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LES GRANDS ORATEURS DE LA RVOLUTION MIRABEAU, VERGNIAUD, DANTON, ROBESPIERRE

Les grands orateurs de la Rvolution (1914)203

Franois-Alphose AULARD (1849-1928)professeur dhistoire de la Rvolution franaise

(1914)

LES GRANDS ORATEURSDE LA RVOLUTION

MIRABEAU, VERGNIAUD,DANTON, ROBESPIERRE.

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Franois-Alphonse Aulard

LES GRANDS ORATEURS DE LA RVOLUTION.MIRABEAU, VERGNIAUD, DANTON, ROBESPIERRE

Bibliobazaar, 2007, 250 pp.

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Franois-Alphose AULARD (1849-1928)professeur dhistoire de la Rvolution franaise

LES GRANDS ORATEURS DE LA RVOLUTION.MIRABEAU, VERGNIAUD, DANTON, ROBESPIERRE

Bibliobazaar, 2007, 250 pp.

Table des matires

MIRABEAU

I.Lducation oratoire de MirabeauII.La politique de MirabeauIII.Les discours de MirabeauIV.Mirabeau la tribune

VERGNIAUD

I.La jeunesse et le caractre de VergniaudII.Lducation oratoire de VergniaudIII.La politique de VergniaudIV.Les discours de Vergniaud jusquau 10 aot 1792V.Les discours de Vergniaud du 10 aot 1792 jusquau 2 juin 1793VI.Les lettres politiques de Vergnaud et sa dfenseVII.La mthode oratoire de Vergniaud

DANTON

I.Le texte des discours de DantonII.Le caractre et lducation de DantonIII.Linspiration oratoire de DantonIV.La composition et le style des discours de DantonV.Danton la tribune

ROBESPIERRE

I.Robespierre la ConstituanteII.La politique religieuse de Robespierre la ConventionIII.Les principaux discours de Robespierre la ConventionIV.La rhtorique de Robespierre

Les grands orateurs de la Rvolution. (1914)

MIRABEAU_______

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Les grands orateursde la Rvolution. (1914)MIRABEAU

