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Dernier avatar du rêve américain de Louis XV, Saint-Domingue l’actuelle Haïti est devenue en quelques décennies le fleuron de la France coloniale, la terre promise des colons blancs, enrichis grâce au travail de milliers d’esclaves importés d’Afrique. Malgré la distance, l’île est bien française, et son histoire se joue d’abord à Paris, dans les ports du littoral qui engrangent les profits de la traite, dans les salons des philosophes qui discutent de cette dernière en attendant de l’interdire, et dans les bureaux des ministres qui dictent sa politique. Son histoire propre ne peut se comprendre sans un détour par la France et sa vie économique et politique. Dans l'île, les débats autour de l’abolition de l’esclavage focalisent l’attention, attisent les craintes des Blancs et les espoirs des Noirs, et constituent la toile de fond des révoltes locales. Toutefois, à partir de 1789, les événements qui agitent Saint- Domingue ne peuvent se réduire à un simple prolongement de la Révolution française, à son extension coloniale : ils ont leur dynamique propre, influent en retour sur l’évolution politique française et aboutissent à une indépendance noire, à la première grande défaite européenne dans les colonies. Saint-Domingue : la « perle des Antilles » sous l’Ancien Régime Une colonie prospère Saint-Domingue est florissante à la veille de la Révolution. Française depuis 1697, la partie occidentale de l’ancienne île des flibustiers et des pirates est devenue la « perle des Antilles », grâce à l’action volontariste du pouvoir royal et à la rentabilité du système de plantation. Première productrice mondiale de sucre (80 000 t/an) et de café (40 000 t/an), l’île exporte également du coton, de l’indigo, et même du tafia (rhum), alimentant les marchés français et européens en produits tropicaux. Son commerce extérieur dépasse en 1790 celui des États-Unis et enrichit une influente aristocratie de colons qui n’hésite pas à augmenter encore ses revenus grâce au commerce interlope, en exportant en fraude, notamment vers les États-Unis. Cette insolente prospérité est étroitement liée au travail servile. Les plantations de canne à sucre sont fortement consommatrices de main- d’œuvre (un esclave par acre cultivée) et leur rentabilité ne pourrait être assurée sans L’auteur, Florent Bonaventure est agrégé d'histoire et doctorant. Il enseigne au lycée Flora Tristan de Montereau-Fault-Yonne ainsi qu’à l’Institut d’études politiques de Paris. De Saint-Domingue à Haïti : hégémonie française et lutte pour l’indépendance Extraits du livret pédagogique du coffret DVD Toussaint-Louverture et l'abolition de l'esclavage © CRDP de Franche-Comté, 2009. Toussaint-Louverture et l’abolition de l’esclavage

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Dernier avatar du rêve américain de Louis XV,Saint-Domingue – l’actuelle Haïti – estdevenue en quelques décennies le fleuron dela France coloniale, la terre promise des colonsblancs, enrichis grâce au travail de milliersd’esclaves importés d’Afrique. Malgré ladistance, l’île est bien française, et son histoirese joue d’abord à Paris, dans les ports dulittoral qui engrangent les profits de la traite,dans les salons des philosophes qui discutentde cette dernière en attendant de l’interdire,et dans les bureaux des ministres qui dictentsa politique.Son histoire propre ne peut se comprendresans un détour par la France et sa vieéconomique et politique. Dans l'île, les débatsautour de l’abolition de l’esclavage focalisentl’attention, attisent les craintes des Blancs etles espoirs des Noirs, et constituent la toile defond des révoltes locales. Toutefois, à partir de1789, les événements qui agitent Saint-Domingue ne peuvent se réduire à un simpleprolongement de la Révolution française, àson extension coloniale : ils ont leurdynamique propre, influent en retour surl’évolution politique française et aboutissentà une indépendance noire, à la premièregrande défaite européenne dans les colonies.

Saint-Domingue :la « perle des Antilles »sous l’Ancien Régime

Une colonie prospèreSaint-Domingue est florissante à la veille dela Révolution. Française depuis 1697, lapartie occidentale de l’ancienne île desflibustiers et des pirates est devenue la « perledes Antilles », grâce à l’action volontariste dupouvoir royal et à la rentabilité du système deplantation. Première productrice mondiale desucre (80 000 t/an) et de café (40 000 t/an),l’île exporte également du coton, de l’indigo,et même du tafia (rhum), alimentant lesmarchés français et européens en produitstropicaux. Son commerce extérieur dépasse en1790 celui des États-Unis et enrichit uneinfluente aristocratie de colons qui n’hésitepas à augmenter encore ses revenus grâce aucommerce interlope, en exportant en fraude,notamment vers les États-Unis.

Cette insolente prospérité est étroitement liéeau travail servile. Les plantations de canne àsucre sont fortement consommatrices demain- d’œuvre (un esclave par acre cultivée)et leur rentabilité ne pourrait être assurée sans

L’auteur, Florent Bonaventure est agrégé d'histoire et doctorant.Il enseigne au lycée Flora Tristan de Montereau-Fault-Yonne ainsi qu’à l’Institut d’études

politiques de Paris.

De Saint-Domingue à Haïti : hégémoniefrançaise et lutte pour l’indépendance

Extraits du livret pédagogique du coffret DVDToussaint-Louverture et l'abolition de l'esclavage© CRDP de Franche-Comté, 2009.

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un apport massif et continu d’esclaves. Sansleur exploitation, le prix du sucre serenchérirait, ce qui ne manquerait pas deprovoquer des troubles dans les villeseuropéennes où il est devenu un produit deconsommation courante. Sans les esclaves, lesprofits réalisés par les négriers, les négociantset les colons seraient négligeables. Sans eux, labalance commerciale deviendrait déficitaire etle budget royal ne pourrait assumer sesdépenses militaires.

En effet, l’économie métropolitaine dans sonensemble bénéficie de la richesse de Saint-Domingue. Les négociants et les armateursdes ports français (Nantes, Bordeaux,Le Havre et La Rochelle), seuls autorisés àcommercer avec les colonies en vertu dusystème de l’Exclusif, écoulent dans les îles laproduction de leurs manufactures etrevendent sucre et café sur les marchéseuropéens. L’excédent commercial qui endécoule, de 70 à 80 millions de livres tournoispar an, contribue à équilibrer les comptes duroyaume et assure la prospérité économiquedu littoral mais aussi des provinces pluslointaines qui fournissent les cargaisonsdestinées à l’achat des esclaves sur les côtesd’Afrique et les produits consommés par lescolons aux îles. Les négriers, assurent-ils, fontvivre 4 millions de Français, des marins auxcolons, des ouvriers aux armateurs des ports.Que les historiens aient relativisé ces chiffres –400 000 Français seulement dépendent descolonies – ne change rien : pour lescontemporains, le système colonial et soncorollaire, l’esclavage des Noirs, est l’un despiliers fondamentaux du système économiqued’Ancien Régime.

