Le retard de croissance chez l’enfant Le défi 3 du bébé décrocheur · 2014. 2. 12. · Le...

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U N NOURRISSON RONDOUILLARD qui grandit bien constitue un symbole de santé. La mesure du poids et de la taille du nourrisson et la surveillance de la courbe de croissance lors des visites de suivi sont de premier intérêt pour les parents. Est-ce qu’il mange assez, Docteur ? Alors, quoi faire avec un nourrisson maigrichon ? À l’aide des courbes de croissance, allez- vous rassurer d’emblée les parents ou demander plus de détails avant de vous faire une opinion ? De 5 % à 10 % des enfants vus en première ligne sont atteints d’un retard pondéral du nourrisson et du jeune enfant (failure to thrive) tandis que jusqu’à 25 % des enfants ont des difficultés transitoires d’ali- mentation durant la première année de vie 1 . Au cours des dernières années, des études de co- hortes ont changé notre façon de voir le retard pon- déral du nourrisson. En effet, moins de 5 % des pe- tits touchés ont une maladie organique 2 . Un apport énergétique inadéquat pour la croissance ou la sous- nutrition est en cause la plupart du temps. Étonnam- ment, les pistes classiques d’un environnement fa- milial nocif, telles que la négligence, la pauvreté et la dépression post-partum, semblent beaucoup moins fréquentes qu’on le croyait 3 . Les nourrissons lents à s’alimenter, ceux chez qui l’introduction des solides est difficile et ceux qui refusent le sevrage de l’allai- tement sont le plus à risque 4 . Actuellement, on pense que le retard pondéral du nourrisson est le plus sou- vent la conséquence d’un processus complexe, qui fait intervenir l’interaction de multiples facteurs psy- chosociaux, environnementaux, développementaux et biologiques. L’ancienne division entre le retard pondéral organique et non organique est désormais jugée trop simpliste. Quand s’inquiéter ? Le tableau I 5 montre les définitions le plus fréquem- ment utilisées pour le diagnostic du retard pondéral Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011 Le défi du bébé décrocheur Anca Sterescu et Danièle Lemieux Émilie, 9 mois, vient pour son examen de suivi. Tout va bien, sauf qu’elle ne fait pas encore ses nuits et qu’elle se réveille fréquemment pour prendre le sein. La revue des appareils et des systèmes est sans par- ticularité. Vous vous apercevez, en reportant son poids et sa taille sur la courbe de croissance ( figure), que sa prise pondérale ralentit (son poids se situe maintenant sous le 3 e centile) alors que sa taille suit le 50 e centile. Désormais, son ratio poids-taille est donc inférieur au 3 e centile. Le retard de croissance chez l’enfant La D re Anca Sterescu, pédiatre, est membre de la Cli - nique de nutrition du Centre hospitalier Sainte-Justine, et professeure adjointe de clinique à l’Université de Montréal. La D re Danièle Lemieux, omnipraticienne, exerce au sein de l’Équipe Enfance Famille au CSSS de la Pointe-de-Île et est chargée d’enseignement clinique en médecine familiale à l’Université de Montréal. Elle est coauteure de « L’ABCdaire du suivi périodique de l’enfant de 0 à 5 ans ». 3 41 Définitions du retard pondéral (critères distincts) 5 1) Poids sous le 3 e centile pour l’âge à l’occasion d’au moins deux pesées à des périodes distinctes 2) Ratio poids/taille inférieur au 3 e centile pour l’âge 3) Courbe pondérale croisant vers le bas deux couloirs importants de croissance* *Critère anciennement utilisé avec les courbes du CDC. À ne pas utiliser avec les nouvelles courbes de l’OMS. Voir discus- sion dans le texte. Source : Pelletier V, Bernard-Bonnin AC. Retard pondéral du nour- risson. Dictionnaire de thérapeutique Weber. 2 e éd. Montréal : Gaétan Morin ; 2007. p. 1117-21. Cet extrait a été reproduit selon les termes d’une licence accordée par Copibec. Tableau I

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UN NOURRISSON RONDOUILLARD qui grandit bienconstitue un symbole de santé. La mesure du

poids et de la taille du nourrisson et la surveillance dela courbe de croissance lors des visites de suivi sontde premier intérêt pour les parents. Est-ce qu’il mangeassez, Docteur ? Alors, quoi faire avec un nourrissonmaigrichon ? À l’aide des courbes de croissance, allez-vous rassurer d’emblée les parents ou demander plusde détails avant de vous faire une opinion ?