I

Lducation oratoirede Mirabeau

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresNul homme ne fut peut-tre mieux prpar que Mirabeau la carrire oratoire. Ces conditions de savoir universel rclames par les anciens, il les remplissait mieux que personne en 1789. Sa lecture tait prodigieuse, grce aux longues annes quil avait passes en prison. Ni au chteau dIf, ni au fort de Joux, ni au donjon de Vincennes, les livres ne lui furent interdits. Il en demande et en obtient de toutes sortes: romans, histoire, journaux, pamphlets, traits de gomtrie, de physique, de mathmatiques affluent dans sa cellule, et, si on tente de les lui refuser, son loquence irrsistible sduit et conquiert geliers et gardiens. Loin dtre isol, par sa captivit, du mouvement des ides, il reste en contact quotidien avec le dveloppement intellectuel de son poque. Cest peu de lire: il prend des notes, fait des extraits, envoie chaque jour Sophie un journal o ses impressions de lecteur tiennent autant de place que ses effusions damoureux, commente et traduit Tacite, compose son Essai sur les lettres de cachet et sur les prisons dEtat, un essai sur la Tolrance, et, pour lducation de lenfant que va lui donner sa matresse, une mythologie, une grammaire franaise, un cours de littrature ancienne et moderne; enfin, pour dcider Sophie vacciner cet enfant, un traite de linoculation. Ce ne sont l que ses griffonnages de prisonnier. Les livres quil publie attestent une diversit dtudes plus grande encore: le commerce, la finance, les eaux de Paris, le magntisme, lagiotage, Bictre, lconomie politique, la statistique, il nest aucun sujet la mode la fin du xviiie sicle, mme la littrature obscne, quil nait abord et quil nait trait avec clat, scandale, succs. Il nignorait rien de ce qui intressait ses contemporains et ce quil avait appris, il se lassimilait assez vite pour paratre lavoir su de naissance. Oui, comme lorateur antique, il pouvait discourir heureusement sur nimporte quel sujet et tonner lAssemble constituante de la varit de ses connaissances: quil sagisse de politique gnrale, de finances, de mines ou de testaments, il parat tour tour spcialiste dans chacune de ces questions. Que dis-je spcialiste? Ceux-l mme auxquels il doit sa science rcente sinstruisent lentendre, et cest ainsi que les rhteurs dAthnes et de Rome se reprsentaient lorateur digne de ce nom: Que Sulpicius, dit Cicron, ait parler sur lart militaire, il aura recours aux lumires de Marius; mais ensuite, en lentendant parler, Marius sera tent de croire que Sulpicius sait mieux la guerre que lui.Mais si Mirabeau avait appris un peu de tout, ce ntait pas seulement pour devenir un honnte homme la mode du xviiie sicle, ou, comme nous disons aujourdhui, par curiosit de dilettante: le but de ces tudes ne cessa dtre, son insu peut-tre, lart de la parole. Directement ou indirectement, tout ce quil lit, tout ce quil crit ne va servir qu perfectionner en lui ce don de lloquence qui lui tait naturel. Tous ses livres sont des discours, et il ncrit pas une phrase qui ne soit faite pour tre lue haute voix, dclame. Mme dans ses lettres damour, mme dans ses confidences Sophie, il est orateur, il sadresse un public que son imagination lui cre, et, aprs avoir tutoy tendrement son amie, il scrie: Voyez la Hollande, cette cole et ce thtre de tolrance. Disculpant sa matresse, il introduit par la pense tout un auditoire dans sa cellule de Vincennes: Voulez-vous, dit-il dans une lettre Sophie, quelle ait fait une imprudence? elle seule la expie. Personne au monde, quelle et son amant, na t puni de leur erreur, si vous appelez ainsi leur dmarche. Mais comment nommerez-vous le courage avec lequel elle a soutenu le plus affreux des vux? la persvrance dans ses opinions et ses sentiments? la hauteur de ses dmarches au milieu de la plus cruelle dtresse? la dcence de sa conduite dans des circonstances si critiques? Si ce ne sont pas l des vertus, je ne sais ce que vous appellerez ainsi.Il sexera plus directement lloquence, du fond mme de son cachot de Vincennes, dans les suppliques quil adressa aux ministres. Nest-ce pas une vritable proraison que la fin de cette lettre M. de Maurepas pour lui demander prendre du service en Amrique ou aux Indes? Ici, dit-il, jai cess de vivre et je ne jouis pas du repos que donne la mort. Jy vgte inutilement pour la nature entire. Laissez-moi mettre les mers entre mon pre et moi. Je vous promets, Monsieur le comte, ah! oui, je vous jure quon ne rapportera de moi que mon extrait mortuaire, ou des actions qui dmentiront bien haut mes lches, mes perfides calomniateurs, et feront peut-tre regretter les annes quon ma tes. Relgu au bout du monde, je ne serai pas moins prisonnier relativement la France que je ne le suis ici; et le roi aura un sujet de plus qui lui dvouera sa vie.Le mmoire son pre, crit de Vincennes, est un long plaidoyer qui marque un grand progrs dans lloquence de Mirabeau. Cest la postrit quil sadresse, cest nous qui lui servons dauditoire, et il nous charme et nous ravit, sans que jamais lintrt languisse. Tout est calcul avec un art surprenant pour rendre lAmi des hommes odieux et son fils sympathique, et aucun effet ne manque, aucun trait ne tombe ou ne dvie. Son pre lavait exil Maurique, cause des dettes quil avait contractes aussitt aprs son mariage:Entire rsignation de ma part, dit-il, profonde tranquillit, rigoureuse conomie. Et ne croyez pas, sil vous plat, mon pre, que ce fut impossible de trouver de largent. Non, je vous jure; je men fusse aisment procur et bon march; la preuve en est quau moment o je crus madame de Mirabeau grosse pour la seconde fois, je massurai des fonds ncessaires pour la rception de mon enfant Malte, si son sexe lui permettait dy entrer. Je trouvai, 4 p. 100, cet argent, que je laissai en dpt jusqu lvnement. Si je nempruntais pas, cest donc parce que je ne voulais pas emprunter; jtais svrement rsolu dtre invariablement rang. Alors vous me ftes interdire.Veut-on un exemple de narration rapide et de modestie oratoire? Les Parlements Maupeou avaient la faveur du pre de Mirabeau: On sait que les nouveaux parlementaires cabalaient avec vhmence contre nous (les nobles). Mon beau-pre lutta vigoureusement contre eux dans lassemble de la noblesse. On prtendit que javais contribu le rchauffer et le soutenir, ce dont assurment il navait pas besoin; car on ne peut tre meilleur ami ni meilleur patriote. On opinait dapparat. Le hasard fit que mon discours produisit quelque sensation. Nous triomphmes. Ctait un grand crime; mais enfin, ce crime mtait commun avec tous les honntes gensLa proraison est longue et pathtique. Il faut en citer une partie pour montrer ce qutait dj Mirabeau dix ans avant son lection aux Etats gnraux: Je vous ai supplie dtre jug dans votre propre cause; je vous supplie de vous interroger dans la rigidit de votre devoir et le plus intrieur de votre conscience. Avez-vous le droit de me proscrire et de me condamner seul? de vous lever au-dessus des lois et des formes pour me proscrire? Quoi! mon pre, vous, le dfenseur clbre et loquent de la proprit, vous attentez, de votre simple autorit, celle de ma personne! Quoi! mon pre, vous, lAmi des hommes, vous traitez avec un tel despotisme votre fils! Quoi! mon pre, on ne peut statuer sur la libert, lhonneur ou la vie du moindre de vos valets, que sept juges naient prononc, et vous dcidez arbitrairement de mon sort!Alors, par un procd familier aux avocats, il suppose que lAmi des hommes fait lui-mme le plaidoyer de son fils. Voil, mon pre, lbauche de ce que je pouvais dire. Ce nest pas le langage dun courtisan, sans doute; mais vous navez point mis dans mes veines le sang dun esclave. Jose dire: je suis n libre, dans les lieux o tout me crie: non, tu ne les pas. Et ce courage est digne de vous. Je vous adresse des vrits respectueuses, mais hautes et fortes, et il est digne de vous de les entendre et den convenirJe ne puis soutenir un tel genre de vie, mon pre, je ne le puis. Souffrez que je voie le soleil, que je respire plus au large, que jenvisage des humains; que jaie des ressources littraires, depuis si longtemps unique soulagement mes maux; que je sache si mon fils respire et ce quil faitQuoi quil en soit, je jure par le Dieu auquel vous croyez, je jure par lhonneur, qui est le dieu de ceux qui nen reconnaissent point dautre, que la fin de cette anne 1778 ne me verra point vivant au donjon de Vincennes. Je profre hardiment un tel serment; car la libert de disposer de sa vie est la seule que lon ne puisse ter lhomme, mme en le gnant sur les moyens.Il ne tient maintenant qu vous, mon pre, duser de ce droit quavaient les Romains, et qui fait frmir la nature. Prononcez mon arrt de mort, si vous tes altr de mon sang, et votre silence suffit pour le prononcer. Rendez-moi la libert, ce bien inalinable, cette me de la vie, si vous voulez que je conserve celle-ciAinsi, Mirabeau passa une partie de sa vie plaider sa cause auprs de son pre, chercher le point faible de cet homme cuirass dorgueil et de prjugs, plus difficile mouvoir que ne le sera jamais lAssemble constituante, mme en ses jours de mfiance. Cest un discours que le futur orateur recommence chaque jour et chaque lettre quil crit soit son pre, soit son oncle. Cest un thme ternel quil ne cesse de traiter, dont il refait cent fois la forme, essayant ses forces cette tche ardue, sassouplissant cette gymnastique quotidienne, purant, fortifiant son gnie. Inapprciable service que rendit son fils, bien malgr lui, le jaloux et le plus intraitable des tyrans domestiques, auquel lloquence mme et le gnie de sa victime dplaisaient! Il se trouva que Mirabeau dut son pre, lescrime terrible quil lui imposa par sa rigueur muette, quelque chose de la prestesse et de la solidit de son jeu, et peut-tre son attitude impassible la tribune.Telle fut la premire cole de Mirabeau: cest ainsi quil prluda, par des dclamations dont le sujet tait emprunt sa vie, aux exercices de la tribune politique. Il lui arrivait, dans cette rhtorique, ce qui arrivait aux orateurs romains dans leurs suasories et leurs controverses: il nvitait pas le mauvais got, recherchait lantithse et le trait, tombait dans ces dfauts dont le contact du public et la vrit des choses dbarrassent plus tard les vrais orateurs, mais qui brillent comme des qualits dans toutes les confrences de jeunes avocats.Une autre cole plus srieuse acheva de le former et de le murir; ce furent ses procs, dans lesquels il voulut se dfendre lui-mme. Le barreau lattirait. En prison, chose singulire! il est lavocat consultant de ses geliers, par bon cur et aussi pour satisfaire, ne fut-ce que par crit, ses besoins oratoires. Ainsi, au chteau dIf, il compose un mmoire pour le commandant Dallgre, qui avait un procs; au fort de Joux, il crit sur les affaires municipales de la ville de Pontarlier, et il rdige une dfense dun portefaix nomm Jeanret, sans compter un mmoire sur les salines de Franche-Comt. LAvis aux Hessois, publi Clves (1777), pendant son sjour en Hollande, est un vritable plaidoyer contre la traite des blancs. Il collabora la mme anne un mmoire publi par sa mre contre son pre. Enfin, prisonnier volontaire Pontarlier, il publie contre M. Monnier dloquents mmoires qui lui procurent une transaction honorable et dont il peut dire firement: Si ce nest pas l de lloquence inconnue nos sicles barbares, je