Les enjeux de l'écriture autobiographique

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333 > Séquence 7-FR10 Les enjeux de l’écriture autobiographique Enfance , Sarraute (1983) Objet d’étude : L’autobiographie. © Cned – Académie en ligne

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Nathalie Sarraute, EnfanceAcadémie en ligne

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Séquence 7-FR10

Les enjeux de l’écriture autobiographiqueEnfance, Sarraute (1983)

Objet d’étude : L’autobiographie.

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335Sommaire séquence 7-FR10

> Introduction à l’objet d’étude : l’autobiographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 337

A L’autobiographie à votre programme B L’écriture autobiographique et ses enjeux

> Présentation de N. Sarraute et du « Nouveau roman » . . . . . . . . . . . . . . . . . 339

> Présentation de l’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 341

> Étude de Enfance (œuvre intégrale en édition Folio) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 342

Texte 1 : l’incipit

Texte 2 : l’écriture libre

Texte 3 : l’abandon

Texte 4 : l’écriture sous contrainte

Texte 5 : l’excipit

> Synthèses sur Enfance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372

A L’espace et le temps dans Enfance

B Les relations enfant/adultes

C Les lectures de Natacha

> Textes complémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 380

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ntroduction à l’objet d’étude :l’autobiographie

A L’autobiographie à votre programmeL’étymologie du mot autobiographie donne sa définition. Les trois parties du mot viennent de mots grecs. Auto, du grec autos signifie soi-même, bio vient de bios qui signifie vie et graphie vient du verbe graphein qui est traduit par écrire.

Le texte autobiographique est donc l’écriture de sa propre vie. Les Instructions officielles ont mis le texte autobiographique au programme des classes de premières générales et technologiques.

« La lecture d’une œuvre autobiographique permettra d’étudier les rapports entre réalité vécue et fiction littéraire, en faisant apparaître les problèmes liés à l’expression de soi. »

Parmi les diverses propositions, nous avons choisi le roman autobiographique. Il s’agit de l’autobiogra-phie de Nathalie Sarraute qui, par sa forme spéciale permettra, en outre, d’aborder une page de l’histoire littéraire à travers l’évolution du texte narratif. Dans les années cinquante, de nouvelles formes ont vu le jour et ont été reclassées sous l'appellation de Nouveau Roman.

Ce roman constitue la dernière œuvre complète étudiée cette année. Notre analyse de l'œuvre s'appuiera, sur une lecture méthodique approfondie de quelques passages-clés : cinq extraits « stratégiques » du roman vous sont ainsi proposés, et figureront donc sur votre liste de textes pour l'épreuve orale.

Ce parcours de lecture est complété par l'étude de deux autres passages, proposés en alternance, dans la rubrique « travail personnel ».

N'oubliez pas, cependant, que vous devez bien connaître l'ensemble de l'œuvre : une connaissance partielle, superficielle, « à trous », ne permet pas de rendre compte d'une œuvre dans son intégralité : même les passages « connus » ne peuvent être véritablement compris et maîtrisés que si une lecture globale a été sérieusement effectuée.

Pensez-y lorsque vous travaillerez ce cours : faites l'effort de répondre aux questions de lecture sur les extraits étudiés avant de prendre connaissance des explications « toutes faites » : c'est de cette façon que vous parviendrez à vous « approprier » les analyses proposées, et aussi à les compléter, les personnaliser.

De même, faites le travail personnel en situation d'autonomie totale, c'est-à-dire avec comme seul outil l'extrait concerné.

B L'écriture autobiographique et ses enjeux

Dans l’autobiographie, le narrateur se confond avec l’auteur et se présente sous son nom propre, celui qui est imprimé sur la page de couverture. Cette forme d’écriture respecte des constantes qui ont été regroupées, en 1975, dans une étude de Philippe Lejeune, sous le titre Le pacte autobiographique1.

1 Le pacte autobiographique, Philippe Lejeune, Éditions du Seuil, Points (voir textes complémentaires C3 et C6).

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L’autobiographie est le récit rétrospectif qu’un auteur fait de sa propre vie. Celle-ci étant définie, la part d’invention est limitée. L’auteur qui s’engage dans une telle entreprise passe implicitement un pacte avec le lecteur, résumé par les caractéristiques de ce sous-genre narratif :

– Récit de la vie individuelle.– Identité entre l’auteur, le narrateur et le personnage et donc emploi de la première personne du

singulier.– Projet de sincérité et d’authenticité mais la rétrospection2 vient troubler les pistes.– Le récit respecte, dans la majorité des cas, la ligne chronologique.

(Ce n’est pas le cas de l’œuvre choisie). – Le jeu des temps verbaux fera alterner le temps passé pour les évocations et le temps présent pour

l’analyse ou l’introspection.

Mais cette théorie voit la pratique bouleverser parfois l’ordre établi. Ainsi, le fonctionnement du sou-venir et de la mémoire ne permet pas de garantir l’authenticité. De même, la pudeur face au lecteur peut obliger à des choix qui éloignent d’autant plus de la sincérité que l’auteur n’est pas toujours clair sur lui-même.

À partir de 1950, certains auteurs ont remis en question ce sous-genre, en raison des problèmes de distorsion entre le pacte et la réalité. Ils ont pourtant sacrifié au genre mais en ne respectant plus les règles canoniques. C’est le cas de N. Sarraute, M. Yourcenar, ou A. Robbe-Grillet qui ont proposé, non plus une reconstitution chronologique linéaire du passé, mais des séquences juxtaposées de leur vie, des épisodes marquants sans lien forcément apparent. Parallèlement, le récit fut le prétexte à une réflexion littéraire sur l’autobiographie ou sur l’écriture en général.

Le premier grand texte reconnu comme autobiographique est celui de Rousseau,Les Confessions, mais les Essais de Montaigne (XVIe siècle) constituaient déjà une ébauche du genre.

Quelques autobiographies célèbres :

– Les Essais de Montaigne

– Les Confessions de J.J. Rousseau

– Les Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand

– Les Mots de J.P. Sartre

– Mémoires d’une jeune fille rangée de S. de Beauvoir

– Le Miroir qui revient d' A. Robbe-Grillet

– La Maison de Claudine de Colette

– La Promesse de l’aube de Romain Gary

– Archives du Nord de M. Yourcenar.

2. Rétrospection : regard en arrière.

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résentation de Nathalie Sarraute

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Nathalie Sarraute et le Nouveau RomanVous trouverez suffisamment de repères biographiques dans les annexes de l’édition Folio pour com-pléter les données que nous limiterons ici.

Née en 1900 à Ivanovo en Russie, elle y restera jusqu’au divorce de ses parents en 1902. Elle est alors ballotée entre la France et la Russie jusqu’en 1909, où elle reste définitivement à Paris avec son père qui s’est remarié. Après des études d’anglais et de droit, elle épouse un de ses collègues, Raymond Sarraute en 1925. Ils auront trois filles dont Claude Sarraute, journaliste bien connue. Elle exerce la profession d’avocat jusqu’en 1940. Parallèlement, elle commence à écrire et compose les textes de Tropismes. Son premier roman, publié en 1948, passe inaperçu. Elle mène aussi une réflexion critique sur le roman, dans des revues littéraires. Les articles sont regroupés et édités dans un essai intitulé L’Ère du soupçon auquel nous ferons référence au cours de nos analyses. L’œuvre est remarquée par A. Robbe-Grillet et lorsqu’en 1957 paraîtront Tropismes et Jalousie, les œuvres de ces deux auteurs se verront attribuer par la critique l’étiquette de Nouveau Roman. Il ne s’agit pas d’une école littéraire mais d’un regroupement artificiel, fait par les critiques littéraires, d’auteurs qui remettaient en cause les bases du roman dit naturaliste du XIXe siècle, mais qui continuait pourtant à se développer. En 1963, Sarraute obtint le prix international de littérature avec Les Fruits d’or. Elle décède à Paris en 1999.

Excepté Enfance, son autobiographie, ses œuvres ne sont pas lues par un grand public mais plutôt par une minorité d’initiés.

Le Nouveau RomanDans les années cinquante (mille neuf cent cinquante...) apparaît une nouvelle forme de roman. Pas de chef de file, ni de revue, mais des essais qui tendent vers la même direction, la remise en cause du pseudo-réalisme des romans habituels. Ces essais sont :

– L’Ère du soupçon de Nathalie Sarraute en 1956

– Pour un nouveau roman d' Alain Robbe-Grillet en 1963

– Essais sur le roman de Michel Butor en 1964

– Problèmes du nouveau roman et Pour une théorie du nouveau roman de Jean Ricardou qui regroupe ces idées en 1967 et 1971.

À ces noms, on ajoute quelquefois Marguerite Duras, bien qu’elle soit restée en marge de certaines pratiques littéraires des nouveaux romanciers, même si l’écriture de certaines de ses œuvres l’éloigne des écrits traditionnels.

Caractéristiques – Le Nouveau Roman ne croit plus au personnage. Son rôle est réduit et son identité parfois limitée à une initiale ou à un pronom elle, lui. Les personnages sont souvent des ratés ou des fantômes, confrontés à l’échec ou même à la perversité et à la cruauté. Cet échec est souvent la conséquence de la difficulté à communiquer. De même, les objets prennent une place importante.

– La structure du récit éclate et ne suit plus la ligne chronologique classique. L’histoire peut se répéter avec des variations.

– Le temps dominant est le présent ; certains écrivains, comme Claude Simon, abandonnent les repères temporels.

– Toute préoccupation idéologique est rejetée au profit de la réflexion littéraire. Ce refus de l’engage-ment sera reproché aux écrivains du Nouveau Roman, notamment par Sartre et Simone de Beauvoir, écrivains engagés.

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– Si des ressemblances formelles et certains thèmes rapprochent les auteurs (l’errance, le voyage, l’enquête policière...), les auteurs présentent aussi de nombreuses différences.

Les critiques ont été nombreuses à l’égard de ce « faux » mouvement et on lui a surtout reproché d’offrir des œuvres ennuyeuses. Il est vrai que la plupart d’entre elles sont difficiles d’accès. Certains de ces nouveaux romanciers reviendront d’ailleurs à des formes plus canoniques ; c’est le cas de N. Sarraute qui conjugue, dans Enfance, forme traditionnelle et traces du Nouveau Roman.

« Cette fois, j’ai dit qu’il s’agissait de moi, non pas d’il ou elle... »

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EnfanceParue en 1983, l’œuvre se présente comme l’auto-biographie de N. Sarraute . Présentée sous la forme de séquences courtes (entre 2 et 12 pages), elle raconte soit une scène, soit une courte période du passé. Nous ne trouvons pas dans le roman, la ligne continue chronologique de la plupart des autobiographies. D’ailleurs, nous ne relevons que peu de repères temporels. Au contraire, les lieux sont évoqués avec précision. Pas de structure directrice apparente, les souvenirs semblent venir comme la mémoire les présente, c’est-à-dire, de façon désordonnée, ce qui peut être désorientant au début de la lecture.

L’originalité de l’œuvre réside dans l’énoncia-tion : deux voix de l’auteur adulte vont dialo-guer et envahir un récit où la voix de l’enfant est bien difficile à localiser. Or, l’autobiographie est, avant tout, le récit d’un je. Ce dialogue permet un dédoublement de la narratrice, ce qui entraîne des réflexions sur le récit complémentaire.

De même, le souci du langage et du travail effectué sur lui, parcourt le roman et rappelle les préocu-pations des nouveaux romanciers. Contrairement aux récits autobiographiques classiques, l’auteur utilise souvent le présent pour raconter les sou-venirs et, par ce procédé, elle les réactualise. En revanche, le passé peut être employé pour l’analyse du présent de narration (c’est-à-dire du moment où l’auteur raconte).

Avant de commencer l’étude du roman, il faut expliquer deux notions récurrentes dans l’œuvre de l'auteur que nous retrouvons dans Enfance, les tropismes et la sous-conversation.

Les tropismesEmprunté à la science, ce terme désigne chez N. Sarraute, des mouvements à mi-chemin entre le psy-chologique et le sensoriel, des sensations qui déclenchent des souvenirs, « des mouvements à l’état naissant, qui n’ont pas encore accédé à la conscience... en perpétuel devenir ».3

La sous-conversationC’est la forme que prennent les idées lorsqu’elles affluent dans la mémoire, la forme qui précède l’orga-nisation de la parole, de la conversation, « les mouvements intérieurs qui préparent le dialogue depuis le moment où ils prennent naissance jusqu’au moment où ils apparaissent au-dehors. »4

Ces deux entités interviendront dans le mécanisme du souvenir.

Une des deux éditions conseillées, « Folio plus classiques », l’a été pour la richesse de ses annexes. Si vous avez choisi cette édition, nous vous conseillons donc de les lire attentivement après une première approche de l’œuvre et de vous y reporter fréquemment. Vous retrouverez certains aspects évoqués dans le cours mais nous avons tenu à vous offrir des pistes complémentaires.

résentation de l’œuvre

3 Citation extraite de L'Ère du soupçon.4 Ibid.

© Lipnitzki/Roger-Viollet.Nathalie Sarraute (1909-1999), écrivain français. Paris vers 1955.

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tude de l’œuvre Enfance

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EnfanceTexte 1 : L'incipit (édition Folio, pages 7 à 10 ; Folio plus classiques, pages 7 à 9)

Oral Bac

Nathalie SARRAUTE, Enfance.

© Éditions GALLIMARD « Tous les droit d’auteur de ce texte sont réservés.

Sauf autorisation, tout utilisation de celui-autre que la consultation individuelle et privée est interdite ».

www.gallimard.fr

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Questions de lecture

� Observez le texte : sa disposition, sa typographie. Qu’est-ce qui vous surprend ?

� Après la lecture de la présentation, reconnaissez-vous dans ces lignes les caractéristiques d’un incipit d’autobiographie ?

� Quelle remarque pouvez-vous faire à propos du titre ? Pourquoi le nom n’est-il pas déterminé (absence d'article) ?

� Qui peuvent être les deux voix qui dialoguent ?

Élements de réponse et plan

Les premières lignes de l’œuvre expriment l’hésitation de Nathalie Sarraute au moment d’écrire son autobiographie, genre auquel elle a reproché son manque de sincérité et sa structure artificielle. Les deux voix qui apparaissent, traduisent les deux tendances qui s’affrontent en elle : l’écrire ou non ?

Nous retrouvons par ailleurs, dès l’incipit, des traces de l’autobiographie classique, mais aussi le renou-vellement que l’auteur lui a fait subir.

A Le pacte autobiographique

Nathalie Sarraute respecte-t-elle le pacte tel qu’il a été défini en présentation ?