C’est par cette rhétorique à tonalitééconomique que colons et négriers justifient lemaintien de la traite et de l’esclavage dans laCaraïbe. Ils répondent inlassablement à tousceux qui stigmatisent leur trafic par unredoutable syllogisme : la prospérité de lamétropole repose sur les productions descolonies ; traite et esclavage sontindispensables afin d’assurer la rentabilité desplantations ; le système esclavagiste ne peutdonc être remis en cause sans perturbergravement toute l’économie métropolitaine.

Saint-Domingue au cœur de la traitenégrière françaisePourtant, l’esclavage des Noirs ne s’est imposéque progressivement. À une main-d’œuvreindienne autochtone décimée par les maladieset le travail forcé, succèdent tout d’abord lescontrats d’engagement des « trente-six mois »,des ouvriers blancs émigrés qui travaillentdans la plantation le temps de rembourserleur voyage (fin du XVIIe siècle). Mais très vite,la source se tarit, et ces petits Blancs engagéspour trois ans, peu malléables et prompts à larévolte sont remplacés par des esclaves noirs,que les colons trouvent plus dociles et plusrésistants aux maladies tropicales. Saint-Domingue en compte jusqu'à 509 000 en1788 (ils n’étaient que 5 000 en 1697), dont400 000 œuvrent dans les plantations.

Ils sont affectés aux tâches les plus rudes :culture de la canne, extraction du jus,production de sucre cristallisé. Ce sontgénéralement des Bossales : des Noirs arrivésdirectement d’Afrique, souvent depuis lescôtes de la Sénégambie et du Bénin. Ils sedistinguent des esclaves créoles, nés sur place

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et habitués à dépendre d’un maître, qui euxoccupent le plus souvent des places dedomestique ou de contremaître. Une autreforme de hiérarchie existe entre les esclaves, enfonction du travail accompli. En bas del’échelle, les esclaves agricoles ou « nègres dejardin », affectés aux travaux des champs (desfemmes pour l’essentiel). Les ouvriersspécialisés ou « nègres à talents » ont quant àeux un rang intermédiaire : ils sont sucriers,mouliniers, tonneliers… et de leur savoir-fairedépend la productivité de l’habitation. Tout enhaut, les domestiques de la grand’case occupentles fonctions les plus enviées, ce d’autant plusque les servantes, cuisinières ou cochers sontsouvent récompensés par un affranchissementaprès une trentaine d’années de service.

Ces esclaves proviennent des traites négrièresen constante expansion depuis le début duXVIIIe siècle. Tard venus dans ce « commerce »,les négriers français, nantais pour environ lamoitié d'entre eux, ont acquis une placeprépondérante aux côtés des Anglais dans laseconde moitié du siècle. Les Noirs, souventdes captifs des rois africains de l’intérieur, sontéchangés sur les côtes contre des toilesindiennes (importées puis fabriquées dans desmanufactures françaises), du fer, des armes etdes produits de luxe (porcelaine, spiritueux ).Entassés à 350/450 dans les cales desbateaux, soumis à une mortalité conséquentedurant le trajet (de 5 à 8 %), ils sont revendusà crédit ou troqués contre des denréescoloniales américaines. Ce commerce« triangulaire », ou « circuiteux », se doubled’un commerce « direct » officieux – dit en« droiture » – entre les Antilles et l’Afrique

lorsque les navires des colons, chargés audépart des îles de cargaisons de rhum,reviennent avec du « bois d’ébène » sanstransiter par les ports français.

À l’étude, ces traites négrières se révéleraientbien moins profitables que ne le prétend leurlégende : le rendement annuel moyen desarmateurs et des négociants français semonterait selon certains historiens à 6 % auXVIIIe siècle, soit l’équivalent du rendementd’un emprunt d’État 1. La rentabilité est eneffet aléatoire, fortement dépendante de laconjoncture. En amont, les négriers doiventrégler de fortes primes d’assurance,s’accommoder de la concurrence à laquelle selivrent les nations européennes sur les côtesd’Afrique, des révoltes et du taux de mortalitédes Noirs embarqués, et enfin del’imprévisibilité d’un trafic interrompu lorsdes guerres franco-anglaises. En aval, lesplanteurs négligent bien souvent de payerleurs dettes alors que l’instabilité politiqueeuropéenne rend parfois difficile l’écoulementdes produits tropicaux… Au total, la traite seprésente d’abord comme une loterie,alimentée par le goût du risque et laperspective de profits considérables les bonnesannées. Elle demeure une activité annexe pourles bourgeois des ports qui sécurisent leurcapital en armant également des bateaux pourla pêche à la morue et pour le commerce.

Pour pallier ces risques, l’État royal intervienttardivement dans la traite et en sécurisel’activité, au moyen de primes diverses verséesaux négriers en fonction du tonnage desnavires (1784) ou du nombre de captifs

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1 Olivier Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004.

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importés (1786). Nouvelle preuve, à la fois ducaractère aléatoire de ce commerce particulieret de l’importance de l’esclavage pour leTrésor. Afin de le réglementer plusefficacement, l’État a d’ailleurs mis en placedès 1685 le Code noir.

Une île divisée : un climat politique etsocial tenduLes mulâtres et les Noirs libresLe Code noir régit la vie coloniale en nereconnaissant que deux statuts : les libressujets du roi et les esclaves étrangers, assimilésà des biens meubles et entièrement privés dedroits. Indifférent à la couleur de peau, leCode noir affirme que les Blancs, les mulâtreslibres et les Noirs libres possèdent les mêmesdroits juridiques. Le mariage d’un colon avecune esclave est légalement possible, quoiquesocialement réprouvé. Les mulâtres, quinaissent de telles unions – légitimes ou non –sont affranchis au bon vouloir du maître.

Les mulâtres et les Noirs libres forment deuxgroupes en pleine ascension au cours duXVIIIe siècle, à la fois démographiquement (onrecense 26 000 libres de couleur contre35 000 Blancs en 1788) et économiquement :beaucoup sont de petits cultivateurs ou desartisans, certains sont planteurs, propriétairesde vastes domaines et d’esclaves, surtout àl’ouest et au sud de la partie française. SelonJulien Raimond, leur représentant à Parisdepuis 1785, les mulâtres posséderaient prèsdu tiers des terres et du quart des esclaves del’île. Ils bénéficient également des bonnesgrâces du pouvoir royal, qui les estime depuisleur participation énergique à la guerred’indépendance américaine.

