Le Monde - 07 05 2020

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JEUDI 7 MAI 2020 76 E ANNÉE– N O 23428 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA LE MONDE DES LIVRES – 4 PAGES ASSISES DU ROMAN ; LE PANGOLIN, OU LA CONTINGENCE DANS L’HISTOIRE LE REGARD DE PLANTU Dans un jugement rendu public mardi, la Cour cons- titutionnelle allemande exige de la Banque centrale européenne qu’elle justifie son programme d’achat de dettes (« quantitative easing ») lancé en 2015 PAGES 14-15 Economie Les juges allemands mettent la BCE sous pression… Selon les prévisions de la Commission qui doivent être publiées mercredi, l’UE va voir son PIB chuter de 7,4 % en 2020. Il lui faudra deux ans pour s’en remet- tre. Et les divergences entre l’Europe du Nord et du Sud se seront encore accrues PAGE 14 … alors que les prévisions de l’UE sont très sombres Les résidents des établis- sements pour personnes âgées dépendantes repré- sentent la moitié des victi- mes de l’épidémie. Faute de masques et de tests PAGES 2-3 Ehpad Des retards et des carences catastrophiques COVID : LA BATAILLE DE LA PROTECTION JURIDIQUE Après la lettre des maires réclamant le report de la réouverture des classes, les associations d’élus lancent une nouvelle offensive A leur demande, la majo- rité sénatoriale a adopté un amendement qui restreint la responsabilité pénale des maires en cas de contamination Cette modification a été adoptée lundi contre l’avis du gouvernement, qui fait valoir le risque de rupture d’égalité devant la loi pénale De leur côté, six organi- sations d’employeurs dont le Medef ont également obtenu du Sénat davantage de protection juridique PAGES 8-9 ET 12 Le manifeste de Nicolas Hulot pour l’ après-Covid Dans un entretien au « Monde », l’ex- ministre prône une « transformation radi- cale et cohérente » et détaille ses priorités « J’espère que cette crise va éveiller les es- prits », dit-il, invitant le chef de l’Etat à en- gager « un vrai chan- gement de modèle » « C’est le moment de débattre du revenu universel ou de la re- valorisation des mé- tiers vitaux », indique- t-il à titre d’exemple Juliette Binoche, Iggy Pop, Madonna et 200 ar- tistes refusent un retour au monde d’avant et à sa catastrophe écologique P. 10-11 ET IDÉES P. 28 À 30 Europe L’extrême droite ne semble pas tirer profit de la crise sanitaire PAGES 6-7 Géopolitique D’un chaos transitoire émerge une nouvelle normalité CHRONIQUE – PAGE 31 Analyse La mémoire collective blessée de l’ancien empire soviétique PAGE 18 1 ÉDITORIAL L’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE N’EST PAS DÉFENDABLE PAGE 31 Le milliard de masques chirurgicaux achetés lors de la crise du virus H1N1 a semblé en 2010 inutile et onéreux. Troisième volet de notre série HORIZONS – PAGES 20-21 Enquête 2010 : les stocks de masques abandonnés CÉDRIC JACQUET/ NATURIMAGES Après 55 jours de tête à tête, vous ne pouvez plus le voir en couture ? Dans nos magasins parisiens, des offres exceptionnelles sur les plus grandes marques : Burov, Duvivier, Fama, Leolux, Neology, Steiner, Stressless ® ... Espace Topper Site de rencontre de votre prochain canapé ! Literie, armoires lits, dressings, gain de place, mobilier contemporain : toutes nos adresses sur www.topper.fr CANAPÉS PARIS 15 e • 7J/7 • 9H30-20H M° Boucicaut, parking gratuit © 63 rue de la Convention, 01 45 77 80 40 147 rue Saint-Charles, 01 45 75 02 81 UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

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JEUDI 7 MAI 202076E ANNÉE– NO 23428

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

LE MONDE DES LIVRES – 4 PAGES  ASSISES DU ROMAN ; LE PANGOLIN, OU LA CONTINGENCE DANS L’HISTOIRE

LE REGARD DE PLANTU

Dans un jugement rendu public mardi, la Cour cons­titutionnelle allemande exige de la Banque centrale européenne qu’elle justifie son programme d’achat de dettes (« quantitative easing ») lancé en 2015PAGES 14-15

EconomieLes juges allemands mettent la BCE sous pression…

Selon les prévisions de la Commission qui doivent être publiées mercredi, l’UE va voir son PIB chuter de 7,4 % en 2020. Il lui faudra deux ans pour s’en remet­tre. Et les divergences entre l’Europe du Nord et du Sud se seront encore accruesPAGE 14

… alors que les prévisions de l’UE sont très sombres

Les résidents des établis­sements pour personnes âgées dépendantes repré­sentent la moitié des victi­mes de l’épidémie. Faute de masques et de testsPAGES 2-3

EhpadDes retards et des carences catastrophiques

COVID : LA BATAILLE DE LA PROTECTION JURIDIQUE ▶ Après la lettre desmaires réclamant le reportde la réouverture desclasses, les associationsd’élus lancent unenouvelle offensive

▶ A leur demande, la majo­rité sénatoriale a adoptéun amendement quirestreint la responsabilitépénale des maires en casde contamination

▶ Cette modificationa été adoptée lundi contrel’avis du gouvernement,qui fait valoir le risquede rupture d’égalitédevant la loi pénale

▶ De leur côté, six organi­sations d’employeurs dontle Medef ont égalementobtenu du Sénat davantagede protection juridiquePAGES 8-9 ET 12

Le manifeste de Nicolas Hulot

pour l’après-Covid▶ Dans un entretienau « Monde », l’ex­ministre prône une« transformation radi­cale et cohérente » etdétaille ses priorités

▶ « J’espère que cettecrise va éveiller les es­prits », dit­il, invitantle chef de l’Etat à en­gager « un vrai chan­gement de modèle »

▶ « C’est le moment dedébattre du revenuuniversel ou de la re­valorisation des mé­tiers vitaux », indique­t­il à titre d’exemple

▶ Juliette Binoche, IggyPop, Madonna et 200 ar­tistes refusent un retourau monde d’avant et à sacatastrophe écologiqueP. 10-11 ET IDÉES P. 28 À 30

EuropeL’extrême droite ne semble pas tirer profit dela crise sanitairePAGES 6-7

GéopolitiqueD’un chaos transitoire émergeune nouvellenormalitéCHRONIQUE – PAGE 31

AnalyseLa mémoire collective blesséede l’ancien empire soviétiquePAGE 18

1 ÉDITORIALL’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE N’EST PAS DÉFENDABLEPAGE 31

Le milliard de masques chirurgicaux achetés lors de la crise du virus H1N1 a semblé en 2010 inutile et onéreux. Troisième volet de notre sérieHORIZONS – PAGES 20-21

Enquête2010 : les stocks de masques abandonnés

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Ehpad : autopsie d’une catastrophe annoncée

Plus de 12 700 résidents d’Ehpad sont morts du Covid. « Le Monde » a enquêté sur les dessous de cette tragédie, dans laquelle deux tiers des établissements ont déclaré avoir eu une contamination

D epuis le début l’épidémie,plus de la moitié des25 531 victimes du Covid­19vivaient en maison de re­traite. Au total, quelque12 769 résidents en Etablis­

sements pour personnes âgées dépendantes(Ehpad) sont morts depuis le 1er mars, selon le dernier bilan de Santé publique France. Parmi eux, 3 298 sont décédés à l’hôpital.

Alors que les portes de leurs établisse­ments s’ouvrent de nouveau aux familles,directeurs, soignants, médecins estiment avoir mené « une guerre sans arme », sur « unfront sous­estimé » par le gouvernementavec des « directives ministérielles peu claires,inadaptées » et « corrigées » trop tard. Pour ces sentinelles du grand âge, des vies auraient pu être épargnées. « On a vécu une tragédie », s’afflige Malika Belarbi, déléguée nationale CGT et aide­soignante dans lesHauts­de­Seine.

Alors que les premières plaintes en justicede proches de résidents décédés visent l’Etat mais aussi des Ehpad privés lucratifs, « il n’estpas question que l’on paye l’addition pour tout le monde », prévient Florence Arnaiz­Maumé, déléguée générale du Syndicat na­tional des établissements et résidences pri­vés pour personnes âgées (Synerpa). De bonne guerre, elle braque les projeteurs sur les tutelles. « Force est de constater que quandOlivier Véran [ministre des solidarités et de lasanté] a repris nombre de nos demandes, l’administration a déroulé derrière. Mais on a perdu un mois et demi. Un retard à l’allumagesans lequel, affirme­t­elle, on peut penser qu’il y aurait eu moins de morts. »

Le secteur des Ehpad privés non lucratifsest tout aussi sévère contre l’exécutif. « Il y a eu un retard coupable de la prise en comptede la situation dans les Ehpad », lance Marie­Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés (Fehap). Le gouvernement n’est toutefois pas le seul fautif, à ses yeux :« A chaque crise sanitaire, la France a pour ré­flexe de protéger la filière des soins, donc l’hô­pital. A l’inverse, les pays nordiques, de cultureanglo­saxonne, l’Allemagne notamment,prennent d’abord en compte la situation despersonnes vulnérables. »

Au sein de l’Etat, « la gestion de crise s’estfaite, comme souvent en pareilles circonstan­ces, de façon séquencée, observe l’ancienne secrétaire d’Etat, aujourd’hui présidente de laCaisse nationale de solidarité pour l’autono­mie, Marie­Anne Montchamp. La surchauffe à l’hôpital a fait qu’on a manqué de cerveau disponible pour piloter les Ehpad sans, pour autant, laisser suffisamment la capacité auxacteurs de s’organiser sur le terrain ».

Au ministère de la santé, on préfère voirdans ces mises en cause un « jeu d’acteurs » et l’on balaie les reproches. « Il n’y a eu aucundécalage entre la gestion de la crise à l’hôpitalet dans les Ehpad. Elles ont été menées en même temps. La prise de conscience des pro­blèmes a été simultanée. C’est irréfutable ! », riposte­t­on dans l’entourage d’Olivier Véran. Preuve en est que « beaucoup de déci­sions ont été prises début mars pour le secteurmédicosocial » : les visites en Ehpad ont ainsiété interdites dès le 6 mars, bien avant le con­finement national.

L’Etat a beau réfuter tout manquement, lesEhpad n’en ont pas moins livré bataille à ar­mes inégales selon les territoires, notam­ment en Bourgogne­Franche­Comté et dans

le Grand Est. Si le virus a décimé plus de rési­dents à l’est qu’à l’ouest, le Covid­19 est entrépartout : pas moins de 66 % des établisse­ments ont déclaré un cas de contamination. Ouvrir la boîte noire de cette catastrophepermet d’en mesurer les ressorts.

Des carences en masquesCe premier constat est unanime. Le manque de masques a conduit les soignants à trans­mettre le virus à des résidents qui l’ont payé de leur vie. La peur de la pénurie à tous les étages – au niveau de l’Etat, des Agences ré­gionales de santé (ARS) et des directeursd’Ehpad – a conduit à un engrenage funeste.

Depuis le début, assure le ministère, lesEhpad ont été « prioritaires ». Pourtant, la distribution de masques à large échelle n’adémarré que le 22 mars. Entre­temps, malgréun approvisionnement au gré des deman­des, les Ehpad ont manqué de visibilité surl’accès à de nouveaux stocks. L’Etat ayantréquisitionné la production nationale et les importations de masques jusqu’au 21 mars, il leur était quasi impossible de s’en procurersur le marché. La peur du manque s’est ré­pandue. Des directeurs les ont distribués aucompte­gouttes. D’autant que protocole duministère les y encourageait puisqu’il préco­nisait le port de masques en cas de Covid avéré ou suspecté. Et non de manière pré­ventive. Certains directeurs ont même étéjusqu’à les mettre sous clé.

Le 22 mars, Olivier Véran annonce ladistribution de 500 000 masques par jour. Dès lors, la doctrine évolue : tout Ehpad devra recevoir des masques à raison de deuxpar résident, « même s’il n’a pas de cas de Covid », précise le ministère.

Malgré de multiples consignes envoyéesaux ARS pour clarifier la ligne auprès desEhpad, « un cafouillage » sur les règles de dis­tribution a perduré, selon un acteur le dos­sier. Aide­soignante dans un Ehpad associa­tif à Montreuil, Maya (le prénom a été modi­fié) a vécu des situations qui l’ont révoltée. « J’ai vu des collègues, faute de masque et de surblouse, refuser de rentrer dans les cham­bres de malades du Covid. Des résidents sontalors restés sans médicament et sans manger.Les infirmières n’ont pas voulu aller non plus àleur chevet pour leur prodiguer leur traite­ment. Certaines avaient pourtant accès auxmasques, contrairement aux soignants. »

« Il y a eu une sous­estimation initiale desbesoins des Ehpad parce que l’attention des pouvoirs publics a été concentrée unique­ment sur ce qui se passait en réanimation, confirme Marc Bourquin, conseiller stratégi­que de la Fédération hospitalière de France (FHF). On peut le comprendre mais c’était uneerreur, la suite l’a prouvée. Ce n’est pas faute d’avoir alerté sur la nécessité de traiter les Ehpad comme on a traité l’hôpital. »

Un manque de testsA Chichilianne en Isère, le maire a déposé unbouquet de jonquilles sur la tombe de Geor­ges Joubert au début du printemps. Le méde­cin urgentiste, venu pour tenter de réanimerl’ancien enseignant, dans sa chambre à la maison de retraite à Marseille, a obtenu qu’ilsoit testé in extremis, raconte sa fille, Cathe­rine Duba Joubert. « Il l’a été sur son lit de mort alors que je demandais depuis des jours à la direction de l’établissement qu’il soit dé­pisté. » Le résultat indiquant qu’il était por­

teur du Covid­19 est arrivé après son décès… « Un test réalisé plus tôt aurait permis qu’il soit soigné », soupire celle qui a enterré son père le 8 avril au pied du mont Aiguille.

Au sujet des tests, la critique des acteurs estpresque aussi virulente. La ligne initiale du ministère a d’abord été restrictive : à partirde trois cas testés positif en Ehpad, il leur a été recommandé de cesser le dépistage, con­sidérant que le foyer infectieux était identi­fié. Quand, le 30 mars, le Conseil scientifiquechargé du suivi de l’épidémie indique « que les nouvelles capacités de tests diagnostiques devraient être prioritairement orientées vers les établissements médico­sociaux », rappelle le ministère, il a « été alors décidé de flécher une immense majorité de ces nouvelles capa­cités de tests vers les Ehpad ».

La doctrine a failli être fatale pour JeanneSimon. Sur la foi d’une petite fièvre, cette ré­sidente d’un Ehpad privé à Marseille a été placée dans l’aile des résidents qui mon­traient des symptômes du Covid. Trois testsconsécutifs ont établi après coup qu’ellen’avait pas contracté la maladie. Jeanne a re­trouvé sa chambre mais, regroupée une di­zaine de jours avec des malades, elle a couru le risque d’être contaminée faute de test préalable. Comme la fille de Georges Joubert,Marina ne peut s’empêcher de penser que son père aurait pu être sauvé s’il avait été testé plus tôt. En convalescence dans un éta­blissement privé à Sartrouville (Yvelines),« mon père n’a été testé que parce que l’hôpi­tal où il devait être transféré a exigé qu’il lesoit ». C’est seulement au lendemain de son décès que le test a révélé qu’il était positif.

Certains Ehpad et quelques ARS se sonttoutefois affranchis de la consigne des « troistests maximum » pour dépister largement les résidents avant le 6 avril. L’ARS de la Nou­velle­Aquitaine a initié dès la fin mars un dé­pistage systématique des résidents et despersonnels de tous les Ehpad dès la premièresuspicion de Covid. En Provence­Alpes­Côtéd’Azur, le dépistage généralisé des résidents de l’Ehpad de Mauguio (Hérault) a permis dedétecter des symptômes de la maladie jus­que­là inconnus (diarrhée, chutes).

Une prise en charge à l’hôpital inégaleTous les Ehpad touchés par le Covid ont étéconfrontés à la difficulté de la prise en chargedes malades. D’une région à l’autre, les chan­ces de pouvoir les hospitaliser quand leurétat le permettait ont été très inégales. En

Bourgogne­Franche­Comté, « nous avons eubeaucoup de refus de transferts de la part duSAMU ou des hôpitaux au début de la crise », rapporte la patronne du Synerpa.

Des refus liés à la saturation des hôpitaux,mais qui ont « été une perte de chance pour certains résidents, poursuit Mme Arnaiz­Maumé. Il a fallu attendre le 23 mars pour quele ministère installe une ligne directe permet­tant aux Ehpad de joindre le SAMU sans com­poser le 15, trop souvent saturé ». A partir de lafin mars, des lits ont été mis à disposition desEhpad dans des hôpitaux de proximité rap­pelle le ministère. « Les chiffres montrent que les personnes âgées et même très âgées ont été, au final, très nombreuses à avoir étéhospitalisées », fait­on valoir. De fait, un peu plus de 43 % des personnes hospitaliséespour Covid ont plus de 80 ans. Avec toutefoisd’importants écarts régionaux. En Ile­de­France, 20 % des résidents d’Ehpad victimesdu Covid sont morts à l’hôpital. Soit 1 000sur environ 5 000, depuis le 1er mars. Dans lesHauts­de­France, ils sont environ 40 %.

Un modèle à revoirLa crise a aussi révélé les forces et desfaiblesses des Ehpad. « Les établissements in­tégrés dans les filières gériatriques, relève M. Bourquin de la FHF, ont pu bénéficier de moyens supplémentaires : équipes mobiles degériatrie, appel à des personnels hospitaliers,télé­ expertise. »

A l’inverse, un grand nombre d’Ehpadn’étaient pas préparés au choc. C’est le cas depetites structures communales démunies de tout matériel médical. Une partie de leursrésidents auraient eu sans doute plus de chances d’être sauvés s’ils avaient disposé d’appareil à oxygène mural, mais aussid’aides­soignants ou de médecins généralis­tes alentours prêts à venir en renfort. « Ceconstat ne fait qu’accréditer l’idée qu’il faut renforcer les liens des Ehpad avec l’ensembledes hôpitaux publics sur une même zone »,affirme M. Bourquin.

Le bilan humain de la pandémie « surlignequ’on ne peut plus reproduire le modèle de l’Ehpad tel qu’il existe aujourd’hui », abonde Jérôme Guedj, ex­député (PS) de l’Essonne, missionné par Olivier Véran sur la protec­tion des plus âgés pendant la crise.

D’ores et déjà, à marche forcée, en traver­sant la tourmente, les Ehpad ont dû acquérirde nouveaux réflexes. « Nous avons forte­ment avancé, en quelques semaines, dans le traitement de difficultés que l’on essayait de

« IL Y A EU UNE SOUS­ESTIMATION 

INITIALE DES BESOINS DES EHPAD PARCE 

QUE L’ATTENTION DES POUVOIRS PUBLICS A ÉTÉ CONCENTRÉE UNIQUEMENT SUR CE QUI SE PASSAIT EN RÉANIMATION »

MARC BOURQUINconseiller stratégique

de la Fédération hospitalière de France

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0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 3

A l’Ehpad de Thise (Doubs), le 16 avril. SÉBASTIEN BOZON/AFP

Dans quelles conditions sont morts les résidents atteints du Covid­19Si les détresses respiratoires aiguës ne sont pas si fréquentes, les soins palliatifs sont compliqués à mettre en œuvre, assurent les soignants des Ehpad

TÉMOIGNAGES

C omment sont­ils morts ? Ont­ils été accompagnés aux der­niers moments de leur vie ?

Ont­ils bénéficié de soins antidouleurlorsqu’ils en avaient besoin ? Telles sont les questions, lancinantes, que seposent les familles de ceux – et ils sontdes milliers – auxquels le Covid­19, cesdernières semaines, a ôté la vie dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où ils résidaient. Sans queleurs proches, le plus souvent, puis­sent venir leur dire adieu, ni même assister à leur mise en bière.

Dans leur infortune, ces établisse­ments ont eu une chance : la premièrevague de l’épidémie est survenue dans le Grand­Est, région plutôt biendotée en matière de prise en charge du grand âge et d’organisation des soins palliatifs. Présent dans le Haut­Rhin dès début mars, le coronavirusatteint rapidement le Bas­Rhin. Le 15 mars, la barre du millier de cas déclarés est franchie dans le Grand­Est. Les hôpitaux sont au bord de la saturation. Dans les Ehpad, lespremiers décès surviennent.

« Dès ce moment­là, notre ARS[agence régionale de santé] nous asaisis pour répondre à la crainte que lesrésidents développent des symptômes insupportables et que personne ne s’en occupe », relate Véronique Legrain, médecin au Réseau alsacien de soinspalliatifs. Très vite, cette structure de coordination appelle la dizained’équipes mobiles de soins palliatifs du territoire pour que chacune signale aux médecins coordinateurs des Ehpad de son secteur qu’elle est à leur disposition.

Le réseau établit une liste de médica­ments et de matériels nécessaires,puis propose un « protocole simplifié pour la prise en charge symptomati­que de la dyspnée sans intention de sédation et de la détresse respiratoire avec sédation profonde chez un patient âgé “Covid +” en Ehpad » – pro­tocole qui sera par la suite amplementrelayé sur tout le territoire français. Enfin, il organise une astreinte d’infir­mières libérales susceptibles de venir en renfort, la nuit, dans les Ehpad. Apartir du 30 mars, une astreinte télé­phonique avec numéro vert est miseen place, pour laquelle gériatres et experts en soins palliatifs se relaient vingt­quatre heures sur vingt­quatreet sept jours sur sept pour répondre aux sollicitations des Ehpad. Environ quinze appels sont reçus par jour.

Avec toujours les mêmes questions : « Est­ce que je demande un transfert àl’hôpital ? » ; « Est­ce que je limite lessoins ? », « Si oui, avec quels médica­ments ? »

« A partir de là, la situation est deve­nue à peu près contrôlable », résume Brigitte Klinkert. La présidente du conseil départemental ne le cache pas : le Haut­Rhin n’était pas préparé àl’augmentation subite des décèssurvenue dans la deuxième quin­zaine de mars. « On parle souvent de vague, mais chez nous cela a été un véritable tsunami, rappelle­t­elle.Dans les Ehpad, la question de l’accom­pagnement en fin de vie s’est alors po­sée de manière cruciale. Et la situation a entraîné des situations difficiles, avecparfois un accompagnement insatis­faisant. » Le Haut­Rhin compte 74 Eh­pad, soit 7 183 places. Au total, 2 088 ré­sidents y ont été suspectés ou confir­més « Covid + ». Le 28 avril, 630 d’entreeux étaient morts, dont 578 sur le lieude vie et 52 à l’hôpital.

« Fantasme collectif »Morts comment ? Moins mal, semble­t­il, que ce que l’on a pu craindre. Tous les soignants que nous avons interro­gés le répètent : les personnes âgéesemportées par le Covid n’ont pas toutes connu une détresse respira­toire aiguë, tant s’en faut. « Les équipesdu Grand­Est nous avaient avertis quecertains patients mourraient en s’étouffant. C’est ce que nous voulionsabsolument éviter, et nos propositions thérapeutiques sont allées dans ce sens­là. Mais en fait, heureusement, cesdécès difficiles ne sont pas la majorité »,affirme Claire Fourcade, vice­prési­dence de la Société française d’accom­pagnement et de soins palliatifs(SFAP). « On est dans un fantasme collectif d’asphyxie, on imagine toutesces personnes âgées, seules dans leur chambre, en train de s’étouffer. La réalité est beaucoup plus nuancée. On peut mourir du coronavirus par épuise­ment, sans passer par la détresse respi­ratoire », confirme Véronique Legrain.

« Sur les 29 résidents de notre Ehpad,27 ont été atteints du Covid, et douze ensont morts, détaille Xavier Mattelaer,médecin de soins palliatifs à la clini­que de la Toussaint, grosse structuremédicale située au cœur de Stras­bourg (Bas­Rhin) dont l’Ehpad a dûgérer un cluster. « Au départ, on se di­sait : “Ils sont tous âgés, ils ont tous descomorbidités, donc ils vont tous mou­rir d’une détresse respiratoire horrible.”Mais, finalement, on a eu onze patientsasymptomatiques – dont une rési­

dente qui va fêter mercredi prochain ses 100 ans est qui est en pleine forme. Et sur les douze résidents que nousavons perdus, il y a eu des détresses res­piratoires, mais ça n’a pas été la règle. »

A La Roselière (Kunheim, Haut­Rhin), Ehpad doté d’un médecin et de huit infirmières, on déplore douzemorts sur 115 résidents. Mais aucun cas de détresse respiratoire aiguë. « Laplupart sont morts durant la journée, quasiment d’un instant à l’autre. Comme si l’infection avait accéléré leurdégradation générale avant qu’ils n’ar­rivent à des complications pathologi­ques extrêmes », avance le docteurMarc Bouché, président du conseild’administration de l’établissement.

Au centre départemental de repos etde soins (CDRS) de Colmar (Haut­Rhin), le bilan que donne le chef du pôle médical, Stéphane Carnein, est plus contrasté : sur la trentaine de résidents (sur 340) décédés ces derniè­res semaines, « certains sont claire­ment morts du Covid et l’on a mis en place, quand il le fallait, les protocolesde fin de vie qui avaient été prévus ». Autrement dit : beaucoup d’oxygènepour les aider à respirer le mieuxpossible et, si cela ne suffisait pas, unesédation profonde et continue.

Dans ces trois Ehpad du Grand­Est,pourtant relativement privilégiés sur le plan médical, le personnel n’en apas moins été démuni devant l’am­pleur et la brutalité des événements. Comment, dès lors, s’étonner que lesstructures défavorisées aient été débordées ? Partout, les remontées sont les mêmes : dans les établisse­ments en difficulté, ce ne sont pastant les produits sédatifs qui ont man­qué que le manque de personnel, et depersonnel formé. « Le plus souvent, lesEhpad sont en lien conventionnel avec une équipe de gériatrie hospitalière et une équipe de soins palliatifs. Mais,dans une crise aiguë comme celle­là, lorsqu’il n’y a la nuit qu’une aide­soi­

gnante pour l’ensemble des résidents, les conseils par téléphone ne suffisentpas », souligne la docteure VéroniqueFournier, présidente du Centre natio­nal des soins palliatifs et de la fin devie. Une réalité qu’a vécue de près la docteure Pauline Rabier, de l’équipemobile de gériatrie de l’hôpital AP­HPdu Kremlin­Bicêtre (Val­de­Marne),qui participe depuis le début de l’épidémie à la régulation d’une ving­taine d’Ehpad dans ce secteur de la ré­gion parisienne, soit environ un mil­lier de résidents.

Présences des proches« Dans 70 % de ces établissements, j’ai vu des médecins coordinateurs et desmédecins prescripteurs extraordinai­res, qui ont géré les fins de vie quasi­ment vingt­quatre heures sur vingt­quatre, raconte­t­elle. Mais quand iln’y avait ni médecin ni infirmière de nuit, la prise en charge des détressesrespiratoires a parfois été extrême­ment compliquée. Certains maladesont pu être transférés d’urgence à l’hô­pital, mais, le plus souvent, ça n’a pasété possible. Et le personnel s’estretrouvé seul pour accompagner des patients qui sont morts de manière parfois extrêmement brutale. Quand il y a 30 décès en quinze jours dans detelles conditions, comment parler de soins palliatifs ? Il y a des soignants quiont vu des morts franchement pasconfortables. »

En Normandie, zone relativementépargnée par l’épidémie, la cellule éthique régionale mise en œuvre audébut de la crise sanitaire est pilotée par le professeur Grégoire Moutel, chef du service de médecine légale etdroit de la santé au CHU de Caen. « Nous venons d’avoir une réunion de toutes les cellules régionales, et le cons­tat est le même partout : même si detrès bonnes choses ont été faites danscertains Ehpad, les soins palliatifs n’ontglobalement pas pu être mis en œuvre correctement », estime­t­il.

Car l’accompagnement de fin de vie,ce n’est pas seulement des médica­ments, ni même un personnel soi­gnant attentif et aidant. La présencedes proches est un élément essentiel. Or, les proches étaient interdits de visites. Certains n’ont même été pré­venus qu’après le décès, d’autres sesont vu refuser l’accès au dossier mé­dical. « Il y a donc légitimement desgens dans le doute, qui ne savent pas sileurs proches ont bénéficié d’un ac­compagnement de qualité avant de mourir », conclut M. Moutel.

catherine vincent

« LE PERSONNEL S’EST RETROUVÉ SEUL POUR 

ACCOMPAGNERDES PATIENTS QUI 

SONT MORTS PARFOIS TRÈS BRUTALEMENT »

PAULINE RABIERéquipe mobile de gériatrie

de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre

Sources : Santé publique France, Johns Hopkins University Infographie Le Monde

Italie29 315 morts49 décès / 100 000 hab.

Royaume-Uni29 501 morts44 décès / 100 000 hab.

Espagne25 613 morts55 décès / 100 000 hab.

France25 531 morts38 décès / 100 000 hab.

Allemagne (au 4 mai)6 9938 décès / 100 000 hab.

EN EUROPE... PAR DÉPARTEMENT pour 100 000 habitants

de 100 à 123de 50 à 100de 25 à 50Moins de 25

2 972

24 775

987

18 mars 5 mai

Personneshospitalisées

Nouvelles admissionsjournalières

HOSPITALISATIONS...

3 340

18 mars 5 mai

RÉAMINATION ET SOINSINTENSIFS

DÉCÈS EN FRANCE

depuis le 1er marsdont 16 060 à l’hôpitalet 9 471 en Ehpad

25 531

771

DÉCONFINEMENT

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

Pariset départements

limitrophes

Au moins undes deux facteursest rougeAu moins undes deuxfacteursest orange

Les deux facteurssont verts

Synthèse des deux indicateursretenus par le gouvernement :circulation active du viruset tension hospitalièresur les capacitésen réanimation

Epidémie de Covid-19 : situation au 5 mai, 14 heures

surmonter depuis des années », se félicite l’en­tourage du ministre de la santé : la présencemédicale a été renforcée, la téléconsultation déployée, des solutions de renforts en per­sonnels ont été trouvées.

La perspective du déconfinement et deseffets du dépistage massif dans les Ehpad donnent toutefois déjà des sueurs froides à l’équipe d’Olivier Véran. Où trouver les nou­veaux bénévoles qui suppléeront les soi­gnants dépistés malades du Covid, qui ne pourront plus travailler ? Jérôme Guedj sug­gère la création d’une « réserve de volontaires pour le secteur médicosocial » que les départe­ments, au titre du grand âge dans leurs com­pétences, pourraient organiser. « Certains ontété proactifs pendant la crise. Mais la plupart ont raté le coche », assène l’ancien élu.

Entre l’Etat et les départements qui cofi­nancent les Ehpad, un autre dossier brûlantest sur la table. Les Ehpad réclament plu­sieurs centaines de millions d’euros, « d’ici à l’été », pour compenser leurs dépenses majo­rées par la crise et le manque à gagner du faitde l’arrêt des admissions. Emmanuel Maron a promis une prime pour tous les soignants. Les négociations commencent à peine poursavoir ce que chacun mettra de sa poche.

béatrice jérôme

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Page 4: Le Monde - 07 05 2020

4 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123

Le déploiement délicat des « brigades » du Covid­19Un dispositif inédit devrait permettre de tester, de tracer et d’isoler les patients contaminés à partir du 11 mai

L e 11 mai, un dispositif sa­nitaire d’une ampleurinédite démarrera enFrance. Pour briser les

chaînes de transmission et ne pas risquer une nouvelle flambéeépidémique à l’heure du déconfi­nement, tous les patients por­teurs du Covid­19 et tous ceux qu’ils auraient pu contaminer de­vront être testés, tracés et isolés.

Pour y parvenir, une organisa­tion ad hoc a dû être construite detoutes pièces en urgence – en seu­lement une dizaine de jours –, même si à ce stade toutes les mo­dalités ne sont pas encore arrê­tées. A la manœuvre : les méde­cins généralistes et, en appui, des « brigades », comme les a quali­fiées le premier ministre, Edouard Philippe, constituées de milliers d’agents de l’Assurance­maladie et des agences régionalesde santé (ARS).

Le défi est colossal. En Ile­de­France, on s’attend par exemple à un millier de nouveaux cas Covid­19 par jour (contre 400 à 600 aujourd’hui), pour lesquels dix à vingt contacts en moyenne seront recherchés. Entre 10 000 et20 000 personnes devraient donc être identifiées et appelées, même si l’ARS table plutôt sur la fourchette basse. Chaque départe­ment français verra son niveau dedéconfinement lié à l’efficacité de son « système local de tests et de détection des cas contacts », a pré­venu Matignon.

Dans le département du Bas­Rhin, où l’on anticipe de 60 à 120 cas par jour, la Caisse primaire

d’assurance­maladie (CPAM) a mobilisé 200 agents, soit presque un cinquième de ses effectifs. Sur toute la France, 4 000 salariés de la CPAM vont être affectés dans unpremier temps à ces plateformes d’appel. A partir du 11 mai, chaque patient diagnostiqué positif sera recontacté après son passage chez son généraliste de manière à iden­tifier toutes les personnes avec qui il a eu un échange d’au moins quinze minutes à moins d’un mè­tre depuis quarante­huit heures avant l’apparition des symptô­mes. « On ne va pas rechercher les personnes croisées dans la rue, ex­plique Maxime Rouchon, le direc­teur du site. Mais on sait très bien que dans le milieu professionnel, le patient n’aura pas forcément tous les contacts. Il y aura donc un tra­vail d’investigation pour recher­cher les coordonnées. »

Equipes mobilesObjectif de tous ces appels : inviterles cas contacts à se faire tester, gratuitement et sans prescription,dans un laboratoire indiqué par la CPAM. Des masques seront égale­ment proposés. Les personnes contaminées seront par ailleurs invitées à rester confinées à leur domicile pendant quatorze jours ou à se rendre dans un héberge­ment préconisé par les services desanté. « On s’assure aussi qu’il n’y apas de difficultés pour se rendre au laboratoire ou que l’isolement est possible à domicile », précise le di­recteur de la CPAM de Strasbourg.

A cinq jours de son lancement,les contours définitifs du disposi­

tif n’étaient toutefois pas tout à fait arrêtés. Mardi 5 mai, certainesARS étaient, par exemple, incapa­bles de dire si des équipes mobiles– mises en place en lien avec le préfet – allaient venir en soutien aux plates­formes téléphoniques. En Ile­de­France, de telles équipes sont en place depuis la mi­avril dans quatre hôpitaux de l’Assis­tance publique­Hôpitaux de Paris (AP­HP) dans le cadre du pro­gramme « Covisan ». Cette fois, « c’est ni plus ni moins le déploie­ment de Covisan à grande échelle, on passe à un niveau “industriel” »,résume­t­on à l’ARS Ile­de­France.

Chaque jour, ces intervenants serendent dans les familles où des cas potentiels ont été signaléspour proposer un dépistage et un isolement à l’extérieur du loge­ment si nécessaire. « Idéalement,il faudrait avoir 500 équipes dé­ployées juste à Paris pour parvenir à casser la chaîne des transmis­sions et étouffer le virus », estime Jean­Sébastien Molitor, de l’ONG Solidarités international, venu participer au projet.

Outre cet appui de terrain auxCPAM, les ARS sont spécifique­ment chargées d’enquêter sur les « cas complexes » de contamina­tion collective. Celle d’Ile­de­France, en collaboration avec des ONG comme Médecins sans fron­tières (MSF), déploie déjà des équi­pes mobiles dans des foyers de migrants, des camps de sans­pa­piers, des centres de demandeurs d’asile… En un mois, environ 230 sites ont été visités. « Tout ce qui a fait ses preuves, on va continuer

à s’appuyer dessus », explique Luc Ginot, directeur de la santé publi­que à l’ARS. Alors que le premier ministre avait évoqué la possibi­lité de mobiliser « des personnels des centres communaux d’action sociale, des mairies, des départe­ments, ou [des personnes] mises à disposition par les grandes asso­ciations, par exemple la Croix­Rouge », ces contributions n’ont à ce stade pas été retenues.

A Bordeaux, on s’étonne de nepas encore avoir été sollicité : « Lesservices de la ville et le maire se tiennent à la disposition de l’ARSmais pour l’instant, les brigades sanitaires, ça reste un point d’in­terrogation. Si les communes doi­vent être associées, il serait temps de s’en occuper, surtout qu’il y a d’autres priorités avec la rentrée, ledéconfinement, etc. » Dans le Gers,le département a déjà fait des of­fres de service pour mettre à dis­position des agents pour apporterde l’aide alimentaire ou du sou­tien psychologiques.

Pendant une première périodede rodage, l’Assurance­maladie aprévu d’être seule à la manœuvre.

« Dans un deuxième temps, après quinze jours ou trois semaines defonctionnement, précise M. Rou­chon, on pourra envisager d’avoir recours à d’autres structures et en tout état de cause sur la base d’un cahier des charges précis. »

Les médecins généralistes se­ront en première ligne de ces « bri­gades d’anges gardiens », comme les a surnommées le ministre de la santé, Olivier Véran, le 2 mai. A compter du 11 mai, si un patient est testé positif, il leur sera de­mandé d’inscrire son identité et de renseigner le maximum de noms de personnes qui sont en­trées en contact avec lui, en re­montant jusqu’à quarante­huit heures avant l’apparition des symptômes. Pour les encourager à poursuivre l’enquête au­delà de la famille proche, outre les 55 euros de forfait pour la consul­tation, l’Assurance­maladie leur versera 2 euros « à chaque contact supplémentaire, pour le nom, le prénom, la date de naissance », et 4 euros « s’ils trouvent les coordon­nées permettant de le joindre ».

« Violer le secret médical »« Tracer le patient, c’est facile. Safamille, c’est déjà plus compliqué,si elle n’est pas trop nombreuse, je pourrai éventuellement deman­der l’aide de ma secrétaire, mais aller enquêter sur qui nos patients ont croisé, je n’aurai pas le temps », insiste Xavier Marc­Tu­dor, généraliste à Nantes. Tous lesmédecins interrogés sont scepti­ques sur la faisabilité d’enquêter au­delà du seul cercle familial.

« A un niveau plus large, ça vaêtre un casse­tête ; quid du patientqui prend la ligne 13 ? », demandeXavier Geanty, généraliste pari­sien. Autre interrogation : les la­boratoires de ville seront­ils en capacité de faire les tests de dé­pistage dans les plus brefs délais ?

La principale critique porte surle traçage des patients. « J’ai l’im­pression que je vais devoir violer le secret médical, confie sous cou­vert d’anonymat un généraliste d’Orléans. On va devoir traquer les gens. Même pour les patients at­teints de sida on n’a pas fait pas ça. » « Ethiquement j’émets des ré­serves. Il est hors de question qu’unmédecin déclare qui que ce soit sans son accord », renchérit Jean­Luc Fontenoy, président du con­seil de l’ordre des médecins de Sei­ne­Saint­Denis.

Interrogée sur cette crainte deviolation du secret médical, la CPAM du Loiret assure que la question ne se pose pas dans la mesure où « [ses] agents y sont eux­mêmes soumis ». Une loi fixant un cadre précis sur le champ des structures habilitées à intervenir devrait être votée cette semaine. L’un des points les plus délicats, à savoir divulguer lenom du patient contaminé lorsde l’appel aux personnes contact, n’a pas encore été tranché. « Mais si on le fait, dans tous les cas, cesera avec l’accord du patient », assure Maxime Rouchon.

françois béguin, stéphane mandard, elisabeth pineau,

camille stromboni etfaustine vincent

Application StopCovid : une sortie espérée « à partir du 2 juin » en FranceLe secrétaire d’Etat chargé du numérique a annoncé un nouveau calendrier pour le projet destinée au traçage des malades

D es premiers tests à partirde la semaine du 11 mai ;une présentation et un

vote au Parlement la semaine du 25 mai, conformément à la vo­lonté d’Edouard Philippe ; puis, si tout fonctionne, le déploiementen France envisagé à partir du 2 juin. C’est le calendrier prévu pour l’application StopCovid, ac­tuellement développée en France par des chercheurs et des entre­prises sous la houlette du gouver­nement, tel que l’a présenté, mardi 5 mai, Cédric O, le secré­taire d’Etat chargé du numérique,sur l’antenne de BFM­TV.

Des incertitudes planent tou­jours sur le fonctionnement concret de ce projet d’application,qui devait originellement être présenté à l’Assemblée et au Sénatla semaine dernière, en mêmetemps que le reste du plan de dé­confinement. Faute d’un proto­type suffisamment abouti, le projet n’a pas été débattu.

Mais Cédric O a soutenu, mardimatin, qu’un premier jet de l’ap­plication serait bien fonctionnelau 11 mai pour une phase de tests. En revanche, l’un des points­clés qui limiteront le fonc­tionnement de StopCovid ne serapas réglé à cette date : le secrétaired’Etat au numérique a confirmé, mardi, que les discussions en cours depuis deux semaines en­tre la France et Apple n’avaient pas abouti. Le gouvernement était engagé dans un bras de feravec l’entreprise californienne pour tenter d’obtenir une déroga­tion spécifique, nécessaire pour faire fonctionner au mieuxStopCovid sur les iPhone.

En effet, Apple, autant queGoogle, limite l’accès aux cap­teurs Bluetooth des smartphonespour les applications qui fonc­

tionnent en « arrière­plan », c’est­à­dire qui tournent en tâche de fond mais qui ne sont pas concrè­tement utilisées et affichées surl’écran de l’utilisateur. Or, le Bluetooth est l’outil central de l’application StopCovid, qui per­mettra de déterminer si deuxpersonnes ont été en contact pro­longé alors que l’une d’elles est malade du Covid­19. Consé­quence pratique : StopCovid ne fonctionnera à pleine capacité que si elle est en permanence affi­chée par l’utilisateur d’un iPhone.Cela devrait aussi être le cas sur la version de l’application prévue pour Android, Google étant sur une ligne similaire à celle d’Apple.

Vie privée et accès aux donnéesCes limitations sont nécessairespour empêcher tout type d’appli­cation d’espionner les utilisa­teurs à leur insu, et aussi pour protéger la durée de vie des batte­ries de téléphone, expliquent Google et Apple. Les deux entre­prises, dont les systèmes d’exploi­tation pour appareils mobiles(Android et iOS) équipent la qua­si­totalité des smartphones des Français, ont du reste proposé une solution alternative : une in­terface de programmation com­mune, qui ne sera pas soumise à ces limitations.

Elles ont d’ailleurs présenté,lundi 4 mai, les grands principeset détails techniques de fonction­nement de cette interface. Parmi eux, le fait que les applications quireposeront sur le système techni­que créé par Apple et Google ne pourront être publiées que par des Etats ; qu’il ne pourra y avoir qu’une seule application l’utili­sant par pays ; que les données collectées seront limitées ; que la publicité sera interdite dans l’ap­

plication ; et qu’elles ne pourront en aucun cas accéder à la géoloca­lisation GPS de l’utilisateur. Des principes plutôt protecteurs, maisqui n’ont pas convaincu le gouver­nement français. Le projet Stop­Covid repose sur un autre sys­tème, davantage « centralisé » et « souverain », utilisant le proto­cole « Robert » conçu par l’Inria.

La France espérait qu’elle pour­rait bénéficier d’une exemption de la part d’Apple afin de pouvoir accéder sans limitations au Bluetooth pour son application. « Qu’une entreprise [Apple] qui, quelque part, ne s’est jamais aussi bien portée en termes économi­ques qu’en ce moment n’aide pas un gouvernement à lutter contre lacrise… On saura s’en souvenir le moment venu », a regretté Cédric O mardi matin sur BFM­TV.

Plusieurs pays qui développentune application de suivi des con­tacts ont opté pour la solutionproposée par Apple et Google, à commencer par l’Allemagne. Le Royaume­Uni, en revanche, est sur un modèle et un calendrierproches du projet français.

A Singapour, où la première ap­plication de ce type avait été déve­loppée, le gouvernement a dûchanger de stratégie : bridé par lesmêmes problèmes d’accès au Bluetooth, le gouvernement a instauré, dimanche, en complé­ment, un système de QR Code queles citoyens doivent scanner à l’entrée des lieux publics.

Un seul point fait, en tout cas,consensus : une application ne pourra jamais suffire pour retra­cer tous les contacts et isoler les patients à risque. En France, ce suivi « manuel » sera effectué par l’Assurance­maladie et les agen­ces régionales de santé.

damien leloup

Pendant une première période

de rodage, l’Assurance-

maladie a prévud’être seule

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Page 5: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 5

Birmanie : une guerre ignorée redouble d’intensitéLe conflit entre l’armée et la guérilla arakanaise est de plus en plus âpre malgré la menace du virus

bangkok­ correspondanten Asie du Sud­Est

C’ est une guerre in­tense et violente quiexplose à bas bruitdans le grand désor­

dre du monde : en Birmanie, dans le nord de l’Etat de l’Arakan, déjà marqué par la tragédie lors de la violente répression militaire qui s’était abattue il y a trois et quatre ans contre la minorité musul­mane des Rohingya – près de800 000 personnes enfuies au Bangladesh voisin et sans doute une dizaine de milliers de morts –,un autre conflit presque ignoré re­double de violence.

Le Covid­19, qui circule sansfaire de ravages, n’empêche pas que la guerre se poursuive dans cepays perpétuellement confronté depuis l’indépendance de 1948aux rebellions d’ethnies minori­taires. Sur le plan sanitaire, l’épi­démie se chiffre, officiellement, à 151 cas d’infections et six morts. Pour 54 millions d’habitants…

Ce conflit oppose l’armée bir­mane et les combattants de l’Ara­kan Army (AA), une guérilla d’en­viron huit milliers d’hommes – et de femmes – proclamant être en lutte pour forcer le gouvernement central à accorder un statut d’autonomie à leur Etat. Depuis que, début 2019, les véritables hos­tilités ont été déclenchées entre la Tatmadaw – l’armée régulière – et les combattants arakanais, la si­tuation n’a cessé d’empirer. A l’audace des guérilleros, habiles à l’embuscade et n’hésitant plus à assiéger des places fortes de l’ar­mée, répond la violente réplique des gouvernementaux. Ces der­niers, en dépit de leur puissance defrappe supérieure, sont régulière­ment mis en échec par les rebelles.

« L’offensive de la dernière saisonsèche par les forces combinées del’armée, de l’aviation et de la ma­rine contre l’AA a été la plus ample,la plus intense et la plus longue de toutes les opérations militairesmenées en un peu plus de soixan­te­dix ans d’indépendance », af­firme l’analyste Tony Davis, cor­respondant en Asie du Sud­Est de la revue Jane’s Defence Weekly,spécialisée dans les questions mi­litaires. Il ajoute : « L’ampleur deces opérations reflète la menace sans précédent que représente l’Arakan Army pour un Etat central

dominé par les Bamars [l’ethnie majoritaire, représentant environ70 % de la population]. »

Comme souvent dans l’histoiredes rebellions de Birmanie, ce sontles populations civiles qui pâtis­sent en premier de la guerre. L’ONG Arakan Information Cen­ter, basée en Malaisie, a comptabi­lisé 45 morts non combattants pour la seule première moitié d’avril.

En tout, 150 civils auraient ététués depuis le début de l’année. Le20 avril, un chauffeur transpor­tant des prélèvements de l’Orga­nisation mondiale de la santé pour tester la population locale au Covid­19 a été abattu au volantd’un véhicule pourtant marqué « ONU ». Les adversaires se sontmutuellement accusés de la res­ponsabilité de l’incident.

Juste avant la fin de son mandaten tant que rapporteuse spécialede l’ONU pour le Myanmar (nom officiel de la Birmanie), la diplo­mate sud­coréenne Lee Yanghee aaccusé, le 29 avril, la Tatmadaw de« violer systématiquement lesprincipes les plus fondamentauxau regard des lois internationales sur les droits de l’homme ». Elle a également évoqué l’éventualité de « crimes de guerre et de crimescontre l’humanité » perpétrés parl’armée.