� L'autobiographie

• Le narrateur

Comme dans tous ces récits, l’auteur se confond bien avec le narrateur et donne son nom propre. À quatre-vingt-trois ans, elle va parler de son enfance. Et pourtant, le titre est proposé sans déterminant comme si elle hésitait entre Mon enfance et L’enfance, plus générale. Elle ne souhaite pas retomber dans les récits chronologiquement classiques et choisit la formule neutre. Mais, c’est bien le je qui parle « ça me tente, je ne sais pas... » (l. 6). Plus qu’une réflexion rationnelle, c’est un désir impérieux qui la pousse, comme l’atteste le futur immédiat présentant ce projet comme inévitable et très proche « Tu vas vraiment faire ça ? » (l. 1).

• Le présent

Le présent de l’indicatif respecte, de même, le pacte. Mais, comme toutes les autobiographies, l’acte d’écriture est rétrospectif et pose le problème de la sincérité. Le souvenir met en jeu un phénomène complexe d’influences réciproques entre le passé et le présent. Ana Novac5, après avoir connu une dictature fasciste dans son enfance hongroise, Auschwitz, puis une dictature prolétarienne, retrouva les sept cents pages griffonnées sur des morceaux d’affiches à Auschwitz, sur lesquels elle notait les événements quotidiens du camp. Elle fut stupéfaite de constater à quel point les récits qu’elle en avait fait ultérieurement étaient différents et tenaient compte de contextes rajoutés au fil du temps. Boris Cyrulnik6, dans son essai, Les Nourritures affectives, parle du phénomène du souvenir comme une « représentation du récit alimenté par le réel, bien sûr, mais recomposé... adapté au contexte... Ce qui fait événement, c’est ce que notre histoire affective aura retenu comme type d’information. » C’est bien ce que semble rétorquer Nathalie Sarraute à la deuxième voix, elle va tenter de raconter « ce qui tremblote quelque part dans les limbes. » (l. 39-40).

5 Ana Novac, Les Beaux Jours de ma jeunesse, Balland, 1992.6 Boris Cyrulnik, Les Nourritures affectives, « La Trace et le récit », Poches, Odile Jacob, 2000.

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• La justification

Dernier respect des clauses du contrat autobiographique : la justification du projet : postérité ou recherche de soi-même ?

À quatre-vingt-trois ans, la romancière éprouve l’urgence de se raconter avant la fin de sa vie. Mais l’enfance n’est qu’un prétexte à un nouvel exercice. Il lui faut transcrire ses impressions, ces « petits bouts de quelque chose d’encore vivant... je voudrais avant qu’ils disparaissent » (l. 50). Une menace de disparition pousse donc l’auteur à essayer d’écrire des souvenirs et des impressions enfouis depuis longtemps.

Cette dernière tentative sera comme « prendre [la] retraite » ! Recherche de soi-même ou, au contraire, fermeture du livre de la vie ?

� Le pacte

• La narration

Le pacte s’en trouve transformé. En principe, une autobiographie est le fait d’un seul narrateur. Si le narrateur principal est bien annoncé, si la tentation du récit est si forte, la sincérité relative de ce type d’écrit est rectifiée par une deuxième voix. Le débat intérieur de l’auteur devient une conversation entre deux voix, un dialogue intérieur extériorisé. Double sincérité ?

– un narrateur évoque et raconte

– l’autre corrige, rectifie, complète, pousse à dire ce que le premier voudrait éviter.

• Le style

Le style est d’ailleurs assez abrupt et le vocabulaire parfois percutant pour traduire la difficulté et la peine de la narratrice face à ce projet et à sa conscience qui la pousse dans ses retranchements :

– l 2 : « Comme ces mots te gênent... »

– l 10 : « tes forces déclinent »

– l 17 : « prendre ta retraite »

– l 17 : « quitter ton élément », expression à double sens : quitter tes habitudes littéraires, mais, peut-être aussi, quitter la vie.

Les répliques s’enchaînent rapidement comme dans une conversation parfois mondaine mais pas si inoffensive qu’elle ne le paraît :

– l 19 : « Oui, comme tu dis, tant bien que mal... »

– l 22 : « Oh, à quoi bon, »

– l 58 : « Moi ? »

– « Oui, toi... » L’agression verbale de la deuxième voix poussera la première vers cette entreprise devenue inévitable.

On peut donc, en effet, retrouver les principales caractéristiques du pacte autobiographique tel que l’a défini Philippe Lejeune et pourtant, Enfance renouvelle le genre. C’est peut-être pour cette raison qu’elle est l’œuvre la plus lue parmi celles de Nathalie Sarraute et les autobiographies contemporaines.

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B Renouvellement du récit autobiographique

Certains traits de ce récit, utilisés par l’auteur, dès l’incipit, dans un souci d’avertissement préalable, révèlent une nouvelle forme de texte autobiographique.

� L’hésitation• Banalité du projet

Jusqu’à présent, les autres auteurs trouvaient toujours de bonnes justifications et ne remettaient pas leurs écrits en doute. Nathalie Sarraute , elle, hésite. Elle a, en effet, souvent critiqué ce genre dans ses analyses littéraires : « Évoquer tes souvenirs d’enfance, comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas ». Écrivain novateur, elle se lançait là dans un genre classique fixé sur le passé, alors qu’elle a toujours recherché à analyser le présent et son fonctionnement complexe. La banalité de l’entreprise l’effraie un peu. L’emploi du démonstratif ça (l. 27) à connotation péjorative renforce l’effet de surprise un peu méprisante de la deuxième voix.

• Passé lointain

L’autre hésitation vient de l’âge de la narratrice et de la difficulté à rétablir des événements et impressions enfouis « ... tu avances à tâtons, toujours cherchant, te tendant... ça se dérobe, tu l’agrippes comme tu peux » (l. 25). Cette hésitation se traduit par les reprises nombreuses, les points de suspension, l’alternance ça/tu.

� L’énonciation

• Narrateurs

Comme nous l’avons déjà signalé, l’énonciation diffère de celle des autobiographies classiques. Le je s’y retrouve certes, mais dédoublé. Les deux narrateurs concrétisent le débat intérieur, les forces anta-gonistes qui assaillent l’auteur avant sa décision. Nous avons donc bien deux narrateurs, deux moi ! Ce procédé, fidèle aux techniques de narration et de multiplication des points de vue de Nathalie Sarraute, restitue la complexité des sentiments. Le dialogue est déclenché par les tropismes et prend la forme de ce qu’elle a nommé la sous-conversation, c’est-à-dire tout ce qui vient à l’esprit avant d’être trié et énoncé dans la conversation.

• Deux voix opposées ou complices ?

Ces deux voix semblent familières et complices ne serait-ce que par les allusions à des faits antérieurs : « D’ailleurs, nous savons bien que lorsque quelque chose se met à te hanter... ». Les deux narratrices se connaissent bien !

Mais, elles s’opposent aussi de façon assez catégorique, comme le reflète la structure syntaxique. Une voix, celle qui hésite, répond en négation :

– l. 6 : « je n’y peux rien, je ne sais pas »

– l. 11 : « je ne crois pas... je ne le sens pas »

L’autre voix, celle qui influence, emploie des formules d’insistance, des répétitions et des impératifs :

– l. 1 à 5 : « vraiment faire ça... ces mots... ce sont les seuls mots… c’est bien ça... »

– l. 8 : « c’est peut-être... est-ce que ce ne serait pas... »

– l. 13 : « ce que tu veux faire »

– l. 45 : « rassure-toi ».

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Une voix en force une autre qui semble résister. Certaines critiques accentuent cette opposition :

– l. 33 : « ça te rend grandiloquent, outrecuidant... ».

Il est d’ailleurs intéressant de remarquer la forme masculine de ces adjectifs qui leur donne une valeur neutre. Pourquoi ne pas les accorder au féminin si ce n’est pour généraliser le projet, afin de s’adresser à tous ?

• Deux voix adultes

Le dédoublement en soi n’est pas tellement nouveau. Il peut être retrouvé dans d’autres autobiographies, mais, dans ces cas-là, il l’est entre l’auteur adulte, celui qui écrit et l’enfant qu’il était. Ici, il s’agit bien de deux adultes, la seconde voix servant soit à contrôler la première, soit à la pousser vers des zones du souvenir qu’elle fuit. Ce dialogue resurgira tout au long du roman entre les phases de souvenirs.

� Structure de l’incipit

• Structure atomisée

Il ne s’agit pas d'une composition classique et chronologique mais d’une structure atomisée. Elle tente certainement de simuler le réel avec les sollicitations diverses qui assaillent l’esprit, ses tropismes. Les quelques liaisons qui existent ne marquent que le jeu des questions-réponses. Mais les ruptures de sens et les points de suspension transcrivent cet effet de réel. Ainsi, à la ligne 22, l’expression « Oh, à quoi bon ? », coupe une discussion qui n’aboutit pas et qui dérange la première instance narrative. À la ligne 40, les points de suspension de « quelque part dans les limbes... » conservent le vague de « ce qui [y] tremblote ».

• Effet

Cette apparente absence de liaison rappelle, elle aussi, le réel d’une conversation mais également le fonctionnement du psychisme des deux voix narratives. Chacun sait que le cerveau humain peut être assailli par des sujets très différents à un moment donné. C’est ce que N. Sarraute tente de restituer et c’est une des caractéristiques de son écriture, constante dans ses autres productions.

Si le passé est certain, le souvenir qu’elle en a est encore diffus, atomisé, comme le texte qu’elle écrit pour l’appréhender. Il s’agit d’un lieu mal défini, inexploré, qu' « aucun mot écrit, aucune parole n’[..] ont encore touché » (l. 46-47).

À la fois classique et novatrice, l’autobiographie de N. Sarraute devient un acte d’évoquer avant d’être un acte d’écrire. Hésitante mais incapable de résister à la nécessité « d’évoquer ses souvenirs », l’auteur prend donc le prétexte de son enfance pour se livrer à un nouvel exercice de récit dans les règles qu’elle a appliquées à son œuvre entière. Elle n’a d’ailleurs jamais affirmé donner un récit complet de son enfance mais a déclaré avoir « sélectionné, comme pour tous [ses] livres, des instants dont [elle] pourrai[t] retrouver les sensations. » Enfance évitera donc la linéarité du récit de vie et le titre, substantif sans déterminant, comme en suspens, rend compte de ce choix.

Avant de terminer l’étude de cet incipit, nous remarquerons la liaison qui unit la première phrase du roman à la première évocation de son enfance (page 10), simple exemple qui atteste que la structure atomisée de cette narration n’est donc pas le simple fait du hasard mais le résultat d’un travail minu-tieux sur les mots et le texte, souci permanent chez N. Sarraute , comme nous le verrons dans l’analyse des textes 2 et 4.

« Alors, tu vas vraiment faire ça ? » (Folio, page 7 ; Folio plus classiques page 8).

« Non, tu ne feras pas ça... Si, je le ferai ! » (page 10).

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Texte 2 : L'écriture libre

(édition Folio, pages 86 à 88 ; Folio plus classiques, pages 79 à 81)

Op. cit. p.342, Nathalie SARRAUTE, Enfance.

Questions de lecture

� En quoi les chapitres précédents expliquent-ils la facilité de l’enfant à écrire ?

� Le travail principal de cette apprentie écrivain s’opère sur les mots. Comment ? Essayez de définir le choix des mots et les manipulations qu’elle leur fait subir.

Éléments de réponse et plan

Outre l’enfance, le deuxième thème important de l’œuvre est l’écriture. Le texte étudié présente l’enfant Tachok face à une de ses premières expériences de création. À la différence du texte n° 4, cette tentative est sans contrainte et Natacha7 s’y livre d’elle-même.

La petite fille – ou l’adulte ? – raconte ici sa rencontre avec les mots et la résistance qu’ils lui oppo-sent. Si certains passages apparaissent pathétiques, l’humour de Sarraute, écrivain adulte, face à cette apprentie maladroite, n’est pas loin, cet humour qu’elle jugeait indispensable pour éviter la chute dans un lyrisme émouvant, trop personnel pour intéresser le lecteur.

7. Natacha : forme russe du prénom Nathalie qu'elle n'emploie jamais dans l'œuvre.

Oral Bac

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Malgré les difficultés de la fillette, on relève déjà certaines des particularités de l’écriture de l’auteur. Si le choix des mots lui était relativement facile en raison de son milieu familial, leur manipulation se révélait plus problématique et forçait la petite fille à utiliser des procédés qui, déjà, annonçaient l’écrivain novateur qu’elle deviendrait.

A Un milieu favorable

Dans d’autres passages du roman (que nous vous invitons à repérer et à noter), nous voyons la petite fille se familiariser avec la lecture, seule ou avec l’aide des adultes. Les mots, elle les a donc connus et manipulés très tôt. De plus, sa double culture russe et française a favorisé une connaissance littéraire riche et diversifiée. Ses voyages et son éducation bourgeoise où la culture tenait une grande place, ont perfectionné cette approche du texte littéraire.

� Des mots...

• Un milieu cultivé

La fillette vit, en effet, dans un milieu cultivé. La mère est écrivain et le beau-père historien. Son père, chimiste, semble, lui aussi, érudit. Les domestiques, même, jouent à des jeux de culture artistique (relire les pages 70 et 71 dans Folio, pages 64 et 65 dans Folio plus classiques). Seule Véra, la femme de son père, « est bête », lit-on aux pages 110 et 188 (Folio plus classiques p 100 et 168).

• Les livres toujours

Que ce soit avant de s’endormir ou pour jouer, l’enfant est souvent plongée dans les livres et les œuvres qu’elle lit sont celles de grands noms de la littérature, comme Loti, Andersen, Malot, Balzac.

• Langues étrangères

Ses différentes gouvernantes lui apprennent, en outre, d’autres langues que les deux qu'elle pratique, à savoir le russe et le français. Avec ces jeunes filles, elle s’initiera à l’allemand et à l’anglais.

C’est dire que l’enfant, depuis son plus jeune âge, baigne dans un milieu où les mots tiennent une grande place.

� Références ou stéréotypes ?

• Références biographiques et littéraires

Les références littéraires parcourent ce texte. Les légendes et contes russes de son enfance donnent sa tonalité au récit.

Le Caucase (l. 24) et la Géorgie évoquent la Russie géographique. Mais la princesse enlevée et la toque rouge (l. 29) ainsi que le djiguite (l. 30) appartiennent au contexte culturel de tout enfant russe.

• Stéréotypes

À ces références, s’ajoutent des clichés communs aux mythes universels : la sorcière aux doigts crochus (l. 50), le cavalier qui enlève les jeunes filles par amour (l. 30), le coursier (l. 33), la cartouchière (l. 31), les cheveux noirs et la taille de guêpe (l. 40) ainsi que la maladie romantique du jeune prince (l. 24), restent autant de clichés qui alimentent les peurs et les fantasmes enfantins.

