Le délit du 17 novembre 2015.

20
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 17 novembre 2015 | Volume 105 Numéro 9 Ostie d’ croquembouche depuis 1977

description

 

Transcript of Le délit du 17 novembre 2015.

Page 1: Le délit du 17 novembre 2015.

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 17 novembre 2015 | Volume 105 Numéro 9 Ostie d’ croquembouche depuis 1977

Page 2: Le délit du 17 novembre 2015.

É[email protected]

Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 9

2éditorial le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

[email protected] Julia Denis

actualité[email protected] BeaupréThéophile Vareille

[email protected]éline FabreAmandine Hamon

Société[email protected] Perrin Tabarly

économie [email protected] Sami Meffrecoordonnateur de la production

[email protected] Baptiste Rinnercoordonnatrices visuel

[email protected] EngérantEléonore Nouel

coordonnateurs de la [email protected] BojuCôme de Grandmaison

coordonnatrice réseaux [email protected]

Inès Léopoldie DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Joseph BojuWebmestre

[email protected] Ménard

contributeursAldéric Leahy, Antoine Duranton, Arno Pedram, Aymeric Amigues, Capucine Lorber, Catherine Aboumrad, Charles Gauthier-Ouellette, Cécile Richetta, Chloé Anastassiadis, Chloé Francisco, David Leroux, Hannah Raffin, Jeanne Simoneau, Joachim Dos Santos, Louis Baudoin-Laarman, Magdalena Morales, Mahaut Engérant, Miruna Craciunescu, Nicolas Belliveau, Nuoédyn Baspin, Paul Pieuchot, Philomène Dévé, Ronny Al-Nosir, Salomé Grouard, Théo Bourgery, Vassili Sztil, Vittorio Pessin, Zaliqa RoslicouvertureEléonore Nouel, Vittorio Pessin et Luce Engérant

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

Passer son vendredi à la bibliothèque. Ouvrir pour la trente-sixième fois de la journée sa page Facebook. Cliquer

sur l’article qu’un ami vient de partager. Tomber sur un livestream de Libération. Lire que «deux hommes ont ouvert le feu rue de Charonne». Ne pas être certaine de comprendre. Ne pas réaliser directe-ment. Faire défiler l’article, le temps de couvertures médiatiques, les attaques, et le nombre de morts. Comprendre. Lâcher un «merde», seule face à son écran. Se souve-nir de Charlie. Se dire que ça recommence. Appeler ses parents. S’assurer que toute sa famille est bien à la maison. Déambuler sans trop d’équilibre dans les couloirs de McLennan. Chercher des Français du regard. Prendre le premier porteur de chaussures Stan Smith dans ses bras. Commenter. Demander comment va l’autre, même si l’autre est un étudiant de gestion à qui vous n’avez jamais adressé la parole et que vous vous situez dans un espace de travail silencieux. S’asseoir à une table avec des compatriotes. Se replonger dans les réseaux sociaux. S’y perdre une heure. Ne plus être certaine du nombre d’attaques, du nombre de morts, ou de si tout cela est bien réel. Croiser le regard d’un ami. Appuyer ce regard. Acquiescer, l’urgence redescend, le deuil s’installe. Skyper sa mère pour qu’elle installe la caméra face à la télé française que vous ne parvenez pas à capter de votre bout du monde. Écouter la première chro-nique émotionnelle de la journée. Pleurer. Culpabiliser d’être aussi loin de la France, d’être exclue. Cloper. Se sentir profondé-ment Française. Se sentir profondément touchée, car si ces hommes et ces femmes ont été tués c’est uniquement pour leur citoyenneté et leurs valeurs, les mêmes que les vôtres. Entendre des étudiants cana-

diens vous présenter leur soutien. Se rendre chez le plus parisien de ses amis. Réaliser que même lui a perdu son insolence. Rester cinq heures devant une chaîne d’informa-tions. Repérer ses vingt meilleurs amis signalés en sécurité. Apprendre qu’au moins 120 d’entre nous sont tombés. Finir les trois quarts d’une bouteille de whisky à deux. Éponger cette triste ivresse avec des pitas au cumin libanaises – joli hasard. Débattre. Se réveiller tôt pour retourner sur le cam-pus. Se souvenir. Avoir froid aux pieds en ce premier samedi gelé et avoir peur d’une nouvelle attaque. Admettre avoir été terrori-sée. Tenter de faire son travail. Ne pas réus-sir à se déconnecter. Changer sa photo de profil. S’émouvoir de tout ce soutien virtuel au-delà des kilomètres. Commencer à tout questionner: subjectivité médiatique, amal-games, cyber-activisme à la mode, récupé-ration politique, surenchère. Commenter, liker, et rester accrochée. Participer au rassemblement devant le consulat français. Chanter la Marseillaise la plus silencieuse de l’Histoire. Croiser les larmes de chacun. Avoir un sentiment de déjà-vu. Se rendre compte qu’un attentat en France n’est plus une exception, que nous sommes la cible, que nous sommes solidaires, beaux et fiers, mais en en guerre.

Puis vient le temps d’écrire pour avancer. Diviser les pleurs en pages, voir l’atrocité comme un sujet, matérialiser la douleur sur papier, ne plus ressentir. Le deuil accéléré du journalisme. L’équipe édi-toriale du Délit, majoritairement d’origine française et consciente de l’importance de la communauté française à McGill, a sou-haité réagir en publiant une édition spécia-le avec un livret (p.7) à propos des attentats de la semaine passée.

Les médias ont une importance toute particulière lors de ce type d’événements. Ils permettent d’informer, analyser, réa-gir, connecter ceux qui sont éloignés et

dresser des mots face à l’horreur. La parole justement, le logos, à la fois raison, sagesse et vérité est notre plus belle arme face à ceux qui ne revendiquent que par la mort. Néanmoins, les médias ont aussi relayé un grand nombre de fausses informations ou présenté des articles pauvres en nuances et riches en amalgames. La réactivité doit s’équilibrer avec la qualité; la subjectivité blessée avec la vérité et le respect.

Ces derniers jours, beaucoup ont souhaité souligner le fait que d’autres atta-ques barbares avaient été perpétrée sans obtenir la même couverture médiatique, ni le même soutien international. Avec «les bombes à Beyrouth, Bagdad et Ankara, et l’explosion d’un avion russe au-dessus du Sinaï, nous voyons l’intensification du re-cours aveugle à la violence contre des civils au nom d’une idéologie politique», rappelle l’observatoire des Droits de l’Homme.

La France a été touchée et choisie pour ses valeurs. Une violence extrême contre cette liberté que les Français ont posée à l’extrémité du progrès.

Nous présentons notre soutien à tou-tes les personnes directement ou indirec-tement touchées par ces événements. Nos pensées vont évidemment aux proches des victimes, mais aussi à tous les Français et tous les étudiants qui ont vu les valeurs auxquels ils aspirent bafouées dans ces attaques que nous condamnons.

Comme l’a parfaitement écrit le journal Libération, nous sommes la «Génération Bataclan»: nous avons grandi avec le 11 septembre et nous sommes devenus adultes avec les attentats de 2015 en France. Le premier ministre français, Manuel Valls, disait «votre génération doit s’habituer à vivre avec ce danger».

Le Délit a publié sa première édition de l’année pour Charlie Hebdo, il la finit avec ce dernier numéro 2015, «spécial attentats à Paris». x

13/11: Balles perduesjulia denisLe Délit

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

Page 3: Le délit du 17 novembre 2015.

Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Le «Non» l’emporte à McGillDe rares électeurs disent non à Alexei Simakov en tant que v.-p. aux affaires internes et à CKUT.

campus

Entre le 11 et le 15 novem-bre, seulement 16,7% du corpus étudiant s’est

acquitté, en quelques clics et des poussières de secondes, de son devoir démocratique du semestre: celui de voter. Plus précisément, 3 732 des 22 367 étudiants n’ont ni voulu d’un v.-p. aux affaires internes (v.-p. interne) pour les représenter à l’Association Étudiante de l’Uni-versité de McGill (AÉUM), ni d’une augmentation des frais de cotisation de la radio étudiante — CKUT— pour les divertir et les informer.

CKUT: coulée

CKUT, radio mcgilloise reconnue comme étant l’une des meilleures stations de Montréal, a vu sa demande d’augmenter sa redevance semestrielle d’1,50 dollar rejetée par un peu moins de 55% des étudiants. Pourtant, 3 votants sur 4 ont approuvé les 4 dollars semestriels du Réseau Sécuritaire de l’AÉUM. CKUT forme chaque année des dizaines d’étudiants aux divers métiers de la radio: techniciens, rédac-teurs, présentateurs et autres; elle compense ainsi, comme s’en efforce aussi Le Délit, l’absence d’une école de journalisme à McGill. CKUT, dont les frais de fonctionnement couvrent une license d’émission sur les grandes ondes ainsi que l’achat et l’entretien d’un matériel oné-reux, est actuellement en grave déficit et comptait fermement sur ces fonds supplémentaires pour se maintenir à flot.

Élections rocambolesques

Il semble que l’AÉUM, bien malgré elle, ait voulu offrir à ses électeurs une dose supplémen-taire de divertissement popcorn, en continuant dans la lignée des campagnes électorales qui res-semblent de plus en plus à des matchs de catch dans la boue qu’à autre chose.

Alexei Simakov, candidat défait à la présidence de l’AÉUM en mars dernier, avait vu son opposante Céleste Pagniello se désister au matin de l’ouverture du scrutin. Cette dernière avait été officiellement sanctionnée par Élections AÉUM pour avoir fait usage de comptes Facebook fictifs afin de maquiller l’évic-tion d’un étudiant de sa page de campagne. Naturellement, Simakov, qui est aussi président des Conservateurs de McGill, a sans doute pensé qu’il se diri-geait vers une victoire certaine. Toutefois, pour ce dernier, dont l’élection s’était transformée en vote d’approbation, la soudaine apparition d’une vigoureuse cam-pagne du «Non» sur les réseaux sociaux a finalement eu raison de lui: 51,7% des électeurs n’ont pas voulu lui accorder une victoire par acclamation.

La campagne du «Non» s’est déroulée dans un flou légal, s’étant autoprocalmée «non-officielle» pour ne pas avoir à se plier aux règles de l’AÉUM. Ces règles

auraient empêché Ben Van der Ger, co-organisateur et employé de l’AÉUM sous le v.-p. aux finances et opérations, de s’impliquer. Parmi les faits reprochés à Simakov par ce mouvement, on retrouve une campagne déloyale: pour avoir dénoncé anonymement les agisse-ments interdits de son opposante et celui de ne pas avoir compris le rôle de v.-p. interne en présentant un programme trop ambitieux qui outrepasse les prérogatives du pos-te. Selon le camp adverse, Simakov ne serait pas assez représentatif du corps étudiant car il n’accorde pas assez d’attention au problème de l’équité, et ce malgré le fait qu’il ait recueilli 47,5% des suffrages au semestre passé lors des élections présidentielles de l’AÉUM.

Pour leur part, deux des organisateurs de la campagne du «Non», Ben Van der Ger et Evan Berry ont déclaré au McGill Daily que le mouvement n’était pas un mouvement anti-Simakov, mais plutôt une campagne de sensibi-lisation pour permettre aux étu-diants de savoir qu’ils ont l’option

de voter «Non». De plus, les deux organisateurs de la campagne du «Non» sont des proches de Kareem Ibrahim, le président de l’AÉUM. Un coup monté de l’intérieur? À noter toutefois qu’un éditeur du Daily a aussi contribué à cette campagne du «Non» sur les réseaux sociaux.

L’AÉUM: grande perdante? Certes, de nouvelles élec-

tions sont progammées dans les semaines à venir et nos exécutifs de l’AÉUM recevront peut-être ce renfort dont ils on tant besoin, eux qui croulent actuellement sous leur charge de travail. Cependant, à long terme, cet énième épisode de House of AÉUM nuit à la légitimité de l’As-sociation qui est mise à mal par une participation très faible malgré le mode de scrutin électronique censé améliorer le taux de participation. Une Association dont l’image se détériore encore et toujours malgré les efforts honnêtes de l’équipe exécutive de redresser la barre après le travail occasionnellement amateur de leurs prédécesseurs.

Une Association aussi malheureu-sement trop occupée à rester fonc-tionnelle pour mener à bien des projets d’envergure.

Une tendance marquée

En voulant être plus que parfaite, ces dernières années, l’Association semble avoir pris un virage un peu trop extrême et se retrouve aujourd’hui déconnectée des réalités de la majorité des étudiants. Bien que les intentions des représentants soient louables, l’accent sur le politiquement cor-rect a largement contribué à éri-ger cette forteresse aux alentours de l’AÉUM, à laquelle seuls les plus intimes peuvent accéder. Les voix dissidentes, tel que Simakov, sont mis à plat grâce aux résaux sociaux, ce qui limite grandement ses capacités à se réformer. Cette réalité inquiète car le manque de dissension entre les voix et les intérêts entraîne l’apathie auprès des étudiants qui sont plus que jamais déconnectés de la démo-cratie étudiante. Comment leur en vouloir? x

éléonore nouel

théophile vareille et ikram mecheriLe Délit

Le Peterson vous offre des commodités haut de gamme :

LePeterson.com

*L’il

lust

ratio

n es

t une

repr

ésen

tatio

n ar

tistiq

ue

Se réveiller 5 minuteS avant le début du courS ?

PaS de Problème !étudiez en toute quiétude au cœur du quartier le PluS vivant de montréal.

80 % deS unitéS vendueS

• Salle d'entraînement surplombant la ville au 25e étage

• Terrasse au 25e étage avec mur d’escalade extérieur

• Salle de divertissement multimédia avec cuisine de démonstration

• Stationnement souterrain

• Service de concierge 24 heures et suite pour invités

Visitez notre bureau des Ventes et découVrez ce que Le Peterson a à Vous offrir.

informez-Vous à ProPos de nos Lofts uniques aux PLafonds de 18 Pieds.

445, aV. du Président-Kennedy (Près de La rue de bLeury) montréaL514 904-8855

à seulement 300 mètres de

l’université mcGill.

livraiSon été 2016

1 chambre À Partir de 256 900 $

2 chambreS À Partir de 339 900 $

Page 4: Le délit du 17 novembre 2015.

4 actualités le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Victoire pour nos rugbymens Face à des adversaires coriaces, le cœur y était et est sorti vainqueur.

campus

Au début d’une fin de semaine marquée par les attentats de Paris, les

Redmen ont arraché une vic-toire importante aux Carabins de l’UdeM (10-9), en finale de la coupe du Réseau du sport étu-diant du Québec (RSEQ).

Dans un Stade Molson ven-teux et pluvieux, les Redmen ont pourtant souffert. McGill a pris l’avantage assez tôt dans le jeu en marquant une pénalité à 30 mètres des poteaux des Carabins (11e). Aucun signe ne montrait que les Redmen souf-friraient pour la majorité res-tante du match: tampon mons-trueux de Thomas Stokes sur le talonneur des Carabins, passes rapides, organisation du jeu claire et construite, et surtout des réponses menaçantes aux avancées des Carabins.

