Le Structuralisme de Jacques Lacan

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    Revue Philosophique de Louvain

    Le structuralisme de Jacques LacanMaurice Corvez

    Citer ce document Cite this document :

    Corvez Maurice. Le structuralisme de Jacques Lacan. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 66, n°90,

    1968. pp. 282-308.

    doi : 10.3406/phlou.1968.5434

    http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434

    Document généré le 24/09/2015

    http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_952http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1968.5434http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434http://dx.doi.org/10.3406/phlou.1968.5434http://www.persee.fr/author/auteur_phlou_952http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434http://www.persee.fr/collection/phlouhttp://www.persee.fr/

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    Le structuralisme

    de

    acques Lacan

    De l'imposant

    ouvrage

    (x) où Jacques Lacan a recueilli ses divers

    écrits, échelonnés, sous forme de témoignages

    fragmentaires, sur plus

    de

    trente années

    de

    travail

    psychanalytique,

    nous

    voudrions

    dégager

    l'unité

    de

    la

    pensée

    et

    plus

    précisément

    la

    systématisation

    difficile

    qui

    représenterait, au

    moins mal, le

    structuralisme personnel de l'auteur.

    Nous ferons ensuite quelques remarques critiques, fondées

    sur ce

    que

    nous croyons

    savoir de

    la

    structure de l'âme humaine

    et

    de ses rapports

    avec

    le

    langage.

    Comme Lacan le

    dit

    lui-même, le

    terme

    de

    structure est énoncé

    au principe de maintes orientations contemporaines de

    la

    recherche

    sur l'homme. L'anthropologie

    est

    aujourd'hui structuraliste. Entendons

    qu'elle met au premier plan

    de ses

    investigations la

    catégorie

    d ensemble,

    et

    l'étude

    d'ensembles dont

    les

    parties

    sont

    elles-mêmes

    structurées. Cependant, pour

    situer

    le structuralisme qui est le

    sien

    en psychanalyse, la

    meilleure référence, estime notre auteur, serait

    celle de

    la

    sociologie.

    Mieux, c'est

    de

    la

    notion de

    structure,

    telle

    que

    Claude Lévi-Strauss l'a

    discernée

    en

    ethnologie, qu'il

    s'autorise pour

    définir ce qu'il appelle le

    «

    champ d'approche structural

    » dans la

    théorie

    psychanalytique. Les deux

    notions sont en effet parentes en

    ce

    qu'elles

    visent

    le

    même

    inconscient, agissant dans la

    conduite

    des

    individus

    et

    dans la

    vie des

    sociétés.

    La

    notion

    lacanienne

    de

    structure est

    loin

    d'être

    reconnue

    par

    tous les

    analystes

    qui se disent structuralistes. Principe

    d'élucidation

    pour les

    uns,

    elle n'est qu'aberration pour les autres. Aux

    yeux

    de

    l'auteur,

    elle s'édifie dans l ordre des lois

    de l'intersubjectivité,

    ou

    communication des

    personnes,

    lorsque

    ces

    lois sont explorées

    jusque

    dans

    leurs

    derniers

    fondements. Au

    terme

    de l'exploration, elles

    revêtiraient

    même un

    caractère mathématique

    et,

    faute de

    les

    connaître,

    la vue par le dedans des

    névroses

    et la tentative

    de

    comprendre les

    (i)

    Écrits,

    un vol. 20,5

    X 14 de

    912

    pp.,

    Paris,

    Éd.

    du

    Seuil,

    1966,

    prix

    :

    50

    FF.

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    3/28

    Le

    structuralisme

    de Jacques Lacan 283

    psychoses

    seraient vouées à

    un échec certain. Cette

    persuasion se

    recommande de

    la

    pensée de Freud, qui serait bien plus structuraliste qu'il

    n'est admis

    communément.

    Car,

    si

    le

    propre

    du

    structuralisme

    est

    d'introduire

    en toute

    «

    science humaine» ce mode très spécial du sujet

    qui peut

    s affecter d'un

    indice «topologique»,

    il

    n'est pas douteux

    que

    Freud,

    dans le

    remaniement doctrinal de

    la seconde topique (1927),

    a

    institué une reprise

    de

    son

    expérience selon

    une dialectique

    que le

    structuralisme moderne permet d'élaborer

    logiquement,

    à savoir celle

    du

    sujet

    « pris dans une

    division

    constituante ».

    Cette

    élaboration

    se

    réclame

    fondamentalement, comme

    d'une

    discipline pilote

    en

    Occident,

    de

    la

    linguistique moderne :

    science,

    avec de Saussure son fondateur,

    des

    langues

    existantes

    dans

    leur

    structure et

    dans

    les

    lois

    qui

    s'y

    manifestent.

    A

    la dualité

    de

    la nature

    et

    de

    la culture, une conception

    ternaire — nature,

    société, culture

    de

    la

    condition humaine serait

    en

    passe de se substituer

    :

    conception dont le

    dernier terme

    (culture)

    pourrait

    bien, nous dit Lacan, se

    réduire

    au langage,

    comme à

    ce qui

    distingue

    essentiellement

    la

    société humaine des sociétés naturelles.

    EXPOSÉ

    1.

    L'inconscient et le

    langage

    La

    psychanalyse, selon

    notre penseur,

    est une

    expérience

    dialectique.

    Sa

    responsabilité

    première se détermine

    à

    l'endroit du langage.

    D'où

    la

    nécessité

    de ramener

    l'expérience

    psychanalytique

    aux formes

    de ce langage, de

    restaurer le

    pouvoir

    des

    mots

    et

    les

    lois

    de

    la parole.

    De

    quoi

    s'agit-il

    en effet dans la technique et dans la doctrine

    psychanalytiques? De l'inconscient

    et,

    pour Lacan,

    de

    l'inconscient

    freudien, conçu, en

    ses mécanismes

    difficilement accessibles,

    comme

    la

    source

    de

    mirages

    et

    de

    phénomènes

    pathologiques.

    La

    guérison

    des

    «

    symptômes

    »

    par la

    manifestation

    et

    l'identification de

    l'inconscient démontre bien

    la

    dynamique

    constituante du principe

    caché

    qui les

    soutenait dans

    leur existence

    et

    dans

    leur

    signification avant

    qu'il

    ne

    fût

    révélé.

    C'est de cet inconscient qu'il importe de

    retrouver

    les

    lois

    qui

    le

    régissent,

    et

    dont

    le

    dévoilement peut

    seul

    conduire à

    la

    résolution

    en profondeur

    de

    leurs effets

    pernicieux,

    par la découverte

    de

    l'événement pathogène, dit traumatique.

    Les symptômes, au sens

    analytique

    du mot :

    demandes

    immotivées

    et désirs

    excentriques, obsessions

    et

    phobies,

    impuissances,

    automa-

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

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    284

    Maurice

    Corvez

    tismes de

    répétition,

    pulsions où s oblitère

    la

    réalité

    du

    besoin,

    discontinuités

    dans le

    discours

    conscient,

    ratés de

    l'action, etc.,

    constituent

    déjà

    par

    eux-mêmes une

    sorte

    de

    langage,

    dont

    le

    sens

    et

    la

    maîtrise

    font

    défaut

    à

    la

    disposition

    du

    sujet,

    et

    qui

    doit

    se déchiffrer comme

    une

    inscription

    hiéroglyphique. Cependant, si l'on reconnaît que

    «

    les

    maladies parlent»,

    et

    que les symptômes sont déjà des «mots», ces

    mots et

    ces

    maladies ne prennent

    toute leur valeur de

    signification

    que lorsque le sujet

    les

    articule en

    paroles,

    lorsque

    pulsions

    et

    inhibitions

    se structurent

    en

    termes

    de

    langage,

    dans

    un discours

    «

    bien

    rusé »,

    il

    y a

    lieu de

    faire la

    part de l'imaginaire,

    du réel

    et

    du

    symbolique.

    Sans l'accompagnement

    de

    la parole,

    les symptômes demeurent

    équivoques.

    Avec

    l'apparition

    du

    langage

    émerge

    la

    dimension de

    leur

    vérité. La psychanalyse est

    expérience de

    vérité, et c'est pourquoi,

    dans la

    recherche

    des motivations

    secrètes,

    il

    serait

    étonnant

    que ne

    soit pas exploitée l'expressivité majeure du

    langage et

    qu'on

    ne

    tende

    l'oreille

    «

    au

    non-dit

    qui

    gîte dans

    les

    trous du

    discours

    ». Le

    sens

    recelé par un symptôme et soutenu

    par

    l inconscient, est celui

    d'un

    conflit

    refoulé, le

    symptôme

    n'étant lui-même

    que

    le retour

    du

    refoulé

    dans le compromis,

    et

    le refoulement impliquant toujours censure

    de

    la vérité.

    S'il est

    vrai que « c'est le

    monde des

    mots

    qui

    crée le

    monde

    des

    choses

    », il appartient principalement

    au

    déchiffrement

    du

    langage

    de

    nous

    conduire à

    la

    région

    énigmatique où se structurent les

    réalités

    essentielles

    dont dépendent les phénomènes pathologiques. Le

    langage

    préexiste, avec sa structure

    complexe,

    à l entrée

    qu'y

    fait chaque sujet

    à un moment de son

    développement

    mental. C'est

    lorsque

    l'enfant

    naît au

    langage

    que son

    désir

    s'humanise. Réservant donc au

    langage

    son rôle substantiel, il

    n'est

    que

    de scruter les rapports

    du

    langage

    à

    la

    parole, de

    savoir d'où vient

    la

    parole, de ramener

    l'expérience

    psychanalytique à

    la

    parole

    et

    au

    langage

    comme à ses

    fondements.

