièra ». Il se trouve dans ce qui le constitue, et notamment
dans la nature, le paysage :
Se sabiatz, mon país
S'escond per las genèstas
Dins la flor qu'espelís
Dins lo còr de las bèstias
Dins l'ombra que blanquís
Dins l'autan que despèlha
Dins la doçor d'un nis
O lo pols d'una fuèlha.
Si a priori nous ne trouvons aucune connotation politique ici, on peut
cependant trouver dans l‟écriture des valeurs de ce pays une orientation particulière :
Mon país es pertot
Ont son los privats d'ésser
Sens papièrs ni aunor
Sens ostal o sens tèrra
26 Nous rapprochons ce vers de ces deux autres, de Mans de Breish dans Los òmes sens patria : « Mas i a
pas d‟Occitania / La trobarem pas enluòc”.
13
Nous n‟avons rencontré qu‟une occurrence où le terme est employé pour
désigner la France, dans Desportacion 27
, de Marceau Esquieu chantée par Pierre-André
Delbeau, mais déterminée par un complément (“de la libertat”) :
Sèm assignats a residència
Al país de la libertat
Si la désignation rappelle celles qui renvoient à l‟espace occitan, pour le bien
du paradoxe Esquieu applique ironiquement cette tournure à la France. Il lui concède ici
une valeur positive pour en dénoncer les contradictions.
II) Délimiter l’espace
Il n‟y a qu‟à consulter les nombreuses cartes d‟Occitanie présentes dans les
pochettes d‟albums des auteurs de la NCO (et Nadau, notamment, continuent d‟en faire
figurer ) pour comprendre que la délimitation de l‟espace occitan est une question
importante. . La présence de ces cartes dans les pochettes n‟est pas anodine qui
témoigne d‟une démarche pédagogique de la plupart des groupes et chanteurs occitans.
Les auteurs de la Linha Imaginòt produisent quant à eux moins des cartes que des “traits
d‟union”, reliant les villes reconnues par eux. Les textes des chansons reflètent ces
démarches pour donner naissance à des chansons-cartes ou des parcours fléchés.
A) Etendues et frontières : la chanson-carte
Les nombreuses occurrences de vers formés autour de la locution « de…(cap)
a… » , récurrentes dans l‟écriture des auteurs de notre corpus attestent d‟un goût partagé
pour la représentation d‟un espace délimité. Mais cette locution entraîne une hésitation,
à la frontière justement entre une idée de limites et une impression d‟étendue.
Ainsi, dans Per har un novèth monde 28
de Delbeau, la représentation
s‟effectue par l‟image du chemin, ce qui introduit un dynamisme :
A l‟auba lo camin
Travèrsa mos grans pins
27 P.-A. Delbeau, Camas de bòi, “Desportacion” (Esquieu), 1973.
28 P.-A. Delbeau, L‟autanèir, “Per har un novèth monde”, Disc‟òc, 1970.
14
Deus bòrds de la mar grana
En Mediterranea
Deus plans de la Limanha
Dinc a las Pireneas
De l‟Atlantique à la Méditerranée, des plaines aux montagnes, l‟espace est
hétéroclite et vaste. Delbeau insiste sur la diversité topographique d‟un espace que l‟on
s‟imagine interminable puisque ses bornes sont des espaces vastes (mer, plaines et
montagnes).
Patric, dans Esclarmonda 29
, entreprend quant à lui une visite de l‟Occitanie à
partir d‟une figure féminine. Si elle n‟est pas citée, c‟est pourtant bien une carte
d‟Occitanie qui est dressée, à partir de la métamorphose sans cesse répétée de la figure
féminine : « quand te fas lemosina », « quand te fas aquitana ». A chaque fois, ce « tu »
prend les caractéristiques de l‟espace désigné, qu‟elles soient culturelles ou historiques.
Patric peut ainsi à la fois montrer la diversité et l‟unité de l‟espace occitan.
Il est également frappant de remarquer que chez les auteurs appartenant au
mouvement de la Linha Imaginòt, cette délimitation de l‟espace est d‟autant plus forte
qu‟il s‟agit pour eux de dépasser les frontières. Massilia Sound System dans Parla
Patois 30
choisissent de délimiter l‟espace linguistique qui est traditionnellement celui
du Sud :
Dedins Marsilha : parla patois
E per Tolosa : parla patois
De Nissa a Lemotges tamben : parla patois
Si la côte aquitaine, notamment, n‟est pas mentionnée, c‟est que le texte répond
à un souci d‟efficacité : montrer l‟étendue de l‟aire linguistique en trois vers. L‟emploi
de « dedins », « per », et « de … a… » introduit une dynamique visant à diversifier la
représentation de l‟étendue. L‟écriture volontiers injonctive du groupe Marseillais. est
renforcée lorsque l‟auteur crée une ouverture surprenante à un espace traditionnellement
peu propice à la diffusion de l‟occitan :
E mem‟a París, ragga, te fau parlar patois !
Notons que François Ridel, qui signe la quasi-totalité des textes du groupe, a
appris l‟occitan à Paris. Dans Disèm fasèm31
, la frontière dessine une ligne nord-sud :
29 Patric, , Made in Occitània, “Esclarmonda” (Patric), Aura, 2001.
30 Massilia Sound System, Parla patois, “Parla patois”, 1991.
31 Massilia Sound System, Chourmo !, “Disèm fasèm”, 1993.
15
Anti-centralista es la filòsòfia,
Accion, Accion aquò‟s l‟estrategia
L‟aventura la vaquí per nautrei Marsihès
La conselhi a tot lo monde de Strasbourg au Carcassès
De l‟espace linguistique, nous sommes passés ici à l‟espace de l‟action, ce qui,
cette fois, semble exclure Paris. Dans Trobador32
, les mêmes parlent clairement de la
Linha Imaginòt, en ces termes :
De Marseille à Toulouse sur la ligne Imaginòt
Sur l‟autoroute on écoute les Fabulous à la radio
Nous voyons qu‟ici, l‟espace s‟est largement réduit pour ne former qu‟une
“autoroute” entre Marseille et Toulouse. C‟est que la Linha Imaginòt ne représente pas
toute l‟Occitanie mais , et surtout à la date d‟écriture de cette chanson, une ligne qui ne
relie que quelques villes des sympathisants déclarés de la pensée de Félix-Marcel
Castan. Et si Marseille et Toulouse sont les premières à être reliées, c‟est que les
initiateurs de la Linha sont justement Massilia Sound System et les Fabulous
Trobadors,originaires respectifs de ces villes. La réflexion politique et l‟idéologie
forment donc un espace dans l‟espace. Voici comment se définissent les partisans de la
Linha Imaginòt :
“La Linha Imaginòt, c'est les autoroutes de l'imagination. Reliant les villes, les
quartiers, les villages, les personnes qui, dans quelque point du territoire qu'ils se
trouvent, dans quelques conditions économiques, sociales, culturelles qu'ils soient
placés, se sont sentis le droit et le devoir de participer activement, avec les plus grandes
ambitions, au mouvement du monde. Autoroutes de l'imagination, de la création, de
l'échange de la solidarité, qui mènent à la démocratisation absolue33.”
Ce qui est intéressant pour nous, c‟est de trouver, dans un mouvement
artistique occitan, cette idée d‟espace: « autoroutes » qui relient qui font la « jonction ».
Donc une anti-ligne Maginot qui n‟est pas défensive (et vouée à l‟échec), mais qui relie
; une frontière qui n‟en est pas une. C‟est ce que l‟on retrouve dans la déclaration des
membres de Massilia Sound System dans la revue Linha Imaginòt : « ce n‟est pas la
32 Patric, Made in Occitània, “Esclarmonda” (Patric), 2001.
33 Présentation de Linha Imaginòt, sur le site web http://membres.multimania.fr/simorre/linha/presli.htm
consulté le 14/04/2012 à 21 h 30.
16
frontière d‟un pays que l‟on veut, c‟est une frontière culturelle…c‟est même pas une
frontière34
.”
Enfin, la chanson-carte est aussi celle qui additionne les références
topographiques pour structurer la chanson. A cet égard, la chanson de la Talvera
intitulée Occitania35
est particulièrement significative : l'auteur présente d'abord la
toponymie occitane en nommant les différentes villes et régions occitanes. Mais
l'impression de mouvement est insinuée par des indications invitant à se représenter une
topographie : nous trouvons en abondance un lexique de la vue et une énonciation au
présent qui contribuent à flécher l‟espace (« Plus luenh avem Montanha negra36
»).
Si Stéphane Hirschi a pu comparer la chanson à « des métaphores de l‟agonie,
c‟est-à-dire comme le compte à rebours vers la fin qui s‟amorce dès le début d‟une
chanson »37
, la chanson occitane prouve qu'elle peut également s'envisager de manière
horizontale, plus positive, et se déployer comme une carte dynamique.
B) Terre et ciel : la fusion poétique des éléments
Si les frontières sont abolies ou créées sur le plan horizontal, d‟autres limites
sont dépassées, que constituent celles séparant verticalement le sol et le ciel. C‟est
Robert Lafont qui nous en fournit un exemple caractéristique dans Legendari de la
dolor, chantée par Gui Broglia, où la « vila rossa » se situe « sus l‟òrle de la nuech ».
Or, cette nuit représente-t-elle le ciel ou le temps ?
Dins una vila rossa
Sus l‟òrle de la nuech
Una filha sèns possas
Remira dins mis uelhs.
Lafont imagine au passage une frontière absolue, celle qui doit finir le monde :
les « termes dau monde », où « un rèi [es]malaut de sa jovença ». La référence à ce roi,
indéfini, au bord du monde donne bien à ce texte une tonalité légendaire.
34 Interview du Massilia dans Linha Imaginot, n°29, 1997, pp.16-21.
35 La Talvera, Bramadis, “Occitània”, 2007.
36 La Montagne noire est d‟ailleurs une frontière au VIème siècle : celle qui sépare le territoire franc des
conquêtes des Wisigoths. 37
Stéphane Hirschi, Op. cit., p.29.
17
Dans Te causissi 38
, texte de Bernard Manciet chanté par Jacmelina dans
l‟album éponyme, il ne s‟agit plus d‟hésitation entre ciel et terre, mais bien d‟une
confusion : un « auratge de flors » crée une explosion entre ciel et terre, tandis que la
« bèra plana » accueille aussi bien le « bestiar » que « lo cèu ». C‟est que cette plaine,
c‟est la langue, et que celle-ci permet que fusionne le ciel avec la terre39
.
Il ne nous échappe pas que les auteurs que nous venons de citer sont par
ailleurs auteurs d‟une grande production poétique. Cependant, le choix de texte effectué
par les interprètes est significatif en lui-même. En effet, Jacmelina comme Gui Broglia
chantent à une époque où chanson occitane et politique sont considérées comme
étroitement liées et pourtant, le choix effectué ici se trouve résolument du côté du
symbole poétique.
Nos auteurs, dans des styles différents, reprennent bien pourtant dans leurs
écritures respectives ces images de fusion entre ciel et terre. Dans la Naissença de Jean
Rigouste pour Eric Fraj, nous trouvons ainsi un effet de miroir, ou plutôt d‟amalgame
entre le ciel et la rivière, puisque les étés fuient « dins lo riu del cèl clar ». La
métaphore est double : la rivière comme temps qui passe et le ciel comme rivière. Ciel
et mer sont reliés par l‟imaginaire dans les mots de Françoise Chapuis qui écrit dans Le
bleu 40
: « du bleu de la mer qui fait chanter Massilia / à celui du ciel toute l‟année à
Bahia ». Mer et ciel, Marseille et Bahia se mélangent le temps de deux vers et se
répondent en miroir au-delà des frontières. Ici, l‟image poétique se trouve “concrétisée”
par la référence au groupe marseillais.
C) Ville / campagne, mer/montagne et forêts : des contrastes internes
La ville dans la chanson occitane, c‟est d‟abord l‟espace aliénant. Dans
Occitania41
de Léon Cordes pour Fraj , la ville ne semble pas prometteuse, elle est faite
de « furòls HLMizats » et mène vers « lo portanèl del caumatge ». Le chômage est ici
un espace, puisque l‟on y accède par un portillon. Andrieu, qui signe Adios Chile 42
pour Jacmelina, y évoque ainsi des « vilas-formiguièras ». Le même, dans Soi davalat
38 Jacmelina, Te causissi, “Te causissi” (B. Manciet), 1975.
39 Voir à ce propos l‟article de Manciet, “Landes de Gascogne, une terre reflet du ciel” dans Autrement,
n°25, juin 1980. 40
Femmouzes T., 2, « Le bleu » (Sicre), 2000. 41
E. Fraj, Subrevida, “Occitània” (Cordes), 1978. 42
Jacmelina, Ambe lagremas e solelh,“Adios Chile” (Andrieu), 1976.
18
del Segalar43
, fait chanter à Jacmelina une « granda vila » où le canteur est « perdut »;
très classiquement, il s‟y trouve environné de « fumarias » et de « fums ». Dans la
Cançon de Sorrel, Daumas fait de ce contraste une lutte où « l‟un y perd et l‟autre y
gagne », en l‟occurrence, « a ganhat la vila / lo país naut es mòrt ».
Les auteurs de la Linha Imaginòt valorisent l‟espace urbain (certains auteurs
n‟oublient pas de mentionner les aspects les plus négatifs et inesthétiques de l‟espace) et
même les éléments industriels de la ville qui permettent la valorisation du travail des
habitants et du passé ouvrier. François Ridel et Sam Karpienia sont deux auteurs qui
intègrent régulièrement la thématique ouvrière dans leurs textes par la représentation de
l‟usine ou du chantier portuaire. Dans Me‟n garci 44
, François Ridel évoque un jour de
pluie sur la ville portuaire et y esthétise la présence des grues :
Uei plòu sus la vila,
Van picar ai niéus leis agruias dau pòrt
Ces éléments en apparence négatifs sont intégrés dans des descriptions
globales, objectives, de l‟espace urbain45
. Ridel fait cohabiter l‟idée de pays de Cocagne
et de pays bien réel, comme ici dans Des métallos 46
:
Qu‟ont-ils fait à ma ville ? Qu‟ont-ils fait dans son dos ?
C‟était un coin tranquille, un paradis au bord de l‟eau;
Tout paraît immobile, plus de grues, de bateaux,
Quelques ombres défilent. La peste est-elle là de nouveau?
Ce “coin tranquille”, ce “paradis”, voici comment l‟auteur le décrit quelques
vers plus haut :
Dédicace à La Ciotat, c‟est une cité au bord de l‟eau.
Il y avait le chantier, on y construisait des bateaux.
Plus d‟un millier d‟ouvriers, jour et nuit, des coups de marteau
Et des gerbes d‟étincelles qui faisaient rêver les minots.
Oui, c‟est un dur métier, c‟est un fichu boulot,
La sirène, le matin, ah putain ! Qu‟elle sonnait tôt !
43 Jacmelina, “Soi davalat del Segalar”, idem.
44 Moussu T. e lei Jovents, Mademoiselle Marseille, “Me‟n garci” (Ridel), 2005.
45 A ce titre, les illustrations des albums et produits dérivés du groupe Moussu T. E lei jovents jouent un
rôle particulier, avec un graphisme mettant en valeur la “silouhette” horizontale de la ville, permettant la
mise en valeur des grues. 46
Masssilia Sound System, Commando fada, “Des métallos”, 1995.
19
L‟auteur montre que chanter la nostalgie des chantiers ne doit pas faire oublier
la pénibilité du travail. Il peut ainsi regretter que les usines “n‟existent plus qu‟en
photo”, et évoquer sans peur du paradoxe la peine des ouvriers. C‟est ce que les auteurs
de la NCO n‟ont pas réussi à effectuer, se contredisant d‟une chanson à l‟autre. Un
exemple parmi d‟autres, dans ces deux textes de Marti : dans l‟ Indian 47
l‟auteur
dénonce ainsi la fermeture des usines : E se barrèron las usinas, / passèt la tèrra a
d‟autras mans tandis que dans Ieu me‟n vau48
, il dénonce l‟implantation des usines :
Rescontri liberal-man / Qu‟aima plantar sas usinas. Les textes de Ridel, qui mettent en
tension fantasme et réalité, imaginaire et réalisme, assument la double dimension de
l‟espace urbain, poétique et fonctionnel.
La ville, pour les auteurs de la NCO présente surtout l‟intérêt d‟être un espace
de rencontre et d‟échanges. Dans Ville, ma vila 49
, texte bilingue de Marti, la ville est
cosmopolite et protectrice, elle est une “ostal” pour “Le blanc et le noir /
Les juifs et les arabes”, elle est “vila d‟ Orient”. Marti mélange espace local et enjeu
universel, comme le feront d‟autres auteurs dans les années 90. C‟est là une
représentation qui dépasse la périodisation, qui traverse toute l‟histoire de cette chanson.
Massilia Sound System dans Au marché du Soleil présente le marché (réel) en insistant
sur les mélanges culturels que l‟on peut y trouver. Le marché apparaît comme le centre
de la Méditerranée, pour lequel en effet “on vient de tous côtés de la Méditerranée”.
Dans les textes des groupes des années 90 à aujourd‟hui, la ruralité est donc
peu présente. François Ridel dit à ce propos que l‟« on s‟imagine toujours l‟Occitanie
comme rurale, comme paysanne, alors que notre culture occitane à nous est issue du
littoral, de l‟environnement maritime » 50
. Notons cependant que Marie Rouanet a écrit
un éloge de la vie en ville, dans son roman Dans la douce chair des villes 51
, ce qui doit
nous inciter à prendre des distances avec les conclusions parfois trop hâtives sur le
rapport à la ville de ces auteurs. Plus qu'un clivage NCO-espace rural / Linha-espace
urbain, il apparaît que les lieux valorisés correspondent à l‟origine ou au choix conscient
des auteurs. Ainsi, si Delbeau chante les dunes et les forêts, tandis que François Ridel
chante Marseille et la mer, il est difficile d‟expliquer ce fait par le seul souci de
correspondre à un courant esthétique ou idéologique. Enfin, il est tout autant difficile de
classer systématiquement des auteurs en fonction de ces représentations : Marilis
47 C. Marti, L‟òme espèr, “Indian” (Marti), 1974.
48 C. Marti, Lo camin del solelh, “Ieu me‟n vau” (Marti), 1976.
49 C.Marti, L‟An 01, “Ville, ma vila” (Marti), 1975.
50Interview du Massilia Sound System dans Linha Imaginòt n° 67, 3eme trimestre 2006, p. 13.
51 Marie Rouanet, Dans la douce chair des villes, Payot, 2001.
20
Orionaa par exemple, qui a marqué plusieurs fois son indépendance par rapport à tout
mouvement 52
chante La vila de Pau53
en en représentant aussi bien « lo Gave valent »
que « lo gran baloard/ Que blueja l‟Aussau ».
III) Constater l’espace : grandeur et décadence de l’espace occitan
A ces contrastes dans la représentation des espaces internes, s‟ajoute la
diversité des regards portés sur l‟espace occitan : en le sublimant, les auteurs font de
l‟Occitanie un lieu proche du locus amoenus, ensoleillé, paisible et favorable à
l‟épanouissement de chacun. Mais en représentant les menaces qui pèsent sur ce lieu, en
les exagérant parfois, c‟est une toute autre Occitanie qui se dessine, et un autre rapport à
l‟espace. Cela crée une situation paradoxale où les auteurs entretiennent des clichés
qu‟ils entendent dénoncer.
A) La sublimation de l’espace : le pays de Cocagne
L‟espace occitan est d‟abord dans ces textes un espace chargé de connotations
positives. Les auteurs en louent différents aspects, à commencer par la beauté des
paysages. Le paysage est également lié de manière étroite à une douceur de vivre qui en
résulterait naturellement. En cela, la chanson moderne semble prolonger les
représentations des chants traditionnels, et notamment les hymnes, dont la tonalité
laudative est propice à la caricature.