Leur prospérité et leur concurrenceéconomique n’ont cessé d’inquiéter les colonsblancs qui, au fur et à mesure des années, ontbafoué de plus en plus ouvertement lesdispositions du Code noir. À ces métis et à cesNoirs qui ont le tort de réussir selon lesnormes du système colonial et qui necherchent qu’à s’intégrer à l’élite dominante,les colons blancs opposent une barrière racialepour ne pas « mettre à parité les deuxcouleurs » (Malouet) : la ségrégation leurapparaît soudain nécessaire à la sauvegardede la société coloniale esclavagiste. Lesinterdictions professionnelles se multipliententre 1724 et 1772 : exclusion des hommes decouleur des charges d’officier dans la milice,de l’administration coloniale (1767),interdiction d’exercer les métiers dechirurgien, de juriste ou d’orfèvre. Cette miseà l’écart se double de discriminationspolitiques (ils ne sont pas représentés dans lesassemblées) et vestimentaires (interdiction deporter l’épée, d'afficher une tenue luxueuse…). Beaucoup de mulâtres émigrent en France,où le préjugé de couleur n’existe pas encore ettentent d’attirer l’attention du roi, dont lestentatives de réformes sont efficacementcontrées par les colons (renvoi du gouverneurBellecombe en 1784, supposé trop favorableaux mulâtres).

Ce faisant, les Blancs s’aliènent un groupesocial qui ne se réclame pas contre l’esclavage– puisqu’il en vit –, mais contre sa propreinfériorisation. Et ils irritent un allié potentielen cas d’insurrection des esclaves.

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L’hégémonie blancheÀ la veille de la Révolution, les Blancs, quidominent la vie politique de Saint-Domingue,sont pourtant socialement divisés entre la castedes grands planteurs, richissimes aristocratesinsérés dans le grand commerce mondial – à lafois alliés et rivaux de la bourgeoisie des ports–, et le groupe des « petits Blancs », artisans,commerçants, marchands, peu fortunés etviscéralement ségrégationnistes par peur –économique, sociale et imaginaire 2 – de lamontée en puissance des mulâtres et des Noirslibres qui les concurrencent directement.

Politiquement, ces mêmes Blancs se retrouventautour de quelques revendications fortes. Uneatténuation de l’Exclusif en premier lieu – qu’ilsne cessent d’ébrécher par le biais du commerceinterlope – qui les empêche de commercerlibrement avec les Anglais et avec lesAméricains. Ils réclament à hauts cris la libertéde commerce qui renversera le rapport des prixen leur faveur. Ils tempêtent contre les tentativesde réforme de l’administration royale, contre« l’ingérence » des agents du roi qui essaient –plutôt mal que bien – de lever l’impôt et deréguler les rapports entre colons et esclaves.Poussant ces raisonnements à l’extrême, unebonne minorité de colons souhaite l’indé-pendance de Saint-Domingue, sur des basesanalogues à celles des États-Unis : une nationesclavagiste gouvernée par des Blancs.

Ainsi, lorsque survient la Révolution enFrance, les nuages s’amoncellent sur une îleoù tous les ingrédients sont réunis pourl’explosion des rancœurs et des haines.

Les hésitationsrévolutionnaires

Le discours abolitionnisteEn France, dès la seconde moitié duXVIIIe siècle, un courant abolitionniste s’eststructuré en réaction à cet « odieux trafic »qu’est la traite des Noirs. Mené après 1760par Mirabeau père, Diderot et Raynal 3, ils’inspire de la philanthropie anglaise et de laphilosophie des Lumières. En théorisantl’unité du genre humain ainsi que l’inéluctableprogrès des connaissances et de la moralité,ces philosophes dénoncent le sort réservé auxNoirs dans les colonies et condamnentl’esclavage à n’être qu’une triste résurgencedu passé, voué à disparaître dans un avenirproche. Ils mettent à jour « la contradictionessentielle existant entre l’esclavage colonialet l’avènement de la modernité dans lessociétés occidentales 4 », entre la servitude etla science, entre le scandale éthique et l’espritdu temps.

Pragmatiques, les abolitionnistes français foca-lisent leur combat sur la traite négrière, dontl’interdiction leur semble possible à courtterme sans remettre en cause les intérêts desgrandes puissances. Leurs arguments mélangentmorale et économie, en des proportions quivarient selon les auteurs. Bien que légitiméepar une certaine lecture des Écritures, la traiteleur paraît néfaste à la fois pour l’Afrique –dont la population serait menacée d’extinction– et pour l’Europe : forte mortalité des marins,transfert de richesses vers l’Afrique, rivalitéscommerciales à l’origine de guerres coûteuses…

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2 Telle la peur de l’empoisonnement, vu comme l’arme secrète et sourn oise des esclaves.3 Guillaume-Thomas Raynal qui a publié à partir de 1770 plusieurs éditions de son Histoire philosophique et politique des Établissements et du Commerce

des Européens dans les deux Indes.4 Caroline Oudin-Bastide, Travail, capitalisme et société esclavagiste. Guadeloupe, Martinique (XVIIe-XIXe siècle), Paris, La Découverte, 2005, p. 11

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La Société des Amis des Noirs, fondée par Cla-vière et Brissot le 19 février 1788 sur le modèleanglais, rejoints par Condorcet, La Fayette etplus tard l’Abbé Grégoire, relaie et amplifieces condamnations. La société cherche à alerterl’opinion publique sur la traite des captifs afri-cains et à proposer des palliatifs, comme« l’élevage » d’esclaves sur place ou la fondationde colonies agricoles en Afrique. Ensuite seu-lement, les esclaves pourront espérer franchirl’étape suivante, celle du « rachat » pour setransformer en travailleurs salariés libres.

La protestation contre la traite n’est donc pasnécessairement une campagne pour l’abolitionde l’esclavage : elle se présente plutôt commel’exigence d’un préalable nécessaire, tout enrenvoyant l’abolition à des jours meilleurs. Eneffet, l’apitoiement à la mode sur le sort desmalheureux esclaves (Helvétius, Voltaire,Bernardin de Saint-Pierre) n’entraîne pas deprises de positions nettes, encore moins despropositions d’actions concrètes. Et lorsquecelles-ci existent, l’abolition n’y est pensée quede manière graduelle. La proclamationimmédiate de la liberté générale seraittéméraire et imprudente : d’un côté, les Noirsne sont pas encore mûrs pour la liberté ; del’autre, le respect du principe de propriété –fondamental pour les Lumières et pour lesrévolutionnaires de 1789 – s’oppose à toutemesure brutale qui conduirait les planteursantillais à la ruine. Seule une abolition étaléepeut leur permettre d’éviter le déclin, en leurdonnant le temps d’augmenter la productivitédu travail pour compenser la hausse desdépenses de main-d’œuvre. Nulle hypocrisie

donc dans ce gradualisme : les auteurs desLumières avaient pleinement conscience ducaractère révolutionnaire de l’abolitionnismeet des délais nécessaires à sa mise en œuvre.

