Le folklore magique de la Corse

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LE FOLKLORE MAGIQUE

DE LA CORSE

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ROCCU MULTEDO

L E

F O L K L O R E

M A G I Q U E

D E L A

C O R S E PREFACE Henri ROSSI

NICE 1982

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collection

B

dirigée par

Cl. BOUMENDIL & G. TAPPA

DIFFUSION : Galerie Blanc & Noir 9, rue C. F. Gastaldi MONACO-VILLE Imprimeur-Éditeur : Claude Boumendil «Repro 2000» 11, rue Gutenberg NICE

I.S.B.N. 2-902296-37-1

I.S.S.N. 0339-8498

Dépôt légal, juillet 1982 COUVERTURE JACQUES DUMONT

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Henri ROSSI

PREFACE

«Dans ce monde dévasté où l'impossi- bilité de connaître est démontrée, où le néant paraît la seule réalité, le désespoir sans recours la seule attitude, il tente de retrouver le fil d'Ariane qui même aux divins secrets».

A. Camus (Le mythe de Sisyphe)

Voilà qu'une fois de plus sont remis à l'affiche le Folklore, la Magie et la Corse : trois thèmes assurément consubstantiels les uns aux autres. Mais aussi trois idées-

forces dont la vision syncrétique, découlant d'une incoèr- cible tendance à les colliger par une sorte de déterminisme bio-mésologique, s'est imposée depuis longtemps aux cher- cheurs insulaires en sciences humaines, tentés par une ap- proche cartésienne de leur résultante aussi irrationnelle que symbolique.

De fait, les bibliographies de la Corse abondent en études ethnologiques soulignant, quelle que soit leur orien- tation, la permanence de ce triptyque conceptuel. Cepen- dant, pour aussi soucieux fussent-ils de n'en point mécon- naitre la réalité complexe, la plupart de leurs auteurs devaient s'en tenir à une évocation sans doute révélatrice

mais insuffisante pour l'illustration suggestive de ses schè- mes présupposés. Car, rares étaient ceux que l'intérêt pour cette thèmatique tripartite allait conduire à l'investigation phénoménologique.

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Par bonheur , la curiosité intellectuelle est quelquefois por tée à des paradoxes qui relèvent de la Providence. Et

ce n 'es t pas l 'un des moindres que de déployer des efforts de réflexion sur ce qui, hérité des arcanes de la Nature,

s'avère i rréductible à t ou te motivat ion logique à l 'heure où, pou r l 'essentiel, les ressources de l 'esprit se t rouvent

mobilisées à la poursui te d ' une scientificité galopante qui s 'arroge le droi t de définir, de démonter , d ' in terpré ter ou de déduire à part ir d ' un a priorisme universel.

Ten te r ainsi de d é m o n t r e r que perduren t encore de nos jours, en con t repo in t d ' une domest icat ion sans cesse accrue de l 'en-deça et de l 'au-delà du Savoir, des manifes-

ta t ions tangibles quoiqu 'aber ran tes d 'une «nescience» im- perméable aux facultés cognitives de l ' homme dans un

domaine t o u c h a n t à sa sensibilité et à son imagination,

cons t i tue une méri toire entreprise à laquelle Roch Multedo n 'a pas craint de s 'a t te ler en consacrant au Folklore Magi- que de la Corse l 'ouvrage que voici.

Dès lors, seriez-vous superst i t ieux, convaincu de l 'exis tence de forces occultes immanentes à la Nature ou

d 'essence animique, persuadé de l 'efficience des incanta- t ions magiques et pouvoirs maléfiques comme aussi de la souvenaineté des pra t iques géomant iques et ce livre vous confirmera, à n 'en pas dou te r , dans le sen t iment du bien- fondé de vos croyances et de vos convictions. Ne le seriez-

vous pas, e t vous y trouverez, à coup sûr, matière à dis- cussion voire même à adhésion sur l 'existence d 'une pré-

science in tégrant quelque chose de ra t ionnel lement indis- cernable, échappant , c o m m e par enchan tement , à l 'enten- d e m e n t et à la maîtr ise de l ' homme. Quelque chose de

na tu re mystér ieuse e t spectrale, f a rouchemen t réfractaire

à t o u t e sollicitation de l 'esprit et qu ' en termes d ' an th ropo-

logie l 'on qualifie de numineux. Quelque chose enfin a t t e s t an t confusément la présence, à coté de not re univers à la fois concre t e t sensible, de deux autres mondes,

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immatériels et complémentaires : un monde de la Nature, rebelle aux lois des hommes mais agissant sur eux et, en

parallèle, car ayant pour fonction de leur livrer la clef des messages hermétiques qui en proviennent, un monde d'es- sence purement conceptuelle ou symbolique accessible, il est vrai, aux seuls initiés.

Car c'est à une étude exhaustive des manifestations

les plus diverses de ces interférences cosmiques, considérées au plan nettement circonscrit de la vie quotidienne en Corse, que nous convie l'auteur. Etude à laquelle l'acuité de son imagination poétique - la poésie ne s'investit-elle pas d'une surréalité émotionnelle dont la connotation ma- gique est bien connue ? - le prédisposait vraisemblablement tant il est vrai que ses facultés incantatoires à suggérer l'être et le néant ont pu le conduire, pour reprendre une expression camusienne, à «cette confrontation désespérée entre l'interrogation humaine et le silence du monde». Un silence, que, par attavisme et depuis les temps les plus reculés, les Corses se sont gardés de solliciter par crainte de profaner les mythes hérités des paganismes méditerra- néens si assoiffés de merveilleux. D'autant plus que, de par les exigences d'un environnement contraignant tenant à l'insularité et à l'atomisation de la structure sociale, il s'est toujours parfaitement ajusté à leur profil ethnobiologique marqué au coin de la déréliction car révélateur d'une pro- pension à la méditation, d'un goût de la solitude, d'une inclination à la mélancolie voire au fatalisme, enfin d'une affinité avec le Mystérieux et le Sacré. Autant de traits participant d'un caractère à complexion ethnocentrique tirant directement son origine d'un conditionnement mys- tique de l'esprit en proie, depuis la nuit des temps, aux affres d'une succombance au pouvoir maléfique d 'un Uni- vers hostile et redoutable jusques et y compris dans ses manifestations événementielles collectives et historiques. D'où une prédisposition endémique des Corses à la créduli-

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té. Au point qu'en dépit d'un dépérissement de la tradition orale croulant chaque jour davantage sous l'effet démythi- fiant d'un éclairage scientifique et technique qui, nolens volens, ne cesse de leur révéler toute la contingence des faits éthniques qu'elle a véhiculé jusqu'à nous, ils conti- nuent à croire - avec, bien sûr, moins d'aveuglement qu'au- trefois - aux prodiges multiformes de la magie.

Tout au long de sa méticuleuse enquête qu'une indé- niable déformation professionnelle l'a conduit à diligenter sur le mode de ces expertises judiciaires dont les rapports grouillent de références aux lumières des «sachants» et autres «sapiteurs» desquels on a requis l'avis autorisé, R. Multedo nous invite à découvrir avec lui les manifesta-

tions les plus diverses de ces croyances populaires qui eussent, pour l'harmonie du texte, mérité - à la faveur d'un plan plus rigoureux de l'ouvrage eu égard à son impor- tance - d'être présentées au lecteur dans un ordre moins dispersé. Et, tout en nous livrant le résultat de ses investi- gations personnelles patiemment effectuées - c'est dans sa nature - assorti d'autres éléments de conviction puisés à d'abondantes sources imprimées et archivistiques dûment citées par apostilles, c'est à une appréhension aussi com- plète que possible des grands principes gouvernant la ma- tière qu'il nous conduit chemin faisant. Principes décou- lant, à l'évidence, de très vieilles pratiques mytho-rituelles mais postulant en définitive une bipolarité nécessaire, à la fois interactive et concurrentielle, - le profane n'évacuant plus le sacré mais au contraire se l'adjoignant - de la magie et de la religion pour mieux capter le numineux dans toute sa quiddité et, soit l'assujétir à la volonté humaine dans un but bien précis, soit le décrypter à toutes fins utiles.