Dans Bròcard de Daniel Daumas, l‟espace positif est un « vilatge de
Provença » , où la « bastida rossa/tancada en riba de Verdon » évoque la sérénité
passée d‟une vie à la destinée tragique. Le soleil est chez Peiraguda un élément
d‟identité : « Avem lo solelh din lo cap »54 tandis que pour Verdier, le soleil est un
élément qui se comprend et s‟attribue : “As compres lo nòstre solèlh”55. Nous avons
déjà mentionné Lo meu país de la Talvera pour la désignation du pays, mais on y trouve
également une vision idéale de cet espace. Entre imaginaire et réel, il nous est difficile
de ne pas situer cependant ce texte dans cette veine de sublimation. Il s‟agit d‟un pays
52 Voir, notamment, le chapitre qui lui est consacré dans l‟ouvrage de Frank Tenaille, Musiques et chants
en Occitanie : création et tradition en pays d‟oc , 2008. 53
Marilis Orionaa, Ca-i !, “Vila de Pau” (Orionaa), 1996. 54
Peiraguda, De mai en mai, “Mila cançons”, 1986. 55
J.-P. Verdier, L‟exil, “Veiqui l‟occitan” (Verdier), 1974.
21
idéal où l‟on ne mentionne aucune ville, seulement la nature et la douceur de vivre.
Nous pourrions ainsi énumérer bien des textes qui prennent la forme de chansons, cette
fois, cartes postales mais qui chacune revêtent un intérêt poétique particulier.
La sublimation passe chez Maffrand, dans Cecila, Miqueu, Nicolas 56
, par la
valorisation des éléments de l‟espace les plus sommaires :
Que v‟atendi enqüèra uei,
Perdut hens lo men saunei,
A l‟acès deu vent ploja,
Prauba cabana de boès,
Lo mei beròi deus castèths.
Cette sublimation ne concerne pas seulement l‟espace rural car à partir des
années 90, nous l‟avons vu, les espaces privilégiés deviendront les villes. Sublimation
qui passe par l‟évocation d‟une ville carrefour culturel : dans Au marché du soleil de
Massilia Sound System, on trouve « des diamants », des « sourires », « les fontaines
d‟Orient » avec l‟utilisation d‟un procédé d‟énumération pour souligner l‟effet
d‟abondance. La chanson se clôt sur une réflexion politique sur la ville : « si on voulait
vraiment embellir notre cité / il faudrait un marché du soleil dans chaque quartier ».
Notons que le groupe s‟intègre dans cette description : « On y joue parfois Massilia / Il
fait toujours beau ». Ce dernier vers est une sorte de leitmotiv dans le texte, puisqu‟il
s‟insère dans le refrain et qu‟on le retrouve par ailleurs dans de nombreux autres textes.
L‟auteur valorise ici l‟ensoleillement lorsque dans Me‟n garci, il donne la preuve d‟une
réalité plus pluvieuse.
a) Menaces et condamnations
Dans Sud de France57
, les Mauresca Fracas Dub, groupe de Montpellier,
énoncent ainsi les menaces liées à cette Occitanie idéalisée :
Idéalisés, convoités, les pays d'Oc font rêver
Des métropoles ensoleillées à la tranquillité rurale
Revoyons les données, cramons la carte postale
Rivières polluées, littoral défiguré
56 Nadau, S‟avi sabut, “Cecila, Miqueu, Nicolas” (Maffrand), 1995.
57 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, « Sud de France », 2010.
22
Et cet effort pour « cramer la carte postale » a pourtant été entamé dès les
débuts de la chanson occitane. Ainsi, cohabitent dans les chansons valorisation et
constat négatif d‟un même espace, dans une sorte de double discours. La chanson
occitane qui évoque les menaces pesant sur l‟espace les ont d‟abord associées à la
thématique de la menace touristique et des transformations apportées par l‟extérieur.
Cela donne une écriture riche en images révélant l‟inquiétude qui plane sur le paysage.
En témoignent Dublanche, qui dans Silenci évoque une “tèrra cremada”, Marti une
“tèrra abandonada”58
, Chadeuil un “Perigòrd condemnat 59
“ et nombreux sont ainsi les
qualificatifs témoignant d‟un constat des plus sombres. Boloard de las Pireneias, texte
de Baradat chanté par Fraj, correspond parfaitement à la dénonciation de la
transformation de l‟espace par le tourisme :
Que i a ostaus com cau
Dab colonas e esculturas
Plan sarrats près de Sant Martin
O de la majoria
Fraj nous permet ainsi de comprendre que la chanson du XXème siècle s‟insère
dans une histoire en prolongeant des thématiques déja présentes avant elle, en se les
réappropriant. Et c‟est une thématique qui perdure aujourd‟hui dans les textes de
Mauresca Fracas Dub, par exemple. Dans Sèta, l‟hommage à la ville commence par la
déploration du déclassement de l‟étang de Thau. On trouve aussi de simples
accusations, en forme d‟interrogations : on dénonce en se demandant, comme chez
Nadau, « Qui m‟a tuat mon vilatge ? »60
ou pour Marilis Orionaa, « Mes qui a copat lo
bòsc de Balansun / On i avè nau cents sendèrs senderons e un ? »61
. Marilis Orionaa
peut donc dans son écriture dénoncer à la manière des auteurs de la NCO, comme par
exemple dans Etnocide62
, où le constat de la transformation entraîne des images de
destruction. Le refrain introduit cette idée par une image exploitée tout au long du
texte : « Que traucan lo Biarn » et plus loin, « que traucan la montanha blua ». Puis la
destruction se précise, « e sacamandejar la valea ». Les verbes, aux connotations fortes,
sont toujours associés à un élément de l‟espace : « que traucan los candaus (…) e las
vias sagradas », qui sont remplacés par « l‟autòrota » et les « descargas ».
58 C.Marti, Occitània !, “Lo país que vòl viure” (Marti), 1969.
59 J.-P. Verdier, Occitània sempre, “La vièlha” (Cadeuil), 1973.
60 Los de Nadau, Monsur lo regent, “Qui m‟a tuat mon vilatge?” (Maffrand), 1975.
61 Marilis Orionaa, Balansun, “Balansun”, 1992.
62 M. Orionaa, Ca-i !, “Etnocide”, 1996.
23
B) Des culpabilités internes
Parallèlement, le constat de la menace donne lieu à différentes condamnations,
comme dans Qui m‟a tuat mon vilatge de Los de Nadau. Dans cette chanson en forme
de procès, l‟auteur, en même temps qu‟il dénonce la mort de son village, accuse un par
un les éléments de cet espace, griefs qui permettent d‟en faire au passage une
représentation. Le constat dressé par Maffrand est plutôt négatif : le vent « esparvol[a]/
La nueit e la paur », la terre n‟est « pas de bon tribalhar 63
» et la neige accable les
hommes « de silenci, de puretat ». Nous notons avec cette dernière accusation
l‟irruption de l‟ironie, qui incite l‟auditeur à prendre du recul quant à la tonalité de ces
questions. Ainsi, ce détour par l‟espace est ici utilisé pour désigner, en creux, les
véritables responsables de la mort du village.
Dans La vièlha interprétée par Jean-Paul Verdier, on trouve cette
interrogation :
Onte son-t-ilhs, lo punh levat:
Tots quilhs que son la charn viventa
De ton Peirigòrd condemnat ?
Interrogation qui ressemble fort là aussi à une accusation.
Fòc de Paper 64
, chantée en catalan par Fraj, introduit une impression de
lassitude, puisque le canteur « en tinc prou ». Cette lassitude est orientée vers des
éléments de tous ordres, parmi lesquels figure l‟espace:
Quan en tinc prou del vent
Quan en tinc prou del temps
En tinc prou de la mar
I del seu compas
C‟est finalement le pays qui semble être le plus accablé par le canteur, puisque
si le vent, les temps, les gens, sont simplement énumérés, la désignation du pays
s‟effectue par une double qualification :
En tinc prou de la mort
D‟eixe vell país mut
63 C‟est une image qui dépasse les efforts de périodisation thématique puisque Mauresca Fracas Dub écrit
dans Sud de France : „Garrigue aux mille essences/Où presque rien ne pousse,/Monts et forêts denses/Des
primales secousses‟. 64
E. Fraj, Via nova, “Fòc de paper” (Fraj), 1986.
24
Il est mal aisé d‟interpréter le rapport entre ces deux vers : le rythme du texte
est tel qu‟à la première audition, « en tinc prou de la mòrt » semble indépendant. Mais
la préposition « d‟ » est-elle rattachée à « en tinc prou » ou à « la mort » ? Toujours est-
il qu‟ici, la valeur positive de l‟épithète « vell » est nuancée voire effacée par le second
épithète, « mut ». Ce double sens trouve son reflet dans la double condamnation des
hommes : ceux qui sont extérieurs et ceux qui l‟habitent et sont coupables de la laisser
aux mains des premiers.
a) Le désert
L‟image du désert est presqu‟exclusivement négative et souvent utilisée pour
symboliser la dévastation, la désolation et le dépeuplement.
C‟est le train qui est l‟instrument de la désolation chez Patric, notamment, qui
“à Capdenac [voit]le train/ Vider [sa] terre, [son] pays”. Dans la même idée, Dostromon
au verso de la pochette de Lemosin Occitania, écrit “un pays vide est un pays qu‟on
vide”. Le train est également présent chez Massilia Sound System avec Triste es lo trin.
Patric dans Ai causit de cantar 65
fait émerger l‟idée d‟un rapport personnel à la
terre qui dépasse la simple appropriation par le possessif :
Ai causit de cantar lo gran, la tèrra
E vaquí que qu'es desèrta la plana ont ai viscut
Ici, c‟est le fait que le canteur a vécu sur cette terre qui introduit le sentiment
dans le constat négatif. Paura Provenço de Daumas est assez caractéristique de cette
écriture de la désolation. Ainsi, si « mòrts son leis aubres », « nusa es la tèrra » (image
que l‟on retrouve souvent également) c‟est tout naturellement que la conclusion
s‟impose : « Nòstre país va debanar ». Pour finir, dans Desèrt, Verdier évoque la
« tèrra dessechada » :
Nòstra tèrra dessechada
Acialant tot çò que viu
La sòla deven calhau
un pauc mai ujan qu‟antan
65 Patric, Baticòr, “Ai causit de cantar” (Patric), 1977.
25
L‟una fai bufar lo vent
sus un tròç de tèrra nuda
l‟autra veu venir lo temps
que la fara tornar muda
Nous retrouvons l‟image du pays muet que nous avons déjà rencontrée chez
Fraj. Cependant, Verdier fait intervenir l‟espoir porté par l‟avenir et nous amène à
interroger le rapport entre l‟espace et le temps.
Notons auparavant que le desèrt n‟est pas connoté de la même manière que la
lana, comme en témoigne cette citation de Maffrand dans Dèisha l‟arròsa à l‟arrosèr :
Non i a mei bèra catedrala
Que la lana dab sos grans pins.
C ) L’espace et le présent : entre champ de ruines et lieu d’action
La désolation, nous le voyons, est souvent liée au présent. La Sauze dans
Torista 66
, en deux vers, parvient à opposer efficacement (sans grande recherche
esthétique) passé et présent :
Onte campavi ièr,
Uèi i a un buldozèr
Dans Sens lum, sens fum67
, il reprend cette disposition de manière plus fournie
. La chanson débute par la description d‟un lieu agréable dont seul le canteur connaît
l‟existence. Or, à partir de uèi , le texte prend une tonalité différente :
Uèi se desana
Dins la marrana
Del terrador,
Fa pas pus flòri,
Es l‟espitlòri,
Es l‟abandon.
La tonalité était cependant déja amenée par la mention du “sègle mòrt”.
Des auteurs de la NCO chantent cependant l‟espoir, à l‟instar de Michel
Maffrand, dans Escota plan n‟ei pas tròp tard 68
:
Escota plan, n‟ei pas tròp tard,
66 La Sauze, Lo vinhairon,“Torista”, 1978.
67 La Sauze, La tèrra se botiòla, “Sens lum, sens fum”, 2003.
68 Los de Nadau, Monsur lo regent, “Escota plan n‟ei pas tròp tard” (Maffrand), 1975.
26
Que n‟èi passat tant de camins,
Escota plan n‟ei pas tròp tard,
Uei que me‟n torni tau país.
Que tornarèi lhevar las pèiras
De tots los castèths
Ainsi, certains auteurs refusent de s‟en tenir au constat d‟un présent désolant.
Les auteurs de la Linha Imaginòt, surtout, insistent sur l‟importance d‟un changement
dans le présent. Dans Dins mon vilatge69
, Sicre semble remettre à demain l‟amélioration
d‟une situation de désertification :
Dins mon vilatge, dins mon vilatge, de mond auèi i n‟i a pas pus Dins mon vilatge, dins mon vilatge, deman, deman se lo volèm,
I aurà de monde, i aurà de monde, e de trabalh per plan de gents
Mais “se lo volèm” induit l‟idée d‟une action qui doit s‟effectuer, par la
volonté, dans le présent. Dans Plage du Capitole que Claude Sicre écrit pour les
Femmouzes T., est décrit au présent une place du Capitole devenue plage. L‟évocation
se termine pourtant sur un futur : « on mettra tous sur les pavés la plage ». C‟est que
Claude Sicre ajoute à l‟impératif d‟agir celui d‟imaginer l‟avenir.
Les auteurs interrogent évidemment le devenir de l‟espace. Jacmelina, dans La
bourrée des Indiens, imagine ainsi pour l‟avenir, après la fermeture de « la dernière
gare », la construction du « dernier barrage » et la plantation du « dernier piquet » un
« parc francimand ». Cette idée de parc se retrouve chez bien des auteurs jusqu‟à Claude
Sicre qui, avec Ma ville est le plus beau park, en détourne la connotation. L‟espoir pour
Patric passe par l‟idée de construction : « Tu construiras un pays nouveau / Libre et
heureux comme un oiseau ».
Dans Vila, ma ville, Marti joue sur une confusion entre le passé et le présent en
remodelant la partie traditionnellement la plus immuable du genre chanson, le refrain.
En effet, si le deuxième refrain exalte le passé de la ville, (“Consi t‟anava lo temps
vièlh”), le troisième refrain ouvre sur un futur tout aussi positif (“Que deman t‟anarà
plan !”).
Le constat de la transformation de l‟espace entraîne parfois une posture
nostalgique. Des épithètes renvoyant à l‟ancien, au passé, sont souvent utilisées pour
charger l‟évocation d‟une dimension positive. Cela marque un basculement dans le
propos, un contraste appuyé. Le titre de Nadau, Aspa vòu viver, reprend, en lui donnant
un ancrage et une réalité géographique, la formule-slogan du país que vòl viure.
D‟emblée l‟auteur décrit une vallée d‟Aspe “urosa” dont le bonheur appartient semble-
69 Fabulous Trobadors, Ma ville est le plus beau park, “Dins mon vilatge” (Sicre), 1995.
27
t-il au passé (“cantava”). Une référence au “vielh pont de l‟Estanguet” introduit une
dimension affective, un espace de proximité à la fois précis et non limitatif, puisque cet
“estanguet” peut être n‟importe lequel. Le fait que ce pont soit « vielh » n‟est pas
anecdotique, puisqu‟il s‟agit de dresser un tableau nostalgique. L‟expression au passé
crée une tension en induisant qu‟un élément est venu bouleverser le pays et qui tarde à
être évoqué. L‟auteur rompt la tension, à partir de “puish un dia”. Maffrand inaugure ici
l‟image de “la montanha” qui “plorava” que nous retrouverons dans Saussat.
Il ne faut pas conclure pour autant que la valorisation du passé du paysage fait
de tous ces auteurs des passéistes chantres du « c‟était mieux avant ». Ce qui est ancien,
dans le paysage, vient rappeler des souvenirs ; c‟est à peu près sa seule fonction. Patric
témoigne dans Valòia d‟ Olt d‟une volonté d‟expliquer ce besoin d‟évocation du passé :
si le peuple « veut connaître son passé/ C‟est pour mieux vivre demain ». C‟est ainsi
que nous pouvons interpréter les occurrences qui font de l‟espace le dépositaire du
passé. Dans Silenci, Dublanche fait du chemin le porteur de la voix du passé :
Se‟n anava pels camins
D‟una tèrra cremada
Ont se pòdià ausir
Una istòria perduda
Planh deu camin gran, écrite par Max-Henri Gonthié et interprétée par
Delbeau, est à rapprocher de Presèncias de Chadeuil. En effet, évoquant l‟accident
mortel de trois jeunes rugbymen, l‟auteur fait des arbres les porteurs de leur mémoire :
“(...)
Atau cantavan tres grans pins.
Tu qui viatjas suus camins,
Aqueth planh, se vòs l‟entener
Cau t‟arrestar e te soviéner … »
Et c‟est par la chanson que la nature restitue le souvenir.
Dans La Carriera Passa-Miseria interprétée par Fraj, l‟espace conserve la
mémoire « jos la pèira ». On peut y entendre « una cançon, un refranh, /Una votz, un
vièlh planh ». Le sol préserve le passé, n‟oublie pas les voix ; mieux, il les restitue. La
pèira est l‟image privilégiée pour désigner la mémoire du temps dans l‟espace. Dans
Companhs, Fraj mentionne « una vila blanca », sans autre renseignement que la
certitude que sa mort se trouve « jos cada pèira ».
28
Presenciàs chantée par Verdier est caractéristique d‟une écriture qui charge la
nature d‟une mémoire. Ici, l‟auteur dépasse la simple mention que l‟on trouve
habituellement en un ou deux vers pour développer le thème sur toute la chanson. Il fait
de l‟isolement, de l‟intimité une condition propice à l‟écoute de la voix, de ce qu‟il
appelle les “signes”. On se trouve ici quelque part entre le romantisme mélancolique, le
fantastique et le militantisme. Traditionnellement, on estime en effet que la forêt est le
lieu propice à l‟évènement merveilleux, la solitude et l‟errance du personnage favorisant
en outre son irruption. C‟est bien ce qui se passe ici, où le canteur se dit “solet emb eu”
et où le surnaturel est introduit par l‟action des arbres :
Los aubres m‟an portat la votz
D‟una preséncia mau segura
Que bota ma memòria en crotz
Quand la forèst se fai escura
Les arbres sont omniprésents, qui révèlent au canteur l‟histoire des hommes :
Darrièr chada aubre auve parlar
D‟una pita votz de mainatge
Om dirià qu‟un òme sarrat
Se torna inventar son lengatge
Après l‟évocation d‟un ménage et des Croquants, la disparition du surnaturel
entraîne une prise de conscience pessimiste :
Mas tendre lo punh e reivar
Ne sauva pas la jarricacla
Auve lo bulldozer ‟ribar
Dins la forèst desesperada.
Nous voyons ici comment lyrisme et réflexion sur l‟espace s‟imbriquent,
soudés par la mélancolie du canteur, qui prépare le constat, le mot est lâché,
“désespéré”.
29
Deuxième partie : Quitter l’Occitanie ?
Cette omniprésence de l‟espace occitan, dans son exaltation, sa déploration ou
sa simple mention ne doit pas faire oublier que les auteurs de notre corpus ont en
commun l‟obsession du voyage, de l‟Ailleurs, de l‟évasion. Cette dernière est même
parfois à entendre au sens propre, qui consiste à sortir de la prison symbolique que
peuvent être le corps ou l‟espace. Cependant, au vu de la forme que prennent les
représentations de l‟Ailleurs, il convient de se demander si quitter l‟espace occitan, c‟est
vraiment quitter l‟Occitanie.
