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La Chine et son art

Ren GROUSSET La Chine et son art 228

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LA CHINEET SON ART

parRen GROUSSET (1885-1952)

( 1951 )

Un document produit en version numrique par Pierre Palpant,Collaborateur bnvoleCourriel: [email protected]

Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"dirige et fonde par Jean-Marie Tremblay,professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http: //www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/

Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de lUniversit du Qubec ChicoutimiSite web: http: //bibliotheque.uqac.ca/

Un document produit en version numrique par Pierre Palpant, collaborateur bnvole, Courriel: [email protected]

partir de:

La Chine et son art,

Par Ren GROUSSET (1885-1952)

Editions dHistoire et dArt, collection Ars et Historia, Librairie Plon, Paris, 1951. IX + 252 pages.

Polices de caractres utilise: Times, 10 et 12 points.

Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11dition complte le 31 aot 2005 Chicoutimi, Qubec.

[note: un clic sur @ en tte de volume et des chapitres et en fin douvrage, permet de rejoindre la table des matires.

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T A B L E D E S M A T I R E STableau chronologique Carte Illustrations Planches Index

INTRODUCTION: DFINITION DE LA CHINE.Lisolement gographique chinois et loriginalit chinoise.Fondements agraires de la civilisation chinoise.Varit et unit chinoises.Continuit chinoise et renouvellement chinois.

CHAPITRE PREMIER: ARCHASMES.Le nolithique chinois. La civilisation des ChangYin.Une rgression: lpoque des Tcheou Occidentaux.La civilisation des Royaumes Combattants: lart.La civilisation des Royaumes Combattants: la pense.Le Royaume de Tsin fait lEmpire de Chine.

CHAPITRE II: LES FILS DE HAN.Lordre Han en Chine et en Haute Asie. Les Han Occidentaux.Lordre Han en Chine et en Asie Centrale. Les Han de Loyang.Lart lpoque Han.

CHAPITRE III: RVOLUTIONS, INVASIONS, RELIGIONS NOUVELLES.La chute des Han et le renversement des valeurs.Le grand miettement. poque des Six Dynasties.Linvasion de la Chine par lindianit. Propagation du Bouddhisme.Sinisation du Bouddhisme.La sculpture Wei Aprs deux cent soixantedix ans dinvasions tartares et de morcellement, reconstitution de lunit chinoise.

CHAPITRE IV: LPOQUE TANG.Avnement de Tang.Les premiers empereurs Tang et linfluence bouddhique.A la cour des Tang. La grande poque.

CHAPITRE V: LPOQUE SONG.Chute des Tang. Les Cinq Dynasties.Lpoque des Song et la raction confucianiste.La peinture sous les Song.La cramique des Song.

CHAPITRE VI: DES MONGOLS AUX MANDCHOUS.Les Yuan.Les Ming.Les Tsing.Temps nouveaux.

Derniers travaux sudois et japonais.

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A LA MMOIRE DE Henri Maspero

Je remercie Mlle Madeleine David, attache au Muse Cernuschi, charge de mission au Muse Guimet, qui ce livre doit tant, aussi bien en gnral, pour la documentation archologique ou pour le choix des illustrations, que, tout particulirement, pour les chapitres sur les jades et la cramique.Je remercie galement M. Vadime Elissef, conservateuradjoint au Muse Cernuschi, qui ma fait bnficier du texte de son cours sur la sculpture chinoise, profess en 1948 lcole du Louvre.Jexprime aussi ma reconnaissance Mlle Hallade, charge de mission au Muse Guimet, qui a bien voulu dessiner toutes les planches archologiques hors texte, ainsi qu Mme Busson, lve de lcole du Louvre, qui la seconde dans ce travail pour la sculpture bouddhique.Je remercie enfin Mlle Jacqueline Bloc qui a eu le dvouement de dresser lindex alphabtique du volume.

INTRODUCTIONDFINITION DE LA CHINE

Lisolement chinois et loriginalit chinoise.@Comme lInde, plus encore que lInde, la Chine est, elle seule, tout un continent. Certes, elle reste directement soude, elle adhre par tout son hinterland la masse norme du monde des steppes et de la Haute Asie. Elle fait partie, les derniers vnements le prouvent assez, de lEurasie. Mais la Haute Asie comme au monde de la steppe elle tourne gographiquement le dos, limage de ses fleuves qui coulent loppos des leurs, suivant lorientation de ses plaines, de ses rivages qui souvrent sur un ocan rest, pendant des millnaires, sans rivage oppos. Jusqu la dcouverte, si tonnamment tardive, de lAmrique, la Chine, du seul point de vue de lEurasie, a vraiment t une des extrmits du monde. Mais lEurasie ellemme, le continent total fait de lAsie tout entire avec sa pninsule terminale, lEurope , lEurasie ne sest rvle telle qu partir du dbut du premier sicle avant JsusChrist, partir du moment o lempereur chinois Han Wouti, par ses conqutes jusquau Pamir, a tabli le contact entre lOrient classique et lExtrmeOrient. Jusque l, ou plutt et plus rellement, jusquau premier sicle de notre re (introduction du bouddhisme), au point de vue culturel, et surtout jusquau IVe sicle aprs JsusChrist au point de vue politique (premires Grandes Invasions tartares), la Chine a toujours vcu en vase clos. Si nous situons approximativement vers le dbut du IIe millnaire les origines de la protohistoire chinoise, nous obtenons ainsi, jusqu lirruption du monde p.II extrieur, quelque vingttrois sicles de civilisation isole et continue. Pour passivement engag quil soit dans le socle eurasiatique, le continent chinois, pendant cette immense priode, nen a pas moins bnfici de tous les avantages de linsularit. Car les gographes le savent: les hauts plateaux glacs et les solitudes dsertiques sparent bien plus que la mer les civilisations closes aux points opposs de leur priphrie.La Chine, pour laborer une civilisation de tous points originale, tait donc assure, au dpart, dune situation exceptionnelle. Considrons quun tel privilge na t concd ni la Grce, immmorialement en symbiose avec les vieilles cultures de lAsie Antrieure, ni lInde ellemme, qui, de la civilisation praryenne de lIndus (Mohenjodaro) au grcobouddhique, est toujours plus ou moins reste en contact, elle aussi, avec lAsie Antrieure. Pour trouver, pendant des millnaires, un isolement pareil celui de la Chine, il faudrait se reporter lAmrique prcolombienne. Mais en dpit dune puissance cratrice incontestable, les Amrindiens nont jamais produit des valeurs humaines aussi universelles que le monde chinois.En effet, un isolement aussi prolong, permettant une si longue incubation en vase clos, devait assurer la culture chinoise une originalit puissante, mais cette originalit aurait pu, comme pour les civilisations prcolombiennes ou noires, naboutir qu des conceptions pratiquement fermes, intraduisibles en pense trangre. Or il se trouva que lesprit chinois, comme lesprit grec, comme lesprit latin, possdait une telle prdisposition aux ides gnrales, que, comme la Grce et Rome, il pensa universel. Comme le gnie grcoromain, le gnie chinois a, pour son versant de plante, cr une sagesse, une esthtique, un humanisme complets.Pour lIndochine orientale, la Core et une partie au moins de la HauteAsie, la Chine, par ses lettrs et ses lgionnaires, a donc t la fois la Grce et Rome. Mme dans un pays o, ses armes nayant jamais pntr, elle na pu tre Rome (cest au Japon que je songe), la Chine a fait uvre hellnique, durablement. De ce fait, et du point de vue de ses satellites naturels, elle a mrit son titre dempire du milieu, comme la Grce, en ses sanctuaires les plus sacrs, stait estime avec raison lomphalos du monde mditerranen.Le propre de la civilisation chinoise est donc dtre une des grandes civilisations originales de lhumanit, civilisation ayant largement fait la loi autour delle, pour civiliser et humaniser une importante partie de lAsie. Mais si la mission historique de la Chine stait borne cette tche la vrit, capitale , elle nen aurait pas moins t malgr tout rduite un isolement longtemps total, un rle en quelque sorte prcolombien. Lintrt majeur de lhistoire chinoise est quaprs avoir eu le temps, durant prs de vingt sicles, dlaborer en vase clos cette culture p.III entirement originale, la Chine soit entre et depuis soit reste presque continment en contact avec quelquesunes des plus hautes civilisations du monde extrieur.Cette prise de contact dbuta au 1er sicle de notre re avec lintroduction du bouddhisme apportant avec lui le meilleur de la pense indienne, de lart indien et, par lart indien, un assez proche reflet de lart grec comme des arts de lIran. Plus tard et par les mmes pistes de caravanes arriveront le christianisme nestorien et le manichisme, sans parler de lIslam. Nous verrons linfluence considrable de tels apports, du bouddhisme, bien entendu, principalement. Toutefois, pour lintroduction de ces diverses influences, les hommes ne disposrent que de la double piste de caravanes de lactuel Turkestan Chinois ou Sinkiang la Route de la Soie beaucoup trop tire travers limmensit des dserts, des chanes de montagnes ou des hauts plateaux pour jamais permettre une invasion massive des ides trangres. Les influences extrieures, travers les sicles et les solitudes, ne purent ainsi tre transmises au continent chinois quau compte-gouttes. Elles eurent toujours le temps dtre assimiles et, pour importantes quelles aient pu tre qualitativement, elles stimulrent loriginalit chinoise sans jamais la mettre en pril.Peuttre ces influences historiques par la piste des caravanes faudrait-il ajouter, pour un pass beaucoup plus lointain, dimmmoriaux contacts avec les cultures nolithiques de lEurope orientale. Nous verrons en effet dans la premire moiti du deuxime millnaire se rpandre dans la Chine du Nord une cramique polychrome avec dcor en spirales, originaire, sembletil, de la Roumanie et de lUkraine. Toutefois il y a lieu de considrer quen ExtrmeOrient les plus belles de ces poteries ont t trouves dans une province priphrique (le Kansou), alors extrieure la Chine; que leur dcor na gure laiss de trace sur lvolution ultrieure de lornementation chinoise et donc que les lointaines influences dart en question nont pu agir sur la formation du gnie chinois.