    Les phénomènes

    subjectifs :

    rêves,

    lapsus,

    mots

    d esprit, etc.,

    présentent,

    dans

    l'identité

    de

    leur

    structure,

    une

    pensée

    «

    formée

    et

    articulée», au sens où tout

    symptôme

    englobe un

    élément

    d'une

    situation

    antérieure

    privilégiée, lequel articule

    la

    situation actuelle,

    c'est-à-dire est

    employé inconsciemment comme

    un facteur qui

    modèle

    l'indétermination du

    vécu

    selon une

    signification tendancieuse.

    Cette

    signification,

    induite

    dans le

    signifié

    par la structure

    de l inconscient,

    fait

    que

    le symptôme n'est pas une

    «

    parole pleine », coïncidant avec

    la

    réalité.

    Dès là qu'il

    n offre

    pas

    un sens clairement

    lisible, il

    doit

    être

    compris

    dans

    sa relation à

    la chaîne signifiante qui le détermine. Ou,

    à

    prendre

    les

    choses

    par

    l'autre

    bout

    du

    processus de

    genèse,

    le

    symptô-

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

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    Le structuralisme

    de Jacques Lacan 285

    me est

    le signifiant d'un

    signifié

    qui

    a été

    refoulé hors

    de

    la

    conscience

    du

    sujet.

    On

    voit,

    par

    cette

    référence

    à

    la

    linguistique,

    que

    le

    symptôme

    névrotique

    n'est pas

    véritablement un

    signe, au sens où

    la

    fumée,

    par

    exemple, est

    le signe du

    feu :

    signifiant, il

    n'est pas de nature à

    mener

    l esprit

    jusqu'à la réalité

    que, pourtant

    et d'une

    certaine

    manière,

    il

    contient.

    Il ne

    dit rien

    en

    clair

    et

    doit

    être élucidé. Suivant la doctrine

    freudienne, il

    exige d'avoir un double sens,

    et

    donc un minimum de

    surdétermination. Cette

    surdétermination signifiante

    n'est pas réelle

    mais

    symbolique. Dans la sorte

    de discordance

    entre le signifiant et

    le

    signifié, qui s origine au refoulement,

    le signifiant refoulé,

    composant

    avec la

    censure,

    fait

    sentir

    sa

    présence

    dans

    le

    symptôme,

    qui

    devient

    alors symbole.

    L'ordre symbolique est

    dit, pour le

    sujet, constituant,

    d'une

    constitution

    qui

    lui vient

    du langage. La structure

    de

    la

    détermination

    symbolique, si l'on veut saisir ses

    effets

    d'analogie, est à tenir comme

    un fait de syntaxe. Définir

    la

    syntaxe

    du

    discours par les morceaux

    qui, lors

    de moments

    privilégiés (rêves,

    traits d esprits, etc.),

    nous en

    parviennent, est

    le moyen

    le plus efficace

    de

    pénétrer dans l'analyse

    du

    symptôme.

    Le symbole participe

    du langage

    par

    l'ambiguïté sémantique

    de

    sa

    constitution.

    L'analyse

    l interprète, et

    voici

    que

    le

    symptôme,

    qui s'inscrivait

    en

    lettres

    de

    souffrance « sur le

    sable de

    la

    chair

    »,

    s efface. Déchiffrée, la structure signifiante du

    symptôme

    est

    patente,

    et

    manifeste l'omniprésence pour l être humain de

    la fonction

    symbolique. Le symbole se rapporte à un

    conflit défunt,

    par delà sa

    fonction

    dans un conflit présent.

    Du plus simple au

    plus

    complexe

    des

    symptômes, l'action du signifiant

    s'y

    avère prédominante. Si le

    symptôme

    se résout tout entier

    dans

    une

    analyse du

    langage, c'est parce

    qu'il

    est lui-même structuré comme un

    langage qu'il

    est langage, dont

    la

    parole

    doit

    être

    délivrée.

    Selon l'analyse linguistique moderne,

    la

    primauté

    de

    la

    notion

    du

    signifiant

    sur

    celle du signifié est impossible à

    éluder en

    tout discours

    sur le langage.

    Or

    la vérité

    de

    cette

    prévalence

    du signifiant sur

    les

    significations les plus lourdes

    à

    porter

    de

    notre

    destin

    se

    révèle

    dans

    et

    par l'expérience psychanalytique. Le signifié est ce qui est manifeste

    dans le

    discours les

    « trous

    du sens

    »

    sont les

    déterminants du

    signifié.

    Par exemple, écrit Lacan,

    le

    désir, chez

    tel

    malade, d'avoir un désir

    insatisfait est signifié par son désir

    de

    caviar :

    un

    désir est signifié

    par

    un

    désir.

    Le

    désir

    du

    caviar

    est

    le

    signifiant

    d'un

    désir

    impossible.

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    6/28

    286 Maurice Corvez

    Mais le signifiant

    n'a

    souvent

    de

    sens

    que

    par sa

    relation

    à

    un

    autre

    signifiant : au désir

    de

    caviar se substitue (dans le

    rêve)

    le désir

    de

    saumon,

    propre

    à

    une

    amie

    :

    désir

    signifiant

    par

    rapport

    au

    premier.

    C'est dans

    cette

    articulation des significations que

    réside

    la vérité

    du

    symptôme. Ainsi

    l'automatisme

    de

    répétition n'a

    de

    principe que

    dans

    Y insistance

    d'une

    chaîne

    signifiante,

    qui manifeste sa

    présence

    à se reproduire

    dans le

    transfert, à se répéter

    dans

    les coupures que

    lui

    offrent

    le discours

    effectif et la

    cogitation qu'elle

    informe.

    Le terme crucial est

    ici

    celui

    de

    «

    signifiant ».

    J.

    Lacan souligne

    fortement

    la

    nécessité de

    l'étude

    exacte des liaisons propres au

    signifiant et

    de

    l'ampleur

    de leur

    fonction dans la

    genèse du signifié. Car

    l inconscient, c'est

    que

    l'homme soit habité

    par le signifiant. Ce

    signifiant, refoulé,

    exerce

    sa

    suprématie

    dans le sujet.

    Il

    se définit d'abord

    comme agissant séparé

    de sa

    signification, les effets du signifié étant

    créés par

    ses

    permutations : tel signifiant peut

    signifier

    dans

    leur

    ensemble les effets

    du

    signifié,

    en

    tant qu'il les conditionne tous

    par

    son

    action.

    A

    ce titre,

    il

    est seul

    à garantir

    la

    cohérence

    théorique

    de

    l'ensemble comme ensemble : son

    unité

    venant, comme nous le

    montrerons plus

    loin,

    de

    n être,

    par sa nature, symbole que

    d'une

    absence.

    Ainsi

    le signifiant en

    général est

    ce

    qui représente

    le sujet

    pour un

    autre signifiant, lequel

    sera donc

    le signifiant

    pour

    quoi

    tous

    les autres

    signifiants représentent

    le

    sujet

    :

    c'est

    dire

    que,

    faute

    de

    ce

    signifiant,

    tous les autres

    ne

    représenteraient rien.

    2.

    Le symbolisme analytique

    Les rapports subtils

    du signifiant et du

    signifié

    en psychanalyse

    reçoivent un nouvel

    éclairage

    de

    l'examen du

    passage du

    premier

    au

    second

    chez

    le névrosé.

    Et

    d'abord,

    l'analyse

    démontre

    que le signifiant

    se

    dispense

    de «

    toute

    cogitation,

    fût-ce

    des

    moins reflexives

    »,

    pour

    exercer

    des

    regroupements dans

    les significations qui asservissent

    le

    sujet. L'intrusion

    aliénante

    que

    manifeste

    le symptôme se réalise

    selon

    un

    automatisme des lois

    de l'inconscient

    qui explique les modalités

    des effets

    du signifiant dans l'avènement du signifié^ Dans la chaîne

    signifiante qui

    hante

    l'inconscient

    s'articulent la substitution ^afmr.

    terme

    à un autre pour produire l effet de métaphore,

    et la combinaison

    d'un terme

    avec un

    autre pour

    produire l effet de métonymie.

    La cause

    en

    est

    dans le

    barrage qui, maintenant

    hors

    de

    la

    conscience l'objet

    d'un

    désir

    interdit,

    lui défend

    de

    se

    montrer

    au

    plein

    jour.

    Le

    signifiant

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    7/28

    Le structuralisme de

    Jacques

    Lacan

    287

    a

    donc fonction active dans la

    détermination des

    effets,

    le

    signifiable

    apparaît comme

    subissant sa

    marque,

    et

    devenant, par

    cette

    passion,

    le

    signifié.

    Les

    deux

    versants

    générateurs

    du

    signifié

    que

    constituent

    la

    métonymie

    et la

    métaphore sont des

    effets

    déterminés par le double

    jeu de

    la

    combinaison

    et

    de

    la substitution dans

    le

    signifiant.

    C'est ce

    glissement du

    signifié sous le signifiant, toujours

    en

    action

    (inconsciente)

    dans le

    discours,

    qui donne

    lieu

    au

    symptôme,

    lequel n'est donc pas

    le

    simple

    indice d'un processus psychique, mais

    un

    effet articulé dans

    sa structure elle-même.

    Or

    il

    n'est pas difficile de reconnaître

    dans

    ces démarches

    psychologiques

    les

    racines

    linguistiques

    de l'inconscient, de comprendre le

    fonctionnement de ces démarches

    en

    s'inspirant de modèles

    linguistiques. Le

    symptôme

    psychanalytique est soutenu, dans sa

    surdétermination par une structure identique à celle

    du

    langage, telle qu'elle se

    manifeste

    dans

    les

    langues pratiquées

    par les

    masses humaines. Et,

    s'il

    se

    résout tout

    entier dans une analyse

    du

    langage, c'est parce qu'il

    est lui-même structuré comme

    un

    langage. Les mécanismes qui

    composent

    le

    régime de l'inconscient

    recouvrent exactement

    les fonctions

    que

    la

    linguistique moderne

    tient

    pour

    déterminer

    les

    formes

    les

    plus

    radicales

    des

    effets

    du

    langage : la métaphore et la

    métonymie,

    autrement dit

    les

    effets

    de

    substitution

    et

    de

    combinaison du signifiant dans

    les

    dimensions,

    respectivement

    synchronique

    et

    diachronique, où

    ils

    apparaissent dans le

    discours.

