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EXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE de 1852 a 1858

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  • EXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ

    LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE

    de 1852 a 1858

  • WJEXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ

    LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE

    de 1852 à 1858

    Par M. RîbourT, colonel au corps impérial d'étal-major, premier aide de campde M. le maréchal comte Randon

    PAR m. LE GÉNÉRAL DE DIVISION

    B.»» DE CHABAUD-LA-TOUR

    Membre du Comité des fortifications, ancien commandantsupérieur du génie i. l'armée d'Algérie

    (Extrait du Journal des Débats des 10 et 12 juillet 1859.)

    PARISTYPOGRAPHIE LE NORMANT, RUE DE SEINE, 10

    1859

  • EXAMEN DE L'OUVRAGE INTITULÉ

    LE GOUVERNEMENT DE L'ALGÉRIE

    de 1852 a 1858

    La Revue européenne a publié dans seslivraisons des 15 avril,

    1" et 15 mai 1859,trois articles du plus vif intérêt sur legouvernement de l'Algérie de 1852 à 1858,dictés par une haute expérience militaire etpolitique à l'un des officiers supérieurs lesplus distingués de ce corps d état-majordans lequel les notabilités abondent. Ainsique le dit le colonel Ribourt. au début de ceremarquable travail, lorsque la France, il ya vingt-huit ans, alla planter énergiquementson drapeau sur la côte d'Afrique, au plushaut des remparts de ce château de l'Empereur, dont le nom même rappelait le désastre deCharles-Quint, sa victoire, acclaméepar l'Europe entière, fut celle de la civilisa-lion contre la barbarie, du droit contre lapiraterie et la violence.De nouvelles perspectives s'ouvrirent

    ainsi devant la France étouffant dans les limites où 1815 l'a enfermée, etelleacom-

  • mencé à fonder sur la côte africaine un empire qui lui permettra de renoncer à ses ambitions européennes , par les espérancesqu'il lui donne d'un accroissement légitimede puissance dont nul n'aura le droit de seplaindre ni de s'alarmer.En effet, ainsi que le rappelle en quelques

    lignes nerveuses le colonel Ribourt, le rôlede la côte septentrionale du continent africain a étégranddans l'histoire dumonde.

    « C'est là que s'éleva Carthage: avec les Numides, dont nos chasseurs d'Afrique ontdomptéles héritiers, Annibal gagna toutes sesvictoires;avec eux Scipion le vainquit à Zama. Provincede la république romaine, l'Afrique nourritl'Italie et Rome. Quand l'empire romain croulait sous le poids de ses vices, Genséric, de lacôte d'Afrique, domina pendant vingt ans laMéditerranée, et Bélisaire partit de l'Afriquereconquise pour faire reeuler en Italie l'invasion germaine. C'est dans cette grande oasisafricaine que les Arabes venus de leur déserttrouvèrent la force de soumettre l'Espagne etde s'élancer par delà les Pyrénées. Le khalifatde Cordoue dura pendant huit siècles. Pendantce temps, des villes puissantes s'élevaient aunord de la Méditerranée depuis Tanger jusqu'àTripoli ; la Sicile, les Baléares, l'Italie méridionale , même une partie de notre Provenceétaient occupées. La Méditerranée occidentaledevenait un lac africain.

    » Cette grandeur de la domination arabe futaussi fragile que brillante, et la terre sur laquelle elle avait projeté un éclair de civilisation retourna à la barbarie. Au seizième siècle,les Turcs y parurent pour y camper, non pour

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    y fonder un empire. Telle était cependant lapuissance des lieux, que ces garnisons d'aventuriers constituèrent des Etats assez forts pourbraver Charles-Quint, Louis XIV et l'Angleterre,pour humilier durant trois cents ans la cbré-tienté et rançonner son commerce.

    » Voilà ce qu'a été le nord de l'Afrique ,présage certain de ce qu'il peut être un jour,non plus pour une dominationmenaçante,maispour la grandeur et la prospérité de la France.L'Algérie ne se trouve maintenant, grâce à lavapeur, qu'à trente-six heures de nos côtes pourune escadre; et, grâce à l'électricité , elle estsous la main du gouvernement métropolitain.Cette France africaine semblemêmeune continuation de l'autre. Alger est sous le méridiende Paris, La Calle sous celui de Strasbourg,Nemours sous celui de Rennes. La portion delaMéditerranée qui s'étend delà Corse et delàSardaigne à l'Espagne est donc enfermée, parle nord et par le sud, entre des terres françaises, et Alger double la force de Toulon. L'ancienne Régence a été déjà et est encore pournotre armée une excellente école; pour les cultivateurs de nos campagnes, un immense etfructueux domaine qui les attend ; pour notrecommerce, pour les esprits ardens, un vastethéâtre d'activité féconde ; pour la France enfin, une occasion nouvelle d'accomplir la mission, qu'elle semble tenir de Dieu, de conquérir pour civiliser, quand tant d'autres n'ontconquis que pour opprimer.

    » Aussi toutes les fois qu'une mesure importante est prise relativement à ce pays sur lequel reposent tant d'espérances, la France yregarde attentivement. »

    Qui ne se rappelle en effet les mémora-

  • blés luttes dont a si souvent retenti la Chambre des Députés sur cette grande questionde l'Algérie, luttes dans lesquelles toutes lescontradictions se sont fait jour, où les chimères de l'occupation restreinte ont été préconisées, mais où les destinées de l'Algérieont été si éloquemment prophétisées, et quiont abouti à faire donner cent mille hommeset 100millions par an au maréchal Bugeaudpour achever cette glorieuse conquête?

    Naguère le gouvernement général de l'Algérie a été brisé ; Alger la guerrière, dont lenom exerce un si puissant prestige que sa

    conquête en 1830 a rendu la France souveraine de droit de toute l'ancienne régenced'Alger, tant aux yeux des indigènes habitantcette grande centrée et des princes deMarocet de Tunis, qu'à ceux des puissances européennes; Alger dont le siège ne pourraitêtre entrepris désormais, grâce à l'enceintebastionnée dont nous l'avons enveloppée,que par une armée de 60,000 hommespourvue d'un parc d'artillerie considérable ;Alger dont le port, qui nous a coûté 25 millions, peut recevoir à ce jour cinquantebâtimens de guerre et plus de deux centsbâtimens de commerce , et dans lequelva bientôt être organisé un arsenal oùnos vaisseaux pourront réparer leurs avaries de combat pour s'élancer de nouveaucontre l'ennemi ; Alger, capitale politique,

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    militaire et maritime de l'Algérie, dont laconservation nous garantirait, même dansune guerre gigantesque, celle de notre colonie tout entière, Alger redescend au rangd'un simple chef-lieu de province.Le gouverneur général, cette personnifi

    cation imposante des pouvoirs civils etmilitaires de la métropole, dont l'action personnelle était si puissante sur les chefs indigènes, dont la grande position semblait sibien faite pour un de nos maréchaux, pour-

    un de nos princes, le gouverneur généraln'est plus la clef de voûte de l'organisationadministrative de notre colonie.Un ministère spécial a été crée pour l'Al

    gérie, transportant le centre du gouvernement d'Alger à Paris; et, comme le dit lecolonel Ribourt, sans rien préjuger touchant les résultats de l'expérience tentéeen ce moment, il paraît juste et nécessairede bien marquer le point auquel les gouverneurs généraux avaient amené la colonie, pour qu'il soit possible de juger plustard des progrès que l'administration nouvelle aura obtenus, et d'établir entre lesdeux systèmes une comparaison dont le paysprofitera. Tel a été le but du travail sur lequel nous croyons devoir appeler l'atten-

    lion, et dont nous recommandons la lectureet la méditation à toutes les personnes préoccupées de l'avenir et du développement

