Le délit du 19 janvier 2016.

16
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 19 janvier 2016 | Volume 105 Numéro 10 Il faut sauver le soldat Sami depuis 1977

description

 

Transcript of Le délit du 19 janvier 2016.

Page 1: Le délit du 19 janvier 2016.

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 19 janvier 2016 | Volume 105 Numéro 10 Il faut sauver le soldat Sami depuis 1977

Page 2: Le délit du 19 janvier 2016.

É[email protected]

Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 10

2éditorial le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

[email protected] Julia Denis

actualité[email protected]é MourIkram MecheriHannah Raffin

[email protected]éline FabreVassili Sztil

Société[email protected] Perrin Tabarly

économie [email protected] Sami Meffrecoordonnateur de la production

[email protected] Baptiste Rinnercoordonnatrices visuel

[email protected] EngérantVittorio Pessin

coordonnateurs de la [email protected] BojuAntoine Duranton

coordonnatrice réseaux [email protected]

Inès L. DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Joseph BojuWebmestre

[email protected] Ménard

contributeurs Ronny Al-Nosir, Léandre Barôme, Nouédyn Baspin, Laurence Bich-Carrière, Hortense Chauvin, Miruna Craciunescu, Luce Engérant, Prune Engérant, Lionel Fritz, Ach Gaddes, Salomé Grouard, Sandra Klemet N’Guessan, François Legras, David Leroux, Capucine Lorber, Vincent Morréale, Léo Sikat, Kharrol-Ann Souffrant, Martin VicerogcouvertureMahaut Engérant et Vittorio Pessin

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

the McGill daily [email protected]

Niyousha Bastani

Résolutions mcgilloises

Quel est le rôle d’un journal étudiant comme Le Délit? Bonne question existentielle pour entamer une nouvelle année avec une équipe éditoriale en partie renouvelée.

Informer les étudiants, défendre la francophonie à McGill, être un médium d’expression pour les élèves, être un organe de presse libre et indépendant sur le campus et offrir une formation de jour-nalisme à McGill. Le Délit se doit aussi de représenter les étudiants et s’adresser en leur nom aux institutions de l’Université: l’admi-nistration de McGill et l’Association des étudiants de l’Université McGill (AÉUM).

Le premier semestre de l’année 2016 est lancé. Chacun revient, reprend sa place dans les amphithéâtres, se relance dans sa relation obsessionnelle avec Minerva et MyCourses, se rassoit à la biblio-thèque… Même routine étudiante; seuls les livres et les intitulés de cours changent. Comme l’illustre notre une cette semaine, c’est un retour à la case départ avec une mise à jour de nos objectifs et connaissances.

Allons-nous aussi reprendre le chant monotone de nos plaintes et reproches envers l’Université et notre vie étudiante laborieuse? Pas encore. «Parce que c’est 2016!», comme dira peut-être l’autre. Cette année, chère administration de McGill, nous te conseillons avant de te critiquer. Nous te présentons nos attentes et espérons te voir adopter ces quelques bonnes résolutions.

McGill en 2016

McGill en 2016, tu nous offriras des vacances en automne. Comme défendu dans l’éditorial du Délit du 27 octobre 2015, «Depereunt aucta labore», les étudiants de McGill ont un équilibre

fragile et leur santé — tant mentale que physique — est mise à rude épreuve pendant le semestre d’automne.

McGill en 2016, tu découperas ton calendrier de façon plus intelligente, tout en gardant en tête qu’une grand partie de ton corps étudiant vient de loin. Est-il normal que nous finissions nos exa-men un 22 décembre et que de nombreux étudiants internationaux n’aient pu rejoindre leurs familles qu’à partir du 24 décembre (Le Délit a conscience que les fêtes de Noël ne concernent qu’une partie des étudiants, ndlr)? Est-ce que commencer les cours un vendredi pendant les festivités du Frosh relève d’une organisation logique? N’aurait-il pas été plus simple de nous faire recommencer les cours un lundi pour ce semestre d’hiver? N’aurait-il pas été plus approprié de nous laisser une période de add & drop plus longue ce semestre (celle-ci s’achevant en ce mardi 19 janvier)?

McGill en 2016, tu renégocieras le Memorandum of Agreement (les accords contractuels entre l’administration de McGill et l’AÉUM, ndlr) dans l’intérêt de tes étudiants. Nous souhaitons que la restriction absurde empêchant certains clubs de l’Université d’utiliser «McGill» dans le nom officiel de leur club soit levée.

McGill en 2016, tu seras plus transparente sur les questions d’austérité et tu relâcheras ta politique d’annulation de cours — qui semble encore avoir frappé ce semestre.

Le Délit comprend bien évidemment que chacune de ces ques-tions est complexe. Nos souhaits en quelques lignes simplistes et très résumées ne peuvent englober tous les facteurs qui ont mené à ces décisions passées que nous jugeons regrettables. Nous tâchons cependant de faire ressortir les problèmes et défauts qui préoccu-pent certains étudiants.

En somme, McGill en 2016, tu impliqueras plus les étudiants dans un processus de décision transparent.

Espérons, McGill en 2016, qu’à l’inverse de tes étudiants, tu tiendras tes bonnes résolutions au-delà du mois de janvier. x

julia DenisLe Délit

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

Lettre ouverte à l’administration de l’Université.

Erratum:Dans la version papier de l’article «Une industrie qui a mauvaise mine» publié le 28 novembre 2015, le passage suivant avait été publié: «Pour sa part, Julie Reid Forget, vice-présidente chez Strategies and New Markets, refuse de s’impliquer auprès des compagnies minières qui refusent de changer leurs pratiques.» Suite à une conversation avec la spéciali-ste, celle-ci nous a indiqué que son rôle était plutôt «d’accompagneres compagnies minières dans la période de transition». À la lumière de ces propos, nous avons établi qu’il était préférable de retirer le passage. À nos lecteurs et à Mme Julie Reid Forget, nous présentons nos excuses.

Page 3: Le délit du 19 janvier 2016.

Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Clubs: 1 – AÉUM: 0 Retour sur les pépites des Activities Nights et l’échec côté organisation.

campus

Depuis le début de mon séjour à McGill, les Activities Nights (Soirées

des Associations) se sont tenues à six reprises, si on inclut celle de cette session. Malheureusement, en raison des files d’attente monstrueuses, de l’horaire de mes cours, et de ma préférence pour Gerts, je n’avais encore jamais assisté à ces regroupe-ments des clubs de McGill. Ce semestre, en reportage pour Le Délit, je me suis présenté au bâti-ment Shatner (AÉUM) pour aller discuter avec ces clubs étudiants en plein effort de promotion et de recrutement. Voici une liste très subjective et non-exhaustive de quelques clubs qui m’ont le plus marqué.

Les clubs au rendez-vous

Policy Advocacy Resource Committee Working Group (Le Groupe de Travail du comité sur

la mobilisation politique, ndlr)David Benrimoh (U4, méde-

cine) est en charge de ce comité découlant du Conseil législatif de l’AÉUM. Il vise à donner aux étudiants les outils pour résoudre les problèmes de nature «systé-mique» sur le campus. David a nommé les questions de santé mentale en exemple.

Generation Squeeze Comme me l’a expliqué

Portia Proctor (U3), ce club non-partisan tente de sensibiliser les jeunes Canadiens à l’importance de leur avenir économique, en faisant la promotion de la rigueur fiscale et en encourageant à la mobilisation.

McGill Students Circus Collective (Collectif de Cirque des Étudiants de McGill)

Pour ceux qui aspirent à tra-vailler pour le Cirque du Soleil, ce club est pour vous! Vous pourrez y explorer vos talents de jongleur, d’acrobate ou encore de trampoline.

McGill Women in Leadership Students’ Association (Association Étudiante des Femmes de Femmes de McGill en position de Dirigeant, ndlr)

Ce club cherche à former les femmes afin qu’elles puissent non seulement s’exprimer en tant qu’oratrices devant des foules, mais aussi pour qu’elles prennent leur place dans les industries dominées par les hommes.

McGill Fight Band Xavier (U3, ingénierie chimi-

que) m’explique que cette bande de musiciens se rend aux événements sportifs pour essayer d’encoura-ger l’esprit sportif des étudiants de McGill. Les musiciens de tous niveaux sont les bienvenus. On dé-plore souvent le manque de soutien pour nos équipes sportives… Alors, Go Redmen Go?

McGill Quidditch Team (Équipe de Quidditch de McGill)

Si vous êtes un fan de Harry Potter, vous attendez sûrement tou-jours votre lettre d’admission pour

Poudlard. Pour patienter, sachez que vous pouvez tout de même jouer au Quidditch! Même si Harry Potter et Ron Weasley ne jouent pas dans l’équipe de McGill, on peut y éviter des cognards et attra-per le vif d’or. L’équipe de McGill est souvent classée #1 au Canada et dans le top 30 mondial.

McGill Students Trading SocietyPour ceux qui voudraient

conquérir Wall Street, ce club fondé l’année dernière vise à vous apprendre comment parcourir l’énorme monde de la bourse et faire de vous des investisseurs hors pair.

McGill Flint Knappers Club De quoi faire le bonheur du

Indiana Jones qui repose en vous! Le «flint knapping», comme nous l’explique Anthony Zerafa (U3, anthropologie) est une forme d’anthropologie expérimentale qui consiste à «frapper des outils les uns contre les autres» pour savoir comment ils sont faits. Intéressant, n’est-ce pas ?

Un échec des organisateurs

Somme toute, les Activities Nights de ces 12 et 13 janvier 2015 étaient plutôt tranquilles. La file d’attente était si courte, surtout comparée aux années précédentes, que je n’ai même pas eu à utiliser le laissez-passer de presse du Délit.

La communication et la publi-cité par l’AÉUM pour ces deux soirées étaient proches du néant, et très peu d’étudiants étaient au courant de la tenue d’une Soirée des Associations cet hiver. Il y avait bien plus de représentants d’associations que d’élèves curieux. La logistique n’était pas non plus au rendez-vous. Une fois arrivé, personne n’a pu trouver l’organi-satrice de l’événement lorsque j’ai demandé à la voir.