De 5 % à 10 % des enfants vus en première lignesont atteints d’un retard pondéral du nourrisson etdu jeune enfant (failure to thrive) tandis que jusqu’à25 % des enfants ont des difficultés transitoires d’ali-mentation durant la première année de vie1.

Au cours des dernières années, des études de co-hortes ont changé notre façon de voir le retard pon-déral du nourrisson. En effet, moins de 5 % des pe-tits touchés ont une maladie organique2. Un apporténergétique inadéquat pour la croissance ou la sous-nutrition est en cause la plupart du temps. Étonnam-ment, les pistes classiques d’un environnement fa-milial nocif, telles que la négligence, la pauvreté et la

dépression post-partum, semblent beaucoup moinsfréquentes qu’on le croyait3. Les nourrissons lents às’alimenter, ceux chez qui l’introduction des solidesest difficile et ceux qui refusent le sevrage de l’allai-tement sont le plus à risque4. Actuellement, on penseque le retard pondéral du nourrisson est le plus sou-vent la conséquence d’un processus complexe, quifait intervenir l’interaction de multiples facteurs psy-chosociaux, environnementaux, développementauxet biologiques. L’ancienne division entre le retardpondéral organique et non organique est désormaisjugée trop simpliste.

Quand s’inquiéter ?

Le tableau I5 montre les définitions le plus fréquem-ment utilisées pour le diagnostic du retard pondéral

Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011

Le défi du bébé décrocheur

Anca Sterescu et Danièle Lemieux

Émilie, 9 mois, vient pour son examen de suivi. Tout va bien, sauf qu’elle ne fait pas encore ses nuits etqu’elle se réveille fréquemment pour prendre le sein. La revue des appareils et des systèmes est sans par-ticularité. Vous vous apercevez, en reportant son poids et sa taille sur la courbe de croissance (figure),que sa prise pondérale ralentit (son poids se situe maintenant sous le 3ecentile) alors que sa taille suit le50ecentile. Désormais, son ratio poids-taille est donc inférieur au 3ecentile.

Le retard de croissance chez l’enfant

La Dre Anca Sterescu, pédiatre, est membre de la Cli -nique de nutrition du Centre hospitalier Sainte-Justine,et professeure adjointe de clinique à l’Uni ver sité deMontréal. La Dre Danièle Lemieux, omnipraticienne,exerce au sein de l’Équipe Enfance Famille au CSSS dela Pointe-de-Île et est chargée d’enseignement cliniqueen médecine familiale à l’Université de Montréal. Elleest coauteure de « L’ABCdaire du suivi périodique del’enfant de 0 à 5 ans ».

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Définitions du retard pondéral (critères distincts)5

1) Poids sous le 3e centile pour l’âge à l’occasion d’au moins deux pesées à des périodes distinctes

2) Ratio poids/taille inférieur au 3e centile pour l’âge

3) Courbe pondérale croisant vers le bas deuxcouloirs importants de croissance*

*Critère anciennement utilisé avec les courbes du CDC. À nepas utiliser avec les nouvelles courbes de l’OMS. Voir discus-sion dans le texte.

Source : Pelletier V, Bernard-Bonnin AC. Retard pondéral du nour-risson. Dictionnaire de thérapeutique Weber. 2e éd. Mont réal :Gaétan Morin ; 2007. p. 1117-21. Cet extrait a été reproduit selonles termes d’une licence accordée par Copibec.

Tableau I

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chez les enfants de moins de 2 ans. Il faut savoirqu’aucune définition ne fait l’unanimité chez les ex-perts. Sur les nouvelles courbes de l’OMS (2006), le15e centile pour le poids est dorénavant en gras plu-tôt que le 25e centile comme sur les anciennes cour -bes du CDC (2000). Par conséquent, il faudra êtrevigilant avant que la courbe pondérale croise vers lebas deux couloirs importants de croissance (troi-sième critère)6.

