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LE NÉGOCIANT-HÔTE: UNE FORME DIFFUSE DE SOCIABILITÉ AU XVIII' SIÈCLE Pour un négociant de quelque envergure, se déplacer était chose cou- rante. Placé à la tête d'une importante maison de commerce nîmoise - son capi- tal montait a 300 000 L.t. - dans la seconde moitié du XVIII ' siècle, Barthélemy Fornier, en tant que correspondant languedocien de la Compagnie des Indes dont Simon Gilly, son oncle, fut un des directeurs, devait, au moins une fois l'an, effectuer une tournée dans le haut Languedoc qui le menait à Carcassonne et Toulouse pour surveiller l'état d'avancement de la production des draps qui gagnaient ensuite, à date fixe, Lorient. Par la même occasion, il rendait visite à ses correspondants bitcrroÎs et chauriens avec les- quels il spéculait sur les grains, faisait halte, en fonction du calendrier, aux foires de Montagnac ou Pézenas, et profitait de sa présence dans la « cité des violettes» pour conférer avec l'agent de change vène, chargé de lui adresser des barils d'espèces ou des remises en papier en retour des lettres de change qui lui avaient été envoyées ou des rescriptions sur Auch et Montauban dont il se chargeait de recouvrer le montant. Dans le même ordre d'idée, il s'informait auprès de Marcassus de Puymaurin, le fabricant d'Auterive chez lequel il descendait, des travaux des parlementaires toulousains ct des affaires à juger pour lesquelles il lui avait adressé quelques recom- mandations. La session des Etats provinciaux, quelques dossiers à régler au bureau Provence historique - Fascicule 187 - 1997

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LE NÉGOCIANT-HÔTE: UNE FORME DIFFUSE DE SOCIABILITÉ

AU XVIII' SIÈCLE

Pour un négociant de quelque envergure, se déplacer était chose cou­rante.

Placé à la tête d'une importante maison de commerce nîmoise - son capi­tal montait a 300 000 L.t. - dans la seconde moitié du XVIII ' siècle, Barthélemy Fornier, en tant que correspondant languedocien de la Compagnie des Indes dont Simon Gilly, son oncle, fut un des directeurs, devait, au moins une fois l'an, effectuer une tournée dans le haut Languedoc qui le menait à Carcassonne et Toulouse pour surveiller l'état d'avancement de la production des draps qui gagnaient ensuite, à date fixe, Lorient. Par la même occasion, il rendait visite à ses correspondants bitcrroÎs et chauriens avec les­quels il spéculait sur les grains, faisait halte, en fonction du calendrier, aux foires de Montagnac ou Pézenas, et profitait de sa présence dans la « cité des violettes» pour conférer avec l'agent de change Sévène, chargé de lui adresser des barils d'espèces ou des remises en papier en retour des lettres de change qui lui avaient été envoyées ou des rescriptions sur Auch et Montauban dont il se chargeait de recouvrer le montant. Dans le même ordre d ' idée, il s'informait auprès de Marcassus de Puymaurin, le fabricant d'Auterive chez lequel il descendait, des travaux des parlementaires toulousains ct des affaires à juger pour lesquelles il lui avait adressé quelques recom­mandations.

La session des Etats provinciaux, quelques dossiers à régler au bureau

Provence historique - Fascicu le 187 - 1997

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de contrôle des draps, ou auprès des services de l'Intendance, le menaient plusieurs fois l'an à Montpellier, non sans faire parfois étape à Lunel, chez Jean Médard, son associé en compte en demi pour le négoce des « bleds »,

La foire de la Madeleine à la fin juillet, et celle de la Saint-Barthélemy, à la fin août, J'obli geaient à gagner Beaucaire, ou il séjournait une semaine, ct Alès. Enfin, rares étaient les années où il ne se livrait, en solo ou de concert avec son épouse, à une escapade marseillaise; intermédiaire quasi obligé des négociants la nguedociens et lieu de brassage d'affaires de la p re mi ère importance ains i que le démontrèrent les travaux de G. Rambert ct Ch. Ca rrière. Le port phocéen co mptait parmi son imposant groupe de négo­ciants quelques proches parents tels les Audibert ou les cousins J. et J. Fornier chez lesquels il était reçu. A Lyon, c'est dans la maiso n de ses beaux­frè res André qu 'i l fa isai t halte lorsqu'il allait à Lausanne ou Genève rendre vis ite à ses fils ou à son neveu placés en pension, ou s'il lui arrivait de gagner Paris pour y séjou rner en famille auprès de son frère aîné, comme il advint à deux reprises entre 1765 et 1775.