ne sais ce que cest que ce don du ciel si prcieux et si rare. Son procs avec sa femme, quil ne perdit que parce quil le plaida lui-mme, mit le dernier sceau sa rputation par les qualits extrajuridiques quil y dploya. Il sy montra, sinon bon avocat, du moins grand orateur, grand moraliste, grand acteur, soulevant et apaisant dun geste les plus tragiques passions, tour tour tendre et vhment, suppliant et imprieux, mlant la modestie la plus gracieuse des colres de Titan.Il sleva si haut dans sa plaidoirie du 29 juin 1783, quil fora ladmiration mme de son pre. Celui-ci crivit au bailli: Cest dommage que tous ne lentendissent pas: car il a tant parl, tant hurl, tant rugi, que la crinire du lion tait blanche dcume et distillait la sueur. Quant son adversaire, Portalis, quil a fallu, crit le bailli, emporter vanoui et foudroy hors de la salle, il na plus relev du lit depuis le terrible plaidoyer de cinq heures dont il le terrassa.Quelle prparation la tribune que cette joute oratoire avec un homme comme Portalis, devant une foule immense et moiti hostile, au milieu dune ville agite de passions dj politiques et rvolutionnaires! Et ce fut une bonne fortune pour Mirabeau de navoir remport comme orateur, avant dentrer dans la vie politique, que des succs difficiles. Quel pige en effet pour un homme public de dbuter devant des auditoires bienveillants et gagns davance, qui retrouvent et applaudissent leurs propres penses sur ses lvres, qui lui tent loccasion de dissiper des prventions, de rfuter des interruptions, dchauffer une atmosphre glace, en un mot de sinstruire en luttant et de connatre toute ltendue de ses forces! Ces favoris dun collge lectoral, un Mounier, un Lally, arrivent au parlement mousss par les louanges, ignorants deux-mmes, faciles dconcerter. A la premire contradiction, quils prennent pour un chec, ils sirritent, se dgotent, se taisent ou sen vont. Mirabeau ne connt pas ces fortunes dangereuses: il avait appris plaider sa cause, de vive voix ou la plume la main, dans les conditions les plus dfavorables, contre luniverselle malveillance dont son pre menait le chur. Il sera bien difficile dintimider un athlte si habitu au pril, si cuirass contre le dcouragement: les orages parlementaires, les interruptions, et, ce qui est plus dangereux aux novices, les conversations quon devine et quon nentend pas, ces difficults ne seront pour lui que jeux denfant.Mais, quand mme Mirabeau aurait apport aux Etats gnraux une instruction plus tendue encore, une exprience oratoire plus consomme, un gnie plus minent, tous ces avantages nauraient pas suffi faire de lui un grand orateur politique, sil ne sy tait joint une qualit suprme dont labsence cause et explique linfriorit parlementaire de plus dun homme desprit: je veux parler du got passionn des affaires publiques. Bien avant la runion des Etats, il se fait donner une mission diplomatique Berlin, visite les ministres, leur crit, les conseille, considre comme de son ressort tout ce qui intresse la politique de la France, chef de parti sans parti, journaliste sans journal, orateur sans tribune, homme public dans un pays o il ny avait pas de vie publique. Econduit, ridiculis, calomni, il ne se rebute pas: il faut quil fasse les affaires de la France, quil parle, quil crive pour son pays. Il voit mieux et plus loin que les plus aviss; il conseille et prdit la runion des Etats gnraux quand personne ny songeait encore. Prisonnier, lavenir de la France lintresse plus que le sien. Plaideur malheureux, il soccupe moins de son procs que du procs intent par la nation au despotisme. Perdu de dettes, il sinquite, du fond de sa misre, des finances de son pays. En veut-on une preuve? Au moment o il songeait forcer son pre rendre ses comptes de tutelle, il tait venu de Lige Paris pour consulter ses avocats et ses hommes daffaires. Sa matresse, la tendre madame de Nehra, ny tenant plus dimpatience et danxit, court ly rejoindre et lui demande des nouvelles de son procs: Oui, propos, me dit-il, je voulais vous demander o jen suis? Comment! lui dis-je, ce voyage a t entrepris en partie pour vous en occuper; vous avez vu MM. Treilhard et Grard de Melsy? Moi? dit-il; non, en vrit: jai vu peine Vignon, mon curateur. Jai eu bien dautre chose faire que de penser toutes ces bagatelles. Savez-vous dans quelle crise nous sommes? Savez-vous que laffreux agiotage est son comble? Savez-vous que nous sommes au moment o il ny a peut-tre pas un sou dans le Trsor public? Je souriais de voir un homme dont la bourse tait si mal garnie y songer si peu et saffliger si fort de la dtresse publique.Il accumulait dans son portefeuille les statistiques, les renseignements sur lopinion des provinces, une correspondance norme venue de tous les coins de la France, sentourait de collaborateurs et dagents politiques, prparation la vie publique dont nous avons vu de nos jours un exemple clbre, mais dont on ne pouvait sexpliquer la raison sous lancien rgime. La seule carrire possible pour Mirabeau, ctait la carrire dhomme dEtat, dorateur. Que cette carrire ne souvrit pas devant lui, que la Rvolution tardt, ses vices ne suffisant plus le distraire, il mourait maniaque ou fou, la fois ridicule et dshonor.Cette vocation fatale, irrsistible, salliait une sant de fer, une figure imposante dans sa laideur, une voix sonore et un air de dignit noble et paisible. Ses dfauts extrieurs, choquants chez un homme priv, devenaient autant de qualits chez un tribun. Son attitude et son costume, de mauvais ton dans un salon En voyant entrer Mirabeau, M. de la Marck fut frapp de son extrieur. Il avait une stature haute, carre, paisse. La tte, dj forte au-del des proportions ordinaires, tait encore grossie par une norme chevelure boucle et poudre. Il portait un habit de ville dont les boutons, en pierres de couleur, taient dune grandeur dmesure; des boucles de soulier galement trs grandes. On remarquait enfin dans toute sa toilette, une exagration des modes du jour, qui ne saccordait gure avec le bon got des gens de la cour. Les traits de sa figure taient enlaidis par des marques de petite vrole. Il avait le regard couvert, mais ses yeux taient pleins de feu. En voulant se montrer poli, il exagrait ses rvrences; ses premires paroles furent des compliments prtentieux et assez vulgaires. En un mot, il navait ni les formes ni le langage de la socit dans laquelle il se trouvait, et quoique, par sa naissance, il allt de pair avec ceux qui le recevaient, on voyait nanmoins tout de suite ses manires quil manquait de laisance que donne lhabitude du grand monde Mais, aprs le dner, M. de Meilhan ayant amen la conversation sur la politique et ladministration, tout ce qui avait pu frapper dabord comme ridicule dans lextrieur de Mirabeau disparut linstant. On ne remarqua plus que labondance et la justesse de ses ides, et il entrana tout le monde par sa manire brillante et nergique de les exprimer. (Correspondance de Mirabeau et de La Marck, t. I. p. 86.)Dput de la Snchausse dAix lAssemble Nationale en 1789. Elu prsident le 29 janvier 1791. Mort le 2 avril 1791.A Paris, chez lauteur, Quay des Augustins N 71 au 3e., sharmonisaient, au contraire, la tribune, avec sa tte loquente, ses regards extraordinaires. En ralit, il navait tout son prix, au moral et au physique, que quand il parlait en public. Le Midi seul forme ces natures merveilleuses, faites pour la reprsentation, pour la vie tumultueuse en plein air, pour le contact incessant de la foule, natures que la solitude rapetisse et enlaidit, que la publicit grandit et transfigure, et pour lesquelles lloquence est le plus imprieux des besoins.Tel tait Mirabeau la veille dentrer dans la vie publique, runissant dans sa personne toutes les conditions dloquence parfaite quont numres un Cicron et un Quintilien. Il semble quun tel homme, port par la nature et par les circonstances, va dpasser ce Cicron, quil aimait lire, et qui sait? atteindre Dmosthne, dautant plus que ces grandes vrits, ces admirables lieux communs qui ont fait vivre jusqu nous les harangues antiques, il aura la bonne fortune dtre le premier les exprimer la tribune franaise quil inaugure. Un public tout neuf au plaisir dcouter, voil son auditoire. Les passions et les ides de toute la France, et de la France du xviiie sicle encore philosophe, enthousiaste, hroque, voil la matire de ses harangues. Jamais le gnie ne rencontra de si belles et de si faciles circonstances. Et pourtant, si sublimes que soient les accents du discours sur la banqueroute, si brillante que nous apparaisse la carrire oratoire de Mirabeau, nous rvions mieux. Aprs ces lans sublimes, pourquoi ces chutes, ces langueurs, ces sommeils? Pourquoi la pense du grand homme se drobe-t-elle parfois comme dessein, au lieu de se dvelopper dun discours lautre avec harmonie et clart? Pourquoi la dclamation succde-t-elle tout coup laccent sincre, aux beauts solides et simples? Cest quil manquait Mirabeau un avantage que ses collgues de la Constituante possdaient presque tous: la considration publique. Aujourdhui que nous ne voyons plus de lorateur que le ct glorieux, nous ne pouvons nous figurer avec quel mpris il fut accueilli Versailles. On ne lui parlait pas; on considrait, mme gauche, sa prsence comme un scandale. Outre que ce transfuge de la noblesse ninspirait nulle confiance, une lgende dshonorante sattachait son nom. Les calomnies de son pre avaient fait leur chemin, et tous les vices semblaient marqus hideusement sur cette figure ravage. LAmi des hommes, qui avait obtenu contre son fils jusqua dix-sept lettres de cachet, avait laiss publier, lors du procs dAix, un recueil de ses lettres intimes o il disait de Mirabeau tout ce que pouvaient lui inspirer la haine et une colre habilement attise par M. de Marignane. Mauvais fils, disait-on, mauvais poux, mauvais pre, Mirabeau pouvait-il tre un bon citoyen? Et encore on lui eut pardonn ses vices et ses crimes, mais on laccusait davoir manqu mme lhonneur. On parlait tout haut de sa bassesse et de sa vnalit. Son loquence au dbut tonnait, effrayait, ne convainquait pas. On ne croyait pas ce quil disait.Il parvint sduire, arracher lassentiment, dcider certains votes par lclat blouissant de la vrit; il obtint une grande influence, mais il natteignit jamais lautorit. Souvent son gnie mme se tournait contre lui, et plus les imaginations taient flattes, plus les consciences rsistaient. Dboires, affronts, mpris les moins dguiss, il subit tout, accepta tout, dans la pense de se rhabiliter enfin. Il ny parvint jamais tout fait. Dans certains moments, crit Etienne Dumont, il aurait consenti passer au travers des flammes pour purifier le nom de Mirabeau. Je lai vu pleurer, demi suffoqu de douleur, en disant avec amertume: Jexpie bien cruellement les erreurs de ma jeunesse. Voil pourquoi il tombait quelquefois dans la dclamation. Dsireux de donner au public une bonne ide de lui-mme, il ny pouvait parvenir; le dsaccord de sa vie et de ses paroles tait trop flagrant. Or, le triomphe de lorateur, comme le dit justement un philosophe ancien, cest de paratre ses auditeurs tel quil veut paratre en effet. Et ctait bien l le but secret de Mirabeau; il voulait paratre honnte. Mais, comme lajoute Cicron en termes qui sappliquent cruellement au pauvre grand homme, on narrive cette loquence suprme que par la dignit de la vie: id fieri vitae dignitate.