Ce passage est également écrit dans un vocabulaire et une syntaxe simples :

– l 24 : « Il tousse et du sang apparaît sur le mouchoir qu’il porte à ses lèvres. »

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349 Séquence 7-FR10

Et pourtant, malgré cette connaissance des héros classiques du conte, la fillette ne se sent pas à l’aise avec eux : « Je n’ai jamais été proche un seul instant de cette princesse » (l. 27). « Je ne me sens pas très bien auprès d’eux » (l. 42). C’est parce que le glissement des mots sur les personnages s’établit par ce phénomène de l’écriture, pas vraiment familier à Natacha, et avec lequel elle doit se fami-liariser. On assiste à une personnification des mots qu’elle déplace comme des poupées ou des soldats de plomb : « je lance sur lui ( l 34)... ils doivent vivre » (l. 44). Ces mots-jouets qui s’animent rappellent le ballet de Tchaïkovsky, Casse-noisette.

B L’enfant écrivain : procédés employésBien que mal à l’aise au milieu de ces mots, Tachok teste différents procédés d’appropriation du langage qui l’éloignent du roman conventionnel et des clichés de son roman d’enfance.

� Travail sur les mots• Un jeu

Ce jeu commence par l’écriture manuelle, le tracé sur la page qui constitue le point de départ de cette recherche. Les mots lui viennent facilement. Son milieu culturel et ses lectures lui offrent une base considérable pour une enfant de cet âge. Elle reconnaît malgré tout deux catégories : « les mots de chez moi » (l. 13) et ceux qu’elle a été chercher « loin de chez moi », « qui vivent ailleurs » (l. 9-10).

Cette recherche tend même à la perfection avec des essais différents : « je me tends vers eux... je m’efforce avec mes faibles mots hésitants de m’approcher d’eux plus près, tout près de les tâter, de les manier... » (l. 53). À ce moment-là, le glissement s’est opéré et les mots sont assimilés aux personna-ges. La frontière qui existe entre l’enfant et les personnages fictifs est la même qui sépare les mots de Tachok de ceux de la littérature.

• Choix des mots

Et c’est là que la difficulté commence. Comment choisir ?

« Les mots de chez moi » sont faciles mais ils détonnent. Les autres, plus rebelles sont plus difficiles à manipuler. Écrire, c’est donc d’abord recevoir les mots ; « je dois les accueillir du mieux que je peux » (l. 43). Il faut que l’enfant s’habitue à eux et s’approprie leur sens. Cette remarque fait d’ailleurs réfé-rence aux sphères du langage définies en psychopédagogie de l’enfant. On en distingue trois : une étroite constituée des mots que l’enfant connaît et utilise couramment, une, un peu plus large, des mots connus mais difficiles à manier et une dernière, importante, des mots inconnus. L’objectif de l’éducation et de la formation est de diminuer progressivement les deux dernières au bénéfice de la première, celle « des mots de chez moi ».

La fillette a déjà remarqué l’existence des différents niveaux de langue :

– le langage usuel des lignes 2 à 5 : « des mots... [qui] ne sont pas pareils aux vrais mots des livres... ils sont comme déformés, comme un peu infirmes. » « Les mots de chez moi, des mots solides que je connais bien... ont un air gauche, emprunté, un peu ridicule... » (l. 13). Le vocabulaire courant devient inadapté en littérature.

– le niveau soutenu pour le texte littéraire : « J’ai été les chercher loin de chez moi [...] je ne connais pas leurs habitudes » (l. 10 à 22). « Un pays inconnu, dans une société dont ils n’ont pas appris les usages » (l. 17).

• Place des mots

L’enfant, comme plus tard l’écrivain adulte, joue avec la mobilité du mot et l’effet recherché.

« En voici un tout vacillant, mal assuré, je dois le placer... ici peut-être... non, là... mais je me demande... j’ai dû me tromper... il n’a pas l’air de bien s’accorder avec les autres, les mots qui vivent ailleurs » (l. 8 à 10). Après la recherche du mot juste, l’apprentie-écrivain s’exerce à le déplacer dans un souci d’harmonie, d’effet de style.

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350 Séquence 7-FR10

� Une recherche

Natacha ne se contente pas de jouer, elle se livre à de véritables expériences et ses tentatives méthodiques sont surprenantes pour une enfant, même si l’analyse reste le fait de l’adulte qu’elle est devenue.

• Recherche sémantique

L’emploi du mot fougueux donne une idée de ce travail. Elle sent bien que l’adjectif convient parfai-tement à la fuite des deux amants mais s’interroge sur le sens du mot qui prend « un drôle d’aspect, un peu inquiétant, mais tant pis... » (l. 35). Comme si ce sens pouvait lui échapper, une fois « lancé », comme s’il prenait une valeur sémantique différente en fonction des autres mots qui l’accompagnent. Nathalie prend ici conscience de l’alchimie du langage. Nous assistons en direct au travail de l’écrivain précoce : le mot donne vie aux personnages, par lui l’image s’impose et l’action est transcrite au présent. Ils fuient et Natacha commente « C’est cela qu’il leur faut » (l. 38).

• Action et sentiments

Le jeu n’est d’ailleurs nullement stérile ou purement intellectuel. Il devient sensuel pour cette enfant qui prend soin de s'« approcher d’eux plus près, tout près, de les tâter, de les manier... » (l. 54). Il s’agit d’un jeu dynamique mais qui fait appel aux sentiments comme le révèle l’étude du vocabulaire :

Mélange caractéristique de l’enfance où le mouvement et l’affectivité déterminent les actions.

Déjà, pour la fillette, l’écriture n’est pas le fruit d’une inspiration plus ou moins imaginaire mais le résultat d’un travail qui allie recherche et manipulation. Sa méthode semble donc très différente de celle de sa mère – son modèle d’écrivain – qui écrit avec une apparente facilité « sur d’énormes pages blanches qu’elle numérote avec de gros chiffres, qu’elle couvre de sa grande écriture, qu’elle jette par terre à mesure qu’elle les a remplies » (Folio, page 38 ; Folio plus classiques, page 35).

C Déjà Nathalie Sarraute perçait sous TachokLa méthode de création de cette enfant semble surprenante mais n’oublions pas que c’est l’écrivain adulte qui rappelle cette scène et offre une analyse qui ne peut rester indépendante de son vécu litté-raire. On rejoint ici un des problèmes primordiaux de l’autobiographie.

� L’enfant écrivain et ses sentiments

• La crainte

C’est, en effet et paradoxalement, le sentiment qui domine. Crainte face aux mots « je ne me sens pas très bien auprès d’eux » (l. 42), mais aussi crainte de la création de ce qu’elle baptise « mon roman » (l. 45).

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Pour elle, l’écriture relève de la magie :– magie du geste– magie qui permet de faire vivre et mourir des personnages– magie du sens du mot comme pour l’adjectif fougueux– magie des niveaux de langue– magie révélée par un vocabulaire qui rappelle aussi bien la fascination que la crainte devant son impuissance : « il n’y a rien à faire... ils sont comme ensorcelés » (l. 58).

Personnages et mots sont sous l’effet d’un phénomène qui échappe aussi à l’enfant : « et moi je suis comme eux » (l. 20) . Seule la réflexion de « l’oncle » (relire la page 85, Folio ; page 77, Folio plus classiques) assimilée à des « paroles magiques » (l. 64) lui permet de s’échapper. Ces paroles seules peuvent rompre le charme8 et la délivrer.

• L’égarementLa crainte emporte l’enfant dans un monde inconnu où « égarée... elle erre » (l. 20-21). Du haut de son égocentrisme enfantin, l’enfant hésite entre un « chez moi » confortable et un « loin de chez moi » attirant, entre ses mots courants, habituels, et d’autres un peu effrayants qui la fascinent.

• Émotion et rêverieLa création reste donc pour Tachok une ex pé rien ce émotive. Nous avons an té rieu re ment relevé le champ lexical des sentiments. Il est ren for cé par les signes de la ponc tua tion habituelle de l’écri vain, les points de suspension. Ils mar quent un état de veille sen si ble ment identique au rêve. Une fois de plus, comme dans l’incipit, ils traduisent l’activité psy chi que, ses tiraillements, ses contradictions.

L’emploi du conditionnel rappelle le fonc tion ne ment du jeu chez l’enfant ou l’ir réel du rêve « On dirait... » aux lignes 16 et 56. Quant au présent qui domine le tex te, il ne correspond pas au présent de narration.

On peut le rapprocher davantage du présent de vérité générale qui place ce récit dans l’intemporel du conte et des romans universels dont l’auteur a contesté la fausse réalité.

� Imprégnation et formationCette jeune littéraire, tant par ses lectures que par ses modèles, pose déjà les bases de la méthode de la future créatrice qu’elle sera adulte. Pour elle, la littérature passe par une écriture avant tout formée sur un emploi précis des mots – recherche, place et harmonie – mais également par le travail. Refusant l’image de l’écrivain inspiré, elle insiste sur les contraintes du travail de création littéraire.

L’évocation de la magie et de l’envoûtement est teintée d’humour. En fait, comme elle l’a annoncé dans l’incipit, l’écriture est une longue marche « à tâtons, toujours cherchant, toujours [se] tendant... Vers quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Ça ne ressemble à rien... Personne n’en parle... ». C’est ce qu’elle a tenté d’expliquer tout au long de sa carrière littéraire.

� Future Nathalie Sarraute Comme nous l’avons noté, on retrouve chez cette enfant, la méthode d’écriture de Nathalie Sarraute.

– La ponctuation et le style syncopé car lié au mouvement intérieur.

– L’humour et la réflexion. De la ligne 61 à la fin, elle tourne en dérision ses émotions enfantines pour repasser du charme à la réalité.

– Mais aussi, et surtout, par la recherche du mot juste, d’un style, d’un effet. Déjà l’enfant pensait à sa lecture, à la réception de son texte.

Ces caractéristiques deviendront plus tard les exigences des Nouveaux Romanciers.

Cette présentation d’une première expérience d’écriture libre sera complétée par une deuxième, cette fois sous contrainte, dans le cadre scolaire qui fera l’objet de l’étude du texte n° 4. Le monde de l’enfance se transforme petit à petit en monde littéraire. En deux souvenirs repris et analysés rétrospectivement, Nathalie Sarraute pose les bases de sa réflexion littéraire.

Sous une forme imagée et hésitante, elle révèle les difficultés que rencontre l’écrivain à retranscrire le réel. Si l’enfant essaie de concevoir de belles histoires – ce que ne fera jamais N. Sarraute – elle est surtout confrontée à la magie des mots et à leur résistance. Au delà de l’humour léger perceptible dans cet extrait, l’auteur adulte transmet une approche de sa conception de la création littéraire.

8 Ici, au sens étymologique de sort.

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352 Séquence 7-FR10

Exercice autocorrectif

Étude d'un passage

Question de lecture

Relire le chapitre qui raconte les préparatifs de l’arrivée de Lili (Folio, pages 120 à 122 ; Folio plus classiques, pages 109 à 111).

Étudiez la composition de ce chapitre selon le principe d’alternance entre moments rassurants et moments désagréables.

Correction

Alternance de moments rassurants et de moments désagréables.

Souvenir

Moments rassurants Moments désagréables

l. 1 : Véra et le bébé

l.11 à 15 : Si… explication rassurante hypothétique

l. 42 à 53 : Se rassure avec les lettres de sa mère

l. 64 à 69 : la résistance, le refus

l. 2 à 10 : Sa chambre débarrassée

l. 15 à 20 : L’injustice

l. 20 à 42 : Le «malheur» : le cœur du texte

l. 54 à 64 : Le malheur se voit si on l’observe ; cette femme le voit mais les autres s’en moquent.

Nous notons un équilibre quantitatif parfait, avec quatre moments forts et quatre moments apaisants.

Reprise du dialogue entre les deux voix narratives

l. 70 à 71 : Rupture du moment déstabilisant par la voix ; désamorcer une trop forte émotion.

l. 72 à 75 : la première voix se rappelle les autres pièges tendus par les mots qui font mal.

l 76 à 81 : refus du pouvoir des mots sur l’individu, même celui de bonheur ; elle préfère conserver ce pouvoir pour l’écriture destinée aux autres, aux lecteurs.

Texte 3 : L’abandon (édition Folio, pages 182 à 184 ; Folio plus classiques, pages 162 à 164)

Oral Bac

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353 Séquence 7-FR10

Op. cit. p.342, Nathalie SARRAUTE, Enfance.

Questions de lecture� Exercez-vous au résumé de ce qui se passe entre le pas sa ge n° 2 et celui-ci. Notez les passages importants, les changements de lieux,les personnages.� Le texte est construit sur une opposition binaire. Dé fi nis sez-la. � Pourquoi l’auteur adulte s’attarde-t-elle sur la traduction de l’expression russe ?� Trois personnages sont évoqués : la mère, la marâtre et la fillette. Le père est, lui, présent sous une forme cachée. Relevez les différents pronoms (ou adverbes) qui caractérisent chacun d’eux et com- men tez cet emploi.

Éléments de réponse et planC’est un souvenir douloureux qui resurgit ici, celui de l’absence de la mère. Déjà pres sen tie par Natacha, elle sera confirmée par Véra, la deuxième mère qui parle, elle, d’abandon. À ce sentiment de rejet s’ajoute celui de la rancune de sa belle-mère dont l’agressivité traduit l'impuissance face à cette enfant imposée. L’évocation ré tros pec ti ve ne permet pas de dire si la douleur ressentie est celle de l’enfant ou de l’adulte qui voit se réveiller une blessure mal refermée. Cette souffrance sera occultée au profit d’une recherche sur la forme du mot, du texte et du passage d’une langue à l’autre.

Nous analyserons comment les relations de l’enfant avec les adultes se placent sous le signe de la dualité. Puis nous étudierons les procédés utilisés par l’auteur pour minimiser l’importance affective de cette scène.

A Relations enfant/adultesLa fillette vit maintenant à Paris avec son père, Véra et Lili, la demi-sœur. Cette scène, dans le décor du parc Montsouris, révèle les relations ambiguës qui sont imposées à Tachok.

� Relations mères filles

• La vraie mère

L’expression on t’a abandonnée est citée cinq fois, quatre fois en russe tiebia podbrossili et une fois en français. Véra n’emploie que le pronom indéfini on et ne parle pas de sa mère. Pudeur, crainte ou

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354 Séquence 7-FR10

jalousie ? L’abandon devient plus important puisque la mère n’est plus évoquée que par le pronom indéfini, en quelque sorte niée comme personne réelle.

Aussi brutale qu’inattendue, la révélation déclenche des conséquences paradoxales chez l’enfant. Abandonnée, certes, mais elle n’est plus responsable. Alors qu'elle croyait avoir choisi Paris et son père, cette phrase lui ôte toute culpabilité : « On ne veut pas de moi là-bas, on me rejette, ce n’est donc pas ma faute, ce n’est pas de moi qu’est venue la décision... » (l. 48 à 50).

La métaphore du coucou, suggérée par la deuxième voix narrative, accentue l’effet contre nature de l’attitude de la mère. Le coucou, oiseau incapable de créer son nid, sa famille, et qui rejette tout ce qui le gêne, en l’occurrence, sa fille.