Réguliers ou occasionnels, les voyages étaient l'occasio n, pour les hom mes d 'affaires, d'entrer directement en contact avec leurs correspon ­dants, de nouer et de resserrer des li ens, qu'ils fusse nt familiaux ou non, et de se fa ire, de visu, une opinion sur eux. Pour les mêmes motifs, et pour obli­ger ceux avec lesquels on œ uvrait , directement ou non, recevoir avec p lu s ou moins d'égards étai t co nforme aux usages. Nombreux sont les exemp les consignés dans la correspond ance active de la maison de Nîmes, dont les registres de copies de lettres couvrent la période s'étendant du premier août 1765 au 22 mars 1786 1

• Eparses, ces informations, généralement concises, ont attiré notre attent ion sur une forme de sociabilité mouvante, occasionnelle, partant difficile à saisir, étroite ment liée aux réseaux du monde du négoce, mais non exclus ivement. Le hasard qui nous permit de dépouiller un fonds d'archives pri vées d'une exception nelle richesse et le souci d'attirer l' attention sur une pratique couram ment répandue à défaut d'avoir un caractère spécifiquement méridional, sont à la source de quelques interrogations sur le « gîte négotial » : comme nt y accédait-on ? Q uels services y étaie nt rendus? Quels prolongements résultaient d'un passage en ces li eux?

1. F.F.C. 359; 378 et F.F.C. 383.

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Extrait de la lettre adressée le 23 octobre 1765 à Gilly frères et Fornier frères de Cadix, par la maison Fornier et Ci. de Nîmes: « Nous croyons d'avoir oublié de vous recommander M. Gaujet, de Lyon, associé de la maison d'Antoine Fabre père et fils et C ' de ladite ville qui passa, il y a quelques mois ici, allant en Espagne, ct à qui nous promîmes de vous écrire pour vous le recommander; cctte maison de Fabre est très considérable et fait beaucoup en soie, en banque et en commission. Gaujct est fort aimable. Notre (com­mandite) de J. Montaud et C" est intimement liée d'affaires avec cette (maison) et nous vous prions de lui rendre tous les services qüi dépendent de vous, de lui faire politesse, ct de le prévenir que nous vous (avons) écrit à son sujet. Vous aurez aussi dans quel(ques) mois à Cadix un associé de la maison Sérane père et fils et C ' de Lyon avec laquelle nous avons de tout temps correspondu. Ces Mrs font un commerce immense en quin­caillerie2

• })

Passage de la missive qu'écrivît Barthélemy Fornier, gérant de la société de Nîmes, à Solicoffre et Fider de Marseille, le premier septembre 1766:« Nous prîmes la liberté de donner hier une lettre de recommanda­tion pour vous à M. Girardot de Marigny, banquier de Paris, que vous aurez sans doute vu avant le reçu de la présente; (c)'est un frère de madame Thélusson de Paris, travaillant en seul fort sagement et avec du bien; nous souhaitons que vous puissiez vous lier ensemble par de bonnes affaires, du reste, nous avons joint à notre lettre de recommandation un cré­dit sans bornes pour la forme, et dont il n'usera sans doute pas, ou tout au plus pour sa dépense » 3.

Dix-huit jours plus tard, le même B. Fornier traçait les lignes sui­vantes à son oncle Gilly de Montaud à Paris: «Vous devez juger combien votre recommandation et la connaissance de M. de Montaran sont pour nous des titres puissants pour recevoir M. de Monblin - il s'agit du fils de l'intendant de commerce - avec le plus grand empressement. Il ne dépen­dra pas de nous qu'il ne soit satisfait de notre ville, et en mon particulier je m'engage à le recevoir de mon mieux et à lui faire voir ici tout ce qu'un voya­geur instruit et curieux peut désirer d'y connaître. »

Un peu plus de deux ans après, le négociant nîmois répondait à Vernède et Cio d'Amsterdam, importante maison dirigée par ses cousins: «Nous ver­rons arriver avec plaisir MM . de Munter et Garein, que vous nous recom­mandez, et nous recevrons ces MM. avec le plus grand empressement. MM. André, Devillas, Vincent et Meynier que nous avons prévenus, se join­dront à nous pour contribuer à l'agrément de ces MM. pendant leur séjour

2. F.F.C. 359, fo 74. 3. F.F.C. 360, fO 59. 4. F.F.C. 360, fo 76.

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en cette vi lle, et nous leur compterons (out l'argent dont ils auront besoin. Nous leur écrivons à Bordeaux po ur leur adresser, comme vous le dés irez, des lettres de recommandation pour la route}. »

Pou r être reçu, il convient d 'être annoncé. Tel est J'objet des lettres de reco mmandation dont nous avo ns fa it état. En fonction d u caractère p lu s ou moins pressant des formules employées, de la qualité du rédacteur et du degré d'estime dans lequel il es t tenu, des renseignements fournis sur la condi­tion du ou des voyageurs, des motifs qui les guident, des relations qui sont les leurs, J'accueil réservé sera plus ou moins chaleureux et la gamme des ser­vices rendus plus ou moins étendue. Par le jeu des recommandations en chaîne, les voyageu rs trouvaient sur leur parcours une ou plusieurs adresses aux­quelles se faire connaître en cas de beso in j ainsi, le fils de M. de Montaran fut accueilli à Avignon par une connaissance du vicomte de Cambis avec lequel B. Fornier entretenait une correspondance régul ière, alors qu 'à Orange, ce fut aux services de l' indi enneur Wetter q u ' il fû t fait appel' .