Les grands orateurs de la Rvolution. (1914)MIRABEAU

II

La politique de Mirabeau

Retour la table des matiresQuelle tait la politique de Mirabeau? A cette question souvent pose, aucune rponse satisfaisante na t faite. Ceux qui ont crit avant la publication de la correspondance de Mirabeau et de La Marck (1851) ne connaissaient, dans Mirabeau, que lhomme extrieur, que ses desseins avous, que sa politique officielle. Ceux qui ont crit depuis nont plus vu que lhomme intrieur, que lintrigant pay, que le conspirateur mystrieux. L, dit-on, cest un tribun, presque un dmagogue; ici cest un Machiavel, un professeur de tyrannie. En public, excite et lance la Rvolution; en secret il la retient et semble lui prparer des piges. Comment dmler sa vritable pense au milieu de ces contradictions?Ecartons dabord une hypothse qui se prsente tout de suite lesprit. Mirabeau, pourrait-on dire, neut pas proprement parler de politique: il vcut dexpdients, au jour le jour, loquent si le hasard lui faisait rencontrer la vrit, languissant ou obscur quand il se trompait. Sans doute il nest pas dhomme politique dont chaque pas soit guid par un dessein immuable: il nen est pas non plus qui ne rve un certain tat de choses plus heureux pour ses concitoyens et pour lui. Eh bien, Mirabeau croyait que ltat politique le plus souhaitable pour la France et pour lui-mme, ctait un tat mixte, moiti absolutisme et moiti libert, o subsisterait ce qui tait supportable dans lancien rgime et ce qui tait immdiatement possible dans les systmes nouveaux. Ce quil veut, cest la monarchie parlementaire telle que nous lavons eue vingt-cinq ans plus tard. Dans une note secrte pour la cour, crite le 14 octobre 1790, il rsume en ces termes les principes de sa politique:Que doit-on entendre par les bases de la Constitution?Rponse:Royaut hrditaire dans la dynastie des Bourbons; corps lgislatif priodiquement lu et permanent, born dans ses fonctions la confection de la loi; unit et trs grande latitude du pouvoir excutif suprme dans tout ce qui tient ladministration du royaume, lexcution des lois, la direction de la force publique; attribution exclusive de limpt au corps lgislatif; nouvelle division du royaume, justice gratuite, libert de la presse; responsabilit des ministres; vente des biens du domaine et du clerg; tablissement dune liste civile, et plus de distinction dordres; plus de privilges ni dexemptions pcuniaires; plus de fodalit ni de parlement: plus de corps de noblesse ni de clerg; plus de pays dtats ni de corps de province: voil ce que jentends par les bases de la Constitution. Elles ne limitent le pouvoir royal que pour le rendre plus fort; elles se concilient parfaitement avec le gouvernement monarchique.Dans sa pense, le dfenseur naturel des droits du peuple, cest le roi, et le soutien du roi, cest le peuple. Appuys lun sur lautre, ils triomphent du clerg et de la noblesse, et cette alliance le roi gagne son pouvoir, le peuple sa libert. Cest la dmocratie royale de Wimpffen, cest lide de la Constituante et de la France en 1789.Mais quelle est lautorit la plus ancienne, la plus forte, celle du roi ou celle du peuple? Le 8 octobre 1789, cette question se pose, propos de la formule employer pour la promulgation des lois. Doit-on continuer dire: Louis, par la grce de Dieu? Oui, dit Mirabeau. Et les droits du peuple? Si les rois, rpond-il, sont rois par la grce de Dieu, les nations sont souveraines par la grce de Dieu. On peut aisment tout concilier. Oprer cette conciliation (non aise, mais non impossible), telle est la fonction du gouvernement, du ministre. Conciliation? non: assujettissement de lun des deux souverains lautre, du corps la tte, du peuple au roi. Il faut flatter, duper, aveugler le peuple, lui faire accepter sa servitude comme une libert, sous prtexte quelle est volontaire. Gouverner, cest capter lopinion publique, et pour cette capture les moyens les plus cachs sont les plus efficaces. Que lon ne recule pas devant aucune fraude pour duper le peuple; cest pour le bonheur du peuple.Le mot de rpublique, Mirabeau ne le prononce quavec horreur ou rise. La rpublique, cest pour lui le retour ltat de barbarie; cest le chaos; cest la destruction de ltat social. Et il montre cependant plus de sens politique que les rares rpublicains qui existaient alors, en ce quil craint larrive prochaine de la rpublique, tandis que ceux-l ne lesprent mme pas. Il voit clair dans lavenir, et, comme cela arrive, il se trompe sur les desseins de ses adversaires en leur attribuant la clairvoyance quil est seul possder. En voyant combien les Constituants ont affaibli le pouvoir royal, il ne peut simaginer quils ne prparent pas secrtement les voies la rpublique, et il crit la cour le 14 octobre 1790: Je sais que les lgislateurs, consultant les craintes du moment plutt que lavenir, hsitant entre le pouvoir royal dont ils redoutaient linfluence, et les formes rpublicaines dont ils prvoyaient le danger, craignant mme que le roi ne dsertt sa haute magistrature, ou ne voulut reconqurir la plnitude de son autorit; je sais, dis-je, quau milieu de cette perplexit, les lgislateurs nont form, en quelque sorte, ldifice de la constitution quavec des pierres dattente, nont mis nulle part la clef de la vote, et ont eu pour but secret dorganiser le royaume de manire quils pussent opter entre la rpublique et la monarchie, et que la royaut fut conserve ou inutile, selon les vnements, selon la ralit ou la fausset des prils dont ils se croiraient menacs. Ce que je viens de dire est le mot dune grande nigme.Cest faire beaucoup dhonneur aux Lameth et Barnave que de leur prter des vues aussi profondes: les vnements les menaient; ils ne se doutaient pas toujours du lendemain: comment croire quils songeassent un avenir, qui, en 1790, semblait loign dun sicle.Cette aversion de Mirabeau pour la dmocratie pure et pour les thories du Contrat social sexprime, dans sa bouche, par une apologie du pouvoir royal. Fortifier ce pouvoir, cest son but, cest son conseil sans cesse rpt, la tribune mme (10 octobre 1789): Ne multipliez pas de vaines dclamations; ravivez le pouvoir excutif; sachez le maintenir, tayez-le de tous les secours des bons citoyens; autrement, la socit tombe en dissolution, et rien ne peut nous prserver des horreurs de lanarchie.Son royalisme nest pas seulement thorique; il se considre personnellement comme le champion ncessaire de la royaut. Ne croyons pas que le besoin dargent lait rapproch de la cour; il se sent n pour la servir et pour la bien servir, et, tout de suite, il soffre. Quand cela? En 1790, quand il succombe la misre et que la situation politique leffraie? Non: son arrive dans la vie politique, la premire heure, la premire minute, au moment mme o il songe entrer aux Etats gnraux, cinq mois avant les lections. Il crit, le 28 dcembre 1788, M. de Montmorin:Sans le concours, du moins secret, du gouvernement, je ne puis tre aux Etats gnraux En nous entendant, il me serait trs aise dluder les difficults ou de surmonter les obstacles; et certes il ny a pas trop de trois mois pour se prparer, lier sa partie, et se montrer digne et influent dfenseur du trne et de la chose publique.Ce rle de dfenseur du trne, si beau quil put paratre en 1788, est-il vraiment celui auquel son genre dloquence semblait destiner Mirabeau? Pourquoi ne voulut-il pas tre en effet un tribun populaire, le conseiller, linterprte, linitiateur de la dmocratie? Pourquoi, victime de lancien rgime, ne rva-t-il pas une rpublique dirige par sa voix puissante?Ses sentiments aristocratiques lui venaient, non de lducation, mais de la naissance. Cest son pre quil devait cet orgueil de caste quil ne prit jamais la peine de cacher. On sait quaprs labolition des titres de noblesse, il continua se faire appeler Monsieur le comte, sortir en voiture armorie. Voil la premire raison pour laquelle il tait royaliste.La seconde, cest que, si labsolutisme lavait mis Vincennes, le rgime dmocratique laurait laiss de ct, dans les rangs obscurs. Il comprenait trs bien que le drglement de sa vie lui aurait ferm la carrire politique dans un pays libre. La monarchie quon appelle parlementaire, ou plutt cette monarchie quil imaginait, dans laquelle le peuple et le roi ne faisaient quun contre les ordres privilgis, semblait lui assurer un rle digne de son gnie. Il excellait, nous le savons, dans lloquence et dans lintrigue: la tribune du parlement lui permettait dtre orateur, et la ncessit de concilier deux choses inconciliables, la souverainet populaire et la souverainet royale, ouvrait un champ illimit son habilet un peu policire. Eblouir par son loquence, sduire par son adresse, jouer un beau rle reprsentatif et, en secret, prparer par de petits moyens, par des hommes secondaires, de grands effets politiques, ctait l son idal. Et que ne le ralisa-t-il? Les dOrlans taient sous sa main; il pouvait leur donner la royaut. Ctait mme le seul moyen de raliser son rve de monarchie mitige. Mais ds quil vit le duc dOrlans, en 1788, chez le comte de La Marck, il le jugea et dit que ce prince ne lui inspirait ni got ni confiance. Plus tard il rptait quil nen voudrait mme pas pour son valet. Cest donc avec la branche ane quil veut fonder le seul rgime dont il puisse tre lorateur et le ministre.Ses opinions, on le voit, sont fondes sur son intrt, ou, si on aime mieux, sur lintrt de son gnie. Il lui faut, ce sont ses propres expressions, un grand but, un grand danger, de grands moyens, une grande gloire. Cest heureux sans doute quil ait prpar les conditions les plus favorables lpanouissement de son loquence, mais avouons que sa politique ne reposait sur aucune conviction morale. Et voil la troisime raison pour laquelle il nembrassa pas franchement et compltement la cause du xviiie sicle. Ses contemporains, philosophes et politiques, prcurseurs et acteurs de la rvolution, diffrent de doctrine et de systme; mais ils se rapprochent en un point, cest quils ont une foi ardente en lhumanit; ils la croient bonne, raisonnable, perfectible; ils laiment et la plaignent. Leur but est de lui ter ses chanes, de lui rendre ses droits, de lamener la virilit par la libert. Ils croient fermement la justice: cest l lvangile de 1789, quaucune erreur, quaucun accident na encore obscurci. Cette foi est trangre Mirabeau: ce nest ni sur la raison ni sur le droit quil compte pour tablir son systme, mais sur le gnie, sur la ruse. Sa politique, toute florentine, est plus vieille ou plus jeune que cet ge. Quand, en dcembre 1790, dj pay par la cour, il prsente son plan secret de rsistance, le comte de La Marck crit finement Mercy-Argenteau: Ce plan est trop compliqu, ainsi que vous lavez remarqu, monsieur le comte, on dirait quil est fait pour dautres temps et pour dautres hommes. Le cardinal de Retz, par exemple, laurait trs bien fait excuter; mais nous ne sommes plus au temps de la Fronde.Si la foi lui manquait, il la niait ou ne la voyait pas chez les autres. Il se refusait, ce trop fin politique, croire au dsintressement de ce peuple de 1789, affam pourtant de justice. Tous les Franais, disait-il, veulent des places ou de largent; on leur ferait des promesses, et vous verriez bientt le parti du roi prdominant partout. Il calomniait son temps, et, osons le dire, le jugeait daprs lui-mme. Non, ce nest pas pour le seul bien-tre que nos pres se levrent contre la royaut. Le sens profond de la Rvolution chappait Mirabeau.Dans les questions religieuses, il montrait la mme ingniosit et le mme aveuglement. Croirait-on quil ne stait jamais srieusement demand si la libert tait compatible avec le catholicisme? Il na pas de solution pour ce grave problme. Dans son Essai sur les lettres de cachet, il prtend montrer quune socit civile peut vivre sans dtruire une religion hostile au principe mme de cette socit. Il suffit, dit-il, que les ministres des autels soient circonscrits dans leur tat, et il passe. Le mme homme vote et dfend la constitution civile du clerg, et ce nest que des circonstances quil apprend lhostilit irrconciliable de lEglise. En dcembre 1789, il disait sa sur, Mme du Saillant: La libert nationale avait trois ennemis: le clerg, la noblesse et les parlements. Le premier nest plus de ce sicle, et la triste situation de nos finances nous aurait suffi pour le tuer. Telles sont les vues de Mirabeau: il croit morts des hommes qui vont faire reculer la Rvolution! Cest quau fond il est indiffrent en religion. Les grands problmes quil appelle ddaigneusement mtaphysiques nont jamais proccup ce mridional. Les penses hautes et gnrales sur la destine de lhomme lui sont inconnues et rpugnent sa nature. Dans les discussions religieuses, il apporte une dextrit et un tact infinis, mais aucune ide suprieure.Quen rsulte-t-il? Cest quen loquence comme en politique il ne demande pas ses succs ce quon appelle lternelle morale. On ne trouvera pas dans ses discours un seul de ces lieux communs qui sont beaux dans tous les temps; nul appel la conscience humaine; nul lan vers une justice plus haute; nul accent damour ou de pit pour les hommes. Ces mots se trouvent, il le faut bien, dans ses harangues; mais les choses mmes ny sont pas, puisquelles ntaient pas dans son me. Il y a des cordes que les orateurs de second ordre, un Rabaut Saint-Etienne, un Thouret, savent faire vibrer, et que Mirabeau ne touche jamais. Quon ne sy trompe pas: cest l le caractre de cet orateur, davoir t grand sans puiser son inspiration aux sources morales; a t son originalit et sa faiblesse la fois.Comment donc se fait-il applaudir? Dabord par son incontestable patriotisme, par les paroles vraiment nationales quil sait prononcer avec un accent vrai, et puis par la manire mouvante dont il parle de lui, encore de lui, toujours de lui. Cest sans cesse son moi tragique et superbe qui occupe la scne. Ses discours ne sont quune vaste apologie de sa personne, un plaidoyer sans cesse renouvel, une recherche acharne et une revendication anxieuse de lestime des hommes, quil va conqurir et qui lui chappe toujours. Le sentiment qui anime cette loquence, ce nest pas la dignit, cest lorgueil. Ange dchu, il vante ses fautes et justifie sa vie devant ses contemporains, exaltant dans un style passionn ses souffrances et ses colres. Que ce soit aux Etats de Provence, lAssemble constituante, lors de laffaire du Chatelet, ou encore dans sa correspondance secrte avec la cour, je retrouve partout cette mme poursuite de la rhabilitation. Cest peu dtre admir: il veut tre estim, et, navement, il intrigue pour forcer lestime. LAssemble ne se lasse pas de cette magnifique apologie; elle applaudit sans accorder ce quon lui demande, pas mme la prsidence, quon nobtiendra quune fois, et encore en mendiant les voix de lextrme droite. Le jour o Mirabeau touche au ministre, un honneur qui peut refaire sa rputation, lAssemble le prcipite en souriant. Ses ides, elle les accueille, elle les vote; mais sa personne, elle nen veut pas. Ses oreilles sont flattes de cette loquence incomparable; sa raison en est satisfaite: son cur nen est pas touch. Cest un duel qui lintresse et qui dsespre Mirabeau: il en meurt.