Chez quelques précurseurs, la critique de latraite et de l’esclavage se double d’une dénon-ciation de la colonisation. Diderot condamnela colonisation des pays antérieurement habités,acceptant seulement l’établissement d’établis-sements pacifiques à finalité commerciale.Mirabeau père 5 prédit l’indépendance –blanche – des colonies dès 1757, suivi parTurgot dans son Mémoire présenté au Roi 6.Le plus virulent reste Sébastien Mercier, leseul à prophétiser dès 1770 une indépendancenoire dans les îles atlantiques 7.

Ainsi, lorsque survient la Révolution, lecombat contre la traite, l’esclavage et lacolonisation se heurte à des contradictionsinsolubles, dans la mesure où il ne remet pasfrontalement en cause le système esclavagiste.

Le conservatisme révolutionnaireDe 1789 à 1791, la Révolution bourgeoisesemble oublier de légiférer sur la traite etl’esclavage, en contradiction flagrante avec sespropres principes de liberté et d’égaliténaturelle. Les hommes sont libres et égaux endroit… dans la métropole seulement. LaConstituante laisse toute latitude aux coloniessur les questions qui les concernentexclusivement et constitutionnalise mêmel’esclavage le 13 mai 1791, lors du premierdébat parlementaire sur les colonies. Seuleavancée due à l’action de La Fayette et de

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5 Mirabeau, Victor Riqueti (marquis de), L’Ami des hommes ou Traité de la population, Hambourg, 1756-1760.6 Turgot Anne, Robert Jacques, Des administrations provinciales. Mémoire présenté au Roi, par feu M. Turgot, Lausanne, 1788.7 Mercier Louis Sébastien, L’An 2440, rêve s’il n’en fut jamais, 1786.

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Dupont de Nemours, le décret du 15 maireconnaît l’égalité politique des hommes decouleur « nés de père et de mère libres »,pourvu qu’ils remplissent les conditionscensitaires fixées pour la France. On l’a vu, ilsétaient jusqu’alors sujets à de multiplesdiscriminations et ne pouvaient être repré-sentés dans les assemblées coloniales. Minceet brève reconnaissance : Barnave fait abrogerce décret dès le 24 septembre, profitant dutournant droitier consécutif à la tentative defuite du roi le 21 juin et de la violenterépression du mouvement républicain enjuillet 1791.

Ainsi, en 1791, après trois années derévolution, Saint-Domingue reste toujourssoumise à une législation d’Ancien Régime.Trois raisons majeures expliquent cettefrilosité révolutionnaire. Premièrement, laspécificité de l’île est mal comprise à Paris. Lalongueur du trajet – la nouvelle de la prise dela Bastille n’est connue que fin septembre – etla mauvaise foi des représentants des colonsexpliquent que les échos des Antillesparviennent déformés dans la capitale. Lesrévolutionnaires parisiens n’entendent que lesprofessions de foi de colons qui se proclamentpatriotes, se regroupent dans des assembléescoloniales et prétendent s’opposer au« despotisme ministériel » des agents du roi(qui essayaient en fait de lutter contre leurtropisme indépendantiste et d’humaniserl’esclavage !). L’analogie trop rapidementadmise entre la France métropolitaine et sescolonies masque et déforme les amères réalitéscoloniales. À Paris, la Révolution est populaireet la réaction royale. Comment dans cesconditions comprendre qu’il en est tout

autrement dans les colonies, où la populationblanche forme un bloc uni dans la défense dusystème esclavagiste et où les administrateurssont plus progressistes que leurs administrés ?Profitant de ce malentendu, les colons se fontpasser pour des adeptes du self-government,des soutiens de la Révolution qu’il faut seconcilier. Même Marat et Desmoulins selaissent convaincre par ce type deraisonnement, jusqu’au début de l’année1791 !

Ce d’autant plus que le « lobby colonial »avance masqué. Charles et Alexandre deLameth et Barnave, ses chefs de file,apparaissent comme les ténors de la gauchedepuis Vizille (1788) et les débuts de laConstituante, tout comme les colons« patriotes » et leur nouvelle alliée, la trèsinfluente bourgeoisie des ports. Les frèresLameth (tous deux anciens combattants desguerres américaines) sont même des membresde la Société des Amis des Noirs. Pourtant,avec le soutien du Club Massiac – quirassemble les colons vivant à Paris –, ilsmilitent pour le statu quo et la préservationdu système esclavagiste. Actif, Barnave estpropulsé au Comité des colonies del’Assemblée constituante dont il devientrapidement le rapporteur. Depuis cette placestratégique, il réussit à faire prévaloir lapolitique « autonomiste » des colons et surtoutà tenir l’Assemblée dans l’ignorance de l’étatde guerre civile qui règne à Saint-Domingue.Tout cela ne contribue pas à placer l'île aucentre du jeu politique parisien…Enfin, le débat est accaparé par le problèmedes droits politiques des mulâtres, qui faitoffice d’abcès de fixation et relègue au second

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plan celui de l’esclavage. Descendants métisde colons blancs et d’esclaves – oud’affranchis – noirs, groupe social en pleinessor et désireux de s’intégrer à la sociétéblanche, les mulâtres revendiquent l’égalitéjuridique et politique avec les colons. Cesderniers la repoussent vigoureusement, car ilsla considèrent comme le premier pas versl’abolition de l’esclavage. Les abolitionnistes(Brissot, Grégoire, Marat, Milscent, Mirabeau)pensent de même, mais avec une finalitéopposée. Ils sont soutenus dans leur lutte etéclairés sur les Antilles et sur le double jeu deBarnave par le « lobbying mulâtre » de laSociété des citoyens de couleur parisienne.Julien Raimond et Vincent Ogé, sesanimateurs, des libres de couleur, veulent faireévoluer le système colonial vers une abolitiongraduelle de l’esclavage. Néanmoins, cettecause faiblement défendue (aucun esclaven’est présent à Paris pour défendre ses droits)passe rapidement au second plan au milieu dela tourmente révolutionnaire.