« J'a i encore donné une recommandation à M . Aigoi n, d'Al ès, qu i mérite bien qu 'on s'intéresse à lui procurer une bonne justice et j'ai jo int à

cette recommandati on u n crédit jusqu'à concurrence de 2 400 L.t .. J e vous préviens au surplus que ces fortes recommandations se bornent au pro­cès 1 » ; adressées à Marcassus de Pu ymaurin le premier février 1769, ces quelques lignes so nt riches d 'enseignements. Une lettre de créd it pour une somme plus ou moins étendue, accompagnait souvent celle d e reco m­mandation - nou s avons vu, précédemment, que Girardot d e Mari gny jouissait d 'un crédit illimité ... - tandis qu 'était balisé le champ d 'appli ca­tion de cette dernière. Par le biais d 'une leure particulière, celui qui l'avait fournie pouvait en étendre ou en restreindre la portée; alors qu'il avaÎt donné à un certai n Baguet, de Saint-C haptes - un village situé au no rd de Nîmes - un crédit sans bornes auprès de l'agent de change Sévène de Toul ouse, B. Fornier pria celui-ci de le li miter à 4 ou 5 000 L.t., es tim ant qu e ses d épenses n'excédera ient pas 3 500 L.t. , ct de se procurer, à mesu re de débours, un reçu qu ' il lui co mmuniqu eraitK. Annonçan t, en novem bre 1779, à son frère Simon qui dirigeait à Cadix une société de commerce à laquelle il fai sait co mmandite, le passage de deux officiers de la Royale, MM. de Vallongue et de Beausset, le négociant nîmois ne se fit pas faut e de lui rap­peler que, vis-à-vis des militaires, les recommandations ne sous-entendaient «( aucun e sorte de crédit à moins d'un ordre exp rès'J . »

Si, dans la majorité des cas, l'hôte reste dans l'expectative, attendant que

5. F.F.C. 362, ro 72. 6. F.F.C. 360, fo 101 ; Icttre de F. etCk' Weu er d'Orange, du 15. 10. 1766. 7. F.F.C. 362, fo 151 ; leu re de F. et C" Marcassus de Pu ymaurin de To ulouse 8. F.F.C. 359, f" 184; lettre de F. ct C" Sévène de Toulouse, du 16.4.1766. 9. F.F.C. 375, 1 de B. Fornier à S.A.F. Cie de Cadix. du 10.1 t.t 779.

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le recommandé se manifeste, il arrivait également que sa venue fût attentivement guettée. Ayant appris, en avril 1770, que Madame Clavière et ses fi1les, recom­mandées par Dominique Audibert fils, étaient arrivées dans la soirée, B. Fornier les fit « enlever de leur mauvaise auberge » pour qu 'elles fussent conduites chez lui où elles soupèrent et couchèrent, avant de partir, le lendemain, pour MOfltpellier10

• Deux ans auparavant, parce qu ' il désirait honorer le fils du trésorier de la douane de Cadix dont le passage lui avait été annoncé, le même B. Fornier fit avertir les auberges et la poste de l'informer au cas où ... ".

Il n'en allait pas toujours de la sorte. Quoique munis de plusieurs lettres de recommandation émanant de P. Lemoine, un des directeurs de la Compagnie des Indes, et de Barbey, premier commis aux finances, le fabricant carcassonnais Pont Cadet et son compagnon de voyage, un dénommé Chambon, de Versailles, en furent pour leurs frais; une lettre à eux adressée à l'hôtel du Petit Louvre les informa qu'ils n'avaient guère de chance de recevoir des commandes de la compagnie. Peut-être parce qu'ils s'étaient montrés trop pressants, sans doute du fait que des informations man­quaient sur la qualité de leurs draps et la fiabilité de leur entreprise, ce fut une fin de non recevoir dûment motivée qui leur fut signifiée12 •

Quant au chevalier Croft, recommandé par la maison marseillaise J.L. Ployard et Ci~ , ce fut pour une tout autre raison qu'il ne pût être accueilli en mars 1768 ; inquiet de son retard, B. Fornier le fit demander à l'auberge « où descendent ordinairement les Anglais », où on lui confirma le passage dudit sieur avec une milady et un jeune enfant qui, en raison du froid, étaient restés dans leur appartement, où ils firent un trop grand feu, incen­diant le plancher et causant une vive alarme avant de plier bagages et de s'éclip­ser sans voir personne, mais en laissant trois louis pour remédier aux dégâts occasionnés". Quelques mois plus tard, le même B. Fornier déplora de ne pou­voir venir rencontrer, à l'hôtel du Luxembourg, le Piscenois Claude Dechan, car il recevait, le jour même, Madame Peyre, épouse du négociant protestant bordelais et fille d'Audibert de Marseille. Il y avait quelquefois presse ...

L'empressement plus ou moins manifeste à rendre des « politesses »aux visi teurs s'applique à toute une gamme de services occasionnant un déran­gement d'intensité variable.

10. F.F.C. 363, fo 220 ; lettre de F. et C i< à Audibert fils de Marseille, du 30.04.1770. II. F.F.C. 362, fo 74; lettre de F. et Ci< à S.A.F. et Cie de Cadix, du 11.10.1768. 12. F.F.C. 361, fo 181 - 182; lenres de F. et C< à Pont de Carcassonne, ct Lemoine de

Paris, des 18/3 et 23/3/1768. 13. F.F.C. 361, fO 179; lettre de F. et C i< àJ.L. Ployard ct C i< de Marseille, du

14.03.1768

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Le domicile du négociant hôte sert d 'abord de poste restante pour le cour­rier destiné au visiteur; on sait à quel point les négociants étaient constam­ment à l'affût des nouvelles pour comprendre combien étai t importante cette fonction. En février 1766, une lettre destinée à Desjardins, associé d ' une grande maison rémoisc, étant arrivée au lendemain de son départ, c'est à Dijon qu 'clic fût expédiée pour être remise à son des t inataire'· ; inversement, le courrier adressé à un recommandé pouvait rester en souffrance si ce dernier avait modi­fié son it inéraire et occulté son passage à NÎmes'~ .