Labeur = récompense

Et pourtant, les Redmen ont (trop) rapidement perdu leur souffle d’entame de match. Peu à peu, les Rouges ont perdu la possession du ballon, leur concentration ainsi que leurs moyens. Frustrés sans doute par les réussites des Bleus mais sur-

tout à l’évidence par leur inef-ficacité générale, les Redmen ont baissé leur rythme de jeu jusqu’à subir la partie qui se déroulait sous les yeux de leurs partisans.

Trois pénalités transfor-mées pour les Carabins (16e, 45e et 60e) et aucune réponse de la part des malheureux de notre chère université, bien que l’oc-

casion leur ait été donnée par deux fois de recoller au score en début de 2nde période lors de deux pénalités. Un message de la sono rappelle que «le rugby est un sport de gentlemen» et que les insultes ne sont pas pro-pices au bon déroulement du match.

Il aura fallu attendre les dernières minutes pour voir

dans l’avancée une tribu de Redmen endiablés poussés par un public tendu et hargneux.

Le score est toujours de 3 à 9 en faveur des Carabins. 9e phase aux quinze mètres. «Redmen! Redmen! Redmen!», les cris des supporters font vibrer les tribunes et le stade Molson semble s’animer d’un cœur nouveau. 30e phase aux

dix mètres. De l’autre côté de la tribune, là où Le Délit est assis, les supporters en bleu perdent patience et s’animent contre l’arbitre. 50e phase aux cinq mè-tres. Les Bleus n’ont plus touché le ballon depuis plus dix minu-tes. Les supporters en rouge deviennent fous, tout le monde est debout. Ceux en bleus quant à eux lancent des quolibets à l’adresse de l’arbitre et des Redmen, frustrés par les fautes répétées des Carabins. Chaque tentative de franchir la ligne est accompagnée d’un souffle exas-péré ou d’une exclamation selon le côté de la tribune dans lequel le supporter se trouve. 61e phase. Le temps réglementaire est terminé depuis longtemps, ultime tentative des Redmen de franchir la ligne des Carabins. Boyer reçoit la balle à sept mè-tres de la ligne, réalise deux cro-chets et aplatit le ballon sous les poteaux alors que trois Carabins plongent pour s’interposer. Conversion par Thomas Stokes — sous les huées des supporters bleus — qui ne tremble pas et propulse d’un coup de pied bien ajusté les Redmen vers un titre mérité en apothéose d’une sai-son sans défaite.

Coup de sifflet final, victoire des Redmen 10 à 9! x

yves bojuLe Délit

Contre 11-NovembreLe jour du Souvenir selon Démilitarisons McGill.

Vendredi soir dernier, Démilitarisons McGill (Demilitarize McGill,

ndlr) organisait le troisième événement de sa campagne #RememberThis (#Rappelons-nousÇa, ndlr) avec un panel intitulé: Celebrating Resistance to Canadian Nationalism (Célébrons la résistance au nationalisme canadien, ndlr). La campagne prenait place pendant la semaine du jour du Souvenir et s’est traduite par une série d’évé-nements contre la glorification du militarisme.

Démilitarisons McGill se fait remarquer chaque année lors de la cérémonie militaire, que ce soit par le brandissement de bannières ou l’organisation de manifestations silencieuses, et fait beaucoup parler (en bien et en mal) sur le campus. Le rassemblement défend le fait

que la cérémonie, par sa mise en vedette de véhicules militai-res, «n’accomplit guère (sic) à rappeler la vérité de la guerre et de la violence coloniale», mais propage plutôt une idée glorieuse des Forces armées canadiennes.

Néanmoins, plus de 80 per-sonnes se sont déplacées pour assister à la discussion entre Harsha Walia, activiste et auteu-re du livre Démanteler les fron-tières. Contre l’impérialisme et le colonialisme, Mostafa Henaway,

activiste impliqué dans la crise des migrants et le combat contre le soutien du gouvernement canadien envers l’apartheid is-raélien et Freda Huson et Dini Ze Toghestiy, deux membres du clan autochtone Unist’ot’en.

Les interventions des pané-listes ont servi à élargir la défi-nition que se fait le Canadien moyen du terme «militarisme» — l’esprit de guerre canadien en-globe beaucoup plus que l’image glorifiante que l’on se fait d’un soldat censé protéger son peuple. Walia affirme en effet que «le Canada est toujours dans un état de guerre», de par ses implica-tions colonialistes et patriarcales à l’étranger – état que dénient la plupart des citoyens.

Interventions impérialistes

Après qu’ait été posée la question «est-ce que supprimer les Forces canadiennes comme

institution s’avèrerait être la fin du militarisme?», les quatre panélistes ont ri. Les formes de militarisme au pays, sou-tiennent-ils, seraient partout et se traduiraient comme tout acte de violence et de contrôle exercé par les institutions gou-vernementales: l’intervention impérialiste en Afghanistan, l’intervention policière lors des manifestations étudiantes, la loi C-51, l’instauration de pipelines, le déversement des égouts dans les eaux, la Crise d’Oka, etc.

C’est dans cette discussion, lourde d’émotions mais remplie d’humour, que les activistes ont pu partager des anecdotes per-sonnelles des difficultés liées à la résistance. Huson a défendu le fait qu’un changement de menta-lité doit s’opérer dans la popula-tion pour qu’il y ait des change-ments majeurs au sein de l’État – tout le monde peut y trouver son rôle, affirmait Henaway. x

REMI lu

jeanne simoneau

«Un titre mérité en apothéose d’une saison sans défaite.»

Page 5: Le délit du 17 novembre 2015.

5actualitésle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Les femmes noires et le DroitConférence sur la place de la femme noire dans nos sociétés contemporaines.

«T u ne colles pas à l’image de notre cabinet», «comment

te sens-tu, en tant que femme noire en entrevue avec nous aujourd’hui?», «vas-tu rentrer plus tard dans ton pays?» Pour Médgine Gourdet, étudiante en troisième année à la faculté de droit de l’UdeM et pour de nom-breuses femmes noires qui tra-vaillent dans le domaine du droit, ces commentaires ne sont qu’une poignée des remarques racistes et sexistes auxquelles elles doi-vent faire face au quotidien.

Problème sociétal

Organisée par l’Association

des Étudiant(e) s Noir(e) s de McGill en Droit, la conférence, intitulée Black Women and the Law: Reclaiming Spaces and Changing the Narrative of Black Female Success (Les femmes noires et le Droit: Reconquête et changement de la dynamique du succès féminin noir, ndlr), réunissait huit femmes noires au

micro: Andréa Baptiste, Rachel Zellars, Alyssa Clutterbuck, Lillian Boctor, Stéphanie Jules, Amanda Wurah, Médgine Gourdet et Samanthea Samuels. Étudiant ou travaillant dans le domaine juridique, elles ont fait part de leurs expériences per-sonnelles et ont analysé la place des femmes noires dans le monde

contemporain.Ainsi, il a été possible de

constater que la place réservée aux femmes noires à la télévi-sion et dans les médias est très minime. Mises à part les célè-bres actrices Olivia Pope dans Scandal ou Gina Torres dans la série judiciaire Suits, les person-nes de couleur se voient souvent

attribuer un rôle secondaire et stéréotypé où elles jouent trop souvent le rôle de femmes de ménage ou gardiennes d’enfants. Les pratiques de sexualisation sont également toujours présen-tes. La femme noire-objet est une conceptualisation qui remonte-rait à l’époque de l’esclavage: très symbolique en termes de jeux de pouvoir.

Le domaine juridique

La sous-représentation des

femmes noires est également visible dans le domaine du droit, car l’histoire du droit trouve ses racines dans le colonialisme et dans les structures de la «supré-matie blanche», minant les chan-ces de réussite des minorités. Au Québec, il y a 24 450 avocats dont seulement 286 sont noirs. La grande majorité de cette proportion pratique en solitaire alors que le droit est une profes-sion qui fonctionne en réseau. Il est donc faux de penser que tous ont la même chance de réussite alors que le chemin est déjà miné d’obstacles, particulièrement

pour les femmes, même blanches.Mais ces embûches ne sont

pas seulement présentes pour celles qui pratiquent le droit. Ayant trois fois plus de chan-ces d’être victimes de violence conjugale, les femmes noires qui se tournent vers la police subis-sent souvent des de la part des autorités, causant le silence et une marge d’erreur monumen-tale dans les statistiques. Cette réalité, soutiennent les oratrices, doit être reconnue et abordée. Les femmes noires se doivent de prendre la parole pour se défendre entre elles et contrer les stéréotypes auxquels elles font régulièrement face. Dans la salle de conférence, on remar-quait que près d’une centaine de femmes noires étaient présentes. Une ambiance de solidarité et d’amour régnait alors que les ex-périences personnelles relatées étaient partagées par plusieurs membres du public… Il est déjà question d'une seconde tenue pour cette conférence couronnée de succès, qualifiée d'«incroya-blement rafraîchissante» et de «réellement inspirante».x

Au-delà de notre planète bleueLes scientifiques et leur recherche pour un monde comme le nôtre.

campus

Les films Interstellar et The Martian démontrent bien l’aboutissement d’un objectif

que toutes les nations partagent, ce-lui d’envoyer des êtres humains vers une autre planète. Avec les avancées technologiques d’aujourd’hui et les idées poursuivies par les innova-teurs, il semble que ce but ultime devienne de plus en plus atteignable. Mais, pourra-t-on vraiment un jour poser le pied sur une autre planète?

Les exoplanètes

Mercredi dernier, Dr Nicolas Cowan, professeur du département des sciences de la terre et des pla-nètes, a accueilli les étudiants de McGill pour parler un peu plus de sa recherche sur les exoplanètes, c’est-à-dire celles en dehors de notre système solaire. Sa recherche se concentre sur les exoplanètes à courtes périodes. Contrairement aux planètes de notre système solaire, ces planètes se trouvent à proximité des étoiles autour desquelles elles orbitent et peuvent réaliser une révolution complète en moins de quatre jours.

À l’aveuglette

Cependant, ce domaine de recherche est d’une difficulté particulière. En raison de la dis-tance qui nous sépare des exopla-nètes, les astronomes ne peuvent en effet pas les observer. Dr Cowan précise qu’il n’a jamais vu les planètes qu’il étudie et qu’il ne peut que présumer leur exis-tence. Selon Alex Geen, membre du club d’astronomie à McGill, «c’est en étudiant notre système solaire et les phénomènes astro-nomiques qui s’y produisent que le domaine des exoplanètes a débuté avant de repérer les planètes loin-taines.»

Pourquoi étudier ces planè-tes si on ne peut pas les voir? Dr Cowan et d’autres astronomes sont tout de même capables de mesurer plusieurs caractéris-tiques de ces planètes permet-tant ainsi de les détecter. Ces astronomes prennent avantage des phénomènes qui se pro-duisent lorsqu’un objet céleste orbite autour d’une étoile. C’est notamment le cas du transit et de l’éclipse. Le transit a lieu lorsqu’une exoplanète passe devant l’étoile autour de laquelle

elle orbite. Cette intercalation permet aux astronomes de décou-vrir non seulement si la planète a une atmosphère, mais aussi les molécules de cette atmosphère. Les rayons de lumière des étoiles passent à travers des atmosphè-res et, à l’aide de télescopes, les astronomes obtiennent des don-nées avant de les analyser plus attentivement.

À la suite du transit, une éclipse se produit lorsque la planète continue sa trajectoire et disparaît temporairement derrière l’étoile. Comme les étoiles, les exoplanètes émettent de la lumière. Par conséquent, lorsqu’une exoplanète se cache derrière son étoile, la luminosité du système planétaire s’affaiblit à l’œil de l’observateur sur Terre.

Les scientifiques peuvent donc calculer ce changement minuscu-le et ensuite déterminer la tem-pérature de l’exoplanète. Ils peu-vent aussi déterminer l’existence de nuages et leurs compositions. En obtenant toutes ces données, les scientifiques peuvent déter-miner si la planète est habitable.

De nouveaux espaces?

Pourrait-on un jour mar-cher sur une planète semblable à la Terre? Après avoir posé le pied sur la Lune voilà bientôt un demisiècle, l’inventivité humaine et les alizées célestes ne nous porteront-ils pas vers des hori-zons inexplorés dans un futur proche? Selon Dr Nicolas Cowan, une abondance de planètes parta-gent les mêmes caractéristiques atmosphériques que la planète bleue. Seul problème: ces planè-tes se trouvent à des distances ti-tanesques, la plupart d’entre elles à des centaines d’années-lumière de nous: on ne dispose pas des engins pour s’y rendre. Pour l’ins-tant, les missions spatiales repré-sentées dans les films Interstellar et The Martian ne restent que de la science-fiction. x

Nicolas Belliveau

magdalena morales

Page 6: Le délit du 17 novembre 2015.

6 actualités le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Foire aux «Zines»Expozine 2015, une foire aux fanzines haute en couleurs.

Par un samedi glacial, au salon Expozine 2015, on s’engouffre dans un couloir

menant à une salle communau-taire remplie d’exposants, d’artis-tes et de centaines de visiteurs au sous-sol de l’Église Saint-Enfant-Jésus du Mile-End, au coin des boulevards Saint-Laurent et Saint Joseph.

Ce salon faisait la promotion d’artistes et de publieurs édi-teurs indépendants de Montréal. Pendant ces deux jours, les affi-ches, les magazines, les livres et les fanzines étaient à l’honneur. Le fanzine, ou tout simplement zine, est une publication imprimée périodiquement ou non et réalisée par et pour des amteurs.

Menu éclaté et varié

Sebastian, du Swimmer’s Group, publieur éditeur indé-pendant de bandes-dessinnées et d’œuvres d’art, raconte comment il a fondé sa maison d’édition.

«Tout d’abord, je ne suis pas un éditeur, je ne censure jamais ce que l’’on me soumet. Tout a

commencé à Toronto, d’où je viens. Mes parents étaient des éditeurs professionnels, ils publiaient sur-tout des ouvrages académiques. Ce milieu m’a toujours intéressé, mais je n’aimais pas le carcan aca-démique dans lequel mes parents oeuvraient. Vers la fin de l’adoles-cence, j’ai commencé à imprimer et à diffuser le travail de certains amis artistes. Je me suis fait un nom et maintenant ce sont les artistes qui viennent me voir. Cela fait maintenant deux ans que je publie à Montréal.»

Sebastian exposait ses fanzi-nes de bandes dessinées, certains avec effusion de sang et de nudité mais toujours avec une touche d’humour irrévérencieux.

Plusieurs librairies et maisons d’édition étaient pré-sentes, comme la librairie du Centre Canadien d’Architec-ture et Écosociété. Les éditions Écosociété exposaient une grande gamme de livres tels que «L’anthologie du printemps étudiant de 2012», «Le guide d’autodéfense intellectuelle» et des manuels d’initiation à différentes pratiques, comme la permacul-ture, une technique durable pour

faire de l’agriculture à petite et grande échelle.

Fanzines et artistes engagés

La plupart des éditeurs, artis-tes et artisans choisissent de pu-blier de façon indépendante pour éviter la censure, avoir une liberté artistique accrue ou encore passer un message critique à propos de différents aspects de notre société.