Leur combat aboutit pourtant, à la fin del’année 1791, à quelques avancées juridiques.Le 28 septembre, tout individu est déclarélibre, quelle que soit sa couleur, sitôt entré enFrance. Le 4 avril 1792, une loi établissantl’égalité politique des mulâtres est promulguéepar l’Assemblée législative. En revanche, lesreprésentants des colons parviendrontpendant longtemps à éviter tout débat sur latraite : c’est seulement en juillet 1793, àl’heure des défaites en Vendée et des menéesfédéralistes, que Garat, alors ministre del’Intérieur et Ami des Noirs, réussit à fairesupprimer les fameuses primes accordées auxnégriers.

La Convention et l’abolitionL’Assemblée législative envoie en juin 1792trois commissaires civils (Sonthonax, Polverelet Ailhaud) à Saint-Domingue, avec pourmission officielle d’appliquer la loi du 4 avril1792 et de réprimer l’insurrection des esclavesqui vient d’éclater (infra). Arrivés sur placeen septembre, ils se heurtent en fait à unerévolte des colons blancs, alliés aux Anglais(décembre 1792). Sur la défensive, menacésd’être chassés de l’île, les commissairesprennent des mesures d’urgence sansconsulter l’Assemblée : ils intègrent lesesclaves en fuite dans leur armée puisaffranchissent ceux qui se battent pour laRépublique le 21 juin 1793, après leur aidedécisive dans la bataille du Cap. Le 29 aoûtenfin, Sonthonax proclame la liberté généraledans la partie nord de l’île, doublée del’abolition du Code noir.

Pendant ce temps, à Paris, la Convention s’estépurée de certains représentants trop liés à labourgeoisie des ports le 2 juin 1793 et a reçuune délégation de Noirs conduite parChaumette pour l'abolition de l'esclavage le4 juin. Elle est poussée en ce sens par l’AbbéGrégoire et par la pression populaireparisienne (la Commune, le club desJacobins). Pourtant, ces timides initiatives nesont guère suivies d’effets : une doubleconséquence de la logique révolutionnaireexplique l’atonie parlementaire. D’une part,les leaders montagnards comme Desmoulins,Saint-Just ou Robespierre sont peu préoccupéspar l’esclavage, encore moins maintenant quela France est menacée sur ses frontières nord,en Vendée, et qu’éclate l’insurrectionfédéraliste. D’autre part, l’anti-esclavagisme

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était depuis 1789 l’un des combats majeurs deBrissot, que l’Assemblée vient de guillotiner.L’argument simpliste mais redoutable du« vous parlez comme Brissot » contraint ausilence même les plus téméraires. Une idéecesse d’être juste à partir du moment où Brissoten a été son défenseur… La Terreur étouffed’ailleurs toute vie démocratique, toute prisede parole libre au nom de la défense nationaleet ceux qui critiquent le gouvernement en lamatière sont assimilés à des traîtres.

Finalement, le 3 février 1794, une députation« tricolore » (un Noir, un mulâtre, un Blanc)envoyée par Sonthonax expose devant laConvention la situation à Saint-Domingue etles manœuvres du parti colonial allié à lacontre-Révolution royaliste. Le lendemain (16pluviôse an II), les députés, à l’unanimité,élargissent la conquête de la liberté généraleà toutes les colonies françaises, sans indemnitéaux colons.

Grâce à l’insurrection des esclaves et au couragede Sonthonax, la France est devenue le premierpays à abolir totalement l’esclavage, sansmoratoire.

Le rétablissement de l’esclavagePourtant, cette conquête de la liberté semblebien fragile. Certes, l’abolition est devenuel’un des principes intangibles de laRépublique, gravé dans le marbre de laConstitution de l’an III ; certes, le Directoirenomme de nouveau Sonthonax, pourtant deréputation jacobine, comme commissaire civilà Saint-Domingue (1795-1796) ; certes, lesplus lucides comprennent que le principeabolitionniste est la clé de voûte du maintien

de la présence française dans les Antilles etque nul mieux que le ci-devant esclave n’estsusceptible de défendre la patrie des droits del’homme.

Toutefois, le lobby de la restauration coloniale– le bloc « clichyen » de Barbé-Marbois,Bourdon de l’Oise et Villaret-Joyeuse – faitpreuve d’entregent à Paris. Il profite desquelques intermèdes droitiers du Directoirepour placer ses hommes à Saint-Domingue(envoi du général Hédouville commegouverneur en 1797) et peuple le ministère dela Marine, ministère de tutelle des coloniesantillaises. S’il ne parvient pas à imposer sesvues, il instaure un climat de suspicion etconforte le combat des colons émigrés.Lorsque Bonaparte s’installe au Consulat, leclimat s’est donc singulièrement dégradé. Lui-même semble ambigu. D’un côté, il garantitaux Noirs leur liberté. De l’autre, il s’entourede conseillers esclavagistes, se marie avecJoséphine de Beauharnais – une créolemartiniquaise –, s’irrite de l’autonomiecroissante de Toussaint-Louverture et rêved’un empire américain centré sur Saint-Domingue et la Louisiane. Par la Constitutionde l’an VIII, il fait sortir Saint-Domingue dudroit commun, l’article 94 énonçant que « lerégime des colonies est déterminé par des loisspéciales », ce qui ouvre la voie à untraitement différencié des colonies et de lamétropole.

Le double jeu continue lorsqu'en décembre 1801le Premier Consul envoie à Saint-Domingueson beau-frère le général Leclerc, à la têted'une armée de 30 000 hommes. Officiel-lement, sa seule mission est de pacifier l’île et

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de la ramener dans le giron de la République,mais des instructions secrètes prévoient ladéportation des principaux officiers noirs, ledésarmement des habitants et le promptrétablissement du système esclavagiste.

Bonaparte dévoile publiquement son intentionde rétablir l’ordre colonial par la loi du 20 mai1802 qui maintient l’esclavage là où il existeencore (Martinique, Mascareignes), puis parsa restauration en Guadeloupe ordonnée parle général Richepanse le 16 juillet de la mêmeannée. Seule Saint-Domingue échappera auretour de l'esclavage, grâce à sonindépendance acquise de haute lutte. Quantaux autres colonies françaises, elles devrontattendre la persévérance de Victor Schoelcheret la fraternité quarante-huitarde pour vivre,enfin, la fin du système esclavagiste (27 avril1848).

De 1791 à 1804, les deux côtés de l’Atlantiquesont en révolution. Les rapports entre laRévolution française et l’abolition del’esclavage ne seraient guère compréhensiblessans un retour sur les événements qui agitentSaint-Domingue.