Fondements agraires de la civilisation chinoise.@Loriginalit chinoise, on vient de le voir, reste entire. Estce dire que le miracle chinois, dont on peut en effet parler comme du miracle grec, soit rellement inexplicable? Tout au contraire, et lhumanisme chinois, comme lhumanisme mditerranen, sexplique immdiatement par la gographie humaine. Il est vrai quentre eux les fondements diffrent. La civilisation grecque, comme avant elle les civilisations prhellniques, comme, ct delle, la civilisation phnicienne, comme en Asie Orientale les civilisations indonsienne ou japonaise, sest constitue sous linfluence p.IV prpondrante de la mer. La civilisation chinoise la plus archaque, comme les civilisations babylonienne ou pharaonique, est au contraire une civilisation minemment terrienne, une civilisation des labours. Il sagit, dans les trois cas, dun sol dalluvions, annuellement fcond par la crue du fleuve, dun don du Fleuve, comme Hrodote le dit de lgypte et comme nous pourrions aussi bien le dire de la Grande Plaine chinoise. Mais dans les trois cas aussi, comme lavouent les Chinois avec un mlange de reconnaissance et de terreur propos du fleuve Jaune, le Comte du Fleuve (Ho po) est un bienfaiteur redoutable qui doit tre attentivement observ, utilis, apais, rfrn. Lextraordinaire fertilit du sol quil a cr de son limon et quil continue de fconder, ne se maintient quautant que linondation annuelle se voit capte et domestique par tout un systme de canaux de drivation, quautant, dautre part, que la crue est matrise par un ensemble de digues soigneusement entretenues.La fonction essentielle du chef, pharaon gyptien, patsi sumrien ou wang chinois archaque, rside donc dans lentretien de ce systme de canalisations et de digues De Yu le Grand fondateur lgendaire de la premire dynastie chinoise, celle des Hia, le Cheyi-ki nous dit: Yu puisa ses forces creuser des canaux et construire des digues. Il guidait les rivires (Cheyi-ki, 2).. Ingnieur hydraulicien et ingnieur agronome, le roi des alluvions doit, avec non moins de soin que lheure de linondation fcondante, prvoir, guetter et fixer lheure des semailles, lheure de la rcolte, lheure de lengrangement; faire, en chacun de ces cas, concider le cycle agraire avec le cycle saisonnier ou, comme disaient les anciens Chinois, la Terre avec le Ciel. A ces divers titres, sa chefferie est essentiellement une royaut calendrique, puisant ses pouvoirs, son mandat cleste (tienming) dans lobservation des astres. Panthon msopotamien, panthon gyptien et panthon chinois sexpliqueront en grande partie par cette double origine agraire et astronomique, de mme que le caractre stable, utilitaire et relativement pacifique de linstitution royale dans les trois pays proviendra du sacerdoce agricole ainsi conu. Peu importe que visiblement aucun contact nait pu exister lpoque archaque entre le Croissant Fertile de lAsie Antrieure et les champs de lss ou dalluvions de la Chine du Nord. La gographie humaine, en partant de conditions physiques analogues, imprime des humanits, tant dautres gards si diffrentes, une physionomie parfois assez semblable Voir P. Gourou, La Terre et lhomme en ExtrmeOrient, 2e d. Paris (Colin), 1947. Et aussi la confrence de M. Gourou, Considrations gographiques sur la Chine, donne le 18 mars 1948, au Centre dtudes de Politique trangre, rue de Varenne. Ajoutons que le bassin du fleuve Jaune peut avoir connu lpoque archaque un climat plus chaud et plus humide que de nos jours. Voir ltude de notre confrre chinois HOU HEOUSIUAN, Climatic changes. Study of the climatic conditions of the Yin dynasty. Bulletin of Chinese Studies. IV, I, Tchengtou, 1944 c. r. de A. RYGALOFF, dans Hanhiue, Bulletin du Centre dtudes Sinologiques de Pkin, II, 4, 1949, p. 431..La dynastie archaque chinoise qui rgnera le plus longtemps, celle des p.V Tcheou (1027256 avant J.C.), aura comme anctre le Prince Millet ou Matre des Moissons (Heoutsi). Et en face du Seigneur dEn Haut (Changti) qui est le Tien, le Ciel personnifi, la Chine antique adorera le SouverainTerre (Heoutou) qui est essentiellement le dieu du sol (ch), en lespce du sol cultiv.Il faut toutefois se garder ici des dfinitions par trop schmatiques. A coup sr, la vocation essentiellement agraire du peuple chinois primitif devait le prdisposer, dans le domaine de la pense, une conception toute sociale de la sagesse, une philosophie utilitaire et peuttre un peu courte, un tour desprit positiviste dont un certain confucianisme sera la manifestation. On pourrait sans doute en dire autant de la pense babylonienne et, son image, de tout un ct de la sagesse smitique, en Msopotamie comme en Phnicie. Et pourtant, cest la socit msopotamienne qui, ds lpoque de Sumer et dAccad, nous a, dans lpope de Gilgamesh ou dans le pome du juste Souffrant, rvl toute langoisse mtaphysique. De mme en Chine. En dpit dune religion paysanne dont le terre terre ne se peut comparer qu celui de la primitive religion romaine, malgr, comme on la dit, le virtuel agnosticisme de la sagesse confucenne, la Chine est le pays qui nous devons la spiritualit du taosme philosophique, llan mtaphysique dun Tchouang-tseu.Bien que confucisme et taosme se rattachent lun et lautre des conceptions sans doute originellement assez semblables (dimmmoriales recettes de sorciers et de devins), il est impossible dimaginer divergence plus totale. Rsignonsnous ces contradictions dont, en dpit des thoriciens, lhistoire est toute seme: la socit confucianiste, paracheve dans le mandarinat classique, nous a donn le plus typique exemple la fois de positivisme intellectuel et de traditionalisme social. Et les Pres taostes dans lantiquit, les potes tang ou les peintres song au moyen ge nous ont valu les messages les plus dsintresss daffranchissement spirituel et de communion cosmique...

Varit et unit chinoises.@De si visibles diversits, en nous rvlant la richesse initiale de la Chine, nous font prvoir travers les sicles et presque les millnaires ses facults de rebondissement et de renouvellement. Ajoutons, lchelle du continent chinois, les variantes que ne devaient pas manquer dapporter la culture chinoise les diversits provinciales, commencer par lopposition gnrale entre la Chine Septentrionale et la Chine du Sud, la premire encore en symbiose avec le Grand Nord tartare et le monde des p.VI steppes, la seconde dj en harmonie avec le monde subtropical indochinois.De fait, une bonne partie de lhistoire chinoise ne sexpliquera que par ce contraste: Chine des plateaux de lss ou de la Grande Plaine alluviale contre Chine des plis siniens; royaume du Prince Millet contre royaume du riz. Mieux encore. A lintrieur mme de cette division gnrale, des subdivisions secondaires se dessinent qui, en Europe, auraient suffi crer autant de nations distinctes. Chaque province chinoise tait comme lamorce (plus tard comme le risque) dun tat autonome, autonome parce que suffisamment individualis en gographie physique comme en gographie humaine; particularisme rgional qui, chaque priode de grand miettement, a fait recouvrer par la plupart des grandes provinces leur temporaire indpendance.Le Chensi et le Chansi, chacun sur ses terrasses de lss, en surplomb de la Grande Plaine, sont de taille (lhistoire, maintes reprises, la prouv) se barricader chez eux et sy dfendre seuls. Il en va de mme pour le Chantong, adoss son peron montagneux terminal, sa Bretagne inverse et son massif sacr du Tai-chan. La rgion de Pkin, en transition entre la steppe mongole et la Grande Plaine chinoise, gardera la physionomie dune Marchefrontire qui au nord doit surveiller le monde des hordes et au sud commander limmense champ de labours tendu jusquau Yangtseu. Le Honan, cette fleur du milieu, cette Touraine chinoise, sige de tant de capitales successives, a en effet longtemps conserv une primaut dtatEmpire.A la diffrence de ce Nord, si compartiment et o le fleuve Jaune reprsente souvent un obstacle plutt quun lien entre provinces, le cours du Yangtseu kiang, si longtemps navigable, constitue au contraire un lien entre rgions riveraines, quoique les valles de ses affluents mridionaux, bien spares par les lignes de partage, favorisent, l encore, les particularismes provinciaux. Le tout sans parler du Sseutchouan, immense province excentrique autant que fortune, que son loignement voue plus nettement encore une quasi-indpendance. Enfin une Chine de vocation purement maritime et dj coloniale sannonce sur les ctes du Foukien et de la rgion cantonaise, en appel de toute la Chine Extrieure de lIndonsie et du Pacifique.

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De telles diversits ne devaient pas manquer dinfluencer lvolution mentale et artistique du peuple chinois. Les oppositions gographiques et contrastes rgionaux sont ici dautant plus sensibles que, depuis les temps historiques, lhistoire de la Chine est rythme par lalternance entre p.VII priodes dmiettement provincial et priodes de regroupement Peuttre lhistoire engloberatelle dans les priodes dmiettement les annes 1912-1949, en dpit de la fiction de ltat unitaire, diplomatiquement maintenue.... Un des facteurs qui priodiquement ont permis le rassemblement des terres chinoises est coup sr lunit de lcriture, des caractres, dabord, l comme ailleurs, purement pictographiques, puis idographiques, finalement uniformiss ds le rgne du premier empereur, Tsin Che Houangti, la fin du IIIe sicle avant JsusChrist. A dfaut dunit dialectale, les caractres constiturent le truchement commun, celui quon put, par la suite, interprter sa guise, en des prononciations aussi diverses que lactuel pkinois et lactuel cantonais. Peuttre, en Europe, lunit politique de lOccident etelle t indfiniment maintenue, si les langues italienne, espagnole, franaise, allemande, anglaise avaient, pour sexprimer, us didogrammes identiques. Mais, pour la Chine, cet vident avantage initial nalla pas ensuite sans de graves inconvnients. Les idogrammes chinois, en principe analogues aux vieux hiroglyphes gyptiens ainsi quaux cuniformes msopotamiens primitifs, ne connurent jamais la simplification phnicienne de lalphabet. Ces merveilleux idogrammes, riches de toute une virtualit de dveloppements intellectuels, recelant comme une charge mystrieuse dinterprtations complmentaires, et explosifs de tout un dynamisme de penses, sont peuttre pour lesprit un stimulant plus puissant que nos trop pauvres signes alphabtiques. La supriorit pratique de ces signes, tels que les Phniciens en ont invent le principe pour le reste de lunivers, nen est pas moins vidente. La culture chinoise, reste cet gard un stade hiroglyphique ou cuniforme, sest ainsi prive davantages prcieux. Lapparente immobilit de la littrature chinoise na pas dautre origine. Tandis que l comme dans les autres pays la prononciation et le langage voluaient, les caractres, contrairement ce qui se passait ailleurs, restaient pratiquement immuables, finissant par recouvrir des interprtations nouvelles comme des phonmes diffrents. Imaginons les Musulmans de lIrak ayant conserv jusqu nos jours les caractres cuniformes de leurs anctres babyloniens, et ces caractres obligs de sadapter de sicle en sicle lvolution des ides et des techniques, nous comprendrons la complexit du fait chinois.Si le maintien des caractres, en regard de civilisations partout ailleurs progressivement alphabtiques, a prsent ces inconvnients, nous nen devons pas moins reconnatre lavers de la question. Indpendamment de leur valeur esthtique qui fait que, pour les arts du pinceau, la calligraphie sgale la peinture (si bien que la peinture nest souvent quune transposition de la calligraphie), les antiques idogrammes chinois restent, comme nous le disions, effectivement chargs de pense, riches de tout un dynamisme immmorial, vhicules didesforces qui nont fait p.VIII que saccentuer au cours des ges. Il y a l un tel emmagasinement de richesses que Chinois et Japonais consentent simposer un effort mnmotechnique et, aujourdhui, un travail dadaptation presque incroyables plutt que de renoncer cet immmorial trsor.