– « Comme fait le coucou ?

– Oui, mais il me semble que dans l’acte du coucou il y a de la précaution, de la prévoyance, tandis que ce mot russe évoque un rejet brutal en même temps que sournois... » (l. 29 à 33).

La traduction russe renforce l’idée de violence et y rajoute une intention cachée : se débarrasser de cette enfant gênante, instinctivement. Et c’est bien un sentiment de rejet, « un rejet brutal » (l. 32) qui resurgit des décennies plus tard, à l’origine, sans doute, de la blessure.

Parallèlement à ce couple se situe celui de Véra et Lili. Cette seconde mère ne parle pas le russe à Lili pour ne pas « embrouiller la petite avec deux langues » (l. 4). Véra apparaît comme une mère prévenante, toujours prête à protéger sa fille qu’elle nomme d’un adjectif affectueux la petite. Nous trouverons dans le roman d’autres exemples de cet amour maternel exclusif qui, par comparaison, met en évidence l’anormalité du comportement de la mère de Nathalie et la différence de traitement des deux demi-sœurs.

• La marâtre

Cette mère aimante devient pour l’autre fillette, la marâtre.

Physiquement, sa beauté des premières rencontres a disparu pour laisser place à une femme « très maigre et pâle » (l. 14). Son caractère semble faible. Sans contrôle sur elle-même, elle lance à la fillette cette idée horrible qui traverse son esprit, « parce que cela l’a traversée tout à coup... elle n’a pas cherché à le retenir, ou elle n’a pas pu... » (l. 20). Cette fillette lui a été imposée et elle la considère comme un fardeau « dont on s’est débarrassé sur quelqu’un d’autre » (l. 27), « ce poids... » dont elle doit se charger (l. 44).

La fillette reçoit ce langage agressif, « ces mots russes... durs et drus » (l. 21) qui la blessent, en même temps que « la rancune de Véra » (l. 42). Vous noterez les sonorités fortes en u [Y] des trois mots en [y] et la répétition du son [d] qui accentue la dureté des mots. Cette marâtre violente, n’est plus qu’un « caractère » (l. 54) que l’auteur ne qualifie pas. C’est ce manque de consistance qui domine dans l’évocation de Véra.

� Le pèreDans ce texte, il semble absent et n’est pas évoqué de façon explicite. Il est pourtant là, dans le cœur et l’esprit de l’enfant lorsqu’elle répète « ce n’est pas de moi que vient la décision, je dois rester ici... ici et nulle part ailleurs. Avec tout ce qui s’y trouve » (l. 49 à 53). Le père est ici et inclus dans le tout. D’apparence indéfinie, lui aussi, le pronom tout marque, en fait, la totalité. Véra, Lili, Paris appartiennent désormais à la vie de Natacha, mais on ne pourra plus l’abandonner et lui enlever ce père, ce tout, qui jouera les deux rôles.

� Les pronomsLe jeu des pronoms est d'ailleurs significatif des relations de l'enfant avec les adultes :

Voir tableau page ci-contre

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Page 21: Les enjeux de l'écriture autobiographique

355 Séquence 7-FR10

Nathacha La mère Véra Le père

je

me

moi

l’enfant et l’adulte

on

ceux qui…

comme si on n‘osait pas prononcer son nom ou sa qualité de mère qu’elle ne mérite plus.

elle

quelqu’un d’autre

qui marquent une prise de distance

ici (adverbe)

tout

B La dualitéLa seconde voix narrative qui intervient au cours de cette évocation douloureuse, respecte la dominante du texte placé sous le signe de la dualité.

Tout est double dans ce récit d’abandon. Outre les deux voix narratives de l’adulte et de son double, les éléments du texte se conjuguent par deux.

� Deux mères

Une mère dénaturée qui rejette brutalement et sournoisement son enfant et une autre mère qui protège son bébé au détriment de l’enfant imposée. Celle-ci aurait pu devenir une mère d’emprunt pour Tachok mais, si elle ne peut échapper aux contraintes matérielles, elle refuse d’offrir un peu d’affection à « ce poids » (l. 44).

� Deux fillettes

Lili et Nathalie ; deux fillettes pour un même papa à partager.

� Deux langues

Le français (l. 3) et le russe (l. 6), deux langues qui concernent les deux enfants, même si la plus petite est encore à l’abri des confusions linguistiques, « pour ne pas [l’] embrouiller » (l. 4).

� Deux pays, deux cultures

L’enfant est constamment partagée, tiraillée entre deux pays, deux lieux et deux cultures :

La Russie est, ici, non citée mais sous-entendue. Elle est évoquée implicitement et en négatif, un peu comme si elle était associée à la mère absente et qu'on ne pouvait pas non plus prononcer son nom. La filette est tiraillée aussi entre deux pôles affectifs :

Sa mère et Kolia / Son père et Véra

L’enfant se sent donc rejetée par une mère assimilée à un coucou qui garde seul le nid et rejette tout ce qui à l’intérieur de celui-ci peut l’empêcher de s’épanouir. Mais ne pourrait-on pas y voir aussi l’image de Véra qui a investi l’espace père / fille, y a installé un autre oisillon et aimerait bien se débarrasser, elle aussi, de « cette charge que j’étais pour elle » (l. 45).

Voir tableau page suivante

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Page 22: Les enjeux de l'écriture autobiographique

356 Séquence 7-FR10

France Russie

Paris

Parc Montsouris (ce jour-là), l.13

Ici et nulle part ailleurs, l.52

Là-bas, l.48

Ailleurs, l.52

C Évocation rétrospective

Cette douleur que ressent l’enfant devant sa difficulté à se faire accepter reste, ne l’oublions pas, une analyse d’adulte. Dans quelle mesure le présent et ce qui a suivi cette scène ont-ils influencé le phénomène du souvenir ? Comment N. Sarraute désamorce-t-elle l’émotion que peut susciter une telle page ?

� Poids du vécu dans l’évocation du passé

• Un souvenir douloureux revu par l’adulte

L’adulte semble dire que l’enfant y trouvait du réconfort. La scène reste émouvante devant cette fillette rejetée par les deux femmes de ce père tant aimé. Le tout inclut forcément Lili, Véra et les relations qu’elle entretient avec Natacha, mais la deuxième voix lui rappelle que « ses rapports avec [elle] n’étaient qu’une partie, pas la plus importante » (l. 31) qui reste avant tout, la place du père.

Lorsque l’auteur emploie l’expression ici et ailleurs... c’est en fait la fixité qu’elle traduit, c’est-à-dire ce qui manquait à l’enfant : un point d’attache où planter ses racines. Ce lieu, l’abandon le lui offre puisqu’elle ne pourra plus partir et changer à nouveau de pays. Il est, en outre, habité par le père dont les sentiments vis-à-vis de sa fille resteront aussi constants et fiables que le lieu. La mère, par contraste, est toujours évoquée dans le mouvement, les départs, un va-et-vient constant aussi bien géographique qu’affectif.

• Travail sur la langue

Dans cette évocation, l’affectif est trop fort pour être traité avec humour ou ironie. L’auteur use d’un autre procédé pour le désamorcer. Le travail sur la langue et le lexique détourne l’émotion et le registre lyrique que le sujet pouvait entraîner. Son réconfort est à cette condition. Les tentatives de traduction posent, en outre, les problèmes de passage d’une langue à une autre et les difficultés à traduire certai-nes nuances. Cette hésitation linguistique symbolise également l’hésitation affective que l’auteur tente de dissimuler. Des lignes 22 à 41, l’analyse de la traduction permet aussi d’évacuer et de transposer l’attention de l’auteur et du lecteur. « Je n’en étais pas émerveillée comme je le suis maintenant... »(l. 37). Ce travail-là est bien le fait du présent de la narration et non de l’enfance « Tu ne t’es sûrement pas occupée à ce moment-là à découvrir toutes les richesses que ce mot recèle... » (l. 34-36).

� Douleur transcrite par le lexiqueMais si la pudeur cache cette douleur dans l’analyse du langage, elle reste sensible à travers le lexique. On peut ainsi relever les champs lexicaux suivants :

– l’abandon : l. 1 :Tiebia podbrossili ; l. 7 : abandonnée ; l. 24 : jeter ; l. 27 : débarrasser ; l. 49 : rejette.

– la violence et la brutalité : l. 24 : jeter ; l. 32 : rejet brutal ; l. 45 : rage ; l. 47 : brutalité.

Parallèlement à cette douleur, la contrainte et la soumission de Véra et de Tachok expliquent d’autres tensions, d’autres rejets dont souffrira l’enfant :

– l. 21 : jailli (les mots) ; l. 27 : fardeau ; l. 44 : l’obligent à se charger ; l. 49 : pas ma faute ; l. 50 et 53 : je dois ; l. 43 : débarrasser sur elle ; l. 51 : pas le choix ; l. 52 : certain.

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Page 23: Les enjeux de l'écriture autobiographique

357 Séquence 7-FR10

Le lecteur pourra donc lire entre les lignes à quel point cet épisode de vie a pu marquer l’auteur. D’ailleurs, ne l’a-t-elle pas choisi pour l’intégrer à son autobiographie ?

L’enfant ne donne pas l’impression d’une grande souffrance. Elle semble plus gênée par l’absence de certitudes. L’abandon la réconforte, nous dit l’adulte, mais des décennies plus tard, elle laisse deviner une douleur que la pudeur ne peut complètement occulter.

Afin de mieux comprendre en quoi N. Sarraute s’est éloignée des sentiers battus de la littérature, essayez d’imaginer cette scène d’abandon et de rejet décrite par un autre auteur au style plus traditionnel. Le registre en eût été très différent. C’est, entre autres divergences, en ça que les nouveaux romanciers se démarquent du roman classique. N. Sarraute se refuse à donner des impressions qui ne viendraient que d’elle. Elle choisit de présenter les faits, les phénomènes qui interviennent dans les relations humaines, les idées conséquentes et laisse le lecteur les interpréter à sa façon, avec son vécu.

Texte 4 : l'écriture sous contrainte (édition Folio, pages 207 à 213 ; Folio plus classiques, pages 184 à 189)

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Questions de lecture

� La seconde voix rappelle que la fillette aimait l’ordre. Qu’est-ce qui, dans le texte, vous permet de le vérifier ?

� L’enfant écrit en pensant à ses lecteurs. Montrez comment elle tient compte de ceux-ci.

Op. cit. p.342, Nathalie SARRAUTE, Enfance.

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360 Séquence 7-FR10

Éléments de réponse et plan

Ce nouvel épisode de l’enfance de N.Sarraute concerne, une fois de plus, l’acte d’écrire. Natacha a grandi et se livre à un apprentissage qui n’est plus libre comme lorsqu’elle essaie d'écrire son roman. L’écriture se fera ici sur commande sous la forme d’une rédaction dont le sujet est imposé par le professeur : Votre premier chagrin. La banalité du thème aurait pu entraîner l’auteur adulte dans un texte conventionnel. De nombreux écrivains comme Pagnol, Colette, Sartre, pour ne citer que ceux-ci, ont traité le thème du souvenir scolaire. Mais l’écrivain choisit ici une forme originale qui met surtout l’accent sur le travail littéraire plus que sur l’anecdote du passé.

Nous retrouverons certains procédés que la fillette utilisait déjà antérieurement, mais l’écrivain qu’elle est devenue est plus exigeant, plus méticuleux et sa méthode s’est affirmée. De même, la recherche de l’effet de son texte sur le lecteur, qui n’était qu’à l’état d’ébauche de nombreuses années auparavant, s’est précisée.

A Travail préparatoire à l’écriture

Ici, le travail est une écriture imposée qui doit donner lieu au récit d’un souvenir. Refusant, nous l’avons déjà dit, l’idée d’une inspiration aussi soudaine qu’incontrôlable, la jeune élève ne se lance pas dans l’exercice sans une préparation minutieuse.

� Travail et imagination

• Sujets et conditions propices

La condition imposée plaît à l’enfant car elle est nettement délimitée alors que sa vie d'enfant manque de repères. Afin de bien réussir, il faut, en outre, être motivée. Le thème du premier chagrin constitue pour Natacha, « un sujet en or » (l. 11). Elle le ressent avant d’écrire, sans se tromper, et pense avoir vu « étinceler dans une brume lointaine des pépites... les promesses de trésors » (l. 12 et 13). L’intuition semble tenir un rôle important et l’adulte avoue que l’enfant se « trompait rarement » (l. 10). Au lieu de choisir un chagrin bien réel, elle a la chance « d’apercevoir » (l. 42) ce qui conviendrait aux futurs lecteurs : « je le sentais » (l. 51).

Cette promesse de réussite excite l’enfant qui ressent physiquement le bonheur et le pouvoir d’écrire « une sensation qu’[elle] ne pouvai[t] pas nommer » (l. 29).

Les conditions préalables – sujet en or et exemple senti – étant remplies, il faut rédiger. Si l’inspiration n'en dicte pas tout, l’imagination, en revanche, est nécessaire.

• L’imagination...

Ou comment trier dans les sujets possibles, celui qui touchera le mieux, et les détails qui accréditeront le choix. « Aussitôt que je l’ai pu, je me suis mise à leur recherche » (l. 14). Inconsciente encore que sa recherche l’oriente vers les possibles narratifs, elle réalise que « ce sujet a fait venir, comme je m’y attendais, plein d’images encore succinctes et floues, de brèves esquisses... » (l. 55 à 57).

Même méthode pour le lieu et les circonstances : noyade ? accident sur voie ferrée ? Lequel pourrait laisser une empreinte plus durable ? L’imagination est donc soumise à un tri, une investigation bien éloignée de l’image de l’inspiration qui impose à l’auteur servile une dictée sans contrôle.

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361 Séquence 7-FR10

� Méthode de recherche

La fillette ne se contente pas de fouiller dans son imagination. Aimant l’ordre et la rigueur, elle fait aussi appel à d’autres sources et s’impose des contraintes.

• Conditions

Elles jouent un rôle important dans la qualité de la production. Il faut, en effet :

– du temps : « je n’avais pas besoin de me presser » (l. 15),

– des doutes et des interrogations :

• tri dans ses propres souvenirs ? Non, il valait mieux chercher « hors de ma propre vie » (l. 27),

• importance du choix pour les personnages principaux « mon petit chien et moi » (l. 115),

• le lieu : le jardin des grands-parents qui connotent la tendresse, l’émotion et la douceur, en contraste avec la violence de l’accident,

• la saison : l’automne, saison triste liée à la mort, plus propice que le printemps qui évoque le renou-veau. Un joli canevas de nostalgie !

– mais tout ceci n’est rien sans la réflexion, « après avoir hésité, préférer... » (l. 116).

Après cette mise en condition, le recours à l’autorité.