A la lecture de cet ouvrage on reste confondu devant la multitude des situations relevant, en Corse, de l'hermé-

neutique cabalistique. Mais il apparait que les malaises et maladies de toutes sortes par envoûtements, ensorcelle-

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ments ou sortilèges présupposés, les épidémies, infortunes

personnelles ou patrimoniales et autres calamités réputées d'origine surnaturelle, les dangers mortels, craintes et autres appréhensions funestes présumés d'inspiration occulte, en- fin les prémonitions oniriques, divinations événementielles dramatiques et autres lugubres vaticinations attribuées à des dons mantiques exorbitants du commun constituent,

selon l'auteur, autant d'archétypes d'une sinistrose supers- titieuse et angoissante empruntée à l'antique hérésie et dont des générations d'insulaires ont hérité, de plus en plus il est vrai sous bénéfice d'inventaire...

Témoignant d'une parfaite maîtrise du sujet comme aussi d'un louable souci du détail et du mot juste, exprimé très souvent en langue corse pour en mieux garantir l'au- thenticité, R. Multedo situe, décrit et compare - parfois en extrapolant par trop, victime de son imagination débor- dante - les pratiques conjuratrices, exorcisantes ou orphi- ques appropriées aux situations précitées. C'est ainsi qu'at- tentif aux variations de la gestuelle et de la dialectique consacrées, il restitue, avec une perception aiguë tant du mi- lieu ambiant que des êtres et des choses qu'il intègre, tout leur sens aux particularismes procéduraux d'incantation relevé, soit par lui-même soit par informateur interposé, aux quatre coins de l'île. Un sens au demeurant commun : celui de l'efficacité du cérémonial magique au regard du but, selon le cas actif ou préventif, poursuivi. Et l'on assiste, médusé, à cette spectaculaire mainmise de l 'homme sur la nature et les «esprits» au moyen d'une élaboration rituelle qui permet au charme d'opérer en transformant les princi- pes occultes en principes sacrés dont les signes, désormais transcendants à la condition humaine, deviennent intelli-

gibles à celui qui les scrute et détient le secret initiatique de la dialectique et de l'axiologie des symboles. Car, de la grande fresque qui nous est présentée avec ses ombres et ses lumières dans lesquelles baignent, comme savamment

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manipulés par un pouvoir sacro-numineux : personnages, choses et décors, s'infère un syncrétisme originel mêlant intimement le religieux et le symbolique à l'ensemble de la vie sociale.

Une vie empreinte d'un archaïsme théosophique en- core vivace dans l'inconscient individuel et collectif si l'on

en juge par les prières et autres invocations divines émail- lant fort à propos - et ce n'est pas l'un des moindres attraits de cet ouvrage - un texte d'une lecture agréable en dépit d'un foisonnement de citations et de références para- digmatiques qui, pour instructives soient-elles, jaillissent bien souvent en point d'orgue dans le cours harmonieux de la narration personnelle et fixent notre attention sur d'au- tres horizons. Encore qu'en un tour de main aussi habile que... magique, l'auteur ait l'art de nous ramener inconti- nent dans son sillage où, page après page et avec un intérêt toujours croissant, nous le suivons jusqu'au terme de son long et passionnant voyage dans le domaine de l'Etrange en pays corse.

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QUI EST ROCCU MULTEDO ?

J'ai rencontré Roccu Multedo, pour la première fois, en août 1973, aux «Ghjurnate di Corti». Bien sûr, je connaissais une partie de son œuvre : des poèmes, des contes, des traductions, un essai littéraire..., mais j'ai éprouvé un grand plaisir à connaître l 'homme. Avide de savoir, il suivait les cours de l'Université d'été avec une application, un soin que l'on retrouvait dans ses attitu- des, dans les inflexions de sa voix douce, sans éclats, dans sa tenue vestimentaire correcte, élégante même.

Au cours de ces «Ghjurnate», la culture corse n'é- tait pas seulement dispensé ex cathedra. Elle était diffuse dans la cité. Et Roccu Multedo prenait des notes, inlas- sablement.

Je le vis attentif et questionneur lorsque la conver- sation abordait le domaine de la magie. Je n'en fus point surpris, car il est poète et les prières magiques sont poé- sie. Cependant, je m'aperçus très vite qu'il n'était pas seulement sensible à la musique des mots : il explorait la Tradition à la recherche de la connaissance perdue avec le secret espoir de redécouvrir la grande harmonie.

Je m'aperçus aussi que cette quête à travers la tra- dition pré-chrétienne n'avait pas éloigné Roccu Multedo des dogmes et des pratiques du catholicisme. En cela, il est bien l'enfant d'un pays où la magie et la doctrine du Christ font bon ménage. En Corse, exorciser c'est aider les intentions de Dieu et la magicienne doit être catholi- que praticante. A en croire Roccu Multedo, traduisant

Soljénitsyne, l'âme corse n'a pas été tourmentée par la Révélation :

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Cusi faciule ch'ell,è, Signore, a vive cun te !

Cusi faciule ch'ell 'è, O Signore, a crede in te !

Roch-Jacques Multedo était greffier en chef au Tri- bunal de Grande Instance de Nice. Il est né à Bastia le

19 septembre 1918 de Joseph et de Françoise Lepidi. Sa mère était née à Linguizzetta d'une vieille famille de Tallone. Son père appartenait à une branche des Multedo établie en Casinca.

Tout jeune, Roccu compose des vers en langue française et en langue corse. Il a la chance d'avoir pour voisin Ziu Santu, le grand félibre corse Santu Casanova. Le vieux poète - il a plus de 80 ans - découvre le jeune talent et en informe Paul Arrighi, directeur de «L'Annu Corsu». C'est ainsi qu'en 1936, encore élève au lycée de Bastia, Roccu Multedo est lauréat des Jeux Floraux de Corse pour la poésie corse.

Sa verve poétique sera d'ailleurs consacrée à plu- sieurs reprises. En 1950, il reçoit, du Congrès des Écri- vains de France, le Prix Pierre Benoit de Littérature Régionaliste, en même temps que Sebastianu Dalzeto, Mgr Ferracci et le capitaine Arrighi de Casanova. En 1970, il est lauréat du Prix Pierre Bonardi de l'associa- tion «Parlemu corsu» de Paris. En mai 1974, au Congrès International Pétrarque qui s'est tenu à Avignon à l'oc- casion du sixième centenaire de la mort du célèbre humaniste toscan, il reçoit le Prix Pétrarque... pour la poésie provençale.

En 1953, Roccu Multedo avait publié hors com- merce, à Bastia, une plaquette de vers corses et français :

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«Harmonies en Bleu et Or». Elle lui valut l'entrée à la Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musi- que. Il a composé depuis de nombreuses chansons dont la plus connue, «Libecciu», en collaboration avec Vin- cent Orsini. La «Nanna per Ariana», dédiée à sa petite- fille, est mise en musique par Robert Sibold. D'autres poèmes ont inspiré François Païta, Stéphane Antona et Henri Riérat, de l'orchestre Aimé Barelli, de Monte- Carlo.

Roccu Multedo figure dans le «Livre d'Or des Va- leurs Humaines» (1972 - Éd. du Mémorial). Ses poèmes français ont l'honneur des anthologies : celle de Figuière, en 1934 («Livre d'Or des Jeux de l'Olympe») ; le «Grand Prix du Sonnet 1954» (éditée par l'Association culturel- le des Officiers de l'Instruction Publique); «Les Muses chez Thémis» (éd. de la Revue Moderne - 1956). Mais surtout, le nom de Roccu Multedo paraît dans les publi- cations qui ont pour but de promouvoir la Culture corse : «L'Annu Corsu», «Un ti ne scorda mai», bulletin des Corses du Sud-Vietnam, « U Muntese», le «Bulletin de la Société des Sciences de la Corse», «Giovine Nazione », « Terra corsa»: ...