En ce qui concerne l’organi-sation avec les clubs, on dénote un manque de communication, un retard de notifications, un désordre dans la distribution des tables et une absence totale de contrôle des «tableurs» de la part de l’équipe de l’AÉUM. x

ronny al-nosirLe Délit

Le Peterson vous offre des commodités haut de gamme :

LePeterson.com

*L’il

lust

ratio

n es

t une

repr

ésen

tatio

n ar

tistiq

ue

Se réveiller 5 minuteS avant le début du courS ? PaS de Problème !

étudiez en toute quiétude au cœur du quartier le PluS vivant de montréal.

• Salle d'entraînement surplombant la ville au 28e étage• Terrasse au 28e étage avec mur d’escalade extérieur• Salle de divertissement multimédia avec cuisine de démonstration• Stationnement souterrain• Service de concierge 24 heures et suite pour invités

Visitez notre bureau des Ventes et découVrez ce que Le Peterson a à Vous offrir.

informez-Vous à ProPos de nos Lofts uniques aux PLafonds de 18 Pieds.

445, aV. du Président-Kennedy (Près de La rue de bLeury) montréaL514 904-8855

à seuLement 300 mètres de

L’uniVersité mcGiLL.

livraiSon été 2016

80 % deS unitéS vendueS

1 chambre À Partir de 256 900 $

2 chambreS À Partir de 342 400 $

Page 4: Le délit du 19 janvier 2016.

4 actualités le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

campus

Re-désinvestir McGill Le Sénat se réunit pour la première fois en 2016.

Présidée par la rectrice Suzanne Fortier, la pre-mière réunion mensuelle

du Sénat de l’université McGill a eu lieu le 13 janvier dernier. Avant de débuter la rencontre, les membres ont avant tout sou-haité féliciter Donna Farid, la nouvelle représentante de l’AÉC-SUM (Association des étudiants du cycle supérieur de McGill, ndlr) au sein du Sénat. La princi-pale Fortier a aussi commémoré le décès d’Arnold Steinberg, phi-lanthrope et premier chancelier juif de l’université McGill, entre 2009 et 2014.

Le militantisme, toujours pré-sent

Suite à la conférence de Paris sur le climat (COP21), Erin Sobat, représentant de l’Associa-tion des Étudiants de l’université McGill (AÉUM) au sein du Sénat, a voulu réitérer les demandes de Désinvestissons McGill qui plaide pour la fin des investisse-

ments de McGill dans les éner-gies fossiles. Sobat a aussi rappe-lé aux sénateurs que l’inaction de l’Université peut être potentiel-lement négative pour la réputa-tion de l’institution. La rectrice Fortier à répondu que le Comité de Conseil sur les Affaires et Responsabilité sociale (CCARS) étudie encore les différentes stratégies de désinvestissement tout en minimisant l’impact sur la réputation de l’Université en affirmant qu’une corrélation en-tre les investissements de McGill dans les énergies fossiles et la réputation de l’institution n’a pas encore été prouvée à ce jour.

À la lumière des récentes promesses du gouvernement libéral d’augmenter les subven-tions universitaires dans les sec-teurs de l’énergie renouvelable au sein des Chaires de recherche du Canada, le sénateur Sobat a demandé si la position de l’Uni-versité empêcherait d’accéder à ces bourses. Sensible au propos du représentant du corpus étu-diant, la sénatrice Fiona Ritchie a par la suite demandé à la rectri-ce si le statu quo de l’Université

l’empêcherait d’obtenir ces nou-velles subventions. La rectrice a répondu aux inquiétudes de la sénatrice en lui assurant que les investissements de McGill n’ont aucun impact académique quant à l’obtention de bourses car les positions politiques des univer-

sités ne font pas parti des critè-res de sélection.

Malgré la réticence du Sénat d’aborder cette ques-tion, pour Sobat et l’équipe de Désinvestissons McGill il reste important d’utiliser tou-tes les plateformes disponibles

pour faire passer leur message. Rappelons qu’en automne der-nier, plusieurs diplômés de l’ins-titution ont menacé de rendre leurs diplômes si aucune déci-sion n’était prise vis-à-vis de la problématique d’ici le 30 mars 2016. À suivre. x

ikram mecheriLe Délit

Infographie réalisée à l’aide de Piktochart

Matilda nottage & Julia Denis

Page 5: Le délit du 19 janvier 2016.

5actualitésle délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Agriculture au cœur de MontréalLa Concordia Greenhouse ouvre ses portes au public.

MontrÉal

La Concordia Greenhouse faisait sa journée «portes ouvertes» semestrielle le 14

janvier dernier. Enfin, on pourrait plus parler d’un événement de pro-motion, la serre étant libre d’accès tout au long de l’année, aussi bien en tant qu’espace public que d’ac-cueil de volontaires. Le rassemble-ment avait pour but de sensibiliser les étudiants montréalais à des enjeux tels que la souveraineté ali-mentaire (c’est-à-dire, le contrôle de la production de nourriture par la communauté des consom-mateurs elle-même), l’agriculture biologique et l’agriculture urbaine. Plus concrètement, les projets de la serre sont de produire de la nourriture proche des consomma-teurs et d’une manière durable.

Des visites guidées permet-taient aux curieux d’explorer la serre située au sommet du pavillon Hall. La Concordia Greenhouse produit actuellement une sélec-tion de microverdures et d’her-bes aromatiques vendues à des

entreprises étudiantes comme Le Frigo Vert ou Kafein, répondant ainsi à une demande de souverai-neté alimentaire au sein de l’uni-versité. Elle sert aussi d’espace expérimental et d’éducation pour cultiver d’autres plantes à l’année, comme des arbres fruitiers, des plantes d’intérieurs, ou des varechs. Ses membres organisent chaque semaine des ateliers liés à l’agriculture durable, comme

la culture sur plan vertical ou la lacto-fermentation, ainsi que des conférences sur des thèmes plus larges. Un bémol toutefois: la serre est plus un modèle pour des solutions à mettre en place qu’une solution en elle-même. L’édifice est vieux et mal isolé, il requiert donc une grande quantité d’énergie. De plus, sa superficie réduite limite sa capacité à fournir des produits pour l’université.

Agriculture(s) alternative(s)

La Concordia Greenhouse n’est pas un cas isolé; elle fait partie d’un mouvement mondial d’agriculture urbaine. Bien sûr, l’agriculture urbaine ne date pas d’hier (elle existait déjà dans l’Égypte antique), mais elle a connu un renouveau dans les années 1970, au même titre que l’agriculture biologique. Elle répond à des problèmes engendrés par l’agriculture «conventionnel-le» depuis le début du 20e siècle: appauvrissement et destruction des sols, contrôle de la production par un nombre réduit de gros-ses entreprises, consommation importante d’eau et d’énergies fossiles, etc.

À McGill aussi

L’équivalent le plus proche de la Concordia Greenhouse à McGill est MSEG (McGill Student-run Ecological Gardens, ndlr). Bien qu’incapable de pro-duire à l’année, la ferme située au campus MacDonald propose un

grand nombre de légumes durant les McGill Farmers’ Markets, et approvisionne 75 élèves en paniers hebdomadaires. Selon Erlend Bjørklund, co-gérant de MSEG, l’organisation «permet aux étudiants intéressés de par-ticiper à toutes les étapes de leur système alimentaire local de façon éco-responsable», de la ferme à la fourchette. Il ajoute que la posi-tion privilégiée des étudiants au Canada nous empêche de nous rendre compte de la réalité de la production de nourriture et de ses enjeux; un fossé que des organisa-tions comme MSEG peuvent aider à combler.

Il est intéressant de noter qu’une grande part des agricul-teurs urbains travaillant dans ce genre de petites structures (par opposition aux entreprises de taille moyenne comme les Fermes Lufa) sont étudiants ou fraîche-ment diplômés. Selon Mme Swirlz (coordinatrice des services à la Concordia Greenhouse), la culture progressiste des étudiants sert de tremplin pour promouvoir l’agri-culture urbaine. x

vittorio pessin

Léo arcay Le Délit

psychopédagogie • sciences de la communication • psychologie • mathématiques pures • sciences infirmières • médecine • études internationales • littérature comparée • sciences humaines appliquées • science politique • chimie • droit • économie et politique • littératures de langue française • pharmacogénomique • informatique • relations industrielles • criminologie • diététique • biologie moléculaire • sciences de l’information • aménagement • urbanisme • biochimie • mathématiques • physiothérapie • histoire • littératures de langue française • publicité • sciences économiques • musique – interprétation • anthropologie • philosophie • architecture de paysage • en-seignement de l’éducation physique et à la santé • design industriel • sciences humaines • sciences biomédicales • pharmacologie • physique • sociologie • sécurité et études policières • musique – composition • génie biomédical • études anglaises • kinésiologie • actuariat • sciences biologiques • traduction • géographie • microbiologie et immunologie • arts et sciences • psychoéducation • histoire de l’art • études hispaniques • éducation préscolaire en enseignement primaire • sciences de la réadaptation • travail social • études asiatiques • enseignement au sec-ondaire • design d’intérieur • pratique pharmaceutique • musiques numériques • médecine dentaire • orthopho-nie • études du jeu vidéo • médecine vétérinaire • architecture • linguistique • victimologie • études autochtones • multimédia • théologie • muséologie • démographie • bio-informatique • études lusophones • journalisme • développement durable • informatique • bioéthique • statistiques sociales • arts, création et technologie • études classiques • physique • santé publique • études arabes • français langue seconde • orthodidactique des mathéma-tiques • neurosciences • hygiène du travail • audiologie • gestion philanthropique • génie biomédical • études médiévales • rédaction • intégration pédagogique des TIC • finance mathématique et computationnelle • musique – composition pour l’écran et la scène • santé et sécurité au travail • langue et culture chinoises • toxicologie et analyse du risque • ergothérapie • sciences cognitives • mobilité, transport et urbanisme • communication organ-isationnelle • virologie et immunologie • études québécoises • psychopédagogie • sciences de la communication • psychologie • mathématiques pures • sciences infirmières • médecine • études internationales • littérature com-parée • sciences humaines appliquées • science politique • chimie • droit • économie et politique • littératures de langue française • pharmacogénomique • informatique • relations industrielles • criminologie • diététique • biol-ogie moléculaire • sciences de l’information • aménagement • urbanisme • biochimie • mathématiques • physio-thérapie • histoire • littératures de langue française • publicité • sciences économiques • musique – interprétation • anthropologie • philosophie • architecture de paysage • enseignement de l’éducation physique et à la santé • design industriel • sciences humaines • sciences biomédicales • pharmacologie • physique • sociologie • sécurité et études policières • musique – composition • génie biomédical • études anglaises • kinésiologie • actuariat • sci-ences biologiques • traduction • géographie • microbiologie et immunologie • arts et sciences • psychoéducation • histoire de l’art • études hispaniques • éducation préscolaire en enseignement primaire • sciences de la réadap-tation • travail social • études asiatiques • enseignement au secondaire • design d’intérieur • pratique pharmaceu-tique • musiques numériques • médecine dentaire • orthophonie • études du jeu vidéo • médecine vétérinaire • architecture • linguistique • victimologie • études autochtones • multimédia • théologie • muséologie • démogra-phie • bio-informatique • études lusophones • journalisme • développement durable • informatique • bioéthique • statistiques sociales • arts, création et technologie • études classiques • physique • santé publique • études arabes • français langue seconde • orthodidactique des mathématiques • neurosciences • hygiène du travail • audiolo