    La

    synchronie

    et la

    diachronie représentent les deux réseaux

    de

    relations qui organisent la

    détermination

    que le signifiant surimpose

    au signifié. Le premier

    réseau, celui

    du signifiant, est la

    structure

    même

    du

    matériel

    du

    langage,

    en

    tant

    que

    chaque élément y trouve

    son emploi exact d'être différent des autres :

    il règle

    les fonctions

    respectives des

    éléments de

    la

    langue.

    Le

    second réseau, celui

    du

    signifié,

    est l'ensemble diachronique des

    discours concrètement prononcés,

    lequel

    réagit

    historiquement

    sur

    le

    premier,

    de même

    que la

    structure

    de celui-ci commande les

    voies

    du second.

    Ce

    qui domine, c'est l'unité

    de

    signification :

    le

    principe

    de l'unité existant

    dans la

    synchronie.

    Cette unité

    ne

    se

    résout

    jamais

    en

    une pure indication du réel, mais

    renvoie

    toujours à

    une autre signification, la signification dernière

    ne

    se réalisant qu'à

    partir d'une

    prise des choses qui est d'ensemble.

    En psychanalyse, métaphore

    et

    métonymie sont les

    effets

    premiers

    que

    la combinatoire pure et

    simple

    du signifiant

    détermine

    dans la

    réalité où elle se produit. La métaphore n'est que le

    synonyme

    du

    déplacement symbolique

    mis en

    jeu

    dans

    le

    symptôme.

    Le

    sentiment

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    8/28

    288

    Maurice Corvez

    qui s'y exprime, sur-sublimé, représente un effort tenté au-delà des

    ressources

    du sujet :

    je

    rêve que je suis tel grand

    personnage, dont

    j'entreprends

    de

    jouer

    le

    rôle.

    A

    l'opposé, avec

    le symbolisme

    de

    la

    métonymie,

    le

    sentiment

    est sous-sublimé l effort est

    empêché

    d accomplir

    ce

    qu'il

    voudrait. Le désir éveillé du caviar, symbolisant le désir

    comme

    inaccessible,

    est une métonymie, celle

    du

    manque à

    être.

    Dans

    les

    deux

    cas

    (métaphore et

    métonymie), le

    sujet

    se subordonne

    au signifiant, au point d'en être suborné.

    La notion

    du

    symbolisme

    analytique

    va rigoureusement à l'en-

    contre de

    la

    pensée analogique naturelle.

    Pour

    comprendre

    la valeur

    de connaissance qu'il convient de lui

    accorder et la détermination

    que l'animal humain

    reçoit

    de l'ordre

    symbolique, il faut

    considérer

    le symbole

    à

    même

    le

    symptôme.

    La

    répétition

    névrotique, compulsive,

    est

    répétition

    symbolique,

    et il

    s'y

    avère que

    l'ordre

    du symbole

    ne

    peut

    être

    pensé comme constitué par l homme, mais bien comme le

    constituant :

    on

    voit assez dans

    l histoire

    d'un sujet la détermination

    majeure qu'il

    reçoit du parcours d'un

    signifiant.

    Référer

    le

    symbole

    aux idées serait méconnaître

    sa fonction structurante

    : l'extériorité

    du

    symbolique par

    rapport

    à l'homme est

    la

    notion

    même de

    l inconscient.

    L'idée

    de pacte est incluse

    dans

    le symbole,

    et

    le rapport

    de celui-ci à

    la fonction imaginaire et au désir refoulé

    y est

    manifeste.

    3. Le

    discours du

    désir

    Lacan enseigne, après Freud,

    qu'il faut

    toujours,

    dans

    le

    symptôme, rechercher,

    non seulement le

    signifiant inconscient,

    mais

    l expression du désir

    que

    ce signifiant

    éclaire.

    Ceci, particulièrement dans

    le

    discours

    onirique, «voie

    royale»

    de

    l'inconscient. L'élaboration

    du

    rêve est nourrie par le désir ; le rêve est le symbole du

    désir.

    C'est

    la

    vérité de

    ce

    que

    le

    désir

    a

    été

    dans

    son histoire

    que

    le sujet

    crée

    par

    son

    symptôme.

    La durée du désir

    inconscient

    est

    inextinguible,

    et

    l'indestructibilité

    de

    ce désir,

    dans la «

    mémoire », provoque

    et

    conditionne l'insistance des désirs particuliers, «le long des chemins où

    il se

    mire dans

    le sentir, le dominer

    et

    le

    savoir».

    Le désir

    règle la

    répétition

    signifiante du

    névrosé comme son symbole. Refoulé,

    il

    transparaît dans

    le

    recès métaphorique ou

    métonymique

    du

    symbolisme, mais

    il

    n'en est pas moins

    au-delà.

    Inconscient

    en

    tant

    qu'exprimé selon les modes

    du

    symbolisme, le désir se manifeste aussi,

    dans

    l'expérience,

    en

    tant

    que

    dénégation

    consciente, sous

    le

    mode

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    9/28

    Le

    structuralisme

    de Jacques

    Lacan

    289

    de

    la répression,

    elle-même

    déterminée par l'inconscient. Mais ce sont

    surtout les condensations sémantiques

    du

    discours

    (métaphore et

    antonomase,

    allégorie, métonymie et

    synecdoque,

    etc.), et ses

    déplacements syntaxiques (ellipse

    et

    pléonasme,

    régression, répétition,

    apposition, etc.),

    à travers

    lesquels il est possible

    de

    lire

    les

    désirs et

    les

    intentions dont le sujet module son

    discours.

    Les besoins

    eux-mêmes,

    comme les désirs

    particuliers et

    manifestes, se subordonnent aux

    mêmes

    conditions

    conventionnelles

    qui sont celles du

    signifiant

    en

    son double registre :

    synchronique

    d'opposition entre

    éléments

    irréductibles,

    diachronique de substitution

    et

    de combinaison par quoi

    le

    langage, s'il

    ne

    remplit certes

    pas tout, structure

    tout de

    la

    relation

    humaine. C'est

    tel désir primaire, par exemple

    celui de l « identification

    »

    de l'enfant à

    la

    mère

    qui,

    non seulement

    suspend

    à l'appareil signifiant

    la

    satisfaction

    des

    besoins mais

    les morcelle, les

    filtre,

    les modèle aux

    défilés de

    la

    structure

    du

    signifiant. Les désirs

    nourris

    par des

    «

    idées

    »

    primaires

    désignent les points où

    le sujet disparaît

    sous l'être

    du

    signifiant.

    Ces

    idées sont constantes et en

    petit

    nombre,

    à

    la différence

    des

    symboles

    toujours

    ouverts

    à l'adjonction

    de nouveaux symboles

    :

    ce sont les idées

    du

    soi, des parents, des phénomènes de

    la naissance,

    de l'amour, de

    la

    mort.

    A partir

    de

    se constitue

    le réseau plus

    concret

    du signifiant, où

    il

    faut que le

    sujet soit

    déjà

    engagé pour

    pouvoir y

    prendre

    forme.

    Ce

    dernier

    suit

    la

    filière

    du

    symbolique,

    façonne

    son

    être

    même

    sur le

    moment

    qui le

    parcourt de

    la chaîne signifiante,

    selon qu'il est déterminé

    dans

    ses actes par le déplacement

    du

    signifiant

    dont

    « il suit le

    train ».

    Le désir est

    donc soumis,

    dans

    le sujet, à

    cette condition qui

    lui

    est imposée par l'existence

    du

    discours de

    faire passer son besoin par

    les figures

    du signifiant. Il «

    s'avance masqué

    »,

    mais sa résidence est

    dans

    l'inconscient, avec les

    premières marques idéales, facteurs

    imaginaires, où les tendances se constituent

    comme

    refoulées,

    dans la

    substitution

    du

    signifiant

    aux

    besoins, et

    qui

    informent

    les

    unités

    les

    plus

    vastes du

    comportement

    par la

    voie

    du complexe.

    C'est

    parce qu'elle

    pare au

    moment

    du

    manque

    impliqué dans

    le

    désir,

    qu'une

    image

    («fantasme»)

    vient

    par

    sa position assumer

    le

    rôle

    de supporter tout le

    prix

    de

    ce désir :

    projection,

    fonction

    de

    l'imaginaire. A l'opposé vient

    s'installer

    au cœur

    de

    l être, pour

    en

    désigner

    le

    trou, un

    index

    : introjection, relation au

    symbolique.

    «

    L'illusion

    dérive

    des désirs

    de l'homme

    », dit Freud :

    source

    inépuisable

    de fantasmes.

    Avec les images qui captivent son éros d'individu

    vivant,

    et

    dont

    l'assomption par

    le

    sujet

    produit

    ce

    qu'on

    appelle

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    10/28

    290 Maurice

    Corvez

    l «

    identification »,

    celui-ci

    pourvoit

    à son insertion

    dans la séquence

    signifiante où

    ces

    images

    s inscrivent.

    Dans la

    désagrégation de l'unité

    imaginaire

    que

    constitue

    le

    «

    moi

    »,

    il trouve

    le

    matériel

    signifiant

    de

    ses symptômes,

    et

    c'est de

    la sorte

    d intérêt qu'éveille

    en

    lui ce moi

    que

    viennent

    les significations

    qui

    en

    détournent son discours.