Sucker Press exposait son fanzine «Frosh Week volume 1», une critique acrimonieuse des pratiques de bizutage iniatiques des universités à Montréal mais en particulier celles de l’Uni-versité McGill . «Frosh Week volume 1» relate en dessins et en texte l’aventure dégradante de l’initiation d’un jeune étudiant et présente des dessins très cho-quants. «Certains peuvent y voir

une bande dessinée à caractère sexuel déplacé, mais souvent la réalité est telle que l’on ne veut pas l’accepter et c’est celle-ci que nous souhaitons dénoncer», explique Gabrielle, contributrice au sein de Sucker Press. Gabrielle et ses collaborateurs ont quitté Toronto pour Montréal à cause du moin-dre coût de la vie, mais surtout pour atteindre un public qu’elle décrit comme plus ouvert et plus réceptif.

D’autres artisans ont pour but de rendre la lecture et l’alpha-bétisation plus accessibles via leurs publications. Maxime, libraire à son compte, représen-tant d’Écosociété pour le salon Fanzine, avec son collègue Michel Vézina, a fondé une librairie mo-bile à l’intérieur d’un camion de pompiers. Son prochain projet est de créer un «pub-librairie» afin de faire la promotion de la lecture dans un village des Cantons de l’Est où il n’y a ni bibliothèque ni librairie.

Les artistes présents au salon Expozine prouvent fièrement au quotidien que la presse libre mon-tréalaise existe à travers chacune de leurs publications. x

salomé grouard

Aldéric Leahy

Pour un salaire décentPetite manifestation pour une rémunération minimum à 15 dollars de l’heure.

montréal

Le Mardi 10 novembre, au 770 rue Sherbrooke Ouest, un groupe de manifes-

tants, modeste, mais convaincu, attirait efficacement l’attention des passants vers leur cause: un salaire minimum à 15 dollars de l’heure. Aux quatre coins des rues Sherbrooke et McGill College des volontaires distribuaient des pamphlets pour préparer les pié-tons à ce qu’ils allaient voir. Sur place, une vingtaine de person-nes alignées longeant le trottoir et brandissant leurs pancartes piquaient la curiosité et, surtout, provoquaient des discussions engageantes. Présentement, le salaire minimum est à 10,55 dol-lars de l’heure. La dernière hausse enregistrée a eu lieu le premier mai dernier, faisant passer le salaire minimum de 10,35 dol-lars de l’heure à ce qu’on connaît aujourd’hui. Alors, pourquoi demander un tel bond, vers 15 dol-lars de l’heure?

Témoignage

Un travailleur, étiqueté com-me précaire par les organisateurs, se confie. Selon lui, c’est évident,

son salaire est insuffisant. «Ce n’est pas une fantaisie de ma part, une telle hausse est nécessaire pour un niveau de vie décent et, de manière réaliste, 15 dollars par heure ce ne serait même pas tout à fait suffisant.» Il doit tra-vailler davantage, collectionner les emplois, du matin au soir. Avec une famille à nourrir, la motiva-tion est d’autant plus grande que l’enjeu est délicat. À Montréal, les maisons sont dispendieuses et l’augmentation du prix des loyers dépasse de loin celle du salaire

minimum. Les allocations fami-liales n’arrivent pas à tout couvrir; insuffisant, ça aussi.

Organisée par la Coalition contre le travail précaire, cette manifestation visait une plus grande visibilité, pour se faire entendre, mais surtout se faire découvrir. Œuvrant depuis déjà quelques années, le mouvement peine à se faire connaître du public. Postés stratégiquement devant le bureau du premier ministre à Montréal, les manifestants insistaient aussi sur la nature double de l’emplacement.

Ainsi, se faire entendre devant l’Université McGill c’est aussi sensi-biliser les décideurs de demain.

Ailleurs en Amérique du Nord

La campagne québécoise fait suite à d’autres mouvements amor-cés ailleurs en Amérique du Nord. Aux États-Unis, les mouvements en faveur du salaire minimum à 15 dollars de l’heureont été amorcés par des employés de Walmart et de chaînes de restauration rapide. Des campagnes massives organisées par

des employés et des syndicats ont débouché sur l’adoption d’un salaire minimum de 15 dollars de l’heure dans les villes de Seattle, de San Francisco et de Los Angeles.

La campagne fonde son objectif sur le rapport de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), basé à Montréal, qui, le 2 mai 2015, indi-quait qu’«il y a un manque à gagner de quatre dollars de l’heure pour que le niveau du salaire minimum soit viable, pour qu’il ne soit plus synonyme d’exclusion économique et sociale.» Ce même rapport men-tionne qu’un emploi à temps plein n’est pas synonyme de prospérité: le salaire minimum actuel ne permet pas de subvenir aux besoins de base et, en même temps, de s’émanciper de la pauvreté.

Dans la mesure où une petite PME québécoise ne pourrait soute-nir une telle hausse, le mouvement montréalais prend en exemple cer-taines villes américaines où, chiffres à l’appui, les entreprises bénéficient d’une subvention provenant d’une taxe prélevée auprès des grandes entreprises, comme Walmart. Toutefois, les opposants au projet rappellent que la hausse du salaire s’accompagne aussi d’une hausse du coût de la vie, ce qui pourrait rendre la hausse caduque. x

Julien BeaupréLe Délit

Page 7: Le délit du 17 novembre 2015.

7spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Hommages aux victimes à MontréalIls étaient des centaines, devant le consulat de France, Place des Arts et à

l’intersection Y pour honorer la mémoire des morts à Paris.

inès léopoldie-dubois

spécial attentats

éléonore nouel Louis baudoin-laarman

Adrien, étudiant parisien en visite à Montréal: «Je trouve ça bien qu’il y ait quelque chose comme ça qui se mette en place. Avec tout ce qui se passe, même depuis l’étranger, donner ne serait-ce qu’un peu de soutien c’est déjà ça. On fait ce qu’on peut de là où on est...»

Emily, étudiante à McGill originaire de l’Île-du-Prince-Édouard: «Leur montrer que ça n’a pas marché, que nous n’avons pas peur et que, quoi qu’il arrive, ça ne nous empêche pas de sortir de chez nous.»

Marc Blondeau, directeur de la Place des Arts: «Consternation d’apprendre qu’un tel carnage ait eu lieu dans une salle de spectacle. Nous avons pensé proposer un rendez vous simple, sobre, un rassemble-ment de solidarité pour la paix, contre la violence et la peur, un événement de recueillement (...) mais aussi, et peut être surtout, un événement de prise de parole par plusieurs personnes du milieu culturel.»

Michel Dumont, comédien et directeur du théâtre Jean-Duceppe: «Deux solutions: ou on se terre, on se cache, on plie, on arrête de vivre et on arrête de croire; ou bien on relève la tête, et on continue à avoir la foi en l’Homme, malgré toutes les folies dont il est capable.»

Marily, étudiante à McGill originaire de l’Île-du-Prince-Édouard: «Je n’attendais pas autant de gens mais je

pense que c’est très impressionnant, ça montre à quel point l’humanité est puissante, et que nous pouvons

tous nous rassembler quand un événement aussi hor-rible arrive, et promouvoir tous ensemble la paix.»

Anne, originaire de Clermont-Ferrand: «Je trouve tou-jours ça très émouvant comme rassemblement. Et puis

de se retrouver avec des gens de tous les horizons qui ne se connaissent pas, pour la même raison, c’est toujours

un bon moment. J’espère juste que l’élan de solidarité ne va pas s’éteindre demain. Et puis on va essayer de

faire en sorte de tous rester debout, ensemble, col-lectivement dans les prochaines semaines et mois

parce que malheureusement ça risque de ne pas être la seule épreuve à laquelle on va être confronté...»

Margaux et Chloé, étudiantes mcgilloises françaises: «Parce qu’on est loin et que dans des moments comme

ça, ça fait du bien de se réunir pour se serrer les coudes.»

Propos recueillis paresther perrin-tabarly

Hannah raffinmatilda nottage

Le Délit

Page 8: Le délit du 17 novembre 2015.

8 Spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

matilda nottageLe Délit

Sources: Libération, Le MondeInfographie réalisée à l’aide de Piktochart.

Page 9: Le délit du 17 novembre 2015.

9spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Incorrigibles ParisiensChoc, deuil et défiance se mêlent au lendemain d’attaques d’une ampleur inédite.

Place de la République, ce dimanche 15 novembre, une tiédeur insolite enveloppe les

centaines de personnes qui se pres-sent contre la statue de Marianne. Malgré l’interdiction des rassem-blements en commémoration des victimes du 13 novembre, les bougies et les fleurs s’amoncellent à la base du monument central de la place, dégageant une chaleur cer-taine. Lorsqu’on s’approche, qu’on se baisse pour lire les messages de paix qui se mêlent aux pancartes encore trop récentes des attaques de Charlie Hebdo, l’odeur de la cire se détache, conférant ainsi à cette marée humaine, formée spontané-ment, une ambiance intime. Chacun se sent impuissant, mais tous sont réunis en solidarité aux morts d’une communauté.

Une soirée festive...

Deux jours plus tôt, un ven-dredi soir, soir de liberté et de loisirs, plu-

sieurs attaques simultanées frap-pent Paris de plein fouet, alors que la ville se prépare à sortir jusqu’au petit matin. Dans l’heure qui suit, les Parisiens découvrent dans une horreur incrédule les événements toujours en cours dans leur ville. Dans le métro, les gens scrutent anxieusement leur téléphone intelligent, dans l’espoir de mieux comprendre une situation dont per-sonne ne connaît alors l’ampleur; mais chacun sait déjà, comme guidé par un sixième sens, que le bilan de la nuit sera élevé, que ce qui se passe est inédit.

Au fur et à mesure que l’infor-mation circule, les gens dans la rame se jettent des regards, furtifs d’abords, puis appuyés et compatis-sants. La nouvelle est sur toutes les lèvres, mais les conventions sociales tiennent encore, on ne parle pas aux inconnus. Quelques arrêts de plus et les langues se délient, quelques mots banals qui sur le moment permet-tent de partager ce qui touche tout le monde dans la rame. Passé 22h45, seuls les touristes semblent ne pas être au courant de la situation, ils

n’ont probablement pas la 3G à Paris.

Puis le couvre-feu est déclaré, alors que l’on arrive justement au point de rendez-vous donné pour passer un moment de liberté insou-ciante entre amis. Avant d’entrer, on sait déjà quel sujet monopolisera la soirée. Deux camps se forment alors, ceux du «buvons pour ne pas y penser», faisant preuve d’une insouciance réelle ou feinte; et ceux qui passeront la soirée à regarder en direct les développements des événements. Passé trois heures, certains rentrent chez eux malgré l’interdiction, non sans promettre, plusieurs fois avant d’atteindre la porte, qu’ils seront prudents. Même si chacun sait que les événements sont finis, le nombre et l’emplace-ment de cibles réelles et supposées alimentent l’incertitude de tous.

48 heures pour se souvenir

Les deux jours qui suivront seront relativement calmes à Paris. Un calme artificiel diront certains, puisque la plupart des endroits publics étaient fermés. Outre le fait que les activités à Paris étaient limitées, il était surtout important pour les gens de parler des événe-ments en famille ou entre amis. «Le lendemain, j’ai dîné avec toute ma famille, on en a parlé forcément. Dans ces moments-là on a besoin de se retrouver, d’être ensemble pour partager ce que l’on ressent.», raconte Mahauld, étudiante à Sciences Po Paris, qui se trouvait au Stade de France la veille.

Le dimanche en revanche, c’est la foule plus que la peur qui domine la rue entre la place de la République, le boulevard Voltaire et le boulevard Richard-Lenoir. Comme si les gens ne pouvaient s’en empêcher, tous ont investi le quartier, mus par un besoin de ren-dre hommage aux victimes.

À République, c’est la solida-rité et la défiance face à la barbarie qui dominent. D’un côté, une cho-rale s’improvise, suivie par les bat-tements de mains de la foule, pour

prouver qu’après tout, «Paris est battu par les flots mais ne sombre pas»; la devise de la ville (Fluctuat nec mergitur, ndlr) est d’ailleurs inscrite en grandes lettres sur plu-sieurs murs. «On sent qu’on a tous été affecté par ce qui s’est passé. C’est dans ces moments-là qu’on ressent notre appartenance à une communauté», commente Isabelle, une institutrice à la retraite.

Rue de la Fontaine au Roi,

l’ambiance est au recueillement. Ici, les trous des balles disséminés sur les vitres ne sont des témoins que trop fiables de ce qu’il s’est passé. Ces preuves des atrocités commises forcent le respect aux victimes. L’ambiance n’est pas la même qu’à République, le silence règne. Ère des réseaux sociaux oblige, nombreux sont ceux qui veulent leur photo des impacts de balles, frisant parfois l’indécence.

«Sont-ce les trous de balles qui sont pris en photo, ou l’inverse?»

Même ambiance sur le bou-levard Voltaire, fermé au niveau du Bataclan, ainsi que rue Alibert, devant le bar le Carillon. Partout les fleurs et les bougies s’empilent, et la densité de la foule rapproche ceux qui se recueillent en silence, épaule contre épaule. C’est un véritable parcours de la mémoire qui se crée dans tout le quartier, alors que les

gens décident d’aller rendre hom-mage aux différents lieux affectés. Impatients, bravant les recomman-dations de la préfecture, incapables d’attendre la minute de silence nationale prévue pour le lende-main, les Parisiens se seront tout de même rassemblés pour leurs morts, preuve qu’ils ne lâcheront rien de leur mode de vie face aux intimida-tions d’une idéologie liberticide et totalitaire. x

louis baudoin-laarman

louis Baudoin-laarmanEnvoyé spécial à Paris pour Le Délit

Un affront contre une culturePortrait du Bataclan, théâtre d’une des attaques du 13 novembre.

En mitraillant le cœur du Bataclan, les terroris-tes du 13 novembre se

sont attaqués à un symbole de la mixité sociale et culturelle parisienne. Classé monument historique, le théâtre est un lieu de métissage qui élève la voix de tous les style musicaux. D’Oasis à Snoop Dogg, Stromae ou enco-re Cesaria Evora.

Joyau architectural et sym-bole de la culture festive pari-sienne, il accueillait, le soir du drame, le groupe Eagles of Death Metal, à guichet fermé.

Patrimoine de culture

Le Bataclan, c’est ce bâtiment de pierre à la façade colorée de jaune et de rouge, qui semble hors du temps. Bâti en 1865 par Charles Duval, «Le grand Café Chinois -Théâtre Bataclan», accueillait à l’origine des ballets et des numéros d’acrobatie. C’était un music-hall et son nom «Bataclan» vient de l’opérette Ba-Ta-Clan de Jacques Offenbach (1855), une oeuvre ins-pirée par les tendances orientalis-tes de l’époque. Après une période

de gloire, un rachat, une transfor-mation en cinéma et un incendie en 1933, le bâtiment est partielle-ment détruit en 1950 puis fermé en 1969. Grâce à Joël Laloux, fils de la nouvelle propriétaire de la salle, le Bataclan développe une nouvelle programmation et finit par attirer des grands noms de la musique comme Lou Reed, qui y enregis-trait son Bataclan ‘72. Espace de convergence des cultures musica-les, de rencontres artistiques, mais surtout de détente, le Bataclan est une adresse parisienne populaire.

