Le travail pénible, Pléonasme ou Oxymore€¦ · de 1 % des rémunérations brutes soumises à...

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Ouriel Levy Master 2 de Psychologie sociale, du Travail et Ressources Humaines Année 2012-2013 Sous la direction du professeur Lionel Dagot Le travail pénible, Pléonasme ou Oxymore ? Le cas d’un diagnostic dans la grande distribution

Transcript of Le travail pénible, Pléonasme ou Oxymore€¦ · de 1 % des rémunérations brutes soumises à...

Ouriel Levy

Master 2 de Psychologie sociale, du Travail et Ressources Humaines

Année 2012-2013

Sous la direction du professeur Lionel Dagot

Le travail pénible, Pléonasme ou Oxymore ?

Le cas d’un diagnostic dans la grande distribution

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Remerciements

Je tiens à remercier particulièrement Mme Baulu, Directrice des Ressources Humaines du

groupe Hypercoop, pour m’avoir accordé toute sa confiance au cours d’une mission qui

demandait une prise de distance considérable. Son approche du management m’a invité à

développer une autonomie et une prise de position qui m’ont été d’une grande utilité.

J’exprime également toute ma reconnaissance à Mr Lorentz et Mr Pédard qui ont su

investir le groupe pilote d’un dialogue sain et constructif.

Si j’ai pu trouver place rapidement au sein du service RH d’Hypercoop, c’est pour

l’accueil chaleureux et l’aide que m’ont octroyé ses membres. Raison pour laquelle je

remercie Sonia, Caroline, Clothilde, Nadine, Bruno et bien évidemment ceux que je

m’apprête à oublier !

Outre l’accompagnement de Lionel Dagot, directeur de stage, c’est de m’avoir

désillusionné sur un horizon quelque peu idéaliste vers lequel mon désir cheminait dont je

lui suis le plus reconnaissant.

Enfin, un projet conséquent se réalise toujours aux dépens de ses proches. Je remercie, ma

chère et tendre épouse, pour l’avoir compris.

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Sommaire

Remerciements .................................................................................................................. 2

Introduction ...................................................................................................................... 6

Chapitre 1 : Le contexte de la demande ............................................................................... 8

1- Contexte historique de la demande ......................................................................... 9

2- La demande.......................................................................................................... 11

3- Les objectifs ......................................................................................................... 12

Chapitre 2 : Eléments théorique ........................................................................................ 15

I- Une démarche participative ............................................................................. 16

1- Quand le désir se loge au creux de la Loi ............................................................... 16

2- De la différence entre le salariat et le travail indépendant ..................................... 19

3- Engagement et participation ................................................................................ 22

3.1 La théorie de l’engagement .............................................................................. 23

3.2 La démarche participative.…………………………………………………………24

II- La pénibilité du travail : une souffrance nécessaire et sublimée ......................... 25

1- Le pénible pour cause d’une nécessité économique ................................................ 25

2- La souffrance, révélatrice du sujet ........................................................................ 28

Chapitre 3 : Diagnostic pénibilité ...................................................................................... 30

I- Le pré-diagnostic ............................................................................................. 32

1- Les indicateurs RH ..................................................................................................... 33 1.1 Le découpage des unités de travail et le calcul d’effectif……….………………33 1.2 Le taux d’absentéisme……………………………………………………….......35 1.3 Les accidents du travail et maladies professionnelles…………………………..36 1.4 Le taux de rotation………………………………………………………………36

2- La passation d’entretiens ............................................................................................ 37 2.1 Méthode…………………………………….……………………………….…....37 Population………………………………………………………………………..37

Matériel………..……………………………………………………………………38

Procédure……………………………………………………………………………..39

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2.2 Résultats………………………………………………………………………….40 Définition de la pénibilité………………………………………………………….40

Satisfaction générale…………………………………………………………………40

Analyse thématique………………………………………………………………….42

2.3 Synthèse du pré-diagnostic………………………………………………………51 II- Diagnostic………………………………………………………………………...55

2.1 Définition des seuils……………………………………………………………56

2.2 L’observation terrain…………………………………………………………..57

2.3 Diagnostic final………………………………………………………………...59

Chapitre 4 : Discussion……………………………………………………………………...63

Références bibliographiques………………………………………………………………..66

Annexes……………………………………………………………………………………..67

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Celui qui veut agir rationnellement

doit se préparer à travailler. Il doit

aussi être capable d’endurer la souffrance, car, pour agir, il faut

aussi être en mesure de supporter la

passion et d’éprouver la compassion, qui sont à la source même de la

faculté de penser ou, comme le disait

Hannah Arendt, de « la vie de

l’esprit ».

Christophe Dejours

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Introduction

Et si le travail physique n’était plus pénible, qu’adviendrait-il de l’homme ? Il

en serait probablement mort de faim. De tout temps, l’homme dû peiner pour manger,

pourquoi alors la loi impose t- elle à l’employeur de la réduire autant que faire se peut ? Et

pourquoi s’immiscer dans ce rapport que l’homme entretien avec son propre corps ?

L’audit sur la pénibilité au travail que j’eus l’occasion de mener au sein du groupe

Hypercoop-E. Leclerc du 2 mai au 14 août 2013, m’ouvrit à ces questions pour une raison

bien précise. La demande exprimée, qui motiva d’entreprendre ce diagnostic, ne vint pas

de la part d’une Organisation souffrante souhaitant sortir de son mal-être mais d’une

Organisation simplement enjointe par la loi à se poser la question des conditions de travail

physique de ses employés. C’est donc par le biais d’une demande expressément juridique

que je dus investir la démarche m’imposant ainsi à interroger et à interpréter le texte de

loi. Il a fallut non seulement comprendre les enjeux de la loi portant sur la pénibilité

physique mais aussi d’en comprendre sa légitimité. C’est alors que j’ai pu – du moins, je

l’ai essayé - replacer le travail physique de l’homme au sein de l’Organisation et, de

manière plus générale, au sein de la cité.

Avec l’aide d’un groupe pilote, garant de l’engagement de cette démarche, j’ai pu mener le

projet jusqu’à son terme. Au décours d’entretiens individuels où les salariés ont pu

exprimer leurs conditions, un pré-diagnostic a pu être établi identifiant les facteurs de

risque en jeu ainsi que les unités de travail concernées. Enfin, un diagnostic final a été

élaboré par le biais d’analyses de postes et d’observations terrain.

Est donc présenté dans une première partie la particularité évoquée du contexte de la

demande. Une seconde partie se permet quelques détours théoriques nécessaires à la

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compréhension de cette demande et à l’élaboration de la démarche méthodologique. La

partie suivante présente le déroulement de la démarche ainsi que le diagnostic pour

déboucher ensuite sur la dernière partie où nous discutons des résultats et de la

méthodologie employée.

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Chapitre 1 :

Le contexte

de la

demande

9

1- Contexte historique du groupe

La COOP, l’Union des Coopérateurs d’Alsace, est une coopérative de distribution fondée

en 1902. L’Organisation a été fondée par une poignée d’ouvriers alsaciens qui ont su

participer au développement de l’Alsace : le vivier économique qu’elle proposa tout au

long du siècle dernier et sa forte culture d’entreprise ont fondé les esprits de la région. On

parle depuis des « enfants de la COOP » clamant indirectement la mère-patrie avec tout

ce que peut signifier la structure d’une famille traditionnelle : sens de la hiérarchie,

transmission de valeurs, relation transférentielle. L’imaginaire du groupe se développe

autour d’un paternalisme exacerbé traduit par un système hiérarchique traditionnel bien

calibré - ce qui, en réalité, s’articule bien avec la représentation d’une fraternité que peut

laisser entendre le statut d’une coopérative puisque pour envisager que tous les membres

d’un groupe soient égaux, la Loi se doit d’être saillante et dûment respectée afin d’en

assurer la fonction d’unification. Un corollaire à cette vision du management est la

centralisation des fonctions administratives au sein du seul siège social ; la société

comptera dans les années 2000 près de 5000 employés qui seront gérés depuis le siège. Un

directeur de magasin ne connaîtra pas les conditions de rémunération de ses employés

mais devra pour toute question se référer au siège. Quoi qu’il en soit, c’est autour du

respect des lois que se développe la COOP au gré des désastres qu’a connu le siècle dernier ;

elle poursuit son expansion malgré la Seconde Guerre Mondiale. La mondialisation des

marchés tarde à franchir les barrières alsaciennes puisque jusqu’à la fin du siècle dernier, la

COOP reste le premier distributeur en tête malgré ses modes de management traditionnel.

Mais elle y arrivera ! Depuis le début des années 2000, la coopérative bat de l’aile avec une

situation financière qui a du mal à se stabiliser. Le capital est alors investi par l’extérieur

pour tenter de résorber les difficultés. La mondialisation réussira à franchir les barrières de

la coopérative alsacienne mais pas sans l’aide de quelques entraves de la part de certains

dirigeants. Le parquet de justice de Strasbourg est saisi au motif d’un détournement

d’argent. L’affaire prend de l’ampleur, les postes de directions papillonnent, les caisses ne

cessent de se vider en cumulant les dettes laissant ainsi le moral des troupes au plus mal.

Les licenciements tombent à la pelle et les départs volontaires accroissent.

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Dans ce contexte désastreux où l’incertitude des salariés bat son plein, le groupe E. Leclerc

entre en scène. Il détenait déjà depuis quelques années une part du capital mais devient,

en septembre 2012, l’actionnaire majoritaire. Une partie du royaume, baptisé Hypercoop,

comportant 6 Hypermarchés, 22 Leclerc Express et un Drive, deviendra donc la propriété

de ce groupe ; les quelque 141 magasins de proximité resteront sous l’enseigne COOP. Le

groupe Hypercoop compte en 2013 près de 1800 salariés.

L’ère Leclerc implique un nouveau mode de management qui se veut plus « moderne » ou,

autrement dit, répondant aux exigences du marché. Dès lors, une nouvelle direction est

placée s’attelant à restructurer le groupe pour faire face aux nouveaux objectifs, bien

qu’Hypercoop ne soit, au jour d’aujourd’hui, pas encore tiré d’affaire.

Pour ce qui est du domaine des RH, la Directrice des Ressources Humaines, Mme Baulu,

en poste depuis 10 mois, a opéré une décentralisation du service depuis le siège vers les

différents hypermarchés. Cette opération importante est une illustration de la nouvelle

restructuration et comporte certains avantages comme un travail sur le terrain permettant

une meilleure visibilité des modes opératoires et des fonctionnements généraux, une

proximité au moins plus certaine sinon existante de la direction, une responsabilisation des

employés RH qui ont à charge dorénavant la bonne conduite RH d’un site ce qui implique

la maitrise de nouvelles procédures et l’acquisition de nouvelles compétences. Les

Siège

+

22 Leclerc Express

Hypercoop

Hyper Marmoutier Hyper Soufflenheim Hyper Schiltigheim Hyper Obernai Hyper Geispolsheim + Drive Hyper Colmar

11

employés sont donc formés à une pluridisciplinarité qui fait coupure avec le management

traditionnel où chaque opérateur était spécialisé dans l’accomplissement de tâches bien

précises ne sortant jamais de leur carquois de compétences originelles.

2- La demande

C’est dans ce contexte de restructuration que j’entre chez Hypercoop afin de réaliser une

mission consistant à établir un diagnostic sur la pénibilité au travail. Sur commande de

l’inspecteur du travail qui pointe l’inexistence de certains travaux sur les conditions de

travail – quelques traces d’un DUERP existent datant d’une petite dizaine d’année –

l’impératif devient dès lors la réalisation de ce diagnostic sous peine de la fameuse pénalité

de 1 % des rémunérations brutes soumises à cotisations de la sécurité sociale versées aux

salariés concernés (Code de la sécurité sociale art. L. 138-29 et D. 138-26). Le site de

Geispolsheim, étant le plus important que compte le groupe en termes de masse salariale,

en sera le projet pilote.

Faute de temps, la DRH fait donc appel expressément à une personne qui aura la charge

du dossier afin de répondre dans le délai alloué – qui était de 6 mois – à l’impératif du

législateur relayé par l’inspecteur du travail.

Il est à noter que la demande est motivée par un impératif et non par une volonté de

mener un audit sur les conditions de travail dans le cadre d’une politique de santé au

travail. Cet état de fait, qui sera développé plus loin, aura bon nombre de conséquences

dans les choix méthodologiques et les procédures envisagées.