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    de la puissance française sur les bords de laMéditerranée.Le colonel Ribourt divise en quatre pé

    riodes les vingt-huit années depuis lesquellesl'Algérie nous appartient. La première période est celle de 1850 à 1841 pendant laquelle neuf commandans en chef ou gouver

    neurs généraux s'y succèdent; l'armée estadmirable de dévouement et d'ardeur; leschefs, avec de petites ressources, accomplissent de grandes choses, comme la prise deConslantine. < On parle d'occupation res-» treinte, et l'on semble croire qu'il suffit de•> tenir l'Algérie par le bord. »La seconde période s'étend de 1841 à

    1847. Le juste sentiment des devoirs imposés à la France par son honneur et ses intérêts triomphe enfin. Le maréchal Bugeaudest envoyé en Algérie avec mission de laconquérir et de la coloniser, et l'illustre

    maréchal, justifiant sa noble devise : « Enseet aralro », écrase la grande insurrectionsuscitée par Abd-el-Kader, remporte sur leMaroc la victoire dTsly, entr'ouvre lesud,entame la Grande Kabylie, en même tempsqu'il trace des routes et fonde des villages.La troisième période, de 1847 à 1852,

    s'ouvre par le gouvernement du duc d'Au-male. Ce jeune prince, depuis la campagnede 1840 qu'il avait faite auprès de son frèrele duc d'Orléans, sous les ordres du mare-

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    chai Valée , n'avait pour ainsi dire plusquitté l'Algérie; commandant la subdivisionde Médéah , il avait porté le coup le plus décisif à la puissance d'Abd-el-Kader en s'ein-

    parant, par une marche audacieuse, de sasmalah aux plaines de Taguin; et il avaitachevé d'acquérir une haute expérience ducommandement et des affaires de l'Algérie à la tète de la division de Conslan-tine. Il apporta à l'Algérie l'ordonnancedu 1er septembre 1847 qui reconstituaitles services administratifs de l'Algérie ,et qui mérite d'être signalée , quoiqu'ellen'ait pas eu une longue existence légale,parce qu'elle montrait une vive sollici

    tude pour tous les intérêts de la colonie,et qu'elle a été suivie, sinon dans sa lettre, dumoins dans son esprit, par tous les successeurs du Prince-gouverneur. Arrive ensuitela catastrophe de février; sept généraux enquatorze mois se succèdent dans le palaisdu Gouvernement. Quelques coups vigoureux, comme celui de la prise de Zaatcha, àlaquelle le maréchal Canrobert, alors colonel, prit une part si brillante, sont frappéspour maintenir le prestige de nos armes.La quatrième période, de 1852 à 1857,

    est remplie tout entière par un seul com

    mandement, celui du maréchal Randon.*■ Ainsi les deux commandemens des maréchaux Bugeaud etRandon, de durée égale,

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    comprennent la moitié du temps de la domination française en Algérie , et il suffit deles étudier pour connaître ee que l'autoritémilitaire a fait en Algérie, juger son esprit,ses méthodes et les services qu'elle a rendus. La période du commandement du maréchal Bugeaud est déjà ancienne et futpresque exclusivement militaire par la nécessité même de la lutte; celle du commandement du maréchal Randon était hier encore debout et active; la conquête de l'Algérie est achevée par lui dans le sud et dansla Kabylie ; mais il est fait à la colonisationune part égale à celle de la conquête; lacolonie se développe au sein de la sécuritéla plus profonde, avec ses préfets, ses maires, ses tribunaux, sa télégraphie électriqueet bientôt ses chemins de fer, et c'est làqu'on appréciera ce que peut le système desgouvernemens généraux entre des mainsfermes, habiles, dévouées et vigilantes. ysLe maréchal Randon, alors général de

    division, fut appelé, le 11 décembre 1851,au gouvernement de l'Algérie ; dix années decommandement à Oran et à Bone, les fonctions de directeur des affaires de l'Algérie,et enfin celles de ministre de la guerre luiavaient donné une connaissance approfondie et une haute expérience de l'ensemblecomme des détails des affaires algériennes.Disons d'abord quelle fut la part de la

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    guerre el de l'achèvement de la conquêtependant les sept années de son gouvernement.

    Les préoccupations inspirées par l'état del'Europe étaient des plus graves.En peu de temps il est pourvu à la dé

    fense des côtes par la création de nombreuses batteries sur les points accessiblesdu littoral. Les corps permanens de l'arméed'Afrique, tradition vivante de la pratiquede la guerre, sont augmentés dans de fortesproportions; au lieu d'un seul régiment dezouaves, trois sont créés, à 4,000 hommeschacun ; trois bataillons de tirailleurs indigènes sont constitués; les smalah de spahissont organisées.

    Mais des intrigues menaçantes pour notredomination s'ourdissaient dans les profondeurs du Sud. L'Algérie est divisée géométriquement en deux zones naturelles. De laMéditerranée à l'Atlas, c'est le Tell ou lepays du blé et des rivières; de l'Atlas nugrand désert, c'est le Sahara algérien ou lepays des dattes et des troupeaux. Cette seconde région, double de la première en superficie, est incessamment parcourue pardes tribus à la recherche de pâturages pourleur bétail. Les oasis qu'on y rencontredans les lieux arrosés ont des habiians sédentaires dont les demeures et les palmierssont enfermés dans des enceintes qui ser-

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    vent aux nomades d'entrepôt et de placesd'échanges.C'était au milieu de ces populations, sur

    lesquelles nous n'avions d'autre action queles relations que leur crée avec le Tell lanécessité de s'y approvisionner de grains,que Mohamed-ben- Abdallah, notre kha-lifat de Tlemcen avant 1845, après avoirfait le voyage de la Mecque et s'y êtreinspiré des conseils fanatiques d'un hommecélèbre en Orient, El-Snoussi, un des chefsdes Khouan , associations religieuses secrètes, leva contre nous l'étendard de laguerre sainte, et s'avança audacieusement

    de l'oasis d'Ouarghla jusqu'à Laghouat.Le général Randon dirigea contre l'agita

    teur deux colonnes : l'une de la provinced'Oran, l'autre de la province d'Alger, qui,sous les ordres du général Pélissier, investirent Laghouat. Sous l'impulsion énergiquedu chef qui les commandait, elles ouvrirentà coups de canon Feneeinte de Laghouat ,s'y précipitèrent par la brèche, les zouavesen tète, et noyèrent dans le sang des révoltés cette redoutable insurrection. Le général Bouscaren et le commandant Morand yfurentglorieusement tués ; Ben-Abdallah s'échappa par miracle.