Les grands orateursde la Rvolution. (1914)MIRABEAU

III

Les discours de Mirabeau

Retour la table des matiresJustifions ces remarques gnrales sur la politique et linspiration oratoire de Mirabeau par quelques exemples emprunts ses principaux discours.Aux Etats de Provence, il dfend le rglement royal contre la noblesse qui voulait faire les lections selon lantique constitution de la nation provenale. Cest l pour lui un admirable terrain, qui lui donne confiance et lui permet de lutter contre le mpris de ses collgues: Si la noblesse veut mempcher darriver, disait-il, il faudra quelle massassine, comme Gracchus. Cependant les outrages dont on labreuva, malgr sa bonne volont, le forcrent prendre une allure dopposition qui tait bien loin de ses principes. Ces gens-l, crivait-il alors, me feraient devenir tribun du peuple malgr moi, si je ne me tenais pas quatre. Il tenait nanmoins lestime de la noblesse et il chercha se justifier devant elle dans un discours que la prorogation des tats lempcha de prononcer, mais quil fit imprimer et rpandre. Cest la premire en date de ses justifications publiques:Quai-je donc fait de si coupable? Jai dsir que mon ordre fut assez habile pour donner aujourdhui ce qui lui sera infailliblement arrach demain; jai dsire quil sassurt le mrite et la gloire de provoquer lassemble des trois ordres, que toute la Provence demande lenvi Voil le crime de lennemi de la paix! ou plutt jai cru que le peuple pouvait avoir raison Ah! sans doute, un patricien souill dune telle pense mrite des supplices! Mais je suis bien plus coupable quon ne suppose, car je crois que le peuple qui se plaint a toujours raison; que son infatigable patience attend constamment les derniers excs de loppression pour se rsoudre la rsistance; quil ne rsiste jamais assez longtemps pour obtenir la rparation de tous ses griefs; quil ignore trop que, pour se rendre formidable ses ennemis, il lui suffirait de rester immobile, et que le plus innocent comme le plus invincible de tous les pouvoirs est celui de se refuser faire Je pense ainsi; punissez lennemi de la paix.Sadressant aux nobles et aux membres du clerg, il profre ces paroles menaantes et souvent cites:Dans tous les pays, dans tous les ges, les aristocrates ont implacablement poursuivi les amis du peuple, et si, par je ne sais quelle combinaison de la fortune, il sen est lev quelquun de leur sein, cest celui-l surtout quils ont frapp, avides quils taient dinspirer la terreur par le choix de la victime. Ainsi prit le dernier des Gracques de la main des patriciens; mais, atteint du coup mortel, il lana de la poussire vers le ciel, en attestant les dieux vengeurs; et de cette poussire naquit Marius: Marius, moins grand pour avoir extermin les Cambres, que pour avoir abattu dans Rome laristocratie de la noblesse!Dans une proraison dun caractre tout personnel, il tire de trs grands effets de laffirmation de sa sincrit, affirmation qui ntait pas inutile:Pour moi, qui dans ma carrire publique nai jamais craint que davoir tort; moi qui, envelopp de ma conscience et arm de principes, braverais lunivers, soit que mes travaux et ma voix vous soutiennent dans lassemble nationale, soit que mes vux vous y accompagnent, de vaines clameurs, des protestations injurieuses, des menaces ardentes, toutes les convulsions, en un mot, des prjugs expirants, ne men imposeront pas. Eh! comment sarrterait-il aujourdhui dans sa course civique, celui qui, le premier dentre les Franais, a profess hautement ses opinions sur les affaires nationales, dans un temps o les circonstances taient bien moins urgentes, et la tche bien plus prilleuse? Non, les outrages ne lasseront pas ma constance; jai t, je suis, je serai jusquau tombeau lhomme de la libert publique, lhomme de la Constitution. Malheur aux ordres privilgis, si cest l plutt tre lhomme du peuple que celui des nobles! Car les privilges finiront, mais le peuple est ternel.Exclu de lassemble de la noblesse comme non-possdant, cest avec dchirement quil se spara des hommes de sa condition, et quil se vit forc de prendre un masque de tribun. Cette aristocratie provinciale fut assez aveugle pour voir en Mirabeau un sditieux; elle le traitait volontiers denrag. A quoi il rpondait: Cest une grande raison de mlire, si je suis un chien enrag; car le despotisme et les privilges mourront de ma morsure. Mais ce nest l quun accs de colre: ce prtendu dmagogue, quelques jours plus tard, calme le peuple de Marseille, soulev contre une taxe du pain, par les conseils les plus sages, les plus modrs. Et pourquoi le peuple doit-il se rsigner? Pour faire plaisir au roi. Cest le grand argument par lequel il termine une proclamation o il avait mis la porte de tous quelques vrits conomiques:Oui, mes amis, on dira partout: les Marseillais sont de bien braves gens; le roi le saura, ce bon roi quil ne faut pas affliger, ce bon roi que nous invoquons sans cesse; et il vous aimera, il vous en estimera davantage. Comment pourrions-nous rsister au plaisir que nous lui allons faire, quand il est prcisment daccord avec nos plus pressants intrts? Comment pourriez-vous penser au bonheur quil vous devra, sans verser des larmes de joie?Nous avons dit que Mirabeau ne partageait ni ne comprenait lenthousiasme de ses contemporains, et quil traitait de mtaphysique le culte des principes. Dans un des premiers discours quil pronona aux Etats gnraux, il formula en ces termes son empirisme politique:Nallez pas croire que le peuple sintresse aux discussions mtaphysiques qui nous ont agites jusquici. Elles ont plus dimportance quon ne leur en donnera sans doute; elles sont le dveloppement et la consquence du principe de la reprsentation nationale, base de toute constitution. Mais le peuple est trop loin encore de connatre le systme de ses droits et la saine thorie de la libert. Le peuple veut des soulagements, parce quil na plus de forces pour souffrir; le peuple secoue loppression, parce quil ne peut plus respirer sous lhorrible faix dont on lcrase; mais il demande seulement de ne payer que ce quil peut et de porter paisiblement sa misreIl est cette diffrence essentielle entre le mtaphysicien, qui, dans la mditation du cabinet, saisit la vrit dans son nergique puret, et lhomme dEtat, qui est oblig de tenir compte des antcdents, des difficults, des obstacles; il est, dis-je, cette diffrence entre linstructeur du peuple et ladministrateur politique, que lun ne songe qu ce qui est et lautre soccupe de ce qui peut tre.Le mtaphysicien, voyageant sur une mappemonde, franchit tout sans peine, ne sembarrasse ni des montagnes, ni des dserts, ni des fleuves, ni des abmes; mais quand on veut arriver au but, il faut se rappeler sans cesse quon marche sur la terre, et quon nest plus dans le monde idal Sance du 15 juin 1789..Faut-il stonner que ce cours de politique applique nait pas t chaudement accueilli? Ce ntait certes pas le moment, en juin 1789, de se rappeler quon marchait sur la terre, et de quitter le monde idal. Il fallait au contraire ne pas regarder les difficults, les prils, les baonnettes dont on tait entour, marcher la tte haute, les yeux fixs vers lidal populaire et vaincre, comme on le fit, par la foi. Que les communes, au contraire, eussent recours aux recettes dune politique prudente, elles taient perdues. Nest-ce pas dailleurs un pige que leur tend Mirabeau, quand, dans ce mme discours, il propose ses collgues de sintituler reprsentants du peuple franais? Comment fallait-il entendre le mot peuple? Etait-ce populus ou plebs? Ny avait-il pas a craindre que la cour ne voulut comprendre plebs et que le Tiers ne se trouvt avoir consacr la distinction des ordres? Labb Siys vit le danger, retira sa formule (Assemble des reprsentants connus et vrifis) et se rallia celle de Legrand (Assemble nationale), qui contenait dj la Rvolution. Quant Mirabeau, il affecta de ne pas comprendre le sens des objections et, en rhteur, rpondant ce quon ne lui disait pas, il sindigna du mpris o lon tenait ce beau mot de peuple:Je persvre dans ma motion et dans la seule expression quon en avait attaque, je veux dire la qualification de peuple franais; je ladopte, je la dfends, je la proclame, par la raison qui la fait combattre.Oui, cest parce que le nom du peuple nest pas assez respect en France, parce quil est obscurci, couvert de la rouille du prjug; parce quil nous prsente une ide dont lorgueil salarme et dont la vanit se rvolte; parce quil est prononc avec mpris dans les chambres des aristocrates; cest pour cela mme, Messieurs, que nous devons nous imposer, non seulement de le relever, mais de lennoblir, de le rendre dsormais respectable aux ministres et cher tous les cursReprsentants du peuple, daignez me rpondre. Irez-vous dire vos commettants que vous avez repouss ce nom de peuple? que si vous navez pas rougi deux, vous avez pourtant cherch luder cette dnomination qui ne vous parat pas assez brillante? quil vous faut un titre plus fastueux que celui quils vous ont confr? Eh! ne voyez-vous pas que le nom de reprsentants du peuple vous est ncessaire, parce quil vous attache le peuple, cette masse imposante sans laquelle vous ne seriez que des individus, de faibles roseaux quon briserait un un! Ne voyez-vous pas quil vous faut le nom du peuple, parce quil donne connatre au peuple que nous avons li notre sort au sien, ce qui lui apprendra reposer sur nous toutes ses penses, toutes ses esprances!Plus habiles que nous, les hros bataves qui fondrent la libert de leur pays prirent le nom de gueux; ils ne voulurent que ce titre, parce que le mpris de leurs tyrans avait prtendu les en fltrir, et ce titre, en leur attachant cette classe immense que laristocratie et le despotisme avilissaient, fut la fois leur force, leur gloire et le gage de leur succs. Les amis de la libert choisissent le nom qui les sert le mieux, et non celui qui les flatte le plus; ils sappelleront les remontrants en Amrique, les patres en Suisse, les gueux dans les Pays-Bas. Ils se pareront des injures de leurs ennemis; ils leur teront le pouvoir de les humilier avec des expressions dont ils auront su shonorer. (Sance du 16 juin 1789.)Ces dclamations furent accueillies par des murmures mrits, et le rle que Mirabeau joua en cette circonstance critique ne contribua pas peu loigner de lui la confiance de lAssemble. Que voulait-il donc? Maintenir les ordres privilgis? Nous avons vu quil les considre comme un obstacle la libert, et quil les supprime dans ses programmes secrets. Il voulait seulement embarrasser la marche des communes dont laudace linquitait dj, comme elle inquitait la cour. Le dfenseur du trne tremblait, ds les premiers jours de la Rvolution, pour le pouvoir royal. Il voulait que les communes soumissent leurs dcrets la sanction de Louis XVI. Cette sanction, ce veto tait pour lui le palladium des liberts publiques: Je crois, avait-il dit la veille, le veto du roi tellement ncessaire, que jaimerais mieux vivre Constantinople quen France, sil ne lavait pas. cette poque, Mirabeau navait encore aucune relation avec la cour; mais lattitude quil venait de prendre semblait devoir le dsigner