Dans les années 1980, le théâtre était loin d’être un club bourgeois, puisqu’il était un lieu de rencon-tres pour les jeunes de banlieues qui s’intéressaient à la musique black française. Jamel Debbouze et Dany Boon y ont aussi donné cer-tains de leurs one-man shows. Des artistes telles que Lianne La Havas et Louane étaient programmées pour le mois de décembre.

En entrevue avec le magazine Télérama le samedi 14 novembre, l’un des propriétaires, Dominique Revert, expliquait qu’il ne savait

pas encore ce qui allait advenir de la salle de spectacle. «Un agent an-glais m’a téléphoné ce matin pour me dire que si nous organisions un concert de soutien, tous ses artistes étaient prêts à venir.» Au lendemain du drame, en hommage à la salle, mais aussi aux victimes des attentats, un artiste inconnu s’est installé non loin du Bataclan avec un piano à queue marqué d’un symbole de paix. Comme un signe de soutien, mais aussi de lutte pacifique pour dire que la terreur ne fait pas taire la musique, le pianiste a joué Imagine de John Lennon, une chanson qui appelle à imaginer un monde où tout cela n’arriverait pas. x

amandine HamonLe Délit

«Espace de convergence des cultures musicales, de rencontres artistiques, mais surtout de détente»

louis baudoin -laarman

«À République, c’est la solidarité et la défiance face à la barbarie qui dominent.»

Page 10: Le délit du 17 novembre 2015.

10 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Ode au refus de la terreur.

C’est à toi que je parle aujourd’hui. À toi, lec-teur du Délit, étudiant

à McGill. Toi qui navigues dans tes premières années adultes, te ballottant de McLennan à Café Campus, à McLennan de nouveau. Toi qui, du haut de tes vingt ans, planifies des voyages, paniques sur ton avenir, finis des disserta-tions à la dernière minute. Toi, enfin, qui souhaites compren-dre avant de juger. C’est toi qui, vendredi, es mort au Bataclan, au Petit Cambodge ou encore au Carillon.

Les terroristes ont délivré leur haine sur nous tous qui ne voulons pas faire la guerre. Devant la liberté, ils ont levé les armes, tuant sans compter, abattant sans frémir. Au droit à la différence, ils offrent un retourné

sanglant. Ils s’accommodent d’un monde binaire; faux, certes, mais si simple. En conséquence, ils ont mitraillé en leur cœur les prin-cipes de tous les peuples libres. Jean-Pierre Filiu, professeur à l’Institut Sciences Po à Paris et spécialiste du djihadisme, le dit lui-même: ce n’est pas la France qui était visée, mais bien l’Occi-dent, ou plus précisément l’anti-Daesh. Ce sont des Français qui sont morts, mais c’est le monde qui souffre.

Devant la mort, l’horreur ou la barbarie, au choix, quelles conclusions doit-on tirer? J’écris cette opinion sans recul, à chaud, TV5 Monde rejoue devant moi les vidéos amateurs les plus terribles — tenter de trouver une solution serait risible, voire superflu.

Néanmoins, je me souviens de la chronique de Côme de Grandmaison dans Le Délit de la semaine dernière (p.9), qui citait

Chers Djihadistes de Philippe Muray. Sommes-nous effective-ment en train de nous complaire dans la déconstruction de notre société? Nos démocraties sui-vent-elles des chemins parallèles à la continuité historique logique? Nos nations libres souffrent-elles d’un «manque de signification»?

Allons plus loin — je réfléchis avec vous, je ne fais pas l’avocat du diable —, doit-on s’habituer à un rythme de terreur régulier? Nos enfants apprendront-ils à fuir les bombes, à anticiper les tirs de mitraillettes? Ces scènes de guerre répétées deviendront-elles la norme, alors que Manuel Valls, Premier ministre français, nous explique que d’autres atta-ques sont encore à venir?

Pour ma part, je ne tomberai pas dans la peur constante. Avoir la terreur comme principe de vie, c’est donner raison aux autres, ceux qui tirent parce qu’ils ne

comprennent pas. S’ils veulent nous museler, nous ne nous lais-serons pas faire. Nous ferons d’ailleurs la pire chose qu’ils puissent imaginer: vivre nos vies comme auparavant.

Il faut aussi comprendre que nous ne sommes pas seuls dans ce combat. Nous ne sommes pas témoins d’une attaque contre un pays-nation, mais bien d’une insulte à ceux qui ont soif de li-berté. Je pense bien sûr aux peu-ples opprimés à travers le monde; à ceux qui explosent à Beyrouth ou tombent devant Boko Haram. Face au drapeau bleu-blanc-rouge qui apparaît sur mon fil d’actua-lité Facebook, comme le coqueli-cot après la bataille, je ressens un malaise. Est-ce vraiment l’affaire d’un pays? Jurons nous tous par le drapeau national pour les mêmes raisons? Je pense aussi aux institutions européennes et internationales qui transcendent

les nations. Le drapeau européen, je constate, est invisible sur les réseaux sociaux. Est-ce donc vrai que l’Europe n’est plus adéquate face à la «menace»? Faut-il la dé-truire, ou la réformer à tel point que ses missions premières de-viennent de purs symboles sans force? Je frémis à cette idée.

Je refuse, en tout état de cause, d’être défaitiste. Je suis simplement persuadé que la réponse ne se trouve pas dans une France retranchée derrière ses frontières. La réponse à un mal mondial n’est pas nationale, quand bien même l’Hexagone doit aujourd’hui pleurer ses morts avec les honneurs que mé-ritent les innocents. Elle dépasse les cultures et les délimitations géographiques. Si bataille il y a, elle se fera avec tous les peuples qui n’ont pas le droit de vivre dignement. Et alors, la victoire sera grande. x

éléonore nouel

théo bourgeryLe Délit

Solidarité numériqueLà où les réseaux sociaux ont du bon.

Que ce soit Facebook, Twitter, ou encore Instagram, les réseaux

sociaux font partie inhérente de nos vies depuis de nombreuses années déjà. Ils s’immiscent dans nos routines, nos interac-tions, et ils divisent les opinions – du dépendant à celui qui les trouve trop courants ou vulgai-res. Une chose demeure cepen-dant indéniable: ces réseaux transforment les médias, le transfert de l’information, les relations humaines. Et quelle situation illustre cela plus net-tement qu’une crise nationale et globale?

Vendredi dernier à Paris, les utilisateurs des réseaux sociaux ont été les premiers à tirer la son-nette d’alarme. Quelques instants après la première explosion, un spectateur au Stade de France parle sur Twitter du bruit retentissant des “pétards”, ignorant encore la réelle cause des détonations. Vingt minutes plus tard, dans la salle du Bataclan, un spectateur décrit la situation et appelle à l’aide par le biais d’un statut Facebook. Néanmoins, pendant et après l’atta-que, les fausses rumeurs et spécu-lations non fondées ont été aussi présentes que les informations tangibles. Mais, plus intéressant peut-être que les fonctions paral-lèles à celles des autres médias, est l’aspect social des ces réseaux.

Fraternité virtuelle…

La communication d’être humain à être humain, ami ou inconnu, c’est là la force des réseaux sociaux en situation de crise. Cet outil conduisant parfois à l’indivi-dualisme et à l’égocentrisme s’est révélé être une source de solidarité et d’entraide. L’un des exemples les plus frappants de cet usage est le hashtag #PorteOuverte sur Twitter. En l’espace de deux heures, près de vingt-mille personnes ont offert d’héberger les passants en détresse à travers ce mot-clic. Après l’atta-que, le hashtag #rechercheParis a permis aux proches de personnes disparues de faire circuler des avis de recherche. Nombre d’utilisateurs de Facebook auront aussi remar-

qué – et pour certains, employé – la fonction spéciale mise en place pour se signaler en sécurité. Introduite par Mark Zuckerberg aux suites du séisme au Népal en avril dernier, cette application a permis à tous les utilisateurs qui se trouvaient à Paris de confirmer leur sûreté et celle de leurs proches.

Il serait injuste de faire l’éloge de la réponse des réseaux sociaux et de leurs utilisateurs en faisant abstraction de leurs aspects plus sombres. En plus des cas de désin-formation, certains commentateurs n’ont pas tardé à tirer des conclu-sions hâtives, à plonger dans l’amal-game, ou à suggérer de répondre à la violence par la violence. Les propos de cette nature ont cependant, pour le moment, été noyés par le flot de

messages de soutien et de solida-rité. Il va sans dire que les réseaux sociaux ont été une ressource inestimable pour ceux d’entre nous qui étaient loin des évènements, mais dont les proches étaient aux premières loges. Il s’agit également d’un lieu où rendre hommage, où exprimer ses pensées, ses émotions. Certes, changer les couleurs de sa photo de profil ne changera per-sonne. C’est cependant pour cer-tains un geste de respect, dans des moments où l’on veut aider, mais où il n’y a rien à faire. Les mots-clic et signaux de sécurité donnent aussi l’espoir de pouvoir mieux s’entrai-der dans le futur lorsque survient une situation d’urgence, peu impor-te la cause du danger, peu importe le pays concerné. x

matilda nottageLe Délit

Toi, étudiant à McGill

Page 11: Le délit du 17 novembre 2015.

11spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

De Paris à OttawaQuelles répercussions sur la politique canadienne?

Mondialisation oblige, les grands dirigeants du monde se sont manifestés

presque immédiatement après les événements à Paris, ou pendant pour certains. À l’unisson, les représen-tants de la démocratie occidentale, dont plusieurs font partie de la coali-tion internationale contre l’État isla-mique, se sont dits à la fois solidaires de la France et choqués par les atroci-tés terroristes, estimant que l’attaque visait les valeurs de l’ensemble de l’Occident. Selon Obama, c’est toute l’humanité qui est touchée; affir-mation quelque peu contradictoire quand on se rappelle, entre autre, les frappes des drones américains. Ces derniers sont effectivement connus pour avoir causé un grand nombre de victimes civiles, provoquant un ressentiment important qui facilite le recrutement de l’EI.

Armée - Défense

Du même élan d’indignation, la majorité des dirigeants ont aussi in-sisté sur la nécessité d’une réplique. Hollande ne sera d’ailleurs pas passé par quatre chemins, «La France est en guerre» a-t-il affirmé à plusieurs reprises. Les avions chasseurs-bom-bardiers français confirment cette direction avec d’importantes frappes aériennes: les plus destructrices à ce jour contre le groupe armé.

Au Canada, si la sympathie est partagée par la population et le gouvernement, la décision du nou-veau premier ministre d’arrêter les bombardements canadiens de-meure inchangée. À la place, Justin Trudeau discute présentement avec les alliés du Canada pour déci-der de la façon dont le pays pourra être le plus efficace dans son inter-vention contre l’EI, suggérant ainsi de renforcer l’entraînement donné aux combattants kurdes. Toutefois, les frappes aériennes canadiennes n’ont pas encore cessé pour autant. La date de leur arrêt n’a pas encore été donnée et le ministère de la Défense n’a pas mentionné si les frappes qui ont eu lieu après les attentats étaient prévues ou non.

La question de l’immigration

L’autre grande question pour Justin Trudeau, c’est celle des im-migrés. Suite aux événements, plu-sieurs citoyens et politiques s’in-quiètent de la venue massive de 25 000 immigrés syriens et irakiens d’ici le 31 décembre. À Montréal, le maire Coderre demande au premier ministre de ralentir ses ardeurs, à Québec le maire Régis Labeaume demande carrément de faire une pause et le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, demande à Justin Trudeau de suspendre le processus en raison des dommages immenses que peu-vent commettre de petits groupes

d’individus. On suppose que tous ces décideurs comprennent bien que ce que cherchent à fuir les réfugiés c’est précisément la ter-reur, celle-là même qui a frappé la France. Cependant la découverte

du passeport officiel d’un réfugié syrien près du corps d’un des res-ponsables de l’attentat ravive la crainte d’une infiltration. Malgré cette pression grandissante, Justin Trudeau demeure ferme: son plan

reste le même. Pourtant, il paraît de plus en plus compliqué d’accueillir autant de réfugiés en l’espace d’un mois, surtout parce que le plan du gouvernement n’est toujours pas connu. Toutefois, il est évident que pour les partisans du projet, un ou deux mois de retard ne se-raient peut-être pas dramatiques; l’important étant de ne pas créer de faux espoirs. La priorité des res-ponsables à ce jour est de rassurer la population quant à l’efficacité des processus de sélection. Sachant que cet élément de sécurité ralen-tissait fortement le processus sous les Conservateurs, l’objectif paraît encore plus difficile.

Récupération politique

Au Québec, Pierre-Karl Péladeau est à l’origine d’un débat d’urgence sur la question «afin de permettre une discussion transpa-rente et non partisane» sur ce dos-sier d’«importance». La Coalition avenir Québec et le Parti Québécois ayant suggéré de revoir les proces-sus d’immigration et d’intégration, ils ont été critiqués par Philippe Couillard, affirmant que leurs com-mentaires pourraient provoquer de «l’intolérance involontaire». La reprise politique semble se trouver des deux côtés de la chambre puis-que Pierre-Karl Péladeau a ensuite accusé Couillard de reprise politi-que; un acte considéré abject des deux côtés... C’est à la mode. x

salomé grouard

julien beaupréLe Délit

Marianne, P.Q.David Leroux | Espaces Politiques

Il est une femme, au-delà de l’océan, qui depuis des siècles fixe l’horizon. Le regard perçant, le buste fier, elle chante fort, elle chante bien. Elle entonne le refrain de la République. Elle brandit, frondeuse et belle, l’étendard de l’indépendance. Comment ne pas aimer cette Marianne candide qui crie la liberté, l’égalité et la fra-ternité? Samedi matin. Les infor-mations tombent en même temps

que la poussière et l’odeur de la poudre à canon. France Info nous parle de jeunes kamikazes, 20 ou 25 ans, connus comme radicaux, dont au moins un serait Français. Passeports syriens et égyptiens sont retrouvés... L’État islamique (ÉI) revendique fièrement un car-nage à Paris.

Tout va très bien, Madame la Marquise

La France a peur, l’Occident aussi. À l’heure où 25 000 réfugiés syriens sont attendus au Canada d’ici la nouvelle année, une méfian-ce, d’une part, et d’autre part une naïveté politiquement correcte s’installent. Doit-on avoir peur, ici, de l’ÉI? Est-il légitime d’être méfiant? La réponse semble aller de soi, surtout à la lumière de la revendication des attentats par l’ÉI. L’intention de ce groupe de frapper l’Occident est explicite. Déjà les multiculturalistes, drapés de vertu et d’amour, se font forte-ment entendre dans les milieux intellectuels et dans les médias

pour mettre en garde la populace réactionnaire contre l’islamo-phobie et l’intolérance latente qui, soupçonnent-ils, l’habitent. L’impossibilité de se questionner sur le problème croissant que pose l’Islam politique sans être traduit en procès et accusé de faire le jeu de la droite raciste est un pro-blème au moins aussi grand que d’assimiler tous les musulmans au terrorisme. Les kamikazes du 13 novembre, comme de nombreux autres ayant sévi dans les der-nières années, étaient associés à l’Islam radical. Il commence à être temps de l’admettre.