I) Partir et rester : tension récurrente
La représentation de l‟Ailleurs commence par celle du départ. Celui-ci
s‟envisage à partir d‟une tension entre l‟attachement à l‟Ici et l‟appel de l‟Ailleurs. Les
voyages sont motivés par différents objectifs dont la diversité vient de la posture de
l‟auteur : dans une écriture de la dénonciation, le voyage est volontiers celui de l‟exil,
tandis que d‟autres écritures mettent en scène un voyage aux finalités plus abstraites.
Mais au sein de ces deux grands ensembles, différents motifs et différentes motivations
se retrouvent se nourrissant les uns les autres au sein d‟une même œuvre ou d‟un auteur
à l‟autre.
A) Entre l’enracinement et le voyage : larguer les amarres
Nos auteurs cherchent à faire coexister la fierté dans l‟affirmation d‟être de
quelque part et l‟impérative ouverture à l‟ailleurs qui nécessite de quitter,
temporairement, les attaches.
a) L‟écriture de l‟enracinement : le port et la cage
Les images du port et de la cage nous paraissent représentatives d‟un
conflit interne lié au rapport à l‟espace local. Celles-ci renvoient à l‟attachement
mais également à l‟emprisonnement, l‟enchaînement. Il existe une tension entre
la fierté d‟être « enfant du pays » et l‟aliénation engendrée par cette filiation.
30
Patric utilise l‟image du port par deux fois et y rattache une fonction
ambivalente : à la fois le lieu d‟attache et celui du départ. C‟est un espace qui se situe
entre terre et mer, qui dépend des deux éléments. C‟est parfois la ville elle-même qui est
appelée le « port ». Dans Ai causit de cantar, Patric utilise les deux termes
indifféremment :
Ai causit de cantar mon pòrt, ma vila
E vaquí que la barca ja se pèrd dins l'estanh
Le port est un élément symbolique assez traditionnel mais qui ouvre ici sur une
autre image, plus personnelle, celle de la barque, qui figure la dérive du canteur. Patric
joue dans ces vers sur les dimensions affectives, liées à l‟Ici et au fait de s‟en éloigner.
En effet, le premier vers est l‟affirmation du choix d‟un “je” dont la présence est
renforcée par l‟emploi des deux possessifs. Le vers suivant met à distance le sentiment
d‟appartenance par l‟abandon du possessif. Néanmoins, la référence introduite par le
défini crée une rupture avec l‟auditeur et cette barque, qui ne voyage pas avec un but
précis, qui se perd, semble n‟appartenir qu‟au monde du canteur. De l‟attachement du
canteur à un endroit qu‟il s‟approprie, nous passons à l‟errance d‟une barque détachée
de tout.
Le port, c‟est aussi le lieu du retour. Patric encore, dans Occitània, s‟adresse à
l‟espace en le personnifiant. La figure de comparaison est celle du marin :
Tu coma un marin qu'òm cresiá mòrt
E puèi un jorn que dintra al pòrt 70
Ici, ce n‟est plus le port à partir duquel on largue les amarres qui est représenté
mais le port d‟attache. La différence de tonalité dans ces deux repésentations est
révélatrice : rentrer au port a un caractère rassurant, le quitter, c‟est se perdre.
Mais l‟enracinement est parfois mal vécu, notamment lorsqu‟il est forcé et
lorsque la liberté de mouvement est entravée, on se situe le plus souvent dans une
posture militante. Le port se voit remplacé par la cage. Desportacion, d‟ Esquieu,
s‟ouvre sur une fuite par le ciel, avec l‟évocation d‟une nature mouvante et libre en
contraste avec les possiblités de l‟Homme :
Lo solelh, capvath la montanha
Se pòt levar cada matin,
Las palombas, cap a l‟Espanha
Amb las nívols pòdon partir
70 Patric, Baticòr, “Occitania” (Patric), 1977.
31
Le dépassement des frontières est immédiatement donné comme un rêve
inaccessible pour les hommes avec un deuxième couplet plus négatif :
Nosautres que n‟avèm pas d‟alas
Passarem pas jamai lo pòrt
E dins la gàbia exagonala
Sèm assignats a viure al Nòrd
Le voyage impossible passe par l‟image de l‟homme sans ailes mais également
du col infranchissable. L‟image de la “gabia exagonala”, renforce le lexique lié à
l‟oiseau enfermé tout en exploitant un motif assez traditionnel dans la chanson
militante, celui de la France-prison.
L‟attachement au sol prend une dimension péjorative, car prise littéralement
comme un enchaînement. C‟est qu‟il s‟agit ici pour Esquieu de parler d‟exil, lié à une
“assignation”, qui vient créer une nouvelle frontière, au sein même du pays. Le lexique
juridique est repris au couplet suivant, donnant naissance au paradoxe : Sèm assignats a
residéncia / Al país de la libertat. Mans de Breish apporte quant à lui une solution à cet
enchaînement dans Lo poëta :
Seràs pas un aucèl en gàbia,
Se cantas la lucha, deman 71
Et l‟oiseau qui souhaite rejoindre son pays, pour Peiraguda, rejoint son nid :
Trauca montanha, passa riu !
Doman serai dedins mon niu
Ainsi, la même image peut être utilisée dans deux buts différents : l‟un
entretient la complainte et l‟autre cherche à en sortir. Cette deuxième posture reste
cependant un lieu commun de la chanson militante qui dit souvent en ses propres
créations l‟affirmation de son efficacité.
b) L‟appel de l‟Ailleurs
Selon qu‟il est perçu comme aliénant ou qu‟il est revendiqué, l‟attachement à
l‟espace conditionne l‟envie du départ. Dans Camas de bòi 72
, le « país » est représenté
par « los camins », « las lanas », « los arrius », «la mar » et les « estanhs ». C‟est donc
71 Mans de Breish, Volèm viure al país, “Lo poeta” (Mans de Breish), 1975.
72 P.-A. Delbeau, Camas de bòi, “Camas de bòi” (Delbeau), 1973.
32
un espace dominé par l‟eau, l‟étendue, donc par des éléments de liberté : on se déplace
« per los camins », la lande est profonde et protectrice (« Estujat au hons de las
lanas »), comme les chemins, les rivières se traversent (« per los arrius ») et,
« capvath, la mar e los estanhs » créent une ouverture, un espace interminable.
Interminable comme l‟est le chemin, qui devient lieu d‟action, puisqu‟il s‟agit de
« caminar e caminar ». Cependant, le texte se clôt (ou s‟ouvre) par un « batèu (…)
desencalat », prêt à partir. Ici, donc, Delbeau ne représente pas de tension ni de conflit
mais simplement un espace où la liberté se situe à la fois en lui et dans la possibilité de
le quitter.
Ici, chez Delbeau, mais aussi chez d‟autres auteurs, on trouve la mention d‟un
départ souvent annoncé et rarement figuré. Ainsi, à la fin de Marché du soleil73
,
Massilia Sound System chante la volonté du départ : « ò voli veire (…) vòli correr (…) ò
vòli anar (…) ». Mais pas de départ, ni de voyage. D‟ailleurs, la projection de ce départ
est moins réaliste que le retour qui aura lieu sur « lo camin de Marselha ». C‟est sans
doute que le départ est lié à la merveille (« m‟encargar de meravilhas ») quand le retour
est plus prosaïque (« vèrs les filhas de Marselha »). L‟emploi du futur inscrit ces
évocations dans un temps incertain, une promesse de voyage qui ne trouve sa
concrétisation que dans ces seules promesses.
Chez certains auteurs de la NCO, nous trouvons déjà des représentations de
voyages merveilleux ou fantasmés mais dont l‟objectif ancre le texte dans un processus
de revendication. Dans Aliça 74
de Marti, le voyage s‟effectue par l‟envol (“Nos anam
envolar”) avec pour destination un endroit non identifié physiquement et qui n‟est pas
nommé. En effet, Marti le désigne ainsi :
Ont lo temps e l‟espaci
Son força barrejats
Nous savons simplement qu‟il s‟agit d‟un pays-livre :
E virarem las pajas
D‟un país embreishat !
Mais ce voyage merveilleux ne s‟effectue pas sans un rappel au monde réel
puisque les deux voyageurs passent “pel Larzac” et le message est clair dans le constat
73 Massilia Sound System, Oaï e libertat, “Au marché du Soleil” (Ridel), 2007.
74 C. Marti, Et pourtant elle tourne, “Aliça” (Marti), 1992.
33
final de Marti :”Es un camp de vacanças / Lo vièlh camp militar”. Nous trouvons donc
dans ce texte une coexistence de l‟imaginaire et du réel : c‟est par le biais de l‟écriture
onirique que le militant parvient à donner forme à ses idées, à représenter l‟utopie.
Dans Fai la rota de Mauresca Fracas Dub, si l‟injonction « Fai la rota ! » est
insistante, intégrée au refrain, il n‟en demeure pas moins que cette route reste une image
abstraite :
La rota, la rota, lo grand viatge
Lo quitran, l‟envam, lei viratges,
La mar, l‟ocean e sei rivatges
La rota, bota ! desamarratge !75
La répétition du mot rota, associée à une énumération d‟éléments du paysage
et inscrite dans un couplet sans verbe, contribue à faire de la route un objet poétique
abstrait. Le départ, chez Mauresca comme chez Massilia Sound System, se situe au
niveau du fantasme et semble répondre à la seule injonction du voyage pour le voyage.
Sam Karpienia n‟est pas plus explicite qui, dans Pòrt de Bouc 76
, justifie
simplement son envie de partir par le fait de ne plus vouloir rester… Cependant, la
projection s‟effectue au présent :
De longue en stop, je ne veux pas rester
Una préguiera per Nòstra-Dama dau bon viatge
E me‟n vau cercar dins lei reboliments de mon còr
L‟ajuda e lo poder que mancan en mon periple.
Le voyage semble à la fois incertain qui s‟effectue en stop, « periple » qui
requiert à la fois une protection divine et un travail introspectif. Ces éléments lui
confèrent également un caractère épique. Pourtant, cet appel de l‟Ailleurs intervient à la
fin d‟un texte dont le premier couplet, bilingue et scandé, est un hommage à la ville
d‟attache :
Ieu siáu de Pòrt de Bouc
Ciutat maire que durbiguèt l‟espandit de ma vida
Ecoutant le Camaron qui chante
La douleur et les joies de son peuple.
75 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, “Fai la rota” , 2010.
76 Dupain, Les vivants, “Port-de-Bouc”(Karpienia), 2005.
34
B) Valeurs du voyage
Les voyages peuvent cependant être effectifs mais leurs valeurs diffèrent selon
les représentations. Ainsi, ces écritures sont autant de révélateurs de la posture de
l‟auteur.
a) Le départ forcé : l‟exil et la guerre
L‟exil est une thématique récurrente dans la chanson occitane et sa
représentation connaît des transformations et des persistances depuis les années 70. La
problématique socio-économique bien réelle donne évidemment lieu à des
représentations proches de la chanson réaliste et à ces « chansons-tracts » mentionnées
par Valérie Mazerolle. Elles en constituent d‟ailleurs la plus grande part. Si presque tous
nos auteurs ont écrit sur ce thème, cette pluralité des voix nous permet d‟isoler les plus
remarquables.
Dans Fai ta mala77
, Patric représente des départs forcés par ceux qui « Son
arribats un dimenge amb lo trin de Paris». Ce train, objet du voyage, qui indique à la
fois le départ et l‟arrivée, est souvent représenté par les auteurs pour figurer l‟exil. Ce
motif perdure jusque dans les années 1990 avec Massilia Sound System et Triste es lo
trin.
La représentation de l‟exil fait parfois naître des évocations nostalgiques liées
au souvenir de la terre natale. Ainsi, Maffrand dans A nueit que‟t vau cantar78
,
représente un canteur, classiquement à l‟étroit dans sa nouvelle ville (“dens ma
lapinèra”) et qui demande “on son [sa] tèrra e [sos] amics” avant de s‟adresser à son
país : “A nueit que‟t vau cantar / O mon país”. Nous voyons ici que l‟évocation
nostalgique est favorisée par deux éléments : une condition, la nuit, et une forme, le
chant. Dans cette nostalgie, on note une place importante de l‟interrogation, comme en
atteste aussi le refrain de Cèl o aucèl 79
de Fraj :
Cèl o aucèl
Es que me caldrà causir ?
Mar o vaissèl
Es que me caldrà morir ?
77 Patric, Baticòr, “Fai ta mala”(Patric), 1977.
78 Nadau, L‟ Immòrtela, “A nueit que‟t vau cantar” (Maffrand), 1978.
79 E. Fraj, Via nòva, “Cèl o aucèl” (E.Fraj), 1986.
35
Ombra o solelh
Ont s‟amaga le camin ?
Som o revel
Cossi tornar de l‟exilh ?
On y trouve énumérés, comme possibilités de fuite : le ciel, l‟oiseau, la mer, le
bateau et également le chemin, caché, dont l‟évocation introduit le thème de l‟exil. Le
rêve est une de ces possibilités, ce qui introduit la possibilité d‟un espace onirique qui
sera effectivement exploré par Fraj dans d‟autres textes. Ici, c‟est un « novèl país » que
le canteur souhaite rejoindre, et qui contient (« dins ») « la filha negra que [l]‟ espera ».
La complainte de l‟exil n‟est pas provoquée par l‟évocation du pays natal et du retour
incertain mais bien par l‟incertitude de rejoindre un « novèl país ». Cette prise de
distance avec la terre que l‟on ne cherche plus tellement à rejoindre est aussi visible
dans L‟Exil de Verdier, qui mêle à la nostalgie une certaine vision sombre de la terre
d‟attache :
Je suis celui qui reviendra
Aux amours mortes de sa terre
Le jour étend son ironie
Sur des bruits de villes du Sud
Ne pleuvra-t-il sur mon pays
Que ce crachin de lassitude ?80
Comme chez Fraj, il s‟agit d‟un pays d‟amour, mais d‟ “amours mortes”, qui
n‟est plus représenté par le soleil ou l‟énergie du combat mais par le “crachin” et la
“lassitude”. Pourtant, l‟évidence du retour est présente qui ne paraît pas chargée
d‟espoir.
Fraj, à nouveau, dans Antilhas, introduit une dimension nouvelle dans la
représentation de l‟exil. Il transpose la thématique dans un espace outre-marin qui
présente cependant quelques similitudes avec l‟histoire occitane (Aprenon le francés/ La
lenga de l‟exilh). L‟analogie semble s‟en tenir là même si les représentations de l‟espace
qui entourent le thème sont les mêmes que pour la problématique occitane :
Dison que les enfants
De las Antilhas
Crénhon l‟ivèrn de França
E de las vilas 81
80 J.-P Verdier, L‟ Exil, “L‟Exil” (Verdier), 1974.
81 E. Fraj, Via nova, “Antilhas” (Fraj), 1986.
36
La généralisation « dison » donne au propos une dimension légendaire que l‟on
retrouve dans la représentation du voyage puisque les enfants « se fan gigants/ per
dessus l‟ocean ».
Le thème du départ peut s‟ancrer dans une réalité d‟autant plus sombre qu‟il est
lié à la guerre. Dans Bròcard,82
par exemple, où Daumas représente la fuite forcée de
son grand-père par la simple mention de « per lei campàs, per lei rotas ». Cette fuite est
ainsi représentée par des éléments liés à la liberté mais son terme est pourtant bien
l‟enfermement (« A Tolon t‟an embarrat ») et finalement la mort. Pas de place ici à
l‟imaginaire, qui esthétiserait une histoire que Daumas préfère rendre dans sa tragique
concrétude.
Marti, en reprenant la chanson du conscrit en occitan ( Lo conscrit de 1810 83
),
y intègre plusieurs éléments absents du texte original (jusqu‟à n‟en conserver
finalement que le vers « Cal daissar lo Lengadòc », traduction littérale du « Faut quitter
le Languedoc ») :
Luènh d‟aicí i a un país
De nèu blanca, de cèl gris
Nos i cal anar morir, anar morir anar morir
Nos i cal anar morir
Per l‟Emperaire e son filh.
« M‟sieur l‟maire et m‟sieur l‟préfet » 84
deviennent ainsi « lo rector e lo
regent ». Marti peut en outre intégrer à la chanson une vision absente de l‟originale
mais bien présente dans la chanson occitane des années soixante-dix : là où l‟injustice
tenait tout entière dans l‟évocation du tirage au sort, ici l‟éloignement de la terre natale
et l‟hostilité du paysage viennent s‟ajouter à la complainte.
La tonalité est proche dans Paul, Emile et Henri,85
où François Ridel fait appel
à l‟espace pour condenser dans une même chanson trois batailles majeures de la
Première guerre mondiale. Si dans le texte même il déclare n‟être « pas doué pour
chanter l‟enfer », il apparaît pourtant qu‟il sait trouver les mots efficaces, tout en
refusant l‟esthétisation. Le réalisme prime car l‟auteur insiste dans le refrain : « Non, la
mort n‟est jamais belle ». S‟il n‟y a pas de distance par l‟imaginaire, le constat réaliste
reste cependant orienté par un discours critique :
Il faut de l‟or pour rester à l‟arrière
82 D. Daumas, Palestinians, “Bròcard” (Daumas), 1971.
83 C. Marti, L‟ An 01, “Lo conscrit de 1810” (Marti), 1975.
84 Même si de nombreuses variantes existent qui font par exemple figurer « le curé » à la place du
« préfet ». 85
Moussu T. e lei jovents, Mademoiselle Marseille, “Paul, Emile et Henri” (Ridel), 2005.
37
Ils vont au front les fils de paysans
La réalité, la hiérarchie sociale et l‟inégalité qui en résulterait face à la mort se
trouve ainsi spatialisée dans la représentation, rapidement esquissée, du champ de
bataille. Le voyage est amorcé par une fusion avec la mère (« Que pensaient-ils en
embrassant la mère ? ») et se termine par une autre fusion, avec la terre cette fois :
Pauvres garçons mélangés à la terre
Loin de chez eux sans avoir su pourquoi
Nous remarquons que la complainte liée au thème du mort à la guerre se trouve
aggravée en étant associée à l‟éloignement de la terre natale et à l‟ignorance, à la vaine
mort. Enfin, l‟auteur intègre au refrain (en insistant par la répétition du vers) trois
toponymes :
Verdun, la Somme ou bien Gallipoli
Les évocations de ces noms contenant leur sens en eux-mêmes, l‟auteur rend ce
vers indépendant des autres et n‟y ajoute pas de verbe. Cependant, il fonctionne
symétriquement avec le vers précédent, lui aussi indépendant, formé des trois prénoms
du père (« Paul Emile et Henri »), chacun représentant un mort, une bataille.
Ce sont ces types de représentation qui sont parfois reprochés à la chanson
occitane, dont une grande part de sa production est souvent associée à un discours
victimiste.
b) La fuite
Mais les voyages peuvent être volontaires, résultant d‟un désir de quitter ou le
pays ou la réalité. Cela donne à Mans de Breish le point de départ d‟une chanson anti-
militariste : si pour voyager il faut se faire soldat alors la liberté ne sert à rien. Ainsi,
dans Lo soldat, le canteur énonce rapidement les motivations du jeune homme :
Aviás vint ans, trigossaves misèria
E l‟envetja de viatjar.
T‟an dit se venes la paga es segura
38
E de país ja ne veiràs 86
Ce n‟est pas son désir de voyager qui est mis en cause mais bien son
obéissance, jusqu‟à devenir, paradoxalement “enemic de la libertat”. C‟est une
thématique que l‟on retrouve aussi bien dans les chansons antimilitaristes francophones,
dans les Trois matelots de Renaud Séchan, notamment.
