Le Monde - 07 05 2020
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JEUDI 7 MAI 202076E ANNÉE– NO 23428
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LE MONDE DES LIVRES – 4 PAGES ASSISES DU ROMAN ; LE PANGOLIN, OU LA CONTINGENCE DANS L’HISTOIRE
LE REGARD DE PLANTU
Dans un jugement rendu public mardi, la Cour constitutionnelle allemande exige de la Banque centrale européenne qu’elle justifie son programme d’achat de dettes (« quantitative easing ») lancé en 2015PAGES 14-15
EconomieLes juges allemands mettent la BCE sous pression…
Selon les prévisions de la Commission qui doivent être publiées mercredi, l’UE va voir son PIB chuter de 7,4 % en 2020. Il lui faudra deux ans pour s’en remettre. Et les divergences entre l’Europe du Nord et du Sud se seront encore accruesPAGE 14
… alors que les prévisions de l’UE sont très sombres
Les résidents des établissements pour personnes âgées dépendantes représentent la moitié des victimes de l’épidémie. Faute de masques et de testsPAGES 2-3
EhpadDes retards et des carences catastrophiques
COVID : LA BATAILLE DE LA PROTECTION JURIDIQUE ▶ Après la lettre desmaires réclamant le reportde la réouverture desclasses, les associationsd’élus lancent unenouvelle offensive
▶ A leur demande, la majorité sénatoriale a adoptéun amendement quirestreint la responsabilitépénale des maires en casde contamination
▶ Cette modificationa été adoptée lundi contrel’avis du gouvernement,qui fait valoir le risquede rupture d’égalitédevant la loi pénale
▶ De leur côté, six organisations d’employeurs dontle Medef ont égalementobtenu du Sénat davantagede protection juridiquePAGES 8-9 ET 12
Le manifeste de Nicolas Hulot
pour l’après-Covid▶ Dans un entretienau « Monde », l’exministre prône une« transformation radicale et cohérente » etdétaille ses priorités
▶ « J’espère que cettecrise va éveiller les esprits », ditil, invitantle chef de l’Etat à engager « un vrai changement de modèle »
▶ « C’est le moment dedébattre du revenuuniversel ou de la revalorisation des métiers vitaux », indiquetil à titre d’exemple
▶ Juliette Binoche, IggyPop, Madonna et 200 artistes refusent un retourau monde d’avant et à sacatastrophe écologiqueP. 10-11 ET IDÉES P. 28 À 30
EuropeL’extrême droite ne semble pas tirer profit dela crise sanitairePAGES 6-7
GéopolitiqueD’un chaos transitoire émergeune nouvellenormalitéCHRONIQUE – PAGE 31
AnalyseLa mémoire collective blesséede l’ancien empire soviétiquePAGE 18
1 ÉDITORIALL’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE N’EST PAS DÉFENDABLEPAGE 31
Le milliard de masques chirurgicaux achetés lors de la crise du virus H1N1 a semblé en 2010 inutile et onéreux. Troisième volet de notre sérieHORIZONS – PAGES 20-21
Enquête2010 : les stocks de masques abandonnés
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2 | CORONAVIRUS JEUDI 7 MAI 20200123
Ehpad : autopsie d’une catastrophe annoncée
Plus de 12 700 résidents d’Ehpad sont morts du Covid. « Le Monde » a enquêté sur les dessous de cette tragédie, dans laquelle deux tiers des établissements ont déclaré avoir eu une contamination
D epuis le début l’épidémie,plus de la moitié des25 531 victimes du Covid19vivaient en maison de retraite. Au total, quelque12 769 résidents en Etablis
sements pour personnes âgées dépendantes(Ehpad) sont morts depuis le 1er mars, selon le dernier bilan de Santé publique France. Parmi eux, 3 298 sont décédés à l’hôpital.
Alors que les portes de leurs établissements s’ouvrent de nouveau aux familles,directeurs, soignants, médecins estiment avoir mené « une guerre sans arme », sur « unfront sousestimé » par le gouvernementavec des « directives ministérielles peu claires,inadaptées » et « corrigées » trop tard. Pour ces sentinelles du grand âge, des vies auraient pu être épargnées. « On a vécu une tragédie », s’afflige Malika Belarbi, déléguée nationale CGT et aidesoignante dans lesHautsdeSeine.
Alors que les premières plaintes en justicede proches de résidents décédés visent l’Etat mais aussi des Ehpad privés lucratifs, « il n’estpas question que l’on paye l’addition pour tout le monde », prévient Florence ArnaizMaumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). De bonne guerre, elle braque les projeteurs sur les tutelles. « Force est de constater que quandOlivier Véran [ministre des solidarités et de lasanté] a repris nombre de nos demandes, l’administration a déroulé derrière. Mais on a perdu un mois et demi. Un retard à l’allumagesans lequel, affirmetelle, on peut penser qu’il y aurait eu moins de morts. »
Le secteur des Ehpad privés non lucratifsest tout aussi sévère contre l’exécutif. « Il y a eu un retard coupable de la prise en comptede la situation dans les Ehpad », lance MarieSophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés (Fehap). Le gouvernement n’est toutefois pas le seul fautif, à ses yeux :« A chaque crise sanitaire, la France a pour réflexe de protéger la filière des soins, donc l’hôpital. A l’inverse, les pays nordiques, de cultureanglosaxonne, l’Allemagne notamment,prennent d’abord en compte la situation despersonnes vulnérables. »
Au sein de l’Etat, « la gestion de crise s’estfaite, comme souvent en pareilles circonstances, de façon séquencée, observe l’ancienne secrétaire d’Etat, aujourd’hui présidente de laCaisse nationale de solidarité pour l’autonomie, MarieAnne Montchamp. La surchauffe à l’hôpital a fait qu’on a manqué de cerveau disponible pour piloter les Ehpad sans, pour autant, laisser suffisamment la capacité auxacteurs de s’organiser sur le terrain ».
Au ministère de la santé, on préfère voirdans ces mises en cause un « jeu d’acteurs » et l’on balaie les reproches. « Il n’y a eu aucundécalage entre la gestion de la crise à l’hôpitalet dans les Ehpad. Elles ont été menées en même temps. La prise de conscience des problèmes a été simultanée. C’est irréfutable ! », riposteton dans l’entourage d’Olivier Véran. Preuve en est que « beaucoup de décisions ont été prises début mars pour le secteurmédicosocial » : les visites en Ehpad ont ainsiété interdites dès le 6 mars, bien avant le confinement national.
L’Etat a beau réfuter tout manquement, lesEhpad n’en ont pas moins livré bataille à armes inégales selon les territoires, notamment en BourgogneFrancheComté et dans
le Grand Est. Si le virus a décimé plus de résidents à l’est qu’à l’ouest, le Covid19 est entrépartout : pas moins de 66 % des établissements ont déclaré un cas de contamination. Ouvrir la boîte noire de cette catastrophepermet d’en mesurer les ressorts.
Des carences en masquesCe premier constat est unanime. Le manque de masques a conduit les soignants à transmettre le virus à des résidents qui l’ont payé de leur vie. La peur de la pénurie à tous les étages – au niveau de l’Etat, des Agences régionales de santé (ARS) et des directeursd’Ehpad – a conduit à un engrenage funeste.
Depuis le début, assure le ministère, lesEhpad ont été « prioritaires ». Pourtant, la distribution de masques à large échelle n’adémarré que le 22 mars. Entretemps, malgréun approvisionnement au gré des demandes, les Ehpad ont manqué de visibilité surl’accès à de nouveaux stocks. L’Etat ayantréquisitionné la production nationale et les importations de masques jusqu’au 21 mars, il leur était quasi impossible de s’en procurersur le marché. La peur du manque s’est répandue. Des directeurs les ont distribués aucomptegouttes. D’autant que protocole duministère les y encourageait puisqu’il préconisait le port de masques en cas de Covid avéré ou suspecté. Et non de manière préventive. Certains directeurs ont même étéjusqu’à les mettre sous clé.
Le 22 mars, Olivier Véran annonce ladistribution de 500 000 masques par jour. Dès lors, la doctrine évolue : tout Ehpad devra recevoir des masques à raison de deuxpar résident, « même s’il n’a pas de cas de Covid », précise le ministère.
Malgré de multiples consignes envoyéesaux ARS pour clarifier la ligne auprès desEhpad, « un cafouillage » sur les règles de distribution a perduré, selon un acteur le dossier. Aidesoignante dans un Ehpad associatif à Montreuil, Maya (le prénom a été modifié) a vécu des situations qui l’ont révoltée. « J’ai vu des collègues, faute de masque et de surblouse, refuser de rentrer dans les chambres de malades du Covid. Des résidents sontalors restés sans médicament et sans manger.Les infirmières n’ont pas voulu aller non plus àleur chevet pour leur prodiguer leur traitement. Certaines avaient pourtant accès auxmasques, contrairement aux soignants. »
« Il y a eu une sousestimation initiale desbesoins des Ehpad parce que l’attention des pouvoirs publics a été concentrée uniquement sur ce qui se passait en réanimation, confirme Marc Bourquin, conseiller stratégique de la Fédération hospitalière de France (FHF). On peut le comprendre mais c’était uneerreur, la suite l’a prouvée. Ce n’est pas faute d’avoir alerté sur la nécessité de traiter les Ehpad comme on a traité l’hôpital. »
Un manque de testsA Chichilianne en Isère, le maire a déposé unbouquet de jonquilles sur la tombe de Georges Joubert au début du printemps. Le médecin urgentiste, venu pour tenter de réanimerl’ancien enseignant, dans sa chambre à la maison de retraite à Marseille, a obtenu qu’ilsoit testé in extremis, raconte sa fille, Catherine Duba Joubert. « Il l’a été sur son lit de mort alors que je demandais depuis des jours à la direction de l’établissement qu’il soit dépisté. » Le résultat indiquant qu’il était por
teur du Covid19 est arrivé après son décès… « Un test réalisé plus tôt aurait permis qu’il soit soigné », soupire celle qui a enterré son père le 8 avril au pied du mont Aiguille.
Au sujet des tests, la critique des acteurs estpresque aussi virulente. La ligne initiale du ministère a d’abord été restrictive : à partirde trois cas testés positif en Ehpad, il leur a été recommandé de cesser le dépistage, considérant que le foyer infectieux était identifié. Quand, le 30 mars, le Conseil scientifiquechargé du suivi de l’épidémie indique « que les nouvelles capacités de tests diagnostiques devraient être prioritairement orientées vers les établissements médicosociaux », rappelle le ministère, il a « été alors décidé de flécher une immense majorité de ces nouvelles capacités de tests vers les Ehpad ».
La doctrine a failli être fatale pour JeanneSimon. Sur la foi d’une petite fièvre, cette résidente d’un Ehpad privé à Marseille a été placée dans l’aile des résidents qui montraient des symptômes du Covid. Trois testsconsécutifs ont établi après coup qu’ellen’avait pas contracté la maladie. Jeanne a retrouvé sa chambre mais, regroupée une dizaine de jours avec des malades, elle a couru le risque d’être contaminée faute de test préalable. Comme la fille de Georges Joubert,Marina ne peut s’empêcher de penser que son père aurait pu être sauvé s’il avait été testé plus tôt. En convalescence dans un établissement privé à Sartrouville (Yvelines),« mon père n’a été testé que parce que l’hôpital où il devait être transféré a exigé qu’il lesoit ». C’est seulement au lendemain de son décès que le test a révélé qu’il était positif.
Certains Ehpad et quelques ARS se sonttoutefois affranchis de la consigne des « troistests maximum » pour dépister largement les résidents avant le 6 avril. L’ARS de la NouvelleAquitaine a initié dès la fin mars un dépistage systématique des résidents et despersonnels de tous les Ehpad dès la premièresuspicion de Covid. En ProvenceAlpesCôtéd’Azur, le dépistage généralisé des résidents de l’Ehpad de Mauguio (Hérault) a permis dedétecter des symptômes de la maladie jusquelà inconnus (diarrhée, chutes).
Une prise en charge à l’hôpital inégaleTous les Ehpad touchés par le Covid ont étéconfrontés à la difficulté de la prise en chargedes malades. D’une région à l’autre, les chances de pouvoir les hospitaliser quand leurétat le permettait ont été très inégales. En
BourgogneFrancheComté, « nous avons eubeaucoup de refus de transferts de la part duSAMU ou des hôpitaux au début de la crise », rapporte la patronne du Synerpa.
Des refus liés à la saturation des hôpitaux,mais qui ont « été une perte de chance pour certains résidents, poursuit Mme ArnaizMaumé. Il a fallu attendre le 23 mars pour quele ministère installe une ligne directe permettant aux Ehpad de joindre le SAMU sans composer le 15, trop souvent saturé ». A partir de lafin mars, des lits ont été mis à disposition desEhpad dans des hôpitaux de proximité rappelle le ministère. « Les chiffres montrent que les personnes âgées et même très âgées ont été, au final, très nombreuses à avoir étéhospitalisées », faiton valoir. De fait, un peu plus de 43 % des personnes hospitaliséespour Covid ont plus de 80 ans. Avec toutefoisd’importants écarts régionaux. En IledeFrance, 20 % des résidents d’Ehpad victimesdu Covid sont morts à l’hôpital. Soit 1 000sur environ 5 000, depuis le 1er mars. Dans lesHautsdeFrance, ils sont environ 40 %.
Un modèle à revoirLa crise a aussi révélé les forces et desfaiblesses des Ehpad. « Les établissements intégrés dans les filières gériatriques, relève M. Bourquin de la FHF, ont pu bénéficier de moyens supplémentaires : équipes mobiles degériatrie, appel à des personnels hospitaliers,télé expertise. »
A l’inverse, un grand nombre d’Ehpadn’étaient pas préparés au choc. C’est le cas depetites structures communales démunies de tout matériel médical. Une partie de leursrésidents auraient eu sans doute plus de chances d’être sauvés s’ils avaient disposé d’appareil à oxygène mural, mais aussid’aidessoignants ou de médecins généralistes alentours prêts à venir en renfort. « Ceconstat ne fait qu’accréditer l’idée qu’il faut renforcer les liens des Ehpad avec l’ensembledes hôpitaux publics sur une même zone »,affirme M. Bourquin.
Le bilan humain de la pandémie « surlignequ’on ne peut plus reproduire le modèle de l’Ehpad tel qu’il existe aujourd’hui », abonde Jérôme Guedj, exdéputé (PS) de l’Essonne, missionné par Olivier Véran sur la protection des plus âgés pendant la crise.
D’ores et déjà, à marche forcée, en traversant la tourmente, les Ehpad ont dû acquérirde nouveaux réflexes. « Nous avons fortement avancé, en quelques semaines, dans le traitement de difficultés que l’on essayait de
« IL Y A EU UNE SOUSESTIMATION
INITIALE DES BESOINS DES EHPAD PARCE
QUE L’ATTENTION DES POUVOIRS PUBLICS A ÉTÉ CONCENTRÉE UNIQUEMENT SUR CE QUI SE PASSAIT EN RÉANIMATION »
MARC BOURQUINconseiller stratégique
de la Fédération hospitalière de France
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 3
A l’Ehpad de Thise (Doubs), le 16 avril. SÉBASTIEN BOZON/AFP
Dans quelles conditions sont morts les résidents atteints du Covid19Si les détresses respiratoires aiguës ne sont pas si fréquentes, les soins palliatifs sont compliqués à mettre en œuvre, assurent les soignants des Ehpad
TÉMOIGNAGES
C omment sontils morts ? Ontils été accompagnés aux derniers moments de leur vie ?
Ontils bénéficié de soins antidouleurlorsqu’ils en avaient besoin ? Telles sont les questions, lancinantes, que seposent les familles de ceux – et ils sontdes milliers – auxquels le Covid19, cesdernières semaines, a ôté la vie dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où ils résidaient. Sans queleurs proches, le plus souvent, puissent venir leur dire adieu, ni même assister à leur mise en bière.
Dans leur infortune, ces établissements ont eu une chance : la premièrevague de l’épidémie est survenue dans le GrandEst, région plutôt biendotée en matière de prise en charge du grand âge et d’organisation des soins palliatifs. Présent dans le HautRhin dès début mars, le coronavirusatteint rapidement le BasRhin. Le 15 mars, la barre du millier de cas déclarés est franchie dans le GrandEst. Les hôpitaux sont au bord de la saturation. Dans les Ehpad, lespremiers décès surviennent.
« Dès ce momentlà, notre ARS[agence régionale de santé] nous asaisis pour répondre à la crainte que lesrésidents développent des symptômes insupportables et que personne ne s’en occupe », relate Véronique Legrain, médecin au Réseau alsacien de soinspalliatifs. Très vite, cette structure de coordination appelle la dizained’équipes mobiles de soins palliatifs du territoire pour que chacune signale aux médecins coordinateurs des Ehpad de son secteur qu’elle est à leur disposition.
Le réseau établit une liste de médicaments et de matériels nécessaires,puis propose un « protocole simplifié pour la prise en charge symptomatique de la dyspnée sans intention de sédation et de la détresse respiratoire avec sédation profonde chez un patient âgé “Covid +” en Ehpad » – protocole qui sera par la suite amplementrelayé sur tout le territoire français. Enfin, il organise une astreinte d’infirmières libérales susceptibles de venir en renfort, la nuit, dans les Ehpad. Apartir du 30 mars, une astreinte téléphonique avec numéro vert est miseen place, pour laquelle gériatres et experts en soins palliatifs se relaient vingtquatre heures sur vingtquatreet sept jours sur sept pour répondre aux sollicitations des Ehpad. Environ quinze appels sont reçus par jour.
Avec toujours les mêmes questions : « Estce que je demande un transfert àl’hôpital ? » ; « Estce que je limite lessoins ? », « Si oui, avec quels médicaments ? »
« A partir de là, la situation est devenue à peu près contrôlable », résume Brigitte Klinkert. La présidente du conseil départemental ne le cache pas : le HautRhin n’était pas préparé àl’augmentation subite des décèssurvenue dans la deuxième quinzaine de mars. « On parle souvent de vague, mais chez nous cela a été un véritable tsunami, rappelletelle.Dans les Ehpad, la question de l’accompagnement en fin de vie s’est alors posée de manière cruciale. Et la situation a entraîné des situations difficiles, avecparfois un accompagnement insatisfaisant. » Le HautRhin compte 74 Ehpad, soit 7 183 places. Au total, 2 088 résidents y ont été suspectés ou confirmés « Covid + ». Le 28 avril, 630 d’entreeux étaient morts, dont 578 sur le lieude vie et 52 à l’hôpital.
« Fantasme collectif »Morts comment ? Moins mal, sembletil, que ce que l’on a pu craindre. Tous les soignants que nous avons interrogés le répètent : les personnes âgéesemportées par le Covid n’ont pas toutes connu une détresse respiratoire aiguë, tant s’en faut. « Les équipesdu GrandEst nous avaient avertis quecertains patients mourraient en s’étouffant. C’est ce que nous voulionsabsolument éviter, et nos propositions thérapeutiques sont allées dans ce senslà. Mais en fait, heureusement, cesdécès difficiles ne sont pas la majorité »,affirme Claire Fourcade, viceprésidence de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs(SFAP). « On est dans un fantasme collectif d’asphyxie, on imagine toutesces personnes âgées, seules dans leur chambre, en train de s’étouffer. La réalité est beaucoup plus nuancée. On peut mourir du coronavirus par épuisement, sans passer par la détresse respiratoire », confirme Véronique Legrain.
« Sur les 29 résidents de notre Ehpad,27 ont été atteints du Covid, et douze ensont morts, détaille Xavier Mattelaer,médecin de soins palliatifs à la clinique de la Toussaint, grosse structuremédicale située au cœur de Strasbourg (BasRhin) dont l’Ehpad a dûgérer un cluster. « Au départ, on se disait : “Ils sont tous âgés, ils ont tous descomorbidités, donc ils vont tous mourir d’une détresse respiratoire horrible.”Mais, finalement, on a eu onze patientsasymptomatiques – dont une rési
dente qui va fêter mercredi prochain ses 100 ans est qui est en pleine forme. Et sur les douze résidents que nousavons perdus, il y a eu des détresses respiratoires, mais ça n’a pas été la règle. »
A La Roselière (Kunheim, HautRhin), Ehpad doté d’un médecin et de huit infirmières, on déplore douzemorts sur 115 résidents. Mais aucun cas de détresse respiratoire aiguë. « Laplupart sont morts durant la journée, quasiment d’un instant à l’autre. Comme si l’infection avait accéléré leurdégradation générale avant qu’ils n’arrivent à des complications pathologiques extrêmes », avance le docteurMarc Bouché, président du conseild’administration de l’établissement.
Au centre départemental de repos etde soins (CDRS) de Colmar (HautRhin), le bilan que donne le chef du pôle médical, Stéphane Carnein, est plus contrasté : sur la trentaine de résidents (sur 340) décédés ces dernières semaines, « certains sont clairement morts du Covid et l’on a mis en place, quand il le fallait, les protocolesde fin de vie qui avaient été prévus ». Autrement dit : beaucoup d’oxygènepour les aider à respirer le mieuxpossible et, si cela ne suffisait pas, unesédation profonde et continue.
Dans ces trois Ehpad du GrandEst,pourtant relativement privilégiés sur le plan médical, le personnel n’en apas moins été démuni devant l’ampleur et la brutalité des événements. Comment, dès lors, s’étonner que lesstructures défavorisées aient été débordées ? Partout, les remontées sont les mêmes : dans les établissements en difficulté, ce ne sont pastant les produits sédatifs qui ont manqué que le manque de personnel, et depersonnel formé. « Le plus souvent, lesEhpad sont en lien conventionnel avec une équipe de gériatrie hospitalière et une équipe de soins palliatifs. Mais,dans une crise aiguë comme cellelà, lorsqu’il n’y a la nuit qu’une aidesoi
gnante pour l’ensemble des résidents, les conseils par téléphone ne suffisentpas », souligne la docteure VéroniqueFournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin devie. Une réalité qu’a vécue de près la docteure Pauline Rabier, de l’équipemobile de gériatrie de l’hôpital APHPdu KremlinBicêtre (ValdeMarne),qui participe depuis le début de l’épidémie à la régulation d’une vingtaine d’Ehpad dans ce secteur de la région parisienne, soit environ un millier de résidents.
Présences des proches« Dans 70 % de ces établissements, j’ai vu des médecins coordinateurs et desmédecins prescripteurs extraordinaires, qui ont géré les fins de vie quasiment vingtquatre heures sur vingtquatre, racontetelle. Mais quand iln’y avait ni médecin ni infirmière de nuit, la prise en charge des détressesrespiratoires a parfois été extrêmement compliquée. Certains maladesont pu être transférés d’urgence à l’hôpital, mais, le plus souvent, ça n’a pasété possible. Et le personnel s’estretrouvé seul pour accompagner des patients qui sont morts de manière parfois extrêmement brutale. Quand il y a 30 décès en quinze jours dans detelles conditions, comment parler de soins palliatifs ? Il y a des soignants quiont vu des morts franchement pasconfortables. »
En Normandie, zone relativementépargnée par l’épidémie, la cellule éthique régionale mise en œuvre audébut de la crise sanitaire est pilotée par le professeur Grégoire Moutel, chef du service de médecine légale etdroit de la santé au CHU de Caen. « Nous venons d’avoir une réunion de toutes les cellules régionales, et le constat est le même partout : même si detrès bonnes choses ont été faites danscertains Ehpad, les soins palliatifs n’ontglobalement pas pu être mis en œuvre correctement », estimetil.
Car l’accompagnement de fin de vie,ce n’est pas seulement des médicaments, ni même un personnel soignant attentif et aidant. La présencedes proches est un élément essentiel. Or, les proches étaient interdits de visites. Certains n’ont même été prévenus qu’après le décès, d’autres sesont vu refuser l’accès au dossier médical. « Il y a donc légitimement desgens dans le doute, qui ne savent pas sileurs proches ont bénéficié d’un accompagnement de qualité avant de mourir », conclut M. Moutel.
catherine vincent
« LE PERSONNEL S’EST RETROUVÉ SEUL POUR
ACCOMPAGNERDES PATIENTS QUI
SONT MORTS PARFOIS TRÈS BRUTALEMENT »
PAULINE RABIERéquipe mobile de gériatrie
de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre
Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University Infographie Le Monde
Italie29 315 morts49 décès / 100 000 hab.
Royaume-Uni29 501 morts44 décès / 100 000 hab.
Espagne25 613 morts55 décès / 100 000 hab.
France25 531 morts38 décès / 100 000 hab.
Allemagne (au 4 mai)6 9938 décès / 100 000 hab.
EN EUROPE... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants
de 100 à 123de 50 à 100de 25 à 50Moins de 25
2 972
24 775
987
18 mars 5 mai
Personneshospitalisées
Nouvelles admissionsjournalières
HOSPITALISATIONS...
3 340
18 mars 5 mai
RÉAMINATION ET SOINSINTENSIFS
DÉCÈS EN FRANCE
depuis le 1er marsdont 16 060 à l’hôpitalet 9 471 en Ehpad
25 531
771
DÉCONFINEMENT
Martinique
Mayotte
La Réunion
Guadeloupe
Guyane
Pariset départements
limitrophes
Au moins undes deux facteursest rougeAu moins undes deuxfacteursest orange
Les deux facteurssont verts
Synthèse des deux indicateursretenus par le gouvernement :circulation active du viruset tension hospitalièresur les capacitésen réanimation
Epidémie de Covid-19 : situation au 5 mai, 14 heures
surmonter depuis des années », se félicite l’entourage du ministre de la santé : la présencemédicale a été renforcée, la téléconsultation déployée, des solutions de renforts en personnels ont été trouvées.
La perspective du déconfinement et deseffets du dépistage massif dans les Ehpad donnent toutefois déjà des sueurs froides à l’équipe d’Olivier Véran. Où trouver les nouveaux bénévoles qui suppléeront les soignants dépistés malades du Covid, qui ne pourront plus travailler ? Jérôme Guedj suggère la création d’une « réserve de volontaires pour le secteur médicosocial » que les départements, au titre du grand âge dans leurs compétences, pourraient organiser. « Certains ontété proactifs pendant la crise. Mais la plupart ont raté le coche », assène l’ancien élu.
Entre l’Etat et les départements qui cofinancent les Ehpad, un autre dossier brûlantest sur la table. Les Ehpad réclament plusieurs centaines de millions d’euros, « d’ici à l’été », pour compenser leurs dépenses majorées par la crise et le manque à gagner du faitde l’arrêt des admissions. Emmanuel Maron a promis une prime pour tous les soignants. Les négociations commencent à peine poursavoir ce que chacun mettra de sa poche.
béatrice jérôme
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4 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123
Le déploiement délicat des « brigades » du Covid19Un dispositif inédit devrait permettre de tester, de tracer et d’isoler les patients contaminés à partir du 11 mai
L e 11 mai, un dispositif sanitaire d’une ampleurinédite démarrera enFrance. Pour briser les
chaînes de transmission et ne pas risquer une nouvelle flambéeépidémique à l’heure du déconfinement, tous les patients porteurs du Covid19 et tous ceux qu’ils auraient pu contaminer devront être testés, tracés et isolés.
Pour y parvenir, une organisation ad hoc a dû être construite detoutes pièces en urgence – en seulement une dizaine de jours –, même si à ce stade toutes les modalités ne sont pas encore arrêtées. A la manœuvre : les médecins généralistes et, en appui, des « brigades », comme les a qualifiées le premier ministre, Edouard Philippe, constituées de milliers d’agents de l’Assurancemaladie et des agences régionalesde santé (ARS).
Le défi est colossal. En IledeFrance, on s’attend par exemple à un millier de nouveaux cas Covid19 par jour (contre 400 à 600 aujourd’hui), pour lesquels dix à vingt contacts en moyenne seront recherchés. Entre 10 000 et20 000 personnes devraient donc être identifiées et appelées, même si l’ARS table plutôt sur la fourchette basse. Chaque département français verra son niveau dedéconfinement lié à l’efficacité de son « système local de tests et de détection des cas contacts », a prévenu Matignon.
Dans le département du BasRhin, où l’on anticipe de 60 à 120 cas par jour, la Caisse primaire
d’assurancemaladie (CPAM) a mobilisé 200 agents, soit presque un cinquième de ses effectifs. Sur toute la France, 4 000 salariés de la CPAM vont être affectés dans unpremier temps à ces plateformes d’appel. A partir du 11 mai, chaque patient diagnostiqué positif sera recontacté après son passage chez son généraliste de manière à identifier toutes les personnes avec qui il a eu un échange d’au moins quinze minutes à moins d’un mètre depuis quarantehuit heures avant l’apparition des symptômes. « On ne va pas rechercher les personnes croisées dans la rue, explique Maxime Rouchon, le directeur du site. Mais on sait très bien que dans le milieu professionnel, le patient n’aura pas forcément tous les contacts. Il y aura donc un travail d’investigation pour rechercher les coordonnées. »
Equipes mobilesObjectif de tous ces appels : inviterles cas contacts à se faire tester, gratuitement et sans prescription,dans un laboratoire indiqué par la CPAM. Des masques seront également proposés. Les personnes contaminées seront par ailleurs invitées à rester confinées à leur domicile pendant quatorze jours ou à se rendre dans un hébergement préconisé par les services desanté. « On s’assure aussi qu’il n’y apas de difficultés pour se rendre au laboratoire ou que l’isolement est possible à domicile », précise le directeur de la CPAM de Strasbourg.
A cinq jours de son lancement,les contours définitifs du disposi
tif n’étaient toutefois pas tout à fait arrêtés. Mardi 5 mai, certainesARS étaient, par exemple, incapables de dire si des équipes mobiles– mises en place en lien avec le préfet – allaient venir en soutien aux platesformes téléphoniques. En IledeFrance, de telles équipes sont en place depuis la miavril dans quatre hôpitaux de l’Assistance publiqueHôpitaux de Paris (APHP) dans le cadre du programme « Covisan ». Cette fois, « c’est ni plus ni moins le déploiement de Covisan à grande échelle, on passe à un niveau “industriel” »,résumeton à l’ARS IledeFrance.
Chaque jour, ces intervenants serendent dans les familles où des cas potentiels ont été signaléspour proposer un dépistage et un isolement à l’extérieur du logement si nécessaire. « Idéalement,il faudrait avoir 500 équipes déployées juste à Paris pour parvenir à casser la chaîne des transmissions et étouffer le virus », estime JeanSébastien Molitor, de l’ONG Solidarités international, venu participer au projet.
Outre cet appui de terrain auxCPAM, les ARS sont spécifiquement chargées d’enquêter sur les « cas complexes » de contamination collective. Celle d’IledeFrance, en collaboration avec des ONG comme Médecins sans frontières (MSF), déploie déjà des équipes mobiles dans des foyers de migrants, des camps de sanspapiers, des centres de demandeurs d’asile… En un mois, environ 230 sites ont été visités. « Tout ce qui a fait ses preuves, on va continuer
à s’appuyer dessus », explique Luc Ginot, directeur de la santé publique à l’ARS. Alors que le premier ministre avait évoqué la possibilité de mobiliser « des personnels des centres communaux d’action sociale, des mairies, des départements, ou [des personnes] mises à disposition par les grandes associations, par exemple la CroixRouge », ces contributions n’ont à ce stade pas été retenues.
A Bordeaux, on s’étonne de nepas encore avoir été sollicité : « Lesservices de la ville et le maire se tiennent à la disposition de l’ARSmais pour l’instant, les brigades sanitaires, ça reste un point d’interrogation. Si les communes doivent être associées, il serait temps de s’en occuper, surtout qu’il y a d’autres priorités avec la rentrée, ledéconfinement, etc. » Dans le Gers,le département a déjà fait des offres de service pour mettre à disposition des agents pour apporterde l’aide alimentaire ou du soutien psychologiques.
Pendant une première périodede rodage, l’Assurancemaladie aprévu d’être seule à la manœuvre.
« Dans un deuxième temps, après quinze jours ou trois semaines defonctionnement, précise M. Rouchon, on pourra envisager d’avoir recours à d’autres structures et en tout état de cause sur la base d’un cahier des charges précis. »
Les médecins généralistes seront en première ligne de ces « brigades d’anges gardiens », comme les a surnommées le ministre de la santé, Olivier Véran, le 2 mai. A compter du 11 mai, si un patient est testé positif, il leur sera demandé d’inscrire son identité et de renseigner le maximum de noms de personnes qui sont entrées en contact avec lui, en remontant jusqu’à quarantehuit heures avant l’apparition des symptômes. Pour les encourager à poursuivre l’enquête audelà de la famille proche, outre les 55 euros de forfait pour la consultation, l’Assurancemaladie leur versera 2 euros « à chaque contact supplémentaire, pour le nom, le prénom, la date de naissance », et 4 euros « s’ils trouvent les coordonnées permettant de le joindre ».
« Violer le secret médical »« Tracer le patient, c’est facile. Safamille, c’est déjà plus compliqué,si elle n’est pas trop nombreuse, je pourrai éventuellement demander l’aide de ma secrétaire, mais aller enquêter sur qui nos patients ont croisé, je n’aurai pas le temps », insiste Xavier MarcTudor, généraliste à Nantes. Tous lesmédecins interrogés sont sceptiques sur la faisabilité d’enquêter audelà du seul cercle familial.
« A un niveau plus large, ça vaêtre un cassetête ; quid du patientqui prend la ligne 13 ? », demandeXavier Geanty, généraliste parisien. Autre interrogation : les laboratoires de ville serontils en capacité de faire les tests de dépistage dans les plus brefs délais ?
La principale critique porte surle traçage des patients. « J’ai l’impression que je vais devoir violer le secret médical, confie sous couvert d’anonymat un généraliste d’Orléans. On va devoir traquer les gens. Même pour les patients atteints de sida on n’a pas fait pas ça. » « Ethiquement j’émets des réserves. Il est hors de question qu’unmédecin déclare qui que ce soit sans son accord », renchérit JeanLuc Fontenoy, président du conseil de l’ordre des médecins de SeineSaintDenis.
Interrogée sur cette crainte deviolation du secret médical, la CPAM du Loiret assure que la question ne se pose pas dans la mesure où « [ses] agents y sont euxmêmes soumis ». Une loi fixant un cadre précis sur le champ des structures habilitées à intervenir devrait être votée cette semaine. L’un des points les plus délicats, à savoir divulguer lenom du patient contaminé lorsde l’appel aux personnes contact, n’a pas encore été tranché. « Mais si on le fait, dans tous les cas, cesera avec l’accord du patient », assure Maxime Rouchon.
françois béguin, stéphane mandard, elisabeth pineau,
camille stromboni etfaustine vincent
Application StopCovid : une sortie espérée « à partir du 2 juin » en FranceLe secrétaire d’Etat chargé du numérique a annoncé un nouveau calendrier pour le projet destinée au traçage des malades
D es premiers tests à partirde la semaine du 11 mai ;une présentation et un
vote au Parlement la semaine du 25 mai, conformément à la volonté d’Edouard Philippe ; puis, si tout fonctionne, le déploiementen France envisagé à partir du 2 juin. C’est le calendrier prévu pour l’application StopCovid, actuellement développée en France par des chercheurs et des entreprises sous la houlette du gouvernement, tel que l’a présenté, mardi 5 mai, Cédric O, le secrétaire d’Etat chargé du numérique,sur l’antenne de BFMTV.
Des incertitudes planent toujours sur le fonctionnement concret de ce projet d’application,qui devait originellement être présenté à l’Assemblée et au Sénatla semaine dernière, en mêmetemps que le reste du plan de déconfinement. Faute d’un prototype suffisamment abouti, le projet n’a pas été débattu.
Mais Cédric O a soutenu, mardimatin, qu’un premier jet de l’application serait bien fonctionnelau 11 mai pour une phase de tests. En revanche, l’un des pointsclés qui limiteront le fonctionnement de StopCovid ne serapas réglé à cette date : le secrétaired’Etat au numérique a confirmé, mardi, que les discussions en cours depuis deux semaines entre la France et Apple n’avaient pas abouti. Le gouvernement était engagé dans un bras de feravec l’entreprise californienne pour tenter d’obtenir une dérogation spécifique, nécessaire pour faire fonctionner au mieuxStopCovid sur les iPhone.
En effet, Apple, autant queGoogle, limite l’accès aux capteurs Bluetooth des smartphonespour les applications qui fonc
tionnent en « arrièreplan », c’estàdire qui tournent en tâche de fond mais qui ne sont pas concrètement utilisées et affichées surl’écran de l’utilisateur. Or, le Bluetooth est l’outil central de l’application StopCovid, qui permettra de déterminer si deuxpersonnes ont été en contact prolongé alors que l’une d’elles est malade du Covid19. Conséquence pratique : StopCovid ne fonctionnera à pleine capacité que si elle est en permanence affichée par l’utilisateur d’un iPhone.Cela devrait aussi être le cas sur la version de l’application prévue pour Android, Google étant sur une ligne similaire à celle d’Apple.
Vie privée et accès aux donnéesCes limitations sont nécessairespour empêcher tout type d’application d’espionner les utilisateurs à leur insu, et aussi pour protéger la durée de vie des batteries de téléphone, expliquent Google et Apple. Les deux entreprises, dont les systèmes d’exploitation pour appareils mobiles(Android et iOS) équipent la quasitotalité des smartphones des Français, ont du reste proposé une solution alternative : une interface de programmation commune, qui ne sera pas soumise à ces limitations.
Elles ont d’ailleurs présenté,lundi 4 mai, les grands principeset détails techniques de fonctionnement de cette interface. Parmi eux, le fait que les applications quireposeront sur le système technique créé par Apple et Google ne pourront être publiées que par des Etats ; qu’il ne pourra y avoir qu’une seule application l’utilisant par pays ; que les données collectées seront limitées ; que la publicité sera interdite dans l’ap
plication ; et qu’elles ne pourront en aucun cas accéder à la géolocalisation GPS de l’utilisateur. Des principes plutôt protecteurs, maisqui n’ont pas convaincu le gouvernement français. Le projet StopCovid repose sur un autre système, davantage « centralisé » et « souverain », utilisant le protocole « Robert » conçu par l’Inria.
La France espérait qu’elle pourrait bénéficier d’une exemption de la part d’Apple afin de pouvoir accéder sans limitations au Bluetooth pour son application. « Qu’une entreprise [Apple] qui, quelque part, ne s’est jamais aussi bien portée en termes économiques qu’en ce moment n’aide pas un gouvernement à lutter contre lacrise… On saura s’en souvenir le moment venu », a regretté Cédric O mardi matin sur BFMTV.
Plusieurs pays qui développentune application de suivi des contacts ont opté pour la solutionproposée par Apple et Google, à commencer par l’Allemagne. Le RoyaumeUni, en revanche, est sur un modèle et un calendrierproches du projet français.
A Singapour, où la première application de ce type avait été développée, le gouvernement a dûchanger de stratégie : bridé par lesmêmes problèmes d’accès au Bluetooth, le gouvernement a instauré, dimanche, en complément, un système de QR Code queles citoyens doivent scanner à l’entrée des lieux publics.
Un seul point fait, en tout cas,consensus : une application ne pourra jamais suffire pour retracer tous les contacts et isoler les patients à risque. En France, ce suivi « manuel » sera effectué par l’Assurancemaladie et les agences régionales de santé.
damien leloup
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 5
Birmanie : une guerre ignorée redouble d’intensitéLe conflit entre l’armée et la guérilla arakanaise est de plus en plus âpre malgré la menace du virus
bangkok correspondanten Asie du SudEst
C’ est une guerre intense et violente quiexplose à bas bruitdans le grand désor
dre du monde : en Birmanie, dans le nord de l’Etat de l’Arakan, déjà marqué par la tragédie lors de la violente répression militaire qui s’était abattue il y a trois et quatre ans contre la minorité musulmane des Rohingya – près de800 000 personnes enfuies au Bangladesh voisin et sans doute une dizaine de milliers de morts –,un autre conflit presque ignoré redouble de violence.
Le Covid19, qui circule sansfaire de ravages, n’empêche pas que la guerre se poursuive dans cepays perpétuellement confronté depuis l’indépendance de 1948aux rebellions d’ethnies minoritaires. Sur le plan sanitaire, l’épidémie se chiffre, officiellement, à 151 cas d’infections et six morts. Pour 54 millions d’habitants…
Ce conflit oppose l’armée birmane et les combattants de l’Arakan Army (AA), une guérilla d’environ huit milliers d’hommes – et de femmes – proclamant être en lutte pour forcer le gouvernement central à accorder un statut d’autonomie à leur Etat. Depuis que, début 2019, les véritables hostilités ont été déclenchées entre la Tatmadaw – l’armée régulière – et les combattants arakanais, la situation n’a cessé d’empirer. A l’audace des guérilleros, habiles à l’embuscade et n’hésitant plus à assiéger des places fortes de l’armée, répond la violente réplique des gouvernementaux. Ces derniers, en dépit de leur puissance defrappe supérieure, sont régulièrement mis en échec par les rebelles.
« L’offensive de la dernière saisonsèche par les forces combinées del’armée, de l’aviation et de la marine contre l’AA a été la plus ample,la plus intense et la plus longue de toutes les opérations militairesmenées en un peu plus de soixantedix ans d’indépendance », affirme l’analyste Tony Davis, correspondant en Asie du SudEst de la revue Jane’s Defence Weekly,spécialisée dans les questions militaires. Il ajoute : « L’ampleur deces opérations reflète la menace sans précédent que représente l’Arakan Army pour un Etat central
dominé par les Bamars [l’ethnie majoritaire, représentant environ70 % de la population]. »
Comme souvent dans l’histoiredes rebellions de Birmanie, ce sontles populations civiles qui pâtissent en premier de la guerre. L’ONG Arakan Information Center, basée en Malaisie, a comptabilisé 45 morts non combattants pour la seule première moitié d’avril.
En tout, 150 civils auraient ététués depuis le début de l’année. Le20 avril, un chauffeur transportant des prélèvements de l’Organisation mondiale de la santé pour tester la population locale au Covid19 a été abattu au volantd’un véhicule pourtant marqué « ONU ». Les adversaires se sontmutuellement accusés de la responsabilité de l’incident.
Juste avant la fin de son mandaten tant que rapporteuse spécialede l’ONU pour le Myanmar (nom officiel de la Birmanie), la diplomate sudcoréenne Lee Yanghee aaccusé, le 29 avril, la Tatmadaw de« violer systématiquement lesprincipes les plus fondamentauxau regard des lois internationales sur les droits de l’homme ». Elle a également évoqué l’éventualité de « crimes de guerre et de crimescontre l’humanité » perpétrés parl’armée.
Après avoir été accusée de génocide par l’ONU à propos de la question des Rohingya et appelée àcomparaître en décembre 2019
devant la Cour de justice internationale de La Haye, la Birmanie pourraitelle se retrouver à nouveau sur la sellette ?
Il reste cependant difficile d’associer la violence parfois aveugle de l’armée avec la stratégie d’épuration ethnique précédemment mise à l’œuvre contre les Rohingya. Cette fois l’ennemi est bouddhiste et parle une langue proche du birman, alors que les Rohingya sont souvent désignés comme des étrangers et traités de « Bengalis » en raison de leurs proximité linguistique, religieuse et culturelle avec le Bangladesh voisin.
L’accusation de crimes deguerre est cependant plausible : « Les soldats birmans tirent sur les gens et brûlent les maisons, ils sontdingues ! », raconte au téléphone depuis Sittwe, capitale de l’Arakan, un jeune homme demandant que son nom ne soit pas mentionné. Des membres de safamille ont vu, comme beaucoup d’autres, leurs villages incendiés et pillés par l’armée. Qui, sous
prétexte d’un possible soutiendes populations à la guérilla, en profite pour pratiquer une politique de la terre brûlée. « Les Occidentaux ont réagi au calvaire des Rohingya mais on tue les Arakanais dans l’indifférence générale », déplore le jeune homme.
Le regret d’un passé glorieuxDes photos et des vidéos circulentsur Internet et les réseaux sociaux, montrant des MIG29 de fabrication russe lâchant des bombes au pied de montagnes, des hélicoptères survolant des villagesen feu, mais aussi des civils gardéspar l’armée dans des camps de regroupement. Le conflit a provoqué la fuite d’environ 160 000 personnes. Mais ces témoignages visuels, quoique vraisemblables, sont difficilement vérifiables.
Le conflit ne peut plus être couvert de manière indépendante,une grande partie du nord de l’Etat étant interdite aux journalistes et aux étrangers en général. Internet a été coupé et, après
Rodrigo Duterte suspend la principale chaîne des PhilippinesEn pleine pandémie, ABSCBN, souvent ciblée par le dirigeant populiste, a cessé d’émettre en raison du nonrenouvellement de sa licence
A BSCBN, au service desPhilippins. On rend l’antenne. » C’est ainsi que la
chaîne de télévision la plus regardée de l’archipel aux mains de Rodrigo Duterte a cessé d’émettre, mardi 5 mai au soir, sous lescoups de boutoir d’un président ne dissimulant pas son hostilitéenvers les médias qui osent le critiquer. La Commission des télécommunications, organe gouvernemental, a ordonné la suspension de la diffusion au lendemainde la date d’échéance de la licencedu groupe de médias, qui n’a pourl’heure pas été renouvelée par un Parlement majoritairement acquis au chef de l’Etat.
La suspension survient alors queles Philippines font face à la propagation du Covid19, qui a contaminé 9 684 habitants de l’archipel et causé la mort de 637 d’entre eux.Le président a ordonné à la police d’abattre ceux qui se montreraient réfractaires au confinement décrété sur l’île principale, Luzon. L’opposition dénonce un calendrier particulièrement nocif pour s’en prendre au premier vecteur d’information des Philippins.