Après avoir été accusée de géno­cide par l’ONU à propos de la ques­tion des Rohingya et appelée àcomparaître en décembre 2019

devant la Cour de justice interna­tionale de La Haye, la Birmanie pourrait­elle se retrouver à nou­veau sur la sellette ?

Il reste cependant difficile d’as­socier la violence parfois aveugle de l’armée avec la stratégie d’épu­ration ethnique précédemment mise à l’œuvre contre les Rohin­gya. Cette fois l’ennemi est boudd­histe et parle une langue proche du birman, alors que les Rohingya sont souvent désignés comme des étrangers et traités de « Benga­lis » en raison de leurs proximité linguistique, religieuse et cultu­relle avec le Bangladesh voisin.

L’accusation de crimes deguerre est cependant plausible : « Les soldats birmans tirent sur les gens et brûlent les maisons, ils sontdingues ! », raconte au téléphone depuis Sittwe, capitale de l’Ara­kan, un jeune homme deman­dant que son nom ne soit pas mentionné. Des membres de safamille ont vu, comme beaucoup d’autres, leurs villages incendiés et pillés par l’armée. Qui, sous

prétexte d’un possible soutiendes populations à la guérilla, en profite pour pratiquer une politi­que de la terre brûlée. « Les Occi­dentaux ont réagi au calvaire des Rohingya mais on tue les Araka­nais dans l’indifférence générale », déplore le jeune homme.

Le regret d’un passé glorieuxDes photos et des vidéos circulentsur Internet et les réseaux so­ciaux, montrant des MIG­29 de fa­brication russe lâchant des bom­bes au pied de montagnes, des hé­licoptères survolant des villagesen feu, mais aussi des civils gardéspar l’armée dans des camps de re­groupement. Le conflit a provo­qué la fuite d’environ 160 000 per­sonnes. Mais ces témoignages vi­suels, quoique vraisemblables, sont difficilement vérifiables.

Le conflit ne peut plus être cou­vert de manière indépendante,une grande partie du nord de l’Etat étant interdite aux journa­listes et aux étrangers en général. Internet a été coupé et, après

Rodrigo Duterte suspend la principale chaîne des PhilippinesEn pleine pandémie, ABS­CBN, souvent ciblée par le dirigeant populiste, a cessé d’émettre en raison du non­renouvellement de sa licence

A BS­CBN, au service desPhilippins. On rend l’an­tenne. » C’est ainsi que la

chaîne de télévision la plus regar­dée de l’archipel aux mains de Rodrigo Duterte a cessé d’émet­tre, mardi 5 mai au soir, sous lescoups de boutoir d’un président ne dissimulant pas son hostilitéenvers les médias qui osent le cri­tiquer. La Commission des télé­communications, organe gouver­nemental, a ordonné la suspen­sion de la diffusion au lendemainde la date d’échéance de la licencedu groupe de médias, qui n’a pourl’heure pas été renouvelée par un Parlement majoritairement ac­quis au chef de l’Etat.

La suspension survient alors queles Philippines font face à la propa­gation du Covid­19, qui a conta­miné 9 684 habitants de l’archipel et causé la mort de 637 d’entre eux.Le président a ordonné à la police d’abattre ceux qui se montre­raient réfractaires au confine­ment décrété sur l’île principale, Luzon. L’opposition dénonce un calendrier particulièrement nocif pour s’en prendre au premier vec­teur d’information des Philippins.

« La délivrance d’une information précise et dans les meilleurs délais est essentielle dans notre lutte con­tre le Covid­19 », a lancé mardi la sé­natrice Risa Hontiveros.

Quatre ans après l’élection à laprésidence du dirigeant populiste,le climat s’est nettement détériorédans les médias philippins. Sur­tout ceux qui ont couvert en pro­fondeur sa sanglante guerre con­tre la drogue, qui, selon la Com­mission des droits de l’homme dupays, pourrait avoir fait plus de 27 000 victimes lors d’exécutions extrajudiciaires (plus de 5 500,selon la police).

Armée de trollsL’administration Duterte a déjà lancé de multiples procès contre Maria Ressa, la rédactrice en chef du site d’information Rappler, qui a contribué à révéler le fonction­nement de cette campagne d’exé­cutions sommaires : comment les policiers sont devenus des tueurs à gage abattant les jeunes des bi­donvilles qui oubliaient leurs mal­heurs dans la fumée de métham­phétamine. Durant ses vingt ans à la mairie de Davao, une grande

ville du sud du pays, M. Duterte avait été surnommé « le punis­seur », pour avoir déjà mis en place, hors de tout cadre judiciaire,des escadrons de la mort contre la petite délinquance.

Or les caméras d’ABS­CBN ontégalement fait la chronique de cette dérive, en suivant aussi tard que nécessaire dans la nuit les équipes de la police scientifique qui ramassent les cadavres dans les quartiers à risque de Manille.

« Juste parce que vous êtes jour­naliste, vous n’êtes pas à l’abri d’un assassinat si vous êtes un fils de pute, avait menacé le président le 1er juin 2016, au lendemain de son élection, plantant ainsi le décor de son mandat. La liberté d’expressionne vous aidera en rien si vous vous êtes mal comporté. » Dans l’impu­nité qui s’est imposée depuis qua­tre ans, seize journalistes ont été abattus, dont le dernier, un repor­ter de radio locale de 48 ans, mardi.

En parallèle à ses attaques contreles médias, le président Duterte a lancé une armée de trolls sur les réseaux sociaux. Ils y propagent les rumeurs – comme celle selon laquelle Maria Ressa et d’autres

journalistes seraient aux mains dela CIA américaine – qui sont repri­ses ensuite par l’entourage du chefde l’Etat et enfin par M. Duterte lui­même, lorsque le doute a déjà in­fusé chez une partie des citoyens. Malgré tout le sang versé, l’opi­nion, épuisée par l’insécurité et abreuvée de sa communication, continue de soutenir largement le président dans les sondages.

M. Duterte accuse par ailleurs legroupe ABS­CBN d’avoir refusé de diffuser ses spots de campagne quatre ans plus tôt, ce que son PDGa démenti : toutes ses publicités nationales ont été diffusées et si une poignée de spots destinés aux

antennes locales n’ont pu l’être, c’est du fait des limites de temps de parole qui ont également af­fecté ses concurrents.

Le groupe de presse est, depuistrois générations, aux mains des Lopez, une richissime famille éga­lement présente dans la distribu­tion d’électricité et le secteur ma­nufacturier. Cette dynastie s’était déjà retrouvée sous le feu du dicta­teur tant admiré par Duterte, Ferdinand Marcos, qui fit saisir la chaîne dès l’instauration de la loi martiale en 1972, la plaça sous le contrôle d’un homme d’affaires affidé pour la transformer en or­gane de propagande, jusqu’à sa chute, en 1986, et la restitution d’ABS­CBN au clan Lopez. Ce médiaparticulièrement influent compte aujourd’hui 11 000 employés et de multiples chaînes de télévision et de radio, diffusant séries romanti­ques, matchs de basketball, et son rendez­vous d’information de la soirée, « TV Patrol ».

Pour la forme, l’administrationde M. Duterte accuse ABS­CBN d’avoir enfreint les termes de sa li­cence en laissant des investisseursétrangers entrer au capital, « par

un voile habilement conçu », et en lançant une chaîne payante.

Mais le président n’a jamais faitmystère de sa haine pour ce mé­dia. Il a, un temps, semblé vouloir amadouer ses propriétaires, en nommant, en 2016, Gina Lopez, fille du président du groupe, Eugenio Lopez III, ministre de l’en­vironnement. Mais cette activiste écologiste a agacé le chef de l’Etat et les hommes d’affaires du sec­teur minier qui le soutiennent, etelle n’a pas été confirmée par le Congrès dix mois plus tard. Elle a succombé à un cancer en 2019.

L’approche de la date du renou­vellement de la licence d’ABS­CBN, qui était valable vingt­cinq ans, est devenue pour M. Duterte un moyen de pression plus évi­dent. Fin décembre 2019, alors qu’il s’exprimait face aux survi­vants d’un séisme dans le sud dupays, il intimait à la famille Lopez de céder le géant de l’audiovisuel :« Quant à ABS, votre licence va ex­pirer, et vous essayez de renouve­ler. Je ne sais pas ce qui va vous ar­river, avait lancé le président. Si j’étais vous, je vendrais. »

harold thibault

Une victime des tirs croisés entre l’Arakan Army et l’armée régulière birmane, à Mrauk U, Etat de l’Arakan, en Birmanie, le 29 juin 2019. ANN WANG/REUTERS

avoir récemment placé l’AA sur la liste des organisations « terroris­tes », le pouvoir se fait menaçant àl’encontre des médias : un journa­liste d’une télévision de la ville de Mandalay a brièvement été arrêtéfin mars après diffusion sur sa chaîne de l’interview d’un porte­parole de la guérilla.

Une photo publiée sur le site dujournal indépendant The Ir­rawaddy donne un aperçu crédi­ble des dangers de la vie quoti­dienne dans les zones affectées par le conflit : elle montre deux ca­davres étalés sur la route du vil­lage de Kyauk Seik après un bom­bardement d’artillerie qui a fait huit morts le 13 avril. L’article pré­cise que l’armée a ensuite débar­qué et arrêté près de quarante per­sonnes soupçonnées de collusion avec l’AA.

Dans la ville de Mrauk U, an­cienne capitale royale, un exem­ple de ce qui ressemble fort à de la justice expéditive agite les cœurs et les esprits : le 29 avril, un gara­giste de 26 ans du nom de Zaw ZawOo a été retrouvé mort après son arrestation à un barrage de sol­dats. Il avait été arrêté la veille avecdes photos « compromettantes » sur son téléphone portable. Selon un habitant de Mrauk U, qui ra­conte l’histoire au téléphone, « desmilitaires ont appelé le lendemain l’hôpital pour que des ambulan­ciers viennent chercher son cada­vre ». Des clichés diffusés sur le Web montrent le corps sans vie dujeune homme, allongé dans une morgue, une femme en pleurs à ses côtés.

La revendication d’autonomiede la guérilla arakanaise s’ancredans le regret d’un passé glo­rieux : entre 1430 et 1784, l’Arakan fut un royaume indépendant, dont l’armée birmane s’empara il y a deux cent trente­six ans. La date est inscrite au fer rouge dans la conscience collective. Comme l’explique l’historien Jacques Lei­der, représentant à Bangkok et Rangoun de l’Ecole française d’ex­trême orient (EFEO), « les Araka­nais paraissent perpétuellement tournés vers un passé figé autour de la mémoire de leur royaume dé­funt. Mais dans le contexte actuel, les invocations d’indépendance oude large autonomie semblent dé­nuées d’un sens concret des réali­tés géopolitiques et sociales ».

bruno philip

« Juste parceque vous êtes

journaliste,vous n’êtes pas

à l’abrid’un assassinat »

RODRIGO DUTERTE,président des Philippines

BIRMANIE

200 km

BANG.

INDE

Golfedu Bengale

NaypyidawSittwe

Etat de l’Arakan(Rakhine)

Mandalay

Mrauk U

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Page 6: Le Monde - 07 05 2020

6 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123

En Allemagne, l’extrême droite à la peine L’AfD veut précipiter le déconfinement, mais le gouvernement tire profit de sa bonne gestion de la crise

magdebourg (allemagne) ­envoyé spécial

F ace à la scène aux cou­leurs du parti d’ex­trême droite Alterna­tive pour l’Allemagne(AfD), un parterre de20 mètres sur 40 a été

réservé pour le public. A l’inté­rieur de cet espace délimité par des barrières métalliques, des autocollants ont été disposés tousles 2 mètres, afin que chacun res­pecte les règles de distanciationsociale. Mais ce mercredi 29 avril, sur la grande place de Magde­bourg (Saxe­Anhalt) où l’AfD a ap­pelé ses partisans à protester con­tre les mesures de confinement mises en place dans le cadre de la lutte contre le Covid­19, seule une poignée d’entre eux assistera au meeting dans le quadrilatère prévu à cet effet. La majorité des participants, un peu plus de 200 personnes au total, choisirade rester derrière les barrières. Là où il n’y a pas de marquage au sol.Là où on n’est pas obligé de « s’ali­gner comme des soldats », expli­que une jeune femme. Là où on peut « garder sa liberté de mouve­ment sans être parqué comme du bétail », complète son petit ami.

La liberté. C’est précisément aunom de cette valeur que l’AfD, ce 29 avril, affirme avoir organisé cette réunion publique. « Depuis quelques semaines, toutes nos li­bertés se sont réduites comme peaude chagrin. On ne peut plus circuler comme on veut, on ne peut plus se réunir avec qui on veut. Ce sont là des atteintes sans précédent à nos libertés, et tout ça sans la moindre raison quand on connaît la gravité très relative du virus », explique au Monde Oliver Kirchner, chef de filedes députés d’extrême droite au Parlement de Saxe­Anhalt, juste avant le début du meeting.

A la tribune, pendant une heureet demie, les orateurs se relaie­ront pour étayer cette thèse. Al’instar de Robert Farle, secrétaire général du groupe AfD à l’assem­blée de Saxe­Anhalt, un des Län­der où ce parti réalise ses plusgros scores, bien au­delà de 20 %. Pour lui, le Covid­19 n’est « pas plus grave qu’une grippe ordi­naire ». Vêtu de noir de la tête auxpieds, du blouson à la casquetteen passant par les lunettes aux verres fumés, cet ancien commu­

niste passé à l’extrême droite necache pas son incompréhension : « En 2018, la grippe a fait 25 000 morts en Allemagne et il nes’est rien passé. Cette année, alors que nous avons 6 000 morts àcause du coronavirus, le gouver­nement nous prive de nos libertés et met notre économie à l’arrêt. Onmarche sur la tête ! »

Membre du Bundestag, MartinReichardt partage cet avis. « A cause des décisions prises par le gouvernement, des dizaines de milliers de petits entrepreneurs ne peuvent plus travailler et sontaujourd’hui obligées de lutter pour leur survie. Et quand on osesoulever le problème, Mme Merkels’indigne en dénonçant des “or­gies de discussions” qui n’ont pas lieu d’être », explique à la tribunecet ancien officier de la Bun­deswehr, citant une expression de la chancelière allemande rap­portée par la presse quelques jours plus tôt et surexploitée par ses adversaires.

IncohérenceCar pour l’extrême droite alle­mande, l’affaire est entendue. Les autorités, selon elle, dramatisent de façon inconsidérée la gravité duCovid­19. Notamment dans les Länder de l’est du pays, où le virus a fait relativement peu de victi­mes. C’est le cas en Saxe­Anhalt, où, le 29 avril, jour du meeting de l’AfD, seulement 39 personnes avaient succombé du Covid­19, selon l’institut fédéral de santé publique Robert­Koch. « Trente­neuf morts en Saxe­Anhalt, bien sûrque c’est triste ! Mais est­ce que cela justifie qu’on mette tout un Land à l’arrêt pour autant ? Nous sommes une des régions les moins touchées d’Allemagne et on nous paralyse en tuant notre économie. C’est crimi­nel », s’indigne M. Kirchner.

Pour l’extrême droite alle­mande, cette position maxima­liste, qui consiste à réclamer une levée immédiate de toutes les res­trictions décidées depuis la mi­mars, peut apparaître comme un pari très hasardeux. Selon les son­dages, seule une petite minorité d’Allemands, entre 10 % et 20 %, souhaiterait en effet que le décon­finement aille plus vite que prévu.Quant à l’AfD, depuis le début de l’épidémie, ses intentions de vote ont sensiblement reculé. Crédité de 14 %­15 % des voix en début

d’année, le parti d’extrême droite, devenu la première force d’oppo­sition au Bundestag en 2017, dans la foulée de la crise des réfugiés, plafonne aujourd’hui à 10 %­11 %.

Dans le contexte actuel, favora­ble aux partis au pouvoir, conser­vateurs et sociaux­démocrates, etcompliqué pour l’ensemble des formations d’opposition, l’AfD a donc décidé de jouer à fond la carte de la défense des libertés.

Libertés économiques, d’abord,celles des petits entrepreneurs, notamment des restaurateurs, des cafetiers et des hôteliers, tou­chés de plein fouet par la crise. Libertés politiques, ensuite, no­tamment à l’est de l’Allemagne, où le parti d’extrême droite n’hé­site pas à rattacher les mesures prises dans le cadre de la luttecontre le coronavirus à la longue lignée des souffrances subies par cette partie du pays au cours desdernières décennies. « Nous avons connu deux dictatures au

XXe siècle : celle du nazisme et celledu communisme. Nous n’allons pas maintenant nous soumettre à celle d’un gouvernement qui sesert d’un virus pour nous mettre au pas en nous tétanisant de peur », explique ainsi Jörg Benth­mann, maçon à la retraite, venu assister au meeting de l’AfD à Magdebourg.

En demandant un déconfine­ment total et immédiat, un mois et demi après avoir été en pre­mière ligne pour réclamer un con­finement beaucoup plus strict que celui mis en place par le gou­

vernement, l’AfD sait qu’il s’ex­pose à des accusations d’incohé­rence. Les réseaux sociaux ne se sont pas privés de le rappeler, met­tant en vis­à­vis les appels des res­ponsables du parti en faveur d’in­terdictions de circulation aussi strictes que possible, mi­mars, avec leurs plaidoyers actuels pour un retour immédiat à la normale. Un changement de pied à 180 de­grés en l’espace de six semaines…

Mais en réalité, le parti d’ex­trême droite se soucie assez peu de ces zigzags. A l’heure où l’Alle­magne déconfine prudemment,l’AfD fait le pari de pouvoir récu­pérer tous les impatients, ceux pour qui le mouvement va aujourd’hui trop lentement. C’est notamment le cas de tous ces ci­toyens en colère qui, sous le mot d’ordre « Widerstand 2020 » (« Ré­sistance 2020 »), se sont récem­ment rassemblés dans plusieurs villes du pays, comme à Stuttgart,dimanche 3 mai, pour défendre

les libertés menacées, selon eux, par la politique du gouverne­ment contre le Covid­19. Très actifsur les réseaux sociaux, ce mou­vement hétéroclite qui revendi­que plus de 100 000 membres, ce qui est sans doute exagéré, se pré­tend totalement indépendant des partis existants, et assuren’avoir en tête que l’attachement aux droits fondamentaux.

Pour l’AfD, ce terreau demécontentement représente aujourd’hui un défi. Un peu plus d’un an avant les prochaines lé­gislatives, le parti d’extrême droite entend s’adresser aux lais­sés­pour­compte de la crise du coronavirus. En espérant que cechoix lui profitera autant, sinondavantage, que la dernière crise qui a secoué l’Allemagne : celle des réfugiés, en 2015­2016, qui, elle, était survenue un peu moinsde deux ans avant les élections législatives.

thomas wieder

Manifestation des membres de l’AfD, à Magdebourg en Saxe­Anhalt, 29 avril. KLAUS-DIETMAR GABBERT / DPA VIA AFP

En Europe, à ce jour , le virus nuit aux droites populistes De Vienne à Madrid, les partis les plus radicaux multiplient les critiques mais celles­ci ne sont guère payantes face à l’urgence sanitaire

vienne, malmö (suède), madrid,bruxelles ­ correspondants

D ans plusieurs pays, l’ex­trême droite a du mal àimposer son discours

contestataire face à l’urgence de la situation sanitaire. En Belgique, le Vlaams Belang est l’un des raresà tirer son épingle du jeu.

Autriche : panne stratégique pour le FPÖ Alors que le gouver­nement écolo­conservateur di­rigé par Sebastian Kurz surfe sur la bonne situation du pays sur le front de l’épidémie, le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) obtient des intentions de vote d’à peine 10 % des voix, bien loin de 26 % obtenus aux législatives de 2017. Les intentions de vote pour les élections régionales prévues le 11 octobre à Vienne sont encoreplus catastrophiques. En décidanttrès vite de fermer les frontières,

M. Kurz a privé l’extrême droite deson argument­phare.

Face à cela, le parti a basculé le27 avril dans une direction oppo­sée en accusant le pouvoir d’en faire trop et a lancé une pétitioncontre ce qu’il appelle « la folie corona ». En essayant de séduire les commerçants durement tou­chés par la crise, son numéro deux, Herbert Kickl, a ainsi reproché au gouvernement son « alarmisme » destiné « à faire peur à la population » et a de­mandé une accélération de la sor­tie du confinement. La pétition du FPÖ n’avait récolté que 40 000 signatures à la date du 4 mai.

Suède : les SD en chute libre Dé­but mars, rien ne semblait pou­voir arrêter Jimmie Akesson, leleader des Démocrates de Suède (Sverigedemokraterna, SD) que tous les sondages donnaient entête, devant les sociaux­démocra­

tes du premier ministre Stefan Löfven. Le Covid­19 a tout changé. M. Akesson a d’abord tenté de cri­tiquer la décision du gouverne­ment de ne pas confiner le pays, nide fermer les écoles. Sans succès, car une très grosse majorité des Suédois soutient cette stratégie.

Il a ensuite changé d’angle d’at­taque. Le leader des SD accuse dé­sormais le gouvernement de ne pas en faire assez pour soutenir les entreprises et les salariés. Làencore, il semble avoir du mal à sefaire entendre. Le Parti social­dé­mocrate est repassé en tête, avec 29 % d’intentions de vote, contre21 % pour SD. Quant au premierministre, M. Löfven, sa cote depopularité atteint 44 %, contre 27 % pour M. Akesson. L’extrême droite suédoise a au moins une raison de se réjouir : tenue àl’écart jusqu’à présent des négo­ciations multipartites au sein du parlement, SD a été inclus dans

les concertations depuis le début de l’épidémie.

Espagne : les vaines provoca­tions de Vox Depuis le début de lacrise sanitaire, le pari d’extrême droite Vox accuse le gouverne­ment de gauche d’être « respon­sable » des morts du Covid­19 en lui reprochant essentiellement d’avoir autorisé les manifesta­tions féministes du 8 mars, oùplusieurs participants ont été contaminés. Une députée de Vox, Maria Ruiz, a accusé le vice­prési­dent du gouvernement, Pablo Iglesias (Podemos, gauche radi­cale), d’avoir laissé « des milliers denos anciens enfermés et condam­nés à mort » dans les Ehpad.

Le 16 avril, le Parti socialisteouvrier espagnol (PSOE) au pou­voir a porté plainte contre Vox pour la diffusion de mensonges après la diffusion d’une photo manipulée publiée sur Twitter, où

l’on peut voir l’artère principale du centre de Madrid, la Gran Via, recouverte de cercueils.

Le 20 avril, Vox a à son tour dé­posé une plainte contre le pre­mier ministre, Pedro Sanchez, pour avoir porté « atteinte aux droits des travailleurs » sanitaires en ne leur fournissant pas le ma­tériel de protection adéquat. Mais il n’est pas sûr que la stratégie de confrontation virulente de Vox luisoit très favorable électoralement.Selon le dernier sondage du Cen­tre d’enquêtes sociologiques, Vox stagne autour de 13 % des voix.

Belgique : le pari flamand du Vlaams Belang Le parti d’ex­trême droite flamand Vlaams Be­lang (VB) entend tirer profit de la crise et de sa gestion parfois chao­tique. « Ce pays vit non seulement une crise politique, doublée d’une crise sanitaire, mais aussi une crisede système », expliquait récem­

ment le président de cette forma­tion, créditée de plus de 27 % des voix en Flandre, ce qui en ferait le premier parti de la région.

L’objectif de Tom Van Grieken,dont la formation n’a jamais pu accéder au pouvoir, est de profiterd’une situation inédite : le gou­vernement minoritaire de la pre­mière ministre libérale Sophie Wilmès est soutenu, pour quel­ques semaines encore, par dixpartis. Parmi eux, l’Alliance néo­flamande (N­VA), le parti nationa­liste et conservateur de Bart De Wever. L’objectif de l’extrême droite est d’affaiblir la N­VA pour l’amener ensuite à négocier une entente qui lui permettrait de réa­liser son objectif : prendre en mains les rênes de la Flandre et assurer son indépendance.

jean­baptiste chastand,anne­françoise hivert,

sandrine morelet jean­pierre stroobants

ALTERNATIVE POUR L’ALLEMAGNE

 JOUE À FOND LA CARTE DE LA DÉFENSE 

DES LIBERTÉS

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Page 7: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 7

Jean­Yves Camus : « La droite radicale aime l’idée des causes cachées »Pour le spécialiste de l’extrême droite, la pandémie permet à ces partis européens de développer leur vision complotiste du monde, avec des résultats disparates selon les pays

ENTRETIEN

J ean­Yves Camus, directeur del’Observatoire des radicalitéspolitiques de la FondationJean­Jaurès et senior fellow au

Centre for the Analysis of theRadical Right (CARR) analyse les différents positionnements des extrêmes droites européennesface à la gestion de la pandémie.

Les partis d’extrême droite européens tiennent­ils les mê­mes discours face à la crise ?

Leurs réponses sont adaptéespar pays en fonction des mesures de confinement. Là où il a été le plus strict, les droites radicales ontinstruit un réquisitoire contre un pouvoir jugé incompétent et men­teur. Là où les mesures ont été pluslégères, les critiques des droites nationalistes l’ont elles aussi été. Siles Démocrates suédois et le Fo­rum pour la démocratie néerlan­dais ont pointé des insuffisances de leurs gouvernements, Jimmie Akesson [leader des Démocrates de Suède, SD, extrême droite] s’est borné à critiquer le « package » fi­nancier présenté pour aider l’éco­nomie en Suède et le Néerlandais Thierry Baudet [Forum pour la dé­mocratie, FvD] a même soutenu le premier ministre des Pays­Bas, Mark Rutte, face aux pays du sud de l’Europe. On retrouve tout de même les points communs habi­tuels entre l’ensemble des partis de droite radicale : tous ont fait porter leurs discours sur la ques­tion du retour aux frontières.

Tous tirent donc sur les mêmesleviers idéologiques ?

Ils ont en commun de répéterqu’ils étaient les premiers à avoir averti des dangers de la délocalisa­tion d’industries stratégiques, de l’immigration et d’une mondiali­sation qui génère des mouve­ments incessants et massifs des personnes. Norbert Hofer, du FPÖ [Parti de la liberté d’Autriche], necesse de rappeler avoir été le pre­mier à réclamer des contrôles sanitaires aux aéroports, tout comme Marine Le Pen sur la fer­meture des frontières en France.

Ils affirment aussi tous quel’Union européenne est une créa­tion non naturelle, l’ordre du monde étant celui des Etats na­tions. Enfin, il y a la critique de l’impréparation des gouverne­ments. Le Rassemblement natio­nal va plus loin, en France, avec l’idée d’une « connivence » : à l’in­térieur du pouvoir d’Etat par une « immunité de caste » et entre l’Etat et « les lobbys ».

Des discours, qui flirtent souvent avec le complotisme…

La droite radicale aime l’idée des« causes cachées ». Et la pandémie se prête aux questionnements surl’origine du virus. La droite radi­cale insérée dans le jeu démocrati­que ne parle pas de propagation volontaire mais demande – et elle n’est pas la seule – que la lumière soit faite sur l’hypothèse de la « fuite » du laboratoire de Wuhan.

Charlie Weimers, député euro­péen des Démocrates suédois, a même ressuscité le thème de l’anticommunisme, accusant la Chine d’en être restée à l’opacité etau mensonge découlant de la na­ture même du communisme. Mais le sentiment dominant chez eux est que la crise serait un pré­texte pour imposer une forme autoritaire de gouvernement se soustrayant au contrôle parle­mentaire, comme le dit l’ancien phalangiste et désormais élu

européen de Vox, l’Espagnol Jorge Buxadé. Les plus radicaux vont jusqu’à annoncer la mise en place d’une société orwellienne : Ma­rian Kotleba, leader de l’extrême droite slovaque, est persuadé que le traçage aboutira à ce qu’on vousimplante des puces sous la peau.

Pourquoi la défense des liber­tés publiques est elle très pré­sente dans leur rhétorique ?

Les droites radicales entendentmontrer qu’un double standard s’appliquerait. D’un côté, la res­triction des libertés du citoyen et de l’autre, le laxisme vis­à­vis de catégories de population qui ne respecteraient pas le confine­ment. Nigel Farage, fondateur de UKIP [le Parti pour l’indépendance du Royaume­Uni], se plaint d’avoirété visité par la police parce qu’il était allé à Douvres tourner un re­portage sur l’arrivée de migrants.Marine Le Pen, elle, tonne contre des banlieues qu’elle nomme « zones de non­droit », contre les libérations de détenus ou encore contre la réponse jugée faible aux actes terroristes de Romans­sur­Isère [deux personnes poignardées mortellement dans la Drôme le4 avril] et de Colombes [deux poli­

ciers percutés par une voiture le 27 avril dans les Hauts­de­Seine]. Ses tropismes habituels.

Elle accuse également le gou­vernement français de mentir sur « absolument tout »…

L’obsession de Marine Le Pen re­pose sur l’idée d’un « mensonge d’Etat », positionnement cohérent avec la nature de parti antisystèmedu Rassemblement national. Ce­lui­ci perdrait sa crédibilité à se ral­lier à l’union nationale puisque sa vision du monde repose sur l’op­position entre le peuple et les éli­tes, les « enracinés » et les « noma­des », les « patriotes » et les « mon­dialistes ». Le président de la Répu­blique et le ministre de la santé [Olivier Véran] expliquent, à raison,qu’on est face à une crise sanitaire inédite et avec un virus que les

meilleurs scientifiques n’ont pas réussi à cerner. Mais l’électeur le­péniste ne croit pas aux aléas : pour lui le pouvoir « sait » et s’il hé­site, c’est qu’il « cache ».

Les partis d’extrême droite gagnent­ils des points à la faveur de la crise sanitaire ?

Pas partout. En Italie, Matteo Sal­vini [Ligue] a ainsi tiré à boulets rouges sur le gouvernement Conte. Un exercice obligé, puis­qu’il en était sorti… mais qui ne luiprofite pas dans les sondages. Pour d’autres, cela semble fonc­tionner. Le Vlaams Belang belge est ainsi repassé en tête dans les intentions de vote en Flandre. Il a d’ailleurs traité la crise du Covid­19presque uniquement en fonction des prochaines échéances électo­rales et de sa concurrence avec la N­VA [parti nationaliste flamand] de Bart De Wever. Un exemple : ce dernier a fait distribuer des docu­ments d’informations multilin­gues à la population anversoise. Il a été pris à partie par le Vlaams Belang pour qui, je cite, il fallait protéger « les nôtres d’abord » et n’informer qu’en néerlandais.

propos recueillis parlucie soullier

« TOUS ONT FAIT PORTER LEURS DISCOURS SUR LA QUESTION 

DU RETOUR AUX FRONTIÈRES »

Salvini fragilisé par la crise dans le fief de la Ligue en Italie L’ex­ministre, privé de meetings, est peu audible car la Lombardie, dirigée par son parti, a été débordée par la pandémie

rome­ correspondant

L e coup n’était pas malmonté, et en d’autrestemps il aurait sans doute

eu un certain succès. Dans la nuit du 29 au 30 avril, plusieurs dizaines de sénateurs de la Ligue(extrême droite, opposition), emmenés par leur dirigeant, Matteo Salvini, ont « occupé » l’hémicycle de la Chambre hauteitalienne, pour dénoncer le blo­cage de l’économie, les retards dans le versement des aides pro­mises, les limitations de la li­berté de circuler et, plus large­ment, la mise entre parenthèses des pouvoirs parlementaires par le gouvernement Conte, pour cause de crise sanitaire.

Pendant quelques heures, lesselfies de parlementaires mas­qués ont envahi les réseaux so­ciaux, relayés par les habituels vecteurs de la Ligue. Mais au pe­tit matin, le happening a pris fin, plutôt piteusement. C’estque, cette fois, l’initiative a pro­voqué beaucoup plus de raille­ries que d’éloges. Comment, eneffet, l’ancien ministre de l’inté­rieur peut­il dénoncer la mise de côté du Sénat, alors que, de­puis le début de la législature, il s’est plus mis en scène sur lesplateaux de télévision qu’au Parlement ? Et est­il le mieux placé pour dénoncer la mise en­tre parenthèses du contrôle exercé par le pouvoir législatif, lui qui, lors du déclenchement de la crise gouvernementale quilui fut fatale, à l’été 2019, récla­mait les « pleins pouvoirs » ?

Très offensifDepuis quelques semaines, le di­rigeant de la Ligue semble avoirperdu la main. Privé d’estrades et de tribunes par le confine­ment, qui a comme suspendu la campagne électorale perma­nente dans laquelle il est engagédepuis plus de deux ans, sevré des selfies et des bains de foule qui étaient jusqu’à il y a peu son carburant quotidien, Matteo Salvini hésite, depuis deux mois, entre deux attitudes in­conciliables – le « chiudiamo tu­tto ! » (« fermons tout ! ») pour ra­lentir l’épidémie, et la revendica­tion du rétablissement au plus vite de la liberté de circuler. Ellesne font qu’ajouter de la confu­sion, tandis que ses dénoncia­tions de l’immigration n’ont plus le même écho à l’heure de lafermeture générale des frontiè­res. Face à lui, le gouvernement profite de l’ambiance d’union nationale créée par la crise, mal­gré ses hésitations et ses ambi­guïtés, et son chef, Giuseppe Conte, continue de jouir de plus de 60 % d’opinions favorables.

Bien sûr, les sondages politi­ques réalisés dans un contexte siparticulier doivent être regardésavec la plus grande prudence, mais la tendance qu’ils déga­gent est unanime, et très nette. La Ligue reste le premier parti du pays en matière d’intentions de vote, mais elle est descendue sous les 30 %, et navigue désor­mais entre les 26 % et 28 % des voix. Ce recul profite à son prin­cipal allié et concurrent, Fratelli d’Italia, entre 12 % et 15 % des voix, mais aussi aux deux for­mations actuellement au pou­voir, le Parti démocrate (centre

gauche) et le Mouvement 5 étoi­les (antisystème), naguère alliéde la Ligue, dont l’inexorable dé­clin des derniers mois paraît avoir été stoppé par l’épidémie.

En se montant très offensif surla scène européenne, réclamant à ses partenaires la mutualisa­tion des dettes liées à la crise et refusant de privilégier le re­cours au seul Mécanisme euro­péen de stabilité (MES) pour ob­tenir des liquidités, le gouverne­ment prive par ailleurs le diri­geant de la Ligue d’un de ses meilleurs arguments électo­raux : la dénonciation de la sou­mission de l’Italie aux diktats deBruxelles et des marchés.

Plus grave encore, pour la Li­gue, est le fait que la crise due aucoronavirus a frappé au cœur la Lombardie, qui était depuis des années la vitrine de son savoir­faire et le gage de sa capacité à gouverner. Ainsi les tergiversa­tions initiales du gouverneur dela région, Attilio Fontana, puis les images des hôpitaux lom­bards débordés par l’afflux de malades risquent­elles d’avoir des conséquences durables dans l’opinion. Matteo Salvini pourra­t­il continuer à vanterpartout dans le pays l’excellencelombarde après un tel fiasco ? En comparaison, la position de la dirigeante de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, mieux implan­tée dans le Sud que dans le Nordet dont les positions sur l’Eu­rope et les migrants sont très si­milaires, est plus confortable.

Mais celle­ci n’est peut­êtrepas la concurrente la plus dan­gereuse, à court terme, pour M. Salvini. En effet, la menace pour son leadership pourrait venir de l’intérieur de son pro­pre parti, en la personne du très populaire Luca Zaia, président de la Vénétie, dont la gestion exemplaire de la crise, fondéesur une priorité absolue à la dé­tection et à l’isolement des ma­lades, a considérablement accrul’audience nationale.

Tenant d’une ligne plus auto­nomiste que nationale, au fond plus conforme à l’identité origi­nelle de la Ligue que la posture souverainiste et anti­euro­péenne d’un Matteo Salvini, Luca Zaia n’a jamais cherché à contester le primat de Matteo Salvini depuis son arrivée à la tête du parti, en 2013. Il s’est con­tenté de creuser son sillon, veillant plus à rassembler les forces de droite locales qu’à exis­ter sur les réseaux sociaux – ses rapports avec l’ancien président du conseil Silvio Berlusconi sont d’ailleurs excellents. Moinseurophobe que l’actuelle direc­tion du parti, il n’a eu de cesse, ces dernières semaines, de rap­peler qu’il ne s’imaginait pas de destin national. Mais d’évi­dence, beaucoup, à droite, sont tentés d’y penser pour lui.

jérôme gautheret

LA LIGUE RESTE LE PREMIER PARTI EN 

MATIÈRE D’INTENTIONS DE VOTE, MAIS ELLE 

EST DESCENDUE SOUS LES 30 %

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Page 8: Le Monde - 07 05 2020

8 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123

Déconfinement : un cas d’école pour les élus locauxAprès la lettre ouverte des maires à Emmanuel Macron demandant le report de la réouverture des classes, la majorité sénatoriale a renforcé la protection juridique des élus en cas de contamination de leurs administrés par le Covid­19

T andis que le premierministre, EdouardPhilippe, essuie desbordées de critiqueset les tirs croisés desoppositions sur la

mise en œuvre du plan de décon­finement, Emmanuel Macron a effectué, mardi 5 mai, une visite dans une école de Poissy (Yveli­nes) pour tenter de rassurer ceux qu’inquiète la réouverture des écoles. Et ils sont nombreux, élus comme enseignants, parents d’élèves comme personnels com­munaux. « Mon objectif, ce n’est pas combien d’écoles, c’est que tousles enfants qui ont besoin de reve­nir à l’école parce qu’ils sont décro­cheurs ou parce que les parents doivent retravailler puissent trou­ver une école ouverte, a assuré le président de la République. Je veuxplutôt une bonne rentrée qu’une rentrée en nombre. » Interrogé sur les craintes exprimées par de nombreux élus, le président de la République s’est voulu conciliant. « Les maires, je comprends leur angoisse, leurs questions, leurs inquiétudes. Ils veulent bien faire, donc il faut leur laisser le temps etla souplesse », a­t­il déclaré.

Ce n’est pas, en effet, le moindredes paradoxes. Dans l’incertitude face aux multiples questions et difficultés que pose la réouverturedes établissements scolaires aprèssept semaines de confinement et alors que l’épidémie de Covid­19 n’est toujours pas enrayée, les maires demandaient des consi­gnes claires. Mais, lorsque leur est

parvenu le protocole sanitaire édicté par l’éducation nationale, ils ont jugé que c’était trop lourd etse sont inquiétés de voir leur responsabilité pénale engagée s’ils ne s’y conformaient pas. Il a fait l’« effet d’une bombe », expli­que Stéphane Beaudet, le maire di­vers droite d’Evry­Courcouron­nes, dans l’Essonne et président de l’Association des maires d’Ile­de­France, à l’initiative d’une let­tre ouverte à Emmanuel Macron demandant le report de la réou­verture des écoles qui a recueilli plus de 400 signatures de maires.

Ouvrir le parapluieC’est le constat que dressaitM. Philippe, non sans marquer quelque lassitude, en présentantlundi au Sénat son plan de décon­finement. « Les difficultés liées à laréouverture des écoles ne m’ont pas échappé. Nous essayons d’y répondre et l’exercice est là encore difficile, remarquait le premierministre. Car, donner quelques di­rections vagues, ou même claires, mais formulées simplement en termes de principes, c’est, à coupsûr, s’exposer à la critique de ceux qui diront : “Vous avez formuléquelques principes mais, sur le ter­rain, vous laissez les gens se dé­brouiller.” Et, en même temps, dire pratiquement, au cas par cas, les bonnes méthodes, les bonnes pra­tiques, ce qui correspond à la doc­trine sanitaire, c’est s’exposer à lacritique de ceux qui disent : “C’est trop lourd, il y en a trop, vous vou­lez tout régenter, laissez­nous

adapter.” Autrement dit, en la ma­tière, mais j’en ai pris mon parti, quoi qu’on fasse, on est critiqué. »

Sur le terrain, la tension monteet la tentation est grande d’ouvrir le parapluie. Les appels se sont multipliés demandant le report de la réouverture des écoles. Des enseignants font valoir leur droit de retrait. Des élus demandent desgaranties qu’ils ne risquent pas de voir leur responsabilité engagée en cas de contamination d’un élève ou d’un membre du person­nel. « La question de la responsabi­lité des maires doit faire l’objet d’untraitement législatif spécifique pour que ceux­ci bénéficient d’une protection adaptée aux circonstan­ces exceptionnelles que nous traversons », exigeait l’Association des maires de France (AMF), à l’is­sue de son bureau du 30 avril.

Demande relayée par d’autresassociations d’élus. « Il est, certes, utile que l’Etat nous transmette desprotocoles sanitaires, par activité ou service. Pour autant, il nous pa­raît indispensable d’en connaître lecaractère réglementaire et opposa­ble, notamment au plan des risques de mise en cause que le res­pect impossible de tel ou tel mot, detel ou tel paragraphe, de ces docu­ments pourrait causer », deman­dait France urbaine, qui réunit les maires des grandes villes et mé­tropoles, dans un courrier adressélundi au premier ministre.

Le sujet n’a pas tardé à venir surle terrain politique. A l’occasionde l’examen au Sénat du projet deloi prorogeant l’état d’urgence

sanitaire, une multitude d’amen­dements, plus ou moins bordés juridiquement, ont jailli de tous les bords de l’Hémicycle, jusque dans les rangs de La Républiqueen marche (LRM). C’était un peu « que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent ».

Majoritaire au Sénat, la droite aimposé sa version. Elle exclut toute responsabilité des élus encas de contamination par le Co­vid­19 pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire à moins que les faits aient été commis « inten­tionnellement », « par imprudence ou négligence », ou « en violation manifestement délibérée d’unemesure de police administrative ». La ministre de la justice, Nicole Belloubet, a tenté en vain d’obte­nir sa suppression, faisant valoir« un risque constitutionnel au re­gard du principe d’égalité devant

la loi pénale ». Sa demande a étésèchement rejetée puisqu’elle arecueilli zéro voix.

Le projet de loi ainsi amendé,ainsi que d’autres amendements portant notamment sur le sys­tème d’information et de partage des données envisagé pour lutter contre l’épidémie, a été adoptémardi au Sénat par une large majorité. Le président du Sénat,Gérard Larcher, a d’ores et déjà prévenu qu’il saisirait le Conseil

constitutionnel après son adop­tion définitive. Le texte doit à pré­sent être examiné dès mercredi en commission à l’Assemblée puis jeudi en séance, en vue d’uneadoption définitive à la fin de la semaine, avant la date du 11 mai,début du déconfinement.

La majorité espère parvenir à un« compromis » sur l’article intro­duit par le Sénat sur la responsa­bilité pénale des élus. « On ne peutpas ouvrir grand une protection tous risques », estime le président du groupe LRM, Gilles Le Gendre. L’opposition n’entend pas lâcher l’affaire. L’AMF, de son côté, de­mande au gouvernement et à l’As­semblée nationale de « poursuivrele travail parlementaire sur la basedu texte voté par le Sénat ». Dequoi réalimenter les tensions en­tre l’exécutif et les élus locaux.

patrick roger

« EN LA MATIÈRE, MAIS J’EN AI PRIS MON PARTI, 

QUOI QU’ON FASSE,ON EST CRITIQUÉ »

ÉDOUARD PHILIPPEpremier ministre

karl olive est maire (divers droite) de Poissy (37 400 habitants), dans les Yvelines. Le15 mars, il a été réélu dès le premier tour avec 75,6 % des suffrages exprimés.

Vous n’avez pas signé la lettre ouverte des maires d’Ile­de­France demandant le report de la réouverture des écoles. Pourquoi ?

Il faut relativiser la portée de cette tribune, quiconcerne 332 maires d’Ile­de­France [plus de400 désormais] sur 1 268. Dès le 17 mars, le groupe scolaire Ronsard a accueilli des enfantsdes personnels soignants, des forces de l’ordreou d’autres personnels mobilisés : 125 en mater­nelle et 190 en élémentaire. Ça fonctionne bien,main dans la main avec le préfet, la rectrice etles personnels enseignants. L’école fonctionne tous les jours, de 7 heures à 19 heures, y comprispour les activités périscolaires, en respectant lesgestes barrières, la signalétique et en assurant larestauration. Chacun doit prendre ses respon­sabilités. Les parents peuvent mettre leurenfant à l’école ou pas. Alors, allons­y pas à pas.

Combien d’établissements scolaires et d’élèves sont concernés dans votre ville ?

Nous avons une vingtaine d’écoles. Selon lesinformations qui nous remontent, environ 30 %des élèves devraient être remis à l’école dans les quartiers populaires et de 60 % à 70 % dans le reste de la ville. Nous commencerons par les grandes sections de maternelle, les cours prépa­ratoires, les CE1 et les CM2 dans les quartiers po­pulaires, où les enfants prennent en pleine face la fracture numérique. Les enfants veulent re­prendre l’école mais il faut d’abord reconquérir

la confiance, ce qui est loin d’être évident quand,tous les jours en allumant la télé, on a des décla­rations plus anxiogènes les unes que les autres.

Quelles dispositions avez­vous prises pour pouvoir assurer cette reprise des cours ?

Depuis le début, je ne me suis pas demandé ceque l’Etat allait faire pour moi mais comment j’allais pouvoir faciliter le quotidien de mes ad­ministrés, dans des conditions historiques. J’aimis à disposition des kits dans toutes les écoles,tout le personnel est équipé, et jamais je ne me suis demandé si c’était à moi de le faire ou non,si l’Etat allait me filer des masques ou non. Je lesai commandés, à une société française, pourêtre en mesure de répondre aux besoins dans ma commune.

Estimez­vous nécessaire de renforcer la sécurité juridique des maires ?

Des dispositions existent, qui sont déjà pro­tectrices. Maintenant, dans ce contexte d’in­quiétude, peut­être serait­il de bon ton pour le gouvernement d’entendre la demande des élus.

Est­ce que cet appel des maires n’exprime pas une volonté « d’ouvrir le parapluie » et, peut­être, des arrière­pensées politiques ?

Je comprends l’inquiétude et les appréhen­sions d’un certain nombre de mes collègues. Mais on ne peut pas, pendant des années, avoir clamé qu’on était les oubliés de la République et,au moment où nous sommes en première ligne,se retourner vers l’Etat et dire : « Non merci, sansnous ». Il faut être cohérent.

propos recueillis par p. rr

« Chacun doit prendre ses responsabilités »stéphane beaudet est maire (divers droite) d’Evry­Courcouronnes (68 000 habitants), dans l’Essonne. Le 15 mars, il a été réélu dès le premier tour avec 54,8 % des voix. Président de l’Association des maires d’Ile­de­France, il est à l’initiative de la lettre ouverte à Emmanuel Ma­cron, signée par plus de 400 élus.

Qu’est­ce qui vous a poussé à lancer cette lettre ouverte ?

J’ai reçu une très forte pression de mes collè­gues qui m’ont fait remonter une crispationbrutale et leurs inquiétudes. Dans leur trèsgrande majorité, les maires ne refusaient pas par principe de rouvrir les écoles mais, pour les départements en zone rouge, ils estiment qu’ilserait bon de repousser cette date. L’Ile­de­France est en rouge, mais la confirmation decette carte n’interviendra que le 7 mai, à la veilled’un week­end férié, pour une rentrée prévue lelundi 11. C’est impossible à gérer. Recueillir332 signatures en deux jours, sur les 1 268 mai­res de la région, plus de 400 aujourd’hui, toutestailles confondues, de la plus petite communerurale à la capitale, c’est du jamais­vu.

N’y a­t­il pas nécessité d’encourager les parents à remettre leurs enfants à l’école ?

Mais ce n’est pas à l’école qu’on va renvoyerles enfants, c’est vers une salle de garderie. Fairecroire ça, c’est faux.

Les maires ne cherchent­ils pas à se protéger ?Ce n’est pas le sujet. Il est vrai qu’il est néces­

saire d’apporter des garanties juridiques alorsqu’on nous renvoie vers une responsabilité

politique qui n’est pas de notre compétence. J’approuve les modifications qui ont été appor­tées par le Sénat [qui a adopté un amendementqui exclut la responsabilité des élus en cas de contamination]. C’est là qu’on voit qu’il est le représentant des collectivités. J’espère que legouvernement et la majorité ne reviendront pas en arrière.