Des révoltes mulâtresà l’indépendance noire

La Révolution aux Antilles En 1789, le climat politique à Saint-Domingueest explosif, fruit des rancœurs et des hainesréciproques qui s’accumulent depuis plus d’unsiècle. Chaque groupe tente de mettre en avantses propres revendications, tant à Paris que surl’île. Le parti ségrégationniste, le premier,

profite de la Révolution pour prendre lepouvoir en créant une assemblée colonialeréservée aux Blancs à Saint-Marc(mars 1790). Avant d’être interdite par legouverneur, celle-ci adopte les basesconstitutionnelles de la colonie, interdit lesaffranchissements, ouvre les ports aucommerce international, dissout l’arméerégulière et interdit aux mulâtres de sortir deleur paroisse. Les colons, avides de droits poureux-mêmes, entendent les refuser aux libresde couleur et aux esclaves ; leur acharnementinstaure un climat de guerre civile.

Les mulâtres réagissent les premiers etdemandent l’application stricte du Code noir,tout en réaffirmant leur attachement ausystème esclavagiste. Devant l’intransigeancedes Blancs, ils lèvent des partisans puis serévoltent en décembre 1790 ; insurrectiondont la féroce répression (supplice du meneurVincent Ogé) empêche dorénavant touteréconciliation entre ces deux catégories delibres, pourtant tous partisans du maintien del'esclavage. Le 30 juin 1791, l’île apprendofficieusement la nouvelle du décret du15 mai, mais les Blancs s’organisent pour enrefuser toute application. Exaspérés d’avoirété une nouvelle fois exclus, les libres de Port-au-Prince se soulèvent le 7 août et constituentune force armée. La guerre s’étend enjanvier 1792 dans l’Ouest et le Sud, où lesdeux camps arment leurs propres esclavespour défendre leurs intérêts.

La révolte noireParallèlement, en ce même mois d’août 1791,probablement le 14, plusieurs centainesd’esclaves se regroupent lors de la cérémonie

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du Bois-Caïman autour de Boukman (unprêtre vaudou), Biassou, Jean-François et,peut-être, Toussaint-Louverture. Lors de cetteréunion que l'histoire a transformé en actefondateur d'Haïti, ils préparent l'insurrectionqui éclate dans la nuit du 22 au 23. Eux aussiont entendu le message de la Déclaration desdroits de l’homme ; eux aussi constatent queles colons blancs bloquent toute tentative deréforme et que les mulâtres leur résistent.Certains se soulèvent même au nom du roi,pensant que Louis XVI leur est favorable etque les colons ont paralysé la décision royalede leur accorder trois jours de congé parsemaine.

Les Noirs en fuite, des Bossales pour laplupart, marronnent : ils se cachent dans lesmornes, ces forêts inaccessibles de la montagnehaïtienne, et défrichent de nouvelles terres afinde se nourrir. À la grande surprise des Blancsperplexes devant les capacités d’organisationdes esclaves, leur insurrection s’inscrit dès lespremiers jours en rupture avec toutes lesrévoltes précédentes, partielles, localisées ; elleest d’emblée un soulèvement de masse avec unobjectif précis : la prise du Cap.

La ville n’est pas conquise mais les Noirsdeviennent maîtres de la campagneenvironnante : les colons, autant qu’ils lepeuvent, fuient leurs terres et se réfugientdans les cités. Très vite, les combats s’étendentvers l’Ouest et le Sud, où les insurgésremportent une éclatante victoire sur l’arméedu gouverneur Blanchelande au Camp desPlatons (6 et 7 août 1792). En riposte, lesBlancs arment leurs propres esclaves etrépriment sans merci. Ils s’activent à la fois à

Saint-Marc, où l’Assemblée coloniale vote undécret proclamant l’esclavage « éternel » et àParis où le lobby colonial dépeint des scènesde terreur et de massacres. La Législative,effrayée par la « barbarie » des esclaves,dépêche dès novembre 1791 troiscommissaires civils chargés de réprimerl’émeute, sans succès : leurs traités de paixavec les insurgés noirs et mulâtres, aussitôtconclus, sont dénoncés par le Parlementcolonial. Impuissants, ils repartent pour laFrance et laissent l’île aux mains des colonsesclavagistes, dans un contexte de complètedésintégration de l’État.

L’action des commissaires civilsLes premières mesuresLa Législative réagit en envoyant (décret du15 juin 1792) une deuxième fournée decommissaires civils accompagnés de 6 000hommes de troupe, chargés à la fois durétablissement de l’ordre républicain, de larépression de l’insurrection noire et del’application de la loi du 4 avril accordantl’égalité politique aux libres de couleur(supra). Les trois commissaires, instruits desdébats aux Jacobins par le mulâtre JulienRaimond, se partagent le gouvernement del’île : Sonthonax prend le Nord, Polverell’Ouest et Ailhaud le Sud.

Dès leur arrivée, début septembre, ilss’aliènent l’opinion des colons par une série demesures autoritaires peu appréciées par desBlancs de plus en plus autonomes : renvoi dugouverneur Blanchelande et de son état-major– trop favorables aux grands planteurs –,réorganisation administrative en y associant deslibres de couleur et dissolution de l’assemblée

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coloniale esclavagiste et autonomiste. Ilss’emploient également à gagner la confiancedes esclaves insurgés en formant une « Légionde l’égalité » mélangeant soldats blancs et decouleur, qui accueille et affranchit les esclavesen fuite qui venaient s’y réfugier. Enfin, ilsreprennent les pourparlers interrompus depuisla fin 1791, avec les chefs insurgés marrons.

La révolte blancheFace à ces mesures qui choquent leur exclusi-visme ségrégationniste et leur haine raciale, lesBlancs prennent les armes contre les envoyésde la République. Venus pour combattre lesNoirs, les commissaires doivent finalementaffronter les Blancs : l’émeute éclate en décem-bre 1792 à Port-au-Prince puis s’étend dansl’Ouest lorsque les colons s’allient (mars 1793)aux Anglais esclavagistes, qui débarquent auMôle Saint-Nicolas (nord), à Jérémie (sud) età Saint-Marc (ouest). Et lorsque, enfin, Son-thonax et les mulâtres reprennent Port-au-Prince en avril 1793, Le Cap se soulève à sontour, entraîné par Galbaud, nouveau gouverneur(arrivé en mai) et propriétaire d’esclaves dansl’île. Sa prise d’arme échoue in extremis, grâceà l’aide apportée par les esclaves de la ville àSonthonax (23 juin). Celui-ci, pour les remercier,affranchit tous les esclaves combattant pour laRépublique. Cet échec a des conséquencesdécisives pour l’avenir de l’île : la fuite de Gal-baud aux États-Unis, accompagné par ungrand nombre de colons, marque la fin de ladomination de la caste des planteurs blancs àSaint-Domingue, les Noirs – surtout des créoles– et les mulâtres s’emparant de leurs biens. Lamenace blanche écartée, les commissaires civilsont désormais les mains libres pour agir etcombattre les forces d’invasion de l’Espagne etde l’Angleterre.