« La délivrance d’une information précise et dans les meilleurs délais est essentielle dans notre lutte contre le Covid19 », a lancé mardi la sénatrice Risa Hontiveros.
Quatre ans après l’élection à laprésidence du dirigeant populiste,le climat s’est nettement détériorédans les médias philippins. Surtout ceux qui ont couvert en profondeur sa sanglante guerre contre la drogue, qui, selon la Commission des droits de l’homme dupays, pourrait avoir fait plus de 27 000 victimes lors d’exécutions extrajudiciaires (plus de 5 500,selon la police).
Armée de trollsL’administration Duterte a déjà lancé de multiples procès contre Maria Ressa, la rédactrice en chef du site d’information Rappler, qui a contribué à révéler le fonctionnement de cette campagne d’exécutions sommaires : comment les policiers sont devenus des tueurs à gage abattant les jeunes des bidonvilles qui oubliaient leurs malheurs dans la fumée de méthamphétamine. Durant ses vingt ans à la mairie de Davao, une grande
ville du sud du pays, M. Duterte avait été surnommé « le punisseur », pour avoir déjà mis en place, hors de tout cadre judiciaire,des escadrons de la mort contre la petite délinquance.
Or les caméras d’ABSCBN ontégalement fait la chronique de cette dérive, en suivant aussi tard que nécessaire dans la nuit les équipes de la police scientifique qui ramassent les cadavres dans les quartiers à risque de Manille.
« Juste parce que vous êtes journaliste, vous n’êtes pas à l’abri d’un assassinat si vous êtes un fils de pute, avait menacé le président le 1er juin 2016, au lendemain de son élection, plantant ainsi le décor de son mandat. La liberté d’expressionne vous aidera en rien si vous vous êtes mal comporté. » Dans l’impunité qui s’est imposée depuis quatre ans, seize journalistes ont été abattus, dont le dernier, un reporter de radio locale de 48 ans, mardi.
En parallèle à ses attaques contreles médias, le président Duterte a lancé une armée de trolls sur les réseaux sociaux. Ils y propagent les rumeurs – comme celle selon laquelle Maria Ressa et d’autres
journalistes seraient aux mains dela CIA américaine – qui sont reprises ensuite par l’entourage du chefde l’Etat et enfin par M. Duterte luimême, lorsque le doute a déjà infusé chez une partie des citoyens. Malgré tout le sang versé, l’opinion, épuisée par l’insécurité et abreuvée de sa communication, continue de soutenir largement le président dans les sondages.
M. Duterte accuse par ailleurs legroupe ABSCBN d’avoir refusé de diffuser ses spots de campagne quatre ans plus tôt, ce que son PDGa démenti : toutes ses publicités nationales ont été diffusées et si une poignée de spots destinés aux
antennes locales n’ont pu l’être, c’est du fait des limites de temps de parole qui ont également affecté ses concurrents.
Le groupe de presse est, depuistrois générations, aux mains des Lopez, une richissime famille également présente dans la distribution d’électricité et le secteur manufacturier. Cette dynastie s’était déjà retrouvée sous le feu du dictateur tant admiré par Duterte, Ferdinand Marcos, qui fit saisir la chaîne dès l’instauration de la loi martiale en 1972, la plaça sous le contrôle d’un homme d’affaires affidé pour la transformer en organe de propagande, jusqu’à sa chute, en 1986, et la restitution d’ABSCBN au clan Lopez. Ce médiaparticulièrement influent compte aujourd’hui 11 000 employés et de multiples chaînes de télévision et de radio, diffusant séries romantiques, matchs de basketball, et son rendezvous d’information de la soirée, « TV Patrol ».
Pour la forme, l’administrationde M. Duterte accuse ABSCBN d’avoir enfreint les termes de sa licence en laissant des investisseursétrangers entrer au capital, « par
un voile habilement conçu », et en lançant une chaîne payante.
Mais le président n’a jamais faitmystère de sa haine pour ce média. Il a, un temps, semblé vouloir amadouer ses propriétaires, en nommant, en 2016, Gina Lopez, fille du président du groupe, Eugenio Lopez III, ministre de l’environnement. Mais cette activiste écologiste a agacé le chef de l’Etat et les hommes d’affaires du secteur minier qui le soutiennent, etelle n’a pas été confirmée par le Congrès dix mois plus tard. Elle a succombé à un cancer en 2019.
L’approche de la date du renouvellement de la licence d’ABSCBN, qui était valable vingtcinq ans, est devenue pour M. Duterte un moyen de pression plus évident. Fin décembre 2019, alors qu’il s’exprimait face aux survivants d’un séisme dans le sud dupays, il intimait à la famille Lopez de céder le géant de l’audiovisuel :« Quant à ABS, votre licence va expirer, et vous essayez de renouveler. Je ne sais pas ce qui va vous arriver, avait lancé le président. Si j’étais vous, je vendrais. »
harold thibault
Une victime des tirs croisés entre l’Arakan Army et l’armée régulière birmane, à Mrauk U, Etat de l’Arakan, en Birmanie, le 29 juin 2019. ANN WANG/REUTERS
avoir récemment placé l’AA sur la liste des organisations « terroristes », le pouvoir se fait menaçant àl’encontre des médias : un journaliste d’une télévision de la ville de Mandalay a brièvement été arrêtéfin mars après diffusion sur sa chaîne de l’interview d’un porteparole de la guérilla.
Une photo publiée sur le site dujournal indépendant The Irrawaddy donne un aperçu crédible des dangers de la vie quotidienne dans les zones affectées par le conflit : elle montre deux cadavres étalés sur la route du village de Kyauk Seik après un bombardement d’artillerie qui a fait huit morts le 13 avril. L’article précise que l’armée a ensuite débarqué et arrêté près de quarante personnes soupçonnées de collusion avec l’AA.
Dans la ville de Mrauk U, ancienne capitale royale, un exemple de ce qui ressemble fort à de la justice expéditive agite les cœurs et les esprits : le 29 avril, un garagiste de 26 ans du nom de Zaw ZawOo a été retrouvé mort après son arrestation à un barrage de soldats. Il avait été arrêté la veille avecdes photos « compromettantes » sur son téléphone portable. Selon un habitant de Mrauk U, qui raconte l’histoire au téléphone, « desmilitaires ont appelé le lendemain l’hôpital pour que des ambulanciers viennent chercher son cadavre ». Des clichés diffusés sur le Web montrent le corps sans vie dujeune homme, allongé dans une morgue, une femme en pleurs à ses côtés.
La revendication d’autonomiede la guérilla arakanaise s’ancredans le regret d’un passé glorieux : entre 1430 et 1784, l’Arakan fut un royaume indépendant, dont l’armée birmane s’empara il y a deux cent trentesix ans. La date est inscrite au fer rouge dans la conscience collective. Comme l’explique l’historien Jacques Leider, représentant à Bangkok et Rangoun de l’Ecole française d’extrême orient (EFEO), « les Arakanais paraissent perpétuellement tournés vers un passé figé autour de la mémoire de leur royaume défunt. Mais dans le contexte actuel, les invocations d’indépendance oude large autonomie semblent dénuées d’un sens concret des réalités géopolitiques et sociales ».
bruno philip
« Juste parceque vous êtes
journaliste,vous n’êtes pas
à l’abrid’un assassinat »
RODRIGO DUTERTE,président des Philippines
BIRMANIE
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NaypyidawSittwe
Etat de l’Arakan(Rakhine)
Mandalay
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6 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123
En Allemagne, l’extrême droite à la peine L’AfD veut précipiter le déconfinement, mais le gouvernement tire profit de sa bonne gestion de la crise
magdebourg (allemagne) envoyé spécial
F ace à la scène aux couleurs du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne(AfD), un parterre de20 mètres sur 40 a été
réservé pour le public. A l’intérieur de cet espace délimité par des barrières métalliques, des autocollants ont été disposés tousles 2 mètres, afin que chacun respecte les règles de distanciationsociale. Mais ce mercredi 29 avril, sur la grande place de Magdebourg (SaxeAnhalt) où l’AfD a appelé ses partisans à protester contre les mesures de confinement mises en place dans le cadre de la lutte contre le Covid19, seule une poignée d’entre eux assistera au meeting dans le quadrilatère prévu à cet effet. La majorité des participants, un peu plus de 200 personnes au total, choisirade rester derrière les barrières. Là où il n’y a pas de marquage au sol.Là où on n’est pas obligé de « s’aligner comme des soldats », explique une jeune femme. Là où on peut « garder sa liberté de mouvement sans être parqué comme du bétail », complète son petit ami.
La liberté. C’est précisément aunom de cette valeur que l’AfD, ce 29 avril, affirme avoir organisé cette réunion publique. « Depuis quelques semaines, toutes nos libertés se sont réduites comme peaude chagrin. On ne peut plus circuler comme on veut, on ne peut plus se réunir avec qui on veut. Ce sont là des atteintes sans précédent à nos libertés, et tout ça sans la moindre raison quand on connaît la gravité très relative du virus », explique au Monde Oliver Kirchner, chef de filedes députés d’extrême droite au Parlement de SaxeAnhalt, juste avant le début du meeting.
A la tribune, pendant une heureet demie, les orateurs se relaieront pour étayer cette thèse. Al’instar de Robert Farle, secrétaire général du groupe AfD à l’assemblée de SaxeAnhalt, un des Länder où ce parti réalise ses plusgros scores, bien audelà de 20 %. Pour lui, le Covid19 n’est « pas plus grave qu’une grippe ordinaire ». Vêtu de noir de la tête auxpieds, du blouson à la casquetteen passant par les lunettes aux verres fumés, cet ancien commu
niste passé à l’extrême droite necache pas son incompréhension : « En 2018, la grippe a fait 25 000 morts en Allemagne et il nes’est rien passé. Cette année, alors que nous avons 6 000 morts àcause du coronavirus, le gouvernement nous prive de nos libertés et met notre économie à l’arrêt. Onmarche sur la tête ! »
Membre du Bundestag, MartinReichardt partage cet avis. « A cause des décisions prises par le gouvernement, des dizaines de milliers de petits entrepreneurs ne peuvent plus travailler et sontaujourd’hui obligées de lutter pour leur survie. Et quand on osesoulever le problème, Mme Merkels’indigne en dénonçant des “orgies de discussions” qui n’ont pas lieu d’être », explique à la tribunecet ancien officier de la Bundeswehr, citant une expression de la chancelière allemande rapportée par la presse quelques jours plus tôt et surexploitée par ses adversaires.
IncohérenceCar pour l’extrême droite allemande, l’affaire est entendue. Les autorités, selon elle, dramatisent de façon inconsidérée la gravité duCovid19. Notamment dans les Länder de l’est du pays, où le virus a fait relativement peu de victimes. C’est le cas en SaxeAnhalt, où, le 29 avril, jour du meeting de l’AfD, seulement 39 personnes avaient succombé du Covid19, selon l’institut fédéral de santé publique RobertKoch. « Trenteneuf morts en SaxeAnhalt, bien sûrque c’est triste ! Mais estce que cela justifie qu’on mette tout un Land à l’arrêt pour autant ? Nous sommes une des régions les moins touchées d’Allemagne et on nous paralyse en tuant notre économie. C’est criminel », s’indigne M. Kirchner.
Pour l’extrême droite allemande, cette position maximaliste, qui consiste à réclamer une levée immédiate de toutes les restrictions décidées depuis la mimars, peut apparaître comme un pari très hasardeux. Selon les sondages, seule une petite minorité d’Allemands, entre 10 % et 20 %, souhaiterait en effet que le déconfinement aille plus vite que prévu.Quant à l’AfD, depuis le début de l’épidémie, ses intentions de vote ont sensiblement reculé. Crédité de 14 %15 % des voix en début
d’année, le parti d’extrême droite, devenu la première force d’opposition au Bundestag en 2017, dans la foulée de la crise des réfugiés, plafonne aujourd’hui à 10 %11 %.
Dans le contexte actuel, favorable aux partis au pouvoir, conservateurs et sociauxdémocrates, etcompliqué pour l’ensemble des formations d’opposition, l’AfD a donc décidé de jouer à fond la carte de la défense des libertés.
Libertés économiques, d’abord,celles des petits entrepreneurs, notamment des restaurateurs, des cafetiers et des hôteliers, touchés de plein fouet par la crise. Libertés politiques, ensuite, notamment à l’est de l’Allemagne, où le parti d’extrême droite n’hésite pas à rattacher les mesures prises dans le cadre de la luttecontre le coronavirus à la longue lignée des souffrances subies par cette partie du pays au cours desdernières décennies. « Nous avons connu deux dictatures au
XXe siècle : celle du nazisme et celledu communisme. Nous n’allons pas maintenant nous soumettre à celle d’un gouvernement qui sesert d’un virus pour nous mettre au pas en nous tétanisant de peur », explique ainsi Jörg Benthmann, maçon à la retraite, venu assister au meeting de l’AfD à Magdebourg.
En demandant un déconfinement total et immédiat, un mois et demi après avoir été en première ligne pour réclamer un confinement beaucoup plus strict que celui mis en place par le gou
vernement, l’AfD sait qu’il s’expose à des accusations d’incohérence. Les réseaux sociaux ne se sont pas privés de le rappeler, mettant en visàvis les appels des responsables du parti en faveur d’interdictions de circulation aussi strictes que possible, mimars, avec leurs plaidoyers actuels pour un retour immédiat à la normale. Un changement de pied à 180 degrés en l’espace de six semaines…
Mais en réalité, le parti d’extrême droite se soucie assez peu de ces zigzags. A l’heure où l’Allemagne déconfine prudemment,l’AfD fait le pari de pouvoir récupérer tous les impatients, ceux pour qui le mouvement va aujourd’hui trop lentement. C’est notamment le cas de tous ces citoyens en colère qui, sous le mot d’ordre « Widerstand 2020 » (« Résistance 2020 »), se sont récemment rassemblés dans plusieurs villes du pays, comme à Stuttgart,dimanche 3 mai, pour défendre
les libertés menacées, selon eux, par la politique du gouvernement contre le Covid19. Très actifsur les réseaux sociaux, ce mouvement hétéroclite qui revendique plus de 100 000 membres, ce qui est sans doute exagéré, se prétend totalement indépendant des partis existants, et assuren’avoir en tête que l’attachement aux droits fondamentaux.
Pour l’AfD, ce terreau demécontentement représente aujourd’hui un défi. Un peu plus d’un an avant les prochaines législatives, le parti d’extrême droite entend s’adresser aux laisséspourcompte de la crise du coronavirus. En espérant que cechoix lui profitera autant, sinondavantage, que la dernière crise qui a secoué l’Allemagne : celle des réfugiés, en 20152016, qui, elle, était survenue un peu moinsde deux ans avant les élections législatives.
thomas wieder
Manifestation des membres de l’AfD, à Magdebourg en SaxeAnhalt, 29 avril. KLAUS-DIETMAR GABBERT / DPA VIA AFP
En Europe, à ce jour , le virus nuit aux droites populistes De Vienne à Madrid, les partis les plus radicaux multiplient les critiques mais cellesci ne sont guère payantes face à l’urgence sanitaire
vienne, malmö (suède), madrid,bruxelles correspondants
D ans plusieurs pays, l’extrême droite a du mal àimposer son discours
contestataire face à l’urgence de la situation sanitaire. En Belgique, le Vlaams Belang est l’un des raresà tirer son épingle du jeu.
Autriche : panne stratégique pour le FPÖ Alors que le gouvernement écoloconservateur dirigé par Sebastian Kurz surfe sur la bonne situation du pays sur le front de l’épidémie, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) obtient des intentions de vote d’à peine 10 % des voix, bien loin de 26 % obtenus aux législatives de 2017. Les intentions de vote pour les élections régionales prévues le 11 octobre à Vienne sont encoreplus catastrophiques. En décidanttrès vite de fermer les frontières,
M. Kurz a privé l’extrême droite deson argumentphare.
Face à cela, le parti a basculé le27 avril dans une direction opposée en accusant le pouvoir d’en faire trop et a lancé une pétitioncontre ce qu’il appelle « la folie corona ». En essayant de séduire les commerçants durement touchés par la crise, son numéro deux, Herbert Kickl, a ainsi reproché au gouvernement son « alarmisme » destiné « à faire peur à la population » et a demandé une accélération de la sortie du confinement. La pétition du FPÖ n’avait récolté que 40 000 signatures à la date du 4 mai.
Suède : les SD en chute libre Début mars, rien ne semblait pouvoir arrêter Jimmie Akesson, leleader des Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD) que tous les sondages donnaient entête, devant les sociauxdémocra
tes du premier ministre Stefan Löfven. Le Covid19 a tout changé. M. Akesson a d’abord tenté de critiquer la décision du gouvernement de ne pas confiner le pays, nide fermer les écoles. Sans succès, car une très grosse majorité des Suédois soutient cette stratégie.
Il a ensuite changé d’angle d’attaque. Le leader des SD accuse désormais le gouvernement de ne pas en faire assez pour soutenir les entreprises et les salariés. Làencore, il semble avoir du mal à sefaire entendre. Le Parti socialdémocrate est repassé en tête, avec 29 % d’intentions de vote, contre21 % pour SD. Quant au premierministre, M. Löfven, sa cote depopularité atteint 44 %, contre 27 % pour M. Akesson. L’extrême droite suédoise a au moins une raison de se réjouir : tenue àl’écart jusqu’à présent des négociations multipartites au sein du parlement, SD a été inclus dans
les concertations depuis le début de l’épidémie.
Espagne : les vaines provocations de Vox Depuis le début de lacrise sanitaire, le pari d’extrême droite Vox accuse le gouvernement de gauche d’être « responsable » des morts du Covid19 en lui reprochant essentiellement d’avoir autorisé les manifestations féministes du 8 mars, oùplusieurs participants ont été contaminés. Une députée de Vox, Maria Ruiz, a accusé le viceprésident du gouvernement, Pablo Iglesias (Podemos, gauche radicale), d’avoir laissé « des milliers denos anciens enfermés et condamnés à mort » dans les Ehpad.
Le 16 avril, le Parti socialisteouvrier espagnol (PSOE) au pouvoir a porté plainte contre Vox pour la diffusion de mensonges après la diffusion d’une photo manipulée publiée sur Twitter, où
l’on peut voir l’artère principale du centre de Madrid, la Gran Via, recouverte de cercueils.
Le 20 avril, Vox a à son tour déposé une plainte contre le premier ministre, Pedro Sanchez, pour avoir porté « atteinte aux droits des travailleurs » sanitaires en ne leur fournissant pas le matériel de protection adéquat. Mais il n’est pas sûr que la stratégie de confrontation virulente de Vox luisoit très favorable électoralement.Selon le dernier sondage du Centre d’enquêtes sociologiques, Vox stagne autour de 13 % des voix.
Belgique : le pari flamand du Vlaams Belang Le parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang (VB) entend tirer profit de la crise et de sa gestion parfois chaotique. « Ce pays vit non seulement une crise politique, doublée d’une crise sanitaire, mais aussi une crisede système », expliquait récem
ment le président de cette formation, créditée de plus de 27 % des voix en Flandre, ce qui en ferait le premier parti de la région.
L’objectif de Tom Van Grieken,dont la formation n’a jamais pu accéder au pouvoir, est de profiterd’une situation inédite : le gouvernement minoritaire de la première ministre libérale Sophie Wilmès est soutenu, pour quelques semaines encore, par dixpartis. Parmi eux, l’Alliance néoflamande (NVA), le parti nationaliste et conservateur de Bart De Wever. L’objectif de l’extrême droite est d’affaiblir la NVA pour l’amener ensuite à négocier une entente qui lui permettrait de réaliser son objectif : prendre en mains les rênes de la Flandre et assurer son indépendance.
jeanbaptiste chastand,annefrançoise hivert,
sandrine morelet jeanpierre stroobants
ALTERNATIVE POUR L’ALLEMAGNE
JOUE À FOND LA CARTE DE LA DÉFENSE
DES LIBERTÉS
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 7
JeanYves Camus : « La droite radicale aime l’idée des causes cachées »Pour le spécialiste de l’extrême droite, la pandémie permet à ces partis européens de développer leur vision complotiste du monde, avec des résultats disparates selon les pays
ENTRETIEN
J eanYves Camus, directeur del’Observatoire des radicalitéspolitiques de la FondationJeanJaurès et senior fellow au
Centre for the Analysis of theRadical Right (CARR) analyse les différents positionnements des extrêmes droites européennesface à la gestion de la pandémie.
Les partis d’extrême droite européens tiennentils les mêmes discours face à la crise ?
Leurs réponses sont adaptéespar pays en fonction des mesures de confinement. Là où il a été le plus strict, les droites radicales ontinstruit un réquisitoire contre un pouvoir jugé incompétent et menteur. Là où les mesures ont été pluslégères, les critiques des droites nationalistes l’ont elles aussi été. Siles Démocrates suédois et le Forum pour la démocratie néerlandais ont pointé des insuffisances de leurs gouvernements, Jimmie Akesson [leader des Démocrates de Suède, SD, extrême droite] s’est borné à critiquer le « package » financier présenté pour aider l’économie en Suède et le Néerlandais Thierry Baudet [Forum pour la démocratie, FvD] a même soutenu le premier ministre des PaysBas, Mark Rutte, face aux pays du sud de l’Europe. On retrouve tout de même les points communs habituels entre l’ensemble des partis de droite radicale : tous ont fait porter leurs discours sur la question du retour aux frontières.
Tous tirent donc sur les mêmesleviers idéologiques ?
Ils ont en commun de répéterqu’ils étaient les premiers à avoir averti des dangers de la délocalisation d’industries stratégiques, de l’immigration et d’une mondialisation qui génère des mouvements incessants et massifs des personnes. Norbert Hofer, du FPÖ [Parti de la liberté d’Autriche], necesse de rappeler avoir été le premier à réclamer des contrôles sanitaires aux aéroports, tout comme Marine Le Pen sur la fermeture des frontières en France.
Ils affirment aussi tous quel’Union européenne est une création non naturelle, l’ordre du monde étant celui des Etats nations. Enfin, il y a la critique de l’impréparation des gouvernements. Le Rassemblement national va plus loin, en France, avec l’idée d’une « connivence » : à l’intérieur du pouvoir d’Etat par une « immunité de caste » et entre l’Etat et « les lobbys ».
Des discours, qui flirtent souvent avec le complotisme…
La droite radicale aime l’idée des« causes cachées ». Et la pandémie se prête aux questionnements surl’origine du virus. La droite radicale insérée dans le jeu démocratique ne parle pas de propagation volontaire mais demande – et elle n’est pas la seule – que la lumière soit faite sur l’hypothèse de la « fuite » du laboratoire de Wuhan.
Charlie Weimers, député européen des Démocrates suédois, a même ressuscité le thème de l’anticommunisme, accusant la Chine d’en être restée à l’opacité etau mensonge découlant de la nature même du communisme. Mais le sentiment dominant chez eux est que la crise serait un prétexte pour imposer une forme autoritaire de gouvernement se soustrayant au contrôle parlementaire, comme le dit l’ancien phalangiste et désormais élu
européen de Vox, l’Espagnol Jorge Buxadé. Les plus radicaux vont jusqu’à annoncer la mise en place d’une société orwellienne : Marian Kotleba, leader de l’extrême droite slovaque, est persuadé que le traçage aboutira à ce qu’on vousimplante des puces sous la peau.
Pourquoi la défense des libertés publiques est elle très présente dans leur rhétorique ?
Les droites radicales entendentmontrer qu’un double standard s’appliquerait. D’un côté, la restriction des libertés du citoyen et de l’autre, le laxisme visàvis de catégories de population qui ne respecteraient pas le confinement. Nigel Farage, fondateur de UKIP [le Parti pour l’indépendance du RoyaumeUni], se plaint d’avoirété visité par la police parce qu’il était allé à Douvres tourner un reportage sur l’arrivée de migrants.Marine Le Pen, elle, tonne contre des banlieues qu’elle nomme « zones de nondroit », contre les libérations de détenus ou encore contre la réponse jugée faible aux actes terroristes de RomanssurIsère [deux personnes poignardées mortellement dans la Drôme le4 avril] et de Colombes [deux poli
ciers percutés par une voiture le 27 avril dans les HautsdeSeine]. Ses tropismes habituels.
Elle accuse également le gouvernement français de mentir sur « absolument tout »…
L’obsession de Marine Le Pen repose sur l’idée d’un « mensonge d’Etat », positionnement cohérent avec la nature de parti antisystèmedu Rassemblement national. Celuici perdrait sa crédibilité à se rallier à l’union nationale puisque sa vision du monde repose sur l’opposition entre le peuple et les élites, les « enracinés » et les « nomades », les « patriotes » et les « mondialistes ». Le président de la République et le ministre de la santé [Olivier Véran] expliquent, à raison,qu’on est face à une crise sanitaire inédite et avec un virus que les
meilleurs scientifiques n’ont pas réussi à cerner. Mais l’électeur lepéniste ne croit pas aux aléas : pour lui le pouvoir « sait » et s’il hésite, c’est qu’il « cache ».
Les partis d’extrême droite gagnentils des points à la faveur de la crise sanitaire ?
Pas partout. En Italie, Matteo Salvini [Ligue] a ainsi tiré à boulets rouges sur le gouvernement Conte. Un exercice obligé, puisqu’il en était sorti… mais qui ne luiprofite pas dans les sondages. Pour d’autres, cela semble fonctionner. Le Vlaams Belang belge est ainsi repassé en tête dans les intentions de vote en Flandre. Il a d’ailleurs traité la crise du Covid19presque uniquement en fonction des prochaines échéances électorales et de sa concurrence avec la NVA [parti nationaliste flamand] de Bart De Wever. Un exemple : ce dernier a fait distribuer des documents d’informations multilingues à la population anversoise. Il a été pris à partie par le Vlaams Belang pour qui, je cite, il fallait protéger « les nôtres d’abord » et n’informer qu’en néerlandais.
propos recueillis parlucie soullier
« TOUS ONT FAIT PORTER LEURS DISCOURS SUR LA QUESTION
DU RETOUR AUX FRONTIÈRES »
Salvini fragilisé par la crise dans le fief de la Ligue en Italie L’exministre, privé de meetings, est peu audible car la Lombardie, dirigée par son parti, a été débordée par la pandémie
rome correspondant
L e coup n’était pas malmonté, et en d’autrestemps il aurait sans doute
eu un certain succès. Dans la nuit du 29 au 30 avril, plusieurs dizaines de sénateurs de la Ligue(extrême droite, opposition), emmenés par leur dirigeant, Matteo Salvini, ont « occupé » l’hémicycle de la Chambre hauteitalienne, pour dénoncer le blocage de l’économie, les retards dans le versement des aides promises, les limitations de la liberté de circuler et, plus largement, la mise entre parenthèses des pouvoirs parlementaires par le gouvernement Conte, pour cause de crise sanitaire.
Pendant quelques heures, lesselfies de parlementaires masqués ont envahi les réseaux sociaux, relayés par les habituels vecteurs de la Ligue. Mais au petit matin, le happening a pris fin, plutôt piteusement. C’estque, cette fois, l’initiative a provoqué beaucoup plus de railleries que d’éloges. Comment, eneffet, l’ancien ministre de l’intérieur peutil dénoncer la mise de côté du Sénat, alors que, depuis le début de la législature, il s’est plus mis en scène sur lesplateaux de télévision qu’au Parlement ? Et estil le mieux placé pour dénoncer la mise entre parenthèses du contrôle exercé par le pouvoir législatif, lui qui, lors du déclenchement de la crise gouvernementale quilui fut fatale, à l’été 2019, réclamait les « pleins pouvoirs » ?
Très offensifDepuis quelques semaines, le dirigeant de la Ligue semble avoirperdu la main. Privé d’estrades et de tribunes par le confinement, qui a comme suspendu la campagne électorale permanente dans laquelle il est engagédepuis plus de deux ans, sevré des selfies et des bains de foule qui étaient jusqu’à il y a peu son carburant quotidien, Matteo Salvini hésite, depuis deux mois, entre deux attitudes inconciliables – le « chiudiamo tutto ! » (« fermons tout ! ») pour ralentir l’épidémie, et la revendication du rétablissement au plus vite de la liberté de circuler. Ellesne font qu’ajouter de la confusion, tandis que ses dénonciations de l’immigration n’ont plus le même écho à l’heure de lafermeture générale des frontières. Face à lui, le gouvernement profite de l’ambiance d’union nationale créée par la crise, malgré ses hésitations et ses ambiguïtés, et son chef, Giuseppe Conte, continue de jouir de plus de 60 % d’opinions favorables.
Bien sûr, les sondages politiques réalisés dans un contexte siparticulier doivent être regardésavec la plus grande prudence, mais la tendance qu’ils dégagent est unanime, et très nette. La Ligue reste le premier parti du pays en matière d’intentions de vote, mais elle est descendue sous les 30 %, et navigue désormais entre les 26 % et 28 % des voix. Ce recul profite à son principal allié et concurrent, Fratelli d’Italia, entre 12 % et 15 % des voix, mais aussi aux deux formations actuellement au pouvoir, le Parti démocrate (centre
gauche) et le Mouvement 5 étoiles (antisystème), naguère alliéde la Ligue, dont l’inexorable déclin des derniers mois paraît avoir été stoppé par l’épidémie.
En se montant très offensif surla scène européenne, réclamant à ses partenaires la mutualisation des dettes liées à la crise et refusant de privilégier le recours au seul Mécanisme européen de stabilité (MES) pour obtenir des liquidités, le gouvernement prive par ailleurs le dirigeant de la Ligue d’un de ses meilleurs arguments électoraux : la dénonciation de la soumission de l’Italie aux diktats deBruxelles et des marchés.
Plus grave encore, pour la Ligue, est le fait que la crise due aucoronavirus a frappé au cœur la Lombardie, qui était depuis des années la vitrine de son savoirfaire et le gage de sa capacité à gouverner. Ainsi les tergiversations initiales du gouverneur dela région, Attilio Fontana, puis les images des hôpitaux lombards débordés par l’afflux de malades risquentelles d’avoir des conséquences durables dans l’opinion. Matteo Salvini pourratil continuer à vanterpartout dans le pays l’excellencelombarde après un tel fiasco ? En comparaison, la position de la dirigeante de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, mieux implantée dans le Sud que dans le Nordet dont les positions sur l’Europe et les migrants sont très similaires, est plus confortable.
Mais celleci n’est peutêtrepas la concurrente la plus dangereuse, à court terme, pour M. Salvini. En effet, la menace pour son leadership pourrait venir de l’intérieur de son propre parti, en la personne du très populaire Luca Zaia, président de la Vénétie, dont la gestion exemplaire de la crise, fondéesur une priorité absolue à la détection et à l’isolement des malades, a considérablement accrul’audience nationale.
Tenant d’une ligne plus autonomiste que nationale, au fond plus conforme à l’identité originelle de la Ligue que la posture souverainiste et antieuropéenne d’un Matteo Salvini, Luca Zaia n’a jamais cherché à contester le primat de Matteo Salvini depuis son arrivée à la tête du parti, en 2013. Il s’est contenté de creuser son sillon, veillant plus à rassembler les forces de droite locales qu’à exister sur les réseaux sociaux – ses rapports avec l’ancien président du conseil Silvio Berlusconi sont d’ailleurs excellents. Moinseurophobe que l’actuelle direction du parti, il n’a eu de cesse, ces dernières semaines, de rappeler qu’il ne s’imaginait pas de destin national. Mais d’évidence, beaucoup, à droite, sont tentés d’y penser pour lui.
jérôme gautheret
LA LIGUE RESTE LE PREMIER PARTI EN
MATIÈRE D’INTENTIONS DE VOTE, MAIS ELLE
EST DESCENDUE SOUS LES 30 %
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8 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123
Déconfinement : un cas d’école pour les élus locauxAprès la lettre ouverte des maires à Emmanuel Macron demandant le report de la réouverture des classes, la majorité sénatoriale a renforcé la protection juridique des élus en cas de contamination de leurs administrés par le Covid19
T andis que le premierministre, EdouardPhilippe, essuie desbordées de critiqueset les tirs croisés desoppositions sur la
mise en œuvre du plan de déconfinement, Emmanuel Macron a effectué, mardi 5 mai, une visite dans une école de Poissy (Yvelines) pour tenter de rassurer ceux qu’inquiète la réouverture des écoles. Et ils sont nombreux, élus comme enseignants, parents d’élèves comme personnels communaux. « Mon objectif, ce n’est pas combien d’écoles, c’est que tousles enfants qui ont besoin de revenir à l’école parce qu’ils sont décrocheurs ou parce que les parents doivent retravailler puissent trouver une école ouverte, a assuré le président de la République. Je veuxplutôt une bonne rentrée qu’une rentrée en nombre. » Interrogé sur les craintes exprimées par de nombreux élus, le président de la République s’est voulu conciliant. « Les maires, je comprends leur angoisse, leurs questions, leurs inquiétudes. Ils veulent bien faire, donc il faut leur laisser le temps etla souplesse », atil déclaré.
Ce n’est pas, en effet, le moindredes paradoxes. Dans l’incertitude face aux multiples questions et difficultés que pose la réouverturedes établissements scolaires aprèssept semaines de confinement et alors que l’épidémie de Covid19 n’est toujours pas enrayée, les maires demandaient des consignes claires. Mais, lorsque leur est
parvenu le protocole sanitaire édicté par l’éducation nationale, ils ont jugé que c’était trop lourd etse sont inquiétés de voir leur responsabilité pénale engagée s’ils ne s’y conformaient pas. Il a fait l’« effet d’une bombe », explique Stéphane Beaudet, le maire divers droite d’EvryCourcouronnes, dans l’Essonne et président de l’Association des maires d’IledeFrance, à l’initiative d’une lettre ouverte à Emmanuel Macron demandant le report de la réouverture des écoles qui a recueilli plus de 400 signatures de maires.
Ouvrir le parapluieC’est le constat que dressaitM. Philippe, non sans marquer quelque lassitude, en présentantlundi au Sénat son plan de déconfinement. « Les difficultés liées à laréouverture des écoles ne m’ont pas échappé. Nous essayons d’y répondre et l’exercice est là encore difficile, remarquait le premierministre. Car, donner quelques directions vagues, ou même claires, mais formulées simplement en termes de principes, c’est, à coupsûr, s’exposer à la critique de ceux qui diront : “Vous avez formuléquelques principes mais, sur le terrain, vous laissez les gens se débrouiller.” Et, en même temps, dire pratiquement, au cas par cas, les bonnes méthodes, les bonnes pratiques, ce qui correspond à la doctrine sanitaire, c’est s’exposer à lacritique de ceux qui disent : “C’est trop lourd, il y en a trop, vous voulez tout régenter, laisseznous
adapter.” Autrement dit, en la matière, mais j’en ai pris mon parti, quoi qu’on fasse, on est critiqué. »
Sur le terrain, la tension monteet la tentation est grande d’ouvrir le parapluie. Les appels se sont multipliés demandant le report de la réouverture des écoles. Des enseignants font valoir leur droit de retrait. Des élus demandent desgaranties qu’ils ne risquent pas de voir leur responsabilité engagée en cas de contamination d’un élève ou d’un membre du personnel. « La question de la responsabilité des maires doit faire l’objet d’untraitement législatif spécifique pour que ceuxci bénéficient d’une protection adaptée aux circonstances exceptionnelles que nous traversons », exigeait l’Association des maires de France (AMF), à l’issue de son bureau du 30 avril.
Demande relayée par d’autresassociations d’élus. « Il est, certes, utile que l’Etat nous transmette desprotocoles sanitaires, par activité ou service. Pour autant, il nous paraît indispensable d’en connaître lecaractère réglementaire et opposable, notamment au plan des risques de mise en cause que le respect impossible de tel ou tel mot, detel ou tel paragraphe, de ces documents pourrait causer », demandait France urbaine, qui réunit les maires des grandes villes et métropoles, dans un courrier adressélundi au premier ministre.
Le sujet n’a pas tardé à venir surle terrain politique. A l’occasionde l’examen au Sénat du projet deloi prorogeant l’état d’urgence
sanitaire, une multitude d’amendements, plus ou moins bordés juridiquement, ont jailli de tous les bords de l’Hémicycle, jusque dans les rangs de La Républiqueen marche (LRM). C’était un peu « que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ».
Majoritaire au Sénat, la droite aimposé sa version. Elle exclut toute responsabilité des élus encas de contamination par le Covid19 pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire à moins que les faits aient été commis « intentionnellement », « par imprudence ou négligence », ou « en violation manifestement délibérée d’unemesure de police administrative ». La ministre de la justice, Nicole Belloubet, a tenté en vain d’obtenir sa suppression, faisant valoir« un risque constitutionnel au regard du principe d’égalité devant
la loi pénale ». Sa demande a étésèchement rejetée puisqu’elle arecueilli zéro voix.
Le projet de loi ainsi amendé,ainsi que d’autres amendements portant notamment sur le système d’information et de partage des données envisagé pour lutter contre l’épidémie, a été adoptémardi au Sénat par une large majorité. Le président du Sénat,Gérard Larcher, a d’ores et déjà prévenu qu’il saisirait le Conseil
constitutionnel après son adoption définitive. Le texte doit à présent être examiné dès mercredi en commission à l’Assemblée puis jeudi en séance, en vue d’uneadoption définitive à la fin de la semaine, avant la date du 11 mai,début du déconfinement.
La majorité espère parvenir à un« compromis » sur l’article introduit par le Sénat sur la responsabilité pénale des élus. « On ne peutpas ouvrir grand une protection tous risques », estime le président du groupe LRM, Gilles Le Gendre. L’opposition n’entend pas lâcher l’affaire. L’AMF, de son côté, demande au gouvernement et à l’Assemblée nationale de « poursuivrele travail parlementaire sur la basedu texte voté par le Sénat ». Dequoi réalimenter les tensions entre l’exécutif et les élus locaux.
patrick roger
« EN LA MATIÈRE, MAIS J’EN AI PRIS MON PARTI,
QUOI QU’ON FASSE,ON EST CRITIQUÉ »
ÉDOUARD PHILIPPEpremier ministre
karl olive est maire (divers droite) de Poissy (37 400 habitants), dans les Yvelines. Le15 mars, il a été réélu dès le premier tour avec 75,6 % des suffrages exprimés.
Vous n’avez pas signé la lettre ouverte des maires d’IledeFrance demandant le report de la réouverture des écoles. Pourquoi ?
Il faut relativiser la portée de cette tribune, quiconcerne 332 maires d’IledeFrance [plus de400 désormais] sur 1 268. Dès le 17 mars, le groupe scolaire Ronsard a accueilli des enfantsdes personnels soignants, des forces de l’ordreou d’autres personnels mobilisés : 125 en maternelle et 190 en élémentaire. Ça fonctionne bien,main dans la main avec le préfet, la rectrice etles personnels enseignants. L’école fonctionne tous les jours, de 7 heures à 19 heures, y comprispour les activités périscolaires, en respectant lesgestes barrières, la signalétique et en assurant larestauration. Chacun doit prendre ses responsabilités. Les parents peuvent mettre leurenfant à l’école ou pas. Alors, allonsy pas à pas.
Combien d’établissements scolaires et d’élèves sont concernés dans votre ville ?
Nous avons une vingtaine d’écoles. Selon lesinformations qui nous remontent, environ 30 %des élèves devraient être remis à l’école dans les quartiers populaires et de 60 % à 70 % dans le reste de la ville. Nous commencerons par les grandes sections de maternelle, les cours préparatoires, les CE1 et les CM2 dans les quartiers populaires, où les enfants prennent en pleine face la fracture numérique. Les enfants veulent reprendre l’école mais il faut d’abord reconquérir
la confiance, ce qui est loin d’être évident quand,tous les jours en allumant la télé, on a des déclarations plus anxiogènes les unes que les autres.
Quelles dispositions avezvous prises pour pouvoir assurer cette reprise des cours ?
Depuis le début, je ne me suis pas demandé ceque l’Etat allait faire pour moi mais comment j’allais pouvoir faciliter le quotidien de mes administrés, dans des conditions historiques. J’aimis à disposition des kits dans toutes les écoles,tout le personnel est équipé, et jamais je ne me suis demandé si c’était à moi de le faire ou non,si l’Etat allait me filer des masques ou non. Je lesai commandés, à une société française, pourêtre en mesure de répondre aux besoins dans ma commune.
Estimezvous nécessaire de renforcer la sécurité juridique des maires ?
Des dispositions existent, qui sont déjà protectrices. Maintenant, dans ce contexte d’inquiétude, peutêtre seraitil de bon ton pour le gouvernement d’entendre la demande des élus.
Estce que cet appel des maires n’exprime pas une volonté « d’ouvrir le parapluie » et, peutêtre, des arrièrepensées politiques ?
Je comprends l’inquiétude et les appréhensions d’un certain nombre de mes collègues. Mais on ne peut pas, pendant des années, avoir clamé qu’on était les oubliés de la République et,au moment où nous sommes en première ligne,se retourner vers l’Etat et dire : « Non merci, sansnous ». Il faut être cohérent.
propos recueillis par p. rr
« Chacun doit prendre ses responsabilités »stéphane beaudet est maire (divers droite) d’EvryCourcouronnes (68 000 habitants), dans l’Essonne. Le 15 mars, il a été réélu dès le premier tour avec 54,8 % des voix. Président de l’Association des maires d’IledeFrance, il est à l’initiative de la lettre ouverte à Emmanuel Macron, signée par plus de 400 élus.
Qu’estce qui vous a poussé à lancer cette lettre ouverte ?
J’ai reçu une très forte pression de mes collègues qui m’ont fait remonter une crispationbrutale et leurs inquiétudes. Dans leur trèsgrande majorité, les maires ne refusaient pas par principe de rouvrir les écoles mais, pour les départements en zone rouge, ils estiment qu’ilserait bon de repousser cette date. L’IledeFrance est en rouge, mais la confirmation decette carte n’interviendra que le 7 mai, à la veilled’un weekend férié, pour une rentrée prévue lelundi 11. C’est impossible à gérer. Recueillir332 signatures en deux jours, sur les 1 268 maires de la région, plus de 400 aujourd’hui, toutestailles confondues, de la plus petite communerurale à la capitale, c’est du jamaisvu.
N’y atil pas nécessité d’encourager les parents à remettre leurs enfants à l’école ?
Mais ce n’est pas à l’école qu’on va renvoyerles enfants, c’est vers une salle de garderie. Fairecroire ça, c’est faux.
Les maires ne cherchentils pas à se protéger ?Ce n’est pas le sujet. Il est vrai qu’il est néces
saire d’apporter des garanties juridiques alorsqu’on nous renvoie vers une responsabilité
politique qui n’est pas de notre compétence. J’approuve les modifications qui ont été apportées par le Sénat [qui a adopté un amendementqui exclut la responsabilité des élus en cas de contamination]. C’est là qu’on voit qu’il est le représentant des collectivités. J’espère que legouvernement et la majorité ne reviendront pas en arrière.
Comment allezvous procéder pour préparer la rentrée dans votre commune ?
J’ouvrirai lundi mais, chez moi, plus de la moitié des foyers sont des familles populaires. C’estdans les quartiers populaires, où il y a le plus dechômage, où les missions d’intérim se sont arrêtées et où, souvent, il y a la barrière de la langue, qu’il y aura le moins d’enfants qui vont retourner à l’école. Une de mes élus, enseignante,a appelé les parents des vingtcinq élèves de sa classe : deux iront à l’école si elle rouvre. Comment expliquer à ces parents qu’on est en zone rouge et qu’on va quand même à l’école ? Qu’onarrête de nous dire que c’est pour les élèves le plus en difficulté. Ceux qui ont le plus besoin deretourner à l’école ne seront pas ceux qui iront.Et estce que c’est au maire de sélectionner ceuxqui vont être acceptés ou non ? Je m’y refuse.
Estce que ce n’est pas aussi une manière de manifester votre opposition au pouvoir ?
Non, ce n’est pas une fronde politicienne. Depuis deux mois, ce sont les maires qui gèrent la crise. Moi, j’en suis à 300 000 euros de dépenses. Il y a juste un moment où on dit que ce n’estpas possible.
propos recueillis par p. rr
« C’est impossible à gérer »
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 9
A l’école primaire PaulGauguinde Vitrolles (BouchesduRhône),le 5 mai.PATRICK GHERDOUSSIPOUR « LE MONDE » A Vitrolles, « ouvrir les écoles, c’est
fondamental et symbolique »Les quinze groupes scolaires de la ville se préparent à accueillir leurs élèves le 12 mai, sous l’impulsion déterminée de la mairie socialiste
REPORTAGEmarseille correspondant
A l’arrière du groupe scolaire PaulGauguin, enplein cœur de la ville nou
velle de Vitrolles (BouchesduRhône), les nettoyeuses s’offrent un ballet bruyant. Mardi 5 mai, la vaste cour de l’école primaire estaspergée d’une solution désinfectante par les agents municipaux. L’odeur, prenante, se mêle à celle des pins. Au sol, des morceaux de scotch d’emballage délimitent déjà les positions que devront occuper les élèves qui feront leur rentrée, ici, le 12 mai. Deux rangs rigoureusement espacés pour les CP. Et, dix mètres plus loin, une vingtaine de bandes marron marquées au feutre noir « CM2 ».
« Les classes ne se croiseront pas.Une rentrera au rezdechaussée,l’autre montera directement à l’étage par un autre accès », détaille, comme pour mieux mémoriser le dispositif, Claire Pezet, directrice de l’éducation à la mairie de Vitrolles. Rouleau de rubalise en mains, elle vient decondamner les jeux de la cour de maternelle. « Cela ne va pas faireplaisir aux enfants, mais on ne peut pas nettoyer les toboggans àchaque passage », reconnaîtelle.