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3- Les objectifs

9 Objectif 1 : Le passage d’une démarche légaliste à une démarche de santé au travail

La particularité de la demande aura été le fil rouge de l’évolution de la mission. Comme il a

été cité ci-avant, la demande porte sur la réalisation d’un impératif et non pas sur l’objet

de l’impératif lui-même. N’était l’impératif, la demande aurait été inexistante. On

pourrait taxer cette demande de « démarche légaliste », non pas dans un sens péjoratif,

mais bien dans le sens d’une réponse à une obligation qui n’a pour enjeu, dans le contexte

actuel des choses, aucune pertinence. Cette démarche est d’ailleurs totalement

compréhensible – quant à sa légitimité, il en va d’une toute autre question - dans le

mesure où, d’une part, l’entreprise a ses impératifs du moment et un diagnostic pénibilité

pourrait sembler totalement « inopportun » ; et, d’autre part, pour ce qui est

d’Hypercoop, la conjoncture actuelle de restructuration situe cette démarche en arrière-

plan. Dans un contexte où le projet du moment est de mener des plans de sauvegarde de

l’emploi ou des départs volontaires, mener une démarche pénibilité dans le cadre d’une

politique de santé au travail n’est peut-être pas au goût du jour. Il n’en reste pas moins

que le sceau de l’inspecteur aura frappé l’esprit de la direction motivant ainsi, dans une

simple démarche légaliste en vue de répondre de ses obligations, l’entreprise d’un

diagnostic.

Il ne serait pas vain, d’ailleurs, de rappeler ce que précisent Florence Giust-Desprairies et

Annie-Charlotte Giust-Ollivier sur La fabrique du risque psychosocial au sujet du

capitalisme financier. La logique de la financiarisation est de rationaliser les coûts en

fonction des gains ; le problème étant que ceux qui décident n’est pas la direction mais

bien les détenteurs du capital, à savoir, les actionnaires (et encore !). Il s’ensuit qu’au sein

de l’Organisation, tous sont soumis à la financiarisation, y compris la direction. Cette

remarque implique que la direction est soumise, au même titre que tout autre

collaborateur, à la conjoncture organisationnelle relayant ainsi les obligations qui peuvent

paraître moins « pertinentes » au bas de l’échelle des priorités.

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Cet état de fait a incité une question qui n’aura cessé de résonner : que cherche le

Gouvernement, relayé par le législateur, à imposer une obligation qui ne sera réalisée, à

priori, qu’en empruntant une démarche purement légaliste ? Selon un point de vue

psychosocial, quel autre résultat peut-on attendre de la part d’une entreprise que celui

d’un simple acquittement ? « La crise », comme on l’appel, n’implique t- elle pas que soit

relayé au dernier niveau d’urgence ce type d’obligation ? Partant, ce diagnostic, même

réalisé, n’aura d’autre issue que de paraitre dans un rapport écrit , dénué de sens, sans

volonté de lui donner corps en l’investissant dans le réel, au profit des salariés.

Cette question va d’autant plus loin qu’elle rend pratiquement caduque la réalisation du

diagnostic. Pour reprendre la définition du travail de Christophe Dejours, « travailler,

c’est un certain mode d’engagement de la personnalité pour faire face à une tâche encadrée

par des contraintes », l’important étant de se rendre compte que le travail se situe

précisément au creux de ce décalage entre la tâche prescrite et « les situations de travail

ordinaires grevées d’événements inattendues » qui en empêchent la réalisation. Or,

comment travailler lorsque le seul critère de travail est uniquement la réalisation des

contraintes ? Si une démarche légaliste est engagée, c’est-à-dire une démarche qui n’aura

uniquement comme seul cheval de bataille la prescription, qui n’est réalisée qu’ « à

minima », comment alors réaliser ce travail ?

Cette question est adressée d’abord au psychologue du travail à qui l’on demande de s’en

tenir à la loi pour réaliser sa mission. Elle peut être aussi adressée au législateur qui enjoint

l’employeur pour qui l’intérêt se trouve ailleurs que là ou on le suppose.

9 Objectif 2 : Pourquoi légiférer sur le travail pénible ?

Pourquoi la pénibilité du travail fait-elle sens aux yeux de la Loi ? Pourquoi la Loi parle t-

elle à un endroit où de tout temps seul l’homme avait le droit à la parole ? Le travail a

toujours revêtit un caractère purement pénible et l’homme a su, tant bien que mal, y

apporter des réponses. Mais pourquoi, soudainement, la Loi doit-elle entrer en scène ?

Cette question est cruciale dans la mesure où elle dirigera la méthodologie adoptée à la

réalisation du diagnostic. Déterminer la raison pour laquelle le législateur oblige à réduire

la pénibilité permettra de savoir comment agir pour la réduire. Auditionner des salariés

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sur la pénibilité de leur travail suppose que l’on sache ce que l’on cherche auparavant afin

d’en déterminer des seuils, des critères, des principes.

9 Objectif 3 : Réalisation du diagnostic

Cet objectif concerne la réalisation du diagnostic pénibilité proprement dit au sein du site

de Geispolsheim. Il implique l’élaboration d’une méthodologie adaptée au contexte ainsi

que la conception d’outils de mesures.

15

Chapitre 2 :

Eléments

théoriques

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I- Une démarche « participative »

La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites soumet l’employeur à une double

exigence. Celles de prévenir la pénibilité au travail au sein de son entreprise (article L-

4124-1 du code du travail), et d’assurer une meilleure traçabilité de l’exposition

professionnelle des salariés aux facteurs de pénibilité (article D.4124-6 du code du travail).

Concrètement, cette loi prévoit que les entreprises d’au moins 50 salariés, dont plus de 50

% de l’effectif se trouve être exposé à certains facteurs de risques, doivent être couvertes

par un accord ou un plan d’action de prévention de la pénibilité. Pour ce faire, un

diagnostic devra être élaboré afin de déterminer l’effectif concerné.

Cette réforme des retraites, dans sa vision globale, se veut allonger la vie active des

travailleurs afin de pallier, partiellement tout au moins, à la dette de l’Etat.

La loi sur la pénibilité au travail suscite néanmoins bon nombre de questions auxquels une

interprétation s’impose.

1- Quand le désir se loge au creux de la Loi

L’article de loi 4124-5 du code du travail dispose de dix facteurs de risque auxquels

l’employeur est tenu d’en vérifier l’éventuelle exposition de ses salariés.

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Ces facteurs, aussi exhaustifs qu’ils puissent paraître, n’en sont pas moins dénués de

précisions. Pour exemple, la manutention, qui, dans son renvoi à l’article 4541-2 où il est

question d’évoquer certains éléments liés à la prévention de manutention de charges, le

législateur s’explique : « On entend par manutention manuelle, toute opération de

transport ou de soutien d'une charge, dont le levage, la pose, la poussée, la traction, le port

ou le déplacement, qui exige l'effort physique d'un ou de plusieurs travailleurs ». Mais de

quelle opération de levage est-il question ? D’un objet pesant 5 kg ? Ou bien 80 kg peut-

être ? L’article 4541-9 en donne ce qu’il serait peut-être prétentieux d’appeler une

évaluation chiffrée : « Lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable et que

les aides mécaniques prévues au 2° de l'article R. 4541-5 ne peuvent pas être mises en

œuvre, un travailleur ne peut être admis à porter d'une façon habituelle des charges

supérieures à 55 kilogrammes qu'à condition d'y avoir été reconnu apte par le médecin du

travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes.

Toutefois, les femmes ne sont pas autorisées à porter des charges supérieures à 25

Art. 4124-5 du Code du travail Les facteurs de risques mentionnés à l'article L. 4121-3-1 sont : 1° Au titre des contraintes physiques marquées : a) Les manutentions manuelles de charges définies à l'article R. 4541-2 ; b) Les postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ; c) Les vibrations mécaniques mentionnées à l'article R. 4441-1 ; 2° Au titre de l'environnement physique agressif : a) Les agents chimiques dangereux mentionnés aux articles R. 4412-3 et R. 4412-60, y compris les poussières et les fumées ; b) Les activités exercées en milieu hyperbare définies à l'article R. 4461-1 ; c) Les températures extrêmes ; d) Le bruit mentionné à l'article R. 4431-1 ; 3° Au titre de certains rythmes de travail : a) Le travail de nuit dans les conditions fixées aux articles L. 3122-29 à L. 3122-31 ; b) Le travail en équipes successives alternantes ; c) Le travail répétitif caractérisé par la répétition d'un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d'une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini

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kilogrammes ou à transporter des charges à l'aide d'une brouette supérieures à 40

kilogrammes, brouette comprise ».

Nous parlons de prétention en raison de l’imprécision que représente l’expression « d’une

façon habituelle » ; s’agit-il d’une fois par jour ou de deux cent fois par jour ?

Autre exemple, les postures pénibles. La seule indication en est « la position forcée ». Une

fois de plus, quelle en est la mesure ? Inutile de préciser que le facteur subjectif brouille les

pistes dans la mesure où une position « forcée » pour un travailleur ne le sera pas pour un

autre ; sauf à s’accorder sur les mesures sadomasochistes telles que les supplices ! Et

encore…

Ces quelques exemples cherchent à pointer les imprécisions qui jalonnent le texte de loi.

D’où la question principale que l’on est en droit de se poser : comment mesurer la

pénibilité du travail des salariés quand le législateur reste muet là ou il est le plus

attendu ? Où est donc le maître, quand on en perd la mesure ?!

Cette question invite à proposer deux hypothèses. La première suggère un véritable

manquement quant à la précision du législateur ; manquement dû aux balbutiements de la

réforme des retraites et d’une prise de distance trop insuffisante quant aux effets concrets

que produit le travail pénible sur la santé physique. Le nombre de facteurs de risques liés à

la pénibilité étant trop important pour déterminer des seuils précis d’évaluation. La

deuxième hypothèse, en partie complémentaire de la première, envisage de comprendre

cette absence comme cause d’un désir d’élaborer une démarche pénibilité. Il s’agirait pour

les différentes parties prenantes, employeurs, salariés et syndicats, de construire dans le

cadre d’une démarche participative les limites pénibles d’un travail. C’est donc dans le

creux de la loi que viendrait se loger la présence des parties prenantes.

L’hypothèse de la démarche participative retiendra particulièrement notre attention tout

au long de notre travail et, articulée à la théorie de l’engagement développée ci-après,

constituera l’élément interprétatif de la volonté du législateur quant à son obligation de

diagnostic.

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2- De la différence entre le salariat et le travail indépendant ?

L’obligation de négocier un plan d’action pénibilité concerne l’employeur vis-à-vis de ses

salariés ; c’est donc l’Organisation qui est ciblée. Mais qu’en est-il du travailleur

indépendant ? N’est-il pas lui aussi concerné par la pénibilité d’un travail ? Il se pourrait

d’ailleurs qu’il y soit le plus exposé. Le travailleur indépendant vit au gré de ses contrats

sans garantie du lendemain ce qui implique généralement un investissement plus

important de sa personne dans le labeur du travail mettant souvent de côté les risques que

cela implique. Selon la logique de la réforme des retraites proposée par l’Etat selon laquelle

le travailleur de demain doit ménager ses efforts pour travailler plus longtemps, il serait

envisageable d’y inclure le travailleur indépendant. Seulement, il n’y est pas convié !

Notre interrogation repose donc sur ce fait étrange que la pénibilité du travail physique

n’est légiférée que pour le salariat et non pour le travail indépendant. Ce qui revient à

questionner la particularité du statut salarial.

Le droit du travail est fondé sur le contrat de travail. Celui-ci est constitué de la

prestation de travail, de la rémunération en contrepartie et du lien de subordination.

La définition jurisprudentielle communément admise du contrat de travail désigne une

«convention par laquelle une personne, appelée employé ou salarié, s’engage, moyennant

une rémunération en argent appelée salaire, à exercer une certaine activité au profit et

sous la subordination d’une autre personne, appelée employeur ou patron. »

Crim., 31 mars 1998, pourvoi n° 97-81.873

La chambre criminelle approuve la cour d’appel qui avait décidé que "c’est la subordination

juridique qui doit être permanente et non le lien et que cette permanence s’apprécie donc pendant le

durée de la relation de travail et non par rapport à celle-ci". Dès lors, il est indifférent que

l’activité de l’intéressé ne soit pas exclusivement réservée à la société. "La subordination

juridique existe en conséquence pendant toute la durée de la prestation pour le compte du donneur

d’ouvrage, qu’elle est donc bien permanente, que, dans ces conditions, la présomption de non-

salariat édictée par l’article L. 120-3 du code du travail doit être renversée".

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La juridiction a largement eu l’occasion à maintes reprises, comme l’arrêt cité ci-avant, de

préciser le statut du lien de subordination comme l’élément central du contrat de travail.

Au-delà d’une simple relation contractuelle, ce lien se veut positionner l’employeur

comme une autorité vis-à-vis de l’employé lui délégant les pouvoirs de direction et de

sanction. C’est à partir de ce bien-fondé du lien de subordination que sont légitimées

toutes les dispositions prises par le code du travail, protégeant ainsi le salarié des

éventuelles dérives de son employeur compte tenu du rapport déséquilibré.