De 1956 à 1963, il est archiviste de l'Académie littéraire «Lingua corsa» et collabore à l'établissement du Lexique Français-Corse dont le premier volume est sorti en 1960. Il est l'auteur de monographies : celle de Lota, parue en feuilleton dans «Le Petit Bastiais», puis dans «Corse-Action» ; celle de Giovellina, dans le «Pro- vençal-Corse».

En 1960 et 1961, il entreprend, avec Matteo Lu- ciani, dans la revue de Petru Ciavatti, « U Muntese», une campagne pour la réouverture de l'Université de Corte. Une de ses poésies sur ce thème attire l 'attention du pré- fet de l'époque qui en réclame la traduction. L'absence,

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dans l'île, d'un enseignement supérieur l'obsède : «A Corsica, disgraziatamente, soffre ancu oghie di mancanza di cultura : a u Corsu, li tocca a spatriassi s'ellu vole riesce à diventà qualchissia e, tandu, unn'ha più tempu a vultà in l'isula.Dopu, a jente si maraviglia chi a Corsica è deserta, e sara cusì tantu chi a Francia un li renderà l'Università»,

écrit-il, en 1962, dans «Grillettu.. .». Et il poursu i t sa campagne, à Aix, en 1963, dans «L 'Aurore Corse». En

mai 1968, il fait partie, avec les professeurs Et tor i et Pomponi , d ' une commission insti tuée à la Facul té d 'Aix

pour la créat ion d ' u n Certificat d 'Études corses. Aujour- d 'hu i encore, dans le cadre de Scola Corsa, il donne, à

Nice, des cours publics de langue corse. En 1962, Roccu Multedo a publié aux éditions du

Muntese : «Grillettu, vita e opera d 'Anghiulusantu Mar-

cucci, pue ta incunnusc iu tu di Lota - 1789-1864». Cet essai l i t téraire est «un modèle du genre», suivant l'ex-

pression de René Emmanuel l i qui le cite parmi les proses dialectales didact iques les plus impor tantes («Les romans en dialecte corse», in «Mélanges d 'Études Corses offerts

à Paul Arrighi», éd. Ophrys, 1971). Par son intermédiai- re, Marcucci ent re dans l 'histoire de la l i t téra ture corse

et lorsque Jean Noaro prépare son ouvrage : «Le voya- geur de Corse» (Hachet te , 1968) , il fait un dé tou r jus-

q u ' à San Mart inu di Lota un iquemen t parce que Grillet- t u y a vécu et qu'il s 'agit d ' u n e poésie «se voulant uni- verselle», c o m m e l 'a écrit «l ' inventeur» du poète , son «historien de la dernière chance» : Roccu Multedo.

J'ai essayé de montrer les différentes facettes du talent de Roccu Multedo. Nous retiendrons qu'il est avant tout poète, un poète, selon l'expression d'Ignaziu Colombani, «à qui une sorte de naïveté malicieuse don-

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ne un charme qu 'on subit». Et c'est probablement sa fraîcheur d'âme qui l'a conduit à la recherche d'émo- tions poétiques à travers les mythes de la Corse antique.

C'est parce que j'avais cru déceler en lui ce don du poète qui se fait voyant - comme disait Rimbaud - que je l'ai invité à parler du folklore magique de la Corse devant les membres de l'Association pour le Développe- ment des Études Archéologiques, Historiques, Linguisti- ques et Naturalistes du Centre-Est de la Corse. Il a accep- té avec sa gentillesse naturelle et, le 29 juillet 1974, à Cervioni, il donnait sa conférence, débordant le cadre de l'imagination poétique et faisant preuve d'esprit scienti- fique dans son exposé sur la magie, la sorcellerie, le « mazzerisme».

Nous avons l'habitude, à l'A.D.E.C.E.C., de multi- graphier le texte des conférences à l 'intention de nos adhérents. Nous avons jugé utile - comme nous l'avions fait pour la conférence du Père André-Marie Valleix * - de publier un texte plus complet afin d'apporter notre contribution - celle surtout de Roccu Multedo, que nous remercions - aux Études corses.

Antoine-Dominique MONTI.

La présentation de M. Monti est extraite de l'ouvrage «Le «Mazzerisme» et le Folklore Magique de la Corse», édité, en jan- vier 1975 par l'Association pour le Développement des Études Archéologiques, Linguistiques et Naturalistes du C.E. de la Corse, à Cervioni, 20230.

Il s'agissait du texte de deux conférences données à Cervio- ni le 29 juillet 1974 et répétées, quant à la seconde, aux «Amitiés Méditerranéennes, Hôtel Escurial, à Nice, le 29 avril 1975.

* - «Storia veridica della Corsica» par F. M. Accinelli, transcrite d 'un manuscrit de Gênes. A.D.E.C.E.C., Cervione et Associa- tion Francis-corsa, Bastia, 1974.

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(Dess in H e n r i R o s s i )

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S o i s u n c h e r c h e u r , u n p l o n g e u r , u n c r i e u r .

A r r a c h e d u s é p u l c r e c e t t e o m b r e q u i f u i t .

D i v u l g u e l e S e c r e t . É b r u i t e D i e u !

V . H u g o , C a r n e t s .

B i e n q u e c e l a s o i t c o n t r o v e r s é e t n e s e t r o u v e p a s

d a n s L e T r é s o r d u F é l i b r i g e , o n p e u t s o u t e n i r q u e : « l e

p a y s a n p r o v e n ç a l n ' o u b l i e j a m a i s d e s a l u e r l ' a n g e g a r d i e n

q u a n d i l r e n c o n t r e l ' h o m m e . O n e m p l o i e e n c o r e c e t t e

f o r m u l e , m ê m e s i l e p a s s a n t e s t s e u l : « B o u n j o u r , M o u s s u

e l a c o u m p a g n o ! » » . 1

C e l a t i e n t à c e q u e « l ' h o m m e a u n i m p é r i e u x e t

p e r m a n e n t b e s o i n d e s e p r o t é g e r c o n t r e l e s f o r c e s o c c u l -

t e s m a l é f i q u e s e t d ' a t t i r e r s u r l u i l e s f l u i d e s b é n é f i q u e s .

C e l a f a i t p a r t i e d e s o n e s s e n c e : l ' ê t r e h u m a i n e s t r e l i -

g i e u x e t m a g i q u e a u p l u s p r o f o n d d e l u i - m ê m e » . 2

Je désirerais dégager d'abord les règles traditionnel- les de la conjuration du mauvais œil, en Corse. Dans une deuxième partie, je passerai en revue les exorcismes connus, en faisant une incursion à travers la médecine

1 Guide de la Provence Mystérieuse, Tchou édit., Paris, 1965. A rapprocher de Jules Roy, qui décrit, dans Les Chevaux du So- leil (Les Cerises d'Icherridène), B. Grasset, Paris, 1969 : «Cette fa- çon qu'ils ont (les Kabyles et les Arabes) de se saluer au pluriel p o u r ne pas oublier l'escorte invisible qui accompagne les hom- mes». Il est, en effet, remarquable que «Salem alikoum» signifie bien : «Bonjour à vous tous».

2 J. Marquès-Rivière, Amulettes, talismans et pantacles, Payot , Paris, 1972.

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t r a d i t i o n n e l l e e t l a m é d e c i n e v é t é r i n a i r e . J e v o u s en-

t r e t i e n d r a i , à l ' o c c a s i o n , d e la m a n t i q u e e t , d e la

d i v i n a t i o n f u n e s t e à p r o p o s d e q u e l q u e s é v é n e m e n t s d e

l ' h i s t o i r e d e la C o r s e . J e d i r a i e n f i n q u e l q u e s m o t s d e

c e u x q u e L a d y D o r o t h y C a r r i n g t o n q u a l i f i e d e « n i g h t -

hunters of souls» : (chasseurs d'âmes nocturnes) 4 et j'essaierai d'établir une théorie de la conception corse de la mort, en donnant, un bref aperçu de la sorcellerie et de la magie dans la poésie insulaire, car étant «un moyen de salut comme la poésie, le fantastique ne s'en sépare pa s» .