L’usage des nouvelles courbes de l’OMS devraitavantager les enfants allaités, qui sont souvent pluslégers entre 6 et 12 mois. Par ailleurs, il faut vérifierqu’il n’y a pas d’erreurs de mesure du poids ou dela taille. Pour les anciens prématurés, on utilise l’âge« corrigé » jusqu’à ce qu’ils aient de 24 à 36 mois, soitl’âge chronologique moins le nombre de semaines deprématurité6. Ainsi, l’âge corrigé d’un bébé de 8 moisné à 32 semaines de gestation est de 6 mois. On sous-

trait donc 8 semaines de prématurité à l’âge chro no -lo gique. Les enfants de petit poids gestationnel et ceuxqui sont atteints de syndromes génétiques, commela trisomie 21, suivent des courbes de croissance dif-férentes et ne font pas l’objet du présent article. Vouspouvez consulter ces courbes à l’adresse suivante :www.magicfoundation.org/www/docs/7.

Puisque les enfants grandissent par poussées decroissance, surtout au cours du printemps et de l’été,c’est la trajectoire dans le temps qui compte. Il est aussiimportant de savoir reconnaître des variantes nor-males de la croissance. Selon une ancienne étude de1976, environ 23 % des enfants normaux vont traver-ser à la baisse deux couloirs de croissance pendant lesdeux premières années de vie, un phénomène reflé-tant une décélération physiologique de la croissancequi commence généralement vers l’âge de 6 mois7, lacroissance n’étant alors plus influencée par des fac-

Le défi du bébé décrocheur42

Courbes de croissance d’Émilie

Figure

Émilie Émilie

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Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011

teurs maternels, mais plutôt par le bagage génétiquede l’enfant. Ces enfants ont souvent des parents de pe-tite taille ou ayant des antécédents de retard de matu-ration osseuse (voir l’article de la Dre Nathalie Alos in-titulé : « Petit un jour, petit toujours ? », dans le présentnuméro). Ils sont généralement pleins d’énergie et ontun bon appétit. Une fois dans le nouveau couloir, leurvitesse de croissance se stabilise.

Alors de quoi aura l’air un véritable cas de retardpondéral ? Une grande partie des dépenses énergé-tiques du nourrisson est destinée à la croissance. Enpériode de pénurie, le nourrisson protège la crois-sance des organes nobles, dont le cerveau, aux dépensdes réserves de tissu adipeux. Ainsi, en situation dedéficit énergétique, on assiste progressivement à unralentissement de la prise pondérale, suivi d’un amai-grissement (wasting), puis d’une cassure de la courbede la taille (stunting). Le développement moteur serasouvent touché à des degrés variables. Heureusement,la plupart du temps, seul le poids est atteint. Il s’agitalors d’un diagnostic de retard pondéral, et non d’unretard staturopondéral.

Le tableau II5 présente un diagnostic différentielnon exhaustif des nourrissons souffrant d’un retardpondéral. Toute affection chronique ou récurrentepeut amener un retard pondéral. Malgré tout, unebonne anamnèse et un examen physique rigoureuxferont ressortir la grande majorité des diagnostics.Une attention particulière devra être portée auxsymptômes gastro-intestinaux chroniques (vomis-sements, diarrhées) qui évoquent des affections fré-quentes (ex. : reflux gastro-œsophagien, allergies ali-mentaires, maladie cœliaque et fibrose kystique). Lafréquentation d’une garderie et la survenue d’infec-tions virales répétées peuvent aussi expliquer des ra-lentissements transitoires de la prise pondérale. Unretard ou une régression du développement devraientplutôt faire penser à des causes neuro lo gi ques. Bienque peu fréquents, des étouffements au moment desboires, une toux ou une voix rauque, pendant ouaprès les repas, devront orienter vers un trouble de ladéglutition isolé. Il faut aussi rechercher activement

des situations propices au développement de l’ané-mie ferriprive, état qui s’accompagne d’anorexie. Lesprématurés ne recevant pas de suppléments de fer,les nourrissons chez qui le lait de vache a été introduittôt ou en trop grande quantité (plus d’un litre par jouraprès l’âge de 1 an) et ceux dont la consommation desolides est sous-optimale avant l’âge de 1 an sont leplus à risque.