La question dès lors qui peut être soulevée est relative à la pertinence du statut juridique

du lien de subordination. En tant que relation contractuelle, le lien unissant employeur et

salarié est de fait caractérisé par un lien de subordination. Tout contrat impliquant une

prestation contre rémunération induit par nécessité économique la subordination du

prestataire au client, lequel jouit de fait d’un pouvoir de direction et de sanction. Pourquoi

alors le recours à une subordination juridique ? Question sensible puisque relative au

fondement de ce qui légitime tout les devoirs et obligations prescrits par le code du

travail.

Dans le but d’envisager un élément de réponse, une petite digression historique est

nécessaire.

Hatchuel et Segrestin (2009) proposent deux lectures possibles du lien de subordination.

Ils remontent l’histoire du contrat de travail pour montrer les conditions de culture dans

lesquelles il a été élaboré.

Après la Révolution de 1789, le Code civil assimile le travail à du louage permettant ainsi

d’introniser une relation contractuelle et donc une liberté de travail. La question étant de

déterminer l’objet de la location, s’agit-il d’un louage de service ou bien d’un louage

d’ouvrage ? Il se trouve que jusqu’en 1880, le travail du salarié est considéré donc comme

une prestation marchande en tant que location d’ouvrage, ce qui signifie que le salarié

jouit du pouvoir de décision quant à l’organisation du travail et des procédures adoptées.

La subordination reposant sur le résultat de l’ouvrage. A partir de 1880, les regards

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basculent avec l’institutionnalisation du contrat de travail : concomitamment à

l’évolution de l’industrie qui a pour conséquence principale la division du travail,

l’organisation du travail s’en trouve bouleversée reléguant ainsi à l’employeur par la force

des choses le pouvoir de décision sur le contenu du travail et les procédures adoptées. On

glisse alors vers une location de services ce qui induit une subordination accrue du salarié,

ne lui laissant peu ou prou de latitude décisionnelle. On comprend dès lors le souci du

législateur de rééquilibrer la relation en protégeant le salarié d’un abus de pouvoir.

Les auteurs cherchant à préciser l’objet de la subordination, évoquent la généralisation de

la notion de « force de travail » en considérant l’ensemble des capacités d’action qui

permettent de produire de la valeur ; ils parlent de « Potentiel d’action individuel pour

désigner l’ensemble de ces capacités, qui sont autant de promesses de revenus futurs…La

notion de potentiel généralise ainsi l’idée de patrimoine comme celle de force de travail.

Elle a le mérite de sortir du clivage traditionnel entre capital et travail, tout en permettant

de revisiter la notion de subordination. En acceptant les directives de l’employeur, on ne

cède pas de droit sur son corps ou sur son potentiel. On ne cède pas non plus ses capacités

d’action. Pour être plus précis, on cède le droit de gérer ces capacités, autrement dit de

décider de l’usage qui en sera fait, et donc de leur valeur future. »

D’après cette conception, la subordination est « le mécanisme par lequel un individu confie

à un autre le soin de définir non seulement l’usage de son potentiel, mais aussi l’avenir de

son potentiel d’action ».

Les auteurs définissent alors deux conceptions de la relation de travail : la conception

classique qui considère la relation comme une location du potentiel d’action et celle dite

« participative » qui considère que le salarié délègue la gestion de son potentiel d’action.

Selon cette deuxième acception, le salarié prend alors le risque de voir son potentiel

dégradé et n’a aucune prise sur celui-ci, l’ayant délégué à l’employeur.

La thèse des auteurs suggèrent que le lien de subordination est de fait nécessaire, étant

donné l’évolution historique du travail. Le droit l’a ensuite institué pour le reconnaître et

construire un code de loi afin de protéger le subordonné et rétablir un certain équilibre. Il

est intéressant de remarquer qu’au-delà de ce fait historique, le lien de subordination

prend tout son sens dans le cadre unique que propose l’Organisation structuré autour d’un

22

Collectif de travail. Autrement dit, c’est dans le seul cadre d’un Collectif de travail que

certains des membres trouveront pertinent de confier leur « potentiel d’action » à d’autres

dans le sens d’une division des tâches dont l’objectif étant d’atteindre un objectif commun.

Selon cette conception, il reste à conclure que la question de ce qu’implique la pénibilité

physique du travail sur le corps n’est pertinente qu’au sens où elle est articulée à

l’Organisation. Ce n’est qu’en tant que le travail est inséré dans le cadre d’un Collectif que

son caractère pénible prend sens et requiert une prise en charge ; ce Collectif qui implique

le lien de subordination rend signifiant la pénibilité du travail.

C’est en questionnant la différence entre salariat et travail indépendant que nous

parvenons donc à asseoir que c’est l’Organisation impliquant une subordination qui donne

à la pénibilité physique d’un travail tout le sens qui lui revient. Entendons la pertinence

dudit sens en tant qu’il requiert une légitimité, c’est-à-dire une symbolisation au travers

de la Loi, du Tiers exclu.

3- Engagement et participation

Ces deux réflexions sur le mutisme du législateur et sur le statut salarial nous permettent

de mettre en exergue deux hypothèses :

- La première suppose que la raison pour laquelle la loi portant sur la réduction de la

pénibilité au travail se trouve être incomplète tient au fait que le législateur invite

les différentes parties prenantes à interagir entre elles afin de définir un contenu de

ce que pourrait être la pénibilité dans le contexte organisationnel qui leur est

propre ainsi que leurs seuils d’évaluation. Il s’agit donc d’une hypothèse qui invite

à emprunter une démarche participative.

- La deuxième hypothèse suppose que le statut salarial seul est concerné par cette

loi du fait d’un lien de subordination qui implique un risque d’abus de pouvoir de la

part de l’employeur. Ce statut situe le salarié « à découvert », fragilisant ainsi le

sens qu’il a pu donner à la souffrance engendrée par son travail physique.

23

Articuler ces deux hypothèses permet d’émettre la supposition selon laquelle d’une part, le

législateur aurait engagé l’employeur, en raison de la position fragile de ses salariés, à

entreprendre une démarche pénibilité aussi légaliste qu’elle puisse paraître ; et, d’autre

part, le législateur enjoint à faire participer les différents acteurs en restant quelque peu

distant sur certains points, invitant ainsi l’Organisation au dialogue social.

Permettons-nous un bref détour sur les théories de l’engagement et de l’approche

participative afin d’asseoir nos suppositions.

3.1 La théorie de l’engagement

Il en revient certainement à Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois d’avoir au

mieux répondu à la question : « De quelle façon amener quelqu’un à faire en toute liberté

ce qu’il est souhaitable qu’il fasse ? ». Sur la base des travaux de Festinger (1956) sur la

dissonance cognitive ainsi que ceux de Kiesler (1971) sur la théorie de l’engagement, ces

deux auteurs élaborent le concept de soumission librement consentie dans leur Petit traité de

manipulation à l’usage des honnêtes gens (1987). Ce concept part du principe – largement

expérimenté par ailleurs – selon lequel la situation seule détermine les comportements et

ce sont les actes qui engagent. La dissonance cognitive est définie comme étant « un état

de tension désagréable du à la présence simultanée de deux cognitions (idées, opinions,

comportements) psychologiquement inconsistantes » ; le processus de rationalisation permet

de réduire cette tension. C’est donc que la réalisation d’un acte ou d’un comportement

engage le sujet quitte à, si nécessaire, relire les croyances antérieures selon une nouvelle

interprétation. Sur la base de ces travaux, la soumission librement consentie suppose

qu’en attribuant au préalable un degré de liberté à un sujet, il est possible d’obtenir, selon

certaines modalités, des actes ou comportements de sa part qu’il n’aurait pas accepté le

cas échéant. Le-pied-dans-la-porte en est un exemple type qui consiste à obtenir au

préalable un comportement peu coûteux de la part d’un sujet avant de lui demander un

acte plus engageant de sa part qu’il aurait probablement refusé sans l’amorçage. Certaines

conditions sont nécessaires comme le degré de liberté, le caractère public, le caractère

irrévocable de l’engagement…Toujours est-il que le principe tient au fait qu’engager à

minima, de quelque façon que ce soit, un sujet à réaliser un acte, tout en lui laissant sa «

liberté » de choisir, permet d’obtenir de sa part un autre acte qu’il aurait probablement

refusé sans l’engagement de départ.

24

Partant de cette théorie, il est aisé de comprendre qu’en vertu de l’engagement d’une

entreprise à investir une démarche pénibilité, aussi minimaliste et légaliste qu’elle puisse

paraître, il se pourrait qu’elle soit d’autant plus entrain à se mobiliser en aval dans le

projet.

3.2 La démarche participative

On ne pourrait s’empêcher de faire le lien entre cette invitation à déployer une démarche

participative et la conception systémique des organisations. Michel Crozier et Erhard

Friedberg, au cours des années 70, offrent au public L’acteur et le système, ouvrage dans

lequel ils élaborent la théorie de l’acteur stratégique. Cette théorie cherche à rompre avec

un certain structuralisme qui analyse l’organisation en partant du système globale pour

déduire les rôles et places de chaque acteur, et propose de se focaliser sur les stratégies des

acteurs en interaction au sein de l’organisation et remonter dans la mesure du possible en

induisant les particularités du système an question. Contrairement à Mintzberg qui

envisage que seuls certains agents d’influence détiennent un pouvoir légitime, Crozier et

Friedberg voient en chaque acteur un jeu de pouvoir qui leur est mis à disposition de par le

simple fait qu’ils représentent une fonction au sein de l’organisation. Fonction aussi infime

soit-elle qui leur octroie donc un pouvoir sur les autres acteurs et qui de fait ouvre les

portes d’une négociation continuelle. En fonction du pouvoir qui lui est octroyé et des

prétentions vers lesquels il tend, l’acteur du système va pouvoir négocier ses propres

intérêts.

C’est donc dans un contexte de négociation que le désir de chaque acteur s’insère tentant

stratégiquement de se prévaloir. Les intérêts d’une direction seront probablement de

minimiser l’investissement d’un diagnostic pénibilité pour en fin de chaîne réduire les

coûts que pourront engendrer un plan d’action. Ceux des salariés seront évidemment de

bénéficier de certains aménagements de leurs conditions de travail. Enfin, et au-delà de la

configuration organisationnelle, l’Etat y voit dans cette démarche un investissement à

plus long termes qui se traduira par des cotisations pour l’épargne retraite plus

conséquentes.

25

II- La pénibilité du travail : une souffrance nécessaire et sublimée

1- Le pénible, pour cause d’une nécessité économique

La réforme des retraites est donc la stratégie adoptée par l’Etat afin de réduire le

déséquilibre financier de la caisse des retraites. La longévité de la vie active impose alors à

l’employeur de ménager les efforts des travailleurs en améliorant leurs conditions de

travail et réduire ainsi la pénibilité engendrée par l’effort physique. Il apparait dès lors

que par nécessité économique le travail pénible doit être idéalement éradiqué. Mais,

historiquement et peut-être même ontologiquement, le travail n’a-t-il pas revêtit un

caractère purement pénible précisément au titre d’une nécessité économique ?

L’acception la plus commune de l’origine du mot travail est tripalium, mot composé de

tres, « trois » et de palus, « le pieu » ; dans le latin populaire parlé en Gaulle. Outre la

connotation phallocentrique évidente, ce qui ne manque pas de laisser entrevoir la

sempiternelle association stéréotypique entre travail et virilité, ce terme désignait une

structure formée de trois pieux auquel on attachait les bœufs et les chevaux afin de les

immobiliser pour leur poser le fer ou leur apporter le soin. Au fil du temps, les brigands

connurent le même sort ; on les immobilisait pour une meilleure torture. Du substantif au

verbe, « tripaliare » donne « travailler » en ancien français du 11° siècle préservant le sens

de la « torture », « faire souffrir physiquement ou moralement », pour s’atténuer ensuite

par « tracasser », « fournir un effort ». A partir du 16 ° siècle, le terme travailler désigne un

métier, une activité régulière permettant de gagner sa vie tout en préservant l’idée de

fournir un effort, un labeur, pour accomplir une tâche. Aujourd’hui, on cherche à épurer

autant que faire se peut le travail de toute trace de pénibilité. Du pléonasme à l’illusion de

l’oxymore, quelle est la mesure du « travail pénible » ?

26

Le corpus biblique présente le travail dans la même veine, « à la sueur de ton front, tu

mangeras du pain… » (ch. 3, vers. 19). Le texte métaphorise le travail par l’image du

labeur, de l’effort physique, de l’expérience d’un corps en activité. Même constat donc,

celui d’une pénibilité inhérente au travail.