    D'où la

    fixation

    «

    perverse

    »

    au point même

    de suspension de

    la chaîne

    signifiante « où

    le souvenir-écran s immobilise,

    où l'image

    fascinante

    du

    fétiche se statufie». Le

    fantasme

    n'est autre,

    dans

    son usage

    fondamental,

    que

    ce

    par quoi le

    sujet

    se soutient au niveau de

    son

    désir

    évanouissant, évanouissant

    pour autant

    que la signification

    même de

    la demande

    qu'il

    formule

    lui dérobe

    son objet. Par ce

    biais de

    l ' imaginaire

    s'exerce

    la

    prise

    du

    symbolique sur l'organisme humain le

    plus

    intime.

    Mais

    la

    notion de

    fantasme,

    effet

    «imaginaire», ne

    se

    réduit

    pas

    à

    l'imagination.

    Elle

    entre dans la

    catégorie

    du signifiant :

    l'imaginaire

    doit

    être assuré dans sa concaténation symbolique.

    Cette

    valeur de

    signifiant du

    fantasme n'a rien à

    voir

    avec sa

    signification.

    Le

    signifiant

    répond

    à

    la

    fonction

    de

    représenter

    le signifié ;

    il n'a

    pas

    à répondre de son existence, au

    titre

    de quelque signification

    que ce

    soit, naturelle

    ou

    conventionnelle.

    La signification

    manifestée

    dans

    les

    images du rêve est

    caduque,

    n'ayant

    de

    portée qu'à faire entendre

    le

    signifiant

    qui s'y déguise. Cette signification provient

    du

    désir

    refoulé,

    selon

    qu'il dépend

    de

    lui

    que la

    demande

    soit

    exaucée.

    4. Détérioration du

    discours

    anal/tique

    Telles sont,

    semble-t-il,

    les données

    majeures

    de

    la doctrine

    psychanalytique

    professée

    par Jacques Lacan : science des

    mirages

    qui s'établissent

    dans

    le champ structural

    de l'inconscient. Un

    surcroît

    de lumière nous est fourni par l'évocation de

    la technique du

    praticien

    dans la

    direction

    de

    l'analyse.

    Sa

    méthode

    veut

    être

    radicale, par

    le

    démasquage lucide des symbolismes où se perd le désir du

    patient.

    Spécialiste

    de

    la

    fonction

    symbolique,

    sensible à tous les aspects

    de

    la vérité

    qui se camoufle

    dans le

    langage,

    c'est par

    une

    attention

    aiguë,

    portée aux

    fonctions

    de

    la

    parole

    et

    au

    champ

    de

    la

    représentation,

    qu'il se

    propose

    de

    mener

    à bien son

    œuvre

    de

    perspicacité.

    On

    assiste

    présentement,

    nous

    dit Lacan, à

    une détérioration

    affligeante

    du

    discours

    analytique. La psychanalyse

    d'après

    Freud

    en est

    revenue à

    ce qu'elle était

    à

    l'étape

    antérieure. Cette

    dégradation

    est

    si

    inepte

    que la

    psychanalyse

    «

    ne

    se

    trouve

    d'autre

    titre

    à

    l intérêt

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    11/28

    Le structuralisme de Jacques Lacan 291

    que d'être celle d'aujourd'hui». Mais

    il

    ne

    saurait être question

    de

    dépasser Freud.

    Un grand nombre

    d effets psychiques

    que le terme

    d'inconscience,

    en

    tant

    qu'il

    exclut

    le

    caractère

    de

    la

    conscience,

    désigne légitimement,

    n'en sont pas

    moins

    sans

    rapport aucun

    avec

    l'inconscient typiquement

    freudien.

    Faute

    de

    savoir

    utiliser

    l ' instrument linguistique,

    le recours actuel

    au compromis désoriente toute

    action psychanalytique

    et la plonge dans la nuit.

    Or

    s'il s'agit

    de

    surprendre

    et

    de

    maîtriser

    le

    désir refoulé, dont «la place d'oiseau

    céleste

    est

    surdéterminée

    dans les rets

    de

    la

    lettre», comment

    ne pas

    «

    exiger de

    l'oiseleur

    qu'il

    soit d'abord

    un

    lettré

    »

    ?

    L'illusion

    archaïque à dénoncer est celle qu'on peut généraliser

    sous

    le terme

    de psychologisation du sujet,

    phénomène

    dont

    la pratique

    de

    la

    psychanalyse

    va

    toujours plus

    s'alourdir

    en

    opposition

    à

    la

    découverte

    de

    Freud. La doctrine freudienne n'est pas une psychologie.

    Ainsi Freud nous avertit

    que le

    rêve, par exemple,

    ne

    l'intéresse que

    comme vecteur de

    la

    parole

    et dans

    son

    élaboration en structure

    de

    langage, élaboration

    dont le style est incommensurable avec aucun

    des effets connus

    en

    psychologie expérimentale. Cette confusion psycho-

    logisante domine, aux U.S.A.,

    sous

    le

    nom de

    behaviourisme,

    système

    qui

    ne vise que

    l'adaptation de

    l'individu

    à l'entourage social, par

    la

    recherche des patterns

    de

    la

    conduite

    et par l'obj ectivation

    impliquée

    dans la

    notion

    des

    human relations.

    Cette

    technique,

    qui

    se

    prévaut

    de

    la

    seule catégorisation psychologique de son objet,

    et

    qui ne saurait

    se

    dépasser

    par l'appel

    (sous le

    nom

    à affect)

    au concret, ou à telle

    position

    «

    culturaliste

    », n'a

    rien de

    commun

    avec

    une psychanalyse

    qui

    concerne

    la

    relation de l'homme

    au signifiant,

    et

    non

    au langage

    en

    tant que

    phénomène social.

    La référence à l'expérience de

    la

    communauté comme à

    la

    substance du

    discours

    n offre pas une solution

    meilleure.

    Une

    telle

    expérience

    prend

    sa dimension essentielle

    dans la

    tradition

    qu'instaure

    ce

    discours,

    tradition

    qui,

    bien

    avant

    que

    les

    drames historiques

    ne

    s'y

    impriment,

    fonde les structures élémentaires de

    la

    culture. Or

    ces

    structures

    mêmes révèlent

    une ordonnance des

    échanges

    humains

    qui, fût-elle inconsciente, est inconcevable hors des permutations

    qu'autorise le langage.

    Face

    aux desiderata de

    la

    demande névrotique, le tourment des

    analystes médiocres

    méconnaît

    que la demande porte, en

    soi,

    sur

    autre chose que sur les

    satisfactions

    qu'elle appelle. La réduction du

    désir profond à

    la

    demande immédiate n'est qu'enlisement de l'analyse :

    le sujet

    s'y éclipse

    dans

    sa subordination

    au

    signifiant

    de

    la demande.

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    12/28

    292 Maurice Corvez

    Mais le désir, qui se produit dans l'au-delà de

    la

    demande,

    ne

    s'escamote

    pas si facilement. Le besoin articulé

    dans ce

    rejeton qu'est

    la demande

    présente un

    caractère

    excentrique

    qui le distingue du besoin véritable.

    Au

    delà

    du vide

    de sa

    demande,

    c'est à

    la vérité dans

    son

    principe

    que

    le sujet lance

    un

    appel, à travers lequel vacillent les appels

    de

    besoins

    plus humbles. Les fantasmes, ou incidences imaginaires, qui

    figurent

    ces besoins, loin de représenter

    l'essentiel

    de l'expérience analytique

    n'en

    livrent

    rien que

    d'inconsistant, à moins qu'on

    ne

    les rapporte

    à la chaîne symbolique qui les lie

    et

    les oriente. A

    défaut de cette

    référence,

    on

    fera droit aux demandes irrationnelles : par exemple,

    on

    en

    viendra à

    «

    diviniser

    la

    chimère

    de

    l'amour

    dit

    génital, au point

    de lui attribuer

    la

    vertu

    d'oblativité, dont sont issus

    tant de

    fourvoiements

    thérapeutiques

    ».

    «

    Qui

    balaiera,

    s'écrie

    Lacan,

    cet

    énorme

    fumier des écuries d'Augias, la littérature analytique

    ?

    »

    La technique risque aussi

    bien de

    s'embourber dans

    l'analyse

    de

    la

    résistance

    et

    de

    la

    défense qui accompagnent

    l'approche du

    refoulé. A

    l'analyse de

    la

    résistance orientée

    vers un renforcement

    de

    la

    position

    objectivante

    chez

    le sujet, Lacan oppose l'interprétation

    symbolique. A l'analyse

    du

    hic et

    nunc, en

    quête d'un geste, d'une

    attitude, d'un

    frémissement, il oppose la valeur

    de

    l'anamnèse, comme

    indice

    et

    comme

    ressort du progrès

    thérapeutique.

    L'analyse

    des

    résistances

    doit

    être

    comprise

    dans

    sa relation symbolique à l inter-

    subjectivité

    de

    la parole.

    Il

    n'est pas bon

    de

    ne

    tendre l'oreille qu'à

    l'idée

    de ce qui

    dévoie

    l'analysé, au moment où

    il

    est simplement

    «en

    proie à

    la

    vérité». Les défenses

    : déplacement

    quant à

    l'objet,

    renversement contre

    le

    sujet, régression de

    la

    forme,

    etc.,

    sont

    inconscientes, et

    non

    attribuables

    au moi, à

    ce

    moi

    perceptible dans

    les

    données

    plus ou moins

    immédiates de

    la

    jouissance

    consciente ou

    de

    l'aliénation laborieuse. Ce moi,

    que

    constitue

    en

    son noyau une série

    d'identifications aliénantes,

    se distingue

    fondamentalement

    du sujet

    véritable de l'inconscient, instance

    constituante

    de toutes les

    résistances à la cure des symptômes. Défini comme le

    système

    des objecti-

    vations

    psycho-sociologiques du sujet, ou le

    «

    système perception-

    conscience

    »

    du préjugé scientiste,

    il ne

    saurait

    passer,

    dans

    sa chosifi-

    cation

    de l'être humain, pour

    une « fonction du

    réel

    »,

    ou le corrélatif

    d'une

    réalité absolue. La thérapeutique psychanalytique

    n'est

    pas une

    orthopédie psychologique,

    un

    processus

    de

    reconquête d'un «moi»

    plus vrai

    et

    plus fort, une recherche du « vécu », qui

    en

    deviendrait

    le

    but suprême.