Il s'agit donc d'un véritable retour aux sources : celles de mon adolescence, de notre histoire, de nos tra- ditions, de ce que Levi-Strauss regarde disparaître avec mélancolie et que «par notre malfaisance, et celle de nos continuateurs, l'ethnologue de l'an 3000 ne pourra plus connaître : la pureté des éléments, la diversité des êtres, la grâce de la nature et la décence des hommes».

3 Mme Pierrette Bertrand-Rousseau, dans «Contribution à

l 'étude des conduites médico-légales en Corse», Paris, Fév. 1973, distingue à Francardu «l'«ochju» des chrétiens de l '«ochju» turc,

rite essentiellement verbal, où l'utilisation d 'un matériel n'entre- rait pas en ligne de compte et qu 'on destine aux enfants non bap- tisés, ainsi qu 'aux animaux. On n' invoque pas, dans la formule utilisée, de saints de la religion catholique.» Il en est de même, à Grossa, de la conjuration de l '«imbuscata».

4 Portrai t o f a Granite Island, Londres, 1971 e t New-York, 1974. ch. IV.

5 Marcel Schneider, Discours du fantastique, in Déjà la neige, Grasset, Paris, 1974.

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G U E R I S O N S M A G I Q U E S

Il y a 50 ans, le célèbre écrivain danois J o h a n Bajer écrivait : «Je suis encore ébloui p a r le fo lklore de ce t t e île merveilleuse». 6 Ce folklore recèle encore un remar-

quable ensemble de prières m a g i q u e s . Le Doc teu r Aléxis Carrel a souligné, dans son ou-

vrage La Prière 8 l ' impor t ance de cet ac te que les j eunes

générations qui, au jou rd 'hu i , von t chercher si loin le se-

cret de la vie spirituelle, fera ient bien de médi ter : « il n 'est pas besoin d 'ê t re é loquent , écrivait-il, p o u r ê t re éxaucé.. .

La prière fai te p o u r un au t r e est tou jours p lus f é conde que celle faite p o u r soi-même». 9

Lyall Watson (V. aussi n o t e 16) r a p p o r t e q u ' H a r r y

Edwards en Grande-Bretagne, le Padre Pio en Italie, Oral

Rober ts e t K a t h r y n K u h l m a n a u x Etats-Unis «af f i rment

avec force qu'ils son t capables de soigner et de guér i r p a r

le seul pouvoi r de la Prière». Watson n ' en d o u t e pas, bien qu'il pense que ces célèbres guérisseurs so ien t aussi

«les conducteurs d ' u n e force revitalisante». C o m m e p o u r

les mains de ceux qui o n t les «doigts verts», il croi t qu ' i l s 'agit du bioplasma.

«Il n 'es t pas d o u t e u x que la p l u p a r t des miracles

attr ibués, p a r exemple, au curé d 'Ars s o n t véridiques. Cet ensemble de p h é n o m è n e s nous in t rodu i t dans un m o n d e nouveau d o n t l ' explora t ion n 'es t pas c o m m e n c é e e t sera

fertile en surprises... Quelque étrange que la chose puisse

6 Revue L'Altagna, n° 1,1925. 7 «S'il jette ses engins dans les fonds de l'âme populaire corse,

le «folkloriste» les ramènera tellement lourds qu'il croira à quel- que second prodige du lac de Genesareth», J. B. Natali, Du Fan- tastique en Corse, L'Annu Corsu, 1935, p. 133.

8 Plon, Paris, 1944. 9 «N'importe qui peut devenir guérisseur, du moment qu'il

ne pense plus à lui-même» Henry Miller, in Sexus.

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paraî t re , nous devons considérer c o m m e vrai que qui- conque demande reçoit, et qu ' on ouvre à celui qui frap- pe». 8

«Seule la prière peu t guérir en nous l 'angoisse exis- tentielle» 1 0 et «faire jaillir les sources vives de l'être». 1 1

«Dans la nuit des temps, les rites des magiciens fu ren t l 'unique guérison. Plus tard, la médecine en sort i t

et... devint une science et un art. La magie actuel le des guérisseurs, r ebou teux et sorciers de village est la survi- v a n c e d e l a p r é h i s t o i r e » . 1 2

«L'arti maga, m'écrivait Rinatu Coti, le 23 février 1975, un torra micca l'omu inferiori, s'edda è cumpagna di u ghjudiziu. L'arti maga sola, sdrughji a menti in a paura. U ghjudiziu solu, nega l'umanità di l'omu. Tre- mindù inseme, sô a sesta di a menti di l'omu.» (La magie

10 «Le rite permet au «moi» d 'échapper à l'angoisse. La dépré- ciation du fait réél pénible et la valorisation de l'«imaginaire» consti tuerait une défense contre l ' inquiétude». (Mme Bertrand- Rousseau, op. cit.). Victor Hugo, pour qui la prière était un «talis- man» (V. Jean-Bernard Barrère, Victor Hugo, nouv. éd. Hatier, 1970) et qui priait même pour ses ennemis : «O Dieu, ayez pitié de tous les misérables, de Louis Bonaparte, de moi... Pitié !» (pu- blié par Henri Guillemin, Figaro Litt., 21. 4. 1956), répondait à Auguste Vacquerie qui lui reprochait le chapitre des «Travailleurs de la Mer» intitulé «Il y a une oreille dans l ' inconnu» : «La prière est une arme obscure et immense de l'âme... Gilliat a combat tu

avec la force, qui est son épée, l'infini matière; il tourne la prière, qui est son bouclier, vers l'infini âme; et il triomphe... J ' a i mes idées sur la prière, et si je causais au lieu d'écrire, j 'ajouterais : j 'ai mes expériences». Corresp., II, p. 532; 6. 3 . 1 8 6 6 .

11 Jean-Claude Barreau, La Prière et la Drogue, Stock, Paris, 1974. - «Les Védas a t tachent une importance capitale à la prière, à la formule d ' incantation. . . C'est p o u r cela qu'ils f o n t de la prière une déesse : Brahmanaspati», Edouard Schuré, Les Grands Initiés, Esquisse de l'Histoire secrète des Religions, Lib. Académique Per- rin, Paris, 1960, p. 82.

12 Georges Rocal, Vieilles coutumes dévotieuses et magiques du Périgord, Faulac, Périgueux, 1971.

Page 27: Le folklore magique de la Corse

n e r e n d n u l l e m e n t l ' h o m m e i n f é r i e u r si la r a i s o n l ' a c c o m -

p a g n e . Pr ise i s o l é m e n t , la m a g i e , p a r la p e u r q u ' e l l e ins-

p i re , f a i t d i s p a r a î t r e l ' e s p r i t . P r i se i s o l é m e n t , la r a i s o n

n ie ce q u ' i l y a d ' h u m a i n d a n s l ' i n d i v i d u . O r , a j o u t é e s

l ' u n e à l ' a u t r e , m a g i e e t r a i s o n s o n t le « p a t r o n » , c ' e s t -

à - d i r e le m o u l e d e l ' e s p r i t h u m a i n . ) 1 3

LE BOSSU - « U BUZU»

13 «Si la magie noire comprend tout ce qui a rapport à l'utili- sation des forces surnaturelles à des fins apparemment mauvaises, elle existe sous une autre forme : les infirmités involontaires, telles que le mauvais œil. Selon une croyance primitive et moderne ré- pandue dans le monde entier, un homme peu t avoir le mauvais œil sans le savoir... Certaines personnes envieuses peuvent nuire à autrui par la seule force de cette envie; il leur suffit p o u r cela de penser assez fort à l 'objet de leur aversion, sans nécessairement avoir l ' intention de provoquer un mal réél». (Arkon Daraul, Les Sociétés Secrètes, 1970). - Le nouvelliste Charles Henry cite ce proverbe provençal : «Lis iue balant / An lou Malan» (Les yeux agités portent en eux le malheur). Il m'affirme que certaines per- sonnes on t «le double œil dans la même prunelle». Je n 'en ai jamais rencontré en Corse, pour ma part.