Un projet en tête ?

admission.umontreal.ca

Pourquoi poursuivre tes études aux cycles supérieurs à l’UdeM

Date limite d’admission : 1er février

Plus de 350 programmes d’études où faire sa marque

Un réseau collaboratif de professeurs tournés vers le monde

Une des 5 meilleures universités au Canada

Page 6: Le délit du 19 janvier 2016.

6 ACTUALITÉS le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Le PTP: un traité pour contenir la ChineLa Ministre Freeland présente différents aspects du PTP.

conférences

Jeudi 14 Janvier 2016, à l’Université de Montréal (UdeM), la Ministre

du Commerce International, Madame Chrystia Freeland, par-ticipait à une conférence orga-nisée par le Centre d’Études et de Recherches Internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM), dans le cadre du processus de consultation publique que le gouvernement Trudeau s’est engagé à tenir sur le Partenariat transpacifique (PTP). Ce traité qui implique à ce jour une douzaine de pays, et qui pourrait représenter près de 40% de l’économie mondiale, vise essentiellement à accroître le libre-échange entre les pays signataires à travers la réduction des barrières tarifaires reliées à l’investissement, le renforcement des règles liées à la transparence dans les échanges commerciaux, la création d’emplois, et l’innova-tion technologique. Il faut donc reconnaître que la ratification de ce traité représenterait un tour-nant historique concernant les efforts alloués par les États à la coopération internationale.

Et la Chine dans tout cela?

Considérant tous les bénéfi-ces énumérés ci-dessus, on peut

toutefois se demander pourquoi la Chine, qui est maintenant un incontournable de l’ordre écono-mique mondiale, n’a pas pris part aux négociations. Cet aspect reste malheureusement très négligé par les analyses relatives à cet accord. Cette absence des radars nous révèle surtout qu’au-delà de l’éco-nomie, le PTP, s’il est ratifié, aura aussi d’énormes conséquences géo-politiques sur l’Asie de l’est. La vé-rité dans ce sens est que, même si le Canada ne ratifie pas le traité, notre pays, en plus d’un potentiel isole-ment économique et d’une perte d’opportunités vers de nouveaux

marchés, devra aussi composer avec les conséquences géopoliti-ques et stratégiques inhérentes à ce dernier. Ainsi la question de savoir ce que feront les décideurs chinois si ce traité rentre en vigueur, devient primordiale. La Chine sera-t-elle victime de la puissance d’attraction du traité? Finira-t-elle par se conformer aux standards mis en place par le groupe comme cela a été le cas avec l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 2001? Quels sont les pays poten-tiellement en faveur et en défaveur de l’entrée de la Chine dans ce nou-veau G12 économique?

Une croissance qui dérange

Au-delà de l’attraction économique, seule une analyse géopolitique nous offrira les éléments de réponses à ces ques-tions. À cet effet, la non-invita-tion de la Chine au processus de négociations commencé depuis 2008, est symptomatique des inquiétudes que sa croissance actuelle ainsi que les différentes rivalités territoriales en mer de Chine méridionale, posent à des États tels que le Japon, l’Austra-lie et Singapour. Pour eux, cet accord signifie, par procuration,

une présence accrue des États-Unis, leur allié offshore dans la région. À cela, les États-Unis auront donc un rôle déterminant à jouer concernant le future du PTP et surtout concernant la stabilité de la région. Quant au Canada, même s’il est vrai que nous n’avons pas directement un rôle à jouer dans la présente tentative d’endiguement contre la Chine, cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons et pouvons rien faire par rapport au futur de notre relation avec la Chine et nos alliés dans la région.

Ainsi, l’approche diplo-matique et multilatérale mise de l’avant par le gouvernement Trudeau et expliquée par la Ministre Freeland lors de la conférence pourrait, si elle continue d’avancer dans cette direction, devenir la clé d’une implication canadienne flexible et réaliste en Asie de l’est.

Enfin, comme la ministre Freeland l’a expliqué, le traité, après les consultations publi-ques et les débats au Parlement, sera à prendre ou à laisser. À cet effet, le gouvernement libé-ral aura la responsabilité de convaincre la population cana-dienne qu’en plus des retombés économiques, ce traité marquera un pas de plus vers notre retour sur la scène internationale. x

Au-delà des préjugésConférence sur la santé mentale au sein des communautés noires.

Le 13 janvier dernier avait lieu une soirée de conversations tenue par

des conférenciers jouant tous des rôles importants liés aux enjeux des maladies mentales. Parmi eux, le Dr. Sophia Koukoui, Rachel Zellar, Dré Myrna Lashley, Sacha Obas et enfin Cherrilyn Birchwood. Ensemble, ils ont partagé leurs recherches et leurs découvertes à un auditoi-re attentif et curieux. Les notions abordées relevaient de la stig-matisation, de la relation entre les genres et la santé mentale, de l’importance du bien-être, ou encore du lien entre l’ethnie raciale et la justice criminelle et de son effet sur la santé mentale d’un individu. Pour cela, ces experts ont choisi d’utiliser une approche scientifique, en présen-tant notamment des projets de doctorats basés sur des recher-ches cliniques médicales.

L’événement était aussi l’oc-casion d’entendre le réalisateur et documentariste Sacha Obas sur les enjeux cités dans son reportage The Black Male Mental Health Project («l’étude de la santé de l’homme noir», ndlr). De fait, le documentaire présen-te l’expérience de la dépression vécue dans la communauté noire de Montréal et ce en examinant les différents facteurs menant à la dépression nerveuse. Il propo-se des solutions variées afin de combattre le stress et la dépres-sion. Dès le début, les conféren-ciers ont orienté la discussion autour des maladies mentales touchant des communautés ethniques et des conséquences liées, telle la dépression. Ils ont invité les membres à s’entrete-nir avec les professionnels pré-sents à cette fin. Ce sujet reste selon eux encore extrêmement sensible car, à partir du moment où ces troubles deviennent un problème pour un individu, ils deviennent aussi tabou, ce qui

rend le sujet d’autant plus diffi-cile à aborder. De fait, cet enjeu étant caché et secret, les indi-vidus souffrant de ces troubles subissent, à leur grand désarroi, du racisme, mais aussi de l’inti-midation. Le Dr. Koukoui parle ici de «stigma»: une sorte de marque, de blessure sur la peau à l’image des traces imprimés au fer rouge sur le corps comme pu-nition. Toutefois, ces punitions sont arrivées sans raison, ce qui oblige les patients à vivre avec des symptômes sans prendre conscience de leur «maladie».

La maladie mentale étant un enjeu important, du fait de sa croissance ces dernières années, les organisateurs et conféren-ciers ont à plusieurs reprises mentionné à quel point ils étaient heureux qu’un si grand nombre de personnes se soit déplacé le temps d’une soirée. Le contenu du reportage The Black Male Mental Health Project n’est selon eux pas pris avec autant de sérieux dans la sphère publique.

La conférence aborde une ca-tégorie de maladies mentales qui sont en hausse et ce, malheureu-sement, tant chez les adultes et les personnes âgées que chez les ado-lescents. La dépression mentale affecte non seulement la capacité

d’un individu à vivre en société, mais aussi à vivre tout simple-ment, le forçant à se retirer en silence, honteux d’avouer, ou de s’avouer, qu’il a un problème qui va au-delà d’un simple sentiment mélancolique passager. x

Vincent MorrÉaleLe Délit

mahaut engérant

Lionel fritz adimi

Page 7: Le délit du 19 janvier 2016.

7actualitésle délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Faire l’indépendance David Leroux | Espaces Politiques

chronique

Mercredi dernier, les hautes instances du Parti Québécois (PQ)

ont annoncé l’achèvement, fin janvier, de la création de l’Ins-titut de recherche sur la souve-raineté promise par Pierre Karl Péladeau lors de la course à la chefferie de l’hiver 2015. Avec la création, cet automne, d’une école de formation permanente ayant comme objectif d’outiller les jeunes militants pour faire la promotion de la souveraineté nationale du Québec, la mise sur pieds de l’institut engendre des réactions du camp anti-souve-rainiste directement proportion-nelles à leur crainte d’un renou-veau du mouvement d’auto-dé-termination québécois contre lequel ils luttent depuis mainte-nant 40 ans. Comme à l’habitude, tous les moyens seront bons pour apeurer la population et perpétuer la dénationalisation du Québec au profit du Quécan que l’on connaît actuellement.