Continuit chinoise et renouvellement chinois.@Lexemple de la fixit des caractres chinois en mme temps que des variations de la langue chinoise (et nous renvoyons ici aux savantes reconstitutions phontiques de Bernard Karlgren) B. KARLGREN, tudes sur la phonologie chinoise, Upsal et Leyde, 19151926. B. KARLGREN, Analytic dictionary of Chinese and SinoJapanese, Londres, 1923. B. KARLGREN, Philology and ancient China, Oslo, 1926. nous fait pressentir la complexit dun problme plus gnral: comment la constante chinoise sestelle concilie avec une courbe dvolution, parfois mme avec des mutations brusques dont lhistoire de lart nous montre des exemples saisissants? Dans ce dernier domaine, en effet, nous voyons saffirmer une esthtique chinoise qui restera lune des trois ou quatre grandes esthtiques originales et permanentes de lhumanisme universel. Mais de priode en priode, dans le sein de cette mme esthtique, voici que technique, sensibilit et philosophie de lart se sont renouveles au point qu diverses reprises lart chinois a paru devenir le contraire de lui-mme. Quel rapport entre larchitecture si solidement et si rugueusement construite des bronzes chang et lvanescence des paysages song? Entre la monochromie svre de ces mmes lavis song et la polychromie amuse du dcor ming ou mandchou? Contrastes aussi frappants que ceux qui sparent la statuaire du Parthnon de liconographie byzantine.Cest quen dpit de lapparente continuit culturelle entre le Parthnon et SainteSophie, la socit, de Pricls Justinien, a chang du tout au tout. Lart na fait ici que traduire en surface cette profonde transformation. De mme, en ExtrmeOrient, les transformations de lart chinois nous permettront de deviner presque du premier regard les modifications de structure de la socit chinoise. Comme il sagit dune courbe dvolution couvrant prs de trentecinq sicles, nous nous trouvons l en prsence dune exprience humaine dun passionnant intrt.Le prsent volume (qui dailleurs ne se prsente point comme une histoire de la Chine) a pour but de suivre cette courbe dvolution, celle de la socit et de la civilisation chinoises, grce, prcisment, au coupe-file de lhistoire de lart. Lhistoire de lart, son tour, sera avant tout envisage ici en fonction de lvolution culturelle. On espre donner de la sorte un aperu correct de lentit chinoise, de ses valeurs ternelles, p.IX de sa puissance de renouvellement. Vue qui intresse lavenir de lhumanit tout entire, si nous songeons quil sagit ici dune fourmilire dapproximativement 458 millions dhommes sur les 2 milliards 282 Millions dhabitants que compterait la plante, et que, dans les ventualits de lan 2 000, la masse chinoise, avec son accroissement numrique irrsistible, avec ses conceptions immmoriales, parfois rests inchanges derrire les adaptations les plus inattendues, jouera peuttre un rle dterminant...

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CHAPITRE PREMIERARCHASMES

Le nolithique [email protected] La Chine a connu lquivalent de la srie palolithique occidentale. A Tcheoukeoutien, au sudouest de Pkin, ont t dcouverts des squelettes du Sinanthropus Pekinensis, contemporain dune faune trs archaque, aux caractres encore pliocnes, et donc antrieur notre Chellen dEurope, encore que lhomme de Pkin connt dj le feu. Viendraient ensuite, toujours dans la Chine du Nord; des outils en quartzite, quivalents de notre moustrien, des foyers daspect aurignacien, enfin des objets de parure en os ou en coquillage daffinits magdalniennes. Mais Teilhard de Chardin qui relve ces analogies et aussi cette squence, nentend nullement affirmer pour autant des synchronismes exacts entre chaque srie occidentale et ses lointains quivalents chinois. Une chronologie locale nous est au contraire fournie par les tapes de la formation de la gangue de lss qui revt aujourdhui une bonne part de la Chine du Nord: le sinanthrope, la base du dpt de lss; les tages palolithiques successifs, aux divers degrs du lss; le nolithique chinois, audessus de la couche de lss Voir TEILHARD DE CHARDIN, Esquisse de prhistoire chinoise. Bulletin catholique de Pkin, mars 1934..Les traditions lgendaires placent lorigine de la civilisation chinoise les Trois Souverains et les Cinq Empereurs, patriarches auxquels elles attribuent les principes de la sagesse millnaire en mme temps que les travaux de dfrichement, dendiguement et densemencement qui donnrent naissance lagriculture. Sous ces lgendes il faut voir le lent travail des gnrations qui, aux confins des plateaux de lss (au p.2 NordOuest) et de la Grande Plaine alluviale (au NordEst), firent passer les anctres du peuple chinois de lagriculture intermittente et semi-nomade lagriculture sdentaire. Cette sdentarisation, en diffrenciant les Chinois primitifs des tribus circumvoisines, tribus sans doute de mme race mais restes un stade plus arrir, cra proprement la Chine Sur loriginalit de la langue chinoise et sur ses affinits avec certaines autres langues de lExtrmeOrient (le tha par exemple), voir Henri MASPERO, La Langue chinoise, dans Confrences de lInstitut linguistique de lUniversit de Paris, anne 1933 (1934) pp. 3370. Aussi B. KARLGREN, Sound and symbol in Chinese, Londres, 1923. G. MARGOULIS, La langue et lcriture chinoises, Paris, 1943. P. DEMIVILLE, Le chinois, dans: Cent cinquantenaire de lcole des Langues Orientales (Paris 1948), p. 130.. Aprs ces souverains lgendaires, les annales chinoises placent la dynastie des Hia (entre, approximativement, le XXe sicle avant J.C. et la premire moiti du XVIe), puis la dynastie des ChangYin (entre la seconde moiti du XVIe et le XIe sicle avant J.C.) Les annales sur bambou (chronique datant de la fin du IVe sicle avant J.C.) donnent pour la dynastie des Hia 19891558 et pour celle des ChangYin 15581051 ou mieux, daprs les dernires rectifications de Karlgren, 15231028 (KARLGREN, Museum of Far Eastern Antiquities, Stockholm, n 17, 1945, pp. 114121).. Daprs les mmes traditions, le sige originel de la puissance des Hia aurait t situ dans lextrme sud de la province actuelle du Chansi; celui des Chang dans le nordest de la province du Honan. Confirmation du fait que lagriculture chinoise, donc que la nation chinoise, est ne aux confins des plateaux de lss et de la Grande Plaine.Un des meilleurs spcialistes, larchologue sudois J. G. Andersson, place au dbut de la srie nolithique chinoise la cramique de Tsi-kia-ping, au Kansou [css: il ny a pas dans cet ouvrage de renvoi prcis aux illustrations; quelques liens hypertextes ont t placs vers celles-ci; il sera plaisant de feuilleter les deux tomes dillustrations tout en lisant]. Notons quil sagit, en ce cas, dune culture la fois extrieure et antrieure la civilisation protohistorique proprement chinoise, puisque le Kansou, lpoque dont il sagit, tait certainement allogne et que, si nous nous en tenons la chronologie relative dAndersson, nous sommes l en pleine poque lgendaire, entre 2500 et 2200, donc avant mme la dynastie des Hia. Les vases de Tsi-kiaping, dont certains affectent la forme kouan en amphore, sont souvent orns de longues stries parallles, comme traces au peigne. Au contraire, larchologue chinois G. D. Wu relgue le style de Tsi-kiaping une date bien plus tardive (vers le milieu de lpoque Chang? ) BYLIN ALTHIN, reculant plus tard encore Tsi-kiaping, descend cette cramique jusqu lpoque des bronzes Chang (Chi-chiaping and Lohantang, Museum F. E. A. Stockholm, Bulletin n 18, 1946, p. 467. Cf. SIDNEY KAPLAN, Some observations on Chi-chiaping and Li-fan pottery, Szechwan, dans: Harvard Journal of Asiatic Studies, 1948, p. 187.. Il place au dbut de la cramique nolithique chinoise les poteries trouves Heoukang, dans lextrme nord du Honan, poteries trs simples, ornes, elles aussi, de traits parallles, comme inciss, mais presque sans peinture. En tout tat de cause, notons que le dcor peign a exist anciennement dans la cramique de la Russie du Nord et de la Sibrie MENGHIN plaait entre 2000 et 1500 la phase rcente de la cramique peigne connue dans la Sibrie centrale, rgion de lInissei, par les tombes de Bazaicha prs de Krasnoarsk (Weltgeschichte der Steinzeit, p. 80)..p.3 Vient ensuite la belle cramique peinte polychrome, dcor en spirales, retrouve notamment Yangchao (province du Honan) et Panchan (province du Kansou). Le style de Yangchao daterait en gros de la dynastie des Hia (il stendrait, daprs Andersson, entre 2200 et 1700); le groupe de Panchan, avec son dcor trs labor, serait, daprs le mme archologue, dune phase appele par lui Yangchao moyen. Quoi quil en soit de ces hypothses chronologiques, ds Panchan nous arrivons au grand art avec un magnifique dcor gomtrique form de spirales, de volutes, de vagues ou de festons, de damiers, de losanges et de peaux de serpent, dune surprenante valeur dcorative. A Panchan galement, certaines poteries de ce style portent des dessins anthropomorphes ou zoomorphes, le col du vase tant mme parfois surmont dune tte humaine. A Poutchaotcha, site voisin de Yangchao, poque dite, par larchologue chinois G. D. Wu, de Yangchao II, on a dcouvert de vritables figurines dargile. Enfin Poutchaotcha a livr des tripodes de terre trs frustes, non peints, sans autre dcor que des stries longitudinales et parallles imprimes dans largile frache, tripodes prsentant dj la forme rituelle des vases li ou ting et des hien que nous retrouverons dans les bronzes chinois archaques Le site de Poutchaotcha a galement livr des vases de terre annonant dautres formes de bronzes chinois ultrieurs: des kia, des kou, des kouei, etc. Voir ANDERSSON, Prehistory of the Chinese, B. M. F. E. A., Stockholm, n 15, 1943, pp. 256262. Aussi G. D. Wu, Prehistoric pottery in China, Londres 1938, et CREEL, Les rcents progrs de larchologie en Chine, Revue des Arts Asiatiques, IX, 2, 1935, p. 97..Dautre part, des haches de jade, allant du vert au noir, ont t exhumes Yangchao et aussi ltage infrieur de Tchengtseuyai (au Chantong), ltage de la poterie noire KARLGREN, Prehistory of the Chinese, 1. c., p. 126, pl. 74.. De beaux jades, de forme dj rituelle (le pi circulaire, symbole du Ciel), ont t de mme dcouverts Panchan.Malgr ces liens avec la Chine ultrieure, il y a lieu de rappeler, ici encore, que, si Yangchao et Poutchaotcha taient bien situs dans le domaine protochinois, le site de Panchan o ont t retrouves les plus belles pices de la cramique peinte, restait nettement hors de ce domaine. Par ailleurs, cette mme cramique peinte (en particulier le dcor en volutes et spirales) nest pas sans rappeler le dcor, galement spiraliforme, de la poterie peinte de lUkraine ( Tripoly, prs de Kiev), de la Bessarabie ( Ptrny) ou de la Roumanie ( Cucutni, prs de Iassy), vers le milieu du IIIe millnaire Gordon CHILDE, dans la dernire dition (franaise) de son Aube de la civilisation europenne (1950), fait dbuter la civilisation ukrainienne ou civilisation de Tripoly vers 1900 et situe sa dernire floraison vers 1400 (l. c., p. 171). Pour ltat de la question sur la culture de Tripoly, voir Tatiana PASSEK, Classement chronologique des colonies de Tripoly, Moscou, 1950, (et le C.R. de: Littrature sovitique, aot 1950, fasc. 8, p. 202)..Vient ensuite la cramique peinte de Matchang, localit galement p.4 situe au Kansou. Le dcor de Matchang continue celui de Panchan, mais avec des thmes particuliers: frquence des losanges ou de cercles remplis, lintrieur, dun damier quadrill, mandres, imbrications de T L, le tout rappelant parfois un dcor de vannerie; ou encore dcor lenticulaire et foliiforme, peuttre en allusion de cauries et enfin, ici encore, dcors anthropomorphes trs schmatiss On a dj vu que le coquillage (cyprea moneta) appel caurie (anglais: cowrie) servit (sans doute pour sa signification religieuse) de monnaie chez plusieurs populations protohistoriques.. Notons quimitation de la vannerie et dcor en T L se retrouveront, lge du bronze, dans les bronzes chang Voir Max LOEHR, Neue Typen grauer ShangKeramik dans Sinologische Arbeiten, Pkin, 1943, pl. I, pp. 8687, montrant la transmission et lvolution des motifs gomtriques entre: 1 la cramique peinte du Kansou; 2 celle du Honan; 3 la cramique noire; 4 la cramique grise; 5 la cramique blanche; 6 le dcor des bronzes chang.. Daprs Andersson, la cramique de Matchang serait en effet dpoque fin des Hia et commencement des Chang, immdiatement antrieure aux bronzes de Nganyang (ces derniers tant, on le verra, situer entre 1300 et 1028). Elle serait placer entre 1700 et 1300. Dautre part, Andersson rapproche le dcor de Matchang de celui de la cramique peinte nolithique, rcemment dcouverte Tourfan et Tchertchen, dans le Turkestan Chinois Folke BERGMAN, Archaeological researches in Sinkiang (SinoSwedish expedition), 1939, et ANDERSSON, Prehistory of the Chinese, pp. 279280.. Dj, remarquonsle, la transmission des influences travers la piste doasis de la future Route de la Soie.Il y a lieu de remarquer dautre part que la plupart des motifs dcoratifs de Yangchao et de Panchan, en lespce leurs belles spirales, ne se retrouveront plus dans lart proprement chinois ultrieur, celui des bronzes chang. Au contraire plusieurs des thmes dvelopps la phase nolithique suivante, Matchang, dcor quadrill, losang, bandes angulaires ou en T L, tous galement en imitation de vannerie , passeront, nous venons de lindiquer, dans le dcor des bronzes chang Max LOEHR, Neue Typen grauer ShangKeramik, l. c., pl. I.. Mieux encore: nous pouvons souponner dans un motif de Matchang, celui des deux bras levs (en geste dorant), lorigine dun thme analogue quUmehara retrouvera, lpoque chang, sur la cramique blanche de Nganyang, puis sur un des bronzes de la collection Sumitomo, thme qui est, en effet, une schmatisation anthropomorphique trs nette dont stablirait ainsi la filiation HARADA (Yoshito), Kuei according to the definition in the Shuowen, dans: Bulletin of Eastern Art n 28, Institute of Art Research, Tkyo, avril 1942, p. 4, fig. 2. Comparer avec ANDERSSON, Researches into the prehistory of the Chinese, B. M. F. E. A. Stockholm. n 15, 1943 pp. 190191..En mme temps que la poterie peinte daffinits eurasiatiques, la Chine p.5 nolithique a produit une varit toute diffrente: la poterie noire (allant du gris au noir de jais), surtout reprsente dans la province du Chantong et qui serait peuttre contemporaine des derniers temps de la dynastie des Hia. Souvent dune finesse extrme et polie lextrieur, la poterie noire tait fabrique au tour Monographie par larchologue chinois LI CHI (1934). De nombreux spcimens de poterie noire figurent au muse de Toronto. Plusieurs vases de cette cramique sont conformes aux divers types rituels des bronzes chang que nous dcrirons plus loin. On voit aussi au mme muse une statuette en rondebosse reprsentant un taureau passant, galement en poterie noire (postrieure? ). Le site de Tchengtseuya (prs de Tsinan, au Chantong) o elle a t trouve en abondance, est sur lemplacement dune importante cit nolithique, entoure dun rempart en terre dame, dun kilomtre et demi. On trouve aussi de la poterie noire ltage infrieur de Siaotouen (Nganyang), tage contemporain, semble-til, de Tchengtseuya G. D. WU, Prehistoric pottery, pp. 23 et 59 (aussi p. 36)..Au Sseutchouan, dautres centres de cramique prhistorique ont t dcouverts prs des gorges du Yangtseu et dans les tombes des terrasses autour de Li-fan (au nord de Tchengtou). On a trouv successivement dans cette rgion une cramique corde, dabord trs grossire; une cramique rouge dcor gomtrique noir rappelant la poterie peinte de la fin du nolithique dans la Chine du Nord; une cramique noire rappelant celle du Chantong et une cramique blanche analogue la cramique chang des fouilles de Nganyang CHENG TEKUN, Szechwan pottery. West China Union University Museum, Pretty Press (Nicholls and C), Londres, Apollo Annual, 1948. Du mme auteur: The Lithic Industries of prehistoric Szechwan, West China Union University Museum, Offprint Series n I, 1942.. Cette succession est intressante. Elle confirme que la civilisation prhistorique et protohistorique atteste par les sries de la cramique ntait pas particulire aux rgions habites par les ProtoChinois (Honan, Chantong), mais stendait aussi sur des rgions certainement allognes, comme ltait alors le Sseutchouan au mme titre que le Kansou.