• Usuels et règles

Sensible à l’autorité des grammairiens et des linguistes (même si elle ne connaît pas encore leur appel-lation), la fillette vérifie dans des ouvrages de référence :

– le sens des mots dans le dictionnaire, le Larousse (petite page de publicité innocente !) (l. 97) ;

– l’orthographe, très importante depuis la remarque de « l’oncle » (Folio, page 85 ; Folio plus classiques, page 77) : « Avant de se mettre à écrire un roman, il faut apprendre l’orthographe ». Si l’enfant ne connaît pas toutes les règles, elle a appris à utiliser les usuels et, entre autres documents « [sa] grammaire » (l. 102), afin d’éviter « une vilaine faute d’orthographe, un hideux bouton » (l. 99) ;

– l’organisation des phrases et du texte qui ne peut être livrée au hasard, mais en respectant « les règles strictes auxquelles on doit se conformer » (l. 100) afin de « relier entre eux » (l. 99) les mots sélectionnés.

• Références culturelles

Dernière recherche, dans les œuvres déjà établies. Nous avons déjà remarqué que la fillette lisait beaucoup et possédait une solide culture. Elle se rappelle « un tableau bordé de joncs, couvert de nénuphars... » mais l’action qui pourrait s’y dérouler ne serait pas assez violente.

Elle invoque ensuite le secours de la littérature en puisant dans ses « recueils de morceaux choisis et ses dictées » (l. 88), ainsi que dans des romans d’auteurs connus et confirmés comme « René Boysleve, André Theuriet et Pierre Loti » (l. 90). Vous trouverez plus de précisions sur ces trois romanciers dans un dictionnaire de noms d’auteurs.

Nous assistons donc à une mise en œuvre irréprochable d’une méthode que nous vous conseillons d’ailleurs d’adopter avant de rédiger vos propres devoirs !

N. Sarraute, une fois encore, insiste sur la nécessité d’ « un terrain bien préparé et aménagé », puis d’un travail précis conforme aux règles de la langue, qui nécessite, malgré ces précautions « de grands efforts » (l. 135) .

Mais ceci n’est que l’activité préparatoire, l’acte d’écrire vient après et, là aussi, la méthode occupe une place de choix.

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362 Séquence 7-FR10

B Une méthode d'écritureOn ne peut nier le plaisir que la fillette prend à ce travail scolaire. Mais son angoisse et son impatience, sa « hâte de trouver » (l. 17) doivent être contrôlées. L’élève consciencieuse sent qu’il lui faut maîtriser ses impulsions pour parvenir au meilleur : « Maintenant, c’est le moment... je le retarde toujours... j’ai peur de ne pas partir du bon pied, de ne pas bien prendre mon élan... » (l. 77 à 79).

� Quelques règlesLa fillette craint d’être débordée par son imagination et veut arriver à un style recherché où l’emploi du mot juste sera la première contrainte. À la page 214 (Folio plus classiques, page 190), la deuxième voix lui rappelle ce besoin d’ordre : « Tu avais besoin de cette netteté, de cette rondeur lisse, il te fallait que rien ne dépasse... ».

• Terrain préparé

C’est l’expression qu’elle emploie et qui se résume dans le champ lexical de la contrainte :– l. 8 : la maîtresse nous a dit– l. 97 : il ne faut pas– l. 99 : pour les relier... – l. 100 : il existe des règles strictes– l. 129 : je n’en ai pas choisi le sujet, il m’a été donné, même imposé– l. 132 : ses limites– l. 166 : ma règle (pensez à la polysémie de ce mot).

• PrésentationCette recherche et ce travail de précision sont mis en abîme par la présentation du devoir écrit.

Comme le fait Natacha, il vous est conseillé de remettre une « copie déjà mise au net, en allant à la ligne pour bien la faire ressortir dans toute sa beauté, en la faisant suivre du point final » (l. 161 à 163) !

� Les mots, toujours !Mais le rôle le plus important de cet acte d’écriture est, une fois encore, tenu par les mots.

• Seuls maîtres

« Souvent les mots me guident dans mes choix... » (l. 112) et, une fois sélectionnés, comme l’adjectif fougueux dans son roman enfantin, elle « laisse les mots prendre tout leur temps, choisir leur moment, [elle] sai[t] qu’ [elle] peu[t] compter sur eux » (l. 145). C’est une idée récurrente dans l’œuvre de N. Sarraute (relire le texte n° 2) et l’auteur adulte explique dans L’Ère du soupçon qu’elle n’est jamais emportée par ses personnages mais par les mots.

• Différentes catégories de mots

Comme dans le premier souvenir d’écriture, mais avec plus d’expérience, elle affine ses choix :

– des mots ordinaires : « mes mots de tous les jours, des mots grisâtres à peine visibles, assez débraillés... » (l. 83-84).

– le mot rare, « ornement qui rehaussera l’éclat de l’ensemble » (l. 111).

– les mots élégants « revêtus de beaux vêtements, d’habits de fête... venus de lieux bien fréquentés où il faut avoir de la tenue, de l’éclat » (l. 86 à 87), « des mots dont l’origine garantit l’élégance, la grâce, la beauté... » (l. 92). Ce sont les mots qu’elle préfère, ceux avec lesquels elle se plaît.

La copie doit être à l’image du texte, propre, nette et précise, terminée par « un trait bien droit et net avec ma plume très propre et ma règle » (I. 166).

• Jeux sur les mots

Ainsi qu’elle avait commencé à le faire dans une enfance précoce, elle ne se contente pas de choisir les mots mais exploite leur mobilité.

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– manipulation : « je les appelle, je les rappelle plutôt, ... je veux les revoir encore... » (I. 152).

– déplacement : « Faut-il changer celui-ci de place ? » (l. 154).

– syntaxe et langue correctes en faisant appel aux « règles strictes auxquelles on doit se conformer » (l. 100).

– arrangement : « Je veille à ce que rien ne les dépare » (l. 95) « dans le rôle qui leur convient » (l. 106) « vraiment la phrase qu’ils forment se déroule et retombe bien joliment... encore peut-être un très léger arrangement... et puis ne plus l’examiner » (l. 157).

Nous retrouvons l’idée que les mots sont autonomes, doués d’une vie propre et qu’ils échappent au créateur.

� Fiction et réalité

• Le vrai et l’invraisemblable

Le dernier point de sa recherche – et non des moindres puisqu’il constitue une des bases du Nouveau Roman – est la relation qui unit fiction et réalité.

À la ligne 21, l’auteur place la jeune rédactrice devant sa réalité : « ... retrouver un de mes chagrins ? Mais non, voyons à quoi penses-tu ? ». Très vite, elle affirme le besoin de distance nécessaire à l’auteur « ce qu’il me fallait, c’était un chagrin qui serait hors de ma vie, que je pourrais considérer en me tenant à bonne distance... » (l. 28). Plusieurs raisons à cela :

– la dignité, la pudeur « je ne livre rien de ce qui n’est qu’à moi » (l. 36) ;

– le pouvoir sur son œuvre ou sur le lecteur (l. 37) ;

– la liberté (l. 35).

Tout ceci pour aboutir à une fiction plus vraie que nature, même si l'histoire apparaît « invraisemblable » (l. 52). Dans L’Ère du soupçon, N. Sarraute précise encore que le lecteur ne croit plus à ces artifices : « Et puis, personne ne se laisse plus tout à fait égarer par ce procédé commode qui consiste pour le romancier à débiter provisoirement des parcelles de lui-même et à les vêtir de vraisemblance ».

• Pureté enfantine et innocence

Ce besoin de toucher le public avec un chagrin bien fort, vient de la notion de fiction dont cette enfant d’onze, douze ans semblait avoir conscience. Ce choix de fausse vérité aurait été « imbibé de pureté enfantine et d’innocence » (l. 48).

� Plaisir d’écrireMais, au delà de ces contraintes et de sa méthode basée sur le travail, ce qui frappe le plus est le plaisir de l’enfant-écrivain, son envie de créer, sa liberté.

– L’envie d’inventer présentée en négatif de l’envie de souvenir réel.

– Le plaisir et la sensualité, comme dans le premier roman. Sitôt le sujet choisi, l’enfant ressent « une satis-faction... » (l. 44) également éprouvée devant les mots « Je me plais en leur compagnie » (l. 93-94).

– Et surtout, la beauté, inséparable de la netteté. Le champ lexical le plus important dans ce texte est bien celui de la beauté :

- l. 58 : de vraies beautés- l. 63 : un beau grand jardin- l. 76 : des splendeurs- l. 85 : de beaux vêtements- l. 87 : l’éclat - l. 93 : la beauté- l. 96 : en négatif : ne pas abîmer leur aspect, les enlaidir- l. 110 : un ornement - l. 156 : joliment- l. 158 : en négatif : l’abîmer- l. 162 : dans toute sa beauté.

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364 Séquence 7-FR10

Ce champ lexical parcourt le récit dès que l’acte d’écriture est relaté.

Le style de sa rédaction, très recherché, paraît donc très différent de celui de son roman. Mais, plus nettement que lors de sa précédente expérience, le problème de la réception, c’est-à-dire de l’effet produit sur le lecteur, semble se poser à l’enfant.

C L’écrivain et son lecteur : reconstruction du souvenir

L’analyse est sans doute plus due à l’adulte qu’à la fillette, mais la place de l’écrivain face à son récit et au destinataire est clairement définie : de la distance mais avec un souci constant d’intéresser.

� L’enfant ou l’adulte ?Le choix du personnage, du lieu et de l’époque montre comment la jeune rédactrice pense au plaisir et à l’émotion du lecteur. La réflexion, elle, semble venir de l’adulte : N. Sarraute juge Tachok. : « Jamais au cours de ta vie aucun des textes que tu as écrits ne t’a donné un pareil sentiment de satisfaction, de bien-être... ». Elle reconnaît d’ailleurs que, de toute sa longue carrière d’écrivain, il s’agit bien là de « son meilleur devoir. »

� Pouvoir de l’écrivain

• Le goût des autres

Si le sujet général était imposé, l’enfant avait libre cours pour le reste. Elle choisit donc en fonction du destinataire : « je prépare pour les autres ce que je considère comme étant bon pour eux, je choisis ce qu’ils aiment, ce qu’ils peuvent attendre, un de ces chagrins qui leur conviennent... » (l. 37 à 40).

• Manipulation

L’enfant, à onze, douze ans, est déjà consciente du pouvoir de l’écrivain. La seconde voix le lui rappelle et évoque ce sentiment de puissance et de domination qu’elle préfère baptiser liberté. Mais, ce pouvoir, elle préfère l’exercer par la séduction en offrant à ses lecteurs un écrit « plus présentable, plus séduisant »(l. 46), « plus prometteur » (l. 71).

Elle fait appel également au réconfort et à la quiétude d’une famille rassurante, au grand complet avec même des grands-parents, bon public pour un enfant. La psychanalyse y verrait certainement un manque exprimé dans cette grande famille calme au cœur de la douceur automnale d’un jardin. Mais cette quiétude servira aussi de contraste au drame horrible du petit chien. Déjà l’enfant jouait sur les oppositions et comme les dramaturges antiques, et en particulier Aristote, visait à déclencher chez ses destinataires « la crainte et la pitié »9.

� ProtectionFragile, l’enfant l’était et l’adulte a conservé quelques craintes qui la poussent à prendre vis-à-vis de ses écrits, quelques distances salutaires.

• Distance

Un texte peut ne pas être d’inspiration autobiographique et l’enfant préférait se tenir « à bonne dis-tance » (l. 28), « dans l’ombre, hors d’atteinte » (l. 35) comme si un danger la menaçait en exposant une partie d’elle-même.

9 « La tragédie est une imitation faite par des personnages en action, et non par le moyen d’une narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte accomplit la purgation des émotions de ce genre [...]. La crainte et la pitié peuvent, bien sûr, naître du spectacle, mais elles peuvent naître aussi de l’agencement même des faits accomplis, ce qui est préférable. » ARISTOTE (384 322 av. J.C.), La Poétique. La dernière réflexion sur l’agencement des faits rejoint les idées littéraires de N. SARRAUTE.

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365 Séquence 7-FR10

• Relativiser

Dans le même souci de préservation, nous avons vu, par deux fois, l’écrivain adulte désamorcer l’émotion par des procédés littéraires : l’humour et l’analyse de la langue, au détriment de l’événement. Tout ceci comme pour échapper au pouvoir que l’œuvre aurait sur son créateur.

Cette scène banale de l’enfant écrivant une rédaction, topos des thèmes littéraires, est renouvelée par Sarraute. Elle détaille plus la mise en scène que la rédaction en définissant les conditions matérielles et psychologiques, les contraintes imposées par la maîtresse et par elle-même, et son état psychologique au cours de cette écriture.

Entre les deux expériences, l’évolution de la recherche et de l’écriture traduit l’assurance qui gagne cette enfant sûre d’elle et de sa méthode. « Le jour où la maîtresse nous rend nos devoirs, j’attends avec le pressentiment, mais c’est plutôt une certitude, que la liste commencera par mon nom ». L'adulte confirme les prédispositions de l’enfant qui ne furent pourtant jamais formulées par sa famille, « jamais n’est même de loin suggérée, jamais ne vient nous frôler l’idée de « dons d’écrivain »... rien n’est aussi éloigné... » (Folio page 216 ; Folio plus classiques, page 191).

Comme le premier roman, la rédaction sert aussi de prétexte à l’écrivain pour rappeler, une fois de plus, ses choix littéraires.

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366 Séquence 7-FR10

Exercice autocorrectif

Étude d'un passage

Questions de lecture

À la page 251 du Folio (Folio plus classiques, page 223), dans l'extrait « Il me semble que je ne l'aurais pas reconnue » jusqu'à « elle le dédaigne plutôt un peu... », étudiez les marques lexicales et gramma-ticales qui disqualifient la mère.

Correction

Procédés qui disqualifient la mère

Lexique

– Aspect physique : transformée mais plutôt enlaidie : « je ne l’aurais pas reconnue » (l. 1) ; « grossi » (l. 2) ; « ne lui vont pas » (l. 5) ; « banal, dur » (l. 7) ; « yeux inégaux » (l. 14) ; comparaison avec Véra, donc désavantage pour la mère (l. 5).

– Aspect moral : « ses yeux inspectent » (l. 15) ; « elle critique sa fille : mauvaise mine... si pâle » (l. 20) ; « petits vieux » (l. 23) ; « mère déçue par sa fille qu’elle ne trouve pas jolie à croquer » (l. 16) ; « elle dédaigne l’école et ce que Natacha réussit » (l. 25) semblant plus soucieuse du paraître. D’ailleurs l’enfant la craint et n’ose pas la caresser (l. 13).

Pourtant, la banalité et l’indifférence semblent peu de choses comparées à la douceur de sa peau et à son parfum si particulier. L’enfant est fascinée par cette mère si lointaine.

– Opposition entre souvent et plus quand on évoque la beauté de l’enfant.