Le pathos libéral

D’un autre côté, un libé-ralisme qui incite les nations à s’effacer au profit de petits grou-pes communautaires trouve de plus en plus d’adeptes. Ce commu-nautarisme touche viscéralement ceux qui s’identifient comme citoyens d’un monde sans fron-tières où la nation est un artéfact poussiéreux menant à l’exclusion

et à l’intolérance, et favorisant la violence des récents événements. Parfois portés par la jouissance très judéo-chrétienne que leur procurent leurs élans a priori humanistes, le plaisir des commu-nautaristes atteint son paroxysme lorsque l’occasion se présente de s’adonner à l’autoflagellation anti-occidentale. Quelle engeance que cette liberté d’expression dont on se réclame pour manquer de res-pect aux croyances des autres se dira-t-on.

Dans le même esprit, on affirmera que si on cessait de faire la guerre au Moyen-Orient et d’oppresser les musulmans sur notre territoire avec notre laïcité républicaine, on aurait moins de problèmes. Ce n’est pas l’ÉI que l’on devrait dénoncer suivant cette logique, mais les politiques belliqueuses du vil Occident.

Doit-on craindre Daesh et trembler avec la France? Tant qu’on confondra «respect pour l’autre» avec reniement de soi, tant qu’on laissera à eux-mêmes, sans emploi, sans support des

flots de réfugiés sans leur offrir de s’intégrer dans ce que nous sommes, je crains que la réponse soit «oui». Daesh infiltre peut-être les demandeurs d’asile, ou peut-être pas. Mais notre laxisme à intégrer ces réfugiés et l’iso-lation sociale dans laquelle cela les plonge ouvre grand la porte à une infiltration des esprits par les Charkaoui de ce monde, aussi sournoise que fulgurante. Tant qu’on étiquettera tous ceux qui remettent en question l’approche libérale au profit d’une appro-che plus républicaine comme de dangereux racistes, tout tremble-ment me semblera, hélas, justifié. D’ici là, chaque attentat contre la République française résonne au Québec comme un funeste glas. Mais au-delà de cette inquié-tante réflexion, prenons le temps nécessaire pour tenir doucement la main de la belle Marianne et la rassurer. Nous sommes avec vous, amis français, et souhaitons qu’une discussion sérieuse sur les enjeux qui nous guettent tous soit au plus vite enclenchée. x

Page 12: Le délit du 17 novembre 2015.

12 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Réfléchir avant de parlerLe rôle du langage dans la réaction des politiques.

À la suite du drame survenu à Paris, nombreux sont ceux qui ont pris la parole

pour exprimer leur soutien aux Français et, parfois, tirer les conclusions qui les arrangeaient. Souvent, des mots trop évocateurs et lourds de conséquences ont été utilisés pour porter des idées qui mériteraient plus de nuance en ces temps d’instabilité et de tensions.

Guerre n.f.

En période de détresse et d’in-certitude, il est en effet facile pour une fgure forte d’abuser de l’espoir populaire qu’on mette fin à l’horreur. Ce n’est donc pas surprenant que le président de la République française ait déclaré l’état d’urgence dès ven-dredi soir, dénonçant un «acte de guerre». Mais une guerre contre qui?

Comme nous le rappelle notre compagnon de toujours qu’est Le Larousse, une guerre se fait entre plusieurs États, et par extension entre plusieurs entités reconnues au niveau international, des entités «légitimes» en un sens. Or l’autopro-clamé «État islamique» n’a pas une telle légitimité et c’est précisément sa plus grande faiblesse. En choi-

sissant un tel nom, l’organisation exprimait son besoin d’être recon-nue, tandis qu’en pratique elle n’est pas traitée comme un État; l’utilisa-tion de ce nom restait controversée mais tolérée. Cependant François Hollande, en parlant de guerre, met la France au même niveau que les terroristes, une victoire symbolique pour ces derniers.

La civilisation vs les «barbares»?

François Hollande n’est pas le seul à voir les attentats de Paris comme une provocation à laquelle il faut répliquer par la force brute; au Québec, Philippe Couillard, clame haut et fort qu’«on va donner une leçon à ces barbares». Malgré son ton revanchard, il ne répond pour-tant pas à la question suivante: qui sont nos «ennemis mortels»?

Cette année, la France a été visée à plusieurs reprises; certains des terroristes étaient des citoyens français, ayant grandi en France. Sont-ce eux les «barbares» qui «cherchent à détruire notre société», dont parle M. Couillard?

Le mot «barbare» contient en lui la notion de division; on est civilisé ou on ne l’est pas, et si on ne l’est pas on est un «barbare». C’est ainsi que les Grecs l’utilisaient. C’est ainsi que les politiques l’utili-sent aujourd’hui. Or cette division

simpliste ne reflète pas la réalité et ces terroristes ont bien grandi dans notre «civilisation».

Simplifier pour mieux diviser

Marine Le Pen (dirigeante du parti français d’extrême droite, le Front National, ndlr) espère le «désarmement des ban-lieues», et il est clair qu’elle vise particulièrement les citoyens

français issus de l’immigration. Il est suffisamment évident que stigmatiser une partie de la population vivant en France ne fera que favoriser le dessein des terroristes…

Cette dernière question rappelle certains propos tenus depuis les attentats, et même avant, stigmatisant les réfugiés en provenance de régions sous l’emprise de l’EI. Des réfugiés

régulièrement assimilés aux «barbares» qu’eux-mêmes fuient. S’il est naïf de croire que tous les migrants fuient les hor-reurs de la Syrie, il l’est encore plus de penser que leur fermer nos portes nous protégera du chaos remuant le monde entier à l’heure actuelle.

Car c’est en effet cela que promet François Hollande: «un pacte de sécurité». Et c’est pour nous faire croire en cette pro-messe que les politiques de gau-che comme de droite ont recours à un langage si manichéen. S’il y a des «bons» et des «mauvais» migrants, des «bons» et des «mauvais musulmans», quoi de plus simple que de déclarer la guerre aux mauvais? Ce mani-chéisme est devenu tellement présent dans notre langage que certains musulmans en viennent eux-mêmes à se mettre dans des boîtes. Des imams parlent de «vrai Islam», comme si c’était le «mauvais Islam» que nous devrions condamner dans les attentats. Mais c’est oublier qu’avant d’être des musulmans, les terroristes sont des êtres humains; leur faute est la leur et non celle d’une religion ou d’une nationalité. Ne les jugeons pas pour ce qu’ils sont, mais bien pour ce qu’ils ont fait. x

chloé anastassiadisLe Délit

#SouriezPourParisAppel à la laïcité en ces temps de terreur.

Les terribles attentats per-pétrés à Paris dans la nuit du 13 au 14 novembre ont

éveillé de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Certains changent leurs photos de pro-fil Facebook aux couleurs de la France, d’autres partagent des dessins de Marianne pleurant ses enfants morts ou de la tour Eiffel en deuil, et beaucoup publient les hashtags #PrayforParis (#Priez pour Paris, ndlr) ou #Prayfortheworld (#Priez pour le monde, ndlr).

Ces incitations à la prière et au deuil révèlent le traumatisme suscité par les attaques qui ont fait 132 morts (bilan provisoire). Elles dénotent la profondeur d’une bles-sure dont le monde, tout entier, souffre avec les Français et dont le seul pansement semble être de nature spirituelle. Le sentiment d’impuissance face à la terreur paraît insurmontable et incite ainsi à pleurer et à prier: se taire en signe de désespoir!

Ne pas spiritualiser le terrorisme

La nature de ces actes devrait pourtant nous alerter sur la néces-sité de ne pas répondre par la priè-re. Ces terroristes se disent être d’une certaine religion pour créer l’amalgame, la division et la haine.

Preuve du caractère politique des attaques, mais surtout piège que nous devons reconnaître et éviter. Répondre par la prière c’est d’abord ajouter une dimension religieuse à un acte qui ne devrait pas en avoir.

Même si l’on fait abstraction du caractère sectaire des atten-

tats et que l’on se limite à leur vi-sée et portée politique, alors, une fois encore, surtout, ne prions pas! Ne mélangeons pas politi-que et religion. Réaffirmons nos principes et n’abattons pas la valeur-même pour laquelle ils osent nous assassiner: la sépa-ration de l’Église et de l’État, de la religion et de la politique. Préservons ce qu’ils ne suppor-tent pas. À un acte politique, répondons politiquement.

Se relever avec l’autre plutôt que prier pour l’autre

Si les terroristes répandent l’horreur parmi nous c’est qu’ils ne peuvent souffrir nos joies, nos libertés et nos amours. Leur barbarie les empêche de suppor-ter nos valeurs et nos passions. Alors ne succombons pas à leur dictature, relevons-nous de la tétanie et résistons! Ce n’est pas en priant que nous résisterons, mais c’est en souriant, en riant, en aimant et en clamant haut et fort que nous sommes fiers et heureux!

Il est temps de taire nos prières et de comprendre que la réponse à la barbarie c’est la civilisation, que la réponse à la démence soi-disant religieuse est la tolérance laïque. Ces hor-reurs devraient nous permettre de mieux nous définir et de nous accepter comme nous sommes. Qui sommes-nous? Des femmes et des hommes pour qui la vie a du sens et dont l’altruisme dé-passe tous les autres «–ismes». Des hommes et des femmes qui, jusqu’à leurs derniers soupirs, mettront l’espérance avant la déchéance et l’amour avant les haines.

Séchons nos larmes, arrê-tons nos prières et rions, dan-sons, chantons jusqu’à ce que les djihadistes comprennent qu’ils ne vaincront jamais! Jusqu’à ce que nos chants leur redonnent goût à la vie. Soyons l’apologie de la vie face à l’incarnation de la mort. Pour cela, il nous faut pas-ser outre le deuil et les prières, il nous faut lever un verre, ensem-ble, à la vie! #TrinquezàParis, #Santé, #SouriezPourParis. x

Aymeric Amigues

Page 13: Le délit du 17 novembre 2015.

13spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Agitation mondiale et islam politiqueRécapitulatif d’une année 2015 marquée par de nombreux attentats.

Suivant différents modus operandi, plusieurs attentats meurtriers ont été perpétrés

cette année à l’échelle mondiale au nom d’un islam politique. À l’heure où l’Élysée réplique au groupe État islamique, aussi désigné sous le nom de Daesh, en envoyant dix de ses chasseurs Rafales mener des frappes stratégiques contre un fief syrien contrôlé par le Califat, il convient de faire le point sur les dernières attaques terroristes survenues ailleurs. Tantôt reven-diquées par l’État islamique (ÉI), tantôt par Boko Haram, tantôt par des loups solitaires radicalisés, plu-sieurs attaques ont troublé l’année 2015. Voici une revue des derniers événements.

Le 12 novembre dernier, deux kamikazes ceinturés d’explosifs ont provoqué la mort de plus de 40 per-sonnes et en ont blessé 200 autres à Beyrouth, au Liban. Revendiqué par le groupe djihadiste sunnite État islamique par voie de communiqué, le double-attentat visait un quartier chiite fief du Hezbollah qui, rappe-lons-le, guerroie en Syrie aux côtés du gouvernement de Bachar Al-Assad contre le Califat qui occupe

la moitié du territoire. Rappelons que l’ÉI avait aussi revendiqué sur Twitter quelques jours auparavant le fait d’avoir provoqué l’écrase-ment d’un avion russe en transit au-dessus de la région du Sinaï en Égypte.

L’attentat, perpétré au nom d’une «juste réponse» aux atta-ques russes contre l’ÉI en Syrie, a provoqué la mort de la totalité des passagers de l’aéronef, soit plus de 200 personnes. Rappelons que l’ÉI,

a établi un Califat autoproclamé qui étend son emprise sur plusieurs ré-gions moyen-orientales. Disposant de moyens financiers et matériels guerriers croissants, le groupe terrorise les populations locales au nom d’un islam politique radical et recrute des sympathisants à travers le monde en misant sur la haine de l’Occident et sur un désir d’en affai-blir l’emprise sur le monde.

D’autres actes terroristes et violents ont été commis cette

année, pouvant être liés directe-ment ou indirectement à l’islam politique et à la haine des valeurs occidentales que ce dernier sup-pose. Récemment, le groupe extré-miste Boko Haram a perpétré de meurtriers attentats au Nigéria, causant la mort de dizaines de civils. Ces morts ont été causées par pas moins de six événements terroristes depuis le début du mois d’octobre, et ne sont pas les seuls actes violents à avoir été commis

par le groupe djihadiste salafiste désormais associé à l’ÉI. Cette année seulement, plus de 1000 éco-les ont été détruites dans la région du lac Tchad rapportait récemment Le Figaro.

D’autres attaques terroristes non revendiquées par un groupe terroriste particulier mais non moins meurtrières et toujours à la saveur d’un radicalisme religieux ont frappé la planète cette année. Ainsi à Copenhague, en février, un individu inspiré par l’attaque contre Charlie Hebdo a ouvert le feu à proximité d’une salle où une conférence sur l’art et la liberté d’expression se déroulait. L’un des orateurs invités était le caricatu-riste Lars Vilks, menacé de mort après avoir caricaturé un Mahomet coiffé de bombes en 2007. L’année 2015 ayant débutée, nous ne l’oublions pas, avec les atten-tats contre Charlie Hebdo et la prise d’otage dans un supermarché kasher à Paris. La liste s’allonge et il est difficile d’en offrir une revue exhaustive. Force est de constater que l’islam politique radical, ali-menté par un mépris pathologique de l’Occident et de ses moeurs, pose un problème important à l’échelle internationale. x

Éléonore Nouel

David LerouxLe Délit

Solidarité au delà de nos distancesQue vaut votre vie dans la balance médiatique?

Le matin du 2 avril dernier, en faisant défiler mon fil d’actualité, mes yeux

endormis tombent sur une image effroyable. Parmi les vidéos de chatons, des douzaines de corps sans vie gisent dans une mare de sang. Je consulte immédiatement un journal fiable pour comprendre quelle catastrophe s’est produite dans la nuit, mais les victimes ne font pas la une. Aucun article ne leur est consacré. Nulle part.

Il faudra attendre de lon-gues heures pour que les médias occidentaux éclairent le drame de Garissa. Dans les jours qui sui-vent, l’image de ces 147 morts, des étudiants comme moi, me hante. Mais pourquoi donc aucun bul-letin d’information ne semble se mettre au diapason de mon émoi? Pourquoi le monde ne s’arrête-t-il pas un instant, comme il l’a fait pour Charlie? Où sont les manifestations internationales de solidarité?

On m’explique la loi jour-nalistique du «mort-kilomè-tre»: pour les médias, il est plus fructueux de couvrir les morts géographiquement proches de leur lectorat. On a effectivement

plus d’empathie pour son voisin que pour un inconnu au bout du monde. Pourtant, quelques mois plus tôt j’étais tenue informée en temps réel, minute par minute, de la prise d’otages à Sydney, bien plus éloigné que le Kenya. Car, au fond, la distance ne se mesure pas réellement en kilomètres.

C’est une distance culturelle, psychologique, politique. Elle est renforcée par nos visions stéréotypées: en Afrique ou au

Moyen-Orient, la violence nous paraît endémique et ne nous choque pas, ou moins. La gravité des attaques est gommée par leur récurrence. De plus, nous nous identifions plus facilement à des victimes dont le mode de vie et la culture sont similaires à la nôtre (d’ailleurs, les veillées pour Garissa étaient majoritairement organisées par des étudiants). Tous ces facteurs sont humains, mais dans quelle mesure justi-

fient-ils notre ethnocentrisme médiatique?