Les vierges offensées

La danse des épouvan-tails n’a pas tardé à se mettre en branle quand, en octobre dernier, Jean-Marc Fournier s’est inquiété de la tentative «d’endoctrinement» des jeunes par le Parti Québécois avec son école de formation. Gageons que le même genre de réaction éma-nera des instances anti-souve-rainistes lors de la fondation de l’institut de recherche. D’autant plus qu’en tant qu’entité indé-pendante du PQ, aucune limite de dons ne sera imposée pour aider au financement de l’orga-nisme. Une importante contri-bution financière de Pierre Karl Péladeau est même évoquée par Jean-Marc Salvet dans un arti-cle du Soleil du 12 janvier der-nier. On parle déjà d’un contour-nement malhonnête de la loi sur le financement des partis politiques par les souverainis-tes. Ces derniers pourront, dit-on, engraisser généreusement la propagande souverainiste à travers un think tank générateur d’études qu’on dira bientôt, bien entendu, truquées et biaisées. Cessons toutefois quelques instants de jouer aux vierges offensées.

Il est évident que l’Institut de recherche sur la souveraineté produira des études et des re-cherches favorables à l’indépen-dance du Québec et mettant en évidence comment et pourquoi cette option politique n’est ni impossible, ni illégitime. Il est

aussi évident que l’école de for-mation du Parti Québécois don-nera aux jeunes militants, c’est à dire les membres volontaires de moins de 30 ans, l’occasion d’affûter leurs argumentaires et leurs réflexions quant à la ques-tion nationale et à la valeur de l’option souverainiste par rap-port au statu quo. S’en oustrer relève ou bien de la mauvaise foi, ou bien d’une désespérante naïveté.

Renverser la vapeur

Cette prévisible levée de boucliers des anti-souve-rainistes lève le voile sur un des grands défis qui attend le mouvement indépendantiste québécois d’ici les élections québécoises de 2018. Que faire face au camp du statu quo fédé-raliste qui, malgré les fraudes passées, lave désormais plus blanc que blanc et javellise nos réflexions politiques de la vertu inclusive communautariste dont elle se drape, en s’arrogeant le monopole du vivre-ensemble et de l’amour de l’autre par l’effacement de soi? Il faudra aux souverainistes la dose de réalisme nécessaire pour former une réelle coalition électorale de sorte à contrer le monopole libé-ral qui s’installe lentement. Il leur faudra aussi avoir la volonté nécessaire pour se donner enfin les moyens de leurs ambitions et renverser la vapeur qui porte actuellement le nation building canadien.

La fondation de l’école de formation du PQ et de l’institut de recherche sur la souverai-neté sont deux pas dans la bonne direction. Mais il ne faudrait surtout pas s’en satisfaire. Les indépendantistes devront cesser d’avoir honte d’exister. Proposer non pas de risquer une nouvelle fois l’échec référendaire, mais bien de faire le pays en adoptant une stratégie de gouvernance nationale s’opposant à l’ordre constitutionnel canadien, telle que proposé par le sociologue Robert Laplante, directeur du mensuel L’Action Nationale: rapa-

triement des pouvoirs à Québec par décret, adoption d’une consti-tution provisoire, fondation d’une Cour constitutionnelle et d’une citoyenneté. Il faudra aux indépendantistes la force et la conviction de montrer que la gauche libéralisante, qui règne en prétendant être à la défense de la diversité culturelle, est en fait un rouleau compresseur nor-matif dénationalisant, travaillant davantage à l’appauvrissement de l’écosystème culturel mondial et à la défense des intérêts des nations dominantes qu’à la pro-tection des diversités. x

Rétrospective 2015Retour sur les événements marquants au Canada cette année.

BILAN

Hannah RaffinLe Délit1er janvier: Michaëlle Jean, l’ancienne Gouverneure générale du Canada, est désignée nouvelle secrétaire générale de l‘Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Elle succède ainsi à l’ancien prési-dent sénégalais Abdou Diouf. C’est la première femme cana-dienne à acquérir ce poste. 15 mars: Xavier Dolan, réalisateur québécois, rem-porte le Jutra du meilleur film avec le film Mommy. Il obtient huit autres prix.

23 mars: Une nouvelle vague de grèves étudiantes québé-coises contre l’austérité déb-ute. Une des manifestations est dispersée par la police de Montréal. Les départements de médecine, de droit et de langue et littérature française de McGill prennent part à cette grève. La grève continue par endroit encore aujourd’hui à l’UQAM (Université du Québec à Montréal).

15 mai: La direction du parti québécois est remportée à 58% des voix par Pierre Karl Péladeau. Une commission parlementaire est ouverte en raison de sa place à Quebecor,

un conglomérat très impor-tant de médias québécois.

6 juin au 5 juillet: La coupe du monde de football féminin se déroule au Canada. 2015 est décrétée année du sport et FIFA 16 est la première édition à com-porter des équipes féminines.

8 juillet: Le gouvernement Couillard s’engage à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % d’ici 2050.

19 octobre: Justin Trudeau, chef du Parti libéral du Canada, remporte les élections fédérales et forme un gouvernement majoritaire. Le résultat au

Canada est de 184 libéraux, 99 conservateurs, 44 néo-démocrates, 10 bloquistes et 1 vert. Au Québec, les résultatssont de 40 libéraux, 16 néo-démocrates, 12 con-servateurs et 10 bloquistes mais Gilles Duceppe perd dans sa circonscription de Laurier-Sainte-Marie. 24 novembre: Le rapport de la commission Charbonneau est finalement déposé et rendu pub-lic. Il propose 60 recommanda-tions pour enrayer la collusion et la corruption au Québec, qui est selon la juriste un problème réellement enraciné dans la région. Ce serait notamment le

cas dans le domaine de la ges-tion des contrats publics de con-struction, où le crime organisé aurait pénétré l’économie locale. 8 décembre: Le Premier min-istre Justin Trudeau con-firme la tenue des travaux d’une commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées.13 décembre: Début de l’accueil de 25 000 réfugiés syriens au Canada.

31 décembre: Après 131 ans, La Presse arrête la publica-tion de son édition imprimée les jours de semaine. x

Page 8: Le délit du 19 janvier 2016.

8 société le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Société[email protected]

Mordu du PÉQJ’ai testé pour vous... le métier de député.

témoignage

Au Québec, le Salon bleu de l’Assemblée nationale représente le centre de la

démocratie. En effet, c’est à partir ce lieu historique que les 125 député-e-s élu-e-s débattent, proposent des projets de loi et vivent le clash idéo-logique de leurs partis respectifs. Pour certains jeunes passionnés de politique, le métier de député représente leur aspiration future. Pour d’autres, il ne s’agit que d’une question de curiosité. Enfin, il y a ceux qui sont tout simplement des mordus de débats. Peu importe la source de leur motivation, plus d’une centaine de jeunes étaient prêts à passer la moitié de leurs vacances des fêtes de fin d’année à jouer le rôle de parlementaire. Pour ces jeunes, le Parlement étudiant du Québec (PÉQ) est le lieu où les aspi-rations prennent vie.

Une expérience d’apprentissage

Du 2 au 6 janvier, et ce depuis 30 ans, le Salon bleu accueille des jeunes qui sont, pour la majorité, âgés de 18 à 25 ans. Pour ces jeu-nes, la session scolaire est suivie de la session parlementaire. Après des mois de préparation, durant lesquels ils ont rédigé des projets de lois, des questions et des décla-rations, ils se rendent à l’Assemblée nationale, prêts à défendre les idées qu’ils croient être les meilleu-res pour faire avancer la vie des Québécois. D’un côté, il y a le caucus des Rouges, traditionnellement

les défenseurs du libre-marché, du néolibéralisme et de l’individu. De l’autre, on retrouve le caucus des Bleus, champions de la social-dé-mocratie, de l’État-providence et de la collectivité.

Durant cinq jours, les députés ne ferment pas beaucoup l’œil, adoptent des habitudes alimen-taires plus que discutables et n’ont presque pas le temps de penser à autre chose. Constamment, il y a une situation urgente à gérer. Les participants ont la chance de se retrouver des deux côtés de la Chambre: deux jours à l’opposition et deux jours au gouvernement. À tour de rôle, les caucus sont mis sur l’offensive et sur la défensive.

Mais défendre quoi exacte-ment? Le fruit de plusieurs mois de travail. Au PÉQ, chaque parti pré-sente généralement trois projets de lois, un budget, et un projet de livre blanc, qui est un reflet de l’idéologie du caucus. En arrivant le 2 janvier, les députés ont eu l’opportunité

de lire les propositions de leurs adversaires, les décortiquer, et de monter leurs attaques. La table est donc mise pour cinq jours de débats endiablés, passionnés, et surtout idéologiques. Avant tout, ce sont les principes qui représentent chacun des caucus qui sont au centre des débats. Pour éviter que l’idéologie ne prenne le bord, certains sujets sont proscrits durant la simulation.

Ainsi, il est interdit de parler de la souveraineté du Québec, des enjeux qui sont actuellement débattus à l’Assemblée nationale par les élus, et des champs de compétence du gouvernement fédéral. De cette façon, on s’assure que la simulation reste inclusive, amusante et axée sur les idées novatrices.

Le caucus des journalistes

Bien sûr, la simulation ne se li-mite pas simplement à l’écriture de discours et des débats en Chambre. Les intéressés sont également invi-tés à participer en se mettant dans la peau d’un ou d’une journaliste. Par sa présence constamment gran-dissante, le caucus des journalistes rajoute du piquant. En 2016, il n’y avait pas moins de 19 journalistes pour scruter les moindre faits et gestes des deux caucus et alimenter les débats. Que l’on soit ministre, chef, critique, ou simple député-e, les journalistes sont constamment

à l’affût, espérant décrocher le dernier «scoop» sur les intentions des deux partis. Une crise vient également amener un élément de controverse. Deux journaux étaient publiés cette année: le Funambule, comparable au journal Le Devoir, et L’Autre Journal, plus aligné avec Le Journal de Montréal/Québec. Somme toute, la contribution du caucus des journalistes ne fait

qu’accentuer le réalisme de cette simulation et en fait une expérience encore plus palpitante.