Dans la Grèce antique, le travail est une nécessité à laquelle seul l’esclave s’y soumet. La

dialectique maître-esclave présuppose la domination d’un maître qui a su se soustraire à la

nécessité en bravant la mort ; dans un combat au risque d’une vie, son désir l’a hissé au-

delà de l’angoisse de la mort lui octroyant ainsi le droit de jouir. Corollairement, la peur de

mourir, traduit par la peur de faire face à son propre désir, soumet l’esclave à la nécessité ;

il n’a d’autre choix qu’être à la merci de son maître. C’est alors que son sort est celui du

travail dégageant ainsi son maître de la nécessité pour s’adonner à la vita contemplativa,

autrement dit, la politique et la philosophie. La vision grecque conçoit l’homme libre

comme celui qui tend vers la contemplation en se dégageant du poids de la nécessité de

subvenir aux besoins de se nourrir ; non pas au sens d’une déresponsabilisation, mais au

sens où il a su prouver son courage en se plaçant, par le biais d’esclaves travaillant pour

lui, au-dessus de cette nécessité. Ce qui lui confère le loisir de la Culture et de la « j’ouïe-

sens ». Selon cette conception, le travail est déjà conçu comme une nécessité à laquelle tout

homme est soumis ; l’esclavage ne représentant qu’une stratégie employée par l’homme

libre dans le but de s’en acquitter

Que ce soit au travers de l’organisation économique de la Grèce antique, ou du système

symbolique que propose le corpus biblique ou bien encore véhiculé au sein de la langue

latine, l’impact produit est celui d’une définition du travail comme étant pénible et

demandant de l’effort, donc véhiculant de la souffrance. Partant, que signifie dès lors cette

propension récente à vouloir annihiler toute forme de pénibilité dans l’exercice d’un

travail ? Plus précisément, que cherche le législateur par la prescription relative à la

diminution de la pénibilité ?

27

Hanna Arendt, dans son ouvrage sur La condition de l’homme moderne, tente de redonner

un sens plus noble à la vita activa que les Grecs avaient laissé choir face à la prévalence de

la vie contemplative. Elle érige les trois éléments que composent la vita activa : le travail,

l’œuvre et l’action. Elle opère une distinction fondamentale entre le travail et l’œuvre à

l’instar d’Aristote qui oppose l’artisan qui œuvre de ses mains à ceux qui « tels les

esclaves et les animaux domestiques pourvoient avec leur corps aux besoins de la vie » ou

bien plus tard Locke qui séparera le « travail de nos corps » et « l’œuvre de nos mains ».

Le travail est vital au sens biologique et relie l’homme à la Nature dans un mouvement

cyclique ; le fruit du travail est périssable et consommable ce qui assure la conservation de

la vie. Le travail est pure nécessité et constitue par là la condition de l’homme. L’œuvre,

quant à elle, correspond à ce qui dure et persiste dans le réel au-delà de toute humanité. Il

est ce qui permet à l’homme de meubler le monde et d’y assurer une permanence qui ne

disparait pas dans le cycle naturel. Meubler le monde peut permettre de l’habiter et donc

de s’y inscrire ; le travail articulé à l’œuvre invite donc l’homme à s’inscrire dans le réel et

d’y trouver un sens. Cette conception sera largement reprise par nombre d’auteurs

contemporains notamment en psychodynamique du travail. La thèse de Christophe

Desjours s’inscrit dans les jalons de cette tentative de redonner la noblesse à la vita activa

qui lui revient.

2- La souffrance, révélatrice du sujet

Christophe Dejours, dans un texte fabuleux intitulé Subjectivité, travail et action, élabore

une définition de ce que signifie travailler. Ne sera retenu qu’une partie de sa thèse, celle-

ci ayant des implications dans nombre de domaines. Comme nous l’avions déjà cité plus

haut, sa définition du travailler réside dans « l’engagement de la personnalité dans un

tâche encadrée par des contraintes ». Puisqu’un travail ne peut jamais être réalisé en

observant uniquement la stricte prescription, les situations de travail étant « grevées

d’événements inattendues, de pannes, d’incidents (…) provenant aussi bien de la matière,

des outils et des machines que des autres travailleurs (…) », il existe par définition un

28

décalage entre le prescrit et le réel qui demande au sujet de venir s’y loger, au moyen de

son intelligence, afin d’en combler la béance. Travailler c’est donc « combler l’écart entre

le prescrit et le réel ». Mais comment cet écart irréductible se fait-il connaitre au

sujet ? Par l’expérience de l’échec qui advient lorsque le réel résiste aux manipulations que

l’on tente à son insu. De là nait un premier type de souffrance, celle l’échec, du

découragement, d’une perte de motivation. « Ainsi, est-ce dans un rapport primordial de

souffrance dans le travail que le corps fait simultanément l’expérience du monde et de soi-

même ». Mais le travailler implique un deuxième type de souffrance : celle de

l’arrachement de soi vers l’extérieur ; cette souffrance est point d’origine et pas seulement

« l’expérience pathique » du monde. Cette souffrance qui s’exprime sous les deux formes

citées, révèle la subjectivité du sujet et s’expérimente à travers le corps en mouvement ; le

travail physique implique donc une peine et une souffrance intrinsèque qui permet au

sujet de se révéler « voire de s’accomplir ». Dejours ne s’arrête pas à « l’expérience

solipsiste du rapport de soi à soi », c’est-à-dire révélée au sujet pour comprendre ce

qu’implique le travailler, mais ajoute une deuxième implication, celle du monde social,

puisqu’un travail engage toujours un client, un collège, un patron. « Le réel du travail

n’est pas seulement le réel du monde mais aussi le réel social ».

Cette conception du travail permet de comprendre que la pénibilité inhérente au travail

requiert une interprétation du sujet. C’est au sujet de répondre à la question du pourquoi

il souffre, c’est à lui d’être attentif à la révélation de sa subjectivité. La nécessité

économique à laquelle vient répondre à minima le travail se conjugue d’une expérience

subjective, au moyen d’une souffrance, qui, par définition, n’appartient qu’au travailleur.

Alors, pour reprendre notre questionnement de départ, pourquoi l’Etat souhaiterait-il

soudainement répondre à une question, que seul le travailleur est sommé de répondre ?

L’auteur, en réalité, cherche, au travers de sa définition sur le travail, à rendre compte des

implications du tournant néolibéral sur le travail humain. Les nouvelles organisations du

travail qui invitent à la concurrence entre les collaborateurs, à l’individualisation, au

développement sans fin des compétences génèrent « l’érosion de la place accordée à la

subjectivité et à la vie dans le travail ». La souffrance inhérente au travail est donc là,

présente, sans possibilité d’être sublimée par la révélation d’une quelconque subjectivité.

29

Pour ce qui nous concerne, la pénibilité du travail reste donc une question sans réponse

pour celui que l’éprouve. D’où, la tentative engagée par l’Etat, non pas de répondre à cette

question mais d’en diminuer l’ampleur. Bien entendu, en arrière-fond se trouve l’intérêt

économique sans lequel certainement aucun projet de ce style n’aurait vu le jour.

30

Chapitre 3 :

Diagnostic

pénibilité

31

La démarche pénibilité, au préalable, a nécessité la création d’un groupe pilote qui avait la

charge de définir les enjeux de la démarche, de fixer les objectifs attendus, de réfléchir sur

l’élaboration de la méthodologie employée, de valider les différentes étapes qui cheminent

le projet et d’en suivre l’évolution. Le contexte interactionnel dans lequel ce groupe

s’inscrivait invitait chacun de ses membres à co-construire les étapes de la démarche dans

un échange sain et équitable.

Au regard des éléments théoriques concernant l’importance que revêt la démarche

participative, il va s’en dire que la création de ce groupe pilote est une condition sine qua

none du succès de ce projet. Au sein d’un Collectif, la bonne conduite d’un projet n’est

réalisable qu’à la condition que des responsables en aient la charge, sans quoi chaque

membre du collectif serait tenté de se reposer sur l’autre. On connait d’ailleurs la fameuse

histoire de Chacun, Quelqu’un, Quiconque et Personne.

« Un projet important devait être réalisé et on avait demandé à Chacun de s’en occuper.

Chacun était persuadé que Quelqu’un allait le faire. Quiconque aurait pu s’en occuper, mais

Personne ne l’a fait. Quelqu’un s’est emporté parce qu’il considérait que ce projet était la

responsabilité de Chacun. Chacun croyait que Quiconque pouvait le faire, mais Personne ne

s’était rendu compte que Chacun ne le ferait pas. A la fin Chacun blâmait Quelqu’un, du fait

que Personne n’avait fait ce que Quiconque aurait dû faire. »

Au-delà des objectifs opérationnels que le groupe s’était fixé, c’était un engagement vis-à-

vis de la bonne conduite du projet qui était visé. Cet engagement représentait la garantie

que le projet pouvait aboutir.

Ce groupe pilote était composé :

- De la Directrice des Ressources Humaines d’Hyperccop, Mme Baulu,

- Du Directeur de magasin du site de Geispolsheim, Mr Lorentz,

- Du Responsable Hygiène & Sécurité, Mr Pédard,

- D’un représentant du CHSCT et membre d’un des syndicats, Mr Domineau,

- Du stagiaire en Psychologie du Travail

L’objectif global du groupe était d’une part, de répondre à l’obligation de mener un

diagnostic pour déterminer le nombre de salariés effectivement exposé à un facteur de

32

risque, et, d’autre part, de répondre à la deuxième obligation consistant à établir une fiche

nominative pour chaque salarié effectivement exposé.

La méthodologie arrêtée se voulait découper le travail en deux grandes étapes : une

première étape concernait l’élaboration d’un pré-diagnostic, et une seconde, le diagnostic

proprement dit.

9 Etape 1 : le pré-diagnostic

Il consiste à synthétiser les différentes informations recueillies afin de déterminer les

services concernés par des facteurs de risque. Ces différentes sources correspondent

essentiellement aux indicateurs RH (accidents du travail, maladies professionnelles, fiche

entreprise du médecin du travail) et aux entretiens individuels.

9 Etape 2 : le diagnostic

Il consiste à analyser de manière objective les services retenus dans le pré-diagnostic par le

biais d’analyses de postes et d’observations terrain.

Une fois le diagnostic chiffré établi, l’effectif exposé à des facteurs de risques et décomposé

en unités de travail est alors connu permettant ainsi de remplir la fiche nominative

d’exposition aux facteurs de risques professionnels.

I- Le pré-diagnostic

Celui-ci comportait une première phase d’analyse de différents indicateurs RH permettant

d’identifier d’éventuels types de travaux ainsi que les différentes unités pouvant être

exposés à des facteurs de risques. Dans une deuxième phase, des entretiens individuels ont

été menés afin d’obtenir un retour d’expériences des salariés.

33

1- Les indicateurs RH

1.1 Le découpage des unités de travail et le calcul d’effectif

Le calcul d’effectif a été élaboré selon les recommandations faites par l’article D. 138-25

du code de la sécurité sociale :

- Chaque salarié titulaire d’un CDI à temps plein et chaque travailleur à domicile

compte pour une unité.

- Les salariés titulaires d’un CDD, les salariés intermittents et les salariés

temporaires sont comptés au prorata de leur temps de présence au cours des douze

mois précédents, sauf s’ils remplacent un salarié dont le contrat est suspendu pour

maladie ou pour un congé.

Au 31 mai 2013, l’effectif s’élève à 270,49.

Le découpage a tout simplement été emprunté du DUERP qui venait de débuter son

élaboration. La segmentation avait été déjà réfléchie par le responsable sécurité. Les

différentes unités, répertoriées dans le tableau 1, sont au nombre de 13 dont 21 sous-

unités.

34

Tableau 1.1 : Effectif pénibilité en fonction du découpage des unités et sous-unités de

travail

Unités Effecti f population

Boulangerie/patisserie Boulangerie 16,08

Pâtisserie 5,25

Total 21,33

Poissonnerie 6

Boucherie Boucherie trad. 3

Boucherie L.S. 9

Vola i l le 1

Total 13

Charcuterie/Traiteur Charcuterie coupe 18

Tra i teur 1

Charcuterie L.S. 3

Total 22

F&L Primeur 8

Fromage 3

ELS (employé libre service) Crèmerie LS 11

DHP 8

Garden 7

Liquide 8,17

Surgelé 2

Texti le 14

Bazar permanent 17

Epicerie 18

Total 85,17

Electro 17,17

SAV 3

Caisse Caisse 51,16

Station 4

MAB 3

Total 58,16

Service généraux Service généraux 4

Reception 6

Total 10

ADM 11

Drive 12,66

ETP 270,49

35

1.2 Le taux d’absentéisme

Phase d’analyse laborieuse, puisque qu’aucun fichier numérique de recensement n’existait

avant le 1° septembre 2012, date de la fusion avec le groupe E. Leclerc. Les absences

étaient notées à l’écrit dans un cahier destiné au recensement ; c’était encore l’ère du

papier-crayon…c’est ça la culture d’entreprise !