Cet article ne se veut en aucun cas moralisateur, encore moins accusateur. La France vient de connaître les attentats les plus tragiques de son histoire et je suis, comme tout le monde, bouleversée au-delà des mots. La veille, en apprenant que Beyrouth venait d’être frappée par un atten-tat d’ampleur comparable, je n’ai pas posté de statut Facebook, ni changé ma photo de profil, ni par-ticipé à un rassemblement de sou-tien. C’est justifiable: ma sœur ou mes amis auraient pu être rue de Charonne, mais certainement pas dans un fief du Hezbollah. Je m’in-terroge pourtant sur la différence de traitement médiatique (hors de France) entre les deux événement. Et je ne suis pas la seule.

Une nouvelle tendance apparaît sur les réseaux sociaux. On constate qu’en plus de #PrayforParis (#PriezPourParis), nos amis nous enjoignent à #PrierPourBeiruth, à #PrierPourLeMonde. Ils rappel-lent que l’attaque sur Paris était une attaque contre l’humanité toute entière. Ils appellent à la solidarité avec les réfugiés, qui fuient les mêmes meurtriers que les rescapés du Bataclan. C’est le

prolongement d’un mouvement qui avait déjà débuté lorsque les bougies de soutien pour Baga apparaissaient au côté des «Je suis Charlie». Beaucoup s’étaient alors demandé pourquoi 2 000 Nigérians passaient inaperçus alors qu’ils étaient assassinés au même moment qu’une poignée de journalistes français. Il ne s’agit aucunement de hiérarchi-ser la gravité de ces drames. Les marches de solidarité interna-tionales et la couverture média-tique des attentats à Paris sont évidemment tout à fait justifiées! Il s’agit plutôt de comprendre pourquoi d’autres tragédies ne reçoivent pas une attention com-parable. Sur les sources d’infor-mation informelles que sont les réseaux sociaux, notre généra-tion globalisée prend conscience que nous appartenons tous à la même humanité. Notre empathie et notre solidarité s’étendent peu à peu au-delà des frontières géo-culturelles. La loi du «mort-kilo-mètre» faiblit quand un français et un libanais sont victimes de la même guerre. Il est donc proba-ble qu’à l’avenir les journalistes traitent l’actualité de manière plus équitable, pour répondre aux attentes d’un lectorat plus global et interconnecté. x

joachim dos santos

Chloé FranciscoLe Délit

Page 14: Le délit du 17 novembre 2015.

14 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

À l’assaut de l’islamophobie Ne confondez pas l’Islam et l’État islamique.

C’était le vendredi 13 novembre, une journée qui s’est déroulée normale-

ment jusqu’au soir. Et pourtant, on connait les chiffres: plus de cent morts, trois fois plus de blessés, et une nation meurtrie. Tout cela à peine 24 heures après un atten-tat ayant fait une quarantaine de morts au Liban. Cependant, ce ne sont pas seulement la France et le Liban qui pleurent, mais toute l’humanité. Ces tragédies nous testent, car c’est par nos réactions que nous pouvons démontrer à ceux qui détestent la liberté et l’humanité que nous ne plierons pas. Après tout, qu’essaient-ils de faire si ce n’est de nous diviser, de nous monter les uns contre les autres ?

En se fiant à la théorie du «choc des civilisations» de Samuel Huntington, il serait facile de dire que nous assistons aujourd’hui à une bataille entre les civilisa-tions islamique et occidentale. Cependant, la situation est plus compliquée: il semblerait qu’il y ait plutôt un clivage dans cette dite «civilisation musulmane» entre les modérés et les extrémistes.

Le premier groupe est composé de personnes tout à fait ordinaires, alors que le second s’est mis en tête de détruire l’Occident.

Lutter contre l’islamophobie

Depuis que les tours jumelles sont tombées, l’islamophobie se propage. Presque du jour au lende-main, les citoyens musulmans sont devenus les boucs émissaires. Le groupe État islamique (ÉI) a fait grandir les germes de la frustration sunnite en Iraq, suite à la chute de Saddam Hussein. Dès lors, ces sunnites, frustrés d’avoir perdu leur influence, se sont unis pour former le groupe que l’on connait aujourd’hui. Leur but est de créer un califat reposant sur la barbarie, la dictature et l’oppression.

Ils opèrent en provoquant des réactions du monde occidental qui contribueront à leur stratégie de recrutement. En effet, en projetant l’Occident comme l’ennemi de tous les musulmans, il est facile d’ex-ploiter les frustrations, et de faire passer des modérés dans le camp des extrémistes. Certains extré-mistes veulent enrayer les droits et libertés pour lesquels nous nous sommes battus et nous battons toujours. Ces extrémistes veulent

nous empêcher de nous aimer, de nous entraider, de nous unir. Ils ne représentent pas les musulmans et Arabes de ce monde, loin de là. Ils veulent détruire notre humanité, à nous de les en empêcher.

Combattre le vrai ennemi

Alors, comment nous bat-tre contre le vrai ennemi? Tout d’abord, il faut briser ce mythe qui veut que l’Islam soit une reli-gion prônant la violence. Dans le Coran, plus spécifiquement au verset 30 de la sourate «La Table», on peut lire: «Quiconque tuerait une personne non coupable de meurtre ou de dépravation, c’est comme s’il avait tué tout le genre humain.» Ce verset n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui démontre que la religion musul-mane ne prêche pas la violence barbare et non-justifiée, pratiquée par l’ÉI.

Ensuite, en accueillant les réfugiés de Syrie et d’Irak, nous incombe le devoir de prêcher l’in-tégration. On offre opportunités et outils, mais il faut aussi prouver que nous sommes une culture du respect, de l’acceptation et de la diversité. L’intégration efficace des nouveaux arrivés leur offre

une arme pour résister à l’inté-grisme. Il y a déjà 75 ans, dans le film Le Dictateur, Charlie Chaplin, dans la peau de son personnage, nous disait : «Tant que les hommes

mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr». En se fiant aux paroles de M. Chaplin, ne rien fai-re serait de laisser s’éroder notre liberté. À nous de décider. x

éléonore nouel

Ronny Al-Nosir Le Délit

Coup pour coupLes attentats ont aussi des causes géostratégiques.

Paris, Beyrouth, Bagdad… La litanie des villes martyres s’allonge, et on sait malheu-

reusement qu’elle n’est pas termi-née. Les tueurs qui brandissent l’étendard d’un Islam obscuran-tiste n’auront de cesse de détruire ce qui s’oppose à eux: l’humanité, la culture, un absolu qui élève les êtres et ne leur demande pas de se faire exploser.

Pétris de certitudes macabres, ils nous abhorrent. Nous, et notre liberté de croire en l’Homme, en un Dieu, et même en rien. Ils mépri-sent nos doutes et nos questions, soyons en fiers. Comme disait le

Cyrano d’Edmond Rostand, «on n’abdique pas l’honneur d’être une cible».

Le choc des systèmes de valeurs, donc, est évident — si toutefois le néant que l’État isla-mique (ÉI) propage peut se targuer d’avoir un lien quelconque avec un système de valeurs. Cependant il n’explique pas à lui seul les moti-vations des djihadistes, et ne peut nous faire comprendre pleinement les nouveaux ressorts de leur action.

Des motivations stratégiques évidentes

Les actes terroristes com-mis par l’ÉI sont les possibles

manifestations d’un changement de stratégie. Après s’être concen-tré sur l’expansion territoriale depuis l’auto-proclamation de son Califat en juin 2014, l’ÉI se projette maintenant à l’extérieur du territoire qu’il contrôle. Le but premier de ces actions semble être de signaler à leurs adversaires leur détermination à ne pas se laisser attaquer sans riposter. En effet, les attentats des deux dernières semaines revendiqués par les dji-hadistes ont frappé des puissances leur ayant concrètement signifié leur hostilité: la France soutient les frappes aériennes américai-nes (bien que pour l’instant elle ne soit directement responsable que de 4% des frappes en Irak); le

Hezbollah libanais, défini par l’ÉI comme «le parti chiite de Satan», soutient le président syrien Bachar el-Assad, tout comme la Russie. Ce n’est donc pas un hasard si les djihadistes ont frappé, en l’espace de deux semaines, un avion russe, un quartier chiite de Beyrouth et Paris. Dans le cas de la France, il se peut que les attentats de l’ÉI aient également été motivés par l’opé-ration Barkhane au Sahel, comme l’avance la journaliste Anne Bauer dans Les Échos.

Les attentats, un dernier recours?

Le professeur à l’Insti-tut Universitaire Européen de Florence, Olivier Roy, considère que ces attentats sont aussi le résultat de l’affaiblissement de l’ÉI. Il explique dans le New York Times que le système sur lequel l’ÉI repose a atteint ses limites. «Il était fondé sur deux éléments: une expansion territoriale ful-gurante et un effet de terreur qui visait à sidérer l’ennemi.» Or cette expansion a connu un point d’arrêt. Aujourd’hui l’ÉI est encerclé, par les Russes et le président syrien à l’ouest, les Kurdes au nord, les Chiites irakiens à l’est, et, au sud, des pays dont les populations lui sont défavorables (Libanais,

Jordaniens et Palestiniens). Plus problématique encore

que ces limites, c’est à un déclin territorial que l’ÉI fait face, notam-ment dans les zones où l’organisa-tion est opposée aux combattants kurdes. Cependant la victoire est encore loin pour ses adversaires, tant l‘organisation djihadiste dispose de moyens humains et matériels importants. Sur Vox, un spécialiste des questions liées à l’ÉI, Will McCant, explique que les récents attentats, extrêmement spectaculaires, pourraient avoir pour but d’occulter les pertes de territoires et de continuer à posi-tionner l’ÉI comme leader du dji-had à l’échelle mondiale.

Ainsi ce n’est pas qu’une lutte de l’esprit qui s’est engagée. Le conflit est également de nature géostratégique. Laissons à Albert Camus les derniers mots, afin de mettre un peu d’espoir dans le combat qui s’annonce: «nous lut-tons pour des nuances, mais des nuances qui ont l’importance de l’Homme même. Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la vio-lence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai et l’homme que nous espérons des dieux lâches que vous espérez.» x

côme de grandmaisonLe Délit

Mahaut Engérant

Page 15: Le délit du 17 novembre 2015.

15économiele délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

é[email protected]

Entrepreneurs (-ses)Bilan sur la réalité des start-ups montréalaises.

ENQUÊTE

Le potentiel de réussite des start-ups n’est plus à démontrer. Uber, Snapchat,

ou encore Airbnb le prouvent: en quelques années, ces entreprises ont exponentiellement grandi pour aujourd’hui atteindre une valeur combinée estimée à plus de 92 mil-liards de dollars. Et, après tout, qui d’entre nous n’a jamais utilisé les services d’une de ces dites «licor-nes» (start-ups évaluées à plus d’un milliard, ndlr)? Si les étudiants mon-tréalais ont aisément conscience de la place que prennent ces start-ups dans leur vie, ils ont souvent du mal à voir que nombre de ces dernières se créent et grandissent autour d’eux, ici à Montréal.

Une start-up, qu’est-ce que c’est?

Une start-up, c’est avant tout une idée. Et c’est autour de cette idée que des individus se réunissent pour créer un produit. Généralement le produit est encore en phase de déve-loppement, ou au stade de la recher-che d’un modèle d’affaires viable. Suite à leur incorporation (c’est-à-dire leur enregistrement en tant que société, ndlr), la plupart des start-ups passeront par les différentes étapes de financement qui les aideront à s’accroître substantiellement.

Le capital-amorçage est le pre-mier apport en capital qui permet à la start-up d’entrer sur le marché. Il est souvent financé par les fondateurs et un commanditaire (angel investor, ndlr). Viennent ensuite les Séries A. Ces dernières consistent en différen-tes levées de fonds qui représentent les premiers apports majeurs en capital. Elles sont principalement financées par des investisseurs en capital-risque (venture capitalists, ndlr). La dernière phase de finance-ment d’une start-up est son entrée en bourse, consécration ultime du succès des fondateurs.

«À ce jour, être entrepreneur à Montréal est difficile»

Alors que Montréal a l’une des populations étudiantes les plus im-portantes d’Amérique du Nord, il est intéressant de remarquer qu’en 2015 la ville ne se classe que 20ème dans

l’index Compass des écosystèmes des start-ups, derrière Vancouver (18e) et Toronto (17e). Selon le rapport Compass, l’écosystème des start-ups des villes canadiennes continue de croître d’année en année, mais à un rythme inférieur à celui des autres villes du classement.

La Fédération Canadiennes des Compagnies Indépendantes (Canadian Federation of Independent Business, CFIB, ndlr) remue le couteau dans la plaie. Selon la Fédération, la Ville de Montréal se classe en dernière position de leur top 40 des grandes villes entrepre-neuriales du Canada. Si la Ville de Montréal se classe parmi les 15 pre-mières villes canadiennes en termes de présence entrepreneuriale, elle se classe aussi comme la dernière des 121 zones incluses dans le rapport de la CFIB en terme de régulations.

Damon Van Der Linde du Financial Post écrivait le 19 octobre dernier un article intitulé «Pourquoi Montréal est assurément le pire endroit du Canada pour être auto-entrepreneur». Il y explique que si Montréal est la pire des villes du classement du CFIB c’est bien dû à la bureaucratie excessive et aux fortes taxes que la municipalité impose sur les petites entreprises. En effet, les taxes sur le bien immobilier commercial à Montréal sont quatre fois supérieures à celles sur le bien immobilier résidentiel.

Le 30 Octobre dernier, Julien Denaes, fondateur de l’application d’identification biométrique Logrr, expliquait à Jacob Serebrin de TechVibes que «Montréal n’était qu’un point de départ temporaire depuis le début». Il explique ainsi que les start-ups montréalaises font face à trois défis. Tout d’abord, les angels de la province ne sont pas à la hauteur de leurs réputations. Selon le fondateur de Logrr, ces derniers «ne prennent aucun risque» — le risque étant pourtant une caractéristique inhérente aux jeunes start-ups. De plus, il ajoute que le fait que le Québec ait son propre système d’im-migration empêche la province de profiter du programme de visa pour start-ups. Ce programme vise à aider les start-ups étrangères à venir s’ins-taller au pays en offrant un processus d’immigration accéléré aux fonda-teurs s’ils sécurisent un financement d’un commanditaire, d’un inves-tisseur en capital-risque, ou d’un incubateur canadiens. Pour finir, M. Denaes avoue qu’il ne comprend pas l’orgueil des start-ups locales d’«être de Montréal». Il confie que cela pousse «les gens à penser localement plutôt que globalement». Ce sont les raisons qui ont poussé Denaes à accepter un programme d’accéléra-tion pour Logrr à New York en juin. Il n’est donc pas étonnant de voir que Montréal se classe dernière dans le classement des entreprises indépen-

dantes du CFIB selon le critère du projet de s’implanter sur la grande île dans la durée.