A Vitrolles, 33 000 habitants,quinze écoles pour 4 500 élèves, laréouverture ne fait pas débat. Le maire socialiste, Loïc Gachon, réélu le 15 mars avec 50,7 % des voix, l’appelle de ses vœux. « C’est fondamental et symbolique », assuretil, à rebours de bon nombrede ses homologues qui demandent un report de quelques semaines, ou, plus radicalement, une fermeture jusqu’en septembre.
« C’est une posture qui rassure lapopulation à peu de frais et évite dese frotter à la réalité. Moi, je n’ai pasl’impression d’avoir plus de responsabilité pénale que d’habitude.
Les écoles, cela relève de la compétence du maire, point », note ce filset frère d’enseignant pour qui « rien ne pourrait justifier que l’onouvre des magasins de chaussures et pas les établissements scolaires ». « C’est une nécessité pour les enfants en rupture et pour les parents qui n’ont d’autre choix que de travailler », poursuitil. Mêmes’il sait par un sondage auprès desparents que, dans sa ville, c’est dans les quartiers d’éducationprioritaire que les élèves seront les moins nombreux à revenir.
« Période formatrice »Masque en madras sur le visage, qu’il descend régulièrement pourfumer une cigarette, Loïc Gachon est venu à pied de sa mairie pour jeter un œil au dispositif de rentrée. A Vitrolles, près de 450 élèves sur les 1 500 qui pourraientreprendre leur scolarité le 12 mai sont prêts à revenir en classe. « La première semaine, nous aurons uneffectif faible et cela sera facile à gérer. Le 25, avec tous les niveaux, cela sera une autre paire de manches, préditil. Les parentsseront consultés chaque mercredi. Nous n’accueillerons que ceux qui ont signalé leur présence », insiste le maire.
L’épidémie de Covid19 n’a pasfermé entièrement l’école PaulGauguin. Depuis le 16 mars, elle accueille des enfants de personnels soignants. Ce mercredi, ils sont quatorze, divisés en deux groupes, primaire et maternelle. A la sortie des sanitaires, où ils se sont lavé les mains en se savonnant jusqu’aux coudes, les plus petits ont du mal à respecter les distances. Leur institutrice a trouvé un truc. « Allez, vous faites l’avion pour revenir en classe », lâchetelleà des gamins, ravis de repartir brasécartés, façon vol plané.
« Cette période a été extrêmement formatrice pour les ensei
gnants qui ont participé au dispositif, glisse Franck Nicolas, 44 ans, directeur de l’école primaire depuis six ans. Le plus compliqué, c’est de ne pas pouvoir aider les enfants comme d’habitude, ne passe rapprocher. » Dans la lettre qu’ila adressée aux parents, le directeur a tenu à rappeler une évidence : « Nous avons bien précisé que, malgré toute notre attention, les enfants pourraient, à un moment ou un autre, oublier de respecter la distanciation sociale. » Masque orné d’un Mickey rieur, une enseignante qui sort d’une demijournée avec des « petites et moyennes sections » abonde : « En maternelle, je ne vois pas comment tu peux les empêcher de bouger… Et en CP, cela va être pareil. »
Cette drôle de rentrée, le directeur l’attend sans stress particulier. « Appliquer le protocole, c’est faisable si on nous en donne les moyens », assuretil. Mercredi 6 mai, il devait recevoir de la mairie le gel hydroalcoolique, les lingettes désinfectantes et masquesde secours que les enseignants pourront choisir de ne pas mettre.« Le port est conseillé mais si la distanciation est respectée, il n’y a pasde raison de le porter. C’est juste pour pouvoir s’approcher des enfants s’il y a un bobo, une urgence quelconque », notetil. Dans une classe de primaire, Nadine
Cuillière, adjointe à l’éducation àla mairie, se saisit du mètre en bois, accroché au tableau noir. Ellemesure l’espace entre chaque table. « Ça va passer », promet l’élueen déplaçant de quelques centimètres un bureau. « A Vitrolles, nos écoles sont majoritairement grandes, pensées pour la démographie de la ville nouvelle dans les années 1980. Aujourd’hui, elles accueillent moins d’élèves. Ce sont des circonstances plus confortables pour appliquer le protocole », concède le maire Loïc Gachon.
Option pique-niqueLa ville, qui consacre annuellement 40 % de son budget de 70 millions d’euros de fonctionnement à l’enfance et à l’éducation, assure aussi pouvoir compter sur l’implication de son personnel. Quarantedeux agents d’entretiensur 80 et 37 agents de maternelle (agent territorial spécialisé des écoles maternelles, Atsem) sur 67 devraient être sur le pont. « La question des Atsem sera une des clés de la reprise en maternelle », reconnaît Loïc Gachon. « Il faut un binôme enseignantAtsem par classe, sinon cela ne sera pas possible », complète son adjointe. L’un comme l’autre auraient préféré que les petites sections ne rentrent qu’au mois de septembre.
Dans les écoles de Vitrolles, l’accueil du matin à 7 h 30 est supprimé mais la garderie jusqu’à 18 h 30 est maintenue. Et pour lacantine, c’est l’option piquenique, fourni par la mairie, qui a été choisie. « Parce qu’elle va nous permettre d’utiliser au mieux les espaces extérieurs. Manger dans les classes, ce sera le dernier recours,détaille Nadine Cuillière, derrière son masque brun fait maison. Une chose est sûre, conclut l’élue,on ne va pas retrouver l’école qu’ona quittée le 16 mars. »
gilles rof
Réouverture du littoral, l’autre fronde des élusPlusieurs élus bretons militent contre l’interdiction de réouverture des plages jusqu’au 1er juin
rennes correspondance
L e besoin de mer est très forten Bretagne. Après le déconfinement, nous devons
retrouver l’accès à notre littoral.Sur ce point, le discours du premierministre [Edouard Philippe], mardi 28 avril, a sonné comme un coup de massue », soupire Didier Le Gac. Le député (La Républiqueen marche, LRM) du Finistère rumine depuis son incompréhension : comment justifier que l’on autorise les Parisiens à retourner dans une rame de métro et que l’on refuse aux Bretons l’accès àleurs plages, pourtant rarement bondées, ainsi qu’aux sentiers côtiers et à la mer ? D’autant que la péninsule figure parmi les territoires français les moins touchés.
Samedi 2 mai, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a confirmé le maintien de l’interdiction, au moins jusqu’au 1er juin, d’accéder aux plages, provoquant l’ire des élus bretons detout bord politique. Et il n’est pas certain que l’amendement voté par les sénateurs dans le cadre de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, mardi 5 mai, etprévoyant que « les plages et les fo
rêts sont ouvertes au public pour lapratique d’une activité sportive individuelle », survive à la deuxièmelecture à l’Assemblée nationale.
Plusieurs pétitions et appels ontvu le jour sur les réseaux sociaux pour « libérer » les 2 700 kilomètres de côtes bretonnes. A commencer par celui du président de région, Loïg ChesnaisGirard,posté sur Twitter et amplement relayé. L’élu socialiste a rédigé unelettre au gouvernement, cosignée par les représentants bretons de l’Association des maires de France.« Notre demande n’a rien d’un caprice. Pour nous, Bretons, le littoralfait partie de notre quotidien. Pour certains, il s’agit même de leur parc
ou de leur jardin, martèle M. ChesnaisGirard. Si le gouvernement semble si crispé sur la réouverture du littoral, c’est parce que ce n’est pas son sujet. Les maires sont prêtsà assumer avec discernement cetteproblématique. Faisonsleur confiance. L’Etat doit accepter que les collectivités locales prolongent laforce républicaine. »
« C’est incompréhensible »Devançant un feu vert du gouvernement, les édiles bretons font remonter aux préfets des plans d’action. A Ploemeur (Morbihan),le maire, Ronan Loas, a cerné, sur les 17 kilomètres de plage de sa commune, ceux qui pourraient
être accessibles « sans risque, à des personnes en mouvement ». Baignades et balades autorisées, rassemblements et bronzette interdits. Un tel dispositif permettrait également de réanimer l’économie du nautisme local.
Ce droit à la différenciation netrouve pas d’écho dans les ministères. « C’est incompréhensible.Lorsque le gouvernement impose aux élus locaux d’organiser la rentrée scolaire, nous assumons cette décision malgré les risques et lesdifficultés qu’elle présente. Lorsquenous demandons de déverrouillerdes poches de respiration pour notre population, on ne nous écoute pas… », s’agace M. Loas.
Il estime que le maintien de l’interdiction d’accès au littoral « cristallise » une défiance grandissante des Bretons envers le gouvernement pour sa gestion de lapandémie. M. Le Gac tente dedompter la fronde contre son camp et temporise jusqu’à la prochaine prise de parole d‘Edouard Philippe : « Je ne peux pas croire que le gouvernement n’entendepas la volonté des Bretons pour desréponses décentralisées, déconcentrées et différenciées. »
benjamin keltz
« RIEN NE POURRAIT JUSTIFIER QUE L’ON
OUVRE DES MAGASINSDE CHAUSSURES ET PAS
LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES »
LOÏC GACHONmaire de Vitrolles
(Bouches-du-Rhône)
LR critique un plan « mal ficelé, ni fait ni à faire »Le parti de droite attaque notamment le caractère volontaire de la rescolarisation
A ttendue par tous lesFrançais impatients dedéconfiner, la date du
11 mai devait aussi être celle duretour à l’école pour leurs enfants. Seulement, rien n’est simple au temps du Covid19, et l’acte le plus naturel relève aujourd’hui du parcours du combattant. Surtout, explique l’opposition, quand le gouvernement « s’évertue à la complexifier ». Déjà peu convaincuspar le plan de déconfinement del’exécutif, Les Républicains (LR) tirent à vue sur le volet scolairede la procédure. « Sur l’école, on atteint la caricature du macronisme et du “en même temps” : l’école est ouverte mais non obligatoire », moque Eric Ciotti, député des AlpesMaritimes.
S’ils ne sont pas tous d’accordsur la nécessité d’une reprise dèslundi – Eric Ciotti aurait préféré attendre le 2 juin –, tous les ténors de la formation de droite fustigent un plan « mal ficelé, ni fait ni à faire ». Le « péché originel », selon FrançoisXavier Bellamy, eurodéputé et professeur de philosophie en classe préparatoire ? Le caractère volontaire de la rescolarisation. « Soit les écoles sont sûres et c’est impossible de les rendre facultatives, soit elles ne le sont pas et on ne les ouvre pas », remarque celui pourqui le retour dans les classes devrait « être une priorité ».
« Désorganisation totale »Un point de vue partagé par Damien Abad, député de l’Ain etprésident du groupe LR à l’Assemblée nationale. Pour lui, le gouvernement crée une « école à la carte » avec « trois niveaux de volontariat » : parental, municipal et professoral. Des conditions qui, mises bout à bout etmélangées aux « injonctionscontradictoires », du ministre
de l’éducation, JeanMichel Blanquer, et du premier ministre, Edouard Philippe, créent de « l’anxiété et un climat difficile », s’inquiète l’élu. Eric Ciotti, lui, craint le « manque de moyens » de certaines petites communes, incapables, selon lui, de fournir gel et masques en quantité suffisante.
« C’est une désorganisation totale. Qui démontre combienBlanquer est peutêtre un théoricien mais pas un praticien, avance pour sa part Aurélien Pradié, député du Lot. En réalité c’est une nondécision. Le vraicourage politique, c’était de fairerentrer tout le monde ou personne. Quand le ministre nous explique que sa position est courageuse, c’est une blague. »
D’autant, expliqueton sansfard à LR, que cette rentrée est une condition sine qua non pour la reprise du travail de nombre de Français. En échos aux inquiétudes « d’écroulement » de l’économie émises par Edouard Philippe, le parti estime urgente une reprise de l’activité dans les secteurs où cela est possible. Le travail, une valeur cardinale pour le parti maisaussi pour ses électeurs, sensibles à la bonne santé économique du pays. « Il faut assumer le discours sur le retour au travail »,affirme ainsi Damien Abad.
« Tout cela est compliqué et délicat, mais la vie et l’économie doivent reprendre pour tous, insiste Valérie BazinMalgras, députée de l’Aube, qui a questionné le ministre de l’éducationsur le sujet au PalaisBourbon. Sile virus est encore là en septembre, on va faire comment ? On va rester comme ça jusqu’à quand ? Il va falloir se débrouiller. » Une donnée que nombre de parents commencent à intégrer.
sarah belouezzane
Aucune plage n’ouvrira en Nouvelle-Aquitaine avant début juinLa préfète de Nouvelle-Aquitaine, Fabienne Buccio, a refusé la proposition de réouverture des plages sur laquelle ont travaillé les maires de vingt communes balnéaires de la côte atlantique. Le 5 mai, en audioconférence, sa réponse a été ferme : aucune plage de la région ne rouvrira avant début juin, comme l’a or-donné le gouvernement. Les arguments des édiles, qui avancent l’ouverture des parcs et jardins dès le 11 mai, n’ont pas convaincu Fabienne Buccio, qui craint que l’appel de l’océan n’attire les populations en trop grand nombre, même dans une limite de 100 kilomètres.
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10 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123
Nicolas Hulot : « Ce serait une erreur pathétique de ne pas tirer les leçons de cette crise »L’exministre de l’écologie liste ses priorités pour faire émerger « un nouveau modèle » imposé par la crise née du Covid19
ENTRETIEN
I l appelle de ses vœux un« nouveau monde » pour rebâtir sur celui mis à genouxpar le Covid19. Pour Nicolas
Hulot, ancien ministre de la transition écologique et solidaire, qui adémissionné de son poste en août 2018, l’heure n’est pas aux divisions, aux querelles de partis ou à la recherche de responsabilités dans la crise. Le président de la fondation qui porte son nom appelle à l’unité, afin de définir un horizon commun. Audelà des mesures urgentes pour le déconfinement, il propose une transformation sociale, écologique, économique, fiscale et démocratique « radicale et cohérente ».
Comment analysezvousles causes de la crise engendrée par le coronavirus ?
Cette crise sanitaire, qui trouveses racines dans des perturbationsd’écosystème, n’est que l’avatar d’une crise beaucoup plus profonde, qui met en relief nos failles,nos excès, nos vulnérabilités. Le Covid19 met à nu les affres de la mondialisation et les limites d’un modèle. Tout est lié : crise économique, écologique, sociale. Il est temps de s’attaquer aux racines du mal, de tirer des enseignements de nos erreurs, de faire l’inventaire, de ce qu’il y a de vertueux et de toxique. Mais si nous contournons le rendezvous critique que cette crise sanitaire nous aimposé, c’est une double peine que nous infligerons aux plus vulnérables. Faisonsen sorte que cette épreuve ne soit pas vaine.
La crise du coronavirus a également mis en évidence notre incapacité collective à anticiper. On aattendu, ici et ailleurs, que le virus franchisse les frontières pour commencer à réagir à la hauteur de la situation. On ne réagit queface au danger tangible et immédiat. La crise climatique, dont les conséquences sont parfaitementdocumentées par toutes les institutions, on la traite encore avec des doses homéopathiques. On a un scénario catastrophe, d’une ampleur sans précédent, mais quiest évitable. Et, pour y faire face,on n’est pas au quart des solutions que l’on a prises contre lecoronavirus.
Le gouvernement, ainsi que l’Union européenne, prendilla mesure de la gravité dela situation et répondilde la bonne façon à la crise ?
Je ne veux pas faire de procèsd’intention. Quand j’entends le président dire qu’il faudra revisiter un certain nombre de choseset que l’impensable doit devenir pensable, il faut aller dans ce sens,car on est sur un point de fragilitéet de vulnérabilité qui nécessitede prendre au mot les uns et les autres. Cette profonde crise systémique peut très bien, par la combinaison d’autres crises, provoquer un chaos qui nous échappera totalement.
Nous sommes face à une doubleréflexion et, parfois, elle peutsembler antinomique. Il y a d’abord une urgence sociale, humanitaire, à laquelle il faut répondre avec les outils disponibles. Mais la responsabilité de celles et de ceux qui ont la tête hors de l’eau est de penser simultanément, ou en tout cas dans un temps très court, au monde d’après, et de le faire avec cohérence, le principeclé pour rétablirla confiance entre le politique etle citoyen. C’est là que l’on jugera si l’on en a tiré les leçons. Je donneun exemple : quand l’Europe signe un accord de libreéchange avec le Mexique ou le Vietnam, la cohérence n’est pas encore là. Ilfaudra voir si l’on est capable de définir l’absolu prioritaire et de leconstitutionnaliser. Un absoluqui tienne compte des critères sociaux et écologiques qui doivent guider toutes nos politiques ettous nos comportements.
Comment concilier écologieet reprise économique ?
Concilier fin du mois et fin dumonde est un exercice très délicat.Aucun des deux ne doit occulter l’autre, et il faut garder à l’espritque, pour beaucoup de personnes − et c’est tout à fait légitime et humain −, la fin du mois peut primersur le reste. Avec le collectif du Pacte du pouvoir de vivre, nous avons fait quinze propositions pour essayer de faire face à cette première urgence : verser une aideexceptionnelle de solidarité, de 250 euros par mois et par personne, aux ménages les plus en difficulté, créer un fonds national pour aider les locataires fragilisés à payer leur loyer, revaloriser le montant du RSA, etc.
Mais, si l’on veut ne pas reproduire les crises, si l’on veut pouvoirretrouver une forme de sérénité visàvis de l’avenir, il y a un modèle que l’on ne peut pas poursuivre jusqu’à l’absurde et qu’il faut remettre à plat. Cette crise rend recevables des propositions qui semblaient totalement inatteignables jusqu’à présent. Donc, c’est le moment de débattre, par exemple, du revenu universel, de la taxe sur les transactions financières, de la relocalisation d’un certain nombre d’activités et des chaînes de valeur − cette crise a mis en évidence notre dépendance aux productions faites au bout du monde, notamment en Asie −, mais aussi la nécessité du juste échange plutôt que du libreéchange, ou encore de la revalorisation de tous les métiers vitaux.
Ce nouveau modèle ne va pas s’ériger spontanément en quelques jours, mais on peut fixer l’horizon pour le constituer. Il faut le faire, encore une fois, non pas dans la confrontation, mais dans l’addition et dans la mutualisation. C’estpourquoi on doit générer un changement d’état d’esprit, afin de mettre fin à la défiance entre les uns et les autres. Si, demain, le temps des procureurs l’emporte sur le temps des éclaireurs, on ira dans le mur.
Qui sont ces « procureurs » ?Je vois le danger poindre, au mo
ment de la sortie du confinement,que quelquesuns veuillent trouver des responsables ou juste profiter du moment de désarroi de l’exécutif pour déjà se projeter pour 2022. Ils peuvent créer de la confusion au moment où l’on va avoir besoin d’unité. Pour moi, le moment est à la projection vers l’avenir, et chacun doit contribuer à un horizon commun. On peut faire de ce moment un grand moment, ou bien on peut en faire un petit moment mesquin, fait de divisions, de confrontations − comme l’opposition menée par le Sénat, lundi [les élus du Palais du Luxembourg ont rejeté le plan de déconfinement présenté par le premier ministre]. Nous venons de faire l’expérience de l’essentiel, retrouvonsnous sur l’essentiel et mettons nos querelles du passé decôté pour l’instant. Profitons que les esprits ont été bousculés pour, sans dogmatisme, parvenir à une unité de la nation, à créer un cercle
vertueux entre la volonté citoyenne et la faculté politique.
Comprenezvous les citoyens qui se sont sentis mis en danger par l’impréparationdu gouvernement sur lesmasques et les tests oules appels des soignants ?
Quand on a été atteint dans sachair, quand des proches ont été touchés, quand on est soignant… évidemment que je comprends ces critiques. Je mets juste en garde : l’urgence est le rassemblement, pas la division. Dans une crise sanitaire, pour un responsable politique, la boussole, c’est lascience. Mais elle a dû ellemême faire face à beaucoup d’inconnus. Dans de telles circonstances, chaque décision est difficile. Cela n’occulte pas que la plupart des nations, à commencer par la nôtre, ont été prises de court pour faire face à ces situations.
Vous dites que c’est le tempsdu débat, mais des aides économiques massives sont en train d’être décidées. Etesvousfavorable à leur conditionnalité ?
Des aides sont évidemment né
cessaires pour éviter l’aggravation de la situation, que des grandes oudes petites entreprises ne mettent la clé sous la porte. Il faut des aidesimmédiates pour les citoyens en difficulté, ne seraitce que pour nourrir leurs enfants. Mais quand on commence à faire tourner la planche à billets, essayons de ne pas reproduire ce que l’on a fait après la crise financière de 2008. Ace momentlà, une grande part de l’argent est partie dans l’économiespéculative, sans conditions.
Bien entendu, chaque sommeinvestie – de ce qui est l’argent des citoyens, ces dizaines de milliards que l’on ne trouvait pas il y a encore peu de temps – doit l’être avecune perspective claire. Si l’Etatprovidence est de retour, ce que je souhaite, cela ne peut pas être sans contrepartie. Le gouvernement doit prendre date pour un grand rendezvous, afin de construire cet horizon commun et définir les priorités.
Les conditions demandéesà Air France en contrepartiede l’aide de 7 milliards d’euros étaientelles suffisantes ?
J’ai eu un échange avec Bruno LeMaire, qui n’a pas pris pour argent comptant la lettre du Medef [début avril, le syndicat des patrons avait demandé à Elisabeth Borne, la ministre de la transition écologique et solidaire, « un moratoire surles dispositions énergétiques et environnementales »]. L’Etat doit être clair en demandant des contreparties concrètes. Pour cela, il faudra de la concertation et une
planification générale, où l’on fixera des objectifs. Cela ne se fait pas sur les plateaux de télévision. Il faut se poser, prendre acte.
Fautil sacrifier des branches,par exemple dans les transports ou les énergies fossiles ?
Il y a trois principes que je voulais mettre en œuvre quand j’étais ministre de la transition écologique et solidaire : la prévisibilité, la progressivité et l’irréversibilité. Ilfaut se fixer collectivement de grands objectifs, dont certains peuvent être à un an, à dix ans… Mais il faut faire en sorte qu’aucunacteur ne s’imagine que cela puisse être réversible. Cela doit être programmé, et les aides de l’Etat doivent y participer.
Il ne faut pas mettre à bas le secteur automobile, mais, en tenant compte de contraintes énergétiques et climatiques, il faut lui fixerun certain nombre d’objectifs. Tout cela ne peut se faire au bon vouloir des industriels, l’Etat doit fixer des normes. La société, qui a accepté sans sourciller d’être privée de libertés fondamentales, rêve de pouvoir retrouver confiance en l’avenir, il faut donc faireles choses en grand. Le monde d’après sera radicalement différent de celui d’aujourd’hui, et il le sera de gré ou de force. Certaines choses demeureront compatibles, d’autres ne le seront plus.
Quelles seront les choses, concrètement, que les citoyens ne pourront plus faire selon vous ?
On ne pourra plus prendrel’avion comme avant, plus non plus avoir un produit qui arrive par Amazon du bout du monde envingtquatre heures, par exemple. Pourraton, pour ceux qui peuvent se le permettre, acheter des bolides ou des SUV, j’espère que non. Trouveraton des produits alimentaires hors saison dans les magasins ? Non. Rapidement, il faudra que l’offre et la consommation changent.
Finalement, à quoi ressemblerace « jour d’après » ?
Il faut d’abord le construire. Lepremier rendezvous à prendre, dès que les conditions seront réunies, c’est celui où l’on définit col
« C’EST LE MOMENT DE DÉBATTRE DU REVENU
UNIVERSEL OU DE LA REVALORISATIONDES MÉTIERS VITAUX »
Nicolas Hulot à SaintLunaire (IlleetVilaine), le 5 mai. Capture d’image réalisée grâce à une application de visioconférence. ED ALCOCK/MYOP POUR « LE MONDE »
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 11
lectivement le nouveau modèle économique et démocratique. Il ne faudra rien s’interdire en termes de propositions. Réformer la fiscalité et avoir une TVA incitative, en Europe, sur les biens et les services écologiquement et socialement vertueux, et qui soit dissuasive sur des biens toxiques, permettant de structurer les modes de production et de consommation. Remettre sur la table l’idée des monnaies locales complémentaires qui permettraient à des collectivités de pouvoir aider les plus démunis à accéder à des biens et des services de première nécessité. Revaloriser très rapidement ces métiers essentiels que l’on a redécouverts pendant la pandémie de Covid19.
Et, dans ce monde où se confrontent toutes les inégalités, il faudra lutter contre le déterminisme social. Cela peut paraître grandiloquent, mais ce monde insupportable, qui crée de l’humiliation, n’a pas d’issue pacifique. Ildoit être radical en humanité et en solidarité. Il faut donc distribuer de l’argent, se fixer des limites dans les revenus, dans la cupidité. Le temps de l’Etat régulateur est revenu, mais sur des bases démocratiques, avec des citoyens qui doivent participer à l’énoncé de ces règles communes. Dans un deuxième temps, il faudra dresserles perspectives d’une troisième Chambre dans laquelle on fera entrer les citoyens, les corps intermédiaires qui contribueront à dessiner, à planifier le futur.
Comment, justement, financer ces transformations ?
Nous devons sortir d’une grandemystification que je dénonce depuis très longtemps, et qui est à l’origine de ce discrédit entre le citoyen et le politique. L’Etat est quasiment en situation de banqueroute, si l’on suit les dogmes budgétaires. Et de fait, quand il prometde l’argent, soit c’est de l’argent qu’il n’a pas, soit de l’argent que l’on promet aux uns et que l’on enlève aux autres.
Nous avons depuis des décennies laissé un pan entier de l’économie nous échapper. Tant que l’Europe s’accommodera de l’évasion et de l’optimisation fiscales, d’une finance qui s’est organisée pour ne pas participer à l’impôt, on nous promettra de l’austérité. Et nous n’aurons pas la possibilité d’atteindre nos objectifs écologiques et sociaux. Tant que nous restons dans les dogmes budgétaires et que nous n’acceptons pas d’investir en grand sur cette transitionsociétale, on n’y arrivera pas. La priorité des priorités, c’est d’aller chercher l’argent là où il est, de taxer de manière plus importante les revenus qui ne sont pas issus du travail, de mettre fin à ce capitalisme sauvage. Si on veut éviter lestensions sociales qui vont poindredemain, il faut redonner de l’équité. Mais dans l’urgence, ne nous interdisons pas de faire de la dette dès lors que cet argent est fléché pour développer massivement les solutions et non pour prolonger ce qui est la cause de nosproblèmes. On meurt du Covid19,de la canicule, pas de la dette.
Fautil rétablir des frontières économiques, physiques ?
Sans tomber dans le piège desnationalistes et des protectionnistes, il faut trouver cette troisième voie entre l’autarcie et le néolibéralisme. On doit continuer à commercer, mais les frontières de l’Europe doivent être des sortes d’écluses, servir de leviers pourimposer des normes environnementales, sanitaires et sociales. C’est le juste échange.
Vous proposez donc une conférence écologique et sociale pour que les élus et les citoyens préparent le « jour d’après »…
Cela peut éventuellement s’inspirer d’un format type Grenelle mais l’important, c’est qu’on définisse bien la finalité. Et que cela ne
soit pas une énième consultation sans lendemain. Mais à terme, l’idée est de constituer une troisième Assemblée, qui prenne de lahauteur par rapport au jeu politicien, mais surtout qui planifie l’avenir en s’extrayant du rythme médiatique et politique. Quand on voit que le Sénat n’a qu’une vocation, c’est de déliter ce que l’Assemblée a fait, il apparaît urgent de sortir de ces petits jeux mortels.
A quoi ressemblerait cettetroisième Assemblée ?
Il faut travailler sur le socle duConseil économique, social et environnemental, qui produit déjà beaucoup. Il faut y intégrer des experts, des scientifiques, et davantage de citoyens. Il faut associer l’ensemble de la nation à la complexité pour que chacun comprenne que les choses ne sont jamais ni blanches ni noires.
Cela ne risquetil pas d’empiéter sur le terrain de la conventioncitoyenne pour le climat, qui doit remettre des propositionsà Emmanuel Macron, en juin ?
Il faut agréger les différentes initiatives. La convention citoyenne est une bonne initiative, qui a été empruntée à un outil plus vaste. Lors de la campagne présidentielled’Emmanuel Macron, ma Fondation avait mis sur la table l’idée d’une « Chambre du futur ». Dans les réflexions sur cette troisième Chambre, il y avait l’idée de citoyens tirés au sort. Au moment du conflit des « gilets jaunes », le président a décidé de reprendre cette idée. Je trouve cela bien, maisce n’est pas suffisant. Confronter brutalement des citoyens à la complexité des dossiers, leur faire une formation accélérée… Tout cela est très bien, mais cela ne peutpas se faire en quelques weekendset sans garanties sur l’utilisation de leurs travaux. Il faut pérennisercet outil, en faisant jaillir une démocratie vraiment inclusive. Le cercle vertueux entre des citoyens qui proposent et des politiques quien tiennent compte, cela doit avoir lieu en permanence, au sein de cette troisième Chambre.
Plaidezvous toujours pourun changement institutionnel, avec l’émergence d’une VIe République ?
Je ne sais pas s’il faut aller jusquelà mais il y a des révisions constitutionnelles qu’il faudrait faire à l’horizon de début 2021, issues des réflexions de la grande conférence à venir, sans attendre 2022. Au passage, je le dis d’ailleursà ceux qui n’ont que la présidentielle à l’esprit : on s’en contrefiche de 2022 !
Pourquoi ditesvous cela ?C’est un coup de colère, car je
vois la tentation de quelquesuns, dans l’opposition, de profiter de la fragilité du gouvernement pour semettre en ordre de marche pour 2022. Alors que ce n’est pas le moment. Il reste encore deux années déterminantes pour l’avenir de l’Europe et de notre pays. En 2022, tout sera déjà plié dans un sens ou un autre en fonction de nos choix et décisions des prochains mois. La seule chose qui doit nous animer est : qu’estce que nous pouvons faire maintenant pour rassembler la nation et contribuer à modifier le monde de demain ?
Avec cent principes pour unnouveau monde, votre manifeste pour un pacte social et écologique ressemble pourtant à une déclaration de candidature… Excluezvous d’être candidatà la présidentielle de 2022 ?
Encore une fois, je suis à des annéeslumière de cette échéance.Notre manifeste n’est pas un actepolitique : il a vocation à tenter de rassembler autour de principes, d’où découleront, je l’espère,des choix politiques et économiques. A mes yeux, 2022, c’est presque de la sciencefiction, cartout se joue dans les semaines et
les mois qui viennent, avec desdécisions majeures à prendre.C’est l’heure de vérité pour l’Europe, par exemple. Soit on continue avec cette économie de marché, où règne la loi du plus fort,soit on bascule dans une Europe des solidarités, qui tende la mainà l’Afrique. Soit on va dans une forme de fanatisme, en repartantà l’identique, soit on tire les leçons de cette crise.
C’est la seule chose qui m’anime.J’ai un engagement politique au sens sociétal du terme, qui est total, pour créer de la convergence et un cercle vertueux entre citoyens et politiques. C’est le seulrôle que je joue. Alors que le gouvernement est en difficulté, je suis
dans un esprit de coopération, sans être naïf ni indulgent. L’idée, c’est d’être exigeant. Et je vais être très exigeant dans les semaines à venir.
Croyezvous EmmanuelMacron capable de sortir dela politique « des petits pas », que vous aviez dénoncée, pour se montrer plus ambitieux dans son action écologique ?
Je veux y croire. Il a bien dit auFinancial Times : « Il faut que leschoses impensables deviennent pensables. » Je dis chiche ! On jugera aux actes et à la cohérence.Cela vaut pour notre président, comme pour l’Europe. On nepeut pas interdire aux gensd’évoluer. On vient de se prendreune énorme claque, beaucoup deresponsables politiques me disent avoir compris que notre modèle n’est plus tenable, qu’on a atteint une rupture physique… J’espère que cette crise va éveiller lesesprits, y compris d’EmmanuelMacron. A lui de profiter de cemoment pour engager un vraichangement de modèle.
Sur quels critères le jugerezvous ?Nous verrons s’il est capable de
sortir des sentiers battus. J’attendsde voir, par exemple, si l’on reste dans les traités de libreéchange, ce que l’on me dira sur la possibilité de mettre en œuvre une taxe sur les transactions financières, sur le fait d’aller chercher des ressources dans les revenus du capital. Vaton continuer à donner desavantages à des entreprises qui sont domiciliées dans des paradis fiscaux ? Voilà les critères pour juger sur pièce. Je donne une chanceet j’accorde crédit pour l’instant. Mais attention : ce serait une erreur pathétique de ne pas tirer les leçons de cette crise. Car la peur peut générer soit de la violence, soit de l’audace. Maintenant, à nous de choisir.
Que pouvezvous faire pourpeser dans la sortie de crise ? Avezvous l’oreille du président ?
Je parle avec le président, certains ministres, des membres de l’opposition. J’essaie de faire converger. Cela peut se faire dans la courtoisie, mais aussi dans une
forme de radicalité. Nous sommes dans une situation radicale,je ne m’accommoderai pas demesures qui ne soient pas radicales. Cela ne servirait à rien.
Comment vivezvousle confinement ?
Avec des émotions très différentes. D’abord la peur et la tristesse pour les gens qui se sont retrouvésdans les affres sanitaires. On se sentait presque coupables de ne pas être plus utiles ou d’échapper à cette loterie sanitaire. Mais j’ai découvert les vertus de prendre son temps pour chaque chose, les vertus de l’écoute, de la lecture, dudialogue avec ses proches, mais aussi avec ses adversaires. Il faut que le monde ralentisse. Tous les chemins n’ont pas d’issue. Le chemin de ce modèle ultralibéral, de cette mondialisation qui échange des choses qui n’ont aucune utilité, n’en a pas. Il va falloir distinguer le toxique du vertueux.
propos recueillis parrémi barroux, audrey garric,
alexandre lemariéet abel mestre
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12 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123
Covid19 : le patronat veut être protégé par la loiLe Sénat a adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement excluant la responsabilité des employeurs
L es patrons ont peur de subir les foudres de la justice, même lorsqu’ilspensent avoir tout fait
pour protéger leurs salariés du Covid19. C’est, en substance, le message qu’ils viennent de transmettre à Muriel Pénicaud, la ministre du travail, dans une lettre cosignée par six des plus importantes organisations d’employeurs, dont le Medef, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P). Leur offensive groupée vise à obtenir un changement de la législation afin de « mettre fin à l’insécurité juridique qui pèse » sur les dirigeants de sociétés. Pour les auteurs de ce courrier, en date du 30 avril, les textes doivent êtreadaptés « à la situation actuelle, etnotamment au risque pandémique, dont nul ne peut prétendre avoir la maîtrise et dont les entreprises ne sont pas à l’origine ».
La crainte exprimée par le patronat ne date pas d’hier. Elle renvoie à un corpus de règles, sur la santé et la sécurité au travail, issues de la loi et de la jurisprudence. Les employeurs sont soumis à une « obligation de moyensrenforcée, ce qui veut dire qu’ils ne seront pas considérés responsables, s’ils démontrent qu’ils ont mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des personnels », explique Pascal Lokiec, professeur à l’école de droit de la Sorbonne.
Dans l’hypothèse où un salariépense que sa hiérarchie a manquéà ses devoirs, le contentieux peut être porté devant les juges. C’est alors eux qui apprécient si l’entreprise s’est conformée à son « obligation de moyens renforcée ». Lefait d’être suspendu à une décision souveraine de magistrats nerassure guère les employeurs, enparticulier depuis le début de l’épidémie. A maintes reprises,des travailleurs se sont plaints desconditions dans lesquelles ils exerçaient leur métier : tropgrande promiscuité avec des collègues, absence de masques et de gel hydroalcoolique… Plusieurs plaintes pour « mise en danger dela vie d’autrui » ont été déposées.
« Mécanique infernale »Le ministère du travail s’est efforcé de clarifier les règles en diffusant des « fichesconseils » puis un « protocole national de déconfinement » : ces vademecum indiquent aux patrons la marche à suivre pour que leur activité soit
maintenue ou reprenne en veillant à la sécurité des équipes. Mais les inquiétudes persistent.« On a beau suivre tout ce que disent ces guides, on n’est pas garantis que quelqu’un ne déclenchera pas une action en justice, confie François Asselin, présidentde la CPME. La mécanique infernale d’une procédure pénale peut alors se mettre en route et, mêmes’il n’y a pas de condamnation au bout, vous aurez subi le terribleparcours initiatique d’une comparution en correctionnelle. »
« Ça génère une anxiété assezforte, et ça fait aussi partie des freins à la reprise d’activité », enchaîne Geoffroy Roux de Bézieux,le numéro un du Medef. « C’est surtout dans les petites boîtes que le problème se pose, là où il n’y apas de délégation de responsabilité, ajoute Jacques Chanut, président de la Fédération française dubâtiment. Il y a un sentiment d’injustice totale. Comment peutonprouver que le salarié a attrapé le virus en travaillant et pas en achetant sa viande chez le boucher ? » Pour Alain Griset, le président de l’U2P, « il faut sécuriser tout le monde : le consommateur, le salarié et le chef d’entreprise ».
Les leaders patronaux assurentqu’ils ne cherchent nullement às’exonérer de leurs devoirs. « Notre démarche ne signifie pas que l’employeur ne doit rien faire, ni se préoccuper de la santé et de la sécurité de ses personnels », affirme Hugues Vidor, responsablede l’Union des employeurs de
l’économie sociale et solidaire, l’une des organisations signataires du courrier à la ministre du travail. Mais cette même lettre insiste sur la nécessité « de limiter etde clarifier le périmètre » de l’obligation de moyens renforcée, de manière à « éviter d’éventuellesmises en cause de la responsabilitécivile et pénale de l’employeur qui a fait diligence ».
Pour atteindre cet objectif, unesolution existe : prendre « unemesure législative dans l’esprit et dans la lettre » d’une directiveeuropéenne datant de 1989, écrivent les six mouvements patronaux à Mme Pénicaud. La directive en question offre la faculté aux Etats membres « d’exclure ou dediminuer » la responsabilité desemployeurs « pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères à ces derniers (…) ou à des événements exceptionnels ». LeMedef plaide également pour queles fichesconseils et le protocole de déconfinement du ministère du travail aient « une valeur juridique » : si ces documents sont appliqués strictement, l’obligation de moyens pourra être considérée comme remplie.
« Malade professionnelle »« S’il s’agit de protéger les employeurs face au risque de voir leur responsabilité engagée dans le contexte de l’épidémie de Covid19, cette seule directive ne permet pas, selon mon analyse, de garantir leur exonération, et nécessiterait donc l’adjonction de nouvelles dis
positions », commente Me MarieHélène Bensadoun, viceprésidente d’Avosial, une association d’avocats qui conseille les employeurs. Professeur émérite à l’université ParisNanterre, Antoine LyonCaen s’interroge « sur l’utilité d’introduire une exceptionau régime de la responsabilité de l’employeur » : si ce dernier se conforme aux instructions du ministèrel, « il me paraît difficile deprétendre qu’il aurait manqué à ses obligations », complètetil.
Sans surprise, les syndicats réagissent assez mal à l’initiative du patronat. « Ce serait un très mauvais signal que de faire évoluer la loi », a déclaré Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT,dans un entretien au Monde. La position affichée dans la lettre à Mme Pénicaud est « particulièrement violente », juge Jérôme Vivenza (CGT) : « Surtout pendant leconfinement, l’un des principaux risques d’attraper le virus, c’est en allant sur son lieu de travail. » Serge Legagnoa (FO) qualifie de « scandaleux » le souhait des mouvements d’employeurs. Pour
lui, il conviendrait de prévoir « la reconnaissance du Covid19 enmaladie professionnelle » pour l’ensemble des salariés : une telle décision permettrait « de prendreen charge les personnes concernées et de sécuriser les employeurs qui feraient face à beaucoupmoins d’actions juridiques ».
Lundi 4 mai, les sénateurs sesont emparés du sujet en adoptant, contre l’avis du gouvernement, un amendement excluant toute responsabilité des élus locaux, fonctionnaires et employeurs en cas de contaminationpar le Covid19 pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, àmoins que les faits aient été commis « intentionnellement », « par imprudence ou négligence »,ou « en violation manifestementdélibérée d’une mesure de police administrative ».
Au ministère du travail, on seretranche derrière des propos tenus, lundi, par Edouard Philippe, selon lesquels « l’heure n’est pas à atténuer la responsabilité des maires ou des employeurs ». « Aujourd’hui, les entreprises ont une obligation de moyens, poursuiton dans l’entourage de Mme Pénicaud. Pour les accompagner, nous avons publié 51 guideset un protocole. Si besoin, on clarifiera ce qu’est cette obligation de moyens mais l’idée n’est pas de diminuer la responsabilité des employeurs, comme l’a indiqué le premier ministre. »
raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel
Les collectivités territoriales devraient perdre 15 milliards d’eurosMalgré une lourde perte de recettes pour les territoires, le gouvernement a annoncé qu’il maintenait la suppression de la taxe d’habitation
P rès de 15 milliards d’euros.C’est le montant estimédes pertes de recettes que
devraient essuyer les collectivités territoriales en 2020 et 2021 du fait de la crise provoquée par le Covid19, tel qu’il ressort des auditions des ministres Gérald Darmanin et Olivier Dussopt, mercredi 29 avril, devant la commission des finances de l’Assemblée nationale, et de Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, mardi 5 mai, devant son homologue du Sénat. L’impact, certes, sera limitéà court terme. D’une part, parceque la trésorerie des administrations publiques locales s’élevait à 46 milliards d’euros à la fin du mois d’avril, comme l’a révélé leministre de l’action et des comptes publics, M. Darmanin. D’autre part, parce que la plupart des recettes fiscales – pas toutes – sont perçues à l’année n + 1.
Aussi, pour la plupart des collectivités territoriales, l’essentiel des
difficultés se fera sentir en 2021.Selon les ministres, la perte de recettes devrait être de l’ordre de 4 milliards d’euros en 2020 et de 10 milliards en 2021, toutes collectivités confondues. Un montant qui peut être amené à changer en fonction de l’évolution de la crise. De plus, il faut réintégrer dans les comptes des collectivités les dépenses supplémentaires généréespar la crise, mais aussi les moindres dépenses, afin d’évaluer précisément les pertes. C’est l’objetde la mission confiée au présidentde la délégation aux collectivitésterritoriales et à la décentralisation de l’Assemblée, le député du Gers JeanRené Cazeneuve (La République en marche), qui devraitrendre son rapport fin juin.
Les collectivités locales ne sontpas toutes logées à la même enseigne, du fait de la diversité deleurs ressources et des compétences qu’elles exercent, mais aussi de leurs spécificités. Toutes ne se
ront pas affectées de la mêmemanière. Le choc, néanmoins, risque d’être très dur pour certaines d’entre elles. Notamment les collectivités ultramarines, dont une partie importante des recettes repose sur l’octroi d’outremer, une taxe perçue sur les produits importés qui peut parfois représenter jusqu’à 60 % des recettes d’une commune, ainsi que pour les collectivités fortement dépendantes de l’activité touristique, comme la Corse.
Fréquentation touristiquePeu de communes connaissent aujourd’hui des difficultés : unequarantaine, souvent des très petites, qui étaient déjà dans le rouge avant la crise et auxquelles la direction générale des finances publiques a accordé des avances de trésorerie. Mais, avec la crise etla baisse de fréquentation touristique, certaines d’entre elles devraient voir brutalement chuter
leurs revenus tirés de la taxe deséjour ou de la taxe casino : ville touristique plus casino, c’est le ticket perdant, jusqu’à 15 % de recettes en moins.
L’autre perte importante derecettes portera sur les droits demutation à titre onéreux (DMTO),les frais de notaire perçus par les départements, majoritairement, et les communes, du fait de la mise quasi à l’arrêt des transactions immobilières. Mardi matin, devant les sénateurs, la ministre
de la cohésion des territoires, Mme Gourault, a indiqué que labaisse des recettes de DMTO en 2020 devrait être de l’ordre de25 % et qu’elle représenterait 3,4 milliards d’euros pour les départements, soit un peu plus d’un quart de leurs recettes fiscales, et d’environ 1 milliard d’euros pour les communes.
De fortes inquiétudes pèsentsur les départements, qui risquent d’être confrontés à un « effet ciseaux » entre la baisse de leurs recettes de DMTO et la hausse de leurs dépenses sociales, notamment les dépenses de RSA, alors qu’en parallèle devrait se poursuivre la réforme de la taxe d’habitation, entraînant pour eux la perte de cette fiscalitélocale, remplacée par une fractionde TVA. Les ministres ont confirmé que la crise ne la remettaitpas en cause. « Il n’y a pas lieu des’inquiéter pour la dynamique dunouveau panier de ressources fis
cales des collectivités du bloc communal », a assuré le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt.
Pas plus que pour les départements, atil ajouté, évoquant un possible « effet d’aubaine », la loi de finances prévoyant que la fraction de TVA attribuée aux départements en 2021 serait équivalente aux recettes de taxe foncièresur les propriétés bâties (TFPB) perçues en 2020 majorées de 250 millions d’euros. « Pour les départements, la réforme de la taxe d’habitation est extrêmement protectrice », affirme M. Dussopt, à rebours des nombreux commentaires signalant que la substitutionde la TFPB par une part de TVA, dans cette période de chute de la consommation, aurait été dramatique pour les départements.