L’examen physique vise à éliminer des causes évi-dentes, comme les cardiopathies congénitales, et àtrouver des signes de maladies et de malabsorption

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En situation de déficit énergétique, on assiste progressivement à un ralentissement de la prise pondé-rale, suivi d’un amaigrissement (wasting), puis d’une cassure de la courbe de la taille (stunting).

Repère

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Diagnostic différentiel du retard pondéral5

Apports énergétiques insuffisantsO Négligence, psychopathologie parentale

(ex. : dépression post-partum), pauvreté*

O Allergie aux protéines bovines*

O Reflux gastro-œsophagien*

O Anémie ferriprive*

O Infections à répétition*

O Anomalies de la sphère ORL (ex. : fente palatine)

O Trouble d’alimentation acquis, autisme(hypersensibilité orale)

O Trouble de la déglutition isolé

O Affections chroniques : cardiopathie, insuffisancerénale, déficit immunitaire

O Affections neurologiques : hydrocéphalie, tumeur,paralysie cérébrale

O Maladies métaboliques

Absorption inadéquate des caloriesO Maladie cœliaque

O Fibrose kystique

Augmentation des besoins caloriquesO Cardiopathie, insuffisance respiratoire chronique

*Causes les plus fréquentes Adapté de : Pelletier V, Bernard-Bonnin AC. Retard pondéral dunourrisson. Dictionnaire de thérapeutique Weber. 2e éd. Mont réal :Gaétan Morin ; 2007. p. 1117-21. Cet extrait a été reproduit selonles termes d’une licence accordée par Copibec.

Tableau II

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(pâleur, œdèmes, ecchymoses, stigmates de rachi-tisme) et des signes de dénutrition (fatigue, absencede tissu adipeux).

Malgré une bonne revue des appareils et des sys-tèmes et un examen physique complet, il est possibleque le clinicien ne détecte pas de signes de malab-sorption ou de maladie chronique. Il devra alors pro-céder à une anamnèse alimentaire minutieuse. Le ta-bleau III décrit les principaux éléments à vérifier. Lemédecin doit évaluer la chronicité de la mauvaiseprise de poids et les interventions nutritionnellespassées, quantifier les apports énergétiques, dépisterdes problèmes de comportement autour des repaset évaluer les forces et les faiblesses de l’univers fa-milial en réaction au problème d’alimentation.

Le médecin devra porter une attention particulièreaux habiletés oromotrices du patient, car les enfantsdans les limites inférieures de la normale seront plussusceptibles d’avoir un retard pondéral. Une succionfaible, un allaitement initial difficile nécessitant descompléments, des petits boires de préparation lac-tée, des difficultés avec l’introduction ou la progres-sion des textures sont des indices à rechercher.

Le raffinement des habiletés oromotrices est unprocessus dynamique qui fait partie du développe-ment global de l’enfant. Il est donc important que lenourrisson expérimente diverses textures et apprenneà mastiquer et à avaler des purées, puis à manger desmorceaux et à boire au verre. Bien qu’il soit normalqu’un enfant montre un dégoût initial pour les nou-veaux aliments solides, il est important d’être patientet de réessayer de lui en faire consommer diverses va-riétés dans de plus grandes quantités.

Souvent, avec le temps, le retard pondéral chroniquechez le nourrisson s’accompagne d’une composantecomportementale. Lorsqu’un enfant a un faible ap-pétit, les parents essaient de lui donner de plus grandesquantités de nourriture ou de le faire manger plussouvent, même contre son gré. L’enfant réagit alors enpleurant au moment des repas et en refusant la nour-riture. Si l’expérience négative autour des repas se per-pétue, l’enfant pourra développer un trouble de l’ali-mentation et en arriver à avoir un « haut-le-cœur »lors qu’il voit le biberon ou des aliments. Il peut mêmealler jusqu’à carrément se faire vomir.

