Le Visage Des Jours

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  • 8/14/2019 Le Visage Des Jours

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    ANTOINEGIACOMETTI

    Le Visagedes Jours

    POMES

    PREFACE de LORENZIDEBRADI

    JOUVEft Cie, EDITEURS

    15, RUE RACINE 15 PARIS-VIE1921

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    CORSE

    Prtresse nue et grave auprs des autels bleus,

    O Corse, ta douleur baigne la mer clmente :

    Dans le temple oubli que le Pass cimenteJ'ai regard longtemps mourir tes anciens dieux.

    Mais qu'importe. Vers l'ombre et la cit dmente

    Laisse aller l'infidle et s'enfuir l'oublieux,

    Et garde au plerin qu'inspire un cur pieux

    Ton beau corps attirant comme une chair d'amante.

    Pour ceux qui, ddaignant la pleur des cieux morts

    Dans ton urne d'amour savent boire pleins bords,

    Rpands en souriant tes multiples haleines,

    Car ils portent en eux ton visage vivant

    O j'aime voir s'unir dans un accord fervent

    Aux pleurs des lys chrtiens l'odeur des fleurs paennes

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    L'attaque

    La rumeur s'attnue. Au flanc du ciel livide

    L'orbe du soleil pourpre est comme un trou sanglant.

    Sur les champs dvasts le soir tombe, indolent.

    D'acres senteurs de mort baignent l'horizon vide.

    Pareil aux fils gants de la toile de ferQu'une araigne immense aurait jadis tisse,

    Sur la plaine talant sa face convulse

    Un tronon de rseau tend sa trame dans l'air.

    Et derrire, courant, sournoises, dans les ombres

    Qui tombent peu peu du calme firmament,Les lignes en lacis dardent obscurment

    Vers l'ennemi terr leurs tentacules sombres.

    Des corps gisent, pars de-ci de-l.

    La mort Pour de longues clameurs muettes, tord leur bouches.L'lan vertigineux des fixits farouches

    Les emporte jamais d'un immobile essor.

    Nul bruit. Un calme bleu suit le tumulte fauve.

    Sur les prs et les bois roule et s'tend la nuit.

    Le ciel silencieux s'offre comme une alcve.

    La nuit s'tend et roule et s'allonge...

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    Nul bruit. La nuit vient. Sa main douce avec mystre panse

    La blessure du ciel o trane un lourd pavot.

    Son geste semeur d'ombre entremle en silenceLes vivants et les morts sous un mme caveau.

    La nuit vient. Elle est belle. Elle est bonne. Elle verse

    Aux curs dsempars sa paix et son oubli,

    Ses murmures lointains comme un songe pli,

    Ses larmes et ses fleurs comme une blonde averse.

    Et pourtant, cette sur des mes plores

    Ce temple merveilleux, ce divin reposoir

    O vont s'panouir les prires sacres

    Reflte la douleur comme un profond miroir.

    Je regarde. Elle sut, sous ses voiles mystiques

    Dissimuler l'aspect des modernes horreurs,

    Mais elle offre mes yeux pleins d'tranges terreurs

    L'esprit qui prsidait aux carnages antiques.

    Car, sur un pin dard vers l'astre sans halo,

    Unique et droit, jailli du sol crev qui tremble,

    La lune grimaante est immobile, et semble

    Une tte blafarde au bout d'un javelot.

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    VISION

    J'ai fait Ce rve doux mes yeux entr'ouverts :

    Une humanit simple, et bonne, et confiante.L'homme tait homme, et non plus loup. Vivifiante

    Une vague d'amour passait sur l'univers.

    Il n'tait qu'un seul rythme nos ivresses neuves.

    Je sentais comme tous. Tous sentaient comme moi.

    Vers un centre commun, sans hte et sans effroiNos dsirs et nos jours coulaient comme des fleuves.

    L'tre aimait, s'exprimait, parlait en vrit.

    Les champs chargs d'pis gonflaient leur gorge blonde,

    La grande paix de l'homme, parse sur le monde

    Attestait doucement sa bonne volont.

    Je ne savais plus rien des clameurs du carnage.

    Ma vision s'amplifiait ; j'tais heureux.

    Ainsi, sans souponner le flot tumultueux

    Le vaisseau suit sa route, et progresse, et surnage...

    Quelle angoisse, soudain mit en moi ce frisson

    Lucide ? Mes regards dans l'ombre se levrent,

    Et mon me et la nuit tout coup s'clairrent

    D'un brasier de toits noirs flambant l'horizon.

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    PETIT POSTE

    Un un, ils se sont fondus dans les tnbres,

    Ils sont partis, l'il aux aguets, le cou tendu,

    Figs chaque bruit parmi l'ombre entendu,

    Courbs en deux. Le bois a des accords funbres.

    Dans le trou noir, que glace un vague clapotis,

    Ils sont entrs, le doigt sur la gchette prompte.

    Tout va bien. Au lointain nulle clameur ne monte.

    Sous leurs pieds parfois grince un vieux caillebotis.

    Devant eux, c'est la nuit sournoise, gueule immenseQui s'ouvre, trange ainsi qu'un muet billement.

    C'est la plaine o, sans bruit, le chacal allemand

    Rde peut-tre, et rampe et s'approche en silence.

    C'est le lacis trompeur des rseaux ennemis,

    C'est le ddale obscur d'o jaillira la flamme,La tratrise prvue et brusque, en son infme

    Dessein, l'affreux rveil des chos endormis.

    C'est le craquement bref de l'herbe avertisseuse,

    Le mtallique appel des fils de fer tnu s,

    C'est un pas obsdant de spectres inconnus

    Qu'on coute, en fouillant des yeux l'ombre hideuse,

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