    La

    prendre

    pour

    telle

    serait

    matérialiser

    son procès

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    13/28

    Le structuralisme

    de

    Jacques Lacan

    293

    subjectif

    et retomber

    aux illusions d'un certain

    humanisme dont la

    notion

    statique n'a rien

    de

    commun avec

    le

    principe freudien

    de

    réalité.

    La fin

    de

    l'analyse deviendrait alors l'identification au

    moi

    de

    l'analyste,

    laquelle n'est que sujétion psychologique, contraire à

    la

    vérité que

    l'expérience doit rendre évidente, à

    savoir

    le principe extrinsèque des

    effets inconscients : principe qui rabat

    la

    prétention de l'autonomie

    dont un moi traumatisé fait son idéal.

    Le

    projet d'identification au

    moi, supposé normal,

    de

    l'analyste sera toujours une

    identification

    à des signifiants, aux objets de toutes les articulations de

    la

    demande

    du

    sujet,

    effets

    imaginaires de

    la

    relation à deux,

    dont

    les

    fantasmes

    flottants devraient s'éclairer

    d'une autre

    source.

    Ramener la cure à

    une

    utopique rectification de

    ce couple imaginaire,

    c'est supprimer

    toute

    référence

    aux

    pôles

    symboliques

    de

    l'intersubjectivité,

    s'engluer

    dans

    une dialectique

    de

    méconnaissance,

    de

    dénégation

    et

    d'aliénation

    narcissique.

    Le sujet,

    pour chacun

    des partenaires,

    ne

    peut se

    suffire

    d'être sujet

    du

    besoin ou

    objet de l'amour

    : ce qui est en

    question,

    c'est la cause énigmatique du désir.

    La technique de

    déchiffrage

    de l'inconscient doit

    être

    aussi

    «

    désintriquée

    »

    de

    la

    théorie des instincts, voire des pulsions ou

    tendances, qui ne vont pas d'ailleurs sans

    un

    avènement du signifiant.

    Cette

    théorie n'occupe

    chez Freud

    qu'un rang

    secondaire et

    hypothétique,

    et

    contient de

    plus une

    part

    mythique.

    L'inconscient n'est

    pas

    que

    le siège des instincts.

    Il

    n'est pas le primordial ni l'instinctuel,

    et

    d'élémentaire

    il ne connaît que

    les éléments

    du

    signifiant

    engagés

    dans la

    structure

    du

    langage. Enfin

    la

    métapsychologie de Lacan

    rejette

    la

    mantique

    de

    C. Jung, qui,

    dans

    sa théorie des

    archétypes,

    faisant

    du

    symbole un simple fleurissement de l'âme,

    méconnaît

    qu'un

    drame

    oublié

    traverse

    l'inconscient des âges,

    et

    néglige

    la

    fonction

    directrice

    d'une articulation

    signifiante,

    qui prenne

    effet

    de sa loi

    interne

    et d'un

    matériel soumis à

    la

    pauvreté qui

    lui

    est essentielle.

    5.

    La structure du

    sujet

    Toute

    orientation

    objectivante

    de

    l'analyse étant ainsi récusée,

    Lacan

    s'applique à dégager l'hétéronomie radicale de l'être

    humain,

    dont

    la béance congénitale ne

    peut

    plus être

    recouverte

    sans faire

    de tout

    ce qui s'y emploie une malhonnêteté

    foncière.

    Cette béance

    que

    présente

    l'être réel

    de

    l'homme dans ses relations

    naturelles,

    mêlée

    aux

    éléments

    imaginaires

    qui

    apparaissent

    morcelés

    en elle,

    ne

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    14/28

    294 Maurice

    Corvez

    peut

    être

    dépassée que

    dans une analyse qui

    se

    propose

    pour

    seul but

    l'avènement

    d'une

    parole vraie et la

    réalisation, par le sujet, de son

    passé

    dans

    son rapport à un

    futur. La

    rectification

    des

    relations

    du

    sujet

    avec le réel

    met

    en

    question

    la

    vérité.

    L'art

    de

    l'analyste, ce

    «ramoneur», doit

    être

    de suspendre les certitudes

    du

    sujet, jusqu'à

    ce que

    s'en consument les

    dernières illusions. Et c'est dans le discours

    du patient

    que

    doit se

    scander leur

    résolution. Il s'agit

    de guider

    ce

    discours vers le dévoilement de sa vérité

    et,

    pour cela, de s orienter

    dans

    un

    champ

    de

    langage,

    de

    s'ordonner à la fonction

    de

    la parole,

    selon qu'elle

    confère

    un sens aux fonctions de l'individu. Le

    domaine

    de l'analyse est celui

    du

    discours concret

    en

    tant que

    s'y

    révèle

    la

    réalité

    transindividuelle

    du

    sujet; ses opérations

    sont celles

    de

    l histoire

    de

    ce

    sujet

    selon

    qu'elle

    constitue l'émergence

    de

    la

    vérité

    dans

    le

    réel.

    Chez l'homme, éternellement

    enchaîné

    à ses symboles, le sens alors

    relève

    la

    tête. Pour libérer

    la

    parole

    du

    névrosé, l'analyse l introduit

    au

    langage

    de son désir,

    c'est-à-dire

    au langage

    premier dans lequel,

    au delà

    de

    ce

    qu'il

    nous

    dit de

    lui, déjà il nous

    parle à

    son insu

    et

    tout

    d'abord

    par le symbolisme

    du

    symptôme.

    Le problème central est alors de reconnaître

    la

    place où se

    tient

    Y

    ego

    du

    sujet, de

    savoir

    par qui

    et

    pour qui il pose sa question, de

    déceler son vrai désir

    et

    l'objet

    à qui s'adresse ce désir. La topique

    de

    Yego,

    de

    Y

    d et

    du

    superego

    peut

    donner

    occasion

    de

    s'aliéner

    dans

    cette

    triade,

    lorsqu'elle

    est

    mythiquement

    manipulée.

    Chez

    Freud,

    elle

    n'a valeur

    que par sa subordination à

    la

    métapsychologie, qui se

    rapporte,

    elle,

    aux

    trois étages du réel,

    de l'imaginaire

    et du symbolique.

    L'ego (le

    je) et

    le

    moi

    se

    distinguent

    et

    se recouvrent

    en

    chaque

    sujet

    particulier. C'est toujours

    dans

    le rapport

    du moi du

    sujet au je

    de son discours

    qu'il faut

    comprendre

    le

    sens de

    ce

    discours pour

    désaliéner le

    sujet.

    Rien

    ne

    doit y

    être

    lu concernant

    ce moi et

    ses

    «

    identifications

    » qui ne

    puisse

    être

    réassumé sous

    la

    forme

    du

    je,

    soit en

    première

    personne,

    le

    sujet

    se

    reconnaît.

    La cure

    psychanalytique

    présente une rigueur

    en

    quelque sorte

    éthique,

    hors

    de laquelle toute technique, même

    fourrée

    de

    connaissances

    psychanalytiques, ne saurait être

    que psychothérapie.

    « Wo

    Es

    war,

    dit

    Freud,

    soil

    Ich werden

    » : là

    où était

    ça,

    le

    je

    doit

    être,

    là il

    me

    faut

    advenir. Le vrai sujet n'est autre

    que la «

    chose

    »

    qui est

    la

    plus proche

    du sujet

    visible, tout

    en

    lui

    échappant

    le plus.

    C'est

    un

    sujet dans

    le sujet,

    transcendant

    au moi; c'est l inconscient,

    où ça

    parle.

    Le sujet

    doit

    être pensé

    comme celui

    où ça peut

    parler,

    sans

    qu'il

    en

    sache

    rien,

    en

    tant même

    qu'il

    parle.

    Le

    sujet

    vrai

    est

    le

    sujet

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    15/28

    Le

    structuralisme

    de Jacques

    Lacan

    295

    de

    l inconscient, le sujet qui

    parle, là

    où ça souffre. Ce

    sujet,

    qui est

    vrai par

    rapport à un

    moi

    abusé,

    ne

    se confond pas évidemment avec

    le

    «je»,

    sujet

    de

    la

    personne.

    L'inconscient

    freudien

    n'est

    pas

    le

    tout

    de

    l homme, le maître incontestable

    de

    sa conduite. Dans la mesure

    il

    intervient

    dans

    cette conduite,

    il

    relativise évidemment

    l'action

    de

    la

    personne,

    du

    «

    je

    »

    le plus central, mais le

    sujet

    humain,

    en

    tant

    qu'humain, est transcendant

    par

    rapport à

    cet

    inconscient.

    Il

    y a

    donc lieu

    de distinguer

    dans

    l être de l'homme

    : 1)

    le

    sujet du

    moi

    psychologique,

    de

    l'objectivation illusoire

    et

    symbolique ; 2) le sujet

    de l'inconscient 3) le sujet personnel ou proprement humain.

    A projeter

    ce

    phénomène sur le

    plan

    linguistique, on

    dira que

    le^'e

    du

    discours doit

    être

    pensé comme

    signifiant. Il

    n'est

    alors que l'index

    qui, dans le sujet

    de

    l'énoncé,

    désigne

    le sujet pour autant

    qu'il

    parle

    actuellement.

    Il

    désigne

    le sujet

    de renonciation, il

    ne le

    signifie pas.

    C'est

    le rôle

    de

    l'action

    curative de

    dénoncer la

    présence

    du sujet

    caché, investi

    dans

    le discours. Cette

    action

    se

    développe dans et

    par

    la communauté verbale, dans la saisie dialectique du

    sens.