Comment savoir que le nourrisson qui est devantvous mange assez ? Pour permettre la croissance, lesbesoins énergétiques des nourrissons (en kilocalo-ries par kilogramme) dépassent de deux fois ceuxdes adultes. Tout au long de la première année, le lait

Le défi du bébé décrocheur44

Anamnèse alimentaire

Historique du problème

O Perception qu’ont les parents de la croissance et du bien-être de l’enfant

O Facteurs déclenchant la diminution de l’appétit (ex. : reflux gastro-œsophagien)

O Évolution dans le temps

O Tentatives de traitement : consultation chez la nutritionniste,alimentation enrichie

Aliments

O Allaitement : mauvaise succion, fréquence, durée, utilisation de suppléments de préparation lactée pour le nourrisson

O Allaitement – facteurs maternels : alimentation, stress,médicament, problèmes aux seins (ex. : crevasses), durée prévue de l’allaitement par la mère

O Préparation lactée : quantité par boire, total par jour, méthode de préparation, quantités maximales

O Lait de vache

O Aliments solides : âge de l’introduction, type, quantité, fréquence, réaction négative, intolérances, difficultés avec les textures (purées, morceaux), préférences

O Restrictions alimentaires : allergies

Comportement au repas

O Manifestation ou absence de l’envie de manger

O Pleurs

O Vomissements

O Besoin de distractions (télévision)

O Endroit du repas : table (chaise haute) ou dans les bras

O Boires pendant le sommeil

O Succès variable selon la personne qui donne le repas

Interaction enfant-famille et autres facteurs de stress sociaux

O Tempérament difficile du bébé

O Problèmes de sommeil

O Dépression post-partum

O Problèmes financiers familiaux

O Stress dans la famille

O Manque de soutien de la famille élargie

Tableau III

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maternel ou les préparations lactées constituentla source principale de calories. La consommationdes solides, impérative après six mois de vie, vientcompléter les apports en lait, surtout pour ce qui estdes besoins en calories, en protéines et en fer. Le ta-bleau IV8 donne un aperçu des quantités moyennesde lait et de solides consommées par les nourrissonsentre 7 et 12 mois. Passé l’âge de 6 mois, on insis-tera, particulièrement chez le nourrisson allaité, surla nécessité sur les plans physiologiques et dévelop-pementaux d’espacer les boires et de diversifier l’ali-mentation de l’enfant. Vous apprenez plus de détails sur Émilie et sa famille.

Les parents et la fratrie sont de taille et de poids nor-maux. L’enfant a peu d’intérêt pour les solides. Elleprend à peine deux cuillérées à thé de céréales et de pu-rée de pommes, deux fois par jour. Elle n’a jamais faitl’essai des morceaux. Elle préfère boire au sein fréquem-ment et refuse le biberon. Elle n’a toutefois pas été ma-lade dernièrement. La mère est fatiguée, mais ne montrepas de signes de dépression. Elle commence à travaillerbientôt et se demande comment elle va alimenter safille. Il n’y a pas de situation de stress dans la famille etl’examen physique n’apporte aucun élément contribu-

tif. Par conséquent, le ralentissement récent de la prisepondérale et le comportement alimentaire difficile del’enfant vous inquiètent.

Comment s’y prendre ?

Le plus souvent, au traitement des éventuels trou -bles médicaux (ex. : reflux gastro-œsophagien) s’ajouteune combinaison de conseils nutritionnels et d’ajus-tement des habitudes lors des repas. Demander un bi-lan biologique pour tous les enfants est peu utile, carles études indiquent que des anomalies sont présentesseulement chez une minorité (1,6 %) d’entre eux8.

Le nourrisson qui accuse un retard pondéral aurades besoins en calories et en protéines qui atteindrontjusqu’à une fois et demie ceux des enfants de son âgeafin de pouvoir rattraper le déficit ac cumulé9. Ainsi,le nourrisson allaité dont la mère ne produit pas suf-fisamment de lait aura besoin de compléments de laitmaternel (obtenu par tire-lait) ou de préparation lac-tée. Pour les enfants au biberon ne buvant pas d’as-sez grandes quantités de préparations lactées, l’aided’une diététiste sera nécessaire pour concentrer le lait,c’est-à-dire ajouter plus de poudre pour la mêmequantité d’eau lors de la préparation du lait. Ainsi,

Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011

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Le nourrisson qui accuse un retard pondéral aura des besoins en calories et en protéines qui atteindrontjusqu’à une fois et demie ceux des enfants de son âge afin de pouvoir rattraper le déficit accumulé.