Les régions, qui ont vu en 2017leur dotation globale de fonctionnement remplacée par une fraction de TVA, ne devraientd’ailleurs subir qu’un impact modéré puisque la loi prévoit un dispositif leur garantissant un montant au moins équivalent à leursrecettes de TFPB en 2017, soit4,1 milliards d’euros. Ainsi, leurs pertes ne devraient pas excéder, au maximum, 264 millionsd’euros. Elles risquent en revanche d’être beaucoup plus fortement affectées, en 2021, par labaisse des impôts de production,comme la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises.
Enfin, si la participation des régions au fonds national de solidarité avec les petites entreprises, à hauteur de 500 millions d’euros,pourra être inscrite en investissement et non en dépenses de fonctionnement, il n’en ira pas demême pour les autres dépenses liées à l’épidémie de Covid19. Le gouvernement envisage toutefois, ont indiqué les ministres, qu’elles puissent être lissées sur plusieurs exercices.
patrick roger
Certaines communes
devraient voir brutalement chuter leurs
revenus tirés dela taxe de séjour
Depuis le débutde l’épidémie,
plusieurs plaintespour « mise en
danger de la vied’autrui » ont été
déposées pardes travailleurs
« Ce seraitun très mauvais
signal quede faire évoluer
la loi »LAURENT BERGER
secrétaire général de la CFDT
c’est une première photographie,encore parcellaire, des effets sur lesfinances publiques de la pandémie deCovid19. Mais elle permet déjà d’esquisser les conséquences des deux premières semaines de confinement, en vigueur en France depuis le 17 mars. Le déficit du budget de l’Etat s’est établi à52,5 milliards d’euros au premier trimestre 2020, se creusant de 11,8 milliards d’euros à fin mars par rapport à la mêmepériode de 2019, selon les données publiées, mardi 5 mai, par le ministère de l’action et des comptes publics. « Les premiers effets de la crise sanitaire sont observés en recettes et en dépenses », indique le communiqué.
Les mesures exceptionnelles prises enréponse à la crise sanitaire et économique ont pesé sur les dépenses, avec notamment 2 milliards d’euros consacrés au dispositif exceptionnel de chômage
partiel, mais aussi sur les recettes, en baisse de 6 milliards d’euros par rapport à 2019. Ainsi, alors que la consommationest en berne, les recettes de TVA ontfondu de près d’un quart, amputées de8,3 milliards d’euros. Quant à l’impôt surles sociétés, il est en recul de 2,8 milliardsd’euros, près d’un tiers, « en lien avec les reports de règlement des échéances fiscales accordés aux entreprises en difficulté », détaille le communiqué de Bercy.
Les compteurs ne sont pas arrêtésEt encore ces pertes sontelles compensées par une forte hausse des recettes del’impôt sur le revenu, passées de 10,6 milliards d’euros à 15,1 milliards d’euros sur la période, en raison de la mise en place du prélèvement à la source. Dans le nouveau système en effet, les revenus relatifs à décembre 2019ont été perçus dès janvier 2020.
Mais, alors que le gouvernement a déjàdéployé un plan de soutien à l’économiede 110 milliards d’euros, les compteurs sont loin d’être arrêtés. Lundi soir, Bercy a confirmé la décision d’exonérer de charges sociales et fiscales pour les moisde mars, avril et mai les entreprises de moins de dix salariés ayant fait l’objet defermetures administratives durant le confinement – soit l’essentiel des petits commerces non alimentaires.
« Il est trop tôt pour donner un chiffreprécis » pour ces nouvelles exonérations de charge, indiqueton dans l’entouragede Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, évoquantun coût de « plus d’un milliard d’euros ». Un troisième projet de loi de finances rectificative devra valider ces nouvelles dépenses, mais « ce n’est pas pour la semaine prochaine », se contenteton de dire à Bercy. Le plan de relance est, lui, at
tendu pour septembre ou octobre.Certains secteurs comme l’aéronautique, l’automobile ou le tourisme serontparticulièrement soutenus, a annoncé il y a quelques jours le ministre de l’économie, Bruno Le Maire.
Lors d’une audition devant la commission des finances de l’Assemblée, M. Darmanin a d’ailleurs précisé que le budget 2021, qui sera présenté à l’automne, sera un budget « de relance ». « Nous sommesen train de travailler (…) en imaginant (…) une construction » qui permette « d’isolerles dépenses » consacrées à la relance des budgets alloués aux différents ministères, atil affirmé. « C’est une proposition que nous avons formulée au premier ministre », atil ajouté, précisant que,même s’il s’agissait d’une question deforme, cela permettrait de rendre plus lisible la discussion budgétaire.
audrey tonnelier
Les recettes fiscales de l’Etat sérieusement amputées par la crise
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 13
Les banques françaises résistent… pour l’instantFace au choc de la pandémie, Société générale, BNP Paribas et Crédit agricole accumulent les provisions
L e confinement sanitaireaura des répercussionséconomiques majeuresqui, si elles étaient dura
bles, pourraient bouleverser le secteur bancaire. A ce stade, néanmoins, les grandes banques européennes et américaines font face avec plus ou moins de brio.« Comme le système est arrosé deliquidités, de garanties, de protections, il est trop tôt pour observer des défauts d’entreprises », note Nicolas Véron, économiste ducentre de réflexion européen Bruegel et au Peterson Institutede Washington.
Mais, au premier trimestre, lesinstitutions françaises ont affichédes résultats marqués par la crise.Si Société générale, grevée par sa banque de financement et d’investissement, a essuyé une perte de 326 millions d’euros, BNP Paribas et le Crédit agricole enregistrent des bénéfices confortables(respectivement de 1,3 milliard et 908 millions d’euros) bien qu’ennet recul, de 33 % pour chacun.
Des « mégaprovisions » en prévision de crédits non remboursés C’est l’indicateur le plus évident des graves dommages économiques que va provoquer le Covid19. Les comptes du premiertrimestre 2020 des banques européennes, et surtout américaines,font apparaître une flambée du« coût du risque », c’estàdire desprovisions qu’elles doivent constituer pour faire face à des pertespotentielles de crédits, parce que de nombreux prêts souscrits par leurs clients, en particuliers les entreprises, ne pourront pas être remboursés.
Les chiffres les plus impressionnants ont été relevés aux EtatsUnis. Ainsi, Bank of America a provisionné 4,8 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros), lemontant le plus élevé depuis2010, ce qui a fait chuter son bénéfice net trimestriel de 48 %, à 3,5 milliards. Le profit de Citigroup a plongé de 47 %, à 2,5 milliards, après une provision de 7 milliards de dollars pour pareraux futurs impayés. JPMorgan Chase a provisionné 8,3 milliards,Wells Fargo 4 milliards et Goldman Sachs, 937 millions.
De ce côtéci de l’Atlantique, « laBanque centrale européenne a encouragé les banques à ne pas se montrer trop pessimistes », noteNicolas Véron, afin qu’un excès deprovisions ne provoque pas, en définitive, de la défiance. Chaqueinstitution européenne a donc tenté de fixer le niveau de réserves le plus adéquat, à l’aveugle, puisque nul n’est en mesure d’ex
trapoler. Bien moins rentablesque leurs concurrentes américaines, elles ne disposaient pas des mêmes marges de manœuvrepour mettre de côté des « mégaprovisions ».
Chez BNP Paribas, le coût du risque a crû de plus 85 % sur les trois premiers mois de l’année, à 1,4 milliard d’euros. Il a été multiplié par trois au Crédit agricole, comme à la Société générale.Cette dernière a ajouté qu’il était susceptible de peser sur ses résultats annuels à hauteur de 3,5 milliards à 5 milliards d’euros.
De lourdes pertes dans les activités de marché La Société générale a été la première banque française à publier ses comptes trimestriels, jeudi 30 avril, avec six jours d’avance sur l’agenda initial,parce que des rumeurs de marchéfaisaient état d’une « paume » dans sa banque de financementet d’investissement (BFI). Et, en effet, ces activités ont enregistré une perte de 537 millions d’euros
sur le trimestre. Particulièrementtouchées, les activités « actions » ont vu leur revenu chuter de 99 %,pour n’atteindre que 9 millionsd’euros. Que s’estil passé ?
Certains métiers de la banqued’investissement prospèrent en temps de crise, lors des pics de volatilité, en particulier les produits de flux, les actions et les obligations que les investisseurs vendent et achètent dans des volumes importants. Les banques américaines, leaders sur ce marché, ont ainsi profité à plein du choc sur les marchés financiers au mois de mars, au début de lacrise sanitaire.
Cependant, « la force de Sociétégénérale, le fleuron de la banque, ce sont les produits structurés “actions”, explique David Benamou, associé gérant au sein du cabinetAxiom. Ils peuvent proposer un effet de levier important sur les dividendes qui vont être payés pour l’action sousjacente. Avec la vague d’annulation de dividendes de nombreux groupes côtés, ces pro
duits ont généré de lourdes pertes ». Dans son activité de produits dérivés, la banque a également subi des défauts de contrepartie de la part de clients hedge funds (les fonds spéculatifs). Elle a, enfin, dû faire face à deux dossiers exceptionnels de fraude. « Avec une crise comme celleci, dans la banque d’investissement, ilfaut de très bonnes équipes pourtenir la barre. A la Société générale,ils ne les ont plus », estime un opérateur de marché.
BNP Paribas a également vu sesactivités de courtage actions for
tement bousculées. Elles ont enregistré des revenus négatifs à hauteur de 87 millions d’euros, mais la taille et la diversité des activités de marché de la première banque européenne lui ont permis d’absorber le choc.
De son côté, le Crédit agricolen’a pas subi les turbulences demarché. « Notre activité de dérivés actions est de taille beaucoup plus réduite que celle de nos concurrents », a souligné Jacques Ripoll, le directeur général de Crédit agricole CIB, au cours d’une conférence téléphonique.
Des matelas de sécurité importants Les banques françaises, à l’instar de la plupart des grandesbanques européennes et américaines, sont entrées dans la crise actuelle avec des matelas de capitaux élevés. Une solidité qui leuravait fait défaut lors de la crise financière de 2008.
Depuis dix ans, à la demandedes superviseurs, les établissements de crédit mettent de côté,
En Allemagne, la prime à la casse reste controverséeBerlin devrait décider en juin quel soutien il accorde à l’industrie automobile, très affectée par les conséquences de la crise du coronavirus
berlin correspondance
L’ Allemagne a ouvert lavoie, mardi 5 mai, à lacréation d’une prime à la
casse pour soutenir son industrie automobile, durement frappée par les conséquences de la crisesanitaire en cours. Mais aucun engagement chiffré n’a été pris pourle moment. Des « mesures de soutien à la conjoncture » seront examinées dans les prochaines semaines, a annoncé le porteparole du gouvernement, sans faire plus de précisions. Le dispositif,présenté comme indispensablepar l’industrie, est encore loin de faire l’unanimité.
Angela Merkel avait réuniautour d’elle, mardi, par vidéoconférence, un « sommet de l’automobile », pour discuter des mesures de soutien à l’industrie centrale
du capitalisme allemand. Les patrons des grands constructeurs, les représentants du syndicat IG Metall, les présidents de régions dépendantes de l’automobile ont plaidé en faveur d’une mesure qu’ils réclament depuis des jours : une prime à la casse, largement distribuée, permettrait de faire repartir l’activité des groupes et des milliers de soustraitants.
Beaucoup de leurs salariés sontactuellement au chômage partiel. Si les chaînes de montage sont bien reparties, la demande de véhicules est tombée à un niveau historiquement faible.
A priori, tout semble justifierune telle stimulation de la demande. Au lieu de payer l’assurancechômage, l’Etat verse uneprime à l’acheteur qui se répercute sur l’activité et sur les rentrées fiscales. Avec un peu de
chance, la mesure se finance d’ellemême. L’expérience en a été faite en 2009, et la prime d’alors est, depuis, célébrée par l’industrie comme une des mesures ayant permis à l’Allemagne de sortir rapidement de la crise.
En amont du sommet de mardi,les présidents de Bavière, de BadeWurtemberg et de BasseSaxe, très sûrs d’eux, avaientmême annoncé à la presse lemontant qu’ils souhaitaient faire adopter : de 3 000 euros à4 000 euros par véhicule neufacheté en fonction des motorisations, la prime devant, bien entendu, couvrir les véhicules essence et diesel « modernes ».
Le moteur à explosion reste lagrande spécialité de l’automobile allemande. Il est le plus souvent fabriqué en Allemagne, par desouvriers payés au tarif négocié
par les syndicats. Et 1,8 million de salariés sont, directement et indirectement, dépendants de l’industrie automobile outreRhin.
Réserves de liquiditéPourtant, malgré l’urgence de lasituation pour l’industrie, le gouvernement veut maintenir la pression sur l’industrie. Car, contrairement à 2009, les critiquessont nombreuses contre le dispositif envisagé, y compris ausein des milieux économiques.D’abord parce que les groupesautomobiles disposent cette foisci d’importantes réserves deliquidités, qu’ils envisagent dedistribuer en partie à leurs actionnaires.
La justification de Volkswagen(25 milliards d’euros de réserves),de Daimler (18 milliards) et de BMW (12 milliards) est que les di
videndes portent sur l’année passée et qu’il est important de soutenir le cours pour ne pas froisser les investisseurs étrangers. Un argumentaire de moins en moinstenable, à l’heure où la solidarité est demandée partout pour sortirde la crise du coronavirus.
D’autres branches industriellesont par ailleurs exprimé leur inquiétude que l’influente automobile impose ses priorités au gouvernement, là où toute l’économie a subi des dommages considérables. Qu’un tel débat puisse avoir lieu cette foisci en dit longsur la perte de prestige qu’a encaissée l’automobile ces dix dernières années.
S’ajoute à cela la question environnementale, gênante pour lesconstructeurs. Contrairement àleur discours officiel sur l’électrification de leur gamme, les grou
pes ne sont pas encore capables de produire des véhicules électriques en grand nombre. Quant au réseau de recharge allemand, il est très insuffisant. Les consommateurs ne s’y trompent pas : les primes à l’achat de véhicules électriques actuellement en coursremportent peu de succès.
Pourquoi ne pas investir l’argentpublic dans ce réseau plutôt quedans une prime, qui risque de décaler encore une fois la transition vers une mobilité économe en CO2 ? interrogent les représentants des associations écologistes.Mardi, Greenpeace avait organisé une manifestation devant le Bundestag, mettant en scène un SUV écrasant symboliquement unepile de vélos. « La prime à la casse détruit la transition des transports, » clamait une banderole.
cécile boutelet
Des bureaux de BNP Paribas à IssylesMoulineaux (HautsdeSeine), en avril 2017. GONZALO FUENTES/REUTERS
Les comptes du premier
trimestre 2020font apparaître
une flambée du « coût
du risque »
chaque année, une part importante de leurs bénéfices en réserve, pour accumuler des fondspropres et ainsi se préparer au prochain choc financier. C’est ce capital qui leur permettra de résister en cas d’impayés massifs deleurs clients. Or, cet indicelà est aujourd’hui au vert.
Les ratios de solvabilité (instrument de mesure de la solidité des banques) de Société générale,BNP Paribas et Crédit agricole ont reculé au premier trimestre, mais ils restent très nettement supérieurs au minimum réglementaire. « Nous ne sommes cependant qu’au début de la phase de bouleversement du secteur bancaire. Tout dépendra de l’ampleurdu choc économique, prévient Nicolas Véron. C’est comme une traversée du désert : nous savons aujourd’hui ce que nous avonsdans le réservoir, à savoir les fondspropres élevés des banques, mais nous ne savons pas quelle sera l’étendue du désert. »
véronique chocron
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14 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123
La BCE mise sous pression par la Cour constitutionnelle allemandeLa Banque centrale européenne est sommée de s’expliquer sur ses achats de dettes. Les retombées juridiques, économiques et politiques pourraient être profondes
berlin, bruxelles, londres correspondants
L a Cour constitutionnelle allemande a posé une bombe à retardement juridique sous les fondations même de la zone euro,mardi 5 mai. Dans un jugementqui va faire date, elle a exigé de la
Banque centrale européenne (BCE) qu’elle justifie son programme d’achat de dettes (« quantitative easing ») lancé en 2015. Après un long processus juridique, et un allerretouravec la Cour de justice de l’Union européenne(CJUE), les huit juges constitutionnels allemands ont décidé par sept voix contre une que l’institution monétaire n’avait pas expliqué pourquoi son action était « proportionnelle » aux dangers économiques auxquels la zone euro faisait face à l’époque.
Ils mettent en demeure la BCE de se justifierdans les trois mois. Sinon, ils ordonnent à la Bundesbank – principale actionnaire de l’institut d’émission de Francfort – de cesser de participer au programme de rachat de titres. Alors que la BCE a lancé en mars un « plan pandémie » de 750 milliards d’euros d’achats de titres, et que le retour d’une crise de la zoneeuro n’est pas écarté, le jugement tombe au plus mauvais moment. A court terme, les conséquences sont limitées. D’abord, parce que la BCE a trois mois pour réagir. Son conseil des gouverneurs, réuni dans l’urgencemardi soir, s’est contenté de « prendre note » du jugement. Ensuite, l’eurosystème peut
contourner la Bundesbank, si nécessaire. « Nous pouvons faire les achats de titres sans passer par elle », notait une source de la BCE vendredi, en prévision de la décision.
Les marchés ont d’ailleurs réagi avec modération : après avoir légèrement chuté, l’euroest revenu à son niveau de la veille, à 1,08 dollar, tandis que le taux des obligations italiennes, déjà sous tension, est passé de 1,8 % à 1,9 %. Mais les conséquences de long terme risquent d’être très nombreuses, juridiques, politiques et économiques. L’eurodéputé Guy Verhofstadt – qui fut à la tête du gouvernement belge de 1999 à 2008 – s’est emporté sur Twitter : « Si toutes les cours constitutionnelles de tous les Etats membres se mettent à donner leur interprétation de ce que l’Europe peut ou ne peut pas faire, c’est le début de la fin. » Paolo Gentiloni, le commissaire européen au marché intérieur, a abondé : « La BCE est indépendante. Son indépendance est à la base de la politique monétaire européenne. » Franz Mayer, professeur de droit à l’universitéde Bielefeld (Allemagne), invité par le cerclede réflexion européen Bruegel, s’inquiète de la boîte de Pandore ouverte : « Que vaton dire à un juge polonais qui dira que la loi européenne ne s’impose pas à lui ? (…) La CJUE ne peut pas laisser faire, elle doit réagir, c’est une question de survie. C’est une guerre des juges. »
Le verdict de ce mardi concerne uneplainte qui remonte à 2015. En pleine crise del’euro, la BCE débute alors un programme d’achat de dettes. Concrètement, les dix
neuf banques centrales de la zone euro, ainsique la BCE ellemême, se sont mises à acheter des obligations des Etats membres sur lesmarchés financiers. En Allemagne, un groupe d’eurosceptiques décide de porter plainte, estimant que la BCE ne respectait pas les traités européens. Ceuxci interdisenten particulier le « financement monétaire », c’estàdire le financement direct des gouvernements par la banque centrale. Une fois saisie, la Cour de Karlsruhe avait décidé, en 2017, de consulter la CJUE, pour lui demander son interprétation des faits. Cette
dernière a répondu que l’action de la BCE était légale, notamment parce qu’elle achetait les obligations non pas directement auprès des gouvernements, mais seulement sur les marchés secondaires. Sur ce point, laCour constitutionnelle allemande, malgréquelques réserves, a accepté l’interprétation.
En revanche, elle critique, dans des termestrès sévères, le manque de contrôle de la CJUEsur l’action de la BCE. Une telle attaque est inédite : « Le pouvoir de la CJUE s’arrête là oùl’interprétation des traités n’est plus fondée et, de là, devient objectivement arbitraire. » La
« SI LES COURS DE TOUS LES ÉTATS
MEMBRES SE METTENT
À DONNER LEUR INTERPRÉTATION
DE CE QUE L’EUROPE PEUT OU NE PEUT
PAS FAIRE, C’EST LE DÉBUT DE LA FIN »
GUY VERHOFSTADTancien premier ministre
belge
Les sombres prévisions de la Commission européenneLe produit intérieur brut de l’Union devrait chuter de 7,4 % en 2020. La Grèce, l’Espagne et l’Italie vont souffrir davantage
bruxelles bureau européen
C’ est une récession sansprécédent que va connaître l’Europe en 2020.
Et il lui faudra au moins deux ans pour s’en remettre. Entretemps, le chômage se sera envolé, l’inflation aura plongé, les comptes publics se seront dégradés… et les divergences entre l’Europe du Nord et du Sud se seront accrues, mettant en péril la cohérence de la construction européenne. Tel estle tableau apocalyptique quedresse la Commission dans ses prévisions de printemps, qu’elledevait publier, mercredi 6 mai.
A en croire ses économistes, leproduit intérieur brut (PIB) de
l’Union européenne devrait chuter de 7,4 % en 2020, avant de remonter de 6,1 % en 2021. Tous les moteurs de la croissance (consommation, production, investissements, exportations) sont à l’arrêt. Un certain temps sera nécessaire avant qu’ils retrouvent leur niveau d’avantcrise.
Pour les dixneuf pays de la zoneeuro, l’économie devrait se contracter encore davantage (– 7,7 %en 2020 et + 6,3 % en 2021), compte tenu du poids relativement élevé des pays du Sud en son sein. C’est la Grèce qui, bien qu’elle ait été jusqu’ici peu atteinte par la pandémie, souffre le plus : après des années de réduction de la sphère publique, et en
proie à une dette qui reste très élevée, Athènes n’a pas les moyens de soutenir son économie.
L’Espagne et l’Italie, qui ont subide plein fouet les ravages du Covid19, ne font pas beaucoupmieux, avec, elles aussi, unebaisse de leur PIB supérieure à 9 %cette année. Très endettés, ces deux pays ne disposent pas nonplus d’une marge de manœuvre budgétaire à la hauteur de la crise.
Quant à la France, elle arrivejuste derrière, dans ce triste palmarès. En 2020, son activité devrait se contracter de 8,2 % et le taux de chômage repasser la barre des 10 %. Dans la foulée, le déficit et la dette publics y grimperaient, respectivement, à 9,9 %
et 116,5 % du PIB (contre 8,5 % et 102,7 % en moyenne dans la zone euro). L’Allemagne, qui présentaitdes surplus budgétaires avantque le Covid19 s’abatte sur le monde et qui a moins été atteintepar le virus que l’Italie, l’Espagne ou la France, s’en sort mieux, avecun recul de son PIB de 6,5 %en 2020. C’est en Pologne (– 4,3 % en 2020) que les effets de la pandémie se font le moins sentir.
« Divergences »Il y a, dans cette crise, une tripleinjustice, qui relève du pur hasard. Non seulement le Covid19 ne frappe pas de la même manière d’un pays à l’autre, du moins pour l’instant. Mais, en
plus, il sévit surtout là où le tourisme – gravement et durablement affecté – pèse lourd dans l’économie et où les moyens budgétaires sont les plus faibles.
Comme l’a fait remarquer PaoloGentiloni, commissaire à l’économie, dans un entretien accordé aux Echos le 30 avril, les dépenses publiques pour soutenir l’activité « s’établissent en moyenne à 2,5 %ou 2,6 % du PIB dans l’Union européenne, mais la réalité va de 1 % à 3 %. Même constat au sujet dela liquidité injectée pour soutenirles systèmes bancaires et les entreprises : elle va de 7 % à 18 % des PIB nationaux ».
Conséquence : ce ne sont pas lespays les plus meurtris par la pandémie qui rebondiront le plus quand le virus aura disparu. Ainsi, fin 2021, le PIB italien seraencore 3 % en dessous de son niveau de fin 2019, l’écart sera de 2 %pour l’Espagne et de 1 % pour la France. A l’inverse, la richesse nationale allemande sera, à cetteéchéance, supérieure de 1 % àcelle qu’elle était deux ans plustôt. Quatre autres pays aurontégalement effacé les dégâts de la crise : l’Autriche, la Croatie, la Slovaquie et la Pologne.
« Ces divergences, répète l’exprésident du conseil italien en présentant ces prévisions, menacent le marché unique et la zone euro. » Dès lors, insistetil, l’Europe doit se montrer solidaire, et
prendre à sa charge une grande partie des dépenses que devront faire Rome, Athènes ou Madrid pour se remettre de cette récession sans précédent. Une vision qui ne fait l’unanimité ni au sein de la Commission ni au sein des Etats membres, où les lignes de fracture restent fortes entre le Nord et le Sud.
Lors du dernier Conseil européen, le 23 avril, les VingtSept ontchargé la Commission de réfléchir à un plan de relance à même de prendre la relève des mesures d’urgence d’ores et déjà actées etd’aider l’Europe à rebondir quandle virus aura été éradiqué. Celleci devrait présenter ses propositions le 20 mai. « Elle le fera quandelle pensera qu’une convergence de vue entre la France et l’Allemagne sera devenue possible. On n’y est pas encore », commente undiplomate.
Ces prévisions, prévient la Commission, pourraient être encoreplus sombres. Car son scénario part du principe que le déconfinement sera graduel à partir de mai,et exclut donc une seconde vaguede confinement. Tout comme il n’anticipe pas que les échanges entre le RoyaumeUni et l’Union européenne, actuellement en pleine négociation sur leur relation future après le 31 décembre, seront appelés à diminuer.Autant d’aléas à la baisse…
virginie malingre
le pacte de stabilité et de croissance a été suspendu, délivrant provisoirement les Européens de leurs obligations en matière budgétaire. En l’occurrence, afficher une dette publique inférieure à 60 % du produit intérieur brut (PIB) et un déficit endessous des 3 % de la richesse nationale. A l’heure du coronavirus, « les gouvernements peuvent injecter dans l’économie autant qu’ils en auront besoin », a plusieursfois expliqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
On aurait pu croire le dossier classé jusqu’à ce que la conjoncture s’améliore etque la question du retour du pacte de stabi
lité – laquelle s’annonce complexe, comptetenu de la flambée des dépenses publiquespartout en Europe – soit à l’ordre du jour. En réalité, comme souvent en matière communautaire, les choses sont plus compliquées qu’elles en ont l’air. Surtoutquand elles touchent aux thématiquesbudgétaires, que Berlin n’appréhende pas comme Paris ou Rome…
Voilà pourquoi la Commission s’est interrogée : devaitelle lancer vingtsix procédures pour déficit excessif, dès lors que seule la Bulgarie reste pour l’heure dans lesclous ? « Le signal politique aurait été désastreux », juge un diplomate. Finalement, les
commissaires chargés du sujet, le très orthodoxe letton Valdis Dombrovskis et le moins orthodoxe italien Paolo Gentiloni,sont convenus de s’abstenir.
Le 20 mai, comme elle y est contraintejuridiquement, la Commission publiera ses recommandations, pour chacun des VingtSept, ainsi qu’un rapport sur l’état deleurs finances publiques. Elle ne fixera pas d’objectif chiffré pour la suite. « On seradans le qualitatif, plus que le quantitatif, commenteton à la Commission. Ce n’est pas le moment de dire qu’il faut commencerà normaliser les politiques budgétaires… »
v. ma.
Le temps de la chasse aux déficits excessifs est suspendu
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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 15
Cour de Luxembourg, en appréciant les pouvoirs de l’institution de Francfort de façon large et en limitant son contrôle judiciaire sur son action, « ouvre la voie à une érosion continuelle des responsabilités des Etats membres », estiment les juges allemands. Le « principe de proportionnalité » n’aurait ainsi pas été observé, la BCE n’ayant pas assez pris en compte les effets économiques négatifs de sapolitique : la bulle immobilière, la baisse de larémunération de l’épargne ou encore les entreprises soutenues artificiellement par lestaux d’intérêt faibles et les rachats de titres.
UN RAPPEL À L’ORDREAu minimum, la Cour de Karlsruhe rappellele Bundestag et le gouvernement allemand à leur devoir de supervision. Mais son messageva bien audelà : il s’adresse à tous les gouvernements des Etats membres de la zone euro. La politique de la BCE atelle été suffisamment discutée ? Sa proportionnalité au risqueatelle été vérifiée ? La légitimité démocratique de la BCE estelle assurée ? Autrement dit,le citoyen allemand – et européen en général – estil certain que ses représentants élus ont exercé leur pouvoir de contrôle ? En Allemagne, l’action de la BCE est devenue un sujet éminemment politique. Les partisconservateurs (CDU et CSU), qui forment le plus gros groupe parlementaire au Bundestag, ont fait inscrire le principe de frein à la dette dans la Constitution allemande en 2011 – qui impose un budget à l’équilibre. Ils estiment que les Etats européens devraient avoirla même discipline chez eux plutôt que de s’en remettre à la BCE en cas de crise.
Le président de la Cour constitutionnelle allemande, Andreas Vosskuhle, à Karlsruhe, le 5 mai. SEBASTIAN GOLLNOW/AFP
« Sur l’euro, les Allemands sont schizophrènes »Pour l’économiste Frederik Ducrozet, Berlin ne peut pas à la fois vouloir faire partie de la zone euro et s’opposer à l’intervention de la Banque centrale européenne
ENTRETIENlondres correspondance
F rederik Ducrozet est économiste à la banque privéePictet. Il est l’un des
meilleurs spécialistes de la Banque centrale européenne (BCE),qu’il suit depuis plus de dix ans.
Comment réagissezvous à la décision de la Cour constitutionnelle allemande ?
On a affaire à huit juges, dontcinq sont connus pour leurs opinions très négatives contre la politique d’achat de titres, le QE [Quantitative Easing, ou assouplissement quantitatif] menée parMario Draghi [président de la Banque centrale européenne de 2011 à 2019]. Estce qu’une banque centrale se permettrait de donner un avis sur le travail d’une cour constitutionnelle ? Jamais. De même, la Banque centrale européenne est indépendante et n’a d’ordres à recevoir de personne. Il n’y a pas de base légale sur laquelle s’appuie ce jugement. Il n’est pas possible à une cour nationale d’ordonner l’action de la BCE.
La Cour constitutionnelle allemande n’atelle cependant pasde pouvoirs sur la Bundesbank, qui effectue une partie des achats de titres pour le compte de la BCE ?
Il y a effectivement une ambiguïté à ce niveaulà. Je me rassure cependant en voyant la réaction de Jens Weidmann [le patron de laBundesbank], qui a affirmé qu’il irait expliquer l’action de la BCE à la Cour constitutionnelle. En clair,il soutient la BCE et l’aidera. SiWeidmann a toujours critiqué lapolitique de QE, il n’a d’ailleursjamais dit qu’elle était illégale.
Etesvous inquiet après cette décision ?
Oui, je le suis, parce que c’est unproblème politique. L’Allemagne est le pays qui a le plus poussé à l’indépendance de la BCE.Aujourd’hui, c’est elle qui chercheà empiéter dessus. Les Allemandssont schizophrènes sur l’euro. On ne peut pas à la fois vouloir être dans l’euro, refuser la mutualisation des dettes et être contre l’intervention de la BCE.
J’espère qu’Emmanuel Macronou Angela Merkel comprennent la gravité de ce qui se passe. Si les Etats ne prennent pas des mesures pour soulager la BCE, en mutualisant les dettes d’une façonou d’une autre, le problème ne sera pas résolu. Cela est nécessaire pour éviter le retour d’une crise financière. Les enjeux sont très importants.
La BCE risquetelle d’être immobilisée avec cette décision
de la Cour constitutionnelle allemande ?
Pas à court terme, ni même d’icidouze ou dixhuit mois. Le jugement concerne le PSPP [PublicSector Purchase Programme], qui est le programme d’achat de dettes lancé en 2015. Depuis mars, ce qui compte vraiment sur les marchés est le PEPP [Pandemic Emergency Purchase Programme, programme pandémie de 750 milliards d’euros], qui est séparé. La cour de Karlsruhe l’exclut explicitement de son jugement. Le problème concerne le long terme.
Pourquoi ?La Cour constitutionnelle re
prend à son compte les règles quela BCE s’était autoimposées en 2015 en lançant le plan de rachat de dettes. L’une d’entre elles est que la BCE ne doit pas posséder plus de 33 % de la dette d’un même pays. Or, quand on additionne le PSPP et le PEPP, on se rapproche très dangereusement de cette limite. D’ici à la fin del’année, la BCE va être très prèsd’avoir plus de 33 % des dettes allemandes, en particulier.
Il y a deux solutions. Soit on estime que le plan pandémie est différent, et juridiquement ne doit pas être comptabilisé avec le restedes rachats d’actifs. Ça peut se justifier, puisqu’il s’agit d’un chocextérieur qui n’a rien à voir avec
la crise de la zone euro. Soit la BCEpasse en force, se dit que les poursuites judiciaires prendront desannées, et que, d’ici là, les achats de dettes auront été faits.
Le jugement ne démontretil pas, une fois de plus, que la BCE n’est pas une banque centrale comme les autres ?
Si, elle est à la fois beaucoup plusindépendante, là où la Fed américaine et encore plus la Banque d’Angleterre au RoyaumeUni sont très influencées par leurgouvernement, mais aussi beaucoup plus politique. Il y a en permanence des luttes d’influence entre les pays.
En revanche, je ne suis pas d’accord avec l’idée que la BCE a moins de marge de manœuvre que les autres. Bien sûr, annuler ladette des pays européens qu’elle possède est impossible : ça nécessiterait de changer le traité européen [lequel interdit explicitementle financement monétaire]. Mais la BCE a, par exemple, inventé un programme de prêts aux banquesà un taux de – 1 % [les banques sont donc payées pour prêter auxentreprises, notamment auxPME]. C’est une forme de monnaie hélicoptère. Et on pourrait avoir d’autres approches « exotiques » de la BCE.
propos recueillis paréric albert
La question est d’autant plus sensible qu’ellea été au cœur de la création d’Alternative pourl’Allemagne (AfD), en 2013. Ce parti, aujourd’hui classé à l’extrême droite, n’était pas, à son origine, une formation antiimmigration, mais un mouvement qui refusait la mise en commun des dettes au niveau européen. C’est d’ailleurs, entre autres, sur une plainte de ses membres fondateurs que laCour constitutionnelle allemande s’est prononcée. Mardi, certains commentateurs soulignaient cependant que l’arrêt rendu par les juges de Karlsruhe était davantage un rappel àl’ordre qu’une menace réelle. Il n’interdit pas à la Bundesbank les rachats de titres en cours.
« Le jugement ne changera rien de fondamental à la politique monétaire de la BCE et àla lutte contre les crises. Il sera facile pour la BCE de prouver la proportionnalité de ses rachats », a réagi dans un communiqué MarcelFratzscher, président de l’Institut économique de Berlin (DIW), traditionnellement favorable à la politique de la BCE. Le jugement vient cependant souligner que la BCE n’est pas une banque centrale comme les autres.Inventée sur le modèle allemand de la Bundesbank, ayant fait de la rectitude financière et de l’orthodoxie monétaire ses principes fondamentaux, elle a profondément évoluédepuis une décennie, mais a été obligée de selancer dans de difficiles contorsions juridiques et politiques pour pouvoir agir. La Courde Karlsruhe vient de rappeler que ces métamorphoses n’ont pas éliminé le débat sur l’ampleur du mandat de la BCE.
éric albert, cécile bouteletet virginie malingre
Source : Commission européenneInfographie Le Monde
Evolutiondu PIB,en %
2019 Prévisions
Taux dechômage,en %
2020 2021
Allemagne France Italie Zone euro Unioneuropéenne
0,6 1,3
– 6,5– 8,2
5,97,4
0,3
– 9,5
6,5
1,2
– 7,7
6,3
1,5
– 7,4
6,1
3,2 3,54
8,5 9,710,1 10 10,711,8
7,5 8,69,66,7 7,9
9
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16 |management JEUDI 7 MAI 20200123
CARNET DE BUREAU CHRONIQUE PAR ANNE RODIER
LES DÉRIVES DU NÉOTRAVAIL
L e travail humain n’estpas près de déserter nosvies, n’en déplaise auxapôtres de sa disparition.
Ce qui est à l’œuvre avec la nouvelle révolution industrielle n’estpas tant une dématérialisation qu’une numérisation du travail, autrement dit l’avènement du« digital labour », le travail du chiffre (« digit »), mais aussi dudoigt (« digit »), celui des hommes et des femmes qui, derrièreles écrans des machines, entraînent des algorithmes, regardentdes images, lisent des informations, cliquent sur des liens, produisent, nettoient et classentdes contenus.
Ce n’est pas de disparition, maisde dégradation que les mutations technologiques menacent le travail, tranche Fanny Lederlin dansLes Dépossédés de l’open space (PUF). Eclatement des formes traditionnelles d’emploi assurant aux salariés la stabilité d’un revenu, dissolution des frontières entre les sphères professionnelleset privées, renforcement des logiques productivistes, réduction des facultés des travailleurs à la seule capacité d’adaptation et étouffement des facultés créatrices du travail…
« Servir les robots »« Il semblerait non seulement quele travail humain doive coexisteravec le travail automatisé, mais aussi qu’il soit amené à se développer et à s’étendre… pour servir les
robots », estime la philosophe, doctorante à l’université ParisIPanthéonSorbonne.
Puisque l’exploitation massivedu travail humain perdure, comment expliquer le foisonnement de récits futuristes annonçant l’avènement d’une humanité libérée du travail, de voitures sanschauffeurs, d’entrepôts sans ouvriers et de champs sans agriculteurs ? Comment interpréter lesuccès de cette rhétorique de l’automation ? « L’étonnement finit de se changer en suspicion devant l’effort d’occultation de ce travail humain de masse persistant.Car si les professions de “startupeur”, d’artiste ou d’“expert” sont aujourd’hui médiatisées au point de donner l’illusion qu’elles sontaccessibles à tous, les métiers du soin comme ceux du clic sont constamment invisibilisés. »
Créateur et non destructeurAgentes d’entretien priées de passer avant 7 heures pour éviter de croiser les salariés des entreprisesqu’elles nettoient, chauffeurs de VTC à qui l’on demande de se fairediscrets aux sorties des aéroports,myriade de petites mains dont lesplatesformes numériques taisent l’existence… « Jamais, sembletil, le travail n’a été aussi bien dissimulé par le capital. »
L’ouvrage isole trois manifestations à l’œuvre dans le néotravail :l’atomisation sociale et mondaine, à savoir la disparition de la notion d’emploi au profit d’une
« tâcheronisation » et d’une indistinction croissante entretemps de travail et temps libre ; la dépréciation de la nature des gens, avec l’avènement d’une époque où il ne s’agit plus de prendre soin denotre environnement ; et, enfin,la totalisation des esprits par le biais de la généralisation des modes d’évaluation qui rendent possible l’endoctrinement de travailleurs coupés de leur facultéde juger.
A ces trois manifestations dunéotravail, l’auteure envisage lapossibilité d’un autre travail quine serait pas destructeur maiscréateur. « Un travail qui, en retrouvant ses vertus médiatrices– entre les hommes et la nature –,ainsi que ses vertus socialisantes, subjectivantes et émancipatrices,pourrait contribuer à faire advenir une société plus juste et plus viable : une société écologique. »
margherita nasi
LES DÉPOSSÉDÉS DE L’OPEN SPACEde Fanny Lederlin, PUF,276 pages, 19,90 euros
Le Covid19 accélère la numérisation des centres de formation d’apprentis d’entrepriseLe confinement a contraint les groupes à adapter leur processus de recrutement
U ne soixantaine d’entreprises se sont emparées de la possibilité offerte par la loi
de choisir son avenir professionnel (2018) pour créer leur propre centre de formation d’apprentis (CFA). « Malheureusement, la crise sanitaire va leur donner un coup de frein car le nombre d’apprentis est toujours lié à la conjoncture économique », estime AurélienCadiou, président de l’Association nationale des apprentis de France (ANAF). Un avis que nepartage pas Yann Bouvier, chargé de mission à la Fondation innovation pour les apprentissages (FIPA), qui regroupe treize entreprises dont Air France, BNP, Veolia… « Les ouvertures et les projets de CFA d’entreprise restent totalement d’actualité, même s’il peut y avoir quelques reports. Le problème va être pour eux de remplir les classes, car le confinement est tombé en pleine campagne de recrutement des apprentis. »
Pour cela, les entreprises adaptent leur communication vers les candidats. « A miavril, nous enre
gistrions un retard de 5 % à 8 % surles admissions par rapport auxautres années, explique Pascal Picault, directeur du Formaposte, CFA des métiers de La Poste. Mais nous avons réussi à maintenir le sourcing des candidats : jury à distance, visioconférences, salons virtuels… L’utilisation du digital était prévue avant la crise, nousavons juste accéléré. » Le CFA des chefs devait accueillir ses premiers apprentis à partir du23 mars à Paris, Lyon et Marseille mais, confinement oblige, le premier CFA interentreprises, créé par Adecco, Accor, AccorInvest, Korian et Sodexo, a dû, comme les autres, fermer ses portes le 16 mars.
Assurer des cours en ligne« Même s’il n’y a plus de forums derecrutement ou de journées portesouvertes, nous organisons des réunions d’informations collectives à distance », explique Françoise Merloz, directrice du CFA des chefs. L’inscription se fait enligne, de même que les tests desélection. Un entretien par téléphone ou en visioconférence complète le dispositif. Les jeunes sélectionnés – avant et pendant le confinement – ont un accès gratuit à des cours en ligne jusqu’à fin juin, afin de les faire patienter jusqu’aux premières formations reportées à fin aoûtdébut septembre.
Autre report, chez Engie :« L’ouverture du CFA prévue en septembre 2020 est reportée à janvier 2021, a annoncé le DRH Groupe Pierre Deheunynck. On s’est reconnecté avec Pôle emploiet les réseaux écoles. Sur le recrutement, on envisage des entretiens digitaux. Nous décentraliserons lerecrutement et on aura à réorienter les équipes. Mais on saura recontractualiser les alternants. »
Chez L’Oréal, qui a ouvert sonCFA Real Campus en janvier
pour préparer un diplôme de niveau bachelor en coiffure et entrepreneuriat, « le recrutement adû être entièrement digitalisé et ce, très rapidement via les réseaux sociaux, dont notammentdes “live” sur Instagram. Le siteRealcampus.fr a été reformaté »,indique Nathalie Roos, directricegénérale de la division des produits professionnels du groupede cosmétiques.
Autre leçon à tirer de la pandémie : la nécessité pour les CFA d’assurer des cours en ligne. « Les entreprises ont tout intérêt à créer une plateforme de formation ouverte et à distance (FOAD), financée via le fléchage de la taxed’apprentissage. Sans la crise, on n’aurait pas percuté ! », note Yann Bouvier. Adecco a ainsi adapté la pédagogie de son CFA Recruterautrement, ouvert depuis septembre 2019.
L’accueil des jeunes renforcé« Avant le confinement, une trentaine d’heures seulement sur lesquatre cents heures que compte la formation étaient digitalisées,indique Hélène Fourrier, directrice du CFA. Nous allons capitaliser sur des sessions en distancielque nous dispenserons également à nos propres collaborateurs permanents. »
Afin d’assurer la continuitépédagogique, en une semaine,les partenaires pédagogiquesde FormaPoste ont mis en placeles outils nécessaires : envoi de
cours digitalisés, accès à desplatesformes de « learning management system » (LMS) etdes classes virtuelles. ChezL’Oréal, l’ensemble des coursétait déjà numérisé et en unedemijournée, la formation aété réorganisée.
Dernier enjeu : l’accompagnement renforcé des jeunes. Le CFA de Schneider Electric accueillera, comme prévu, une cinquantaine de jeunes au mois de septembre à Grenoble et à BeaupréauenMauges (MaineetLoire) danstrois classes de BTS domotique. Il a pour vocation de répondre aux besoins de l’ensemble de la filière. Or « l’accueil des jeunes n’est pas la préoccupation première de nos entreprises partenaires à l’instant T, reconnaît François Milioni, directeur de la formationdu groupe Schneider Electric. Nous allons devoir accompagner davantage les apprentis ». Adecco insiste également sur le besoinde resserrer le lien avec les jeunes. « Dans cet environnementanxiogène, nous avons renforcé lesuivi individuel, explique Hélène Fourrier. Nous gardons un lien étroit avec les apprentis déjà recrutés. Nous tenons à les garder ! »
Malgré l’incertitude ambiante,les CFA gardent le cap. Si le CFAdes chefs revoit à la baisse – de l’ordre de 30 % – le nombre d’apprentis accueillis en 2020, il conserve pour objectif d’étendre son dispositif à trois autres régionsen 2021. Schneider Electric mise toujours sur la création de quatreà cinq nouvelles unités de formation en apprentissage (UFA). Quant à l’ouverture éventuelle dedeux autres filières de formation dans les trois ans, « nous allons observer le dynamisme de l’économie. Pour le moment, nous sommes dans l’urgence de la gestion de la crise, prévient François Milioni. Mais je reste confiant ! ».
myriam dubertrand
LES CHIFFRES
92 %C’est la part des CFA qui ont mis en place des cours à distance dès la fin mars, d’après un son-dage de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de forma-tion d’apprentis, réalisé auprès de ses 560 CFA membres.
75 %C’est la part de ceux qui avaient déployé une solution de forma-tion à distance avant le confinement.
AVIS D’EXPERT | GOUVERNANCETransition écologique : le choc des réalismes
D ans l’incertitude actuelle sur la violencede la récession économique, fautil retarder ou accélérer la transition écolo
gique ? Une lettre de Geoffroy Roux de Bézieux àla ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, a lancé le débat. Le président du Medef demandait un moratoire de six mois pour l’application de la loi du 10 février 2020 visant à lutter contre le gaspillage et à développer l’économie circulaire, et de la loi de 2015 sur la transitionénergétique pour la croissance verte.