La civilisation des ChangYin.@La dynastie des Chang qui vers la fin reut le nom de dynastie des Yin et que la chronologie rectifie de Karlgren fait rgner entre 1523 et 1028 avant JsusChrist, ne reprsenta longtemps pour nous quun simple nom Pour la chronologie chang, voir KARLGREN, Bulletin of the Museum of Far Eastern Antiquities, Stockholm, n 17, 1945, p. 121.. Pourtant les traditions chinoises nous montraient ces princes installs sur le cours moyen du fleuve Jaune, dans le nord du Honan et p.6 les districts voisins, cestdire la jonction des plateaux de lss et de la Grande Plaine alluviale, dans cette Touraine chinoise qui constitue en effet une des rgions les plus fertiles de la vieille Chine. Les mmes traditions nous laissent entendre quau milieu de cette richesse la civilisation matrielle des Chang avait atteint un degr remarquable et que la cour royale dveloppait un faste et un luxe dont le Ciel devait finir par soffusquer. Nous savons aussi que la dernire capitale de cette dynastie (elle en avait eu plusieurs) tait situe dans lextrmenord du Honan, sur le site actuel de Nganyang o, en 1300, le roi Pankeng avait transport sa rsidence et o le sige de la royaut resta, en principe, tabli jusqu la fin de la dynastie (13001028) KARLGREN, Bulletin 17 of the Museum of the Far Eastern Antiquities, Stockholm, 1945, p. 121..Les fouilles entreprises dans le district de Nganyang (villages de Siaotouen et de Heoukiatchouang et champs avoisinants), dabord un peu au hasard, puis mthodiquement et par les soins de l Academia Sinica (sous la direction de MM. Fou Sseunien, Li Tsi et Leang Sseu-yong) depuis 1934, nous ont rvl la civilisation chang pendant les trois derniers sicles de son existence Comme vue densemble, confrence de PELLIOT Londres, en 1936, publie sous le titre: The royal tombs of Anyang, dans: Studies in Chinese art and some Indian influences, India Society, pp. 51-59. LAcademia Sinica a publi en chinois, en quatre volumes, des Rapports prliminaires sur les fouilles de Nganyang (Anyang fa Cheh pao kao, Pkin 1929-1933). TUNG TSOPING Archaeologia Sinica, II, Hsiaotun, t. II. Yin hsu wn tzu, Kiapien (Londres, 1947, chez Kegan Paul). Cf. UMEHARA (Sueji), Kanan any ih. Selected ancient treasures found at Anyang Yin sites, Kyto, 1940. UMEHARA (S.), Kanan any ibutsu no kenkyu. Research on relics from Anyang, Kyto, 1941. En langue europenne, le principal ouvrage est celui de CREEL, traduit en franais par Mme ClercSalles, La naissance de la Chine, Payot, 1937. Les tudes les plus rcentes sont: J. LEROY DAVIDSON Note on some Anyang finds, dans: Artibus Asiae, XIII, 12, Ascona, 1950 pp. 1724 et UMEHARA (Sueji), Antiquities exhumed from the Yin tombs outside Chang t fu, dans: Artibus Asiae XIII, 3. 1950. pp. 149165, article faisant suite un travail du mme auteur (On the shapes of the bronze vessels of ancient China, Kyto, 1940.). Un trs grand nombre de tombes secondaires ont t mises au jour, ainsi que quatre grandes tombes royales et, sur un terrain denviron 8 hectares, les fondations, sembletil, dun ancien palais royal. Le matriel dcouvert nous rvle une civilisation du bronze dj parvenue son apoge. Force nous est de supposer, pour lpoque antrieure (antrieure lan 1300), une phase dlaboration pendant laquelle la technique du bronze stait acclimate en Chine au point dy tre parvenue un tel degr de perfection. La connaissance du bronze taitelle venue en Chine directement (cestdire par les Turkestans) de lAsie Antrieure o Syrie et Msopotamie lutilisaient dj couramment la fin du IIIe millnaire? Cl. SCHAEFFER. Stratigraphie compare et chronologie de lAsie Occidentale, III et IIe millnaires, Oxford, 1948. Avaitelle emprunt la route de la Sibrie et estce, comme on la cru un moment, par la Sibrie que la Chine a pu connatre la technique du bronze? En Sibrie, dans la rgion de Minoussinsk, p.7 nous voyons effectivement fleurir entre 1200 et 700 avant JsusChrist une civilisation du bronze, la civilisation de Karasouk, qui, en gros, correspond lpoque de Nganyang, mais avec, sembletil, un certain dcalage chronologique. En fait les dernires recherches sovitiques, notamment les travaux du professeur Kisslev, ont prouv (nous y reviendrons) que ce nest pas Karasouk qui a influenc Nganyang, mais, tout au contraire, que ce sont les bronzes de Nganyang qui ont influenc ceux de Karasouk.Fautil supposer alors une influence sibrienne antrieure qui, avant lpoque de Nganyang et de Karasouk, aurait transmis lart du bronze aux premiers Chang? L encore les travaux de Kisslev vont nous rpondre.Laissons de ct la premire en date des cultures sibriennes, celle dAfanassivo qui a rayonn sur la rgion de Minoussinsk, le haut Inissei et lAlta au IIIe millnaire et au dbut du IIe. Il sagit l dune culture purement nolithique dans laquelle, ct de loutillage de pierre polie, le mtal napparat qu la fin, sous les espces de plaques et anneaux de cuivre KISSLEV, Histoire ancienne de la Sibrie Mridionale (Drevnaia istoriia iuzhno Sibiri), dans: Materialy i issleddovaniya po archeologii S. S. S. R., n 9, 1949, (chap. II, pp. 1440 et carte, p. 15.). Suit la priode dAndronovo (vers 17001200), rpandue depuis Minoussinsk et lAlta sibrien jusquau au nord du Balkach et de lAral KISSLEV, l. c., pp. 4062 et carte p. 41.. Le bronze ici fait son apparition, mais en dehors de quelques ttes de flche, aiguilles et alnes, il reste trs rare ID., p. 46.. Les quelques poignards de bronze dcouverts en regard doivent tre de la fin de la priode dAndronovo, sinon mme dj de lpoque suivante, celle de Karasouk. En tout tat de cause, il ne sagit l que dune mtallurgie trs primitive quon voit mal capable davoir suscit en Chine un art du bronze aussi volu que celui de Nganyang. Il serait plus normal de rechercher directement les origines du bronze chinois du ct de lAsie Antrieure travers lIran et la Kachgarie. Convenons du reste quaucune solution nest envisager tant quen Chine mme, au Honan, nauront pas t fouills les sites des premires capitales chang antrieures Nganyang et qui reclent dans leur mystre le secret des origines du bronze chinois KARLGREN, Some Chinese bronzes in the Museum of Far Eastern Antiquities, B. M. F. E. A., n 21, Stockholm, 1949 pp. 2225..Mais ce quil est loisible de faire et Granet sest attach cet immense travail , cest de retrouver les anciennes lgendes sur les pouvoirs magiques du fondeur et du forgeron, pouvoirs associs la notion du Kouei, le demidieu dragon (dragon un seul pied, comme dans ses reprsentations animalises sur les bronzes chang ouRoyaumes Combattants). Yu le Grand, fondateur lgendaire de la dynastie des Hia, est le Fondeur par excellence, et une bonne partie de la magie primitive chinoise, avec la concordance entre le Tambour et le Tonnerre, remonte comme lui aux confrries p.8 de forgerons, dtentrices du plus prestigieux des arts magiques et du secret des premires puissances GRANET, Danses et lgendes, p. 611. [css: 2 l. plus haut]. Dj, Houangti (le dernier des Trois Souverains mythiques) avait fondu une chaudire tripode, aprs quoi il sleva au Ciel, mont sur un Dragon. Yu le Grand, qui fondit de mme neuf chaudires tripodes, aprs lui talismans dynastiques de la maison des Hia, fut aid dans la bataille contre les gnies de Fanfong par des Dragons et par le Tonnerre ID., Ibid, p. 511..A travers ces lgendes, on voit combien lintroduction de la mtallurgie avait d bouleverser la socit chinoise, puisquon la trouve associe aux plus anciens mythes et pratiques magiques de lpoque suivante.Peuttre estil intressant de rappeler, dautre part, que, daprs la tradition chinoise, si Yu le Grand a pu crer une dynastie pour avoir fondu les neuf chaudrons magiques des Hia, le mtal lui avait t apport des Contres Lointaines et offert en tribut par les Neuf Pasteurs ID., Ibid, p. 489.... Souvenir confus de limportation de la mtallurgie en Chine par lintermdiaire de tribus pastorales? Les premiers bronzes chang (ceux de la priode, jusquici inconnue, antrieure Nganyang) peuvent avoir t traduits non seulement de la cramique, mais aussi du bois. Labb Breuil nous faisait remarquer que tel li de la collection de Marguerite Glotz semblait rappeler, dans le dcoupage (comme au couteau) de ses motifs, limitation danciennes sculptures sur bois (GROUSSET et DEMOULIN, volution des bronzes chinois archaques, 1937, p. 34, fig. III, 2). Or, Umehara a dcouvert, par des empreintes (de couleurs) laisses sur la glaise des tombes de Nganyang, la trace danciens vases de bois avec mme dcor (peint) que celui des bronzes chang. de la cramique blanche et des marbres de mme poque. Cf. UMEHARA (Sueji), Antiquities exhumed from the Yin tombs outside Chang t fu, dans: Artibus Asiae, XIII, 3, 1950, pp. 158165..