Procédés grammaticaux

– La négation est présente sous de nombreuses formes.

• pour la description de la mère et de l’enfant :

l 1 : « ne l’aurais pas reconnue » ; l 5 : « ne lui vont pas » ; l 16 : « je ne suis pas jolie » ; l 6 : « ne ressemblait à aucune autre » est un compliment mais il est au passé.

• pour les sentiments de Nathalie et de la mère :

l 13 : « je n’ose pas » ; l 18 : « ne le dit plus » ; l 24 : « maman n’attache pas grande importance » où le verbe attacher est à la forme négative.

– Les temps

• Le passé pour tout ce qui était positif : « grossi » (l. 1) ; « ne l’aurais pas reconnu » (l. 1) où le passé est, de plus au conditionnel, c’est-à-dire dans un temps de l’irréel ; « ne ressemblait » (l. 6) beauté au passé ; « elle le disait » (l. 18) que l’enfant était jolie.

• Le présent pour une situation imprécise : « il me semble », employé deux fois (l. 1 et 15) ; et présent également pour les traits de caractère, comme nous l’avons vu dans le lexique : « inspectent, hoche la tête, désapprouve, n’attache pas, dédaigne ».

– L’imprécision renforce la distorsion entre ce qu’elle ressent et ce qu’elle montre et révèle l’absence de relation mère-fille, la distance, le flou qui existent entre elles, comme entre deux étrangères : « par hasard » (l. 2) ; « aucun autre » (l. 7 et 25) ; « quelque chose » où l’adjectif indéfini quelque est associé au mot chose dont le sens est très vague, le tout relié au qualificatif banal ; « un peu » (l. 7 et 25) ; « on » (l. 17et 22) ; « personne » (l. 18). De même, impression d’inachèvement exprimée par les gestes avortés : « je n’ose pas... je crains... j’ai envie de ». C’est le récit d’une attente déçue aussi bien chez l’enfant que chez la mère.

Ces procédés révèlent la relation ambiguë qui unit la mère et la fillette, comme nous le verrons dans la synthèse n° 2.

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Page 33: Les enjeux de l'écriture autobiographique

367 Séquence 7-FR10

Texte 5 : L'excipit (édition Folio pages 275-277 ; Folio plus classiques, pages 245-247)

Op. cit. p.342, Nathalie SARRAUTE, Enfance.

Oral Bac

Nathalie Sarraute : Enfance , Op. cit. p.342.

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368 Séquence 7-FR10

Questions de lecture

� La fin d’un roman (comme le dénouement au théâtre) présente des signes de clôture. Lesquels pouvez-vous relever ici ?

� Qu’est-ce qui peut différencier ce texte d’une fin de roman conventionnelle ?

� Relevez les oppositions du texte.

Éléments de réponse et plan

L’excipit – ou fin de roman – doit assurer la résolution de l’histoire. Le personnage a évolué et arrive à un passage important de sa vie, le lycée et l’adolescence.

Mais dans Enfance, nous ne retrouvons pas la trame classique d’une histoire véritable. Le personnage de Natacha a-t-il évolué ? Que devient, dans ce cas, cette page inévitable de la fin du roman ? Trouve-t-on des éléments de fermeture conventionnelle et des exceptions qui, une fois de plus, classeront l’œuvre de Sarraute dans une catégorie à part ?

A Évolution du personnageL’autobiographie s’achève donc avec l’entrée de l’enfant au lycée. Mais le dernier chapitre ne la décrit pas à cet instant précis. Afin de signifier la fin d’une enfance heureuse et insouciante malgré les diver-gences familiales, Natacha est d’abord montrée au cours de ses dernières vacances d’enfant (l. 1 à 15), juste avant le grand saut dans la cour des grands.

� Plaisir et sensualité riment avec enfance

• Le lexique

Les deux champs lexicaux qui dominent la première partie sont ceux de la nature et de la sensualité.

L’auteur a choisi ce souvenir pour opposer les plaisirs d’une enfance encore présente aux contraintes du lycée. Ses derniers jours d’insouciance se passent dans « les verts pâturages » de l’enfance.

Nature Sensualité

l. 1 : roulant dans l’herbe rase et drue

l. 2 : petites fleurs des montagnes

l. 3 : l’Isère, les prairies, les grands arbres

l. 5 : son eau

l. 7 : couler, odeur de bois, troncs de sapins

l. 9, 10 : le courant, les hautes herbes

l. 11 la terre, la mousse, les sèves

l. 14 : le ciel

l. 1 : me roulant dans l’herbe

l. 5 : je trempe mes mains, j’en humecte mon visage, je m’étends sur le dos

l. 7 : je respire, j’écoute,

l. 10 : je colle mon dos…

l. 11, 12 : terre, mousse et toutes les sèves me pénètrent

l. 15 : je me fonds

l. 19 : me stimulent

• Symbolique

Ce fragment se révèle malgré tout plus symbolique que réaliste.

Trois des quatre éléments essentiels y sont présents : la terre, le ciel et l’eau. Élément incontournable de tous les rites de passage dans la plupart des civilisations, l’eau doit permettre à l’enfant de faire le pas vers sa nouvelle vie d’adulte.

Même chose pour la terre, symbole des racines, contre laquelle elle se colle. La terre que l’exilé emporte parfois avec lui ou à laquelle il dit adieu avant un départ définitif, la terre qui rattache si fort au présent. Natacha va quitter quelque chose d’important et elle le pressent. On n’a peut-être pas conscience de cet abandon de l’enfance au moment où il se produit mais la sensation de rupture n’en reste pas moins réelle et parfois physique.

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Et puis, le ciel, celui qui est au-dessus et symbolise l’espoir, la pensée : « Je regarde le ciel comme je ne l’ai jamais regardé » (l. 14).

Nathalie sait que ce sont ses dernières vacances avant l’entrée dans un monde dur : « tu verras, les pre-miers temps risquent d’être difficiles » (l. 23) et elle se raccroche à ses repères connus et rassurants.

� L’affrontement, la lutteCes difficultés annoncées sont sensibles dans les thèmes du chapitre.

• L’opposition domine

– opposition campagne rassurante / ville difficile

– opposition enfant / jeune adulte

– opposition plaisirs / exigences

• La lutte, la peur et la souffrance sont évoquées dans le lexique :

l. 10 : les bras en croix, (position du crucifié) ; l. 18 : douloureuse ; l. 20 : affronter ; l. 23 : exigeants ; l. 24 : difficiles.

Et, pour compléter le décor, le brouillard, le flou avant la nouvelle vie, celui qui transforme le paysage connu en un monde à découvrir, irréel et peut-être menaçant.

� Seule dans l’épreuveComme dans un rite de passage, un rite d’initiation, l’enfant est seule pour affronter cette « nouvelle vie » (l. 21).

Véra, la belle-mère, la place sur les rails. Image symbolique de cette femme qui la lance sur un chemin tracé, celui des études et de sa vie autonome. Elle est d’ailleurs prévenante et emploie la même expres-sion affectueuse que pour Lili, « la petite » (l. 31). Ceci est suffisamment étonnant pour que N. Sarraute le signale avec l’emploi des guillemets. Si elle n’accompagne pas l’enfant, elle la remet au passeur, le contrôleur du tramway. Le verbe aider (l. 29) renforce cette idée de sollicitude de la part de Véra.

Le père, si présent dans le livre et le cœur de Tachok, celui qui l'a aidée à traverser d’autres adversités plus difficiles, n’est pas là. L’initiation, le passage de l’enfance à l’adolescence, doit se faire entre per-sonnes du même sexe.

L’enfant, elle, éprouve ce mélange de crainte et de curiosité, sentiments contradictoires, qui gouvernent toute nouvelle épreuve. Curiosité qui se traduit par l’impatience devant la nouveauté :

l. 20 : « mon impatience » ;

l. 39 : « je me retiens de bondir », « je me tourne d’un côté et de l’autre » ;

l. 41 : « c’est agaçant... plus vite» ;

L’enfant est émerveillée par ce premier trajet au cœur de sa nouvelle liberté. La crainte semble plus le lot de Véra que de Nathalie. Elle l’a ressentie, elle, plus tôt, à la fin de ses dernières vacances, dans les avertissements des adultes.

l. 20 : « ce qui m’attend » ;

l. 22 : « on m’a dit que... » ; phrase introductive à des paroles dérangeantes, blessantes ou mensongères.

l. 22 : « travaille tellement » ; insistance de la part de l’adulte qui donne, involontairement, une image négative du travail.

l. 23 : « exigeants » ;

l. 24 : « les premiers temps... difficiles » ;

I. 24 : « ça te changera de... »

Et pourtant, le jour de la rentrée, au moment de prendre le tramway, l’impatience l’emporte sur la crainte.

Le récit autobiographique proprement dit, c’est-à-dire le premier souvenir, qui commençait sur une interdiction, se termine par Les Chemins de la liberté.10

10 Titre d'une trilogie romanesque de Sartre qui comprend : L'Âge de raison, Le Sursis et La Mort dans l'âme.

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B Fin de roman conventionnelle ? Cet excipit offre des caractéristiques d’une fin de roman conventionnelle.

� La fin Elle se situe tout d’abord par rapport au titre, Enfance. Le récit arrive à la fin de celle-ci et donc à une fin logique du roman. La reprise du dialogue entre les deux narratrices semble continuer la phrase d’ouverture :

Alors, tu vas vraiment faire ça ? (page 7), qui s’oppose à : Rassure-toi, j’ai fini... (l. 44).

De même, après un séjour en Isère, on revient à Paris, là où le récit a commencé. Le style syncopé de l’incipit avec ses points de suspension (qui ont, il est vrai, animé le roman tout entier) et ses questions-réponses sur les motivations de l’auteur, nous replongent dans l’ambiance du début.

� Structure de cette fin de roman • Composition

Quatre paragraphes bien séparés écrits, cette fois, dans une suite chronologique :

– les derniers jours des vacances : l’Isère, dernier bonheur d’enfance

– la dernière soirée : annonce du lycée, de la rentrée, de la lutte : « tu verras » (l. 23)

– le jour de la rentrée : le trajet vers la nouvelle vie « sur les rails ». Le passage de l’enfance vers l’adolescence... en tramway.

– le dialogue de clôture : on referme les tiroirs : « j’ai fini » (l. 44).

Cette composition paraît si classique qu’elle pourrait convenir à une mise en scène cinématographique.

• Style

Les trois premiers paragraphes, qui parlent encore de l’enfance et du changement de vie, sont d’ailleurs écrits dans un style classique où la ponctuation habituelle de l’auteur (par exemple, les points de sus-pension) se fait rare. Dans L’Ère du soupçon, N. Sarraute reconnaît que la conscience du lecteur se fait par une transformation du style : « C’est insensiblement, par un changement de rythme et de forme, qui épouserait en l’accentuant sa propre sensation, que le lecteur reconnaîtrait que l’action est passée du dedans au-dehors ». L’enfant est plus soumise à ses sens qu’à ses réflexions. Le monde extérieur a sur elle plus d'emprise que son monde intérieur. Les points de suspension qui marquent ses hésitations sont donc moins nombreux. Mais les tropismes, eux, déclenchent un souvenir bien linéaire, le dernier avant la « nouvelle vie ».

� Et pourtant...Cet excipit a cependant des aspects de faux dénouement. Le lecteur et la deuxième voix narrative attendaient peut-être plus. « Pourquoi maintenant, tout à coup, quand tu n’as pas craint de venir jusqu’ici ? »

� Refus du commun

C’est une exigence de N. Sarraute , l’écrivain adulte qui a décidé d’écrire cette autobiographie. Même si elle parle de « cartable... de cahiers neufs et de nouveaux livres », nous n’assistons pas à la rentrée dont le souvenir constitue pourtant un des topoï du récit d’enfance. À titre d’exemple, l’excellent film de Diane Kurys, Diabolo menthe, offre une scène analogue (le jour de la rentrée de deux sœurs, dans un lycée parisien), à la fois inoubliable et commune, dans laquelle de nombreux spectateurs se reconnaissent.

Ici, seuls le trajet, la voie, la mise en route vers le lycée et l’adolescence, intéressent l’auteur. La suite se serait trop rapprochée des stéréotypes qu’elle rejetait.

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Page 37: Les enjeux de l'écriture autobiographique

371 Séquence 7-FR10

� Pas de cassure véritable

Pour justifier cet arrêt suspect, la narratrice affirme qu’elle « voudrai[t] aller ailleurs... » (l. 49).

• Argument subjectif

Le « je n’ai plus envie » ne donne qu’une explication vague, semblable au parce que des réponses enfantines. Cet argument n’est ni très sérieux, ni très psychologique, ni très littéraire.

• D’autres projets

Le jeu est fini. Elle avait annoncé dès l’incipit, qu’elle voulait essayer de lever le flou dans lequel bai-gnait son enfance, là « où tout fluctue, se transforme, s’échappe... » (page 8). Or, la suite de sa vie lui apparaît maintenant « comme un énorme espace encombré, bien éclairé... » (l. 52). Son intervention devient désormais inutile ; continuer serait céder à la facilité et offrir du « tout cuit... donné d’avance » (page 9).

• Le doute

Pourtant le doute persiste et la première narratrice est toujours aussi hésitante « je ne sais pas très bien » (l. 48) et « il me semble » (l. 50).

• Argument littéraire

En fait, la crainte principale de l’auteur est purement littéraire et rejoint son souci constant d’intéresser le lecteur en offrant autre chose que du « tout cuit ». C’est la peur de n’être plus suffisamment efficace qui l’anime. La réception est toujours au cœur de son projet littéraire.

« Je ne pourrais plus m’efforcer de faire surgir quelques moments, quelques mouvements qui me semblent encore intacts, assez forts... ». L’évocation des « épaisseurs blanchâtres, molles, ouatées qui se défont, qui disparaissent avec l’enfance » rejoint les limbes (page 9) de l’incipit et ferme le cercle. L’autobiographie est terminée !

Enfance constitue donc une autobiographie inhabituelle. En opposition aux règles de ce sous-genre romanesque, elle illustre la réflexion littéraire de l’auteur. La fin de ce roman est à l’image du texte qui le constitue. Nathalie Sarraute ne dit-elle pas à la ligne 15 qu’elle n’a « pas de limites, pas de fin » comme son récit qui s’achève sur une note de bien-être et d’enthousiasme.

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ynthèses sur Enfance

372 Séquence 7-FR10

A L'espace et le temps dans EnfanceCe qui frappe le plus à la lecture de Enfance est la discontinuité de la structure spatio-temporelle. Deux raisons à cette « anomalie » :

– Cette discontinuité est à mettre en relation avec les va-et-vient incessants de l’enfant entre la France et la Russie jusqu’à l’abandon en 1909.

– Le récit plus émotionnel qu’événementiel suit l’irruption des tropismes plus que la chronologie.