Mobiliser des espèces pour répondre aux besoins d'un visiteur auquel avait été ouvert un crédit n'était pas toujours tâche aisée; en mars 1768, la maison Scimendy de Marsei lle ayant informé cell e de Nîmes de l'ouverture d'un créd it de 30 000 L.t. à consentir aux sieurs Meynard ct Borrcl y qui se présentèrent plus tôt que prévu pour en bénéficier, B. Fornier, faute de trou­ver des pièces d 'or en quantité suffisante, ne put rassembler entièrement parei lle sommel6

• C'est pour cela, en sus du souci de ne pas se trouver en prése nce d'un mauvais débiteur éventuel, qu'i l était d'usage que celui qui délivrait une lenre de crédit, indiquât la somme à ne pas dépasser, estimât les besoins du recommand é, ct p réc isât la marche à suivre pour être remboursé '7 •

Trouver un logement pour des voyageurs désireux de séjourner quelque temps dans la cÎré l8

, leur re ndre visite d e temps à autre pour s'enquérir de leurs besoins éventuels et se rappeler opportunéme nt à leur bon so uveni r, re leva ient, ce la va sans dire, d'une élé men taire courto is ie. Ega le ment recommandé par J.L. Ployard, M. de Cheusses, dont la santé était « furieu ­se me nt dél ab rée », lo ua pour six mo is, à l'automne 1766, un apparte­ment « fort agréab le» près de la fontaine; notre négociant nîmois s'e nga­gea à lui rendre « tous les secou rs ct les services» qui dépendaient de lu i, affirmant se faire un plaisir d'all er de temps en temps lui réitérer les « assu­rances de son empressement li> ct lui compter l'argent dont il aurait besoin '''. Il agit, en l'occurence, de concert avec M. de Ségu ier auquel il avait été éga­lement adressé.

Aux fo nctio ns de postier, de banquier et de philanthrope, il convient d'ajouter celle de cicérone. Facili ter la con naissa nce des maisons de com­merce les mieux accréditées, autrement dit les plus solides, ainsi que celle des fabricants de soieries, de burates et autres bas de soie les plus réputés aux

14. F.F.C. 359, (° 14 1; lettre de F. et C" à Sutaine Depe rte Desja rdins ct Co' de Reims. du 17.02 .1766.

15. F.F.C. 362, fO 185 ; lettre de F. ct C " à S.A.F. et Cie de Cadix, du 22.03.1769. 16. F.F.C. 36 1, (0 176; lettre de F. et C " à j. Ct L. Seimand y de Marseille, du

9.03. 1768. 17. F.F.C. 359, (° 184; cf. note 8. 18. F.r-.C. 360, fo 108; lett re de F. et C '" à Ph' Duc de Montpell ier, du 23. 10.1766. 19. F.F.C. 360, fO 103 ; lettre de F. ct C " à j.L. Ployard de Marseille, du 17.10. 1766

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hommes d'affaires de passage relevait de la routine; Desjardins de Reims, Marani de Lille, Jourdain fils de Troyes, Isnardi, Chardenon, Delabat et Massip, de Cadix, et bien d'autres encore y passèrent le plus clair de leur temps.

Joindre l'agréable à l'utile s'avérait primordial dès lors que les visiteurs effectuaient un voyage d'agrément. « Nous espérons que nos monuments, nos cabinets, nos fabriques, nos promenades et notre empressement à lui rendre son séjour agréable l'arrêteront ici plus longtemps que vous ne fîtes» ; adres­sés en septembre 1766 à M. de Montaran, ces quelques propos de B. Fornier constituent une esquisse de programme à l'occasion de la visite que devait lui rendre son fils 20. Dans une lettre adressée, deux ans plus tard, à son ami Marcassus de Puymaurin, le même B. Fornier détaille l'emploi du temps de l'épouse et des enfants du fabricant, lors du rapide séjour qu'ils effec­tuèrent à la fin août 1768 : « Vos voyageurs vinrent hier de Lunel à Aubais et arrivèrent ici au fort de la chaleur (30 août). Je fus tout de suite les joindre, et malgré leur fatigue du matin ils ne voulurent point perdre du temps, et je fus les accompagner aux arènes, au collège, à la maison carrée, aux fabriques, à la cathédrale, à la fontaine ct chez M. de Séguier. Nous vînmes ensu ite souper, ils se couchèrent à bonne heure et sont partis ce matin vers le pont du Gard, et coucher à Avignon ou tout au moins à Villeneuve!1. »Ainsi, en une paire d'heures, l'essentiel des antiquités et des curiosités de la cité nîmoise avait pu être montré aux visiteurs qui bénéficièrent de deux services supplémentaires réservés aux familiers et à ceux dans les bonnes grâces des­quels on souhaitait entrer ou demeurer: le gîte et le couvert. Le négociant se muait alors volontiers en aubergiste, logeur ou hôtelier.