    Les indigènes comprirent bien que la résistance du Sud avait été vaincue dans Laghouat ; car ils disaient : « Les Français ont

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    conquis dans le Sahara un second Alger. »Mais le péril pouvait renaître; convenait-ilde continuer un système qui n'avait pu leconjurer, et d'administrer encore par deschefs indigènes ; en restant nous-mêmesétrangers au pays? Le gouverneur généralne le pensa pas, et il proposa et obtint l'occupation permanente de Laghouat. Des casernes, des hôpitaux, les forts Bouscaren etMorand élevés là où tombèrent en combattant ces braves officiers, firent de celte villela forteresse du désert. Le fort de Géryville,construit à la limite du Tell oranais, compléta la ligne de nos postes avancés, tracéepar Bouçaada et Biskara dans la province deConstanline.De ces places bien approvisionnées et

    munies chacune d'un équipage de cha

    meaux, nos colonnes peuvent dominer complètement le Sud, « ce pays de la soif. » LeM'zab se soumit ; en 1853,1e colonel Dur-

    rieu, accompagné de Si-Hamza, notre kha-

    lifat, le représentant de l'une des pluspuis-santesfamillesreligieusesdusuddelaprovince

    d'Oran, alla arborer le drapeau de la Francesur les minarets de l'oasis d'Ouarghla , àprès de 200 lieues de la Méditerranée, etl'année suivante, après le brillant combatde Meggarin , qui coûta à l'ennemi 500

    morts, 1,000 fusils et cinq drapeaux, Tug-gurth ouvrait ses portes à la colonne com-

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    mandée par le général Desvaux, et restaitoccupé, comme Laghouat, par les troupesde la France.En même temps que s'accomplissait la

    conquête du Sud, de hardies opérations faisaient respecter nos frontières.En 1853, lemaréchal Randon, à la tètedes

    divisions Mac-Mahon et Bosquet, domptaitdans les Babor la Kabylie orientale, débloquait Djigelly et l'unissait à Constantine parune route, ouverte en quelques jours par lesdeux divisions réunies, au travers de cesrudes montagnes. En 1854, le gouverneurgénéral pénétrait, à la tête des divisionsMac-Mahon et Camou, dans la grande Kabylie pour y combattre encore un agitateur,Bou-Bagbla, qui soulevait les tribus en exploitant le départ des vieux régimens africains pour l'armée de Crimée, dont « ils furent la trempe », suivant l'expression énergique du maréchal Canrobert. Les tribusentre la rive droite du Sebaou et la merétaient conquises en quelques jours de combats , et le maréchal Bandon s'emparaitensuite , par une marche audacieuse, dusebt des Beni-Yaya, le point culminantet la clef de cette grande citadelle de la Kabylie d uDjurjura , dont l'aspectgigantesque etmagnifique éclatait pour la première fois auxyeux de nos soldats à la fois ravis et étonnés. Ce chaos de montagnes et de préci-

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    pices, qui rappelait la Suisse vue du haut duRighi, ces villages sans nombre couronnantcomme d'énormes carapaces de tortues lesarêtes des contreforts qui rayonnaient sousnos pieds, apprenaient à l'armée, avec lagrandeur du résultat qu'elle avait obtenu ens'emparant du point qui les dominait, cellede la tâche qui lui restait à accomplir. Dixjours de eombats sanglans sur ces crêtesardues firent taire toute résistance autourdu Sebt; mais juillet arrivait; les chaleursétaient accablantes pour l'armée efforçaientà interrompre les opérations; et le journ'était pas encore venu où la grande Kaby-

    lie tout entière devait se soumettre à nosarmes.

    Pendant plus de deux années, à partir dece moment, le maréchal Randon prépara labelle campagne de 1857, qui devait atteindre ce grand résultat. Une partie de l'arméeéchelonnée entre Tisser et Dellys, Dra-el-Mizan et Tiziouzou, travailla sans relâche àrelier entre elles et avec Alger ces trois

    bases de nos futures opérations. Les postesde Tiziouzou et de Dra-el-Mizan reçurent degrands développemens et furent entourésd'enceintes imprenables pour les Kabyles ;des casernes, des baraquemens, des manutentions y furent installés ; de grands

    appro-

    visionnemens de vivres, de médicamens, demunitions de guerre, d'outils et dematériel

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    du génie y furent réunis au commencementdu printemps de 1857 ; des milliers de mulets arabes, amenés de tous les cereles de laprovince, s'y rassemblèrent pour assurer lesravitaillemens de l'armée, et le 24 mai, lemaréchal Randon, à la tète des trois divisions Mac-Mahon, Renault et Jusuf, faisaitdonner l'assaut à cesmontagnes redoutablesdont les habitans nous opposaient plus de30,000 fusils. La division Maissiat venue deSétif ; une colonne venue d'Aumale sous lesordres du colonel d'Argent ; une autre colonne partie de Dra-el-Mizan et dirigée parle colonel Drouhot, qui vient de mourirglorieusement à la bataille deMagenta, at-taquaiept à l'est, au sud et à l'ouest, nos ennemis que nous enfermions ainsi dans uncercle de feux. Deux mois de combats acharnés amenaient tous les chefs de ces belliqueuses tribus, que les Romains, au tempsde leur plus grande puissance, n'avaient jamais pu soumettre, à demander l'aman aucommandant en chef de l'armée française,qui, tout en combattant, avait exécuté endix-sept jours 26 kilomètres d'une routecomme celle du Simplon, à travers les précipices des montagnes les plus abruptes, etconstruit l'enceinte du fort Napoléon quidoit assurer notre domination sur cetteconfédération du Djurjura jusqu'alors indomptée.

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    Pendant que se déroulait la série brillantede ces événemcns militaires auxquels pouvaient seuls présider le bâton de commandement et l'énergie d'un des premiers chefsde notre armée, le gouverneur général necessait pas d'appliquer sa haute et incessantesollicitude aux intérêts civils, pour le développement seul desquels l'épée devait être tenue hors du fourreau, jusqu'à ce que lasécurité, cette première condition fle toutecolonisation, eût été définitivement assurée.Examinons donc maintenant, avec lenel Ribourt pour guide, l'œuvre du gouverneur général, tant dans l'administration dupays arabe que dans celle du territoire civil, et voyons d'abord ce qui a été accomplidans le gouvernement des indigènes.

    « Il ne fallait pas oublier qu'ils sont vingtfois plus nombreux que nous ; que ce sont destêtes ardentes, facilement Inflammables , qu'aumilieu d'eux, parmi les Arabes, existe une aristocratie puissante qui réunit souvent la tripleinfluence de la richesse, de la religion et d'uneautorité séculaire; tandis qu'au sein des tribuskabyles, dans quelques confédérations du sud,comme chez les Bem-M'zab, la démocratie a atteint ses extrêmes limites. »

    « Etre juste, ferme et modéré », voilà laseule uniformité d'action dont il fallait faireusage vis-à-vis d'élémens si divers, pourobtenir l'amélioration morale et matérielle

    des indigènes, pour les élever à notre civili-

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    salion, noble but que nous n'avons cessé depoursuivre et qui sera le sceau de la légitimitémis aux yeux du monde entier sur notreconquête.

    Le gouverneur général sut agir sur l'espritde populations que leursmœurs, leur langueet leur religion séparent si profondémentde nous, non seulement par le spectacle denotre civilisation et le déploiement de notrepuissance, mais aussi par trois moyens directs : la religion, la justice et l'instructionpublique.