Page 28: Le folklore magique de la Corse

«OCHJU» et «IMBUSCATA»

«La prière n'est pas un exercice de grand mys- tique, mais une humilité dont les gens simples ont le secret ».

(Mgr Jean-Charles Thomas, évêque de la Corse, à la veillée du 8 septembre 1977, à Lavasina).

C'est de la Chaldée que vient la conjura t ion du

mauvais œil. «La répu ta t ion des Chaldéens c o m m e magi- ciens domina tou te l 'Antiquité. . . C'est une opinion cou- rante d 'Eschyle à Tite-Live en passant pa r Appien, Cicé- ron et Diodore de S i c i l e » et , vers le XIIme siècle, le

r enom de l 'arbre guérisseur de Chaldée s 'é tendi t à l 'Eu- rope occidentale. En Corse, le mauvais œil est désigné sous divers noms : «mal d 'ochju» dans le Capicorsu, «ghjustrata» en Balagna, «ochjacciu» dans le Niolu,

«malfacitura» à Marignana, «cattivu st intu» à Zonza, «mazzulata» dans la Cinarca, «acciaccatura» dans le Sud

et, un peu par tou t , « innuchja tura» . Et selon les régions, sa conjura t ion a n o m : «segnu», «orazione», «incanticu- la», «incantesimu», «prigantula», «estrazzione», «incan-

tu», «razione», «unticulu», qui fait penser à quelque onguen t de sorcière, etc...

Le «malochju», mal que certains disent indéfinis- sable, a t te in t su r tou t les e n f a n t s 5 : Il est caractérisé par

un état de migraine et de nausée qui ressemble assez à la crise de foie. On di t d'ailleurs que «l 'ochju por ta nan tu à u fegatu», le mauvais œil a t te in t le foie.) 6

14 J. Marquès-Rivière, op. cit. 15 «Et le rite (l 'exorcisme) vaut pour les bêtes et les arbres et

les moissons», Pierre Bonardi, L'Ile Tragique, Les Ed. de France, 1937.

16 Il existerait même, à Sartè, une forme de mauvais œil trans-

Page 29: Le folklore magique de la Corse

C ' e s t p e n d a n t l a n u i t d e N o ë l , la p l u s l o n g u e n u i t ,

l o r s q u e D i e u d e s c e n d p a r m i les h o m m e s e t q u e les sor-

c ie rs p e r d e n t l e u r p o u v o i r , q u e , p o u r se p r o t é g e r c o n t r e

l eu r s m a l é f i c e s , l ' o n s ' i n i t i e a u x p r i è r e s m a g i q u e s . D a n s

c e r t a i n e s r é g i o n s d u S u d e t d a n s ce l le d e V i c u , o n p e u t

les a p p r e n d r e d a n s la p é r i o d e q u i va d e la N o ë l a u j o u r d e

l ' an . A F i g a r i o ù , p o u r a p p r e n d r e l ' e x o r c i s m e d e

l ' « o c h j u » , o n d i s p o s e d e s s e p t d e r n i e r s j o u r s d e l ' a n n é e ,

il c o n v i e n t d e « c o u v r i r » « u c i p p u » ( la b û c h e d e N o ë l ) :

c e t t e b û c h e r e s t e a l l u m é e j u s q u ' a u 1 e r j a n v i e r p u i s e l le

e s t r e t i r é e d e l ' â t r e . O n la isse la c e n d r e b i e n l i sse e t l ' o n

se l ivre a l o r s à l ' i n t e r p r é t a t i o n d e s e m p r e i n t e s ( « i s i g n i » )

q u i y f i g u r e n t . Ce p e u t ê t r e d e s p a t t e s d e r a t o u d e c h a t ,

o u e n c o r e d e s p i e d s . S ' i l s ' a g i t d ' u n « s i g n a c c i u » ( m a u v a i s

p r é s a g e ) p o u r la f a m i l l e o u le v i l l age , o n e s sa i e d e s ' e n s o u v e n i r .

mis héréditairement et, de ce fait, ne pouvait être conjuré. Mme Bertrand-Rousseau distingue, du mauvais œil provoqué par un être vivant, «a imbuscata» donnée par «les esprits des défunts lorsqu'un sujet passe le gué d 'une rivière à midi; lorsque, à la tom- bée de la nuit, le trajet qu'il emprunte l'oblige à passer devant un cimetière ou une fontaine. Aux symptômes de l'«ochjuli s'ajou- tent, dans l '«imbuscata», la langueur, la prostat ion, des vertiges et des courbatures», (op. cit) Dans les cas les plus graves, Lyall Wat- son relatant «diverses études cliniques faites sur des personnes, apparemment en parfaite santé physique, qui avaient succombé des suites de maléfices» provoqués soit par les osselets des sorciers d 'Afrique ou les poupées de bois ou de cire des sorciers d 'Europe, soit par les sacrifices de jeunes coqs offerts par les prêtres vaudous des Caraibes, ou encore par le mauvais œil, rappor te que, «dans un cas d 'ensorcellement vaudou, la victime se mit à respirer très rapidement, et son cœur batt i t de plus en plus vite jusqu 'à la crise finale. Les résultats fournis par l 'hématocri te au cours de cette étrange «maladie» montrèrent que la concentrat ion du sang s 'était rapidement accrue, du fait que des sécrétions passaient du système circulatoire dans les tissus environnants. C'était comme si quel- qu 'un opérait la victime à l'aide d 'un bistouri invisible; il y avait là, en effet, tous les symptômes d 'un grave choc opératoire.» (His- toire naturelle de la Vie éternelle, ou l 'Erreur de Roméo , 1974, traduit de l'anglais par Rober t Genin, A. Michel, Paris, 1976.)

Page 30: Le folklore magique de la Corse

«Si elle ( M a d e l e i n e ) laisse u n p e u d e c e n d r e d a n s

la c h e m i n é e a u c o u r s d ' u n e c e r t a i n e nu i t , elle p e u t rece-

vo i r u n message . I l a r r i v e q u e d e s e m p r e i n t e s d e p a s

s o i e n t d é c o u v e r t e s d a n s l ' â t r e , le l e n d e m a i n . L o r s q u e les

e m p r e i n t e s s o n t t o u r n é e s vers l ' e x t é r i e u r , il y a u r a u n dé-

cès d a n s l ' a n n é e . L o r s q u ' e l l e s s o n t t o u r n é e s vers l ' in té -

r i eu r , q u e l q u ' u n e n t r e r a d a n s la f a m i l l e e t o n c é l è b r e r a

u n m a r i a g e » . 7

Ce texte de Mme Gisèle Poli parle «d'une certaine nuit» qui, pour deux autres auteurs, est celle du 1er au 2 novembre. 8

Ces empreintes sur la cendre font penser aux figu- res de poupée du jeu «di e Cinderelle» (Les Cendrillons) qui, à Muriani (côte orientale) se pratique aussi «indû a cendera soffice du u fucone» (sur la cendre tendre du feu central). 9

De même, à Thèbes, «l'avenir se prophétisait par les cendres des victimes... Le surnom local d'Apollon, Spodios, voulait dire Cendrillon.» 0

C'est à Pâques que l'on peut révéler les exorcismes contre les maux d'oreille et la méningite, dans certaines régions de la Castagniccia 0 bis mais presque partout les «prigantule» ne sont révélées que la seule nuit de Noël, «à mezzanotte in puntu», (à l'heure précise de minuit),

17 Gisèle Poli, A quoi rêvent les jeunes filles, Kyrn, n° 83, fé- vrier 1978.

18 Henri Raulin et Georges Ravis-Giordani, L'Architecture ru- rale française, -Corse-, Berger-Levrault, Paris, 1978.

19 Antonfrancescu Filippini, Acqua d'Aprile, Cardini, Roma, 1969.

20 Roger Peyrefitte, L'Oracle, Flammarion, Paris, 1948. 20bis De même, c'est de vendredi saint qu 'en Afrique du Nord,

les européens apprenaient l 'exorcisme dit «amphitat» contre l'em- barras gastrique et autres affections et même contre la jalousie !