Selon ses arguments, la chute du PIB pourraitdépasser 3 % en 2020, ce qui condamnerait nombre d’entreprises à la faillite et détruirait au moins 500 000 emplois. Pour M. Roux de Bézieux, les conditions ne sont pas remplies pour appliquer ces lois, en particulier dans certainesindustries, comme l’automobile. Quand les entreprises doivent lutter pour relancer leurs activités et parfois leurs marchés, il ne serait pas sage de les accabler de contraintes environnementales supplémentaires. Quand elles retrouveront leurs marges, elles pourront répondre aux normes d’une « croissance verte » : tel estl’avis du Medef, qui est respectable et discutable.
La transition énergétique a souvent été présentée comme une opposition entre réalisteset idéalistes ou entrepreneurs et écologistes.Or cette division crée un faux débat, car la question n’est pas d’opposer les contraintes économiques aux contraintes environnementales, mais de savoir si la transition énergétique et écologique peut constituer ou non une source de prospérité économique future.
Le clivage véritable se situe donc plutôt entreceux qui croient que cette transition est un relaisde prospérité, même si la prospérité passe par une adaptation des entreprises et parfois des faillites ; et ceux qui n’y croient pas et considèrent qu’il faut revenir à l’économie « commeavant », pour pouvoir répondre aux exigences environnementales dans un second temps.
Dans les deux cas, il s’agit d’affronter des réalitésdifficiles. Pour les partisans de la croissance verte, il n’est plus possible d’espérer financer la transition grâce à la prospérité économique globale. En période de récession, on devra compter seulement sur la création de richesses nouvelles permise par l’économie verte, quitte à accepter que la transition conduise, momentanément, à de la casse sociale.
Selon le concept de « destruction créatrice »,l’émergence d’une économie nouvelle passe par la destruction d’une partie des infrastructures etdes emplois de l’ancienne. La crise donne l’occasion d’accélérer la transition dont les effets sociaux à court termepourront être mis sur le compte de la récession. Pour les partisans du retour à l’économie « comme avant », tel le Medef, retarder les effets des contraintes écologiques aidera toutes les entreprises – y compris, il est vrai, les « canards boiteux »,c’estàdire celles qui ne pourront pas répondre,à terme, aux exigences « vertes » des marchés et de la production. Faisant fi de l’argument libéral contre l’interventionnisme, les dépenses publiques financeront donc des entreprises à l’avenir incertain, au lieu d’accélérer l’assainissement del’appareil productif. Mais c’est le prix à payerpour éviter faillites et casse sociale.
Les deux options sont défendues par des entrepreneurs, des économistes et des militants « réalistes ». Désormais, l’urgence de la situation oblige à trancher entre elles et à assumer leurs conséquences de manière inédite.
PierreYves Gomez est professeur à l’EM Lyon
LA QUESTION EST DE SAVOIR SI CETTE TRANSITION PEUT CONSTITUER UNE SOURCE DE PROSPÉRITÉ ÉCONOMIQUE FUTURE
P rotéger ou remettre au travail : une alternative quise pose à l’hôpital, même pour les plus fragiles.Comme pour tous les travailleurs, le Haut Conseilde la santé publique s’est prononcé sur la protection
des soignants vulnérables, qui de par leur état de santé (diabète, maladie cardiovasculaire, mucoviscidose, etc.) développeraient en cas de contamination par le Covid19 une forme grave de la maladie. Il a recommandé « une exclusion des services à haut risque de transmission » ou « un réaménagement du poste de travail ».
Concrètement, le médecin du travail informe les responsables des ressources humaines que l’agent doit être en « autorisation d’absence ». Sauf que les hôpitaux ont manqué debras. « On était en guerre », rappelle JeanDominique Dewitte, le président de la Société française de médecine du travail (SFMT). Avec le double objectif de « contribuer à la protection des agents » et de « maintenir la capacité soignante des établissements », la SFMT a publié le 23 mars une recommandation qui préconise une application variable de la mise en arrêt des
personnels soignants fragiles, en fonctionde la gravité de leur cas. Elle classe les services hospitaliers en quatre catégories de risque de contamination et détaille le seuil defragilité en deçà duquel elle estime non indispensable l’éviction d’un agent vulnérable. Les médecins du travail qui suivent larecommandation le réaffectent alors dansun autre service. « Aucune des personnesqu’on a laissées au travail dans notre hôpitaln’a été contaminée », note M. Dewitte.
Y atil un risque pour les agents vulnérables ? « Probablement un petit peu », reconnaît JeanFrançoisGehanno, l’ancien président de la SFMT. « Quand on a rédigé en urgence la recommandation, beaucoup nous demandaient de les aider à prendre des décisions, car à l’Est, il n’y avait plus suffisamment de médecins ni de personnel soignant. Il fallaitpréserver les forces », ajoute M. Dewitte. « Les recommandations de la SFMT peuvent être interprétées au détriment de laprotection des salariés fragiles, s’inquiète un interne en médecine du travail. C’est évidemment moins protecteur d’être réaffecté dans un service horsCovid que de rester chez soi ».
Selon nos sources, depuis le 23 mars, le nombre d’« avis dedistanciation physique » formulés par les médecins du travailà l’employeur public pour des agents vulnérables a considérablement diminué. Or, quel que soit le service, il n’y a pas derisque zéro de contamination à l’hôpital. Une enquête de l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux menée du 15 au 23 avril relève, surun panel de 1 417 médecins, des taux de contamination supérieurs dans les secteurs horsCovid (4,01 %) au taux observéen réanimation (3,82 %). La recommandation du 23 mars est toujours effective. Le dilemme prévention ou reprise du travail a franchi la porte de l’hôpital.
QUEL QUE SOIT LE SERVICE, IL N’Y A PAS DE RISQUE
ZÉRO DE CONTAMINATION
À L’HÔPITAL
Le premier CFAinterentreprises,créé par Adecco,
Accor, AccorInvest,Korian et Sodexo,
a dû fermer sesportes le 16 mars
Médecine du travail : dilemme à l’hôpital
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0123JEUDI 7 MAI 2020 économie & entreprise | 17
Arnaud Lagardère remporte une manche face au fonds Amber, son premier actionnaireLa nomination de nouveaux administrateurs a été repoussée lors de l’assemblée générale du groupe
I l est apparu fatigué et morose. L’effet d’une assembléegénérale (AG) à huis clos ? Ou
le symptôme d’un stress dû à plusieurs semaines de combat ? En donnant le coup d’envoi de l’AG deson groupe, mardi 5 mai, Arnaud Lagardère, malmené par le fonds Amber, qui l’accuse de mauvaise gestion, aurait dû être radieux. Ilsavait déjà que les résolutions de son premier actionnaire, qui proposait la révocation du conseil de surveillance, n’avaient pas été votées par les actionnaires.
Il s’en est félicité après la réunion. « L’espace médiatique a été pris par des contestataires, ce qui adonné lieu à des “fakes news”. Malgré cela, vous [les actionnaires]avez voté sans appel en faveur de la gérance et du conseil de surveillance, et je vous en remercie. » L’assemblée n’a pas été sereinepour autant. Le groupe a refusé detransmettre les votes à l’huissier nommé par le tribunal de commerce, à la demande d’Amber.
Signe que le gérant commandité – un statut particulier qui le rend indéboulonnable – restecontesté, le vote était serré. Les nouveaux administrateurs proposés par Amber, et contestés par Lagardère, ont été rejetés à 57 %des suffrages. Or, habituellement,les résolutions obtiennent desscores soviétiques, les actionnaires suivant scrupuleusement les recommandations de la société.
Ce n’est donc pas un blancseing qu’Arnaud Lagardère a obtenu.
« Ce score démontre le souhaitd’Amber et de ses coactionnaires de voir le groupe se transformer. Des questions ont été posées ; elles ne pourront plus rester sans réponse », a commenté le fonds activiste. Impression inverse dansl’autre camp : « C’est un échec cuisant pour Amber, qui avait fait de l’AG un référendum sur Arnaud Lagardère », expliqueton dans l’entourage du groupe.
Rumeurs de démantèlementSi Arnaud Lagardère n’avait pas fait appel à l’entregent de Nicolas Sarkozy, ou à Vincent Bolloré (11 %du capital par le biais de Vivendi) et Marc Ladreit de Lacharrière (3,5 % du capital à travers Fimalac),deux actionnaires venus le soutenir, c’était la déroute assurée. Outre le Qatar (19 % des droits de vote), la Caisse des dépôts (5 % desdroits de vote), qui était pourtant sceptique aussi bien sur Amber que sur Arnaud Lagardère et ses
nouveaux chevaliers blancs, a voté, selon nos informations, enfaveur de l’héritier. Le gestionnaire de fonds Amundi, filiale du Crédit agricole, confirme officiellement s’être abstenu lors du vote.
Reste à savoir ce que va devenirle propriétaire des boutiques d’aéroport, du JDD, d’Europe 1 oude Paris Match. « Ces actionnaires [Vivendi et Fimalac] sont des actionnaires comme les autres, et cette entrée ne s’est faite sans aucun accord particulier » aveceux, a assuré Pierre Leroy, le cogérant du groupe. Une façon de couper court aux rumeurs de démantèlement qui prêtent l’intention au duo d’être venu se partager les actifs. Mais la déclaration d’intention déposée par Vivendi auprès de l’Autorité des marchés financiers, et qui évoque un investissement purement financier, ne l’engage que pour six mois.
Arnaud Lagardère, lui, a l’intention de rester aux commandes dugroupe. « Je vous retrouverai l’an prochain et l’année d’après », atil assuré. Atil déjà l’accord de Vincent Bolloré, généralement peu généreux avec le partage du pouvoir ? Ou estce un message adressé à ce nouveau sauveur ?
C’est dans un style volontairement moyenâgeux qu’un fidèlepetit actionnaire, Christopher CalmannLevy, a mis les pieds dans le plat, en demandant à Arnaud Lagardère « d’abdiquer ».
« Désigner votre successeur au trône ne serait pas un déshonneur,mais un acte rédempteur. En revanche, demeurer avec quelques mercenaires claquemurés dans votre féodalité, en attendantqu’elle trépasse, serait une lourderie, une de plus ! »
Une allusion à peine voilée ausystème de commandite, qui a fait l’objet d’âpres tractations. De bonne source, Grégoire Chertok, de la banque Rothschild œuvrant pour Lagardère, avait évoqué, notamment devant Amber, dans quelles conditions financières Arnaud Lagardère serait prêt à abandonner ce statut particulier. Mais maintenant que le vote est passé, cette séquence liée à un changement de gouvernance serait désormais close, fait savoir une source proche du dossier.
Ce n’est pas ce qu’ont compris lesactionnaires en écoutant Pierre Leroy mardi matin. Il a fait remarquer que « le conseil de surveillance[n’avait] pas été saisi » d’un tel projet. « Il n’a pas dit : la question ne se pose pas », a déduit Colette Neuville, la présidente de l’association des actionnaires minoritaires. « Nous serons présents dans tous les débats à venir, notamment celuiqui portera sur la transformation de la commandite en société anonyme », a lancé Joseph Oughourlian, fondateur d’Amber. La bataillen’est pas terminée.
sandrine cassini
Amazon à nouveau rattrapée par la politique aux EtatsUnisL’entreprise dirigée par Jeff Bezos accuse notamment Donald Trump de mener une « vendetta personnelle » à son encontre
U ne hirondelle ne faitpas le printemps. Audébut de la crise du coronavirus, certains si
gnes semblaient annoncer un apaisement du climat politique pour Amazon aux EtatsUnis. Las ! Ces dernières semaines, plusieurs responsables américains ont de nouveau pointé du doigt l’entreprise de Jeff Bezos. A commencer par le président, Donald Trump. Le16 mars, lors d’un briefing avec desjournalistes, M. Trump avait reconnu que la Maison Blanche était, dans le cadre de la gestion de l’épidémie, en contact régulier avec Jeff Bezos. « Nous avons reçu un soutien important d’un grand nombre de gens qui peuvent aider. Et je pense qu’il en fait partie », avaitdéclaré le président.
Mais, depuis, le ton est de nouveau monté. Le 29 avril a eu lieuun sérieux accrochage, à l’occasion de la publication du rapport annuel du représentant américain au commerce sur les risques de contrefaçon et de piratage. Plusieurs sites étrangers d’Amazon − ceux du Canada, d’Allemagne, de France, du RoyaumeUni et d’Inde − ont été placés sur la listedes acteurs à surveiller.
La réaction d’Amazon a été cinglante. Ce rapport n’est qu’un « acte purement politique », a dénoncé l’entreprise par communiqué. Elle a accusé M. Trump « d’utiliser le gouvernement américain » pour « mener une vendettapersonnelle contre Amazon ».
Quelques jours plus tôt, le24 avril, le président américain avait déjà taclé l’entreprise, lorsd’une conférence de presse sur lesdifficultés du service postal. « L’USPostal Service est une vaste blague,
parce qu’ils gèrent des paquets pour Amazon et les autres entreprises Internet, et, à chaque fois, ilsperdent de l’argent dessus », atilargué. Le président a même menacé de ne pas accorder de prêt fédéral à l’US Postal Service s’il nerelevait pas ses prix. Ce raisonnement ravive un discours tenu depuis longtemps par le président Trump, pour qui Amazon profite des services postaux. Certains observateurs répondent que la postene vend pas techniquement à perte et qu’elle doit gérer un marché très concurrentiel.
« La sortie sur la poste n’est quel’exemple le plus récent de l’antipathie persistante de la Maison Blanche envers Amazon. Cela représente un danger potentiel pour l’entreprise », décrypte WilliamKovacic, ancien de l’autorité américaine de la concurrence (Federal Trade Commission, FTC) et professeur de droit à l’université de Georgetown, à Washington.
Bataille judiciaireDans son éditorial, le quotidien USA Today a aussi vu dans l’accrochage une « vendetta » aux racinesanciennes : « Le président ronge cetos depuis qu’il est élu, parce que le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, est aussi le propriétaire du Washington Post, qui est connu pour avoir publié des articles qui déplaisent au président. » Depuis 2016, Donald Trump a accusé Jeff Bezos et Amazon de mettre à mal le petit commerce ou de ne pas payer assez d’impôts. Désormais, le groupe met en scène l’hostilité du dirigeant américain. Notamment dans sa bataille judiciaire pour tenter de récupérer l’énorme contrat d’hébergement de données
dans le cloud de l’armée américaine, attribué en octobre au rival Microsoft. Dans sa plainte déposée en novembre, Amazon estime avoir été défavorisé en raison de« pressions du président Trump, qui a lancé des attaques répétées, de façon publique et en coulisses ». Le 17 avril, un juge a accordé au département de la défense le droit demener sa propre réévaluation du contrat, jusqu’en août. Mais Amazon continue de demander une forme de réparation.
La détérioration de la météo politique pour Amazon ne s’arrête pas à l’imprévisible présidentTrump. Une enquête du Wall Street Journal a suscité de vivesréactions. Selon le quotidien, des employés d’Amazon ont utilisédes données sur des produits de marchands tiers de sa plateforme, afin de lancer des articlesconcurrents. Amazon a répondu qu’une telle exploitation n’étaitpas autorisée et a annoncé uneenquête interne. Mais cela n’a pas empêché un sénateur républicainde demander une enquête pénale.Ni six membres du comité antitrust de la Chambre des représen
tants de demander l’audition de Jeff Bezos en personne. « Si les faitsexposés sont exacts, alors les déclarations passées faites par Amazon devant ce comité sont trompeuses et constituent potentiellement un crime ou un parjure », écrivent ces responsables de l’enquête parlementaire sur les pratiques anticoncurrentielles présumées des géants du numérique, dont Amazon. M. Bezos évitera difficilement une inconfortable auditionsous serment, selon M. Kovacic.
La crise du coronavirus attire deplus l’attention politique sur le leader de l’ecommerce. Dans une lettre du 22 avril, la procureure de New York Letitia James s’est inquiétée que les conditions de sécurité dans ses entrepôts puissentêtre « inadéquates ». Cette responsable s’était déjà indignée du licenciement de Chris Smalls, unemployé qui avait organisé unemanifestation devant son site, à New York. Amazon a toujours affirmé que le salarié avait violé les règles de quarantaine. Mais elle n’a pas éteint cette affaire.
Lundi 4 mai, Tim Bray, un ingénieur émérite de sa branche« cloud », a annoncé sa démission,en protestation contre le licenciement de « lanceurs d’alerte ». Une référence à Emily Cunningham etMaren Costa, deux employées d’Amazon connues pour leur engagement en faveur d’une politique plus écologique et congédiées après avoir relayé une pétition demandant plus de protections contre le coronavirus. M. Bray a dénoncé « une toxicité qui irrigue la culture de l’entreprise ». En espérant porter le combat sur le terrain de l’image.
alexandre piquard
« L’antipathie persistante de laMaison Blanche
représente un danger
potentiel pourl’entreprise »
WILLIAM KOVACICancien membre de l’autorité
américaine de la concurrence
Vilnius affiche son soutienaux petits commerces
D ans les ruelles baroques du vieux Vilnius, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, les restaurants et cafésabrités par les bâtisses étroites peuvent difficilement
appliquer les mesures de distanciation physique édictées par legouvernement lituanien. Cellesci sont strictes : 2 mètres d’écart minimum entre les clients assis à des tables différentes,pas plus de deux personnes par table, sauf pour les membresd’une même famille, et à l’extérieur, plus de 1 mètre de distanceentre les tables et les piétons.
Pour permettre à ces petits commerces de reprendre une activité, la municipalité de la capitale les a autorisés à installer une terrasse, dès le 27 avril, sur les places, rues et squares publicsalentour, sans payer de redevance supplémentaire. Plus de 160 restaurants ont déjà demandé à poser le couvert dans ces lieux à ciel ouvert, divisés en trois catégories : ceux ne nécessitant aucun aménagement particulier et n’entrant pas en concurrence avec des cafés déjà sur place, ceux exigeant de modifier la circulation piétonne ou automobile, et, enfin, ceux où
il est nécessaire de diviser l’espaceéquitablement entre les tables deplusieurs restaurants.
Selon Remigijus Simasius, le maire,cette mesure aidera les petits établissements à survivre et à préserver desemplois, alors que la saison touristique, cruciale pour les recettes de laville, tarde à démarrer. Instauré parle gouvernement le 16 mars, le régime de quarantaine, progressive
ment allégé depuis le 23 avril, devrait être levé le 11 mai.Petite économie ouverte, la Lituanie a vu les ventes au détail
plonger de 6 % en mars. « Comme ses voisins baltes, elle devrait connaître une récession de la même ampleur que celle de la crisede 2008, mais les vulnérabilités structurelles sont moindres qu’à l’époque, ce qui devrait permettre un rebond rapide », juge William Jackson, chez Capital Economics. D’après lui, le produitintérieur brut (PIB) lituanien devrait reculer de 7,3 % en 2020 (après + 3,9 % en 2019) et remonter de 5,3 % en 2021. Afin de limiter les dégâts, le gouvernement a annoncé un plan de relance de 2,5 milliards d’euros, soit 4,6 % du PIB.
De son côté, la mairie de Vilnius a pris d’autres initiativespour soutenir l’économie locale, en particulier l’hôtellerierestauration. Et elle ne manque pas de créativité en la matière. Outre l’autorisation d’étendre les terrasses, elle a assoupli lesrègles encadrant la circulation des camionsrestaurants et distribué pour 400 000 euros de bons au personnel soignant, valables dans les cafés locaux, pour les remercier de leur dévouement – une façon d’injecter de l’argent dans le secteur.
En outre, le tarmac de l’aéroport de Vilnius, à l’arrêt de plusplusieurs semaines, a été converti en cinéma drivein : le29 avril, 150 voitures espacées de 2 mètres, avec deux passagersmaximum, ont ainsi pu regarder le film sudcoréen Parasite(Bong Joonho, 2019). Des concerts drivein sont également organisés sur un aérodrome au sud de la ville. Si les artistes sont présents sur scène, le son est en revanche diffusé directement dans les véhicules, sur une fréquence radio spécifique.
marie charrel
ÉCONOMIE OUVERTE, LA LITUANIE A VU LES VENTES AU DÉTAILPLONGER DE 6 %AU MOIS DE MARS
Le ministre chargé du numérique, Cédric O, a produit son petit effet devant les députés, mardi 5 mai. Alors que tous les hiérarques politiques se gargarisent du mot « souveraineté », il leur a fait remarquer que le système de visioconférence par lequel ils communiquaient avec lui, la plateforme américaine Zoom, lui posait problème. « Je n’ignore pas qu’en termes d’expérience utilisateur, c’est probablement la meilleure solution, mais ça pose quand même des vraies questions en termes d’indépendance stratégique de la France », leur atil lancé, rappelant que ses services déconseillent fortement son usage, compte tenu des lacunes au niveau de la protection des données, et que des alternatives françaises existent.
Zoom est devenue, à la faveur de la crise sanitaire, l’application Internet la plus téléchargée au monde, avec près de 300 millionsd’utilisateurs. Pas mal pour une solution lancée en 2012 dans la Silicon Valley par un ingénieur sinoaméricain, Eric Yuan, émigréquinze ans plus tôt en Californie. Comme tout un chacun, les parlementaires ont été séduits par la simplicité de cette application gratuite, qui ne nécessite aucun téléchargement. Cette mésaventure appelle deux remarques.
Tout d’abord, en dépit de ce quel’on raconte trop facilement, le
monde de la technologie n’appartient pas qu’au quintette GoogleAppleFacebookAmazonMicrosoft. Aucun d’eux, pas plus que Cisco, pourtant leader du secteur, n’a été capable de concurrencer Zoom dans sa facilité d’usage, d’accès, et dans la qualité de son service. Eric Yuan travaillait chez Cisco dans les années 2000. Il leur a proposé de développer une application simple, fonctionnant entièrement sur Internet et utilisable sur un smartphone. La firme n’en a pas voulu. Google ou Facebook tentent de rattraper leur retard. C’est la force de la Silicon Valley de faire émerger constamment de nouveaux concurrents.
Mais cette histoire met en lumière également la négligence de chacun, député ou entrepreneur de startup, à prendre en compte l’impératif de sécurité à l’heure du télétravail. Pirater Zoom était facile ; le système a été piraté. Aujourd’hui, d’autres assaillants s’attaquent, sur ordre, aux laboratoires pharmaceutiques et agences de santé des pays luttant contre le Covid19. La cyberguerre frappe à notre porte. Et à cela non plus nous ne sommes pas prêts. Comme si nous étions projetés d’un coup, par la faute d’un virus, dans un futur dont nous n’avons pas assimilé les codes, celui de la civilisation numérique.
PERTES & PROFITS | NUMÉRIQUEpar philippe escande
M. Zoom à l’Assemblée
Les nouveaux administrateurs
proposés par Amber ont étérejetés à 57 % des suffrages
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18 | international JEUDI 7 MAI 20200123
La mémoire collective blessée de l’exURSSL’agressivité de Moscou exacerbe les tensions chez ses anciens alliés et dans les pays de l’exempire soviétique
ANALYSE
I l n’est pas rare de voir resurgir, des années après, les traumatismes du passé à l’échelled’une nation. En Espagne, le
transfèrement de la dépouille de Franco de son mausolée vers un cimetière de la banlieue de Madrid, en octobre 2019, a rouvert desblessures mal cicatrisées. Un projet de réforme du code pénal, annoncé par le gouvernement de Pedro Sanchez en mars, et destiné à criminaliser l’apologie du franquisme, a remis du sel sur la plaie. Quarantecinq ans après sa mort, le Caudillo hante encore la mémoire de son pays.
En Corée du Sud, en Argentine,en Algérie, partout, des événements traumatiques, hier surmontés tant bien que mal dans la douleur, restent aujourd’hui source de profondes divisions. Mais une région du monde, presque un continent, occupe toujoursune place à part : l’exURSS. Trente ans après sa disparition, l’Union soviétique, formellement démantelée en 1991, continue de nourrir les peurs et les rancœurs avec une acuité renouvelée. Soumis au même joug communiste que les Russes, les anciens territoires et républiques liés par le pacte de Varsovie affichent une animosité décuplée visàvis de Moscou.
Dépression collectiveLa faute à Vladimir Poutine, dont l’agressivité, alimentée par une propagande sans limite, n’a cessé d’augmenter depuis l’annexion dela Crimée en 2014 et le conflit dansl’est de l’Ukraine ; mais aussi à une Europe divisée face aux crises, tiraillée par le départ des Britanniques ; et à une Amérique dominée par l’imprévisibilité de son dirigeant, Donald Trump.
Les traumatismes d’hier, qui sesont transmis aux générations postsoviétiques, refont en effet surface, de façon particulièrementvive, dans les trois petits Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) annexés en 1940 après avoir été envahis et vidés de leurs communautés juives par Hitler et les collaborateurs. La Lituanie, rappelait
récemment le secrétaire général de son ministère des affaires étrangères, Laimonas TalatKelpsa, « bénéficie aujourd’hui d’une présence physique des troupes de l’OTAN et des EtatsUnis ; pourtant, sa population mentionne toujours la Russie et la guerre en premier lieu lorsqu’on lui demande de définir une menace ». « Se peutil, poursuivaitil en faisant référence aux difficultés internes, que notre société soit malade et que le nom de la maladie ne soit pas lié à un coronavirus ? »
« Dépression collective ». Le sociologue polonais Piotr Sztompka a mis des mots sur cette question en définissant le « traumatisme culturel » vécu par les anciens payscommunistes. Cette théorie a été reprise dans un ouvrage collectif dirigé par Danuté Gailiené, La Lituanie fait face après la transi
tion. Conséquences psychologiques du trauma culturel (Eugrimas, 2015, non traduit), qui conclut que, malgré le rétablissement de l’indépendance lituanienne reconnue par l’URSS en 1991, « les conséquences du régime soviétiquetotalitaire pendant cinq décennies sont toujours présentes dans la vie des individus, comme dans la société tout entière ».
L’étude de l’évolution du taux desuicide, surtout chez les hommes, particulièrement élevé dans ce petit pays de moins de 3 millions d’habitants, est saisissante. Comparé à la Suède, où ce taux reste relativement stable entre 1830 et 1990, il fluctue considérablement en Lituanie. Or, si les raisons du passage à l’acte sont toujours délicates à globaliser, ici, il ne fait guère de doute pour les chercheurs que la situation politique
joue un rôle déterminant. Estiméeà 16 pour 100 000 habitants au début des années 1960 (les données antérieures n’étant guère exploitables), la proportion des suicides atteint 36 pour 100 000 habitants en 1984, avant de décroître soudainement avec l’arrivée de la perestroïka, la politique de réformes mise en place par le dernier dirigeant de l’URSS, Mikhaïl Gorbatchev. La même tendance est alors observée en Hongrie.
Puis, de 1990 à 1996, le choc de latransition vers le capitalisme et lesdifficultés endurées par la population se traduisent par une haussespectaculaire des suicides, dont la courbe a baissé à nouveau avec l’adhésion à l’Union européenne (UE) en 2004. Or, depuis 2012, elle arecommencé à grimper.
A Vilnius, où se tenait les 5 et6 mars une conférence sur le
« passé non digéré », organisée par le ministère lituanien des affaires étrangères, en présence de psychothérapeutes, de diplomates et d’intellectuels de plusieurs pays, lacinéaste polonaise Agnieszka Holland avançait cette explication : « L’Union européenne a été notre réponse au trauma. » Mais,
Comment Poutine a raté son entrée dans une cathédrale de MoscouUne mosaïque représentant le président russe dans une célébration de l’annexion de la Crimée a été retirée après de nombreuses critiques
moscou correspondant
C’ est l’histoire d’une occasion manquée. Pourla première fois depuis
qu’il est au pouvoir, Vladimir Poutine aurait pu être représenté dans une église, au même titre que les saints qui ornent les édifices religieux orthodoxes. A vrai dire, il l’a été, durant quelques jours. Précisément jusqu’au matin du 1er mai, où l’Eglise orthodoxe a annoncé le démontaged’une mosaïque montrant le président russe entouré d’un aréopage de fidèles : les ministres de ladéfense et des affaires étrangères,le directeur du FSB (service de sécurité), ou encore le chef de l’étatmajor, Valéri Guerassimov, concepteur de la célèbre doctrine dela « guerre hybride » (utilisant subversion, espionnage, propagande et cyberattaques).
La mosaïque intitulée « La réunification pacifique de la Crimée », dans l’église de la Résurrection du Christ, devait célébrer l’annexion de la péninsule. Y figuraient aussi des hommes masqués armés de kalachnikovs, les fameux « petits hommes verts » apparus par enchantement dans cette région ukrainienne au printemps 2014. Tout juste achevée, la mosaïque a été remplacée par une représenta
tion plus… canonique : des moinestenant l’icône de NotreDamedeChersonèse (qui est tout de même originaire de Crimée).
Pour comprendre de quoi il retourne, revenons en arrière. La« Cathédrale des forces armées »,comme on appelle d’ores et déjàcette église de la Résurrection du Christ, doit être inaugurée à l’occasion des 75 ans de la victoire surl’Allemagne nazie, le 9 mai (ce seraprobablement un peu plus tard, pour cause de coronavirus).
Le projet est bel et bien conduitpar le ministère de la défense, et l’édifice est en passe d’être achevédans le parc Patriote, un parc d’attractions et d’expositions sur lethème de l’armée, à l’ouest de Moscou. S’il subsistait un doute, la structure vert sombre virant aukaki, recouverte de métal et de verre, l’aurait ôté.
Concentré de symbolesCette cathédrale – la troisième dupays, avec une capacité d’accueilde 6 000 personnes – est unconcentré de symboles. Exemples : le diamètre du tambour dudôme principal est de 19,45 mètres, évocation de l’année 1945 ; lahauteur du petit dôme est de14,18 mètres, rappel des 1 418 joursqu’ont duré les combats. Les six dômes dorés sont d’ailleurs dé
diés aux saints patrons des différentes armées (on apprendra ainsi que les forces de missilesstratégiques sont placées sous lepatronage de sainte Barbara…). Les marches menant à l’église seront, elles, édifiées à partir d’armes de la Wehrmacht coulées.
On l’aura compris, l’annexionde la Crimée devait donc rejoindre la seconde guerre mondialeau panthéon des épisodes « sacrés » de l’histoire russe. Vladimir Poutine n’avaitil pas un jour évoqué ce territoire comme un équivalent du « mont des Oliviers pour les juifs et les musulmans » ?
Le 24 avril, la fuite des premièresimages sur le site MBKh Media atoutefois déclenché une avalanche de commentaires, volontiers critiques ou sarcastiques. « La représentation sur les murs des temples d’événements historiques etde personnalités historiques est
une tradition », a alors fait valoir l’évêque Stefan, prévôt de la cathédrale. L’artiste à l’origine de la mosaïque a aussi rappelé que les empereurs byzantins étaient, enleur temps, représentés dans les églises. De fait, l’alliance des pouvoirs spirituel et temporel est uneconstante de l’Etat russe, et la célébration des victoires militaires un motif classique des églises. Comme dans de nombreuxautres pays, les religieux n’ont jamais eu aucun complexe à bénirles armées, jusqu’aux avions dechasse aspergés d’eau bénite avant leur départ pour la Syrie. Undébat a toutefois cours au sein de la hiérarchie de l’Eglise pour exclure de ces pratiques « les armesfrappant sans discrimination et lesarmes de destruction massive ».
« Il s’agissait de guerriers martyrs ou de souverains pieux, lui a répondu l’historien Sergueï Brioun dans les colonnes du quotidien économique Vedomosti. Pas des généraux triomphants du défilé de 1945 ou les petits hommesverts avec fusils d’assaut. »
Restait à entendre l’avis du principal intéressé. Selon le porteparole de Vladimir Poutine, celuici aurait souri en apprenant cette consécration, et dit : « Un jour, nosdescendants apprécieront nos mérites, mais le faire maintenant,
c’est un peu tôt. » Peine perdue, lelendemain, 27 avril, l’Eglise confirmait ses intentions… avant de changer d’avis brusquement le 1er mai. La hiérarchie orthodoxe a clairement attribué ce revirement à « l’opinion » exprimée parle président, preuve que si ce dernier n’est pas encore prêt à côtoyer les saints sur les murs des cathédrales, sa parole est d’ores etdéjà d’évangile pour l’Eglise.
Mythe nationalFin de l’histoire ? Non, car une autre mosaïque continue de susciter des débats enflammés, celle représentant le défilé de la victoire de 1945. On y voit une autre personnalité inattendue : Joseph Staline. La personnalité du dictateur soviétique fait l’objet d’une réhabilitation progressive dans la société russe, mais voir honoré par l’Eglise le responsable de lamort de plusieurs dizaines de milliers de prêtres (plus de100 000 pour les seules années 19371938) a de quoi surprendre. En réponse aux critiques, le patriarcat de Moscou a évoqué le respect de la « vérité historique, dont il est impossible d’arracher arbitrairement certaines pages ».
Cette déclaration illustre bien lerapport qui s’est imposé ces dernières années en Russie visàvis
de la figure de Staline. Celuici est honoré en tant que commandant en chef victorieux dont les crimespeuvent ou doivent être occultés, le symbole d’une histoire de laRussie nécessairement glorieuse et l’emblème d’un patriotisme auquel l’Eglise se rallie volontiers.Ce rôle est d’autant plus fort que la guerre ellemême est élevée au rang de mythe national numéroun, celui qui doit unir aussi bien les différentes composantes du peuple russe que les morceaux épars et parfois contradictoires deson histoire. Au rang des mythesunificateurs, la Crimée arrive nonloin derrière.
Parmi les commentaires lesplus percutants sur cette étrange association, le sociologue IgorEidman évoque la naissance d’une « religion syncrétique », à l’image de celles qui, « en Afrique ou en Amérique latine, mélangent des éléments du christianisme etdes cultes païens ». Pour M. Eidman, la religion syncrétique formée dans la Russie de Poutine « est une synthèse d’orthodoxie etde culte de la victoire. (…) On retrouve dans l’histoire des cultes comparables dans des tribus indoeuropéennes païennes, qui vénéraient la Guerre, les guerriers tombés, les armes… »
benoît vitkine
Au « KGB Espionage Museum » de New York, qui abrite quelque 3 500 objets d’époque, en janvier 2019. TIMOTHY A. CLARY/AFP
Les réseauxde propagande
du Kremlin,RT et Sputnik,
attaquentsans relâche
le « passé nazi »de ces pays
ajoutait aussitôt la réalisatrice de L’Ombre de Staline (qui devait sortir en France le 18 mars), « si cela a fonctionné pendant des années, malheureusement, aujourd’hui, l’effet s’est évaporé… »
Guerre mémorielleLa mémoire collective, dans l’exURSS, est blessée. Non seulement parce que les archives sont restéespour la plupart sous scellés, mais parce que, surtout, Moscouexerce une pression constantesur ses anciens satellites. Sans relâche, les réseaux de propagande du Kremlin, RT et Sputnik, attaquent le « passé nazi » de ces pays,et leur supposée condescendancepour les fascistes d’hier et l’extrême droite d’aujourd’hui.
Ailleurs, notamment en Pologne, la montée du populisme produit aussi ses effets. Conséquence : la guerre mémorielle s’est ranimée entre Moscou et Varsovie. D’autre part, une brusque poussée de fièvre a été enregistrée entre la Russie et la République tchèque, lorsque, le 3 avril,la statue de l’ancien maréchal soviétique Ivan Koniev a été déboulonnée. En retour, l’ambassade tchèque à Moscou a été la cible d’un commando muni de fumigènes. Pas de trêve, même pendant la pandémie due au coronavirus.
« La perspective historique peutchanger les choses et amplifier lesproblèmes géopolitiques », soulignait, à Vilnius, le diplomate Lamberto Zannier, commissaireaux minorités nationales de l’Organisation pour la sécurité et lacoopération en Europe (OSCE), alertant sur une année 2020 « potentiellement très critique », alors que les divisions grandissent au fil de l’interprétation de l’histoire. « La reconnaissance, les excuses publiques et les réparationssont des élémentsclés dans la recherche d’une “fermeture historique” », ajoutaitil. A l’approchedes soixantequinze ans de la victoire de l’URSS sur l’Allemagnenazie, le 9 mai, dont les célébrations ont été reportées pour cause de pandémie de Covid19, on en est loin.
isabelle mandraud
« Un jour, nos descendants
apprécieront nosmérites, mais le
faire maintenant,c’est un peu tôt »
VLADIMIR POUTINE
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0123JEUDI 7 MAI 2020 carnet | 19
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N° 60AVRIL 2020
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Le Carnet
AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Danièle Ballèvre,son épouse,
Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Jean-Marie BALLÈVRE,préfet honoraire,
ancien administrateurde la France d’Outre-mer,
officierdu 1er ordre national mauritanien,
officierde l’ordre national duMérite,
chevalier de la Légion d’honneur,
suite à une crise cardiaque,le 1er mai 2020,à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Les obsèques ont eu lieu dansla plus stricte intimité, à Saint-Cast-le-Guildo.
Cet avis tient lieu de faire-part.
PF Urvoix, L’Hermitage,Tél. : 02 99 64 12 49.
Dominique et Florence Bouvier,Isabelle et Bernard de la
Bourdonnaye-Blossac,Vincent et Florence Bouvier,Fabrice et Catherine Bouvier,
ses enfants,Ses quatorze petits-enfants,Ses dix-huit arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 2 mai 2020, de
Mme Albert BOUVIER,néeMuriel PEUGEOT.
L’inhumation aura lieu aucimetière de Senlis, le 7 mai, dans laplus stricte intimité familiale.
La cérémonie religieuse seracélébrée dès que les circonstances lepermettront.
La famille remercie trèschaleureusement le personnel del’Ehpad Orpea Batignolles de sondévouement et de sa gentillesse.
186, boulevard Pereire,75017 Paris.
Mme Nicole Cherchi,son épouse,
Catherine et Agnès,ses filles,
Louis,son gendre,
Nicolas,son petit-fils,
Pierre Cherchi,son neveu,
Ses neveux et nièces,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. Lucien CHERCHI,ENS Saint-Cloud 1946,professeur émérite
de l’université de Bourgogne,
survenu le 2 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quinzièmeannée.
Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité familiale.
Mme Renata Cortinovis,son épouse,
Livia Cortinovis,sa fille,
Tanguy, Jean-Marie et Alicia, Albaet Côme,
ont le chagrin d’annoncer le décès de
M.Marc COLOMBARD-PROUT,directeur de recherche,producteur demusique,
survenu le 30 avril 2020,à l’âge de soixante et onze ans.
Compte tenu des circonstances,la cérémonie aura lieu, dans la plusstricte intimité, le 10mai.
La famille tient à remercierle personnel du service d’oncologiede l’hôpital Saint-Antoine pour sonhumanité et sa bienveillance.
Félix Damette,son époux,
Agnès et Eliane,ses filles,
Louisette Deldique,sa sœur,
Achille, Julia et Hugo,ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décèsde
Josette DAMETTE,née DELDIQUE,
survenu le 2 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quatrième année.
L’inhumation a eu lieu le mardi5 mai, au funérarium de Grammont,à Montpellier.
Christine Clerici,présidente d’université de Paris,
Sylvain Moutier,doyen de la faculté sociétés ethumanités,
Isée Bernateau,directrice du département d’étudespsychanalytiques,
Ses collèguesEt amis,
ont la grande tristesse d’annoncerle décès de
Maurice DAYAN,professeur honoraire
en psychopathologie etpsychanalyse d’Université de Paris,
survenu le 2 mai 2020
et s’associent à la peine de sa familleet de ses proches.
Thomas Dayan, Marine Dayan,Stéphanie Massare et Antonin Cois,ses enfants et leurs conjoints,
Robin, Alexis, Violette, Lou etMathilde,ses petits-enfants,
Sonia Dayan-Herzbrun,Françoise Gertler,
ont l’immense tristesse d’annoncerle décès de
Maurice DAYAN,ancien élève
de l’École normale supérieure,agrégé de philosophie,
psychanalyste,professeur honoraire
à l’université Paris Paris-Diderot,
survenu le 2 mai 2020.
Franck Tinland,professeur des Universités,
Ses enfantsEt ses petits-enfants,
ont la très grande peine de faire partdu décès de leur épouse, mère etgrand-mère,
Blanche TINLAND,
survenu le 30 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
La cérémonie a eu lieu dans la plusstricte intimité.
Lyon,
Camille et Sophie,Victor et Alice,
ses enfants,Claire,
sa petite-fille,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
Mme Elisabeth GENTY.
Une cérémonie d’hommage auralieu quand les conditions lepermettront.
Ni fleurs ni couronnes, mais unedonation à l’association « échangesBirmanie ».
PF Chaboud,Tél. : 04 78 29 87 17.
New York. Jérusalem.Paris. San Francisco.
Judith Guéron, née Mitchell,son épouse,
Michèle et Zev Golan, NicoleGuéron et Carter Strickland,ses enfants,
Julien, Charlotte, Alisa, Shmuel,ses petits-enfants,
Maurice et Jacqueline Guéron,Frédéric et Anelly Guéron, SusanMitchell et John Sikorski,ses frères, belles-sœurs, beau-frère,leurs enfants et petits-enfants,
Étienne et Hélène EisenmannEt les familles Guéron, Mitchell,
Berrnheim, Hirsch, Le Cœur, Saglier,Les proches,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
Henri GUÉRON,Supaéro 1958, PhDMIT 1966,
avocat au barreaude New York Fordham 1993,
survenu le 1er mai 2020,à New York, du Covid-19,à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Cet avis tient lieu de faire-part.
[email protected]@gmail.com
Ses enfants,Ses petits-enfants,Et l’ensemble de la famille,
ont l’immense tristesse de faire partdu décès de
Marcel KURZ,géomètre honoraire
de l’Institut géographique national,
survenu le 24 avril 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.
Compte tenu de la situationsanitaire, ses obsèques se déroulerontdans la plus stricte intimité.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Nicole Baudrier,sa compagne,
Ses filles, son gendreEt ses petits-enfants,Denys et Amiel Lable,Agnès Léger,
son frère, sa belle-sœuret sa sœuret leurs enfants,
Cécile Gall,sa tante,
Les familles Lable, Gall et Berthier,
ont la grande tristesse d’annoncerle décès de
Richard LABLE,
survenu le 25 avril 2020,dans sa soixante-dixième année.
Cet avis tient lieu de faire-part.
La famille de
M. Jean-Pierre LECLERE
a la douleur d’annoncer son décès,survenu à Compiègne, le 29 avril 2020,à l’âge de soixante-dix-huit ans.
Sa profonde humanité auramarqué, nous l’espérons, tous ceuxqui l’ont côtoyé.
Il sera enterré au cimetière deVerrière-le-Buisson.
Une cérémonie conviviale seraorganisée dès que possible.
Nicolas Meyer,son époux,
Jérôme et Karine Meyer,Anne et Dimitri Rejl,
ses enfants,RenéMeyer,
son beau-frèreEt toute sa famille,
ont la tristesse de faire part du décèsde
JanineMEYER,née CAVALER,
agrégée de l’Université,officier
dans l’ordre des Palmes académiques,
survenu le 26 avril 2020, à Lens,dans sa quatre-vingt-dixième année.
Les funérailles ont eu lieu aucrématorium d’Hénin-Beaumont, lejeudi 30 avril, dans la stricte intimitéde la famille.
France Brécard,sa compagne,
Charles et Laure Brécard,leurs enfants et leurs petits-enfants,
Thierry et Christine Brécard,leurs enfants et leurs petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décèsde
Vital MISRAKI,
survenu le 2 mai 2020.
Les obsèques auront lieu dansl’intimité le 13 mai.
M. Alain Dufouret sa famille,
La famille Haut,La famille EtienneMoulin,La famille Albert Moulin,La famille ClaudeMoulin,
ont la tristesse d’annoncer le décèsde
JacquelineMOULIN,officier
dans l’ordre des Palmes académiques,professeur de philosophie,professeur de littérature(Maison d’éducation
de la Légion d’honneur),psychanalyste
(séminaires psychanalytiquesde Paris, ALI),
survenu à Paris,dans sa quatre-vingt-neuvième année,le 1er mai 2020.
Elle reposera dans le cimetière deChampdolent (Charente-Maritime),auprès de ceux qu’elle a aimés enAlgérie et en France.
Elise Natali,sa fille,
Nicole Perat,sa mère,
Carine Natali,sa sœur,
Carole NataliEt Alexis Barazer,
sa belle-mèreet son beau-frère,
Achille, Danaé, Antigone,son neveu et ses nièces,
Marion DelaigueEt tous ses amis proches,
ont la grande tristesse de faire partdu décès de
Jean-Marc NATALI,
survenu le 25 avril 2020, à Paris 14e,à l’âge de cinquante ans.
La crémation aura lieu dansl’intimité familiale, le lundi 11 mai.
Une cérémonie sera organiséeultérieurement et ses cendresreposeront dans son village deHaute-Corse.
« L’Eternel parlait avec Moïseface à face, comme un homme
parle à son ami. »Exode, 33, 11.
Geneviève Pignol,son épouse,
Maguelone, Arnaud, Olivier,ses enfantset leurs conjoints, Michel, Catherine,Déborah,
Quentin, Julie, Alexandre, Matthias,Thomas,ses petits-enfants
Ainsi que la famille Vincent-Brueder,
ont la profonde tristesse de faire partdu décès de
Roland PIGNOL,ancien délégué général
de l’Union sociale pour l’habitat,officier de la Légion d’honneur,
survenu le dimanche 26 avril 2020,dans sa quatre-vingt-douzième année.