Repère

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Besoins nutritionnels des nourrissons selon l’âge8

Âge

Aliments (par jour) 7–9 mois 9–12 mois

Allaitement maternel Sur demande Sur demande

Préparation lactée 24 oz – 32 oz (720 ml – 960 ml) 25 oz – 30 oz (750 ml – 900 ml)

Produits céréaliers De ½ à ¾ tasse De ½ à ¾ tasse de céréales et 4 c. à soupe de pâtes, etc.

Légumes 2 – 3 c. à soupe 4 – 7 c. à soupe

Fruits 2 – 3 c. à soupe 4 – 7 c. à soupe

Viande et substituts 1 – 1 ½ c. à soupe de viande 1 – 2 c. à soupe de viande

Adapté de : Doré N, Le Hénaff D. Mieux vivre avec notre enfant de la grossesse à deux ans, guide pratique pour les mères et pères. Québec :Institut national de santé publique du Québec ; 2010. 736 pages.

Tableau IV

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on peut augmenter la concentration de 20 kcal/oz(0,67 kcal/ml) à 24 kcal/oz, voire 26 kcal/oz. Chezles nourrissons de plus de 6 mois, la progression desapports en solides aidera graduellement à accroîtrele nombre de calories.

Le médecin doit prôner les habitudes d’une alimen-tation saine, en soulignant aux parents le besoin d’éta-blir une routine et d’avoir un horaire stable pour lesrepas des petits. Il faut également leur rappeler que lebut n’est pas de « gaver » les enfants en leur offrantpresque continuellement de la nourriture, mais plu-tôt de jouer sur leurs signaux de la faim et sur le côtésocial et plaisant du repas en famille. Si, après la pé-riode néonatale, le nourrisson désire seulement êtreallaité, on conseille d’espacer les boires de quatre heureset de les restreindre la nuit pour favoriser la sensationde faim le matin.

Il est également important d’avoir la collaborationentière des parents. Des explications claires et une at-titude ouverte assureront un bon lien thérapeutique.Il est également important d’évaluer le niveau d’épui-sement parental et d’accorder au besoin du repos àla personne responsable de l’enfant en faisant appelaux ressources familiales existantes.

Un suivi étroit chaque mois ou tous les deux moisvous rassurera sur le succès de vos conseils. Si, mal-gré vos interventions, le retard pondéral persiste,s’aggrave ou n’est pas expliqué par une insuffisanced’apports évidente, vous devrez poursuivre votre éva-luation. Le bilan biologique comprendra, selon le cas,un hémogramme, le dosage de l’urée, de la créatinine,des électrolytes, de l’albumine et des anticorps anti-transglutaminase pour la maladie cœliaque ainsiqu’une analyse d’urine et le test à la sueur pour le dé-pistage de la fibrose kystique.

Au besoin, l’expertise d’un ou de plusieurs profes-sionnels (nutritionniste, ergothérapeute, travailleusesociale, infirmière, etc.) sera utile pour approfondirvos impressions et optimiser la prise en charge descas graves ou réfractaires10. La nutritionniste sera enmesure d’évaluer le bilan calorique à la suite du jour-nal alimentaire et de proposer des solutions d’enri-

chissement de l’alimentation. Par ailleurs, une tra-vailleuse sociale pourra aider les parents à faire faceà d’autres problèmes concomitants (comportementde la fratrie, difficultés financières, etc.). Enfin, si voussoupçonnez un trouble de l’alimentation ou de ladéglutition, l’ergothérapeute pourra, après avoir ob-servé un repas, confirmer votre impression diagnos-tique et conseiller les parents quant à l’évolution età l’acceptation des textures. Certains enfants béné-ficieront d’une consultation en clinique de nutritionen milieu spécialisé. L’hospitalisation est rare et sur-vient quand la prise en charge en consultation ex-terne a échoué et que l’enfant souffre de malnutri-tion importante avec déshydratation.