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Bien que dj parvenue une tonnante matrise dans lart du bronze, la civilisation des Chang, telle que la rvlent les fouilles de Nganyang, navait pas entirement renonc loutillage nolithique. On trouve Ngan-yang des couteaux, des haches, mme des fragments de vases en pierre polie, aussi des vases de marbre. Il y a lieu de rattacher cette industrie le travail du jade, matire noble qui sera toujours, chez les Chinois, lobjet dune prdilection particulire, par la vertu qui sen dgage.La religion des Chang comportait notamment le culte des anctres et la pratique de la divination. Les oracles taient rendus par des cailles de tortue ou des os de buf dont les craquelures, obtenues sous laction du feu, taient interprtes par les devins comme une criture magique, portant la rponse de la divinit Le choix de la carapace de tortue comme instrument de divination nest pas indiffrent: La tortue est limage du monde: sa carapace est ronde en dessus comme le ciel, carre en dessous comme la terre. A ce titre aussi les tortues ont un rle stabilisateur: elles soutiennent et portent certaines les de locan. Cest parce quelles stabilisent la terre quon les reprsentera par la suite soutenant les stles de lpoque classique (stles han du Sseutchouan, stles des Leang et des Tang, etc. A lpoque archaque, lcaille de tortue est donc bien qualifie pour aider la connaissance des choses terrestres et clestes. (N. VandierNicolas).. En plus des bufs, moutons, etc., le p.9 sacrifice comportait des victimes humaines, comme latteste la dcouverte de cadavres dcapits et enterrs cte cte, parfois par centaines.Ces dtails sont confirms par les inscriptions sur os ou sur cailles de tortue, exhumes par milliers des tombes chang. Lcriture tait en effet connue et mme dj gnralise. Les caractres chang (dont les caractres chinois actuels ne sont que la stylisation) drivent de la pictographie, puisque nous pouvons encore y dcouvrir le dessin (figures humaines, animaux, vgtaux, objets) qui leur a donn naissance. Mais si la pictographie est lorigine de ces signes, elle est dj trs volue, stylise et, premire vue, souvent mconnaissable. Il en va cet gard comme pour lorigine du bronze chinois: pour connatre les pictogrammes chinois primitifs, il faudrait fouiller sous les premires capitales des Chang et mme des Hia, bien avant Nganyang.

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Lart de Nganyang est dune grande importance. La cramique peinte de lpoque nolithique a disparu. Elle est remplace par une belle cramique blanche dont le dcor, aux nervures en lgre saillie (masques de tao-ti et motifs gomtriques), est identique celui des bronzes de mme poque UMEHARA (Sueji), tude sur la poterie blanche fouille dans les ruines de la capitale des Yin, dans Memoirs of the Toho Bunka Gakuin, Kyto, 1932. UMEHARA (Sueji), Kanan sh any shutsudo haku shoku doki sairon. Once more on the white earthenware vessels found at Anyang, dans: Shinagaku, t. IX. n 4, novembre 1939 p. 548.. On peut, par exemple, comparer cet gard les motifs en losange dun vase ting du muse Guimet et le dcor analogue dun fragment de cramique blanche du muse Cernuschi R. GROUSSET et Mme DEMOULINBERNARD, Lvolution des bronzes chinois archaques (1937), p. 35 et pl. III.; et surtout, la Freer Gallery de Washington, tel admirable grand vase en cramique blanche, intact et complet, et tel bronze galement chang, lun et lautre dcors des mmes thmes.Les vases de bronze chang, sortis en grand nombre des fouilles de Nganyang, nous montrent une typologie dj fixe: les formes de plusieurs catgories de ces vases ne changeront gure travers les sicles Voir, comme base de ce qui va suivre, B. KARLGREN, Yin and Chou researches, Museum of Far Eastern Antiquities, Stockholm, 1935. Et, du mme, New studies on Chinese bronzes, ibid., 1937. Aussi la trs importante tude (en chinois) de JONG KENG, Les Bronzes des Chang et des Tcheou, rsume par M. ROLF STEIN dans le Bulletin de lcole franaise dExtrmeOrient de 1942, pp. 394 405.. Il sagit en effet de formes consacres par la religion, de types rituels dont chacun avait sa destination particulire dans les offrandes sacrificielles (viandes, crales, boissons). Cest ainsi que nous voyons apparatre dans p.10 lart chang le tripode li, allusion mammaire, qui ne fait, dailleurs, que traduire en bronze le type des tripodes de terre cuite dj rencontr dans la cramique nolithique; le ting rond, marmite ronde, galement monte sur trois pieds, et le ting carr, marmite rectangulaire, monte sur quatre pieds; le li-ting, forme hybride de tripode, combine du li et du ting rond; le yeou et le kouang, marmites couvercle dont la premire est caractrise par une anse mobile et la seconde par une poigne, le couvercle du kouang affectant souvent dautre part la forme, en puissant relief, dune tte de blier ou dlphant, etc; le tsouen et le kou, varits de coupes, la premire plus large, la seconde en calice trs lanc et svelte, aux bords vass, au dessin fort lgant; le i ou fang (i carr), paralllpipde vertical surmont dun couvercle; le tsio et le kia, tripodes caractriss par deux petits montants slevant de lorifice et dont le premier type, la coupe tsio, est dune remarquable lgance par lcartement de ses pieds comme par lvasement de son calice, prolong par deux longs becs.Quant lutilisation sacrificielle de ces bronzes, les chaudrons tripodes ting et li taient destins la cuisson des viandes; les grandes coupes ou urnes basses anses latrales kouei (ou touei) servaient aux offrandes de lgumes ou de grains: les fruits taient prsents dans les coupes montes sur pied, appeles teou; les boissons taient offertes aux anctres ou aux divinits dans la jarre de bronze leve, trois tages, ronde ou carre, appele tsouen, dans les gobelets tripodes tsio et kia, ou dans le calice kou; aux liquides servait galement la marmite vin ovode, couvercle, appele yeou Ne pas confondre la marmite couvercle et anses mobiles appele yeou (en transcription anglaise yu) avec le vase large et profond, bords lgrement vass et servant galement pour le vin, appel en transcription franaise yu, en transcription anglaise y. A lpoque qui nous occupe, les yeou sont beaucoup plus frquents que les yu. Ne pas confondre non plus le 10u fangi, paralllpipde vertical, et le yi (moyentcheou), qui est une saucire quadrupde. Cf. Jean Buhot, se rectifiant lui-mme, Revue des Arts Asiatiques, XI, 3, septembre 1937, p. 176..En mme temps que la typologie des vases sacrificiels, lart chang a fix un certain nombre de thmes dcoratifs fort caractristiques: dcoration en forme de ttes de clous; artes segmentes; spirales simples ou doubles, arrondies ou anguleuses, se terminant par une sorte de renflement, spirales dont le contour se ponctue de lignes en forme de virgules; festons; doubles ou triples chevrons; motifs en formes de cauries ; tourbillons et mandres du lei-wen et du yunwen qui se meuvent souvent, comme notre grecque, angles droits et qui voquent peuttre le nuage do sort la foudre (do le nom de lignes de foudre sous lequel on les dsigne parfois) Le caractre antique pour reprsenter le tonnerre tait en effet identique la plus ancienne forme du lei-wen (deux spirales tournant en sens inverse). Notons aussi les variantes du lei-wen en crochets, en mamelles, en vagues, etc.; bandes horizontales formes dune procession p.11 de Z crochets; bandes de losanges combins bout bout pour former une vaste tapisserie ; variations, en apparence enchevtres, en ralit fort rgulires, sur le thme des T ou des L entrecroiss, aboutissant un motif darabesque, etc. Rappelons que certains de ces motifs, notamment la ronde de losanges et les imbrications de T L, figuraient dj sur la cramique peinte nolithique de lpoque de Matchang. Mais ce qui dans la dcoration des bronzes chang est entirement nouveau, ce sont les figures de monstres, dragons et tao-ti.Le tao-ti (nom dtymologie incertaine) est le masque, vu de face et largement tal, dun monstre dont les cornes, les gros yeux, larte frontale et nasale rectiligne, le mufle puissant aux lvres retrousses, dcouvrant les crocs, ne laissent pas que de produire une impression saisissante. Pour le Chan hai king (ch. 3), cest un monstre anthropophage, habitant un mont riche en cuivre Granet, Danses et Lgendes, p. 491.. Comme dans dautres masques analogues de la mythologie asiatique (les kla javanais, par exemple), la mchoire infrieure est, en principe, absente Voir Gilberte de CORAL RMUSAT, Animaux fantastiques de lIndochine, de lInde et de la Chine, dans: Bulletin de lcole franaise dExtrmeOrient, t. XXXVI, 2, 1937; et Gisbert COMBAZ, Masques et dragons en Asie, dans: Mlanges Chinois et Bouddhiques, VII, Bruxelles, 1945 pp. 72 et suiv. Sur, peuttre, lquivalent de tels masques dans lAsie Antrieure ancienne, voir PARROT, Deux lions gardiens, dans: Muses de France, avril 1948, p. 64. Labsence de mchoire infrieure chez le taoti comme chez dautres monstres zoomorphes vient peuttre de ce quil sagissait primitivement dune dpouille danimal servant de dguisement aux sorciers dans certaines danses magiques, dpouille qui, pour coiffer le shaman, devait forcment tre rduite la partie suprieure de la tte et au dos de la bte.. Parfois des griffes flanquent des deux cts la partie infrieure de la tte de lanimal qui semble alors se ramasser au ras du sol, prt bondir. Car il sagit bien dun animal, assez raliste au dbut Il existe aussi, dans les bronzes chang, des masques proprement humains, parfois (contrairement au taoti) avec mchoire infrieure. Un spcialiste aussi averti que M. Minkenhof note que ces figures humaines, en se dgageant de la contamination avec le taoti, deviendront. sur les bronzes tcheou, de plus en plus ralistes. Voir MINKENHOF, Bulletin der Asiatische Kunst, Amsterdam, n 29, avril 1950. Sur les rapports originels du taoti et du masque humain, voir aussi HARADA (Yoshito), Bulletin of Eastern Art, n 28, Tky, avril 1942. M. Harada compare l un motif de cramique blanche de Nganyang et un masque humain figurant sur un bronze de la collection Sumitomo. Nous proposons nousmme de comparer le motif de la cramique blanche en question (bras humains levs et carts en position dorant) des dessins anthropomorphes assez analogues de la cramique peinte de Matchang (reproduits par ANDERSSON, Researches into the prehistory of the Chinese, B. M. F. E. A. Stockholm, 15, 1943, pp. 190191).. Sur plusieurs de nos bronzes chang, le tao-ti est nettement une face de taureau, de blier, de tigre ou de hibou (plus rarement de cerf) Citons simplement comme exemple de taoti avrment zoomorphe le grand tripode li de la collection Michel Calmann, patine rugueuse verte, au dcor form de crochets profondment creuss, et dont les pieds sont coiffs de trois puissants masques de bliers aux cornes enroules ornant la panse (Voir Georges SALLES, Bronzes chinois, Orangerie, 1934 pl. 2). Ou encore le tripode li de la collection Marguerite Glotz, tripode assez bas de forme, aux motifs en virgule, lpaisse patine verte, avec, audessus de chaque pied, un masque de taoti cornes de buffle (R. GROUSSET et Henriette DEMOULINBERNARD, Lvolution des bronzes chinois archaques, Muse Cernuschi, 1937, p. 34 et pl. 3, 11). Sur le rle du hibou, qui est loiseau de la foudre et ( ce titre) une mtamorphose du tambour magique et peut ensuite se transformer en dragon (kouei), voir GRANET, Danses et Lgendes, pp. 515 et sq. Sur le taoti comme hibou et comme blier, ibid., p. 491 (bien que le taoti, par son nom, paraisse tre un hibou, il ressemble un blier avec une tte humaine, des dents de tigre, des ongles dhomme et les yeux sous les aisselles).. Tel p.12 est le cas sur les deux yeou (dailleurs pratiquement presque identiques et ayant form paire) du Muse Cernuschi et de la Collection Sumitomo et qui reprsentent un tigre sans mchoire infrieure, enlaant (et, selon Henri Maspero, peuttre protgeant) un tre humain Signalons une autre prodigieuse tte de tigre (mais cellel avec mchoire infrieure) comme terminaison avant des couvercles dune paire de kouang, la Freer Gallery (Freer Gallery, Catalogue of Chinese bronzes, 1946, pl. 2627). Une telle face de fauve est rapprocher de la clbre statue de fauve chang en marbre, provenant des fouilles de Nganyang et dont nous parlerons plus loin. Les deux kouang en tigres de la Freer sont cependant de style plus tardif (moyentcheou). Quant au kouang avec couvercle en tte de tigre, de Harvard, il semble dun style de transition entre le chang et le tcheou, style appel par KARLGREN yintcheou (XIeIXe sicles). Cf. Bulletin of the Fogg Museum of Art, X, 2, novembre 1943.; le cas aussi pour telles extrmits de hampes, lune au Muse Cernuschi, lautre la Collection DavidWeill, une troisime la Collection von der Heydt, reprsentant un blier surmontant une tte humaine V. GRIESSMAIER, Sammlung von der Heydt, Vienne, 1936, fig. 122.. Llphant est plus rare et ne se rencontre gure que sur certains vases dtermins; encore ne peuton lassimiler vraiment un tao-ti lphant sur couvercle dun vase kouang, reproduit par W. C. WHITE dans son article sur une des tombes de Nganyang, dite tombe de llphant ( cause, sembletil, des figurations de cet animal), dans lIllustrated London News, 23 mars 1935, p. 482. Notons que larchologue chinois JONG KENG ne distingue pas moins de seize faons de reprsenter le taoti sous les Chang et les premiers Tcheou Occidentaux (1300950). Signalons une reprsentation aberrante, en forme de feuille oblongue et pointue (pseudocigale), sur les kou et les tsouen (JONG KENG, Bronzes of Shang and Chou, Yenching Journal of Chinese Studies, Harvard Yenching Institute, Pkin 1941, rsum par ROLF STEIN, Bulletin de lcole franaise dExtrmeOrient, 1941, 2, p. 402)..Ce ralisme seffacera progressivement aux poques suivantes pour faire place, dans les masques de tao-ti, une stylisation gnrale et conventionnelle, qui fera disparatre non seulement les caractristiques de lanimal reprsent, mais finalement aussi lallusion animalire ellemme. Dj le tao-ti han, on le verra, va tourner au mascaron. Au terme de lvolution, lpoque ming (XVIeXVIIe sicles de notre re), le tao-ti ne sera plus quun thme purement dcoratif aux lments dcomposs, dissocis, mconnaissables. La valeur de lart chang rside au contraire dans le ralisme, longtemps si puissant, de ces figurations mi-bestiales, mi-divines.A ct du tao-ti, les dragons (kouei) occupent dans le dcor chang (bronzes, jades, cramique blanche) une importante place Sur les diverses formes de kouei, cf. limportant article de Serge ELISSEEFF, Quelques heures lexposition des bronzes chinois de lOrangerie, 1934: Les motifs des bronzes chinois. Revue des Arts Asiatiques, VIII, 4, p. 229. Le Kouoyu (compilation du IIIe sicle avant J.C environ) tablit une distinction de sens entre les deux termes kouei et long qui ont dsign le dragon. Le long serait (comme le makara indien) le dragon des eaux; le kouei serait le dragon des arbres et des rochers. Mais dautres textes font du kouei lui-mme un monstre aquatique, tandis que, dans la peinture mdivale chinoise, le long apparatra comme le dragon des nues orageuses. Voir dautre part larticle, plus haut cit, de HARADA (Yoshito), Kuei according to the definition in the Shouowen, Bulletin of Eastern Art, 28, Tky, avril 1942. Notons que le Chouowen dont il sagit ici nest quun dictionnaire de la fin des Han (vers 200 de notre re), sinon mme postrieur, qui risque davoir t influenc par la contamination entre deux caractres chinois bien distincts, encore que de prononciation sommairement analogue, caractres relatifs, lun kouei au dragon archaque, lautre kouei aux esprits et fantmes. Pour le kouei comme pour le taoti, il faut convenir que nous ne nous trouvons en prsence que dexplications assez tardives, sans rapport avec la mentalit primitive qui pourrait nous donner la cl de telles conceptions. Granet est le seul qui ait travaill en ce sens en montrant qu lorigine kouei et long sont deux dragons en rapport avec le Tambour. En gnral, notetil, nos sources rattachent le kouei la pierre et au bois, cestdire la montagne, tandis que Confucius le rattache leau, et inversement pour le long. Daprs le Chan hai king, tudi par Granet, le kouei est