Selon ses souhaits, il a été inhuméle jeudi 30 avril, dans l’intimitéfamiliale.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Vigoux. Argenton-sur-Creuse.
Jacqueline et Maurice Benassayag,Jeanne Burton, Louis Pradel etJacqueline Martin,ses enfants, son gendre et sa belle-fille,
Amélie, David, Elisa, Louis etServane, Mathieu, Nelson et Marya,ses petits enfants et leurs conjointes,
Ses arrière-petits-enfants,Ses neveux et nièces,
ont la douleur de faire part du décèsde
Gabrielle PRADEL,née LANCHIER,
survenu à Paris, le 30 avril 2020,du Covid-19, à l’âge de cent ans.
Comme elle l’avait toujourssouhaité, elle reposera auprès de sonépoux,
Louisou,
de sa mère et de ses beaux-parentsau cimetière de Vigoux (Indre).
L’inhumation aura lieu dansl’intimité.
Une cérémonie en sa mémoiresera célébrée ultérieurement.
[email protected]@[email protected]
Mme Marie-Claire Ramelot,son épouse,
Mme Isabelle Ramelot,sa fille,
Adrien et Paul,ses petits-fils,
ont la douleur de faire part du décèsde
Monsieur Jacques RAMELOT,
fils deM. Pierre RAMELOT,
petit-fils deM. Olivier de GOURCUFF,
survenu à Paris, le 3 mai 2020,dans sa quatre-vingt-septième année.
Les obsèques religieuses aurontlieu dans l’intimité familiale.
Nîmes. Banne.Saint-Paul-le-Jeune. Berrias.
Mme Jacqueline Thibon,son épouse,
Gilles et Dominique Duvert-Broguière,
Hervé et Kerstin Thibon,Denis et Pascale Thibon-Vicat,
ses enfants,Vincent, Ariane, Marion, Claire,
Louise, Adèle,ses petits-enfants
Et toute la famille,
ont la tristesse de faire part du décèsde
M. René THIBON,médecin généraliste à Nîmes,
chevalierde l’ordre national duMérite,
survenu le 2 mai 2020,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.
En raison des circonstancesactuelles, les obsèques auront lieuau cimetière de Banne (Ardèche),dans l’intimité familiale.
Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.
Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.
M. et Mme Xavier Roth,Mme Jean Ligouzat, née Roth,Mme Georges RothEt leurs enfants,
ont la tristesse de faire part du décèsde
Pierre ROTH,lieutenant-colonel de réserve
du service d’état-major,ancien président-directeur général
des Ets Roth et CieCafés Ras d’Amhara.
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20 |horizons JEUDI 7 MAI 20200123
Le changement de doctrine
AUX RACINES DE LA CRISE SANITAIRE FRANÇAISE 3|5
« Le Monde » revisite la stratégie nationale en matière d’épidémie depuis vingt ans. Une manière de mieux comprendre, documents inédits et témoignages à l’appui, les polémiques actuelles. Aujourd’hui, le lent glissement vers un « désarmement »
I l n’en peut plus. En cinq ans passés à latête de l’incontournable direction générale de la santé (DGS), où il a éténommé en mars 2005, le professeurDidier Houssin s’est rarement sentiaussi amer qu’en ce printemps 2010. La
controverse sur la gestion de la grippe A(H1N1)et l’achat, dans des quantités jugées excessives, de vaccins et de masques est venue entacher un parcours sans faute aux côtés des ministres de la santé, d’abord Xavier Bertrand puis Roselyne Bachelot. La période est peu charitable pour ce médecinfonctionnaire : il ales médias sur le dos, mais aussi certains responsables politiques, et voilà même que la police s’en mêle. « J’ai passé une journée rue du ChâteaudesRentiers [siège à l’époque de la police financière parisienne], parce que, en gros, on voulait savoir si on avait été, au mieux,roulés par l’industrie, au pire, corrompus pour l’achat des vaccins ! On en a bavé des ronds de chapeau, avec Roselyne… », se rappelle Didier Houssin. L’ancien chef de service de l’hôpital Cochin a une bonne tête de bouc émissaire.
De fait, l’heure est aux grandes explications.Sur France 3, la journaliste Elise Lucet somme le ministère de la santé de battre sa coulpe surl’argent dilapidé ; les médecins libéraux, misde côté pendant la campagne de vaccination,sont furieux. Quant à l’opposition, elle est surle quivive, déterminée à discréditer un peu plus un pouvoir sarkozyste par ailleurs encalminé dans l’affaire Bettencourt à partir du mois de juin. Une commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise A(H1N1) a vu le jour quelques mois plus tôt, en février 2010, au grand dam de l’UMP. Au beau milieu de ce capharnaüm, il y a donc le professeur Houssin, usé par la fonction. Au point qu’il utilise une drôle d’unité de mesure pour étalonner les piles de dossiers entassées dans son bureau : le « kilomètre ».
GARE AU RETOUR DE MANIVELLEMais la vraie victime est ailleurs. Cigît la politique de sécurité sanitaire française, durablement touchée par le scandale. « J’étais trèsamer, se souvient M. Houssin. On a essayé de faire notre boulot, tout simplement. Et on s’en est pris plein la poire… » Le discours de raison n’est plus audible. A la prochaine crise sanitaire, gare au retour de manivelle, se prennent à penser les professionnels de la santé.C’est donc là que se situe le nœud de l’affaire. Les prémices du « désarmement ».
Il convient d’habiller une politique publique, quelle qu’elle soit, avec une doctrine habilement tricotée. Quel est, à l’époque, le choix qui se profile, pour Roselyne Bachelot, en grosse difficulté ? Continuer à anticiper, donc à dépenser au cas où, rester sur ses gardes devant l’imprévisible sanitaire, afin d’êtreprêt, l’hypothétique jour J ? « Roselyne était comme moi, explique Xavier Bertrand, sonprédécesseur et successeur, avenue de Ségur, il faut prévoir le scénario du pire, même si ça coûte. Ecole Chirac, il n’y a pas de débat. » Autreoption : en finir avec ce fameux principe de précaution, qui n’a plus bonne presse ? Ralentir, tergiverser, jusqu’à ressentir, fatalement,les symptômes d’une drôle de maladie, « la fatigue pandémique », comme la surnomme le professeur Houssin. S’engourdir dans Le Désert des Tartares imaginé par Dino Buzzati, àattendre désespérément la bataille finale. S’installe alors, comme le dit ce même Didier Houssin, « la ruse du diable : l’oubli ».
On en est là quand la DGS, le 27 avril 2010,décide de saisir le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), l’instance chargée de délivrerdes avis sanitaires, d’une demande précise : que faire du milliard de masques chirurgicaux et des 700 millions de FFP2 dont dispose désormais l’Etat, à travers sa structuredédiée, l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) ?
En effet, écrit alors le professeur Houssin :« La compliance [l’acceptation] au port du masque FFP2 de la part des professionnels aété faible. (…) Une partie importante des masques FFP2 arrivant à péremption, la question de la reconstitution d’un stock national adapté, quant à sa composition et à son vo
lume, se pose désormais. » En d’autres termes,le directeur général de la santé indique, il y adix ans exactement, que le matériel en question est sur le point d’être périmé, et demande des éclaircissements sur « les types de masques devant constituer ce stock Etat » et des recommandations sur « un dimensionnement de ces stocks ».
Le temps des économies n’est certes pas encore arrivé, mais il se profile. En attendant laréponse des experts sollicités sur un sujet quiintéresse si peu de monde à l’époque – c’estàdire les masques de protection –, Roselyne Bachelot doit déjà lutter contre la tempêtepolitique, y compris dans son propre camp. Le sénateur UMP Philippe Marini est ainsi l’un des premiers à dégainer. Le 29 juin 2010, dans son rapport sur la loi de finances 2009, il vise notamment les crédits alloués à la luttecontre la grippe A(H1N1).
Intéressant, ce rapport… Il est le premier àenvisager le fameux « désarmement » sanitaire à venir. Il mérite qu’on s’y arrête. « Selon le ministère de la santé, écrit le parlementaire,ces dépenses peuvent être évaluées à environ 757,3 millions d’euros au titre de l’acquisition des vaccins et des consommables, des indemnités de résiliation versées aux laboratoires,des dépenses de logistique et d’édition des bons de convocation, de la campagne de communication, de l’indemnisation des professionnels de santé, de l’achat de masques, d’antiviraux et de respirateurs. » Mais cette somme, déjà considérable, paraît sousévaluée aux yeux du pointilleux sénateur : « Il convient néanmoins d’y ajouter d’une part, lesdépenses supplémentaires supportées par l’Assurancemaladie au titre des prescriptions de médicaments, des honoraires des médecinsgénéralistes et des indemnités journalières,ainsi que le surcroît d’activité des hôpitaux ;d’autre part, les frais liés au fonctionnement des centres de vaccination. Au total, les dépenses liées à la grippe A(H1N1) peuvent ainsi être évaluées à environ 1 milliard d’euros. »
Le chiffre est lâché. Un chiffre rond, parfaitpour frapper les esprits. Un milliard d’euros, pour 342 décès recensés. De quoi scandaliser les tenants de l’orthodoxie budgétaire. D’autant que Philippe Marini a encore quelques agacements en réserve : « Des quantitésimportantes de masques ont, tout d’abord, étécommandées alors que peu semblent avoir étéeffectivement distribués : 508 millions de masques FFP2 et 121 millions de masques chirurgicaux pédiatriques – venant abonder un stock initial conséquent d’un milliard de masques chirurgicaux et de 667,7 millions de masques FFP2. » Le sénateur Marini fait les comptes… et règle celui de l’Eprus, créé par Xavier Bertrand en 2007. « Or, poursuit donc Marini, surce total de 2,2 milliards de masques, seuls 423 millions ont été livrés par l’établissement dans le cadre du plan pandémie ; les calendriers de livraison font apparaître des réceptions de commandes tardives ce qui pose laquestion de l’opportunité de tels achats. »
La conclusion du sénateur a tout de l’exécution : « De façon plus générale, votre rapporteur spécial insiste sur deux éléments : l’urgence des solutions à apporter à la question dela gestion de la péremption des produits de santé et la reconsidération du rôle de l’Eprus.D’une part, l’Eprus n’a pas, contrairement à l’objectif affiché lors de sa création, résolu toutes les difficultés rencontrées auparavant par la direction générale de la santé ; d’autre part,
son rôle a finalement été très limité. Dans ces conditions, votre rapporteur spécial s’interroge sur l’opportunité de la création de cette nouvelle agence. »
Tout est là, en germe. L’inutilité supposéedes masques, et celle de l’Eprus. En général, les rapports du Sénat émeuvent peu de monde, mais Philippe Marini est écouté, il a de l’influence, d’autant qu’il fait partie de la majorité. Dans ces circonstances, difficile pour Roselyne Bachelot de s’imaginer un avenir radieux, avenue de Ségur, malgré la protection bienveillante du locataire de Matignon, son ami François Fillon. Le 14 novembre 2010, au prétexte d’un remaniement, elle est contrainte de passer le relais à un revenant, Xavier Bertrand, nanti d’un portefeuilledémesuré : il gère le travail, l’emploi et doncla santé, qui perd au passage son autonomie. La première organisation syndicale de médecins, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), se réjouit : très critique envers Roselyne Bachelot pour sa gestion du dossier A(H1N1), elle a fait campagne pour M. Bertrand. A charge pour ce dernier de reconquérir un électorat marqué à droite…
« UN POISON LENT, QUI INFUSE »Bien qu’ovationnée par ses troupes, Mme Bachelot quitte le ministère profondémentmeurtrie. Audelà de son cas personnel, elle pressent qu’un glissement est en train de s’opérer. « Ça ne se passe pas comme si on éteignait la lumière dans une pièce, jugetelleavec le recul. C’est un poison lent, qui infuse, etqui amène des décisions budgétaires successives. L’Etat s’est imposé une rigueur, une diète, à travers la RGPP de Sarkozy, que d’autres ne s’imposaient pas », lâchetelle à propos de la Révision générale des politiques publiqueslancée, en juillet 2007, par Sarkozy et Fillon dans le but de réduire les dépenses de l’Etat.
« Et cela a été dramatique, notamment pourla prévention des risques épidémiques », déploretelle. L’exministre dénonce les effets de manche, éclipsant les réalités cruelles : « L’Etat, derrière les salons dorés, c’est une façade. Le reste, c’est la misère, la déshérence totale, des conditions de travail dramatiques,alors que, dans le même temps, les collectivités territoriales ont multiplié les bureaux, lesvoitures… Moi, j’ai été écœurée. »
Recasée au ministère des solidarités et de lacohésion sociale, Roselyne Bachelot n’est
plus en odeur de sainteté sarkozyste. « Je suis alors dans un tel état de souffrance psychologique, ça fait un peu midinette, mais c’estvrai », relatetelle. D’autant que les avanies s’accumulent…
Le 17 février 2011, la Cour des comptesprend le relais du sénateur Marini. Dans son rapport annuel, l’institution critique elleaussi, en termes choisis, la gestion du dossierA(H1N1). Elle parle d’une « stratégie vaccinale trop ambitieuse et non évolutive », d’un plan pandémie grippale fournissant « un cadre incomplet et trop rigide », étrille le « choix discutable d’une couverture large de la population » par la vaccination, et des « contratsd’acquisition de vaccins mal négociés ». Conclusion abrupte : « Une campagne coûteuse au regard des résultats obtenus. »
Les « sages » de la rue Cambon, pas si biennommés pour le coup, concentrent leurs flèches sur l’échec de la campagne de vaccination de masse : 5,4 millions de personnes vaccinées, soit moins de 8,5 % de la population. Le coût total est de 662,6 millionsd’euros selon la Cour, soit bien davantageque les 510 millions d’euros annoncés par Roselyne Bachelot, au cours de son audition, en juin 2010, par la commission d’enquête del’Assemblée. Avenue de Ségur, Xavier Bertrand n’en mène pas large. Il se sait observé,guetté. On ne le raterait pas, lui non plus, s’il venait à trop dépenser en vue d’une crise potentielle. Nous sommes en 2011, et les effets du choc financier planétaire de 2008 se font plus que jamais sentir. Mais Bertrand gardeses certitudes : « le scénario du pire » conserve ses faveurs, même s’il ne s’en vante pas,ça vaut mieux.
Au ministère, Didier Houssin a été remplacé à la DGS par JeanYves Grall, mais sa saisine, au printemps 2010, du Haut Conseil desanté publique (HCSP) sur les masques a enfin été suivie d’effets. Le HCSP, le 1er juillet 2011, tente d’apporter des élémentsde clarification. Déjà, selon le Haut Conseil, le« stock Etat de masques respiratoires devra être constitué de masques antiprojections (chirurgicaux) et d’appareils de protection respiratoire (FFP2) ». Rien de neuf, dans ce rapport, mais au moins une certitude : l’Etat doit continuer d’abonder son stock, pour le grand public comme pour les professionnels, à qui ilfaudra réserver les FFP2, plus protecteurs. Eneffet, et c’est une donnée à prendre en consi
EN 2010,LES DÉPENSES
LIÉES À LA GRIPPE A(H1N1)
SONT ÉVALUÉES À 1 MILLIARD
D’EUROS,POUR 342 DÉCÈS
RECENSÉS. DE QUOI SCANDALISERLES TENANTS
DE L’ORTHODOXIE BUDGÉTAIRE
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dération au regard des atermoiements observés lors de la crise due au Covid19, les expertsdu HCSP concluent ceci : « La revue systématique d’études observationnelles suggère uneefficacité préventive élevée des masques desoins et des appareils de protection respiratoire. » En 2011, les masques sont donc considérés comme efficaces et indispensables lors d’une pandémie.
EXPERTISES PRÉMONITOIRESPas question pour autant de verser dans l’àpeuprès. Les attributions de masques sont gravées dans le marbre : ceux de type chirurgical seront destinés aux personnes potentiellement exposées en raison de leur profession (caissières, éboueurs…), mais également obligatoires pour les usagers des transports publics ; les FFP2 seront destinés auxpersonnels de santé. « La reconstitution régulière d’une partie du stock devra être assurée », disent également les experts, qui précisent, prémonitoires : il faudra « une organisation pour l’utilisation de ces stocks en situation de crise, qui permette de couvrirrapidement toutes les populations et tous les personnels de soins ».
En clair, même si les médecins ne peuventconclure, en l’absence d’une littérature tranchée, à l’absolue efficacité des masques en casd’épidémie d’ampleur, mieux vaut en avoir en quantité, et c’est à l’Etat de les fournir. Le HCSP suggère d’ailleurs « d’évaluer les capacités de fabrication et d’approvisionnement »,puis de définir « une durée minimale que le stock permanent devra couvrir ».
Fort de ces recommandations, le directeurgénéral de la santé, JeanYves Grall, alerte sonautorité de tutelle, Xavier Bertrand. « Je penseque la stratégie était tout à fait rationnelle àl’époque, observe M. Grall. Ce truc a mouliné, ensuite… » Le rapport du HCSP se diffuse, etinfuse. Mais quid des stocks usagés, au fait ?
Le 27 juillet 2011, la DGS adresse à M. Bertrand un courrier d’alerte sur la péremption prévisible des stocks de l’Eprus : « Le montant des produits ainsi prolongés concerne aujourd’hui une part importante des stocks détenus, soit 25 % du montant total des stocks stratégiques. » Autrement dit, un quart des masques et autres antiviraux conservés par l’Eprus sont quasi inutilisables. Les sommes àengager pour les renouveler sont conséquentes. Du coup, M. Grall propose « d’abandonner
progressivement le programme de prolongation de durée de validité des produits au profit d’un programme de lissage des renouvellements ». Pour les masques, « le renouvellement d’une partie du stock de chirurgicaux etFFP2 ne semble pas justifié ».
En effet, arguetil, les réserves disponiblesn’indiquent pas de pénurie prévisible : 600 millions de FFP2 et 800 millions de masques chirurgicaux reposent encore à l’époquedans les entrepôts de l’Eprus – des chiffres quilaissent rêveur, aujourd’hui. Il sera toujours temps, en 2013, de vérifier s’il convient de procéder à de nouvelles commandes. Il n’est donc pas encore question de changement dedoctrine sanitaire, à ce stade. Simplement de précautions budgétaires à prendre.
Le terme « lissage » est un grand classique dela gestion minimaliste. Mais Xavier Bertrand n’a aucune envie d’encaisser des critiques aposteriori, ni de se laisser refiler le mistigri en 2020. Il a bien compris, en ces temps d’épidémie, que d’aucun(e)s aimeraient bien dater le début du désarmement sanitaire de la France à 2011, à l’époque où il était en fonctions, avenue de Ségur. Il s’en défend : « Je ne suis pas un perdreau de l’année ! Pourquoi, en 2011, j’irais flinguer tout ce que j’ai fait auparavant ? On ne m’a pas fait un lavage de cerveau quand je suis devenu secrétaire général de l’UMP en 2008 ! Je suis parano par rapport àces pandémies, donc toujours dans le même état d’esprit. » Claude Guéant, à l’époque bras droit de Sarkozy à l’Elysée, souligne pour sa part que « le document de 2011 souvent cité [le rapport du HCSP], proposant de ventiler autrement le stock entre un niveau national et desniveaux déconcentrés, était un document de préconisation et non une décision ».
Bertrand a relu, attentivement, l’avis duHCSP du mois de juillet 2011. « Le HCSP fixeune chose très précise : il y a beaucoup de masques en France, et il faut donc préciser ce qui estprévu, pour qui et pour quoi. Les FFP2, c’est pour les soignants, et les masques chirurgicaux, pour tous les autres », martèletil. La montée en puissance est même actée, selon lui : « On est à 80 % de l’objectif cible sur lesmasques chirurgicaux. Et on estime qu’avec ce que sont capables de faire les productions enFrance dès le début d’une épidémie, en dopant la production, on atteint notre objectif cible de 100 %. Voilà tout ce qui est dit en 2011. » Avec à la barre un ministère de la santé qui, dixit Ber
trand, « doit fixer chaque année le nombre demasques à commander, pour renouveler ouaugmenter le stock ».
Si tout est si clair, à l’époque, d’où vient, en ceprintemps 2020, ce vent mauvais qui replace Xavier Bertrand dans le collimateur ? Marisol Touraine, la ministre socialiste qui lui succédera en mai 2012, renvoie sans hésiter la balle dans son camp. Pour elle, c’est bien en 2011 quetout s’est joué. « Nous arrivons et trouvons une stratégie qui a été élaborée dans le contexte postépidémie A(H1N1), rappelle Marisol Touraine. Tout le monde marche sur des œufs. » Et de donner son interprétation du texte du HautConseil de juillet 2011 : « L’avis dit clairement que les stocks stratégiques, en gros, sont composés des masques chirurgicaux et des FFP2, et on renvoie aux hôpitaux qui doivent avoir leur propre stock de masques. Il y a ce qui est local, etce qui est Etat, c’est déjà en germe dans la différence stratégique/tactique. »
DÉBÂCLE SANITAIRE DU PAYSMme Touraine va un peu vite en besogne. Car l’avis de juillet 2011 du HCSP ne fait pas mention d’une distinction stock stratégique/stocktactique. Un distingo qui est à l’origine, d’après la plupart des témoins interrogés par Le Monde, de la débâcle sanitaire du pays. En fait, il faut attendre le 2 novembre 2011, et unecirculaire signée par Xavier Bertrand, pourqu’effectivement une première évolution dela doctrine sanitaire soit signifiée.
Intitulée « préparation de la réponse aux situations exceptionnelles dans le domaine de lasanté », cette circulaire – peu aisée à dénicher neuf ans plus tard – mérite le détour. Il est question des agences régionales de santé (ARS), si contestées aujourd’hui, dont la création, en avril 2010, supposait la mise en place de platesformes régionales de stockage. Xavier Bertrand, à rebours du sénateur Marini,en profite pour ancrer le rôle de l’Eprus, sa « créature », dans l’arsenal sanitaire. « Depuis la pandémie grippale A(H1N1), l’Eprus a montré tout son savoirfaire », se félicite alors le ministre dans cette circulaire.
Toujours se pencher sur les détails : c’estdans une annexe au texte principal de ce document que l’on trouve l’amorce d’une évolution du dispositif. D’une part sont évoqués les« équipements tactiques », ceux « dont doivent disposer les établissements de santé, sièges de SAMU ou de SMUR, pour assurer la gestion des
situations sanitaires exceptionnelles ». Et le ministre de préciser le modus operandi : « L’acquisition et la maintenance de ces équipements seront financées par les établissements de santé [hôpitaux, Ehpad…] dans le cadre de leur mission d’intérêt général. »
D’autre part, il est fait mention des « stocksstratégiques » : « En complément de ces équipements tactiques, l’Etat va maintenir une capacité d’intervention en renfort, notammentdans les cas où la réserve sanitaire est mobilisée. Ces équipements feront partie des stocksstratégiques de l’Etat et gérés par l’Eprus à partir de ses platesformes zonales. »
Il s’agit bien là d’une nouvelle doctrine. Xavier Bertrand le précise ensuite dans le texte : « Selon ces nouvelles modalités de gestion, l’Eprus pourra apporter un appui techniqueaux ARS (…), proposer aux établissements de santé qui le souhaitent des marchéscadres nationaux pour l’acquisition des matériels et équipements requis. »
« ERREUR STRATÉGIQUE »C’est dans cette circulaire, et non dans l’avisdu HCSP, que la différenciation entre « stocks stratégiques » et « stocks tactiques » est doncmentionnée pour la première fois. Rien de choquant, a priori. L’Etat décentralise et responsabilise ses autorités régionales, tout en maintenant un stock national de belle envergure. Sur le papier, le dispositif paraît plutôt rationnel. « C’était finalement assez voisin de ce qu’on avait utilisé jusqu’alors, remarque Didier Houssin. Mais le problème, c’est qu’il y aeu un premier changement stratégique, que je considère moi plutôt comme une erreurstratégique : dire que les masques FFP2, c’estpour les professionnels. Il faut donc que cesoient les employeurs qui les acquièrent.Mais les employeurs, c’est qui ? Les appelsd’offres, vous voyez un peu le bazar pour un hôpital qui a quand même autre chose àfaire. La gestion des stocks stratégiques dansla durée, des matériels qu’on va peutêtre utiliser dans dix ans, ce n’est pas du boulot d’hôpital ou d’Ehpad. »
Mais l’administration s’est mise en marche.Déléguer, c’est accorder sa confiance. A l’Etat de s’occuper de stratégie, le reste relève de la tactique. Pure sémantique, aux conséquences pourtant déterminantes. Xavier Bertrands’agace. « Le truc, “en 2011, on change la doctrine…”, pfff… » Il le redit avec force : « Je ne suispas complètement con au point de casser ce que j’avais mis en place ! Les stocks de l’Eprusavaient baissé, oui, mais les seringues, les vaccins, on ne les avait plus après l’épisode A(H1N1) (en 20092010). On a essayé de m’accrocher, ces temps derniers, il faut voir politiquement d’où ça vient… En tout cas, on n’a pasbaissé la garde sur les masques ! »
Une certitude, tout de même : à partir de2011, voilà les hôpitaux et autres établissements régionaux sommés d’acheter du matériel, quand ils sont déjà aux abois financièrement. Le désengagement s’esquisse clairement. D’autant que les hauts fonctionnaires de l’intérieur comme les pontes de la défense,bien plus préoccupés par le risque d’attentatchimique que par une éventuelle pandémie, estiment avoir leur mot à dire – ils entendentmême imposer leurs vues. La guerre sanitaire est une chose trop sérieuse pour êtrelaissée aux médecins.
Placé sous l’autorité de Matignon, le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), déjà aux manettes, dansl’ombre, en 2009, prépare son grand retour sur le front. « Le SGDSN va se sentir interpellépar les critiques postA(H1N1), explique l’ancien député PS, spécialiste de santé publique, JeanMarie Le Guen. Le SGDSN va faire enquelque sorte son autocritique en disant, on apris trop de masques en 2009, etc., et donc onva passer par la décentralisation des moyens au niveau des grandes entreprises. Toujoursdans une logique de bioterrorisme. Donc leSGDSN va penser, structurer son plan, dès 2011. » Le très respecté économiste de la santéClaude Le Pen, décédé le 6 avril, en était aussi persuadé : « Le point décisif, c’est le SGDN. Iljoue un rôle qui est occulte. » Plus pour très longtemps.
gérard davet et fabrice lhomme
Prochain article 20112017, la mécanique du délitement
STÉPHANE OIRY
À PARTIR DE 2011, VOILÀ LES HÔPITAUX
ET AUTRES ÉTABLISSEMENTS
RÉGIONAUX SOMMÉS D’ACHETER
DU MATÉRIEL, QUAND ILS SONT DÉJÀ AUX ABOIS FINANCIÈREMENT
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22 |culture JEUDI 7 MAI 20200123
Les platesformes profitent du confinementLes audiences du leader Netflix, mais aussi d’UniversCiné, de FilmoTV ou de Tënk, ont largement augmenté
ENQUÊTE
P rivée de ses lieux d’expression habituels – théâtres, salles de concertset de cinéma, musées, li
brairies –, la culture n’a pas pourautant déserté la vie des Français.Selon le dernier baromètre deconsommation culturelle, réalisé en avril par la Haute Autoritépour la diffusion des œuvres et laprotection des droits sur Internet(Hadopi), l’accès aux biens culturels arrive en tête des activités considérées comme indispensables à l’équilibre des personnesinterrogées. Après quatre semaines de confinement, 89 % d’entreelles déclarent avoir consomméséries, films, expositions numériques, musique et jeux vidéo.Une pratique qui profite largement aux platesformes de streaming, par abonnement (SVoD), à l’achat ou à la demande (VoD).
La contrainte du « rester chezsoi » renforce ainsi la plateforme américaine de streaming Netflixdans sa position de leader qui, pour ce premier trimestre 2020, a attiré 15,8 millions de nouveauxabonnés. Soit deux fois plusque les 7 millions escomptés et beaucoup plus que les 9,6 millions recrutés en 2019 sur lamême période.
Si la direction de la compagniedemeure prudente, attendant « une décélération de la croissancedes abonnements avec la fin duconfinement », elle doit à cette parenthèse de consolider son assise, au moment propice. L’arrivée en France, le 7 avril, du géant américain Disney + a introduit unconcurrent de poids. Même si ce dernier n’a pas dévoilé les retombées de son lancement, son alliance avec Canal+ (distributeur exclusif du service pour ceux quin’ont pas choisi de s’abonner directement sur la plateforme), qui a permis au groupe de diffuser en exclusivité, sur plusieursde ses chaînes, The Mandalorian, une première série dérivée deStar Wars, fournit des signes encourageants, avec 3,4 millions de téléspectateurs réunis.
En outre, le passage en clair deCanal+ au début du confinement a multiplié par deux ses audiences en première partie de soirée.Plaçant au rang de succès la diffusion de films comme Rebelles (2019), d’Allan Mauduit, qui a rassemblé 2,1 millions de télés
pectateurs, Tanguy (2001),d’Etienne Chatiliez, qui en a retenu 1,8 million et quasi autantpour Venise n’est pas en Italie (2019), d’Ivan Calbérac. Canal+ Séries, quant à elle, bénéficie à lafois de la période, mais aussi de la diffusion de Validé, la série de Franck Gastambide, Charles Van Tieghem et Xavier Lacaille, qui,depuis vendredi 20 mars, exploseavec pas moins de 18 millions de visionnages.
Classiques et films d’auteurLa consommation des chaînes OCS, la plateforme de télévision d’Orange, a pour sa part étémultipliée par trois. Parmi lesgros succès sont à noter la série américaine de sciencefictionWestworld, de Jonathan Nolanet Lisa Joy, qui pulvérise lesaudiences habituelles, chaquenouvel épisode séduisant 20 %de spectateurs en plus. Le confinement a également fait repartirà la hausse la série Game of
Thrones et fait bondir les thématiques cinéma, notamment laspéciale Tarantino.
Néanmoins, ce ne sont passeulement les séries, les blockbusters, ou même les comédiespopulaires, qui tirent profit de la situation. Les grands classiques,les films d’auteur, les documentaires parmi les plus pointus suscitent eux aussi un intérêt donttémoignent les platesformesplus confidentielles. « Le confinement aura permis de mettre en lumière, notamment grâce à lapresse, le marché de la vidéo à lademande », précise Denis Rostein,directeur général de la première plateforme de VoD française UniversCiné, dont le catalogue regroupe 7 300 films indépendants de diverses nationalités, récents et anciens.
« Avant, je crois qu’il y avait uneméconnaissance, voire une incompréhension sur toutes ces offres. Plateforme par abonnement,vidéo à la demande… Beaucoup ne
s’y retrouvaient pas, et nombreux étaient ceux qui pensaient que les tarifs proposés étaient élevés. Leconfinement a fait voler tout ça, encréant une curiosité, en favorisant une démarche. L’appétence des Français pour un cinéma de qualité a pu se vérifier. » Résultat : depuis mardi 17 mars, la plateforme est passée de 350 à 2 200 actes de location en semaine, et de 600 à 3 000 les weekends. Une consommation qui a plus que quadruplé.
« L’usage de la VoD et du cinémapar abonnement n’avait pas été intégré ou essayé par la majorité des Français », confirme BrunoDelecour, directeur général de FilmoTV, qui, avec son cataloguede 700 films, a triplé ses abonnements et doublé ses locations à l’unité. « Or, en disposant soudain d’un bien rare – le temps –, ils sont allés jeter un coup d’œil et se sontautorisés à regarder, sans risque,puisqu’ils avaient du temps, des films différents de ce qu’ils
regardaient d’habitude, lesquels étaient, en général, les dernierssortis. » Si les usagers de la plateforme, anciennes ou nouvelles recrues, ont privilégié en grand nombre les films grand public familiaux, ils ont aussi largement goûté aux classiques et aux films d’auteur.
Passée de 8 200 à 10 000 abonnements (en plus de ses 10 000 abonnés institutionnels, écoles d’art et de cinéma, médiathèques…), la jeune plateforme coopérative Tënk, qui regroupe
« Nous voulons faire de La Villette une grande plaine artistique »Le président du parc et de la Grande Halle, Didier Fusillier, a imaginé une programmation pour l’été qui prend en compte la crise sanitaire
ENTRETIEN
A lors que la réouverturedes petits lieux, musées,médiathèques et biblio
thèques après le déconfinement aété annoncée mardi 28 avril parEdouard Philippe, Didier Fusillier, président de l’établissement public du parc et de la Grande Halle de La Villette, meten place pour début juillet une programmation spéciale dans les jardins et autres espaces de cetimmense parc culturel parisien.
Comment gérezvousau quotidien les 55 hectares confinés du parc de La Villette ?
Le barriérage, réalisé dès ledébut du confinement, a été bien fait, mais il est quasiment impossible de clôturer les 55 hectares. Il y a peu d’intrusions à l’exceptionde quelques noctambules ounageurs, très rares, qui arrivent par le canal de l’Ourcq.
Il reste une quarantaine depersonnes sur le site, dont les jardiniers qui l’entretiennent afin qu’il soit opérationnel dès que nous pourrons reprendre nosactivités.
Sous quel angle allezvous tenter de reprendreune programmation artistique dans les différents espaces de La Villette ?
On va d’abord rester humble etprogresser au plus près des consignes sanitaires. Nous devonspenser à entretenir le lien entre les artistes et les spectateurs. Lorsqu’on sait que, en Allemagne par exemple, les théâtres ne vont pas rouvrir avant fin décembre, on peut se poser des questionssur ce qui nous attend. Se projeterest difficile, mais on peut imaginer des hypothèses.
Les premiers lieux que l’Autriche a rouverts, ce sont les parcs.Nous avons donc d’abord
travaillé sur ce que nous pourrions proposer dans les différents espaces verts avant d’échafauder ce que l’on peut aussiprésenter dans la Grande Halle,au Zénith, sous les chapiteaux etau Cabaret sauvage.
Quels sont vos projets ?Nous avons envie de profiter de
cet immense espace pour en faire une sorte de grande plaine artistique. Le public pourrait découvrir à cette occasion des moments artistiques qu’il ne voit jamais, sans horaire de début ni de fin. Dans le cadre de ces « laboratoiresd’artistes », je pense aux échauffements des danseurs et des comédiens, aux répétitions… La fabrication des œuvres constitue desinstants précieux.
Pour élaborer ces événements,nous dialoguons avec Bartabas, David Bobée, Thomas Jolly, Angelin Preljocaj, Marion Motin, qui ont été déprogrammés à
cause du confinement, mais aussiavec l’Académie Fratellini. Ces « laboratoires » seraient installésdans différents sites et accessiblesentre 14 heures et 21 heures dans les conditions sanitaires requises.Il s’agirait de proposer des expériences. Le tout serait gratuit. Sans doute estce une utopie,mais, au fond, le concept même de La Villette en est une !
Conservezvous le rendezvous estival du cinéma en plein air, prévu du 17 juillet au 18 août ?
Oui. Nous allons dessiner desemplacements au sol par cellules de 2 ou 3, comme dans un drivein. Ici, nous avons la chance d’avoir des espaces nombreux ettrès différents, qu’il s’agisse par exemple des MicroFolies [musées numériques modulables] ou du WIP, la maison en pierre octogonale pour la magie. Cela nouspermet une certaine agilité pourdéployer notre imagination.
Dans le cadre des MicroFolies,nous pensons, à partir de septembre, avec la ville de Bastia par exemple, y inviter des dessinateurs de BD, des graffeurs que l’on pourra voir au travail, des danseurs de hiphop. Les jauges seront de dix à quinze personnes au maximum et les visites plutôt courtes, de dix à trente minutes.
Nous commençons aussi àréfléchir à des collaborations avecd’autres institutions, comme le Grand Palais, le Centre Pompidou,le Théâtre de la Ville, qui sont partantes pour des initiatives d’artistes dans le parc.
Comment envisagezvousla rentrée dans les mursen septembre ?
De mars à septembre, nousavons dû annuler près d’une trentaine de manifestations, dont Villette sonique et les deux grosses expositions « Sorties d’écoles » et« Révolutions », qui doivent être
reportées. On a remboursé 52 000billets jusqu’à fin juin. D’ici à septembre, on atteindra 3 millionsd’euros de déficit et 5 millionsd’ici à décembre. Si on n’ouvre pasd’ici à octobre, nous courons à la catastrophe.
Mais il est évident aussi quecertains spectacles coûtent cher et ne sont rentables qu’avec des salles de 1 000 personnes. Réduire les jauges à 45 spectateurs n’a aucun sens économique. Nous avons proposé à quelques metteurs en scène commeRomeo Castellucci et Crystal Pitede parrainer de jeunes artistesfrançais que l’on pourrait valoriser dans des contextes plusrestreints. C’est une autre visionde l’art et de la culture, d’autrespratiques culturelles qu’il s’agitd’imaginer sans sombrer dans l’idée d’un art confiné qui nes’ouvrirait plus vers l’extérieur.
propos recueillispar rosita boisseau
« Un divan à Tunis » (2019), de Manele Labidi, avec Golshifteh Farahani, l’un des films les plus visionnés sur la plateforme UniversCiné. CAROLE BETHUEL
« L’appétencedes Français
pour un cinémade qualité
a pu se vérifier »DENIS ROSTEIN
directeur général d’UniversCiné
700 films documentaires de création, dont la plupart des réalisateurs sont inconnus du grand public, n’échappe pas aux effets positifs du confinement. « Notre taux d’abonnements a trouvé un rythme de soixanteabonnés supplémentaires environ par jour, contre une vingtaine auparavant. Ce qui nous a permisd’atteindre notre équilibre financier », remarque le président,JeanMarie Barbe.
Opportunité pour ces platesformes, le confinement a cependant ses limites. Car « le paradoxe est que, si le confinement se prolonge, dans trois mois, nous n’aurons plus de films récents à ajouter à notre offre, comme nous le faisons habituellement », souligne M. Delecour, qui, à l’unissonavec ses confrères, espère que cet engouement laissera des traces.Et qu’au moins une partie des nouveaux usagers leur resteront fidèles.
véronique cauhapé
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HORIZONTALEMENT
I. Leurs coups peuvent rapporter gros. II. Pas prêt pour le grand saut en avant. Risque de se casser. III. A construit pour Tzara à Paris. Solide support de jambe. IV. Arrachées et brûlées avant que ça pousse. Repart tour après tour. V. Négation. Petit, il fait souvent grand plaisir. S’épanouit comme le blé. VI. Gens de compagnie. Régnait en Bulgarie et en Russie. Dieu rayonnant. VII. Facilite l’évacuation. Songe ou colocase. VIII. Irlande gaé-lique. Ignoble et horrible. IX. Sans fantaisie. Crie comme un berger. Conjonction. X. Rare et lourd dans l’air. Ouverture en façade.
VERTICALEMENT
1. Fait taire les armes. 2. Enfant de Cérès, reine des enfers. 3. Sorti du chaos. Chanteur au bec jaune. 4. Titre à Rome, distinction à Paris. Démons-tratif. 5. Un peu d’usure. Augustine sanctifiée. Bout d’antenne. 6. Gluantes et pleines d’écailles, elles sont délicieuses. Bonne mine. 7. Trouble en tête. 8. Beau succès quand il n’est pas à l’essai. Fit dispa-raître. 9. Baie nippone. Bramer. 10. Chez Les Donald. Beaucoup en accompagnant le peu. 11. Ile. Lâché sur le coup. Dans la poche du Nippon. 12. Fait mauvais ménage. Accueille chaleureusement.
SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 107
HORIZONTALEMENT I. Cristallerie. II. Laveur. Urubu. III. Adam. Apnée. IV. Pinaille. Euh. V. Pô. Io. Eta. SO. VI. Elan. Rit. Car. VII. Morigénera. VIII. Egéens. Radis. IX. Nu. Tripote. X. Tensiomètres.
VERTICALEMENT 1. Clappement. 2. Radiologue. 3. Ivan. Are. 4. Semai-niers. 5. Tu. Io. Gn. 6. Aral. Resto. 7. Plein. Rm. 8. Lunetterie. 9. Ere. Rapt. 10. Ruée. Cador. 11. Ib. Usa. Ite. 12. Euphorisés.
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GRILLE N° 20 - 108PAR PHILIPPE DUPUIS
SUDOKUN°20108
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MoyenCompletez toute la
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allant de 1 a 9.
Chaque chiffre ne doit
etre utilise qu’une
seule fois par ligne,
par colonne et par
carre de neuf cases.
N° 61MAI 2020
& CIVILISATIONS
CRASSUSL’HOMMELEPLUSRICHEDEROME
MOYENÂGELAPESTENOIRETRANSFORMELESMENTALITÉS
LINCOLNLE PRÉSIDENTPRÉFÉRÉ DESAMÉRICAINS
CHAQUEMOISUNPRÉSIDENT
L’AN 40QUAND TOUT SEMBLAIT PERDU
&CIVILISATIO
NS
Chaque mois,un voyage à traversle temps et les grandescivilisations à l’originede notre monde
CHEZ VOTREMARCHAND DE JOURNAUX
J E U D I 7 M A I
TF121.05 Les Visiteurs 2 : les couloirs du tempsFilm de Jean-Marie Poiré. Avec Jean Reno, Christian Clavier, Muriel Robin(Fr., 1998, 105 min).22.50 Les Experts : ManhattanSérie. Avec Gary Sinise, Sela Ward, AJ Buckley (EU, 2011).
France 221.05 Cellule de criseL’histoire secrète de la victoire.Magazine présenté par Julian Bugier.23.00 Cellule de criseL’histoire secrète du débarquement.Magazine présenté par Julian Bugier.
France 321.05 WonderFilm de Stephen Chbosky. Avec Jacob Tremblay, Julia Roberts,Owen Wilson (EU, 2017, 110 min).23.00 Roubaix : la nouvelle face du PileDocumentaire de Ghislaine Buffard (Fr., 2020, 55 min).
Canal+21.00 Wake UpFilm d’Aleksandr Chernyaev. Avec Jonathan Rhys-Meyer, Francesca Eastwood, William Forsythe, Malik Yoba (EU, 2019, 90 min).22.30 Le Cheval pâle d’après Agatha ChristieSérie. Avec Rufus Sewell, Sean Pertwee, Kaya Scodelario (RU, 2020).
France 520.50 Le Mystère des géants disparusDocumentaire d’Eric Ellena et Paul-Aurélien Combre (Fr., 2018, 95 min).22.25 C dans l’airMagazine présenté par Caroline Roux.
Arte20.55 L’Agent immobilierSérie. Avec Mathieu Amalric, Eddy Mitchell, Sarah Adler (Fr., 2020).22.30 L’Agent immobilierSérie. Avec Mathieu Amalric, Eddy Mitchell, Sarah Adler (Fr., 2020).
M621.05 Why Women KillSérie. Avec Lucy Liu, Ginnifer Godwin, Reid Scott (EU, 2019).21.55 This Is UsSérie. Avec Mandy Moore, Justin Hartley, Milo Ventimiglia (EU, 2016).
Mathieu Amalric tragique et drôle en agent immobilierLes auteurs du film « Les Méduses », Shira Geffen et Etgar Keret, signent une minisérie poétiquement absurde
ARTEJEUDI 7 MAI
20 H 55 - SÉRIE
I l était une fois, en Israël,Shira Geffen, femme libred’esprit et d’opinion,auteure et réalisatrice née
dans une famille d’artistes. Dans ce même pays, Etgar Keret, fils de rescapés de la Shoah, est l’auteur d’une œuvre où se télescopentpoésie et sens de l’absurde, ironiegrinçante et goût du surréalisme. Ces deux êtres si différents et si semblables se rencontrent et décident d’écrire et de réaliserensemble en 2007 un film, Les Méduses, qui met en scène une jeune femme en quête de repères, distingué par la Caméra d’or au Festival de Cannes. L’Agentimmobilier, série en quatre épisodes diffusée sur Arte, est, de leurpropre aveu, la version au masculin de ce premier film.
Ici, le personnage principal estdonc un homme (Olivier Tronier,génial Mathieu Amalric), 50 anset des poussières, divorcé, pèred’une fille en crise d’adolescence dont il n’a pas la garde, qui tente de gagner sa vie en exerçant le métier d’agent immobilier. Il erresans domicile, passant ses nuits dans les appartements dont il assure les visites. Le père d’Olivier (joué par un Eddy Mitchell impeccable), aussi irresponsable qu’in
contrôlable, vit dans une maison de retraite où il dépense ce qu’il n’a pas en jouant au poker. A la mort de sa mère, Olivier apprendqu’elle possédait un immeuble à Paris et qu’il en est l’héritier.
Conte furieusement noirLe « cadeau » se révèle rapidement encombrant. Aussi délabréque sa vie, le bâtiment est en
outre occupé par une vieille dame qui refuse de quitter leslieux et ne peut être vendu.
La disparition brutale − etcocasse − d’un de ses amis conduit l’agent immobilier à adopter un poisson rouge qui serévèle doté de pouvoirs extraordinaires – il parle, exauce lesvœux et permet de voyager dansle temps. Olivier compte sur
l’animal pour donner une nouvelle impulsion à sa vie.
En disant cela, il faut accepterd’avoir tout et rien dit à la fois. Parce que cette série ne répond à aucun genre clairement identifiable. « Ranger une histoire dans un genre me semble artificiel ouréducteur car, dans la vie, on change constamment de registre », explique Etgar Keret. Tout au
plus pourraiton dire que L’Agent immobilier est un conte furieusement noir et bruyammentcomique. Un conte fantastiquedans lequel un prince désargenté déambule dans sa vie plus qu’il ne l’habite.