Divers participants

Le PÉQ est donc une chance unique de faire de nouvelles rencon-tres, d’accroître ses connaissances, mais surtout de dépasser ses limi-tes. Tout comme leurs homologues députés, les jeunes participants viennent de tous les champs d’étu-des. Tous ne sont pas étudiants en droit ou en sciences politiques. Ils sont aussi étudiants en économie, en médecine, en ingénierie, pour ne nommer que ceux-là. La pléthore de talents rend souvent les différents ministères difficiles à combler, au grand plaisir (et déplaisir, dû aux décisions à prendre) du groupe des officiers des deux caucus. Ainsi, pour participer au PÉQ, il ne faut pas être le plus grand des orateurs, le plus sages des érudits ou la plus habile des plumes. Non, pour par-

ticiper au PÉQ, il faut simplement avoir envie de vivre une expérience nouvelle, enrichissante et vivifiante.

Mon expérience et une invitation

En tant que participant ayant vécu son baptême à l’édition 2016, je voudrais encourager tous nos lecteurs à s’impliquer dans des simulations politiques et surtout

à participer au PÉQ. Je n’étais pas la personne avec le plus d’expé-rience en tant qu’orateur, ou même en écriture de discours, et je dois avouer que j’étais assez sceptique et nerveux durant les semaines qui ont précédé le début de la simu-lation. Malgré tout, mon objectif était d’améliorer ma capacité à parler en public, d’avoir des débats intellectuellement stimulants et de rencontrer de nouvelles person-nes: j’ai été comblé. Certes, tout ne s’est pas toujours déroulé comme prévu. La commission sur le bud-get, où j’ai eu la chance de siéger, a été particulièrement enflammée, en raison du clash entre notre idéologie interventionniste chez les Bleus et la pensée libérale des Rouges. La quantité astronomique de restauration rapide, de café et de croissants que j’ai consommée, en plus du sévère manque de som-meil, m’ont parfois fait remettre en cause ma propre santé mentale. En effet, je me suis souvent demandé pourquoi j’avais décidé de me mettre volontairement dans ces conditions, sachant que j’aurais pu profiter de mes derniers jours de vacances autrement. Au bout du compte, cependant, malgré tous ces questionnements, je répèterais cette expérience dès demain, sans hésitation, et je compte d’ailleurs être participant à la prochaine édi-tion. J’ai rencontré des gens extra-ordinaires, avec qui j’ai pu avoir des échanges aussi enflammés qu’informatifs, et j’ai aussi confir-mé mon amour de la politique.

Je vous le dis: quelques soient vos orientations politiques, votre carrière de rêve ou votre niveau d’expérience, vous vous sentirez épanoui à la fin de la semaine sur laquelle s’échelonne le PÉQ. Le PÉQ 2016 a été marqué, comme c’est le cas à chaque année, par la présence d’un grand nombre de femmes talentueuses, et ce autant chez les Rouges, les Bleus et les journalistes. Ceci étant dit, malgré cette remarquable cohorte, il y a tout de même un déséquilibre de participation hommes-femmes, tout comme la représentativité disproportionnelle au sein de la députation à l’Assemblée natio-nale. Il reste encore du travail à faire avant que le genre féminin ne soit représenté d’une façon équiva-lente à son poids démographique et je suis convaincu que les premiers pas peuvent se faire dans les simu-lations comme le PÉQ. Messieurs, mais surtout mesdames, j’ai donc hâte de siéger à vos côtés ou alors de vous affronter, lors du PÉQ 2017. L’invitation est lancée. x

courtoisie du parlement étudiant du québec

ronny al-nosirLe Délit

«Durant cinq jours, les députés ne ferment pas beaucoup l’œil, adoptent des habitudes alimentaires plus que discuta-bles et n’ont presque pas le temps de penser à autre chose.»

Page 9: Le délit du 19 janvier 2016.

9sociétéle délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

¡Visca Québec i Catalunya lliures!Une analyse des mouvements indépendantistes en Catalogne et au Québec.

enquête

Ces derniers mois ont vu la possibilité d’une République catalane indé-

pendante progresser à grands pas. Les récents élans indépendan-tistes de la population avaient été suivis par une union des deux partis séparatistes (les deux lis-tes «Junts pel Sí», «Unis pour le oui» et la Candidature d’unité populaire, ndlr), qui affirment avoir le mandat pour légitimer la sécession. La victoire de la coali-tion séparatiste au Parlement de Catalogne a obtenu 47,8% des voix le 27 septembre 2015. Cela lui a assuré 72 des 135 sièges, un résul-tat au-delà de la majorité absolue. Cette distinction est due à la re-présentation inégale des diverses circonscriptions régionales, mais elle indique aussi que la majorité de l’électorat ayant participé dési-re rester en Espagne.

L’événement a été immédia-tement suivi par une résolution du parlement régional déclarant «Un Estat Catalá Independent» («Un État Catalan Indépendant», ndlr), autrement dit, la Catalogne s’est proclamée État souverain.

Suite aux événements, le pré-sident du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, a déclaré que «La Catalogne ne s’en va nulle part, rien ne va briser le pays». En effet, la résolution parlementaire a été immédiatement suivie d’une réu-nion exceptionnelle du Conseil des Ministres qui a accepté la deman-de d’appel devant la Cour consti-tutionnelle pour la nullification du décret parlementaire.

Dans son rapport, l’organe consultatif (qui agit avant la Cour constitutionnelle pour réunir toutes les législations nécessaires, ndlr) a suggéré que «les fonde-ments légaux sont suffisants pour contrer la décision du Parlement catalan» car elle «néglige le noyau central de la Constitution en décla-rant sa désobéissance à l´État sou-verain espagnol». Il est vrai qu’un tel conflit entre l’État fédéral et sa région la plus rebelle n’est pas sans précédents; cet incident indique néanmoins que la pression politi-que est montée d’un cran.

Cette tension est difficile à ignorer si l’on sillonne les rues bariolées de Barcelone. En effet, un homme d’une cinquantaine d’années, qui s’interposait, dra-peau levé, à la mairie de Barcelone, brandissant à bout de bras «le rêve commun de son arrière-grand-père et de son grand-père» me disait il y a quelques jours: «Nous, les Catalans sommes exactement comme les Colombiens et les Cubains!». À ce moment là, il est presque irrésistible de renchérir la figure de style par la mention d’une autre population à tendance indépendantiste… Celle du mou-

vement souverain québécois. Mais les deux régions sont-elles compa-rables?

Similitudes culturelles

À première vue, le Québec et la Catalogne comportent quelques similitudes. Tout d’abord, les deux sont des régions historiquement indépendantistes faisant partie d’un État fédéral souverain. De plus, les deux régions abritent des communautés linguistiques et culturelles distinctes de leurs fédérations respectives. Leurs dif-férences sont affirmées avec fierté, favorisant un sentiment d’identité nationale.

Par ailleurs, que ce soit Montréal ou Barcelone, les deux régions possèdent une ville cosmo-polite, à la fois moderne, multicul-turelle, gorgée d’art, de mode et de musique avant-gardiste ainsi que parsemée de quartiers indépen-dants ou même hipsters.

D’un point de vue économi-que, il est possible d’avancer que leurs gouvernements régionaux respectifs appliquent un régime fiscal relativement plus paternalis-te que les autres régions du même pays. Le Québec et la Catalogne collectent des impôts régionaux plus élevés et ont des services pu-blics plus développés que les autres régions. Les deux entités sont aussi comparables à travers leur succès touristique et économique. C’est

ce dernier point, qui, pour certains indépendantistes justifierait leur autosuffisance en tant qu’État.

Quelques parallèles historiques

Quand et pourquoi sont nés les premiers courants indépendan-tistes en Catalogne? Les premiers essors séparatistes débutent en 1922 avec la création de l’«Estat Català», un mouvement révo-lutionnaire critique du pouvoir monarchiste qui réclamait déjà à l’époque la création d’une républi-que indépendante. Curieusement, c’est à la même époque que l’on peut retrouver dans les écrits de Lionel Groulx, un prêtre catholique et nationaliste québécois, une criti-que de l’autorité de l’empire britan-nique sur «l’Amérique française».

Quelques années plus tard, quand l’Espagne établit la Deuxième République en 1931, la région reçoit des concessions du gouvernement central pour s’auto-administrer à travers la «Generalitat». Ceci résout tem-porairement le conflit régional, et réconcilie les deux partis. Quand la guerre civile éclate en 1936, la Catalogne se bat pour préserver une Espagne républicaine face au coup d’état franquiste. La victoire du dictateur Francisco Franco renforce l’unité nationale et res-taure l’hégémonie des valeurs traditionnelles en Espagne. Ceci réduit à la fois l’autonomie de la

«Generalitat», et donne naissance à nouveau au mouvement indé-pendantiste.

Aujourd’hui la Catalogne reste déconnectée de certaines valeurs traditionnelles et des influences catholiques toujours très présentes dans le reste de l’Espagne.

Quelques années plus tard, après la Deuxième Guerre mon-diale, des échos anticolonialistes prennent de l’ampleur dans les dis-cours politiques, aussi bien sur le continent européen qu’américain. C’est à ce moment-ci que naît réel-lement le mouvement nationaliste au Québec, mais il n’existe encore qu’auprès de certains intellectuels de gauche, universitaires et tra-vailleurs inspirés par des événe-ments tels que la révolution cubai-ne. Il faut attendre 1957 pour voir émerger la première association séparatiste du Québec, l’Alliance laurentienne, qui dénonce l’impé-rialisme britannique.