Jean-Paul Verdier se démarque d‟autres auteurs par la récurrence du thème de
la fuite, qui va devenir un leitmotiv dans ses albums plus tardifs. Les chansons de
Verdier vont en effet progressivement être orientées vers la recherche d‟un Ailleurs
plus positif. La tonalité en sera ainsi optimiste, même si c‟est dans l‟espace imaginaire
que l‟espoir se trouve. Dans Percussions pour un arbre mort, le canteur rêve d‟une fuite
à la fois ancrée dans le réel et dont l‟objectif est un pays imaginaire :
Je sors seul vers des plaines étranges
On part la nuit sur des autoroutes sans péages
Vers des pays de musique 87
Nous voyons s‟esquisser dans cette chanson l‟idée du voyage solitaire,
annonçant un rapport à l‟espace –et au monde- plus personnel, favorisant l‟émergence
d‟un lyrisme dont nous aurons à reparler par ailleurs. Et ici comme dans l‟écriture de
l‟exil, la nuit favorise le voyage imaginaire.
Nous retrouvons la même structure de couplet dans Au pays de Tabou-le-chat :
J‟ai pris la route aux nénuphars
Celle aux balises découvertes
Vers le pays de Tabou le chat 88
Le passé remplace le présent dans un premier vers où le “je” s‟affirme mais qui
n‟est pas remplacé par le “on” au second vers. Celui-ci est encore ici consacré à
l‟évocation du chemin de liberté, l‟image maritime des “balises découvertes”
remplaçant les “autoroutes sans péages”. Enfin, si le troisième vers n‟indique qu‟une
direction, “vers”, le lieu à atteindre est nommé. Ici, cette désignation tend à rendre
concret un lieu qui est poutant tout autant imaginaire que les “pays de musique” de
Percussions. L‟effacement de l‟indéfini au profit du défini réalise la création d‟un lieu
imaginaire donné comme vrai. “Des plaines étranges” deviennent “la route aux
86 Mans de Breish, Volèm viure al país, “Lo soldat” (Mans de Breish), 1975.
87 J.-P. Verdier, Vivre, “Percussions pour un arbre mort” (Verdier), 1976.
88 J.-P. Verdier, Tabou-le-chat, “Au pays de Tabou-le-chat” (Verdier), 1977.
39
nénuphars” et “des pays de musiques” sont remplacés par “le pays de Tabou-le-chat”.
La fuite du canteur dans Tabou-le-chat introduit en fait son entrée dans le monde du
conte et est une originalité dans la création chansonnière occitane.
La désirade marque l‟aboutissement de ces fuites dans la dissolution du
canteur et sa fusion avec l‟espace :
Je veux m‟éclater dans le vent comme un nuage
Ebouriffé, au bout d‟un rêve ou d‟un voyage 89
Nous voyons que cette fuite est surtout un désir, une projection, l‟expression
d‟une volonté. Verdier revient pour l‟occasion à l‟indéfini (“un nuage”, “un rêve”, “un
voyage”) installant la projection dans une réalité très vague. Verdier place également
sur un même degré d‟équivalence le rêve et le voyage précisant l‟idée d‟un imaginaire
où le voyage ne vaut qu‟en tant qu‟échappatoire à la réalité.
La Talvera chante également une envie de voyager dans Vòli viatjar90
.
Cependant, le départ ne peut s‟effectuer seul (O vèni me cercar !) et résulte d‟une
lassitude de l‟Ici (Pòdi pas demorar /Aquí a esperar) qui n‟est pas nommé ni décrit. Pas
plus que le terme du voyage : “Me vòli passejar/ Dins lo mond anar”.
Pour les Fabulous Trobadors, dans Ma ville est le plus beau park, la
représentation du voyage passe par l‟énumération :
De la Grèce au Pérou
Du Brésil à la Russie
De l'Ecosse à l'Australie
De la Chine au Danemark
Et dans toutes les nations 91
Il s‟inscrit dans une démarche d‟observation ( “Tu verras mieux que n„importe
où”) et amène à constater que les “villes” et les “parks / Ont chacun leur vocation”. Ici,
nous reconnaissons certaines caractéristiques des représentations de l‟Ailleurs et du
voyage déja relevées chez d‟autres auteurs mais en en modifiant la portée. Par exemple,
si Claude Sicre ancre l‟évocation dans le futur, il n‟y a cependant pas d‟injonction ni
d‟espérance, mais une certitude : “Quand” et non pas “Si”. De même, nous retrouvons
l‟énumération, et le modèle de la chanson-carte mais l‟espace qui y est délimité est très
89 J.-P. Verdier, Le nuage dans la tête, “La désirade” (Verdier), 1978.
90 La Talvera, Quincarelet, “Vòli viatjar”, 2005.
91 Fabulous Trobadors, Ma ville est le lus beau park, “Ma ville est le plus beau park” (Sicre), 1995.
40
vaste : c‟est en effet “toutes les nations” que l‟auteur souhaite mentionner sans
évidemment les relever toutes.
C) L’Ailleurs dans l’Ici
L‟hésitation face au départ, s‟efface dans les œuvres mettant en scène un
espace qui condense tous les autres. Certains auteurs choisissent de représenter un Ici
centre du monde ou simple mélange d‟espaces. Ailleurs de Delbeau est marquée par un
mélange entre l‟Ailleurs et l‟autrefois, confusion dans laquelle l‟espace joue un rôle
central. Delbeau développe l‟idée d‟un ailleurs qui s‟attrape, qui s‟amasse, et qui se
condense autour d‟un foyer. L‟ailleurs et l‟ici vont ensemble dans un texte bref qui
semble lui-même condenser le propos. L‟espace qui est mentionné évolue du premier
couplet au second : le premier situe la source de l‟ailleurs dans le temps (premier niveau
de confusion) et définit cet ailleurs par un soleil qui « soufflait/ dans les rayons du
vent » (deuxième niveau de confusion). Le second couplet représente le lieu où
l‟ailleurs est amassé, un espace landais souvent représenté : « un foyer/ perdu au fond de
la lande ». On trouve ici l‟espace familier, à l‟ancrage réel, de la cabane dans la forêt.
Ainsi, Delbeau parvient dans un même texte à faire tenir ensemble deux espaces
d‟écriture où réel et imaginaire se nourrissent l‟un l‟autre.
Chez Massilia Sound System, dans Rendez-vous à Marseille92
, on retrouve le
même procédé puisque le voyage s‟effectue dans leur ville :
C‟est un rendez-vous à Marseille,
Là sur le quai.
Voyage au pays des merveilles,
Ensoleillé.
Le rendez-vous sur le quai est déja un voyage en lui-même. Il y a ici une
valorisation assez traditionnelle de l‟espace local qui est explicitée par Claude Sicre
dans Ma ville est le plus beau park93
:
Le Paradis n‟est pas l‟ailleurs
Dont rêvent les voyageurs
Il n‟est pas dans l‟au-delà
Ni dans aucun autrefois
Il est là où tu mènes l‟action
92 Massilia Sound System, Oai e libertat, “Rendez-vous à Marseille”, 2007.
93 Fabulous Trobadors, Ma ville est le plus beau park, “Ma ville est le plus beau park” (Sicre), 1995.
41
Les Fabulous Troubadours reprennent l‟idée de Félix-Marcel Castan selon
laquelle “on n'est pas le produit d'un sol, on est le produit de l'action qu'on y mène »,
citation qui est devenue la devise des membres de la Linha Imaginòt. A cette différence
près que ce n‟est pas l‟homme ici qui en est le produit mais le « paradis ». Si les
Fabulous Trobadors représentent peu d‟espaces, ils en mentionnent beaucoup et le
paradis y tient une place importante. On le trouve évoqué par exemple dans Toulousain
94:
Je rêve pas de paradis
Chez nous on se le contruit
Claude Sicre insiste, dans ses chansons comme dans sa prose, sur la
responsabilité individuelle et les possibilités de transformations, de modifications de la
cité, impulsées par la volonté de l‟individu. Ainsi, on ne trouve pas dans les textes des
Fabulous Trobadors de désir de fuite ou de fantasmes de l‟ Ailleurs. C‟est l‟Ici qui est
valorisé au même titre que le maintenant (Demain est en ce sens un manifeste anti-
procrastination). Nous trouvons plus volontiers des affirmations que des représentations
d‟ Ailleurs. Ainsi, dans Toulouse est Sarrazine95
:
Toulouse est Sarrazine, Toulouse est Sahara
Arnaud Bernard lui gratine un avenir à l‟harissa
Ou encore dans Ma ville est la plus beau park :
Mieux comprendre les lointains
C‟est d‟abord creuser son terrain
Nous sommes, avec les Fabulous Trobadors, dans une écriture où l‟auteur
semble ne pas prendre le temps de développer des représentations. La poésie tient dans
la recherche d‟images efficaces et dans la vision qui est proposée en elle-même.
L‟écriture ne diffère que rarement d‟un discours plus ou moins versifié. La brièveté des
images tient au style musical choisi par les Fabulous Trobadors, au rythme rapide.
Lorsque le rythme est plus lent, comme dans Demain, c‟est la répétition qui fait que le
message passe sans esthétisation du propos. S‟il y a un ailleurs chez les Fabulous
Trobadors, c‟est surtout dans la musique aux emprunts notamment nordestins qu‟il se
94 Fabulous Trobadors, Duels de tchatche et autres trucs du folklore toulousain, « Toulousain », 2003.
95 Fabulous Trobadors, Ma ville est le plus beau park, « Toulouse est Sarrazine », 1998.
42
trouve. De son côté, François Ridel, écrit que c‟est “le cul sur le perron”96
qu‟il peut
“contempler le vaste monde/ à l‟autre bout de [sa] rue”. Le refrain insiste sur l‟Ici:
Je viendrai m‟asseoir ici
A l‟autre bout de ma rue
Voir le spectacle du monde
Mieux que je ne l‟ai jamais vu.
Et ce refrain s‟insère dans un texte où les couplets cantent pourtant l‟amour du
voyage.
Cette étude nous mène parfois à rapprocher des auteurs que l‟on a tendance à
trop séparer, à la faveur d‟une catégorisation qui ne saurait concerner l‟écriture elle-
même. En effet, certaines images, nous en avons plusieurs fois fait la démonstration,
dépassent les cadres chronologiques et c‟est le cas pour celle du “jardin des mélanges”.
En effet, nous retrouvons, chez Mauresca Fracas Dub la même idée, servie par la même
image que chez Claude Marti, certes dans une production tardive de celui-ci. Pour
Mauresca Fracas Dub, dans Dins mon jardin :
Dins mon jardin i a lo mond entièr
Et pour Claudi Marti dans Rock Devant :
J‟ai fait pousser dans mon jardin
Des graines qui venaient de loin
Au bout de l‟Est et d‟Amérique 97
La même idée est convoquée dans ces deux textes d‟un Ailleurs intégré à l‟Ici,
et qui prend la forme d‟un jardin de mélanges. Mais ces deux auteurs élargissent leur
propos dans deux directions différentes : Marti, en faisant de sa ville une « ville
d‟Orient », intègre l‟ailleurs dans l‟ici. Mauresca Fracas Dub dépasse le cadre de
l‟espace pour ouvrir le propos sur une métaphore de la création :
Lei liumes e lei fruchas
Lei viatges numerics
La sudor e lei luchas
Faràn creisse lo repic.
Au fil de l‟écriture, l‟auteur crée un espace matérialisé par les composantes de
la chanson, avec des frontières donc :
96 Moussu T. e lei Jovents, Mademoiselle Marseille, « Le cul sur le perron » (Ridel), 2005.
97 C. Marti, Et pourtant elle tourne, “Rock devant” (Marti), 1992.
43
L‟òrt de mei pantais
Es clausurat de rimas,
L‟emploi du terme pantais ancre bien l‟évocation dans le domaine de
l‟imaginaire. Et ici, l‟objectif est moins la transformation de l‟Ici en Ailleurs que
l‟ouverture et la dilution de la création dans l‟Ailleurs :
Aquí mei jardinadas
Dins lo mond entier
Nous voyons qu‟il y a transformation, puisqu‟au gré de la métaphore, la
chanson se trouve rebaptisée jardinade. Espace et création (en tant que processus et
résultat) se contaminent ainsi mutuellement. Et c‟est la création qui se propage du jardin
clos vers le monde entier.
Finalement, il apparaît que cette thématique ne connaît un succès chansonnier
qu‟à partir de l‟écriture des auteurs de la Linha Imaginòt. Si Delbeau nous en offre un
exemple réussi, peu sont les auteurs de la NCO à représenter le conflit Ici/ Ailleurs de
cette manière.
II) Représentations et valeurs de l’Ailleurs
Si les modalités et fonctions des voyages et les motivations qui conduisent nos
auteurs à représenter un départ d‟Occitanie sont diverses, la représentation de l‟Ailleurs
répond également à des enjeux multiples. Un contenu politique donnera lieu à des
représentations très orientées avec des connotations très claires, par exemple, du Nord
ou de la ville.
A) Un Nord problématique
Le Nord, c‟est souvent la terre d‟exil, celle de la guerre et de la mort, nous
l‟avons vu. Cela donne lieu à des représentations assez caricaturales : froid, gris et
tristesse sont généralement assemblés pour dépeindre un paysage très stéréotypé. Si
nous avons aperçu de manière très anecdotique une tentative de mise à distance de ce
44
lieu commun par les adresses de MSS aux Occitans de Paris, il est difficile ici de ne pas
parler de consensus dans la représentation négative du Nord.
Le « Nòrd » , lorsqu‟il est ainsi nommé, est assez vaste et désigne un espace
reconnu comme autre. L‟espace désigné par le terme ne recouvre généralement aucune
réalité spatiale précise. La vièlha, texte de Michel Chadeuil, reprend le motif de
l‟homme mort à la guerre dans le Nord déjà présent dans Lo conscrit de 1810 de Marti :
Son òme morit a la guerra
En trente nòu dins lo Nòrd ;
Saubèt jamai dins quala tèrra
Lo freg ensobelit son còrs.98
La « tèrra » correspond ici à l‟inconnu et il est intéressant de noter que ce n‟est
pas elle qui ensevelit le corps mais le froid. Ainsi, le corps, au lieu d‟être protégé par la
terre est refroidi par elle, comme sans repos. L‟enterrement de la vièlha est par contre
plus directement lié à la terre, la « tèrra grassa » propice au repos, et à l‟oubli (« ta
demòra d‟oblidança »). Marti lui aussi, dans Lengadòc roge, parle de « freda tèrra » :
Tu que voliàs pas morir
Entre flors desconegudas
T'an enterrat dins un lençol
De freda tèrra del Nòrd 99
La proximité dans l‟écriture est flagrante : la terre inconnue et froide pour
linceul. Mais Marti, en évoquant des “flors desconegudas” s‟autorise une esthétisation
absente, dans ce cas, de l‟écriture de Chadeuil.
Dans Desportacion,100
chantée par Delbeau, l‟image de la France-prison est
utilisée, poussée à l‟extrême dans une comparaison forte avec les “camps bèls de
concentracíon”. Dans la même optique, le train est présent qui promet un voyage des
plus sombres :
Quand prenèm lo carri de fèrre
Es lo de la desportacíon.
Pour bien expliciter l‟image développée tout au long de la chanson, celle-ci se
conclut ainsi :
98 J.-P. Verdier, Occitània sempre, “La vièlha” (Chadeuil), 1973.
99 C.Marti, Lengadòc roge, “Lengadòc roge” (C.Marti),1971.
100 P.-A. Delbeau, “Desportacion” (Esquieu).
45
E Franca es pas qu‟una preson !
Si c‟est la France toute entière qui est visée par ce texte, l‟allusion aux “faidits”
qui meurent “desragisats” introduit le sentiment que cette France, c‟est un ailleurs. Il
n‟y a pas ici d‟opposition claire entre un Nord aliénant et un Sud de liberté, mais en
creux, c‟est ce que l‟auditeur peut entendre. Notons que le texte, dans la pochette de
l‟album est illustré par une photo de chemin de fer qui se perd au milieu des pins.
L‟image de l‟enfermement est indifféremment utilisée pour représenter toute
sorte d‟entrave à la liberté dans deux types d‟espaces : le Nord et la ville. Pour Maffrand
notamment dans Un dia dab Pepé 101
, partir de « la valea » pour aller à « la gran vila »,
c‟est quitter un lieu « on la vita [es] en penent » pour gagner le droit de se serrer la
main « per-dessus los barbelats ». Cette ville n‟a ainsi pas besoin d‟être située par
rapport à la Loire pour être représentée de manière péjorative. Nous reconnaissons la
posture de Maffrand qui se refuse à culpabiliser les exilés. S‟il y a départ, c‟est qu‟il y a
une raison. C‟est ici la vie pénible, ailleurs, chez François Ridel par exemple, c‟est qu‟
« ici, il n‟y a pas de boulot102
».
Pour Mans de Breish dans Autant de dreits 103
, Lesfargues et Rouquette
évoquent ce problème en désignant un « país ont de trabalh n‟i a ». Le départ pour ce
pays s‟effectue ici encore en train et prend un caractère définitif :
Lo de faire la mala
E de clavar l‟ostal
E d‟escampar la clau
Per la finèstra del vagon
“Lo” renvoie aux “dreits” qui ironiquement désignent plus précisément les
contraintes imposées à ceux qui voudraient rester vivre au pays. La porte close de la
maison semble ne plus jamais pouvoir se rouvrir comme chez Peiraguda la vielha
maison, qui
Coma un vièlh chen, monta la garda
Sus lo passat, sa vita d‟antan.
Dans ce texte, l‟exil est comparé à l‟attente de la mort :
101 Los de Nadau, T‟on vas ?, “Un dia dab Pepé” (Maffrand), 1981.
102 Massilia Sound System, 3968 CR 13 , « Triste es lo trin » (Ridel), 2000.
103 Mans de Breish, Volèm viure al país, « Autant de dreits » (Lesfargues, Rouquette ), 1975.
46
Te cal manlevar dins las vilas
De que esperar la mòrt.104
Dans ce contexte esthétique et idéologique, il est évident que Paris ne peut que
pâtir dans ses représentations de trois défauts majeurs : c‟est une ville, située au Nord et
dont le statut de capitale apparaît, via le centralisme, comme un moyen de mépriser le
reste de la France. Paris cristallise ainsi les critiques : si l‟espace urbain est le lieu
d‟exil par excellence, elle en est l‟emblème, comme elle l‟est du problème de
communication entre Nord et Sud. Elle est aussi la prison, le piège qui domine tous les
autres105
.
Ainsi, en tant qu‟espace urbain, d‟abord, sa représentation répond aux mêmes
caractéristiques que celles que nous avons déjà mentionnées à ce propos. Comme lieu
d‟exil, l‟évocation parisienne est propice au développement de l‟écriture nostalgique, du
souvenir de la terre. Dans Bons baisers de Marseille, François Ridel se singularise en
écrivant la nostalgie de l‟exilé, à partir du regard de celui qui est resté. Il est question de
« mettre dans un colis / Un tout petit peu d‟ici » pour un destinataire vivant dans « un
endroit où l‟on marche dans le froid / Où l‟on se bat pour gagner sa pitance ». Nous
nous permettons ici une interprétation « biographiste » du texte où le canteur déclare
qu‟il « connaî[t] bien cet endroit ». En effet, l‟auteur lui-même n‟étant pas né à
Marseille mais à Paris, il a donc réalisé l‟exil « inverse ».
Dans Parla patois, le MSS présente l‟incompréhension entre Paris et Marseille,
qui passe par l‟emploi de la langue :
Siau anat a París per i veire lei productors
Escoteron mon liric, comprengueron ren dau tot
Me digueron : parlas pas francés, parlas pas espanhòu
Parla pas englés , parla pas italian
Parla pas portugués , me sembla pas normau 106
Le voyage à Paris est ici propice à la mise en scène de diverses
incompréhensions, l‟espace parisien devenant ainsi le lieu de l‟impossible
communication et épanouissement. L‟emploi de la forme négative associée à la
répétition permet en outre de donner aux propos rapportés un caractère absurde et de lier
104 Peiraguda, Lo leberon, « La vièlha maison » , 1978.
105 Dans L‟ Albanès de Baldit pour Jacmelina, c‟est New-York qui symbolise la ville négative, décrite
comme une « mescladissa /pudissenta e desodorisada ». La contradiction du deuxième vers est notable
qui correspond à la fois à la pollution et l‟aseptisation 106
Massilia Sound System, Parla patois, “Parla patois” (Ridel), 1991.