    « Tous les indigènes surent que nous respections leur culte et leurs croyances; qu'ils pouvaient compter sur notre assistance pour réparer ou construire leurs monumens religieux;qu'enfin, dans les grandes solennités, nous demandions à leurs prêtres d'offrir des prières àDieu pour notre Empereur et des actions degrâces pour nos victoires qui maintenaient enOrient le trône des Osmanlis. »

    Ils surent aussi que nous voulions pourtous une justice intègre. L'organisation destribunaux musulmans avait été maintenueaprès la conquête ; l'ordonnance du 28 février 1841, pour donner de plus grandesgaranties aux justiciables, avait soumis àl'appel, par-devant la Cour royale d'Algerles jugemens des tribunaux indigènes. —Un projet de décret qui réalisait toutes les réformes dont l'expérience avait fait reconnaître la nécessité fut proposé par le mare-

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    chai Randon et accepté le 1er octobre 1854.Lesmdersas ou écoles supérieures arabes,

    ouvertes en 1850 à Blidah, Tlemcen, Cons-tantine, reçurent des encouragemens. Lesécoles arabes françaises, créées en 1850,étaient au nombre de douze en 1858, enpleine prospérité et comptant neuf cents-

    élèves.Trois institutions nouvelles furent créées

    par le maréchal Randon : l'Ecole desMousses, le Collège arabe et l'Ecole de Médecine.Le maréchal Randon, habilement secondépar le contre-amiral de Chabannes, commandant supérieur de la marine en Algérie,créa pour les jeunes Arabes une école demousses à bord du stationnaire d'Alger. En

    1856, soixante élèves indigènes y étaientinstallés ; un brick-école fut mis à leur disposition pour les exercices de la manœuvreet le maniement des voiles. Dès la fin del'année suivante, le service des ports putêtre fait presque partout par de jeunesmarins indigènes sortis de l'école desmousses ou provenant d'engagemens volontaires. « Ainsi revivra à notre profit età celui de la civilisation cette marine algé

    rienne, qui durant trois siècles avait étél'épouvante et l'opprobre de la Méditerranée. »

    L'institution du collège arabe va plushaut et plus loin. « Ce n'est plus seulement

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    un coin de notre civilisation qui estmontréaux indigènes ; ce sont notre langue , notrehistoire, nos sciences qu'on leur enseigne,tout en respectant leur foi rehgieuse ; c'estl'habitude du travail qu'on leur donne. » —

    C'était chose difficile que de persuader à desmusulmans de remettre à des chrétiens l'éducation de leurs enfans. Le maréchalRandon y parvint, grâce à la confiance, à l'affection respectueuse que les chefs indigènes(avaient pour lui; et dès le printemps de1858 le nombre des élèves indigènes s'élevait à 55.Des élèves européens sont admis aussi à

    suivre les cours du collège arabe en qualité d'externes; il s'établit ainsi entre lesenfans des points de contact qui servirontà hâter le jour de l'union des deux populations.Une école de médecine enfin a été créée

    à Alger, où les jeunes Arabes qui ont apprisle français sont admis à acquérir les notionspremières de chirurgie, demédecine et d'artvétérinaire, qui, sans faire d'eux des sa-

    vans, en feront des hommes utiles et capables, après avoir suivi la clinique de noshôpitaux algériens, d'aller plus tard pratiquer au sein des tribus, avec les conseils desofficiers de santé de nos régimens. Un seulmot suffira pour faire comprendre àquelpoint les indigènes sauront apprécier ce

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    nouveau bienfait; trois mille consultationsont été données en une année par le chef du

    /service médical de Fort-Napoléon.Voilà les vues élevées de propagande mo-

    > raie qui guidaient ces hommes d'épée, sisouvent accusés de ne connaître et de n'ai-

    J_mer que la force. Suivons-les dans des travaux d'un autre ordre, et l'on verra avecquelle sollicitude ils s'efforçaient de donnerle bien-être aux Arabes en échange de leursauvage et stérile liberté qui depuis dessiècles mettait partout au milieu d'eux de lamisère et du sang.L'état de guerre et d'anarchie où avaient

    toujours vécu les indigènes entretenait laviolence des mœurs, les haines des familles,les vengeances héréditaires. Non seulementles tribus, mais les oasis, les villes, les villages mêmes des Kabyles étaient divisés enpartis recourant sans cesse aux armes pour

    vider les plus petites querelles. Les voies decommunication étaient infestées de maraudeurs et d'assassins qui répandaient la terreur parmi les colons et parmi les indigènes. La paix a été assurée entre les tribus,entre les divers partis ; une vigoureuse impulsion a été donnée par les bureaux arabes à la police du pays; les tribus ont étérendues responsables des méfaits de leursmembres. La sécurité des personnes et des

    propriétés, celle des marchés et destrans-

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    actions, ont été assurées par une énergiqueprotection.

    L'honneur de l'armée d'Afrique et de seschefs est peut-être moins encore dans lessuccès de la guerre que dans les labeurs dela paix. Depuis les légions romaines, qui maniaient la pioche aussi bien que l'épée, nullearmée au monde n'a accompli autant detravaux ni tant fait pour livrer un grandpays à la culture et à la civilisation. Quandnos soldats ne combattent pas, ils travaillent, et chaque année, durant sept mois,50 ou 60,000 hommes étaient échelonnés autravers de tout le territoire pour ouvrir lesroutes, dessécher les marais, abaisser lesmontagnes, faire des ponts, des barrages,bâtir dans les tribus des maisons de commandement, sur les chemins des caravansérails, et créer dans le désert des oasis nouvelles.

    « C'étaient alors nos officiers du génie quiles guidaient, placés eux-mêmes sous l'habiledirection du général de Chabaud La'Tour. Sa-vans modestes, soldats infatigables, vrais pionniers de la civilisation, ils faisaient oublier, àforce de dévouement, leur petit nombre, ou,grâce à leur bon esprit de confraternité, se recrutaient parmi les officiers d'artillerie de précieux auxiliaires (1).

    (1) Le jugement porté dans ces quelques lignes par lemaréchal Randon, sur les officiers du génie, a trop deprix pour eux, polir que nous n'ayons pas cru devoir in-

  • Près de 6,000 kilomètres de routes ontété ouverts dans les six dernières années enpays arabes; et combien de ponts, d'aqueducs; combien de maisons de commande-mens, de caravansérails, de puits, de fontaines, de moulins , ont-ils été créés ?j Et qu'on n'oublie pas qu'en Afrique un

    grand chemin c'est la paix pour le pays qu'iltraverse; l'ordre et le bien-être y passent d'abord ; la civilisation vient ensuite. »

    Dans le sud les puits artésiens ont produitune véritable révolution matérielle et mo

    rale. Lorsqu'au commencement de ce siècleon parla en France des puits artésiens, onne se doutait guère que cette précieuse invention était de temps immémorial pratiquée par des peuplades perdues du Sahara.Elles mettaient des années à les creuser avecde grandes dépenses et de grands périls. Cespuits mal établis , avec un tubage grossier,se comblaient souvent. Quand un puits se

    ferme, un centre de population s'éteint. En1855 un ingénieur, demandé à la maisonDegousée, M. Laurent, fut attaché à nos expéditions. On reconnut tous les indicesd'une nappe d'eau souterraine descendantde l'Atlas vers Biskra jusqu'à l'oued Rir. Lemaréchal Randon donna l'ordre aussitôt d'ytenter des forages.

    sérer celte citation dans notre compte rendu, quoique

    nous ayons l'honneur d'y être personnellement nommé.