Comment allez­vous procéder pour prépa­rer la rentrée dans votre commune ?

J’ouvrirai lundi mais, chez moi, plus de la moi­tié des foyers sont des familles populaires. C’estdans les quartiers populaires, où il y a le plus dechômage, où les missions d’intérim se sont ar­rêtées et où, souvent, il y a la barrière de la lan­gue, qu’il y aura le moins d’enfants qui vont re­tourner à l’école. Une de mes élus, enseignante,a appelé les parents des vingt­cinq élèves de sa classe : deux iront à l’école si elle rouvre. Com­ment expliquer à ces parents qu’on est en zone rouge et qu’on va quand même à l’école ? Qu’onarrête de nous dire que c’est pour les élèves le plus en difficulté. Ceux qui ont le plus besoin deretourner à l’école ne seront pas ceux qui iront.Et est­ce que c’est au maire de sélectionner ceuxqui vont être acceptés ou non ? Je m’y refuse.

Est­ce que ce n’est pas aussi une manière de manifester votre opposition au pouvoir ?

Non, ce n’est pas une fronde politicienne. De­puis deux mois, ce sont les maires qui gèrent la crise. Moi, j’en suis à 300 000 euros de dépen­ses. Il y a juste un moment où on dit que ce n’estpas possible.

propos recueillis par p. rr

« C’est impossible à gérer »

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Page 9: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 9

A l’école primaire Paul­Gauguinde Vitrolles (Bouches­du­Rhône),le 5 mai.PATRICK GHERDOUSSIPOUR « LE MONDE » A Vitrolles, « ouvrir les écoles, c’est

fondamental et symbolique »Les quinze groupes scolaires de la ville se préparent à accueillir leurs élèves le 12 mai, sous l’impulsion déterminée de la mairie socialiste

REPORTAGEmarseille ­ correspondant

A l’arrière du groupe sco­laire Paul­Gauguin, enplein cœur de la ville nou­

velle de Vitrolles (Bouches­du­Rhône), les nettoyeuses s’offrent un ballet bruyant. Mardi 5 mai, la vaste cour de l’école primaire estaspergée d’une solution désinfec­tante par les agents municipaux. L’odeur, prenante, se mêle à celle des pins. Au sol, des morceaux de scotch d’emballage délimitent déjà les positions que devront occuper les élèves qui feront leur rentrée, ici, le 12 mai. Deux rangs rigoureusement espacés pour les CP. Et, dix mètres plus loin, une vingtaine de bandes marron mar­quées au feutre noir « CM2 ».

« Les classes ne se croiseront pas.Une rentrera au rez­de­chaussée,l’autre montera directement à l’étage par un autre accès », dé­taille, comme pour mieux mé­moriser le dispositif, Claire Pezet, directrice de l’éducation à la mai­rie de Vitrolles. Rouleau de ruba­lise en mains, elle vient decondamner les jeux de la cour de maternelle. « Cela ne va pas faireplaisir aux enfants, mais on ne peut pas nettoyer les toboggans àchaque passage », reconnaît­elle.

A Vitrolles, 33 000 habitants,quinze écoles pour 4 500 élèves, laréouverture ne fait pas débat. Le maire socialiste, Loïc Gachon, réélu le 15 mars avec 50,7 % des voix, l’appelle de ses vœux. « C’est fondamental et symbolique », as­sure­t­il, à rebours de bon nombrede ses homologues qui deman­dent un report de quelques semai­nes, ou, plus radicalement, une fermeture jusqu’en septembre.

« C’est une posture qui rassure lapopulation à peu de frais et évite dese frotter à la réalité. Moi, je n’ai pasl’impression d’avoir plus de res­ponsabilité pénale que d’habitude.

Les écoles, cela relève de la compé­tence du maire, point », note ce filset frère d’enseignant pour qui « rien ne pourrait justifier que l’onouvre des magasins de chaussures et pas les établissements scolai­res ». « C’est une nécessité pour les enfants en rupture et pour les parents qui n’ont d’autre choix que de travailler », poursuit­il. Mêmes’il sait par un sondage auprès desparents que, dans sa ville, c’est dans les quartiers d’éducationprioritaire que les élèves seront les moins nombreux à revenir.

« Période formatrice »Masque en madras sur le visage, qu’il descend régulièrement pourfumer une cigarette, Loïc Gachon est venu à pied de sa mairie pour jeter un œil au dispositif de rentrée. A Vitrolles, près de 450 élèves sur les 1 500 qui pourraientreprendre leur scolarité le 12 mai sont prêts à revenir en classe. « La première semaine, nous aurons uneffectif faible et cela sera facile à gérer. Le 25, avec tous les niveaux, cela sera une autre paire de manches, prédit­il. Les parentsseront consultés chaque mercredi. Nous n’accueillerons que ceux qui ont signalé leur présence », insiste le maire.

L’épidémie de Covid­19 n’a pasfermé entièrement l’école Paul­Gauguin. Depuis le 16 mars, elle accueille des enfants de person­nels soignants. Ce mercredi, ils sont quatorze, divisés en deux groupes, primaire et maternelle. A la sortie des sanitaires, où ils se sont lavé les mains en se savon­nant jusqu’aux coudes, les plus pe­tits ont du mal à respecter les dis­tances. Leur institutrice a trouvé un truc. « Allez, vous faites l’avion pour revenir en classe », lâche­t­elleà des gamins, ravis de repartir brasécartés, façon vol plané.

« Cette période a été extrême­ment formatrice pour les ensei­

gnants qui ont participé au dispo­sitif, glisse Franck Nicolas, 44 ans, directeur de l’école primaire de­puis six ans. Le plus compliqué, c’est de ne pas pouvoir aider les enfants comme d’habitude, ne passe rapprocher. » Dans la lettre qu’ila adressée aux parents, le direc­teur a tenu à rappeler une évi­dence : « Nous avons bien précisé que, malgré toute notre attention, les enfants pourraient, à un mo­ment ou un autre, oublier de res­pecter la distanciation sociale. » Masque orné d’un Mickey rieur, une enseignante qui sort d’une demi­journée avec des « petites et moyennes sections » abonde : « En maternelle, je ne vois pas com­ment tu peux les empêcher de bou­ger… Et en CP, cela va être pareil. »

Cette drôle de rentrée, le direc­teur l’attend sans stress particu­lier. « Appliquer le protocole, c’est faisable si on nous en donne les moyens », assure­t­il. Mercredi 6 mai, il devait recevoir de la mai­rie le gel hydroalcoolique, les lin­gettes désinfectantes et masquesde secours que les enseignants pourront choisir de ne pas mettre.« Le port est conseillé mais si la dis­tanciation est respectée, il n’y a pasde raison de le porter. C’est juste pour pouvoir s’approcher des en­fants s’il y a un bobo, une urgence quelconque », note­t­il. Dans une classe de primaire, Nadine

Cuillière, adjointe à l’éducation àla mairie, se saisit du mètre en bois, accroché au tableau noir. Ellemesure l’espace entre chaque ta­ble. « Ça va passer », promet l’élueen déplaçant de quelques centi­mètres un bureau. « A Vitrolles, nos écoles sont majoritairement grandes, pensées pour la démogra­phie de la ville nouvelle dans les années 1980. Aujourd’hui, elles accueillent moins d’élèves. Ce sont des circonstances plus conforta­bles pour appliquer le protocole », concède le maire Loïc Gachon.

Option pique-niqueLa ville, qui consacre annuelle­ment 40 % de son budget de 70 millions d’euros de fonctionne­ment à l’enfance et à l’éducation, assure aussi pouvoir compter sur l’implication de son personnel. Quarante­deux agents d’entretiensur 80 et 37 agents de maternelle (agent territorial spécialisé des écoles maternelles, Atsem) sur 67 devraient être sur le pont. « La question des Atsem sera une des clés de la reprise en maternelle », reconnaît Loïc Gachon. « Il faut un binôme enseignant­Atsem par classe, sinon cela ne sera pas possi­ble », complète son adjointe. L’un comme l’autre auraient préféré que les petites sections ne ren­trent qu’au mois de septembre.

Dans les écoles de Vitrolles, l’ac­cueil du matin à 7 h 30 est sup­primé mais la garderie jusqu’à 18 h 30 est maintenue. Et pour lacantine, c’est l’option pique­ni­que, fourni par la mairie, qui a été choisie. « Parce qu’elle va nous per­mettre d’utiliser au mieux les espa­ces extérieurs. Manger dans les classes, ce sera le dernier recours,détaille Nadine Cuillière, derrière son masque brun fait maison. Une chose est sûre, conclut l’élue,on ne va pas retrouver l’école qu’ona quittée le 16 mars. »

gilles rof

Réouverture du littoral, l’autre fronde des élusPlusieurs élus bretons militent contre l’interdiction de réouverture des plages jusqu’au 1er juin

rennes ­ correspondance

L e besoin de mer est très forten Bretagne. Après le décon­finement, nous devons

retrouver l’accès à notre littoral.Sur ce point, le discours du premierministre [Edouard Philippe], mardi 28 avril, a sonné comme un coup de massue », soupire Didier Le Gac. Le député (La Républiqueen marche, LRM) du Finistère rumine depuis son incompréhen­sion : comment justifier que l’on autorise les Parisiens à retourner dans une rame de métro et que l’on refuse aux Bretons l’accès àleurs plages, pourtant rarement bondées, ainsi qu’aux sentiers cô­tiers et à la mer ? D’autant que la péninsule figure parmi les terri­toires français les moins touchés.

Samedi 2 mai, le ministre de l’in­térieur, Christophe Castaner, a confirmé le maintien de l’inter­diction, au moins jusqu’au 1er juin, d’accéder aux plages, pro­voquant l’ire des élus bretons detout bord politique. Et il n’est pas certain que l’amendement voté par les sénateurs dans le cadre de la prolongation de l’état d’ur­gence sanitaire, mardi 5 mai, etprévoyant que « les plages et les fo­

rêts sont ouvertes au public pour lapratique d’une activité sportive in­dividuelle », survive à la deuxièmelecture à l’Assemblée nationale.

Plusieurs pétitions et appels ontvu le jour sur les réseaux sociaux pour « libérer » les 2 700 kilomè­tres de côtes bretonnes. A com­mencer par celui du président de région, Loïg Chesnais­Girard,posté sur Twitter et amplement relayé. L’élu socialiste a rédigé unelettre au gouvernement, cosignée par les représentants bretons de l’Association des maires de France.« Notre demande n’a rien d’un ca­price. Pour nous, Bretons, le littoralfait partie de notre quotidien. Pour certains, il s’agit même de leur parc

ou de leur jardin, martèle M. Ches­nais­Girard. Si le gouvernement semble si crispé sur la réouverture du littoral, c’est parce que ce n’est pas son sujet. Les maires sont prêtsà assumer avec discernement cetteproblématique. Faisons­leur con­fiance. L’Etat doit accepter que les collectivités locales prolongent laforce républicaine. »

« C’est incompréhensible »Devançant un feu vert du gouver­nement, les édiles bretons font remonter aux préfets des plans d’action. A Ploemeur (Morbihan),le maire, Ronan Loas, a cerné, sur les 17 kilomètres de plage de sa commune, ceux qui pourraient

être accessibles « sans risque, à des personnes en mouvement ». Baignades et balades autorisées, rassemblements et bronzette in­terdits. Un tel dispositif permet­trait également de réanimer l’éco­nomie du nautisme local.

Ce droit à la différenciation netrouve pas d’écho dans les minis­tères. « C’est incompréhensible.Lorsque le gouvernement impose aux élus locaux d’organiser la ren­trée scolaire, nous assumons cette décision malgré les risques et lesdifficultés qu’elle présente. Lorsquenous demandons de déverrouillerdes poches de respiration pour no­tre population, on ne nous écoute pas… », s’agace M. Loas.

Il estime que le maintien de l’in­terdiction d’accès au littoral « cris­tallise » une défiance grandis­sante des Bretons envers le gou­vernement pour sa gestion de lapandémie. M. Le Gac tente dedompter la fronde contre son camp et temporise jusqu’à la pro­chaine prise de parole d‘Edouard Philippe : « Je ne peux pas croire que le gouvernement n’entendepas la volonté des Bretons pour desréponses décentralisées, décon­centrées et différenciées. »

benjamin keltz

« RIEN NE POURRAIT JUSTIFIER QUE L’ON 

OUVRE DES MAGASINSDE CHAUSSURES ET PAS 

LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES »

LOÏC GACHONmaire de Vitrolles

(Bouches-du-Rhône)

LR critique un plan « mal ficelé, ni fait ni à faire »Le parti de droite attaque notamment le caractère volontaire de la rescolarisation

A ttendue par tous lesFrançais impatients dedéconfiner, la date du

11 mai devait aussi être celle duretour à l’école pour leurs enfants. Seulement, rien n’est simple au temps du Covid­19, et l’acte le plus naturel relève aujourd’hui du parcours du combattant. Surtout, explique l’opposition, quand le gouver­nement « s’évertue à la com­plexifier ». Déjà peu convaincuspar le plan de déconfinement del’exécutif, Les Républicains (LR) tirent à vue sur le volet scolairede la procédure. « Sur l’école, on atteint la caricature du macro­nisme et du “en même temps” : l’école est ouverte mais non obli­gatoire », moque Eric Ciotti, député des Alpes­Maritimes.

S’ils ne sont pas tous d’accordsur la nécessité d’une reprise dèslundi – Eric Ciotti aurait préféré attendre le 2 juin –, tous les té­nors de la formation de droite fustigent un plan « mal ficelé, ni fait ni à faire ». Le « péché origi­nel », selon François­Xavier Bel­lamy, eurodéputé et professeur de philosophie en classe prépa­ratoire ? Le caractère volontaire de la rescolarisation. « Soit les écoles sont sûres et c’est impossi­ble de les rendre facultatives, soit elles ne le sont pas et on ne les ouvre pas », remarque celui pourqui le retour dans les classes de­vrait « être une priorité ».

« Désorganisation totale »Un point de vue partagé par Damien Abad, député de l’Ain etprésident du groupe LR à l’As­semblée nationale. Pour lui, le gouvernement crée une « école à la carte » avec « trois niveaux de volontariat » : parental, mu­nicipal et professoral. Des con­ditions qui, mises bout à bout etmélangées aux « injonctionscontradictoires », du ministre

de l’éducation, Jean­Michel Blanquer, et du premier minis­tre, Edouard Philippe, créent de « l’anxiété et un climat difficile », s’inquiète l’élu. Eric Ciotti, lui, craint le « manque de moyens » de certaines petites commu­nes, incapables, selon lui, de fournir gel et masques en quan­tité suffisante.

« C’est une désorganisation to­tale. Qui démontre combienBlanquer est peut­être un théori­cien mais pas un praticien, avance pour sa part Aurélien Pradié, député du Lot. En réalité c’est une non­décision. Le vraicourage politique, c’était de fairerentrer tout le monde ou per­sonne. Quand le ministre nous explique que sa position est cou­rageuse, c’est une blague. »

D’autant, explique­t­on sansfard à LR, que cette rentrée est une condition sine qua non pour la reprise du travail de nombre de Français. En échos aux inquiétudes « d’écroule­ment » de l’économie émises par Edouard Philippe, le parti es­time urgente une reprise de l’ac­tivité dans les secteurs où cela est possible. Le travail, une va­leur cardinale pour le parti maisaussi pour ses électeurs, sensi­bles à la bonne santé économi­que du pays. « Il faut assumer le discours sur le retour au travail »,affirme ainsi Damien Abad.

« Tout cela est compliqué et dé­licat, mais la vie et l’économie doivent reprendre pour tous, in­siste Valérie Bazin­Malgras, députée de l’Aube, qui a ques­tionné le ministre de l’éducationsur le sujet au Palais­Bourbon. Sile virus est encore là en septem­bre, on va faire comment ? On va rester comme ça jusqu’à quand ? Il va falloir se débrouiller. » Une donnée que nombre de parents commencent à intégrer.

sarah belouezzane

Aucune plage n’ouvrira en Nouvelle-Aquitaine avant début juinLa préfète de Nouvelle-Aquitaine, Fabienne Buccio, a refusé la proposition de réouverture des plages sur laquelle ont travaillé les maires de vingt communes balnéaires de la côte atlantique. Le 5 mai, en audioconférence, sa réponse a été ferme : aucune plage de la région ne rouvrira avant début juin, comme l’a or-donné le gouvernement. Les arguments des édiles, qui avancent l’ouverture des parcs et jardins dès le 11 mai, n’ont pas convaincu Fabienne Buccio, qui craint que l’appel de l’océan n’attire les populations en trop grand nombre, même dans une limite de 100 kilomètres.

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Page 10: Le Monde - 07 05 2020

10 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123

Nicolas Hulot : « Ce serait une erreur pathétique de ne pas tirer les leçons de cette crise »L’ex­ministre de l’écologie liste ses priorités pour faire émerger « un nouveau modèle » imposé par la crise née du Covid­19

ENTRETIEN

I l appelle de ses vœux un« nouveau monde » pour re­bâtir sur celui mis à genouxpar le Covid­19. Pour Nicolas

Hulot, ancien ministre de la tran­sition écologique et solidaire, qui adémissionné de son poste en août 2018, l’heure n’est pas aux di­visions, aux querelles de partis ou à la recherche de responsabilités dans la crise. Le président de la fondation qui porte son nom ap­pelle à l’unité, afin de définir un horizon commun. Au­delà des mesures urgentes pour le déconfi­nement, il propose une transfor­mation sociale, écologique, éco­nomique, fiscale et démocratique « radicale et cohérente ».

Comment analysez­vousles causes de la crise engendrée par le coronavirus ?

Cette crise sanitaire, qui trouveses racines dans des perturbationsd’écosystème, n’est que l’avatar d’une crise beaucoup plus pro­fonde, qui met en relief nos failles,nos excès, nos vulnérabilités. Le Covid­19 met à nu les affres de la mondialisation et les limites d’un modèle. Tout est lié : crise écono­mique, écologique, sociale. Il est temps de s’attaquer aux racines du mal, de tirer des enseigne­ments de nos erreurs, de faire l’in­ventaire, de ce qu’il y a de ver­tueux et de toxique. Mais si nous contournons le rendez­vous criti­que que cette crise sanitaire nous aimposé, c’est une double peine que nous infligerons aux plus vul­nérables. Faisons­en sorte que cette épreuve ne soit pas vaine.

La crise du coronavirus a égale­ment mis en évidence notre inca­pacité collective à anticiper. On aattendu, ici et ailleurs, que le vi­rus franchisse les frontières pour commencer à réagir à la hauteur de la situation. On ne réagit queface au danger tangible et immé­diat. La crise climatique, dont les conséquences sont parfaitementdocumentées par toutes les insti­tutions, on la traite encore avec des doses homéopathiques. On a un scénario catastrophe, d’une ampleur sans précédent, mais quiest évitable. Et, pour y faire face,on n’est pas au quart des solu­tions que l’on a prises contre lecoronavirus.

Le gouvernement, ainsi que l’Union européenne, prend­illa mesure de la gravité dela situation et répond­ilde la bonne façon à la crise ?

Je ne veux pas faire de procèsd’intention. Quand j’entends le président dire qu’il faudra revisi­ter un certain nombre de choseset que l’impensable doit devenir pensable, il faut aller dans ce sens,car on est sur un point de fragilitéet de vulnérabilité qui nécessitede prendre au mot les uns et les autres. Cette profonde crise systé­mique peut très bien, par la com­binaison d’autres crises, provo­quer un chaos qui nous échap­pera totalement.

Nous sommes face à une doubleréflexion et, parfois, elle peutsembler antinomique. Il y a d’abord une urgence sociale, hu­manitaire, à laquelle il faut répon­dre avec les outils disponibles. Mais la responsabilité de celles et de ceux qui ont la tête hors de l’eau est de penser simultané­ment, ou en tout cas dans un temps très court, au monde d’après, et de le faire avec cohé­rence, le principe­clé pour rétablirla confiance entre le politique etle citoyen. C’est là que l’on jugera si l’on en a tiré les leçons. Je donneun exemple : quand l’Europe si­gne un accord de libre­échange avec le Mexique ou le Vietnam, la cohérence n’est pas encore là. Ilfaudra voir si l’on est capable de définir l’absolu prioritaire et de leconstitutionnaliser. Un absoluqui tienne compte des critères so­ciaux et écologiques qui doivent guider toutes nos politiques ettous nos comportements.

Comment concilier écologieet reprise économique ?

Concilier fin du mois et fin dumonde est un exercice très délicat.Aucun des deux ne doit occulter l’autre, et il faut garder à l’espritque, pour beaucoup de personnes − et c’est tout à fait légitime et hu­main −, la fin du mois peut primersur le reste. Avec le collectif du Pacte du pouvoir de vivre, nous avons fait quinze propositions pour essayer de faire face à cette première urgence : verser une aideexceptionnelle de solidarité, de 250 euros par mois et par per­sonne, aux ménages les plus en difficulté, créer un fonds national pour aider les locataires fragilisés à payer leur loyer, revaloriser le montant du RSA, etc.

Mais, si l’on veut ne pas repro­duire les crises, si l’on veut pouvoirretrouver une forme de sérénité vis­à­vis de l’avenir, il y a un mo­dèle que l’on ne peut pas poursui­vre jusqu’à l’absurde et qu’il faut remettre à plat. Cette crise rend re­cevables des propositions qui semblaient totalement inattei­gnables jusqu’à présent. Donc, c’est le moment de débattre, par exemple, du revenu universel, de la taxe sur les transactions finan­cières, de la relocalisation d’un certain nombre d’activités et des chaînes de valeur − cette crise a mis en évidence notre dépen­dance aux productions faites au bout du monde, notamment en Asie −, mais aussi la nécessité du juste échange plutôt que du libre­échange, ou encore de la revalori­sation de tous les métiers vitaux.

Ce nouveau modèle ne va pas s’éri­ger spontanément en quelques jours, mais on peut fixer l’horizon pour le constituer. Il faut le faire, encore une fois, non pas dans la confrontation, mais dans l’addi­tion et dans la mutualisation. C’estpourquoi on doit générer un chan­gement d’état d’esprit, afin de mettre fin à la défiance entre les uns et les autres. Si, demain, le temps des procureurs l’emporte sur le temps des éclaireurs, on ira dans le mur.

Qui sont ces « procureurs » ?Je vois le danger poindre, au mo­

ment de la sortie du confinement,que quelques­uns veuillent trou­ver des responsables ou juste pro­fiter du moment de désarroi de l’exécutif pour déjà se projeter pour 2022. Ils peuvent créer de la confusion au moment où l’on va avoir besoin d’unité. Pour moi, le moment est à la projection vers l’avenir, et chacun doit contribuer à un horizon commun. On peut faire de ce moment un grand mo­ment, ou bien on peut en faire un petit moment mesquin, fait de di­visions, de confrontations − comme l’opposition menée par le Sénat, lundi [les élus du Palais du Luxembourg ont rejeté le plan de déconfinement présenté par le pre­mier ministre]. Nous venons de faire l’expérience de l’essentiel, re­trouvons­nous sur l’essentiel et mettons nos querelles du passé decôté pour l’instant. Profitons que les esprits ont été bousculés pour, sans dogmatisme, parvenir à une unité de la nation, à créer un cercle

vertueux entre la volonté ci­toyenne et la faculté politique.

Comprenez­vous les citoyens qui se sont sentis mis en danger par l’impréparationdu gouvernement sur lesmasques et les tests oules appels des soignants ?

Quand on a été atteint dans sachair, quand des proches ont été touchés, quand on est soignant… évidemment que je comprends ces critiques. Je mets juste en garde : l’urgence est le rassemble­ment, pas la division. Dans une crise sanitaire, pour un responsa­ble politique, la boussole, c’est lascience. Mais elle a dû elle­même faire face à beaucoup d’inconnus. Dans de telles circonstances, cha­que décision est difficile. Cela n’oc­culte pas que la plupart des na­tions, à commencer par la nôtre, ont été prises de court pour faire face à ces situations.

Vous dites que c’est le tempsdu débat, mais des aides écono­miques massives sont en train d’être décidées. Etes­vousfavorable à leur conditionnalité ?

Des aides sont évidemment né­

cessaires pour éviter l’aggravation de la situation, que des grandes oudes petites entreprises ne mettent la clé sous la porte. Il faut des aidesimmédiates pour les citoyens en difficulté, ne serait­ce que pour nourrir leurs enfants. Mais quand on commence à faire tourner la planche à billets, essayons de ne pas reproduire ce que l’on a fait après la crise financière de 2008. Ace moment­là, une grande part de l’argent est partie dans l’économiespéculative, sans conditions.

Bien entendu, chaque sommeinvestie – de ce qui est l’argent des citoyens, ces dizaines de milliards que l’on ne trouvait pas il y a en­core peu de temps – doit l’être avecune perspective claire. Si l’Etat­providence est de retour, ce que je souhaite, cela ne peut pas être sans contrepartie. Le gouverne­ment doit prendre date pour un grand rendez­vous, afin de cons­truire cet horizon commun et dé­finir les priorités.

Les conditions demandéesà Air France en contrepartiede l’aide de 7 milliards d’euros étaient­elles suffisantes ?

J’ai eu un échange avec Bruno LeMaire, qui n’a pas pris pour argent comptant la lettre du Medef [dé­but avril, le syndicat des patrons avait demandé à Elisabeth Borne, la ministre de la transition écologi­que et solidaire, « un moratoire surles dispositions énergétiques et environnementales »]. L’Etat doit être clair en demandant des con­treparties concrètes. Pour cela, il faudra de la concertation et une

planification générale, où l’on fixera des objectifs. Cela ne se fait pas sur les plateaux de télévision. Il faut se poser, prendre acte.

Faut­il sacrifier des branches,par exemple dans les transports ou les énergies fossiles ?

Il y a trois principes que je vou­lais mettre en œuvre quand j’étais ministre de la transition écologi­que et solidaire : la prévisibilité, la progressivité et l’irréversibilité. Ilfaut se fixer collectivement de grands objectifs, dont certains peuvent être à un an, à dix ans… Mais il faut faire en sorte qu’aucunacteur ne s’imagine que cela puisse être réversible. Cela doit être programmé, et les aides de l’Etat doivent y participer.

Il ne faut pas mettre à bas le sec­teur automobile, mais, en tenant compte de contraintes énergéti­ques et climatiques, il faut lui fixerun certain nombre d’objectifs. Tout cela ne peut se faire au bon vouloir des industriels, l’Etat doit fixer des normes. La société, qui a accepté sans sourciller d’être pri­vée de libertés fondamentales, rêve de pouvoir retrouver con­fiance en l’avenir, il faut donc faireles choses en grand. Le monde d’après sera radicalement diffé­rent de celui d’aujourd’hui, et il le sera de gré ou de force. Certaines choses demeureront compatibles, d’autres ne le seront plus.

Quelles seront les choses, con­crètement, que les citoyens ne pourront plus faire selon vous ?

On ne pourra plus prendrel’avion comme avant, plus non plus avoir un produit qui arrive par Amazon du bout du monde envingt­quatre heures, par exemple. Pourra­t­on, pour ceux qui peu­vent se le permettre, acheter des bolides ou des SUV, j’espère que non. Trouvera­t­on des produits alimentaires hors saison dans les magasins ? Non. Rapidement, il faudra que l’offre et la consomma­tion changent.

Finalement, à quoi ressemblerace « jour d’après » ?

Il faut d’abord le construire. Lepremier rendez­vous à prendre, dès que les conditions seront réu­nies, c’est celui où l’on définit col­

« C’EST LE MOMENT DE DÉBATTRE DU REVENU 

UNIVERSEL OU DE LA REVALORISATIONDES MÉTIERS VITAUX »

Nicolas Hulot à Saint­Lunaire (Ille­et­Vilaine), le 5 mai. Capture d’image réalisée grâce à une application de visioconférence. ED ALCOCK/MYOP POUR « LE MONDE »

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lectivement le nouveau modèle économique et démocratique. Il ne faudra rien s’interdire en ter­mes de propositions. Réformer la fiscalité et avoir une TVA incita­tive, en Europe, sur les biens et les services écologiquement et socia­lement vertueux, et qui soit dis­suasive sur des biens toxiques, permettant de structurer les mo­des de production et de consom­mation. Remettre sur la table l’idée des monnaies locales com­plémentaires qui permettraient à des collectivités de pouvoir aider les plus démunis à accéder à des biens et des services de première nécessité. Revaloriser très rapide­ment ces métiers essentiels que l’on a redécouverts pendant la pandémie de Covid­19.

Et, dans ce monde où se con­frontent toutes les inégalités, il faudra lutter contre le détermi­nisme social. Cela peut paraître grandiloquent, mais ce monde in­supportable, qui crée de l’humi­liation, n’a pas d’issue pacifique. Ildoit être radical en humanité et en solidarité. Il faut donc distri­buer de l’argent, se fixer des limi­tes dans les revenus, dans la cupi­dité. Le temps de l’Etat régulateur est revenu, mais sur des bases dé­mocratiques, avec des citoyens qui doivent participer à l’énoncé de ces règles communes. Dans un deuxième temps, il faudra dresserles perspectives d’une troisième Chambre dans laquelle on fera en­trer les citoyens, les corps inter­médiaires qui contribueront à dessiner, à planifier le futur.

Comment, justement, financer ces transformations ?

Nous devons sortir d’une grandemystification que je dénonce de­puis très longtemps, et qui est à l’origine de ce discrédit entre le ci­toyen et le politique. L’Etat est qua­siment en situation de banque­route, si l’on suit les dogmes bud­gétaires. Et de fait, quand il prometde l’argent, soit c’est de l’argent qu’il n’a pas, soit de l’argent que l’on promet aux uns et que l’on en­lève aux autres.

Nous avons depuis des décen­nies laissé un pan entier de l’éco­nomie nous échapper. Tant que l’Europe s’accommodera de l’éva­sion et de l’optimisation fiscales, d’une finance qui s’est organisée pour ne pas participer à l’impôt, on nous promettra de l’austérité. Et nous n’aurons pas la possibilité d’atteindre nos objectifs écologi­ques et sociaux. Tant que nous res­tons dans les dogmes budgétaires et que nous n’acceptons pas d’in­vestir en grand sur cette transitionsociétale, on n’y arrivera pas. La priorité des priorités, c’est d’aller chercher l’argent là où il est, de taxer de manière plus importante les revenus qui ne sont pas issus du travail, de mettre fin à ce capita­lisme sauvage. Si on veut éviter lestensions sociales qui vont poindredemain, il faut redonner de l’équité. Mais dans l’urgence, ne nous interdisons pas de faire de la dette dès lors que cet argent est flé­ché pour développer massive­ment les solutions et non pour prolonger ce qui est la cause de nosproblèmes. On meurt du Covid­19,de la canicule, pas de la dette.

Faut­il rétablir des frontières économiques, physiques ?

Sans tomber dans le piège desnationalistes et des protectionnis­tes, il faut trouver cette troisième voie entre l’autarcie et le néolibé­ralisme. On doit continuer à com­mercer, mais les frontières de l’Eu­rope doivent être des sortes d’écluses, servir de leviers pourimposer des normes environne­mentales, sanitaires et sociales. C’est le juste échange.

Vous proposez donc une confé­rence écologique et sociale pour que les élus et les citoyens prépa­rent le « jour d’après »…

Cela peut éventuellement s’ins­pirer d’un format type Grenelle mais l’important, c’est qu’on défi­nisse bien la finalité. Et que cela ne

soit pas une énième consultation sans lendemain. Mais à terme, l’idée est de constituer une troi­sième Assemblée, qui prenne de lahauteur par rapport au jeu politi­cien, mais surtout qui planifie l’avenir en s’extrayant du rythme médiatique et politique. Quand on voit que le Sénat n’a qu’une vo­cation, c’est de déliter ce que l’As­semblée a fait, il apparaît urgent de sortir de ces petits jeux mortels.

A quoi ressemblerait cettetroisième Assemblée ?

Il faut travailler sur le socle duConseil économique, social et en­vironnemental, qui produit déjà beaucoup. Il faut y intégrer des ex­perts, des scientifiques, et davan­tage de citoyens. Il faut associer l’ensemble de la nation à la com­plexité pour que chacun com­prenne que les choses ne sont ja­mais ni blanches ni noires.

Cela ne risque­t­il pas d’empiéter sur le terrain de la conventioncitoyenne pour le climat, qui doit remettre des propositionsà Emmanuel Macron, en juin ?

Il faut agréger les différentes ini­tiatives. La convention citoyenne est une bonne initiative, qui a été empruntée à un outil plus vaste. Lors de la campagne présidentielled’Emmanuel Macron, ma Fonda­tion avait mis sur la table l’idée d’une « Chambre du futur ». Dans les réflexions sur cette troisième Chambre, il y avait l’idée de ci­toyens tirés au sort. Au moment du conflit des « gilets jaunes », le président a décidé de reprendre cette idée. Je trouve cela bien, maisce n’est pas suffisant. Confronter brutalement des citoyens à la complexité des dossiers, leur faire une formation accélérée… Tout cela est très bien, mais cela ne peutpas se faire en quelques week­endset sans garanties sur l’utilisation de leurs travaux. Il faut pérennisercet outil, en faisant jaillir une dé­mocratie vraiment inclusive. Le cercle vertueux entre des citoyens qui proposent et des politiques quien tiennent compte, cela doit avoir lieu en permanence, au sein de cette troisième Chambre.

Plaidez­vous toujours pourun changement institutionnel, avec l’émergence d’une VIe République ?

Je ne sais pas s’il faut aller jus­que­là mais il y a des révisions constitutionnelles qu’il faudrait faire à l’horizon de début 2021, is­sues des réflexions de la grande conférence à venir, sans attendre 2022. Au passage, je le dis d’ailleursà ceux qui n’ont que la présiden­tielle à l’esprit : on s’en contrefiche de 2022 !

Pourquoi dites­vous cela ?C’est un coup de colère, car je

vois la tentation de quelques­uns, dans l’opposition, de profiter de la fragilité du gouvernement pour semettre en ordre de marche pour 2022. Alors que ce n’est pas le mo­ment. Il reste encore deux années déterminantes pour l’avenir de l’Europe et de notre pays. En 2022, tout sera déjà plié dans un sens ou un autre en fonction de nos choix et décisions des prochains mois. La seule chose qui doit nous ani­mer est : qu’est­ce que nous pou­vons faire maintenant pour ras­sembler la nation et contribuer à modifier le monde de demain ?

Avec cent principes pour unnouveau monde, votre mani­feste pour un pacte social et écologique ressemble pourtant à une déclaration de candidature… Excluez­vous d’être candidatà la présidentielle de 2022 ?

Encore une fois, je suis à des an­nées­lumière de cette échéance.Notre manifeste n’est pas un actepolitique : il a vocation à tenter de rassembler autour de princi­pes, d’où découleront, je l’espère,des choix politiques et économi­ques. A mes yeux, 2022, c’est presque de la science­fiction, cartout se joue dans les semaines et

les mois qui viennent, avec desdécisions majeures à prendre.C’est l’heure de vérité pour l’Eu­rope, par exemple. Soit on conti­nue avec cette économie de mar­ché, où règne la loi du plus fort,soit on bascule dans une Europe des solidarités, qui tende la mainà l’Afrique. Soit on va dans une forme de fanatisme, en repartantà l’identique, soit on tire les le­çons de cette crise.

C’est la seule chose qui m’anime.J’ai un engagement politique au sens sociétal du terme, qui est to­tal, pour créer de la convergence et un cercle vertueux entre ci­toyens et politiques. C’est le seulrôle que je joue. Alors que le gou­vernement est en difficulté, je suis

dans un esprit de coopération, sans être naïf ni indulgent. L’idée, c’est d’être exigeant. Et je vais être très exigeant dans les semaines à venir.

Croyez­vous EmmanuelMacron capable de sortir dela politique « des petits pas », que vous aviez dénoncée, pour se montrer plus ambitieux dans son action écologique ?

Je veux y croire. Il a bien dit auFinancial Times : « Il faut que leschoses impensables deviennent pensables. » Je dis chiche ! On ju­gera aux actes et à la cohérence.Cela vaut pour notre président, comme pour l’Europe. On nepeut pas interdire aux gensd’évoluer. On vient de se prendreune énorme claque, beaucoup deresponsables politiques me di­sent avoir compris que notre mo­dèle n’est plus tenable, qu’on a at­teint une rupture physique… J’es­père que cette crise va éveiller lesesprits, y compris d’EmmanuelMacron. A lui de profiter de cemoment pour engager un vraichangement de modèle.

Sur quels critères le jugerez­vous ?Nous verrons s’il est capable de

sortir des sentiers battus. J’attendsde voir, par exemple, si l’on reste dans les traités de libre­échange, ce que l’on me dira sur la possibi­lité de mettre en œuvre une taxe sur les transactions financières, sur le fait d’aller chercher des res­sources dans les revenus du capi­tal. Va­t­on continuer à donner desavantages à des entreprises qui sont domiciliées dans des paradis fiscaux ? Voilà les critères pour ju­ger sur pièce. Je donne une chanceet j’accorde crédit pour l’instant. Mais attention : ce serait une er­reur pathétique de ne pas tirer les leçons de cette crise. Car la peur peut générer soit de la violence, soit de l’audace. Maintenant, à nous de choisir.

Que pouvez­vous faire pourpeser dans la sortie de crise ? Avez­vous l’oreille du président ?

Je parle avec le président, cer­tains ministres, des membres de l’opposition. J’essaie de faire con­verger. Cela peut se faire dans la courtoisie, mais aussi dans une

forme de radicalité. Nous som­mes dans une situation radicale,je ne m’accommoderai pas demesures qui ne soient pas radica­les. Cela ne servirait à rien.

Comment vivez­vousle confinement ?

Avec des émotions très différen­tes. D’abord la peur et la tristesse pour les gens qui se sont retrouvésdans les affres sanitaires. On se sentait presque coupables de ne pas être plus utiles ou d’échapper à cette loterie sanitaire. Mais j’ai découvert les vertus de prendre son temps pour chaque chose, les vertus de l’écoute, de la lecture, dudialogue avec ses proches, mais aussi avec ses adversaires. Il faut que le monde ralentisse. Tous les chemins n’ont pas d’issue. Le che­min de ce modèle ultralibéral, de cette mondialisation qui échange des choses qui n’ont aucune uti­lité, n’en a pas. Il va falloir distin­guer le toxique du vertueux.

propos recueillis parrémi barroux, audrey garric,

alexandre lemariéet abel mestre

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Page 12: Le Monde - 07 05 2020

12 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123

Covid­19 : le patronat veut être protégé par la loiLe Sénat a adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement excluant la responsabilité des employeurs

L es patrons ont peur de su­bir les foudres de la jus­tice, même lorsqu’ilspensent avoir tout fait

pour protéger leurs salariés du Covid­19. C’est, en substance, le message qu’ils viennent de trans­mettre à Muriel Pénicaud, la mi­nistre du travail, dans une lettre cosignée par six des plus impor­tantes organisations d’em­ployeurs, dont le Medef, la Confé­dération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P). Leur offensive groupée vise à ob­tenir un changement de la législa­tion afin de « mettre fin à l’insécu­rité juridique qui pèse » sur les diri­geants de sociétés. Pour les auteurs de ce courrier, en date du 30 avril, les textes doivent êtreadaptés « à la situation actuelle, etnotamment au risque pandémi­que, dont nul ne peut prétendre avoir la maîtrise et dont les entre­prises ne sont pas à l’origine ».

La crainte exprimée par le pa­tronat ne date pas d’hier. Elle ren­voie à un corpus de règles, sur la santé et la sécurité au travail, is­sues de la loi et de la jurispru­dence. Les employeurs sont sou­mis à une « obligation de moyensrenforcée, ce qui veut dire qu’ils ne seront pas considérés responsa­bles, s’ils démontrent qu’ils ont mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécu­rité et protéger la santé physique et mentale des personnels », expli­que Pascal Lokiec, professeur à l’école de droit de la Sorbonne.

Dans l’hypothèse où un salariépense que sa hiérarchie a manquéà ses devoirs, le contentieux peut être porté devant les juges. C’est alors eux qui apprécient si l’entre­prise s’est conformée à son « obli­gation de moyens renforcée ». Lefait d’être suspendu à une déci­sion souveraine de magistrats nerassure guère les employeurs, enparticulier depuis le début de l’épidémie. A maintes reprises,des travailleurs se sont plaints desconditions dans lesquelles ils exerçaient leur métier : tropgrande promiscuité avec des col­lègues, absence de masques et de gel hydroalcoolique… Plusieurs plaintes pour « mise en danger dela vie d’autrui » ont été déposées.

« Mécanique infernale »Le ministère du travail s’est ef­forcé de clarifier les règles en dif­fusant des « fiches­conseils » puis un « protocole national de décon­finement » : ces vade­mecum in­diquent aux patrons la marche à suivre pour que leur activité soit

maintenue ou reprenne en veillant à la sécurité des équipes. Mais les inquiétudes persistent.« On a beau suivre tout ce que disent ces guides, on n’est pas ga­rantis que quelqu’un ne déclen­chera pas une action en justice, confie François Asselin, présidentde la CPME. La mécanique infer­nale d’une procédure pénale peut alors se mettre en route et, mêmes’il n’y a pas de condamnation au bout, vous aurez subi le terribleparcours initiatique d’une compa­rution en correctionnelle. »

« Ça génère une anxiété assezforte, et ça fait aussi partie des freins à la reprise d’activité », en­chaîne Geoffroy Roux de Bézieux,le numéro un du Medef. « C’est surtout dans les petites boîtes que le problème se pose, là où il n’y apas de délégation de responsabi­lité, ajoute Jacques Chanut, prési­dent de la Fédération française dubâtiment. Il y a un sentiment d’in­justice totale. Comment peut­onprouver que le salarié a attrapé le virus en travaillant et pas en ache­tant sa viande chez le boucher ? » Pour Alain Griset, le président de l’U2P, « il faut sécuriser tout le monde : le consommateur, le sala­rié et le chef d’entreprise ».

Les leaders patronaux assurentqu’ils ne cherchent nullement às’exonérer de leurs devoirs. « No­tre démarche ne signifie pas que l’employeur ne doit rien faire, ni se préoccuper de la santé et de la sécurité de ses personnels », af­firme Hugues Vidor, responsablede l’Union des employeurs de

l’économie sociale et solidaire, l’une des organisations signatai­res du courrier à la ministre du travail. Mais cette même lettre in­siste sur la nécessité « de limiter etde clarifier le périmètre » de l’obli­gation de moyens renforcée, de manière à « éviter d’éventuellesmises en cause de la responsabilitécivile et pénale de l’employeur qui a fait diligence ».

Pour atteindre cet objectif, unesolution existe : prendre « unemesure législative dans l’esprit et dans la lettre » d’une directiveeuropéenne datant de 1989, écri­vent les six mouvements patro­naux à Mme Pénicaud. La directive en question offre la faculté aux Etats membres « d’exclure ou dediminuer » la responsabilité desemployeurs « pour des faits dus à des circonstances qui sont étran­gères à ces derniers (…) ou à des événements exceptionnels ». LeMedef plaide également pour queles fiches­conseils et le protocole de déconfinement du ministère du travail aient « une valeur juridi­que » : si ces documents sont appliqués strictement, l’obliga­tion de moyens pourra être consi­dérée comme remplie.

« Malade professionnelle »« S’il s’agit de protéger les em­ployeurs face au risque de voir leur responsabilité engagée dans le contexte de l’épidémie de Covid­19, cette seule directive ne permet pas, selon mon analyse, de garantir leur exonération, et nécessiterait donc l’adjonction de nouvelles dis­

positions », commente Me Marie­Hélène Bensadoun, vice­prési­dente d’Avosial, une association d’avocats qui conseille les employeurs. Professeur émérite à l’université Paris­Nanterre, An­toine Lyon­Caen s’interroge « sur l’utilité d’introduire une exceptionau régime de la responsabilité de l’employeur » : si ce dernier se conforme aux instructions du mi­nistèrel, « il me paraît difficile deprétendre qu’il aurait manqué à ses obligations », complète­t­il.

Sans surprise, les syndicats réa­gissent assez mal à l’initiative du patronat. « Ce serait un très mau­vais signal que de faire évoluer la loi », a déclaré Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT,dans un entretien au Monde. La position affichée dans la lettre à Mme Pénicaud est « particulière­ment violente », juge Jérôme Vi­venza (CGT) : « Surtout pendant leconfinement, l’un des principaux risques d’attraper le virus, c’est en allant sur son lieu de travail. » Serge Legagnoa (FO) qualifie de « scandaleux » le souhait des mouvements d’employeurs. Pour

lui, il conviendrait de prévoir « la reconnaissance du Covid­19 enmaladie professionnelle » pour l’ensemble des salariés : une telle décision permettrait « de prendreen charge les personnes concer­nées et de sécuriser les employeurs qui feraient face à beaucoupmoins d’actions juridiques ».

Lundi 4 mai, les sénateurs sesont emparés du sujet en adop­tant, contre l’avis du gouverne­ment, un amendement excluant toute responsabilité des élus locaux, fonctionnaires et em­ployeurs en cas de contaminationpar le Covid­19 pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, àmoins que les faits aient été commis « intentionnellement », « par imprudence ou négligence »,ou « en violation manifestementdélibérée d’une mesure de police administrative ».

Au ministère du travail, on seretranche derrière des propos tenus, lundi, par Edouard Phi­lippe, selon lesquels « l’heure n’est pas à atténuer la responsabilité des maires ou des employeurs ». « Aujourd’hui, les entreprises ont une obligation de moyens, pour­suit­on dans l’entourage de Mme Pénicaud. Pour les accompa­gner, nous avons publié 51 guideset un protocole. Si besoin, on clari­fiera ce qu’est cette obligation de moyens mais l’idée n’est pas de di­minuer la responsabilité des em­ployeurs, comme l’a indiqué le pre­mier ministre. »

raphaëlle besse desmoulièreset bertrand bissuel

Les collectivités territoriales devraient perdre 15 milliards d’eurosMalgré une lourde perte de recettes pour les territoires, le gouvernement a annoncé qu’il maintenait la suppression de la taxe d’habitation

P rès de 15 milliards d’euros.C’est le montant estimédes pertes de recettes que

devraient essuyer les collectivités territoriales en 2020 et 2021 du fait de la crise provoquée par le Covid­19, tel qu’il ressort des audi­tions des ministres Gérald Dar­manin et Olivier Dussopt, mer­credi 29 avril, devant la commis­sion des finances de l’Assemblée nationale, et de Jacqueline Gou­rault et Sébastien Lecornu, mardi 5 mai, devant son homologue du Sénat. L’impact, certes, sera limitéà court terme. D’une part, parceque la trésorerie des administra­tions publiques locales s’élevait à 46 milliards d’euros à la fin du mois d’avril, comme l’a révélé leministre de l’action et des comp­tes publics, M. Darmanin. D’autre part, parce que la plupart des re­cettes fiscales – pas toutes – sont perçues à l’année n + 1.

Aussi, pour la plupart des collec­tivités territoriales, l’essentiel des

difficultés se fera sentir en 2021.Selon les ministres, la perte de re­cettes devrait être de l’ordre de 4 milliards d’euros en 2020 et de 10 milliards en 2021, toutes collec­tivités confondues. Un montant qui peut être amené à changer en fonction de l’évolution de la crise. De plus, il faut réintégrer dans les comptes des collectivités les dé­penses supplémentaires généréespar la crise, mais aussi les moin­dres dépenses, afin d’évaluer pré­cisément les pertes. C’est l’objetde la mission confiée au présidentde la délégation aux collectivitésterritoriales et à la décentralisa­tion de l’Assemblée, le député du Gers Jean­René Cazeneuve (La Ré­publique en marche), qui devraitrendre son rapport fin juin.

Les collectivités locales ne sontpas toutes logées à la même en­seigne, du fait de la diversité deleurs ressources et des compéten­ces qu’elles exercent, mais aussi de leurs spécificités. Toutes ne se­

ront pas affectées de la mêmemanière. Le choc, néanmoins, risque d’être très dur pour certai­nes d’entre elles. Notamment les collectivités ultramarines, dont une partie importante des recet­tes repose sur l’octroi d’outre­mer, une taxe perçue sur les pro­duits importés qui peut parfois représenter jusqu’à 60 % des re­cettes d’une commune, ainsi que pour les collectivités fortement dépendantes de l’activité touristi­que, comme la Corse.