Dans sa maison, proche de l'amphithéâtre et de la place du marché, B. Fornier disposait d'appartements dans lesquels il pouvait héberger les vis iteurs de marque; à l'automne 1765, M. et Mme de Montaran y séjour­nèrent trois jours Z2

, tout comme leur fils, consei ller au Parlement de Paris, avec son compagnon de voyage, l'année suivante, ou encore des négo­ciants de renom comme les Audibert, Hugues et autres Lenormand, et sans doute aussi l'inspecteur des manufactures John Holker. A la mi-juillet 1767, peu avant la foire de Beaucaire, le maître de maison écrivit à Daru, secré­taire en chef de l'intendance de Languedoc: «Je voudrais bien pouvoir vous être bon à quelque chose et, si je ne craignais pas de désobliger notre ami com­mun M. Tempié -le subdélégué en résidence à Nîmes - je voudrais bien que vous me fissiez l'honneur d'accepter chez moi une salade et un lit que je vous offre de bon cœur, au cas que vous fassiez le voyage avec M. l'Intendant­Saint-Priest en "occurence - et que M. Tempié ne puisse pas avoir le loisir

20. F .F.C. 360, fO 76 ; lettre de F. et C'< à M. de Montaran, du 19.9.1766 21. F.F.C. 362, fo 57; lettre de F. et Ci< à Marcassus de Puymaurin de Toulouse, du

31.8. 1768. 22. P.F.C. 359, fo 65; lettre de F. el C" à M. Cazaban de Carcassonne, du 16.04.1770.

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de vous loger » ll . C'est bien une pension complète qui était ains i offe rte, d'autres visiteurs devant se contenter des seuls dîners et soupers; informé du prochain passage du grand fabricant de draps de Carcassonne P. Pinel qui se rendait à Marseille en compagnie de son épouse et de sa belle-fille, B. Fornicr s'empressa de lui adresser ces quelques mots: « Nous espérons que vous voudrez bien accepter notre soupe ct notre salade et nous prévenir du jour auquel nous devons vous attend re » 14,

Une soupe et une salade ... Serait-ce à dire qu e la table d'hôte ne four­nissait que des po rtio ns congrues? Auquel cas, était-il bien indispen­sable d'être annoncé? La prése nce dans le fonds Fornier de qu elques li asses de factures permet de préciser la teneur des repas servis H

, E n décembre 1772, à l'occasion de la visite de Marcassus de Puymaurin, un dîner ct un souper furent donnés et il fut fait appel, comme à l'accoutumé, au trai­teur Raryé. Au dîner, une tourte de grives, un rôti de deux bécasses, des arti ­chauts frits comme entremet, des écrevisses, un ragoût de cardes et un autre de truffes constituèrent l'essentiel. Le souper gagna en consistance et en variété : après un hors d'œuvre de côtelettes au jus, de haricots ct d'ailerons de dindes, les entrées se composèrent de deux poulets en fricand eau, d 'une grenade, et d'une dinde farcie de truffes; après deux perdreaux et trois pluviers dorés en rô ti, un entremet de pommes glacées précéda quatre ragoûts d'écrevisses, de cardes au blanc, de ris de veau avec des huîtres et d 'art ichau ts à l'espa­gnole. Le tout pour un montant de 51 L. lOs ... La conclusion est sans appel : lorsq u'il parle de salades, B. Fornier ne fait qu'en dire ... et on peut co m­prendre qu'il ait éprouvé quelque tendance à l'embo npo int16

Au lendema in de la visite du chef de la mai so n cadita in e Sahuc, Deplanhol et CO' , laquelle figurait parmi l'é lite des établ issements français présents en Andalousie, ledit Barthélemy écrivit à ses frères: « M. Sahuc nous dit hier à dîner les choses les plus satisfaisantes de votre cond uite, de votre santé, et de l'amitié et confiance de tout Cadix pour vous »27. On l'aura compris, recevoir es t une occasion pour s'informer, se procurer toutes sortes de renseignements, tant sur l'état des affaires que sur les ta lents et les fai­blesses de ceux qui s'y livraient. La sociabilité négociante es t une co mpo­sante essentielle du jeu de l'échange.

Le jeu, il est vrai, ne paraît guère avoir été du goût de nos hommes d'affaires protestants; lors du court séjour qu'il fit à Marseille, en août J 768, avant de

23. F.F.C. 361, fO 40; leure de F. ct C ' à M. Daru de Montpellier, du 18.07.1767. 24. F.F.C. 363, (0 210; leu re dc F. ct C ' à M. Pinel et fils dc Carcassonne, du 16.04. 1770. 25. F.F.C. 237-238. 26. R. CHAMBORU)ON, Fils de soie sur le théâtre des prodiges du commerce, la maison Cilly­

Fornierà Cadix ait XV II' siècle (1748-1786), Thèse de docto rat, Toulouse Le Mirail, 1995,3 vo l. Mult igr., Tomc l , p. 97.