Parce que Sonthonax est anti-esclavagiste etparce qu’il espère rallier à la Républiquetoutes les forces disponibles, il proclame auCap le 29 août la liberté générale sur l’île etfait élire la première députation tricolore deSaint-Domingue (2 Blancs, 2 mulâtres et 2Noirs) chargée d’annoncer la nouvelle del’abolition à la Convention parisienne. Malgréces bonnes résolutions, les ralliements noirstardent à venir : Jean-François, Biassou etToussaint-Louverture, passés dans le campespagnol (Santo-Domingo), restent fidèles auxBourbons. Et bon nombre de mulâtres,effrayés par l’affranchissement général et sesconséquences, font cause commune avec lesAnglais, leurs ennemis d’hier.

En effet, Sonthonax et Polverel ont eu letemps, dans la zone qu’ils contrôlent, deréformer de fond en comble le système desplantations : les terres prises aux émigrés sontdéclarées bien nationaux et leur gestionconfiée aux municipalités. Un systèmeportionnaire est mis en place, réservant untiers des revenus aux investissements, un tiersà l’impôt et un tiers aux cultivateurs. En dépitde leur récent affranchissement, ces derniersvivent sous un régime de travail forcé destinéà faire rentrer de l’argent dans les caisses videsde la colonie. Quant aux esclaves bossales quis’étaient réfugiés dans les mornes et ydéfrichaient des terres, ils y implantent unenouvelle forme de production, la petiteexploitation familiale indépendante etégalitaire. Cette voie paysanne de larévolution va devenir l’une des principalesrevendications des « nouveaux libres » descampagnes.

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Malgré ces réformes politiques et économiques,la France ne contrôle plus lors du départ descommissaires (juin 1794) que Le Cap et Port-de-Paix au Nord, où se tient Laveaux, lenouveau gouverneur, ainsi qu’une bandecôtière au Sud. Les forces anglaises occupentl’Ouest et le Sud, les Espagnols l’Est.

Retour au calme et conquêtede l’autonomie

Au printemps 1794, Toussaint-Louverturerenverse le rapport de force en passant d'uncamp à l'autre. L’ancien colonel de l’arméeespagnole, suivi par 4 000 de ses hommes, semet désormais au service de la Républiquefrançaise anti-esclavagiste. Depuis son fief deGonaïves dans le Nord-Ouest, il défait sesanciens chefs Jean-François et Biassou, puisécrase l’armée espagnole et reconquiert leNord et l’Est de l’île. Il achève de se rendreindispensable aux autorités légales en empê-chant un coup d’État fomenté par des officiersmulâtres. Ceux-ci ont néanmoins de leur côtéreconquis le Sud de Saint-Domingue, qu’ilsoccupent sous le commandement de Rigaud.

Relais nécessaire de l’autorité du gouverneur,Toussaint-Louverture est récompensé en obte-nant le titre de général. Laveaux, qui a touteconfiance en ses capacités, lui confie même lesort de l’île après le départ des commissaires.En théorie chapeauté par des gouverneursblancs impuissants et sans armée, Toussaintexerce dans les faits le pouvoir à Saint-Domingue. Rien dans l’île, indépendante defait, ne peut se faire sans son accord. Sontho-nax, revenu pour une deuxième mission en1795, Hédouville (1797) puis Roume (1799)en font l’amère expérience.

De 1796 à 1801, l’ordre louverturien s’imposeà Saint-Domingue, l’armée constituant lacolonne vertébrale du nouveau régime.Toussaint, promu général en chef le 2 mai1797 par le Directoire, s’appuie sur une forcearmée dont l’entretien engloutit près de 60 %des dépenses de la colonie et dicte ses volontésaux instances métropolitaines. Fort de près de30 000 hommes, il s’attelle à l’unification duterritoire sous ses ordres, tout en affirmantverbalement son attachement à la République.

La signature d’un traité de paix avec legénéral anglais Maitland le 13 juin 1798 enreprésente la première étape. Les forcesbritanniques évacuent l’île, où elles tenaientencore Saint-Marc et concluent avec Saint-Domingue des accords (secrets)diplomatiques et commerciaux. Puis, enfévrier 1799, Toussaint entre en guerrecontre son rival mulâtre, le général Rigaudqui occupait le Sud depuis 1795. Lescombats sont violents (15 000 morts) etdurent plus d’un an mais consacrent letriomphe du général noir en août 1800. Peuaprès sa victoire, Toussaint envahit la partieorientale de l’île (Santo-Domingo), toujourssous contrôle espagnol quoiquethéoriquement française depuis le traité deBâle (1795). À la fin de l’année 1801, aprèsdix années de troubles révolutionnaires ethuit invasions étrangères, le territoire de lacolonie est enfin unifié et pacifié, sous lecontrôle du général en chef.

La rédaction d’une Constitution complètel’unification territoriale (juillet 1801). Seproclamant fidèle colonie française, Saint-Domingue se dote pourtant d’un corpslégislatif, d’un pouvoir judiciaire complet et

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d’un gouverneur général à vie, Toussaint-Louverture en personne. La liberté et l’égalitédes couleurs parachèvent cette constructionétatique qui n’ose pas dire son nom.L’unité politique retrouvée n’empêche pasl’apparition, dès novembre 1801, deprofondes divisions sociales. La visionéconomique de Toussaint était celle d’unhomme d’Ancien Régime : retrouver lasplendeur du système de plantation, mais sousdirection noire (infra). Les chefs militairesayant acquis les domaines des colons émigréssont devenus la nouvelle aristocratie terriennede l’île, créole pour l’essentiel, une minoritéface à la masse des cultivateurs toujoursattachés à leur habitation ou vivotantpauvrement sur les mornes. L’affaire Moyseagit comme un révélateur. Celui-ci, neveu deToussaint, soulève le Nord en demandant lepartage des terres. La répression est sévère,Moyse exécuté, mais l’unanimité sociale s’estfracturée.

L’invasion française et la lutte pourl’indépendance vont redonner aux Haïtiensleur unité.

La lutte pour l’indépendanceet ses lendemainsVers l’indépendanceBonaparte, conseillé par d’anciens colons etdésireux de réaffirmer l’autorité française surSaint-Domingue, fait débarquer enfévrier 1802 son beau-frère, le généralLeclerc, armé de bonnes intentions : laprésence de 86 vaisseaux, de 30 000 soldatset de 30 généraux ne servirait qu’à défendreSaint-Domingue contre la menace anglaise et

à protéger ses habitants, alors même que lesdeux puissances viennent de signer despréliminaires de paix…

Les Noirs, qui voient arriver des forcesfrançaises en nombre pour la première foisdepuis Sonthonax, comprennent le piège et selancent dans une brève résistance (incendiedu Cap le 4 février 1802), jusqu’à la redditiondes principaux généraux (Maurepas, PaulLouverture, puis Dessalines et Christophe) etdu gouverneur général lui-même en mai.Autorisé à se retirer sur ses terres, Toussaintest attiré dans un guet-apens, capturé puisexilé en France dès juin.