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    « Le général Desvaux commandant la subdivision de Bathna, prépara tout avec son intelligente activité. Le 9 juin, à Tamerna, aprèstrente-neuf jours et trente-neuf nuits d'un travail continu, on atteignit à une profondeur de60 mètres la nappe artésienne ; l'eau jaillit à la.surface en une gerbe immense; le puits deTamerna donna 4,500 litres par minute, 6,800mètres cubes par jour. Les habitans accourusà ce spectacle se roulaient de joie dans ceseaux vierges et bienfaisantes et bénissaient lamain qui les leur avait données. En quelquesjours toutes les tribus du Sahara connurent lesmerveilles de Tamerna ; elles comprirent notrepuissance sur la nature même, ainsi que lesbienfaits de notre civilisation. Elles nommèrent le nouveau puits Ain el Afla (la source dela paix).s a Sidt-Rached, où les palmiers n'avaient

    pu être arrosés depuis quatre ans, la sonde fitjaillir 4,000 litres d'eau à la minute (la fontaine de la prospérité); à ElKsour, 3,500 litresjaillissant à 1 mètre et demi au-dessus du sol;à Sidl-Sliman, 4,000 litres par minute (la fontaine de la vie); à Bram, 2,000 litres. « Nousmourons, disaient les habitans dont le puits

    » s'était comblé ; venez nous sauver. » Et onles sauvait.

    » De grandes fêtes célébraient chaque suceèsnouveau. On accourait de toutes parts pourvoir le miracle. Les coups de fusil de la fantasia joyeuse se mêlaient aux chants religieuxdes vieillards et des femmes qui rendaientgrâce à la fois à Dieu et aux Français. ATemacin, le chef Si-Mamar, après avoir témoigné sa gratitude à nos foreurs, se tournavers les Arabes et leur dit : « Jadis l'arrivéedes Français dans l'Oued-Rir vous elïraya;aujourd'hui vos craintes sont changées en cris

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    de reconnaissance; car ils vous ont donnédeux choses que vous ne connaissiez plus, lapaix et la prospérité. »

    » Et ainsi allaient nos braves soldats, aussilîers de leurs fatigues pacifiques que de leurstravaux guerriers, portant la vie là où la naturemettait la mort, environnés des bénédictionsde ces populations, qu'ils conquéraient uneseconde fois par la reconnaissance. »

    « D'autres peuples de nos jours ont aussifait des conquêtes. Où est celui qui a autantdonné aux vaincus et dont la chute serait unmalheur pour la nation qu'il laisserait libre ? »

    Le gouverneur général , en créant cesterres nouvelles, sut enseigner aux indigènesà en tirer meilleur parti. Il multiplia les

    avis, les conseils, les ordres pour secouerleur apathique lorpeur, pour améliorer lesanciennes cultures, en introduire de nou-

    f velles, comme le tabac, le coton, les plantestinctoriales et oléagineuses.Le nombre des bêtes ovines pourra être

    porté en Algérie à 50 millions et plus sansque les troupeaux sortent des terrains delibre parcours. Le maréchal Randon fit for-

    |~iner à Laghouat un troupeau composé d'é-lémens choisis avec le plus grand soin dans

    les quinze cents troupeaux qui rayonnentautour de cette oasis; on le divisa ensuiteen deux parts : l'une resta dans l'oasis

    pour procéder à l'amélioration de la race

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    par elle-même; l'autre, pour les croi-semens avec la race mérine, fut établi à El-

    Bérin, près deMédéah. On recommanda lesmêmes soins aux chefs indigènes, en leurpromettant de donner des géniteurs d'élite àceux qui semontreraient dignes de les recevoir. Une autre mesure, bien simple enapparence, a produit aussi des résultats considérables; l'usage barbare de la tonte à lafaucille a été remplacé par la tonte avec noscisailles. Grâce à toutes ces innovations, laproduction de la laine s'accroît en qualitéet en quantité, et l'exportation annuelle deslaines ne tardera pas à s'élever à 15 ou 20 millions de kilogrammes.Le maréchal, se regardant comme le tu

    teur d'un peuple enfant, s'arma près de luide la leçon douloureuse de 1856, annéependant laquelle 100,000 bœufs , plus de3millions de moutons, de 1 million 200,000chèvres, de 25,000 chameaux avaient périfaute d'abris ou de nourriture, ce qui représentait une valeur de plus de 70 millions defrancs, pour contraindre toutes les tribus àavoir des abris où les troupeaux se réfugieraient pendant les pluies, et des appro-visionnemens de fourrages.Le gouverneur général, ancien colonel

    du 2° régiment des chasseurs d'Afrique ,donna tous ses soins aussi à relever la racedes chevaux africains, réduite de nombre

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    et de qualité par vingt -cinq années deguerre. Un colonel directeur inspectant"sans cesse tout le territoire, un commandant pour le double dépôt de remonte etd'étalons dans chaque province, enfin desofficiers acheteurs agissant directement auprès des tribus , telle fut l'économie dusystème adopté, à l'aide duquel l'administration supérieure connut toutes lesressources chevalines, du pays et put fairearriver partout ses conseils et ses récom

    penses. Plus de douze mille concurrens indigènes se sont disputé en 1856 les primesinstituées. Outre les étalons de l'Etat, chaque tribu doit avoir ses étalons primés etsoumis aux inspections. Le chiffre des saillies des étalons reconnus, qui n'était guèreque de 2,000 en 1851, s'est élevé à 26,000.en 1858. Des courses, occasions de fêtes etde grandes réunions, où des entrées élevéespermirent d'instituer des prix d'une valeur

    considérable, couronnèrent l'édifice, et leStud-Book du pur-sang algérien, instituepar le gouverneur, a déjà reçu le nom desmeilleurs étalons et de célèbres vainqueurs.Avec les richesses des Arabes se sont ac

    crues les ressources du Trésor. Les deuxprincipaux impôts consacrés par la loi musulmane sontl'achour ou la dîme .desrécol

    tes, lezekat ou droit payé par chaque tètede bétail. Le rôle de ces impôts est préparé

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    uu sein de commissions consultatives quicomptent parmi leurs membres l'employédes finances le plus élevé de la localité, etdes notables européens et indigènes ; lesélémens qui servent à la formation des rôlessont les états statistiques établis par lessoins du commandement sur les tableauxfournis par les cheiks, les caïds et les agas,avec contrôle hiérarchique, et dont les officiers des bureaux arabes vérifient l'authenticité à deux reprises, au temps des labourset à celui des moissons. Les rôles sont approuvés et rendus exécutoires par le gouverneur général. Le produit est versé directement dans les caisses du receveur descontributions par les collecteurs indigènes,sans jamais passer par les mains des agensde l'autorité militaire.En 1 851 , l'impôt arabe rendait6millions ;

    en 1857, il a donné près de 18millions. Il atriplé en six années par l'augmentation dela richesse des tribus, et aussi par les soinsapportés à toutes les parties de l'administration.

    En outre, un budget particulier constituépar 20 c. additionnels au principal de l'impôt arabe, est consacré aux travaux d'utilitépublique en pays arabe. Il est réparti par legouverneur général, ordonnancé parle service du génie et celui de l'intendance militaire, et il est la source des travaux les plus

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    féconds exécutés, comme tous les travaux del'Etat, par nos officiers du génie.

    ——On voit combien est profonde l'erreur deceux qui croient qu'en Algérie tout est livréà l'arbitraire, et qui n'ont pas craint de parler de dilapidations en faisant retomber surl'institution même des bureaux arabes laresponsabilité de crimes individuels. Parmiles prêtres, les juges et les hauts fonctionnaires de la métropole, ne s'est-il pas rencontré parfois des coupables? et qui, dansce cas, a songé à mettre en cause l'institution même, l'Eglise, la magistrature et l'administration? Il faut le répéter, les officiersdes bureaux arabes sont étrangers à toutmaniement de fonds. Le général Charon,qui avait réglé avec une précision si remar

    quable la comptabilité du service du génie,avait porté durant son gouvernement général le même esprit d'ordre dans les différentes parties de l'administration, et notamment dans celle des bureaux arabes. Denombreuses circulaires du maréchal Ban-

    don ont confirmé l'abstention des officiersde ces bureaux à toute opération de trésorerie , en réglementant et hiérarchisantleurs attributions dans tous ses détails.