Mais tout n’est pas à jeter

Selon une étude d’Industrie Canada, en 2014, les investisseurs en capital-risque ont investi 21% de fonds de plus au Canada par rapport à 2013, et ce malgré une baisse de 15% de leur mobilisation de fonds (i.e. les investis-seurs ont investi 15% de moins dans les firmes de capital-risque en 2014 qu’en 2013). Il est aussi précisé que la taille de la transaction moyenne a augmenté de 12% en 2014 par rapport à 2013, et cela est tout particulière-ment vrai pour les premières (+53%) et dernières (+22%) phases d’apports en capital. De plus, moins de nouvelles start-ups ont reçu des fonds, ce qui a profité à des start-ups déjà existantes (181 contre 341). Concrètement, si la tendance se confirme en 2015 et 2016, cela signifie que le climat n’est pas à la création de nouvelles start-ups mais à celui de la consolidation de celles déjà existantes, peu importe leur taille. Selon cette même étude, le Québec est la seconde province à recevoir le plus d’investissement en capital-risque en 2014 (604 millions de dollars) derrière l’Ontario (906 millions de dollars). Finalement, en 2014, pour une secon-de année consécutive, le Québec est la province avec le plus grand nombre de compagnies ayant reçu un finance-

ment par capital-risque (154).Carl Mercier, co-fondateur de

l’application de vente de garage en ligne VarageSale, avoue dans une interview pour le Globe and Mail que «Montréal a une scène entrepreneu-riale vibrante […] pleine d’activités, d’événements, et de capital-amorçage (premier apport en capital d’une entreprise, ndlr) facile d’accès. Les start-ups peuvent y décoller facilement et à moindre coût».

Mais Daniel Robichaud, un angel célèbre de la ville, résume bien une constatation à laquelle M. Mercier, M. Denaes et tant d’autres entrepreneurs sont arrivés: «Montréal est un endroit extraordinaire pour développer un produit, mais ce n’est pas l’endroit où la véritable action se passe. Ce n’est pas l’endroit où les fondateurs peuvent lever des fonds». Pourtant Daniel Robichaud est un fervent partisan de l’idée de voir un jour Montréal devenir un hub à start-ups. En décembre der-nier, à la suite de la vente de son der-nier «bébé entrepreneurial», évalué a plusieurs millions de dollars, il avait déclaré: «je veux que cette transaction-là inspire les jeunes entrepreneurs et qu’elle incite les investisseurs à mettre de l’argent dans les start-ups, car les retours peuvent être grands.»

Mais Montréal est loin d’être dépourvue de start-ups accomplies. BuiltinMtl, un site internet qui recense les start-ups montréalaises, liste plus de 500 start-ups locales. On peut ainsi retrouver les plus beaux exemples de réussite de la ville tel que Flatbook ou Transit. Andrew Popliger, directeur à PricewaterhouseCoopers (PWC), va même plus loin en expli-quant que si l’on compte toutes les très jeunes start-ups en développement, le nombre de start-ups s’élève à «plu-sieurs milliers»!

Si de nombreux acteurs de la vie entrepreneuriale montréalaise se sentent encore frustrés par certaines règles de fonctionnement de la ville, ils s’accordent sur le fait que Montréal possède tout de même des atouts hors du commun. M. Denaes avoue lui-même qu’il trouve « la communauté des start-ups montréalaises extraor-dinaire.» L’important n’est pas ce que Montréal était ou est en ce moment, mais ce en quoi elle en train de trans-former. x

Sami Meffre

Sami meffreLe Délit

Wall Street Journal

Entreprises valorisées à un milliard de dollars ou plus par les firmes d’investissement en capital-risque.

La suite de cette enquête sera pub-liée en exclusivité web au cours de la semaine.

Page 16: Le délit du 17 novembre 2015.

16 société le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Movember et le mythe de la virilitéLa sensibilisation au travers des moustaches.

enquête

Mi-novembre, nous com-mençons enfin à avoir un bel aperçu des poils

faciaux de nos camarades mascu-lins. Barbe complète, moustache, ou bien quelques poils rebelles… Movember est bien là, sur le visage de nombreux hommes. Mais, en plein milieu de la mode hipster qui fait déjà exploser le nombre de bar-biers en ville, on s’interroge sur la crédibilité de ce mouvement.

Contrairement à ce que cer-tains peuvent penser, Movember n’est pas concerné que par le cancer de la prostate. Sur son site, la fon-dation déclare lutter pour «que les hommes vivent plus longtemps, plus heureux, et en meilleure santé». Les quatre domaines qui pour eux sont essentiels sont le cancer de la pros-tate, le cancer testiculaire, la mau-vaise santé mentale, et l’inactivité physique. Pour chaque domaine, Movember a une stratégie de finan-cement différente.

De tous les domaines, la mau-vaise santé mentale est particulière-ment touchante: trois suicides sur

quatre sont commis par des hom-mes, pour un total de 510 000 suici-des par an (presque un homme cha-que minute). Quant au cancer de la prostate, il est le deuxième cancer le plus courant chez les hommes. D’ici 2030, le nombre d’hommes atteint de ce cancer pourrait doubler, selon la fondation, pour atteindre 1,7 million de cas. Cette «crise cachée» de la santé des hommes est, pour Movember, une des raisons princi-pales derrière la différence de longé-vité entre les hommes et les femmes (en moyenne, les hommes vivent six ans de moins que les femmes).

Leurs valeurs font chaud au cœur: plaisir, responsabilité, solli-citude, humilité. La fondation est innovante, mène des expériences remarquables, et est un agent de changement. Elle se distingue de plus par une très bonne politique de transparence (tous leurs bilans fi-nanciers sont mis à la disposition du public sur leur site internet). Mais avant tout, Movember se veut drôle: un peu ridicule, certes, la moustache est une irrésistible manière de me-ner un combat contre la mauvaise santé des hommes.

Depuis les débuts de Movember en 2003, les dons ont été généreux: plus de 667 millions de dollars ont été amassés, et ont permis à la fondation de financer plus de 1 000 programmes dans les quatre domaines de santé mas-culine visés. Leur définition de la réussite est de «trouver des solu-tions novatrices qui amélioreront concrètement la vie des hommes», et seuls les dons permettent de tels investissements.

Mais il y a quelque chose de plus profond que l’argent. Movember sensibilise le monde. Même si pendant ce fameux mois, l’équipe Movember organise de nombreux évènements pour lever des fonds, c’est aussi le moment de discuter, tout simplement. D’apprendre. De se rendre compte de l’état de santé des hommes. Le nouveau directeur de Movember à Vancouver décrit lors d’une entre-vue avec CBC comment, d’une certaine manière, le mouvement va à l’encontre de l’idée d’un homme «viril» qui ne parle pas de ses pro-blèmes, n’a aucune faiblesse, et n’a pas de soucis de santé (mentale

ou physique). En outre, deux des cancers dont Movember parle sont génitaux—une partie du corps déjà taboue et stigmatisée. Dépasser la gêne sociale pour avoir une discus-

cécile richetta

Société[email protected]

philomène dévé

Informations et formulaire sur www.apf.ca/fondation

Étudiant(e)s, venez explorer la francophonie canadienne en faisant votre stage dans

un journal membre de l’APF !Une vingtaine de journaux francophones répartis sur

8 provinces et 2 territoires(liste des journaux sur www.apf.ca)

avec l’appui

du

BOURSES DE STAGEjusqu’à 3 000 $

FrancophonieLa

A la découverte d’une communauté

Presse de proximité

DOLOR SIT AMET

Nunavut

Alberta Manitoba Québec

Territoire

du Yukon Territoires

du Nord-Ouest

Colombie

Britannique

Terre-Neuve-

et-Labrador

Nouvelle-

Écosse

Île-du-

Prince-

Edward

Saskatchewan OntarioNouveau-

Brunswick

Journalisme - Communication - Arts graphiques

Date limite : 31 décembre 2015

@apf_journauxAssociationde la pressefrancophone

Créée en 1980 par l’Association de la presse francophone, la Fondation Donatien-Frémont appuie la relève journalistique au sein des communautés francophones du Canada en offrant tous les ans des bourses de stage jusqu’à 3000 $ à de jeunes francophones.

DÉPUTÉ

S

ÉLEC

TIO

NS

GOUVERNEM

ENT

OPIN

ION

S

DÉMOCRATIE

CIT

OY

EN

S

DROITS

POUVO

IR

PARTICIPATION

PART

IS P

OLI

TIQ

UES

SOCIÉ

PARL

EMEN

TAIRES

assnat.qc.ca/mediassociaux

L’Assemblée nationale récompense les auteurs de mémoires et de thèses portant sur la politique au Québec.

Pour information : assnat.qc.ca/prixlivrepolitique

DATE LIMITE : 29 janvier 2016

APPEL DE CANDIDATURES

14 500 $ en bourses

2016 14e ÉDITION

sion à propos d’une partie du corps particulièrement privée, c’est un pas vers une meilleure sensibili-sation du public et une pierre en moins au mythe de la «virilité».

Le problème du stéréotype de l’homme «viril» a déjà été condam-né, mais reste profondément ancré dans la vie de tous les jours. Quotidiennement, on demande aux garçons de ne pas pleurer, de «par-ler comme un homme», en somme «d’être un homme» et tout ce que cela implique. Il est souvent consi-déré comme le devoir de l’homme de prendre soin des autres et de lui-même, sans forcément demander de l’aide, et encore moins d’avouer ses faiblesses. Dissimulé sous les mous-taches, en réalité Movember s’atta-quer à ces stéréotypes et sensibilise les gens à l’idée que les hommes ne sont pas infaillibles et ont besoin d’aide.

Ainsi, agir n’est plus seulement une question de donation: cela peut simplement prendre la forme d’une discussion très simple, avec un ami à propos de la santé générale des hommes, ou alors d’un bilan de santé chez le médecin.

Movember est une organisa-tion qui nous rappelle les problè-mes de nos homologues masculins, leurs souffrances et leurs inhibi-tions, et qui nous incite, hommes et femmes, à participer à cette entre-prise aux allures un peu déjantées. Ses créateurs ont réussi à concilier deux idées qui semblent pourtant opposées: en signe de soutien à cette fondation, les hommes se font pousser une moustache, c’est à dire un élément capillaire propre à l’homme et souvent symbole de virilité. Mais la fondation en elle-même combat ce mythe de l’hom-me infaillible, en parfaite santé, qui peut supporter le poids du monde sur ses épaules sans jamais flan-cher. C’était un pari risqué, mais jusque-là, c’est un pari tenu. x

Page 17: Le délit du 17 novembre 2015.

17société & Culturele délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Sois belle, et tais-toi!À la rencontre du sexisme 2.0 avec Essena O’Neill.

opinion

«J’avais tout et j’étais très malheureuse parce que lorsque

vous vous laissez définir par des chiffres, vous vous laissez définir par quelque chose qui n’est pas pur, qui n’est pas réel, qui n’est pas amour: les «j’aime», «vues», «followers». Vous n’êtes pas des followers! Je ne suis pas une fol-lower!»

Ainsi allait le cri d’Essena O’Neill, célébrité des réseaux sociaux, dans son ultime vidéo sur YouTube. Outre la révélation du travail en réalité inhumain qu’elle déployait derrière ses pho-tos Instagram, où elle s’exposait en incarnation de la «femme par-faite au corps parfait», son appel fait également écho à un sérieux problème: quelle est la place et l’influence du numérique dans nos vies?

Le système de la femme lisse

Une femme est une candidate sérieuse à l’investiture américaine,

le nouveau cabinet canadien est composé à moitié de femmes, «parce qu’on est en 2015». Tu me dis déjà que le féminisme ne sert plus à rien, de toute façon le sexisme, c’est chez eux, ces barbares, loin de toi, loin de nous. Pendant ce temps, dans ton jardin, pousse un sexisme beaucoup plus intelligent, maîtrisant et ren-dant disponible le corps de la femme.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux nous nourrissent d’images, nous informent, nous montrent plus, plus loin, plus vite. Dans le même temps, ils modèlent nos re-présentations, nos réalités, et ici en particulier, ils modèlent le corps de la femme, celui qu’elle devrait avoir. Instagram regorge ainsi de photos de cette femme aux yeux bleus,

cheveux blonds et lisses, à la peau lisse, et surtout lisse elle-même: ce corps aseptisé recouvre le monde réel pour enfin s’installer en idéal. C’est la femme parfaite, celle qui ne dépasse pas, qui connait sa place, celle qui vit lisse, pense lisse, qu’on pourra ainsi caresser, lisse, lisse. Ces mannequins cumulent les followers qui derrière leurs écrans rêvent et s’imaginent eux aussi épousant ces carcans, cet effort physique et men-tal qui leur permettrait enfin d’être cet idéal que tous nous créons et cultivons.

Essena O’Neill nous montre dans sa dernière vidéo l’envers du décors — un corps travaillé, sculpté, des heures durant, afin d’obtenir la photo parfaite. Essena O’Neill n’est pas lisse, elle n’est pas cette person-ne qu’elle a créée. Elle a seulement cru un moment devenir celle que nous croyons voir. Une image.

Cette image a une valeur, elle épouse l’environnement sexiste qui la produit et l’entretient. Sois belle et tais-toi! Quoi de mieux alors que de la payer pour sa contribution? Ainsi opère le pouvoir foucaldien: la personne entretient le système qui décuple ses capacités en même

temps qu’il l’opprime. Mis en adé-quation avec un système sexiste, la monétarisation des vidéos YouTube devient l’outil d’un pouvoir qui sanctionne et normalise.

«Je ne suis pas contre les réseaux sociaux, je suis contre [leur] statut actuel»

Pourquoi alors utilise-t-elle ces mêmes réseaux sociaux pour diffuser un nouveau message (Vimeo et un site internet)? Cette attitude a provoqué l’incompré-hension et la colère de beaucoup. Tout le monde connaît le discours banal servi à toutes les sauces à propos de la nocivité des réseaux sociaux. Ce n’est pas celui d’Essena O’Neill. Elle n’appelle pas à la fin des réseaux sociaux, des youtubers, des modèles, des célébrités d’Insta-gram: elle appelle à un nouvel usage de ces outils et de ces identités.

Son appel et le nom de son site Let’s be game changers (Soyons les changeurs du jeu, ndlr) font écho à la question de Foucault, celle que nous devons peut-être nous poser: «à quoi peut-on jouer, et comment inventer un jeu?». x

arno pedramLe Délit

[email protected]

Quand on ne mâche pas ses mots…Un one-man show qui se targue de combiner le meilleur du théâtre et de l’humour.

Théâtre

La semaine dernière, au Théâtre d’Aujourd’hui, la compagnie Le Crachoir

mettait en scène Papiers mâchés, la dernière production de David Paquet. La toute première pièce de ce dramaturge, Porc-épic, lui avait valu en 2010 le prestigieux prix littéraire du Gouverneur Général du Canada ainsi que le prix Michel Tremblay. Une telle présentation place décidément la barre haute, ce qui, en dépit de la modestie affectée de l’artiste sur scène, ne manque pas de créer quelques attentes chez le specta-teur.

Ce dernier sera peut-être surpris de découvrir, dans une en-trevue parue le 10 novembre sur le site d’Artichautmag, que cette performance dramatique est née de la volonté de croiser le monde du théâtre – que certains voient comme étant «endormant» – à celui de l’humour, auquel l’on re-proche parfois d’être «vide». C’est une façon comme une autre de

remettre au goût du jour les pré-ceptes d’Horace, auxquels Boileau a donné une si longue postérité que l’on retrouve aujourd’hui en-core communément: l’idée selon laquelle les productions pour enfants doivent «instruire, émou-voir et plaire» à un public avide de divertissement.