47
la logique qui le sous-tend aux exigences normatives des maisons de production
parisiennes.
Il nous faut ici mentionner le premier couplet de Soi une puta 107
dans lequel
Verdier – chantant les paroles écrites par Chadeuil suite à l‟ « affaire Verdier » - ironise
sur cette caricature parisienne :
Un jorn me‟n sei „nat a Paris
Per lor parlar de mon país
a las pòtas ma lenga amara
e per bagatge ma guitarra
Ma chançon plaguèt a la gent
mas de me‟n far un pauc d‟argent
„via endechat ma puretat
e mai mon occitanitat
Nous voyons que s‟il y a bien consensus dans la valeur péjorative attachée à la
représentation de l‟espace parisien ou du Nord, les formes que prennent ces
représentations restent pour la plupart très personnelles. Le dernier exemple montre par
ailleurs à quel point ces représentations trouvent leur point de départ dans l‟idéologie
occitaniste des années 70 et comment au-delà des chansons, celle-ci a pu influencer nos
auteurs dans leurs choix esthétiques.
B) Un Sud tourné vers les Suds
Les auteurs mentionnant des espaces qui ne sont pas la France favorisent les
pays du Sud en général. Affirmer que depuis sa naissance contemporaine, avec la NCO,
la chanson occitane a toujours été le vecteur de ses problématiques et de celles des
autres pays est désormais un lieu commun. Mais nous constatons que ce sont les Suds
qui intéressent surtout les auteurs occitans : alors que naît une chanson contestataire et
politique dans les grandes villes, notamment parisiennes, ainsi que des chansons de
migrants en France, les chansonniers occitans se tournent résolument vers d‟autres
espaces dont les problématiques apparaissent plus proches des leurs.
107 J.-P. Verdier, L‟Exil, “Soi una puta” (Chadeuil), 1974.
48
Pour les auteurs de la NCO, c‟est essentiellement les pays d‟Amérique du Sud
qui sont recherchés. Nous pensons d‟abord à Marti avec Occitania saluda Cuba. Ce
salut débute par la mise en évidence de ce qui sépare les deux « pays » :
Sèm nascuts luenh l‟un de l‟autre
Cèrc o marin son pas tos vents
As pas ausit cantar mon pòble
Que parla coma un torrent 108
Nous voyons que Marti ne choisit pas par hasard les éléments de comparaison :
l‟éloignement, la différence des vents et l‟ignorance du chant ne sont pas des barrières
infranchissables. Rapidement, l‟hommage prend la forme d‟une autocritique opposant
un Cuba qui a su se réapproprier sa terre (“Son dètz ans qu‟as ganhat la tèrra”) tandis
que sur l‟espace occitan “vendan al torista/ nòstra tèrra”. Dans cet hommage à Cuba,
pas de référence spatiale à proprement parler mais une admiration pour les luttes, “la
libertat, la dignitat”. C‟est la valeur principale accordée à l‟Ailleurs par les auteurs de
la NCO : le mérite de réussir ou de mener les mêmes combats que les occitanistes.
Finalement, les frontières sont transcendées par les valeurs communes
(fantasmées ou non) ou un passé présenté comme analogue. Il y a reconnaissance
d‟autres Occitanies notamment sur le territoire national. Litanias 109
de Marie Rouanet
est à ce titre significative de ce type d‟écriture :
Ambe la Còrsa, amb l'Euskadi,
Ambé ta sòrre catalana
E la Bretanha,
Occitania.
Ainsi l‟Ailleurs est-il avant tout toponymique et symbolique dans ces textes.
On ne parle pas d‟un autre pays pour en louer la beauté mais pour en souligner les
valeurs ou revendiquer une proximité.
Il est donc possible de voir dans Varsovia 110
de Peiraguda une tentative de
dépassement de ce clivage Nord/ Sud tout en restant dans un espace défini par la lutte.
En effet, lorsque la chanson paraît, en 1982, la Pologne connaît une révolution politique
majeure, sous l‟impulsion notamment du syndicat Solidarnosc. Il apparaît que la seule
chanson occitane mentionnant Varsovie s‟intitule Las femnas son pas de bestial date de
108 C. Marti, Occitània !, « Occitània saluda Cuba » (C.Marti), 1969.
109 M. Rouanet, L‟eternitat, “Litanias (Occitania)” (Rouanet), 1981.
110 Peiraguda, La dama pijoniera, “Varsovia”, 1982.
49
2003 et dénonce la traite des femmes. La chute des régimes communistes n‟a donc pas
inspiré nos auteurs. Dans ce texte, pourtant, les Peiraguda se démarquent dans leur
écriture en prenant le temps, sur un couplet, de décrire la ville :
A Varsovia la tota neva
I a fòrça fonts i a deus jardins
I a fòrça flors e-b irondelas
Jos l‟estatua de Chopin
A Varsovia la tota neva
I a qualquas gleisas al cloquièr vert
L‟accordeon que caramela
Jos la caressa d‟un ivèrn
Ce couplet marque le début de la chanson et insiste (par le biais de répétitions:
“i a”, “fòrça” ) sur plusieurs caractéristiques de la ville : la nouveauté est ici valorisée
par la répétition du vers, sans doute parce qu‟ elle est synonyme de reconstruction et
non, comme dans l‟espace occitan, de destruction. C‟est une ville-campagne (un peu
comme celles d‟Occitanie) à laquelle l‟auteur semble vouloir donner un caractère
agréable en évoquant au milieu de la description de l‟espace la figure de Chopin, et
l‟accordéon. Notons que l‟hiver polonais est ici une caresse, ce qui achève d‟indiquer
que par la prise de distance avec le réel, l‟auteur cherche à transformer la ville en havre
de paix. Pourtant, progressivement, les aspects politiques et historiques prennent le
dessus, avec l‟évocation de la guerre, l‟Eglise et le communisme. Finalement, le dernier
couplet semble contenir une accusation générale, qui concerne aussi bien les chanteurs
occitans :
Chens malonestes que gingletz
Vòstra votz ne l‟auvissèm pas
Per ajudar d‟autres pòbles
Escanats per la CIA
Parents de Bokassà
Compliças deus Chili
Quand l‟òm defend la libertat
L‟òm causís pas son emisfèri.
Cependant, c‟est toujours aujourd‟hui le Sud qui semble attirer les auteurs
contemporains. Les auteurs de la Linha Imaginòt favorisent deux espaces : le Brésil et
la région du Nordeste pour les Fabulous Trobadors, André Minvielle, les Bombes 2 Bal,
et les Femmouzes T. (dont les textes sont preque tous de Claude Sicre) et l‟Afrique et la
Jamaïque pour les Massilia Sound System, Moussu T. et le Mauresca Fracas Dub. Il
faut noter que si pour les Fabulous Trobadors « Toulouse est Sahara » et la place
50
Arnaud Bernard est indifféremment nommée « Naut Bernat » ou « Ali Bernard », ce
sont surtout les paroliers du Mauresca Fracas Dub ou du MSS qui favorisent l‟espace
culturel africain.
La polarité semble pourtant être toute relative pour le Mauresca, pour qui
« chez nous c‟est pas Sud de France/ Chez nous, c‟est Nord de Méditerranée 111
». Cette
affirmation crée une ambigüité qui résulte d‟un changement de référence, qui témoigne
d‟une volonté de se situer dans un ensemble méditerranéen. Et dans Méditerranée,
l‟idée est reprise d‟un espace maritime central :
Méditerranée
La mer en partage, portes de l‟Orient
Méditerranée
Rêves et mirages, notre continent.112
Pour donner à la mer Méditerranée un sens synonyme d‟ouverture, l‟auteur
choisit l‟image des “portes” . On voit ainsi la dichotomie Nord/Sud s‟effacer au profit
d‟une réflexion sur l‟Orient et l‟Occident. Il n‟y a pas pour autant conflit entre les deux,
puisque ces portes font de l‟espace méditerranéen un lieu de transition, ni tout à fait l‟
Orient ni tout à fait l‟Occident, un espace indéfini propice donc aux “rêves et mirages” .
Parallèlement, la notion de “continent” fait de la mer un territoire à part entière, à moins
que ce continent ne soit fait de “rêves et mirages”. Nous voyons que ce déplacement de
la polarité favorise l‟imaginaire, ce que nous retrouverons dans l‟écriture de l‟espace
maritime, catalyseur de fantasmes.
C) Des Ailleurs imaginaires
A partir de cette étude des valeurs de l‟Ailleurs, nous avons déjà pu percevoir
que par le biais de fantasmes ou pour les besoins d‟un message, de symboles, l‟espace
réel se trouve soit occulté soit (re)créé. Si nous avons pu dire dans la première partie
que les inventions toponymiques sont rares, cela ne signifie pas que les espaces
imaginaires sont absents. Les occurrences sont nombreuses d‟espaces ne pouvant être
localisés ni nommés. Nous l‟avions vu avec l‟étude des país, qui correspondent souvent
à l‟espace occitan, réel ou fantasmé. Nous en trouvons une sorte de pendant dans les
111 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, “Sud de France”, 2010.
112 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, “Méditerranée”, 2010.
51
occurences de « pays lointains ». Nous avons pu trouver des occurrences, plus rares,
d‟espaces imaginaires qui ne prennent pas la forme d‟un pays.
L‟étude des formes, valeurs et fonctions que prennent les « pays lointains »,
permet d‟approcher l‟imaginaire de l‟espace par le biais du désir. Le pays lointain, c‟est
en effet d‟abord dans la poésie occitane celui de l‟amour, à l‟image de l‟ Amor de lonh
de Jaufre Rudel, repris par plusieurs chanteurs, dont Jacmelina.
Dans l‟ Autanèir 113
, de Delbeau, cet espace lointain prend la forme d‟une ville
« au hons de la mar » mais que l‟homme peut approcher. Le terme de ce voyage est
« una serena/ Que [l]‟ esperava ». Ici comme dans Le marché du soleil de MSS, il
semble que c‟est l‟objectif du voyage qui donne à celui-ci un caractère nécessairement
merveilleux. L‟image de la sirène est souvent convoquée dans ces écritures du
désir dont la femme-poisson est traditionnellement le symbole.
Ce pays lointain, encore faut-il, avant de l‟atteindre, en connaître l‟existence.
Ce n‟est pas son éloignement qui ancre l‟espace dans le domaine de l‟imaginaire mais,
d‟une part, le fait qu‟il ne soit pas nommé et, d‟autre part, le lien souvent établi entre
son existence et le secret. C‟est le cas chez Patric où Gachòla 114
semble dépositaire
d‟un savoir, qui rend concret, qui légitime le rêve :
Sabi qu‟endacòm mai demòra un país
Aquel l‟ai somiat e l‟ai pas jamai vist
Cette certitude est nécessaire en ce qu‟elle donne l‟impulsion au voyage :
Ara me cal partir per faire un novel viatge
Ce nouveau voyage, qui apparaît malgré tout incertain, est évoqué après une
référence à des espaces réels :
Coneissiá lo Japon la China e l‟America
E lo nom perfumat de las filhas d‟Africa
Dans L‟Autanèir, déjà cité, c‟est le vent qui délivre le secret et donne
l‟impulsion au chant :
Lo vent de Nòrd m‟a dit
Qu‟i avè un país
Fòrça luènh d‟aciu
Dab còstas descarnadas
Batudas de mareias
113 P.-A. Delbeau, L‟Autanèir, “L‟Autanèir” (Delbeau), Disc‟òc, 1970.
114 Patric, Catellorizo,“Gachòla” (Patric), 1993.
52
Ce pays est caractérisé par des “còstas descarnadas/ Batudas de mareias”,
c‟est-à-dire par une mer qui le façonne, qui agit sur lui. Il concentre tous les espoirs du
canteur.
Le pays lointain sert également de métaphore à Jean-Paul Verdier dans Le
bonheur :
Le bonheur, le bonheur
C‟est un pays lointain où je nous imagine
C‟est ton pays perdu au creux d‟un mois d‟Avril
Dans ton ventre mouillé qui crie et me fait signe 115
Le lien entre le pays, l‟imaginaire et le désir est ici évident qui prend la forme
de l‟amour charnel et la valeur d‟un bonheur nommé. Cependant, ici, si c‟est
l‟imaginaire du canteur qui donne forme au pays, c‟est bien de celui-ci qu‟émane le
désir. C‟est lui qui “crie” et “fait signe” au canteur.
Patric, dans Gachòla, ne s‟en tient pas à l‟évocation imaginaire. Rares sont les
auteurs qui, comme lui, prennent le temps de décrire cette vision :
Es un país quilhat entre mar e montanha
A l‟odor de rasim farigola e castanha
Lo vent d‟autan i bufa amb la tramontana
Lo roge e l‟aur i dançan lo sèr sus la plana
Ce pays, présenté comme lointain, rêvé, fait-il vraiment quitter l‟espace
occitan ? Ce que Gachòla rêve dans cette chanson et qu‟il n‟a jamais vu, c‟est un pays
sensuel, dont l‟existence n‟est que ressentie. Une construction fantasmée d‟un locus
amoenus qui ressemble à l‟Occitanie, à ces « pays de musique » déjà rencontrés par
ailleurs. C‟est une caractéristique que l‟on retrouve dans d‟autres textes de Patric qui
met en scène dans Madame une femme nostalgique de l‟espace qu‟elle a quitté pour
Paris et qui « s‟inventait un pays à l‟odeur de thym ». Encore une fois, la
(re)construction de l‟espace passe par les sens.
Quitter l‟Occitanie, ce n‟est donc pas forcément quitter ses problématiques.
Quitter l‟écriture de l‟espace occitan, ce n‟est pas forcément écrire l‟Ailleurs.
Parallèlement, parfois, les auteurs parlent du « proche » pour évoquer le « lointain ».
Nous voyons aussi comment la construction d‟espaces imaginaires semble nécessiter un
abandon, même temporaire, de l‟écriture collective. Mais cet abandon, qui fait surgir
115 J.-P. Verdier, Le chantepleure, « Le bonheur » (Verdier), 1979.
53
l‟individu, ne signifie pas pour autant que l‟auteur délaisse la revendication. C‟est ce
point que nous nous proposons maintenant d‟éclairer.
54
Troisième partie : « Solet emb eu », ici ou ailleurs …
Il est maintenant perceptible que l‟écriture de l‟espace mêle des problématiques
collectives à des considérations plus personnelles. Ces dernières peuvent se décliner
selon différentes modalités selon qu‟elles tendent à l‟universel ou qu‟elles parlent de
soi. L‟Occitanie, espace multiple, aussi insaisissable dans ses représentations que ce
qu‟elle désigne, semble moins s‟effacer dans les mouvements vers l‟Ailleurs que dans
les élans lyriques des auteurs. L‟écriture de l‟espace se débarrasse finalement de cadres,
de figures imposées dès que le « je » prend la parole et se met en scène dans les espaces
qui lui sont dévolus. Que ces derniers soient ici ou ailleurs ou - le plus souvent- dans un
entre- deux, la représentation de la solitude et de l‟isolement semble en permettre une
évocation plus personnelle. Avant d‟étudier ces derniers types d‟espace, nous devrons
nous interroger sur la place du lyrisme dans notre corpus.
I) Quelle place pour l’expression du lyrisme ?
A la lecture des études portant sur la chanson occitane, il est évident que
l‟association de la chanson occitane au militantisme n‟est plus une question : elle est
née avec le militantisme et y demeure entièrement liée. Entièrement ou presque
puisqu‟il est tout aussi évident, comme le note, parmi d‟autres Barbara Ronnewinkel
qu‟ « au début des années soixante-dix, (…) la mort du pays, la Provence qui pleure, on
en a trop entendu chanter »116
. Mais associer ce constat à la sortie de la chanson du
« domaine militant117
» par le changement des thématiques et entretenir par là le clivage
thématique thématique sentimentale / discours politique nous apparaît faussé. En effet,
il convient d‟abord de nuancer ce changement thématique : comme le note Valérie
Mazerolle, le premier disque de la NCO, Gui Broglia canta Robert Lafont qui paraît en
1965 « n‟exprime pas directement une revendication politique ; il est davantage lié à la
défense de la langue »118
. Des thématiques amoureuses sont déjà présentes dans les
premiers textes des auteurs occitans. De plus, ce n‟est pas la thématique qui fait sortir
l‟écriture du domaine militant, nous le verrons dans cette partie. En effet, le simple
usage de l‟occitan comme langue de création est souvent envisagé comme un acte
militant. Par ailleurs, il faut noter que certaines évocations amoureuses (nous l‟avons vu
116 Barbara Ronnewinkel, “ La chanson contemporaine en Provence”, in Actes du premier congrès
international de l‟AIEO, RICKETTS Peter (dir), 1987, Londres, Vol.2 . 117
Idem . 118
V. Mazerolle, op. Cit., p. 41.
55
dans les chansons de l‟exil et nous le verrons encore ici) ne distancient pas toujours le
discours du message politique, mais peuvent au contraire le servir.
Si Claude Marti affirme que « quand on pousse un cri, on ne regarde pas très
bien combien le cri a de pieds » 119
il ne faut pas en déduire que posture militante et
écriture poétique s‟excluent forcément. Nous l‟avons vu, les messages politiques sont
servis par une écriture riche où la recherche d‟images fortes entretient la recherche
poétique. De son côté, Jean-Paul Verdier entretient quant à lui la confusion en
expliquant que signer chez Philips, c‟était un choix personnel (pour vivre de la chanson)
et aussi une volonté de quitter le « côté militant » de la production Ventadorn. Or, il dit
aussi qu‟avoir plus de moyens l‟aide à lutter efficacement en déclarant que chez
Ventadorn, « nous luttons avec des arbalètes contre des chars AMX ».120
Verdier, dans
L‟Exil, album de 1974 qui fait suite à cette affaire, fait figurer des textes comme Desert
qui s‟inscrivent dans la même esthétique que les auteurs Ventadorn : le texte s‟ouvre
par « nòstre tèrra dessechada ». Et l‟affirmation du « je » ne sonne pas l‟abandon de la
revendication comme le prouve Ma Marseillaise à moi :
Ma Marseillaise à moi, c‟est le bruit des fontaines
Ma Marseillaise à moi, c‟est la chanson du vent
C‟est le voile bleuté de beauté souveraine
Quand la lune en tapin à la sorgue se vend
Car mon drapeau à moi, c‟est ce bout de nuage
Sans couleur sans patrie sans clairon sans soldat
La première goutte d‟eau tombée les soirs d‟orage
Ma terre-troubadour qui fredonne tout bas
Car mon drapeau à moi c‟est un baiser de femme
Verdier en affirmant son individualité à plusieurs reprises (“à moi”)
s‟approprie l‟hymne et le drapeau, montrant une tension entre l‟individu et les symboles
collectifs. Il s‟inscrit en cela dans une tradition française (nous pensons évidemment à
Aux armes et caetera... de Gainsbourg). Cette réinvention personnelle prend deux
formes, celles de la nature et de la femme, sujets lyriques que Verdier oppose aux
symboles nationaux. L‟ « affaire Verdier » montre que l‟expression d‟une individualité
ne se fait pas sans heurts dans une création attachée à former un bloc uni, à chanter pour
la cause collective. Cependant, dès lors que les messages politiques perdront de leur
force, paradoxalement desservis par un contexte plus favorable, il apparaît que les
auteurs de la NCO qui décideront de poursuivre, mèneront un travail d‟écriture plus
119 Claude Marti, Homme d‟oc, Stock, 1975.
120 Cité par V.Mazerolle, op. Cit., p. 148.
56
personnel, laissant plus de place à l‟expression personnelle. Les auteurs de la Linha
Imaginòt seront confrontés aux mêmes tensions mais sauront s‟en accommoder,
notamment en séparant l‟écriture du groupe de l‟écriture personnelle (par des projets
solos, par exemple). Si Claude Sicre affirme régulièrement préférer l‟écriture du
collectif à celle de l‟individu, d‟autres assument une pluralité qui n‟enlève en rien à
l‟ensemble de leur œuvre une unité stylistique. Enfin, il faut noter que des auteurs
comme Luc Aussibal ou Marilis Orionaa n‟ont jamais été rattachés à l‟un de ces
mouvements, ce qui ne les empêche pas de trouver naturellement leur place dans la
création occitane. Parfois, les auteurs semblent devoir se justifier d‟écrire sur l‟intimité
dans leurs créations mêmes. Chez Fraj, par exemple, l‟entrée du chant dans l‟espace
individuel est montrée comme résultant d‟une volonté de l‟auteur. Dans La Cançon
d‟ara, il présente en effet la tonalité de son texte, plutôt lyrique, comme un espace
nouveau : il est pour lui « temps/de durbir l‟ostal/d‟essèr un moment/un pauc
sentimental ». Cet « ostal » , qui représente souvent l‟ouverture à l‟Autre, avec l‟image
de la porte sur le monde, ouvre ici sur l‟intime, sur l‟individu.