lattention du roi. Il se posait en conciliateur entre les deux partis. Il marquait davance les limites de la Rvolution. Voyant quon ne venait pas lui, il alla, par lentremise de Malouet, voir Necker. Il en reut laccueil le plus injurieux. Justement dpit, il changea dallure, rsolut de montrer sa force et sa popularit et de simposer en menaant. Cest ainsi quil faut expliquer les discours dmocratiques par lesquels il releva le courage de lAssemble, aprs la sance royale du 23 juin, et notamment lapostrophe au marquis de Dreux-Brze. Cette apostrophe si clbre a donn le change sur la vritable politique de Mirabeau: lattitude quil prit ce jour-l est reste fixe dans la mmoire populaire. La lgende reprsente le prtendu tribun montrant du doigt la porte au courtisan terrifi, sortant reculons comme devant le roi. Ce coup de thtre fit de Mirabeau lidole du peuple, comme sil avait ce jour-l menac le pouvoir absolu. La cour fut effraye de cette infraction insolente ltiquette, si bien que de part et dautre on se trompa sur les vritables intentions du grand orateur, et lon vit une politique l ou il ny avait quune boutade, quun accs dimpatience et de colre.Il fut inquiet lui-mme davoir rvl dun geste et dun mot la fragilit du pouvoir royal, et dans la sance du 27 juin il essaya visiblement de rparer son imprudence:Messieurs, je sais que les vnements inopins dun jour trop mmorable ont afflig les curs patriotes, mais quils ne les branleront pas. A la hauteur o la raison a plac les reprsentants de la nation, ils jugent sainement les objets et ne sont point tromps par les apparences quau travers des prjugs et des passions on aperoit comme autant de fantmes.Si nos rois, instruits que la dfiance est la premire sagesse de ceux qui portent le sceptre, ont permis de simples cours de judicature de leur prsenter des remontrances, den appeler leur volont mieux claire; si nos rois, persuads quil nappartient qu un despote imbcile de se croire infaillible, cdrent tant de fois aux avis de leurs Parlements, comment le prince qui a eu le noble courage de convoquer lAssemble nationale nen couterait-il pas les membres avec autant de faveur que des cours de judicature, qui dfendent aussi souvent leurs intrts personnels que ceux des peuples? En clairant la religion du roi, lorsque des conseils violents lauront tromp, les dputs du peuple assureront leur triomphe; ils invoqueront toujours la libert du monarque; ce ne sera pas en vain, ds quil aura voulu prendre sur lui-mme de ne se fier qu la droiture de ses intentions et de sortir du pige quon a su tendre sa vertuEt il proposait une adresse aux commettants aussi rassurante pour le roi que pour le peuple:Tels que nous nous sommes montrs depuis le moment ou vous nous avez confi les plus nobles intrts, tels nous serons toujours, affermis dans la rsolution de travailler, de concert avec notre roi, non pas des biens passagers, mais la condition mme du royaume; dtermins voir enfin tous nos concitoyens, dans tous les ordres, jouir des innombrables avantages que la nature et la libert nous promettent, soulager le peuple souffrant des campagnes, remdier au dcouragement de la misre, qui touffe les vertus et lindustrie, nestimant rien lgal des lois qui, semblables pour tous, seront la sauvegarde commune; non moins inaccessibles aux projets de lambition personnelle qu labattement de la crainte; souhaitant la concorde, mais ne voulant point lacheter par le sacrifice des droits du peuple; dsirant enfin, pour unique rcompense de nos travaux, de voir tous les enfants de cette immense patrie runis dans les mmes sentiments, heureux du bonheur de tous, et chrissant le pre commun dont le rgne aura t lpoque de la rgnration de la France.Le lendemain de la prise de la Bastille, lAssemble rsolut de demander pour la troisime fois au roi le renvoi des troupes, et Mirabeau, sadressant la dputation, improvisa ce discours, qui porte un si haut degr lempreinte de son gnie, et qui fut inspir par une colre non joue:Eh bien! dites au roi que les hordes trangres dont nous sommes investis ont reu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites, et leurs caresses, et leurs exhortations, et leurs prsents; dites-lui que, toute la nuit, ces satellites trangers, gorgs dor et de vin, ont prdit dans leurs chants impies lasservissement de la France, et que leurs vux brutaux invoquaient la destruction de lAssemble nationale; dites-lui que, dans son palais mme, les courtisans ont ml leurs danses au son de cette musique barbare, et que telle fut lavant-scne de la Saint-Barthlemy.Dites-lui que ce Henri dont lunivers bnit la mmoire, celui de ses aeux quil voulait prendre pour modle, faisait passer des vivres dans Paris rvolt, quil assigeait en personne, et que ses conseillers froces font rebrousser les farines que le commerce apporte dans Paris fidle et affam.Sur ces entrefaites, on annonce la visite du roi, et quelques historiens prtendent que ce fut Mirabeau qui conseilla de ne pas applaudir et ajouta: Le silence des peuples est la leon des rois. Quand mme il aurait prononc ces paroles qui, avec lapostrophe la dputation, sont les plus fortes quil se soit permises publiquement contre le roi, on ne peut pas dire quil ait manqu un instant son rle de dfenseur du trne. Lindignation et lcurement que lui faisait prouver la politique de la cour expliquent aisment ces sorties. Et puis, ne voulait-il pas faire peur lentourage de Louis XVI, affirmer une fois de plus son influence populaire, et, en se mettant au premier rang des rvolutionnaires, se dsigner plus nettement comme lhomme indispensable?Cette intention saccuse plus clairement, le 16 juillet, quand il prsente un projet dadresse au roi pour le renvoi des ministres. Mounier proteste, au nom de la sparation des pouvoirs, et sattire cette rplique, o se trouvent les ides les plus sages, les plus vraies de Mirabeau, celles aussi quil a le plus cur:Vous oubliez que nous ne prtendons point placer ni dplacer les ministres en vertu de nos dcrets, mais seulement manifester lopinion de nos commettants sur tel ou tel ministre. Eh! comment nous refuseriez-vous ce simple droit de dclaration, vous qui nous accordez celui de les accuser, de les poursuivre, et de crer le tribunal qui devra punir ces artisans diniquits dont, par une contradiction palpable, vous nous proposez de contempler les uvres dans un respectueux silence? Ne voyez-vous donc pas combien je fais aux gouverneurs un meilleur sort que vous, combien je suis plus modr? Vous nadmettez aucun intervalle entre un morne silence et une dnonciation sanguinaire. Se taire ou punir, obir ou frapper, voil votre systme. Et moi, javertis avant de dnoncer, je rcuse avant de fltrir, joffre une retraite linconsidration ou lincapacit avant de les traiter de crimes. Qui de nous a plus de mesure et dquit?Mais voyez la Grande-Bretagne: que dagitation populaire ny occasionne pas ce droit que vous rclamez! Cest lui qui a perdu lAngleterre LAngleterre est perdue! Ah! grand Dieu! quelle sinistre nouvelle! Eh! par quelle latitude sest-elle donc perdue, ou quel tremblement de terre, quelle convulsion de la nature a englouti cette le fameuse, cet inpuisable foyer de si grands exemples, cette terre classique des amis de la libert? Mais vous me rassurez LAngleterre fleurit encore pour lternelle instruction du monde: lAngleterre dveloppe tous les germes dindustrie, exploite tous les filons de la prosprit humaine, et tout lheure encore elle vient de remplir une grande lacune de sa constitution avec toute la vigueur de la plus nergique jeunesse, et limposante maturit dun peuple vieilli dans les affaires publiques Vous ne pensiez donc qu quelques discussions parlementaires (l, comme ailleurs, ce nest souvent que du partage, qui na gure dautre importance que lintrt de la loquacit); ou plutt cest apparemment la dernire dissolution du parlement qui vous effraie.Nous avons dit que Mirabeau faisait peu de cas des principes mtaphysiques, et il le prouva en sabstenant de paratre la nuit du 4 aot et en blmant autant quil le pouvait sans se dpopulariser, non linsuffisance des sacrifices consentis, mais lenthousiasme avec lequel on avait procd. Il nen parle jamais quavec mauvaise humeur, comme dune purilit. Il fut cependant rapporteur du Comit charg dlaborer la Dclaration des droits, mais rapporteur plus docile que convaincu. Tantt il demande lajournement, tantt que la dclaration ne figure pas en tte, mais la fin de la Constitution. Il faut lire dans Etienne Dumont combien Mirabeau et ses collaborateurs se moquaient du rapport quil dposa. Cette mtaphysique leur semble un jouet denfant.Il tait encourag dans son mpris pour lide rvolutionnaire par Etienne Dumont et les Genvois pdants qui lentouraient, mais surtout par son intime, le comte de La Marck, prince dArenberg, tranger dput au parlement franais par suite dun vieux droit fodal, ancien serviteur de lAutriche, conseiller de la reine, ami de Mercy-Argenteau et me de ce que le peuple appelait justement le comit autrichien. Le comte Auguste de La Marck, dit Madame Campan, se dvoua des ngociations utiles au roi auprs des chefs des factieux. Ce fin diplomate, cet intrigant mrite capta bientt la confiance de Mirabeau, quoiquil siget lextrme droite: Avec un aristocrate comme vous, lui disait Mirabeau, je mentendrai toujours facilement. La Marck fut charm de trouver si monarchique celui quil prenait pour un dmagogue. Il caressa son rve dtre ministre et lui reprocha son opposition: Mais, rpondait Mirabeau, quelle position mest-il donc possible de prendre? Le gouvernement me repousse, et je ne puis que me placer dans le parti de lopposition, qui est rvolutionnaire, ou risquer de perdre ma popularit qui est ma force.Cest ce moment, encore pur dargent, quil prononce son discours sur le veto (1er septembre), qui reflte fidlement ses hsitations et ses contradictions intimes.Son raisonnement est celui-ci:Le roi a les mmes intrts que le peuple: ce quil fait pour lui-mme, il le fait pour le peuple. Or les reprsentants peuvent former une aristocratie dangereuse pour la libert. Cest contre cette aristocratie que le veto est ncessaire. Les reprsentants auront aussi leur veto, le refus de limpt.Cest la thorie de la dmocratie royale que nous connaissons dj. Voici lobjection telle que Mirabeau la prsente:Quand le roi refuse de sanctionner la loi que lAssemble nationale lui propose, il est supposer quil juge que cette loi est contraire aux intrts nationaux, ou quelle usurpe sur le pouvoir excutif qui rside en lui et quil doit dfendre; dans ce cas, il en appelle la nation, elle nomme une nouvelle lgislature, elle confie son vu ses nouveaux reprsentants, par consquent elle prononce; il faut que le Roi se soumette ou quil dnie lautorit du tribunal suprme auquel lui-mme en avait appel.Et il avoue la toute-puissance de cette objection en termes curieux, qui montrent combien peu il se laissait prendre ses propres sophismes:Cette objection est trs spcieuse, et je ne suis parvenu en sentir la faiblesse quen examinant la question sous tous ses aspects; mais on a pu dj voir et lon remarquera davantage encore:

1 deg.Quelle suppose faussement quil est impossible quune seconde lgislature napporte pas le vu du peuple;2 deg.Elle suppose faussement que le roi sera tent de prolonger son veto contre le vu connu de la nation;3 deg.Elle suppose que le veto suspensif na point dinconvnient, tandis qu plusieurs gards il a les mmes inconvnients que si lon naccordait au roi aucun veto.

Si le roi na pas le droit de sopposer certaines lois, il les excutera contrecur; peut-tre mme usera-t-il de violence ou de corruption envers lAssemble. Si, au contraire, il a sanctionn des lois, il sest engag par cela mme les faire excuter fidlement. Cest ainsi que le veto devient le Palladium des liberts publiques, daprs Mirabeau.Il reprend donc lattitude quil avait prise lors de la discussion sur la dnomination de lAssemble. Ce nest plus lhomme qui apostropha Dreux-Brze, cest un candidat la faveur royale.Le peuple de Paris, qui ntait pas dans le secret, ne voulut pas en croire ses oreilles: le soir mme on rptait au Palais-Royal que Mirabeau avait parl contre linfme veto.Cependant La Marck prenait chaque jour plus dinfluence sur lidole populaire. En septembre 1789, peu aprs ce discours, il lui prta cinquante louis et sengagea renouveler ce prt chaque mois. Il acquit ainsi le droit de morigner le grand orateur, et il en usa: Dans plusieurs circonstances dit-il, lorsque je fus irrit de son langage rvolutionnaire la tribune, je memportai contre lui avec beaucoup dhumeur Eh bien! je lai vu alors rpandre des larmes comme un enfant et exprimer sans bassesse son repentir avec une sincrit sur laquelle on ne pouvait se tromper. Il est le mentor de Mirabeau, qui lui crit: Je boite sans soutien quand jai t vingt-quatre heures sans vous voir. Et: Allez, mon cher comte, et faites votre tte, car vous en savez plus que moi, et votre jugement exquis vaut mieux que toute la verve de limagination o les lans de la sensibilit toujours mobile. Ce La Marck fut le mauvais gnie de Mirabeau: il lenfona chaque jour davantage dans les ides de la raction, lui faisant honte de ses tendances librales, surveillant svrement son loquence factieuse. Veut-on une preuve de cette influence? Ds que La Marck sabsente, voyage, Mirabeau smancipe, et La Marck crit quil est afflig de le voir rentrer de plus en plus dans les ides rvolutionnaires. Mais ds que le tentateur revient, Mirabeau se modre et se calme.Aprs les journes des 5 et 6 octobre (auxquelles il ne prit aucune part, puisquil passa ces deux jours chez La Marck), il remit celui-ci un mmoire pour Monsieur, o il conseille au roi de se retirer en Normandie, dy appeler lAssemble, et dans ses conversations avec son ami, il va jusqu demander et appeler de ses vux la guerre civile qui retrempe les mes. Tout le mois doctobre se passe en intrigues; on lui laisse entrevoir le ministre, et nanmoins la reine dit La Marck: Nous ne serons jamais assez malheureux, je pense, pour tre rduits la pnible extrmit de recourir Mirabeau. Cependant, il a besoin dune grande place trs lucrative. On lui propose lambassade de Constantinople: il refuse. La Fayette lui offre cinquante mille francs pris sur la partie de la liste civile dont il a la disposition. Mais ce quil veut, cest le ministre. Enfin il va faire sauter Necker sur la question des subsistances et il espre le remplacer, quand ses esprances sont jamais brises par le dcret de lAssemble du 7 novembre 1789, qui interdit laccs du ministre aux dputs. A cette occasion, il pronona un discours loquent, ironique, dsespr. Aprs avoir brivement rsum sa doctrine et montr lutilit dun ministre pris dans le Parlement, il dclara ces principes si vidents que la proposition devait avoir un but secret, quelle devait viser ou lauteur de la motion ou lui-mme: Je dis dabord lauteur de la motion, parce quil est possible que sa modestie embarrasse ou son courage mal affermi aient redout quelque grande marque de confiance, et quil ait voulu se mnager le moyen de la refuser en faisant admettre une exclusion gnrale. (Ironie crasante: il sagit dun Blin!) Voici donc, Messieurs, lamendement que je vous propose: cest de borner lexclusion demande M. de Mirabeau, dput des communes de la snchausse dAix. Quel commentaire ce discours que la lecture des lettres de Mirabeau de septembre octobre, dont chaque ligne exprime son dsir fivreux dtre ministre! Le dcret de lAssemble fut pour lui un coup terrible.Cest en mars 1790 que la cour se dcide enfin faire demander La Marck par lintermdiaire de Mercy-Argenteau, de revenir en France (il tait aux Pays-Bas), et doffrir Mirabeau, non pas le ministre, mais la fonction de conseiller secret. Mene linsu du cabinet, la ngociation aboutit, et Mirabeau remet un plan crit (10 mars 1790): il sagit surtout de faire vader le roi et de traiter avec La Fayette, ou de lcarter et de le perdre. La reine, enchante, offre de payer les dettes de Mirabeau, 208000 livres. Le roi remet La Marck, pour Mirabeau, quatre bons de 250000 livres chacun, payables la fin de la lgislature. Mirabeau ne devait jamais toucher ce million, puisquil mourut avant cette date; mais il toucha des appointements fixes de 6000 francs par mois, plus 300 francs pour son secrtaire et confident De Comps. Quand ces conditions furent fixes, il laissa chapper, dit La Marck, une ivresse de bonheur, dont lexcs je lavoue mtonna un peu. Il prit, malgr les reprsentations de La Marck, un grand train de maison, chevaux, domestiques, table ouverte, et fit des achats considrables de livres rares, dont il avait la passion. Enfin, le 3 juillet 1790, il eut avec la reine, Saint-Cloud, une entrevue secrte dont il sortit enthousiasm pour la fille de Marie-Thrse le seul homme que le roi ait prs de lui. Il remit des notes secrtes pleines de conseils conformes sa politique machiavlique, poussant le roi renvoyer Necker, ce quon voulait bien, et lappeler lui-mme au ministre, ce quon ne voulait aucun prix. Il dut le comprendre, se rsigna son rle mystrieux et resta le chef dune camarilla obscure. Il voulait du moins que son autorit fut, sinon apparente, du moins srieuse et durable, et il proposait en ces termes la formation dun ministre secret:Puisquon est rduit choisir de nouveaux ministres, on doublerait sur-le-champ leurs forces, ou plutt on aurait un ministre secret labri des orages, susceptible dune grande dure, propre correspondre et avec la cour et avec les conseillers du dehors, capable des combinaisons les plus habiles, et dont les ministres, sans que leur amour-propre en fut bless, ne seraient que les organes; car lart de semparer de lesprit des chefs, lart de les matriser sans quils le voulussent, sans mme quils sen doutassent, serait le premier trait dhabilet des hommes dont je veux parler De tels hommes pourraient avoir les rapports les plus tendus, sans quaucune de leurs liaisons veillt la mfiance. Livrs une longue carrire, ils conserveraient, dun ministre lautre, le fil des mmes ides, des mmes projets, et lon pourrait enfin tablir lart de gouverner sur des bases permanentes.Il nobtint mme pas ce ministre secret, il ne fut mme pas un conseiller cout; on lisait ses notes et on nen tenait pas compte; on ne comprenait mme pas quel grand politique on avait affaire. Eh quoi! disait-il amrement, en nul pays du monde la balle ne viendra-t-elle donc au joueur? Et voici comment il apprciait cette cour laquelle il se vendait: Du ct de la cour, oh! quelles balles de coton! quels ttonneurs! quelle pusillanimit! quelle insouciance! quel assemblage grotesque de vieilles ides et de nouveaux projets, de petites rpugnances et de dsirs denfants, de volonts et de nolonts, damour et de haines avortes! Ils voudraient bien trouver, pour sen servir, des tres amphibies qui, avec le talent dun homme, eussent lme dun laquais.Il mprise ceux qui sont aux affaires: Jamais des animalcules plus imperceptibles nessayrent de jouer un plus grand drame sur un plus vaste thtre. Ce sont des cirons qui imitent les combats des gants. Quant lAssemble, dont il ne peut obtenir lestime, il la hait et, dans son grand mmoire de dcembre 1790, qui est tout un plan de gouvernement par la corruption, il indique cyniquement les moyens de perdre lAssemble trop populaire: Jindiquerai, dit-il, quelques moyens de lui tendre des piges pour dvoiler ceux quelle prpare la nation; dembarrasser sa marche pour montrer son impuissance et sa faiblesse; dexciter sa jalousie pour veiller celle des corps administratifs; enfin, de lui faire usurper de plus en plus tous les pouvoirs pour faire redouter sa tyrannie. Ici, ne craignons pas de le dire, il est un tratre, et il excuse davance ceux qui expulseront ses cendres du Panthon.Ainsi, conseiller secret de la cour, mais conseiller demi ddaign, orateur pay, mais non vendu, en ce sens quil ne changeait pas dopinion pour de largent, mais quil recevait le salaire de ses services, prement dsireux dtre ministre et dsesprant de le devenir, la fin, ennemi haineux de cette assemble dont il ne pouvait forcer la confiance, tel il fut depuis le 10 mars 1790 jusqu sa mort, et cest cette lumire quil faut lire ses discours. En voici trois, que nous examinerons rapidement ce point de vue: le discours sur le droit de paix et de guerre (20 et 22 mai 1790); le discours sur ladoption du drapeau tricolore (21 octobre 1790), et le discours sur le projet de loi relatif aux migrs (28 fvrier 1791).On sait dans quelles circonstances la discussion fut ouverte sur le droit de paix et de guerre. LAngleterre armait contre lEspagne: le ministre franais, allguant le pacte de famille, demanda les fonds ncessaires pour armer quatorze vaisseaux. Mais qui appartient le droit de dclarer la guerre? la nation, daprs Lameth, Barnave et les patriotes. Au roi, daprs Mirabeau, et il prononce un discours confus, embarrass, louche, o il met en lumire, linconvnient daccorder ce droit au Corps lgislatif:Voyez les assembles politiques; cest toujours sous le charme de la passion quelles ont dcrt la guerre. Vous le connaissez tous, le trait de ce matelot qui fit, en 1740, rsoudre la guerre de lAngleterre contre lEspagne. Quand les Espagnols mayant mutil, me prsentrent la mort, je recommandai mon me Dieu et ma vengeance ma patrie. Ctait un homme bien loquent que ce matelot; mais la guerre quil alluma ntait ni juste ni politique: ni le roi dAngleterre ni les ministres ne la voulaient; lmotion dune assemble, quoique moins nombreuse et plus assouplie que la ntre aux combinaisons de linsidieuse politique, en dcidaEcartons, sil le faut, les dangers des dissensions civiles. Eviterez-vous aussi facilement celui des lenteurs des dlibrations sur une telle matire? Ne craignez-vous pas que votre force publique ne soit paralyse, comme elle lest en Pologne, en Hollande et dans toutes les Rpubliques? Ne craignez-vous pas que cette lenteur naugmente encore, soit parce que notre constitution prend insensiblement les formes dune grande confdration, soit parce quil est invitable que les dpartements nacquirent une grande influence sur le Corps lgislatif? Ne craignez-vous pas que le peuple, tant instruit que ses reprsentants dclarent la guerre en son nom, ne reoive par cela mme une impulsion dangereuse vers la dmocratie, ou plutt loligarchie; que le vu de la guerre et de la paix ne parte du sein des provinces, ne soit compris bientt dans les ptitions, et ne donne une grande masse dhommes toute lagitation quun objet aussi important est capable dexciter? Ne craignez-vous pas que le Corps lgislatif, malgr sa sagesse, ne soit port franchir lui-mme les limites de ses pouvoirs par les suites presque invitables quentrane lexercice du droit de la guerre et de la paix? Ne craignez-vous pas que, pour seconder le succs dune guerre quil aura vote, il ne veuille influer sur sa direction, sur le choix des gnraux, surtout sil peut leur imputer des revers, et quil ne porte sur toutes les dmarches du monarque cette surveillance inquite qui serait par le fait un second pouvoir excutif?Ne comptez-vous encore pour rien linconvnient dune assemble non permanente, oblige de se rassembler dans le temps quil faudrait employer dlibrer; lincertitude, lhsitation qui accompagneront toutes les dmarches du pouvoir excutif, qui ne saura jamais jusquo les ordres provisoires pourront stendre; les inconvnients mme dune dlibration publique sur les motifs de faire la guerre ou la paix, dlibrations dont tous les secrets dun Etat (et longtemps encore nous aurons de pareils secrets) sont souvent les lments?Le roi aura donc le droit de paix et de guerre, mais avec lobligation de convoquer aussitt le Corps lgislatif, qui sigera pendant toute la guerre et runira auprs de lui la garde nationale.Or, quel tait le but de Mirabeau en prononant ce discours? De trancher une question de mtaphysique gouvernementale? Il la jugeait sans doute peu importante. Mais, attach la