Or, si l’intention de départ n’a rien de très original, le résultat n’a assurément rien en commun avec les règles du théâtre classi-que, voire même du théâtre tout court. Face à Papiers mâchés, on a un peu l’impression d’être confronté à la récitation d’un re-cueil de poèmes où la mélancolie du XIXe siècle aurait cédé la place à une bonne vieille dépression. Le tout entrecoupé de sketchs plus ou moins réussis visant à rassurer le public – au cas où celui-ci se demanderait si l’auteur n’est pas en train de se prendre un peu trop au sérieux.

L’avantage, lorsqu’on lit un poème, c’est que nous pouvons moduler sa vitesse de lecture selon notre intérêt. Et puis, il faut parfois un état d’esprit par-ticulier pour apprécier ce type

d’écriture, surtout lorsqu’elle ne se donne pas d’abord pour man-dat d’être agréable. Sur scène, si la performance est aussi «tyran-nique» que David Paquet le pré-tend, c’est en partie parce que l’interprète ne dispose pas de ces deux atouts essentiels. Cela rend la récitation d’un texte poétique d’autant plus difficile que cette mise à l’oral dénude les vers. Aussi, pour réussir, une telle performance doit reposer sur un texte impeccable.

«Raisonne-t-on pour savoir si le ragoût est bon ou s’il est mauvais?», demandait l’abbé Du Bos dans ses Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture qui firent de lui le père du relativisme moderne. Voilà une position que la critique a souvent tendance à privilégier dans un milieu artisti-que où tout le monde se connaît, ce qui incite sans doute les jour-nalistes à… mâcher leurs mots.

À cela, je répondrais que si la critique n’est pas faite pour dé-

truire une œuvre dont la prépara-tion requiert assurément toujours beaucoup d’efforts, son rôle n’est pas non plus de combler le besoin de validation de l’artiste, qui est souvent immense – comme l’a répété avec beaucoup d’emphase le créateur de ce spectacle.

Il y a certainement des spec-tateurs qui ont apprécié cette performance, comme semblent d’ailleurs le confirmer les rires qui accueillaient certaines de ses blagues. Pour ma part, il me paraît curieux, qu’en dépit du désir réi-téré de placer le public au cœur de la performance – en l’interpelant, et en demandant par exemple combien de gens connaissent Buzz Aldrin et Neil Armstrong –, j’en sois venue à me demander quel était précisément le public auquel s’adressait ce spectacle. Cherchait-il à rejoindre les gens qui sont peu habitués à lire de la poésie contemporaine, ou bien à attirer les lecteurs qui appré-cient déjà ce genre? Ne risquait-il pas inévitablement de décevoir les attentes des uns comme des autres en tentant de répondre aux exigences de tout le monde? xCatherine Aboumrad

Miruna CraciunescuLe Délit

Page 18: Le délit du 17 novembre 2015.

Le concept du «beau» retourne sa cas-quette au fur et à mesure que s’écou-lent les images du documentaire Field

Niggas. Alors qu’en 1963, Malcolm X établis-sait une distinction entre les esclaves des plantations («field negroes»,) et les esclaves mieux nourris et logés («house negroes»), le photographe et cinéaste Khalik Allah donne aujourd’hui un nouveau visage aux «esclaves des temps modernes». Quarante ans plus tard, il arpente les rues de Harlem, ce dis-trict new-yorkais où la précarité ne prend jamais de vacances – pas même pendant les nuits pluvieuses de l’été 2014, que les cin-quante-neuf minutes du film capturent.

Le coin de la 125e rue et de l’avenue Lexington devient alors la scène d’un théâ-tre nocturne. Les sans-abris et trafiquants qui bordent ses trottoirs deviennent ses acteurs et ne font plus faire seulement par-

tie intégrante du macadam. Assis par terre, un vieillard fixe l’objectif. Il explique qu’il porte toujours son bracelet de prisonnier, en souvenir. Un peu plus loin, une jeune fille récite un poème pendant que passe un bus de «house negroes» qui s’apprêtent à retrou-ver leur maison. Comme pour marquer une rupture entre nos a priori sur ces créatures de la nuit et le cours de leur pensée, les témoignages recueillis par Khalak Allah ne sont jamais livrés au spectateur directe-ment. Leurs voix flottent au-dessus de gros plans à l’esthétique presque surréaliste tant les effets de flou nous transportent dans une autre dimension.

«À ton avis, qu’est-ce qu’il nous arrive quand on meurt?» demande le cinéaste à une femme qui se tient sur un terre-plein au milieu des voitures. Les nuages de fumée de cigarette sont omniprésents et à leur volupté naturelle s’ajoute une lenteur artificielle. «Je pense que c’est comme si l’on était encore présent, mais on n’est pas physiquement là».

Nuages de cigarettes, ou plutôt de K2, drogue qu’ils expliquent avoir substitué à l’herbe car il paraît qu’on la dépiste moins facilement.

Des couleurs saturées, la noirceur de la nuit qui se mêle à l’intensité de ces visages:

comme il est vrai que la beauté réside dans l’œil de celui qui la regarde. À la fin de la séance, il semblerait que celle que Khalik Allah donne à ces street negroes ne soit pas tombée dans celui d’un malvoyant. x

18 Culture le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

ridm

C’est un projet particulier qui trot-tait dans la tête du réalisateur Albert Maysles depuis les années

1960. Le cinéaste humaniste est décédé à 88 ans, en mars dernier, alors que son film venait d’être assemblé. Il voulait faire un documentaire sur les passagers des trains de longue distance. Co-réalisé par Lynn Ture, David Usui, Nelson Walker

et Ben Wu, In Transit a alors été tourné sur la ligne Chicago-Seattle, un trajet de trois jours à travers plaines et montagnes, passant aussi par des exploitations pétro-lières.

Présent à la projection, David Usui explique que dix personnes étaient présentes dans le train pour filmer et discuter avec les passagers. Le résultat, c’est une trentaine de personnages qui se livrent devant la caméra et racontent leurs vies parfois très compliquées. Quand on est dans un train pendant de si longues heures, «il y a un espace social, le temps se ralentit et les gens ont une sorte d’intros-

pection en étant assis, ils regardent par la fenêtre et se demandent où ils en sont.» Le voyage est l’occasion d’une réflexion sur sa vie, mais aussi de partager des idées, des craintes et des pensées avec d’autres passagers. Tout cela en l’absence de com-plexes car ce sont des relations qui peu-vent être éphémères, si on le veut.

D’après son collègue David Usui, Albert Maysles a une capacité impression-nante à se connecter avec les gens, ce qui a permis d’établir de la confiance entre

l’équipe de tournage et les passagers. Ils ont fini par obtenir quatre cents heures de tournage enregistrées, qu’il a ensuite fallu trier. Ce sont les récits des drames et des espoirs des américains moyens que les réalisateurs ont choisi de montrer.

In transit est un documentaire huma-niste touchant qui nous transporte. En passant une heure devant le film, on a véritablement l’impression d’être dans le train, au beau milieu de l’Amérique du Nord. x

courtoisie RIDM / luce engérant

amandine hamonLe Délit

céline fabreLe Délit

Ne tirez pas sur Tim Horton

Le théâtre du réel

Retour sur les Rencontres Internationales des Documentaires de Montréal.

Champ de racaille

Train de vie

céline fabreLe Délit

«Tout conflit est basé sur la tromperie»: c’est par cette citation du général chinois

Sun Tzu datant du VIe siècle avant J.-C, que démarre Bring me back the head of Tim Horton, un court-métrage loufo-que signé Guy Maddin, Evan et Galen Johnson.

Au départ, l’idée était de filmer les coulisses du tournage de la dernière superproduction du réalisateur Paul Gross: une épopée remplie de soldats canadiens qui se retrouvent pris au piège au beau milieu de l’Afghanistan. Mais les trois larbins que sont Guy, Evan et Galen réalisent bien vite qu’ils ne pourront pas prendre le montage de ce documentaire promotionnel tout à fait au sérieux.

Le désert de Jordanie où les acteurs-soldats simulent une guerre contre les talibans afghans prend alors une toute autre tournure, à coups d’effets psychédéliques. On se retrouve face à des combats sur fond de musique de jazz, des filtres de couleurs primaires, des bruitages de jeux vidéo et même le gros plan d’une poule qui se promène au milieu de ce bazar.

Allongé dans le sable pour ne pas perturber les caméras du tournage, Guy Maddin se livre à des réflexions sur la vie, la mort et l’art: «Une palette de couleur, c’est une forme de poésie». Du sarcasme à la sottise, en passant par le carrément ridicule, Bring me back the head of Tim Horton décons-truit de façon un peu aléatoire les codes d’un genre de film peu enclin à la satire. x

courtoisie RIDM / luce engérant

khalik allah/ luce engérant

Page 19: Le délit du 17 novembre 2015.

19Culturele délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Elles Aujourd’huiSix artistes-peintres québécoises et canadiennes en vedette au Musée des Beaux-Arts.

exposition

Le Musée des Beaux-Arts de Montréal, dans le cadre de son exposition phare sur le

groupe de Beaver Hall («La couleur du jazz»), propose une autre expo-sition qui prolonge la réflexion à propos des artistes professionnelles contemporaines.

Elles Aujourd’hui présente le travail de six artistes québécoises et canadiennes représentatives du dynamisme actuel de la peinture, en dialogue avec la société actuelle. Une exposition très courte, peu analyti-que et qui laisse la place à de grands tableaux, souvent narratifs, où la tradition picturale est confrontée au monde contemporain du micros-cope, de la cartographie numérique, de la télévision, des stéréotypes. Il y a aussi des tableaux qui présentent des réflexions sur la culture avec les thématiques de la représentation littéraire, de la mémoire et de la culture populaire.

On regrette un manque d’expli-cations sur le rôle de l’artiste. En effet, la nouveauté du groupe du Beaver Hall était notamment la présence importante d’artistes fémi-nines professionnelles, faisant du collectif d’artistes le plus moderne de son temps. Quel rôle se donnent ces artistes aujourd’hui dans leur

société? L’exposition a en fait ten-dance à séparer les artistes de leur contexte. En effet, il est dit que ces artistes «enseignent dans les éco-les» et participent à «l’écosystème culturel» d’aujourd’hui. On aurait aimé en savoir plus sur le rôle didac-tique, pédagogique ou politique des artistes, et leur rapport à l’art. Mais ce n’est qu’une exposition et l’on apprécie le moment devant de très belles œuvres, impossibles à assimi-ler au sein d’un même mouvement (les différences esthétiques entre les artistes font d’ailleurs contraste avec l’homogénéité qui existe au sein du groupe du Beaver Hall).

Coup de cœur de la rédaction pour les très belles œuvres de la coloriste Wanda Koop, qui réconcilie l’abstraction et la figuration avec succès pour interroger notre rapport à la télévision et à l’information

visuelle en continu. Coup de cœur aussi pour le tableau dans l’espace de Marie-Claude Bouthillier, «Dans le ventre de la baleine», qui donne au public la belle impression de péné-trer l’imaginaire d’un tableau.

En somme, de très belles œuvres et six artistes qui représen-tent le dynamisme de la peinture et de ses différents courants: peinture qui s’approche du textile, peinture abstraite, peinture narrative et figurative, peinture adjacente à la photographie, mais surtout peintu-re mise en espace. Cette exposition courte et efficace, est surtout gra-tuite pour les moins de 30 ans. On ne peut que conseiller d’y passer pour découvrir, au moins, de belles œuvres canadiennes. x

vassili sztilLe Délit

L’homonyme russeCharles Gauthier-Ouellette | Le port littéraire

chronique

Le nom de Vladimir Vladimirovitch Poutine est intimement lié, dans la cultu-

re générale, au président actuel de la Russie. C’est toutefois un nom com-mun dans ce pays, comme nous l’ap-prend le narrateur éponyme, dont il sera question dans le nouveau roman de Bernard Chambaz. Ce personnage apparait comme un être troublé par la montée au pouvoir d’un homme avec qui il partage de nombreux points communs, points qu’il note religieusement dans des carnets aux couleurs variées. Par l’alternance entre la vie du prota-goniste et les notes de ces carnets, le roman Vladimir Vladimirovitch ouvre tout un espace réflexif sur les notions d’identité et d’altérité, en

plus d’offrir un aperçu biographique du président russe Poutine.

Le thème principal de ce roman, c’est à dire la recherche identitaire du narrateur, se dévoile d’entrée de jeu et laisse planer une direction assez psychologique, voire psychanalytique. Malheureusement (ou peut-être heureusement, selon les goûts) cette approche est écartée assez vite pour laisser entrevoir un récit plus banal, construit autour d’un narrateur qui ne présente pas d’intérêt particulier. La motivation qui le pousse à se définir en oppo-sant sa vie à celle de son homonyme offre un semblant de trame nar-rative, mais cette obsession laisse un goût amer en bouche. En effet, malgré les cahiers de notes et les quelques pensées confuses, le per-sonnage fait pâle figure comparati-vement à un roman comme L’Autre comme moi de José Saramago.

Les carnets de notes partici-pent activement à la pertinence de Vladimir Vladimirovitch et en restent l’intérêt principal. Ces cinq textes retracent les différentes éta-pes de la vie du président Poutine, de son enfance jusqu’à aujourd’hui, ou plus précisément jusqu’aux Jeux Olympiques de Sotchi. Le style d’écriture combine à la fois le nar-

rateur omniscient, qui connait tous les détails de la vie de l’homme ainsi que ses sentiments, et le narrateur témoin, qui observe et commente subjectivement les actions posées par celui-ci. Cette double dynami-que entraine le lecteur dans une biographie qui se retrouve littérari-sée, faisant du président un vérita-ble acteur du récit et lui conférant, du même coup, des motifs et des émotions facilement discernables. Les commentaires effectués en marge de ces carnets n’ajoutent pas toujours des détails pertinents, mais incitent plutôt le lecteur à ne jamais mettre de côté la présence du personnage principal dans ses écrits. Ces petits rappels permet-tent aussi de relancer l’aspect roma-nesque du livre.

Somme toute, ce nouveau roman de Bernard Chambaz attire l’attention au premier coup d’œil: une pochette attirante, un titre sim-ple et direct ainsi qu’une quatrième de couverture énigmatique. Une fois débuté, cependant, Vladimir Vladimirovitch réussit difficilement à tenir ses promesses. Récit psy-chologique assez décevant, le livre s’épanouit principalement dans les passages concernant le président Poutine. x

MBAM Jusqu’au 7 août 2016 Gratuit pour les moins de 30 ans.

Ne tirez pas sur Tim Horton UN EMPLOI UNIQUEUN ENDROIT EMBLÉMATIQUE UN ÉTÉ INOUBLIABLE

Pour en savoir plus et faire votre demande en ligne, allez àparl.gc.ca/guides

Devenez GUIDE PARLEMENTAIREPrésentez votre candidature d’ici le 15 janvier 2016Cet été, soyez au cœur de l’action au Parlement du Canada.

Zaliqa Rosli

Page 20: Le délit du 17 novembre 2015.

20 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

les dessinateurs face aux attentats

charlie

paul pieuchot

amandine hamonprune engérant