27. F.F.C. 36 1, lettre de F. et C " à S.A.F. et C "' de Cadix. du 12.08. 1767.

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gagner Cadix, Jacques-Arnail Fornier, le frère de Barthélemy, soupa chez Payan où « on jouait un jeu d'enfer », ce qui l'incita à se retirer avec la« ferme résolution de ne plus voir pareilles fêtes »28 ; ayant dîné chez Peschier, Necker, Seimandy, Audibert, et rendu visite à Maystre, Delisle l'aîné, Rogon et Dengalière, Dolicr, PeHatan, la fine fleur du négoce phocéen, ainsi qu'à divers fabricants de chapeaux et d'étoffes pour le Levant, il en conclut qu'à Marseille les affaires et les plaisirs faisaient bon ménage, préférant pour sa part se consacrer aux premières plutôt qu'aux seconds, dût-il y consentir quelques sacrifices.

Le plaisir de posséder est loin de s'appliquer aux seuls biens matériels. Qu'on en juge. Au vicomte de Cambis, résidant à Orsan, près de Bagnols­sur-Cèze, B. Fornier répondit, en mars 1766: « Vous prévenez par vos remer­

. ciements les compliments que nous pourrions vous faire sur la manière dont nous vous avons reçu, et vous nous autoriserez à vous recevoir toujours de même. Nous vous en remercions, et cette convention cntre nous augmen­tera toujours le plaisir que nous aurons de vous posséder29

• » Remplaçons plaisir par bonheur, et nous retrouvons la même formule adressée à M. de Montaran ou encore à Girardot de Marigny dont on espérait un séjour pro­chain plus long, histoire de « resserrer une conversation » qu'un moment avait suffi à rendre « précieuseo ».

Sonder les reins et les cœurs, s'informer, nouer ou consolider des relations, faire sa cour, intercéder, chercher à user d'une possible influence, nous pourrions assurément allonger la liste des motifs qui amenaient les négo­ciants à ouvrir leur logis et leur bourse à des visiteurs de qualité. L'échange bien compris ne suppose-t-il pas la réciprocité? A l'occasion de la visite de M. de Montaran, le négociant nîmois s'efforça de restaurer la réputation et l'image de la fabrique carcassonnaise, intéressant son invité au sort du fils de l'Inspecteur des manufactures Cazaban qui aurait voulu qu'il lui suc­cédât - l'Intendant de commerce promettant de s'en entretenir avec le Contrôleur général-lui soumettant enfin le mémoire rédigé par un fabri­cant nîmois - Eynard- qui faisait filer et teindre en rouge bon teint du coton des îles J 1

• S'il prit la plume pour inviter ses cousins Audibert de Marseille à faire chorus en faveur des fabriques du Languedoc lorsqu'ils recevraient à leur tour ledit Montaran, qu'il n'était pas certain d 'avoir pleinement

28. F.F.C. 347, leure deJ.A. Fornier à B. Fornier, du 29.08.1768. 29. F.F.C. 3S9, fo 133; lettre de F. et C ' au vicomte de Cambis d'Orsan, du 10.02.1766. 30. F.F.C. 360, fo 97; lettre de F. et 0 ' à Girardot de Marigny de Paris, du 10.10.1766. 31. F.F.C. 359, fo 80; lettre de F. et O ' à M. de Montaran, du 6.11.1765.

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convai ncu12, il se félicita , auprès de la maison Solicoffrc ct Firler, implantée de même dans le port p hocéen, de voir combien ils partageaient les mêmes idées à propos de la liberté de fabr ication ct de vente, estimant les règlements nécessaires à seule fin de soutenir la réputation des fabriques qui en avaient un besoin u rgcneJ

• Interlocuteu r passager d ' un personnage proche des sphères du pouvoir, B. Farnier pouvait espérer s'cn prévaloir le cas échéant, pareille con naissance reh aussant par ailleurs sa propre réputation auprès de ses co nfrères en marchandises.

Discuter affaires cntTc écrevisses et artichauts o u autour d'une tasse de thé ou de chocolat, à mo ins que cela ne fît l'objet d ' une « co nférence ~) spé­cifique, demeurait un souci maj eur. Le passage de Dominique Audibert fils , en septembre 1769, fut mi s à profit pour amorcer un commerce de vermillon entre la maison de Cad ix et la sienne)~ ; celui de L. Rolland, de Constantinople, qui se retirait du Levant pour s'établir à Marseille, ne manqua pas de sus­citer maintes espérances de relations suiviesJS ; suite à la dizaine de jours qu' il avait passés à Nîmes, le fils Hugues apparut à B. Fornier peu au courant des affaires et « sans expérience », moyennant quoi il l'intéressa à deux affaires de grosse pour le compte de la société de Cadix, une façon comme une autre d'être tant soit peu dédo mmagé du temps qu ' il lu i avait co n sacré"'~ . Jaugé. jugé, pesé, so upesé, et fin alement ca talogué, tout visiteu r ne manq uai t pas d'être passé au crible, soumis à la perspicacité du jugement de celui qui l'acc ueillait , et réciproque ment. ..