II) Les espaces partagés
L‟isolement est le marqueur d‟une écriture qui s‟oriente vers l‟individu et est
un facteur propice à l‟évocation lyrique. Mais il n‟est pas toujours synonyme de
solitude : d‟une part parce que l‟isolement amoureux peut mettre en scène deux
personnages et d‟autre part parce qu‟il arrive que le canteur se situe dans un espace où
le lien avec le monde reste présent, soit par la pensée, soit par la mention d‟une
présence, lointaine ou proche.
A) Le chemin : symboliques collectives et individuelles
Parmi tous les chemins que nous avons aperçus dans la chanson occitane, celui
que l‟on retrouve repris par des auteurs est celui qui mène à l‟amour, sans doute initié
par l‟écriture de Jean Boudou, dont les poèmes sont mis en musique depuis les années
70 et encore aujourd‟hui. Sus la montanha fut mis en musique par Mans de Breish et
aujourd‟hui par Brotto-Lopez tandis que Lo camin de las pèiras blancas est chanté par
les Souffleurs de rêves. Prendre le chemin, dans Per la montanha121
du Mauresca, c‟est
121 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, “Per la montanha”, 2010.
57
« cheminer sûrement/contre la fuite du temps”. Dans De matin122
, MSS emploie l‟image
du chemin pour matérialiser un questionnement sur leur parti-pris esthétique :
Ò fas un estile comerciau, per lei sòus
Ò fas un estile culturau, per lei fòus
Entre lei dos benlèu que i aurà un camin?
Siáu en defòra ò siáu en dedins ?
Nous voyons que le chemin est ici une métaphore de la voie à prendre, de la
mesure, et qu‟être en dehors ou en dedans sont les deux seules possibilités.
Dans Lo camin de l‟ ostal 123
, Peiraguda représente un chemin qui mène à la
maison. Ce chemin s‟insère d‟abord dans un vers dont le réalisme se trouvera
immédiatement mis à mal par le second :
Lo camin es long que monta a nòstre ostal
Dempuei lo vent de mai al solelh d‟abrial.
Ce sont en effet ses possibilités métaphoriques qui semblent intéresser nos
auteurs. Le cheminement est personnel ou collectif, intérieur ou destiné à favoriser
l‟action ; c‟est donc un symbole de cette double tension que nous évoquions : le chemin
est un motif qui sert à la fois à la revendication et au lyrisme.
C‟est à son père que Marti, co-auteur du roman Caminarem, dédie Amont124
,
dont le texte présente deux caractéristiques de l‟écriture de Marti : l‟étroit rapport
espace-temps et le cheminement. Il est en effet question de cheminer pour gravir une
montagne :
Caminarèm papa
Daissarèm la valada
Amont lo vent d‟ Auta
Musiquèja d‟estiu
Nous voyons le double sens que peuvent revêtir “caminarèm” et “amont” :
cheminer et monter, c‟est aussi progresser et s‟élever.
Nous voyons cependant que la représentation hésite entre réel et imaginaire
avec “la roc encantada” , qui introduit le regard de l‟enfant. Nous retrouverons cette
hésitation dans Lo Camin del Solelh. A l‟issue de ce cheminement, en revanche, la
métaphore est plus franche et l‟espace très réaliste se dissout dans l‟évocation de
l‟enfance :
122 Massilia Sound System, Aïolywood, “De matin”, 1997.
123 Peiraguda, La dama pijoniera, “Lo camin de l‟ostal”, 1982.
124 C.Marti, Et pourtant elle tourne,“Amont”, 1992.
58
Sabi ieu que t‟aten
Lougièra coma bruma
E doça coma pluma
L‟imatge d‟un enfant
Que tu conneisses pla :
Lo pastre de dètz ans
Qu‟èras estat, papà.
Voyager dans les montagnes de l‟enfance, c‟est ici retrouver, non pas l‟enfant,
mais son image ...
La deuxième personne du pluriel a laissé place à la première et à la deuxième
du singulier : c‟est après les montagnes que les chemins du père et du fils se séparent.
Elles forment donc tout à la fois un refuge et une frontière.
Lo Camin del Solelh125
est dédicacée à un élément : la mer Méditerranée. Le
titre évoque à l‟évidence un chemin métaphorique mais donné ici comme réel par
l‟emploi du défini. Si “lo camin del pech” n‟apporte que peu d‟indications quant à la
localisation de l‟espace plutôt ancré dans l‟espace réel, la suite est plus précise :
Anam veire lo solelh
Se levar darrièr las Corbièras
Tot rajent d‟aiga de la mar
De la mar Mediterranèia
Entre Leucata e Sijan
Marti ancre son évocation une nouvelle fois près des Corbières, dans un espace
compris entre les deux principaux étangs des Corbières, donc dans son paysage de
prédilection. Les lieux cités sont précis et reconnaissables. L‟écriture se fait plus imagée
pour la description du soleil puisque les qualités de la mer lui sont attribuées.
Marti propose donc un espace réel, marqué par les noms de lieux et de
montagnes, mais où l‟imaginaire prend en charge la description du soleil :
Anam veire lo solelh
Coma una ròda dins lo cèl
Dançar damont las Pirenèias
Sus la musica d‟un rondèu
Barrejat d‟un aire de Fecos.126
125 C.Marti, Lo camin del solelh, “Lo camin del solelh” (Marti) , 1972.
126 Musiques du carnaval de Limoux (Aude).
59
La comparaison du soleil à “una ròda” joue sur un double sens : la roue, image
assez traditionnelle, ou la ronde, qui correspond à l‟image d‟un soleil dançant
développée dans la suite du couplet. L‟indication “damont las Pirenèias”, située au
coeur du couplet vient rappeler l‟espace réel au coeur d‟une image poétique.
Ce chemin du soleil n‟est ainsi nommé que dans le titre puisque, par deux fois,
Marti le rebaptise : “camin del pech” d‟abord puis, dans un mouvement descendant
(“davalam”) “camin del brèlh”.
La chanson est structurée de manière logique, suivant le mouvement ascendant
du soleil que les deux personnages verront :
Amanhagar la Malapèira
Negra montanha del lop,
Clinhar de l'uèlh e puèi se pèrdre
Darrièr las brancas d'un pibol
“Amanhagar” rapporte l‟effet visuel du soleil couchant, frôlant la montagne
mais introduit également un rapport sensuel entre le soleil et la roche. C‟est également
l‟occasion pour Marti de teinter son évocation d‟une dimension légendaire, les loups des
montagnes ayant nourri bien des récits, notamment au XIXème siècle.
Finalement, le coucher du soleil correspond au retour à la réalité : “Nos en
tornam a Coffolens”, village de l‟auteur. Ce chemin n‟est ni de pierre, ni ancien, ni
initiatique ; il est ici la voie d‟accès à la vision poétique.
Dans la Naissença,127
chantée par Fraj, le motif du chemin est utilisé dans sa
potentialité de confusion spatio-temporelle : ce « camin » « mene a travers temps » et
pas à travers champs… Il est en effet le « dralhòl de [sa] memòria », comme le sont
souvent les chemins de la chanson occitane.
MSS dans Raja Occitani128
met en scène un chemin à trouver.
Pòrta mi ma dòna se ti plai mena mi,
Se ti plai ma dòna mòstra mi lo camin.
Pòrta mi ma dòna se ti plai mena mi
Dins lo jardin monte mi dien raja occitani.
Le chemin en lui-même importe peu, c‟est le jardin qui doit être atteint par
n‟importe quel moyen. D‟ailleurs, l‟envol est une possibilité envisagée par ailleurs dans
le texte.
127 E. Fraj, Subrevida, « Naissença » (J. Rigouste), 1978.
128 Massilia Sound System, Aïollywood, « Raja occitani », 1997.
60
Les MFD dans Sèta 129
chantent un hommage à la ville en commençant par en
déplorer les changements : déclassement de l‟étang pour construire des immeubles,
profit touristique ... La représentation correspond au début du texte à ce que nous avons
pu étudier par ailleurs dans les écritures du constat. Cependant, nous trouvons par la
suite une occurrence qui renvoie au chemin en lui-même :
Pofres manjaires d‟imaginari,
Siam en riba de Mediterranea
Legendas e camins milenaris
Per començanças d‟epopèias...
Le chemin dans la chanson occitane, et là encore il s‟agit d‟une image
traditionnelle dans toute la littérature et dans le langage courant, c‟est le plus souvent le
chemin de la vie. Nous ne pourrons pas énumérer ici la centaine d‟occurrences
retrouvée mais donnerons quelques exemples : Patric dans Adieu s‟adressant à la femme
qu‟il quitte (“Pensaràs al camin pichòt de nòstra vida”), pour Mans de Breish dans
Autonòmia, c‟est classiquement un “camin de la luta‟, pour Maffrand dans Auròst ta
Joan Petit, un “camin de cançon”, et chez tous les auteurs, “caminar” prend une valeur
initiatique .
Lo Mago de‟n Castèu, avec Camin de migrant 130
jouent sur le double sens
symbolique et réaliste du chemin. Décrivant le parcours des migrants, le propos n‟est
pas situé dans une géographie précise. Ce chemin est d‟ailleurs précédé de l‟indéfini,
avec cependant l‟emploi du singulier qui indique une mise à distance du modèle réel.
L‟emploi du singulier tend à faire croire qu‟il n‟y a qu‟un chemin, partagé par tous les
migrants, qui ne peut donc qu‟être symbolique. L‟auteur insiste sur le caractère secret
de l‟espace :
Un camin contrabandier perdut en li romegàs
Pòrta sota cada pèira, lo patiment dei gents
Lo cracament d‟un genolh qu‟a totplen tròup marchat
La dolor d‟una esquina tròup de temps plegada
Ces deux vers mêlent l‟idée d‟un espace caché à la souffrance de ceux qui
l‟empruntent. Ceux-ci sont à la fois omniprésents et absents : si le corps douloureux est
129 Mauresca Fracas Dub, Contèsta, « Sèta », 2005.
130 Lo Mago de‟n Castèu, De l‟autra part dau ment dei òmes, « Camin de migrant », 2004.
61
représenté sur deux vers, nous n‟en avons de trace que celle de leur souffrance,
dissimulée sous les pierres.
Dans le dernier couplet, c‟est le caractère aventureux du voyage entrepris qui
redéfinit les caractéristiques du chemin :
Un camin viatjator trebolat per l‟illusion
Pòrta com‟un senhal l‟espèr dei emigrants
La canson eterna d‟aquelu que se‟n van
Embé dintre un pantais una vida novèla
“Trebolat”, “illusion”, “espèr” et “pantais” forment un lexique de l‟incertitude
et ancrent la description dans le domaine du songe tandis qu‟ “eterna” fait du chemin et
de la chanson deux éléments liés pour toujours et depuis toujours.
Ce lien entre création et chemin est aussi représenté par La Talvera dans Ausèl
de la mar granda131
. Le canteur demande au rossignolet sauvage comment faire une
chanson et celui-ci répond qu‟ « una cançon es una flor que puèlha / Jos las pèiras
gròssas del camin ». Ici aussi, les pierres du chemin servent à dissimuler un secret. Le
premier couplet, adressé à l‟ « ausèl de la mar granda » porte justement sur un chemin
d‟un autre type :
Ton camin es aquel que s‟amaga
Darrièr cada arbre cada panical
Ton camin es aquel que te fargas
A tu de lo traçar plan coma cal.
Le canteur ne parle pas d‟ “un camin” mais de “lo meu camin”, qui implique
une dimension là encore symbolique. Dans ce dialogue, les différents oiseaux interrogés
le sont pour leur lien avec l‟objet recherché. Pour trouver son chemin, le canteur
s‟adresse à l‟oiseau de l‟océan parce qu‟il “vòl[a] totjorn sèr e matin / butat pel marin e
la cisampa” . Les deux premiers vers de sa réponse font du chemin un espace unique et
multiple : il est toujours singulier mais se dissimule derrière chaque arbre et chaque
chardon. Les deux derniers vers reviennent à l‟idée d‟un chemin unique qui reste à
tracer, qui n‟existe donc pas encore. Nous voyons ici que l‟imaginaire modifie la
logique pour représenter un chemin devenu une idée. Si l‟auteur insiste ici sur la
responsabilité individuelle, nous voyons que l‟écriture diffère de celle de Claude Sicre,
131 La Talvera, Quincarelet, « Ausèl de la mar granda », 2005 .
62
écart qui réside peut-être dans la mobilisation d‟éléments naturels et dans la mise à
distance du réel par l‟emploi de constructions métaphoriques.
B) L’isolement amoureux
L‟isolement amoureux est marqué par la construction ou la recherche d‟espaces
propices à l‟intimité. Il s‟agira donc moins d‟espaces que de lieux même ci ceux-ci
peuvent être intégrés à un espace plus vaste, vide ou peuplé, nécessaire à l‟impression
d‟isolement.
a) La maison
La maison est un refuge au caractère rassurant et dont la présence dans une
chanson peut revêtir plusieurs sens : l‟ostal peut en effet être rattaché à l‟image de la
terre que l‟on quitte ou qui manque (nous avons vu ce qu‟était pour Peiraguda la « clau
de l‟ostal ») ou un refuge pour les autres ( à l‟instar de l‟ Ostal de la colina de Marti, ou
de Marseille qui représente pour Ridel « l‟ostau de tantei familhas132
» ). Maffrand dans
Un petit apartament133
modifie légèrement la symbolique puisque la maison, qui est un
lieu plutôt rural, est ici un appartement, plus urbain :
Un petit apartament,
Esconut devath un gran teit,
Tu e jo tots sols dehens,
Drin perguts au miei d‟aqueth vueit,
Ací qu‟ei la glèisa nòsta,
Tà d‟aquera nòça,
N‟i a pas nat temuenh,
Au solèr lo cèu tau viatge,
Qu‟ei com un vilatge
Qui s‟aluca au luenh,
La horrèra dehens la carrèra
Que braceja vent.
Cet espace est caractérisé par plusieurs éléments propices à l‟intimité : petit,
dissimulé et éloigné. L‟appartement devient un lieu qui sacralise l‟intimité ( “la glèisa
nòsta”) et on voit ici que l‟appropriation par le “nous” diffère largement de ce que nous
132 Massilia Sound System, Occitanista, “Joglars”, 2002.
133 Los de Nadau, Qu‟èm ço qui èm !, “Un petit apartement” (Maffrand), 1985.
63
avons pu rencontrer jusqu‟ici dans les appropriations de l‟espace. Maffrand utilise l‟Ici
comme pivot dans son texte comme il le fait dans Aspa vou vivre avec le maintenant.
C‟est à partir de l‟affirmation de l‟Ici que l‟appartement devient église.
L‟Ici est une affirmation permanente dans Aquí, de Robert Lafont et chantée
par Gui Broglia134
, où l‟espace est longuement décrit, avec répétition d‟ « aquí », qui
ancre le texte dans une réalité spatiale proche. Ce n‟est cependant qu‟à la fin de cette
longue description que l‟espace est caractérisé :
« Aquí siám sols e nos aimam ».
La révélation naît de la tension provoquée par la suspension, l‟attente créée
tout au long du texte. C‟est parce que c‟est la fin du texte que la révélation peut avoir
lieu. Le lieu d‟intimité amoureuse est présenté de manière dynamique, avec emploi de
prépositions de lieu ( « sota lo cèu », « dins un maset », « sus una tèrra »). Le poète
insiste sur la solitude des amants dans le marais, « solets dins la Camarga granda ». Le
lieu refuge est ici « un maset sèns ges de pòrta », qui protège, donc, mais n‟enferme
pas.
b) Le jardin, le champ
Le lieu de l‟intimité amoureuse peut également se situer à l‟extérieur, dans la
nature, et la solitude y est assurée par une frontière symbolique, souvent une haie. Dans
Lo galant e la bergièra de Joan Rebièr, interprétée par Dostromon, les amoureux se
trouvent « darrièr lo plais de la prada ». C‟est un élément traditionnel de la chanson
populaire que de placer une bergère dans un champ et une haie pour cacher les amants
et que d‟autres auteurs contemporains réactualisent dans leurs textes. C‟est le cas de
Maffrand, chez qui dans A quinze ans135
, la nature donne l‟impulsion et le décor d‟une
rêverie amoureuse :
A la prima totstemps, lo mèu còr pataqueja,
Quan floreish lo bròc blanc, que soi embriagat,
Tròp beròia tà jo n‟èi pas jamei gausat
Envitar sons quinze ans darrèr la bòrda vielha.
134 Gui Broglia, Gui Broglia canta Robert Lafont, IEO, 1965.
135 Los de Nadau, T‟on vas ?, « A quinze ans » (Maffrand), 1982.
64
Ce couplet, qui ouvre la chanson et qui lui donne la couleur d‟ une reverdie
mentionne une vieille haie, qui fonctionne comme une barrière symbolique et dont le
qualificatif “vielha” trouve son prolongement dans un autre couplet :
Aquiu despuish mila ans que iei doça l‟erbeta,
Un pomèr que l‟escón sonque taus amorós,
Que ns‟i serem cochats shens deranjar las flors,
E deilhèu desvelhats paur arrais de l‟aubeta.
La reprise du motif du verger d‟amour et- plus loin - du cant d‟aubada,
inscrivent l‟évocation dans une symbolique courtoise initiée par les troubadours. L‟âge
millénaire du lieu témoigne autant du caractère merveilleux de l‟endroit que de la
pérennité du motif lui-même.
La poésie des troubadours faisant partie du socle culturel commun à tous nos
auteurs, on retrouve inévitablement les traces de ces lectures dans leur écriture. Les
Mauresca dans Amor de pròchi136
font ouvertement référence à Jaufre Rudel.
Cependant, dès le titre, on voit la prise de distance d‟avec le modèle médiéval ; l‟amour
ne s‟envisage pas dans l‟éloignement mais dans la proximité :
Nòstras vidas son emmescladas,
Dos camins sus la mema mar,
Doas dralhas au prigond dau país,
Doas sentas pel mond cambiadís,
Dos carrairòls dins lo bartàs.
Il y a un éloignement partagé, un véritable isolement amoureux tout
métaphorique. Les “dos dolors” de Jaufre s‟en trouvent ainsi éloignées et la complainte
avec :
Luònh dels socits, dolors e repròchis,
Canti las jòias d‟un amor de pròchi.