Page 31: Le folklore magique de la Corse

« à la première volée des cloches», à Orezza , mais, à Ascu, «dopu u chjoccu di l'«Ave Maria» e prima di a messa di mezanotte» (après l'Angélus du soir et avant la messe de minuit.)

«Dans le Sartenais, le Cap, la haute vallée du Tara- vo, le Niolu, on précise l'heure : minuit exactement, le 24 décembre... Ailleurs, dans la plaine d'Aleria, obser- vances accessoires : une condition topographique : la cérémonie magique se déroule près du «fucorte», lieu qualifié, sorte de carré magique autour duquel « signato- re», postulant et assistance se tiennent debout». 23

Mme Bertrand-Rousseau, à qui nous empruntons ces lignes, attribue une importance fondamentale à l'en- vironnement des conditions d'initiation : «formules in- compréhensibles, dites «à mutuliera » (à voix inaudi- d i b l e ) «à voix monotone, - profond silence, mou- vements rythmiques de celui qui enseigne le rite, carac- tère magico-sacré de la date, obscurité contrastant avec la lumière vacillante des flammes du « fucone».

Limiter le moment de la révélation à la courte période située «entre le premier et le douzième coup de minuit», comme le font de rares au teurs paraît quel- que peu excessif. Peut également paraître excessif dans sa généralisation ce texte relatif aux «sept veillées à faire avant la messe de minuit» exigées du postulant : «En Corse, les jeunes gens ont l'habitude de courir de maison en maison de manière à faire sept veillées avant la messe de minuit (en italique dans le texte) afin d'être jugés 21 Jean Galien (anagramme d'Angeli), Si la lumière est ténè-

bres, Ed. du Scorpion, Paris, 1959. 22 Antoniu Trojani, So t t ' à l'Olmu, Aiacciu, 1978. 23 Mme Bertrand-Rousseau, op. cit. 24 L'Ochju, in Rigiru, n° 5, ut tobre 1975.

25 Aimé Pietri, L 'Innuchjatura, Provençal-Corse, 15 oc tobre 1967 et Pierre Bonardi (op. cit.).

Page 32: Le folklore magique de la Corse

d i g n e s d ' a p p r e n d r e , d e viei l les f e m m e s , c e r t a i n s s ignes

s u p e r s t i t i e u x q u i l e u r p e r m e t t e n t , le c a s é c h é a n t , d e ren-

d r e i m p u i s s a n t e s e t i n o f f e n s i v e s les p i q û r e s d e s s c o r p i o n s

e t a u t r e s a n i m a u x nu i s ib l e s . C e s s ignes n e p e u v e n t va-

l a b l e m e n t se c o m m u n i q u e r q u e la n u i t d e N o ë l e t seu le -

m e n t à c e u x q u i o n t f a i t l e s s e p t v e i l l é e s . »

Que penser de ce texte ? Un seul auteur, en dehors de Mgr Chabot, a parlé des sept veillées qui pourraient être considérées comme une épreuve initiatique, une sor- te d'examen de «passage» dans un monde magique. Il semble cependant que cette épreuve soit réservée aux seules prières concernant les piqûres d'insectes et ani- maux nuisibles, en particulier celles de la «zinevra».

«Si l'on ne peut retenir la prière, il faut recommen- cer l'année suivante. Si, avant ce temps, celle qui doit l'enseigner vient à mourir, la postulante ne connaîtra jamais le secret parce qu'il lui est interdit d'avoir recours à une autre initiée». En général, les prières magiques se transmettent de grand-mère à petite-fille ou à petit- f i l s . D a n s l e S u d , o n p e u t , e n c o u r s d ' i n i t i a t i o n , s ' e x p o -

s e r à u n g r a v e d a n g e r : l e c a n d i d a t « s i g n a t o r e » n e d o i t

a v o i r « n è s e t e n è s o n n u » ( n i s o i f n i s o m m e i l ) s o u s p e i n e

d e m o u r i r a v a h t s o n i n i t i a t e u r ; c e d e r n i e r l u i - m ê m e n e

s e r a i t p a s e x e m p t d e r i s q u e s . M a i s n ' e s t - c e p a s e n g u i s e

d e p l a i s a n t e r i e q u e M . A r i g e l o R i n a l d i i n d i q u e « q u e l ' o n

d o i t , a v a n t l a r é c i t a t i o n ( d e l a p r i è r e c o n t r e l e m a u v a i s

œ i l ) c o m p t e r t r e i z e é t o i l e s e n c o m m e n ç a n t p a r l a G r a n -

d e O u r s e » ? J e p e n s e d ' a u t a n t à l a p l a i s a n t e r i e q u e R i -

26 Mgr Chabot, La nuit de Noël dans tous les Pays, Pithiviers, 1912, p. 42; cité par le chercheur Auguste Brunetti di a Custera.

27 En Périgord, «les hommes les transmettent à un de leurs garçons et les femmes les disent à une seule de leurs filles», G. Ro- cal, op. cit.

Page 33: Le folklore magique de la Corse

naldi décoche aussi tôt après cet te flèche «De t o u t e fa-

çon, à Paris, on ne voit jamais les é t o i l e s » Certains guérisseurs son t plus doués q u e d 'aut res .

On dit dans le Sud, qu'ils on t la « m a n f o r t e » . Dans le

Périgord, on n o m m e «bien jauvents» ceux qui o n t le « bon œil» et d o n t on recherche la compagnie . De même, la Corse a ses «mal jauvents» que l 'on fuit car ils don-

nent , même involonta i rement , le mauvais œil : afin qu'ils

ne puissent j e t e r des sorts, on fait, en cache t te , derr ière eux, les cornes, s'ils v iennent vous faire v i s i t e . Il arrive

même que l 'on ait recours aux exorcismes à l 'égard des

enfants de la famille lorsque la visite d ' un i n c o n n u s 'est

prolongée un peu t rop . 28 «Les Dames de France», Gallimard, 1977. 29 ... et, dans le Bocage Normand, qu'ils ont «le sang fort»

(V. Gérard Bonnot , «La Sorcière du C.N.R.S.» in «L'Express» N° 1206, 15-25 août 1974.) 30 A propos du symbolisme phallique de la «mano cornuta»,

Marie Bonaparte pense que ce geste peut être «une allusion aux cornes d ' un mari trompé» in «Psychanalyse et Anthropologie», Ch. III, «Les Cornes Magiques», p. 64, Bibl. de Psychanalyse et de Psychologie clinique.

Quant à l 'autre Bonaparte, il n 'employai t pas les cornes en guise de conjuration mais le signe de croix : il en faisait même deux coup sur coup, ce qui fit dire au Préfet de Police Réal, qui lui annonçait que le général Moreau était compromis dans la cons- piration de Pichegru : «Décidément, le Premier Consul est fort dévot». (V. Jules Bertaut, «Napoléon et l 'Occulte», in «Historia» N° 193, déc. 1962).

Et Lorenzi de Bradi confirme en précisant qu '«une vieille habitude Corse veut que l 'on se signe à l 'approche d ' u n orage, au moment d 'un départ, avant de prendre une décision grave...». Cette habitude, «Napoléon l'avait conservée. Il faisait le signe de la croix avant d aller à la bataille.» («La Vraie Figure de Bonapar te en Corse», Flammarion 1926.)

Pour en revenir aux cornes, tan t dans le Sud de la Corse (Sartè, Munacia d'Aullè) que dans le Nord de la Sardaigne (V.le peintre Gaston Vuillier, in «Tour du Monde», «Nouveau Journal des Voyages», LXI, Hachette), on voit souvent des cornes de chèvres accrochées aux arbres. Il ne s'agirait nul lement de corne d 'abondance destinée à la prospérité du verger mais d 'une amu- lette pour la protect ion du bétail.