(( M. Berger, de Lyon, nous a paru fort instruit sur le commerce des grains. Nous correspondrons avec plaisir avec lui et s' il vous convenait ain si qu'à nous, de fa ire quelque chose de ce côté là, il mériterait à tous égards la pré­fé rence » 37 ; ad ressés à J. Médard, de Lunel, pareils propos mettent en évide nce un exame n de passage réuss i. L'impression retirée de la ren­contre avec Fraissinet. de Toulouse, et commun iq uée aux Vernède d'Amsterdam rend un tout autre son de c1oche: « Cette maison fait beau­coup, mais mal. Son bien n'est pas connu et n'est sans doute pas rclatif à leu rs affaires puisque bien des fabricants de Carcassonne profitent fréquemment pour l'achat de leur laine, des besoins de vendre de cette maison qu i est tOu­jours affamée d'a rgent, qui tiraille beaucoup et marche su r les traces de la maison Duclos - laque lle avai t fait faillite - en faisant bien moi ns qu 'elle, mais à ce qui paraît bien au-dessus de ses forces »38. De tels jugements, rés ul -

32. F.F.C. 359, fa 71 ; lettre de F. el Co' à J. el G. Audiben de Ma rseille, du 23.10. 1765 33. F.F.C. 359, fO 107; letlre de F. et C~- à à So li coffre et Fitlcr dc Marsei ll e, du

3.01. 1766 34. F.F.C. 363, fO 66; Icnre de F. Cl C' à S.A.P. et Cie de Cadix, du 27.09.1769. 35. F.F.C. 363, fo 60 ; lettre de F. et Co,· à S.A.f. et Cic dc Cadix, du 20.08. 1769 36. F.F.C. 365, fa l OI ; lettres de F. et C~· à S.A.F. ct Cie, des 17.09 el 1.1 0. 177 1. 37. F.F.C. 359, fa 114 ; lettre de F. ct C·· à Méda rd de- Lunel, du 10.1.1 766 38 . F.F.C. 360, fO 43; [eurc de F. Ct C '" à B. Vernède d 'Amsterdam, du 14 .08.1766.

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tant d'une connaissance personnelle et du recoupement d'informations col­lectées çà et là, abondent au sein des registres de correspondance, cette der­nière prolongeant les visites reçues ou effectuées.

A la nouvelle que son visiteur Alevio, de retour à Cadix, avait décidé de se lancer dans les affaires, B. Fornier ne tarit pas d'éloges: « Nous vous féli­citons de votre établissement dans le commerce dont personne n'est mieux en état que vous de recueillir les fruits, par tous les avantages de votre famille, de votre fortune, de vos amis et de vos voyagesJ9 » ; l'exquise politesse du propos ct un rien d'emphase nous rappellent, par delà les coquetteries du style, que Miguel Alevio, le père du destinataire, occupait un poste de responsabilité à la douane ct qu'on pouvait être amené à utiliser ses services, en particulier dans ce paradis des contrebandiers qu'était le port andalou40

A ses frères qui lui firent part du désir de la maison Bérard, de Honfleur, dont un associé était passé par Nîmes dans le courant de l'année 1769, d'entre­prendre des affaires avec le comptoir cadi tain, B. Fornier conseilla de prendre des renseignements auprès des banquiers parisiens Tourton et Baur avec lesquels cet établissement correspondaie1

• Une première impres­sion peut être trompeuse, et la prudence demeure une vertu cardinale du négoce.

Recevoir avec pompe des personnages bien en cour, des hommes d'influence en quelque sorte, pouvait laisser espérer une contrepartie; plusieurs courriers adressés à M. de Montaran pour plaider la cause de la réunion du corps des marchands à celui des fabricants de la cité nîmoise en sont la preuve42

, de même que le passage suivant de la missive adressée à son fils au debut 1768 : « Nous vous prions bien instamment de consentir de pré­senter nos respects à M. votre père; faites nous la grâce de lui demander s'il croit les directeurs des postes autorisés à faire ouvrir en leur présence toutes les lettres contresignées et à faire payer le port de celles qui ne renferment pas la signature du ministre contresignée; cette prétention nous paraît ridicule et elle est cependant rigidement observée dans le bureau de Nîmes et votre lettre a été dans ce casH ». Attachés au secret des affaires, et recourant à l'occasion à des pratiques permettant d'éviter de payer quelques droits, nos négociants étaient assurément apôtres en flexibilité. Si nous ignorons quelle fut la part des recommandations qui facilitèrent, en sus des talents et des mérites qui étaient les siens, l'obtention des lettres patentes conférant la noblesse à François Fornier et à sa descendance au prin-

39. F.F.C. 363, fO 28; lettre de F. C( C ' à E.j. Alevio de Cadix, du 14.8.1769. 40. R. CHAMBORDON, Fils de soie, op. cit., Tome l, pp. 192-196. 41. F.F.C. 363, fO 188; lettre de F. et C ' à S.A.F. et Cie de Cadix, du 19.3.1771. 42. F.F.C. 359, fO 139; leure de F. ct C ' à M. de Montaran, non datée, mais très vrai­

semblablement du 14.02.1766. 43. F.F.C. 361, fO 156; leure de F. ct C;' à M. de Monblin de Paris, du 15.1.1768.