Fréquentation touristiquePeu de communes connaissent aujourd’hui des difficultés : unequarantaine, souvent des très petites, qui étaient déjà dans le rouge avant la crise et auxquelles la direction générale des finances publiques a accordé des avances de trésorerie. Mais, avec la crise etla baisse de fréquentation touris­tique, certaines d’entre elles de­vraient voir brutalement chuter

leurs revenus tirés de la taxe deséjour ou de la taxe casino : ville touristique plus casino, c’est le tic­ket perdant, jusqu’à 15 % de recet­tes en moins.

L’autre perte importante derecettes portera sur les droits demutation à titre onéreux (DMTO),les frais de notaire perçus par les départements, majoritairement, et les communes, du fait de la mise quasi à l’arrêt des transac­tions immobilières. Mardi matin, devant les sénateurs, la ministre

de la cohésion des territoires, Mme Gourault, a indiqué que labaisse des recettes de DMTO en 2020 devrait être de l’ordre de25 % et qu’elle représenterait 3,4 milliards d’euros pour les départements, soit un peu plus d’un quart de leurs recettes fisca­les, et d’environ 1 milliard d’euros pour les communes.

De fortes inquiétudes pèsentsur les départements, qui risquent d’être confrontés à un « effet ciseaux » entre la baisse de leurs recettes de DMTO et la hausse de leurs dépenses socia­les, notamment les dépenses de RSA, alors qu’en parallèle devrait se poursuivre la réforme de la taxe d’habitation, entraînant pour eux la perte de cette fiscalitélocale, remplacée par une fractionde TVA. Les ministres ont con­firmé que la crise ne la remettaitpas en cause. « Il n’y a pas lieu des’inquiéter pour la dynamique dunouveau panier de ressources fis­

cales des collectivités du bloc com­munal », a assuré le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt.

Pas plus que pour les départe­ments, a­t­il ajouté, évoquant un possible « effet d’aubaine », la loi de finances prévoyant que la frac­tion de TVA attribuée aux dépar­tements en 2021 serait équiva­lente aux recettes de taxe foncièresur les propriétés bâties (TFPB) perçues en 2020 majorées de 250 millions d’euros. « Pour les dé­partements, la réforme de la taxe d’habitation est extrêmement pro­tectrice », affirme M. Dussopt, à re­bours des nombreux commentai­res signalant que la substitutionde la TFPB par une part de TVA, dans cette période de chute de la consommation, aurait été drama­tique pour les départements.

Les régions, qui ont vu en 2017leur dotation globale de fonction­nement remplacée par une frac­tion de TVA, ne devraientd’ailleurs subir qu’un impact mo­déré puisque la loi prévoit un dis­positif leur garantissant un mon­tant au moins équivalent à leursrecettes de TFPB en 2017, soit4,1 milliards d’euros. Ainsi, leurs pertes ne devraient pas excéder, au maximum, 264 millionsd’euros. Elles risquent en revan­che d’être beaucoup plus forte­ment affectées, en 2021, par labaisse des impôts de production,comme la contribution sur la va­leur ajoutée des entreprises.

Enfin, si la participation des ré­gions au fonds national de solida­rité avec les petites entreprises, à hauteur de 500 millions d’euros,pourra être inscrite en investisse­ment et non en dépenses de fonc­tionnement, il n’en ira pas demême pour les autres dépenses liées à l’épidémie de Covid­19. Le gouvernement envisage toute­fois, ont indiqué les ministres, qu’elles puissent être lissées sur plusieurs exercices.

patrick roger

Certaines communes

devraient voir brutalement chuter leurs

revenus tirés dela taxe de séjour

Depuis le débutde l’épidémie,

plusieurs plaintespour « mise en

danger de la vied’autrui » ont été

déposées pardes travailleurs

« Ce seraitun très mauvais

signal quede faire évoluer

la loi »LAURENT BERGER

secrétaire général de la CFDT

c’est une première photographie,encore parcellaire, des effets sur lesfinances publiques de la pandémie deCovid­19. Mais elle permet déjà d’esquis­ser les conséquences des deux premiè­res semaines de confinement, en vi­gueur en France depuis le 17 mars. Le dé­ficit du budget de l’Etat s’est établi à52,5 milliards d’euros au premier trimes­tre 2020, se creusant de 11,8 milliards d’euros à fin mars par rapport à la mêmepériode de 2019, selon les données pu­bliées, mardi 5 mai, par le ministère de l’action et des comptes publics. « Les pre­miers effets de la crise sanitaire sont ob­servés en recettes et en dépenses », indi­que le communiqué.

Les mesures exceptionnelles prises enréponse à la crise sanitaire et économi­que ont pesé sur les dépenses, avec no­tamment 2 milliards d’euros consacrés au dispositif exceptionnel de chômage

partiel, mais aussi sur les recettes, en baisse de 6 milliards d’euros par rapport à 2019. Ainsi, alors que la consommationest en berne, les recettes de TVA ontfondu de près d’un quart, amputées de8,3 milliards d’euros. Quant à l’impôt surles sociétés, il est en recul de 2,8 milliardsd’euros, près d’un tiers, « en lien avec les reports de règlement des échéances fisca­les accordés aux entreprises en diffi­culté », détaille le communiqué de Bercy.

Les compteurs ne sont pas arrêtésEt encore ces pertes sont­elles compen­sées par une forte hausse des recettes del’impôt sur le revenu, passées de 10,6 milliards d’euros à 15,1 milliards d’euros sur la période, en raison de la mise en place du prélèvement à la source. Dans le nouveau système en ef­fet, les revenus relatifs à décembre 2019ont été perçus dès janvier 2020.

Mais, alors que le gouvernement a déjàdéployé un plan de soutien à l’économiede 110 milliards d’euros, les compteurs sont loin d’être arrêtés. Lundi soir, Bercy a confirmé la décision d’exonérer de charges sociales et fiscales pour les moisde mars, avril et mai les entreprises de moins de dix salariés ayant fait l’objet defermetures administratives durant le confinement – soit l’essentiel des petits commerces non alimentaires.

« Il est trop tôt pour donner un chiffreprécis » pour ces nouvelles exonérations de charge, indique­t­on dans l’entouragede Gérald Darmanin, le ministre de l’ac­tion et des comptes publics, évoquantun coût de « plus d’un milliard d’euros ». Un troisième projet de loi de finances rectificative devra valider ces nouvelles dépenses, mais « ce n’est pas pour la se­maine prochaine », se contente­t­on de dire à Bercy. Le plan de relance est, lui, at­

tendu pour septembre ou octobre.Certains secteurs comme l’aéronauti­que, l’automobile ou le tourisme serontparticulièrement soutenus, a annoncé il y a quelques jours le ministre de l’écono­mie, Bruno Le Maire.

Lors d’une audition devant la commis­sion des finances de l’Assemblée, M. Dar­manin a d’ailleurs précisé que le budget 2021, qui sera présenté à l’automne, sera un budget « de relance ». « Nous sommesen train de travailler (…) en imaginant (…) une construction » qui permette « d’isolerles dépenses » consacrées à la relance des budgets alloués aux différents ministè­res, a­t­il affirmé. « C’est une proposition que nous avons formulée au premier ministre », a­t­il ajouté, précisant que,même s’il s’agissait d’une question deforme, cela permettrait de rendre plus li­sible la discussion budgétaire.

audrey tonnelier

Les recettes fiscales de l’Etat sérieusement amputées par la crise

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Page 13: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 13

Les banques françaises résistent… pour l’instantFace au choc de la pandémie, Société générale, BNP Paribas et Crédit agricole accumulent les provisions

L e confinement sanitaireaura des répercussionséconomiques majeuresqui, si elles étaient dura­

bles, pourraient bouleverser le secteur bancaire. A ce stade, néan­moins, les grandes banques euro­péennes et américaines font face avec plus ou moins de brio.« Comme le système est arrosé deliquidités, de garanties, de protec­tions, il est trop tôt pour observer des défauts d’entreprises », note Nicolas Véron, économiste ducentre de réflexion européen Bruegel et au Peterson Institutede Washington.

Mais, au premier trimestre, lesinstitutions françaises ont affichédes résultats marqués par la crise.Si Société générale, grevée par sa banque de financement et d’in­vestissement, a essuyé une perte de 326 millions d’euros, BNP Pari­bas et le Crédit agricole enregis­trent des bénéfices confortables(respectivement de 1,3 milliard et 908 millions d’euros) bien qu’ennet recul, de 33 % pour chacun.

Des « méga­provisions » en pré­vision de crédits non rembour­sés C’est l’indicateur le plus évi­dent des graves dommages éco­nomiques que va provoquer le Covid­19. Les comptes du premiertrimestre 2020 des banques euro­péennes, et surtout américaines,font apparaître une flambée du« coût du risque », c’est­à­dire desprovisions qu’elles doivent cons­tituer pour faire face à des pertespotentielles de crédits, parce que de nombreux prêts souscrits par leurs clients, en particuliers les entreprises, ne pourront pas être remboursés.

Les chiffres les plus impression­nants ont été relevés aux Etats­Unis. Ainsi, Bank of America a provisionné 4,8 milliards de dol­lars (4,4 milliards d’euros), lemontant le plus élevé depuis2010, ce qui a fait chuter son béné­fice net trimestriel de 48 %, à 3,5 milliards. Le profit de Citi­group a plongé de 47 %, à 2,5 mil­liards, après une provision de 7 milliards de dollars pour pareraux futurs impayés. JPMorgan Chase a provisionné 8,3 milliards,Wells Fargo 4 milliards et Gold­man Sachs, 937 millions.

De ce côté­ci de l’Atlantique, « laBanque centrale européenne a en­couragé les banques à ne pas se montrer trop pessimistes », noteNicolas Véron, afin qu’un excès deprovisions ne provoque pas, en définitive, de la défiance. Chaqueinstitution européenne a donc tenté de fixer le niveau de réser­ves le plus adéquat, à l’aveugle, puisque nul n’est en mesure d’ex­

trapoler. Bien moins rentablesque leurs concurrentes américai­nes, elles ne disposaient pas des mêmes marges de manœuvrepour mettre de côté des « méga­provisions ».

Chez BNP Paribas, le coût du ris­que a crû de plus 85 % sur les trois premiers mois de l’année, à 1,4 milliard d’euros. Il a été multi­plié par trois au Crédit agricole, comme à la Société générale.Cette dernière a ajouté qu’il était susceptible de peser sur ses résul­tats annuels à hauteur de 3,5 mil­liards à 5 milliards d’euros.

De lourdes pertes dans les acti­vités de marché La Société géné­rale a été la première banque fran­çaise à publier ses comptes tri­mestriels, jeudi 30 avril, avec six jours d’avance sur l’agenda initial,parce que des rumeurs de marchéfaisaient état d’une « paume » dans sa banque de financementet d’investissement (BFI). Et, en ef­fet, ces activités ont enregistré une perte de 537 millions d’euros

sur le trimestre. Particulièrementtouchées, les activités « actions » ont vu leur revenu chuter de 99 %,pour n’atteindre que 9 millionsd’euros. Que s’est­il passé ?

Certains métiers de la banqued’investissement prospèrent en temps de crise, lors des pics de vo­latilité, en particulier les produits de flux, les actions et les obliga­tions que les investisseurs ven­dent et achètent dans des volu­mes importants. Les banques américaines, leaders sur ce mar­ché, ont ainsi profité à plein du choc sur les marchés financiers au mois de mars, au début de lacrise sanitaire.

Cependant, « la force de Sociétégénérale, le fleuron de la banque, ce sont les produits structurés “ac­tions”, explique David Benamou, associé gérant au sein du cabinetAxiom. Ils peuvent proposer un ef­fet de levier important sur les divi­dendes qui vont être payés pour l’action sous­jacente. Avec la va­gue d’annulation de dividendes de nombreux groupes côtés, ces pro­

duits ont généré de lourdes per­tes ». Dans son activité de pro­duits dérivés, la banque a égale­ment subi des défauts de contre­partie de la part de clients hedge funds (les fonds spéculatifs). Elle a, enfin, dû faire face à deux dos­siers exceptionnels de fraude. « Avec une crise comme celle­ci, dans la banque d’investissement, ilfaut de très bonnes équipes pourtenir la barre. A la Société générale,ils ne les ont plus », estime un opé­rateur de marché.

BNP Paribas a également vu sesactivités de courtage actions for­

tement bousculées. Elles ont en­registré des revenus négatifs à hauteur de 87 millions d’euros, mais la taille et la diversité des ac­tivités de marché de la première banque européenne lui ont per­mis d’absorber le choc.

De son côté, le Crédit agricolen’a pas subi les turbulences demarché. « Notre activité de dérivés actions est de taille beaucoup plus réduite que celle de nos concur­rents », a souligné Jacques Ripoll, le directeur général de Crédit agri­cole CIB, au cours d’une confé­rence téléphonique.

Des matelas de sécurité impor­tants Les banques françaises, à l’instar de la plupart des grandesbanques européennes et améri­caines, sont entrées dans la crise actuelle avec des matelas de capi­taux élevés. Une solidité qui leuravait fait défaut lors de la crise fi­nancière de 2008.

Depuis dix ans, à la demandedes superviseurs, les établisse­ments de crédit mettent de côté,

En Allemagne, la prime à la casse reste controverséeBerlin devrait décider en juin quel soutien il accorde à l’industrie automobile, très affectée par les conséquences de la crise du coronavirus

berlin ­ correspondance

L’ Allemagne a ouvert lavoie, mardi 5 mai, à lacréation d’une prime à la

casse pour soutenir son industrie automobile, durement frappée par les conséquences de la crisesanitaire en cours. Mais aucun en­gagement chiffré n’a été pris pourle moment. Des « mesures de sou­tien à la conjoncture » seront exa­minées dans les prochaines se­maines, a annoncé le porte­pa­role du gouvernement, sans faire plus de précisions. Le dispositif,présenté comme indispensablepar l’industrie, est encore loin de faire l’unanimité.

Angela Merkel avait réuniautour d’elle, mardi, par vidéocon­férence, un « sommet de l’automo­bile », pour discuter des mesures de soutien à l’industrie centrale

du capitalisme allemand. Les pa­trons des grands constructeurs, les représentants du syndicat IG Metall, les présidents de régions dépendantes de l’automobile ont plaidé en faveur d’une mesure qu’ils réclament depuis des jours : une prime à la casse, largement distribuée, permettrait de faire re­partir l’activité des groupes et des milliers de sous­traitants.

Beaucoup de leurs salariés sontactuellement au chômage partiel. Si les chaînes de montage sont bien reparties, la demande de vé­hicules est tombée à un niveau historiquement faible.

A priori, tout semble justifierune telle stimulation de la de­mande. Au lieu de payer l’assu­rance­chômage, l’Etat verse uneprime à l’acheteur qui se réper­cute sur l’activité et sur les ren­trées fiscales. Avec un peu de

chance, la mesure se finance d’el­le­même. L’expérience en a été faite en 2009, et la prime d’alors est, depuis, célébrée par l’indus­trie comme une des mesures ayant permis à l’Allemagne de sortir rapidement de la crise.

En amont du sommet de mardi,les présidents de Bavière, de Ba­de­Wurtemberg et de Basse­Saxe, très sûrs d’eux, avaientmême annoncé à la presse lemontant qu’ils souhaitaient faire adopter : de 3 000 euros à4 000 euros par véhicule neufacheté en fonction des motorisa­tions, la prime devant, bien en­tendu, couvrir les véhicules es­sence et diesel « modernes ».

Le moteur à explosion reste lagrande spécialité de l’automobile allemande. Il est le plus souvent fabriqué en Allemagne, par desouvriers payés au tarif négocié

par les syndicats. Et 1,8 million de salariés sont, directement et indi­rectement, dépendants de l’in­dustrie automobile outre­Rhin.

Réserves de liquiditéPourtant, malgré l’urgence de lasituation pour l’industrie, le gou­vernement veut maintenir la pression sur l’industrie. Car, con­trairement à 2009, les critiquessont nombreuses contre le dis­positif envisagé, y compris ausein des milieux économiques.D’abord parce que les groupesautomobiles disposent cette fois­ci d’importantes réserves deliquidités, qu’ils envisagent dedistribuer en partie à leurs ac­tionnaires.

La justification de Volkswagen(25 milliards d’euros de réserves),de Daimler (18 milliards) et de BMW (12 milliards) est que les di­

videndes portent sur l’année pas­sée et qu’il est important de sou­tenir le cours pour ne pas froisser les investisseurs étrangers. Un ar­gumentaire de moins en moinstenable, à l’heure où la solidarité est demandée partout pour sortirde la crise du coronavirus.

D’autres branches industriellesont par ailleurs exprimé leur in­quiétude que l’influente automo­bile impose ses priorités au gou­vernement, là où toute l’écono­mie a subi des dommages consi­dérables. Qu’un tel débat puisse avoir lieu cette fois­ci en dit longsur la perte de prestige qu’a en­caissée l’automobile ces dix der­nières années.

S’ajoute à cela la question envi­ronnementale, gênante pour lesconstructeurs. Contrairement àleur discours officiel sur l’électri­fication de leur gamme, les grou­

pes ne sont pas encore capables de produire des véhicules électri­ques en grand nombre. Quant au réseau de recharge allemand, il est très insuffisant. Les consom­mateurs ne s’y trompent pas : les primes à l’achat de véhicules élec­triques actuellement en coursremportent peu de succès.

Pourquoi ne pas investir l’argentpublic dans ce réseau plutôt quedans une prime, qui risque de dé­caler encore une fois la transition vers une mobilité économe en CO2 ? interrogent les représen­tants des associations écologistes.Mardi, Greenpeace avait organisé une manifestation devant le Bun­destag, mettant en scène un SUV écrasant symboliquement unepile de vélos. « La prime à la casse détruit la transition des trans­ports, » clamait une banderole.

cécile boutelet

Des bureaux de BNP Paribas à Issy­les­Moulineaux (Hauts­de­Seine), en avril 2017. GONZALO FUENTES/REUTERS

Les comptes du premier

trimestre 2020font apparaître

une flambée du « coût

du risque »

chaque année, une part impor­tante de leurs bénéfices en ré­serve, pour accumuler des fondspropres et ainsi se préparer au prochain choc financier. C’est ce capital qui leur permettra de ré­sister en cas d’impayés massifs deleurs clients. Or, cet indice­là est aujourd’hui au vert.

Les ratios de solvabilité (instru­ment de mesure de la solidité des banques) de Société générale,BNP Paribas et Crédit agricole ont reculé au premier trimestre, mais ils restent très nettement supé­rieurs au minimum réglemen­taire. « Nous ne sommes cepen­dant qu’au début de la phase de bouleversement du secteur ban­caire. Tout dépendra de l’ampleurdu choc économique, prévient Ni­colas Véron. C’est comme une tra­versée du désert : nous savons aujourd’hui ce que nous avonsdans le réservoir, à savoir les fondspropres élevés des banques, mais nous ne savons pas quelle sera l’étendue du désert. »

véronique chocron

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Page 14: Le Monde - 07 05 2020

14 | coronavirus JEUDI 7 MAI 20200123

La BCE mise sous pression par la Cour constitutionnelle allemandeLa Banque centrale européenne est sommée de s’expliquer sur ses achats de dettes. Les retombées juridiques, économiques et politiques pourraient être profondes

berlin, bruxelles, londres ­ correspondants

L a Cour constitutionnelle alle­mande a posé une bombe à retar­dement juridique sous les fonda­tions même de la zone euro,mardi 5 mai. Dans un jugementqui va faire date, elle a exigé de la

Banque centrale européenne (BCE) qu’elle justifie son programme d’achat de dettes (« quantitative easing ») lancé en 2015. Après un long processus juridique, et un aller­retouravec la Cour de justice de l’Union européenne(CJUE), les huit juges constitutionnels alle­mands ont décidé par sept voix contre une que l’institution monétaire n’avait pas expli­qué pourquoi son action était « proportion­nelle » aux dangers économiques auxquels la zone euro faisait face à l’époque.

Ils mettent en demeure la BCE de se justifierdans les trois mois. Sinon, ils ordonnent à la Bundesbank – principale actionnaire de l’ins­titut d’émission de Francfort – de cesser de participer au programme de rachat de titres. Alors que la BCE a lancé en mars un « plan pandémie » de 750 milliards d’euros d’achats de titres, et que le retour d’une crise de la zoneeuro n’est pas écarté, le jugement tombe au plus mauvais moment. A court terme, les conséquences sont limitées. D’abord, parce que la BCE a trois mois pour réagir. Son conseil des gouverneurs, réuni dans l’urgencemardi soir, s’est contenté de « prendre note » du jugement. Ensuite, l’eurosystème peut

contourner la Bundesbank, si nécessaire. « Nous pouvons faire les achats de titres sans passer par elle », notait une source de la BCE vendredi, en prévision de la décision.

Les marchés ont d’ailleurs réagi avec modé­ration : après avoir légèrement chuté, l’euroest revenu à son niveau de la veille, à 1,08 dol­lar, tandis que le taux des obligations italien­nes, déjà sous tension, est passé de 1,8 % à 1,9 %. Mais les conséquences de long terme risquent d’être très nombreuses, juridiques, politiques et économiques. L’eurodéputé Guy Verhofstadt – qui fut à la tête du gouver­nement belge de 1999 à 2008 – s’est emporté sur Twitter : « Si toutes les cours constitution­nelles de tous les Etats membres se mettent à donner leur interprétation de ce que l’Europe peut ou ne peut pas faire, c’est le début de la fin. » Paolo Gentiloni, le commissaire euro­péen au marché intérieur, a abondé : « La BCE est indépendante. Son indépendance est à la base de la politique monétaire européenne. » Franz Mayer, professeur de droit à l’universitéde Bielefeld (Allemagne), invité par le cerclede réflexion européen Bruegel, s’inquiète de la boîte de Pandore ouverte : « Que va­t­on dire à un juge polonais qui dira que la loi euro­péenne ne s’impose pas à lui ? (…) La CJUE ne peut pas laisser faire, elle doit réagir, c’est une question de survie. C’est une guerre des juges. »

Le verdict de ce mardi concerne uneplainte qui remonte à 2015. En pleine crise del’euro, la BCE débute alors un programme d’achat de dettes. Concrètement, les dix­

neuf banques centrales de la zone euro, ainsique la BCE elle­même, se sont mises à ache­ter des obligations des Etats membres sur lesmarchés financiers. En Allemagne, un groupe d’eurosceptiques décide de porter plainte, estimant que la BCE ne respectait pas les traités européens. Ceux­ci interdisenten particulier le « financement monétaire », c’est­à­dire le financement direct des gou­vernements par la banque centrale. Une fois saisie, la Cour de Karlsruhe avait décidé, en 2017, de consulter la CJUE, pour lui de­mander son interprétation des faits. Cette

dernière a répondu que l’action de la BCE était légale, notamment parce qu’elle ache­tait les obligations non pas directement auprès des gouvernements, mais seulement sur les marchés secondaires. Sur ce point, laCour constitutionnelle allemande, malgréquelques réserves, a accepté l’interprétation.

En revanche, elle critique, dans des termestrès sévères, le manque de contrôle de la CJUEsur l’action de la BCE. Une telle attaque est inédite : « Le pouvoir de la CJUE s’arrête là oùl’interprétation des traités n’est plus fondée et, de là, devient objectivement arbitraire. » La

« SI LES COURS DE TOUS LES ÉTATS 

MEMBRES SE METTENT 

À DONNER LEUR INTERPRÉTATION 

DE CE QUE L’EUROPE PEUT OU NE PEUT 

PAS FAIRE, C’EST LE DÉBUT DE LA FIN »

GUY VERHOFSTADTancien premier ministre

belge

Les sombres prévisions de la Commission européenneLe produit intérieur brut de l’Union devrait chuter de 7,4 % en 2020. La Grèce, l’Espagne et l’Italie vont souffrir davantage

bruxelles ­ bureau européen

C’ est une récession sansprécédent que va con­naître l’Europe en 2020.

Et il lui faudra au moins deux ans pour s’en remettre. Entre­temps, le chômage se sera envolé, l’infla­tion aura plongé, les comptes pu­blics se seront dégradés… et les di­vergences entre l’Europe du Nord et du Sud se seront accrues, met­tant en péril la cohérence de la construction européenne. Tel estle tableau apocalyptique quedresse la Commission dans ses prévisions de printemps, qu’elledevait publier, mercredi 6 mai.

A en croire ses économistes, leproduit intérieur brut (PIB) de

l’Union européenne devrait chu­ter de 7,4 % en 2020, avant de re­monter de 6,1 % en 2021. Tous les moteurs de la croissance (con­sommation, production, investis­sements, exportations) sont à l’arrêt. Un certain temps sera né­cessaire avant qu’ils retrouvent leur niveau d’avant­crise.

Pour les dix­neuf pays de la zoneeuro, l’économie devrait se con­tracter encore davantage (– 7,7 %en 2020 et + 6,3 % en 2021), compte tenu du poids relative­ment élevé des pays du Sud en son sein. C’est la Grèce qui, bien qu’elle ait été jusqu’ici peu at­teinte par la pandémie, souffre le plus : après des années de réduc­tion de la sphère publique, et en

proie à une dette qui reste très éle­vée, Athènes n’a pas les moyens de soutenir son économie.

L’Espagne et l’Italie, qui ont subide plein fouet les ravages du Covid­19, ne font pas beaucoupmieux, avec, elles aussi, unebaisse de leur PIB supérieure à 9 %cette année. Très endettés, ces deux pays ne disposent pas nonplus d’une marge de manœuvre budgétaire à la hauteur de la crise.

Quant à la France, elle arrivejuste derrière, dans ce triste pal­marès. En 2020, son activité de­vrait se contracter de 8,2 % et le taux de chômage repasser la barre des 10 %. Dans la foulée, le déficit et la dette publics y grim­peraient, respectivement, à 9,9 %

et 116,5 % du PIB (contre 8,5 % et 102,7 % en moyenne dans la zone euro). L’Allemagne, qui présentaitdes surplus budgétaires avantque le Covid­19 s’abatte sur le monde et qui a moins été atteintepar le virus que l’Italie, l’Espagne ou la France, s’en sort mieux, avecun recul de son PIB de 6,5 %en 2020. C’est en Pologne (– 4,3 % en 2020) que les effets de la pan­démie se font le moins sentir.

« Divergences »Il y a, dans cette crise, une tripleinjustice, qui relève du pur ha­sard. Non seulement le Covid­19 ne frappe pas de la même ma­nière d’un pays à l’autre, du moins pour l’instant. Mais, en

plus, il sévit surtout là où le tou­risme – gravement et durable­ment affecté – pèse lourd dans l’économie et où les moyens bud­gétaires sont les plus faibles.

Comme l’a fait remarquer PaoloGentiloni, commissaire à l’écono­mie, dans un entretien accordé aux Echos le 30 avril, les dépenses publiques pour soutenir l’activité « s’établissent en moyenne à 2,5 %ou 2,6 % du PIB dans l’Union européenne, mais la réalité va de 1 % à 3 %. Même constat au sujet dela liquidité injectée pour soutenirles systèmes bancaires et les entreprises : elle va de 7 % à 18 % des PIB nationaux ».

Conséquence : ce ne sont pas lespays les plus meurtris par la pan­démie qui rebondiront le plus quand le virus aura disparu. Ainsi, fin 2021, le PIB italien seraencore 3 % en dessous de son ni­veau de fin 2019, l’écart sera de 2 %pour l’Espagne et de 1 % pour la France. A l’inverse, la richesse na­tionale allemande sera, à cetteéchéance, supérieure de 1 % àcelle qu’elle était deux ans plustôt. Quatre autres pays aurontégalement effacé les dégâts de la crise : l’Autriche, la Croatie, la Slovaquie et la Pologne.

« Ces divergences, répète l’ex­président du conseil italien en présentant ces prévisions, mena­cent le marché unique et la zone euro. » Dès lors, insiste­t­il, l’Eu­rope doit se montrer solidaire, et

prendre à sa charge une grande partie des dépenses que devront faire Rome, Athènes ou Madrid pour se remettre de cette réces­sion sans précédent. Une vision qui ne fait l’unanimité ni au sein de la Commission ni au sein des Etats membres, où les lignes de fracture restent fortes entre le Nord et le Sud.

Lors du dernier Conseil euro­péen, le 23 avril, les Vingt­Sept ontchargé la Commission de réflé­chir à un plan de relance à même de prendre la relève des mesures d’urgence d’ores et déjà actées etd’aider l’Europe à rebondir quandle virus aura été éradiqué. Celle­ci devrait présenter ses proposi­tions le 20 mai. « Elle le fera quandelle pensera qu’une convergence de vue entre la France et l’Alle­magne sera devenue possible. On n’y est pas encore », commente undiplomate.

Ces prévisions, prévient la Com­mission, pourraient être encoreplus sombres. Car son scénario part du principe que le déconfine­ment sera graduel à partir de mai,et exclut donc une seconde vaguede confinement. Tout comme il n’anticipe pas que les échanges entre le Royaume­Uni et l’Union européenne, actuellement en pleine négociation sur leur rela­tion future après le 31 décembre, seront appelés à diminuer.Autant d’aléas à la baisse…

virginie malingre

le pacte de stabilité et de croissance a été suspendu, délivrant provisoirement les Européens de leurs obligations en ma­tière budgétaire. En l’occurrence, afficher une dette publique inférieure à 60 % du produit intérieur brut (PIB) et un déficit endessous des 3 % de la richesse nationale. A l’heure du coronavirus, « les gouverne­ments peuvent injecter dans l’économie autant qu’ils en auront besoin », a plusieursfois expliqué la présidente de la Commis­sion européenne, Ursula von der Leyen.

On aurait pu croire le dossier classé jus­qu’à ce que la conjoncture s’améliore etque la question du retour du pacte de stabi­

lité – laquelle s’annonce complexe, comptetenu de la flambée des dépenses publiquespartout en Europe – soit à l’ordre du jour. En réalité, comme souvent en matière communautaire, les choses sont plus com­pliquées qu’elles en ont l’air. Surtoutquand elles touchent aux thématiquesbudgétaires, que Berlin n’appréhende pas comme Paris ou Rome…

Voilà pourquoi la Commission s’est inter­rogée : devait­elle lancer vingt­six procé­dures pour déficit excessif, dès lors que seule la Bulgarie reste pour l’heure dans lesclous ? « Le signal politique aurait été désas­treux », juge un diplomate. Finalement, les

commissaires chargés du sujet, le très orthodoxe letton Valdis Dombrovskis et le moins orthodoxe italien Paolo Gentiloni,sont convenus de s’abstenir.

Le 20 mai, comme elle y est contraintejuridiquement, la Commission publiera ses recommandations, pour chacun des Vingt­Sept, ainsi qu’un rapport sur l’état deleurs finances publiques. Elle ne fixera pas d’objectif chiffré pour la suite. « On seradans le qualitatif, plus que le quantitatif, commente­t­on à la Commission. Ce n’est pas le moment de dire qu’il faut commencerà normaliser les politiques budgétaires… »

v. ma.

Le temps de la chasse aux déficits excessifs est suspendu

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Page 15: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 coronavirus | 15

Cour de Luxembourg, en appréciant les pou­voirs de l’institution de Francfort de façon large et en limitant son contrôle judiciaire sur son action, « ouvre la voie à une érosion continuelle des responsabilités des Etats mem­bres », estiment les juges allemands. Le « prin­cipe de proportionnalité » n’aurait ainsi pas été observé, la BCE n’ayant pas assez pris en compte les effets économiques négatifs de sapolitique : la bulle immobilière, la baisse de larémunération de l’épargne ou encore les en­treprises soutenues artificiellement par lestaux d’intérêt faibles et les rachats de titres.

UN RAPPEL À L’ORDREAu minimum, la Cour de Karlsruhe rappellele Bundestag et le gouvernement allemand à leur devoir de supervision. Mais son messageva bien au­delà : il s’adresse à tous les gouver­nements des Etats membres de la zone euro. La politique de la BCE a­t­elle été suffisam­ment discutée ? Sa proportionnalité au risquea­t­elle été vérifiée ? La légitimité démocrati­que de la BCE est­elle assurée ? Autrement dit,le citoyen allemand – et européen en géné­ral – est­il certain que ses représentants élus ont exercé leur pouvoir de contrôle ? En Alle­magne, l’action de la BCE est devenue un sujet éminemment politique. Les partisconservateurs (CDU et CSU), qui forment le plus gros groupe parlementaire au Bundes­tag, ont fait inscrire le principe de frein à la dette dans la Constitution allemande en 2011 – qui impose un budget à l’équilibre. Ils esti­ment que les Etats européens devraient avoirla même discipline chez eux plutôt que de s’en remettre à la BCE en cas de crise.

Le président de la Cour constitutionnelle allemande, Andreas Vosskuhle, à Karlsruhe, le 5 mai. SEBASTIAN GOLLNOW/AFP

« Sur l’euro, les Allemands sont schizophrènes »Pour l’économiste Frederik Ducrozet, Berlin ne peut pas à la fois vouloir faire partie de la zone euro et s’opposer à l’intervention de la Banque centrale européenne

ENTRETIENlondres ­ correspondance

F rederik Ducrozet est éco­nomiste à la banque privéePictet. Il est l’un des

meilleurs spécialistes de la Ban­que centrale européenne (BCE),qu’il suit depuis plus de dix ans.

Comment réagissez­vous à la décision de la Cour constitutionnelle allemande ?

On a affaire à huit juges, dontcinq sont connus pour leurs opi­nions très négatives contre la po­litique d’achat de titres, le QE [Quantitative Easing, ou assou­plissement quantitatif] menée parMario Draghi [président de la Ban­que centrale européenne de 2011 à 2019]. Est­ce qu’une banque cen­trale se permettrait de donner un avis sur le travail d’une cour cons­titutionnelle ? Jamais. De même, la Banque centrale européenne est indépendante et n’a d’ordres à recevoir de personne. Il n’y a pas de base légale sur laquelle s’ap­puie ce jugement. Il n’est pas pos­sible à une cour nationale d’or­donner l’action de la BCE.

La Cour constitutionnelle alle­mande n’a­t­elle cependant pasde pouvoirs sur la Bundes­bank, qui effectue une partie des achats de titres pour le compte de la BCE ?

Il y a effectivement une ambi­guïté à ce niveau­là. Je me rassure cependant en voyant la réaction de Jens Weidmann [le patron de laBundesbank], qui a affirmé qu’il irait expliquer l’action de la BCE à la Cour constitutionnelle. En clair,il soutient la BCE et l’aidera. SiWeidmann a toujours critiqué lapolitique de QE, il n’a d’ailleursjamais dit qu’elle était illégale.

Etes­vous inquiet après cette décision ?

Oui, je le suis, parce que c’est unproblème politique. L’Allemagne est le pays qui a le plus poussé à l’indépendance de la BCE.Aujourd’hui, c’est elle qui chercheà empiéter dessus. Les Allemandssont schizophrènes sur l’euro. On ne peut pas à la fois vouloir être dans l’euro, refuser la mutualisa­tion des dettes et être contre l’in­tervention de la BCE.

J’espère qu’Emmanuel Macronou Angela Merkel comprennent la gravité de ce qui se passe. Si les Etats ne prennent pas des mesu­res pour soulager la BCE, en mu­tualisant les dettes d’une façonou d’une autre, le problème ne sera pas résolu. Cela est néces­saire pour éviter le retour d’une crise financière. Les enjeux sont très importants.

La BCE risque­t­elle d’être im­mobilisée avec cette décision

de la Cour constitutionnelle allemande ?

Pas à court terme, ni même d’icidouze ou dix­huit mois. Le juge­ment concerne le PSPP [PublicSector Purchase Programme], qui est le programme d’achat de det­tes lancé en 2015. Depuis mars, ce qui compte vraiment sur les mar­chés est le PEPP [Pandemic Emer­gency Purchase Programme, pro­gramme pandémie de 750 mil­liards d’euros], qui est séparé. La cour de Karlsruhe l’exclut explici­tement de son jugement. Le pro­blème concerne le long terme.

Pourquoi ?La Cour constitutionnelle re­

prend à son compte les règles quela BCE s’était auto­imposées en 2015 en lançant le plan de ra­chat de dettes. L’une d’entre elles est que la BCE ne doit pas possé­der plus de 33 % de la dette d’un même pays. Or, quand on addi­tionne le PSPP et le PEPP, on se rapproche très dangereusement de cette limite. D’ici à la fin del’année, la BCE va être très prèsd’avoir plus de 33 % des dettes al­lemandes, en particulier.

Il y a deux solutions. Soit on es­time que le plan pandémie est dif­férent, et juridiquement ne doit pas être comptabilisé avec le restedes rachats d’actifs. Ça peut se jus­tifier, puisqu’il s’agit d’un chocextérieur qui n’a rien à voir avec

la crise de la zone euro. Soit la BCEpasse en force, se dit que les pour­suites judiciaires prendront desannées, et que, d’ici là, les achats de dettes auront été faits.

Le jugement ne démontre­t­il pas, une fois de plus, que la BCE n’est pas une banque centrale comme les autres ?

Si, elle est à la fois beaucoup plusindépendante, là où la Fed améri­caine et encore plus la Banque d’Angleterre au Royaume­Uni sont très influencées par leurgouvernement, mais aussi beau­coup plus politique. Il y a en per­manence des luttes d’influence entre les pays.

En revanche, je ne suis pas d’ac­cord avec l’idée que la BCE a moins de marge de manœuvre que les autres. Bien sûr, annuler ladette des pays européens qu’elle possède est impossible : ça néces­siterait de changer le traité euro­péen [lequel interdit explicitementle financement monétaire]. Mais la BCE a, par exemple, inventé un programme de prêts aux banquesà un taux de – 1 % [les banques sont donc payées pour prêter auxentreprises, notamment auxPME]. C’est une forme de mon­naie hélicoptère. Et on pourrait avoir d’autres approches « exoti­ques » de la BCE.

propos recueillis paréric albert

La question est d’autant plus sensible qu’ellea été au cœur de la création d’Alternative pourl’Allemagne (AfD), en 2013. Ce parti, aujourd’hui classé à l’extrême droite, n’était pas, à son origine, une formation anti­immi­gration, mais un mouvement qui refusait la mise en commun des dettes au niveau euro­péen. C’est d’ailleurs, entre autres, sur une plainte de ses membres fondateurs que laCour constitutionnelle allemande s’est pro­noncée. Mardi, certains commentateurs sou­lignaient cependant que l’arrêt rendu par les juges de Karlsruhe était davantage un rappel àl’ordre qu’une menace réelle. Il n’interdit pas à la Bundesbank les rachats de titres en cours.

« Le jugement ne changera rien de fonda­mental à la politique monétaire de la BCE et àla lutte contre les crises. Il sera facile pour la BCE de prouver la proportionnalité de ses ra­chats », a réagi dans un communiqué MarcelFratzscher, président de l’Institut économi­que de Berlin (DIW), traditionnellement fa­vorable à la politique de la BCE. Le jugement vient cependant souligner que la BCE n’est pas une banque centrale comme les autres.Inventée sur le modèle allemand de la Bun­desbank, ayant fait de la rectitude financière et de l’orthodoxie monétaire ses principes fondamentaux, elle a profondément évoluédepuis une décennie, mais a été obligée de selancer dans de difficiles contorsions juridi­ques et politiques pour pouvoir agir. La Courde Karlsruhe vient de rappeler que ces méta­morphoses n’ont pas éliminé le débat sur l’ampleur du mandat de la BCE.

éric albert, cécile bouteletet virginie malingre

Source : Commission européenneInfographie Le Monde

Evolutiondu PIB,en %

2019 Prévisions

Taux dechômage,en %

2020 2021

Allemagne France Italie Zone euro Unioneuropéenne

0,6 1,3

– 6,5– 8,2

5,97,4

0,3

– 9,5

6,5

1,2

– 7,7

6,3

1,5

– 7,4

6,1

3,2 3,54

8,5 9,710,1 10 10,711,8

7,5 8,69,66,7 7,9

9

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Page 16: Le Monde - 07 05 2020

16 |management JEUDI 7 MAI 20200123

CARNET DE BUREAU CHRONIQUE  PAR  ANNE  RODIER 

LES DÉRIVES DU NÉOTRAVAIL

L e travail humain n’estpas près de déserter nosvies, n’en déplaise auxapôtres de sa disparition.

Ce qui est à l’œuvre avec la nou­velle révolution industrielle n’estpas tant une dématérialisation qu’une numérisation du travail, autrement dit l’avènement du« digital labour », le travail du chiffre (« digit »), mais aussi dudoigt (« digit »), celui des hom­mes et des femmes qui, derrièreles écrans des machines, entraî­nent des algorithmes, regardentdes images, lisent des informa­tions, cliquent sur des liens, pro­duisent, nettoient et classentdes contenus.

Ce n’est pas de disparition, maisde dégradation que les mutations technologiques menacent le tra­vail, tranche Fanny Lederlin dansLes Dépossédés de l’open space (PUF). Eclatement des formes tra­ditionnelles d’emploi assurant aux salariés la stabilité d’un re­venu, dissolution des frontières entre les sphères professionnelleset privées, renforcement des logi­ques productivistes, réduction des facultés des travailleurs à la seule capacité d’adaptation et étouffement des facultés créatri­ces du travail…

« Servir les robots »« Il semblerait non seulement quele travail humain doive coexisteravec le travail automatisé, mais aussi qu’il soit amené à se dévelop­per et à s’étendre… pour servir les

robots », estime la philosophe, doctorante à l’université Paris­I­Panthéon­Sorbonne.

Puisque l’exploitation massivedu travail humain perdure, com­ment expliquer le foisonnement de récits futuristes annonçant l’avènement d’une humanité li­bérée du travail, de voitures sanschauffeurs, d’entrepôts sans ou­vriers et de champs sans agricul­teurs ? Comment interpréter lesuccès de cette rhétorique de l’automation ? « L’étonnement fi­nit de se changer en suspicion de­vant l’effort d’occultation de ce tra­vail humain de masse persistant.Car si les professions de “start­upeur”, d’artiste ou d’“expert” sont aujourd’hui médiatisées au point de donner l’illusion qu’elles sontaccessibles à tous, les métiers du soin comme ceux du clic sont cons­tamment invisibilisés. »

Créateur et non destructeurAgentes d’entretien priées de pas­ser avant 7 heures pour éviter de croiser les salariés des entreprisesqu’elles nettoient, chauffeurs de VTC à qui l’on demande de se fairediscrets aux sorties des aéroports,myriade de petites mains dont lesplates­formes numériques tai­sent l’existence… « Jamais, sem­ble­t­il, le travail n’a été aussi bien dissimulé par le capital. »

L’ouvrage isole trois manifesta­tions à l’œuvre dans le néotravail :l’atomisation sociale et mon­daine, à savoir la disparition de la notion d’emploi au profit d’une

« tâcheronisation » et d’une indis­tinction croissante entre­temps de travail et temps libre ; la dépré­ciation de la nature des gens, avec l’avènement d’une époque où il ne s’agit plus de prendre soin denotre environnement ; et, enfin,la totalisation des esprits par le biais de la généralisation des mo­des d’évaluation qui rendent pos­sible l’endoctrinement de tra­vailleurs coupés de leur facultéde juger.

A ces trois manifestations dunéotravail, l’auteure envisage lapossibilité d’un autre travail quine serait pas destructeur maiscréateur. « Un travail qui, en re­trouvant ses vertus médiatrices– entre les hommes et la nature –,ainsi que ses vertus socialisantes, subjectivantes et émancipatrices,pourrait contribuer à faire adve­nir une société plus juste et plus viable : une société écologique. »

margherita nasi

LES DÉPOSSÉDÉS DE L’OPEN SPACEde Fanny Lederlin, PUF,276 pages, 19,90 euros

Le Covid­19 accélère la numérisation des centres de formation d’apprentis d’entrepriseLe confinement a contraint les groupes à adapter leur processus de recrutement

U ne soixantaine d’en­treprises se sont em­parées de la possibi­lité offerte par la loi

de choisir son avenir profession­nel (2018) pour créer leur propre centre de formation d’apprentis (CFA). « Malheureusement, la crise sanitaire va leur donner un coup de frein car le nombre d’apprentis est toujours lié à la conjoncture économique », estime AurélienCadiou, président de l’Associa­tion nationale des apprentis de France (ANAF). Un avis que nepartage pas Yann Bouvier, chargé de mission à la Fondation inno­vation pour les apprentissages (FIPA), qui regroupe treize entre­prises dont Air France, BNP, Veo­lia… « Les ouvertures et les projets de CFA d’entreprise restent totale­ment d’actualité, même s’il peut y avoir quelques reports. Le pro­blème va être pour eux de remplir les classes, car le confinement est tombé en pleine campagne de re­crutement des apprentis. »

Pour cela, les entreprises adap­tent leur communication vers les candidats. « A mi­avril, nous enre­

gistrions un retard de 5 % à 8 % surles admissions par rapport auxautres années, explique Pascal Pi­cault, directeur du Formaposte, CFA des métiers de La Poste. Mais nous avons réussi à maintenir le sourcing des candidats : jury à dis­tance, visioconférences, salons virtuels… L’utilisation du digital était prévue avant la crise, nousavons juste accéléré. » Le CFA des chefs devait accueillir ses pre­miers apprentis à partir du23 mars à Paris, Lyon et Marseille mais, confinement oblige, le pre­mier CFA interentreprises, créé par Adecco, Accor, AccorInvest, Korian et Sodexo, a dû, comme les autres, fermer ses portes le 16 mars.

Assurer des cours en ligne« Même s’il n’y a plus de forums derecrutement ou de journées portesouvertes, nous organisons des réunions d’informations collecti­ves à distance », explique Fran­çoise Merloz, directrice du CFA des chefs. L’inscription se fait enligne, de même que les tests desélection. Un entretien par télé­phone ou en visioconférence complète le dispositif. Les jeunes sélectionnés – avant et pendant le confinement – ont un accès gratuit à des cours en ligne jus­qu’à fin juin, afin de les faire pa­tienter jusqu’aux premières for­mations reportées à fin août­dé­but septembre.

Autre report, chez Engie :« L’ouverture du CFA prévue en septembre 2020 est reportée à jan­vier 2021, a annoncé le DRH Groupe Pierre Deheunynck. On s’est reconnecté avec Pôle emploiet les réseaux écoles. Sur le recrute­ment, on envisage des entretiens digitaux. Nous décentraliserons lerecrutement et on aura à réorien­ter les équipes. Mais on saura re­contractualiser les alternants. »

Chez L’Oréal, qui a ouvert sonCFA Real Campus en janvier

pour préparer un diplôme de ni­veau bachelor en coiffure et en­trepreneuriat, « le recrutement adû être entièrement digitalisé et ce, très rapidement via les ré­seaux sociaux, dont notammentdes “live” sur Instagram. Le siteRealcampus.fr a été reformaté »,indique Nathalie Roos, directricegénérale de la division des pro­duits professionnels du groupede cosmétiques.

Autre leçon à tirer de la pandé­mie : la nécessité pour les CFA d’assurer des cours en ligne. « Les entreprises ont tout intérêt à créer une plate­forme de formation ouverte et à distance (FOAD), fi­nancée via le fléchage de la taxed’apprentissage. Sans la crise, on n’aurait pas percuté ! », note Yann Bouvier. Adecco a ainsi adapté la pédagogie de son CFA Recruterautrement, ouvert depuis sep­tembre 2019.

L’accueil des jeunes renforcé« Avant le confinement, une tren­taine d’heures seulement sur lesquatre cents heures que compte la formation étaient digitalisées,indique Hélène Fourrier, direc­trice du CFA. Nous allons capitali­ser sur des sessions en distancielque nous dispenserons égale­ment à nos propres collabora­teurs permanents. »

Afin d’assurer la continuitépédagogique, en une semaine,les partenaires pédagogiquesde FormaPoste ont mis en placeles outils nécessaires : envoi de

cours digitalisés, accès à desplates­formes de « learning ma­nagement system » (LMS) etdes classes virtuelles. ChezL’Oréal, l’ensemble des coursétait déjà numérisé et en unedemi­journée, la formation aété réorganisée.