un animal ayant laspect dun buf, dont le corps est vert, qui na point de cornes et na quun pied. Il vit dans la mer de lEst. Quand il entre dans leau ou en sort, il faut quil vente ou quil pleuve. Son clat est semblable celui du soleil ou de la lune. Le bruit quil fait est semblable au tonnerre. Houangti, layant pris, fit de sa peau un tambour. Il frappait avec los de la Bte du Tonnerre. le bruit sentendait 500 li afin dinspirer une crainte respectueuse. La Bte du Tonnerre a le corps dun dragon et une tte humaine; elle joue du tambour sur son ventre et elle clate de rire. (GRANET, Danses et lgendes, p. 510 ).Le dragon est, dautre part, caractris par sa mobilit. Cest ainsi quil se rvle dans le torrent qui bouillonne au fond des valles, dans le nuage qui fuit, dans lclair et dans le tonnerre. En vertu des mmes analogies, il habite le bord des fleuves. Il peut aussi servir dattelage aux saints. Tel souverain de la dynastie Hia avait un attelage de quatre dragons, deux provenant du fleuve Jaune et deux de la rivire Han. (N. VandierNicolas).. Ils sy p.13 prsentent, en principe, le corps vu de profil, la gueule bante et sous une forme, ds le dbut, trs stylise. Loiseau, thme dcoratif analogue dans lart chang, tantt conserve une forme relativement plus naturaliste (huppe ou phnix), tantt se stylise, lui aussi, en se prolongeant, comme certains dragons, par une longue queue horizontale enroulement terminal. Une varit de dragon ail (kouei fong, cestdire kouei-phnix) semble intermdiaire entre le dragon ainsi compris et loiseau. Une autre catgorie, le dragon plumes, a t rapproche du serpent plumes prcolombien. Une autre forme hybride encore est celle du dragon trompe qui semble un compos du dragon et de llphant. Llphant figure de profil comme dessin en relief sur le dcor de certains bronzes, plus rarement en ronde-bosse W. C. WHITE, Illustrated London News, 18 mai 1935, p. 888. Notons que le corps. tout entier de certains vases de bronze houo peut affecter la forme complte dun lphant. Tel est le cas pour les deux houo lphantomorphes, de style tcheou, du Muse Guimet (lphant Camondo) et de la Freer Gallery (Freer Gallery, Chinese bronzes, 1946, pl. 24), ce dernier, tant, en outre, surmont, sur le couvercle, dun second lphant plus petit, trait, lui aussi, en ronde-bosse. Pour des lphants dessins en profil sur les reliefs de divers vases houang, voir KARLGREN, New studies on Chinese bronzes, 1937, pl. XXVII (Muse Imprial de Tky); et Collection Sumitomo, catalogue abrg de 1934, Pl. XXIX.. Sont dautre part apparents au dragon le motif, plus simplifi, du serpent et celui, galement serpentiforme, dun reptile couvert dcailles.Nous navons retenu l que les types les plus connus, et en quelque sorte classiques, du thme kouei. Mais larchologue jong Keng qui vient den faire une tude exhaustive ne distingue pas ici moins de quinze catgories. Mentionnons simplement avec lui, parmi les plus intressantes et en dehors de celles que nous avons cites, le kouei deux ttes, courant sous les Chang; le kouei triangulaire (dans lequel se placent deux autres kouei, en face lun de lautre); le kouei deux queues et quatre pieds, et le kouei deux queues sans pieds; le dragon deux cornes p.14 enroul en cercle; le dragon cornu (corne en parapluie, nez en trident, ou corne en lance et nez recourb en haut) etc. JONG KENG, Chang Tcheou yi-ki tongkao (The Bronzes of the Shang and Chou), Ed. HarvardYenching Institute, 2 vol., Pkin, 1941 (Yenching journal of Chinese Studies, Monograph Series, n 17). Important compte rendu de Rolf STEIN, Bulletin de lcole franaise dExtrmeOrient, XLI, 19412, p. 403..La cigale, qui constitue galement un des thmes classiques de la dcoration chang, se prsente souvent sous une forme encore assez naturaliste; mais il y a lieu den distinguer un motif premire vue analogue, celui du fuseau cicadiforme, en ralit orn dune tte de tao-ti ou form de lextrme stylisation de deux dragons affronts. Certains de ces motifs sont en effet dune stylisation gomtrique presque indchiffrable, comme cest le cas pour les bandes rectangulaires en trois registres dcoratifs dont lensemble prtend constituer le corps dun dragon. Par un jeu de stylisation de cet ordre, certains bronzes ou jades archaques nous montreront ( lpoque Tcheou, notamment) des masques de taoti forms des corps de deux dragons trs symtriquement affronts Voir ce sujet le substantiel article de Cl. LVI-STRAUSS, Le ddoublement de la reprsentation dans les arts de lAsie et de lAmrique, dans Renaissance. cole Libre des Hautes tudes de NewYork, II-III, 1945, p. 168186.. Jeu stylistique o nous voyons une technique, en possession de tous ses moyens, profiter de sa virtuosit pour nous poser, par linterpntration des thmes, une srie dnigmes aboutissant des surprises qui renouvellent le sujet.Larchologue sudois Karlgren qui, mieux que tout autre, a dfini le dcor chang de Nganyang, discerne dailleurs, dans les motifs des bronzes de cette poque, deux tendances: la premire, encore naturaliste, la seconde oriente vers une stylisation croissante qui, peu peu, dtruira lunit des motifs, cette dernire tendance devant triompher lpoque suivante, au dbut de la dynastie Tcheou KARLGREN, New studies on Chinese bronzes, B. M. F. E. A., 9, Stockholm, 1937 p. 9 118..Les vases rituels des Chang, en particulier ceux du premier style de Nganyang, sont dautant plus surprenants quils nous rvlent brusquement non seulement, nous lavons vu, une technique dj parfaite, mais aussi une esthtique dj et du premier coup son apoge. La puissance de construction architecturale de certaines marmites yeou, kouei ou fangi, llgance et la sveltesse de certaines coupes tsio nont jamais t dpasses. Certes, les poques suivantes, jusquau seuil des temps modernes, rpteront indfiniment ces formes, dsormais traditionnelles. Mais les motifs dcoratifs ne retrouveront jamais la mme vigueur. Cest que ce qui nous p.15 parat ici dcoration tait en ralit magie primitive. Chacun de ces motifs, dont la signification complte nous chappe, recelait un pouvoir occulte. Il y a, par exemple, dans le tao-ti chang la mme puissance denvotement que dans les masques prcolombiens ou ngres Cf. GEORGES BUREAUD, Les masques, 1948.. La valeur esthtique, la splendeur dcorative de ces bronzes tiennent aux forces redoutables dont ils taient chargs et qui, dans la paix de nos vitrines, les animent encore par instants sous nos yeux. Mais aussitt aprs les Chang, cette vigueur sattnuera. Le professeur Karlgren, l encore, distingue dans les bronzes de Nganyang deux styles: le premier, encore naturaliste, o le monstre trahit nettement son origine animale; le second, dj en voie de stylisation, o lunit de la figure mythologique commence se perdre dans la dcomposition des motifs KARLGREN, Idem, pp. 1417..De trs beaux vases de marbre, en principe de mme dcor que celui des vases de bronze (tao-ti, dragons, etc.), ont t galement dcouverts dans la rgion de Nganyang. Plusieurs muses amricains en possdent de magnifiques spcimens Vase de marbre I de Kansas City, reproduit par UMEHARA (Sueji), Antiquities exhumed from the Yin tombs outside Chang t fu, dans: Artibus Asiae, XIII, 3, 1950. pl. II, p. 252..De la mme vigueur que les vases sacrificiels les plus archaques sont les sculptures chang, galement originaires de la rgion de Nganyang Voir KARLBECK. Anyang marble sculpture, dans: Yin and Chou researches, B. M. F. E. A, Stockholm, 1935, p. 61.. Il sagit de blocs de marbre blanc ou dun calcaire poli comme lalbtre, blocs taills en rondebosse par grandes masses sommaires et puissantes qui fondent les plans les uns dans les autres, ngligent les oppositions comme les dtails et recherchent uniquement les effets densemble, avec, seulement, sur toute la surface, des lignes incises de mme style que dans le dcor des bronzes et surtout des jades. On notera le contraste entre le ralisme simplifi et comme envelopp des contours et la stylisation de ce dcor linaire incis. Les animaux reprsents par ces blocs sont les mmes que ceux des bronzes: des bliers, des taureaux, des hiboux, des flins, notamment une sorte de tigre ou dours, gueule bante, assis la manire simienne Reproduction dans H. J. TIMPERLEY, Illustrated London News, 4 avril 1936, p. 589, fig. 14.; aussi un fragment de personnage assis, les mains treignant les genoux CREEL, Naissance de la Chine, pl. IV, p. 81.; ou encore la statuette dlphant de marbre de la collection Inou (Tsuneichi) Tky, rcemment publie par Umehara UMEHARA (Sueji), Antiquities exhumed from the Yin tombs outside Chang t fu, dans Artibus Asiae, XIII, 3, 1950, pl. I, pp. 150151.. Comme sur les bronzes, un marbre blanc de Nganyang nous montre un masque de tao-ti chang dallusion encore nettement fline, p.16 en dpit de ses cornes retournes, et qui nous fait assister ainsi la contamination de deux thmes animaliers distincts pour la reprsentation du monstre dsormais classique CREEL, Ibid., pl. VI, p. 145.. Du mme ensemble, des figurines de jade reprsentant un petit personnage debout, aux bras, sembletil, amovibles Reproduction dans W. C. WHITE, Illustrated London News, 18 mai 1935. p. 889, fig. 57..Une place part dans lart de Nganyang doit tre faite aux armes de bronze. Les fouilles ont livr des ttes de lance, des couteaux rectangulaires ou trapzodaux et de puissantes haches lavantcorps souvent orn dun robuste thme chang. Signalons en particulier les hachespoignards (ko) dont le talon se recourbe frquemment et parfois se dcoupe en motif de dragon, avec, quelquefois, de dlicates incrustations de turquoise et de malachite, mosaque de pierres prcieuses dun merveilleux effet dcoratif, qui fait alors du ko un vritable bijou Voir KARLGREN, Weapons and tools of the Yin dynasty, B. M. F. E. A., Stockholm, n 17 (1945), pp. 101144. Cf. P. YETTS, Collection Eumorfopoulos, Bronzes, t. I, A148, 149. Freer Gallery, Catalogue o f Chinese bronzes, 1946, p. 4445 (dans certains de ces ko, la lame du couteau est non de bronze, mais dun jade dont lclat ajoute encore cette blouissante polychromie). Andersson et larchologue chinois Li Tsi font remonter le ko une hache de pierre fixe un manche. Mais un autre archologue chinois, Tsiang Tayi, croit que le ko serait plutt issu dun couteau de pierre, lequel, fix un manche court, servait la moisson, mais pouvait devenir une arme de guerre si on lemmanchait un manche plus long (TSIANG TAYI, On the jade weapons of ancient China, Bulletin of Chinese Studies, t. II, Tchengtou, sept 1942, c. r. de A. RYGALOFF dans Hanhiue, Bulletin du Centre Sinologique (franais) de Pkin, t. 2, fasc. 4, 1949, p. 412).. En revanche, on na pas encore trouv dans les bronzes de Nganyang la hallebarde ou hache darmes tsiang, monte, comme le ko, perpendiculairement au manche.Des ornements de char en bronze, des parures de harnachement, galement en bronze, de petites appliques de bronze, avec parfois, ici encore, de dlicats motifs de turquoise (le cas chant, avec une vritable mosaque de turquoise), tous ces fragments nous montrent le raffinement atteint par lart de la fin des Chang.Les tombes de Nganyang ont galement livr des fragments de peintures murales avec couleurs rouge, blanche et noire (ou vert, rouge et jaune? ), et motifs analogues ceux des bronzes. Malheureusement ces peintures, attestes par les informateurs chinois de M. Creel, nont jamais t reproduites CREEL, Naissance de la Chine, pp. 9596. Les tombes de Nganyang avaient, dautre part, contenu des vases en bois, peints en rouge et vert. Le bois a disparu, mais les couleurs se sont imprimes sur les parois de la tombe. (UMEHARA, Artibus Asiae, XIII, 3, 1950)..Il semble, daprs larchologue chinois Li Tsi, que le site de Ngan-yang ait livr dassez nombreux jades Madeleine DAVID, thse de lcole du Louvre sur Les Jades du Muse Guimet (1948)., mais l encore le caractre clandestin des fouilles et labsence de publications mthodiques entravent grandement le travail. Notons, pour ny plus revenir, que le caractre p.17 chinois yu, que nous traduisons en principe par jade, dsigne en ralit plusieurs genres de nphrites de couleur souvent fort sombre, brune, noire, couleur rouille, vert trs fonc, parfois sans aucune translucidit et se rapprochant alors du marbre. Nous savons ou devinons dautre part, grce aux textes canoniques, que le yu tait une matire essentiellement pure et noble, dtentrice et dispensatrice dune vertu magique (peut-tre la quintessence du principe yang) et quil jouait, de ce fait, un rle considrable dans la vie crmonielle du souverain ou des grands fodaux comme dans le rituel funraire KARLGREN, Early history of the Chouli, B. M. F. E. A. Stockholm, n 3, 1931, pp. 162. KARLGREN, Fecundity symbols in ancient China, ibid., n 2, 1930. p. 39..Malgr labsence de localisations prcises de fouilles, Creel, White, Karlbeck et Howard Hansford estiment pouvoir classer chang et attribuer la rgion de Nangyang divers jades, de formes dj classiques, formes que nous retrouverons aux poques suivantes, celles des Tcheou et des Royaumes Combattants: le disque circulaire pi, symbole du ciel, le tube rectangulaire tsong, symbole de la terre; des armes, sans doute crmonielles, comme la hachepoignard ko, soit quil sagisse dun ko entirement en jade, soit que le ko lame de jade soit embot dans une monture (souvent elle-mme fort riche) de bronze; des couteaux de jade rectangulaires ou trapzodaux, du mme modle que les couteaux de bronze plus haut mentionns; mme la hallebarde ou hache darmes tsiang, forme que les bronzes chang ne nous ont pas encore livre. On est dautre part amen rattacher lesthtique chang un certain nombre de petits jades reprsentant soit des animaux (ours, tigres, hiboux, oiseaux divers, poissons, etc.), soit des tres fantastiques (kouei ou dragons) dont le style est en effet identique celui des mmes figurations sur les bronzes de Nganyang Analyse trs fine et circonspecte des divers cas dans la thse, manuscrite, de Mlle Madeleine David, pp. 4555. Voir aussi la toute rcente monographie de S. HOWARD HANSFORD, Chinese jade carving, Londres, 1950, tude trs prcise au point de vue minralogique comme pour la technique du travail du jade. On trouvera dans la collection particulire de cet auteur (pl. 1516), ainsi que dans celle du roi GustaveAdolphe (pl. 4142) des jades quon peut nettement attribuer aux fouilles de Nganyang. Il existe aussi des jades certifis chang par leur armature ou emmanchement de bronze (Freer Gallery, Catalogue of Chinese bronzes, ko de la planche 43)..