Celle-ci est suivie d’autres organisations telles que l’Action socialiste pour l’indépendance du Québec (ASIQ), le Rassemblement pour l’indépendance natio-nale (RIN) et le Mouvement Souveraineté-Association (MSA) créé par René Lévesque. Les dif-férents mouvements finissent par s’unir et former le Parti Québécois (PQ) en 1968. Tel que «Junts pel Sí», il réussit ainsi à accroître sa représentation au Parlement. La sécession québécoise est soumise

au vote lors d’un référendum, le 20 mai 1980, mais elle est rejetée par 60% des voix. Les mêmes deman-des référendaires commencent à se faire en Catalogne après la mort de Franco, toutefois, à la différence du Québec, la Catalogne n’obtient pas gain de cause.

Présent et futur

Comme le Canada, l’Espagne a récemment eu des élections natio-nales. Ces dernières ont abouti à des résultats partagés représen-tatifs d’une crise démocratique et politique qui s’aggrave depuis presque dix ans. Il semblerait que la poussé du nationalisme catalan ait été catalysée par la crise politi-que espagnole, ou peut-être même européenne. En effet, depuis les dix dernières années, le pays a été sujet à des scandales de corruption, des financements illégaux de par-tis, des scandales d’évasion fiscale et des abus d’immunité légale. La monarchie elle aussi a été englou-tie par des critiques de la même nature.

Si le manque de transpa-rence et de responsabilité légale des agents publics a donné lieu à un grand mécontentement de l’électorat espagnol, celui-ci est davantage exacerbé en Catalogne. Cette crise démocratique a été statistiquement illustrée par un rapport de l’agence Transparency International, qui a constaté que 74% des Espagnols estiment que les efforts de leur gouvernement pour lutter contre la corruption sont inefficaces. En outre, le rapport explique que 73% des citoyens considèrent que le niveau de corruption avait augmenté entre 2007-2010.

Selon l’ONG, les institutions les plus corrompues en Espagne seraient les partis politiques. Cette méfiance envers les an-ciens partis a donné naissance à «Podemos», un parti socialiste et anti-austérité, et «Ciudadanos», d’orientation libérale, qui promet-tent tous deux une réforme politi-que profonde.

Ces derniers se rangent au centre de l’échiquier politique. Ce phénomène a brisé le statu quo politique privant, à ce jour, le pays d’un gouvernement stable. Les analystes prédisent vraisembla-blement de nouvelles élections, et une grande partie de l’électorat réclame d’éminents changements politiques.

Il n’est donc pas exclu que des changements institutionnels importants interviennent en Catalogne en 2016, à l’inverse du Québec, qui semble aujourd’hui être à l’abri de tels bouleverse-ments, tout en bénéficiant d’avan-tage d’autonomie régionale grâce à l’élection du Parti libéral de Justin Trudeau. x

martin rogard

capucine lorber

Page 10: Le délit du 19 janvier 2016.

10 société le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Une pour toutes, toutes pour uneIl existe non pas un mais des féminismes.

opinion

L’autre jour, j’ai eu une dis-cussion fort intéressante avec des consœurs à pro-

pos de l’utilisation de l’expression «les féminismes» versus «le fémi-nisme». De ce que j’ai cru com-prendre des propos de l’une d’entre elles, l’emploi de l’expression «les féminismes» diviserait le mouve-ment, voire amènerait une certaine ghettoïsation et hiérarchisation des luttes ce qui n’aiderait en rien la cause des femmes. Dans l’état actuel des choses, je juge pour ma part crucial d’insister sur la plura-lité du mouvement des femmes.

À mon sens, et contrairement à la croyance populaire, le mouve-ment féministe n’est pas un mouve-ment homogène. Il existe des thè-mes hautement explosifs et polémi-ques qui créent des tensions parmi les militantes. Le port du voile ou encore la question de la prostitution ou de l’industrie du sexe font partie des thèmes divisant le mouvement. C’est que même si les féministes sont unies derrière le principe de la libération de toutes les femmes sans aucune exception, toutes n’ont pas les mêmes moyens pour lutter ni les mêmes perceptions de comment renverser le patriarcat.

Multiples déclinaisons

Malgré ses dissensions pal-pables, il est impératif selon moi de reconnaître la diversité des expériences des femmes. Cela inclut les femmes appartenant au groupe dominant mais également les femmes trans, musulmanes, travailleuses du sexe, racisées, handicapées, etc. Celles-ci sont les femmes dont les voix et les expé-riences sont souvent occultées et invisibilisées du débat pour faire place à un féminisme courant qui est généralement blanc. Ces femmes vivent avec de multi-ples systèmes d’oppression et de privilèges qui s’entrechoquent, s’aggravent entre eux et dont le produit forge leur quotidien d’une manière singulière comparati-vement à celui d’autres femmes. L’expression «les féminismes» renvoie donc à la complexité du débat. Elle balaie du revers de la main la croyance erronée voulant qu’il n’y ait qu’une seule façon d’être féministe, soit le supposé «bon» féminisme et que toutes celles qui ne correspondent pas à cet archétype sont des femmes qui s’approprient la cause de manière frauduleuse ou pour leur propre intérêt personnel. Des militantes «de façade», comme diront certains.

Ensemble contre le statu quo

Je ressens donc un profond malaise lorsque je vois des fem-

mes s’attaquer à d’autres femmes au nom du féminisme. Ce n’est pas l’essence du féminisme que de tomber dans cette lutte intestine. Non seulement, cela ne mène à rien mais cela ne fait que servir ceux qui veulent maintenir le statu quo. Pour moi, se position-ner en «sauveur» devant d’autres femmes en niant leur agentivité et leur expertise sur les expérien-ces qui leur sont propres est le point où se situe la réelle division. Rejeter leur façon de vivre leur féminisme sous prétexte qu’il diffère de celui d’autres est un non-sens. Car le féminisme dans toutes ces formes est pertinent et contribue au débat, d’une façon ou d’une autre. Et ce n’est pas ainsi que nous viendrons à bout des iné-galités sociales qui nous affectent toutes, à divers degrés et intensi-tés. L’expression «les féminismes» vise à réunir sous une même ban-nière, les multiples expériences des femmes, expériences qui doi-vent être toutes considérées.

Je souhaite moi aussi voir un jour où il ne sera plus nécessaire d’adopter cette lunette intersec-tionnelle. J’aspire moi aussi voir un jour où le féminisme ne sera plus nécessaire tout simplement et que nous vivrons dans un mon-de où l’égalité de droit rejoindra l’égalité de fait. Or, la réalité étant ce qu’elle est, ce jour n’est pas encore arrivé. Il est donc impor-tant que le mouvement se veuille inclusif pour supporter la libéra-tion de toutes les femmes. x

kharoll-ann souffrant Le Délit

Les photographies en illustration sortent dans le cadre de la chronique visuelle.

«L’expression ‘‘les féminismes’’ vise à réunir sous une même bannière, les multiples expériences des femmes,

expériences qui doivent être toutes considérées.»photos par vittorio pessin

Page 11: Le délit du 19 janvier 2016.

11économiele délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

é[email protected]

L’économie du partage au trotÉvaluation de la nouvelle consommation alternative.

L’économie du partage de-vrait être le terme économi-que le plus populaire du mo-

ment. Après tout, tout le monde peut y prendre part, il vous suffit d’avoir un grenier, une maison, ou encore une voiture. Avec l’avènement des téléphones intelligents et du 100% connecté, cette forme d’économie a connu une croissance titanesque. Mais qu’en est-il vraiment?

Selon un rapport de PriceWaterhouseCoopers (PWC), l’économie du partage, aussi appe-lée l’économie collaborative, est un système dans lequel des individus ou des groupes d’individus vont gagner de l’argent à partir d’actifs qu’ils n’utilisent pas ou peu. En ce sens, leur actifs physiques sont «partagés» sous la forme de servi-ces. Par exemple, un appartement peut être «partagée» sur Airbnb, une voiture peut être «partagée» grâce à OuiCar ou encore Blablacar. Même de l’argent peut être échangé avec d’autre individus grâce à la plateforme WeTransfer. Sur cette dernière, les individus qui souhai-tent échanger leur argent dans une

devise étrangère sont mis en rela-tion avec d’autres individus comme eux qui désirent faire la transaction opposée.

Une des plus importantes fon-dations de l’économie du partage

est le fait que l’on n’a plus besoin d’acheter un produit matériel pour l’utiliser. Ce changement de mentalité s’est opéré au cours de la dernière décennie et selon Nicco Mele, auteur de The End of Big:

How The Internet Makes David The New Goliath (La Chute des Grands: Comment Internet Fait de David le Nouveau Goliath, ndlr), s’exprimant dans une interview pour le site internet Triplepundit, «ce chan-gement s’est fait grâce à l’énorme réductions des coûts de transactions liés à l’engagement des individus dans de nombreuses activités». En d’autres mots, le très haut débit in-ternet et les téléphones intelligents ont permis de réduire la difficulté qu’avaient les gens à monétiser leurs actifs physiques. Maintenant un homme au foyer peut être chauf-feur pour Blablacar le matin et ame-ner ses enfants à l’école par la même occasion; il peut ensuite louer sa voiture pour la journée, cuisiner et vendre ses plats grâce à Yuma, et s’engager dans bien d’autres activi-tés sans avoir à supporter le tracas et la monotonie d’un emploi dans un bureau.

Les tromperies du partage

Évidement tout n’est pas aussi utopique dans le monde réel. Julia Schor, professeure au Collège de Boston, explique que, comme toutes les théories économiques, la rhéto-

rique de l’économie du partage est elle aussi à prendre avec précaution. Des compagnies ont tendance à capter un pourcentage assez impor-tant des revenus de leurs utilisa-teurs. Uber par exemple prend en moyenne des frais équivalents à 20% du coût total du voyage. Si l’on prend maintenant en compte tous les frais d’utilisation et de mainte-nance du véhicule, il est clair que devenir un partenaire Uber ne fait pas des conducteurs des hommes riches. De plus, la plupart du temps, les acteurs de l’économie collabora-tive ne sont pas soumis aux mêmes réglementations que leurs homolo-gues dans les secteurs traditionnels, ce qui peut poser des problèmes de sécurité et de légalité.