Dernier enjeu : l’accompagne­ment renforcé des jeunes. Le CFA de Schneider Electric accueillera, comme prévu, une cinquantaine de jeunes au mois de septembre à Grenoble et à Beaupréau­en­Mauges (Maine­et­Loire) danstrois classes de BTS domotique. Il a pour vocation de répondre aux besoins de l’ensemble de la fi­lière. Or « l’accueil des jeunes n’est pas la préoccupation première de nos entreprises partenaires à l’ins­tant T, reconnaît François Mi­lioni, directeur de la formationdu groupe Schneider Electric. Nous allons devoir accompagner davantage les apprentis ». Adecco insiste également sur le besoinde resserrer le lien avec les jeu­nes. « Dans cet environnementanxiogène, nous avons renforcé lesuivi individuel, explique Hélène Fourrier. Nous gardons un lien étroit avec les apprentis déjà re­crutés. Nous tenons à les garder ! »

Malgré l’incertitude ambiante,les CFA gardent le cap. Si le CFAdes chefs revoit à la baisse – de l’ordre de 30 % – le nombre d’ap­prentis accueillis en 2020, il con­serve pour objectif d’étendre son dispositif à trois autres régionsen 2021. Schneider Electric mise toujours sur la création de quatreà cinq nouvelles unités de forma­tion en apprentissage (UFA). Quant à l’ouverture éventuelle dedeux autres filières de formation dans les trois ans, « nous allons observer le dynamisme de l’écono­mie. Pour le moment, nous som­mes dans l’urgence de la gestion de la crise, prévient François Mi­lioni. Mais je reste confiant ! ».

myriam dubertrand

LES CHIFFRES

92 %C’est la part des CFA qui ont mis en place des cours à distance dès la fin mars, d’après un son-dage de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de forma-tion d’apprentis, réalisé auprès de ses 560 CFA membres.

75 %C’est la part de ceux qui avaient déployé une solution de forma-tion à distance avant le confinement.

AVIS D’EXPERT |   GOUVERNANCETransition écologique : le choc des réalismes

D ans l’incertitude actuelle sur la violencede la récession économique, faut­il re­tarder ou accélérer la transition écolo­

gique ? Une lettre de Geoffroy Roux de Bézieux àla ministre de la transition écologique, Elisabeth Borne, a lancé le débat. Le président du Medef demandait un moratoire de six mois pour l’ap­plication de la loi du 10 février 2020 visant à lut­ter contre le gaspillage et à développer l’écono­mie circulaire, et de la loi de 2015 sur la transitionénergétique pour la croissance verte.

Selon ses arguments, la chute du PIB pourraitdépasser 3 % en 2020, ce qui condamnerait nom­bre d’entreprises à la faillite et détruirait au moins 500 000 emplois. Pour M. Roux de Bé­zieux, les conditions ne sont pas remplies pour appliquer ces lois, en particulier dans certainesindustries, comme l’automobile. Quand les en­treprises doivent lutter pour relancer leurs acti­vités et parfois leurs marchés, il ne serait pas sage de les accabler de contraintes environne­mentales supplémentaires. Quand elles retrou­veront leurs marges, elles pourront répondre aux normes d’une « croissance verte » : tel estl’avis du Medef, qui est respectable et discutable.

La transition énergétique a souvent été pré­sentée comme une opposition entre réalisteset idéalistes ou entrepreneurs et écologistes.Or cette division crée un faux débat, car la ques­tion n’est pas d’opposer les contraintes écono­miques aux contraintes environnementales, mais de savoir si la transition énergétique et éco­logique peut constituer ou non une source de prospérité économique future.

Le clivage véritable se situe donc plutôt entreceux qui croient que cette transition est un relaisde prospérité, même si la prospérité passe par une adaptation des entreprises et parfois des faillites ; et ceux qui n’y croient pas et considè­rent qu’il faut revenir à l’économie « commeavant », pour pouvoir répondre aux exigences environnementales dans un second temps.

Dans les deux cas, il s’agit d’affronter des réalitésdifficiles. Pour les partisans de la croissance verte, il n’est plus possible d’espérer financer la transition grâce à la prospérité économique glo­bale. En période de récession, on devra compter seulement sur la création de richesses nouvelles permise par l’économie verte, quitte à accepter que la transition conduise, momentanément, à de la casse sociale.

Selon le concept de « destruction créatrice »,l’émergence d’une économie nouvelle passe par la destruction d’une partie des infrastructures etdes emplois de l’ancienne. La crise donne l’occa­sion d’accélérer la transition dont les effets so­ciaux à court termepourront être mis sur le compte de la récession. Pour les partisans du re­tour à l’économie « comme avant », tel le Medef, retar­der les effets des contraintes écolo­giques aidera tou­tes les entreprises – y compris, il est vrai, les « canards boiteux »,c’est­à­dire celles qui ne pourront pas répondre,à terme, aux exigences « vertes » des marchés et de la production. Faisant fi de l’argument libéral contre l’interventionnisme, les dépenses publi­ques financeront donc des entreprises à l’avenir incertain, au lieu d’accélérer l’assainissement del’appareil productif. Mais c’est le prix à payerpour éviter faillites et casse sociale.

Les deux options sont défendues par des en­trepreneurs, des économistes et des militants « réalistes ». Désormais, l’urgence de la situa­tion oblige à trancher entre elles et à assumer leurs conséquences de manière inédite.

Pierre­Yves Gomez est professeur à l’EM Lyon

LA QUESTION EST DE SAVOIR SI CETTE TRANSITION PEUT CONSTITUER UNE SOURCE DE PROSPÉRITÉ ÉCONOMIQUE FUTURE

P rotéger ou remettre au travail : une alternative quise pose à l’hôpital, même pour les plus fragiles.Comme pour tous les travailleurs, le Haut Conseilde la santé publique s’est prononcé sur la protection

des soignants vulnérables, qui de par leur état de santé (dia­bète, maladie cardio­vasculaire, mucoviscidose, etc.) dévelop­peraient en cas de contamination par le Covid­19 une forme grave de la maladie. Il a recommandé « une exclusion des ser­vices à haut risque de transmission » ou « un réaménagement du poste de travail ».

Concrètement, le médecin du travail informe les responsa­bles des ressources humaines que l’agent doit être en « auto­risation d’absence ». Sauf que les hôpitaux ont manqué debras. « On était en guerre », rappelle Jean­Dominique Dewitte, le président de la Société française de médecine du travail (SFMT). Avec le double objectif de « contribuer à la protection des agents » et de « maintenir la capacité soignante des établis­sements », la SFMT a publié le 23 mars une recommandation qui préconise une application variable de la mise en arrêt des

personnels soignants fragiles, en fonctionde la gravité de leur cas. Elle classe les servi­ces hospitaliers en quatre catégories de ris­que de contamination et détaille le seuil defragilité en deçà duquel elle estime non in­dispensable l’éviction d’un agent vulnéra­ble. Les médecins du travail qui suivent larecommandation le réaffectent alors dansun autre service. « Aucune des personnesqu’on a laissées au travail dans notre hôpitaln’a été contaminée », note M. Dewitte.

Y a­t­il un risque pour les agents vulnéra­bles ? « Probablement un petit peu », reconnaît Jean­FrançoisGehanno, l’ancien président de la SFMT. « Quand on a rédigé en urgence la recommandation, beaucoup nous demandaient de les aider à prendre des décisions, car à l’Est, il n’y avait plus suffisamment de médecins ni de personnel soignant. Il fallaitpréserver les forces », ajoute M. Dewitte. « Les recommanda­tions de la SFMT peuvent être interprétées au détriment de laprotection des salariés fragiles, s’inquiète un interne en méde­cine du travail. C’est évidemment moins protecteur d’être réaf­fecté dans un service hors­Covid que de rester chez soi ».

Selon nos sources, depuis le 23 mars, le nombre d’« avis dedistanciation physique » formulés par les médecins du travailà l’employeur public pour des agents vulnérables a considéra­blement diminué. Or, quel que soit le service, il n’y a pas derisque zéro de contamination à l’hôpital. Une enquête de l’As­sociation nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux menée du 15 au 23 avril relève, surun panel de 1 417 médecins, des taux de contamination supé­rieurs dans les secteurs hors­Covid (4,01 %) au taux observéen réanimation (3,82 %). La recommandation du 23 mars est toujours effective. Le dilemme prévention ou reprise du tra­vail a franchi la porte de l’hôpital.

QUEL QUE SOIT LE SERVICE, IL N’Y A PAS DE RISQUE 

ZÉRO DE CONTAMINATION 

À L’HÔPITAL

Le premier CFAinterentreprises,créé par Adecco,

Accor, AccorInvest,Korian et Sodexo,

a dû fermer sesportes le 16 mars

Médecine du travail : dilemme à l’hôpital

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Page 17: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 économie & entreprise | 17

Arnaud Lagardère remporte une manche face au fonds Amber, son premier actionnaireLa nomination de nouveaux administrateurs a été repoussée lors de l’assemblée générale du groupe

I l est apparu fatigué et mo­rose. L’effet d’une assembléegénérale (AG) à huis clos ? Ou

le symptôme d’un stress dû à plu­sieurs semaines de combat ? En donnant le coup d’envoi de l’AG deson groupe, mardi 5 mai, Arnaud Lagardère, malmené par le fonds Amber, qui l’accuse de mauvaise gestion, aurait dû être radieux. Ilsavait déjà que les résolutions de son premier actionnaire, qui pro­posait la révocation du conseil de surveillance, n’avaient pas été vo­tées par les actionnaires.

Il s’en est félicité après la réu­nion. « L’espace médiatique a été pris par des contestataires, ce qui adonné lieu à des “fakes news”. Mal­gré cela, vous [les actionnaires]avez voté sans appel en faveur de la gérance et du conseil de sur­veillance, et je vous en remercie. » L’assemblée n’a pas été sereinepour autant. Le groupe a refusé detransmettre les votes à l’huissier nommé par le tribunal de com­merce, à la demande d’Amber.

Signe que le gérant comman­dité – un statut particulier qui le rend indéboulonnable – restecontesté, le vote était serré. Les nouveaux administrateurs pro­posés par Amber, et contestés par Lagardère, ont été rejetés à 57 %des suffrages. Or, habituellement,les résolutions obtiennent desscores soviétiques, les actionnai­res suivant scrupuleusement les recommandations de la société.

Ce n’est donc pas un blanc­seing qu’Arnaud Lagardère a obtenu.

« Ce score démontre le souhaitd’Amber et de ses coactionnaires de voir le groupe se transformer. Des questions ont été posées ; elles ne pourront plus rester sans ré­ponse », a commenté le fonds acti­viste. Impression inverse dansl’autre camp : « C’est un échec cui­sant pour Amber, qui avait fait de l’AG un référendum sur Arnaud La­gardère », explique­t­on dans l’en­tourage du groupe.

Rumeurs de démantèlementSi Arnaud Lagardère n’avait pas fait appel à l’entregent de Nicolas Sarkozy, ou à Vincent Bolloré (11 %du capital par le biais de Vivendi) et Marc Ladreit de Lacharrière (3,5 % du capital à travers Fimalac),deux actionnaires venus le soute­nir, c’était la déroute assurée. Outre le Qatar (19 % des droits de vote), la Caisse des dépôts (5 % desdroits de vote), qui était pourtant sceptique aussi bien sur Amber que sur Arnaud Lagardère et ses

nouveaux chevaliers blancs, a voté, selon nos informations, enfaveur de l’héritier. Le gestion­naire de fonds Amundi, filiale du Crédit agricole, confirme officiel­lement s’être abstenu lors du vote.

Reste à savoir ce que va devenirle propriétaire des boutiques d’aéroport, du JDD, d’Europe 1 oude Paris Match. « Ces actionnaires [Vivendi et Fimalac] sont des ac­tionnaires comme les autres, et cette entrée ne s’est faite sans aucun accord particulier » aveceux, a assuré Pierre Leroy, le cogé­rant du groupe. Une façon de cou­per court aux rumeurs de déman­tèlement qui prêtent l’intention au duo d’être venu se partager les actifs. Mais la déclaration d’inten­tion déposée par Vivendi auprès de l’Autorité des marchés finan­ciers, et qui évoque un investisse­ment purement financier, ne l’en­gage que pour six mois.

Arnaud Lagardère, lui, a l’inten­tion de rester aux commandes dugroupe. « Je vous retrouverai l’an prochain et l’année d’après », a­t­il assuré. A­t­il déjà l’accord de Vin­cent Bolloré, généralement peu généreux avec le partage du pou­voir ? Ou est­ce un message adressé à ce nouveau sauveur ?

C’est dans un style volontaire­ment moyenâgeux qu’un fidèlepetit actionnaire, Christopher Calmann­Levy, a mis les pieds dans le plat, en demandant à Ar­naud Lagardère « d’abdiquer ».

« Désigner votre successeur au trône ne serait pas un déshonneur,mais un acte rédempteur. En re­vanche, demeurer avec quelques mercenaires claquemurés dans votre féodalité, en attendantqu’elle trépasse, serait une lourde­rie, une de plus ! »

Une allusion à peine voilée ausystème de commandite, qui a fait l’objet d’âpres tractations. De bonne source, Grégoire Chertok, de la banque Rothschild œuvrant pour Lagardère, avait évoqué, no­tamment devant Amber, dans quelles conditions financières Ar­naud Lagardère serait prêt à aban­donner ce statut particulier. Mais maintenant que le vote est passé, cette séquence liée à un change­ment de gouvernance serait dé­sormais close, fait savoir une source proche du dossier.

Ce n’est pas ce qu’ont compris lesactionnaires en écoutant Pierre Leroy mardi matin. Il a fait remar­quer que « le conseil de surveillance[n’avait] pas été saisi » d’un tel pro­jet. « Il n’a pas dit : la question ne se pose pas », a déduit Colette Neu­ville, la présidente de l’association des actionnaires minoritaires. « Nous serons présents dans tous les débats à venir, notamment celuiqui portera sur la transformation de la commandite en société ano­nyme », a lancé Joseph Oughour­lian, fondateur d’Amber. La bataillen’est pas terminée.

sandrine cassini

Amazon à nouveau rattrapée par la politique aux Etats­UnisL’entreprise dirigée par Jeff Bezos accuse notamment Donald Trump de mener une « vendetta personnelle » à son encontre

U ne hirondelle ne faitpas le printemps. Audébut de la crise du co­ronavirus, certains si­

gnes semblaient annoncer un apaisement du climat politique pour Amazon aux Etats­Unis. Las ! Ces dernières semaines, plusieurs responsables américains ont de nouveau pointé du doigt l’entre­prise de Jeff Bezos. A commencer par le président, Donald Trump. Le16 mars, lors d’un briefing avec desjournalistes, M. Trump avait re­connu que la Maison Blanche était, dans le cadre de la gestion de l’épidémie, en contact régulier avec Jeff Bezos. « Nous avons reçu un soutien important d’un grand nombre de gens qui peuvent aider. Et je pense qu’il en fait partie », avaitdéclaré le président.

Mais, depuis, le ton est de nou­veau monté. Le 29 avril a eu lieuun sérieux accrochage, à l’occa­sion de la publication du rapport annuel du représentant améri­cain au commerce sur les risques de contrefaçon et de piratage. Plu­sieurs sites étrangers d’Amazon − ceux du Canada, d’Allemagne, de France, du Royaume­Uni et d’Inde − ont été placés sur la listedes acteurs à surveiller.

La réaction d’Amazon a été cin­glante. Ce rapport n’est qu’un « acte purement politique », a dé­noncé l’entreprise par communi­qué. Elle a accusé M. Trump « d’utiliser le gouvernement amé­ricain » pour « mener une vendettapersonnelle contre Amazon ».

Quelques jours plus tôt, le24 avril, le président américain avait déjà taclé l’entreprise, lorsd’une conférence de presse sur lesdifficultés du service postal. « L’USPostal Service est une vaste blague,

parce qu’ils gèrent des paquets pour Amazon et les autres entre­prises Internet, et, à chaque fois, ilsperdent de l’argent dessus », a­t­ilargué. Le président a même me­nacé de ne pas accorder de prêt fé­déral à l’US Postal Service s’il nerelevait pas ses prix. Ce raisonne­ment ravive un discours tenu de­puis longtemps par le président Trump, pour qui Amazon profite des services postaux. Certains ob­servateurs répondent que la postene vend pas techniquement à perte et qu’elle doit gérer un mar­ché très concurrentiel.

« La sortie sur la poste n’est quel’exemple le plus récent de l’antipa­thie persistante de la Maison Blan­che envers Amazon. Cela repré­sente un danger potentiel pour l’entreprise », décrypte WilliamKovacic, ancien de l’autorité amé­ricaine de la concurrence (Federal Trade Commission, FTC) et pro­fesseur de droit à l’université de Georgetown, à Washington.

Bataille judiciaireDans son éditorial, le quotidien USA Today a aussi vu dans l’accro­chage une « vendetta » aux racinesanciennes : « Le président ronge cetos depuis qu’il est élu, parce que le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, est aussi le propriétaire du Washington Post, qui est connu pour avoir pu­blié des articles qui déplaisent au président. » Depuis 2016, Donald Trump a accusé Jeff Bezos et Ama­zon de mettre à mal le petit com­merce ou de ne pas payer assez d’impôts. Désormais, le groupe met en scène l’hostilité du diri­geant américain. Notamment dans sa bataille judiciaire pour tenter de récupérer l’énorme con­trat d’hébergement de données

dans le cloud de l’armée améri­caine, attribué en octobre au rival Microsoft. Dans sa plainte dépo­sée en novembre, Amazon estime avoir été défavorisé en raison de« pressions du président Trump, qui a lancé des attaques répétées, de façon publique et en coulisses ». Le 17 avril, un juge a accordé au dé­partement de la défense le droit demener sa propre réévaluation du contrat, jusqu’en août. Mais Ama­zon continue de demander une forme de réparation.

La détérioration de la météo po­litique pour Amazon ne s’arrête pas à l’imprévisible présidentTrump. Une enquête du Wall Street Journal a suscité de vivesréactions. Selon le quotidien, des employés d’Amazon ont utilisédes données sur des produits de marchands tiers de sa plate­forme, afin de lancer des articlesconcurrents. Amazon a répondu qu’une telle exploitation n’étaitpas autorisée et a annoncé uneenquête interne. Mais cela n’a pas empêché un sénateur républicainde demander une enquête pénale.Ni six membres du comité anti­trust de la Chambre des représen­

tants de demander l’audition de Jeff Bezos en personne. « Si les faitsexposés sont exacts, alors les décla­rations passées faites par Amazon devant ce comité sont trompeuses et constituent potentiellement un crime ou un parjure », écrivent ces responsables de l’enquête parle­mentaire sur les pratiques anti­concurrentielles présumées des géants du numérique, dont Ama­zon. M. Bezos évitera difficile­ment une inconfortable auditionsous serment, selon M. Kovacic.

La crise du coronavirus attire deplus l’attention politique sur le leader de l’e­commerce. Dans une lettre du 22 avril, la procureure de New York Letitia James s’est in­quiétée que les conditions de sé­curité dans ses entrepôts puissentêtre « inadéquates ». Cette respon­sable s’était déjà indignée du li­cenciement de Chris Smalls, unemployé qui avait organisé unemanifestation devant son site, à New York. Amazon a toujours af­firmé que le salarié avait violé les règles de quarantaine. Mais elle n’a pas éteint cette affaire.

Lundi 4 mai, Tim Bray, un ingé­nieur émérite de sa branche« cloud », a annoncé sa démission,en protestation contre le licencie­ment de « lanceurs d’alerte ». Une référence à Emily Cunningham etMaren Costa, deux employées d’Amazon connues pour leur en­gagement en faveur d’une politi­que plus écologique et congé­diées après avoir relayé une péti­tion demandant plus de protec­tions contre le coronavirus. M. Bray a dénoncé « une toxicité qui irrigue la culture de l’entre­prise ». En espérant porter le com­bat sur le terrain de l’image.

alexandre piquard

« L’antipathie persistante de laMaison Blanche

représente un danger

potentiel pourl’entreprise »

WILLIAM KOVACICancien membre de l’autorité

américaine de la concurrence

Vilnius affiche son soutienaux petits commerces

D ans les ruelles baroques du vieux Vilnius, classé au Pa­trimoine mondial de l’Unesco, les restaurants et cafésabrités par les bâtisses étroites peuvent difficilement

appliquer les mesures de distanciation physique édictées par legouvernement lituanien. Celles­ci sont strictes : 2 mètres d’écart minimum entre les clients assis à des tables différentes,pas plus de deux personnes par table, sauf pour les membresd’une même famille, et à l’extérieur, plus de 1 mètre de distanceentre les tables et les piétons.

Pour permettre à ces petits commerces de reprendre une acti­vité, la municipalité de la capitale les a autorisés à installer une terrasse, dès le 27 avril, sur les places, rues et squares publicsalentour, sans payer de redevance supplémentaire. Plus de 160 restaurants ont déjà demandé à poser le couvert dans ces lieux à ciel ouvert, divisés en trois catégories : ceux ne nécessi­tant aucun aménagement particulier et n’entrant pas en concurrence avec des cafés déjà sur place, ceux exigeant de mo­difier la circulation piétonne ou automobile, et, enfin, ceux où

il est nécessaire de diviser l’espaceéquitablement entre les tables deplusieurs restaurants.

Selon Remigijus Simasius, le maire,cette mesure aidera les petits établis­sements à survivre et à préserver desemplois, alors que la saison touristi­que, cruciale pour les recettes de laville, tarde à démarrer. Instauré parle gouvernement le 16 mars, le ré­gime de quarantaine, progressive­

ment allégé depuis le 23 avril, devrait être levé le 11 mai.Petite économie ouverte, la Lituanie a vu les ventes au détail

plonger de 6 % en mars. « Comme ses voisins baltes, elle devrait connaître une récession de la même ampleur que celle de la crisede 2008, mais les vulnérabilités structurelles sont moindres qu’à l’époque, ce qui devrait permettre un rebond rapide », juge William Jackson, chez Capital Economics. D’après lui, le produitintérieur brut (PIB) lituanien devrait reculer de 7,3 % en 2020 (après + 3,9 % en 2019) et remonter de 5,3 % en 2021. Afin de li­miter les dégâts, le gouvernement a annoncé un plan de re­lance de 2,5 milliards d’euros, soit 4,6 % du PIB.

De son côté, la mairie de Vilnius a pris d’autres initiativespour soutenir l’économie locale, en particulier l’hôtellerie­res­tauration. Et elle ne manque pas de créativité en la matière. Outre l’autorisation d’étendre les terrasses, elle a assoupli lesrègles encadrant la circulation des camions­restaurants et dis­tribué pour 400 000 euros de bons au personnel soignant, va­lables dans les cafés locaux, pour les remercier de leur dévoue­ment – une façon d’injecter de l’argent dans le secteur.

En outre, le tarmac de l’aéroport de Vilnius, à l’arrêt de plusplusieurs semaines, a été converti en cinéma drive­in : le29 avril, 150 voitures espacées de 2 mètres, avec deux passagersmaximum, ont ainsi pu regarder le film sud­coréen Parasite(Bong Joon­ho, 2019). Des concerts drive­in sont également or­ganisés sur un aérodrome au sud de la ville. Si les artistes sont présents sur scène, le son est en revanche diffusé directement dans les véhicules, sur une fréquence radio spécifique.

marie charrel

ÉCONOMIE OUVERTE, LA LITUANIE A VU LES VENTES AU DÉTAILPLONGER DE 6 %AU MOIS DE MARS

Le ministre chargé du numéri­que, Cédric O, a produit son petit effet devant les députés, mardi 5 mai. Alors que tous les hiérar­ques politiques se gargarisent du mot « souveraineté », il leur a fait remarquer que le système de vi­sioconférence par lequel ils com­muniquaient avec lui, la plate­forme américaine Zoom, lui po­sait problème. « Je n’ignore pas qu’en termes d’expérience utilisa­teur, c’est probablement la meilleure solution, mais ça pose quand même des vraies questions en termes d’indépendance straté­gique de la France », leur a­t­il lancé, rappelant que ses services déconseillent fortement son usage, compte tenu des lacunes au niveau de la protection des données, et que des alternatives françaises existent.

Zoom est devenue, à la faveur de la crise sanitaire, l’application Internet la plus téléchargée au monde, avec près de 300 millionsd’utilisateurs. Pas mal pour une solution lancée en 2012 dans la Silicon Valley par un ingénieur sino­américain, Eric Yuan, émigréquinze ans plus tôt en Californie. Comme tout un chacun, les par­lementaires ont été séduits par la simplicité de cette application gratuite, qui ne nécessite aucun téléchargement. Cette mésaven­ture appelle deux remarques.

Tout d’abord, en dépit de ce quel’on raconte trop facilement, le

monde de la technologie n’ap­partient pas qu’au quintette Google­Apple­Facebook­Ama­zon­Microsoft. Aucun d’eux, pas plus que Cisco, pourtant leader du secteur, n’a été capable de concurrencer Zoom dans sa faci­lité d’usage, d’accès, et dans la qualité de son service. Eric Yuan travaillait chez Cisco dans les an­nées 2000. Il leur a proposé de développer une application sim­ple, fonctionnant entièrement sur Internet et utilisable sur un smartphone. La firme n’en a pas voulu. Google ou Facebook ten­tent de rattraper leur retard. C’est la force de la Silicon Valley de faire émerger constamment de nouveaux concurrents.

Mais cette histoire met en lu­mière également la négligence de chacun, député ou entrepre­neur de start­up, à prendre en compte l’impératif de sécurité à l’heure du télétravail. Pirater Zoom était facile ; le système a été piraté. Aujourd’hui, d’autres assaillants s’attaquent, sur ordre, aux laboratoires pharmaceuti­ques et agences de santé des pays luttant contre le Covid­19. La cy­berguerre frappe à notre porte. Et à cela non plus nous ne som­mes pas prêts. Comme si nous étions projetés d’un coup, par la faute d’un virus, dans un futur dont nous n’avons pas assimilé les codes, celui de la civilisation numérique.

PERTES & PROFITS | NUMÉRIQUEpar philippe escande

M. Zoom à l’Assemblée

Les nouveaux administrateurs

proposés par Amber ont étérejetés à 57 % des suffrages

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Page 18: Le Monde - 07 05 2020

18 | international JEUDI 7 MAI 20200123

La mémoire collective blessée de l’ex­URSSL’agressivité de Moscou exacerbe les tensions chez ses anciens alliés et dans les pays de l’ex­empire soviétique

ANALYSE

I l n’est pas rare de voir resur­gir, des années après, les trau­matismes du passé à l’échelled’une nation. En Espagne, le

transfèrement de la dépouille de Franco de son mausolée vers un cimetière de la banlieue de Ma­drid, en octobre 2019, a rouvert desblessures mal cicatrisées. Un pro­jet de réforme du code pénal, an­noncé par le gouvernement de Pedro Sanchez en mars, et destiné à criminaliser l’apologie du fran­quisme, a remis du sel sur la plaie. Quarante­cinq ans après sa mort, le Caudillo hante encore la mé­moire de son pays.

En Corée du Sud, en Argentine,en Algérie, partout, des événe­ments traumatiques, hier sur­montés tant bien que mal dans la douleur, restent aujourd’hui source de profondes divisions. Mais une région du monde, pres­que un continent, occupe toujoursune place à part : l’ex­URSS. Trente ans après sa disparition, l’Union soviétique, formellement déman­telée en 1991, continue de nourrir les peurs et les rancœurs avec une acuité renouvelée. Soumis au même joug communiste que les Russes, les anciens territoires et ré­publiques liés par le pacte de Varsovie affichent une animosité décuplée vis­à­vis de Moscou.

Dépression collectiveLa faute à Vladimir Poutine, dont l’agressivité, alimentée par une propagande sans limite, n’a cessé d’augmenter depuis l’annexion dela Crimée en 2014 et le conflit dansl’est de l’Ukraine ; mais aussi à une Europe divisée face aux crises, tiraillée par le départ des Britanni­ques ; et à une Amérique dominée par l’imprévisibilité de son diri­geant, Donald Trump.

Les traumatismes d’hier, qui sesont transmis aux générations post­soviétiques, refont en effet surface, de façon particulièrementvive, dans les trois petits Etats bal­tes (Estonie, Lettonie et Lituanie) annexés en 1940 après avoir été envahis et vidés de leurs commu­nautés juives par Hitler et les colla­borateurs. La Lituanie, rappelait

récemment le secrétaire général de son ministère des affaires étrangères, Laimonas Talat­Kelpsa, « bénéficie aujourd’hui d’une présence physique des trou­pes de l’OTAN et des Etats­Unis ; pourtant, sa population men­tionne toujours la Russie et la guerre en premier lieu lorsqu’on lui demande de définir une menace ». « Se peut­il, poursuivait­il en fai­sant référence aux difficultés in­ternes, que notre société soit ma­lade et que le nom de la maladie ne soit pas lié à un coronavirus ? »

« Dépression collective ». Le so­ciologue polonais Piotr Sztompka a mis des mots sur cette question en définissant le « traumatisme culturel » vécu par les anciens payscommunistes. Cette théorie a été reprise dans un ouvrage collectif dirigé par Danuté Gailiené, La Lituanie fait face après la transi­

tion. Conséquences psychologi­ques du trauma culturel (Eugri­mas, 2015, non traduit), qui con­clut que, malgré le rétablissement de l’indépendance lituanienne reconnue par l’URSS en 1991, « les conséquences du régime soviétiquetotalitaire pendant cinq décennies sont toujours présentes dans la vie des individus, comme dans la société tout entière ».

L’étude de l’évolution du taux desuicide, surtout chez les hommes, particulièrement élevé dans ce petit pays de moins de 3 millions d’habitants, est saisissante. Com­paré à la Suède, où ce taux reste re­lativement stable entre 1830 et 1990, il fluctue considérablement en Lituanie. Or, si les raisons du passage à l’acte sont toujours déli­cates à globaliser, ici, il ne fait guère de doute pour les cher­cheurs que la situation politique

joue un rôle déterminant. Estiméeà 16 pour 100 000 habitants au dé­but des années 1960 (les données antérieures n’étant guère exploi­tables), la proportion des suicides atteint 36 pour 100 000 habitants en 1984, avant de décroître soudai­nement avec l’arrivée de la peres­troïka, la politique de réformes mise en place par le dernier diri­geant de l’URSS, Mikhaïl Gorbat­chev. La même tendance est alors observée en Hongrie.

Puis, de 1990 à 1996, le choc de latransition vers le capitalisme et lesdifficultés endurées par la popula­tion se traduisent par une haussespectaculaire des suicides, dont la courbe a baissé à nouveau avec l’adhésion à l’Union européenne (UE) en 2004. Or, depuis 2012, elle arecommencé à grimper.

A Vilnius, où se tenait les 5 et6 mars une conférence sur le

« passé non digéré », organisée par le ministère lituanien des affaires étrangères, en présence de psy­chothérapeutes, de diplomates et d’intellectuels de plusieurs pays, lacinéaste polonaise Agnieszka Holland avançait cette explica­tion : « L’Union européenne a été notre réponse au trauma. » Mais,

Comment Poutine a raté son entrée dans une cathédrale de MoscouUne mosaïque représentant le président russe dans une célébration de l’annexion de la Crimée a été retirée après de nombreuses critiques

moscou ­ correspondant

C’ est l’histoire d’une oc­casion manquée. Pourla première fois depuis

qu’il est au pouvoir, Vladimir Poutine aurait pu être représenté dans une église, au même titre que les saints qui ornent les édifi­ces religieux orthodoxes. A vrai dire, il l’a été, durant quelques jours. Précisément jusqu’au ma­tin du 1er mai, où l’Eglise ortho­doxe a annoncé le démontaged’une mosaïque montrant le pré­sident russe entouré d’un aréo­page de fidèles : les ministres de ladéfense et des affaires étrangères,le directeur du FSB (service de sé­curité), ou encore le chef de l’état­major, Valéri Guerassimov, con­cepteur de la célèbre doctrine dela « guerre hybride » (utilisant sub­version, espionnage, propagande et cyberattaques).

La mosaïque intitulée « La réuni­fication pacifique de la Crimée », dans l’église de la Résurrection du Christ, devait célébrer l’annexion de la péninsule. Y figuraient aussi des hommes masqués armés de kalachnikovs, les fameux « petits hommes verts » apparus par en­chantement dans cette région ukrainienne au printemps 2014. Tout juste achevée, la mosaïque a été remplacée par une représenta­

tion plus… canonique : des moinestenant l’icône de Notre­Dame­de­Chersonèse (qui est tout de même originaire de Crimée).

Pour comprendre de quoi il re­tourne, revenons en arrière. La« Cathédrale des forces armées »,comme on appelle d’ores et déjàcette église de la Résurrection du Christ, doit être inaugurée à l’oc­casion des 75 ans de la victoire surl’Allemagne nazie, le 9 mai (ce seraprobablement un peu plus tard, pour cause de coronavirus).

Le projet est bel et bien conduitpar le ministère de la défense, et l’édifice est en passe d’être achevédans le parc Patriote, un parc d’at­tractions et d’expositions sur lethème de l’armée, à l’ouest de Moscou. S’il subsistait un doute, la structure vert sombre virant aukaki, recouverte de métal et de verre, l’aurait ôté.

Concentré de symbolesCette cathédrale – la troisième dupays, avec une capacité d’accueilde 6 000 personnes – est unconcentré de symboles. Exem­ples : le diamètre du tambour dudôme principal est de 19,45 mè­tres, évocation de l’année 1945 ; lahauteur du petit dôme est de14,18 mètres, rappel des 1 418 joursqu’ont duré les combats. Les six dômes dorés sont d’ailleurs dé­

diés aux saints patrons des diffé­rentes armées (on apprendra ainsi que les forces de missilesstratégiques sont placées sous lepatronage de sainte Barbara…). Les marches menant à l’église se­ront, elles, édifiées à partir d’ar­mes de la Wehrmacht coulées.

On l’aura compris, l’annexionde la Crimée devait donc rejoin­dre la seconde guerre mondialeau panthéon des épisodes « sa­crés » de l’histoire russe. Vladimir Poutine n’avait­il pas un jour évo­qué ce territoire comme un équi­valent du « mont des Oliviers pour les juifs et les musulmans » ?

Le 24 avril, la fuite des premièresimages sur le site MBKh Media atoutefois déclenché une avalan­che de commentaires, volontiers critiques ou sarcastiques. « La re­présentation sur les murs des tem­ples d’événements historiques etde personnalités historiques est

une tradition », a alors fait valoir l’évêque Stefan, prévôt de la ca­thédrale. L’artiste à l’origine de la mosaïque a aussi rappelé que les empereurs byzantins étaient, enleur temps, représentés dans les églises. De fait, l’alliance des pou­voirs spirituel et temporel est uneconstante de l’Etat russe, et la cé­lébration des victoires militaires un motif classique des églises. Comme dans de nombreuxautres pays, les religieux n’ont ja­mais eu aucun complexe à bénirles armées, jusqu’aux avions dechasse aspergés d’eau bénite avant leur départ pour la Syrie. Undébat a toutefois cours au sein de la hiérarchie de l’Eglise pour ex­clure de ces pratiques « les armesfrappant sans discrimination et lesarmes de destruction massive ».

« Il s’agissait de guerriers mar­tyrs ou de souverains pieux, lui a répondu l’historien Sergueï Brioun dans les colonnes du quo­tidien économique Vedomosti. Pas des généraux triomphants du défilé de 1945 ou les petits hommesverts avec fusils d’assaut. »

Restait à entendre l’avis du prin­cipal intéressé. Selon le porte­pa­role de Vladimir Poutine, celui­ci aurait souri en apprenant cette consécration, et dit : « Un jour, nosdescendants apprécieront nos mé­rites, mais le faire maintenant,

c’est un peu tôt. » Peine perdue, lelendemain, 27 avril, l’Eglise con­firmait ses intentions… avant de changer d’avis brusquement le 1er mai. La hiérarchie orthodoxe a clairement attribué ce revire­ment à « l’opinion » exprimée parle président, preuve que si ce der­nier n’est pas encore prêt à cô­toyer les saints sur les murs des cathédrales, sa parole est d’ores etdéjà d’évangile pour l’Eglise.

Mythe nationalFin de l’histoire ? Non, car une autre mosaïque continue de sus­citer des débats enflammés, celle représentant le défilé de la vic­toire de 1945. On y voit une autre personnalité inattendue : Joseph Staline. La personnalité du dicta­teur soviétique fait l’objet d’une réhabilitation progressive dans la société russe, mais voir honoré par l’Eglise le responsable de lamort de plusieurs dizaines de milliers de prêtres (plus de100 000 pour les seules années 1937­1938) a de quoi surprendre. En réponse aux critiques, le pa­triarcat de Moscou a évoqué le respect de la « vérité historique, dont il est impossible d’arracher arbitrairement certaines pages ».

Cette déclaration illustre bien lerapport qui s’est imposé ces der­nières années en Russie vis­à­vis

de la figure de Staline. Celui­ci est honoré en tant que commandant en chef victorieux dont les crimespeuvent ou doivent être occultés, le symbole d’une histoire de laRussie nécessairement glorieuse et l’emblème d’un patriotisme auquel l’Eglise se rallie volontiers.Ce rôle est d’autant plus fort que la guerre elle­même est élevée au rang de mythe national numéroun, celui qui doit unir aussi bien les différentes composantes du peuple russe que les morceaux épars et parfois contradictoires deson histoire. Au rang des mythesunificateurs, la Crimée arrive nonloin derrière.

Parmi les commentaires lesplus percutants sur cette étrange association, le sociologue IgorEidman évoque la naissance d’une « religion syncrétique », à l’image de celles qui, « en Afrique ou en Amérique latine, mélangent des éléments du christianisme etdes cultes païens ». Pour M. Eid­man, la religion syncrétique for­mée dans la Russie de Poutine « est une synthèse d’orthodoxie etde culte de la victoire. (…) On re­trouve dans l’histoire des cultes comparables dans des tribus indo­européennes païennes, qui véné­raient la Guerre, les guerriers tom­bés, les armes… »

benoît vitkine

Au « KGB Espionage Museum » de New York, qui abrite quelque 3 500 objets d’époque, en janvier 2019. TIMOTHY A. CLARY/AFP

Les réseauxde propagande

du Kremlin,RT et Sputnik,

attaquentsans relâche

le « passé nazi »de ces pays

ajoutait aussitôt la réalisatrice de L’Ombre de Staline (qui devait sor­tir en France le 18 mars), « si cela a fonctionné pendant des années, malheureusement, aujourd’hui, l’effet s’est évaporé… »

Guerre mémorielleLa mémoire collective, dans l’ex­URSS, est blessée. Non seulement parce que les archives sont restéespour la plupart sous scellés, mais parce que, surtout, Moscouexerce une pression constantesur ses anciens satellites. Sans re­lâche, les réseaux de propagande du Kremlin, RT et Sputnik, atta­quent le « passé nazi » de ces pays,et leur supposée condescendancepour les fascistes d’hier et l’ex­trême droite d’aujourd’hui.

Ailleurs, notamment en Polo­gne, la montée du populisme produit aussi ses effets. Consé­quence : la guerre mémorielle s’est ranimée entre Moscou et Varsovie. D’autre part, une brus­que poussée de fièvre a été enre­gistrée entre la Russie et la Répu­blique tchèque, lorsque, le 3 avril,la statue de l’ancien maréchal so­viétique Ivan Koniev a été débou­lonnée. En retour, l’ambassade tchèque à Moscou a été la cible d’un commando muni de fumigè­nes. Pas de trêve, même pendant la pandémie due au coronavirus.

« La perspective historique peutchanger les choses et amplifier lesproblèmes géopolitiques », souli­gnait, à Vilnius, le diplomate Lamberto Zannier, commissaireaux minorités nationales de l’Or­ganisation pour la sécurité et lacoopération en Europe (OSCE), alertant sur une année 2020 « po­tentiellement très critique », alors que les divisions grandissent au fil de l’interprétation de l’his­toire. « La reconnaissance, les ex­cuses publiques et les réparationssont des éléments­clés dans la re­cherche d’une “fermeture histori­que” », ajoutait­il. A l’approchedes soixante­quinze ans de la vic­toire de l’URSS sur l’Allemagnenazie, le 9 mai, dont les célébra­tions ont été reportées pour cause de pandémie de Covid­19, on en est loin.

isabelle mandraud

« Un jour, nos descendants

apprécieront nosmérites, mais le

faire maintenant,c’est un peu tôt »

VLADIMIR POUTINE

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Page 19: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 carnet | 19

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FEMMESD’EXCEPTION

Hors-sérieHors-série

2020Réviser son bac

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PHILOSOPHIETERMINALE, SÉRIES L ES S

L’ESSENTIEL DU COURS

LES SUJETS CORRIGÉS

LES ARTICLES DU MONDE

LES TEXTES CLÉS

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16 pages pourse tester avantle bac

HORS-S

ÉRIE

En partenariat avec

MensuelMensuel

N° 60AVRIL 2020

& CIVILISATIONS

ÉGYPTEDES FEMMESENLIBERTÉSURVEILLÉE

MAGELLANLEPREMIERTOURDUMONDEVIREAUDRAME

JACKSONIL FONDELE PARTIDÉMOCRATE

CHAQUEMOISUNPRÉSIDENT

POMPÉID’INCROYABLESDÉCOUVERTES

30 PAGESAU CŒURDESNOUVELLESFOUILLES

&CIVILISATIO

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Le Monde à paraîtrele jeudi 7 mai 2020

sera daté du 8-9 mai.

Le service du Carnetsera fermé

ce vendredi 8 mai.

L’équipe du Carnetassurera une permanence

le samedi 9 mai,de 9 heures à 13 heures,

pour notre éditiondatée du mardi 12 mai.

Merci de nous adresservos demandes par mail

en précisant impérativementvotre numéro de téléphone

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Décès

Danièle Ballèvre,son épouse,

Ses enfants,Ses petits-enfantsEt ses arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. Jean-Marie BALLÈVRE,préfet honoraire,

ancien administrateurde la France d’Outre-mer,

officierdu 1er ordre national mauritanien,

officierde l’ordre national duMérite,

chevalier de la Légion d’honneur,

suite à une crise cardiaque,le 1er mai 2020,à l’âge de quatre-vingt-onze ans.

Les obsèques ont eu lieu dansla plus stricte intimité, à Saint-Cast-le-Guildo.

Cet avis tient lieu de faire-part.

PF Urvoix, L’Hermitage,Tél. : 02 99 64 12 49.

Dominique et Florence Bouvier,Isabelle et Bernard de la

Bourdonnaye-Blossac,Vincent et Florence Bouvier,Fabrice et Catherine Bouvier,

ses enfants,Ses quatorze petits-enfants,Ses dix-huit arrière-petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès,survenu le 2 mai 2020, de

Mme Albert BOUVIER,néeMuriel PEUGEOT.

L’inhumation aura lieu aucimetière de Senlis, le 7 mai, dans laplus stricte intimité familiale.

La cérémonie religieuse seracélébrée dès que les circonstances lepermettront.

La famille remercie trèschaleureusement le personnel del’Ehpad Orpea Batignolles de sondévouement et de sa gentillesse.

186, boulevard Pereire,75017 Paris.

Mme Nicole Cherchi,son épouse,

Catherine et Agnès,ses filles,

Louis,son gendre,

Nicolas,son petit-fils,

Pierre Cherchi,son neveu,

Ses neveux et nièces,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. Lucien CHERCHI,ENS Saint-Cloud 1946,professeur émérite

de l’université de Bourgogne,

survenu le 2 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quinzièmeannée.

Les obsèques ont eu lieu dansl’intimité familiale.

Mme Renata Cortinovis,son épouse,

Livia Cortinovis,sa fille,

Tanguy, Jean-Marie et Alicia, Albaet Côme,

ont le chagrin d’annoncer le décès de

M.Marc COLOMBARD-PROUT,directeur de recherche,producteur demusique,

survenu le 30 avril 2020,à l’âge de soixante et onze ans.

Compte tenu des circonstances,la cérémonie aura lieu, dans la plusstricte intimité, le 10mai.

La famille tient à remercierle personnel du service d’oncologiede l’hôpital Saint-Antoine pour sonhumanité et sa bienveillance.

[email protected]

Félix Damette,son époux,

Agnès et Eliane,ses filles,

Louisette Deldique,sa sœur,

Achille, Julia et Hugo,ses petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décèsde

Josette DAMETTE,née DELDIQUE,

survenu le 2 mai 2020,dans sa quatre-vingt-quatrième année.

L’inhumation a eu lieu le mardi5 mai, au funérarium de Grammont,à Montpellier.

Christine Clerici,présidente d’université de Paris,

Sylvain Moutier,doyen de la faculté sociétés ethumanités,

Isée Bernateau,directrice du département d’étudespsychanalytiques,

Ses collèguesEt amis,

ont la grande tristesse d’annoncerle décès de

Maurice DAYAN,professeur honoraire

en psychopathologie etpsychanalyse d’Université de Paris,

survenu le 2 mai 2020

et s’associent à la peine de sa familleet de ses proches.

Thomas Dayan, Marine Dayan,Stéphanie Massare et Antonin Cois,ses enfants et leurs conjoints,

Robin, Alexis, Violette, Lou etMathilde,ses petits-enfants,

Sonia Dayan-Herzbrun,Françoise Gertler,

ont l’immense tristesse d’annoncerle décès de

Maurice DAYAN,ancien élève

de l’École normale supérieure,agrégé de philosophie,

psychanalyste,professeur honoraire

à l’université Paris Paris-Diderot,

survenu le 2 mai 2020.

Franck Tinland,professeur des Universités,

Ses enfantsEt ses petits-enfants,

ont la très grande peine de faire partdu décès de leur épouse, mère etgrand-mère,

Blanche TINLAND,

survenu le 30 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-douze ans.

La cérémonie a eu lieu dans la plusstricte intimité.

Lyon,

Camille et Sophie,Victor et Alice,

ses enfants,Claire,

sa petite-fille,

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

Mme Elisabeth GENTY.

Une cérémonie d’hommage auralieu quand les conditions lepermettront.

Ni fleurs ni couronnes, mais unedonation à l’association « échangesBirmanie ».

PF Chaboud,Tél. : 04 78 29 87 17.

New York. Jérusalem.Paris. San Francisco.

Judith Guéron, née Mitchell,son épouse,

Michèle et Zev Golan, NicoleGuéron et Carter Strickland,ses enfants,

Julien, Charlotte, Alisa, Shmuel,ses petits-enfants,

Maurice et Jacqueline Guéron,Frédéric et Anelly Guéron, SusanMitchell et John Sikorski,ses frères, belles-sœurs, beau-frère,leurs enfants et petits-enfants,

Étienne et Hélène EisenmannEt les familles Guéron, Mitchell,

Berrnheim, Hirsch, Le Cœur, Saglier,Les proches,

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

Henri GUÉRON,Supaéro 1958, PhDMIT 1966,

avocat au barreaude New York Fordham 1993,

survenu le 1er mai 2020,à New York, du Covid-19,à l’âge de quatre-vingt-trois ans.

Cet avis tient lieu de faire-part.

[email protected]@gmail.com

Ses enfants,Ses petits-enfants,Et l’ensemble de la famille,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Marcel KURZ,géomètre honoraire

de l’Institut géographique national,

survenu le 24 avril 2020,dans sa quatre-vingt-seizième année.

Compte tenu de la situationsanitaire, ses obsèques se déroulerontdans la plus stricte intimité.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Nicole Baudrier,sa compagne,

Ses filles, son gendreEt ses petits-enfants,Denys et Amiel Lable,Agnès Léger,

son frère, sa belle-sœuret sa sœuret leurs enfants,

Cécile Gall,sa tante,

Les familles Lable, Gall et Berthier,

ont la grande tristesse d’annoncerle décès de

Richard LABLE,

survenu le 25 avril 2020,dans sa soixante-dixième année.

Cet avis tient lieu de faire-part.