    Les officiers des bureaux arabes, choisisparmi les plus méritans, souvent seuls au milieu des tribus, parcourent le pays sous un so-

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    leil torride, pour y veiller à l'ordre public, àla sûreté des chemins, ouvrant aux voyageurs

    européens, au commerce, les routes du Sud, sefaisant l'instituteur de l'Arabe, l'initiant ànotre agriculture, à toutes les ressources denotre civilisation; faisant obscurément et utilement de grandes choses, gens de cœur, d'intelligence et de dévouement qui ont été lesconquérans du Sud, et, après la guerre, lesvrais pacificateurs du pays. »

    Il ne nous reste plus qu'à récapituler lesprincipaux faits de l'administration du territoire civil sous le gouvernement généraldu maréchal Bandon. Le colonel Bibourtrappelle d'abord qu'en territoire civil il yavait partage d'autorité : les préfets, mis enrelation directe avec le ministre de la

    guerre, recevaient de lui leurs instructions,et chacun d'eux administrait son département, comme font leurs collègues deFrance,sous la haute surveillance du gouverneurgénéral, qui conservait toute son autoritépour les questions intéressant la colonietout entière./ Après la conquête , la grande question àrésoudre en Algérie est celle de la colonisation. En 1851, la population européenne enAlgérie était de 131,000 personnes, et à lafin de 1857 de 189,000; augmentation ensix années , 58,000 ou 44 pour 100. Certes»ce n'est pas assez, et il serait à souhaiter

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    qu'un puissant courant d'émigralion se dirigeât sur l'Algérie , comme celui qui portetous les ans d'Europe en Amérique 300,000colons. Mais en Algérie la terre était occupée par un peuple belliqueux qui l'a bravement défendue pendant dix-sept années , etauquel nous voulons laisser sa place au soleil ; etmaintenant elle se détend encore enexigeant du cultivateur européen, pour luilivrer des moissons, de rudes travaux préliminaires.

    Le gouvernement colonial a créé la sécurité. « Une jeune fille , disent les Arabes,peut allermaintenant d'un bout à l'autre dela régence avec une couronne d'or sur latête, et elle arrivera comme elle est partie. ■■Et en même temps ce gouvernement, enattendant le moment où les grands capitauxse décideront à s'engager dans l'exploitationalgérienne , a tout fait pour appeler lespetits capitaux et ouvrir à deux batlans lesportes de l'Algérie à la colonisation européenne.

    Des Compagnies auxquelles de grandsavantages avaient été concédés ayant échouédans la création de villages, et la colonisation individuelle étant, hors d'une certainezone, exposée à des dangers sérieux, les gouverneurs généraux responsables de la sûreté

    publique, furent amenés par la force des choses à choisir l'emplacement des centres de

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    population, tant au point de vue militaire etpolitique que par des raisons hygiéniques etagricoles.

    « Le plan suivi fut très rationnel, et on l'admirerait beaucoup s'il était de provenance anglaise ou américaine. Choisir des emplacemensoù la salubrité de l'air, le régime des eaux etla qualité des terres assurassent la prospéritédes colons; pour la sûreté réciproque desroutes et des villages, échelonner cenx-ci lelong des voies qui reliaient entre eux les pointsoccupés militairement; pour que les habitansdes villages, qui représentent la petite propriété, aient du travail, et les grands domainesdes bras en même temps que de la sécurité ;établir les grandes fermes isolées dans l'intérieur du périmètre formé par les routes et lescentres de population ; donner à chaque villagesa fontaine publique, son lavoir couvert, sonécole, son église, sa maison commune, sesrues empierrées , sa place du marché plantéed'arbres; en un mot, faire en quelques années

    ; ce que, en tout pays, la population agricole amis des siècles à exécuter, voilà ce qu'a accompli cette administration que d'ignorantesou perfides accusations ont osé taxer d'insouciance pour les intérêts civils ; et tout cela en

    ; épargnant l'argent de la France, grâce à l'em-bploi des bras de l'armée. »

    L'application de ce système commençaen 1841 . Dix ans après, lemaréchalBugeaudet ses successeurs avaient créé cent trentecentres de population et concédé 100,000hectares. Dans la période de 1852 à 1858,

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    le nombre des centres de population a étéporté à deux cents et la superficie concédéeà 200,000 hectares. L'aisance, la moralité,la santé publique se sont en même lempspartout améliorées; la population ruraleatteignit le chiffre de 70,000 âmes.Le système de la vente des terres doma

    niales aux enchères publiques, mesure excellente là où la terre a déjà acquis une valeurréelle, fut inauguré avec succès en 1855par la vente de plusieurs milliers d'hectaresdans la province d'Oran.Il fallait aussi reconnaître les terres libres

    et appropriées à la culture européenne. Unecommission dite des transactions et partagesrégularisa dans la seule plaine de la Mitidjahl'état de 50,000 hectares, dont plus du tiersrevinrent à la colonisation européenne et28,000 servirent à indemniser plus de 2,000familles indigènes qui reçurent chacune untitre de propriété incommutable. Le gouverneur général prescrivit aussi au service

    topographique un travail d'ensemble qui fitreconnaître que l'Etat pouvait rentrpr enpossession de près de 500,000 hectares parprovince; et l'on termina en même tempsles études préparatoires de l'établissementde 150 nouveaux villages.Le cantonnement des tribus, mesure qui

    devait causer beaucoup d'émotion dans lepays arabe et être exécutée avec autant de

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    prudence que de fermeté, devait être précédée de travaux topographiques et statistiquescomplets. Cette opération ne pouvait èlreque successive, et s'appliqua en premier lieuaux tribus contiguës au périmètre de la colonisation européenne. Ces principes guidèrent le maréchal Randon, qui substituaen même temps, quand il jugea la chosepossible, la propriété individuelle à la propriété collective, comme chez les Aribs deîaMitidjah,etil parvint à resserrer le champde parcours de plusieurs tribus de manièreà permettre d'introduire la colonisation européenne dans les intervalles de l'occupation arabe.Le maréchal Randon ne cessa de faire

    des efforts pour étendre les limites du territoire civil, substituer les commissaires civils,les juges de paix aux autorités militaires;constituer des administrations municipales;créer des sociétés de secours mutuels, desCaisses d'épargne ; étendre le service médical de la colonisation, l'institution des orphelinats, l'inspection des établissemens debienfaisance, des prisons. En cinq années,cinquante-trois paroisses, autant d'écoles,huit justices de paix furent créés. A la fin de1857, sur une population de 189,000 Européens, 170,000 étaient placés sous la protection de l'administration civile.Etait-ce donc là les actes d'un pouvoir

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    militaire jaloux de faire dominer son autorité à l'exclusion de toute autre, et frappéJùane impuissance administrative radicale?

    | Parlerons-nous maintenant des travauximmenses déjà exécutés dans tous nos centresdépopulation, des casernes, deshôpitaux, desmanutentions,des magasins de subsistances,qui donnent un aspect monumental à toutesnos jeunes cités, et qui suffisent au casernement et aux approvisionnemens d'une armée de plus de 60,000 hommes; rappellerons-nous le port d'Alger offrant unenappe d'eau de 94 hectares et défendu parplus de 300 bouches à feu ; le port de refuge d'Oran , le port de Cherchell , lesdébarcadères de la plupart des ports secondaires ; les routes reliant tous les chefs-

    lieux de subdivision avec ceux des divisionset desservies par des Messageries régulières ;le réseau du télégraphe électrique établi sur2,000 kilomètres de développement et donnant déjà à l'Eiat un produit qui dépasse200,000 fr. ; toutes nos villes pourvues

    d'eaux de source abondantes ; l'assainissement de la riche plaine de la Métidjah, desenvirons de Constantine, de Milianah, deDjigelli, deLaCalle, deBathna; les grandsbarrages du Sig et de la Minah?"~~~

    Aussi quel merveilleux accroissement,

    sous tous les aspects, de la richesse agricole

    du pavs ! En 1851 , l'Algérie avait acheté pour

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    15 millions de francs de blé à l'étranger ; en1855, elle en a vendu à la France seulementpour20millions de francs, après avoir, danscette année et la précédente, fourni à l'armée d'Orient plus de 30 millions de kilogrammes de blé , farine, orge, pain et biscuit.