    Pour

    déchiffrer

    la

    diachronie

    des

    répétitions inconscientes

    dans la

    synchronie

    des

    signifiants

    qui s'y composent, l interprétation est aux prises avec

    quelque chose

    qui soudain rend

    la

    traduction

    possible. Pour en favoriser

    l'émergence,

    l'analyste ne

    satisfait

    aucune demande. Le

    sujet

    est dirigé,

    et même

    canalisé,

    vers

    l'aveu

    du

    désir,

    rendu

    difficile

    de

    par

    son

    incompatibilité avec

    la parole.

    C'est pourquoi

    le

    désir

    ne

    se saisit

    que

    dans

    l interprétation. La

    psychanalyse reconnaît

    dans

    le

    désir la vérité

    du sujet,

    de

    ce sujet qui

    subit de

    n'être sujet

    qu'en tant qu'il

    parle,

    qu'en tant

    que sujet du signifiant.

    La vérité

    ne

    pénètre

    dans

    le réel

    que

    par le jeu

    de

    l'intersubjectivité

    du

    «nous», assumée

    dans

    un

    langage

    qui mesure

    la

    valeur de

    la

    parole, laquelle n'est pas

    d'information, ou de redondance

    dans la communication. Telle

    est

    la

    prééminence du signifiant dans la structure

    de

    la

    relation

    intersubjective,

    comme

    aussi dans

    le

    sujet.

    De

    même,

    les

    images

    oniriques

    ne

    sont

    à

    retenir que

    pour leur valeur de

    signifiant,

    c'est-à-dire pour

    ce

    qu'elles

    permettent

    d'épeler du

    «proverbe»

    proposé par

    le rébus

    du rêve.

    Seule la structure du langage

    rend

    possible l'opération

    de cette

    lecture.

    Afin

    de

    rendre

    les images à une signification

    restituée, et

    de faire reconnaître

    le

    sens

    du

    symptôme

    (et non

    seulement expliquer

    le

    symptôme

    par son sens),

    l'expérience

    psychanalytique

    manie

    la

    fonction poétique

    du langage

    pour

    donner

    au désir sa médiation

    symbolique.

    Car c'est par le don de

    la parole que

    toute

    réalité

    est

    venue

    à

    l homme,

    et

    c'est

    par

    son

    acte

    continué

    que

    toute

    il

    la

    maintient.

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    16/28

    296

    Maurice Corvez

    6. Les chemins de l'être

    Nous voici

    ramenés

    à

    la

    question

    fondamentale

    de

    la

    psychanalyse

    r

    qui parle, quand il

    s'agit

    de l'inconscient

    ? Là,

    ça parle,

    et

    ça pense,

    plutôt mal, mais

    ça pense

    ferme,

    en pensées

    articulées comme

    dans

    un discours.

    Le lieu

    de cette parole,

    Lacan insiste à l'appeler : l Autre,

    lieu transcendantal, « mémoire

    »

    que

    la parole

    évoque partout où

    il

    intervient, où gît

    également

    le

    désir. Ressort

    de

    la

    parole, lieu de

    son déploiement,

    l'Autre,

    parlant sur une

    «

    autre scène

    »,

    est

    requis

    pour

    situer dans

    le

    vrai la question

    de l inconscient, car

    «

    l'inconscient,

    c'est

    le discours de

    l'Autre ». Le désir

    inconscient

    est

    le

    désir

    de

    l'Autre.

    C'est

    du lieu

    de

    l'Autre

    qu'est émis son message. L'interprétation

    consistera à le renvoyer au

    sujet

    conscient sous une forme inversée.

    Si

    «

    ça parle dans l'Autre,

    c'est que c'est

    que le

    sujet, par une

    antériorité

    logique à

    tout

    éveil

    du

    signifié,

    trouve

    sa place signifiante.

    La place

    du signifiant dans l'Autre

    est celle

    d'une

    présence fermée

    à

    la

    conscience pour l'ordinaire puisque,

    habituellement,

    c'est à l'état

    de

    refoulé

    qu'elle y persiste,

    et

    que, de

    là,

    elle insiste pour se représenter

    dans le

    signifié

    par

    les

    automatismes

    de

    répétition.

    Le

    discours de

    l'Autre doit s entendre selon une

    détermination

    à la

    fois objective

    (c'est le discours de ce qui me fait face)

    et

    subjective

    (c'est

    en

    tant

    qu'Autre que

    le

    sujet

    désire

    dans

    cette

    opacité

    vécue

    qui représente le

    besoin).

    A

    l'égard

    de l'Autre, l'appel est inconditionnel,

    éclairé par

    le fantasme

    névrotique. Cet Autre

    n'est que le garant de

    la Bonne Foi, nécessairement évoqué dès

    qu'il

    s'agit

    du

    pacte

    de

    la

    parole.

    L'Autre,

    « champ hors du

    sujet

    » et place

    essentielle de

    la structure

    du

    symbolisme, n'est pourtant qu'à mi-chemin d'une quête que

    l'inconscient déconcerte par son

    art difficile. Le désir refoulé

    est

    synonyme de demande

    d amour,

    d'une

    demande

    que

    la

    satisfaction

    d'un

    besoin immédiat

    ne

    saurait

    combler.

    Toute

    demande implique

    cet espace

    démesuré

    d'être requête de l'amour.

    La

    particularité de

    tout

    ce qui peut être accordé

    se

    ravale

    à

    n être plus

    que l'écrasement de

    la demande d'amour.

    Il

    est donc inévitable que la

    particularité

    satisfaite reparaisse au delà d'elle-même.

    Elle

    y reparaît, mais

    en

    conservant

    la

    structure enclose

    dans

    l'inconditionné

    de

    la demande

    d'amour.

    L'Autre,

    au-delà des

    besoins et des

    demandes, détient

    ce

    privilège de

    dessiner

    la forme radicale du

    don de

    ce

    qu'il

    n'a pas,

    soit de

    ce

    qu'on

    appelle son amour. Ainsi

    en

    est-il

    de

    la

    relation

    primordiale

    de l'enfant

    à

    la

    mère,

    dans laquelle

    l'Autre,

    la

    mère, est

    censée

    capable

    de répondre

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    17/28

    Le structuralisme

    de Jacques

    Lacan

    297

    à

    la

    demande toujours ouverte de l'amour. 0r«

    la

    réalisation de

    l'amour

    parfait, écrit magnifiquement

    J. Lacan, n'est

    pas

    un

    fruit

    de

    la nature

    mais

    de

    la

    grâce,

    c'est-à-dire d'un

    accord

    intersubjectif

    imposant son

    harmonie à la nature

    déchirée

    qui le supporte ».

    Dans le transfert

    aussi,

    opère

    le lien intersubjectif entre

    l'analysé

    et

    l'analyste,

    l'Autre

    n'est pas le

    terme d'une

    relation purement

    duelle, parfaitement confuse

    dans

    son substrat. L'ordre

    symbolique

    exige

    au

    moins

    trois

    termes

    : l'Autre présent, entre

    les

    deux, qui

    n'enveloppent

    pas

    celui

    qui parle, et

    de

    qui seul, avec sa promesse

    d'amour,

    l'analyste

    peut recevoir l'investiture

    du

    transfert qui l'habilite

    à jouer son

    rôle

    légitime

    dans

    l'inconscient

    du sujet.

    C'est

    au

    sein

    de

    cet

    Autre,

    image

    refoulée

    de

    l'amour

    déçu,

    que

    le sujet doit surgir de

    la

    donnée des

    signifiants

    qui le recouvrent.

    En articulant

    la

    chaîne signifiante,

    il

    amène au jour ce qui est inscrit

    dans la

    demande d'amour : le manque à être, dont

    l'Autre

    est le

    lien,

    avec l'appel à

    en

    recevoir le complément espéré.

    L'expérience du désir

    où la pensée psychanalytique

    doit

    se développer est

    celle

    du manque

    à

    être,

    par quoi

    tout

    étant pourrait n être pas, ou être autre,

    autrement

    dit

    est

    créé

    comme existant.

    Ce

    manque à

    être est une mise en question du sujet dans son

    existence. L'aveu

    de l être s'y dessine

    en

    creux. A

    la place

    originelle

    du

    sujet, le

    vide

    n'est qu'un

    aspect

    de

    la Chose la plus

    proche,

    et

    qui est l être

    lui-même.

    La question

    de

    son existence

    «

    baigne le

    sujet,

    le supporte, l'envahit, le déchire de

    toutes

    parts », comme

    en

    témoignent

    les

    tensions,

    les suspens, les fantasmes

    que

    rencontre

    l'analyse.

    Si

    l'homme vient à penser

    l'ordre symbolique,

    c'est que

    d'abord il

    y est

    pris

    dans

    son

    être, et

    qu'il entre

    dans

    cet

    ordre

    comme sujet. Le destin

    de l'homme est

    d'aller

    à l être, au

    noyau

    de son

    être

    (Kern unseres

    Wesens), objet du désir

    dont

    nous témoignons par nos caprices, nos

    aberrations, nos impostures. Pour Freud

    et

    pour Lacan, le

    centre

    véritable de

    l être

    humain n'est plus désormais

    au

    même

    endroit

    que

    lui

    assignait une

    certaine tradition

    humaniste. La direction

    de

    la

    cure

    sera

    «

    une action qui

    va

    au cœur de l être

    ».

    Je dois,

    dans l'analyse,

    advenir

    là où

    s'était l'inconscient.

    Être

    de non-étant, c'est

    ainsi

    qu'advient

    le je, comme sujet que rien

    ne

    peut satisfaire. Je suis à la

    place d'où se vocifère

    que «l'univers

    est un défaut

    dans la

    pureté

    du Non-Être », c'est-à-dire

    de l'Être

    absolu.

    Je

    dois

    venir au

    jour

    de

    ce

    lieu d'être;

    c'est là que mon

    devoir

    me commande que je vienne

    à être. C'est

    d'un

    lieu

    d'être

    qu'il

    s'agit

    pour l homme, structure

    du

    sujet

    de

    son

    existence,

    à

    ne

    pas

    confondre

    avec soncaspect spatial.