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temps 1774, on peut supposer à bon droit que John Holker, Trudaine, Montaran, œuvrèrent dans ce sens, faisant jouer, chacun de son côte, les réseaux dans lesquels ils étaient insérésH

• L'art de bien recevoir méritait récompense, ce d'autant qu'il n'était pas exempt de désagrements et n'avait rien d'une siné­cure.

En avril 1769, ROSlagny de Marseille et Alevio de Cadix ne purent être hébergés au domicile du négociant nîmois dont l'épouse, Suzanne André, était en couches~5 ; au début février 1767, notre négociant hôte reçut une lettre lui annonçant la suspension de la maison Fisher, de Londres, dont le chef, à lui recommandé par son parent David André, était venu séjourner à Pézenas avec sa petite famille, s'arrêtant à l'aller et au retour à Nîmes où vingt­cinq louis d'or lui avaient été remis ainsi qu'une lettre de crédit de 1 800 L.r. sur la maison André de Lyon. Afin de limiter le risque, B. Fornicr expédia exprès un commis à Montélimar pour obtenir la restitution de la lettre, « démarche désagréable ~~ scion ses propres termes, qui lui valut en retour « une épître décente et sèchement bien tournée4b », Ayant appris de la bouche du comte Potocki - celui qui devait trouver un manuscrit à Saragosse .. , - qu'il comptait se rendre à Cadix, B, Fornier, que les diamants de cet aristocrate polonais avait impressionné, invita les gérants du comp­toir andalou à se « tenir en garde contre ses trop fréquentes visites à l'heure du dîner », et à lui refuser tout crédit - encore qu'il le jugeât" hon­nête homme ~) - leur faisant part de la fatigue que ne manq uaient pas d'occasionner son « désœuvrement )) et son « assiduité » dans les maisons où il avait ses entréesH

, Il est parfois des importuns qui s'incrustent .. , Lecouteulx de la Noraye, membre éminent de celle grande famille de la banquc catholique qui prospéra de Rouen et Cadix à Paris48

, n'eut pas le loisir d'être du nombre: à peine venait- il d'arriver, en septembre 1779, en compagnie de son neveu, dans une des auberges du faubourg dc la Couronnc, qu'il fût victime d'une {( attaque de goutte remontée » et passa de vie à trépas, ce que Barthélemy Fornier ne put que déplorer.

Ponctuelle, diffuse, courante, d'allure et d'intensité fort variables, cette forme de sociabilité que représentent les réceptions au domicile des négo-

44. f.F.C. 68. 45. F.F.C. 3620, fO 197; lettre de F. et C " à P. Pinel et fils de Carcassonne, du

14 .04.1769, et (0 200, lettre de F. et Cie à S.A.F. ct Cie de Cadix, du 19.04.1769. 46. F.F.C. 360, fo 189, lettre de F. et Cie à D. André de Londres, du 18.02.1767. 47. F.F.C. 376, fO 189, Jeltre de F. ct Cie à S.A.P. et Cie de Cadix. du 30.11.1780 48. F.F.C. 375, (0 189, lettre de F. ct Cie à Lecouteul et Cie de Paris, du 20.09.1779.

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ciants s'inscrit dans la logique des réseaux relationnels dont l'existence, l'éten­due et la densité du maillage étaient souvent fonction de la plus ou moins grande ampleur et de la diversité des affaires brassées.

Etroitement liée aux nombreux voyages qu'accomplissaient ceux qui com­merçaient « sous balle et sous corde », et étendue à leurs parents ct amis, elle contribua à la diffusion et à la consolidation d'une culture et d'un art de vivre, aux côtés des lieux de sociabilité plus spécifiques que constituaient les sociétés savantes et les loges maçonniques.

Visiteur ou visité, le négociant-hôte approfondissait ainsi sa connais­sance du négoce et des acteurs qui s'y livraient de près ou de loin, tant pou­vaient être étendues ses ramifications qui atteignaient les différentes strates du corps social ainsi que l'attestent les sources notariales et privées.

Par le jeu des recommandations et leur reciprocité, était renforcée la cohé­sion sociale d'un milieu prompt à se féliciter de toute connaissance nouvelle et à en communiquer l'information: « Nous avons été empressés (de) concourir à leur agrément et nous félicitons d'y avoir réussi de manière à les convaincre qu'ils nous devenaient chers par votre recommandation )', écrivait B. Fornier à ses cousins d'Amsterdam consécutivement à la visite de leurs recommandés~'1. « Je vous remercie de ce que vous me dites et de ce que vous faites d'obligeant à l'occasion de ma recommandation » , coucha­t-il sur le papier à l'intention de son ami Marcassus de Puymaurinso. Pareils propos ne contribuaient pas peu, par delà la pratique dont nous avons fait état, à consolider les liens entre praticiens du négoce et, par effet de miroir, à donner une image flatteuse de leur personnalité et de leur milieu. L'élé­gance du style, la courtoisie de l'accueil, pouvaient quelque peu réchauffer les eaux glacées du calcul égoïste qu'évoqua Nazim Hikmet.

Robert CHAMBOREDON

49. F.F.C. 362, fO 106, lettre de F. ct Cic à Vernède et Cie d 'Amsterdam, du 24.22.1768. 50. F .EC. 362, fO 151, lettre de F. et Cie à Marcassus de Pu ymaurin de Toulouse, du 1.2.1769.