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Quand nous parlons de lart chang daprs les dcouvertes de Ngan-yang, il est une considration quil ne faut jamais perdre de vue: bien quil sagisse des premiers bronzes chinois parvenus jusqu nous, nous nous trouvons, comme on la vu, brusquement devant un apoge. Certaines combinaisons de motifs sont dj dun remarquable raffinement, par exemple comme nous le signalions plus haut, le ddoublement de la p.18 reprsentation du tao-ti. Sur la panse de tel vase po du fonds du Louvre, aujourdhui au Muse Guimet, les trois masques de tao-ti qui ornent la bande principale sont forms chacun de deux dragons affronts ou, si lon prfre, dun lment de dragon dont le corps aurait t divis au milieu par une verticale et comme appliqu sur la bande R. GROUSSET et Henriette DEMOULINBERNARD, volution des bronzes chinois archaques, Muse Cernuschi, 1937, p. 39, fig. 9.; ces dragons affronts, comme le rappelait M. Leroi-Gourhan, forment par leur re-jonction, trs exactement un tao-ti A. LEROI-GOURHAN, Bestiaire du bronze chinois, ditions dArt et dHistoire Van Oest, 1936.. Sur la panse de tel kia de lancienne collection Loo, ayant figur dans les expositions du muse Cernuschi, la seconde bande est dcore de quatre dragons ails dont le corps aurait t, lui aussi, comme fendu par le milieu et appliqu sur le vase GROUSSET et DEMOULINBERNARD, volution des bronzes, p. 42 (fig. 12).. De tels jeux, dont nous pourrions par dizaines multiplier les exemples, attestent une virtuosit de moyens supposant videmment une assez longue laboration antrieure.Plus encore que dune habilet technique surprenante, les bronzes chang font souvent preuve dune matrise artistique depuis lors ingale. Puissance et sret de la construction architecturale comme, par exemple, en dpit de son caractre brutal et presque sauvage, dans le grand tripode li, aux trois tao-ti en bliers, de la collection Michel Calmann; dans la grande marmite yeou (le yeou dAndign) du Muse Cernuschi volution des bronzes, frontispice.; dans les quatre monumentaux vases vin ho, de 73 centimtres, de la collection Nedzu (Kaichiro) que nous admirmes rcemment Tky et dont lun fut expos en 1935 Burlington House Ces bronzes ont t dcouverts en 1933 dans les fouilles de Heoukiatchouang. Splendides reproductions dans: Seizans Seish. Illustrated Catalogue of the Nezu Collection, vol. VI, Chinese bronzes (notamment pl. I VIII), Tky 1942, avec texte par S. UMEHARA.. Puissance non moins dominatrice, mme sil sagit dune pice en transition du Chang au Tcheou (style YinTcheou), que le grand tsouen zoomorphe, de 45 cm, patine verte et meraude, de lancienne collection Eumorfopoulos, vritable morceau de sculpture o les avanttrains de deux bliers sadossent et se soudent pour former le corps du rcipient YETTS, Catalogue of the Eumorfopoulos Collection, Bronzes, t. I, pl. VIII et IX a..Devant de telles uvres (et nous ne prenons cellesci qu titre dexemples), devant ltagement et la distribution des volumes dans tant de marmites yeou ou tche, nous comprenons quun vase chang de race est la fois une symphonie architecturale et un grand morceau de sculpture. Il sagit duvres souveraines qui, au premier contact, simposent. Jamais, en pareille matire, autant de force ramasse ne se sera domine et discipline ellemme pour mieux nous faire sentir son autorit et sa matrise.p.19 La qualit et la distribution du dcor ne sont pas moins surprenantes. Nous avons numr les motifs de grecque chinoise, de lei-wen, de yunwen, de losanges, de spirales, de thmes cicadiformes, qui constituent lessentiel du dcor chang. Mais il faudrait rappeler aussi la sret de got qui prside leur ordonnance; montrer, par exemple, avec, dj, quel sentiment des valeurs le bronzier qui construisit tel de nos ting, fait sobrement courir en pourtour du bord sa robuste bande de dragons, puis en descendre, comme suspendue vers le bas, une douzaine dlgants triangles dcor de cigale Vases ting des collections Hellstrm et Karlbeck tudis dans GROUSSET et Henriette DEMOULINBERNARD, volution des bronzes, p. 36, pl. IV, fig. 5 et 6.. Mme quand ce dcor se complique, lartiste en reste toujours le matre et le distribue sans lourdeur; cest pourquoi aujourdhui encore, en dpit de lhermtisme de la mythologie sousjacente, les bronzes chang nous parlent, tandis que tant de bronzes postrieurs restent pour nous muets.Cest quaussi bien aucun de ces motifs na t nglig. Si rduit soitil (et tel dentre eux est fait de ponctuations singulirement menues), les bronziers ont pris soin de lui conserver son accent propre. Ce qui ne semblerait que dentelle de motifs tant que nous sommes encore loigns du vase, devient, ds que nous approchons, une vivante harmonie o chaque thme sanime et joue par lui-mme. En dpit, souvent, du remplissage de tous les espaces libres par la trame des lei-wen, des losanges, des spirales, des vrilles et des entrelacs (le yeou dAndign au Muse Cernuschi par exemple), il ny a jamais surcharge, parce que tous les motifs restent vivants et vivent de leur vie propre. Tous senlvent en saillie vive ou se creusent en saigne profonde; pour tous le matre bronzier sest donn la peine de les traiter en force. Il nest que de comparer un bronze chang un bronze ming prtendant reprendre les mmes thmes que son lointain prdcesseur, pour saisir, dans lart, la diffrence entre la vie et la mort.Les bronzes chang, par leur force comme par leur lgance, reprsentent un des grands moments de lesthtique universelle.