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    18/28

    298

    Maurice

    Corvez

    L'«

    ex-sistence

    »

    est

    la

    place

    excentrique,

    corrélative

    de

    l'automatisme

    de répétition, place où se situe le

    sujet

    de l'inconscient. On comprend

    alors

    ce qui

    lie

    la

    métaphore

    à

    la

    question

    de

    l être, et

    la

    métonymie

    à son manque. La

    relation

    au symbolique vient

    s'installer

    au cœur

    de l'être pour

    en

    désigner le

    trou.

    Notre problème à tous est : Que

    suis-Je? Nous sommes au cœur de

    la

    dialectique de l être,

    et

    c'est

    bien

    dans ce

    rapport à

    l'être que l'analyste

    doit prendre

    son niveau

    opératoire.

    L'être est

    la valeur constituante pour une

    subjectivité

    primordiale,

    au-delà du

    sujet,

    au-delà

    de

    l'Autre. Le sujet

    ne

    désigne

    son être qu'en barrant tout ce qu'il signifie, mais les chemins de l'être

    étaient,

    pour

    Freud,

    déblayés.

    Si je parle de

    la

    lettre

    et

    de l être, écrit

    Lacan, si

    je

    distingue

    l'autre (mon partenaire conscient)

    et

    l'Autre,

    c'est parce que Freud me les indique comme les termes où se réfèrent

    les

    effets

    de résistance

    et

    de transfert.

    La découverte

    de

    Freud est

    celle

    du champ

    des incidences,

    en la

    nature de l'homme, de ses relations

    à l'ordre symbolique,

    et la remontée

    de leur sens

    jusqu'aux

    instances

    les

    plus radicales

    de

    la

    symbolisation

    dans l être. La signification du

    signifiant

    inconscient

    s insère dans l ineffable d'une vérité qui

    ne

    dit

    pas son dernier mot.

    Elle

    débouche, par sa

    relation

    la plus profonde,

    et

    s'articule sur ce

    que

    les

    Anciens

    désignaient par le Nous

    et

    le Logos.

    Ceci se

    réalise

    par

    la

    présentification

    d'un Trou

    qui n'est plus à

    situer

    dans

    le

    transcendantal

    de

    la

    connaissance, mais

    à

    une

    place

    plus

    proche,

    qui nous

    presse de

    l'oublier. En ce Logos s'exerce la

    grande

    Nécessité,

    au sens où nul

    esprit ne

    peut échapper à son

    emprise.

    Les fantasmes

    du

    névrosé

    ne

    sont pas pour autant des

    signifiants

    transcendants mais nécessairement

    des index

    d'une

    signification

    absolue. Par

    cette affirmation,

    Lacan

    se

    défend,

    justement,

    d'être

    leurré par une exhaustion purement dialectique

    de l'être.

    7.

    La

    pulsion de

    mort

    et

    la

    folie

    On

    ne

    serait pas complet si,

    s'interrogeant

    sur

    le

    suppôt

    de

    la

    vérité de l'inconscient,

    on

    n'y découvrait pas, avec Freud, à l'apogée

    de son expérience,

    ce qu'il nomme, d'un mot

    peut-être équivoque,

    l « instinct

    de

    mort ». Éluder celui-ci

    de sa

    doctrine

    serait

    la méconnaître

    absolument. L'instinct

    de

    mort, qui

    ne

    se confond pas avec la

    «

    pulsion

    de mort», exprime essentiellement

    la limite

    de

    la fonction

    historique

    du

    sujet. Cette

    limite

    est

    la mort

    comme

    «

    possibilité inconditionnelle

    d'un

    sujet»

    défini

    par son

    historicité.

    Elle

    lui

    est

    à chaque

    instant

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    19/28

    Le structuralisme de Jacques Lacan 299

    9

    présente

    en

    ce que

    cette histoire

    a

    d'achevé. Sous

    sa

    forme

    réelle, elle

    évoque un passé qui se manifeste renversé

    dans la

    répétition

    névrotique.

    L'homme

    dévoue

    son

    temps

    à

    déployer

    l'alternative

    structurale

    présence

    et

    absence prennent

    l'une de

    l'autre

    leur

    appel. Vie

    et

    mort

    se composent

    en

    une relation polaire au

    sein même de

    phénomènes

    qu'on rapporte à

    la

    vie. Aussi le passage

    métapsychologique est-il

    aisé

    d'un principe

    de plaisir généralisé à l instinct de

    mort.

    Celui-ci

    est

    situé

    au

    cœur

    même de

    la

    vie du désir.

    Dans une perspective

    structurale,

    il

    est

    «

    libido négative »,

    en

    ce sens que son assouvissement est

    accompagné

    d'un

    plaisir narcissique. La pulsion

    de

    mort, les pulsions

    de

    haine, d'agressivité, de destruction, sont fondées sur

    l'amour et le

    désir

    de

    valeurs menacées

    par

    des

    instances

    contraires.

    L'analyse

    devrait

    aboutir à la pleine assomption, ou réalisation subjective,

    de

    l être-pour-la-mort. Mais, chez le malade, cette question dont

    il

    ponctue

    le

    signifiant,

    ne rencontre

    que

    l'écho du

    silence

    que la pulsion

    de

    mort

    fait régner

    dans

    l'inconscient.

    L'instance

    de

    la

    mort,

    élément

    d'au-delà

    de

    la

    vie, se matérialise

    dans le signifiant,

    car

    le

    rapport est intime qui unit

    la

    notion de

    l instinct

    de

    mort

    aux problèmes de

    la parole,

    comme aussi à

    ce que Lacan

    appelle

    le «

    Nom-du-Père

    », selon

    que cette expression est

    le

    support

    de la

    fonction

    symbolique

    qui,

    depuis l'orée des

    temps

    préhistoriques,

    identifie

    la personne du père à la figure

    de

    la loi, dont

    il

    peut être

    tenu pour le représentant

    originel.

    Elle est le

    signifiant

    qui, dans

    l Autre, en tant

    que

    champ du signifiant,

    est celui

    du

    lieu de

    la loi,

    opposé par conséquent

    à

    l'aspiration fondamentale

    de

    qui

    réclame

    l'amour, non

    la

    contrainte

    (symbole de

    la

    mort),

    et

    veut être aimé pour

    lui-même. Ainsi apparaît

    la

    connexion de

    la

    paternité

    et

    de

    la

    mort,

    et s'explique

    le

    meurtre du père

    comme

    drame inaugural

    de

    l'humanité.

    Ce que Freud veut

    maintenir

    par là, c'est la primordialité

    de

    ce

    signifiant

    que représente

    la

    paternité

    et

    qui apparaît assez

    en

    ceci que le

    vrai

    père,

    le

    père

    symbolique

    de

    l'expérience analytique,

    est

    le

    père

    mort.

    Disons enfin

    que

    l être de

    l homme,

    non seulement

    ne peut être

    compris

    sans la folie,

    mais qu'il

    ne

    serait pas l être de l'homme s'il

    ne

    portait

    en

    lui

    la

    folie comme

    la limite

    de sa

    liberté. La formule la

    plus générale

    de

    la folie est la captation du

    sujet

    par la

    situation.

    La

    psychanalyse

    doit

    s introdu ire

    au principe des folies

    de

    l'homme,

    pour y saisir

    un

    message qui

    ne

    provient

    pas d'un sujet qui est

    situé

    au-delà

    du

    langage, mais bien

    d'une

    parole qui vient d'au-delà

    du

    sujet.

    Dans

    le

    drame

    de

    la

    folie,

    lorsque

    le

    signifiant et

    le signifié

    se

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    20/28

    300

    Maurice

    Corvez

    stabilisent

    dans la

    métaphore délirante,

    la

    raison est à son affaire,

    parce

    que

    c'est

    dans la

    relation de l'homme au

    signifiant que ce drame

    se

    situe.

    8. Religion

    et

    science

    Cependant,

    quoi

    qu'il en

    soit de

    l'ampleur et

    de

    la profondeur

    de ces perspectives, elles

    ne sauraient déboucher

    explicitement

    sur

    le problème de Dieu. Le désir de l'être serait-il

    le dernier

    mot de

    la

    réponse à qui

    demande :

    que me veut

    l'Autre?

    Sûrement

    pas, écrit

    Lacan,

    mais

    notre

    office

    n'a

    rien

    de doctrinal

    sur

    ce

    sujet

    transcendant.

    Nous n'avons à répondre d'aucune vérité dernière, spécialement ni

    pour ni contre aucune religion. La place où nous nous

    situons n'appelle

    aucun

    Être

    suprême, puisque,

    «

    place de

    Plus-Personne », ce ne

    peut

    être que d'ailleurs

    que se fasse

    entendre Yest-ce

    de

    l'impersonnel.

    La

    religion

    échappe

    en

    elle-même à

    la juridiction

    de

    la psychanalyse.

    «

    Dire

    que

    le

    sujet

    sur quoi nous opérons

    en

    psychanalyse

    ne

    peut

    être que

    le

    sujet

    de

    la

    science, peut passer pour paradoxe ». Et pourtant,

    la psychanalyse

    agit comme médiatrice

    entre

    l'homme

    du souci et

    le

    sujet

    du savoir

    absolu.

    Il

    y est

    question en

    effet de

    la

    relation

    du

    sujet à

    la vérité,

    considérée

    comme la cause

    du savoir

    mis

    en

    œuvre.

    Sa praxis ne comporte

    en droit

    aucune intervention qui

    ne

    tende à

    ce

    que le

    sujet

    de

    la

    science se réalise de façon satisfaisante, précisément

    dans le champ qui l'intéresse.

    Nous sommes portés

    sur cette frontière

    sensible

    de

    la vérité

    et

    du savoir, invités à

    nouer

    plus intimement le

    régime de ce

    dernier

    à celui de

    la vérité.