Toujours est-il que bon nombre d’analyses ont été effectuées par mes soins dans le but

d’identifier certaines informations qui pouvaient se révéler être intéressantes. Pour des

raisons de présentation, seuls les résultats les plus importants apparaissent dans le tableau

1.2.

Tableau 1.2 : Taux d’absentéisme les plus élevés par affectation

Nb de jours par type d'arrêtLibellé d'affectation Nb de pers AX/AT AJ MA MT PF MH Total Taux d'absentéisme globalGeispo - Textile 6 88 0 88 0,28Geispo - Caisses 41 9 1124 4 266 49 1452 4,65Geispo - Boulangerie-viennois. 14 12 117 1 274 22 426 1,37Geispo - Bazar permanent 9 102 102 0,33Geispo - Pâtisserie 3 58 58 0,19Geispo - Bazar G.E.M. 10 -42 398 356 1,14Geispo - Charcuterie coupe 9 52 50 102 0,33Geispo - Epicerie 6 150 130 6 59 345 1,11Geispo - Surgelés 2 4 75 79 0,25Geispo - Poissonnerie 9 60 159 219 0,70Geispo - Administration 5 65 15 80 0,26Geispo - Boucherie L.S. 8 115 8 123 0,39Geispo - F&L 2 15 18 33 0,11Geispo - Boucherie trad. 3 163 163 0,52Geispo - Primeurs 3 183 183 0,59Geispo - Crémerie L.S. 6 29 150 3 182 0,58Geispo - Réception 1 35 35 0,11Geispo - Drive 1 42 42 0,13Total 138 289 0 3072 22 540 145 4068 13,04

Même si le nombre de personnes varient en fonction de l’unité, le taux d’absentéisme des

unités caisses, boulangerie et bazar est significativement élevé.

36

1.3 Accidents de travail et maladies professionnelles

Les AT-MP sont souvent des indicateurs qui révèlent les métiers à risques. Bien

qu’indépendamment de la démarche pénibilité, ils ont de tout temps été suivi par le

service d’Hygiène & Sécurité, on les a utilisé en tant que base de données. Il est à noter, les

chiffres le montreront, que le médecin du travail, au cours d’un entretien individuel,

précisait que les AT-MP n’étaient pas alarmants. Le nombre de cas existants représentant

un chiffre dont il serait difficile de passer en dessous, étant donné que le risque 0 n’est pas

possible dans certaines unités. Le risque de coupure d’un boucher sera toujours existant

malgré toutes les précautions dont on peut se munir.

Tableau 1.3 : AT-MP selon les sous-unités

Tableau récapitulatifAccident de travail Maladies professionnelles

Emploi Nb de jours ATNb de personne ATNb de jours MPNb de persGeispo - Boulangerie-viennois.27 1 274 1Geispo - Bazar G.E.M. 144 2Geispo - Caisses 9 1 266 2Geispo - Epicerie 150 2Geispo - Charcuterie coupe 9 1Geispo - Crémerie L.S. 29 1Geispo - Poissonnerie 44 2Geispo - S.A.V. 10 1Geispo - Garden 50 3Geispo - F&L 15 1

Geispo - Liquides 3 1Total 490 16 540 3

1.4 Taux de rotation

Le taux de rotation a été calculé à partir d’un logiciel de paie. Cet indicateur n’a pas été

fiable dans la mesure où, étant en période de restructuration, le mouvement d’entrées et

sorties n’est pas représentatif puisque ponctuel et ne permet pas d’en extraire un effet de

périodicité.

37

2- La passation d’entretiens

2.1 Méthode

La méthodologie générale était de favoriser la triangulation en croisant les différentes

sources d’informations. Outre les informations recueillies de sources « objectives », il était

nécessaire de se munir de ce que pensent les salariés, d’où la passation d’entretiens. Le

groupe pilote a opté pour la passation d’entretiens individuels plutôt que collectifs en

raison, d’une part, du contenu qualitatif plus important, et, d’autre part, de la possibilité

d’une parole libérée de toute gêne occasionnée par la présence d’un collectif. Ces entretiens

avaient pour but d’une part, d’obtenir un retour d’expérience du terrain ; cette attente

avait d’ailleurs été exprimée clairement par la DRH lors de nos premiers entretiens où elle

mettait l’accent sur le manque de communication et de feedback qui existait au sein du

groupe. D’autre part, il semblait judicieux d’inviter les collaborateurs à parler, une

expérience qu’ils n’avaient probablement jamais connus auparavant.

Population

La population a été choisie selon des critères représentatifs des différentes situations de

travail que l’on pouvait trouver au sein d’Hypercoop :

- Age

- Ancienneté

- Sexe

- Poste de travail

- Niveau hiérarchique

L’âge et l’ancienneté étaient des critères évidents à prendre en compte puisque les retours

d’expérience sont inéluctablement différents. La diversité des postes de travail également,

dans le but d’être le plus exhaustif quant à la diversité des situations de travail. Enfin, le

niveau hiérarchique cherchait à prendre en considération le minimum de poste à

responsabilité puisque, majoritairement dans la grande distribution, ce sont les postes

d’employés qui sont le plus commun.

38

En somme, l’échantillon, comportant 61 participants dont 17 hommes et 44 femmes,

représentait 22.5 % de la population totale.

Tableau 2.1 : Données de l’échantillon

Caractéristiques de l'échantillonEffectif H 17

F 44Age Moyenne 40

Min 19Max 59

Ancienneté Moyenne 15,8Min 0,5Max 36,8

Type contrat CDI 61Niv.hiérarchique Employé 54

Chef de rayon 7

Matériel

Le matériel a été conçu sur la base des travaux de Vergès(1992) et d’Abric (2003) sur les

tâches d’associations verbales. Ces tâches d’associations verbales permettent, à partir d’un

mot inducteur, d’activer en mémoire les éléments se rapportant à l’objet de représentation.

Selon l’analyse prototypique de Vergès, deux dimensions sont prises en compte : une

dimension quantitative évaluée à partir de la fréquence d’apparition et une dimension

qualitative évaluée à partir du rang d’apparition. Les éléments d’une fréquence plus élevée

que la fréquence intermédiaire et d’un rang d’apparition plus élevé que le rang moyen

renvoient au contenu du noyau central et ceux qui ont une fréquence moins élevée que la

fréquence intermédiaire et un rang d’apparition moins élevé que le rang moyen renvoient

aux éléments périphériques.

Cependant, Abric reprocha que le postulat de base selon lequel les mots les plus importants

sont ceux évoqués en premier n’est pas systématique, puisque un temps de mise en

39

confiance du participant et de réduction des mécanismes de défenses est nécessaire. C’est la

raison pour laquelle il met en place la technique de l’évocation libre hiérarchisée qui utilise le

rang d’importance plutôt que le rang d’apparition. Cette technique comporte donc deux

phases :

- Une première phase d’association libre à partir d’un mot inducteur, permettant un

repérage du contenu de la représentation et une actualisation d’éléments implicites

ou latents ;

- Une deuxième phase de hiérarchisation des réponses données en fonction de

l’importance accordée au mot, permettant un repérage de l’organisation de la

représentation et une identification du noyau central.

Le type d’entretien retenu était donc un entretien semi-directif qui proposait ces deux

phases. Le support d’entretien comportait la première question « Quand je vous parle de

pénibilité au travail, à quoi pensez-vous ? ». Je notais alors en même temps les éléments

cités les uns après les autres ainsi que, et sur un autre support, les segments de discours les

plus importants. Selon une écoute flottante, j’écoutais alors le discours du participant

jusqu’à son terme pour lui poser ensuite une seconde question « Parmi les éléments cités,

estimez hiérarchiquement, selon vous, ceux qui représentent le plus une source de

pénibilité ? ».

Parallèlement, une échelle de 1 à 10 portant sur la satisfaction du participant concernant

la démarche pénibilité lui était présentée. Aussi, et de manière implicite, les participants

étaient amenés à répondre au caractère inhérent ou pas de la pénibilité au travail ainsi

qu’au caractère objectivable ou pas de la pénibilité. Le support est présent en annexe.

Procédure

Les entretiens ont été menés sur le site de Geispolsheim. Leur durée était en moyenne de

25 minutes. Les entretiens étaient espacés de 15 min en moyenne afin de se laisser le temps

de noter les éléments qui auraient échappés durant l’entretien. Je précise ce détail puisque

le groupe pilote a opté pour ne pas enregistrer les entretiens pour éviter les gênes qu’ils

40

peuvent engendrer. La seule façon était donc de noter un maximum d’informations pour

former autant que faire se peut un contenu conséquent.

2.2 Résultats

Définitions de la pénibilité

- « Elle évolue en fonction de l’activité exercée et de l’expérience. En tant que boucher de formation, la pénibilité durant les premières années est centrée sur le travail physique ; durant les années d’évolution, lorsque l’on prend plus de responsabilité, elle est plus centrée sur le ressenti de la personne, sur des aspects plus généraux et distants du travail purement physique… On est prêt dans son travail qu’à la fin de son expérience professionnelle, au moment de se retirer ! » (chef de département)

- « Contraintes de toutes sortes qui empêchent d’être optimal dans son travail » (chef de département)

- « Tout dépend de la façon dont on a apprit à travailler…plutôt à la dure ou pas… » (traiteur)

- « Contraintes physiques essentiellement bien qu’il y aurait à parler des contraintes morales mais c’est un hors-sujet » (ADM)

- « Quand on prend plaisir à travailler » (caisse)

- « Un travail est toujours pénible » (boucherie)

- « Ce qui dérange et qui gêne le travail » (surgelé)

- « J’ai choisi mon métier, je ne me plains pas sinon » (F&L)

- « La pénibilité, c’est la dureté de ma tâche, l’ensemble des responsabilité, c’est l’amplitude horaire… » (chef de rayon épicerie)

- « Le travail pénible est cause de maladie » (textile)

- « …Sinon ça va… à part travailler avec des cons ! » (textile)

Satisfaction générale

La moyenne de satisfaction générale est de 7.1 / 10.

41

- « Au moins, on s’occupe de nous ! » (volaille)

- « C’est la première fois en 35 ans de travail que je vois que l’on mène une démarche pénibilité » (épicerie)

- « Encore un truc qui sert à rien » (boulangerie)

- « Petite préconisation : offrir un bon de relaxation pour se détendre en dehors du lieu de travail ! » (textile)

- « Au moins, ils s’intéressent à nous ! » (caisse)

- « C’est bien cette démarche… les gens vont se sentir reconnus » (ADM)

65 % des participants estiment que la pénibilité est inhérente au travail, soit par définition soit parce que « l’être humain trouve toujours de quoi se plaindre ».

35 % des participants estiment que la pénibilité est liée aux conditions de travail, si l’on améliore les conditions la pénibilité sera évacuée.

53 % des participants estiment que la pénibilité est subjective, qu’elle dépend du ressenti de chacun.

47 % des participants estiment qu’elle est objective uniquement, que l’on peut la mesurer avec des critères concrets.

Remarque

De manière générale, une majorité des participants émettait une réserve quant aux

résultats du dispositif ; on peut y voir une attente importante des salariés. Le fait même

d’avoir invité les salariés à venir parler de leurs pénibilités au travail a créé une attente qui

demande à être répondue…quand bien même l’effectif concerné par le diagnostic

n’atteindrait pas les 50 % ?! Cette attente sera exprimée de nouveau pendant l’observation

terrain. Cet élément vient confirmer en partie notre hypothèse qui suppose que d’investir,

même par le biais d’une démarche minimaliste, un audit sur la pénibilité permet d’engager

un processus qui par son caractère public obligera les décisionnaires à s’investir d’autant

plus en aval par rapport à ce qu’ils auraient pu investir sans cet amorçage.

42

Analyse thématique

L’analyse thématique des données a permis de mettre en évidence 5 pôles regroupant les

20 items cités par les différents participants.

Une fréquence d’apparition a été calculée (elle apparait dans les résultats ci-après entre

parenthèses) ainsi que le rang d’importance.

Tableau 2.1 : résultats des items cités en fonction de la fréquence et du rang d’importance

Tâche/Outils Collectif Environnemental

Organisation du travail

Individuel

ManutentionGestes répétitifsPostures Bruit Luminosité Matériel Température R.Client Infrastructure (mauvaise architecture); environnementManque impliquation des collègues Procédures organi.Rythme de travailProduits forts (odeur)R. CollèguesRang a 13 8 1 6 3 1 2 6 2 2Rang b 6 3 3 1 1 9 3 3 1 1 1 3Rang c 8 1 2 4 3 4 1 1 1 1 2 1Rang d 1 1 1 1 4 2 1Rang e 1 1 2 1 1Total 27,00 5 13 3 4 20 9 12 4 2 9 6 3 8>/= Rang moyena; b b a; b a; b b; c a; b a; b a; b a; b b a a; b c a; b< Rang moyen c d; e c;d d e c; d c c; d c c c; d e e dFréquence 44,26% 8,20% 21,31% 4,92% 6,56% 32,79% 14,75% 19,67% 6,56% 3,28% 14,75% 9,84% 4,92% 13,11%

43

Pôle Tâche/Outils

Manutention (44.26 %)

- Poissonnerie : bac de glace lourd à tirer et sol glissant ; remplir l’étalage de glace à la pelle plusieurs fois par jour.