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Les derniers travaux sovitiques nous amnent penser que lart des bronziers de Nganyang a pu influencer les bronzes sibriens de lpoque de Karasouk (Nganyang, on la vu, entre 1300 et 1028; Karasouk vers 1200700 selon S. Kisslev) Karasouk est situ sur la rivire du mme nom, affluent du haut Inissei, prs du village de Batny, dans la rgion de Bograd, sur le territoire des Khakass, louest de Minoussinsk. Le travail essentiel sur la question est dsormais celui de S. KISSLEV, Drevnaia istoriia Juzhno Sibiri, dans: Materialy i issledovaniia po arkhologii S. S. S. R. n 9 (1949) (Histoire ancienne de la Sibrie Mridionale, dans: Matriaux et recherches sur larchologie de lU. R. S. S. n 9, 1949), pp. 62 108. Rappelons les travaux antrieurs de KISSLEV sur des sujets connexes: Mongoliia v drevnosti (La Mongolie dans lantiquit), Bulletin de lAcadmie des Sciences de lU.R.S.S., 1947, t. IV, pp. 355372. Du mme: Sovietskaia arkheologiia Sibiri perioda metalla, VDI, 1938, 1.. De fait, on trouve dj Nganyang ces p.20 couteaux de bronze lgrement incurvs tte animalire (cervids, quids, bliers) que popularisera, ses diverses tapes, lart sibrien de la dpression de Minoussinsk Voir KARLGREN, Weapons and tools of the Yin dynasty, dans: Bulletin of the Museum of Far Eastern Antiquities, Stockholm, n 17 (1945), p. 144, pl. 2838. MINKENHOF, Some bronze knives from ancient China in American collections. dans: Phoenix, V, 2, Amsterdam, mars 1948, p. 47. Et les travaux de KISSLEV cits la note prcdente.. Nous avons eu nousmme entre les mains, grce M. C. T. Loo, deux pices de bronze en rondebosse, reprsentant lune un caprid, lautre un hmione debout, les pattes jointes, prts bondir. La rugosit granuleuse du bronze, les yeux des deux btes incrusts de turquoise nous amenrent aussitt songer comme provenance Ngan-yang do O. Karlbeck nous affirma avoir vu exhumer des pices analogues Ren GROUSSET, Nouvelles vues sur lart des steppes, dans: BeauxArts, 15 mai 1940.. Or, il sagit nettement ici dun de ces thmes animaliers qui deviendront par la suite caractristiques de lart des steppes. Les tout derniers travaux de Kisslev, dcrivant les haches de combat en bronze de Karasouk, avec motifs animaliers (des animaux encore lourds, bas sur pattes, la gueule tranant terre), dcrivant aussi les stles de pierre sculptes de Karasouk avec face humaine en manire de tao-ti chinois, montrent en effet dans lart, chang de Nganyang et, secondairement, dans lart du dbut des Tcheou, les inspirateurs de lart sibrien de la rgion de Minoussinsk la phase Karasouk. Des bronzes du type de Karasouk (haches plates, etc.), galement inspirs par lart de Nganyang, commencent aussi apparatre dans le Souei-yuan (en Mongolie Intrieure) vers la fin, estime Kisslev, de lpoque ChangYin et au commencement des Tcheou KISSLEV, Histoire ancienne de la Sibrie Mridionale, p. 105 (et le commentaire qua bien voulu nous en donner M. Roman Ghirshman). Voir aussi, propos du livre de KISSLEV, limportant article de Karl JETTMAR, The Karasuk culture and its Southeastern affinities dans: Bulletin of the Museum of Far Eastern Antiquities, Stockholm, n 22, 1950, p. 83126 (avec, pp. 123126, bibliographie au point du sujet)..

Une rgression: lpoque des Tcheou Occidentaux.@En 1027, daprs la nouvelle chronologie rectifie du Professeur Karlgren, la dynastie Chang fut renverse par une troisime maison royale, celle des Tcheou. Les Chang, nous lavons vu, rgnaient sur les riches terres alluviales du Honan septentrional, sur ce jardin de la Chine cette Touraine chinoise o, si souvent depuis lors, des dynasties ont connu p.21 leur apoge et, par un relchement n de leur richesse mme, provoqu leur propre chute. Les Tcheou, au contraire, taient les rudes seigneurs dune marche frontire, celle de la valle de la Wei, dans lactuel Chensi. Ces hardis pionniers, ces soldats laboureurs (une de leurs divinits, on la vu, tait Heoutsi, le PrinceMillet), aguerris par leurs luttes perptuelles pour faire de la terre et la dfendre contre les Barbares, se jetrent en 1027 sur le domaine royal chang, supprimrent la dynastie et la remplacrent. De 1027 771, ils gardrent nanmoins leur rsidence dans leur Chensi natal. En 770 seulement, la suite dune rvolte des seigneurs, accompagne dun raid de Barbares, ils transportrent leur sige de cette marchefrontire vers les terres, plus centrales, du Honan o leur capitale fut, jusqu leur disparition vers 250 avant JsusChrist, la ville, depuis lors si clbre, de Loyang.Il nest pas douteux que la victoire des Tcheou sur les Chang en 1027 nait entran sinon une totale rgression, du moins un arrt de la civilisation matrielle chinoise. Il y a, dans tous les cas, pour lart, ralentissement certain Creel signale larrt de cration qui se manifeste dj entre les vases de Nganyang dune part et dautre part ceux de Siunhien, centre de fouilles situ dans la mme rgion au sud de Nganyang et datant du dbut des Tcheou.. A notre connaissance, on ne retrouvera plus dsormais de longtemps la grande sculpture sur pierre en rondebosse qui, dans les pices de marbre chang, avait atteint une telle puissance. La sculpture en tant que telle ne reparatra que bien plus tard, au temps des Han, avec le cheval de la tombe de Houo Kiuping (117 avant J.C.), sans parler des terres cuites funraires de mme poque. Quant aux vases de bronze rituels, ils continuent quelque temps encore imiter les thmes chang, et cest ce que Karlgren appelle le style de transition yintcheou quil situe entre la fin du XIe sicle et le milieu du Xe; puis apparat un style nouveau, appel par Karlgren style moyentcheou et qui se situerait trs approximativement entre 950 et 650 avant J.C. KARLGREN, New Researches on Chinese bronzes, Stockholm, 1937, p. 2..Lpoque tcheou parat avoir affectionn certains types de vases, notamment le tsouen, haute jarre de bronze trois tages (pied en cloche, panse convexe, col en calice) qui affecte parfois une construction carre comme le clbre fangtsouen de la Freer Gallery Catalogue of Chinese bronzes. Freer Gallery, 1946, pl. 18.. Les kouei, urnes basses, trs profondes, soutenues par un pied rond ou carr et munies danses latrales gnralement zoomorphes (ttes de dragons), type dj en honneur chez les Chang, continuent sous les Tcheou avec de grands spcimens au dcor simplifi, puissant et brutal Freer Gallery, pl. 28.. Dans le style proprement moyentcheou, de nouvelles formes apparaissent, notamment le vase yi, sorte de saucire sans couvercle, en allusion de bovid, le p.22 bec affectant en effet parfois la forme dune tte d