En général, vous allez rassurer les parents sur l’évo-lution naturelle favorable du retard pondéral et desproblèmes d’alimentation. Souvent, le nourrisson res-tera fragile pendant l’année qui suit, avec des ralen-tissements et des fluctuations transitoires du poidspendant les infections de la petite enfance. Le suiviminutieux du développement restera une prioritéchez ces patients. Alors que la littérature témoigne decas associant un retard pondéral marqué à des défi-cits cognitifs à l’âge adulte, des données récentes re-mettent en question l’importance clinique des consé-quences neurologiques néfastes à long terme du retardpondéral, une perte qui ne correspondrait qu’à envi-ron 3 points de QI11. Vous montrez à la mère la courbe de croissance et

lui expliquez pourquoi vous êtes inquiet. Vous lui ditestoutefois que le refus des premiers solides et du biberonchez les bébés allaités est une situation assez fréquente.Comme le nombre de calories du lait maternel ne suf-fit plus à cet âge, vous insistez donc sur l’importance del’introduction des solides. Vous lui suggérez d’instaurerun calendrier plus fixe d’allaitement et lui offrez de re-voir l’enfant dans quatre semaines. Vous lui donnez desdépliants expliquant l’introduction des solides et luiproposez une consultation en diététique.

Comment prévenir le retard pondéral ?

La visite de suivi périodique constitue le moment

Le défi du bébé décrocheur

La visite de suivi périodique constitue le moment idéal pour vérifier la bonne croissance du nourrissonet prévenir des situations pouvant conduire à un retard pondéral.

Repère

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idéal pour vérifier la bonne croissance du nourris-son et prévenir des situations pouvant conduire à unretard pondéral.

On s’assure que les parents comprennent l’inter-prétation de la courbe staturopondérale de leur en-fant. « Votre enfant est au 15e centile pour le poidset la taille, Madame. Il est un peu sous la moyennepour les deux mesures, mais il ne m’inquiète pas. Ilest bien proportionné. » On répond aux craintes desparents qui peuvent voir leur enfant trop gros ou tropmaigre. La présence d’un pannicule adipeux chez lesbébés de cet âge est normale.

On s’intéresse à la nutrition et aux habitudes au-tour des repas de l’enfant et de la famille. Le cliniciendemande aux parents s’ils ont des croyances ou deshabitudes alimentaires spéciales qui pourraient nuireà la nutrition et à la croissance de leur nourrisson. Parexemple, certains parents pensent qu’un régime sansgras est bon pour tous les membres de la famille.Cependant, la croissance (en particulier celle du cer-veau) exige une alimentation riche en gras. On réservedonc le lait 3,25 % aux enfants de 1 à 2 ans12.

Enfin, le clinicien repérera les situations socialesà risque. Il n’oubliera pas de vérifier si la maman pré-sente des symptômes compatibles avec une dépres-sion post-partum ou un autre problème de santémentale, car elle pourrait ne pas être en mesure des’organiser adéquatement pour nourrir efficacementson bébé13.

V OUS REVOYEZ bébé Émilie un mois plus tard. Lamère est souriante. Tout s’est replacé après l’arrêt

des boires de nuit. Émilie mange maintenant des quan-tités adéquates de solides, boit du lait au verre et prendle sein deux fois par jour, le matin et le soir. Sa prise depoids est encourageante. 9

Date de réception : le 1er février 2011Date d’acceptation : le 11 mars 2011

Les Dres Anca Sterescu et Danièle Lemieux n’ont déclaré aucun in-térêt conflictuel.

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Le Médecin du Québec, volume 46, numéro 8, août 2011 47

Form

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Investigation of baby’s growth problem. Poor weight gainand failure to thrive are frequent occurrences in the familyphysician’s office although organic causes are few. Takingcharge implies mostly nutritional advice and changes ineating habits during meals. Biological testing and multi -disciplin ary approach (dietitian, social worker and occu-pational therapist) are limited to unexplained, serious andpersistent cases. Infant periodical follow-up helps preventsituations where children are at risk to develop a failure tothrive during their first year.

Summary