Le Rhino 4

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la dernière fois que l’on a vu françois boltana, il était en compagnie de françois rabelais. c’était un personnage d'épopée devisant avec son auteur. le dessinateur de caractères avait vécu. le en 1973. l’aventure du scriptorium de toulouse et la première vente directe de caractères — aurore, messager, champion disparus trop tôt. il y eut heureusement rabelais et la formidable rencontre des lettres. cela faisait 500 ans que l’on attendait cela. personnage typographique en quête de hauteur. je ne sais rien ou presque sur . je ne sais même pas à quoi il ressemble. peu importe, je vais essayer d'imaginer, d’affabuler. qu’a donc fait l’année de sa mort ? disons ceci : il était à toulouse, il ne dessinait plus de caractères depuis 1997. depuis le caractère rabelais qu’il a d’ailleurs abandonné pour lire rabelais. après avoir dessiné des lettres pendant toutes ces années, il a décidé de lire et de se laisser emporter par son imagination. il a rallié la cause littéraire parce qu’il voulait vivre. il a vu l’arrivée des grandes majors de l’électrotypographie et il a compris que la typographie seule était condamnée. il a redécouvert les livres qu’il avait tant barbouillé d’encre et d’ébauches de lettres. il a arrêté de parler de formes. il a bu ce qui lui restait de vie. comme s’il se savait condamné. l’oubli. lui qui avait consacré sa vie à l’empreinte, il allait disparaître. elle était loin l’époque du ; il croyait alors avec b* et tant d’autres à l’essor de la publicité graphique en france. quel échec ! le a marché aux états-unis mais en france, personne ou presque, ne connaît ce caractère. peu à peu, boltana s’est détaché du graphisme pour s’orienter vers l’histoire, vers le travail de la main. c’est le capitole, le scriptorium de toulouse, mais ce n’était pas encore assez. boltana était un passionné, épris d’indépendance, de liberté. il a cru très tôt au pouvoir libérateur de l’informatique et en a très vite maîtrisé tous les rouages. suivant l’adage de maximilien vox, il a cherché à évangéliser les robots avant qu’ils nous évangélisent. mais cela n’a pas suffi. il a distribué ses caractères directement, inventant la chaîne typographique sans intermédiation entre le fabricant et l’acheteur de caractères. mais c’était trop tôt, pas assez, et loin d’éclipser les électrofonderies américaines et allemandes, qui bien qu’« indépendantes », ont été de véritables rouleaux compresseurs. plus tard, en france, nous aurons porchez typofonderie et bien d’autres. mais pour , c’était trop tôt ; alors il a continué sa route, sa réflexion. il a été ainsi le premier à comprendre que la typographie se jouait essentiellement en dehors de la machine. cette intuition, il la doit en grande partie à letraset et à ses lettres transfert. en 1995, dans son testament typographique (cahiers gutenberg n°22), il avoue en filigrane que la typographie numérique est celle du projet permanent et que c’est le jeu de l’utilisateur et non celui des caractères qui permet véritablement de la rendre vivante et réelle. d’où son idée de planches « double clic » qui permettait à l’utilisateur d’avoir une prise directe sur les lettres en les assemblant directement à sa guise ce qui donne beaucoup de latitude à sa sensibilité et à son appréhension de la lettre. dans le même ordre d’idées, voulait rompre avec l’autoréférence typographique. le nom de ses caractères reflète assez bien cette évolution. était abstrait, champion était autoréférentiel, mais messager et aurore désignent autre chose. le chef d’œuvre de , c’est le rabelais (1997). tout a basculé à ce moment-là. pour dessiner le rabelais, boltana a lu & relu intégralement rabelais. il a alors compris qu’il tenait un chef d’œuvre entre les mains. il fallait que le monde entier lise rabelais. c’était en août 1998. à partir de ce moment, jusqu’à sa mort, n’a presque plus dormi, il voulait imprimer tout rabelais, tout retraduire, tout recomposer, tout relire, tout relier. il est mort à la tâche, épuisé par cette ambition immense. il aura consacré la dernière année de sa vie à faire lire. il était hanté par l’exigence impérieuse de cette mission de salut public. il a terminé le dessin et le développement du rabelais en 15 jours ; le reste du temps, il les consacrera entièrement à rabelais, à magnifier gargantua, pantagruel, etc. la bouteille d’encre qu’il renversait allègrement sur le papier, il s’y plongea et se jeta dans une mer de mots qui n’oubliera jamais ses marins dévoués et aventureux. le est un fanzine typographique créé et mis en page par frank adebiaye. le rhino est réalisé avec inkscape, openoffice et scribus. crédit typographique : stilla de françois boltana, angie sans de jean-françois porchez et vtf mainz de frank adebiaye texte de frank adebiaye, licence creative commons by-sa-nc textes tout en bas-de-casse sur les recommandations du controversé herbert bayer format 21 mm x 28 mm sur les recommandations de l’avant-gardiste puis classique jan tschichold c’est une chose anormale de vivre. au contraire. rien de plus naturel. la preuve: tout le monde vit. les morts sont plus nombreux que les vivants. leur nombre augmente. les vivants sont rares. eugène ionesco, , 1959

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Spécial Boltana featuring Stilla, Angie Sans and VTF Mainz