« Avec Etgar, tout est possible »,résume Mathieu Amalric, qui se souvient du choc qu’il a éprouvé àla lecture des premiers livres d’Etgar Keret. « Il inverse les pôles, et c’est ça qui est beau. Ainsi, on pourrait croire que mon personnage n’est pas adapté ou normal dans un monde qui le serait, normal. Or, peu à peu, ces pôleslàs’inversent, ce qui est la marquedes grands films burlesques, desgrandes comédies américaines », ajoute l’acteur, qui dit avoir reçu ce rôle comme un « cadeau » : « Il ya un côté magique à devenir unpersonnage du monde d’un écrivain qu’on aime. C’est comme siStendhal ou Musil me demandaient de jouer dans leurs livres. Etpuis Etgar a raison, on devrait vivre comme ça. D’ailleurs, on vit comme ça dans nos têtes. »
émilie grangeray
L’Agent immobilier, série d’Etgar Keret et Shira Geffen. Avec Mathieu Amalric, Eddy Mitchell, Nicole Shirer, Sarah Adler (France/Belgique, 2019, 4 × 45 min).Les quatre épisodes seront diffusés ce soirlà.
Eddy Mitchell (Rémi Tronier) et Mathieu Amalric (Olivier Tronier). LES FILMS DU POISSON
Chronique d’une victoire des Alliés longtemps incertaine Un documentaire inédit sur France 2 raconte astucieusement la fin de la seconde guerre mondiale en Europe
FRANCE 2JEUDI 7 - 21 H 05DOCUMENTAIRE
S ouvent présenté comme lesprémices de la victoire desAlliés, le Débarquement de
Normandie, en juin 1944, n’a pas eu l’impact décisif qu’on lui prête souvent. Outre une progression territoriale plus difficile que prévu,les tensions entre les généraux alliés, la délicate manœuvre de De Gaulle pour se faire admettre à la table des vainqueurs, le cynismeparallèle d’un Staline et d’un Hitler
interdisant tout repli, assimilé à une trahison, rien ne permet de conclure avant la Noël 1944.
Bénéficiant du concours de ladocumentaliste MarieHélène Barbéris et de l’historien OlivierWieviorka, cette évocation, qui mêle images d’archives – certaines rares – et scènes reconstituées, a une vertu précieuse : montrer à quel point l’issue a pusembler incertaine. Entre les ultimes complots contre le Führer, qui aggravent, si possible, sa paranoïa, le martyre du Vercors, tache terrible dans l’histoire
de la Libération, la rocambolesqueaventure des SS déguisés en GI quisèment le chaos sur le front ardennais et le traumatisme du bombardement de Dresde, le récit, astucieusement mené, convoque le témoignage de protagonistes plusou moins fameux.
Chapitres singuliersDe Vassili Grossman, correspondant de guerre soviétique, et Grigory Pomeranz, alors simple lieutenant de l’Armée rouge, à Nicolaus von Below, officier d’ordonnance d’Hitler, Arthur « Bom
ber » Harris, commandant de la RAF, ou l’escrimeur René Bondoux, chef de cabinet du général de Lattre, qui assiste à la signature de la capitulation nazie à Berlin, le 8 mai, la narration alterne leçongénérale, chapitres singuliers et paroles d’acteurs. Un cocktail qui soutient l’intérêt d’une geste qu’on croyait plus simple. Plusglorieuse aussi.
Bien sûr, ce programme entendcélébrer les 75 ans de la reddition de l’Allemagne nazie, tenue pour lafin du conflit mondial. C’est toutefois un peu rude de ne pas même
mentionner que la guerre est loin d’être finie et que le Pacifique est encore à feu et à sang. L’arrivée auxcommandes du président Truman, à la mort de Roosevelt, auraitjustifié d’évoquer Hiroshima et la capitulation du Japon, le 2 septembre 1945. Dommage que l’européocentrisme ait éliminé un chapitre aussi essentiel pour évoquer la victoire des Alliés.
philippejean catinchi
Cellule de crise : l’histoire secrète de la victoire, de Caroline Benarrosh (Fr., 2020, 115 min).
V O T R ES O I R É E
T É L É
0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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durablement, porteur de l’Ecolabel européen sous le N°FI/37/001. Eutrophisation : PTot = 0.009 kg/tonne de papier
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24 | LIVRES JEUDI 7 MAI 20200123
ANALYSE
I l en va du pangolin de ce marchéchinois où, peutêtre, tout a commencé, comme du nez de Cléopâtreselon Blaise Pascal, « s’il eût été plus
court » : si le petit mammifère à écaillesn’avait pas été mangé par des humains, « toute la face de la terre aurait changé ». Nous ne saurons jamais à quoi elle auraitalors ressemblé, et ce n’est pas le plus petit effet de la pandémie, que le cours normal des choses ait rejoint le monde énigmatique de ce qui aurait pu advenir.Nous ignorons aussi, il est vrai, ce qui va se passer maintenant, dans la réalité où ce repas incongru nous a soudain jetés.Un seul point est indubitable pour l’instant : nous ne nous étions pas assez méfiés du pangolin, ou plus exactement de l’histoire, ce massif qui paraît écrasant, etque les pangolins – ou les nez – balayent.
L’histoire, cependant, est un objet deconnaissance. Tout incertaine qu’elle soit, elle s’explore, ou s’escalade, puisque le massif se reforme toujours, et qu’il y a des Sisyphe pour remonter sempiternellement la pente, laborieux et rationnels, s’efforçant de comprendre. Les historiens analysent, expliquent, établissent des liens, exhument des causes, tracent des lignes plus ou moins continues à travers les sociétés, les nations, les continents, les siècles. Mais comment fontils avec les pangolins ? Comment raconterl’histoire en s’efforçant de la rendre intelligible, quand on prend conscience de l’imprévisible dont elle est le jouet ?
René Rémond (19182007) soulignait,dans un article du premier numéro de larevue Vingtième siècle (1984), « Le Sièclede la contingence ? », le paradoxe constitutif de son métier : l’historien, écrivaitil, « aspire à établir entre les événements des relations logiques. A le lire, on est presque toujours conduit à conclureque cela devait normalement arriver ». Etpourtant, il suffit de prendre l’histoire du XXe siècle, de se remettre en mémoire les espoirs soulevés, les désirs d’émancipation, les rêves de paix et dejustice, et d’observer en regard les guerres mondiales, le totalitarisme, les génocides qu’il a finalement produits.« Presque tous les événements qui dessinent l’aventure de ce siècle, commente l’auteur des Droites en France (Aubier,
1954), ont été pour les contemporains des surprises presque totales. »
L’histoire est contingente – ce qui arrive aurait pu ne pas exister –, mais la raison a besoin, pour s’exercer, du nécessaire, de la solidité de ce qui avait de bonnes raisons d’être. Leur mésentente estinévitable. Il est ainsi dans la nature de leur relation que des ajustements s’imposent à chaque instant. C’est du moinsle cas depuis que l’histoire a commencé àse penser comme science, au XIXe siècle, en se dotant progressivement de méthodes, de règles, de tout l’appareillage rationnel qui, de fait, la rattache à la recherche scientifique.
Les progrès ensuite impulsés parl’école des Annales, dans le sillage de Lucien Febvre (18781956) et Marc Bloch(18861944), ont contribué à renforcercette emprise rationnelle en ouvrant la focale historienne sur le temps long, l’histoire économique, sociale, culturelle, et les constantes qui en ressortent. Febvre, dans Combats pour l’Histoire (Armand Colin, 1952), dénonçait la « mise enpage chronologique, tout au plus, d’événements de surface, le plus souvent fils du
hasard », propre à l’histoire traditionnelle. Le saugrenu et la surprise étaientrenvoyés à l’histoire événementielle, au biographique. Le nez de Cléopâtre eûtil été plus court, l’esclavage n’en aurait pasmoins continué à structurer l’économiedes sociétés antiques, d’une manièreque l’historien peut décrire avec fermeté. La raison mène au score. Sous les coups de boutoir de la longue durée, la défaite de l’incertain, de l’impondérable,du pangolin chinois, si l’on veut, paraît inéluctable.
Sauf que ce n’est pas si simple. Le rôlede la surprise n’est pas d’égayer les manuels d’histoire. Elle a une vertu plusprofonde, et plus corrosive, qui, à l’heure où le monde est soumis à l’imprévisible par excellence qu’est le surgissementd’un virus inconnu, peut se révéler plusutile que jamais. Une vertu d’avertissement et de rappel des limites. Aucun acquis scientifique de l’histoire, rien dans l’accroissement de nos capacités de connaître le passé dans toutes ses dimensions et à toutes les échelles temporelles n’a besoin d’être remis en cause pour comprendre que l’objet visé par
l’historien, à savoir l’histoire vivante, demeure incertain.
Raymond Aron (19051983), dans sonIntroduction à la philosophie de l’histoire (Gallimard, 1938), l’une des expressionsles plus puissantes de ce doute fondamental, mettait en garde contre « l’illusion rétrospective de la fatalité ». S’inspirant de la réflexion de Max Weber sur la causalité en histoire, il notait : « Tout historien, pour expliquer ce qui a été, se demande ce qui aurait pu être. » En d’autres termes, tout fait ne peut être connu adéquatement que si on le reconnaîtcomme un possible parmi d’autres, fautede quoi « on substitue au monde vécu unenature ou une fatalité ». Après cela, on
pourra le connaître, et connaître ce qu’il aura entraîné, par une analyse de l’enchaînement des causes qui n’en sera que plus assurée. Mais on ne connaît rien si on ne le connaît contingent. La surprise, dès lors, n’est plus un accident dans le déroulement du temps : elle en est la substance même, et le moteur.
Vous aurez beau, en somme, élaborerl’instrument d’analyse du passé le plus précis, vous n’empêcherez pas l’histoire, comme matière vivante, d’être hasardeuse, fluctuante, sujette aux retournements. C’est ce que nous sommes entrain de vivre dans les grandes largeurs.Non seulement nous ne savons pas ce que nous ferons dans un mois, maisnous prenons conscience – du moins le devrionsnous – de l’incertitude foncière de l’histoire. Et nous savons, ou devrions savoir, que toute rationalisation que nous en tirerons ne sera que tentative,approximation, et que nous n’auronspas le dernier mot sur le cours du monde. Les historiens, à leur tour, ne devront pas l’oublier quand nous serons devenus de lointains souvenirs.
florent georgesco
Du pangolin dans l’assiette des historiensL’irruption du Covid19 montre à nouveau que la surprise, ou la contingence, est bien le vrai moteur de l’histoire
Dans un centre de soins aux pangolins, à Harare, au Zimbabwe, en 2018. BRENT STIRTON/GETTY IMAGES
Vous n’empêcherezpas l’histoire, comme
matière vivante, d’être hasardeuse, fluctuante, sujette
aux retournements
Casser des crapules à DCEn voiture pour les quartiers chauds de Washington ! Quel meilleur guide pour cela que George Pelecanos et son nouveau roman, « A peine libéré »
La foule des Parisiens
B A N D E D E S S I N É E
DANS UN PARIS D’AVANT LE CONFINEMENT – métro bondé, artères congestionnées, grands magasins surpeuplés –, une jeune vendeuse ne résiste pas à la tentation de ramasser un sac vermillon, abandonné dans une gare, elle aussi grouillante de monde. Son contenu, un album photo montrant un couple des Années folles occupé à se divertir, va l’entraîner sur ses traces, à travers les rues d’une capitale (partiellement) transfigurée.
Nostalgie et illusion confluentallègrement dans la première bande dessinée de l’illustrateur Joris Mertens, disciple belge de Nicolas de Crécy, avec qui il partage le goût pour les verticalités urbaines et les enseignes lumineuses. Véritable héroïne d’un album dépourvu de toute parole, sa Ville Lumière reconstituée
n’en paraît pas moins extraordinairement bruyante. Sorti juste avant l’instauration des mesures de distanciation sociale, cet hommage au Paris éternel réconfortera ceux à qui manque, en ce moment, de s’enfoncer dans la moleskine des brasseries des grands boulevards, un livre à la main.
frédéric potetBéatrice, de Joris Mertens, Rue de Sèvres, 112 p., 19 €; numérique 9 €.
RUE DE SÈVRES
taine à ce jour –, Michael Hudson doitbientôt payer sa dette. De mauvais gré, il accepte donc de servir de chauffeur à Ornazian et à son équipier, un expolicierdevenu garant de cautions judiciaires. Leur cible : dépouiller des crapules, braquer des proxénètes, grâce aux tuyaux deprostituées auxquelles ils accordent leur part du butin. Le job ne sera pas si aisé.
Une ville diviséePartenaire d’écriture de David Simonpour les magistrales séries télévisées que sont Sur écoute, Treme et The Deuce,George Pelecanos allie, comme romancier, l’art visuel de la description (vêtements, rues, maisons) à la finesse del’exploration psychologique. En contrepoint d’une ville divisée par la fracturesociale et gangrenée par les tensions raciales, il magnifie ici le pouvoir rédempteur de la littérature.
macha séry
à peine libéré (The Man Who Came Uptown), de George Pelecanos, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Mireille Vignol, CalmannLévy, « Noir », 264 p., 19,90 €; numérique 15 €.
NOIR
M ichael Hudson n’est pas unmauvais bougre. Bon fils, c’estaussi un jeune homme intelli
gent, et un as du volant passé par l’université du Maryland. Incarcéré pour vol et possession d’arme – il encourt cinq ansde réclusion –, il découvre en prison les joies de la lecture en attendant son procès. Finalement celuici n’aura pas lieu. Ledétenu est relâché après la rétractation de l’unique témoin, un trafiquant de marijuana, qu’un détective privé nomméPhil Ornazian a menacé. A charge derevanche, lui atil dit.
Embauché comme plongeur dans unrestaurant hispanique de Washington DC– la capitale des EtatsUnis, dont est natif George Pelecanos, forme le cadre de la quasitotalité de ses romans, une ving
Le retourdu « Mondedes livres »
LA SEMAINE PROCHAINE,jeudi 14 mai, retrouvez « Le Monde des livres », le supplément littérairedu Monde, qui accompagnera le déconfinement du monde du livre : réouverture des librairies et reprise des parutions par les maisons d’édition.
UN NUMÉRO SPÉCIAL DE 16 PAGES, comprenant enquête et entretien sur le « monde du livre d’après », ainsi qu’un grand dossier où des dizaines de personnalités dévoileront les ouvrages qui leur permettent de rêver un autre monde, celui qui suivra la pandémie.
Comment raconter l’histoire en
s’efforçant de la rendre intelligible,
quand on prend conscience de
l’imprévisible dont elle est le jouet ?
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0123JEUDI 7 MAI 2020 livres | 25
LE 8 MAI, MÊME SANS CÉLÉBRATIONS, N’EN RESTE PAS MOINS UNE DATE PROPICEÀ LA MÉDITATION. Il y a soixantequinze ans, dans une villa du quartier de Lichtenberg, dans l’est de Berlin, qu’on peut encore visiter aujourd’hui, alors que la capitale allemande était totalement conquise depuis une semaine déjà, le maréchal Joukov recevait du général Keitel la capitulation de l’armée allemande comme, la veille, le 7, àReims, le général Eisenhower avait reçucelle de Jodl et Dönitz. L’Allemagne nazie
est enfin détruite. Le nazisme luimême sembleavoir sombré avec le suicide d’Hitler, quelquesjours plus tôt. Dans LesCent Derniers Jours d’Hitler,Jean Lopez raconte lesmois qui conduisent àl’effondrement. Le jusqu’auboutisme incompréhensible, la maladie, l’enfermement, les ordres
d’exécutions qui suivent les ordres de massacres. Pour rien. Dans le simple but de ne pas se résoudre à disparaître. Je tue car j’en ai encore le pouvoir, je tue jusqu’à monchien, ma femme et moi. Bon titre pour un film d’horreur, « Mon chien, ma femme et moi ». Car l’Allemagne est à feu et à sang ; la féroce répression des dernières semaines etles bombes incendiaires alliées ont fait des centaines de milliers de victimes civiles.Des millions de cadavres. La planète entièren’est plus qu’un très long thrène.
LE NAZISME EST LA MYCOSE MORTELLEQUI A POUSSÉ SUR LA PAUVRE RÉPUBLIQUE DE WEIMAR, première république parlementaire de l’histoire de l’Allemagne,certes accablée par bien des maux – hyperinflation, blocage des institutions –, mais grand moment de littérature, de peinture,d’architecture et de musique. La nouvelle Cocaïne, de Walter Rheiner, publiée en 1918,
est une curiosité : certes,c’est peutêtre un des premiers textes de fictionconsacrés à cette drogue,mais c’est surtout untexte brut, un voyage dansla nuit de Berlin jusqu’auquartier de Friedenau,promis lui aussi, commela cocaïne, à un grand avenir littéraire. Tobiasachète son flacon de co
caïne à crédit. Ce récit de mort et de dégénérescence, où « les étoiles gouttent », sentla pharmacie et la décadence, le pus etl’éther échappé des tranchées pour envahir la capitale allemande, qui s’est toujours tenue loin de la guerre. Le sang sacrificiel se répand dans Berlin par les veines percées d’aiguilles des drogués.
QUAND J’ENTENDS CES JOURSCI DANS LEJOURNAL PARLÉ L’EXPRESSION « NOUVELLE NORMALITÉ », j’ai l’impression d’entendre un exposé sur le postexotisme, ce courant littéraire auquel des auteurs comme Lutz Bassmann, Manuela Draegerou Antoine Volodine donnent ses lettres de noblesse depuis près de quarante ans déjà.Voilà ce à quoi ils se préparaient : le jour
d’après, le postépidémique. « SIGNAL TEMPÊTE,DEUX FEUX VERMEILS,OUVRE LA TÊTE ! SIGNALDÉSASTRE, FEU NOIRBRILLANT, OUVRE LESYEUX ! » Frères sorcières,d’Antoine Volodine, constitue une répétition généralede l’agonie, dernier sabbatavant destruction. Conçuen trois parties, « Faire
théâtre ou mourir », « Vociférations » et « Dura nox sed nox », le roman repousse leslimites poétiques du monde, explore l’espace sacrilège d’entrelesgenres, fracasse notre quotidien en l’intégrant à un nouveau Livre des morts. « Hadeff Kakaïne une fois encore va connaître l’origine du monde. » Le livre, constellé d’humour, retentit du grand rire de Celui qui sait : le postexotisme est notre monde et Volodineest son prophète.
Les Cent Derniers Jours d’Hitler, de Jean Lopez, Tempus, 256 p., 8 € ; numérique 8 €.Cocaïne (Kokain), de Walter Rheiner, traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, Rivages poche, « Petite bibliothèque », inédit, 96 p., 7,50 € ; numérique 7,50 €.Frères sorcières, d’Antoine Volodine, Points, 288 p. 7,50 € ; numérique 15 €.
Qu’est-ce qu’une victoire ?
CONTRE LE COVID 19, ESTCE BIENUNE GUERRE QUI EST MENÉE ? Que serait la victoire, si elle avait lieu ? Qui pourrait la célébrer ? Eten quels termes ? Ces questions, aujourd’hui, ne sont pas là parhasard.
En effet, il y a soixantequinzeans, le IIIe Reich capitulait. Le8 mai devint alors un jour férié. Puis ne le fut plus, finalement leredevint, au gré des présidents de la République et des fluctuations politiques de la commémoration.Car une victoire n’est pas seulement un fait, la conclusion d’uncombat et d’un rapport de force. C’est aussi, peutêtre avant tout, une célébration continuée, un exploit chanté, une histoire
constamment reprise. Que seraitAjax sans Homère, et ses lecteurs au fil des siècles ?
Sans doute parce qu’elle sembleévidente, la notion de victoire est peu scrutée. Platon y voit la passion risquée des guerriers :l’amour de la victoire « rend violent », liton à la fin de La République. L’ardeur s’enflamme, la démesure guette… Pour le mathématicien ou le philosophe, accéder à la vérité n’est pas une victoire en ce sens, puisque personne n’est battu et que chacunpeut en faire autant.
Toutefois, sous son apparentesimplicité, l’idée de victoirepourrait bien renfermer quelque piège. A première vue, elle
suppose des forces adverses, dontl’une finit par faire plier l’autre. Leschéma se vérifie sur tous les registres : militaire, cela va de soi, mais aussi sportif, commercial, politique… Sans oublier la défaite d’une partie de soimême contre une autre, dans tout conflit moralou psychologique qui se respecte.
Chaque fois, combat, compétition, lutte – agôn, disaient les Grecs – et une issue finale : des perdants, des gagnants. Mais le résultat du processus exige d’être mis en récit, car sa répétition régulière peut seule garantir quel’instant du triomphe soit durablement inscrit dans la mémoire collective. Machiavel – qui conçoit, dans Le Prince (1532), lapolitique comme une guerre, oùla victoire consiste à s’emparer dupouvoir, puis à le conserver – sait bien que les exploits doivent être narrés et célébrés pour que leurseffets perdurent.
Le modèle PyrrhusVoilà qui suffit pour compren
dre que notre situation est différente. Le virus qui assiège la planète n’a aucune intention, aucun plan. Il ne livre, en fait, aucune bataille. C’est nous qui faisons tout
pour le vaincre, mais ce n’est pasune guerre, à proprement parler, faute d’un ennemi pensant. Si nous parvenions à endiguer les méfaits de ce coronavirus, voire à l’éradiquer, seraitce donc une victoire, et aurionsnous la paix ?
Pyrrhus, cette fois, serait sansdoute le bon modèle. Guerrier intrépide, ce roi de Macédoine a su jadis contrer la puissance de Rome. En 280 avant notre ère, il a remporté la bataille d’Héraclée,mais au prix de pertes si lourdes que cet avantage laissa son arméeaffaiblie. D’où l’expression classique : une victoire « à la Pyrrhus » laisse chancelant celui qui la remporte. Personne, de ces triomphescruels, ne chante la gloire. Il n’y apas d’épopée des catastrophes.
Plutarque, dans sa Vie de Pyrrhus, insiste également sur son caractère impulsif, insatiable, toujours porté à « réparer seséchecs par d’autres entreprises ». Comme tant d’hommes aujourd’hui, il aime la guerre plus quela victoire, préfère l’ambition àla paix, l’agitation au repos. Il ne songe qu’à la prochaine bataille. Une victoire remportée a moins de saveur que celles dont on rêve.
LE ROUGE N’EST PLUS UNE COULEUR est en soi un titre suffisamment mystérieuxpour qu’on ait envie d’en savoir davantage sur ce premier roman de l’écrivaine britannique Rosie Price, née en 1992.L’étrange négation renvoie à un passé révolu que le titre anglais, What Red Was (« ce qu’était le rouge »), délimite avec la netteté tranchante d’une lame. Il y a eneffet dans ce livre comme dans la vie de Kate, son personnage principal, un avantet un après, et il lui faudra du temps pourpouvoir se le formuler : « “J’ai été violée”, déclaratelle, pour voir ce que ça faisait. Mais le mot était outrancier, elle se censura : “J’ai dit non. J’ai dit non, mais c’est
arrivé quand même.” »Les cent premières pages ra
content la naissance d’une amitié entre Kate et Max, tous deuxétudiants en première annéedans la même université, et lerécit semble d’abord s’orientervers le genre du « roman de campus », sans fioritures stylistiques.Max Ribbon appartient à une fa
mille de riches aristocrates londoniens,certes tous « assez baisés de la caisse », mais très charismatiques aux yeux de Kate, élevée par une mère seule, ancienne alcoolique – celle de Max, Zara, est une réalisatrice célèbre. En dépit deleur différence de classe sociale, Kate et Max deviennent quasi inséparables.
Tout en ayant chacun de leur côté desaventures sans lendemain, ils dormentparfois dans le même lit, se montrentnus corps et âme l’un à l’autre sans que jamais leur relation platonique change au fil du temps : ce n’est « pas de l’amour, pas vraiment. Mais c’est l’une de cesamitiés de jeunesse qui vous fait découvrir le monde sous un jour neuf, différent », résume Zara.
La vie plutôt heureuse de Kate basculelors d’une fête chez les Ribbon, au cours de laquelle elle est violée par un proche de Max. Le roman s’organise alors autourde deux questions fondamentales, constamment rencontrées dans les témoignages de victimes réelles : comment continuer à vivre – à vivre parmi les autres, aussi – et quel rôle donner à la parole dans la reconquête de soi ? Car le viol, dès la sidération engendrée par l’agression, amène Kate à se dissocier :« Elle ferma son esprit, lui abandonnantson corps. Enfermée hors d’ellemême.Eteinte. » Plus tard, dans le miroir, elle ne se reconnaît pas : « Il lui semblait impossible que cette image, en face d’elle, fût la sienne, que le visage qu’elle y voyait luiappartienne encore. » Pour lutter contrela « toxicité » de l’événement, elle hésiteentre le silence et les mots, l’impossible oubli et l’insoutenable souvenir. « Si elle se taisait, peutêtre que ça refluerait », se ditelle. Et puis aussi, « l’horreur de ne pas
être crue serait pire que celle d’avoir à porter cette croix toute seule ». Son ami Max luimême, à qui elle a fini par se confier, bien que solidaire, pense que « peutêtreil y a des choses qu’il vaut mieux ne pastrop gratter ».
Rosie Price donne à sa fiction tout sonpoids de réel en montrant sans faiblir lesconséquences d’un acte qui exclut la victime « du registre des émotions humainesnormales » : culpabilité, sentiment d’être « défectueuse », difficulté à retrouver ledésir sexuel, « envie de masochisme » qui l’amène à se scarifier les cuisses. Au risque du cliché, la romancière rappellequelques évidences : « Je crois que les gens oublient combien un viol est douloureux, en plus du reste. Ça a tellement àvoir avec la déshumanisation, l’humiliation, le pouvoir. On oublie que c’est un acte de violence. » Cependant, au termed’un long parcours dans une tristesse qui
« vidait le monde de sa couleur, de sa lumière », une rencontre amoureuse et ladétermination de Kate à ne pas laisser son passé la dominer laissent entrevoir,fûtil instable, l’espoir d’un nouvel équilibre.
On peut regretter que ce fil narratifpuissant – métaphorisé par l’ineffaçable ruban rouge aperçu sur le col de chemisede l’agresseur pendant le viol – soit enchevêtré dans une torsade d’intrigueslentes ou inabouties. Si l’histoire d’amitié est dense et belle, l’auteure a distribuédes rôles dont les enjeux ne sont pas toujours bien définis, et l’on a parfois l’impression que le récit est délayé en vue d’un scénario de série en plusieurs saisons. Ainsi le violeur, dont on apprend les menus complets et, sans surprise, les vues misogynes, a un père peu affectueux et a perdu sa mère très jeune : onne sait trop que faire de ces précisions tous azimuts qui relèvent davantage d’une fichepersonnage pour un projet Netflix que d’une analyse approfondie.
Mon point de vue, non sur le viol, biensûr, mais sur la littérature, est sans doutegénérationnel. La primoromancière, évidemment désireuse de créer tout un monde, semble avoir voulu montrer que la vie continuait à foisonner autour de son héroïne, que chacun avait ses motivations. Mais un roman n’est pas la vie, ilassume des choix. « Notre douleur, il faudrait en faire de l’art », conseille justement Zara à Kate. En diluer ou en disperser le sens au fil de plus de 400 pages en neutralise quelque peu la portée. Sur le sujet toujours si dramatiquement actuel des violences faites aux femmes, traité ici dans un souci de vérité quasi documentaire, c’est dommage.
ALINE BUREAU
le rouge n’est plus une couleur(What Red Was), de Rosie Price, traduit de l’anglaispar Jakuta Alikavazovic, Grasset, 416 p., 24 € ; numérique 17 €.
Couleur douleur
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LE FEUILLETON
CAMILLE LAURENS DES POCHESSOUS LES YEUXMATHIAS ÉNARD
HUIS CLOS • 7ROGER-POLDROIT
Le roman de Rosie Prices’organise autour de deux questions
fondamentales : comment, après un viol,
continuer à vivre, et quel rôle donner à la parole dans la
reconquête de soi ?
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26 | livres JEUDI 7 MAI 20200123
Les Assises du roman, toujours debout !Les 14es Assises internationales du roman, rencontres avec des écrivains conçues par la Villa Gillet, à Lyon, en partenariat avec « Le Monde », se réinventent en ligne du 11 au 17 mai, confinement et déconfinement obligent. Nous publions ici les contributions écrites par quelquesuns des nombreux auteurs invités
Le programme complet et tous les événements des Assises 2020 sont à découvrir, du 11 au 17 mai, sur Villagillet.net. Les rendezvous du « Monde » aux Assises sont également visibles sur Lemonde.fr
Les rendezvous du « Monde »Quatre entretiens vidéos croisés
Lundi 11 mai à 20 heures« Le temps de l’incertitude », avec Regina Porter, Hisham Matar et François Hartog, animé par Florence Noiville
Mardi 12 mai à 19 heures« Raconter le travail », avec Joseph Ponthus, Alexis Potschke et Mary Dorsan, animé par Raphaëlle Leyris
Jeudi 14 mai à 20 heures« Le huis clos », avec Franck Bouysse, Imma Monso et Burhan Sönmez, animé par Nicolas Weill
Vendredi 15 mai à 20 heures« Portrait de l’auteur en enquêteur », avec Hélène Gaudy, Frédérique ToudoireSurlapierre, Jorge Volpi et Alex MarzanoLesnevich, animé par Macha Séry
RENDEZ-VOUS
Le temps des désillusions, par Andrew Ridker
L es EtatsUnis souffrent d’un problème narratif : toutes les histoiresque se raconte notre pays ont été
clairement démenties par les faits. Nous nous percevons en grands praticiens – et exportateurs – mondiaux de la démocratie, or, selon une étude récente (…), notre citoyen moyen exercerait sur la politiquepublique une influence « statistiquementnon significative ». (…) Nous nous répétons qu’en Amérique n’importe qui peut « réussir », qu’il suffit de s’en donner lapeine, tout en fermant les yeux sur l’extrême consolidation des privilèges et de l’inégalité des chances qui s’est opérée ces dernières décennies (à commencer par le durcissement des conditions d’entrée sur le territoire). Ces histoires ontelles été vraies un jour, ne seraitce quepour une certaine catégorie d’individus ?On peut en discuter, mais il est désormais clair pour la grande majorité desAméricains ordinaires que leur pays adéçu les espoirs et les attentes qu’il avait fait naître en eux. Et s’il y a deux choses auxquelles sont enclins les Américains, ce sont l’espoir et l’attente.
En tant qu’écrivain, je m’intéresse auxhistoires que les gens – et les pays – se racontent sur euxmêmes, et à la manièredont ils réagissent quand elles ne se terminent pas comme ils l’escomptaient.
J’ai commencé à écrire mon roman LesAltruistes en 2015, moins d’un an après avoir terminé mes études. (…) Durant les mois qui ont suivi l’obtention de mon diplôme, il m’a semblé observer chez mes amis deux grandes tendances d’orientation : les uns partaient gagner des salaires faramineux dans la finance en tant que banquier ou consultant, quand les
autres se mettaient au service d’associations caritatives comme Teach for America ou City Year (associations venant en aide aux élèves des écoles publiques situées dans des zones urbaines défavorisées) (…). Si mes amis financiers rougissaient de gagner autant d’argent à uneépoque d’inégalités historiques (…), mesamis de Teach for America se sentaient eux aussi coupables : ils étaient mal formés, les écoles où ils enseignaient manquaient de moyens et, au fond d’eux, ils redoutaient que leur inexpérience ne les conduise à faire plus de mal que de bien. Argent et prestige d’un côté, bienfaisance de l’autre, à chaque camp son attrait et ses problèmes distincts : je tenais le point de départ de mon roman.
Le rêve américain inverséLes deux premiers personnages aux
quels j’ai donné vie étaient des créatures de ce nouveau monde étrange. Maggieveut aider les autres, mais les principes éthiques écrasants qu’elle s’impose etimpose à autrui l’empêchent de s’intégrer dans toute association ou communauté dépassant sa propre personne. Ethan, son frère aîné, a amassé un capitalimportant grâce à son travail de consultant financier, capital qu’il s’empresse dedilapider pour acquérir des biens de consommation qui ne font que l’isoler dumonde extérieur. Tous deux sont désenchantés, Maggie par les compromis que le « monde réel » exige d’elle, Ethan par levide spirituel que sa réussite professionnelle et financière n’a pu combler. Toutcela s’ajoutant à la mort de leur mère, quia fracturé leur famille. (…)
Enfant du babyboom, Arthur, leurpère, se croyait promis à la stabilité professionnelle, à la sécurité financière et àune maison en banlieue avec une belleclôture blanche, mais la mort de safemme et l’enlisement de sa propre carrière ont contrecarré ses plans. Il élabore donc un stratagème pour se réconcilier
avec ses enfants, dans l’espoir qu’ils luicéderont leur part de l’argent légué par sa défunte épouse (…).
J’entendais ainsi inverser le schémanon seulement du roman d’héritageclassique de l’Angleterre victorienne mais du rêve américain luimême, en faisant circuler l’argent dans le « mauvais sens », des descendants vers les ascendants. Cet angle insolite m’a permis d’explorer les thèmes nationaux beaucoup plus communs qui me préoccupaientalors et continuent de me préoccuper aujourd’hui : l’insécurité financière, l’incompréhension intergénérationnelle et,également, la désillusion qui s’installe quand les histoires qu’un pays et ses habitants se racontent sur euxmêmes finissent par tourner court.
J’ai écrit le texte cidessus quelques semaines seulement avant que le nouveau coronavirus ne mette de nombreux pays– et leur économie – à l’arrêt. Je constate sans plaisir qu’il m’a donné raison, même si j’étais loin d’imaginer la réponse déplorable qu’apporteraient les EtatsUnis à la crise, dont nous pouvons remercier notre président. La précarité, qui définit déjà la vie de tant d’Américains, s’est propagée avec le virus. Beaucoup d’entre nous perdront, au mieux, leur travail. Je suis né en 1991 et, même sans compter la récession économique de 1990 qui s’est poursuivie cette annéelà, j’ai connu trois récessions importantes, en 2001, 2008 et 2020. Je me considère comme un romancier comique – j’aime faire rire – mais, à l’heure oùj’écris ces lignes, plus de 6 millions d’Américains se sont inscrits au chômage, tandis que Trump continue de minimiser la gravité de la pandémie. En cemoment, c’est nous qui faisons les frais de la plaisanterie.
Traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Olivier Deparris
« Lettres de mon pays », avec Andrew Ridker, Klester Cavalcanti et Zhang Yueran.Vendredi 15 mai à 19 heures
GEORGE BAIER IV
ANDREW RIDKER est un écrivain américain. Il a signé un premier roman remarqué dans le monde entier, « Les Altruistes » (Rivages, 2019).
Si vous m’annonciez la mort de ma petite fille, par Hugo Boris
D ans un long couloir d’accès au quai, je suis pris àla gorge par une odeur
tiède et acidulée qui ne se dissipe pas, ce genre d’odeur qui, respiréetrop longtemps, finirait par medroguer. Je n’en décèle pas la provenance mais je sais d’instinct qu’elle est d’origine organique.
Je franchis un coude du couloiret ne peux retenir un mouvement de recul. Un clochard me tourne le dos. Il avance avec une lenteur de zombie, des chaussures éclatées aux pieds, le jean rigidifié par des traînées de chiasse.Les passants accélèrent le pas, décrivent un large détour pour le contourner. Je ne suis pas encore
à sa hauteur et je ne peux déjà plus respirer, le cœur au bord des lèvres. (…) Il est audelà de la saleté, protégé du monde par une puanteur qui le signale plus sûrement qu’une crécelle de lépreux.La crasse seule ne pourrait pas vicier l’atmosphère d’un couloir entier, des emplâtres d’excréments ne suffiraient pas à saturerun tel volume d’air, il y a autre chose, un ulcère creusant peutêtre, des plaies qui se gangrènent en silence, des abcès qui suppurent, je ne sais pas ce qui peutsentir à ce point, mais cet hommeest en train de mourir. Estil seulement transportable ?
Je le dépasse en ayant une pensée pour les équipes mobiles du Samusocial, en me convainquant, parce que cela me rassure, qu’il existe forcément un motdans leur jargon professionnel pour désigner ce genre de malheureux. Je passe mon chemin en pensant d’abord à ça, c’est ma
JF PAGA/GRASSET
HUGO BORIS est écrivain. Il est notamment l’auteur de « Je n’ai pas dansé depuis longtemps » (Belfond, 2010), de « Police » (Grasset, 2016) et du « Courage des autres » (Grasset, 2020).
« Au plus proche de nous : raconter l’autre », avec Hugo Boris, Marie-Hélène Bacqué et Chloé Cruchaudet. Jeudi 14 mai à 19 heures
QUESTIONS À
LUCIE CAMPOS,directrice de la Villa Gillet
Lucie Campos dirige la Villa Gillet, à Lyon, depuis le mois de novembre 2019. Plutôt que d’annuler l’édition 2020 des Assises internationales du roman, elle a fait le choix d’adapter le programme et d’organiser l’événement entièrement en ligne.
Avezvous hésité à maintenir les assises ?Parmi les missions de la Villa Gillet, il y a cellesci : faire entendre la voix de l’écrivain dans la cité, et permettre une conversation entre des auteurs du monde entier. Il était évident pour nous que, dans le contexte de pandémie de Covid19, on ne pouvait pas faire silence au prétexte que les voyages et les rencontres sont empêchés. On ne pouvait cesser de donner la parole aux romanciers, aux chercheurs, aux penseurs, en un moment où l’on a plus que jamais besoin de pistes de réflexion.
Comment avezvous repensé la programmation ?Nous avons recentré le programme autour de la question de l’incertitude, qui est un point de croisement fertile entre ce que nous vivons et le travail des écrivains et des chercheurs. Nous avons alors cherché quels étaient les auteurs dont les récits pouvaient le plus évoquer les questions d’aujourd’hui : raconter un quotidien qui change, comment on regarde l’autre, comment on fait face à l’incertitude à tous les niveaux…Nous avons aussi voulu donner la parole aux écrivains les plus éloignés – ces invités américains, chinois ou mexicains dont les noms sont familiers en librairie, mais qui semblent plus loin que jamais aujourd’hui.Il nous a également semblé nécessaire d’ouvrir un espace nouveau pour entendre des libraires, des éditeurs et des directeurs de festival du monde entier, afin de prendre le pouls du monde du livre à travers la planète.
préoccupation première, existetil un terme dans le fonds de la langue française pour décrire cet homme ?
Regarder les gens. Les écouter,les sentir, les toucher parfois, toutest bon pour les cannibales quenous sommes. La vie est une forme protoartistique, un matériau inépuisable.
Cliché. Ce matériaulà est surestimé. « Un peintre, écrit AndréMalraux, n’est pas d’abord unhomme qui aime les figures et lespaysages : c’est d’abord un homme qui aime les tableaux. »
Etat de veille linguistiqueJ’ai honte de l’avouer, mais je
préfère souvent l’image des choses aux choses ellesmêmes. Je veux dire par là que la façon dont une personne est décrite peutm’intéresser davantage que la personne ellemême. Pis, la rencontrer ne peut m’intéresser que pour mieux la décrire.
Je vis dans un état de veille linguistique permanent, dans un rapport au monde qui est celuidu Facteur Cheval. Tout m’intéresse pour lever un mur, une colonne, une tour de Barbarie, un temple hindou, sculpter un pélican, un chien ou un crocodile.
Cette relation aux autres et auxchoses, par le truchement des mots, porte en elle sa propre alié
nation. Lisez la puissance d’arrêt de cet aveu de Jules Renard dans son Journal, le 14 juillet 1896 : « Si vous m’annonciez la mort de mapetite fille que j’aime tant, et si, dans votre phrase, il y avait unmot pittoresque, je ne l’entendrais pas sans en être charmé. » Lisez encore une fois, c’est ahurissant : « Si vous m’annonciez la mort de ma petite fille que j’aime tant, et si,dans votre phrase, il y avait unmot pittoresque, je ne l’entendrais pas sans en être charmé. »
Regarder les gens, donc, lesécouter, s’y frotter, les honnêtes gens, les mauvaises, les gens du monde, les petites, les gens bien,les gens de rien, les simples, les jeunes, les vieilles… tout cela vient dans un deuxième temps. Les figures, les paysages, c’estpour après. Les tableaux d’abord. Voilà pourquoi je parle de matériel surévalué.
Disonsle plus simplement. Jeregarderais le monde différemment si je n’avais d’abord lu Guy de Maupassant, Stefan Zweig, Henri Bosco, Michel Tournier, Nicolas Fargues, Maylis de Kerangal et tant d’autres. J’aurais plus de mal à regarder les gens, à mettre des mots sur les visages, à chercher les miens, à décrire l’incongruité de nos présences, de nos trajectoires, de nos rencontres, les cadeaux du hasard.
propos recueillis par raphaëlle leyris
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0123JEUDI 7 MAI 2020 livres | 27
Ecrire le travail, par Mary Dorsan
E crire le travail pour le faire exister.D’abord tout simplement pour ça.Cette première explication peut
paraître banale, mais on en est là. Il s’agitde faire exister la maladie psychique, ses symptômes, les comportements qu’elle engendre. Ses effets. Il s’agit de faireexister les soins. Alors ils sont décrits. Les soins sont essentiellement d’ordre relationnel. D’affirmer l’existence del’équipe, de l’ensemble des personnes réunies au service des malades, des patients. De rappeler qu’il est question de symptômes psychiatriques graves, terriblement invalidants et difficiles à soigner. J’écris de la place où je me trouve : actuellement, un hôpital de jour (HDJ) psychiatrique de secteur.
Ecrire le travail aussi pour qu’il ne soitpas nié. Pour empêcher que l’effort et l’engagement de chacun soient ignorés ou méprisés, on en est là. Pour affirmer que la présence et l’écoute sont du travail. Que les soins longs sont incontournables.
Ecrire le travail pour faire apparaître enlittérature ce qui est gommé sur le terrain, ou gommé du terrain par le discours gestionnaire, les politiques d’économie budgétaire : souligner que lesdécisions organisationnelles affectentdes êtres humains. Audelà des logiciels, audelà des cases à cocher, il y a des hommes et des femmes, patients et professionnels du soin. Tous peuvent souffrir.
Ecrire très concrètement le travail, c’estopposer à un discours idéologique l’écriture de la fragilité humaine. Mettre sur ledevant des personnes incertaines, tâtonnantes, mais absolument réelles.
Ecrire le travail, c’est surmonter la critique du franchissement ou le dilemmedu dévoilement. C’est sortir de l’ombre,décider de montrer, de se montrer, accepter de raconter, de se raconter. Aussi dans notre laideur, notre violence.
Actuellement, à l’hôpital, le devoir deréserve annihile le travail auprès desplus démunis et des plus vulnérables.Nos existences liées. Nous, soignants,
sommes les témoins de grandes injustices. Nous sommes confrontés à la plus grande misère humaine. Nous assistons aux conséquences de l’austérité budgétaire, nous vivons leurs conséquences dans notre chair.
Cet hiver, en janvier, un matin, j’ai prisfroid dans la pièce qu’on appelle pharmacie du service où je travaille. Le chauffagene fonctionnait pas. Nous réclamions des réparations depuis l’hiver dernier,cellesci n’ont pas été réalisées. J’ai sorti le thermomètre du réfrigérateur où sont conservés certains médicaments. A lapharmacie, il faisait 15 °C. A l’intérieur de cette pièce on demande aux patients derelever leur manche pour prendre leurtension, de baisser leur pantalon pour que l’on administre une injection. J’ai déplacé le thermomètre de pièces en bureaux. Dans le bureau de la cadre : 12 °C.A la cuisine, après la mise en chauffe des repas et après la mise en route du lavevaisselle, le thermomètre affichait 13 °C.
Ecrire pour tenirDes rapports officiels prônent le virage
ambulatoire, mais je travaille en extrahospitalier, en ambulatoire ! Où il n’y apas de « lits » mais des « places ». Pour les soins, il faudra toujours des espaces, des lieux, des bâtiments, c’est incontournable. Et on ne peut pas faire l’économie de leur entretien ! Nousmêmes habitonsquelque part ! A room of our own que nous aménageons plus ou moins agréablement, en tout cas, que nous chauffons !
Chez nous, nous disposons d’eauchaude. Pas les éviers du réfectoire et de la pharmacie du HDJ : nous nous lavonsles mains à l’eau froide…
Où logent les patients ? Toujours dansmon service, sur une file active de près de 40 patients, trois sont hébergés à l’hôtel dit social, le même hôtel social du quartier où est situé le HDJ. Ça coûte un pognon de dingue : l’Etat verse des aides… que récupère le propriétaire decet hôtel…
Parlons concret.J’écris le soir après le travail, le matin
avant le travail, le weekend, pendant les vacances. Pas parce que je ne suis pas fatiguée – je le suis. Mais parce que je dois le faire pour tenir. Continuer, persévérer,
HÉLÈNE BAMBERGER/OPALE VIA LEEMAGE
MARY DORSAN est soignante en psychiatrie à l’hôpital et écrivaine. Elle a signé trois livres chez P.O.L, « Le présent infini s’arrête » (2015), « Une passion pour le Y » (2018) et « Rencontrer Darius » (2019).
recommencer impliquent l’écriture. Jerefuse de devenir une personne aigrie.Ou résignée. Car la vie des plus fragiles dépend de la lutte de ceux qui ont laforce de lutter. Les soignants qui se sont engagés dans une grève de la faimen 2018 à l’hôpital psychiatrique du Rouvray ont mis leur santé en danger pour défendre celle de leurs patients.
Dans mon service, les fenêtres tiennent avec du scotch.