L‟auteur, répondant à sa propre injonction, « lis les troubadours et sors les tous
de chez toi137
», prend ainsi des libertés avec le modèle, et prend plaisir à jouer avec un
héritage moins contraignant que chez Maffrand.
C‟est l‟image du jardin que choisit le Massilia Sound System dans Raja
occitani pour parler de la dame aimée. Toutefois ici, il ne s‟agit pas du lieu destiné à
accueillir les amants, mais du terme de la quête amoureuse :
136 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, « Amor de pròchi », 2011.
137 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, « Stéréotypes », 2011.
65
O quant de temps encara mi faudrà sospirar,
O quant de temps encara mi faudrà pantaiar
De tei jardins.
L‟amant impatient invoque indifféremment l‟aimée, les dieux et les diables
pour l‟aider dans sa quête:
Pòrta mi ma dòna se ti plai mena mi,
Se ti plai ma dòna mòstra mi lo camin.
Pòrta mi ma dòna se ti plai mena mi
Dins lo jardin monte mi dien Raja occitani.
Quant de diables encara mi faudrà escotar,
O quant de dieus encara mi faudrà pregar
Per tei jardins.
Le chanteur s‟identifie finalement au troubadour en employant un lexique évocateur :
Quant de senhals encara mi faudrà ti balhar,
Quant de repics encara mi faudrà per cantar
Ton bèu jardin.
Nous voyons que le jardin d‟amour renvoie immédiatement à
l‟héritage des troubadours, dont ces auteurs s‟approprient les thématiques et les
codes littéraires sans les imiter. Ils leurs rendent en outre régulièrement
hommage en reprenant leurs textes ou en les citant explicitement.
III) Es sus la talvera ...
Si l‟intimité amoureuse passe par des lieux clos, au moins symboliquement,
l‟isolement solitaire peut s‟effectuer dans n‟importe quel espace, pourvu qu‟il soit en
marge du monde. C‟est ainsi que la forêt, la montagne et la mer sont les espaces
privilégiés d‟un isolement qui prend souvent un caractère contemplatif mais pas
exclusivement.
A) Lo bòsc prigond
Vielh solitari138
ressemble au premier abord à une chanson d‟exil. Mais ici,
Delbeau, qui prend en charge l‟écriture du texte, chante l‟isolement choisi d‟un homme
138 P.-A. Delbeau, L‟autaneir, “Vielh solitari” (Delbeau), 1970.
66
qui y trouve sa liberté, en opposition avec “l‟òme hòrt” et l‟ “òme rei”. Cet isolement se
caractérise par un espace qui sépare physiquement le solitaire du monde qu‟il refuse :
Lègas, lègas de brumeis
De l‟ivèrn aus gestaus mòrts
Hens las jaugas deu so-coc
M‟separan de l‟òme hòrt
Il est difficile de trancher si les brumes, les genêts morts et le crépuscule
caractérisent le monde qui entoure le solitaire en dehors de son lieu refuge ou si son
refuge se situe justement dans cet espace. Ce dernier, inquiétant, prend une teinte plus
positive et imagée dans le second couplet, construit de la même manière :
Lègas, lègas de sauneis
Adromit au hons deus bòscs
Aprigats per lo mistèri
M‟separan de l‟òme rei
Delbeau, dans ce couplet, mêle deux qualités attribuées généralement au bois
profond : l‟espace de marginalisation et l‟espace onirique. Mais il n‟en fait pas un lie
clos, les deux mondes sont poreux, et c‟est le vent qui crée la communication :
Lo men can que ten l‟aurelha
Lo renard près de la hont
An flairat lo traç de l‟òme
Hens lo vent dab lo rebomb
Ici, le vent qui transporte une présence qui introduit dans cet espace un danger
que le solitaire pressentir en fonction du vent :
Si lo vent vienè deu Sud,
Anarí, tot a plaser
De cap a l‟inconegut
C‟est l‟orientation du vent qui définit la nature positive ou non de l‟espace
inconnu. Mais, ce vent vient du Nord et c‟est « la butada » qu‟entend le solitaire.
L‟opposition Nord/Sud s‟active donc dans cet espace qui ne se situe peut-être pas en
marge mais au centre, qui forme plutôt une « marche », au sens étymologique du terme.
67
Fraj, dans L‟ Enfadat139
, établit lui aussi un contraste entre deux espaces, et
par là, entre deux degrés de réalité. Il y a le monde de la forêt, où l‟on trouve des
« ninfas » avec lesquelles le canteur chante « a la broa de l‟age ». On y trouve une
« font » où les « sorres aimables de la selva » lui apporteront « l‟embraguera ». C‟est
donc une forêt résolument merveilleuse, espace de joie et de liberté, aux marges du réel.
Elle se situe en hauteur loin du « vilatge bas » qui constitue le pendant réel et négatif de
cette forêt. Car dans le village, l‟on cherche à pendre l‟enfadat. La forêt appartient au
monde des croyances traditionnelles, païennes, tandis que la religion du vilatge possède
le pouvoir de punir de mort ces croyances.
Dans la Canson d‟ara, toujours de Fraj, l‟expression de l‟intime va passer par
l‟imaginaire d‟un autre espace qui se situe « luènh dins las estèlas/prigond dins la
nau ». « Luènh » et « prigond » symbolisent la mise à distance du monde, de la réalité
dans un voyage orienté d‟abord vers le ciel. C‟est ensuite dans la mer, « al país de
l‟aiga » que le canteur et son compagnon de route pourront « banhar ». Ce voyage dans
l‟espace imaginaire va encore une fois de pair avec un voyage dans le temps. Dans
« auèi sus la tèrra/ Doman dins le passat », Fraj oppose l‟aujourd‟hui au demain mais
aussi la terre au passé ; et ce passé se situera dans le futur… De même, l‟eau ne sert pas
seulement la baignade ; il faut aussi que le canteur y perde « la memòria » dans un oubli
de ce qui fut son passé et son présent. L‟oubli ne suffit pas puisqu‟il faut se faire
« mainatges », condition pour rester dans cet état d‟oubli et dans cet espace. Et se faire
enfant, c‟est se faire « contes o istòria », c'est-à-dire texte. Finalement la porte à ouvrir
devient un « pont » à « passar » et la maison se révèle être le « còr » du canteur.
B) Sus l’autura
Si les montagnes sont omniprésentes dans les chansons traditionnelles
occitanes, elles y sont souvent une barrière (Aqueras montanhas en est un exemple
célèbre) ou élément d‟identité (Sèm montanhòls). La chanson occitane moderne reprend
ces symboliques en exploitant aussi le motif de la montagne refuge.
Dans Saussat, Michel Maffrand situe son point de vue depuis “era montanha” ,
peut-être celle de “Perdiguèro”, mentionnée juste avant ou celle de “Literòla”, évoquée
juste après. C‟est une chanson de contemplation, où l‟action se réduit au regard, qui est
139 Eric Fraj, L‟Enfadat, “L‟Enfadat” (Fraj), 1980.
68
activé à chaque fin de ces couplets et dont il constitue peut-être le refrain : “Que uèiti
eth Saussat”. Comme chez Boudou, dans Lo camin de la montanha,“montanha” rime ici
avec “companha” dont l‟absence fait naître le chant. A moins que celui-ci intervienne
comme un écho à celui de “tot era calhavèra” dont le chanteur dit entendre la chanson.
Ce lieu, loin de tout, est un refuge pour le canteur qui le prend comme prétexte pour
manquer l‟école (“Era fauta a Literòla”) et où il apprécie qu‟il “n‟i a cap de meste”. La
montagne en fait un homme libre :
Non n‟i a cap de cadena
Non n‟i a barrons ni cleda
E lonh dets barbelats
Espace de liberté, donc, mais aussi espace insaisissable, situé à la frontière
administrative entre l‟Espagne et la France mais également à la frontière du ciel et de la
terre :
Non ei cap mes era tèrra
Non ei cap eth cèu encara.
Enfin, Maffrand clôt sa contemplation par une image poétique où la fonte des
glaces est représentée par les larmes de la montagne :
Eth printemps que vien de „Spanha
Hè plorar era montanha
Où également le reflet de la lune sur le lac fait penser que “la luna s‟ei pausada
/ Sus eth miralh d‟era aiga”.
On retrouve cette ambiance de contemplation romantique chez François Ridel,
dans Sus l‟autura140
. La chanson s‟ouvre par un mouvement descendant du regard :
Quilhat coma un pin sus l‟autura,
Avau,
La mar sembla un jardin.
Lo peis li mena l‟aventura,
La nau
Li traça lo destin.
140 Moussu T. e lei Jovents, Forever Polida, « Sus l‟autura », 2006.
69
Le deuxième vers, de deux syllabes, un seul mot, vient transformer, par sa
position, le dynamisme du texte : le premier vers installe immédiatement l‟évocation sur
un sommet (“quilhat”, “autura”), dans une verticalité à partir de laquelle nous sommes
incités à plonger immédiatement, “avau”. Le mot sert en outre de bascule entre deux
comparaisons : l‟homme à l‟arbre et la mer au jardin. L‟ isolement ne se situe pas dans
un espace vague puisque Marseille est nommée, qui se situe à proximité. Comme chez
Maffrand, l‟isolement est complet, qui ne nécessite pas de quitter tout à fait l‟espace
familier :
Ailà, si devina Marsilha,
Bessai l‟esquina d‟un daufin.
L‟aucèu que tòrna d‟Argeria
Crida lei nòvas dau matin.
Si la hauteur trouble le regard sur l‟espace (“se devina”, “bessai”), l‟ouïe est
convoquée par le cri de l‟oiseau. Ce dernier joue le rôle de crieur public, de messager
brisant ainsi les frontières. Il introduit dans la contemplation une réflexion sur les
frontières :
Davant leis uelhs, ges de barrièra,
La sau
E l‟aiga sensa fin.
Lo vent si garça dei frontièras,
Ti fau
Viatjar ambé son trin.
La prise de hauteur, du canteur lui-même et de l‟oiseau permet le dépassement
des frontières, un sentiment de liberté dont peut jouir aussi le vent, comparé à un train à
prendre. Nous repensons ici au premier couplet de Desportacion où par delà la
montagne, le soleil et les palombes effectuent un parcours impossible à l‟homme. Mais
ici, il n‟y a pas d‟expression de colère ou d‟injustice. La chanson se clôt sur un double
chemin, qui colore nouvellement le chant, a posteriori :
Va t‟en gabiòta se siás lèsta,
Va t‟en esclairar lo camin
Per lo vaissèu de ma mestressa
E lei barcas dei clandestins.
La mouette, figure du passeur, éclaire ainsi le chemin de l‟aimée et celui des
clandestins, dont les voyages aux finalités diverses s‟effectuent sur des embarcations
différentes. Pourtant, l‟auteur mentionne indifféremment le destin amoureux et le destin
70
douloureux en les plaçant sous le même éclairage, les reliant par un “e” qui relie les
deux vers aux structures symétriques. Finalement, la prise de hauteur du canteur semble
correspondre à une attente, celle de l‟aimée.
Les raisons qui poussent le canteur de Per la montanha141
de Mauresca Fracas
Dub sont plus explicites :
Mèti ma vida dins mei cauçaduras,
Seguissi lei sentas d‟aventura,
Ieu m‟en vau sus leis auturas
Per caçar embolhs e macaduras.
“Embolhs e macaduras” sont explicités durant huit vers que l‟on peut résumer
par le premier : “Quand n‟ai pron, que tot m‟engarça”. Le départ “sus leis auturas”
répond moins à la recherche du repos qu‟à celle de l‟aventure. D‟ailleurs, il ne s‟agit pas
ici d‟une retraite introspective ou de contemplation. La représentation est dynamique,
foisonnante de lieux :
Per las cimas, los sèrres e l‟ermàs,
Per las dralhas, las pistas e lo combàs,
Per los sentièrs, las crèstas e lo rancàs,
Siái falibustièr, pirata dau bartàs.
L‟énumération, qui fait du couplet une sorte de thesaurus, mélange des espaces
qui ont comme point commun un sentiment d‟isolement et de risque. La situation est
loin d‟être statique, comme en témoigne la répétition de “per” en début de chaque vers.
Les références aux flibustiers, aux pirates et aux portulans (“Per la montanha m‟en vau,
/Portulan dins lei cauçaduras”) font en outre de la montagne une sorte de mer
accessible à pied, un pendant terrestre de l‟espace maritime, ce qui est fréquent dans les
textes du Mauresca.
C) La mer, entre deux terres
La mer a un statut particulier dans la chanson occitane. C‟est un élément
résolument positif et dont l‟omniprésence s‟explique par la situation géographhique des
auteurs : ce sont en effet surtout les auteurs des côtes méditerranéenne et aquitaine qui
la mentionnent régulièrement. Mais la mer possède aussi un potentiel symbolique
141 Mauresca Fracas Dub, Cooperativa, “Per la montanha”, 2011.
71
poétique qui justifie une production chansonnière importante. L‟isolement maritime
passe le plus souvent par la navigation et favorise l‟évocation merveilleuse.
Dans Desamarra142
de François Ridel, nous retrouvons un exemple
d‟injonction de départ :
Una fes de mai,
Desamarra !
Lèva lo fèrri dau bastiment !
Bòrd qu‟avèm lo blu sus l‟esquina,
La vela cercarà lo vent.
A partir de cette injonction, nous voyons que c‟est le futur qui prend en
charge le voyage. La navigation n‟est pas à proprement représentée (ce qui pose ici
encore la question du départ effectif) qui semble être entièrement remise au hasard ( “la
vela cercarà lo vent”). Le hasard précède l‟évocation d‟une navigation merveilleuse
avec un lexique significatif :
Lo large t‟embarca e t‟emmasca
E ti fa perdre la rason,
Oblidar que la mai polida
T‟espèra, ailà, dins la maison.
Ce couplet révèle l‟itinéraire du voyageur sur la mer : l‟embarquement n‟est
pas volontaire puisque l‟action est menée par le large et précède l‟envoûtement, la folie
et au terme du voyage, c‟est l‟oubli qui attend le voyageur amoureux. Le “bastiment” ne
semble en outre appartenir à personne. Le voyage sans but et la navigation merveilleuse
renvoient à la tradition littéraire de l‟aventure. Cependant, l‟évocation de l‟amour, si
elle est liée à l‟oubli entraîne immédiatement l‟écriture du retour :
De matin, se la mar es bòna
E qu‟alèna dau bòn costat,
Vaicí la còsta, vaicí lei còlas
E lo lume de la ciutat
Nous le voyons, le retour est incertain, dépendant du vent mais prometteur
puisqu‟il renvoie à la femme aimée et aux lumières de la ville. Dans ce texte, si le
merveilleux opère, le réel n‟est pas pour autant mis à distance par l‟écriture. C‟est la
prise de distance par le voyage qui crée le merveilleux.
142 Moussu T. e lei Jovents, Home sweet home, “Desamarra!” (Ridel), 2008
72
François Ridel reprend ce motif dans Per soleta companhia143
en passant de la
deuxième personne à la première et en reprenant l‟évocation au futur :
Prenguèri lo temps,
Prenguèri lo matin,
Lo vent dins la vèla
De mon batèu,
Ambé la mar e lo soleu
Per soleta companhia.
On retrouve la voile et le vent comme moteurs du déplacement mais le canteur
est ici à l‟initiative du départ : il est sujet du verbe d‟action et le bateau est le sien. La
solitude est recherchée mais le canteur ne parle pas pour autant d‟oubli puisque parmi
les compagnons de solitude du voyageur l‟on trouve à la fin du deuxième et dernier
couplet de ce texte bref :
Ambé l‟imatge de ma mia
Per soleta companhia.
Ainsi, le départ solitaire n‟est pas marqué par l‟oubli mais plutôt par le
souvenir et l‟amour en fait partie, comme dans Desamarra.
Chez Claude Marti, la navigation, plus rare, lui permet dans Anirèm vèire los
bateus 144
de jouer sur le rapport entre temps et espace. C‟est à partir d‟un lieu restreint,
autour d‟un foyer “dins la chemineia” et par l‟intermédiaire de “dos vielhs” que
l‟espace va s‟élargir. Cet espace passe d‟une réalité statique à celui de l‟imaginaire
grâce au rêve des deux personnages qui introduit également l‟expression au futur :
Aniràn veire los batèus
E davant la mar, lo cor desliurat
Aniràn vèire los batèus
Levaràn los uèlhs, levaràn las velas
Crebaràn lo temps !
C‟est le songe, associé à la mer qui donne une ouverture à la fois au texte, à ses
personnages et à l‟espace. Quant à la nature de ce “temps”, l‟auditeur hésite puisque
Marti effectue une modification du refrain, le second donnant “Crebarem l‟ivèrn !”.
143 Moussu T. e lei Jovents, Forever polida, « Per soleta companhia » (Ridel), 2006
144Claude Marti, “Anirèm vèire los bateus” (C. Marti), 1975.
73
Miguel 145
est la reprise partielle d‟ Anirèm vèire los batèus, écrite dix-sept ans
plus tôt. Nous parlons de reprise partielle plus que de traduction puisque comme le titre
nous l‟indique, les binômes d‟ Anirèm sont remplacés par une figure unique, celle de
Miguel, “l‟ aïeul”. Dans ce texte, ce n‟est plus le rêve au futur mais un présent certain et
réel : “Dans le port un bateau l‟attend”. Ce bateau merveilleux, il suffit d‟en “lever les
voiles” pour voyager dans le passé : “Il lève les yeux, il lève les voiles / Et il a vingt
ans”. Dans ce texte plus tardif, lever les voiles est une expérience solitaire avec
cependant le même objectif : briser l‟écoulement du temps.
Dans Navigarem146
de Fraj, la navigation s‟effectue également au futur mais
dans une réalité intermédiaire :
Anirem sul vaissèl d‟aur
De la mar d‟amor
Nos trobar aquel tresaur
Qu‟espèra totjorn
Nous parlons de réalité intermédiaire puisque si la navigation se situe sur
l‟espace imaginaire de « la mar d‟amor », dans « le vaissèl d‟aur »147
, l‟utilisation
répétée du pronom défini pose cet espace comme un espace connu. Et en effet,
l‟espace n‟est connu que du canteur et sa destinatrice, puisque cette navigation
symbolique évoque une nuit d‟amour. Le terme du voyage sera « la tèrra/ De nostre
plaser » dont les deux caractéristiques spatiales sont l‟éloignement (« luènh del pòrt/
totjorn mès luènh”) et la solitude conférée par sa forme („l‟isla”) et son mystère (“le
país secret”).
Plusieurs auteurs insistent sur l‟éloignement que favorise la navigation, mais
dont la mer elle-même est l‟instrument, le sujet des verbes d‟action. Chez Maffrand,
notamment, dans La mar 148
:
La mar que va, la mar que vien / Que pòt portar l‟òmi tan luenh.
Sam Karpienia, dans Lo carrejaire 149
, développe cette représentation : le
destin est central dans une navigation qui s‟ancre dans une temporalité incertaine
comme le sont l‟espace et l‟objectif du voyage. Le texte commence par l‟expression
d‟un désir :
145 Claude Marti, Et pourtant elle tourne, “Miguel” (C.Marti), 1992.
146 E. Fraj, Cantaré !, “Navigarem” (Fraj), 1981.
147 Notons que Ridel parlera quant à lui d‟ être “lo corsari/ d‟un nau de plaser”.
148 Nadau, De cuu au ent, “La mar” (Maffrand), 1991.
149 Dupain, Camina, “Lo carrejaire”, 2002.
74
Que la luna me pòrta sus leis ondas de la mar
Ce hasard, que nous avons déja rencontré chez François Ridel se trouve
renforcé par une autre prière :
Que la man de Dieu me porta
Sus leis ondas, mon esclavituda l‟ai quitada
Ais omes d‟ailabas, anar luenh sempre.