Page 34: Le folklore magique de la Corse

A P e t r a c u r b a r a ( C a p ) , l o r s q u ' u n e n f a n t e n t r e p o u r la p r e m i è r e fo i s d a n s u n e m a i s o n , l ' h ô t e r e m e t à la m è r e d e

l ' e n f a n t d u sel o u , à d é f a u t , d u s u c r e . E n e f f e t , e t M m e

B e r t r a n d - R o u s s e a u ( o p . c i t . ) n e m a n q u e p a s d e le r e l eve r , il

y a « a t t r i b u t i o n d e p o u v o i r s m a l é f i q u e s à « l ' é t r a n g e r » q u i

p e u t ê t r e : le p a y s a n d e la c o m m u n e a v o i s i n a n t e , c e r t a i n s

m a r c h a n d s a m b u l a n t s , le « p i n z u t u » ( f r a n ç a i s d u « c o n t i -

n e n t » ) , et , b i e n e n t e n d u , t o u t i n d i v i d u a p p a r t e n a n t . . . à u n e

e t h n i e é t r a n g è r e à l ' î l e : e s p a g n o l s , i ta l iens , nord-a f r i ca ins ;

c e u x - c i a p p a r a î t r a i e n t p l u s a p t e s q u e d ' a u t r e s à l i b é r e r les

e f f l u v e s n é f a s t e s q u i j a i l l i r a i e n t d e l 'œi l . . .

« L ' h o s p i t a l i t é « r é p u t é e e t r ée l l e d e s Cor se s» s e r a i t

le r e v e r s d ' u n e c e r t a i n e x é n o p h o b i e c o n s c i e n t e o u incons -

c i e n t e , d o m i n é e , c h e z les uns, p a r le t r u c h e m e n t d ' u n e

c o n d u i t e c o n t r a p h o b i q u e : le r i t u e l e t les a m u l e t t e s , subl i -

mé, c h e z les a u t r e s , p a r u n e a t t i t u d e d ' a c c u e i l s o c i a l e m e n t

a p p r é c i é e . » Q u o i q u ' i l e n so i t , l 'œ i l p e u t a f f e c t e r ce q u ' i l

r e g a r d e e t , d a n s « G r a n i t e I s l a n d » , D o r o t h y C a r r i n g t o n révè-

l e d e r é c e n t e s r e c h e r c h e s r u s s e s s e l o n l e s q u e l l e s l 'œi l é m e t -

t r a i t u n r a y o n é l e c t r o - m a g n é t i q u e q u e l ' o n p e u t m e s u r e r .

( o p . c i t . )

« Q u a n d u n b é b é v o u s p l a i t , v o u s e n f a i t e s l ' é loge e t

v o u s d i t e s p a r e x e m p l e : O h ! q u ' i l e s t b e a u ! Q u ' i l e s t intel-

l i g e n t ! I l f a u t a j o u t e r c o m m e c o r r e c t i f : Q u e D i e u le bénis-

se ! L e m i e u x s e r a i t e n c o r e d e j e t e r s u r lui q u e l q u e s

g o u t t e s d e s a l i v e » .

O n c o n n a i t l a m a g i e d u c r a c h a t , e n c o r e v i v a c e , e n

C o r s e , d a n s c e r t a i n s j e u x d ' e n f a n t . Q u a n t à J é s u s , n ' e s t - c e

p a s a v e c l a s a l i v e q u ' i l g u é r i t l ' a v e u g l e d e B é t h s a ï d e , u n

s o u r d - m u e t - a u t é m o i g n a g e d e S t M a r c - a i n s i q u e l ' a v e u g l e -

31 Ou «faire les cornes, exactement comme on fait à Naples, avec son pet i t doigt et son index allongés», P. Bonardi, op.cit. 32 Chanoine S. B. Casanova, Histoire de l'Eglise de Corse, tome I,

Ajaccio 1931.

Page 35: Le folklore magique de la Corse

n é d o n t il o i g n i t les y e u x d e t e r r e m o u i l l é e d e sa l ive e t q u ' i l

e n v o y a e n s u i t e se l a v e r d a n s la p i s c i n e d e S i l o é .

M m e B e r t r a n d - R o u s s e a u s igna l e l ' e m p l o i d u c r a c h a t

p o u r « d i s s i p e r la m a l f a i s a n c e » . E l l e e x p l i q u e q u e c e r t a i n s

« s i g n a t o r i » u t i l i s a t e u r s d e p l o m b f o n d u - J ' y r e v i e n d r a i à

p r o p o s d u p l o m b - a r r i v e n t à d é m a s q u e r les f a s c i n a t e u r s :

« d a n s ce cas, o n d e m a n d e à ces d e r n i e r s d e c r a c h e r s u r la

v i c t i m e » . E t c e t t e « c o n d u i t e à l ' e n v e r s » p e r m e t d ' a n n u l e r

l ' a t t i t u d e a d m i r a t i v e i n i t i a l e . N o u s r e v i e n d r o n s s u r c e t t e

c o n d u i t e à p r o p o s d u p o è m e q u e S i m o n u d ' A u l l è a v a i t c o n s a c r é a u x c i r c o n s t a n c e s d e sa n a i s s a n c e .

Si, p a r m a n q u e d e p r é c a u t i o n , l ' e n f a n t a é t é « i n n u c h -

j a t u » , il n ' y a p lu s q u ' u n r e m è d e : r e c o u r i r à u n e « m a m m i -

n a » , a p p e l é e e n c o r e « i n c a n t a t o r a » o u « s f u m a d o r a » . Ce t -

t e o p é r a t r i c e - d a n s le S u d e t l o r s q u ' i l s ' a g i t u n i q u e m e n t d e

l ' « i n c a n t e s i m u d i i d o n n i in p a r t u » , l ' e x o r c i s m e d e s f e m m e s

e n c o u c h e s - e s t a p p e l é e « t i n i d o r a » .

D E Q U E L Q U E S S U B S T A N C E S E M P L O Y E E S P O U R

L A C O N J U R A T I O N D U M A L .

L ' « i n c a n t a t o r a » u t i l i s e , à s o n c h o i x , d i v e r s e s s u b s -

t a n c e s : e l l e p e u t e m p l o y e r d e s g r a i n s d e b l é , d u fil , d u sel,

d e s p o i l s d ' u n e c h è v r e m a l a d e le S c e a u o u h e x a g r a m m e

d e S a l o m o n , la f u m é e , le p l o m b f o n d u p l o n g é d a n s l ' e a u

( les f o r m e s e t les d e s s i n s d u p l o m b s o l i d i f i é c o n s t i t u a i e n t ,

33 Jean Natali, Parmi le Thym et la Rosée, p. 59. 34 A Santa Lucia di Tallà et Altaghjè, l 'on porte précieusement

sur soi des poils de sanglier (sètule) afin de les jeter, si l 'occasion s 'en présente, sur le jeteur de sorts que l 'on soupçonne. De même, les Indiens Navajo se munissent «de quelques poils de souris p o u r n'a- voir rien à craindre de l'ours.» (B. Haile et M. C. Heelwright, «Emer- gence Myth according to the Hanel thnayhe Upward Reaching Rita», Navajo religion Series, vol. 3, p. 46, Santa Fe, 1949 (cité par Claude Levy-Strauss in La Pensée Sauvage, Plon, 1962.

Page 36: Le folklore magique de la Corse

dans l'Antiquité, une méthode de divination), des gouttes d'huile jetées également dans l'eau, ou encore des «parcel- les de charbon a r d e n t » .

A ces substances, on peut enfin ajouter «l'étoupe ayant servi à essuyer l'huile des malades» (pendant le sacre- ment de l'« Extrême Onction»). «Le curé brûle lui-même (cette étoupe) sur place ou de retour à l'église» ... «Simple précaution et combien justifiée pour éviter à certaines assis- tantes la tentation de s'en emparer» à des fins d'«incanta- tions et autres «conjurations» du m a l . » bis

Quelques mots au sujet du blé : à Siscu, on pratique encore l'«orazione» en jetant des grains de blé dans une assiette d'eau. Le diagnostic du mauvais œil dépend des bulles qui se forment, le cas échéant. Il est question, d'ail- leurs, dans une prière magique, d'une colombe qui tient dans une de ses pattes une tasse remplie de blé.