Croyezvous que nous disposions desuffisamment de masques chirurgicauxou FFP2 afin de faire face au coronavirus ?
Cette vie, il s’agit de la chroniquer, de lanarrer, d’en faire le récit, c’est mon devoird’en témoigner.
Chercher l’inspiration, c’est prendre l’air, par Paolo Cognetti
J’ ignore s’il existe une bibliothèque avec une section« Ecriture du paysage »quelque part, la mienne en
tout cas en a une. Sur ses étagères, je conserve avec soin les carnets des voyageurs (Chatwin, Terzani, Tesson), les mémoires des lieux habités (Blixen, Hemingway), les observations dumonde naturel (Thoreau, Rigoni Stern). Peu importe qu’il s’agisse de Paris ou de la taïga sibérienne, le paysage est ce qui nous entoure, ce qui est hors de nous : les grands écrivains sont capables de le rendre sur le vif, de construireune relation entre l’extérieur etleur personnalité, leur histoire, en se sondant euxmêmes à travers l’âme d’un lieu (…). « La ville ne répondit pas » : c’est ainsi que se termine une vieille nouvelle d’Erri De Luca qui m’est très chère. Le regard interroge, le paysage répond ou reste muet ; l’écriture du paysage est la transcription de ce dialogue.
L’écriture du paysageEt, en m’y essayant à mon tour
[au Népal, pour Sans jamais atteindre le sommet (Stock, 2019)],il y a autre chose que j’ai découvert : je sens qu’elle soigne la claustrophobie du roman autantque le voyage me permet dem’évader de chez moi. Je veux dire qu’un roman aussi est une maison : c’est une maison qu’onhabite pendant des années avec ses personnages, qui n’existent que pour nous, un genre de maison hantée en somme (…). Parfois, j’étouffe entre ces quatre murs, il faut que je sorte, que jemarche, que je respire. Je crois que c’est ce que l’écriture du paysage représente pour moi, c’estun bol d’air, ce qui, à y regarder deprès, n’est pas si éloigné de l’idée d’inspiration. Chercher l’inspiration, c’est prendre l’air ; sortir de chez soi inspire une écriture nouvelle.
En voyage, j’ai toujours un livresur moi, quand ce n’est pas plusieurs, mais de préférence du même auteur. J’aime en faire mon compagnon de voyage. C’estun maître qui me montre les choses et m’apprend à les comprendre, mais il finit aussi par devenir mon ami intime. Cette fois, le livre n’était autre que Le Léopard des neiges, de Peter Matthiessen[Gallimard, 1983], un auteur peuconnu en Italie mais incontournable pour les amateurs de nature writing américain, et toutsimplement culte au Népal, où Le Léopard des neiges est en vitrine de toutes les librairies en diverseslangues et éditions (aussi étrange que ça puisse paraître, Katmandou fourmille de librairies).
Le Népal est à Matthiessen ceque la Patagonie est à Chatwin :Peter y réalisa ce voyage existentiel à l’automne 1973, à l’âge de 46 ans, officiellement pour observer les moutons bleus de l’Himalaya et leur prédateur, le léopard, en réalité pour sortir d’une longue saison d’illusions et trouver ce qu’il y avait qui ne soit pas illusoire dans la montagne, la solitude, la marche, les monastères tibétains isolés. L’expédition tourna au « pèlerinage en Orient », pour reprendre le titreitalien d’un livre d’HermannHesse [Le Voyage en Orient,
CalmannLévy, 1994] – l’un des premiers qui raconta cette tension vers l’Asie, et un bréviairepour les pèlerins qui, comme moi, viendraient ensuite. Je comptais refaire l’itinéraire deMatthiessen à quarantecinq années de distance. Lors de cettemarche, Hesse, Terzani et luiétaient les auteurs dont je me sentais le plus proche.
Dans un voyage comme celuilà, le temps pour lire et écrirene manque pas. On part en sedisant que les journées seront éprouvantes et chargées, et c’est vrai, mais on ne peut pas marcher en montagne plus de six ou sept heures d’affilée, si on le fait vingt jours de suite. Nous quittions notre tente au lever du soleil et, peu après midi, dressions déjà le camp où nous passerions la nuit. Dans un monde sans téléphones, ordinateurs, télévisions, j’avais l’impression de replongerdans l’adolescence, cette époquede grand vide où, pour tirer jusqu’au soir, il ne restait qu’à parler avec un ami, ou ouvrir un livre.
Le moment de l’écriture arrivaiten fin d’aprèsmidi. Mon seul réconfort était une gourde de whisky écossais que je rationnais pour qu’elle me tienne jusqu’à la fin : dans le froid des 4 000 mètres, avec la toux et la légère fièvre qui sont le lot de la haute altitude, je buvais du whisky diluédans de l’eau bouillante, la panacée. Dans mon carnet, je ne mettais aucune pensée. Je m’étais fixé comme règle de m’en tenir strictement à la description dece que je voyais, et m’interdisaistoute photographie. Je voulais me servir de mon œil relié à mamain comme d’un appareil photo et, dans le temple le plus sacré que je croisai sur mon chemin, une source jaillissant d’uneparoi rocheuse là où tout était aride et désert, je passai de l’eau sur mes paupières et mes lèvres et formulai cette prière : « Faites que j’aie de bons yeux pour regarder et que je trouve les mots pour raconter ce que j’ai vu. » Je croisque c’est là que réside le sens de mon écriture.
Traduit de l’italien par Anita Rochedy
ROBERTA ROBERTO
PAOLO COGNETTI est un écrivain italien, né en 1978. Il est notamment l’auteur du « Garçon sauvage » (Zoé, 2016), des « Huit montagnes » (Stock, 2017) et de « Sans jamais atteindre le sommet » (Stock, 2019).
« Raconter le travail », avec Mary Dorsan, Joseph Ponthus et Alexis Potschke.Mardi 12 mai, à 19 heures
Café-lecture. Mise en voix d’extraits de romans de Paolo Cognetti, Christian Garcin et Martin de la Soudière.Samedi 16 mai, à 14 heures
Pouvoir ne pas sortir, par Imma Monso
J’ ai toujours adoré le huisclos. Les espaces fermés,l’isolement, les chambres,les espaces réduits. Enfant,
je passais l’hiver dans une ville submergée par le brouillard. Obligée de sortir pour aller à l’école,j’attendais le beau temps avec impatience pour ne plus sortir. Enjuin, je partais à la campagne et jerestais jusqu’au mois de septembre chez mes grandsparents. C’était une maison adossée à une petite école entourée de forêts,car ma grandmère était institutrice dans un village épars, constitué de fermes et maisons isolées, au pied du Montseny.
On ne voyait personne sauf lefacteur trois fois par semaine,que je ne voyais pas non plus puisque je restais tout le tempsdans ma chambre. J’adorais. Mesgrandsparents s’inquiétaient.« Victoria ! Elle s’est enfermée de nouveau ? », criait mon grandpère. « Je ne la vois pas dehors ! », disaitil. « Elle va tomber malade », s’inquiétait ma grandmère, car ils avaient tout l’air pur à me donner et ils n’avaient queça, tandis que moi je ne rêvais que de rester cloîtrée à la maison
ou bien à l’école déserte qui, avec ses encriers en porcelaine, ses cartes accrochées au mur, sa balance ancienne avec les poids et laplanche murale des os, muscleset nerfs, offrait un encouragement inouï à toutes sortes de rêveries. C’est pourquoi j’ai longtemps caressé le rêve de pouvoir un jour rester confinée entrequatre murs.
Cependant, ce rêve, je n’ai réussià le réaliser que cinquante ans après. Quand, il y a quelques années, j’ai enfin pu abandonnermon travail à l’extérieur, j’ai tout de suite compris que mon petit appartement ne me suffisait pas :j’avais besoin d’un espace plus réduit. Je me suis installée dans ma chambre, mais puisque même ses douze mètres carrés me paraissaient trop, j’ai choisi d’habiter mon lit. Une décision, il faut ledire, qui s’est avérée être une des plus enrichissantes de ma vie.
L’autre confinementJusqu’à maintenant. Mais de
puis deux mois, malheureusement, le confinement n’a plus àmes yeux le charme qu’il avait. Strictement enfermés depuismars, les premiers jours ont été beaux et terribles, excitants et effrayants. Nous, les confinés vocationnels et pascaliens, déjà et depuis toujours convaincus que le malheur est dans la rue et le bonheur dans la chambre, avons eu le
IMMA MONSO est une écrivaine catalane. Elle a notamment publié « La Femme pressée » (Robert Laffont, 2013), « Un sacré caractère » et « L’Anniversaire » (Jacqueline Chambon, 2014 et 2019)
sentiment d’avoir raison pour lapremière fois et avons pu déculpabiliser de notre manque d’intérêt à sortir. Cette première phase a été d’une grande beauté ; en plus d’apaiser les remords de notre conscience agoraphobique, nous avons plongé dans un temps suspendu qui était en accord parfait avec notre soif decalme et de silence : il n’était plus nécessaire de se lever à 6 heures du matin ou de lire jusqu’à 3 heures la nuit pour avoir l’impression d’être seul au monde. Le monde extérieur et le monde intérieur se confondaient dans une harmonie sans précédent.
Par la suite, le bonheur s’estétiolé. Les morts ont commencé à peser, les mauvaises nouvelles àaigrir les esprits et l’excès de virtualité à nous submerger, suscitant un état bizarre de manquede solidité du corps. Pendant cesderniers jours, j’ai beaucoup réfléchi aux origines de notre malaise général, mais aussi àceux de mon malaise particulier, que j’imagine provoqué par le fait d’être obligée d’accomplir comme un devoir ce dont j’ai rêvé toute ma vie comme une liberté. Bref, comme mes concitoyens, j’attends, anxieuse, la fin du confinement. Pas pour sortir, mais pour dissiper l’impuissance de ne pas pouvoir sortir et reprendre la puissance de pouvoirde ne pas sortir.
LM PALOMARES
« Le huis clos », avec Imma Monso, Franck Bouysse et Burhan Sönmez. Jeudi 14 mai, à 20 heures
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28 | IDÉES JEUDI 7 MAI 20200123
« Réparer la planète », « relocaliser des pans entiers de l’économie », « entendre la jeunesse », « de la dignité pour tous »… L’ancien ministre de la transition écologique et solidaire énonce ses propositions pour l’après-Covid-19, renforcées par celles de neuf personnalités, parmi lesquelles la militante écologiste Vandana Shiva, le photographe Sebastiao Salgado et la coprésidente du GIEC Valérie Masson-Delmotte
1. Le temps est venu, ensemble, de poser les premières pierres d’un nouveau monde2. Le temps est venu de transcender la peur en espoir3. Le temps est venu pour une nouvelle façon de penser4. Le temps est venu de la lucidité5. Le temps est venu de dresser un horizon commun6. Le temps est venu de ne plus sacrifier le futur au présent7. Le temps est venu de résister à la fatalité8. Le temps est venu de ne plus laisser l’avenir décider à notre place9. Le temps est venu de ne plus se mentir10. Le temps est venu de réanimer notre humanité11. Le temps est venu de la résilience
12. Le temps est venu de prendre soin et de réparer la planète13. Le temps est venu de traiter les racines des crises14. Le temps est venu d’appréhender l’ensemble des crises écologiques, climatiques, sociales, économiques et sanitaires comme une seule et même crise : une crise de l’excès15. Le temps est venu d’entendre la jeunesse et d’apprendre des anciens
16. Le temps est venu de créer du lien17. Le temps est venu de miser sur l’entraide18. Le temps est venu d’applaudir la vie19. Le temps est venu d’honorer la beauté du monde20. Le temps est venu de se rappeler que la vie ne tient qu’à un fil21. Le temps est venu de nous réconcilier avec la nature
Nicolas Hulot
100 principes pour
un nouveau monde
le temps est venu de prendre conscience que nous faisons partie de la nature. Nous ne sommes pas séparés d’elle, ni supérieurs aux autres êtres avec lesquels nous partageons notre planète. Le temps est venu de renoncer aux illusions de l’esprit mécaniste qui, dansson ignorance et son aveuglement, autorise la violation des limites planétaires et écologiques, et décrit ces violations comme un progrès. Le temps est venu d’aller audelà del’économie de la croissance illimitée et de la cupidité sans limites. Le moment est venu de reconnaître que tous les êtres ont droit aux dons de la Terre pour leur subsistance. Le temps est venu de se souvenir de l’enseignement de Gandhi : la Terre a assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour lacupidité de quelquesuns.
Vandana Shiva, militante féministe et écologiste indienne
« Reconnaître que tous les êtres ont droit aux dons de la Terre »
le temps est venu de nous lever pour protéger les tribus d’Indiens d’Amazonie, pour préserver leur culture et pour sauvegarder notre histoire. A cause du coronavirus, une partie de ces Indiens, peutêtre même la totalité, risquent de disparaître.Les assauts du président Jair Bolsonaro ontfait sauter tous les filtres qui protégeaient ces peuples. On assiste à la ruée dans la forêt amazonienne des orpailleurs et des exploitants forestiers, mais aussi des sectes religieuses qui, en apportant la parolede leur dieu à ces Indiens isolés, vont les contaminer.
Le temps est venu de nous mobiliserpour sauver ces gardiens de la forêt, comme cela a été fait l’été dernier pour faire pression sur Jair Bolsonaro afin que cessent les incendies de la forêt. C’est, poureux, une question de vie ou de mort.
Sebastiao Salgado photographe brésilien
« Sauver les gardiens de la forêt amazonienne »
le temps est venu de développer, comme partie intégrante de notre réponse à l’urgence climatique, les conditions optimales à l’épanouissement de l’imagination humaine. En effet, faire face à la crise climatique suppose de repenser et de reconstruire le monde. Pourtant, nous vivons à une époque où l’imagination est pressée, dépréciée, dévalorisée. Le temps est venu d’un systèmeéducatif qui place le développement de l’imagination en son cœur. Le temps estvenu d’un système politique qui accueille notre imagination. Le temps est venu d’un système économique qui ose dire « et si… ? ».Le temps est venu de reconnaître le « droit àl’imagination » de toutes et tous, et de le protéger. A quoi ressemblerait une époque où tout semble possible ? Nous devons être celles et ceux qui découvrent cela.
Rob HopkinsFondateur du mouvement des villes en transition
« Développer le droit à l’imagination »
le temps est venu de partager le pouvoir dansles entreprises et les administrations. A l’échellede l’entreprise, comme à celle de la société pour les citoyens, faire s’exprimer et participer les travailleurs ne peut plus être considéré comme un frein à la décision, alors que le dialogue socialet professionnel est la condition d’une performance globale, c’estàdire économique, sociale, écologique et sanitaire. Plus que jamais après la crise que nous vivons, les employeurs doiventidentifier ce qui fait sens collectivement. Un projet d’entreprise, sa raison d’être, doit s’inscrire aujourd’hui et demain dans le projet globald’une société qui, comme le propose la CFDTavec les 55 organisations du « pacte du pouvoirde vivre », doit opérer sa transition écologique socialement juste, sans rien céder à l’impératif démocratique.
Laurent BergerSecrétaire général de la CFDT
« Opérer une transition écologique socialement juste »
le temps est venu d’une relocalisation de pans entiers de notre économie. Le Covid19 et les politiques de confinement pour y faire face ont mis en lumière la fragilité de chaînesde valeur internationales à flux tendu, vulnérables aux prochaines pandémies commeaux conséquences du dérèglement climatique et de la destruction des écosystèmes.Pour être durable, cette relocalisation indispensable exige l’apprentissage de métiersnouveaux : ceux de l’agroécologie et d’une industrie verte qui reste largement à initier. Sans une stratégie ambitieuse de renouvellement radical de l’enseignement, de la maternelle aux doctorats, afin d’y donner touteleur place aux enjeux écologiques et aux métiers de demain, la jeunesse d’aujourd’hui reste prisonnière des manières de faire, de travailler, de consommer et de s’informerd’hier. L’Etat doit prendre sa part du renouvellement de l’offre de formation et l’ouvrir à la reconversion des salariés déjà engagésdans des secteurs incompatibles avec la reconstruction écologique de notre pays.
Gaël Giraud Ancien chef économiste de l’Agence française de développement
« Former les jeunes à l’agroécologie »
LE CONTEXTELe 10 mai 1994, Nelson Mandela,
premier président noir d’Afrique
du Sud, élu deux semaines plus
tôt, prononce un discours d’in-
vestiture qui marque les esprits.
Il y prône notamment les valeurs
de réconciliation et déclare : « Le
temps est venu de panser nos
blessures. Le moment est venu de
réduire les abîmes qui nous sépa-
rent. Le temps de la construction
approche ». S’inspirant de cette
phrase, Nicolas Hulot, militant
écologiste et ancien ministre
d’Emmanuel Macron, a décidé de
décliner à sa façon son « temps
est venu », à travers cent princi-
pes fondateurs, selon lui, d’un
nouveau monde pour l’après-
crise du Covid-19.
La Fondation Nicolas Hulot inau-
gure par ailleurs, mercredi 6 mai,
un site Internet pour inviter
chacun à endosser ces principes.
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0123JEUDI 7 MAI 2020 idées | 29
22. Le temps est venu de respecter la diversité et l’intégrité du vivant23. Le temps est venu de laisser de l’espace au monde sauvage24. Le temps est venu de traiter les animaux en respectant leurs intérêts propres25. Le temps est venu de reconnaître l’humanité plurielle26. Le temps est venu d’écouter les peuples premiers27. Le temps est venu de cultiver la différence28. Le temps est venu d’acter notre communauté de destin avec la famille humaine et tous les êtres vivants29. Le temps est venu de reconnaître notre vulnérabilité.30. Le temps et venu d’apprendre de nos erreurs31. Le temps est venu de l’inventaire de nos faiblesses et de nos vertus32. Le temps est venu de nous adapter aux limites planétaires33. Le temps est venu de changer de paradigme34. Le temps est venu d’opérer la mue d’un système périmé35. Le temps est venu de redéfinir les fins et les moyens36. Le temps est venu de redonner du sens au progrès37. Le temps est venu de l’indulgence et de l’exigence38. Le temps est venu de s’émanciper des dogmes39. Le temps est venu de l’intelligence collective40. Le temps est venu d’une mondialisation qui partage, qui coopère et qui donne aux plus faibles41. Le temps est venu de préférer le juste échange au libreéchange42. Le temps est venu de globaliser ce qui est vertueux et de déglobaliser ce qui est néfaste43. Le temps est venu de définir, préserver et protéger les biens communs44. Le temps est venu de la solidarité universelle
45. Le temps est venu de la transparence et de la responsabilité46. Le temps est venu d’une économie qui préserve et redistribue à chacun47. Le temps est venu de mettre un terme à la dérégulation, à la spéculation et à l’évasion fiscale48. Le temps est venu d’effacer la dette des pays pauvres49. Le temps est venu de s’émanciper des politiques partisanes50. Le temps est venu de s’extraire des idéologies stériles51. Le temps est venu des démocraties inclusives52. Le temps est venu de s’inspirer des citoyens53. Le temps est venu d’appliquer le principe de précaution54. Le temps est venu de graver dans le droit les principes d’une politique écologique, sociale et civilisationnelle55. Le temps est venu de faire mentir le déterminisme social56. Le temps est venu de combler les inégalités de destin57. Le temps est venu de l’égalité absolue entre les femmes et les hommes58. Le temps est venu de tendre la main aux humbles et aux invisibles59. Le temps est venu d’exprimer plus qu’une juste gratitude à celles et ceux, souvent étrangers, qui dans nos pays, hier et aujourd’hui, exécutent des tâches ingrates60. Le temps est venu de valoriser prioritairement les métiers qui permettent la vie61. Le temps est venu du travail qui épanouit62. Le temps est venu de l’avènement de l’économie sociale et solidaire63. Le temps est venu d’exonérer les services publics de la loi du rendement64. Le temps est venu de
relocaliser des pans entiers de l’économie65. Le temps est venu de la cohérence, et de réorienter nos activités et nos investissements vers l’utile et non vers le nuisible66. Le temps est venu d’éduquer nos enfants à l’être, au civisme, au vivreensemble, et de leur apprendre à habiter la terre67. Le temps est venu de nous fixer des limites dans ce qui blesse et aucune dans ce qui soigne68. Le temps est venu de la sobriété69. Le temps est venu d’apprendre à vivre plus simplement70. Le temps est venu de nous réapproprier le bonheur71. Le temps est venu de nous libérer de nos addictions consuméristes72. Le temps est venu de ralentir.73. Le temps est venu de voyager près de chez nous74. Le temps est venu de nous défaire de nos conditionnements mentaux individuels et collectifs75. Le temps est venu de faire naître des désirs simples76. Le temps est venu de distinguer l’essentiel du superflu77. Le temps est venu d’arbitrer dans les possibles78. Le temps est venu de renoncer à ce qui compromet l’avenir79. Le temps est venu de la créativité et de l’impact positif80. Le temps est venu de lier notre « je » au « nous »81. Le temps est venu de croire en l’autre82. Le temps est venu de revisiter nos préjugés83. Le temps est venu du discernement84. Le temps est devenu d’admettre la complexité85. Le temps est venu de synchroniser science et conscience
86. Le temps est venu de l’unité87. Le temps est venu de l’humilité88. Le temps est venu de la bienveillance89. Le temps est venu de l’empathie90. Le temps est venu de la dignité pour tous91. Le temps est venu de déclarer que le racisme est la pire des pollutions mentales92. Le temps est venu de la modestie et de l’audace93. Le temps est venu de combler le vide entre nos mots et nos actes et d’agir en grand94. Le temps est venu où chacun doit faire sa part et être l’artisan du monde de demain95. Le temps est venu de l’engagement96. Le temps est venu de croire qu’un autre monde est possible97. Le temps est venu d’un élan effréné pour ouvrir de nouvelles voies98. Le temps est venu, partant de ces principes, de choisir, encourager et accompagner nos dirigeants ou représentants99. Le temps est venu pour chacun de faire vivre ce manifeste100. Le temps est venu de créer un lobby des consciences
le temps est venu de se donner de vrais moyens pour financer un futur durable. Nous demandons la création d’un fonds européen de relance et de transformation écologique de 2 000 milliards d’euros sur sept ans, financé à très long terme. Cette mise en commun des moyens budgétaires européens – par la mutualisation des dettes – doit nous protéger des aléas des marchés financiers et assurer le financement danschaque Etat membre, quelle que soit sa situation, d’une économie plus résiliente face aux futures crises, créatrice d’emplois, alignée avec les objectifs écologiques et moins dépendante de la mondialisation.
La hausse de l’endettement public nedoit pas justifier le retour de politiques d’austérité. L’Europe a les moyens de s’en protéger. Les financements dans la transition écologique et nos services de santé ne doivent pas être de nouveau mis sous la coupe de logiques étroitement comptables, meurtrières. Nous devons changer nos modes de calcul pour intégrer ce qui compte vraiment.
Ce fonds doit donc s’accompagnerd’une révision du pacte de stabilitépour sécuriser les investissements massifs dont nous avons besoin dans la durée – partout en Europe – pour construire une économie sobre et résiliente. Si nécessaire, les dettes publiques détenues par les banques centrales pourront être cantonnées pour que leur remboursement soit très fortement étalé, ou annulées. Il en va de la survie de l’Europe.
Alain GrandjeanEconomiste, président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme
« Construire une économie sobre et résiliente »
le temps est venu de mettre en place un fonds exceptionnel de plusieurs milliards d’euros alloué aux communes, aux départements et aux régions, pour les accompagner dans lamise en place de politiques publiques visant à éradiquer la grande pauvreté, accélérer la transition écologique et réduire les inégalités. Le temps est venu de donner des moyens importants aux territoires qui veulent agir pour plus d’écologie et de justice sociale, en fixant des contreparties mesurables etsuivies dans le temps.
Mettre en place des plans « logement d’abord » pour en finiravec le « sansabrisme », rénover les 7 millions de passoires énergétiques [les logements] et les bâtiments publics énergivores, développer d’autres possibilités que la voiture individuelle, servir des repas bio et locaux dans les cantines… Autant de mesures indispensables à la construction du « monde d’après » ; autant de mesures défendues collectivement avec les 55 organisations du « pacte du pouvoir de vivre » ; autant de mesures qui ne verront le jour qu’avec le déploiement de moyens importants, réinjectés grâce à une fiscalité plus juste et un nouveau partage des richesses.
Christophe RobertDélégué général de la Fondation Abbé Pierre
« Débloquer des moyens pour plus d’écologie et de justice sociale »
le temps est venu de passer du libreéchange au juste échange. Cela supposede produire et de consommer d’abord local, d’introduire une traçabilité sociale et environnementale des biens et services afin de pouvoir les distinguer selon leurs conditions de production et d’exiger pour les produits importés le respectdes normes européennes de production.Ce que ne permettent pas les règles de l’OMC et les accords bilatéraux de typeCETA (l’accord de libreéchange entrel’Union européenne et le Canada). La mondialisation des activités est alléetrop loin et il faut aujourd’hui redonner des marges de manœuvre aux Etats pour conduire la transition écologiqueet sociale sans risquer d’être attaqués pardes partenaires commerciaux ou des investisseurs étrangers.
Mathilde DupréCodirectrice de l’Institut Veblen
« Produire et consommer d’abord local »
le temps est venu de mettre en œuvre une stratégie de gestion derisques par anticipation et non de gestion de crise après crise. Visàvis des risques croissants liés au changement climatique en cours et aux pressions sur les écosystèmes et la biodiversité,cela demande d’agir pour réduire les vulnérabilités et l’exposition aux aléas climatiques en métropole et dans lesoutremers, et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre par des changements structurels dans tous les secteurs, pour construire un développement permettant à tous de vivre dignement, résilients, protégeant les écosystèmes et la biodiversité, et allantvers la neutralité carbone.
Valérie Masson-Delmotte paléoclimatologue, coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC )
« Protéger la biodiversitéet les écosystèmes »
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30 | idées JEUDI 7 MAI 20200123
Imany, chanteuse ; Jeremy Irons, acteur ;Agnès Jaoui, actrice, réalisatrice ; JimJarmusch, réalisateur ; Vaughan Jones,médaille Fields de mathématiques ; SpikeJonze, réalisateur ; Camélia Jordana,chanteuse ; Jean Jouzel, climatologue,prix Vetlesen ; Anish Kapoor, sculpteur,peintre ; Naomi Kawase, réalisatrice ;Sandrine Kiberlain, actrice ; Angélique
Kidjo, chanteuse ; Naomi Klein, écrivaine ; Brian Kobilka, Prix Nobel de chimie ; Hirokazu Kore-eda, réalisateur ; Panos Koutras, réalisateur ; Antjie Krog, poétesse ; La Grande Sophie, chanteuse ; Ludovic Lagarde, metteur en scène ; Mélanie Laurent, actrice ; Bernard Lavilliers, chan-teur ; Yvon Le Maho, écophysiologiste, membre de l’Académie des scien-ces ; Roland Lehoucq, astrophysicien ; Gilles Lellouche, acteur, réali-
sateur ; Christian Louboutin,créateur ; Roderick MacKinnon,Prix Nobel de chimie ; Madonna,chanteuse ; Macha Makeïeff,metteuse en scène ; ClaudeMakélélé, footballeur ; Ald AlMalik, rappeur ; Rooney Mara,actrice ; Ricky Martin, chanteur ;Carmen Maura, actrice ; MichelMayor, Prix Nobel de physique ;Médine, rappeur ; Melody Gar-dot, chanteuse ; Arturo Men-chaca Rocha, physicien, ex-pré-sident de l’Académie des sciencesdu Mexique ; Raoni Metuktire,chef indien de Raoni ; JulianneMoore, actrice ; WajdiMouawad, metteur en scène,auteur ; Gérard Mouroux, PrixNobel de physique ; Nana Mous-kouri, chanteuse ; Yael Naim,chanteuse ; Jean-Luc Nancy,philosophe ; Guillaume Néry,champion du monde d’apnée ;Pierre Niney, acteur ; MichaëlOndaatje, écrivain ; ThomasOstermeier, metteur en scène ;Rithy Panh, réalisateur ;Vanessa Paradis, chanteuse, ac-trice ; James Peebles, Prix Nobelde physique ; Corine Pelluchon,philosophe ; Joaquin Phoenix,acteur ; Pomme, chanteuse ;Iggy Pop, chanteur ; Olivier Py,metteur en scène ; Radu Mi-haileanu, réalisateur ; SusheelaRaman, chanteuse ; Edgar Ra-mirez, acteur ; Charlotte Ram-pling, actrice ; Raphaël, chan-teur ; Eric Reinhardt, écrivain ;Residente, chanteur ; Jean-Mi-chel Ribes, metteur en scène ;Matthieu Ricard, moine boudd-histe ; Richard Roberts, Prix No-bel de médecine ; Isabella Ros-sellini, actrice ; Cecilia Roth,actrice ; Carlo Rovelli, physicien,membre honoraire de l’Institutuniversitaire de France ; PaoloRoversi, photographe ; LudivineSagnier, actrice ; Shaka Ponk(Sam et Frah), chanteurs ; Van-dana Shiva, philosophe, écri-vaine ; Abderrahmane Sissako,réalisateur ; Gustaf Skarsgard,acteur ; Sorrentino Paolo, réali-sateur ; Sabrina Speich, océano-graphe, médaille Albert Defant ;Sting, chanteur ; James FraserStoddart, Prix Nobel de chimie ;Barbra Streisand, chanteuse,
actrice, réalisatrice ; Malgorzata Szumowska, réalisatrice ; Béla Tarr, réalisateur ; Bertrand Tavernier, réalisateur ; Alexandre Tharaud, pia-niste ; James Thierré, metteur en scène, danseur ; Mélanie Thierry, ac-trice ; Tran Anh Hung, réalisateur ; Jean-Louis Trintignant, acteur ;Karin Viard, actrice ; Rufus Wainwright, chanteur ; Lulu Wang, réalisa-trice ; Paul Watson, navigateur, écrivain ; Wim Wenders, réalisateur ;Stanley Whittingham, Prix Nobel de chimie ; Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste ; Frank Wilczek, Prix Nobel de physique ; Olivia Wilde, ac-trice ; Christophe Willem, chanteur ; Bob Wilson, metteur en scène ;Lambert Wilson, acteur ; David Wineland, Prix Nobel de physique ; Xuan Thuan Trinh, astrophysicien ; Muhammad Yunus, économiste, Prix Nobelde la paix ; Zazie, chanteuse.
Lynsey Addario, grand reporter ; Isabelle Adjani, actrice ; Roberto Alagna, chanteur lyrique ; Pedro Almodovar, réalisateur ; Santiago Amigorena, écrivain ; Angèle, chanteuse ; Adria Arjona, actrice ; Yann Arthus-Bertrand, photographe,réalisateur ; Ariane Ascaride, actrice ;Olivier Assayas, réalisateur ; Josiane Balasko, actrice ; Jeanne Balibar, actrice ; Bang Hai Ja, peintre ; Javier Bardem, acteur ; Aurélien Barrau, astrophysicien, membre honoraire del’Institut universitaire de France ; Mikhail Baryshnikov, danseur, chorégraphe ; Nathalie Baye, actrice ; Emmanuelle Béart, actrice ; Jean Bellorini, metteur en scène ; Monica Bellucci, actrice ; Alain Benoit,physicien, Académie des sciences ; Charles Berling, acteur ; Juliette Binoche, actrice ; Benjamin Biolay, chanteur ; Dominique Blanc, actrice ; Cate Blanchett, actrice ; Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle ; Valérie Bonneton, actrice ; Aurélien Bory, metteur en scène ; Miguel Bosé, acteur, chanteur ; Stéphane Braunschweig, metteur en scène ; Stéphane Brizé, réalisateur ; Irina Brook, metteuse en scène ; Peter Brook, metteur en scène ; Valeria Bruni Tedeschi, actrice, réalisatrice ; Khatia Buniatishvili, pianiste ;Florence Burgat, philosophe,directrice de recherche à l’Inrae ; Guillaume Canet, acteur,réalisateur ; Anne Carson, poète,écrivaine, Académie des arts etsciences ; Michel Cassé, astrophysicien ; Aaron Ciechano-ver, Prix Nobel de chimie ; François Civil, acteur ; François Cluzet, acteur ; Isabel Coixet, réalisatrice ; Gregory Colbert, photographe, réalisateur ; Paolo Conte, chanteur ; Marion Cotillard, actrice ; Camille Cottin, actrice ; Penélope Cruz, actrice ; Alfonso Cuaron, réalisa-teur ; Willem Dafoe, acteur ;Béatrice Dalle, actrice ; Alain Damasio, écrivain ; Ricardo Darin, acteur ; Cécile de France, actrice ; Robert De Niro, acteur ; Annick de Souzenelle, écrivaine ;Johann Deisenhofer, biochi-miste, Prix Nobel de chimie ; Kate del Castillo, actrice ; Miguel Delibes Castro, biologiste,Académie royale des sciences espagnole ; Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène ; Claire Denis, réalisatrice ; Philippe Descola, anthropolo-gue, médaille d’or du CNRS ;Virginie Despentes, écrivaine ; Alexandre Desplat, composi-teur ; Arnaud Desplechin, réalisateur ; Natalie Dessay, chanteuse lyrique ; Cyril Dion, écrivain, réalisateur ; Hervé Dole, astrophysicien, membre hono-raire de l’Institut universitaire de France ; Adam Driver, acteur ; Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie ; Diane Dufresne, chanteuse ; Thomas Dutronc, chanteur ; Lars Eidinger, acteur ; Olafur Eliasson, plasticien, sculpteur ; Marianne Faithfull, chanteuse ; Pierre Fayet, membre de l’Académie des sciences ; Abel Ferrara, réalisa-teur ; Albert Fert, Prix Nobel de physique ; Ralph Fiennes, acteur ; Ed-mond Fischer, biochimiste, Prix Nobel de médecine ; Jane Fonda, actrice ; Joachim Frank, Prix Nobel de chimie ; Manuel Garcia-Rulfo, acteur ; Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile ; Amos Gitaï, réalisateur ; Alejandro Gonzales Iñarritu, réalisateur ; Timothy Gowers, médaille Fields de ma-thématiques ; Eva Green, actrice ; Sylvie Guillem, danseuse étoile ; Ben Hardy, acteur ; Serge Haroche, Prix Nobel de physique ; Dudley R. Hers-chbach, Prix Nobel de chimie ; Roald Hoffmann, Prix Nobel de chimie ; Rob Hopkins, fondateur des villes en transition ; Nicolas Hulot, président d’honneur de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’Homme ;
NONà un retour
à la normale
Un collectif de 200 artistes et scientifiques lance un appel, à l’initiative de l’actrice Juliette Binoche
et de l’astrophysicien Aurélien Barrau, aux dirigeants et aux citoyens pour changer nos modes de vie.
Sans quoi, la catastrophe écologique ne pourra être évitée
La pandémie de Covid19 est une tragédie.Cette crise, pourtant, a la vertu de nousinviter à faire face aux questions essentielles. Le bilan est simple : les « ajustements » nesuffisent plus, le problème est systémique.
La catastrophe écologique en cours relève d’une« métacrise » : l’extinction massive de la vie surTerre ne fait plus de doute et tous les indicateurs annoncent une menace existentielle directe. A la différence d’une pandémie, aussi grave soitelle, il s’agit d’un effondrement global dont les conséquences seront sans commune mesure.
Nous appelons donc solennellement les dirigeants et les citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour travailler enfin à une refonte profonde des objectifs, des valeurs et des économies.
Le consumérisme nous a conduits à nier la vieen ellemême : celle des végétaux, celle des animaux et celle d’un grand nombre d’humains. La pollution, le réchauffement et la destruction des espaces naturels mènent le monde à un point de rupture.
Pour ces raisons, jointes aux inégalités socialestoujours croissantes, il nous semble inenvisageable de « revenir à la normale ». La transformation radicale qui s’impose – à tous les niveaux – exige audace et courage. Elle n’aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. A quand les actes ? C’est une question de survie, autant que dedignité et de cohérence.
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0123JEUDI 7 MAI 2020 0123 | 31
O n vous l’a dit et répétédepuis que le Covid19s’est emparé de notreunivers : il y aura le
monde d’avant et le monde d’après. Les contours du « monde d’après » nourrissent des débats d’autant plus passionnants qu’ils relèvent forcément de la fiction. Du chaos transitoire où nous nous trouvons, pourtant, quelques éléments émergent, qui dessinent une nouvelle normalité.Ce « nouveau normal », commedisent les Américains, seratil durable ? Nul ne le sait, mais il distingue déjà ce qui a changé parrapport au monde d’avant.
Il y a, d’abord, le plus visible, cequi modifie de manière spectaculaire nos comportements quotidiens : le port du masque et la distanciation physique. Sourireavec les yeux et ne plus se toucher. La comparaison avec la crisede 2008, souvent évoquée en raison du choc économique, est icitrompeuse ; c’est plutôt la crisedes attentats du 11 septembre 2001 et ses conséquencesqu’il faudrait rappeler. C’est de cemomentlà – et de ses répliques en Europe – que datent la sécurisation des lieux de travail avec badges individuels et les lourdes procédures de contrôle dans les aéroports. Il faudra s’habituer, disaiton alors, à ce « new normal ». Il fallait maîtriser la peur du terrorisme, comme il faut à présent maîtriser la peur du virus.
Notre défense, tout changerCes peurs, cependant, se combattent différemment. Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, on conjurait la peur en allant,comme un acte militant, se serrer aux terrasses des cafés : notredéfense alors, c’était de ne rienchanger à notre mode de vie. Aujourd’hui, notre défense, c’estde tout changer : adieu, les terrasses de café bondées. La convivialité, les fêtes, les concerts, les boîtes de nuit, les manifs, les stadesen délire, tout cela ne reviendraque lorsque la peur aura été vaincue. Cette liberté que nous affichions en réponse à ceux quivoulaient la bafouer, il fautaujourd’hui la mettre en bernepour se protéger.
Les gouvernants, eux, voientleurs projets d’il y a six mois partir en fumée ; ils ne savent pas non plus vers quoi les mène cette période de transition. En France, le premier ministre, Edouard Philippe, a eu le 28 avril une formule pour résumer la nouvelle ligne decrête : « Protéger la France sansl’immobiliser au point qu’elle s’effondrerait. » Le point d’équilibre à trouver entre la santé des citoyens et la santé de l’économie, afin que l’un ne dévaste pasl’autre, et inversement.
L’épidémie a brouillé les repères : au travail, les invisibles sontdevenus les plus visibles ; en politique, la santé, la solidarité, laconfiance s’affichent en valeurssuprêmes. L’économie du bienêtre, autrefois raillée par les genssérieux, prend soudain tout son sens. L’Etat, relèveton, fait songrand retour ; plus tard, à l’heuredes bilans, on tentera de discerner de quel Etat on parle : l’Etatsouple et agile, qui laisse vivreles initiatives locales et accom
pagne le secteur privé, ou l’Etatpesant et bureaucratique, dont le millefeuille administratif a freiné tant d’actions urgentesdans cette crise ?
L’Etat fait aussi un retour enforce sur la scène internationale.Et là, surprise ! C’est la revanche des petits. Les puissants dumonde d’avant sont les plus atteints : la Chine d’où est parti le virus, les EtatsUnis qui battent le record du nombre de morts, laRussie qui affronte à son tour uneaccélération brutale du taux d’infection, le Brésil qui ne maîtrise plus rien. En Europe, à l’exceptionde l’Allemagne qui a su se préparer à la crise, ce sont surtout les« grands pays » qui accusent le coup : GrandeBretagne, France, Italie, Espagne. Alors que l’Espagne se débattait dans une catastrophe majeure, son « petit » voisin, le Portugal, a impressionnépar la rapidité avec laquelle il a su prendre les mesures préventives et produire des tests en quantité suffisante pour isoler les maladeset limiter la circulation du virus.
La petite République d’Irlande,elle, maîtrisait assez bien la situation jusqu’à ce que la province britannique d’Irlande du Nord décide d’aligner sa stratégieantiCovid sur Londres. Impossible alors, en l’absence de frontière entre les deux, de bloquer lacirculation du virus. Malgré cela,Dublin affiche un bilan meilleurque la GrandeBretagne.
Là aussi, les invisibles relèventla tête. Taïwan, ostracisée par Pékin, s’est révélée un modèle degestion de l’épidémie. Une conseillère du chancelier autrichienSebastian Kurz, Antonella MeiPochtler, pense avoir trouvé l’explication, dont elle a fait part au Financial Times : « Il y a une arrogance innée chez les grands pays qui pensent qu’aucun autre paysn’est comme eux, ditelle. Les petits pays, eux, ont tendance à apprendre beaucoup plus les uns des autres. »
Peutêtre sontils conscientsaussi des limites de leurs moyens,qui incitent gouvernants et gouvernés à plus de précautions et àserrer les rangs quand le danger menace. Exemplaire dans cette crise, la Grèce savait que ses infrastructures de santé publique,après dix ans de plans d’austérité,n’auraient pas résisté à une circulation massive du virus.
Les petits pays ont autre choseen commun : beaucoup ont eu leréflexe immédiat de fermer leursfrontières pour se protéger. LesEtats d’Europe centrale, où la circulation des personnes estmoins dense que sur les plaquestournantes de l’Ouest, n’ont pas hésité. Remparts ou obstacles ?Les frontières sont en tout cas deretour, autour mais aussi au seinde l’espace Schengen, que l’on nepeut plus arpenter librement – laFrance est une des exceptions.Aller en Grèce est à nouveau uneodyssée. La NouvelleZélande, ayant maîtrisé le virus, annonceque ses frontières ne seront pas ouvertes « avant longtemps » et parle de former une « bulle transTasman » avec l’Australie. Le« nouveau normal » a évincé la mobilité.
D epuis le début de l’épidémie liée auCovid19, la crainte des décideursest que leur responsabilité pénale
puisse être engagée. La pénurie de masques et de tests ayant alimenté un profond doute sur la capacité de l’Etat à lutter efficacement contre la propagation de la maladie, des dizaines de plaintes émanant de particuliers, de médecins, d’associations ont été enregistrées par la Cour de justice de la République, seule instance habilitée à juger des actes commis par des membresdu gouvernement dans leurs fonctions.
Elles invoquent « l’homicide involontaire », la « nonassistance à personne endanger » ou encore « l’entrave aux mesuresd’assistance », visent le premier ministre et d’autres membres du gouvernement.D’autres plaintes ont été déposées contre X
devant le parquet de Paris pour « violencesinvolontaires », « mise en danger de la vie d’autrui » ou « abstention de prendre desmesures de nature à éviter un sinistre ».
Nul ne sait, à ce stade, si elles aboutiront.Des mois, voire des années, seront nécessaires pour les trier et éventuellement les instruire, mais le fait même que la menace judiciaire existe est une épée de Damoclès qui suscite deux réflexes protecteurs. Le premier consiste à se conformer scrupuleusement à la norme, y compris lorsque l’urgence sanitaire nécessiterait, au contraire, de s’en affranchir. Un certain nombre de lenteurs administratives constatées notamment lors de l’élaboration de la politique de tests peuvent être directement rattachées à cette préoccupation. L’autre réflexe vise à obtenir du législateur des dispositions plus protectrices.
A la veille du déconfinement, les entreprises privées, qui vont devoir gérer le retourprogressif des salariés sur leurs lieux de travail, et les maires, à qui il incombe d’assurer une rentrée scolaire à haut risque, accentuent la pression sur le gouvernement afin que leur responsabilité pénale puisseêtre largement dégagée. Lundi 4 mai au soir, lors de l’examen en première lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a ainsi voté, contre l’avis du gouvernement, et à la quasiunanimité, un amendement particulièrement protec
teur pour les maires. Il stipule que, pendantl’état d’urgence sanitaire, « nul ne peut voir sa responsabilité engagée du fait d’avoir soitexposé autrui à un risque de contamination,soit causé ou contribué à causer une telle contamination », à moins que les faits aientété commis « par imprudence ou négligence » ou « en violation manifestement délibérée (…) d’une obligation particulière deprudence ou de sécurité ».
La garde des sceaux, Nicole Belloubet, yétait hostile car l’amendement revient àsupprimer la faute caractérisée qui permet d’engager la responsabilité pénale. Le gouvernement se donne jusqu’à la fin de la semaine pour tenter de trouver un accord autour d’un dispositif moins dérogatoire, sans être cependant assuré d’avoir la force politique pour convaincre.
Or, en l’état actuel, le texte voté pose troisproblèmes. D’abord, il crée une forte distorsion de traitement entre les maires et les autres décideurs sans qu’on en comprenne la raison. Ensuite, il revient à amoindrir leprincipe de responsabilité en généralisant l’idée que, durant l’état de siège sanitaire, on peut être responsable mais pas coupable. De ce fait, il ouvre la voie au soupçon del’amnistie, déjà brandi par Marine Le Pen. Pour ces trois raisons, il est souhaitable queles élus reviennent à la raison, car si la peurest compréhensible, elle peut aussi devenir mauvaise conseillère.
L’ÉTAT FAIT SON GRAND RETOUR ;
PLUS TARD, À L’HEURE DES BILANS,
ON TENTERA DE DISCERNER DE
QUEL ÉTAT ON PARLE
L’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE N’EST PAS DÉFENDABLE
GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUEpar sylvie kauffmann
Du chaos émergeune nouvelle normalité
BEAUCOUP DE PETITS PAYS ONT
EU LE RÉFLEXE IMMÉDIAT DE FERMER
LEURS FRONTIÈRES POUR SE PROTÉGER
Tirage du Monde daté mercredi 6 mai : 140 886 exemplaires
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