cour depuis le 10 mars, il cherchait raliser les plans secrets quil lui soumettait. Tous ces plans se rsument en ceci: que le roi se retire dans une place forte, et quentour de larme il commence, sil le faut, cette guerre civile qui retrempe les mes. En attribuant au roi le droit de paix et de guerre, Mirabeau ne songe qu lui donner le commandement de la force arme. La Marck lavoue: Lautorit du roi, dit-il, ne pouvait tre rtablie que par la force arme; il fallait donc mettre cette force sa disposition. Lopinion de Mirabeau sur le droit de paix et de guerre, qui est sans doute, de tous ses travaux lgislatifs, celui qui lui a fait le plus dhonneur, navait pas dautre but.Ce nest pas sans hsitations que Mirabeau stait dcid cette dmarche, exige sans doute par la cour, et dont il sentait toute la gravit. La veille il avait sond les dispositions de ses ennemis, les Triumvirs. Il tait venu, dit Alexandre de Lameth, sasseoir sur le banc immdiatement au-dessus du mien, afin de pouvoir causer avec moi. Eh bien! lui dis-je, nous allons donc tre demain en dissentiment, car on assure que le dcret que vous proposerez ne sera gure dans les principes Qui a pu vous dire cela? Je nai communiqu mon projet personne. Si lon ne ma pas dit la vrit, il ne tient qu vous de me dtromper; montrez-le moi. Si vous voulez nous coaliser, jy consens, rpond Mirabeau en se penchant vers moi. Mais nous sommes tous coaliss, repris-je mon tour, car si vous voulez sincrement la libert et le bien public, vous nous trouverez toujours ct de vous. Ce nest pas ici le lieu de nous expliquer, ajouta-t-il; mais, si vous voulez aller dans le jardin des Feuillants, je vous y suivrai. Je my rendis, et il vint promptement my rejoindre. Il me fit lire son dcret; je ne le trouvais point clair, je le combattis. Il rpliqua par lexposition de ses motifs. Nous ne pmes nous accorder et, comme il ntait pas sans inconvnient dtre aperu en conversation suivie avec Mirabeau, je lui proposai de se rendre le soir chez Laborde, o il me trouverait avec Duport et Barnave.L on chercha sduire Mirabeau en lui offrant toute la gloire de la prochaine discussion. Il paraissait tent, mais rptait quil avait des engagements, et disait quil avait fait le calcul des voix, quil tait sr de la victoire.On sait comment, au contraire, il fut vaincu par Barnave, mais sut se mnager une retraite en faisant remettre la discussion au lendemain, et, le lendemain, obtint un succs dloquence qui masqua sa dfaite.Il fit plus: il trouva moyen de dsavouer et daltrer son discours pour ressaisir la popularit qui lui chappait. Impopulaire en effet, il tait perdu, et la cour le repoussait ddaigneusement. Or, quand on sut au dehors dans quel sens il avait parl, ce fut une explosion de surprise et de douleur. Cest alors quon cria dans les rues le fameux libelle: Grande trahison dcouverte du comte de Mirabeau, ou on disait: Prends garde que le peuple ne fasse distiller dans ta gueule de vipre de lor, ce nectar brlant, pour teindre jamais la soif qui te dvore; prends garde que le peuple ne promne ta tte, comme il a port celle de Foullon, dont la bouche tait remplie de foin. Le peuple est lent sirriter, mais il est terrible quand le jour de sa vengeance est arriv; il est inexorable, il est cruel ce peuple, raison de la grandeur des perfidies, raison des esprances quon lui fait concevoir, raison des hommages quon lui a surpris.Effray de son impopularit naissante, il modifia son discours pour limpression et lenvoya, ainsi modifi, aux 83 dpartements. Dans le texte du Moniteur, il dniait formellement au Corps lgislatif le droit de dlibrer directement sur la paix et sur la guerre; dans le texte destin aux dpartements, il dplaait la question et se demandait seulement sil tait juste que le Corps lgislatif dlibrt exclusivement, et se bornait proposer que le roi concourut la dclaration de guerre. Mirabeau, videmment, se rtractait, mais ne voulait point paratre le faire. Alexandre de Lameth publia alors une brochure intitule: Examen du discours du comte de Mirabeau sur la question du droit de paix et de guerre, par Alexandre Lameth, dput lAssemble nationale, juin 1790. Il y dvoile la mauvaise foi de Mirabeau et publie, en deux colonnes parallles, les deux ditions de son discours, en soulignant les passages modifis.Voici quelques-uns de ces passages:Dans son discours, Mirabeau avait dit que les hostilits de fait taient la mme chose que la guerre, et que le Corps lgislatif, ne pouvant empcher ces hostilits, ne pouvait empcher la guerre. Il imprime maintenant tat de guerre partout ou il avait mis guerre et il prend tat de guerre dans le sens dhostilit de fait, disant que si le Parlement ne peut pas empcher ltat de guerre, il peut empcher la guerre, mais condition dtre daccord avec le roi, ce qui est juste loppos de ce quil avait dit la tribune.Dans la premire dition on lit:Faire dlibrer directement le Corps lgislatif sur la paix et sur la guerre, ce serait faire dun roi de France un stathouder, etc.2e d.: Faire dlibrer exclusivement le Corps lgislatif, etc.1re d.: Ce serait choisir, entre deux dlgus de la nation celui qui est cependant le moins propre sur une telle matire prendre des dlibrations utiles.2e d.: celui qui ne peut cependant prendre seul et exclusivement de lautre des dlibrations utiles sur cette matire.Ces contradictions peu honorables sexpliquent delles-mmes sans se justifier, si lon connat la politique secrte de Mirabeau, qui est de tromper le peuple pour son bien, cest--dire pour le roi, puisque le roi, cest le peuple.Cest pour reconqurir cette popularit qui lui chappe et pour masquer sa servitude que, parfois, il retrouve des accents de tribun, et, oubliant son rle dhomme pay, soulage sa conscience par une magnifique apologie de la Rvolution. Tel il apparat quand, le 21 octobre 1790, il glorifie avec colre le drapeau tricolore que lon hsitait substituer au drapeau blanc sur la flotte nationale:H bien, parce que je ne sais quel succs dune tactique frauduleuse dans la sance dhier a gonfl les curs contre-rvolutionnaires, en vingt-quatre heures, en une nuit, toutes les ides sont tellement subverties, tous les principes sont tellement dnaturs, on mconnat tellement lesprit public, quon ose dire vous-mmes, la face du peuple qui nous entend, quil est des prjugs antiques quil faut respecter, comme si votre gloire et la sienne ntaient pas de les voir anantir, ces prjugs quon rclame! Quil est indigne de lAssemble nationale de tenir de telles bagatelles, comme si la langue des signes ntait pas partout le mobile le plus puissant pour les hommes, le premier ressort des patriotes et des conspirateurs, pour le succs de leur fdration ou de leurs complots! On ose, en un mot, vous tenir froidement un langage qui, bien analys, dit prcisment: Nous nous croyons assez forts pour arborer la couleur blanche, cest--dire la couleur de la contre-rvolution (Murmures violents de la partie droite; les applaudissements de la gauche sont unanimes), la place des odieuses couleurs de la libert! Cette observation est curieuse sans doute, mais son rsultat nest pas effrayant. Certes, ils ont trop prsum (Au ct droit:) Croyez-moi, ne vous endormez pas dans une si prilleuse scurit, car le rveil serait prompt et terrible!(Au milieu des applaudissements et des murmures, on entend ces mots: Cest le langage dun factieux.)Calmez-vous, car cette imputation doit tre lobjet dune controverse rgulire; nous sommes contraires en faits; vous dites que je tiens le langage dun factieux. (Plusieurs voix de la droite: Oui! oui!)Monsieur le prsident, je demande un jugement, et je pose le fait (Murmures.) Je prtends, moi, quil est, je ne dis pas irrespectueux, je ne dis pas inconstitutionnel, je dis profondment criminel de mettre en question si une couleur destine nos flottes peut tre diffrente de celle que lAssemble nationale a consacre, que la nation, que le roi ont adopte, peut tre une couleur suspecte et proscrite! Je prtends que les vritables factieux, les vritables conspirateurs sont ceux qui parlent des prjugs quil faut mnager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage? (Applaudissements.)Non, Messieurs, non! leur sotte prsomption sera due; leurs sinistres prsages, leurs hurlements blasphmateurs seront vains! Elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales! Elles obtiendront le respect de toutes les contres, non comme le signe des combats et de la victoire, mais comme celui de la sainte confraternit des amis de la libert sur toute la terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans!Vertement tanc par son ami La Marck pour cette sortie dmagogique, il lui rpond avec orgueil: Hier, je nai point t un dmagogue; jai t un grand citoyen, et peut-tre un habile orateur. Quoi! ces stupides coquins, enivrs dun succs de pur hasard, nous offrent tout platement la contre-rvolution, et lon croit que je ne tonnerai pas! En vrit, mon ami, je nai nulle envie de livrer personne mon honneur et la cour ma tte. Si je ntais que politique, je dirais: Jai besoin que ces gens-l me craignent. Si jtais leur homme, je dirais: Ces gens-l ont besoin de me craindre. Mais je suis un bon citoyen, qui aime la gloire, lhonneur et la libert avant tout, et, certes, Messieurs du rtrograde me trouveront toujours prt les foudroyer.Hlas! une des causes de cette grande colre, ctait aussi quil avait appris que la cour se faisait conseiller, son insu, par Bergasse. Bless, indign, il fut pour un instant lhomme que le peuple croyait voir en lui. Mais cet accs dindpendance tomba vite; on revint lui, et il se justifia, sexcusa: Mon discours, crit-il la cour, quune attaque violente rendit trs vif, cest--dire trs oratoire, fut cependant tourn tout entier vers lloge du monarque. Voil ma conduite; quon la juge!Ds lors, le ministre secret resta docile et ne pronona plus de discours rvolutionnaires. Il rendit lAssemble mpris pour mpris, toujours souponn, toujours applaudi, senfonant davantage dans les intrigues secrtes et se faisant lillusion quon allait excuter ses plans. Quand le Comit de constitution proposa une loi contre les migrs, il sleva avec force contre cette loi qui, ses yeux, avait surtout linconvnient de mettre entre les mains de lAssemble une prrogative du pouvoir excutif. Il combattit la motion avec hauteur:La formation de la loi, dit-il, ne pouvant se concilier avec les excs, de quelque espce quils soient, lexcs du zle est aussi peu fait pour prparer la loi que tous autres excs. Ce nest pas lindignation qui doit proposer la loi, cest la rflexion, cest la justice, cest surtout elle qui doit la porter; vous navez pas voulu faire votre comit de constitution lhonneur que les Athniens firent Aristide, vous navez pas voulu quil fut le propre juge de la moralit de son projet de loi; mais le frmissement qui sest manifest dans lAssemble en lentendant a montr que vous tiez aussi bons juges de cette moralit quAristide lui-mme, et que vous aviez bien fait de vous en rserver la juridiction. Je ne ferai pas lAssemble cette injure, de croire quil soit ncessaire de dmontrer que les trois articles quil vous propose auraient pu trouver une digne place dans le code de Dracon, mais que certes ils nentreront jamais dans les dcrets de lAssemble nationale de France.Ce que jentreprendrais de dmontrer peut-tre, si la discussion portait sur cet aspect de la question, cest que la barbarie mme de la loi quon vous propose est la plus haute preuve de limpraticabilit de cette loi. (On crie dune partie du ct gauche: non; et applaudissements du reste de la salle.) Jentreprendrais de dmontrer et je le ferais, si loccasion sen prsente, que nul autre mode lgal, puisquon veut donner cette pithte de lgal, puisquon la donne jusquici du moins toutes les promulgations faites par les autorits lgitimes, et quaucun autre mode lgal quune commission dictatoriale nest possible contre les migrations. Certes, je nignore pas quil est des cas urgents, quil est des situations critiques ou des mesures de police sont indispensablement ncessaires, mme contre les principes, mme contre les lois reues: cest l la dictature de la ncessit. Comme la socit ne doit tre considre alors que comme un homme tout-puissant dans ltat de nature, certes, cette mesure de police doit tre prise, on nen doute pas. Or le corps lgislatif formera la loi; ds lors que cette proposition aura reu la sanction du contrleur de la loi ou du chef suprme de la police sociale, nul doute que cette mesure de police ne soit aussi sacre, tout aussi lgitime, tout aussi obligatoire que toute autre ordonnance sociale. Mais entre une mesure de police et une loi, il est une distance immense; et vous le sentez assez, sans que jaie besoin de mexpliquer davantage.Messieurs, la loi sur les migrations est, je le rpte, une chose hors de votre puissance, dabord e