[email protected]

La famille de

M. Jean-Pierre LECLERE

a la douleur d’annoncer son décès,survenu à Compiègne, le 29 avril 2020,à l’âge de soixante-dix-huit ans.

Sa profonde humanité auramarqué, nous l’espérons, tous ceuxqui l’ont côtoyé.

Il sera enterré au cimetière deVerrière-le-Buisson.

Une cérémonie conviviale seraorganisée dès que possible.

Nicolas Meyer,son époux,

Jérôme et Karine Meyer,Anne et Dimitri Rejl,

ses enfants,RenéMeyer,

son beau-frèreEt toute sa famille,

ont la tristesse de faire part du décèsde

JanineMEYER,née CAVALER,

agrégée de l’Université,officier

dans l’ordre des Palmes académiques,

survenu le 26 avril 2020, à Lens,dans sa quatre-vingt-dixième année.

Les funérailles ont eu lieu aucrématorium d’Hénin-Beaumont, lejeudi 30 avril, dans la stricte intimitéde la famille.

[email protected]

France Brécard,sa compagne,

Charles et Laure Brécard,leurs enfants et leurs petits-enfants,

Thierry et Christine Brécard,leurs enfants et leurs petits-enfants,

ont la douleur de faire part du décèsde

Vital MISRAKI,

survenu le 2 mai 2020.

Les obsèques auront lieu dansl’intimité le 13 mai.

[email protected]

M. Alain Dufouret sa famille,

La famille Haut,La famille EtienneMoulin,La famille Albert Moulin,La famille ClaudeMoulin,

ont la tristesse d’annoncer le décèsde

JacquelineMOULIN,officier

dans l’ordre des Palmes académiques,professeur de philosophie,professeur de littérature(Maison d’éducation

de la Légion d’honneur),psychanalyste

(séminaires psychanalytiquesde Paris, ALI),

survenu à Paris,dans sa quatre-vingt-neuvième année,le 1er mai 2020.

Elle reposera dans le cimetière deChampdolent (Charente-Maritime),auprès de ceux qu’elle a aimés enAlgérie et en France.

Elise Natali,sa fille,

Nicole Perat,sa mère,

Carine Natali,sa sœur,

Carole NataliEt Alexis Barazer,

sa belle-mèreet son beau-frère,

Achille, Danaé, Antigone,son neveu et ses nièces,

Marion DelaigueEt tous ses amis proches,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Jean-Marc NATALI,

survenu le 25 avril 2020, à Paris 14e,à l’âge de cinquante ans.

La crémation aura lieu dansl’intimité familiale, le lundi 11 mai.

Une cérémonie sera organiséeultérieurement et ses cendresreposeront dans son village deHaute-Corse.

« L’Eternel parlait avec Moïseface à face, comme un homme

parle à son ami. »Exode, 33, 11.

Geneviève Pignol,son épouse,

Maguelone, Arnaud, Olivier,ses enfantset leurs conjoints, Michel, Catherine,Déborah,

Quentin, Julie, Alexandre, Matthias,Thomas,ses petits-enfants

Ainsi que la famille Vincent-Brueder,

ont la profonde tristesse de faire partdu décès de

Roland PIGNOL,ancien délégué général

de l’Union sociale pour l’habitat,officier de la Légion d’honneur,

survenu le dimanche 26 avril 2020,dans sa quatre-vingt-douzième année.

Selon ses souhaits, il a été inhuméle jeudi 30 avril, dans l’intimitéfamiliale.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Vigoux. Argenton-sur-Creuse.

Jacqueline et Maurice Benassayag,Jeanne Burton, Louis Pradel etJacqueline Martin,ses enfants, son gendre et sa belle-fille,

Amélie, David, Elisa, Louis etServane, Mathieu, Nelson et Marya,ses petits enfants et leurs conjointes,

Ses arrière-petits-enfants,Ses neveux et nièces,

ont la douleur de faire part du décèsde

Gabrielle PRADEL,née LANCHIER,

survenu à Paris, le 30 avril 2020,du Covid-19, à l’âge de cent ans.

Comme elle l’avait toujourssouhaité, elle reposera auprès de sonépoux,

Louisou,

de sa mère et de ses beaux-parentsau cimetière de Vigoux (Indre).

L’inhumation aura lieu dansl’intimité.

Une cérémonie en sa mémoiresera célébrée ultérieurement.

[email protected]@[email protected]

Mme Marie-Claire Ramelot,son épouse,

Mme Isabelle Ramelot,sa fille,

Adrien et Paul,ses petits-fils,

ont la douleur de faire part du décèsde

Monsieur Jacques RAMELOT,

fils deM. Pierre RAMELOT,

petit-fils deM. Olivier de GOURCUFF,

survenu à Paris, le 3 mai 2020,dans sa quatre-vingt-septième année.

Les obsèques religieuses aurontlieu dans l’intimité familiale.

Nîmes. Banne.Saint-Paul-le-Jeune. Berrias.

Mme Jacqueline Thibon,son épouse,

Gilles et Dominique Duvert-Broguière,

Hervé et Kerstin Thibon,Denis et Pascale Thibon-Vicat,

ses enfants,Vincent, Ariane, Marion, Claire,

Louise, Adèle,ses petits-enfants

Et toute la famille,

ont la tristesse de faire part du décèsde

M. René THIBON,médecin généraliste à Nîmes,

chevalierde l’ordre national duMérite,

survenu le 2 mai 2020,à l’âge de quatre-vingt-sept ans.

En raison des circonstancesactuelles, les obsèques auront lieuau cimetière de Banne (Ardèche),dans l’intimité familiale.

Cet avis tient lieu de faire-part etde remerciements.

Saint-Cyr-au-Mont-d’Or.

M. et Mme Xavier Roth,Mme Jean Ligouzat, née Roth,Mme Georges RothEt leurs enfants,

ont la tristesse de faire part du décèsde

Pierre ROTH,lieutenant-colonel de réserve

du service d’état-major,ancien président-directeur général

des Ets Roth et CieCafés Ras d’Amhara.

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Page 20: Le Monde - 07 05 2020

20 |horizons JEUDI 7 MAI 20200123

Le changement de doctrine

AUX RACINES DE LA CRISE SANITAIRE FRANÇAISE 3|5

« Le Monde » revisite la stratégie nationale en matière d’épidémie depuis vingt ans. Une manière de mieux comprendre, documents inédits et témoignages à l’appui, les polémiques actuelles. Aujourd’hui, le lent glissement vers un « désarmement »

I l n’en peut plus. En cinq ans passés à latête de l’incontournable direction gé­nérale de la santé (DGS), où il a éténommé en mars 2005, le professeurDidier Houssin s’est rarement sentiaussi amer qu’en ce printemps 2010. La

controverse sur la gestion de la grippe A(H1N1)et l’achat, dans des quantités jugées excessi­ves, de vaccins et de masques est venue enta­cher un parcours sans faute aux côtés des mi­nistres de la santé, d’abord Xavier Bertrand puis Roselyne Bachelot. La période est peu charitable pour ce médecin­fonctionnaire : il ales médias sur le dos, mais aussi certains res­ponsables politiques, et voilà même que la po­lice s’en mêle. « J’ai passé une journée rue du Château­des­Rentiers [siège à l’époque de la police financière parisienne], parce que, en gros, on voulait savoir si on avait été, au mieux,roulés par l’industrie, au pire, corrompus pour l’achat des vaccins ! On en a bavé des ronds de chapeau, avec Roselyne… », se rappelle Didier Houssin. L’ancien chef de service de l’hôpital Cochin a une bonne tête de bouc émissaire.

De fait, l’heure est aux grandes explications.Sur France 3, la journaliste Elise Lucet somme le ministère de la santé de battre sa coulpe surl’argent dilapidé ; les médecins libéraux, misde côté pendant la campagne de vaccination,sont furieux. Quant à l’opposition, elle est surle qui­vive, déterminée à discréditer un peu plus un pouvoir sarkozyste par ailleurs encal­miné dans l’affaire Bettencourt à partir du mois de juin. Une commission d’enquête par­lementaire sur la gestion de la crise A(H1N1) a vu le jour quelques mois plus tôt, en fé­vrier 2010, au grand dam de l’UMP. Au beau milieu de ce capharnaüm, il y a donc le profes­seur Houssin, usé par la fonction. Au point qu’il utilise une drôle d’unité de mesure pour étalonner les piles de dossiers entassées dans son bureau : le « kilomètre ».

GARE AU RETOUR DE MANIVELLEMais la vraie victime est ailleurs. Ci­gît la poli­tique de sécurité sanitaire française, durable­ment touchée par le scandale. « J’étais trèsamer, se souvient M. Houssin. On a essayé de faire notre boulot, tout simplement. Et on s’en est pris plein la poire… » Le discours de raison n’est plus audible. A la prochaine crise sani­taire, gare au retour de manivelle, se pren­nent à penser les professionnels de la santé.C’est donc là que se situe le nœud de l’affaire. Les prémices du « désarmement ».

Il convient d’habiller une politique publi­que, quelle qu’elle soit, avec une doctrine ha­bilement tricotée. Quel est, à l’époque, le choix qui se profile, pour Roselyne Bachelot, en grosse difficulté ? Continuer à anticiper, donc à dépenser au cas où, rester sur ses gar­des devant l’imprévisible sanitaire, afin d’êtreprêt, l’hypothétique jour J ? « Roselyne était comme moi, explique Xavier Bertrand, sonprédécesseur et successeur, avenue de Ségur, il faut prévoir le scénario du pire, même si ça coûte. Ecole Chirac, il n’y a pas de débat. » Autreoption : en finir avec ce fameux principe de précaution, qui n’a plus bonne presse ? Ralen­tir, tergiverser, jusqu’à ressentir, fatalement,les symptômes d’une drôle de maladie, « la fa­tigue pandémique », comme la surnomme le professeur Houssin. S’engourdir dans Le Dé­sert des Tartares imaginé par Dino Buzzati, àattendre désespérément la bataille finale. S’installe alors, comme le dit ce même Didier Houssin, « la ruse du diable : l’oubli ».

On en est là quand la DGS, le 27 avril 2010,décide de saisir le Haut Conseil de la santé pu­blique (HCSP), l’instance chargée de délivrerdes avis sanitaires, d’une demande précise : que faire du milliard de masques chirurgi­caux et des 700 millions de FFP2 dont dis­pose désormais l’Etat, à travers sa structuredédiée, l’Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) ?

En effet, écrit alors le professeur Houssin :« La compliance [l’acceptation] au port du masque FFP2 de la part des professionnels aété faible. (…) Une partie importante des mas­ques FFP2 arrivant à péremption, la question de la reconstitution d’un stock national adapté, quant à sa composition et à son vo­

lume, se pose désormais. » En d’autres termes,le directeur général de la santé indique, il y adix ans exactement, que le matériel en ques­tion est sur le point d’être périmé, et de­mande des éclaircissements sur « les types de masques devant constituer ce stock Etat » et des recommandations sur « un dimensionne­ment de ces stocks ».

Le temps des économies n’est certes pas en­core arrivé, mais il se profile. En attendant laréponse des experts sollicités sur un sujet quiintéresse si peu de monde à l’époque – c’est­à­dire les masques de protection –, Roselyne Bachelot doit déjà lutter contre la tempêtepolitique, y compris dans son propre camp. Le sénateur UMP Philippe Marini est ainsi l’un des premiers à dégainer. Le 29 juin 2010, dans son rapport sur la loi de finances 2009, il vise notamment les crédits alloués à la luttecontre la grippe A(H1N1).

Intéressant, ce rapport… Il est le premier àenvisager le fameux « désarmement » sani­taire à venir. Il mérite qu’on s’y arrête. « Selon le ministère de la santé, écrit le parlementaire,ces dépenses peuvent être évaluées à environ 757,3 millions d’euros au titre de l’acquisition des vaccins et des consommables, des indem­nités de résiliation versées aux laboratoires,des dépenses de logistique et d’édition des bons de convocation, de la campagne de com­munication, de l’indemnisation des profes­sionnels de santé, de l’achat de masques, d’an­tiviraux et de respirateurs. » Mais cette somme, déjà considérable, paraît sous­éva­luée aux yeux du pointilleux sénateur : « Il convient néanmoins d’y ajouter d’une part, lesdépenses supplémentaires supportées par l’As­surance­maladie au titre des prescriptions de médicaments, des honoraires des médecinsgénéralistes et des indemnités journalières,ainsi que le surcroît d’activité des hôpitaux ;d’autre part, les frais liés au fonctionnement des centres de vaccination. Au total, les dépen­ses liées à la grippe A(H1N1) peuvent ainsi être évaluées à environ 1 milliard d’euros. »

Le chiffre est lâché. Un chiffre rond, parfaitpour frapper les esprits. Un milliard d’euros, pour 342 décès recensés. De quoi scandaliser les tenants de l’orthodoxie budgétaire. D’autant que Philippe Marini a encore quel­ques agacements en réserve : « Des quantitésimportantes de masques ont, tout d’abord, étécommandées alors que peu semblent avoir étéeffectivement distribués : 508 millions de mas­ques FFP2 et 121 millions de masques chirurgi­caux pédiatriques – venant abonder un stock initial conséquent d’un milliard de masques chirurgicaux et de 667,7 millions de masques FFP2. » Le sénateur Marini fait les comptes… et règle celui de l’Eprus, créé par Xavier Ber­trand en 2007. « Or, poursuit donc Marini, surce total de 2,2 milliards de masques, seuls 423 millions ont été livrés par l’établissement dans le cadre du plan pandémie ; les calen­driers de livraison font apparaître des récep­tions de commandes tardives ce qui pose laquestion de l’opportunité de tels achats. »

La conclusion du sénateur a tout de l’exécu­tion : « De façon plus générale, votre rappor­teur spécial insiste sur deux éléments : l’ur­gence des solutions à apporter à la question dela gestion de la péremption des produits de santé et la reconsidération du rôle de l’Eprus.D’une part, l’Eprus n’a pas, contrairement à l’objectif affiché lors de sa création, résolu tou­tes les difficultés rencontrées auparavant par la direction générale de la santé ; d’autre part,

son rôle a finalement été très limité. Dans ces conditions, votre rapporteur spécial s’inter­roge sur l’opportunité de la création de cette nouvelle agence. »

Tout est là, en germe. L’inutilité supposéedes masques, et celle de l’Eprus. En général, les rapports du Sénat émeuvent peu de monde, mais Philippe Marini est écouté, il a de l’influence, d’autant qu’il fait partie de la majorité. Dans ces circonstances, difficile pour Roselyne Bachelot de s’imaginer un ave­nir radieux, avenue de Ségur, malgré la pro­tection bienveillante du locataire de Mati­gnon, son ami François Fillon. Le 14 novem­bre 2010, au prétexte d’un remaniement, elle est contrainte de passer le relais à un reve­nant, Xavier Bertrand, nanti d’un portefeuilledémesuré : il gère le travail, l’emploi et doncla santé, qui perd au passage son autonomie. La première organisation syndicale de méde­cins, la Confédération des syndicats médi­caux français (CSMF), se réjouit : très critique envers Roselyne Bachelot pour sa gestion du dossier A(H1N1), elle a fait campagne pour M. Bertrand. A charge pour ce dernier de re­conquérir un électorat marqué à droite…

« UN POISON LENT, QUI INFUSE »Bien qu’ovationnée par ses troupes, Mme Ba­chelot quitte le ministère profondémentmeurtrie. Au­delà de son cas personnel, elle pressent qu’un glissement est en train de s’opérer. « Ça ne se passe pas comme si on éteignait la lumière dans une pièce, juge­t­elleavec le recul. C’est un poison lent, qui infuse, etqui amène des décisions budgétaires successi­ves. L’Etat s’est imposé une rigueur, une diète, à travers la RGPP de Sarkozy, que d’autres ne s’imposaient pas », lâche­t­elle à propos de la Révision générale des politiques publiqueslancée, en juillet 2007, par Sarkozy et Fillon dans le but de réduire les dépenses de l’Etat.

« Et cela a été dramatique, notamment pourla prévention des risques épidémiques », dé­plore­t­elle. L’ex­ministre dénonce les effets de manche, éclipsant les réalités cruelles : « L’Etat, derrière les salons dorés, c’est une fa­çade. Le reste, c’est la misère, la déshérence to­tale, des conditions de travail dramatiques,alors que, dans le même temps, les collectivi­tés territoriales ont multiplié les bureaux, lesvoitures… Moi, j’ai été écœurée. »

Recasée au ministère des solidarités et de lacohésion sociale, Roselyne Bachelot n’est

plus en odeur de sainteté sarkozyste. « Je suis alors dans un tel état de souffrance psycholo­gique, ça fait un peu midinette, mais c’estvrai », relate­t­elle. D’autant que les avanies s’accumulent…

Le 17 février 2011, la Cour des comptesprend le relais du sénateur Marini. Dans son rapport annuel, l’institution critique elleaussi, en termes choisis, la gestion du dossierA(H1N1). Elle parle d’une « stratégie vaccinale trop ambitieuse et non évolutive », d’un plan pandémie grippale fournissant « un cadre in­complet et trop rigide », étrille le « choix discu­table d’une couverture large de la popula­tion » par la vaccination, et des « contratsd’acquisition de vaccins mal négociés ». Con­clusion abrupte : « Une campagne coûteuse au regard des résultats obtenus. »

Les « sages » de la rue Cambon, pas si biennommés pour le coup, concentrent leurs flè­ches sur l’échec de la campagne de vaccina­tion de masse : 5,4 millions de personnes vaccinées, soit moins de 8,5 % de la popula­tion. Le coût total est de 662,6 millionsd’euros selon la Cour, soit bien davantageque les 510 millions d’euros annoncés par Roselyne Bachelot, au cours de son audition, en juin 2010, par la commission d’enquête del’Assemblée. Avenue de Ségur, Xavier Ber­trand n’en mène pas large. Il se sait observé,guetté. On ne le raterait pas, lui non plus, s’il venait à trop dépenser en vue d’une crise po­tentielle. Nous sommes en 2011, et les effets du choc financier planétaire de 2008 se font plus que jamais sentir. Mais Bertrand gardeses certitudes : « le scénario du pire » con­serve ses faveurs, même s’il ne s’en vante pas,ça vaut mieux.

Au ministère, Didier Houssin a été rem­placé à la DGS par Jean­Yves Grall, mais sa sai­sine, au printemps 2010, du Haut Conseil desanté publique (HCSP) sur les masques a en­fin été suivie d’effets. Le HCSP, le 1er juillet 2011, tente d’apporter des élémentsde clarification. Déjà, selon le Haut Conseil, le« stock Etat de masques respiratoires devra être constitué de masques antiprojections (chi­rurgicaux) et d’appareils de protection respira­toire (FFP2) ». Rien de neuf, dans ce rapport, mais au moins une certitude : l’Etat doit con­tinuer d’abonder son stock, pour le grand pu­blic comme pour les professionnels, à qui ilfaudra réserver les FFP2, plus protecteurs. Eneffet, et c’est une donnée à prendre en consi­

EN 2010,LES DÉPENSES

LIÉES À LA GRIPPE A(H1N1)

SONT ÉVALUÉES À 1 MILLIARD 

D’EUROS,POUR 342 DÉCÈS 

RECENSÉS. DE QUOI SCANDALISERLES TENANTS

DE L’ORTHODOXIE BUDGÉTAIRE

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dération au regard des atermoiements obser­vés lors de la crise due au Covid­19, les expertsdu HCSP concluent ceci : « La revue systémati­que d’études observationnelles suggère uneefficacité préventive élevée des masques desoins et des appareils de protection respira­toire. » En 2011, les masques sont donc consi­dérés comme efficaces et indispensables lors d’une pandémie.

EXPERTISES PRÉMONITOIRESPas question pour autant de verser dans l’à­peu­près. Les attributions de masques sont gravées dans le marbre : ceux de type chirur­gical seront destinés aux personnes poten­tiellement exposées en raison de leur pro­fession (caissières, éboueurs…), mais égale­ment obligatoires pour les usagers des trans­ports publics ; les FFP2 seront destinés auxpersonnels de santé. « La reconstitution régu­lière d’une partie du stock devra être assu­rée », disent également les experts, qui préci­sent, prémonitoires : il faudra « une organi­sation pour l’utilisation de ces stocks en situa­tion de crise, qui permette de couvrirrapidement toutes les populations et tous les personnels de soins ».

En clair, même si les médecins ne peuventconclure, en l’absence d’une littérature tran­chée, à l’absolue efficacité des masques en casd’épidémie d’ampleur, mieux vaut en avoir en quantité, et c’est à l’Etat de les fournir. Le HCSP suggère d’ailleurs « d’évaluer les capaci­tés de fabrication et d’approvisionnement »,puis de définir « une durée minimale que le stock permanent devra couvrir ».

Fort de ces recommandations, le directeurgénéral de la santé, Jean­Yves Grall, alerte sonautorité de tutelle, Xavier Bertrand. « Je penseque la stratégie était tout à fait rationnelle àl’époque, observe M. Grall. Ce truc a mouliné, ensuite… » Le rapport du HCSP se diffuse, etinfuse. Mais quid des stocks usagés, au fait ?

Le 27 juillet 2011, la DGS adresse à M. Ber­trand un courrier d’alerte sur la péremption prévisible des stocks de l’Eprus : « Le montant des produits ainsi prolongés concerne aujourd’hui une part importante des stocks détenus, soit 25 % du montant total des stocks stratégiques. » Autrement dit, un quart des masques et autres antiviraux conservés par l’Eprus sont quasi inutilisables. Les sommes àengager pour les renouveler sont conséquen­tes. Du coup, M. Grall propose « d’abandonner

progressivement le programme de prolonga­tion de durée de validité des produits au profit d’un programme de lissage des renouvelle­ments ». Pour les masques, « le renouvelle­ment d’une partie du stock de chirurgicaux etFFP2 ne semble pas justifié ».

En effet, argue­t­il, les réserves disponiblesn’indiquent pas de pénurie prévisible : 600 millions de FFP2 et 800 millions de mas­ques chirurgicaux reposent encore à l’époquedans les entrepôts de l’Eprus – des chiffres quilaissent rêveur, aujourd’hui. Il sera toujours temps, en 2013, de vérifier s’il convient de procéder à de nouvelles commandes. Il n’est donc pas encore question de changement dedoctrine sanitaire, à ce stade. Simplement de précautions budgétaires à prendre.

Le terme « lissage » est un grand classique dela gestion minimaliste. Mais Xavier Bertrand n’a aucune envie d’encaisser des critiques aposteriori, ni de se laisser refiler le mistigri en 2020. Il a bien compris, en ces temps d’épi­démie, que d’aucun(e)s aimeraient bien dater le début du désarmement sanitaire de la France à 2011, à l’époque où il était en fonc­tions, avenue de Ségur. Il s’en défend : « Je ne suis pas un perdreau de l’année ! Pourquoi, en 2011, j’irais flinguer tout ce que j’ai fait aupa­ravant ? On ne m’a pas fait un lavage de cer­veau quand je suis devenu secrétaire général de l’UMP en 2008 ! Je suis parano par rapport àces pandémies, donc toujours dans le même état d’esprit. » Claude Guéant, à l’époque bras droit de Sarkozy à l’Elysée, souligne pour sa part que « le document de 2011 souvent cité [le rapport du HCSP], proposant de ventiler autre­ment le stock entre un niveau national et desniveaux déconcentrés, était un document de préconisation et non une décision ».

Bertrand a relu, attentivement, l’avis duHCSP du mois de juillet 2011. « Le HCSP fixeune chose très précise : il y a beaucoup de mas­ques en France, et il faut donc préciser ce qui estprévu, pour qui et pour quoi. Les FFP2, c’est pour les soignants, et les masques chirurgi­caux, pour tous les autres », martèle­t­il. La montée en puissance est même actée, selon lui : « On est à 80 % de l’objectif cible sur lesmasques chirurgicaux. Et on estime qu’avec ce que sont capables de faire les productions enFrance dès le début d’une épidémie, en dopant la production, on atteint notre objectif cible de 100 %. Voilà tout ce qui est dit en 2011. » Avec à la barre un ministère de la santé qui, dixit Ber­

trand, « doit fixer chaque année le nombre demasques à commander, pour renouveler ouaugmenter le stock ».

Si tout est si clair, à l’époque, d’où vient, en ceprintemps 2020, ce vent mauvais qui replace Xavier Bertrand dans le collimateur ? Marisol Touraine, la ministre socialiste qui lui succé­dera en mai 2012, renvoie sans hésiter la balle dans son camp. Pour elle, c’est bien en 2011 quetout s’est joué. « Nous arrivons et trouvons une stratégie qui a été élaborée dans le contexte post­épidémie A(H1N1), rappelle Marisol Tou­raine. Tout le monde marche sur des œufs. » Et de donner son interprétation du texte du HautConseil de juillet 2011 : « L’avis dit clairement que les stocks stratégiques, en gros, sont com­posés des masques chirurgicaux et des FFP2, et on renvoie aux hôpitaux qui doivent avoir leur propre stock de masques. Il y a ce qui est local, etce qui est Etat, c’est déjà en germe dans la diffé­rence stratégique/tactique. »

DÉBÂCLE SANITAIRE DU PAYSMme Touraine va un peu vite en besogne. Car l’avis de juillet 2011 du HCSP ne fait pas men­tion d’une distinction stock stratégique/stocktactique. Un distingo qui est à l’origine, d’après la plupart des témoins interrogés par Le Monde, de la débâcle sanitaire du pays. En fait, il faut attendre le 2 novembre 2011, et unecirculaire signée par Xavier Bertrand, pourqu’effectivement une première évolution dela doctrine sanitaire soit signifiée.

Intitulée « préparation de la réponse aux si­tuations exceptionnelles dans le domaine de lasanté », cette circulaire – peu aisée à dénicher neuf ans plus tard – mérite le détour. Il est question des agences régionales de santé (ARS), si contestées aujourd’hui, dont la créa­tion, en avril 2010, supposait la mise en place de plates­formes régionales de stockage. Xa­vier Bertrand, à rebours du sénateur Marini,en profite pour ancrer le rôle de l’Eprus, sa « créature », dans l’arsenal sanitaire. « Depuis la pandémie grippale A(H1N1), l’Eprus a mon­tré tout son savoir­faire », se félicite alors le mi­nistre dans cette circulaire.

Toujours se pencher sur les détails : c’estdans une annexe au texte principal de ce do­cument que l’on trouve l’amorce d’une évolu­tion du dispositif. D’une part sont évoqués les« équipements tactiques », ceux « dont doivent disposer les établissements de santé, sièges de SAMU ou de SMUR, pour assurer la gestion des

situations sanitaires exceptionnelles ». Et le ministre de préciser le modus operandi : « L’ac­quisition et la maintenance de ces équipe­ments seront financées par les établissements de santé [hôpitaux, Ehpad…] dans le cadre de leur mission d’intérêt général. »

D’autre part, il est fait mention des « stocksstratégiques » : « En complément de ces équipe­ments tactiques, l’Etat va maintenir une capa­cité d’intervention en renfort, notammentdans les cas où la réserve sanitaire est mobili­sée. Ces équipements feront partie des stocksstratégiques de l’Etat et gérés par l’Eprus à par­tir de ses plates­formes zonales. »

Il s’agit bien là d’une nouvelle doctrine. Xa­vier Bertrand le précise ensuite dans le texte : « Selon ces nouvelles modalités de gestion, l’Eprus pourra apporter un appui techniqueaux ARS (…), proposer aux établissements de santé qui le souhaitent des marchés­cadres na­tionaux pour l’acquisition des matériels et équipements requis. »

« ERREUR STRATÉGIQUE »C’est dans cette circulaire, et non dans l’avisdu HCSP, que la différenciation entre « stocks stratégiques » et « stocks tactiques » est doncmentionnée pour la première fois. Rien de choquant, a priori. L’Etat décentralise et res­ponsabilise ses autorités régionales, tout en maintenant un stock national de belle enver­gure. Sur le papier, le dispositif paraît plutôt rationnel. « C’était finalement assez voisin de ce qu’on avait utilisé jusqu’alors, remarque Di­dier Houssin. Mais le problème, c’est qu’il y aeu un premier changement stratégique, que je considère moi plutôt comme une erreurstratégique : dire que les masques FFP2, c’estpour les professionnels. Il faut donc que cesoient les employeurs qui les acquièrent.Mais les employeurs, c’est qui ? Les appelsd’offres, vous voyez un peu le bazar pour un hôpital qui a quand même autre chose àfaire. La gestion des stocks stratégiques dansla durée, des matériels qu’on va peut­être uti­liser dans dix ans, ce n’est pas du boulot d’hô­pital ou d’Ehpad. »

Mais l’administration s’est mise en marche.Déléguer, c’est accorder sa confiance. A l’Etat de s’occuper de stratégie, le reste relève de la tactique. Pure sémantique, aux conséquen­ces pourtant déterminantes. Xavier Bertrands’agace. « Le truc, “en 2011, on change la doc­trine…”, pfff… » Il le redit avec force : « Je ne suispas complètement con au point de casser ce que j’avais mis en place ! Les stocks de l’Eprusavaient baissé, oui, mais les seringues, les vac­cins, on ne les avait plus après l’épisode A(H1N1) (en 2009­2010). On a essayé de m’ac­crocher, ces temps derniers, il faut voir politi­quement d’où ça vient… En tout cas, on n’a pasbaissé la garde sur les masques ! »

Une certitude, tout de même : à partir de2011, voilà les hôpitaux et autres établisse­ments régionaux sommés d’acheter du ma­tériel, quand ils sont déjà aux abois financiè­rement. Le désengagement s’esquisse claire­ment. D’autant que les hauts fonctionnaires de l’intérieur comme les pontes de la défense,bien plus préoccupés par le risque d’attentatchimique que par une éventuelle pandémie, estiment avoir leur mot à dire – ils entendentmême imposer leurs vues. La guerre sani­taire est une chose trop sérieuse pour êtrelaissée aux médecins.

Placé sous l’autorité de Matignon, le Secré­tariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), déjà aux manettes, dansl’ombre, en 2009, prépare son grand retour sur le front. « Le SGDSN va se sentir interpellépar les critiques post­A(H1N1), explique l’an­cien député PS, spécialiste de santé publique, Jean­Marie Le Guen. Le SGDSN va faire enquelque sorte son autocritique en disant, on apris trop de masques en 2009, etc., et donc onva passer par la décentralisation des moyens au niveau des grandes entreprises. Toujoursdans une logique de bioterrorisme. Donc leSGDSN va penser, structurer son plan, dès 2011. » Le très respecté économiste de la santéClaude Le Pen, décédé le 6 avril, en était aussi persuadé : « Le point décisif, c’est le SGDN. Iljoue un rôle qui est occulte. » Plus pour très longtemps.

gérard davet et fabrice lhomme

Prochain article 2011­2017, la mécanique du délitement

STÉPHANE OIRY

À PARTIR DE 2011, VOILÀ LES HÔPITAUX 

ET AUTRES ÉTABLISSEMENTS 

RÉGIONAUX SOMMÉS D’ACHETER 

DU MATÉRIEL, QUAND ILS SONT DÉJÀ AUX ABOIS FINANCIÈREMENT

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22 |culture JEUDI 7 MAI 20200123

Les plates­formes profitent du confinementLes audiences du leader Netflix, mais aussi d’UniversCiné, de FilmoTV ou de Tënk, ont largement augmenté

ENQUÊTE

P rivée de ses lieux d’ex­pression habituels – thé­âtres, salles de concertset de cinéma, musées, li­

brairies –, la culture n’a pas pourautant déserté la vie des Français.Selon le dernier baromètre deconsommation culturelle, réa­lisé en avril par la Haute Autoritépour la diffusion des œuvres et laprotection des droits sur Internet(Hadopi), l’accès aux biens cultu­rels arrive en tête des activités considérées comme indispen­sables à l’équilibre des personnesinterrogées. Après quatre semai­nes de confinement, 89 % d’entreelles déclarent avoir consomméséries, films, expositions numé­riques, musique et jeux vidéo.Une pratique qui profite large­ment aux plates­formes de strea­ming, par abonnement (SVoD), à l’achat ou à la demande (VoD).

La contrainte du « rester chezsoi » renforce ainsi la plate­forme américaine de streaming Netflixdans sa position de leader qui, pour ce premier trimestre 2020, a attiré 15,8 millions de nouveauxabonnés. Soit deux fois plusque les 7 millions escomptés et beaucoup plus que les 9,6 mil­lions recrutés en 2019 sur lamême période.

Si la direction de la compagniedemeure prudente, attendant « une décélération de la croissancedes abonnements avec la fin duconfinement », elle doit à cette parenthèse de consolider son as­sise, au moment propice. L’arri­vée en France, le 7 avril, du géant américain Disney + a introduit unconcurrent de poids. Même si ce dernier n’a pas dévoilé les retom­bées de son lancement, son al­liance avec Canal+ (distributeur exclusif du service pour ceux quin’ont pas choisi de s’abonner directement sur la plate­forme), qui a permis au groupe de diffu­ser en exclusivité, sur plusieursde ses chaînes, The Mandalorian, une première série dérivée deStar Wars, fournit des signes en­courageants, avec 3,4 millions de téléspectateurs réunis.

En outre, le passage en clair deCanal+ au début du confinement a multiplié par deux ses audien­ces en première partie de soirée.Plaçant au rang de succès la dif­fusion de films comme Rebelles (2019), d’Allan Mauduit, qui a rassemblé 2,1 millions de télés­

pectateurs, Tanguy (2001),d’Etienne Chatiliez, qui en a re­tenu 1,8 million et quasi autantpour Venise n’est pas en Italie (2019), d’Ivan Calbérac. Canal+ Séries, quant à elle, bénéficie à lafois de la période, mais aussi de la diffusion de Validé, la série de Franck Gastambide, Charles Van Tieghem et Xavier Lacaille, qui,depuis vendredi 20 mars, exploseavec pas moins de 18 millions de visionnages.

Classiques et films d’auteurLa consommation des chaînes OCS, la plate­forme de télévi­sion d’Orange, a pour sa part étémultipliée par trois. Parmi lesgros succès sont à noter la sé­rie américaine de science­fictionWestworld, de Jonathan Nolanet Lisa Joy, qui pulvérise lesaudiences habituelles, chaquenouvel épisode séduisant 20 %de spectateurs en plus. Le confi­nement a également fait repartirà la hausse la série Game of

Thrones et fait bondir les théma­tiques cinéma, notamment laspéciale Tarantino.

Néanmoins, ce ne sont passeulement les séries, les block­busters, ou même les comédiespopulaires, qui tirent profit de la situation. Les grands classiques,les films d’auteur, les documen­taires parmi les plus pointus sus­citent eux aussi un intérêt donttémoignent les plates­formesplus confidentielles. « Le confine­ment aura permis de mettre en lumière, notamment grâce à lapresse, le marché de la vidéo à lademande », précise Denis Rostein,directeur général de la pre­mière plate­forme de VoD fran­çaise UniversCiné, dont le catalo­gue regroupe 7 300 films indé­pendants de diverses nationali­tés, récents et anciens.

« Avant, je crois qu’il y avait uneméconnaissance, voire une in­compréhension sur toutes ces of­fres. Plate­forme par abonnement,vidéo à la demande… Beaucoup ne

s’y retrouvaient pas, et nombreux étaient ceux qui pensaient que les tarifs proposés étaient élevés. Leconfinement a fait voler tout ça, encréant une curiosité, en favori­sant une démarche. L’appétence des Français pour un cinéma de qualité a pu se vérifier. » Résultat : depuis mardi 17 mars, la plate­forme est passée de 350 à 2 200 ac­tes de location en semaine, et de 600 à 3 000 les week­ends. Une consommation qui a plus que quadruplé.

« L’usage de la VoD et du cinémapar abonnement n’avait pas été intégré ou essayé par la majorité des Français », confirme BrunoDelecour, directeur général de FilmoTV, qui, avec son cataloguede 700 films, a triplé ses abonne­ments et doublé ses locations à l’unité. « Or, en disposant soudain d’un bien rare – le temps –, ils sont allés jeter un coup d’œil et se sontautorisés à regarder, sans risque,puisqu’ils avaient du temps, des films différents de ce qu’ils

regardaient d’habitude, lesquels étaient, en général, les dernierssortis. » Si les usagers de la plate­forme, anciennes ou nouvel­les recrues, ont privilégié en grand nombre les films grand pu­blic familiaux, ils ont aussi large­ment goûté aux classiques et aux films d’auteur.

Passée de 8 200 à 10 000 abon­nements (en plus de ses 10 000 abonnés institutionnels, écoles d’art et de cinéma, média­thèques…), la jeune plate­forme coopérative Tënk, qui regroupe

« Nous voulons faire de La Villette une grande plaine artistique »Le président du parc et de la Grande Halle, Didier Fusillier, a imaginé une programmation pour l’été qui prend en compte la crise sanitaire

ENTRETIEN

A lors que la réouverturedes petits lieux, musées,médiathèques et biblio­

thèques après le déconfinement aété annoncée mardi 28 avril parEdouard Philippe, Didier Fu­sillier, président de l’établisse­ment public du parc et de la Grande Halle de La Villette, meten place pour début juillet une programmation spéciale dans les jardins et autres espaces de cetimmense parc culturel parisien.

Comment gérez­vousau quotidien les 55 hectares confinés du parc de La Villette ?

Le barriérage, réalisé dès ledébut du confinement, a été bien fait, mais il est quasiment impos­sible de clôturer les 55 hectares. Il y a peu d’intrusions à l’exceptionde quelques noctambules ounageurs, très rares, qui arrivent par le canal de l’Ourcq.

Il reste une quarantaine depersonnes sur le site, dont les jardiniers qui l’entretiennent afin qu’il soit opérationnel dès que nous pourrons reprendre nosactivités.

Sous quel angle allez­vous tenter de reprendreune programmation artistique dans les différents espaces de La Villette ?

On va d’abord rester humble etprogresser au plus près des consi­gnes sanitaires. Nous devonspenser à entretenir le lien entre les artistes et les spectateurs. Lorsqu’on sait que, en Allemagne par exemple, les théâtres ne vont pas rouvrir avant fin décembre, on peut se poser des questionssur ce qui nous attend. Se projeterest difficile, mais on peut imagi­ner des hypothèses.

Les premiers lieux que l’Autri­che a rouverts, ce sont les parcs.Nous avons donc d’abord

travaillé sur ce que nous pour­rions proposer dans les diffé­rents espaces verts avant d’écha­fauder ce que l’on peut aussiprésenter dans la Grande Halle,au Zénith, sous les chapiteaux etau Cabaret sauvage.

Quels sont vos projets ?Nous avons envie de profiter de

cet immense espace pour en faire une sorte de grande plaine artisti­que. Le public pourrait découvrir à cette occasion des moments artistiques qu’il ne voit jamais, sans horaire de début ni de fin. Dans le cadre de ces « laboratoiresd’artistes », je pense aux échauffe­ments des danseurs et des comé­diens, aux répétitions… La fabri­cation des œuvres constitue desinstants précieux.

Pour élaborer ces événements,nous dialoguons avec Bartabas, David Bobée, Thomas Jolly, Angelin Preljocaj, Marion Motin, qui ont été déprogrammés à

cause du confinement, mais aussiavec l’Académie Fratellini. Ces « la­boratoires » seraient installésdans différents sites et accessiblesentre 14 heures et 21 heures dans les conditions sanitaires requises.Il s’agirait de proposer des expé­riences. Le tout serait gratuit. Sans doute est­ce une utopie,mais, au fond, le concept même de La Villette en est une !

Conservez­vous le rendez­vous estival du cinéma en plein air, prévu du 17 juillet au 18 août ?

Oui. Nous allons dessiner desemplacements au sol par cellules de 2 ou 3, comme dans un drive­in. Ici, nous avons la chance d’avoir des espaces nombreux ettrès différents, qu’il s’agisse par exemple des Micro­Folies [mu­sées numériques modulables] ou du WIP, la maison en pierre octo­gonale pour la magie. Cela nouspermet une certaine agilité pourdéployer notre imagination.

Dans le cadre des Micro­Folies,nous pensons, à partir de septem­bre, avec la ville de Bastia par exemple, y inviter des dessina­teurs de BD, des graffeurs que l’on pourra voir au travail, des dan­seurs de hip­hop. Les jauges seront de dix à quinze personnes au maximum et les visites plutôt courtes, de dix à trente minutes.

Nous commençons aussi àréfléchir à des collaborations avecd’autres institutions, comme le Grand Palais, le Centre Pompidou,le Théâtre de la Ville, qui sont partantes pour des initiatives d’artistes dans le parc.

Comment envisagez­vousla rentrée dans les mursen septembre ?

De mars à septembre, nousavons dû annuler près d’une tren­taine de manifestations, dont Vil­lette sonique et les deux grosses expositions « Sorties d’écoles » et« Révolutions », qui doivent être

reportées. On a remboursé 52 000billets jusqu’à fin juin. D’ici à sep­tembre, on atteindra 3 millionsd’euros de déficit et 5 millionsd’ici à décembre. Si on n’ouvre pasd’ici à octobre, nous courons à la catastrophe.

Mais il est évident aussi quecertains spectacles coûtent cher et ne sont rentables qu’avec des salles de 1 000 personnes. Ré­duire les jauges à 45 spectateurs n’a aucun sens économique. Nous avons proposé à quelques metteurs en scène commeRomeo Castellucci et Crystal Pitede parrainer de jeunes artistesfrançais que l’on pourrait valori­ser dans des contextes plusrestreints. C’est une autre visionde l’art et de la culture, d’autrespratiques culturelles qu’il s’agitd’imaginer sans sombrer dans l’idée d’un art confiné qui nes’ouvrirait plus vers l’extérieur.

propos recueillispar rosita boisseau

« Un divan à Tunis » (2019), de Manele Labidi, avec Golshifteh Farahani, l’un des films les plus visionnés sur la plate­forme UniversCiné. CAROLE BETHUEL

« L’appétencedes Français

pour un cinémade qualité

a pu se vérifier »DENIS ROSTEIN

directeur général d’UniversCiné

700 films documentaires de création, dont la plupart des réalisateurs sont inconnus du grand public, n’échappe pas aux effets positifs du confinement. « Notre taux d’abonnements a trouvé un rythme de soixanteabonnés supplémentaires environ par jour, contre une vingtaine auparavant. Ce qui nous a permisd’atteindre notre équilibre finan­cier », remarque le président,Jean­Marie Barbe.

Opportunité pour ces plates­formes, le confinement a cepen­dant ses limites. Car « le paradoxe est que, si le confinement se prolonge, dans trois mois, nous n’aurons plus de films récents à ajouter à notre offre, comme nous le faisons habituellement », souli­gne M. Delecour, qui, à l’unissonavec ses confrères, espère que cet engouement laissera des traces.Et qu’au moins une partie des nouveaux usagers leur reste­ront fidèles.

véronique cauhapé

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0123JEUDI 7 MAI 2020 télévision | 23

HORIZONTALEMENT

I. Leurs coups peuvent rapporter gros. II. Pas prêt pour le grand saut en avant. Risque de se casser. III. A construit pour Tzara à Paris. Solide support de jambe. IV. Arrachées et brûlées avant que ça pousse. Repart tour après tour. V. Négation. Petit, il fait souvent grand plaisir. S’épanouit comme le blé. VI. Gens de compagnie. Régnait en Bulgarie et en Russie. Dieu rayonnant. VII. Facilite l’évacuation. Songe ou colocase. VIII. Irlande gaé-lique. Ignoble et horrible. IX. Sans fantaisie. Crie comme un berger. Conjonction. X. Rare et lourd dans l’air. Ouverture en façade.

VERTICALEMENT

1. Fait taire les armes. 2. Enfant de Cérès, reine des enfers. 3. Sorti du chaos. Chanteur au bec jaune. 4. Titre à Rome, distinction à Paris. Démons-tratif. 5. Un peu d’usure. Augustine sanctifiée. Bout d’antenne. 6. Gluantes et pleines d’écailles, elles sont délicieuses. Bonne mine. 7. Trouble en tête. 8. Beau succès quand il n’est pas à l’essai. Fit dispa-raître. 9. Baie nippone. Bramer. 10. Chez Les Donald. Beaucoup en accompagnant le peu. 11. Ile. Lâché sur le coup. Dans la poche du Nippon. 12. Fait mauvais ménage. Accueille chaleureusement.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 107

HORIZONTALEMENT I. Cristallerie. II. Laveur. Urubu. III. Adam. Apnée. IV. Pinaille. Euh. V. Pô. Io. Eta. SO. VI. Elan. Rit. Car. VII. Morigénera. VIII. Egéens. Radis. IX. Nu. Tripote. X. Tensiomètres.

VERTICALEMENT 1. Clappement. 2. Radiologue. 3. Ivan. Are. 4. Semai-niers. 5. Tu. Io. Gn. 6. Aral. Resto. 7. Plein. Rm. 8. Lunetterie. 9. Ere. Rapt. 10. Ruée. Cador. 11. Ib. Usa. Ite. 12. Euphorisés.

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GRILLE N° 20 - 108PAR PHILIPPE DUPUIS

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6 7 8 5 2Realise par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)

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MoyenCompletez toute la

grille avec des chiffres

allant de 1 a 9.

Chaque chiffre ne doit

etre utilise qu’une

seule fois par ligne,

par colonne et par

carre de neuf cases.

N° 61MAI 2020

& CIVILISATIONS

CRASSUSL’HOMMELEPLUSRICHEDEROME

MOYENÂGELAPESTENOIRETRANSFORMELESMENTALITÉS

LINCOLNLE PRÉSIDENTPRÉFÉRÉ DESAMÉRICAINS

CHAQUEMOISUNPRÉSIDENT

L’AN 40QUAND TOUT SEMBLAIT PERDU

&CIVILISATIO

NS

Chaque mois,un voyage à traversle temps et les grandescivilisations à l’originede notre monde

CHEZ VOTREMARCHAND DE JOURNAUX

J E U D I   7   M A I

TF121.05 Les Visiteurs 2 : les couloirs du tempsFilm de Jean-Marie Poiré. Avec Jean Reno, Christian Clavier, Muriel Robin(Fr., 1998, 105 min).22.50 Les Experts : ManhattanSérie. Avec Gary Sinise, Sela Ward, AJ Buckley (EU, 2011).

France 221.05 Cellule de criseL’histoire secrète de la victoire.Magazine présenté par Julian Bugier.23.00 Cellule de criseL’histoire secrète du débarquement.Magazine présenté par Julian Bugier.

France 321.05 WonderFilm de Stephen Chbosky. Avec Jacob Tremblay, Julia Roberts,Owen Wilson (EU, 2017, 110 min).23.00 Roubaix : la nouvelle face du PileDocumentaire de Ghislaine Buffard (Fr., 2020, 55 min).

Canal+21.00 Wake UpFilm d’Aleksandr Chernyaev. Avec Jonathan Rhys-Meyer, Francesca Eastwood, William Forsythe, Malik Yoba (EU, 2019, 90 min).22.30 Le Cheval pâle d’après Agatha ChristieSérie. Avec Rufus Sewell, Sean Pertwee, Kaya Scodelario (RU, 2020).

France 520.50 Le Mystère des géants disparusDocumentaire d’Eric Ellena et Paul-Aurélien Combre (Fr., 2018, 95 min).22.25 C dans l’airMagazine présenté par Caroline Roux.

Arte20.55 L’Agent immobilierSérie. Avec Mathieu Amalric, Eddy Mitchell, Sarah Adler (Fr., 2020).22.30 L’Agent immobilierSérie. Avec Mathieu Amalric, Eddy Mitchell, Sarah Adler (Fr., 2020).

M621.05 Why Women KillSérie. Avec Lucy Liu, Ginnifer Godwin, Reid Scott (EU, 2019).21.55 This Is UsSérie. Avec Mandy Moore, Justin Hartley, Milo Ventimiglia (EU, 2016).