35 P. Arrighi, Les Superstit ions de l'Enfance, in L'Annu Corsu, 1926. - Kai Donnen, Zu der ältersten Berührung zwischen Samoje- den und Türken, Journal de la Société Finno-Ougrienne, vol. 40, n° 1, 1924, affirme que les Samoyèdes aussi purifient leurs chamans avec des charbons ardents au terme de la séance. Holmberg Uno. Harva, Die Religiösen Vorstellungen der altaischen völker, LII, 125, Helsinski, 1938. On purifie vraisemblablement la partie du corps par laquelle ont été «absorbés» les mauvais esprits qui malmenaient le malade. Mircea Eliade, La Chamanisme, 2me éd., Payot, Paris, 1974, p. 191, note 2 .

35bis Evêques et Curés Corses dans la Tradition pastorale du Con- cile de Trente, thèse de doctorat en théologie. Fac. de Lyon, p. 147, in Corse Historique, N° 17-18, 1er-2me trim. 1965.

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1 - L A F U M E E

C h a r l e s F l o r a n g e é c r i t : « S i l ' e n f a n t t o m b e m a l a d e ,

o n b r û l e r a u n r a m e a u d ' o l i v i e r » - « b é n i t le j o u r d e s R a -

m e a u x » , p r é c i s e P a u l A r r i g h i , - « d e s f e u i l l e s d e p a l m i e r ,

un peu d 'encens» , «un morceau de cierge et, sur la fumée qui se dégagera, on tiendra l'enfant avec l'incantation sui- vante : «Je t'enfume et que Dieu te guérisse.» »

Il serait fastidieux d'énumérer les charmes dans la

confection desquels intervient la fumée. Dans le Sud ( (Aullè, Chera, commune de Sotta...) désensorceler se dit, d'ailleurs, «sfumà» et guérisseuse, «sfumadora». Mme Bertrand-Rous- seau (op.cit.) dit que la pratique de la «sfumadora» «est destinée à lever le mauvais sort dû aux esprits».

La doctoresse Legey rapporte qu'au Maroc, «pour guérir la stérilité, la femme juive fait, entre autres, des fu- migations sous ses r o b e s » .

Dans une peuplade indienne d'Amérique du Nord, on insuffle, pour faire fuir les esprits mauvais, de la fumée dans l'anus, à l'aide d'une sorte de seringue : «aussi invraisembla-

36 La Vie quotidienne en Corse au X V I I m e s., Hachet te , 1970. 37 «Les charmes de fumées odorantes sont bien connus... et Saint

Amboise, Saint Chrysostome témoignent des vertus saintes de l'en- censement. Dans le Maghreb, les fumigations odorantes éloignent les périls et entourent . la signature des contrats. Ces «conduites» di tes archaïques sont destinées à établir un contac t avec l'invisible.» (P. Desplanches in Terre de Provence, 8. 5. 1971, rendant compte des Magies Originelles d u Dr Gobert , Aix-en-Provence.) - Lorsque, étant enfant , j'avais une migraine, ma mère, native d u Centre-Est de la Cor- se, nouai t au tour de ma tê te un mouchoir par fumé au fenouil. Je m'endormais aussitôt, apaisé. 38 La Corse et ses Croyances populaires, in Revue de la Corse,

N° 89, sept-oct. 1934. - La «machi» araucane, chamane sud-américai- ne, tire une bouffée de fumée de tabac e t l 'envoie vers le Ciel, vers Dieu : Je t 'offre cette fumée» dit-elle. (M. Eliade, op. cit.).

39 Essai de Folklore marocain, Lib: Orientaliste Paul Geuthner , Paris, 1926.

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L ' A L L A I T E M E N T

Dans certaines régions de l 'île, la mère, qui ne pouva i t

allaiter son enfant , ne devait pas le r eme t t r e e l le-même à la nourrice, car cet te dernière serait également restée sans lait.

Lorsque le cas se produisai t , il fallait réunir de la farine prise dans sept maisons dif férentes e t faire des «tagliarini»

qui devaient être cuits e t ensuite mangés dans un mor t i e r en gardant un pied à l ' in tér ieur de la maison et un pied à l ' e x t é r i e u r .

Goury de Champgrand rappor t e que l 'on faisait boire aux mourants , c o m m e viatique, un peu de lait de f e m m e :

«Cette nourr i ture é tan t la p remière que le m o u r a n t a pr ise en venant au monde, elle doit, de même, ê t re la dernière qu'il reçoive»).

Il existe des prières magiques p o u r d o n n e r aux brebis et aux chèvres le lait nécessaire à leurs peti ts .

POUR ANNULER L'ENCHANTEMENT DES MORTS

Le regretté poè te Menicu d 'Osani écri t :

«Si vo' sintite una chjama, un lagnu, un cr icchennu,

un r imore ch 'un vi pare micca naturale, si p i a n t a e si dice : T ' i n c i t u p a ' un santu che tu adori».

(Si vous en tendez un appel, un gémissement , un sou-

pir de douleur , un bru i t qui ne vous semble pas na ture l , vous vous arrêtez et vous dites : J ' i nvoque t o n âme au n o m du saint que t u adores.)

Dans le F i u m o r b u ' on dit :

«Ch'ab bisogna an ima toia ? ». (De quoi t on âme a-t- elle besoin ? ).

A u t a n t que possible, il faut qualifier ce t t e âme de

«cristiana» (chrét ienne) et , su r tou t , ne pas oubl ier de la tu toyer . «Alors, le m o r t se p résen te : on ne voit que la moi- 346 Dr F. Cirenei, La Medicina Corsa, Pise, 1961.

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t i é d e s o n visage, m a i s il p a r l e e t v o u s c h a r g e d ' a d r e s s e r d e

sa p a r t d e s « m a n d a t a g h j i » ( m e s s a g e s ) p o u r ses p a r e n t s e t

amis . I l d i t e n f i n s ' i l a b e s o i n d e m e s s e s p o u r c h a n g e r d e s é j o u r d a n s l ' a u - d e l à » .

Il y a d e s « a n i m e p e r s e » ( â m e s éga rées ) q u i s o n t con- d a m n é e s à « r a g h j à » ( g é m i r ) ; el les p r e n n e n t la f o r m e d e

b e l e t t e s o u d e c h a t s . Il f a u t , l o r s q u ' o n les v o i t , r é p a n d r e d u r iz a u t o u r d e soi o u c h a s s e r l ' a n i m a l .

L'«ANSCIATA» (Le souffle)

L '«ansciata», ainsi baptisée par les «fiumorbacci», est l 'haleine d ' u n esprit invisible.

Une «signatora» de Linguizzetta se t rouvai t chez elle lorsqu'el le en tend i t comme un grésillement. Elle s'écria : «C'est un coup de feu». Au même instant, son frère, Jean- Pierre était tué sur le «continent». Dans l '«ansciata», on en-

tend respirer fo r tement que lqu 'un près de soi e t l 'on sait

que cet être appor te la m o r t : dans un village des environs de Sartè, un enfant de six ans dort , près de sa tante . Celle-ci en tend contre elle un souffle rauque. L 'enfant se réveille et dit : «On a essayé de me prendre», puis il incline sa tê te et demeure inanimé. Au rez-de-chaussée habite un vieil oncle

ancien docteur . Il ne peu t que consta ter le désès de l 'enfant.

«A MATTIA» (Les maladies mentales)

Dans la région de Sartè, le 1er septembre, on se rend en pélerinage à la chapelle de «Santo Frate Martinu de la Rocca» dans l'ancien couvent de Bilia. Le culte de ce

bienheureux père, qui vient au secours des « fidèles vexés par l'esprit malin», se pratique également à Grossa «où l'on accompagne les malades mentaux dans un état d'excitation ou de mélancolie... La chapelle est sur un piton rocheux. On y laissait autrefois, pendant trois jours et trois nuits, le malade». De nos jours, on ne le laisse plus que 24 heures dans la chapelle miraculeuse.

Et si la cure ne réussit pas à guérir sa «mattia», il