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la dernière fois que l’on a vu françois boltana, il étaiten compagnie de françois rabelais. c’était unpersonnage d'épopée devisant avec son auteur. ledessinateur de caractères avait vécu. le stilla en1973. l’aventure du scriptorium de toulouse et lapremière vente directe de caractères — aurore,messager, champion disparus trop tôt.il y eut heureusement rabelais et la formidablerencontre des lettres. cela faisait 500 ans que l’onattendait cela. personnage typographique en quêtede hauteur.je ne sais rien ou presque sur fran50isbolt9n9. je ne sais même pas à quoi il ressemble.peu importe, je vais essayer d'imaginer, d’affabuler.qu’a donc fait fran50is bolt9n9 l’année de samort ?disons ceci : il était à toulouse, il ne dessinait plus decaractères depuis 1997. depuis le caractère rabelaisqu’il a d’ailleurs abandonné pour lire rabelais. aprèsavoir dessiné des lettres pendant toutes ces années,il a décidé de lire et de se laisser emporter par sonimagination. il a rallié la cause littéraire parce qu’ilvoulait vivre. il a vu l’arrivée des grandes majors del’électrotypographie et il a compris que latypographie seule était condamnée. il a redécouvertles livres qu’il avait tant barbouillé d’encre etd’ébauches de lettres. il a arrêté de parler de formes.il a bu ce qui lui restait de vie. comme s’il se savaitcondamné. l’oubli. lui qui avait consacré sa vie àl’empreinte, il allait disparaître. elle était loinl’époque du stilla ; il croyait alors avec b* et tantd’autres à l’essor de la publicité graphique en france.quel échec ! le stilla a marché aux états­unis maisen france, personne ou presque, ne connaît cecaractère. peu à peu, boltana s’est détaché dugraphisme pour s’orienter vers l’histoire, vers letravail de la main. c’est le capitole, le scriptorium detoulouse, mais ce n’était pas encore assez. boltanaétait un passionné, épris d’indépendance, de liberté.il a cru très tôt au pouvoir libérateur del’informatique et en a très vite maîtrisé tous lesrouages. suivant l’adage de maximilien vox, il acherché à évangéliser les robots avant qu’ils nousévangélisent. mais cela n’a pas suffi. il a distribué sescaractères directement, inventant la chaînetypographique sans intermédiation entre le fabricantet l’acheteur de caractères. mais c’était trop tôt, pas

assez, et loin d’éclipser les électrofonderiesaméricaines et allemandes, qui bienqu’« indépendantes », ont été de véritables rouleauxcompresseurs. plus tard, en france, nous auronsporchez typofonderie et bien d’autres.mais pour bolt9n9, c’était trop tôt ; alors il acontinué sa route, sa réflexion. il a été ainsi lepremier à comprendre que la typographie se jouaitessentiellement en dehors de la machine. cetteintuition, il la doit en grande partie à letraset et à seslettres transfert. en 1995, dans son testamenttypographique (cahiers gutenberg n°22), il avoue enfiligrane que la typographie numérique est celle duprojet permanent et que c’est le jeu de l’utilisateuret non celui des caractères qui permet véritablementde la rendre vivante et réelle. d’où son idée deplanches « double clic » qui permettait à l’utilisateurd’avoir une prise directe sur les lettres en lesassemblant directement à sa guise ce qui donnebeaucoup de latitude à sa sensibilité et à sonappréhension de la lettre.dans le même ordre d’idées, bolt9n9 voulaitrompre avec l’autoréférence typographique. le nomde ses caractères reflète assez bien cette évolution.stilla était abstrait, champion était autoréférentiel,mais messager et aurore désignent autre chose. lechef d’œuvre de bolt9n9, c’est le rabelais (1997).tout a basculé à ce moment­là. pour dessiner lerabelais, boltana a lu & relu intégralement rabelais.il a alors compris qu’il tenait un chef d’œuvre entreles mains. il fallait que le monde entier lise rabelais.c’était en août 1998. à partir de ce moment, jusqu’àsa mort,bolt9n9 n’a presque plus dormi, ilvoulait imprimer tout rabelais, tout retraduire, toutrecomposer, tout relire, tout relier. il est mort à latâche, épuisé par cette ambition immense. il auraconsacré la dernière année de sa vie à faire lire. ilétait hanté par l’exigence impérieuse de cettemission de salut public. il a terminé le dessin et ledéveloppement du rabelais en 15 jours ; le reste dutemps, il les consacrera entièrement à rabelais, àmagnifier gargantua, pantagruel, etc. la bouteilled’encre qu’il renversait allègrement sur le papier, ils’y plongea et se jeta dans une mer de mots quin’oubliera jamais ses marins dévoués et aventureux.

le rhino est un fanzine typographique créé et mis en page par frank adebiaye. le rhino est réalisé avec inkscape, openoffice et scribus.crédit typographique : stilla de françois boltana, angie sans de jean­françois porchez et vtf mainz de frank adebiaye

texte de frank adebiaye, licence creative commons by­sa­nctextes tout en bas­de­casse sur les recommandations du controversé herbert bayer

format 21 mm x 28 mm sur les recommandations de l’avant­gardiste puis classique jan tschichold

bérengerc’est une chose anormale de vivre.

jeanau contraire. rien de plus naturel.

la preuve: tout le monde vit.

bérengerles morts sont plus nombreux que les vivants.leur nombre augmente. les vivants sont rares.

eugène ionesco, rhinocéros, 1959