    Enl851,il n'y avait encore que 537 planteurs de tabac , 446 hectares de cultures et300,000 kilogrammes de produit. En 1857,le nombre des planteurs s'était élevé à plusde 5,000, la surface cultivée à près de4,000 hectares , les produits à 3 millions500,000 kilogrammes achetés par la régiefrançaise, sans compter 1 million de kilogrammes achetés directement par le commerce, et tout ce qui est consommé surplace ou écoulé par les frontières de Tunisou du Maroc.Pour le coton, le progrès est plus marqué

    encore relativement à son faible point dedépart. En 1852, cette culture ne couvraitencore que 52 hectares; mais le gouverne"ment était décidé à ne reculer devant aucunsacrifice pour l'acclimater en Algérie. L'Empereur donna 100,000 fr. sur sa cassetteparticulière pour assurer durant cinq années un prix de 20,000 fr. au producteur decette précieuse denrée le plus méritant;l'administration envoya les meilleures graines d'Amérique et se chargea d'acheter les

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    récoltes, de sorte que les plus modestes exploitations purent avoir leur cotonnière;des notions claires furent répandues parmiles colons et pénétrèrent jusque dans les tribus, grâce aux soins persévérans des bureaux arabes. Des essais furent prescrits parle maréchal Randon dans les régions sahariennes. En 1856, il a été consacré à la culture du coton 2,000 hectares qui ont produit 200,000 kilogrammes de coton de qualité comparable à celle des plus belles espèces connues.

    L'huile d'olive fournit une exportation d'une valeur de près de 3 millions defrancs.Les forêts algériennes couvrent i million

    200,000 hectares. En présence de l'insuffisance du personnel forestier pour préserverdes dévastations de l'incendie et de la vainepâture ces immenses étendues, le maréchalRandon a développé, comme gouverneurgénéral, l'institution des compagnies de bûcherons militaires qu'il avait organisées dansla province de Bone dès l'année 1845, etqui a déjà rendu de grands services à l'économie forestière.La richesse métallurgique de l'Algérie est

    merveilleuse ; malgré le peu de recherchesfaites jusqu'à ce jour et l'insuffisance des capitaux engagés, il a été exporté dans la seuleannée 1857 plus de 11 millions de kilogram-

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    Tries de minerai de fer, de cuivre et de plombargentifère."

    La loi du 11 janvier 1851, qui a consacré l'assimilation commerciale entre laFrance et l'Algérie, a été une loi de salutpour la colonie. Le chiffre des exportationsalgériennes pour la France était de 6 millions 700,000 fr. en 1850; il s'est élevé à34 millions en 1857. Les échanges entrela France et l'Algérie ont nécessité, en 1857,l'emploi de 5,500 navires jaugeant près de800,000 tonneaux, ce qui équivaut à plusdu neuvième de tous nos transports, sanscompter le cabotage entre les ports de l'Algérie, qui a transporté plus de 300,000 tonnes. Qu'on se rappelle l'étonnement dumonde en face des produits algériens à l'Exposition universelle de 1855, et les 400 récompenses dont ils furent l'objet. Disonsenfin que les recettes pour le compte du Trésor, qui ne dépassaient pas 19 millions en1 851 , sont portées à 57 millions au budgetde 1859, et que l'Algérie est venue prendredès 1856, sur nos états de commerce, lecinquième rang après l'Angleterre, lesEtats.Unis, la Belgique et l'Espagne.—• L'Etat peut seul hâter le moment où tousces élémens de richesse prendront leur complet essor par la création générale de voiesde transport économiques. C'est cette pensée qui a décidé le maréchal Randon à pré.

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    parer dès l'année 1854 le plan du réseau deschemins de fer algériens. La population toutentière s'associa aux espérances que ce projet faisait naître, et ce fut un jour de fêtepopulaire que celui où le maréchal rentra àAlger en rapportant le mémorable décretdu 8 avril 1857. Il mit aussitôt la main àl'œuvre pour commencer les travaux de laligne d'Alger à Oran, avec les bras de l'armée.

    « Que le réseau décrété le 8 avril 1857 s'achève en peu d'années, et l'Algérie , devenuedans la guerre une forteresse inexpugnablepour l'ennemi du dehors, tout en étant à l'abrides soulèvemens intérieurs, bravera toutes lescomplications européennes , verra la popula-iton se développer rapidement, et sera pour lestemps de disette le grenier d'abondance de lamétropole.

    Le gouverneur général voulut aussi fairepénétrer notre commerce au travers de cetocéan de sables qui s'étend au sud de l'Algérie. Les Anglais ont déjà pris possession ducommerce africain ; leurs produits y pénètrent par cinq portes qu'ils se sont ouvertes,la Guinée, la Sénégambie, le Maroc, Tripoliet l'Egypte.Cependant par le pays des M'zabites, par

    : Ouarghla et le Souf, nous touchons à la région que traversent les caravanes de Tafiletvenues de Maroc , celles de Tombouctou qui

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    arrivent du Niger, celles enfin de Tripoli et\ de l'Egypte qui s'y rendent par MourzouckT et le Fezzan. Tous ces points de départ for

    ment comme un cercle immense au centreduquel se trouventlnsalah, R'hatetR'hamès,lieux de rencontre et de séjour des caravanes.

    « Ces déserls ont leurs habitans, et leursmaîtres, les Touaregs, qui sur leurs rapidesméharis courent de Tombouctou à Laghouat,et du Touat au Fezzan ; avec leur protectionpayée par une prime d'assurance, le désert devient une grande route praticable. Le maréchalRandon a su nouer des relations avec eux, et àla fin de 1855 Si-Hamza, notre khalifat, vint àOuarghla â la rencontre de quatre chefs touaregs, qui le 10 janvier 1856 entraient à Algerau milieu d'une foule immense attirée par cecurieux spectacle. Jamais Touareg n'était venujusque-là; on n'avait jamais vu sur les bordsde la Méditerranée leur accoutrement bizarreet belliqueux : ce double voile qui leur cachele visage, et sans lequel ce serait pour eux undéshonneur de paraître en public; les deuxrobes blanehe et bleue et le cafetan de drap quidescend jusqu'aux pieds, le pantalon flottantserré autour des reins par une ceinture et au-dessus de la cheville par une bordure éclatante,des sandales de cuir ornées de gracieux dessins; un grand poignard attache le long dubras gauche, un sabre à deux tranchans, unelance en fer, un bouclier de peau d'éléphant.Ces hommes venaient s'assurer par leurs yeuxde toutes les merveilles qui sont contées audésert sur notre puissance. Ils furent reçus parle gouverneur, s'entretinrent longuement avec

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    lui, et partirent en promettant d'escorter lescaravanes algériennes qui traverseraient leurpays.