C’est donc un puzzle de l’espace et du temps que le lecteur doit (que vous devez) déchiffrer et reconstituer.

� L’espace Ces va-et-vient se concrétisent par une dualité des lieux. La France et la Russie dominent mais d’autres lieux sont évoqués au cours de voyages et de trajets.

Chaque lieu est associé à un parent, la Russie pour la mère et la France pour le père.

Nous donnerons les lieux suivant leur ordre d’apparition dans le roman.

• Russie : les racines lointaines– Natacha naît à Ivanovo, ville russe qui compte actuellement 400 000 habitants et se situe au NE de Moscou. Elle y reste jusqu’à l’âge de deux ans, date à laquelle les parents se séparent. La ville est évoquée aux pages 41, 43 et 268 en édition Folio , en édition Folio plus classiques p 38, 39 et 239.

– En édition Folio p. 31 : Kamenetz, Podolsk chez l’oncle maternel Gricha, un été. Nathalie a un peu plus de six ans puisqu’elle lit. (Folio plus classiques p 29)

– En édition Folio p. 51 : Moscou avec le père, en hiver (Folio plus classiques p 47)

– En édition Folio p. 55 : Les grands-parents paternels russes (Folio plus classiques p 50)

– En édition Folio p. 77 : La Néva à Pétersbourg avec la mère (Folio plus classiques p 70)

– En édition Folio p. 107 : 1909 en février, la séparation, départ de Russie avec la mère, pour Paris. (Folio plus classiques p 97)

• France : itinéraire d’une petite fille de la bourgeoisie parisienne– En édition Folio p. 19 : à Paris avec sa mère et Kolia, rue Flatters (Folio plus classiques p. 17)

– En édition Folio p. 22 et 23 : le boulevard Port-Royal el les grilles du grand Luxembourg (Folio plus classiques p. 20-21)

– En édition Folio p. 25 : la maternelle, rue des Feuillantines (Folio plus classiques p. 23)

– En édition Folio p. 57 et 66 : le Luxembourg (Folio plus classiques p. 52 et 60)

– En édition Folio p. 64 : la rue Boissonade, avec son père (Folio plus classiques p. 58)

– En édition Folio p. 111 : arrivée à Paris, gare du Nord et rue Marguerin (Folio plus classiques p. 101)

– En édition Folio p. 113 et 138 : quartier du parc Montsouris (Folio plus classiques p. 103 et 124)

– En édition Folio p. 117, 159 , 223 et 258 : Meudon (Folio plus classiques p. 107,142 et 231)

– En édition Folio p. 117 et 268 : Vanves et la petite usine chimique du père (Folio plus classiques p. 107 et 239)

– En édition Folio p. 123 : Paris, rues du Loing, Lumain, Marguerin (Folio plus classiques p. 112)

– En édition Folio p. 133 : le cours Brébant (Folio plus classiques p. 120)

– En édition Folio p. 159 : Clamart (Folio plus classiques p. 142)

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– En édition Folio p. 162 : école communale rue d’Alésia (Folio plus classiques p. 145)

– En édition Folio p. 234 : l’église de Montrouge (Folio plus classiques p. 208)

– En édition Folio p. 256 : Versailles (Folio plus classiques p. 228)

– En édition Folio p. 259 : St-Georges-de-Didonne (Folio plus classiques p. 231)

– En édition Folio p. 272 : Paris, avenue d’Orléans, rue Marguerin (Folio plus classiques p. 242)

– En édition Folio p. 275 : l’Isère (Folio plus classiques p. 245)

– En édition Folio p. 276 : Paris : avenue d’Orléans, rue d’Alésia, tramway Montrouge-Gare de l’est, le lycée Fénelon, le boulevard St-Germain (Folio plus classiques p. 246).

• Autres lieux

– En édition Folio p. 10 et 14 : la Suisse : Interlaken ou Beatenberg ; vacances avec le père seul (Folio plus classiques p. 10 et 13)

– En édition Folio p. 43 : Genève où l’enfant, la mère et Kolia viennent après la séparation des parents (Folio plus classiques p. 40)

– En édition Folio p. 109 : Berlin où la mère remet Natacha à un ami paternel qui doit la conduire à Paris (Folio plus classiques p. 99).

� Le temps

• Le temps de la narration

L’auteur écrit à Paris en 1983. Mais le traitement du temps est assez particulier.

Nous avons vu que, contrairement à la plupart des autobiographies, N. Sarraute emploie souvent le présent pour réactualiser le passé alors que les deux voix narratives parlent au passé (souvent à l’imparfait ou au plus-que-parfait).

Exemple : « Tu connaissais déjà ces mots... Quand je les desserre enfin pour laisser entrer ce morceau... » (Folio p. 14 ; Folio plus classiques p. 13).

– Comme vous l’avez repéré en travail personnel, plusieurs séquences sont construites sur une alternance de temps forts et de temps plus apaisants et plus classiques.

– De même, le récit des souvenirs fait alterner des scènes qui se répètent et les événements ponctuels et uniques.

Exemple : « le jeu du quatuor des écrivains » (Folio p. 70 et 71 ; Folio plus classiques p. 64 et 65) semble fréquent.

En revanche, la scène où Véra fait danser Tachok ne s’est produite qu’une fois.

– Enfin, N. Sarraute , comme dans la plupart de ses écrits, utilise le procédé de la répétition qu’elle justifie par la réminiscence des tropismes.

Répétition de répliques : « Véra est bête » (Folio p. 188 et 191 ; Folio plus classiques p. 168 et 170) ; « Ce n’est pas ta maison » (Folio p. 130 et 131 ; Folio plus classiques p. 118 et 119) ;

ou de scènes : l’écriture ou la maladie.

Répétition, variation, discontinuité pour le temps de la narration qui prend malgré tout appui sur un temps réel, chronologique, qui retrace la vie de l’enfant, dans un décor qui donne quelques indications historiques.

• Le temps historique

La vie de Nathalie

1902 : la séparation à l’âge de deux ans (Folio p. 43 ; Folio plus classiques p.40)

1905 - 1906 : le père est seul (Folio p.10 ; Folio plus classiques p.10)

1906 : la mère est à Paris (Folio p.19 et 57 ; Folio plus classiques p.17 et 52)

1909 : La mère ne reprend pas Tachok, le père l’inscrit au cours Brébant (Folio p.133 ; Folio plus clas-siques p.120)

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1911 : été, visite de la mère (Folio p. 248 ; Folio plus classiques p. 221)

1912 : le lycée Fénelon (date non citée mais connue)

1914 : la mère revient, parle de reprendre l’enfant et s’enfuit à la déclaration de guerre (Folio p. 259 ; Folio plus classiques p. 231)

1983 : l’année de l’écriture de l’autobiographie (incipit ; date non citée mais connue).

Allusions à l’Histoire

– le Tsar (Folio p.78 ; Folio plus classiques p. 70) mot que l’auteur écrit d’ailleurs avec un z

– la police tsariste : l’Okhrana (Folio p. 154, 196, 197 ; Folio plus classiques p. 138,175, 176)

– les persécutions (Folio p. 153, 195, 196 ; Folio plus classiques p. 137, 174, 175)

– la guerre russo-japonaise en Mandchourie (Folio p. 200 et 201 ; Folio plus classiques p. 178, 179), 1904 - 1905

– les exilés11 (que l’on appellera les Russes blancs après 1917, par opposition aux Russes rouges bol-cheviks) (Folio p. 83, 124, 139, 194 ; Folio plus classiques p. 76, 113, 125, 173)

– la Première Guerre mondiale (Folio p. 259 ; Folio plus classiques p. 231).

B Les relations enfant/adultesNous synthétiserons les relations de l’enfant avec ses parents proches, les adultes de sa famille plus éloignés et enfin les autres personnes, que ce soit les amis, les gouvernantes, les bonnes ou les institutrices.

Nous classerons ces relations dans un ordre croissant d’importance et, à l’intérieur de chaque paragra-phe, dans l’ordre d’apparition dans le roman.

� Natacha et les autres

Les bonnes et les gouvernantes

Elles jouent un rôle important dans l’éducation matérielle de l’enfant ou dans son apprentissage des langues étrangères.

– Folio p. 10 : 1906, « la jeune femme était chargée de s’occuper de moi et de m’apprendre l’allemand », en Suisse avec son père. Probablement la même personne qui, page 14, essaie de faire manger l’enfant. (Folio plus classiques p. 13).

– Folio p. 22 : « la bonne... [et ses] cheveux imbibés de vinaigre... très gentille et très simple ». (Folio plus classiques p. 20).

– Folio p. 38 : Lorsqu’elle est malade chez l’oncle Gricha, c’est « une femme de chambre » qui s’occupe d’elle (Folio plus classiques p. 35).

– Folio p. 68 - 70 ; Folio plus classiques p. 62 - 63 : Gacha, qui veille la plupart du temps sur Tachok, qui l’initie au jeu du quatuor des écrivains. Elle est employée par la mère et par Kolia à Pétersbourg. C’est elle qui fait découvrir à Natacha que sa mère est avare (Folio p. 101 ; Folio plus classiques p. 92, 93).

11 Si vous souhaitez connaître d'autres récits sur les exilés russes, vous pouvez lire les œuvres de Nina Berberova. Écrites dans une facture plus classique, elles s'inspi-rent de la biographie de l'auteur née en 1901 à Saint-Pétersbourg et exilée très jeune. Quel ques titres : De cape et de larmes ; Le Mal noir : Le Laquais et la putain ; L'Accompagnatrice.

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On apprend en outre, la présence d’une deuxième bonne. Natacha se sépare de Gacha lors d’un retour en France. Cette séparation est évoquée Folio page 105 ; Folio plus classiques p. 96) .

– Folio p. 143 ; Folio plus classiques p. 128 : Une autre employée, « la gentille grosse bonne », qui lui révèle les injustices de Véra à son égard et les privilèges réservés à Lili. Même révélation avec la jeune nurse anglaise, Miss Philips, qui, vingt ans plus tard, avouera à Nathalie que sa belle-mère lui donnait des cauchemars (Folio p. 261 ; Folio plus classiques p. 233).

– Folio p. 159, 185 : Adèle qui revient à plusieurs reprises dans le récit : en vacances à Meudon ou lorsqu’elle emmène Natacha à l’église de Montrouge. (Folio plus classiques p. 142, 165).

Les institutrices et l’école

– Folio p. 25 ; Folio plus classiques p. 23 : l’école maternelle, rue des Feuillantines ; peu de souvenirs.

– Folio p. 71 ; Folio plus classiques p. 65 : une allusion à une salle de classe en Russie.

– Folio p. 133 ; Folio plus classiques p. 120 : en 1909, depuis février avec son père ; inscrite au cours Brébant, en attendant un retour hypothétique en Russie.

– Folio p. 162 ; Folio plus classiques p. 145 : sur les conseils des amis de son père, la fillette ira à l’école communale, rue d’Alésia.

Ce qui domine dans le souvenir des écoles reste la grisaille, la tristesse (Folio p. 165 ; Folio plus classiques p. 148). C’est pourtant un lieu où elle se sent protégée des attaques affectives de ses « deux mamans ». Cette école qu’elle recrée dans ses jeux (Folio p. 220 ; Folio plus classiques p. 196). C’est là encore qu’elle éprouve la satisfaction du travail bien fait : la rédaction (Folio p. 207 ; Folio plus classiques p. 184) et la récitation (Folio p. 180 ; Folio plus classiques p. 160). Et puis, Mme Bernard, consciente de la solitude affective de l’enfant sans mère et qui l’invite chez elle, Mme Bernard avec « sa tendre et délicate compassion » (Folio p. 240 ; Folio plus classiques p. 213), Mme Bernard qui fera découvrir à Natacha ses premières émotions face à l’histoire et son amour pour Bonaparte.

Les amis

Peu d’amis propres à l’enfant, si ce n’est Lucienne Panhard et ses parents. En revanche, elle apprécie la présence des « grandes personnes » (Folio p. 61 ; Folio plus classiques p. 55) et surtout celle des amis exilés (Folio p. 61 ou 194 ; Folio plus classiques p. 55 ou p. 173) de sa mère (Folio p. 83, Korolenko ; Folio plus classiques p. 76) ou de son père, les plus nombreux : (Folio p. 124 ; Folio plus classiques p. 113) , Mme Péréverzev ; M. Agafonoff ; (Folio p. 138; Folio plus classiques p. 124) , M. Laran, ceux qui passent des soirées chez eux (Folio p. 194 ; Folio plus classiques p. 173) et qui l’aident parfois à résoudre ses problèmes de mathématiques (Folio p. 171 ; Folio plus classiques p. 153).

Les membres de la famille

– Les oncles

• Folio p. 31 ; Folio plus classiques p. 29 : Oncle Gricha Chatounovski, frère de sa mère, avec femme et enfants.

• Folio p. 153 ; Folio plus classiques p. 137 : Oncle Iacha, frère de son père, probablement exécuté pour ses opinions politiques (Folio p. 154 ; Folio plus classiques p. 138).

– Les grands-parents• Folio p. 55 ; Folio plus classiques p. 50 : paternels : « unique séjour auprès de mes grands-parents ».

• Folio p. 226 et suivantes ; Folio plus classiques p. 201: La mère de Véra en visite à Paris que Nathalie appelle grand-mère, très proche de l’enfant, qui lui apporte jeux, savoir, complicité et tendresse.

• Folio p. 212 ; Folio plus classiques p. 188 : Les grands-parents fictifs, apaisants que l’écolière invente dans la rédaction « Mon premier chagrin ».

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– Kolia

L’historien (Folio p. 105 ; Folio plus classiques p. 99) qui « enlève » sa mère en 1902 (Folio p. 43 ; Folio plus classiques p. 40), qui s’interpose entre sa mère et elle, qui fait malgré tout partie de sa famille, dont elle parle peu mais toujours en termes positifs. Il incarne pour elle la douceur et la bonté (Folio p. 73 et 106 ; Folio plus classiques p. 67 et 96).

� Natacha et Véra, « l’autre maman »

Étranges relations entre la fillette imposée et sa belle-mère qui la subit.