- Caisse : le liquide est généralement lourd, le système des codes barres détachable n’est pas systématisé et loin de le devenir. L’éventualité de laisser les produits dans le caddy entraine plus de mouvements pour les vérifications en cas de vol.

- Dépotage pour la majorité des unités (boulangerie/pâtisserie, poissonnerie, boucherie, charcuterie/traiteur, F&L, fromage, ELS, caisse, Drive).

- Souvent lié au manque ou à la dégradation du matériel

- Manutention « pour rien » dans plusieurs secteurs liée à la relation fournisseur (développé plus loin, concernant SCAPALSACE qui ne livre pas correctement les palettes)

- La manutention existe même pour des poids de 5 kg seulement du moment où elle est fréquente.

- Beaucoup n’ont jamais eu de formation gestes et postures

- La manutention est souvent faite de manière rapide donc plus dangereuse à cause d’une lourde charge de travail et un sous-effectif.

Gestes répétitifs (8.20 %)

- Problèmes de dos, certains prennent constamment des médicaments, tendinites fréquentes « quelque part, on est des robots ! »

- Le étalages, les bacs réfrigérés sont souvent trop profond et trop long et obligent à adopter des mauvaises postures surtout quand il s’agit de plusieurs heures de rangements.

R.fournisseur pb SCAPRoutine Isolement Charge de travail Stress Impact vie privée produit. chim.TotalRang a 3 3 3 53Rang b 3 3 2 1 44Rang c 1 30Rang d 1 12Rang e 1 1 8Total 6 1 1 6 6 1 1 147>/= Rang moyen a e c a a; b e b< Rang moyen b b dFréquence 9,84% 1,64% 1,64% 9,84% 9,84% 1,64% 1,64% 11,48%

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- Charcuterie coupe : trancheuse et plan de travail trop haut pour les plus petits et trop bas pour les plus grands … !

- Unités concernées : boucherie, charcuterie/traiteur, F&L et ELS. La caisse n’en a pas parlé !!

Postures (21.31 %)

- Dimensions des gondoles : elles sont souvent trop hautes pour une majorité des personnes et la partie base est trop profonde. Oblige à se contorsionner de longs moments pour ranger les rayons.

- Nombre important de problèmes de santé : canal carpien, bras, cervicales.

- Caisse : douchette qu’il faut ramener vers le caddy pour enregistrer les packs lourds ou bien se tourner pour récupérer le ticket de caisse

- Tous n’ont pas bénéficié de la formation gestes et postures, parmi ceux qui en ont bénéficiés, certains en sont satisfait et voudraient même la réitérer « on s’habitue aux mauvaises postures », d’autres trouvent que ces méthodes ne couvrent pas toutes les positions nécessaires que l’on rencontre dans ce type de travail.

- Garden : les écrans tactiles qui sont surélevés obligent à garder son bras en hauteur alors qu’avant il pouvait trouver repos sur le plan de travail.

- Unités concernées : boulangerie/pâtisserie, boucherie, charcuterie/traiteur, ELS, caisses, ADM.

Matériel (32.79 %)

- Le système informatique fait souvent défaut (ADM)

- Le matériel est défaillant ou manquant, pas assez de tires pale électrique, les tires pale manuels sont souvent endommagés et doivent tout de même tirer sur plusieurs dizaines de mètres des palettes de plusieurs centaines de kilos et plusieurs fois par jour, plus difficile quand il s’agit de femmes

- Doivent constamment emprunter à droite à gauche du matériel, c’est leur outils de travail et n’en ont pas à disposition

- Les tires pales manuels sont toujours cadenassés, il est difficile de les emprunter aux autres unités ; les clés des électriques ne sont pas laissés dessus

- « Génère de la perte de temps et du stress »

- Salle des coffres : les bureaux sont de simples plan de travail trop bas, les sièges sont cassées, non réglables.

- Station : souvent des problèmes techniques, cuves, pompes et sont mal pris en charge par les problèmes de maintenance. Ces problèmes fréquents entrainent l’arrêt de la pompe, les clients qui s’acharnent et un stress important

45

- C’est toujours compliqué d’obtenir du matériel tel que gants, gilets…

- « Manque cruel de matériel ! »

- « On ne peux pas faire un planning de répartition du matériel puisque l’on en a toujours besoin »

- « On se plaint souvent du matériel et c’est pénible de râler ! »

- La chaine de maintenance est devenue trop longue : faire part au chef de département du problème qui mail au service technique, ce dernier convient alors d’un rendez-vous.

- Le personnel ne prend pas garde à l’entretien du matériel (ne met pas d’eau pour les batteries des fenwicks)

- Le problème a souvent été remonté vers la hiérarchie mais sans retour

- Garden : les Rolls fournis par le fournisseur sont souvent défaillants, roues cassées par exemple.

- Unités concernées : boulangerie/pâtisserie, boucherie, charcuterie/traiteur, ELS, caisses, services généraux, ADM.

- Charcuterie coupe : préconisation : mettre une barre sous le rayon pour permettre de plier les jambes (améliore les postures) et être en appui (pour aller chercher les produits au fond du bac)

Pôle Collectif

Relation entre collègues et avec la hiérarchie (13.11 %)

- « On ne travail qu’entre filles ! Ca serait bien un peu d’hommes ! »

- Problème en caisse centrale : une des filles est agressive, répond mal au téléphone comme « oui, quoi encore ?! », crée de la tension, « on appréhende de l’appeler, mais on est obligée » ; « on est à l’école maternelle avec la fille de la caisse centrale ! »

- « Plusieurs cas d’arrêts maladie à cause du problème de la caisse centrale ! »

- Manque d’implication de certains collègues dans leur travail

- Incertitude de la hiérarchie : le fait qu’elle ait maintes fois changée

- « Les conditions se dont dégradées en 20 ans, les gens ne sourient plus…Le travail n’est pas pénible en soi, c’est l’ambiance de travail qui définit la pénibilité…Y’a un vrai malaise, tout le monde dit « j’en ai ras le bol ! » à longueur de journée…L’ambiance s’est dégradée…Les gens ont besoin d’être rassurés… Il ya un grand manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie…»

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- La hiérarchie n’informe pas assez, ne savent pas où ils vont, vont-ils devenir complètement Leclerc ? La direction va-t-elle une fois de plus changer ?

- Les comportements citoyens, au-delà de la tâche prescrite, ne sont pas valorisés.

- Rapport déséquilibré entre travail fourni et rémunération

- « Quand on fait des erreurs, on nous le reproche ; mais quand on travail bien, aucune reconnaissance ! La non reconnaissance est aussi pénible »

- « La nouvelle direction est tout de même ouverte, si j’ai un problème, je peux aller parler à Mr Lorentz…très réactif »

- « Petits soucis avec certains hiérarchiques et certains collègues »

- Unités concernées : poissonnerie, boucherie, charcuterie/traiteur, F&L, ELS et caisses

- Incertitude de l’avenir : « on ne sais pas ce qu’il va se passer avec Leclerc…il n’y a que des bruits de couloirs…Quand le personnel suit les chef, l’entreprise tourne bien ; quand il ne suit pas, c’est pas bon…C’est les salariés qui font tourner la machine ! »

Relation client (19.67 %)

- Les agressions verbales sont difficiles à vivre, « on est seule contre tous et on ne peut rétorquer » ; ces agressions sont plus courantes ces derniers temps ; certaines savent répondre quand il le faut ;

- « Les clients, tout leur est dû…ils sont de plus en plus malhonnêtes »

- Non respect des clients « ils jettent les affaires devant vous ! »

- Unités concernées : fromage, ELS et caisses

Isolement (1.64 %)

- Station : la dépendance avec la caisse centrale, l’isolement et la solitude lui pèsent

Pôle Environnemental

Architecture (6.56 %)

- Bazar permanent ELS : la porte du hangar est fermée la moitié de la journée depuis 6 mois sous prétexte d’un problème de sécurité. C’est étouffant, on ne peut plus prendre un bol d’air pour décompenser. Insiste là-dessus, « c’est vraiment pénible ! »

47

- Aussi, la porte de la réserve ne s’ouvre pas automatiquement donc se referme souvent lors du passage d’une palette ce qui fait tomber des cartons, doit constamment les ramasser.

- Boulangerie : le passage entre la réserve et le frigo est trop étroit pour faire passer les palettes et c’est le seul passage. Il propose de faire une porte dans la réserve, ce qui est de moindre coût, un gain de temps puisqu’il arrive directement dans la réserve ; il dit pouvoir s’arranger pour le manque de place que ça générera.

- ELS Crèmerie LS : les couloirs sont souvent encombrés et rendent difficiles voire parfois impossible le passage des palettes. Tout le monde laisse palettes, rolls et autres. A souvent été remonté mais aucun retour.

- Plusieurs carrelages ont été cassés et n’ont toujours pas été arrangés depuis le temps.

Luminosité (6.56 %)

- Poissonnerie : les lumières sur les étalages sont trop fortes, pénibles, gênants et font mal aux yeux

- Charcuterie LS : les néons du rayon sont trop forts

- Caisse : luminosité importante

- MAB : beaucoup de spots

Bruit (4.92 %)

- Bruit de caisse parfois important

- Charcuterie coupe : bruit important

- Caisse : bruit important, surtout le samedi à cause de la galerie, les enfants qui jouent et crient

- Drive : la sonnerie des livraisons est insupportable, devrait être plus courte

Produits forts (4.92 %)

- Garden ELS : produits phytosanitaires, engrais, désherbant sont des produits qui sentent forts et c’est désagréable de travailler avec

- ELS textile : odeurs fortes de plastique quand elle déballe les chaussures, entraines parfois des migraines, elle reste parfois deux bonnes heures à déballer ces types de chaussures ; a le droit de prendre des pauses en plus pour s’aérer.

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Produits chimiques (1.64 %)

- ELS bazar permanent : manipule certains produits d’entretiens qui sont forts et peut-être dangereux

Température (14.75 %)

- Boucherie LS : travail souvent dans le froid (viande, chambre froide) et a des problèmes d’arthrose qui ne sont pas handicapants mais le ressent souvent

- Pâtisserie : « ce n’est pas évident la variation de température, passer du froid au chaud constamment, c’est plus facile de travailler quand il fait toujours trop froid ou toujours trop chaud, on s’habille en conséquence et on s’adapte »

- Caisse : courant d’air

- Drive : travaille toute la journée en chambre froide, même si elle a choisie, c’est difficile pour elle « les mains en prennent un coup ». Le changement de température est pénible surtout en été

- Boulangerie : « les fortes chaleurs en été, ça monte à 39 °C ». Une femme enceinte a déjà fait un malaise. Ont essayés de faire une ouverture dans le laboratoire mais sans succès. Ne peuvent pas ouvrir les portes de secours par mesure d’hygiène mais elle propose l’idée d’une moustiquaire

- Fromage crèmerie coupe : toute la journée au froid dans le labo

- F&L : en hiver, il fait parfois plus froid à l’intérieur de la réserve qu’à l’extérieur, le hangar est gelé et atteint parfois les -5 °C

Pôle Organisation du travail

Charge de travail (9.84 %)

- Service technique : sous-effectif 3 personnes seulement, ne termine jamais ce qu’il commence, les astreintes sont pénibles et mal rémunérées, mais tout de même satisfait « il ya des endroits où c’est marche ou crève ! »

- Drive : est à 60/semaine, pas de RTT, pas de pointeuse, fait trop d’heures et n’est pas rémunérée en conséquence ; ne veut pas se plaindre au risque de se faire mal voir ; « si je ne suis pas là, le travail ne sera pas fait » (agent de maitrise) : « le drive, c’est une bonne expérience sauf pour les heures ! »

- Fromage : charge de travail trop lourde en fin de semaine, sous-effectif, besoin urgent d’une aide

- ELS textile : sous-effectif, « on court toute la journée ! »

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- Electro : manque d’intendance qui a des répercussions sur les ventes, est souvent obligé d’aller chercher lui-même les produits qu’il vend dans la réserve d’où une perte de temps et de clients. Manque de personnel les jours de grande affluence, les gens deviennent agressifs quand il ya du monde, il ramène l’anecdote de deux personnes de 70 ans qui en viennent aux mains !

- Bazar permanent : sous effectif « dû certainement à la conjoncture actuelle »

Rythme de travail (9.84 %)

- Caisse : 6h45 d’affilé est trop long en caisse, il n’y a pas de pause déjeuner pour ceux qui travaillent moins de 8 heures. Les horaires sont atypiques, les plannings sont donnés une semaine avant, impossible de s’organiser. Certaines d’entre elles n’ont jamais de samedi de libre.