Mathieu Amalric tragique et drôle en agent immobilierLes auteurs du film « Les Méduses », Shira Geffen et Etgar Keret, signent une minisérie poétiquement absurde

ARTEJEUDI 7 MAI

20 H 55 - SÉRIE

I l était une fois, en Israël,Shira Geffen, femme libred’esprit et d’opinion,auteure et réalisatrice née

dans une famille d’artistes. Dans ce même pays, Etgar Keret, fils de rescapés de la Shoah, est l’auteur d’une œuvre où se télescopentpoésie et sens de l’absurde, ironiegrinçante et goût du surréa­lisme. Ces deux êtres si différents et si semblables se rencontrent et décident d’écrire et de réaliserensemble en 2007 un film, Les Méduses, qui met en scène une jeune femme en quête de re­pères, distingué par la Caméra d’or au Festival de Cannes. L’Agentimmobilier, série en quatre épiso­des diffusée sur Arte, est, de leurpropre aveu, la version au mas­culin de ce premier film.

Ici, le personnage principal estdonc un homme (Olivier Tronier,génial Mathieu Amalric), 50 anset des poussières, divorcé, pèred’une fille en crise d’adolescence dont il n’a pas la garde, qui tente de gagner sa vie en exerçant le métier d’agent immobilier. Il erresans domicile, passant ses nuits dans les appartements dont il as­sure les visites. Le père d’Olivier (joué par un Eddy Mitchell impec­cable), aussi irresponsable qu’in­

contrôlable, vit dans une maison de retraite où il dépense ce qu’il n’a pas en jouant au poker. A la mort de sa mère, Olivier apprendqu’elle possédait un immeuble à Paris et qu’il en est l’héritier.

Conte furieusement noirLe « cadeau » se révèle rapide­ment encombrant. Aussi délabréque sa vie, le bâtiment est en

outre occupé par une vieille dame qui refuse de quitter leslieux et ne peut être vendu.

La disparition brutale − etcocasse − d’un de ses amis conduit l’agent immobilier à adopter un poisson rouge qui serévèle doté de pouvoirs extraor­dinaires – il parle, exauce lesvœux et permet de voyager dansle temps. Olivier compte sur

l’animal pour donner une nou­velle impulsion à sa vie.

En disant cela, il faut accepterd’avoir tout et rien dit à la fois. Parce que cette série ne répond à aucun genre clairement identifia­ble. « Ranger une histoire dans un genre me semble artificiel ouréducteur car, dans la vie, on change constamment de regis­tre », explique Etgar Keret. Tout au

plus pourrait­on dire que L’Agent immobilier est un conte furieu­sement noir et bruyammentcomique. Un conte fantastiquedans lequel un prince désar­genté déambule dans sa vie plus qu’il ne l’habite.

« Avec Etgar, tout est possible »,résume Mathieu Amalric, qui se souvient du choc qu’il a éprouvé àla lecture des premiers livres d’Etgar Keret. « Il inverse les pôles, et c’est ça qui est beau. Ainsi, on pourrait croire que mon person­nage n’est pas adapté ou normal dans un monde qui le serait, nor­mal. Or, peu à peu, ces pôles­làs’inversent, ce qui est la marquedes grands films burlesques, desgrandes comédies américaines », ajoute l’acteur, qui dit avoir reçu ce rôle comme un « cadeau » : « Il ya un côté magique à devenir unpersonnage du monde d’un écri­vain qu’on aime. C’est comme siStendhal ou Musil me deman­daient de jouer dans leurs livres. Etpuis Etgar a raison, on devrait vi­vre comme ça. D’ailleurs, on vit comme ça dans nos têtes. »

émilie grangeray

L’Agent immobilier, série d’Etgar Keret et Shira Geffen. Avec Mathieu Amalric, Eddy Mitchell, Nicole Shirer, Sarah Adler (France/Belgique, 2019, 4 × 45 min).Les quatre épisodes seront diffusés ce soir­là.

Eddy Mitchell (Rémi Tronier) et Mathieu Amalric (Olivier Tronier). LES FILMS DU POISSON

Chronique d’une victoire des Alliés longtemps incertaine Un documentaire inédit sur France 2 raconte astucieusement la fin de la seconde guerre mondiale en Europe

FRANCE 2JEUDI 7 - 21 H 05DOCUMENTAIRE

S ouvent présenté comme lesprémices de la victoire desAlliés, le Débarquement de

Normandie, en juin 1944, n’a pas eu l’impact décisif qu’on lui prête souvent. Outre une progression territoriale plus difficile que prévu,les tensions entre les généraux alliés, la délicate manœuvre de De Gaulle pour se faire admettre à la table des vainqueurs, le cynismeparallèle d’un Staline et d’un Hitler

interdisant tout repli, assimilé à une trahison, rien ne permet de conclure avant la Noël 1944.

Bénéficiant du concours de ladocumentaliste Marie­Hélène Barbéris et de l’historien OlivierWieviorka, cette évocation, qui mêle images d’archives – certai­nes rares – et scènes reconsti­tuées, a une vertu précieuse : montrer à quel point l’issue a pusembler incertaine. Entre les ultimes complots contre le Führer, qui aggravent, si possible, sa paranoïa, le martyre du Ver­cors, tache terrible dans l’histoire

de la Libération, la rocambolesqueaventure des SS déguisés en GI quisèment le chaos sur le front arden­nais et le traumatisme du bom­bardement de Dresde, le récit, as­tucieusement mené, convoque le témoignage de protagonistes plusou moins fameux.

Chapitres singuliersDe Vassili Grossman, correspon­dant de guerre soviétique, et Gri­gory Pomeranz, alors simple lieu­tenant de l’Armée rouge, à Nicolaus von Below, officier d’or­donnance d’Hitler, Arthur « Bom­

ber » Harris, commandant de la RAF, ou l’escrimeur René Bon­doux, chef de cabinet du général de Lattre, qui assiste à la signature de la capitulation nazie à Berlin, le 8 mai, la narration alterne leçongénérale, chapitres singuliers et paroles d’acteurs. Un cocktail qui soutient l’intérêt d’une geste qu’on croyait plus simple. Plusglorieuse aussi.

Bien sûr, ce programme entendcélébrer les 75 ans de la reddition de l’Allemagne nazie, tenue pour lafin du conflit mondial. C’est toute­fois un peu rude de ne pas même

mentionner que la guerre est loin d’être finie et que le Pacifique est encore à feu et à sang. L’arrivée auxcommandes du président Tru­man, à la mort de Roosevelt, auraitjustifié d’évoquer Hiroshima et la capitulation du Japon, le 2 sep­tembre 1945. Dommage que l’européocentrisme ait éliminé un chapitre aussi essentiel pour évo­quer la victoire des Alliés.

philippe­jean catinchi

Cellule de crise : l’histoire secrète de la victoire, de Caroline Benarrosh (Fr., 2020, 115 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Page 24: Le Monde - 07 05 2020

24 | LIVRES JEUDI 7 MAI 20200123

ANALYSE

I l en va du pangolin de ce marchéchinois où, peut­être, tout a com­mencé, comme du nez de Cléopâtreselon Blaise Pascal, « s’il eût été plus

court » : si le petit mammifère à écaillesn’avait pas été mangé par des humains, « toute la face de la terre aurait changé ». Nous ne saurons jamais à quoi elle auraitalors ressemblé, et ce n’est pas le plus pe­tit effet de la pandémie, que le cours nor­mal des choses ait rejoint le monde énig­matique de ce qui aurait pu advenir.Nous ignorons aussi, il est vrai, ce qui va se passer maintenant, dans la réalité où ce repas incongru nous a soudain jetés.Un seul point est indubitable pour l’ins­tant : nous ne nous étions pas assez mé­fiés du pangolin, ou plus exactement de l’histoire, ce massif qui paraît écrasant, etque les pangolins – ou les nez – balayent.

L’histoire, cependant, est un objet deconnaissance. Tout incertaine qu’elle soit, elle s’explore, ou s’escalade, puisque le massif se reforme toujours, et qu’il y a des Sisyphe pour remonter sempiternel­lement la pente, laborieux et rationnels, s’efforçant de comprendre. Les histo­riens analysent, expliquent, établissent des liens, exhument des causes, tracent des lignes plus ou moins continues à tra­vers les sociétés, les nations, les conti­nents, les siècles. Mais comment font­ils avec les pangolins ? Comment raconterl’histoire en s’efforçant de la rendre intel­ligible, quand on prend conscience de l’imprévisible dont elle est le jouet ?

René Rémond (1918­2007) soulignait,dans un article du premier numéro de larevue Vingtième siècle (1984), « Le Sièclede la contingence ? », le paradoxe consti­tutif de son métier : l’historien, écri­vait­il, « aspire à établir entre les événe­ments des relations logiques. A le lire, on est presque toujours conduit à conclureque cela devait normalement arriver ». Etpourtant, il suffit de prendre l’histoire du XXe siècle, de se remettre en mé­moire les espoirs soulevés, les désirs d’émancipation, les rêves de paix et dejustice, et d’observer en regard les guer­res mondiales, le totalitarisme, les génocides qu’il a finalement produits.« Presque tous les événements qui dessi­nent l’aventure de ce siècle, commente l’auteur des Droites en France (Aubier,

1954), ont été pour les contemporains des surprises presque totales. »

L’histoire est contingente – ce qui ar­rive aurait pu ne pas exister –, mais la rai­son a besoin, pour s’exercer, du néces­saire, de la solidité de ce qui avait de bon­nes raisons d’être. Leur mésentente estinévitable. Il est ainsi dans la nature de leur relation que des ajustements s’im­posent à chaque instant. C’est du moinsle cas depuis que l’histoire a commencé àse penser comme science, au XIXe siècle, en se dotant progressivement de métho­des, de règles, de tout l’appareillage ra­tionnel qui, de fait, la rattache à la recher­che scientifique.

Les progrès ensuite impulsés parl’école des Annales, dans le sillage de Lu­cien Febvre (1878­1956) et Marc Bloch(1886­1944), ont contribué à renforcercette emprise rationnelle en ouvrant la focale historienne sur le temps long, l’histoire économique, sociale, cultu­relle, et les constantes qui en ressortent. Febvre, dans Combats pour l’Histoire (Ar­mand Colin, 1952), dénonçait la « mise enpage chronologique, tout au plus, d’évé­nements de surface, le plus souvent fils du

hasard », propre à l’histoire tradition­nelle. Le saugrenu et la surprise étaientrenvoyés à l’histoire événementielle, au biographique. Le nez de Cléopâtre eût­il été plus court, l’esclavage n’en aurait pasmoins continué à structurer l’économiedes sociétés antiques, d’une manièreque l’historien peut décrire avec fer­meté. La raison mène au score. Sous les coups de boutoir de la longue durée, la défaite de l’incertain, de l’impondérable,du pangolin chinois, si l’on veut, paraît inéluctable.

Sauf que ce n’est pas si simple. Le rôlede la surprise n’est pas d’égayer les ma­nuels d’histoire. Elle a une vertu plusprofonde, et plus corrosive, qui, à l’heure où le monde est soumis à l’imprévisible par excellence qu’est le surgissementd’un virus inconnu, peut se révéler plusutile que jamais. Une vertu d’avertisse­ment et de rappel des limites. Aucun ac­quis scientifique de l’histoire, rien dans l’accroissement de nos capacités de con­naître le passé dans toutes ses dimen­sions et à toutes les échelles temporelles n’a besoin d’être remis en cause pour comprendre que l’objet visé par

l’historien, à savoir l’histoire vivante, de­meure incertain.

Raymond Aron (1905­1983), dans sonIntroduction à la philosophie de l’histoire (Gallimard, 1938), l’une des expressionsles plus puissantes de ce doute fonda­mental, mettait en garde contre « l’illu­sion rétrospective de la fatalité ». S’inspi­rant de la réflexion de Max Weber sur la causalité en histoire, il notait : « Tout his­torien, pour expliquer ce qui a été, se de­mande ce qui aurait pu être. » En d’autres termes, tout fait ne peut être connu adé­quatement que si on le reconnaîtcomme un possible parmi d’autres, fautede quoi « on substitue au monde vécu unenature ou une fatalité ». Après cela, on

pourra le connaître, et connaître ce qu’il aura entraîné, par une analyse de l’en­chaînement des causes qui n’en sera que plus assurée. Mais on ne connaît rien si on ne le connaît contingent. La surprise, dès lors, n’est plus un accident dans le dé­roulement du temps : elle en est la subs­tance même, et le moteur.

Vous aurez beau, en somme, élaborerl’instrument d’analyse du passé le plus précis, vous n’empêcherez pas l’histoire, comme matière vivante, d’être hasar­deuse, fluctuante, sujette aux retourne­ments. C’est ce que nous sommes entrain de vivre dans les grandes largeurs.Non seulement nous ne savons pas ce que nous ferons dans un mois, maisnous prenons conscience – du moins le devrions­nous – de l’incertitude foncière de l’histoire. Et nous savons, ou devrions savoir, que toute rationalisation que nous en tirerons ne sera que tentative,approximation, et que nous n’auronspas le dernier mot sur le cours du monde. Les historiens, à leur tour, ne de­vront pas l’oublier quand nous serons devenus de lointains souvenirs.

florent georgesco

Du pangolin dans l’assiette des historiensL’irruption du Covid­19 montre à nouveau que la surprise, ou la contingence, est bien le vrai moteur de l’histoire

Dans un centre de soins aux pangolins, à Harare, au Zimbabwe, en 2018. BRENT STIRTON/GETTY IMAGES

Vous n’empêcherezpas l’histoire, comme

matière vivante, d’être hasardeuse, fluctuante, sujette

aux retournements

Casser des crapules à DCEn voiture pour les quartiers chauds de Washington ! Quel meilleur guide pour cela que George Pelecanos et son nouveau roman, « A peine libéré »

La foule des Parisiens

B A N D E D E S S I N É E

DANS UN PARIS D’AVANT LE CONFINEMENT – métro bondé, artères congestionnées, grands magasins surpeuplés –, une jeune vendeuse ne résiste pas à la tentation de ramasser un sac vermillon, abandonné dans une gare, elle aussi grouillante de monde. Son contenu, un album photo montrant un couple des Années folles occupé à se diver­tir, va l’entraîner sur ses traces, à travers les rues d’une capitale (partiellement) transfigurée.

Nostalgie et illusion confluentallègrement dans la première bande dessinée de l’illustrateur Joris Mertens, disciple belge de Nicolas de Crécy, avec qui il par­tage le goût pour les verticalités urbaines et les enseignes lumi­neuses. Véritable héroïne d’un album dépourvu de toute parole, sa Ville Lumière reconstituée

n’en paraît pas moins extra­ordinairement bruyante. Sorti juste avant l’instauration des mesures de distanciation sociale, cet hommage au Paris éternel réconfortera ceux à qui manque, en ce moment, de s’enfoncer dans la moleskine des brasseries des grands boulevards, un livre à la main.

frédéric potetBéatrice, de Joris Mertens, Rue de Sèvres, 112 p., 19 €; numérique 9 €.

RUE DE SÈVRES

taine à ce jour –, Michael Hudson doitbientôt payer sa dette. De mauvais gré, il accepte donc de servir de chauffeur à Ornazian et à son équipier, un ex­policierdevenu garant de cautions judiciaires. Leur cible : dépouiller des crapules, bra­quer des proxénètes, grâce aux tuyaux deprostituées auxquelles ils accordent leur part du butin. Le job ne sera pas si aisé.

Une ville diviséePartenaire d’écriture de David Simonpour les magistrales séries télévisées que sont Sur écoute, Treme et The Deuce,George Pelecanos allie, comme roman­cier, l’art visuel de la description (vête­ments, rues, maisons) à la finesse del’exploration psychologique. En contre­point d’une ville divisée par la fracturesociale et gangrenée par les tensions ra­ciales, il magnifie ici le pouvoir rédemp­teur de la littérature.

macha séry

à peine libéré (The Man Who Came Uptown), de George Pelecanos, traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Mireille Vignol, Calmann­Lévy, « Noir », 264 p., 19,90 €; numérique 15 €.

NOIR

M ichael Hudson n’est pas unmauvais bougre. Bon fils, c’estaussi un jeune homme intelli­

gent, et un as du volant passé par l’uni­versité du Maryland. Incarcéré pour vol et possession d’arme – il encourt cinq ansde réclusion –, il découvre en prison les joies de la lecture en attendant son pro­cès. Finalement celui­ci n’aura pas lieu. Ledétenu est relâché après la rétractation de l’unique témoin, un trafiquant de ma­rijuana, qu’un détective privé nomméPhil Ornazian a menacé. A charge derevanche, lui a­t­il dit.

Embauché comme plongeur dans unrestaurant hispanique de Washington DC– la capitale des Etats­Unis, dont est natif George Pelecanos, forme le cadre de la quasi­totalité de ses romans, une ving­

Le retourdu « Mondedes livres »

LA SEMAINE PROCHAINE,jeudi 14 mai, retrouvez « Le Monde des livres », le supplément littérairedu Monde, qui accompagnera le déconfinement du monde du livre : réouverture des librairies et reprise des parutions par les maisons d’édition.

UN NUMÉRO SPÉCIAL DE 16 PAGES, comprenant enquête et entretien sur le « monde du livre d’après », ainsi qu’un grand dossier où des dizaines de personna­lités dévoileront les ouvrages qui leur per­mettent de rêver un autre monde, celui qui suivra la pandémie.

Comment raconter l’histoire en

s’efforçant de la rendre intelligible,

quand on prend conscience de

l’imprévisible dont elle est le jouet ?

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Page 25: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 livres | 25

LE 8 MAI, MÊME SANS CÉLÉBRATIONS, N’EN RESTE PAS MOINS UNE DATE PROPICEÀ LA MÉDITATION. Il y a soixante­quinze ans, dans une villa du quartier de Lichten­berg, dans l’est de Berlin, qu’on peut encore visiter aujourd’hui, alors que la capitale al­lemande était totalement conquise depuis une semaine déjà, le maréchal Joukov rece­vait du général Keitel la capitulation de l’armée allemande comme, la veille, le 7, àReims, le général Eisenhower avait reçucelle de Jodl et Dönitz. L’Allemagne nazie

est enfin détruite. Le na­zisme lui­même sembleavoir sombré avec le sui­cide d’Hitler, quelquesjours plus tôt. Dans LesCent Derniers Jours d’Hitler,Jean Lopez raconte lesmois qui conduisent àl’effondrement. Le jus­qu’au­boutisme incompré­hensible, la maladie, l’en­fermement, les ordres

d’exécutions qui suivent les ordres de mas­sacres. Pour rien. Dans le simple but de ne pas se résoudre à disparaître. Je tue car j’en ai encore le pouvoir, je tue jusqu’à monchien, ma femme et moi. Bon titre pour un film d’horreur, « Mon chien, ma femme et moi ». Car l’Allemagne est à feu et à sang ; la féroce répression des dernières semaines etles bombes incendiaires alliées ont fait des centaines de milliers de victimes civiles.Des millions de cadavres. La planète entièren’est plus qu’un très long thrène.

LE NAZISME EST LA MYCOSE MORTELLEQUI A POUSSÉ SUR LA PAUVRE RÉPUBLI­QUE DE WEIMAR, première république par­lementaire de l’histoire de l’Allemagne,certes accablée par bien des maux – hyper­inflation, blocage des institutions –, mais grand moment de littérature, de peinture,d’architecture et de musique. La nouvelle Cocaïne, de Walter Rheiner, publiée en 1918,

est une curiosité : certes,c’est peut­être un des pre­miers textes de fictionconsacrés à cette drogue,mais c’est surtout untexte brut, un voyage dansla nuit de Berlin jusqu’auquartier de Friedenau,promis lui aussi, commela cocaïne, à un grand ave­nir littéraire. Tobiasachète son flacon de co­

caïne à crédit. Ce récit de mort et de dégé­nérescence, où « les étoiles gouttent », sentla pharmacie et la décadence, le pus etl’éther échappé des tranchées pour envahir la capitale allemande, qui s’est toujours te­nue loin de la guerre. Le sang sacrificiel se répand dans Berlin par les veines percées d’aiguilles des drogués.

QUAND J’ENTENDS CES JOURS­CI DANS LEJOURNAL PARLÉ L’EXPRESSION « NOU­VELLE NORMALITÉ », j’ai l’impression d’en­tendre un exposé sur le post­exotisme, ce courant littéraire auquel des auteurs comme Lutz Bassmann, Manuela Draegerou Antoine Volodine donnent ses lettres de noblesse depuis près de quarante ans déjà.Voilà ce à quoi ils se préparaient : le jour

d’après, le post­épidémi­que. « SIGNAL TEMPÊTE,DEUX FEUX VERMEILS,OUVRE LA TÊTE ! SIGNALDÉSASTRE, FEU NOIRBRILLANT, OUVRE LESYEUX ! » Frères sorcières,d’Antoine Volodine, consti­tue une répétition généralede l’agonie, dernier sabbatavant destruction. Conçuen trois parties, « Faire

théâtre ou mourir », « Vociférations » et « Dura nox sed nox », le roman repousse leslimites poétiques du monde, explore l’es­pace sacrilège d’entre­les­genres, fracasse notre quotidien en l’intégrant à un nou­veau Livre des morts. « Hadeff Kakaïne une fois encore va connaître l’origine du monde. » Le livre, constellé d’humour, re­tentit du grand rire de Celui qui sait : le post­exotisme est notre monde et Volodineest son prophète.

Les Cent Derniers Jours d’Hitler, de Jean Lopez, Tempus, 256 p., 8 € ; numérique 8 €.Cocaïne (Kokain), de Walter Rheiner, traduit de l’allemand par Pierre Deshusses, Rivages poche, « Petite bibliothèque », inédit, 96 p., 7,50 € ; numérique 7,50 €.Frères sorcières, d’Antoine Volodine, Points, 288 p. 7,50 € ; numérique 15 €.

Qu’est-ce qu’une victoire ?

CONTRE LE COVID 19, EST­CE BIENUNE GUERRE QUI EST MENÉE ? Que serait la victoire, si elle avait lieu ? Qui pourrait la célébrer ? Eten quels termes ? Ces questions, aujourd’hui, ne sont pas là parhasard.

En effet, il y a soixante­quinzeans, le IIIe Reich capitulait. Le8 mai devint alors un jour férié. Puis ne le fut plus, finalement leredevint, au gré des présidents de la République et des fluctuations politiques de la commémoration.Car une victoire n’est pas seule­ment un fait, la conclusion d’uncombat et d’un rapport de force. C’est aussi, peut­être avant tout, une célébration continuée, un exploit chanté, une histoire

constamment reprise. Que seraitAjax sans Homère, et ses lecteurs au fil des siècles ?

Sans doute parce qu’elle sembleévidente, la notion de victoire est peu scrutée. Platon y voit la passion risquée des guerriers :l’amour de la victoire « rend vio­lent », lit­on à la fin de La Républi­que. L’ardeur s’enflamme, la dé­mesure guette… Pour le mathé­maticien ou le philosophe, accé­der à la vérité n’est pas une victoire en ce sens, puisque per­sonne n’est battu et que chacunpeut en faire autant.

Toutefois, sous son apparentesimplicité, l’idée de victoirepourrait bien renfermer quelque piège. A première vue, elle

suppose des forces adverses, dontl’une finit par faire plier l’autre. Leschéma se vérifie sur tous les re­gistres : militaire, cela va de soi, mais aussi sportif, commercial, politique… Sans oublier la défaite d’une partie de soi­même contre une autre, dans tout conflit moralou psychologique qui se respecte.

Chaque fois, combat, compé­tition, lutte – agôn, disaient les Grecs – et une issue finale : des perdants, des gagnants. Mais le résultat du processus exige d’être mis en récit, car sa répétition régulière peut seule garantir quel’instant du triomphe soit dura­blement inscrit dans la mé­moire collective. Machiavel – qui conçoit, dans Le Prince (1532), lapolitique comme une guerre, oùla victoire consiste à s’emparer dupouvoir, puis à le conserver – sait bien que les exploits doivent être narrés et célébrés pour que leurseffets perdurent.

Le modèle PyrrhusVoilà qui suffit pour compren­

dre que notre situation est diffé­rente. Le virus qui assiège la pla­nète n’a aucune intention, aucun plan. Il ne livre, en fait, aucune ba­taille. C’est nous qui faisons tout

pour le vaincre, mais ce n’est pasune guerre, à proprement parler, faute d’un ennemi pensant. Si nous parvenions à endiguer les méfaits de ce coronavirus, voire à l’éradiquer, serait­ce donc une victoire, et aurions­nous la paix ?

Pyrrhus, cette fois, serait sansdoute le bon modèle. Guerrier in­trépide, ce roi de Macédoine a su jadis contrer la puissance de Rome. En 280 avant notre ère, il a remporté la bataille d’Héraclée,mais au prix de pertes si lourdes que cet avantage laissa son arméeaffaiblie. D’où l’expression classi­que : une victoire « à la Pyrrhus » laisse chancelant celui qui la rem­porte. Personne, de ces triomphescruels, ne chante la gloire. Il n’y apas d’épopée des catastrophes.

Plutarque, dans sa Vie de Pyr­rhus, insiste également sur son caractère impulsif, insatiable, toujours porté à « réparer seséchecs par d’autres entreprises ». Comme tant d’hommes aujour­d’hui, il aime la guerre plus quela victoire, préfère l’ambition àla paix, l’agitation au repos. Il ne songe qu’à la prochaine ba­taille. Une victoire remportée a moins de saveur que celles dont on rêve.

LE ROUGE N’EST PLUS UNE COULEUR est en soi un titre suffisamment mystérieuxpour qu’on ait envie d’en savoir davan­tage sur ce premier roman de l’écrivaine britannique Rosie Price, née en 1992.L’étrange négation renvoie à un passé révolu que le titre anglais, What Red Was (« ce qu’était le rouge »), délimite avec la netteté tranchante d’une lame. Il y a eneffet dans ce livre comme dans la vie de Kate, son personnage principal, un avantet un après, et il lui faudra du temps pourpouvoir se le formuler : « “J’ai été violée”, déclara­t­elle, pour voir ce que ça faisait. Mais le mot était outrancier, elle se cen­sura : “J’ai dit non. J’ai dit non, mais c’est

arrivé quand même.” »Les cent premières pages ra­

content la naissance d’une ami­tié entre Kate et Max, tous deuxétudiants en première annéedans la même université, et lerécit semble d’abord s’orientervers le genre du « roman de cam­pus », sans fioritures stylistiques.Max Ribbon appartient à une fa­

mille de riches aristocrates londoniens,certes tous « assez baisés de la caisse », mais très charismatiques aux yeux de Kate, élevée par une mère seule, an­cienne alcoolique – celle de Max, Zara, est une réalisatrice célèbre. En dépit deleur différence de classe sociale, Kate et Max deviennent quasi inséparables.

Tout en ayant chacun de leur côté desaventures sans lendemain, ils dormentparfois dans le même lit, se montrentnus corps et âme l’un à l’autre sans que jamais leur relation platonique change au fil du temps : ce n’est « pas de l’amour, pas vraiment. Mais c’est l’une de cesamitiés de jeunesse qui vous fait décou­vrir le monde sous un jour neuf, diffé­rent », résume Zara.

La vie plutôt heureuse de Kate basculelors d’une fête chez les Ribbon, au cours de laquelle elle est violée par un proche de Max. Le roman s’organise alors autourde deux questions fondamentales, constamment rencontrées dans les té­moignages de victimes réelles : com­ment continuer à vivre – à vivre parmi les autres, aussi – et quel rôle donner à la parole dans la reconquête de soi ? Car le viol, dès la sidération engendrée par l’agression, amène Kate à se dissocier :« Elle ferma son esprit, lui abandonnantson corps. Enfermée hors d’elle­même.Eteinte. » Plus tard, dans le miroir, elle ne se reconnaît pas : « Il lui semblait impossi­ble que cette image, en face d’elle, fût la sienne, que le visage qu’elle y voyait luiappartienne encore. » Pour lutter contrela « toxicité » de l’événement, elle hésiteentre le silence et les mots, l’impossible oubli et l’insoutenable souvenir. « Si elle se taisait, peut­être que ça refluerait », se dit­elle. Et puis aussi, « l’horreur de ne pas

être crue serait pire que celle d’avoir à por­ter cette croix toute seule ». Son ami Max lui­même, à qui elle a fini par se confier, bien que solidaire, pense que « peut­êtreil y a des choses qu’il vaut mieux ne pastrop gratter ».

Rosie Price donne à sa fiction tout sonpoids de réel en montrant sans faiblir lesconséquences d’un acte qui exclut la vic­time « du registre des émotions humainesnormales » : culpabilité, sentiment d’être « défectueuse », difficulté à retrouver ledésir sexuel, « envie de masochisme » qui l’amène à se scarifier les cuisses. Au risque du cliché, la romancière rappellequelques évidences : « Je crois que les gens oublient combien un viol est doulou­reux, en plus du reste. Ça a tellement àvoir avec la déshumanisation, l’humilia­tion, le pouvoir. On oublie que c’est un acte de violence. » Cependant, au termed’un long parcours dans une tristesse qui

« vidait le monde de sa couleur, de sa lumière », une rencontre amoureuse et ladétermination de Kate à ne pas laisser son passé la dominer laissent entrevoir,fût­il instable, l’espoir d’un nouvel équilibre.

On peut regretter que ce fil narratifpuissant – métaphorisé par l’ineffaçable ruban rouge aperçu sur le col de chemisede l’agresseur pendant le viol – soit en­chevêtré dans une torsade d’intrigueslentes ou inabouties. Si l’histoire d’ami­tié est dense et belle, l’auteure a distribuédes rôles dont les enjeux ne sont pas tou­jours bien définis, et l’on a parfois l’im­pression que le récit est délayé en vue d’un scénario de série en plusieurs sai­sons. Ainsi le violeur, dont on apprend les menus complets et, sans surprise, les vues misogynes, a un père peu affec­tueux et a perdu sa mère très jeune : onne sait trop que faire de ces précisions tous azimuts qui relèvent davantage d’une fiche­personnage pour un projet Netflix que d’une analyse approfondie.

Mon point de vue, non sur le viol, biensûr, mais sur la littérature, est sans doutegénérationnel. La primo­romancière, évidemment désireuse de créer tout un monde, semble avoir voulu montrer que la vie continuait à foisonner autour de son héroïne, que chacun avait ses moti­vations. Mais un roman n’est pas la vie, ilassume des choix. « Notre douleur, il fau­drait en faire de l’art », conseille juste­ment Zara à Kate. En diluer ou en disper­ser le sens au fil de plus de 400 pages en neutralise quelque peu la portée. Sur le sujet toujours si dramatiquement actuel des violences faites aux femmes, traité ici dans un souci de vérité quasi docu­mentaire, c’est dommage.

ALINE BUREAU

le rouge n’est plus une couleur(What Red Was), de Rosie Price, traduit de l’anglaispar Jakuta Alikavazovic, Grasset, 416 p., 24 € ; numérique 17 €.

Couleur douleur

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CAMILLE LAURENS DES POCHESSOUS LES YEUXMATHIAS ÉNARD

HUIS CLOS • 7ROGER-POLDROIT

Le roman de Rosie Prices’organise autour de deux questions

fondamentales : comment, après un viol,

continuer à vivre, et quel rôle donner à la parole dans la

reconquête de soi ?

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Page 26: Le Monde - 07 05 2020

26 | livres JEUDI 7 MAI 20200123

Les Assises du roman, toujours debout !Les 14es Assises internationales du roman, rencontres avec des écrivains conçues par la Villa Gillet, à Lyon, en partenariat avec « Le Monde », se réinventent en ligne du 11 au 17 mai, confinement et déconfinement obligent. Nous publions ici les contributions écrites par quelques­uns des nombreux auteurs invités

Le programme complet et tous les événements des Assises 2020 sont à découvrir, du 11 au 17 mai, sur Villagillet.net. Les rendez­vous du « Monde » aux Assises sont également visibles sur Lemonde.fr

Les rendez­vous du « Monde »Quatre entretiens vidéos croisés

Lundi 11 mai à 20 heures« Le temps de l’incertitude », avec Regina Porter, Hisham Matar et François Hartog, animé par Florence Noiville

Mardi 12 mai à 19 heures« Raconter le travail », avec Joseph Ponthus, Alexis Potschke et Mary Dorsan, animé par Raphaëlle Leyris

Jeudi 14 mai à 20 heures« Le huis clos », avec Franck Bouysse, Imma Monso et Burhan Sönmez, animé par Nicolas Weill

Vendredi 15 mai à 20 heures« Portrait de l’auteur en enquê­teur », avec Hélène Gaudy, Frédé­rique Toudoire­Surlapierre, Jorge Volpi et Alex Marzano­Lesnevich, animé par Macha Séry

RENDEZ-VOUS

Le temps des désillusions, par Andrew Ridker

L es Etats­Unis souffrent d’un pro­blème narratif : toutes les histoiresque se raconte notre pays ont été

clairement démenties par les faits. Nous nous percevons en grands praticiens – et exportateurs – mondiaux de la démocra­tie, or, selon une étude récente (…), notre citoyen moyen exercerait sur la politiquepublique une influence « statistiquementnon significative ». (…) Nous nous répé­tons qu’en Amérique n’importe qui peut « réussir », qu’il suffit de s’en donner lapeine, tout en fermant les yeux sur l’ex­trême consolidation des privilèges et de l’inégalité des chances qui s’est opérée ces dernières décennies (à commencer par le durcissement des conditions d’en­trée sur le territoire). Ces histoires ont­el­les été vraies un jour, ne serait­ce quepour une certaine catégorie d’individus ?On peut en discuter, mais il est désor­mais clair pour la grande majorité desAméricains ordinaires que leur pays adéçu les espoirs et les attentes qu’il avait fait naître en eux. Et s’il y a deux choses auxquelles sont enclins les Américains, ce sont l’espoir et l’attente.

En tant qu’écrivain, je m’intéresse auxhistoires que les gens – et les pays – se ra­content sur eux­mêmes, et à la manièredont ils réagissent quand elles ne se ter­minent pas comme ils l’escomptaient.

J’ai commencé à écrire mon roman LesAltruistes en 2015, moins d’un an après avoir terminé mes études. (…) Durant les mois qui ont suivi l’obtention de mon di­plôme, il m’a semblé observer chez mes amis deux grandes tendances d’orienta­tion : les uns partaient gagner des salai­res faramineux dans la finance en tant que banquier ou consultant, quand les

autres se mettaient au service d’associa­tions caritatives comme Teach for Ame­rica ou City Year (associations venant en aide aux élèves des écoles publiques si­tuées dans des zones urbaines défavori­sées) (…). Si mes amis financiers rougis­saient de gagner autant d’argent à uneépoque d’inégalités historiques (…), mesamis de Teach for America se sentaient eux aussi coupables : ils étaient mal for­més, les écoles où ils enseignaient man­quaient de moyens et, au fond d’eux, ils redoutaient que leur inexpérience ne les conduise à faire plus de mal que de bien. Argent et prestige d’un côté, bienfai­sance de l’autre, à chaque camp son at­trait et ses problèmes distincts : je tenais le point de départ de mon roman.

Le rêve américain inverséLes deux premiers personnages aux­

quels j’ai donné vie étaient des créatures de ce nouveau monde étrange. Maggieveut aider les autres, mais les principes éthiques écrasants qu’elle s’impose etimpose à autrui l’empêchent de s’inté­grer dans toute association ou commu­nauté dépassant sa propre personne. Ethan, son frère aîné, a amassé un capitalimportant grâce à son travail de consul­tant financier, capital qu’il s’empresse dedilapider pour acquérir des biens de con­sommation qui ne font que l’isoler dumonde extérieur. Tous deux sont désen­chantés, Maggie par les compromis que le « monde réel » exige d’elle, Ethan par levide spirituel que sa réussite profession­nelle et financière n’a pu combler. Toutcela s’ajoutant à la mort de leur mère, quia fracturé leur famille. (…)

Enfant du baby­boom, Arthur, leurpère, se croyait promis à la stabilité pro­fessionnelle, à la sécurité financière et àune maison en banlieue avec une belleclôture blanche, mais la mort de safemme et l’enlisement de sa propre car­rière ont contrecarré ses plans. Il élabore donc un stratagème pour se réconcilier

avec ses enfants, dans l’espoir qu’ils luicéderont leur part de l’argent légué par sa défunte épouse (…).

J’entendais ainsi inverser le schémanon seulement du roman d’héritageclassique de l’Angleterre victorienne mais du rêve américain lui­même, en fai­sant circuler l’argent dans le « mauvais sens », des descendants vers les ascen­dants. Cet angle insolite m’a permis d’ex­plorer les thèmes nationaux beaucoup plus communs qui me préoccupaientalors et continuent de me préoccuper aujourd’hui : l’insécurité financière, l’in­compréhension intergénérationnelle et,également, la désillusion qui s’installe quand les histoires qu’un pays et ses ha­bitants se racontent sur eux­mêmes fi­nissent par tourner court.

J’ai écrit le texte ci­dessus quelques se­maines seulement avant que le nouveau coronavirus ne mette de nombreux pays– et leur économie – à l’arrêt. Je constate sans plaisir qu’il m’a donné raison, même si j’étais loin d’imaginer la ré­ponse déplorable qu’apporteraient les Etats­Unis à la crise, dont nous pouvons remercier notre président. La précarité, qui définit déjà la vie de tant d’Améri­cains, s’est propagée avec le virus. Beau­coup d’entre nous perdront, au mieux, leur travail. Je suis né en 1991 et, même sans compter la récession économique de 1990 qui s’est poursuivie cette an­née­là, j’ai connu trois récessions impor­tantes, en 2001, 2008 et 2020. Je me considère comme un romancier comi­que – j’aime faire rire – mais, à l’heure oùj’écris ces lignes, plus de 6 millions d’Américains se sont inscrits au chô­mage, tandis que Trump continue de mi­nimiser la gravité de la pandémie. En cemoment, c’est nous qui faisons les frais de la plaisanterie.

Traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Olivier Deparris

« Lettres de mon pays », avec Andrew Ridker, Klester Cavalcanti et Zhang Yueran.Vendredi 15 mai à 19 heures

GEORGE BAIER IV

ANDREW RIDKER est un écrivain américain. Il a signé un premier roman remarqué dans le monde entier, « Les Altruistes » (Rivages, 2019).

Si vous m’annonciez la mort de ma petite fille, par Hugo Boris

D ans un long couloir d’ac­cès au quai, je suis pris àla gorge par une odeur

tiède et acidulée qui ne se dissipe pas, ce genre d’odeur qui, respiréetrop longtemps, finirait par medroguer. Je n’en décèle pas la pro­venance mais je sais d’instinct qu’elle est d’origine organique.

Je franchis un coude du couloiret ne peux retenir un mouve­ment de recul. Un clochard me tourne le dos. Il avance avec une lenteur de zombie, des chaussu­res éclatées aux pieds, le jean rigi­difié par des traînées de chiasse.Les passants accélèrent le pas, dé­crivent un large détour pour le contourner. Je ne suis pas encore

à sa hauteur et je ne peux déjà plus respirer, le cœur au bord des lèvres. (…) Il est au­delà de la sa­leté, protégé du monde par une puanteur qui le signale plus sûre­ment qu’une crécelle de lépreux.La crasse seule ne pourrait pas vi­cier l’atmosphère d’un couloir entier, des emplâtres d’excré­ments ne suffiraient pas à saturerun tel volume d’air, il y a autre chose, un ulcère creusant peut­être, des plaies qui se gangrènent en silence, des abcès qui suppu­rent, je ne sais pas ce qui peutsentir à ce point, mais cet hommeest en train de mourir. Est­il seu­lement transportable ?

Je le dépasse en ayant une pen­sée pour les équipes mobiles du Samusocial, en me convain­quant, parce que cela me rassure, qu’il existe forcément un motdans leur jargon professionnel pour désigner ce genre de mal­heureux. Je passe mon chemin en pensant d’abord à ça, c’est ma

JF PAGA/GRASSET

HUGO BORIS est écrivain. Il est notamment l’auteur de « Je n’ai pas dansé depuis longtemps » (Belfond, 2010), de « Police » (Grasset, 2016) et du « Courage des autres » (Grasset, 2020).

« Au plus proche de nous : raconter l’autre », avec Hugo Boris, Marie-Hélène Bacqué et Chloé Cruchaudet. Jeudi 14 mai à 19 heures

QUESTIONS À

LUCIE CAMPOS,directrice de la Villa Gillet

Lucie Campos dirige la Villa Gillet, à Lyon, depuis le mois de novembre 2019. Plutôt que d’annuler l’édition 2020 des Assises internationales du roman, elle a fait le choix d’adapter le programme et d’organiser l’évé­nement entièrement en ligne.

Avez­vous hésité à maintenir les assises ?Parmi les missions de la Villa Gillet, il y a celles­ci : faire entendre la voix de l’écrivain dans la cité, et permet­tre une conversation entre des auteurs du monde entier. Il était évident pour nous que, dans le con­texte de pandémie de Covid­19, on ne pouvait pas faire silence au prétexte que les voyages et les ren­contres sont empêchés. On ne pou­vait cesser de donner la parole aux romanciers, aux chercheurs, aux penseurs, en un moment où l’on a plus que jamais besoin de pistes de réflexion.

Comment avez­vous repensé la programmation ?Nous avons recentré le programme autour de la question de l’incerti­tude, qui est un point de croisement fertile entre ce que nous vivons et le travail des écrivains et des chercheurs. Nous avons alors cher­ché quels étaient les auteurs dont les récits pouvaient le plus évoquer les questions d’aujourd’hui : raconter un quotidien qui change, comment on regarde l’autre, com­ment on fait face à l’incertitude à tous les niveaux…Nous avons aussi voulu donner la parole aux écrivains les plus éloi­gnés – ces invités américains, chi­nois ou mexicains dont les noms sont familiers en librairie, mais qui semblent plus loin que jamais aujourd’hui.Il nous a également semblé néces­saire d’ouvrir un espace nouveau pour entendre des libraires, des éditeurs et des directeurs de festival du monde entier, afin de prendre le pouls du monde du livre à travers la planète.

préoccupation première, existe­t­il un terme dans le fonds de la langue française pour décrire cet homme ?

Regarder les gens. Les écouter,les sentir, les toucher parfois, toutest bon pour les cannibales quenous sommes. La vie est une forme proto­artistique, un maté­riau inépuisable.

Cliché. Ce matériau­là est sures­timé. « Un peintre, écrit AndréMalraux, n’est pas d’abord unhomme qui aime les figures et lespaysages : c’est d’abord un homme qui aime les tableaux. »

Etat de veille linguistiqueJ’ai honte de l’avouer, mais je

préfère souvent l’image des cho­ses aux choses elles­mêmes. Je veux dire par là que la façon dont une personne est décrite peutm’intéresser davantage que la personne elle­même. Pis, la ren­contrer ne peut m’intéresser que pour mieux la décrire.

Je vis dans un état de veille lin­guistique permanent, dans un rapport au monde qui est celuidu Facteur Cheval. Tout m’inté­resse pour lever un mur, une co­lonne, une tour de Barbarie, un temple hindou, sculpter un péli­can, un chien ou un crocodile.

Cette relation aux autres et auxchoses, par le truchement des mots, porte en elle sa propre alié­

nation. Lisez la puissance d’arrêt de cet aveu de Jules Renard dans son Journal, le 14 juillet 1896 : « Si vous m’annonciez la mort de mapetite fille que j’aime tant, et si, dans votre phrase, il y avait unmot pittoresque, je ne l’entendrais pas sans en être charmé. » Lisez encore une fois, c’est ahurissant : « Si vous m’annonciez la mort de ma petite fille que j’aime tant, et si,dans votre phrase, il y avait unmot pittoresque, je ne l’entendrais pas sans en être charmé. »

Regarder les gens, donc, lesécouter, s’y frotter, les honnêtes gens, les mauvaises, les gens du monde, les petites, les gens bien,les gens de rien, les simples, les jeunes, les vieilles… tout cela vient dans un deuxième temps. Les figures, les paysages, c’estpour après. Les tableaux d’abord. Voilà pourquoi je parle de maté­riel surévalué.

Disons­le plus simplement. Jeregarderais le monde différem­ment si je n’avais d’abord lu Guy de Maupassant, Stefan Zweig, Henri Bosco, Michel Tournier, Ni­colas Fargues, Maylis de Kerangal et tant d’autres. J’aurais plus de mal à regarder les gens, à mettre des mots sur les visages, à cher­cher les miens, à décrire l’in­congruité de nos présences, de nos trajectoires, de nos rencon­tres, les cadeaux du hasard.

propos recueillis par raphaëlle leyris

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Page 27: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 livres | 27

Ecrire le travail, par Mary Dorsan

E crire le travail pour le faire exister.D’abord tout simplement pour ça.Cette première explication peut

paraître banale, mais on en est là. Il s’agitde faire exister la maladie psychique, ses symptômes, les comportements qu’elle engendre. Ses effets. Il s’agit de faireexister les soins. Alors ils sont décrits. Les soins sont essentiellement d’ordre relationnel. D’affirmer l’existence del’équipe, de l’ensemble des personnes réunies au service des malades, des pa­tients. De rappeler qu’il est question de symptômes psychiatriques graves, terri­blement invalidants et difficiles à soi­gner. J’écris de la place où je me trouve : actuellement, un hôpital de jour (HDJ) psychiatrique de secteur.

Ecrire le travail aussi pour qu’il ne soitpas nié. Pour empêcher que l’effort et l’engagement de chacun soient ignorés ou méprisés, on en est là. Pour affirmer que la présence et l’écoute sont du tra­vail. Que les soins longs sont incontour­nables.

Ecrire le travail pour faire apparaître enlittérature ce qui est gommé sur le ter­rain, ou gommé du terrain par le dis­cours gestionnaire, les politiques d’éco­nomie budgétaire : souligner que lesdécisions organisationnelles affectentdes êtres humains. Au­delà des logiciels, au­delà des cases à cocher, il y a des hom­mes et des femmes, patients et profes­sionnels du soin. Tous peuvent souffrir.

Ecrire très concrètement le travail, c’estopposer à un discours idéologique l’écri­ture de la fragilité humaine. Mettre sur ledevant des personnes incertaines, tâton­nantes, mais absolument réelles.

Ecrire le travail, c’est surmonter la criti­que du franchissement ou le dilemmedu dévoilement. C’est sortir de l’ombre,décider de montrer, de se montrer, ac­cepter de raconter, de se raconter. Aussi dans notre laideur, notre violence.

Actuellement, à l’hôpital, le devoir deréserve annihile le travail auprès desplus démunis et des plus vulnérables.Nos existences liées. Nous, soignants,

sommes les témoins de grandes injusti­ces. Nous sommes confrontés à la plus grande misère humaine. Nous assistons aux conséquences de l’austérité budgé­taire, nous vivons leurs conséquences dans notre chair.

Cet hiver, en janvier, un matin, j’ai prisfroid dans la pièce qu’on appelle pharma­cie du service où je travaille. Le chauffagene fonctionnait pas. Nous réclamions des réparations depuis l’hiver dernier,celles­ci n’ont pas été réalisées. J’ai sorti le thermomètre du réfrigérateur où sont conservés certains médicaments. A lapharmacie, il faisait 15 °C. A l’intérieur de cette pièce on demande aux patients derelever leur manche pour prendre leurtension, de baisser leur pantalon pour que l’on administre une injection. J’ai dé­placé le thermomètre de pièces en bu­reaux. Dans le bureau de la cadre : 12 °C.A la cuisine, après la mise en chauffe des repas et après la mise en route du lave­vaisselle, le thermomètre affichait 13 °C.

Ecrire pour tenirDes rapports officiels prônent le virage

ambulatoire, mais je travaille en extra­hospitalier, en ambulatoire ! Où il n’y apas de « lits » mais des « places ». Pour les soins, il faudra toujours des espaces, des lieux, des bâtiments, c’est incontourna­ble. Et on ne peut pas faire l’économie de leur entretien ! Nous­mêmes habitonsquelque part ! A room of our own que nous aménageons plus ou moins agréablement, en tout cas, que nous chauffons !