Le canteur, en plaçant son parcours sous le double patronnage de la lune et de
Dieu, insiste sur l‟idée de hasard et ajoute à son voyage une dimension épique absente
des autres évocations. Notons également qu‟ici, si l‟éloignement est lié à la prise de
liberté, il l‟est d‟autant plus qu‟il n‟est pas question de retour (“sempre”). Nous
retrouvons pourtant l‟idée d‟une lumière qui guide la navigation, mais celle-ci se situe
justement au loin et n‟indique pas le port du retour :
La fòrça que m‟ajuda dins mon periple :
Un lume que trantalha au luenh
La navigation semble s‟effectuer sans bateau créant une fusion entre l‟homme
et la mer, celle-ci entraînant le canteur dans ses mouvements :
La mar sembla durmir e ieu
Barrutli dins son sòmi movedís.
La solitude du canteur reste cependant relative puisque, comme chez François
Ridel, le voyageur emmène avec lui un souvenir du monde qu‟il quitte :
Ai emportat la votz de meis fraires
Son a cridar ma ventura, leis entendi
Bramar lo cant dau novelum, leis
Entendi bramar lo cant dau revolum
Dans l‟aventure, ici nommée, le voyageur solitaire est accompagné par son
peuple. La dimension épique déja aperçue du voyage s‟en trouve renforcée, avec un
lexique caractéristique (“novelum”, “revolum”) et la mention d‟un chant relatant
l‟aventure.
75
D) Dialogues et secrets de l’espace
Nous avons repéré dans Vielh solitari l‟existence d‟une écriture qui révèle une
lecture des signes de la nature. L‟isolement permet de ressentir les éléments et d‟en
déchiffrer le langage, dans un dialogue entre l‟homme et son environnement. Ce type
d‟écriture, qui se retrouve chez quelques uns de nos auteurs, passe par différents motifs :
la porte à ouvrir, la clé, le moyen à trouver pour fuire en font partie. Marti dans
Adessiatz, écrit : « sabi ont es la clau / al fons de nòstres caps ». Cette clé, dans le
contexte, est celle de la porte du monde à venir. Cet Ailleurs est Ailleurs spatio-
temporel (nous retrouvons le rapport entre espace et temps révélateur de l‟écriture de
Marti) dont l‟homme est le point de départ. Marti, en cherchant à valoriser l‟importance
de l‟imaginaire dans la construction de l‟avenir et du monde utilise l‟image de la clé,
faisant du futur un espace à découvrir, à visiter comme une maison. Marti ne quitte pas
ici l‟écriture collective mais il est remarquable que l‟auteur prenne la parole pour ce
« nous » et affirme un savoir individuel. Dans notre étude, ce qui nous intéresse surtout,
c‟est l‟imaginaire autour de cette clé, perceptible chez Marie Rouanet également dans
Las claus son perdudas :
Las claus son perdudas
E cossí dobrir
La pòrta d'aur del paradís ?
Les clés matérialisent l‟idée d‟un savoir à posséder pour obtenir un
changement. Liée à la porte, elle précède la représentation, tout du moins la désignation
d‟un espace métaphorique sur laquelle elle ouvre. Nous pouvons voir dans la fortune de
cette image une réécriture de l‟affirmation de Frédéric Mistral qui, dans son Ode aux
poètes Catalans, déclare :
Car de mourre-bourdoun qu‟un pople toumbe esclau
Se ten sa lengo ten la clau
Que di cadeno lou deliéuro150
François Ridel, dans Le cul sur le perron remplace cette clé par la carte :
Sabi mont‟es la carta
Dei secrèts dau camin,
150 Frédéric Mistral, Odo i Troubaire Catalan, 1876.
76
Sabi mont‟es la carta
Que t‟ensinha lo trin
L‟intimité entre l‟homme et l‟espace se joue dans ce savoir : divination,
dialogues ou pressentiments, l‟espace donne parfois des signes au canteur. Ces signes
expriment un rapport très étroit entre l‟homme et l‟espace, un rapport privilégié.
Michel Chadeuil avait écrit Preséncias pour Jean-Paul Verdier, mettant en
scène un canteur aux prises avec le passé, via les voix de la forêt. L‟image de la forêt
parlante est reprise par le chanteur dans Le droit à l‟oubli 151
:
Dans la forêt qui me dit tout
Et me dévoile ses coulisses
J‟ai vu les âmes des gourous
Coucher avec leur compte en Suisse
Ici, la forêt est un lieu de vérité révélée par le surnatuel et favorisée par la
solitude du canteur. Celui-ci devient, comme dans Preséncias, dépositaire de cette vérité
et finalement, cette confiance que lui accorde la forêt en fait une sorte d‟élu naturel,
légitime à prendre la parole en son nom. Ici, le propos est clairement militant mais
l‟image utilisée met à distance le réel, dans une allusion rapide, donnée comme une
affirmation crédible.
Si Verdier chante ce lien avec la forêt, Delbeau quant à lui associe le plus
souvent ses sentiments au vent. Pierre-André Delbeau est, de nos auteurs, celui qui écrit
le plus sur le vent. Dans Reflus152
, les obsèques du vent donnent à la chanson une
tonalité mélancolique renforcée par la thématique amoureuse. En effet, le « je » prend la
parole pour chanter un vent qui porte une voix inconnue. C‟est le vent lui-même qui
s‟adresse au canteur :
Au bòrd de la mar grana
Ei entenut lo vent
Bohar un nom de hemna
Ce nom de femme, apporté par le vent, lui sera repris par la mer :
Mès la lama desjà
Me raubava sa traça
151 J.-P. Verdier, Le chantepleure, “Le droit à l‟oubli” (Verdier), 1979
152 P.-A. Delbeau, L‟autaneir, “Reflus” (Delbeau), 1970.
77
E non volot pas era
Me repetar son nom
L‟homme se situe dans un dialogue avec la nature et dans lequel la femme est
centrale, par le biais de son nom. Le vent et la mer sont dotés de pouvoirs différents :
l‟un donne, l‟autre reprend, dans un « reflus » qui ressemble à un refus.
Dans l‟ Autanèir, c‟est le vent d‟autan qui mettra un terme à ces discours. Il est
intéressant que Delbeau modifie ici l‟écriture de son couplet. En effet, chaque couplet
présente le discours des vents de la même manière : « lo vent (...) m‟a dit ». Mais ici,
Delbeau fait disparaître la conjonction donc le rapport de subordination : « Lo vent
d‟Autan m‟a dit /Las lanas occitanas ». Il s‟agit bien de dire, raconter un espace, et
notamment l‟espace occitan. Autre modification dans l‟écriture : le vent d‟autan
s‟exprime au discours direct, avec apparition d‟un autre « je », la voix de la nature. Ce
vent paraît d‟autant plus familier qu‟il parle d‟un espace plus proche du quotidien, de la
réalité, sans élément merveilleux : la cabane, plus sécurisante que les grandes plaines ;
le chemin, voie concrète et chargée de significations ; et les amis, plus fiables sans
doute qu‟une sirène et dont le vent se dit être le protecteur.
Dans Mas cançons bohan dab lo vent, c‟est une nouvelle fois le vent qui
inaugure le texte, et qui semble finalement être le moteur de l‟écriture de Delbeau.
Lo vent fripon que passa
M‟a raubat mas cançons
L‟image du vent fripon avait déja été chantée par Brassens dans Le Vent
153pour dénoncer la sévérité avec laquelle les gens jugent les “petits jeux” du vent. Ici,
Delbeau représente un jeu particulier : le vol de ses chansons par le vent transforme ses
textes en souffle, qui vient se mêler à la nature et au temps. En effet :
L‟aiga de la laguna
Banhada de mareias
Lo canta a la duna
Per lo vent alisats
L‟évocation des marées s‟insère dans un vers qui rappelle l‟ Autanèir où les
côtes sont “batudas de mareias”. Ensuite, le vent se charge en signification, gonflant la
chanson d‟une lyrique amoureuse qui est d‟abord celle du chansonnier :
153 “Si par hasard / Sur l‟ Pont des Arts/ Tu croises le vent le vent fripon / Prudenc‟ prends garde à ton
jupon “
78
Mas cançons bohan dab lo vent
Mas amors i van corrent !
Lyrique qui devient, à la faveur d‟un détour par une métaphore du temps, celle
des troubadours :
Lo vent daus temps passats
Es cargat deus amors
Aus temps raubats
Aus gentils trobadors
Ce vent ancien est finalement clairement désigné comme étant “Lo vent deus
trobadors” qui souffle “de tor en tor / De país en país”. Ce vent voyageur et messager
apporte finalement, comme un retour à l‟envoyeur, des voix au chanteur, celle des
troubadours (“lurs votz”). Pour une dernière mutation, qui donne son sens à tout le
développement autour de sa figure, le vent aide l‟auteur à trouver sa “sorga”,
l‟inspiration donc. Ainsi, Delbeau formule ici la forte imbrication entre les éléments,
l‟espace et son écriture. Nous trouvons la même idée chez Ridel qui, dans Seradas de la
mar parle ainsi du vent :
Se l'aura bofa mai,
S'anirà vesitar
Leis estius de la tèrra,
Li mesclar mei cançons
A l'entorn de la taula
Dei fraires dau trobar.
Ce qui “s‟anirà” ici n‟est pas le vent mais “un grand linçòu que seca /en vela
de bateu”, dans une alliance entre le vent et la mer. Nous notons donc que l‟isolement
peut favoriser le discours de l‟auteur sur sa création au sein même de son texte. Ce qui
est intéressant ici, c‟est de trouver encore une fois un dialogue entre deux auteurs aux
styles différents.
Le vent parle, encore, et colporte les secrets également chez Maffrand, dans A
quinze ans :
E saurés, tu lo vent,
Si passa lo cap au finestron,
A l‟entorn deu son còr anar sonar l‟aubada,
E saurés, tu lo vent,
Tu qui cantas tan beròi l‟amor,
Cridar lo mèu secret per totas las contradas.
79
L‟auteur accorde au vent des facultés liées à l‟amour : il sait les secrets de
l‟amant et sait également chanter l‟amour. Il est ainsi le médiateur désigné entre l‟amant
et l‟aimée, d‟autant plus que c‟est “per totas las contradas” que le secret doit être
révélé. Mais s‟il sait être le complice des amours à révéler, il peut tout aussi bien,
comme dans Le leberon de Peiraguda, trahir les secrets, porter les ragots :
La luna los a vists,
Lo vent me l'a cantat.
Notons qu‟ici encore, le vent chante, ce qui en fait un élément lyrique, au sens
étymologique du terme.
Le vent est évoqué rapidement dans Planh per la mòrt d‟un mesteir154
. Pelote,
dont il est fait le portrait, est défini par son savoir : le savoir des « causas hòrtas », de
« las gents que caden », de la langue mais aussi du vent :
Sabè lo vent de l‟Oèst
Cramponat a la barra
E que per vent de l‟Est
Las palomas devaran
Nous sommes dans ce texte, dans un rapport différent encore à la nature : il n‟y
a pas de distance avec le réel mais la valorisation d‟un lien avec la terre, qui passe par sa
connaissance. Pelote connaît son élément et cela lui confère un statut à part. Dans A
nueit que‟t vau cantar, Maffrand, nous l‟avons vu, chante la nostalgie de la terre d‟un
exilé. L‟exilé a besoin d‟affirmer sa mémoire, de clamer son attachement à la terre en
évoquant le savoir qu‟il possède de son espace :
Que sèi tostemps lo nom de las penas
Que sèi lo nom de tots los camins
Que‟us vei enqüèra au hons deu vin
A nueit que‟t vau cantar
O mon país
Dans Cantaré, Fraj signe deux textes tournés vers l‟espace maritime. Le
premier, Marinier, exprime la volonté de naviguer. Le « viatge » du marinier est
accompagné par le « solelh », et la nuit, apparaît « la luna » à laquelle le marinier a le
pouvoir de parler « dins son lengatge ». L‟aspect merveilleux de ce dialogue est
renforcé au vers suivant par l‟évocation du « secret/ de las estèlas » que le canteur
souhaite connaître. Il pense le trouver « sul batèu », cet antique outil littéraire du voyage
154 P.-A. Delbeau, Rencontre occitane, “Planh per la mòrt d‟un mesteir » (Delbeau), Disc‟Oc, 1973.
80
vers le merveilleux. C‟est d‟ailleurs le « batèu /de l‟aventura », aventure qui mène
souvent les protagonistes vers la forêt ou la mer merveilleuses.
Dans Cabussada, Fraj relance l‟écriture du plongeon et de l‟espace maritime
onirique. Le vent y est dépositaire d‟un « secret blau » : porteur de voix mais qu‟il faut
savoir entendre. La couleur bleue annonce le déploiement des images liées à la mer :
Es le viatge de l‟amor
Cap a la mòrt
Del batèu cap a son pòrt
Ce « viatge » devient une « cabussada » dans différents éléments présentés
comme équivalents (avec la construction en parallélisme : cabussada dins … ou
viatge…cap….) mais de natures différentes. L‟espace de ce voyage est entièrement
celui de l‟émotion, du sentiment et de l‟impression :
Cabussada dins les rires
E la sang
Dins les sòmis dels enfants
Ce sentiment est finalement pris en charge par la mer après un détour par la
figure d‟Ulysse155
, « cap a son país mitic » (mais ce voyage est ensuite comparé à celui,
plus biologique, « de l‟influs/ Cap al cervèl ») :
Cabussada dins la mar
Dels sentiments
Dins le riu del moviment
Cabussada dins la folia
Del printemps
Dins las aigas del vivent …
Nous voyons que l‟écriture de Fraj est devenue plus poétique et imagée. Alors
que nous avions rencontré un espace de l‟intime, certes imagé, mais lié à des motifs très
matériels (telle la porte à ouvrir), ici, le mélange entre l‟espace et l‟intime est devenu
total par l‟effacement de tout comparant ou d‟éléments réalistes.
C‟est finalement dans l‟écriture de la marge que peuvent se mêler l‟individu et
le collectif, le sentiment et la réflexion et se déployer la vision poétique dégagée des
155 Luis Llach avait, en 1975, repris l‟ Itaca du poète grec Constantin Cavafy ( 1863-1933) adapté en
catalan par Carles Riba. Y est développée l‟image d‟une Ithaque-idée et multiple, dont l‟existence ne se
concrétise que dans le voyage qu‟elle permet d‟effectuer. Le texte établit un parallèle entre le voyage et
le combat.
81
formes imposées par l‟écriture collective. C‟est là que le « nous » devient « je » et que
le « tu » ne désigne plus l‟auditeur. Nous devons cependant nuancer le propos, et éviter
ainsi une généralisation trop catégorique en notant que dans Anirem veire los
bateus l‟irruption du “ieu” dans le texte correspond au retour du message politique. Cela
nous conforte dans l‟idée qu‟il faut un changement de point de vue pour que la portée
du discours progresse ou évolue.
82
Conclusion
Ainsi, de la même manière que l‟on a pu repérer des tentatives
d‟homogénéisation d‟un espace hétéroclite pour créer une Occitanie unie, le danger
consiste à imposer à la chanson occitane ce qu‟elle s‟est imposé elle-même à ses débuts,
un lissage qui ne lui correspond pas tant ses acteurs sont divers. Nous pouvons conclure
de plusieurs manières cette étude qui nous aura amené à nous poser de nombreuses
questions et nous l‟espérons à confirmer le postulat de départ. D‟abord, qu‟une posture
militante n‟empêche pas un travail d‟écriture important, même si les textes les plus
efficaces et que l‟auditeur mémorise le mieux sont parfois assez simples dans leurs
structures et leurs images. Le militantisme est une posture, un parti-pris qui se sert de la
chanson et qui sert aussi le genre en retour. D‟autre part, que la chanson occitane ne se
résume pas à quelques textes repris comme des hymnes dans les manifestations ou les
concerts, portant une vision et des images poétiques propres à ses auteurs. S‟il est
important de noter que trois périodes distinctes se révèlent par l‟étude de l‟histoire de la
chanson occitane contemporaine et qu‟elles répondent à des critères désormais bien
repérés, il faut aussi travailler à en montrer la diversité. Car s‟il est vrai que l‟on ne peut
comprendre l‟objet en n‟en étudiant qu‟une des composantes, il est vrai également
qu‟en occultant trop systématiquement l‟écriture des textes pour ce qu‟ils sont, on ôte à
l‟objet l‟un de ses intérêts majeurs : le travail des mots, la diversité de sa qualité et de
son expression. En étudiant la chanson occitane dans ce qu‟elle dit vraiment et en nous
étant efforcé de savoir comment les auteurs choisissent de le dire nous avons découvert
un objet plus protéiforme qu‟il n‟y paraissait. Le choix d‟étudier en particulier l‟écriture
de l‟espace nous a permis d‟aborder les écritures dans leurs dimensions collectives et
individuelles, au service d‟un ensemble et au service du genre chanson.
83
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Lengas n°67 Chanson occitane et chansons en occitan dans la 2nde moitié du
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JACMELINA, Te causissi, 33 tours, Revolum, 1975.
JACMELINA, Ambe lagremas e solelh, 33 tours, Revolum, 1976.
LOS DE NADAU, Monsur lo regent, 33 tours, Ventadorn, 1975.
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VERDIER Joan-Pau, Le chantepleure, 33 tours, Philips, 1979.
88
Sommaire
INTRODUCTION ..................................................................................................................... 2
PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION ET REPRÉSENTATION DE L’ESPACE OCCITAN ................. 7
I) DESIGNER L‟ESPACE : TOPONYMIE ET FORMULES ..................................................................................... 7
A) Toponymie imaginaire ................................................................................................... 7
B) Toponymie réelle : nommer pour situer, nommer pour symboliser............................... 8
C) Absence de toponymie : la désignation formulaire ..................................................... 11
II) DELIMITER L‟ESPACE ............................................................................................................................ 13
A) Etendues et frontières : la chanson-carte .................................................................... 13
B) Terre et ciel : la fusion poétique des éléments............................................................. 16
C) Ville / campagne, mer/montagne et forêts : des contrastes internes ......................... 17
III) CONSTATER L‟ESPACE : GRANDEUR ET DECADENCE DE L‟ESPACE OCCITAN ........................................ 20
A) La sublimation de l’espace : le pays de Cocagne .................................................. 20
B) Des culpabilités internes .............................................................................................. 23
C ) L’espace et le présent : entre champ de ruines et lieu d’action ................................. 25
DEUXIÈME PARTIE : QUITTER L’OCCITANIE ? ........................................................................29
I) PARTIR ET RESTER : TENSION RECURRENTE ........................................................................................... 29
A) Entre l’enracinement et le voyage : larguer les amarres ............................................ 29
B) Valeurs du voyage ....................................................................................................... 34
C) L’Ailleurs dans l’Ici ....................................................................................................... 40
II) REPRESENTATIONS ET VALEURS DE L‟AILLEURS ................................................................................... 43
A) Un Nord problématique ............................................................................................... 43
B) Un Sud tourné vers les Suds ......................................................................................... 47
C) Des Ailleurs imaginaires .............................................................................................. 50
TROISIÈME PARTIE : « SOLET EMB EU », ICI OU AILLEURS … .................................................54
I) QUELLE PLACE POUR L‟EXPRESSION DU LYRISME ? ...................................................................... 54
II) LES ESPACES PARTAGES ......................................................................................................................... 56
A) Le chemin : symboliques collectives et individuelles .................................................... 56
B) L’isolement amoureux ................................................................................................. 62
III) ES SUS LA TALVERA ... ............................................................................................................................. 65
A) Lo bòsc prigond ........................................................................................................... 65
B) Sus l’autura .................................................................................................................. 67
C) La mer, entre deux terres ............................................................................................. 70
D) Dialogues et secrets de l’espace .................................................................................. 75
CONCLUSION .......................................................................................................................82
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................83
DISCOGRAPHIE .....................................................................................................................85
I