- C’est pénible de se lever tout les matins à 4 h

- ELS Epicerie : « mes petites semaines c’est du 42- 44 h, la rémunération ne suit pas mais c’est ma passion et j’aime ce que je fais »

- Réception : la direction prétend qu’ils sont trop de réceptionnaire mais ne comprend pas puisqu’il court toujours

Procédures organisationnelles (14.75 %)

- Ligne de caisse : stress trop important en caisse central, n’ose plus appeler alors qu’elle y est contrainte. Temps d’attente trop important pour obtenir le prix d’un article : il faudrait revoir l’organisation au niveau de la caisse centrale, au niveau des rayons et au niveau de la gestion des prix, trop d’articles ne passent pas encore (liquides…)

- Service technique : le nouveau logiciel de la gestion des commandes permet d’évacuer lentement la charge de travail

Logistique/Relation fournisseur SCAP (9.84 %)

- SCAPALSACE (Le fournisseur) ne respectent jamais les délais, ils viennent ou trop tôt, ou trop tard, viennent entre 12h et 14 h alors qu’ils ne devraient pas. Au début, depuis novembre, ça tournait, mais depuis quelques mois c’est catastrophique

- Manutention pour rien puisque les palettes qui sont livrées sont trop hautes, trop hétérogènes et pas du tout organisées en fonction des produits : les mêmes produits se trouvent à plusieurs niveau de la palette, ou bien encore des produits de deux unités complètement différents se retrouvent sur la même palette. Ceci oblige celui

50

qui cherche sa livraison de dépoter entièrement la palette pour remettre le tout ensuite, elle sera souvent à nouveau dépotée pour les produits restants.

- F&L : SCAP livre deux fois par semaine ce qui fait que les livraisons sont importantes et pas assez de place pour tout stocker, grand problème pour les produits frais.

- ELS crèmerie : à 99 % il ya de la casse qui génère du nettoyage en plus et de la perte de temps

- Unités concernées : Charcuterie, F&L, ELS

Pôle Individuel

Routine (1.64 %)

- Mêmes opérations, mêmes tâches, le F&L est le secteur le plus varié puisqu’il y a au moins les produits saisonniers ! pas d’évolution.

Stress (9.84 %)

- Chaque nouvelle étape d’un parcours professionnel entraine une période de stress jusqu’à une adaptation. Le stress positif est bénéfique.

- « On ne peut pas terminer les tâches que l’on commence »

- « gérer plusieurs tâches en même temps »

- « Stress à l’occasion mais pas tout les jours »

- Unités concernées : boucherie, ELS, electro, caisses, services généraux.

Vie privée/vie professionnelle (1.64%)

- ELS textile : après une journée éreintante de stress et de course, difficile de garder le sourire chez soi.

- Caisse : les horaires atypiques, le fait d’avoir un samedi sur trois, d’avoir son planning une semaine à l’avance empêche de s’organiser et d’avoir une vie privée digne

51

2.3 Synthèse du pré-diagnostic

Ci-après, la composition su Noyau central et de ses éléments périphériques

Noyau central

Manutention

Matériel

Postures

Température

Relation client

Process organisatio

nnels

Relations collègues

Pénibilité Physique

Relationnel / Organisation

52

Le contenu de la représentation que le collectif de travail a de la pénibilité physique se

compose du Noyau central et des éléments périphériques. Un léger redécoupage

sémantique a été effectué afin cette fois-ci de se rapprocher au mieux de la pénibilité

Eléments périphériques

Gestes répétitifs

Luminosité

Bruit

Infrastructure

Rythme de

travail Manque d'implica

tion

Charge de travail

Logistique

Impact vie

privée

Stress

Pénibilité Physique

Organisationnel

Individuel

53

physique au sens légal du terme. Il apparait que le Noyau central présente principalement

une catégorie renvoyant à des contraintes physiques marquées et une autre renvoyant à

des contraintes relationnelles. Les contraintes physiques correspondent à la manutention,

les postures pénibles et le défaut de matériel ; sachant que ce dernier revient à une

augmentation de la manutention et des postures pénibles. Les contraintes relationnelles

correspondent à des difficultés rencontrées dans le collectif de travail, au sein des rapports

entre collègues ainsi que dans le rapport à la clientèle. Il semble que l’on est loin de la

définition de la pénibilité en termes purement physique ; les contraintes relationnelles y

comptent une place importante.

Concernant cette dernière remarque, il est à noter que la question ouverte « Quand je vous

parle de pénibilité, à quoi pensez-vous ? » qui était posé au début de l’entretien utilisait le

terme « pénibilité » et non pas « pénibilité physique » afin justement d’éviter une certaine

orientation des opinions évoquées par les participants.

Il est intéressant de noter deux éléments : le premier renvoie au fait que les contraintes

physiques marquées (manutention et postures) et les contraintes relationnelles concordent

bien à ce que l’on pourrait s’attendre à observer dans ce contexte qu’est la grande

distribution. Effectivement, s’il y a deux pôles essentiels qui caractérisent l’activité

principale de ce contexte, ce sont bien le fait de distribuer (qui implique le port de charges,

le rangement…) et le service au client. Le deuxième élément concerne le lien qu’ont établi

les participants entre la relation à l’autre et la pénibilité du travail. Le travail devient

pénible pas uniquement lorsque le corps est interpellé plus qu’il n’en faut, mais quand la

relation à l’autre n’est pas ce qu’elle devrait être. On retiendra de cette analyse donc que la

représentation qu’ont les salariés du travail pénible renvoie à des contraintes physiques et

des contraintes relationnelles.

Cette dernière remarque n’est pas sans rappeler les implications du travailler dont

Dejours, cité plus haut, fit part : le rapport au réel du monde et le rapport du réel social.

54

Deux optiques apparaissent des résultats présentés :

- La première envisage le contenu des résultats comme tel ; ce qui signifie que les

risques liées à la pénibilité du travail physique sont ceux énoncés par les salariés.

Quand bien même ils n’auraient apparemment pas de rapport avec les définitions

communément admises, celles évoquées par le code du travail. Par exemple, une

charge de travail trop importante constituerait un facteur de risque malgré le fait

qu’il ne fasse pas parti des 10 facteurs énoncés par le législateur. Cette optique

proposerait de considérer la seule parole des salariés comme unique déterminant de

ce que pourrait signifier la pénibilité physique.

- La deuxième optique prendrait en considération uniquement le point de vue du

législateur dans ses recommandations des 10 facteurs énumérés. Il s’agirait

d’employer une démarche purement légaliste même si de par ailleurs on pourrait

prendre en compte, pour d’éventuels plans d’action, les autres facteurs avancés par

les salariés.

La distinction entre ces deux optiques est majeure dans le sens où elle va faire basculer le

diagnostic vers l’obligation d’un plan d’action ou pas. En effet, pour être soumis à

l’élaboration d’un plan d’action 50 % de l’effectif doit être exposé aux facteurs de risque

avancés par le texte de loi. Il s’ensuit que même si 50 % de l’effectif était concerné par un

problème de charge de travail, aucune obligation ne reposerait sur la tête de l’employeur.

Le groupe pilote qui avait comme mot d’ordre de s’en tenir aux recommandations légales

s’est donc contenté, et à juste titre, de préférer la deuxième optique en gardant à l’esprit la

possibilité de prendre en compte les facteurs émis par les salariés dans le cas où moins de

50 % de l’effectif serait exposé. L’attente des salariés a donc créé une mobilisation du

groupe pilote s’engagea plus fortement en aval.

55

2.4 Unités concernés par au moins un facteur de risque recensé légalement

Boulangerie/patisserie

Poissonnerie

Boucherie

Charcuterie/Traiteur

F&L

Fromage

ELS

Electro

SAV

Caisse

Service généraux

ADM

Drive

BruitTravail de nuit

Equipe successi

ve Travail répétitif

Manutention

manuelle

Postures

pénibles

Vibrations

mécaniques ACD

Milieu hyperbar

e

Températures

extrêmes

Contraintes physiques marquées

Environnement physique agressif

Rythme de travail

Ce tableau présente donc les unités concernées par au moins un facteur de risque énoncé

par le texte de loi sans en connaitre l’intensité. L’objectif de ce pré-diagnostic était de

repérer les unités exposés et les facteurs responsables pour envisager une analyse plus

ciblée des paramètres en question. Le travail du diagnostic sera alors d’élaborer des seuils

et des modes d’évaluation permettant de chiffrer les risques.

II- Diagnostic

Cette première cartographie proposée par le pré-diagnostic renseigne sur les unités

nécessitant une analyse plus fine des postes. Il s’agira à présent de quantifier ces facteurs

afin de pouvoir déterminer l’effectif exposé. Pour cela, des seuils ont été définis.

56

1- Définition des seuils

Le code du travail a défini les seuils limites d’une partie des facteurs :

- La manutention manuelle : 55 kg pour les hommes et 25 kg pour les femmes

- Les vibrations mécaniques : >1.15 m/s² + 7 heures par jour

- Les agents chimiques dangereux : la liste est précisée

- Le milieu hyperbare : > 0.1 bar

- Températures extrêmes : il s’agit d’une préconisation seulement qui est de <10 °C

pour le froid et > 28°C à 30°C en fonction que le travail soit sédentaire ou pas

- Bruit : >85 dB pour une journée entière

- Le travail de nuit : plus de 3 heures de travail entre 21 h et 5/6 du matin, trois fois

par semaine ; ou bien 270 h par an

- Le travail répétitif : temps de cycle < 30 seconde / activité >50 % du temps de

travail

Pour les postures et le travail en équipe successives, aucun seuil n’a été précisé par le code

du travail. Aussi, la manutention manuelle étant trop imprécise et le seuil indiqué étant

sur quantifié, le groupe pilote a fait appel à d’autres sources pour déterminer les trois

seuils restant : l’INRS, la CARSAT et le groupe SOCOTEC. A été arrêté ce qui suit :

57

- Manutention manuelle :

Exposition

journalière

Hommes Femmes

Poids

soulevé

Poids d'un

chariot

poussé/tiré

Poids

soulevé

Poids d'un

chariot

poussé/tiré

1h 25 kg 250 kg 15 kg 200 kg

2h 15/25 kg 200/250 kg 10/15 kg 150/200 kg

5h 10/15 kg 150/200 kg 5/10 kg 100/150 kg

- Postures : bras en l’air 10h / semaine ; position genoux accroupis ou torsion du

tronc 2 h / semaine ; tronc penché en avant 20 h / semaine.

- Travail en équipe successive : 2*8 et 3*8

Il est à souligner que dans la logique des choses, il aurait été préférable de déterminer des

seuils propres à Hypercoop en y investissant une étude particulière par le biais de

questionnaire. Cependant, cette nouvelle étude représentait un investissement de temps et

d’énergie que le groupe pilote n’a pas jugé bon de mener.

2- L’observation terrain

Au préalable, une analyse de poste a été menée auprès des chefs de département, chefs de

rayon et les salariés eux même afin de définir toutes les situations de travail qui puissent

exister. Par exemple, on distinguait, en boulangerie, le poste de conditionnement de celui

du four quand bien ils n’étaient espacés que de deux mètres ; la température au contact du

four n’étant pas la même qu’espacé de deux mètres.

Manutention

58

L’estimation de la manutention a été ardue dans la mesure où nul n’était capable de savoir

le poids qu’ils portaient ou tiraient. Certains salariés étaient amenés parfois à utiliser des

tires-palettes manuels ; le problème étant de quantifier en termes de poids et de temps. Il a

donc fallut parfois peser les palettes à leur arrivée pour en déterminer le poids, ou bien

suivre certains salariés dans leur travail pour déterminer une fréquence.

Les postures

Il en va de même pour les postures qui ne sont pas systématiques. Les habitudes de travail

l’emportent tellement que certains salariés ne savaient pas répondre s’ils s’accroupissaient

lorsqu’ils rangeaient des produits au bas des étagères ou s’ils s’asseyaient simplement sur

un tabouret bas. Il a fallut calculer le temps moyen de rangement d’une étagère, multiplier

ensuite par le nombre d’étagère de bas niveau pour enfin multiplier le tout par le nombre

de rayon à ranger par jour ; ce qui donnait une estimation des salariés exposés à des

postures pénibles. Il se trouve que principalement, ce sont les employés du libre service qui

sont le plus exposés puisqu’ils ont à ranger de manière continue des produits à des endroits

difficiles d’accès.