    » Le maréchal Randon ne laissa pas se perdre cette bonne volonté. Avant la fin de l'année, une caravane était organisée sur R'hamès.La direction en fut confiée au capitaine Bon-

    nemain, qui partit du Souf le 26 novembre avec15 souasas, 26 chameaux portant des marchandises et 6 méharis servant demonture. Pendantcinquante-cinq lieues, il trouva de l'eau et despâturages en abondance ;mais durant onze joursdemarche à travers quatre-vingts lieues de pays,il ne vil plus que le désert dans son affreusearidité. EnfinparutR'hamès avec ses vingt mi liepalmiers et son enceinte élevée de plus 3 mètres, qui renferme 7 à 8,C00 habitans. Le capitaine Bonnemain resta six jours dans cetteville à en étudier les ressources, le commerceet les relations avec Tripoli et le Soudan. Le7 janvier 1857, il rentrait dans le Souf, ayanttracé au commerce de l'Algérie une route sanspérils et au bout de laquelle sont des profitscertains. »

    Ce succès encouragea le gouverneur général à une entreprise plus difficile : ouvrirla route la plus directe d'Alger au Soudanpar R'hat. Il avait déjà envoyé à plusieursreprises des Sahariens à lnsalah et même à

    Tombouctou, et une première caravane deLaghouat était allée à R'hat. Une secondefut organisée, cette fois avec un fonction

    naire de l'armée pour chef, l'interprète Bou-

    Derba, musulman de savoir et d'intelligenceélevé en France. Celte fois le voyage était

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    long : 550 lieues. — Bou-Derba , parti deLaghouat le 1" août 1858 avec vingt-cinq

    .chameaux chargés de vivres et d'eau, atteignit R'hat sans difficulté, sinon sans fatigue,et il rentrait à Laghouat le 1er décembre1858 avec la conviction que nous pouvionsfaire dans ces régions un commerce fructueux.

    1 Tel est le tableau que le colonel Ribourtdéroule dans les pages d'un si grand intérêtdont nous avons essayé de faire passer lasubstance sous les yenx de nos lecteurs.

    « Où sont les prophètes de malheur ! s'écrie-t-il éloquemment à la dernière page de sonœuvre si remarquable,qui, il y a quinze annéesencore, disaient qu'on ne ferait rien de l'Algérie, qu'il fallait au plus vite en sortir 1 Une valeur énorme n'a-t-elle pas été ajoutée au capitalnational par les conquêtes et les travaux denos soldats, par ces routes, ces ports, ces constructions de toute sorte, et ces millions d'hectares et. de forêts dont s'est accru le domainepublic de la France? Les levenus publics del'Algérie, qui s'élèvent aujourd'hui à près de40 millions, représentent déjà à eux seuls uncapital de 800 millions, et cependant l'impôtfoncier n'exister pas encore pour les colonseuropéens.

    » En vingt-sept ans la France a vendu àl'Algérie pour 1 milliard 43 millions de marchandises d'origine et de fabrique françaises,qui lui ont été payés par 248 millions de produits algériens, et le reste en espèces. L'argentqu'elle dépense dans la colonie pour l'occupa-

  • tion n.ilitaire lui revient donc de deux manières, et nous ne parlerons pas d'une troisième qui s'est déjà révélée.

    » Est-ce en effet toujours par doit et avoirqu'il faut dresser les comptes d'un grand peuple? Ces généraux , ces soldats que la guerred'Afrique a formés, à combien évaluez-vous,pour les porter à l'actif de la France, leurslalens et leur courage? Et par quel chiffrefaut-il représenter l'accroissement de force quevaut à notre pays l'occupallon de 250 lieuesde côtes le long de la Méditerranée, qui redevient ce qu'elle a été, le grand théâtre du commerce, de la civilisation et de la puissance? »

    Nousavonssuivile colonelRibourtdansl'ex-posé de l'œuvre des gouverneurs généraux etparticulièrement de celle du maréchal Randon ; il répond assez, ce nous semble, à ceuxqui s'inquiétaient de voir un des chefs denotre glorieuse armée à la tête du gouvernement de l'Algérie, prétendant que les conséquences en étaient l'état de siège en permanence, les commissions militaires, le méprissystématique des intérêts civils, une administration inintelligente en un mot, et brutale comme le sabre que portait son chef.

    ■**

    Ajoutons, pour démontrer la vanité deces attaques passionnées dont le bon senspublic a déjà fait justice, que le gouverneur'général, dont les fonctions étaient civiles autant que militaires, était entouré de fonc-

    'tionnaires appartenant à l'ordre civil, soitpour préparer, soit pour expédier les affai-

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    res étrangères à l'armée ; qu'il y a en Algérie 3 millions d'indigènes en face de190,000 Européens, et que c'est par l'arméeque s'exécutent presque tous les travauxcivils.

    « On avait cru jusqu'ici que la vie militaireétait une grande école et les commandemenssupérieurs une pierre de touche pour reconnaître les esprits d'élite. On pensait que lesobligations si nombreuses du généralat, en développant les qualités d'action et les habitudesde prévoyance, préparaient admirablement aumaniement des grandes affaires, et que l'administration supérieure était toujours sûre detrouver dans les rangs élevés de l'armée deshommes éprouvés auxquels elle pouvait confierles missions les plus difficiles. Pourquoi ungouverneur général, vieilli dans l'administration des corps, et qui, ayant rencontré partoutautour de lui l'autorité civile, a toujours vécuen cordiale intelligence avec elle, lui serait-ilhostile sur les rivages africains? Esl-ce que lavie tout entière du soldat n'est pas employée àla protection des intérêts civils? Est-ce qu'ilne sait pas que l'épée n'a été remise entre sesmains, avec le droit terrible de la guerre, quepour la défense de la société, et que l'arméen'a d'autre raison d'être que de servir de boulevard inexpugnable à la civilisation qui travaille derrière elle?... Faire des ruines et verserdu sang, c'est parfois nécessaire, et dans cesruines sanglantes on trouve souvent de lagloire; mais élever un empire, créer une société,-mettre au monde un peuple nouveau, accroître la richesse, la grandeur, la force de sonpays, voilà l'honneur suprême ! »

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    Nous terminerons par la citation de ceslignes éloquentes l'examen de l'ouvrage ducolonel Ribourt; il apprendra à la Francebien des choses qu'elle ignore encore; etquand notre armée d'Italie aura accomplisa tâche glorieuse, à jamais illustrée parles journées désormais immortelles de Magenta et de Solfcrino, tous les cœurs généreux dans notre patrie, tous ceux que faitbattre la noble ambition de l'agrandissement de la France, du développement dela race française et de l'accroissement desa puissance et de ses idées civilisatrices dansle monde; tous ceux qui veulent que les lumières de l'Evangile fassent reculer de plusen plus les ténèbres de la barbarie, reporteront leurs vœux sur ce magnifique royaumede l'Algérie que la Providence nous a donnépour nous dédommager de la perte de nosgrands établissemens de Saint-Domingue,de l'Amérique et des Indes. Ce jour-là un

    | gouvernement énergique, et par là mêmes fécond, sera reconstitué au sein de cette\ belle cité d'Alger, prédestinée à être la capi-| taie du nord du continent africain; et lapuissance du crédit de la France, commecelle de ses armes, sera consacrée à hâter

    I les destinées de ce nouvel empire.

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