Mais lorsque les troupes de Leclerc veulentdésarmer les populations, à partir duprintemps 1802, un soulèvement spontanéprend corps dans les campagnes, attisé enjuillet/août par la nouvelle du rétablissementde l’esclavage dans la Guadeloupe voisine. LesNoirs devinent leur sort inéluctable en cas dedéfaite, et « montrent à la potence le courageavec lequel affrontent la mort les martyrsd’une secte ou bien d’une opinion [la liberté]qu’on opprime » 8. Cette résistance populaire,conjuguée aux assauts de la fièvre jaune quidéciment les troupes françaises, pousse lesgénéraux noirs à déserter en octobre et àreprendre le combat.

Dessalines, ancien lieutenant de Toussaint etnouveau commandant en chef de l’arméenoire, mène désormais la guerre sur deuxfronts : contre une partie de la résistance – lescombattants bossales de la première heure –afin d’asseoir son autorité ; contre les Français

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8 Pamphile de Lacroix, Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution de Saint-Domingue, t. 2, Pillet aîné, Paris, 1820, p. 223. Le général Lacroix ac-compagnait Leclerc à Saint-Domingue.

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qui, malgré un recours systématique à laterreur, doivent capituler après la bataille deVertières (18 novembre 1803) et reconnaîtrel’indépendance de la République d’Haïti,nouveau nom de Saint-Domingue. Premièregrande défaite des forces napoléoniennes quiont perdu près de 60 000 hommes –essentiellement de fièvre jaune – depuis 1802,Vertières scelle l’indépendance de l’île le1er janvier 1804 et consacre l’originalité d’unedouble révolution : celle des esclaves noirscontre les maîtres blancs et celle d’une coloniecontre sa métropole. Deuxième colonierévoltée aux Amériques, Haïti devient lapremière nation noire du continent.

Les racines de la pauvretéL’euphorie de l’indépendance ne masquequ’un temps les antagonismes sociaux.Dessalines, nouveau président puis empereur(septembre 1804) se montre fidèle auxconceptions économiques de Toussaint-Louverture et favorable à la grande propriété,quoique pas assez au goût d’une coalition depossédants qui craint une réforme agraire etl’assassine le 17 octobre 1806. Les nouveauxhommes forts du pays, Henry Christophe etAlexandre Pétion, ne voulant pas partager lepouvoir, entraînent Haïti dans la guerre civile(1807-1820) et divisent son territoire en unroyaume noir (au nord) et une républiquemulâtre (au sud). Sur toute la surface de l’îleen revanche, une nouvelle élite composée enmajorité de mulâtres et de Noirs créoles, serassemble contre la masse des cultivateursbossales, qui eux refusent tout retour ausystème des plantations et ne revendiquentrien d’autre que le droit à cultiver librement

des petites parcelles de survie. Guerre etinégalités sociales constituent désormais – etce jusqu’à nos jours – le socle de la nationhaïtienne.

Ces problèmes internes sont renforcés parl’attitude de la France à l’égard de sonancienne colonie. Ses gouvernements successifsse désintéressent de l’évolution politique deHaïti mais ils lui font payer très cher sonindépendance en instaurant une nouvellesujétion économique. En effet, le statutinternational de Haïti reste précaire au débutdu XIXe siècle : sa reconnaissance officiellecomme pays souverain dépend de la volonté dela France depuis le traité de Vienne (1815).Elle rechigne évidemment à la lui accorder sansle versement de compensations financières auxcolons expropriés lors de la décennierévolutionnaire. Or, sans cette légitimationfrançaise, l’île ne peut accéder aux ports desgrandes puissances et exporter ses produitsagricoles (du café principalement), sourcequasi unique de devises. Craignant égalementune invasion revancharde des armées royales,Haïti accepte alors en 1825 de payer150 millions de francs au Trésor royal – soitenviron le budget annuel français de l’époque 9.Ne disposant pas de la trésorerie nécessaire, elleest contrainte d’emprunter 30 millions auxbanques françaises mais ne peut régler seséchéances. Devant la quasi-banqueroute dupays, la France réduit finalement la dette à90 millions (dont les 30 millions à destinationdes banques privées), à rembourser en trenteans grâce aux droits de douane prélevés sur lesexportations. Avec cet emprunt, une spiraled’endettement se met en branle, qui assujettit

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9 Source : Yves Benot, Marcel Dorigny (dir.), 1802. Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. Aux origines de Haïti, Maisonneuve etLarose, 2003, p. 233.

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l’île à la finance métropolitaine. Associés auxproblèmes politiques internes et aux ravages dela monoproduction caféière (qui accroît sadépendance au marché mondial), ceshandicaps structurels concourent à expliquerl’absence de décollage économique d’Haïti lorsdu XIXe siècle.

L’histoire ultérieure de l’île n'est pas l'objet duprésent texte. Notons simplement qu'ellerestera marquée par les héritages du passé. Lesrivalités de couleur héritées de l’époquecoloniale, les clivages entre mulâtres et Noirset entre créoles et Bossales, composent ainsil’une des clés de lecture de l’histoire haïtienne,rythmée durant tous les XIXe et XXe siècles parune succession de coups d’État et de guerresciviles. Dans les années 1960, le dictateurDuvalier s'attaque aux intérêts économiquesdes mulâtres au nom du « noirisme » maiscette politique, faite pour plaire à la majorité

noire rurale, ne sert en fait qu'à enrichir unenouvelle minorité de privilégiés. Aujourd’huiencore, les questions de couleur voilent etdéforment les rapports sociaux et empêchenten partie l'émergence d'une nation haïtienneunie. Autre résurgence de l’époquerévolutionnaire, la farouche volontéd’indépendance et d’égalité qui anime lesHaïtiens depuis deux siècles et leur refusobstiné de toutes formes de sujétion. C’est ainsiqu’une tentative de colonisation économiqueaméricaine (1915-1934) échoue devant larésistance passive de paysans, marqués par lesidées de liberté et d’égalité, qui refusent detravailler dans tout ce qui ressemble de tropprès à une plantation.

Un homme a pourtant symbolisé l’espoir d’unavenir libre et autonome, un homme devenuune légende dans le cœur des Haïtiens :Toussaint-Louverture.

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