Température et bruit

Les postes présentant des risques de température et de bruit pénibles ont été mesurés

plusieurs fois à l’aide de thermomètre et de sonomètre durant des périodes de fortes et de

faibles affluences. Etonnamment, aucune des unités répertoriée dans le pré-diagnostic n’a

révélé une exposition à ces deux facteurs. Cela pourrait être du au ressenti subjectif qui ne

se retrouve pas dans les seuils retenus. Cette remarque constituera une des limites de cette

démarche qui ne prend en compte qu’une partie de la population. En effet, pour le code du

travail, une personne qui travaille toute une journée dans un environnement à 13 °C n’est

pas exposée au facteur de risque qu’est la température. Ce qui pourrait paraître

étonnant…

Gestes répétitifs

Pour les caisses, une analyse spécifique a été menée étant donné les risques de pénibilité

(gestes répétitifs, manutention, postures) à priori accrus que peut représenter ce poste de

travail. De plus, lors d’une réunion avec le CHSCT, le responsable de la CARSAT

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s’étonnait qu’un nombre considérable d’entreprise de la grande distribution rende leur

diagnostic sans aucune trace de facteurs de risques de gestes répétitifs chez les hôtesses de

caisse. Au vu des AT-MP chez les caissières, il nous invita à mener des analyses plus fines.

A été donc mené :

- Des observations directes en condition réelle

- Des observations vidéo

- Analyses statistiques à partir du logiciel de caisse

- Passation de la check-list OSHA (outil de dépistage des TMS) recommandée par la

CARSAT

3- Diagnostic final

Tableau 3.1 : Nombre de salariés par unité exposé à au moins un facteur de risque

Manutention manuellePostures péniblesTempératures extrêmesBruit Travail de nuit Nb de salariés ETP Ratio

Boulangerie/patisserie 1 21,33 0,37%

Poissonnerie 2 6,00 0,74%

Boucherie 13,00 0,00%

Charcuterie/Traiteur 3 22,00 1,11%

F&L 8,00 0,00%

Fromage 3,00 0,00%

ELS 52 85,17 19,22%

Electro 17,17 0,00%

SAV 3,00 0,00%

Caisse 58,16 0,00%

Service généraux 10,00 0,00%

ADM 3 11,00 1,11%

Drive 11,66 12,66 4,31%

Total 72,66 270,49 26,86%

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La colonne Nb de salarié renseigne par unité, l’effectif réel exposé à un facteur dont la case

correspondante est dessinée.

L’ETP correspond à l’effectif total que comporte chaque unité (par exemple, 21.33 salariés

travaillent en boulangerie/pâtisserie).

Le ratio correspond à l’effectif exposé réellement divisé par l’effectif total, soit 270,49 (et

non pas divisé par l’effectif de l’unité, puisque ce qui compte c’est bien le nombre de

salariés exposés sur la totalité de l’effectif).

Remarque

L’analyse du poste de caisse n’a révélé aucun facteur de risque.

L’observation vidéo a montré que pour un période affluente, la manutention de produit

avoisinant les 10 kg se produisait moins d’une dizaine de fois.

La moyenne générale obtenue à la check-list OSHA est de 3, le maximum n’atteignant pas

les 5 (à partir de 5 on entre dans un intervalle à risque).

Enfin, en moyenne, le temps d’enregistrement (temps de passage réel des produits) atteint

les 43 % du temps total de travail.

Préconisations

Bien que l’effectif exposé à des facteurs de pénibilité, au sens de ceux évoqués par le code

du travail, n’atteignent pas les 50 % et qu’à ce titre nul plan d’action n’est requis de la

part de l’employeur, la direction proposa, au vu de l’attente des salariés qu’a pu suggérer

cette démarche, de déployer certaines actions dont le but est d’œuvrer dans le sens d’une

réduction de la pénibilité. Aussi, le temps n’étant pas encore celui des réflexions sur

lesdites actions puisque le diagnostic n’a pas encore été présenté aux élus, je propose tout

de même certaines préconisations qui pourraient être avancées.

61

L’encadrement du matériel

Il représente un des éléments les plus cités pas les salariés lors des entretiens individuels.

Le problème majeur était celui du manque de matériel et du manque d’entretiens. Or,

quelques mois avant le lancement de la démarche pénibilité, le directeur du magasin avait

effectué un inventaire de tout le matériel présent au sein du magasin. Le résultat montrait

que le nombre de tire palettes électriques était largement au-dessus de la moyenne par

rapport au nombre de collaborateurs. Il s’ensuit qu’il s’agirait plus d’une mauvaise

organisation du matériel en termes de distribution et de partage qu’un manque effectif de

ressources. Ajoutons de par ailleurs, qu’une ambiance de méfiance régnait autour de cette

problématique ; nombre de collaborateurs cadenassait leurs machines – ou celles qu’ils

considéraient comme les leurs – pour éviter que d’autres les utilisent sans les remettre à

leurs places. Le problème évoqué par le matériel serait donc plus d’ordre relationnel que

d’un manque de ressources. Plus, ce problème relationnel n’est autre qu’une conséquence

d’un manque d’organisation au niveau de la rétribution et du partage du matériel.

Ce sont les raisons pour lesquelles il pourrait être envisageable d’encadrer les emprunts de

matériels entre collaborateurs par l’établissement de règles comme la disposition de lieux

destinés à l’emplacement, de fixer des durée maximales d’utilisation, de redéfinir les

besoins de chaque secteur…

La formation

Parmi les éléments les plus cités au cours des entretiens, on trouve les contraintes

relationnelles avec les clients (essentiellement pour les caisses), la manutention, les

postures pénibles. Le dénominateur commun entre ces trois éléments est le caractère

d’apprentissage qu’ils présentent. En effet, il est possible d’agir vers une amélioration des

ces contraintes par des plans de formation. Certaines des caissières ont déjà bénéficiées de

formations portant sur la façon de répondre à des agressions, les techniques de prise de

distance, de rationalisation. Aussi, pour les gestes et postures ainsi que les techniques de

port de charge, nombre d’employés ne respectent pas les règles en vigueur soit parce qu’ils

n’ont jamais eu l’occasion de les apprendre soit parce qu’ils n’ont pas l’occasion de les

revisiter. Ce qui est tout de même étonnant pour une population où ces techniques sont les

plus sollicitées.

62

Rotation de postes

La démarche pénibilité peut être entrevue comme un levier d’action. Un des problèmes

majeurs qu’elle souhaite mettre en évidence est le facteur fréquence des tâches. Que ce soit

les manutentions, les postures, les gestes répétitifs ou encore le rythme de travail, ce qui

est contraignant est le caractère fréquent et périodique de ces activités. Une amélioration

possible qui agirait sur ce point est de travailler sur la diversité des tâches et des situations

de travail. Pour le coup, la grande distribution a l’avantage de travailler avec des postes

de travail interchangeables requérant les mêmes compétences. Ainsi, un employé libre

service responsable des condiments fait appel aux mêmes activités que celui responsable de

la mise en rayon des produits carnés. Il serait judicieux de revisiter l’organisation du

travail en insérant des rotations de postes à certains intervalles de temps permettant ainsi

au travailleur de ne pas avoir à effectuer les mêmes tâches durant une journée entière. Un

poste différent est un environnement proposant des collègues différents, parfois des

procédures et des outils différents.

L’analyse de postes

En partie complémentaire et constituant un préalable à la préconisation citée ci-avant,

l’analyse de postes permet de redéfinir les objectifs, les rôles, les compétences requises de

chaque poste. Partant, il est envisageable d’organiser une véritable politique RH orientée

vers l’interchangeabilité des postes et à terme, l’évolution de poste. Si les fiches de postes

étaient mises en place de manière systématiques, il serait aisé d’alterner les postes quand la

situation le permet ou de faire évoluer en compétence vers des postes de même famille de

métier mais nécessitant une certaine formation, par exemple.

63

Chapitre 4 :

Discussion

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Le diagnostic présente donc un effectif exposé effectivement à des facteurs de pénibilité

physique mais qui se trouve être inférieur au seuil de 50 %, seuil à partir duquel

l’employeur est tenu d’élaborer un plan d’action ou de négocier un accord. Outre le fait

qu’il n’y soit pas tenu, l’employeur proposa pourtant de déployer certains leviers d’actions

afin d’améliorer les conditions. Mais pourquoi ce surinvestissement ?

Probablement pour la simple raison que le groupe pilote a été inscrit dans un contexte où

la réalisation d’un acte l’engagea. Le fait de s’être assis autour d’une table, d’avoir

réfléchit sur l’élaboration d’une démarche, amorça un investissement plus conséquent en

fin de chaîne. De surcroît, l’attente créée chez les salariés a revêtit un caractère public qui

renforça d’autant plus l’engagement. Enfin, l’espace de liberté laissé par les soins – ou pas

– du législateur intensifie le caractère engageant de la démarche.

Il ya, toutefois, une question cruciale à laquelle je ne pense pas avoir répondu. Pourquoi

l’article de loi circonscrit-il la pénibilité physique aux 10 facteurs qu’il énumère ? Que fait-

on dès lors des autres facteurs partagés par les salariés au cours des entretiens ? Qui est

mieux lotie qu’eux pour prétendre savoir lesquels des facteurs causent de la pénibilité ? De

s’être attelé à la loi, on a relayé la parole des salariés en arrière-plan.

J’embraye pour conclure sur ce qui a été pour moi le plus prégnant dans ce diagnostic. La

parole du salarié sera-t-elle un jour réellement entendu ? Ou sera-t-elle destinée à errer au

gré des vents plus ou moins forts de la l’économie ? Il ne s’agit pas de m’engager dans ce

discours fataliste qui situe le pauvre salarié au bas de l’échelle sociale et envers qui

personne n’y peut rien, mais bien de prendre la mesure du problème. Parce que la parole

du salarié que j’ai pu entendre est celle qui chante « métro, boulot, caveau », une parole

qui tourne sur elle-même. Il n’est pas question ici d’une critique de la financiarisation, elle

a su être largement déployée chez des auteurs éminents. Il est plutôt ici question

d’interroger la place de la culture dans la cité. Entendons par culture, l’accès au

symbolique dans le sens d’une sublimation. Si le travail n’est pas orienté vers autre chose

que son propre mouvement, c’est la pulsion de mort qui rattrapera au vol le pauvre

travailleur qui n’aura d’autre choix que de rendre les armes.

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Nous sommes loin de la vita activia de Hanna Arendt qui, au-delà du travail en tant que

nécessité économique, indique l’œuvre et puis l’action qui invite à la pluralité humaine.

Nous sommes loin de ce que Desjours appelait la révélation d’une subjectivité. Et pour ce

qui est de la vita comtemplativa, c’est un peu comme si elle n’avait jamais existé.

Peut-être reproduisons-nous simplement le modèle grec chez qui seul le courageux, celui

qui hissait son désir au dessus de la nécessité, était homme libre et avait le droit de cité

dans la vie contemplative ; pour les autres, il restait l’esclavage.

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Références bibliographiques

Crozier, M.; Friedberg, E., 1977. L’acteur et le système. Paris, Editions du Seuil.

Dejours, C., 2001, « Subjectivité, travail et action », La Pensée, 328, pp. 7-19.

Festinger, L., 1957. A theory of cognitive dissonance. Evanston, Ill: Row Peterson.

Giust- Desprairies, F. ; Giust-Ollivier, A-C., 2010. « La fabrication du risque psychosocial

ou la neutralisation de la conflictualité », Nouvelle revue de psychosociologie, 2010/2 n°

10, p. 29-40.

Hatchuel, A. ; Segrestin, B., 2009. « Subordination formelle, subordination réelle : quand

le contrat de travail cache l’entreprise ». Forum de la régulation 2009, Mines Paris Tech.

Joule, R-V. ; Beauvois, J-L., 1987. Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens,

Grenoble : PUG.

Kiesler, C.A., 1971. The Psychology of Commitment. New York : academic press.

Mintzberg, H., 2004. Le management, voyage au centre des organisations. Paris : Editions

d’Organisation.

Arendt, H., 1983. Condition de l’homme moderne. Paris : Calmann-Levy.

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Annexes

Annexe 1 : Support d’entretien individuel

Affectation Catégorie Nom

Sexe

1- "…Quand je vous parle de pénibilité au travail, à quoi pensez-vous?"

Items Hiérarchisation Pénibilité réelle

1

2

3

4

5

6

7

2- "Parmi les éléments évoqués, estimez, selon vous, ceux qui représentent le plus une source de pénibilité"

Explicitation des termes Remarques

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Explicitation des termes Remarques

4- Sur une échelle de 1 à 10, êtes-vous satisfait(e) de la démarche pénibilité?

5- Pour vous, la pénibilité au travail, est un élément plutôt (à poser implicitement) a) Objectif

b) Subjectif (qui dépend du ressenti)

6- Quels sont les mesures (seuils) de la pénibilité (à poser implicitement) ?

7- Quelle part de pénibilité est t-elle inhérente au travail et quelle autre est liée aux conditions de travail ? (à poser implicitement)