Alors, que ce soit un outil de monétisation de la voiture et de l’appartement de monsieur-tout-le-monde ou bien la dernière perfidie trouvée par les grandes entreprises, on ne peut plus nier que l’économie du partage est présente dans notre vie de tous les jours et que malheu-reusement elle n’est pas très bien comprise. En effet, moins de la moitié de la population sait ce qu’est l’économie du partage selon une étude de PWC. x

Sami MEFFRELe Délit

Quand le loonie fait un régime Le cours du dollar canadien atteint des records face au dollar américain

Le 12 janvier dernier, le loo-nie a plongé en dessous de la barre des 70 centimes US, un

niveau qui n’avait pas été atteint de-puis plus de douze ans. Et il ne s’est pas arrêté là: il a continué de chuter jusqu’à la clôture des marchés ven-dredi dernier et a ainsi enregistré la plus longue série de pertes journa-lières consécutives depuis 1971. En effet, le dollar canadien s’est affaibli face au dollar américain pendant pas moins de onze jours d’affilée. Et avec la reprise des marchés ce lundi, cette déconfiture du dollar canadien pour-rait bien se poursuivre.

Matières premières

Certains experts pointent du doigt la descente aux enfers du cours du pétrole comme la principale cause de la chute du dollar. Celui-ci étant l’une des plus importantes exportations du pays, il représente le coupable idéal. Si le cours du pétrole s’écroule, la mon-naie du pays est moins demandée sur les marchés des changes, ce qui

en retour fait simplement baisser la valeur du dollar canadien. Comme l’explique Chris Ragan, professeur à l’Université McGill dans une interview pour CBC, «le Canada a été un pays net exportateur de matières premières depuis plus de cent ans car le pays est assis sur une quantité astronomique de matières premières et cela n’est pas prêt de changer». Il ajoute ensuite que si les matières premières représentent une grande partie des exportations canadiennes, elles ne représentent que 10 à 12% de l’économie du pays. Selon lui, les matières premières ne sont pas les poumons de l’économie canadienne comme ils prétendent l’être.

Les taux d’intérêts

Le second coupable présumé serait l’ensemble des banques cen-trales, à commencer par la Banque du Canada. Au cours des derniers mois, cette dernière a largement baissé ses taux directeurs afin de soutenir son industrie. On le rap-pelle: si les taux sont bas, les com-pagnies peuvent accéder plus faci-lement aux marchés obligataires, ce qui ainsi leur permet d’investir plus

facilement de l’argent dans leur pro-jets. L’effet négatif d’une telle poli-tique est que les investisseurs, eux, voient leur rémunération baisser, ce qui va les pousser à se détourner du pays au profit d’autres marchés avec des taux d’intérêts plus inté-ressants. C’est là qu’entre en jeu la Fed, la banque centrale américaine. En décembre dernier, la Fed a aug-menté ses taux directeurs, exacer-bant la fuite des capitaux et ainsi affaiblissant d’autant plus le dollar canadien.

Ni tout blanc, ni tout noir

Certains crient que l’on est en récession, d’autres essaient de nous expliquer qu’un dollar faible n’est pas si mauvais. Mais qu’en est-il vraiment? Un dollar canadien faible va évidemment se traduire dans une augmentation des prix de tous les produits importés, de la Mercedes classe E aux bananes. Mais, comme l’explique M. Ragan, les courses ne représentent qu’une petite propor-tion du budget du canadien moyen et ainsi la baisse du dollar canadien ne devrait pas avoir un large impact sur notre façon de nous alimenter.

De plus, si les produits impor-

tés sont plus chers au Canada, les produits canadiens paraissent moins chers à l’étranger, ce qui devrait stimuler les exportations du pays.

Il paraît ainsi clair que la chute du dollar canadien n’est pas aussi dramatique que ce que tous les gros titres de la presse financière

ont voulu nous faire croire. Mais si les cours des matières premières venaient à rester si bas pendant une période de temps prolongée, il est possible que l’on observe une accen-tuation des disparités économiques entre les provinces dites minières et pétrolières comme l’Alberta, et les autres provinces. x

Capucine Lorber

Ach GaddesLe Délit

Page 12: Le délit du 19 janvier 2016.

12 Culture le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

musique

Texte Vassili Sztil/ Idée Céline fabre / Image matilda nottage

Lac des Cygnes revisité

L’appropriation, la réinter-prétation et l’adaptation sont l’un des moteurs

majeurs permettant aux grandes œuvres classiques de perdurer à travers les siècles, les époques et les civilisations. La chorégraphe et danseuse Dada Masilo et sa troupe Dance Factory de Johannesburg ne font que confirmer cette idée, en nous livrant une version innovante de l’un des ballets emblématiques du célèbre Théâtre du Bolchoï de Moscou, Le Lac des Cygnes. Du 14 au 16 janvier, dans la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des arts, la jeune chorégraphe sud-afri-caine nous faisait entrer dans son monde. Un monde qui mêle danses classique et africaine, humour et chants, dynamisme et sensualité.

Swan Lake de Dada Masilo est une œuvre hautement contem-poraine, car de Moscou, elle s’implante en Afrique du Sud et y transcrit l’une des grandes théma-tiques sociales du pays: l’homo-phobie. Premier et unique pays

africain à légaliser le mariage ho-mosexuel, l’Afrique du Sud se posi-tionne en avant-gardiste sur l’une des questions sociales majeure de notre époque. De plus, Dada Masilo joue avec les conventions généralement conservatrices du ballet classique. Elle n’hésite pas à affubler les danseurs — hommes comme femmes — de tutus, intro-duit des dialogues, des chants et de la rythmique vocale, substitue les ballerines aux pieds nus, et enfin montre des danseurs sud-africains s’appropriant cet héritage culturel occidental qu’est le ballet classi-que — et ce avec une maitrise et une technique indéniables.

Nuances chorégraphiques

Dans cette version, les dan-seurs arrivent et commencent à danser, mais ils sont rapidement interrompus par une narratrice qui dresse une satire du ballet conventionnel. Elle nous raconte, non sans humour, la succession des événements habituels du bal-let: l’apparition du prétendant et des autres danseurs mâles, celle

de la prétendante et des autres danseuses femelles, les deux amoureux qui feignent de se cher-cher, leur danse finale, ou encore la sensibilité souvent surjouée de la prétendante.

Par la suite, cette satire est réellement mise en scène, mais ici, c’est le cygne blanc, Odette, incar-né par la chorégraphe elle-même, qui est choisie à l’unanimité pour être la future mariée. Siegfried, loin d’être impressionné par

cette nouvelle épouse, accepte à contrecœur le mariage. Vient ensuite le cygne noir, qui s’avè-re cependant être… un homme.

Majestueux, à l’allure gracile et à la souplesse déconcertante,

Odile charme immédiatement Siegfried et leurs deux cœurs s’éprennent, au rythme d’une danse nocturne endiablée.

S’ensuivent des disputes avec les parents de Siegfried, la mani-festation du regard de la société à travers les autres danseurs, qui pointent Siegfried du doigt et le

menacent. Paria, rejeté par tous, Siegfried tente de s’expliquer mais finit par s’en aller, faute d’attention à son égard. Le spectacle se clôt par une scène incroyable, dans laquelle les deux prétendants, Odette et Odile-homme, dansent

torse nu et vêtus d’une longue jupe noire, peu à peu rejoints par tous les autres danseurs.

Sans aucun doute, l’œuvre de Dada Masilo séduit. L’influence sud-africaine apporte un dyna-misme et une énergie éblouis-sante au spectacle. Elle se ressent à travers les musiques choisies —

souvent différentes des musiques originales du Théâtre du Bolchoï —, à travers le déhanchement, les ondulations du corps, le pas frappé des danseurs… Et enfin à travers la dernière scène qui fait écho à l’habillement traditionnel léger du peuple zoulou, chez qui le torse est toujours nu, tant chez les femmes que chez les hommes. Cette der-nière scène nous rappelle que la danse est avant tout un corps. Et ce sont ces envoûtantes silhouettes que le public acclame avec ferveur au son de la dernière note. xCapucine Lorber

Sandra Klemet-N’GuessanLe Délit

danse

[email protected]

Rencontre galvanisante entre ballet classique et danse sud-africaine.

«Swan Lake de Dada Masilo est une

œuvre hautement contemporaine»

Page 13: Le délit du 19 janvier 2016.

13Culturele délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Jeux de surf-aceLa Vague parfaite, flux et débordements à l’Espace Libre.

théâtre

La vie des protagonistes de La Vague parfaite ressemble pas mal à ces vers de Baudelaire.

Au faîte d’une pyramide de branchi-tude qui repose sur pas grand-chose et un aréopage de wannabes, nos héros surfeurs, abrutis mais bronzés, coulent des jours paisibles. Lorsque surgit un monstrueux tsunami, gon-

flés de réchauffement climatique et d’insouciance, ils croient y voir la vague parfaite; elle emporte plutôt deux d’entre eux et engloutit leur île paradisiaque. Assemblant leurs planches en radeau de fortune, voici nos beach bunnies et nos douchebags lustrés devenus les migrants les plus cools du monde, voguant à la recher-che d’un asile, courtisés tour à tour par Michelle Obama en jet-pack et les dirigeants aussi blancs qu’égali-

taires d’une Islande eugéniste. Et tout ça, chanté. Car c’est un opéra-surf que le Théâtre du Futur présente à l’Espace libre ces jours-ci. Un retour aux sources pour le trio un peu barjo? Ce sont eux, après tout, qui nous ont donné la soirée canadienne improbable d’Épopée Nord (2015) et Clotaire Rapaille: l’opéra rock (2012). Ajoutant une couche de douce démence sur l’exploration des genres, La Vague parfaite a plus que l’apparence d’un opéra sur les apparences: elle en maîtrise foncièrement les codes — et s’en amuse, car il n’y a pas que la beach culture et les jus verts qui en prennent pour leur rhume, l’Opéra de Montréal aussi.