– jolie et gaie (Folio p. 149 ; Folio plus classiques p. 133) puis amaigrie (Folio p. 117 et 148 ; Folio plus classiques p. 107 et 132)

– enceinte (Folio p. 117 ; Folio plus classiques p.107) et mère possessive (Folio p. 143 ; Folio plus classi-ques p. 128), injuste, qui préfère son enfant (Folio p. 143 et 261; Folio plus classiques p.128 et 233) ; épisodes des bananes et des cours d’anglais

– violente dans ses mots tiebia podbrossili (Folio p. 182 ; Folio plus classiques p. 162) ou « ce n’est pas ta maison » (Folio p. 130 ; Folio plus classiques p.118)

– qui éduque (Folio p. 187 ; Folio plus classiques p. 167) et gronde l’enfant lors du vol des dragées (Folio p. 155 ; Folio plus classiques p.139)

– sévère ou méchante selon Miss Philips (Folio p. 264 ; Folio plus classiques p. 235), « d’autres enfants » (Folio p. 191 ; Folio plus classiques p. 171) ou Mme Bernard (Folio p. 241 ; Folio plus classiques p. 214) et capable de fureur (Folio p. 145 ; Folio plus classiques p. 130)

mais

– prête à se laisser appeler Maman (Folio p. 218 ; Folio plus classiques p. 194), acceptant les accusations à distance de la mère qui lui impose cette fillette

– qui lui apprend à monter en vélo (Folio p. 149 ; Folio plus classiques p. 133)

– qui l’aide à préparer ses affaires de classe (Folio p. 163 ; Folio plus classiques p. 146) ou l’accompagne vers sa nouvelle vie (Folio p. 276 ; Folio plus classiques p. 246)

– Véra parfois étonnée par cette enfant singulière (Folio p. 164 ; Folio plus classiques p. 146, 147) et presque affectueuse par moments (Folio p. 247 ; Folio plus classiques p. 220)

– Véra, enfin, pouvant être faible et malheureuse (Folio p. 202 ; Folio plus classiques p. 180).

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Page 43: Les enjeux de l'écriture autobiographique

377 Séquence 7-FR10

� Natacha et sa mère

Il s’agit là des relations les plus difficiles à définir tant l’attitude de la mère est différente de celle que l’on a coutume de rencontrer. Relations entre une mère, très belle (Folio p. 91 ; Folio plus classiques p. 84) que les sentiments maternels ne semblent pas étouffer et une enfant qui vénère cette éternelle absente, qui ne sait pas communiquer avec elle et souffrira de ces séparations (Folio p. 114, 121, 126 ;Folio plus classiques p. 104, 110, 114). Cette mère qui, dans le roman, n’appelle jamais l’enfant par son prénom ;

– mère qui abandonne son enfant à plusieurs reprises (Folio à la page 248 ; Folio plus classiques p. 221), l’écrivain avouera qu’elle était restée plus de deux ans sans la voir, revient, la reprend (Folio p. 172 et 259 ; Folio plus classiques p. 154 et 231) et l’abandonne à nouveau (Folio p. 108 ; Folio plus classiques p. 98) devant la peur d’être bloquée en France à la proclamation de la guerre en 1914 (Folio p. 259 ; Folio plus classiques p. 231) ;

– une mère méprisée par son ex-mari (Folio p. 127 ; Folio plus classiques p. 115), une mère omniprésente dans l’esprit de l’enfant. Présente lorsqu’elle est absente (Folio p.17 ; Folio plus classiques p. 16), elle est absente en présence de sa fille (Folio p. 252 ; Folio plus classiques p. 224) ;

– pour Natacha (même si elle vit à deux reprises avec elle en France, Folio p. 68 ; Folio plus classiques p. 62), elle reste attachée à une Russie idéalisée un peu féerique, avec sa neige, son palais de glace, ses oncles, tantes et cousins familiers (Folio p. 41 et suivantes ; Folio plus classiques p. 38 et suivantes) ;

– sa mère sera d’ailleurs caractérisée par la lumière, la légèreté mais aussi par l’insouciance et la trahison (Folio p. 17 ; Folio plus classiques p. 16) ;

– elle ne sait répondre aux questions de sa fille que par le mensonge, contrairement au père qui lui offrira toujours la vérité. Relire les scènes du poteau électrique (Folio p. 27 ; Folio plus classiques p. 25) et de la poussière qui engendre les enfants (Folio p. 29 ; Folio plus classiques p. 27) ;

– elle ne peut davantage soigner son enfant ou même, la rassurer dans l’épreuve. Elle ne communique que par le mensonge que ce soit lors des « abandons » successifs ou lors de l’ablation des amygdales (Folio p. 26 ; Folio plus classiques p. 24) ;

– de même, la gêne affective est plus fréquente que la tendresse : Folio p. 74 ; Folio plus classiques p. 67, scène avec Kolia ; Folio p. 251 ; Folio plus classiques p. 223, elle est déçue par le physique de sa fille (Folio p. 251 ; Folio plus classiques p. 223), elle ne sait plus que lui dire ;

– une mère avare (Folio p. 101 ; Folio plus classiques p. 91), autoritaire, qui continue à contrôler de loin l’éducation d’une fille qui la gêne (Folio p. 172 et 218 ; Folio plus classiques p. 154 et 194) et qui juge celle qui élève son enfant (Folio p. 188 ; Folio plus classiques p. 168) ;

– une mère parfois cruelle pour qui sa fille devient une petite vieille à la tête bourrée (Folio p. 251 ; Folio plus classiques p. 224) ou qui rappelle à l’enfant qu’elle va l’abandonner alors que celle-ci joue avec innocence (Folio p. 110 ; Folio plus classiques p. 100).

Agacement, incompréhension, gêne, rendent cette mère inaccessible et Nathalie sera charmée, au sens magique du terme (Folio p. 126 ; Folio plus classiques p. 114). Elle la trouve belle (Folio p. 91 ; Folio plus classiques p. 84), parfumée délicieusement et à la peau douce (Folio p. 40 et 251 ; Folio plus classiques p. 37 et 223). Pourtant, parfois, elle la jugera négativement : moins belle que la poupée (Folio p. 95 ; Folio plus classiques p. 87) ou à « la peau de singe » (Folio p. 99 ; Folio plus classiques p. 90) et surtout, indifférente (Folio p. 126 et 251 ; Folio plus classiques p. 114 et 223).

La mère reste en elle par ses paroles et, en ce sens, elle est principalement associée au pouvoir des mots. Écrivain, elle est entourée de nombreux livres (Folio p. 81 ; Folio plus classiques p. 74) et transmet inconsciemment son goût à l’enfant. Les mots de la mère gardent donc un pouvoir très fort sur la vie de l’enfant, un peu comme un lien qui se jouerait de la distance :

– les paroles qui restent à propos de la nourriture (Folio p. 17 ; Folio plus classiques p. 15)

– les mots écrits dans les lettres qui parlent d’amour et de séparations (Folio p. 121 ; Folio plus clas-siques p. 110)

– les mots qui réprouvent (Folio p. 95 et 110 ; Folio plus classiques p. 87 et 100)

– les mots qui trahissent, dans la lettre où la mère reproche au père et à Véra de ne pas s’occuper de l’enfant correctement (Folio p. 115 ; Folio plus classiques p. 105)

Natacha acquiert d’ailleurs son indépendance affective vis-à-vis d’elle au fur et à mesure qu’elle prend de l’assurance avec les mots.

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� Natacha et son pèreLa personne qui exerça la plus grande influence sur la formation et l’enfance de la fillette est, sans aucun doute, son père : « Mon père seul reste présent partout ». Il assurera à lui seul les rôles maternel et paternel, essayant de combler la légèreté et l’absence de la mère qui l’a abandonnée après leur sépa-ration (Folio p. 41 et 43 ; Folio plus classiques p. 38 et 41). Associé à Paris et à la grisaille, en opposition à la mère, il est toujours montré dans un univers réaliste.

Formation – Le confort matériel

- les vacances en Suisse ou à Meudon (Folio p. 10, 14, 117, 123 ; Folio plus classiques p. 10, 13, 107, 112) - les promenades (Folio p. 7, 57, 149 ; Folio plus classiques p. 7, 52, 133)- l’école (Folio p. 133,162 ; Folio plus classiques p. 120, 145)- les cadeaux : la poupée (Folio p. 48 ; Folio plus classiques p. 44)

– Honnêteté envers sa fille : (Folio p. 46 ; Folio plus classiques p. 40) la confiture et le calomel ou la trahison et le réconfort (Folio p. 115, 116 ; Folio plus classiques p. 105, 106)

– Règles sociales et morales : (Folio p. 157 ; Folio plus classiques p. 141), les dragées ; l’absence de méfiance envers ses amis et les éventuels espions (Folio p. 197 ; Folio plus classiques p. 175)

– Respect de l’autre : (Folio p. 269 ; Folio plus classiques p. 240) M. et Mme Florimond

– Culture et savoir :- l’aide aux études et une écoute inconditionnelle (Folio p. 215 ; Folio plus classiques p. 191)- les jours de la semaine (Folio p. 44 ; Folio plus classiques p. 40)- les lectures : Rocambole (Folio p. 265 ; Folio plus classiques p. 236)

– Sens des responsabilités : n’hésite pas à s’exiler pour protéger son frère (Folio p. 154 ; Folio plus classiques p. 138)

Sentiments – Amour et attentions

- Folio p. 45 ; Folio plus classiques p. 42 : donne à manger à Tachok.

- Folio p. 46 ; Folio plus classiques p. 43 : le monticule de neige pour ses jeux d’hiver.

- Folio p. 47 ; Folio plus classiques p. 44 : calme la peur : colle la page terrifiante et accepte l’enfant après la vision cauchemardesque du film Fantômas (Folio p. 245 ; Folio plus classiques p. 218).

- Folio p. 52 ; Folio plus classiques p. 48 : chante pour l’endormir.

- Folio p. 223 ; Folio plus classiques p. 198 : reste au chevet de la fillette malade.

– Connivence

- Folio p. 44 ; Folio plus classiques p. 41 : joue avec Natacha en faisant « mine de se fâcher » quand elle vient le caresser.

- Folio p. 45 ; Folio plus classiques p. 42 : s’amuse avec elle lors de la prononciation du [r] français.

- Folio p. 48 ; Folio plus classiques p. 45 : lui offre la poupée qu’elle convoitait : « j’embrasse très fort papa ».

- Folio p. 146 ; Folio plus classiques p. 131 : la protège contre Véra de façon plus ou moins implicite.

- Folio p. 149 ; Folio plus classiques p. 133 : tendresse de l’enfant devant la maladresse de son père en vélo.

- Folio p. 215 ; Folio plus classiques p. 191 : aide aux études.

– Pudeur

- Folio p. 44 ; Folio plus classiques p. 41 : caresse l’enfant discrètement sans montrer ses sentiments.

- Folio p. 58 ; Folio plus classiques p. 53 : a des difficultés à avouer son amour.

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Page 45: Les enjeux de l'écriture autobiographique

379 Séquence 7-FR10

- Folio p. 118 ; Folio plus classiques p. 108 : ne montre pas sa douleur lorsque sa femme et lui perdent leur premier enfant ; donnera son prénom à sa troisième fille : Hélène dite Lili.

- Folio p. 127 ; Folio plus classiques p. 108 : le mépris pour sa femme qui l’a abandonné et dont il ne parlera jamais à Natacha (mais qu’elle ressent malgré tout).

- Folio p. 215 - 216 ; Folio plus classiques p. 191 - 192 : l’admiration pour sa fille. Nathalie admire son père plus que tout autre personne (Vanves, Folio p. 50, Folio plus classiques p. 46 ou Moscou, Folio p. 51, Folio plus classiques p. 47).

Il incarne pour elle la fidélité et la sécurité tant matérielle qu’affective. Il est à l’origine de la forte personnalité de l’enfant.

C Les lectures de Natacha

Page 31 : La Bibliothèque rose : édition pour jeunes enfants ; les plus âgés pouvaient ensuite lire les ouvrages édités dans La Bibliothèque verte. Des éditions incontournables, avec celle du Livre rouge et or, réservées aux jeunes lecteurs avant la floraison des publications nouvelles dans les années soixante et soixante-dix.

(Folio p. 38 ; Folio plus classiques p. 35) : La Case de l'oncle Tom, Stowe Harriet Beecher

(Folio p. 47 ; Folio plus classiques p. 44) : Max et Moritz, Bande dessinée (voir note 3, page 279).

(Folio p. 66 ; Folio plus classiques p. 60) : Contes, Andersen

(Folio p. 71 ; Folio plus classiques p. 64) : voir le jeu du quatuor des écrivains qui cite d'autres œuvres littéraires

(Folio p. 79 ; Folio plus classiques p. 71-72) : Le Prince et le pauvre, Mark Twain

David Copperfield, Dickens

Sans famille, Hector Malot

(Folio p. 81 ; Folio plus classiques p. 74) : La bibliothèque de la mère et de Kolia

(Folio p. 115 ; Folio plus classiques p. 105) : Un livre de Mayne Reid

(Folio p. 214 ; Folio plus classiques p. 190) : Œuvres de Balzac, Boylesve, Theuriet, Loti (voir note 12, page 280)

(Folio p. 227 ; Folio plus classiques p. 202) : Le Malade imaginaire, Molière

Le Révizor, Gogol

(Folio p. 265 ; Folio plus classiques p. 236) : Rocambole, Ponson du Terrail (voir page 327).

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Page 46: Les enjeux de l'écriture autobiographique

extes complémentaires

380 Séquence 7-FR10

Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, 1765 à 1770

Texte C1 : Incipit des Confessions de Jean-Jacques Rousseau

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Page 47: Les enjeux de l'écriture autobiographique

381 Séquence 7-FR10

Jean-Paul Sartre, Les Mots, 1964

Texte C2 : Incipit des Mots de Jean-Paul Sartre

L'autobiographie de Jean-Paul Sartre se compose de deux parties, respectivement intitulées « Lire » et « Écrire ». Dans la première, il s'attache à analyser la naissance de son amour pour la lecture.

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Sauf autorisation, tout utilisation de celui-autre que la consultation individuelle et privée est interdite ».

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Page 48: Les enjeux de l'écriture autobiographique

382 Séquence 7-FR10

Texte C3 : Le pacte autobiographique, P. Lejeune, extrait 1

Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique. © Éditions du Seuil, 1975, coll. Points Essais, 1996.

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Page 49: Les enjeux de l'écriture autobiographique

383 Séquence 7-FR10

Texte C4 : Le récit de vie : extrait de L’œil du lapin de F. Cavanna

Dans ce récit centré sur le « roman familial », où l'amour filial transparaît à chaque page, François Cavanna, fils d'immigrés italiens (voir Les Ritals, du même auteur), évoque une enfance « merveilleuse », comme il le note dans sa préface.

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Page 50: Les enjeux de l'écriture autobiographique

384 Séquence 7-FR10

François Cavanna, L'Œil du la pin, 1987

© François CAVANNA.

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Page 51: Les enjeux de l'écriture autobiographique

385 Séquence 7-FR10

Texte C5 : Le roman d'inspiration autobiographique : extrait deLes rebelles de J.-P. Chabrol

L'auteur a changé son nom et le nom des lieux, mais ils restent facilement reconnaissables.

Jean-Pierre Chabrol, Les Re bel les, 1965

© Éditions PLON.

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Page 52: Les enjeux de l'écriture autobiographique

386 Séquence 7-FR10

Texte C6 : Le pacte autobiographique, P. Lejeune, extrait 2

Philippe Lejeune, Le Pacte autobiographique, 1975

© Éditions du Seuil, 1975, coll. Points Essais, 1996.

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