Chez nous, nous disposons d’eauchaude. Pas les éviers du réfectoire et de la pharmacie du HDJ : nous nous lavonsles mains à l’eau froide…

Où logent les patients ? Toujours dansmon service, sur une file active de près de 40 patients, trois sont hébergés à l’hô­tel dit social, le même hôtel social du quartier où est situé le HDJ. Ça coûte un pognon de dingue : l’Etat verse des aides… que récupère le propriétaire decet hôtel…

Parlons concret.J’écris le soir après le travail, le matin

avant le travail, le week­end, pendant les vacances. Pas parce que je ne suis pas fa­tiguée – je le suis. Mais parce que je dois le faire pour tenir. Continuer, persévérer,

HÉLÈNE BAMBERGER/OPALE VIA LEEMAGE

MARY DORSAN est soignante en psychiatrie à l’hôpital et écrivaine. Elle a signé trois livres chez P.O.L, « Le présent infini s’arrête » (2015), « Une passion pour le Y » (2018) et « Rencontrer Darius » (2019).

recommencer impliquent l’écriture. Jerefuse de devenir une personne aigrie.Ou résignée. Car la vie des plus fragiles dépend de la lutte de ceux qui ont laforce de lutter. Les soignants qui se sont engagés dans une grève de la faimen 2018 à l’hôpital psychiatrique du Rou­vray ont mis leur santé en danger pour défendre celle de leurs patients.

Dans mon service, les fenêtres tien­nent avec du scotch.

Croyez­vous que nous disposions desuffisamment de masques chirurgicauxou FFP2 afin de faire face au corona­virus ?

Cette vie, il s’agit de la chroniquer, de lanarrer, d’en faire le récit, c’est mon devoird’en témoigner.

Chercher l’inspiration, c’est prendre l’air, par Paolo Cognetti

J’ ignore s’il existe une biblio­thèque avec une section« Ecriture du paysage »quelque part, la mienne en

tout cas en a une. Sur ses étagè­res, je conserve avec soin les car­nets des voyageurs (Chatwin, Terzani, Tesson), les mémoires des lieux habités (Blixen, Hemin­gway), les observations dumonde naturel (Thoreau, Rigoni Stern). Peu importe qu’il s’agisse de Paris ou de la taïga sibérienne, le paysage est ce qui nous en­toure, ce qui est hors de nous : les grands écrivains sont capables de le rendre sur le vif, de construireune relation entre l’extérieur etleur personnalité, leur histoire, en se sondant eux­mêmes à tra­vers l’âme d’un lieu (…). « La ville ne répondit pas » : c’est ainsi que se termine une vieille nouvelle d’Erri De Luca qui m’est très chère. Le regard interroge, le pay­sage répond ou reste muet ; l’écri­ture du paysage est la transcrip­tion de ce dialogue.

L’écriture du paysageEt, en m’y essayant à mon tour

[au Népal, pour Sans jamais at­teindre le sommet (Stock, 2019)],il y a autre chose que j’ai décou­vert : je sens qu’elle soigne la claustrophobie du roman autantque le voyage me permet dem’évader de chez moi. Je veux dire qu’un roman aussi est une maison : c’est une maison qu’onhabite pendant des années avec ses personnages, qui n’existent que pour nous, un genre de mai­son hantée en somme (…). Par­fois, j’étouffe entre ces quatre murs, il faut que je sorte, que jemarche, que je respire. Je crois que c’est ce que l’écriture du pay­sage représente pour moi, c’estun bol d’air, ce qui, à y regarder deprès, n’est pas si éloigné de l’idée d’inspiration. Chercher l’inspira­tion, c’est prendre l’air ; sortir de chez soi inspire une écriture nou­velle.

En voyage, j’ai toujours un livresur moi, quand ce n’est pas plu­sieurs, mais de préférence du même auteur. J’aime en faire mon compagnon de voyage. C’estun maître qui me montre les cho­ses et m’apprend à les compren­dre, mais il finit aussi par devenir mon ami intime. Cette fois, le li­vre n’était autre que Le Léopard des neiges, de Peter Matthiessen[Gallimard, 1983], un auteur peuconnu en Italie mais incontour­nable pour les amateurs de na­ture writing américain, et toutsimplement culte au Népal, où Le Léopard des neiges est en vitrine de toutes les librairies en diverseslangues et éditions (aussi étrange que ça puisse paraître, Katman­dou fourmille de librairies).

Le Népal est à Matthiessen ceque la Patagonie est à Chatwin :Peter y réalisa ce voyage existen­tiel à l’automne 1973, à l’âge de 46 ans, officiellement pour obser­ver les moutons bleus de l’Hima­laya et leur prédateur, le léopard, en réalité pour sortir d’une lon­gue saison d’illusions et trouver ce qu’il y avait qui ne soit pas illu­soire dans la montagne, la solitude, la marche, les monas­tères tibétains isolés. L’expédi­tion tourna au « pèlerinage en Orient », pour reprendre le titreitalien d’un livre d’HermannHesse [Le Voyage en Orient,

Calmann­Lévy, 1994] – l’un des premiers qui raconta cette ten­sion vers l’Asie, et un bréviairepour les pèlerins qui, comme moi, viendraient ensuite. Je comptais refaire l’itinéraire deMatthiessen à quarante­cinq an­nées de distance. Lors de cettemarche, Hesse, Terzani et luiétaient les auteurs dont je me sentais le plus proche.

Dans un voyage comme ce­lui­là, le temps pour lire et écrirene manque pas. On part en sedisant que les journées seront éprouvantes et chargées, et c’est vrai, mais on ne peut pas mar­cher en montagne plus de six ou sept heures d’affilée, si on le fait vingt jours de suite. Nous quit­tions notre tente au lever du so­leil et, peu après midi, dressions déjà le camp où nous passerions la nuit. Dans un monde sans télé­phones, ordinateurs, télévisions, j’avais l’impression de replongerdans l’adolescence, cette époquede grand vide où, pour tirer jus­qu’au soir, il ne restait qu’à parler avec un ami, ou ouvrir un livre.

Le moment de l’écriture arrivaiten fin d’après­midi. Mon seul ré­confort était une gourde de whisky écossais que je rationnais pour qu’elle me tienne jusqu’à la fin : dans le froid des 4 000 mè­tres, avec la toux et la légère fiè­vre qui sont le lot de la haute alti­tude, je buvais du whisky diluédans de l’eau bouillante, la pana­cée. Dans mon carnet, je ne met­tais aucune pensée. Je m’étais fixé comme règle de m’en tenir strictement à la description dece que je voyais, et m’interdisaistoute photographie. Je voulais me servir de mon œil relié à mamain comme d’un appareil photo et, dans le temple le plus sacré que je croisai sur mon che­min, une source jaillissant d’uneparoi rocheuse là où tout était aride et désert, je passai de l’eau sur mes paupières et mes lèvres et formulai cette prière : « Faites que j’aie de bons yeux pour regar­der et que je trouve les mots pour raconter ce que j’ai vu. » Je croisque c’est là que réside le sens de mon écriture.

Traduit de l’italien par Anita Rochedy

ROBERTA ROBERTO

PAOLO COGNETTI est un écrivain italien, né en 1978. Il est notamment l’auteur du « Garçon sauvage » (Zoé, 2016), des « Huit monta­gnes » (Stock, 2017) et de « Sans jamais atteindre le sommet » (Stock, 2019).

« Raconter le travail », avec Mary Dorsan, Joseph Ponthus et Alexis Potschke.Mardi 12 mai, à 19 heures

Café-lecture. Mise en voix d’extraits de romans de Paolo Cognetti, Christian Garcin et Martin de la Soudière.Samedi 16 mai, à 14 heures

Pouvoir ne pas sortir, par Imma Monso

J’ ai toujours adoré le huisclos. Les espaces fermés,l’isolement, les chambres,les espaces réduits. Enfant,

je passais l’hiver dans une ville submergée par le brouillard. Obli­gée de sortir pour aller à l’école,j’attendais le beau temps avec im­patience pour ne plus sortir. Enjuin, je partais à la campagne et jerestais jusqu’au mois de septem­bre chez mes grands­parents. C’était une maison adossée à une petite école entourée de forêts,car ma grand­mère était institu­trice dans un village épars, cons­titué de fermes et maisons iso­lées, au pied du Montseny.

On ne voyait personne sauf lefacteur trois fois par semaine,que je ne voyais pas non plus puisque je restais tout le tempsdans ma chambre. J’adorais. Mesgrands­parents s’inquiétaient.« Victoria ! Elle s’est enfermée de nouveau ? », criait mon grand­père. « Je ne la vois pas dehors ! », disait­il. « Elle va tomber ma­lade », s’inquiétait ma grand­mère, car ils avaient tout l’air pur à me donner et ils n’avaient queça, tandis que moi je ne rêvais que de rester cloîtrée à la maison

ou bien à l’école déserte qui, avec ses encriers en porcelaine, ses cartes accrochées au mur, sa ba­lance ancienne avec les poids et laplanche murale des os, muscleset nerfs, offrait un encoura­gement inouï à toutes sortes de rêveries. C’est pourquoi j’ai long­temps caressé le rêve de pouvoir un jour rester confinée entrequatre murs.

Cependant, ce rêve, je n’ai réussià le réaliser que cinquante ans après. Quand, il y a quelques an­nées, j’ai enfin pu abandonnermon travail à l’extérieur, j’ai tout de suite compris que mon petit appartement ne me suffisait pas :j’avais besoin d’un espace plus ré­duit. Je me suis installée dans ma chambre, mais puisque même ses douze mètres carrés me pa­raissaient trop, j’ai choisi d’habi­ter mon lit. Une décision, il faut ledire, qui s’est avérée être une des plus enrichissantes de ma vie.

L’autre confinementJusqu’à maintenant. Mais de­

puis deux mois, malheureuse­ment, le confinement n’a plus àmes yeux le charme qu’il avait. Strictement enfermés depuismars, les premiers jours ont été beaux et terribles, excitants et ef­frayants. Nous, les confinés voca­tionnels et pascaliens, déjà et de­puis toujours convaincus que le malheur est dans la rue et le bon­heur dans la chambre, avons eu le

IMMA MONSO est une écrivaine catalane. Elle a notamment publié « La Femme pressée » (Robert Laffont, 2013), « Un sacré caractère » et « L’Anniver­saire » (Jacqueline Chambon, 2014 et 2019)

sentiment d’avoir raison pour lapremière fois et avons pu dé­culpabiliser de notre manque d’intérêt à sortir. Cette première phase a été d’une grande beauté ; en plus d’apaiser les remords de notre conscience agoraphobique, nous avons plongé dans un temps suspendu qui était en ac­cord parfait avec notre soif decalme et de silence : il n’était plus nécessaire de se lever à 6 heures du matin ou de lire jusqu’à 3 heu­res la nuit pour avoir l’impres­sion d’être seul au monde. Le monde extérieur et le monde in­térieur se confondaient dans une harmonie sans précédent.

Par la suite, le bonheur s’estétiolé. Les morts ont commencé à peser, les mauvaises nouvelles àaigrir les esprits et l’excès de vir­tualité à nous submerger, susci­tant un état bizarre de manquede solidité du corps. Pendant cesderniers jours, j’ai beaucoup ré­fléchi aux origines de notre malaise général, mais aussi àceux de mon malaise particulier, que j’imagine provoqué par le fait d’être obligée d’accomplir comme un devoir ce dont j’ai rêvé toute ma vie comme une li­berté. Bref, comme mes conci­toyens, j’attends, anxieuse, la fin du confinement. Pas pour sortir, mais pour dissiper l’impuissance de ne pas pouvoir sortir et re­prendre la puissance de pouvoirde ne pas sortir.

LM PALOMARES

« Le huis clos », avec Imma Monso, Franck Bouysse et Burhan Sönmez. Jeudi 14 mai, à 20 heures

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Page 28: Le Monde - 07 05 2020

28 | IDÉES JEUDI 7 MAI 20200123

« Réparer la planète », « relocaliser des pans entiers de l’économie », « entendre la jeunesse », « de la dignité pour tous »… L’ancien ministre de la transition écologique et solidaire énonce ses propositions pour l’après-Covid-19, renforcées par celles de neuf personnalités, parmi lesquelles la militante écologiste Vandana Shiva, le photographe Sebastiao Salgado et la coprésidente du GIEC Valérie Masson-Delmotte

1. Le temps est venu, ensemble, de poser les premières pierres d’un nouveau monde2. Le temps est venu de transcender la peur en espoir3. Le temps est venu pour une nouvelle façon de penser4. Le temps est venu de la lucidité5. Le temps est venu de dresser un horizon commun6. Le temps est venu de ne plus sacrifier le futur au présent7. Le temps est venu de résister à la fatalité8. Le temps est venu de ne plus laisser l’avenir décider à notre place9. Le temps est venu de ne plus se mentir10. Le temps est venu de réanimer notre humanité11. Le temps est venu de la résilience

12. Le temps est venu de prendre soin et de réparer la planète13. Le temps est venu de traiter les racines des crises14. Le temps est venu d’appréhender l’ensemble des crises écologiques, climatiques, sociales, économiques et sanitaires comme une seule et même crise : une crise de l’excès15. Le temps est venu d’entendre la jeunesse et d’apprendre des anciens

16. Le temps est venu de créer du lien17. Le temps est venu de miser sur l’entraide18. Le temps est venu d’applaudir la vie19. Le temps est venu d’honorer la beauté du monde20. Le temps est venu de se rappeler que la vie ne tient qu’à un fil21. Le temps est venu de nous réconcilier avec la nature

Nicolas Hulot

100 principes pour

un nouveau monde

le temps est venu de prendre conscience que nous faisons partie de la nature. Nous ne sommes pas séparés d’elle, ni supérieurs aux autres êtres avec lesquels nous partageons notre planète. Le temps est venu de renoncer aux illusions de l’esprit mécaniste qui, dansson ignorance et son aveuglement, autorise la violation des limites planétaires et écologi­ques, et décrit ces violations comme un progrès. Le temps est venu d’aller au­delà del’économie de la croissance illimitée et de la cupidité sans limites. Le moment est venu de reconnaître que tous les êtres ont droit aux dons de la Terre pour leur subsistance. Le temps est venu de se souvenir de l’enseigne­ment de Gandhi : la Terre a assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour lacupidité de quelques­uns.

Vandana Shiva, militante féministe et écologiste indienne

« Reconnaître que tous les êtres ont droit aux dons de la Terre »

le temps est venu de nous lever pour protéger les tribus d’Indiens d’Amazonie, pour préserver leur culture et pour sauve­garder notre histoire. A cause du corona­virus, une partie de ces Indiens, peut­être même la totalité, risquent de disparaître.Les assauts du président Jair Bolsonaro ontfait sauter tous les filtres qui protégeaient ces peuples. On assiste à la ruée dans la forêt amazonienne des orpailleurs et des exploitants forestiers, mais aussi des sec­tes religieuses qui, en apportant la parolede leur dieu à ces Indiens isolés, vont les contaminer.

Le temps est venu de nous mobiliserpour sauver ces gardiens de la forêt, comme cela a été fait l’été dernier pour faire pression sur Jair Bolsonaro afin que cessent les incendies de la forêt. C’est, poureux, une question de vie ou de mort.

Sebastiao Salgado photographe brésilien

« Sauver les gardiens de la forêt amazonienne »

le temps est venu de développer, comme partie intégrante de notre réponse à l’ur­gence climatique, les conditions optimales à l’épanouissement de l’imagination hu­maine. En effet, faire face à la crise climati­que suppose de repenser et de reconstruire le monde. Pourtant, nous vivons à une épo­que où l’imagination est pressée, dépréciée, dévalorisée. Le temps est venu d’un systèmeéducatif qui place le développement de l’imagination en son cœur. Le temps estvenu d’un système politique qui accueille notre imagination. Le temps est venu d’un système économique qui ose dire « et si… ? ».Le temps est venu de reconnaître le « droit àl’imagination » de toutes et tous, et de le protéger. A quoi ressemblerait une époque où tout semble possible ? Nous devons être celles et ceux qui découvrent cela.

Rob HopkinsFondateur du mouvement des villes en transition

« Développer le droit à l’imagination »

le temps est venu de partager le pouvoir dansles entreprises et les administrations. A l’échellede l’entreprise, comme à celle de la société pour les citoyens, faire s’exprimer et participer les travailleurs ne peut plus être considéré comme un frein à la décision, alors que le dialogue socialet professionnel est la condition d’une perfor­mance globale, c’est­à­dire économique, sociale, écologique et sanitaire. Plus que jamais après la crise que nous vivons, les employeurs doiventidentifier ce qui fait sens collectivement. Un projet d’entreprise, sa raison d’être, doit s’ins­crire aujourd’hui et demain dans le projet globald’une société qui, comme le propose la CFDTavec les 55 organisations du « pacte du pouvoirde vivre », doit opérer sa transition écologique socialement juste, sans rien céder à l’impératif démocratique.

Laurent BergerSecrétaire général de la CFDT

« Opérer une transition écologique socialement juste »

le temps est venu d’une relocalisation de pans entiers de notre économie. Le Covid­19 et les politiques de confinement pour y faire face ont mis en lumière la fragilité de chaînesde valeur internationales à flux tendu, vulné­rables aux prochaines pandémies commeaux conséquences du dérèglement climati­que et de la destruction des écosystèmes.Pour être durable, cette relocalisation indis­pensable exige l’apprentissage de métiersnouveaux : ceux de l’agroécologie et d’une industrie verte qui reste largement à initier. Sans une stratégie ambitieuse de renouvelle­ment radical de l’enseignement, de la mater­nelle aux doctorats, afin d’y donner touteleur place aux enjeux écologiques et aux mé­tiers de demain, la jeunesse d’aujourd’hui reste prisonnière des manières de faire, de travailler, de consommer et de s’informerd’hier. L’Etat doit prendre sa part du renou­vellement de l’offre de formation et l’ouvrir à la reconversion des salariés déjà engagésdans des secteurs incompatibles avec la re­construction écologique de notre pays.

Gaël Giraud Ancien chef économiste de l’Agence française de développement

« Former les jeunes à l’agroécologie »

LE CONTEXTELe 10 mai 1994, Nelson Mandela,

premier président noir d’Afrique

du Sud, élu deux semaines plus

tôt, prononce un discours d’in-

vestiture qui marque les esprits.

Il y prône notamment les valeurs

de réconciliation et déclare : « Le

temps est venu de panser nos

blessures. Le moment est venu de

réduire les abîmes qui nous sépa-

rent. Le temps de la construction

approche ». S’inspirant de cette

phrase, Nicolas Hulot, militant

écologiste et ancien ministre

d’Emmanuel Macron, a décidé de

décliner à sa façon son « temps

est venu », à travers cent princi-

pes fondateurs, selon lui, d’un

nouveau monde pour l’après-

crise du Covid-19.

La Fondation Nicolas Hulot inau-

gure par ailleurs, mercredi 6 mai,

un site Internet pour inviter

chacun à endosser ces principes.

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Page 29: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 idées | 29

22. Le temps est venu de respecter la diversité et l’intégrité du vivant23. Le temps est venu de laisser de l’espace au monde sauvage24. Le temps est venu de traiter les animaux en respectant leurs intérêts propres25. Le temps est venu de reconnaître l’humanité plurielle26. Le temps est venu d’écouter les peuples premiers27. Le temps est venu de cultiver la différence28. Le temps est venu d’acter notre communauté de destin avec la famille humaine et tous les êtres vivants29. Le temps est venu de reconnaître notre vulnérabilité.30. Le temps et venu d’apprendre de nos erreurs31. Le temps est venu de l’inventaire de nos faiblesses et de nos vertus32. Le temps est venu de nous adapter aux limites planétaires33. Le temps est venu de changer de paradigme34. Le temps est venu d’opérer la mue d’un système périmé35. Le temps est venu de redéfinir les fins et les moyens36. Le temps est venu de redonner du sens au progrès37. Le temps est venu de l’indulgence et de l’exigence38. Le temps est venu de s’émanciper des dogmes39. Le temps est venu de l’intelligence collective40. Le temps est venu d’une mondialisation qui partage, qui coopère et qui donne aux plus faibles41. Le temps est venu de préférer le juste échange au libre­échange42. Le temps est venu de globaliser ce qui est vertueux et de déglobaliser ce qui est néfaste43. Le temps est venu de définir, préserver et protéger les biens communs44. Le temps est venu de la solidarité universelle

45. Le temps est venu de la transparence et de la responsabilité46. Le temps est venu d’une économie qui préserve et redistribue à chacun47. Le temps est venu de mettre un terme à la dérégulation, à la spéculation et à l’évasion fiscale48. Le temps est venu d’effacer la dette des pays pauvres49. Le temps est venu de s’émanciper des politiques partisanes50. Le temps est venu de s’extraire des idéologies stériles51. Le temps est venu des démocraties inclusives52. Le temps est venu de s’inspirer des citoyens53. Le temps est venu d’appliquer le principe de précaution54. Le temps est venu de graver dans le droit les principes d’une politique écologique, sociale et civilisationnelle55. Le temps est venu de faire mentir le déterminisme social56. Le temps est venu de combler les inégalités de destin57. Le temps est venu de l’égalité absolue entre les femmes et les hommes58. Le temps est venu de tendre la main aux humbles et aux invisibles59. Le temps est venu d’exprimer plus qu’une juste gratitude à celles et ceux, souvent étrangers, qui dans nos pays, hier et aujourd’hui, exécutent des tâches ingrates60. Le temps est venu de valoriser prioritairement les métiers qui permettent la vie61. Le temps est venu du travail qui épanouit62. Le temps est venu de l’avènement de l’économie sociale et solidaire63. Le temps est venu d’exonérer les services publics de la loi du rendement64. Le temps est venu de

relocaliser des pans entiers de l’économie65. Le temps est venu de la cohérence, et de réorienter nos activités et nos investissements vers l’utile et non vers le nuisible66. Le temps est venu d’éduquer nos enfants à l’être, au civisme, au vivre­ensemble, et de leur apprendre à habiter la terre67. Le temps est venu de nous fixer des limites dans ce qui blesse et aucune dans ce qui soigne68. Le temps est venu de la sobriété69. Le temps est venu d’apprendre à vivre plus simplement70. Le temps est venu de nous réapproprier le bonheur71. Le temps est venu de nous libérer de nos addictions consuméristes72. Le temps est venu de ralentir.73. Le temps est venu de voyager près de chez nous74. Le temps est venu de nous défaire de nos conditionnements mentaux individuels et collectifs75. Le temps est venu de faire naître des désirs simples76. Le temps est venu de distinguer l’essentiel du superflu77. Le temps est venu d’arbitrer dans les possibles78. Le temps est venu de renoncer à ce qui compromet l’avenir79. Le temps est venu de la créativité et de l’impact positif80. Le temps est venu de lier notre « je » au « nous »81. Le temps est venu de croire en l’autre82. Le temps est venu de revisiter nos préjugés83. Le temps est venu du discernement84. Le temps est devenu d’admettre la complexité85. Le temps est venu de synchroniser science et conscience

86. Le temps est venu de l’unité87. Le temps est venu de l’humilité88. Le temps est venu de la bienveillance89. Le temps est venu de l’empathie90. Le temps est venu de la dignité pour tous91. Le temps est venu de déclarer que le racisme est la pire des pollutions mentales92. Le temps est venu de la modestie et de l’audace93. Le temps est venu de combler le vide entre nos mots et nos actes et d’agir en grand94. Le temps est venu où chacun doit faire sa part et être l’artisan du monde de demain95. Le temps est venu de l’engagement96. Le temps est venu de croire qu’un autre monde est possible97. Le temps est venu d’un élan effréné pour ouvrir de nouvelles voies98. Le temps est venu, partant de ces principes, de choisir, encourager et accompagner nos dirigeants ou représentants99. Le temps est venu pour chacun de faire vivre ce manifeste100. Le temps est venu de créer un lobby des consciences

le temps est venu de se donner de vrais moyens pour financer un futur du­rable. Nous demandons la création d’un fonds européen de relance et de trans­formation écologique de 2 000 mil­liards d’euros sur sept ans, financé à très long terme. Cette mise en commun des moyens budgétaires européens – par la mutualisation des dettes – doit nous protéger des aléas des marchés finan­ciers et assurer le financement danschaque Etat membre, quelle que soit sa situation, d’une économie plus rési­liente face aux futures crises, créatrice d’emplois, alignée avec les objectifs écologiques et moins dépendante de la mondialisation.

La hausse de l’endettement public nedoit pas justifier le retour de politiques d’austérité. L’Europe a les moyens de s’en protéger. Les financements dans la transition écologique et nos services de santé ne doivent pas être de nouveau mis sous la coupe de logiques étroite­ment comptables, meurtrières. Nous devons changer nos modes de calcul pour intégrer ce qui compte vraiment.

Ce fonds doit donc s’accompagnerd’une révision du pacte de stabilitépour sécuriser les investissements massifs dont nous avons besoin dans la durée – partout en Europe – pour cons­truire une économie sobre et résiliente. Si nécessaire, les dettes publiques déte­nues par les banques centrales pour­ront être cantonnées pour que leur remboursement soit très fortement étalé, ou annulées. Il en va de la survie de l’Europe.

Alain GrandjeanEconomiste, président de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme

« Construire une économie sobre et résiliente »

le temps est venu de mettre en place un fonds exception­nel de plusieurs milliards d’euros alloué aux communes, aux départements et aux régions, pour les accompagner dans lamise en place de politiques publiques visant à éradiquer la grande pauvreté, accélérer la transition écologique et réduire les inégalités. Le temps est venu de donner des moyens im­portants aux territoires qui veulent agir pour plus d’écologie et de justice sociale, en fixant des contreparties mesurables etsuivies dans le temps.

Mettre en place des plans « logement d’abord » pour en finiravec le « sans­abrisme », rénover les 7 millions de passoires énergétiques [les logements] et les bâtiments publics énergi­vores, développer d’autres possibilités que la voiture indivi­duelle, servir des repas bio et locaux dans les cantines… Autant de mesures indispensables à la construction du « monde d’après » ; autant de mesures défendues collective­ment avec les 55 organisations du « pacte du pouvoir de vivre » ; autant de mesures qui ne verront le jour qu’avec le déploiement de moyens importants, réinjectés grâce à une fiscalité plus juste et un nouveau partage des richesses.

Christophe RobertDélégué général de la Fondation Abbé Pierre

« Débloquer des moyens pour plus d’écologie et de justice sociale »

le temps est venu de passer du libre­échange au juste échange. Cela supposede produire et de consommer d’abord local, d’introduire une traçabilité sociale et environnementale des biens et servi­ces afin de pouvoir les distinguer selon leurs conditions de production et d’exi­ger pour les produits importés le respectdes normes européennes de production.Ce que ne permettent pas les règles de l’OMC et les accords bilatéraux de typeCETA (l’accord de libre­échange entrel’Union européenne et le Canada). La mondialisation des activités est alléetrop loin et il faut aujourd’hui redonner des marges de manœuvre aux Etats pour conduire la transition écologiqueet sociale sans risquer d’être attaqués pardes partenaires commerciaux ou des in­vestisseurs étrangers.

Mathilde DupréCodirectrice de l’Institut Veblen

« Produire et consommer d’abord local »

le temps est venu de mettre en œuvre une stratégie de gestion derisques par anticipation et non de ges­tion de crise après crise. Vis­à­vis des risques croissants liés au changement climatique en cours et aux pressions sur les écosystèmes et la biodiversité,cela demande d’agir pour réduire les vulnérabilités et l’exposition aux aléas climatiques en métropole et dans lesoutremers, et pour réduire les émis­sions de gaz à effet de serre par des changements structurels dans tous les secteurs, pour construire un dévelop­pement permettant à tous de vivre di­gnement, résilients, protégeant les écosystèmes et la biodiversité, et allantvers la neutralité carbone.

Valérie Masson-Delmotte paléoclimatologue, coprésidente du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC )

« Protéger la biodiversitéet les écosystèmes »

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Page 30: Le Monde - 07 05 2020

30 | idées JEUDI 7 MAI 20200123

Imany, chanteuse ; Jeremy Irons, acteur ;Agnès Jaoui, actrice, réalisatrice ; JimJarmusch, réalisateur ; Vaughan Jones,médaille Fields de mathématiques ; SpikeJonze, réalisateur ; Camélia Jordana,chanteuse ; Jean Jouzel, climatologue,prix Vetlesen ; Anish Kapoor, sculpteur,peintre ; Naomi Kawase, réalisatrice ;Sandrine Kiberlain, actrice ; Angélique

Kidjo, chanteuse ; Naomi Klein, écrivaine ; Brian Kobilka, Prix Nobel de chimie ; Hirokazu Kore-eda, réalisateur ; Panos Koutras, réalisateur ; Antjie Krog, poétesse ; La Grande Sophie, chanteuse ; Ludovic Lagarde, metteur en scène ; Mélanie Laurent, actrice ; Bernard Lavilliers, chan-teur ; Yvon Le Maho, écophysiologiste, membre de l’Académie des scien-ces ; Roland Lehoucq, astrophysicien ; Gilles Lellouche, acteur, réali-

sateur ; Christian Louboutin,créateur ; Roderick MacKinnon,Prix Nobel de chimie ; Madonna,chanteuse ; Macha Makeïeff,metteuse en scène ; ClaudeMakélélé, footballeur ; Ald AlMalik, rappeur ; Rooney Mara,actrice ; Ricky Martin, chanteur ;Carmen Maura, actrice ; MichelMayor, Prix Nobel de physique ;Médine, rappeur ; Melody Gar-dot, chanteuse ; Arturo Men-chaca Rocha, physicien, ex-pré-sident de l’Académie des sciencesdu Mexique ; Raoni Metuktire,chef indien de Raoni ; JulianneMoore, actrice ; WajdiMouawad, metteur en scène,auteur ; Gérard Mouroux, PrixNobel de physique ; Nana Mous-kouri, chanteuse ; Yael Naim,chanteuse ; Jean-Luc Nancy,philosophe ; Guillaume Néry,champion du monde d’apnée ;Pierre Niney, acteur ; MichaëlOndaatje, écrivain ; ThomasOstermeier, metteur en scène ;Rithy Panh, réalisateur ;Vanessa Paradis, chanteuse, ac-trice ; James Peebles, Prix Nobelde physique ; Corine Pelluchon,philosophe ; Joaquin Phoenix,acteur ; Pomme, chanteuse ;Iggy Pop, chanteur ; Olivier Py,metteur en scène ; Radu Mi-haileanu, réalisateur ; SusheelaRaman, chanteuse ; Edgar Ra-mirez, acteur ; Charlotte Ram-pling, actrice ; Raphaël, chan-teur ; Eric Reinhardt, écrivain ;Residente, chanteur ; Jean-Mi-chel Ribes, metteur en scène ;Matthieu Ricard, moine boudd-histe ; Richard Roberts, Prix No-bel de médecine ; Isabella Ros-sellini, actrice ; Cecilia Roth,actrice ; Carlo Rovelli, physicien,membre honoraire de l’Institutuniversitaire de France ; PaoloRoversi, photographe ; LudivineSagnier, actrice ; Shaka Ponk(Sam et Frah), chanteurs ; Van-dana Shiva, philosophe, écri-vaine ; Abderrahmane Sissako,réalisateur ; Gustaf Skarsgard,acteur ; Sorrentino Paolo, réali-sateur ; Sabrina Speich, océano-graphe, médaille Albert Defant ;Sting, chanteur ; James FraserStoddart, Prix Nobel de chimie ;Barbra Streisand, chanteuse,

actrice, réalisatrice ; Malgorzata Szumowska, réalisatrice ; Béla Tarr, réalisateur ; Bertrand Tavernier, réalisateur ; Alexandre Tharaud, pia-niste ; James Thierré, metteur en scène, danseur ; Mélanie Thierry, ac-trice ; Tran Anh Hung, réalisateur ; Jean-Louis Trintignant, acteur ;Karin Viard, actrice ; Rufus Wainwright, chanteur ; Lulu Wang, réalisa-trice ; Paul Watson, navigateur, écrivain ; Wim Wenders, réalisateur ;Stanley Whittingham, Prix Nobel de chimie ; Sonia Wieder-Atherton, violoncelliste ; Frank Wilczek, Prix Nobel de physique ; Olivia Wilde, ac-trice ; Christophe Willem, chanteur ; Bob Wilson, metteur en scène ;Lambert Wilson, acteur ; David Wineland, Prix Nobel de physique ; Xuan Thuan Trinh, astrophysicien ; Muhammad Yunus, économiste, Prix Nobelde la paix ; Zazie, chanteuse.

Lynsey Addario, grand reporter ; Isabelle Adjani, actrice ; Roberto Alagna, chanteur lyrique ; Pedro Almodovar, réalisateur ; Santiago Amigorena, écrivain ; Angèle, chanteuse ; Adria Arjona, actrice ; Yann Arthus-Bertrand, photographe,réalisateur ; Ariane Ascaride, actrice ;Olivier Assayas, réalisateur ; Josiane Balasko, actrice ; Jeanne Balibar, actrice ; Bang Hai Ja, peintre ; Javier Bardem, acteur ; Aurélien Barrau, astrophysicien, membre honoraire del’Institut universitaire de France ; Mikhail Baryshnikov, danseur, chorégraphe ; Nathalie Baye, actrice ; Emmanuelle Béart, actrice ; Jean Bellorini, metteur en scène ; Monica Bellucci, actrice ; Alain Benoit,physicien, Académie des sciences ; Charles Berling, acteur ; Juliette Binoche, actrice ; Benjamin Biolay, chanteur ; Dominique Blanc, actrice ; Cate Blanchett, actrice ; Gilles Bœuf, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle ; Valérie Bonneton, actrice ; Aurélien Bory, metteur en scène ; Miguel Bosé, acteur, chanteur ; Stéphane Braunschweig, metteur en scène ; Stéphane Brizé, réalisateur ; Irina Brook, metteuse en scène ; Peter Brook, metteur en scène ; Valeria Bruni Tedeschi, actrice, réalisatrice ; Khatia Buniatishvili, pianiste ;Florence Burgat, philosophe,directrice de recherche à l’Inrae ; Guillaume Canet, acteur,réalisateur ; Anne Carson, poète,écrivaine, Académie des arts etsciences ; Michel Cassé, astrophysicien ; Aaron Ciechano-ver, Prix Nobel de chimie ; François Civil, acteur ; François Cluzet, acteur ; Isabel Coixet, réalisatrice ; Gregory Colbert, photographe, réalisateur ; Paolo Conte, chanteur ; Marion Cotillard, actrice ; Camille Cottin, actrice ; Penélope Cruz, actrice ; Alfonso Cuaron, réalisa-teur ; Willem Dafoe, acteur ;Béatrice Dalle, actrice ; Alain Damasio, écrivain ; Ricardo Darin, acteur ; Cécile de France, actrice ; Robert De Niro, acteur ; Annick de Souzenelle, écrivaine ;Johann Deisenhofer, biochi-miste, Prix Nobel de chimie ; Kate del Castillo, actrice ; Miguel Delibes Castro, biologiste,Académie royale des sciences espagnole ; Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène ; Claire Denis, réalisatrice ; Philippe Descola, anthropolo-gue, médaille d’or du CNRS ;Virginie Despentes, écrivaine ; Alexandre Desplat, composi-teur ; Arnaud Desplechin, réalisateur ; Natalie Dessay, chanteuse lyrique ; Cyril Dion, écrivain, réalisateur ; Hervé Dole, astrophysicien, membre hono-raire de l’Institut universitaire de France ; Adam Driver, acteur ; Jacques Dubochet, Prix Nobel de chimie ; Diane Dufresne, chanteuse ; Thomas Dutronc, chanteur ; Lars Eidinger, acteur ; Olafur Eliasson, plasticien, sculpteur ; Marianne Faithfull, chanteuse ; Pierre Fayet, membre de l’Académie des sciences ; Abel Ferrara, réalisa-teur ; Albert Fert, Prix Nobel de physique ; Ralph Fiennes, acteur ; Ed-mond Fischer, biochimiste, Prix Nobel de médecine ; Jane Fonda, actrice ; Joachim Frank, Prix Nobel de chimie ; Manuel Garcia-Rulfo, acteur ; Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile ; Amos Gitaï, réalisateur ; Alejandro Gonzales Iñarritu, réalisateur ; Timothy Gowers, médaille Fields de ma-thématiques ; Eva Green, actrice ; Sylvie Guillem, danseuse étoile ; Ben Hardy, acteur ; Serge Haroche, Prix Nobel de physique ; Dudley R. Hers-chbach, Prix Nobel de chimie ; Roald Hoffmann, Prix Nobel de chimie ; Rob Hopkins, fondateur des villes en transition ; Nicolas Hulot, président d’honneur de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’Homme ;

NONà un retour

à la normale

Un collectif de 200 artistes et scientifiques lance un appel, à l’initiative de l’actrice Juliette Binoche

et de l’astrophysicien Aurélien Barrau, aux dirigeants et aux citoyens pour changer nos modes de vie.

Sans quoi, la catastrophe écologique ne pourra être évitée

La pandémie de Covid­19 est une tragédie.Cette crise, pourtant, a la vertu de nousinviter à faire face aux questions essentiel­les. Le bilan est simple : les « ajustements » nesuffisent plus, le problème est systémique.

La catastrophe écologique en cours relève d’une« méta­crise » : l’extinction massive de la vie surTerre ne fait plus de doute et tous les indicateurs annoncent une menace existentielle directe. A la différence d’une pandémie, aussi grave soit­elle, il s’agit d’un effondrement global dont les consé­quences seront sans commune mesure.

Nous appelons donc solennellement les diri­geants et les citoyens à s’extraire de la logique intenable qui prévaut encore, pour travailler enfin à une refonte profonde des objectifs, des valeurs et des économies.

Le consumérisme nous a conduits à nier la vieen elle­même : celle des végétaux, celle des ani­maux et celle d’un grand nombre d’humains. La pollution, le réchauffement et la destruction des espaces naturels mènent le monde à un point de rupture.

Pour ces raisons, jointes aux inégalités socialestoujours croissantes, il nous semble inenvisa­geable de « revenir à la normale ». La transforma­tion radicale qui s’impose – à tous les niveaux – exige audace et courage. Elle n’aura pas lieu sans un engagement massif et déterminé. A quand les actes ? C’est une question de survie, autant que dedignité et de cohérence.

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Page 31: Le Monde - 07 05 2020

0123JEUDI 7 MAI 2020 0123 | 31

O n vous l’a dit et répétédepuis que le Covid­19s’est emparé de notreunivers : il y aura le

monde d’avant et le monde d’après. Les contours du « monde d’après » nourrissent des débats d’autant plus passionnants qu’ils relèvent forcément de la fiction. Du chaos transitoire où nous nous trouvons, pourtant, quel­ques éléments émergent, qui des­sinent une nouvelle normalité.Ce « nouveau normal », commedisent les Américains, sera­t­il durable ? Nul ne le sait, mais il dis­tingue déjà ce qui a changé parrapport au monde d’avant.

Il y a, d’abord, le plus visible, cequi modifie de manière specta­culaire nos comportements quo­tidiens : le port du masque et la distanciation physique. Sourireavec les yeux et ne plus se tou­cher. La comparaison avec la crisede 2008, souvent évoquée en rai­son du choc économique, est icitrompeuse ; c’est plutôt la crisedes attentats du 11 septem­bre 2001 et ses conséquencesqu’il faudrait rappeler. C’est de cemoment­là – et de ses répliques en Europe – que datent la sécuri­sation des lieux de travail avec badges individuels et les lourdes procédures de contrôle dans les aéroports. Il faudra s’habituer, di­sait­on alors, à ce « new normal ». Il fallait maîtriser la peur du terro­risme, comme il faut à présent maîtriser la peur du virus.

Notre défense, tout changerCes peurs, cependant, se combat­tent différemment. Après les at­tentats du 13 novembre 2015 à Pa­ris, on conjurait la peur en allant,comme un acte militant, se ser­rer aux terrasses des cafés : notredéfense alors, c’était de ne rienchanger à notre mode de vie. Aujourd’hui, notre défense, c’estde tout changer : adieu, les terras­ses de café bondées. La convivia­lité, les fêtes, les concerts, les boî­tes de nuit, les manifs, les stadesen délire, tout cela ne reviendraque lorsque la peur aura été vain­cue. Cette liberté que nous affi­chions en réponse à ceux quivoulaient la bafouer, il fautaujourd’hui la mettre en bernepour se protéger.

Les gouvernants, eux, voientleurs projets d’il y a six mois par­tir en fumée ; ils ne savent pas non plus vers quoi les mène cette période de transition. En France, le premier ministre, Edouard Phi­lippe, a eu le 28 avril une formule pour résumer la nouvelle ligne decrête : « Protéger la France sansl’immobiliser au point qu’elle s’ef­fondrerait. » Le point d’équilibre à trouver entre la santé des ci­toyens et la santé de l’économie, afin que l’un ne dévaste pasl’autre, et inversement.

L’épidémie a brouillé les repè­res : au travail, les invisibles sontdevenus les plus visibles ; en po­litique, la santé, la solidarité, laconfiance s’affichent en valeurssuprêmes. L’économie du bien­être, autrefois raillée par les genssérieux, prend soudain tout son sens. L’Etat, relève­t­on, fait songrand retour ; plus tard, à l’heuredes bilans, on tentera de discer­ner de quel Etat on parle : l’Etatsouple et agile, qui laisse vivreles initiatives locales et accom­

pagne le secteur privé, ou l’Etatpesant et bureaucratique, dont le mille­feuille administratif a freiné tant d’actions urgentesdans cette crise ?

L’Etat fait aussi un retour enforce sur la scène internationale.Et là, surprise ! C’est la revanche des petits. Les puissants dumonde d’avant sont les plus at­teints : la Chine d’où est parti le vi­rus, les Etats­Unis qui battent le record du nombre de morts, laRussie qui affronte à son tour uneaccélération brutale du taux d’in­fection, le Brésil qui ne maîtrise plus rien. En Europe, à l’exceptionde l’Allemagne qui a su se prépa­rer à la crise, ce sont surtout les« grands pays » qui accusent le coup : Grande­Bretagne, France, Italie, Espagne. Alors que l’Espa­gne se débattait dans une catas­trophe majeure, son « petit » voi­sin, le Portugal, a impressionnépar la rapidité avec laquelle il a su prendre les mesures préventives et produire des tests en quantité suffisante pour isoler les maladeset limiter la circulation du virus.

La petite République d’Irlande,elle, maîtrisait assez bien la si­tuation jusqu’à ce que la pro­vince britannique d’Irlande du Nord décide d’aligner sa stratégieanti­Covid sur Londres. Impossi­ble alors, en l’absence de fron­tière entre les deux, de bloquer lacirculation du virus. Malgré cela,Dublin affiche un bilan meilleurque la Grande­Bretagne.

Là aussi, les invisibles relèventla tête. Taïwan, ostracisée par Pé­kin, s’est révélée un modèle degestion de l’épidémie. Une con­seillère du chancelier autrichienSebastian Kurz, Antonella Mei­Pochtler, pense avoir trouvé l’ex­plication, dont elle a fait part au Financial Times : « Il y a une arro­gance innée chez les grands pays qui pensent qu’aucun autre paysn’est comme eux, dit­elle. Les pe­tits pays, eux, ont tendance à ap­prendre beaucoup plus les uns des autres. »

Peut­être sont­ils conscientsaussi des limites de leurs moyens,qui incitent gouvernants et gou­vernés à plus de précautions et àserrer les rangs quand le danger menace. Exemplaire dans cette crise, la Grèce savait que ses in­frastructures de santé publique,après dix ans de plans d’austérité,n’auraient pas résisté à une circu­lation massive du virus.

Les petits pays ont autre choseen commun : beaucoup ont eu leréflexe immédiat de fermer leursfrontières pour se protéger. LesEtats d’Europe centrale, où la cir­culation des personnes estmoins dense que sur les plaquestournantes de l’Ouest, n’ont pas hésité. Remparts ou obstacles ?Les frontières sont en tout cas deretour, autour mais aussi au seinde l’espace Schengen, que l’on nepeut plus arpenter librement – laFrance est une des exceptions.Aller en Grèce est à nouveau uneodyssée. La Nouvelle­Zélande, ayant maîtrisé le virus, annonceque ses frontières ne seront pas ouvertes « avant longtemps » et parle de former une « bulle trans­Tasman » avec l’Australie. Le« nouveau normal » a évincé la mobilité.

D epuis le début de l’épidémie liée auCovid­19, la crainte des décideursest que leur responsabilité pénale

puisse être engagée. La pénurie de mas­ques et de tests ayant alimenté un profond doute sur la capacité de l’Etat à lutter effica­cement contre la propagation de la mala­die, des dizaines de plaintes émanant de particuliers, de médecins, d’associations ont été enregistrées par la Cour de justice de la République, seule instance habilitée à juger des actes commis par des membresdu gouvernement dans leurs fonctions.

Elles invoquent « l’homicide involon­taire », la « non­assistance à personne endanger » ou encore « l’entrave aux mesuresd’assistance », visent le premier ministre et d’autres membres du gouvernement.D’autres plaintes ont été déposées contre X

devant le parquet de Paris pour « violencesinvolontaires », « mise en danger de la vie d’autrui » ou « abstention de prendre desmesures de nature à éviter un sinistre ».

Nul ne sait, à ce stade, si elles aboutiront.Des mois, voire des années, seront néces­saires pour les trier et éventuellement les instruire, mais le fait même que la menace judiciaire existe est une épée de Damoclès qui suscite deux réflexes protecteurs. Le premier consiste à se conformer scrupu­leusement à la norme, y compris lorsque l’urgence sanitaire nécessiterait, au con­traire, de s’en affranchir. Un certain nom­bre de lenteurs administratives constatées notamment lors de l’élaboration de la poli­tique de tests peuvent être directement rat­tachées à cette préoccupation. L’autre ré­flexe vise à obtenir du législateur des dispo­sitions plus protectrices.

A la veille du déconfinement, les entrepri­ses privées, qui vont devoir gérer le retourprogressif des salariés sur leurs lieux de tra­vail, et les maires, à qui il incombe d’assu­rer une rentrée scolaire à haut risque, ac­centuent la pression sur le gouvernement afin que leur responsabilité pénale puisseêtre largement dégagée. Lundi 4 mai au soir, lors de l’examen en première lecture du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a ainsi voté, contre l’avis du gouvernement, et à la quasi­unanimité, un amendement particulièrement protec­

teur pour les maires. Il stipule que, pendantl’état d’urgence sanitaire, « nul ne peut voir sa responsabilité engagée du fait d’avoir soitexposé autrui à un risque de contamination,soit causé ou contribué à causer une telle contamination », à moins que les faits aientété commis « par imprudence ou négli­gence » ou « en violation manifestement dé­libérée (…) d’une obligation particulière deprudence ou de sécurité ».

La garde des sceaux, Nicole Belloubet, yétait hostile car l’amendement revient àsupprimer la faute caractérisée qui permet d’engager la responsabilité pénale. Le gou­vernement se donne jusqu’à la fin de la se­maine pour tenter de trouver un accord autour d’un dispositif moins dérogatoire, sans être cependant assuré d’avoir la force politique pour convaincre.

Or, en l’état actuel, le texte voté pose troisproblèmes. D’abord, il crée une forte distor­sion de traitement entre les maires et les autres décideurs sans qu’on en comprenne la raison. Ensuite, il revient à amoindrir leprincipe de responsabilité en généralisant l’idée que, durant l’état de siège sanitaire, on peut être responsable mais pas coupa­ble. De ce fait, il ouvre la voie au soupçon del’amnistie, déjà brandi par Marine Le Pen. Pour ces trois raisons, il est souhaitable queles élus reviennent à la raison, car si la peurest compréhensible, elle peut aussi devenir mauvaise conseillère.

L’ÉTAT FAIT SON GRAND RETOUR ; 

PLUS TARD, À L’HEURE DES BILANS, 

ON TENTERA DE DISCERNER DE 

QUEL ÉTAT ON PARLE

L’IRRESPONSABILITÉ PÉNALE N’EST PAS DÉFENDABLE

GÉOPOLITIQUE | CHRONIQUEpar sylvie kauffmann

Du chaos émergeune nouvelle normalité

BEAUCOUP DE PETITS PAYS ONT 

EU LE RÉFLEXE IMMÉDIAT DE FERMER 

LEURS FRONTIÈRES POUR SE PROTÉGER

Tirage du Monde daté mercredi 6 mai : 140 886 exemplaires

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