    La technique psychanalytique

    n'implique

    d'autre sujet

    que celui de

    la

    science. Elle

    vise

    à

    être

    une

    science;

    elle

    doit

    devenir une science, incluse

    dans

    l'inconscient.

    Son originalité

    dans la

    science vient

    de

    ce qu'elle s'applique à

    la

    causalité

    matérielle,

    c'est-à-dire

    à

    la

    forme

    d'incidence du

    signifiant,

    tandis

    que

    l'incidence de

    la vérité,

    comme cause

    dans la science,

    est à

    reconnaître sous l'aspect de

    la

    causalité

    formelle.

    L'exigence de

    vérité

    est liée

    à

    une

    personnification, sans

    doute cruelle,

    de

    l'Autre, qui

    rend

    évidente la division du sujet entre vérité

    et

    savoir

    : «là où c'était,

    là, comme sujet,

    dois-

    je advenir».

    La

    psychanalyse

    n'est

    pas une

    science, au sens absolu de

    la science

    qui est née au

    XVIIe

    siècle,

    mais

    en

    un

    sens qui, sans effacer ce qui

    s'est

    institué

    sous ce

    nom

    auparavant, « en

    tire le fil à

    lui

    d'une

    façon

    qui

    montre

    mieux sa

    différence

    de tout

    autre».

    Cette

    science,

    Lacan

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    21/28

    Le

    structuralisme de Jacques Lacan 301

    l'appelle «conjecturale»,

    opposant

    cette dénomination à celle de

    «

    science humaine ».

    Il

    n'est pas

    de

    science humaine, ou

    de

    l'homme,

    dit-il,

    parce

    que

    l'homme

    de la

    science

    n'existe pas,

    mais

    seulement

    son

    sujet.

    L'appellation de «sciences humaines» lui semble l'appel

    même de

    la

    servitude. Dans leurs constructions, Lévy-Bruhl, sur

    la

    mentalité

    dite

    logique, Piaget

    sur la pensée prétendument

    égocentrique,

    n'apportent rien, le premier sur le magicien, le second sur l enfant,

    et peu

    sur son développement, car ils ne parlent pas de l'essentiel.

    L'opposition

    des

    sciences

    exactes

    aux sciences

    conjecturales ne

    peut

    plus

    se

    défendre

    à

    partir du

    moment

    où la

    conjecture

    est susceptible

    d'un

    calcul

    exact (probabilité) et où l'exactitude

    ne

    se fonde

    que dans

    un

    «

    formalisme

    séparant axiomes

    et

    lois de

    groupement

    des

    symboles ».

    La

    théorie des jeux serait

    ainsi science

    valable de

    l'homme, qui

    fait

    état du

    caractère

    entièrement

    calculable

    d'un

    sujet,

    strictement

    réduit à

    la formule d'une matrice

    de

    combinaisons signifiantes. Ce

    même sujet,

    en

    tant

    qu'il est sous la mouvance

    de l'inconscient,

    relèverait

    d'une

    science conjecturale, mais cette science

    ne

    serait pas

    véritablement «

    humaine

    »

    parce qu'elle n'atteint pas le

    fond

    de

    la

    nature

    de

    l'homme. Et Lacan

    de

    proposer, au delà

    de Hegel,

    une

    solution

    idéale du

    joint entre vérité

    et

    savoir, celle

    «

    d'un

    révisionnisme

    permanent, où

    la

    vérité est

    en

    résorption constante

    dans ce

    qu'elle

    a

    de

    perturbant,

    n'étant

    en elle-même

    que

    ce qui

    manque

    à

    la

    réalisation

    du savoir». Hegel a forgé

    un

    sujet qui tient sur l histoire le

    discours

    du

    savoir absolu.

    Il

    nous témoigne

    en avoir

    éprouvé

    la

    tentation de

    la folie. «

    Notre

    voie

    n est-elle

    pas

    celle qui

    la

    surmonte d'aller jusqu'à

    la vérité

    de

    la vanité

    de

    ce

    discours

    ».

    REMARQUES

    RITIQUES

    1. Psychanalyse

    et

    langage

    Au sujet

    de l'inconscient

    freudien,

    Lacan nous dit

    que

    l'expérience

    psychanalytique

    ne vise

    rien

    d'autre que d'établir

    qu'il

    ne

    laisse

    aucune

    de

    nos actions hors

    de

    son champ.

    «

    Tu

    crois

    agir quand

    je

    t'agite au gré des

    liens

    dont je noue tes

    désirs.

    Ainsi ceux-ci croissent-

    ils

    en

    forces

    et

    se multiplient-ils

    en objets

    qui

    te

    ramènent au

    morcellement

    de ton enfance déchirée».

    Pour

    éclaircir les rapports

    théorique

    et

    dynamique

    de

    cet

    inconscient

    avec la conscience,

    il

    nous propose

    l instrument

    du

    langage,

    seul

    capable,

    à

    ses yeux,

    de

    décentrer

    notre

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    22/28

    302 Maurice Corvez

    conception spontanée

    du sujet et

    de

    nous

    donner

    accès à cet Autre,

    inaperçu ou

    récusé,

    qui, pour une

    part,

    nous mène. L'instrument

    thérapeutique

    essentiel

    serait

    une

    opération

    de

    langage, l'expérience

    psychanalytique

    «

    a retrouvé

    dans

    l'homme l impératif

    du

    verbe,

    comme

    la

    loi qui

    l'a

    formé à son image ». Ce n'est pas qu'elle soutienne

    une puissance

    magique du

    langage, ou ignore

    la

    communication

    non

    verbale. Mais,

    dans le sillage

    de

    la

    linguistique, elle se centre sur «

    la

    batterie

    du

    signifiant», dont

    il s'agit

    d'assurer

    la

    prévalence

    sur

    ses

    effets

    de

    signification. L'inconscient serait

    de même

    structure radicale

    que

    le langage. Son modèle linguistique permettrait au patient de se

    considérer « comme le

    machiniste, voire

    le metteur

    en

    scène,

    de

    toute

    la capture imaginaire

    dont

    il ne

    serait autrement

    que la marionnette

    vivante». L'activité

    du signifiant devient une

    dimension nouvelle

    de

    la condition

    humaine

    : ce n est pas

    seulement

    Yhomme qui parle,

    mais,

    dans

    l'homme

    et

    par l homme, «ça» parle. C'est ainsi que sa

    nature se trouve tissée par

    des

    effets où se reconnaît

    la

    structure

    du

    langage, dont

    il

    devient la matière, et que, par là, « résonne en lui,

    au-delà

    de tout

    ce qu'a pu

    concevoir

    la psychologie des idées, la

    relation

    de

    la parole

    ».

    La

    question

    se pose

    alors :

    comment

    le langage

    peut-il à ce point

    déterminer

    le

    sujet humain? Le langage, — en comprenant

    sous

    ce

    terme

    tout

    ce

    qui

    exprime

    l être

    humain

    et

    spécialement

    la

    manifestation

    verbale, — ne saurait

    pourtant

    être identifié avec l'être réel

    de l'homme

    lui-même.

    Dans

    la

    mesure où

    l'on

    fait valoir le pouvoir

    singulier du langage oral, ne

    va-t-on

    pas

    réduire le

    champ structural

    de

    l'inconscient ?

    Que

    ce

    langage soit, pour

    qui

    sait

    l entendre,

    souverainement

    expressif,

    nul

    n'en disconviendra. Mais

    il

    ne

    dit pas

    tout,

    et le

    danger est grand de lui prêter une fonction si

    vaste

    qu'il

    ne

    suffise

    à

    la porter. Le langage n'exprime pas

    tout de l'expérience

    analytique,

    parce

    qu'il n'est

    pas adéquat

    à

    la réalité

    de

    l'être qui parle. Au delà

    de

    la

    parole totale existe

    un

    monde inexprimé.

    «

    C'est

    le

    monde

    des

    mots

    qui crée le

    monde

    des choses», écrit Lacan. Certes, mais pour

    une

    part seulement,

    selon que

    les

    mots fixent

    les

    limites

    confuses

    du

    devenir

    des

    choses.

    Les choses

    précèdent, et

    nul

    langage ne saurait

    modifier

    leur texture.

    En elle-même répondra

    Lacan,

    mais bien

    dans

    l'appréhension subjective

    que nous

    en

    avons

    «

    La signification

    n'émane

    pas

    de

    la

    vie», dit-il; non, mais le

    signifiant inconscient,

    lui, en

    émane,

    et la vie, plus

    riche

    que tout langage,

    est

    antérieure

    à

    lui. La réalité

    ne

    vient pas à

    l'homme

    par la parole : elle

    lui

    préexiste

    et

    s'exprime

    seulement

    en elle.

    Par

    le

    langage

    à

    la

    réalité

    psychique

  • 8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan

    23/28

    Le

    structuralisme

    de Jacques

    Lacan

    303

    et

    mentale

    Oui, cette

    voie est la plus

    féconde. Mais

    le langage

    ne

    couvre

    pas toute

    la

    réalité,

    et

    l'hiatus

    doit être maintenu

    qui

    nous

    garde

    de

    l'illusion

    d'avoir

    circonscrit

    le

    mystère

    de cette

    réalité

    lorsque

    nous avons épuisé les possibilités du langage. Lacan nous l'accorderait

    mais alors pourquoi faire au

    langage

    parlé un crédit

    tel qu'il

    semble

    exclure tout le

    reste?

    Le «symbolique»,

    nous dit-il,

    est

    autonome

    par rapport aux

    analogies naturelles spontanées, bien que

    tous

    les symboles se

    rapportent au corps

    propre,

    aux relations

    de parenté,

    à la naissance, à la

    vie,

    à

    la

    mort. Certes,

    la

    chaîne typique des signifiants est présupposée

    à l'humanisation progressive de l enfant, mais elle-même est postérieure