À l’aboardageOn n’annonce pas La Vague

parfaite pour la musique, pourtant le travail est remarquable. Le pianiste prodige Philippe Prud’homme a dû ramer un coup pour mettre en musi-que la pièce de Guillaume Tremblay. Roulant des épaules comme empor-té par la vague, Prud’homme joue en bordure de scène ses mélodies complexes, parfois surprenantes, comme le livret (cosigné Guillaume Tremblay et Olivier Morin).

Sans doute plus habitués à étirer les voyelles dans «fleur» ou «amour» que dans «dude» et «on s’en torche», les interprètes s’en

tirent plutôt bien pour des chanteurs lyriques. La soprano Cécile Muhire impressionne, Mathieu Grégoire (Mike-Coal, ténor) et Sylvain Paré (Franz, ténor) sont plus qu’honora-bles; la plastique de l’emploi com-pense les quelques notes qui man-quent de force chez Antoine Gervais (John-Nathan, baryton) et Anne Julien (Elena, mezzo-soprano).

Et comme si l’opéra ne suffisait pas, à tout cela s’ajoutent un peu de pop, de folk, de reggae et les ambian-ces musicales de Navet confit, com-plice habitué du Théâtre du Futur. En particulier, la parodie électro-Björk (Hiather Darnel, soprano) est précieuse.

Polyglossie et polyamour

Derrière ses délires déjantés et ses débilités raboteuses, dans l’anticipation loufoque et l’abon-dance leste, le Théâtre du futur se veut critique. La pièce donne dans toutes les directions, et dans toutes les langues. Et des langues, il y en a décidément beaucoup dans cette lagune. Culte du corps oblige, il y a ces amours collectives débridées — version X du Radeau de la Méduse —, mais surtout, il y a les six langues des

paroles. Car si l’on dialogue surtout en français et en anglais, on chante aussi, pourquoi pas, en allemand, en espagnol. Que ceux dont la connais-sance de ces langues se limite aux refrains de Rammstein et de Ricky Martin se rassurent, les paroles sont projetées en français, côté jardin. Ces traductions ajoutent souvent elles-mêmes à l’absurde: la douleur

du «coup de marteau sur une gosse» devient una martellata sul bambino digne de la DPJ (Direction de la protection de la Jeunesse, ndlr). On apprécie le délicieux clivage, même si l’on rit peut-être moins fort qu’à certaines lourdeurs salaces.

En théorie, sur la construction, la pièce est géniale. En pratique, le tout est sympathique, mais manque de finition. On ne s’attend certes pas à ce que des crétins lustrés discourent sur Kant, mais la satire cède parfois à la facilité. Au bout du compte, dans cette fin heureuse comme les aimait Mozart, l’enthou-siasme mordant l’emporte et, on sort de la salle avec l’envie de comman-der un cocktail tiki au bar. x

Toma Iczkovits

Laurence Bich-CarrièreLe Délit

Jusqu’au 30 janvier 2016 à l’Espace Libre

Avant-gardisme au TNMPelléas et Mélisande: une vision éclatée d’un Moyen-Âge imaginaire.

Pelléas et Mélisande: ces noms à consonance wagné-rienne ne mentent pas.

Ceux qui s’imagineraient une histoire d’amour impossible au dénouement tragique à la Tristan et Yseult ne seraient pas loin du compte. Mieux connu dans son adaptation lyrique par Claude Debussy (tout comme l’on connaît davantage Rigoletto que Le roi s’amuse), ce chef d’œuvre symbo-liste de Maeterlinck est parsemé de motifs médiévaux tels que la fée à la fontaine, la sérénade au balcon et un baiser interdit surpris en pleine forêt, ce qui ajoute fort à l’atmosphère de conte de fées qui se dégage déjà d’un texte que cer-tains critiques n’ont pas hésité à qualifier de poème en prose. Il n’y a pas de doute: cette pièce, consi-dérée à juste titre comme un clas-sique de l’écriture dramaturgique, gagnerait à être mieux connue, ce qui justifie pleinement le choix de la représenter sur une scène aussi bien cotée que celle du Théâtre du Nouveau Monde.

Le choix d’un metteur en scène aussi avant-gardiste que l’est Christian Lapointe n’allait

pourtant pas de soi. Il est vrai que sa production de La république du bonheur de Martin Crimp à la Cinquième Salle avait reçu un assez bon accueil critique l’année dernière, en dépit du fait que l’esthétique du ready-made n’est pas souvent mise à l’honneur à la Place des Arts. Cependant, rien ne laissait présager que c’était devant une salle comble que Sophie Desmarais (Mélisande) et Éric Robidoux (Pelléas) allaient s’échanger leurs déclarations d’amour dans une posture qui, le plus souvent, s’apparentait davantage à une récitation de poèmes plutôt qu’à l’in-terprétation d’un texte dramaturgique.

Ce qui faisait la particularité de cette mise en scène, c’est que la plupart des scènes com-binaient

des éléments visuels qui contri-buaient à créer l’illusion théâtrale pour la démonter aussitôt. Cet effet anti-mimétique était intro-duit tantôt avec éclat et de façon humoristique, tantôt progressive-ment et, pour ainsi dire, sans qu’on ne s’en aperçoive.

Parmi les procédés les plus réussis prévus à cet égard, il

convient de souligner l’incorpo-ration de gros plans permettant d’observer les visages des acteurs pendant la performance, à des moments opportuns (par exemple lors de la première rencontre de Pelléas et de Mélisande), de même que le recours à une maquette projetée à l’écran pour simuler le décor seigneurial dans lequel évoluaient les personnages. En effet, ce choix contribuait à ren-forcer le brouillage temporel qui naissait de la juxtaposition, dans les costumes, des références au

monde contemporain et à l’uni-vers d’une série B inspirée de

l’Europe médiévale – dans la mesure où l’esthétique

«années vingt» de ces plans cinématographiques

n’était pas sans rappeler des plans tirés des

films d’Eisenstein ou de Fritz Lang.

Certains effets peuvent cependant sembler moins réussis. Bien qu’il était cohérent — d’un point de vue esthétique — de faire jouer à tue-tête la trame sonore qui accompagne la dernière ren-contre de Pelléas et de Mélisande afin de créer un effet de suspense culminant, il était néanmoins dé-plorable que l’intensification du volume sonore ne fût pas plus gra-duelle, afin d’éviter qu’on ne doive se boucher les oreilles pendant la dernière partie de leurs tirades.

Quelques hésitations nous défendent de qualifier de tels choix comme étant osés. Ces derniers n’étaient guère éton-nants de la part d’un metteur en scène qui s’était proposé de lire l’œuvre complète d’Antonin Artaud dans le cadre du Festival Transamériques dans l’espoir de battre le record mondial de lec-ture en continu de 113 heures et 15 minutes, et à qui il a fallu pas moins de 57 heures et 36 minu-tes avant de déclarer forfait. Or, une performance semblable n’est pas sans créer quelques attentes de la part du public, auxquelles il n’est pas faux de prétendre que la mise en scène de Pelléas et Mélisande y a répondu, à de nombreux égards. x

Yves Renaud

Miruna CraciunescuLe Délit

«Au faîte d’une pyramide de branchitude qui repose sur pas grand-chose»

Yves Renaud

Page 14: Le délit du 19 janvier 2016.

14 Culture le délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Le scandale s’exposeLa face cachée du Montréal d’après-guerre.

EXPOsitions

«Officiellement, le couvre-feu à Montréal débute

à deux heures du matin… mais n’y prêtez pas trop attention». Ces quelques mots, rédigés par le journaliste canadien «Al» Palmer, témoignent d’une forte activité nocturne au sein de la ville dans les années 1950. C’est ainsi que débute l’expo-sition Scandale! Vice, crime, et moralité à Montréal, 1940-1960, proposée par le Centre d’His-toire de Montréal jusqu’au 30 décembre 2016. Al Palmer est présenté comme un personnage incontournable de l’époque: «journaliste, homme du monde et fin connaisseur de la faune des cabarets, il vit au rythme des nuits chaudes de la métropole qu’il décrit dans ses chroniques»

Effervescence créative

Chaudes, ces nuits le sont effectivement. De nombreuses vedettes animent les différents quartiers de la ville; parmi elles, le pianiste Oscar Peterson, qui deviendra un artiste de renom-mée internationale, et qui reste aujourd’hui l’un des plus grands

musiciens au Canada. Les chan-teuses Alys Robi et Muriel Millard sont également présentes, mais aussi le comédien Jean Guilda, l’animateur Jacques Normand, ou encore le dramaturge Gratien Gélinas, considéré de nos jours comme l’un des précurseurs du théâtre et du cinéma québécois contemporains.

La ville de Montréal est alors composée de nombreux lieux –dits– «de plaisir»; «à l’angle de Sainte-Catherine et Saint-Laurent, les néons scintillent»: de nombreux clubs sont accessibles

jusque tard dans la nuit, pour le plus grand bonheur des fêtards. Aussi, la drogue envahit la ville: «située au cœur d’un réseau mari-time et ferroviaire avantageux, Montréal devient un véritable car-refour d’échanges licites et illici-tes; les cabarets et les tavernes se comptent par dizaines et les débits clandestins opèrent sans permis pour satisfaire la clientèle».

Système parallèle

Une véritable «famille du crime» se forge: Luigi Greco,

Lucien Rivard, Max Shapiro, Frank Petrula, Harry Ship… de nombreux bandits profitent de la situation pour ériger de consi-dérables réseaux de drogue. En parallèle, la prostitution s’accroît au sein de Montréal; celle-ci est gérée par des femmes qui, «après avoir débuté leur carrière comme prostituées, deviennent générale-ment tenancières-propriétaires, sous la protection des gros caïds masculins». C’est ainsi par exem-ple qu’en 1945, Ida Katz, alias Liliane-la-Juive, possède sept bordels au sein de la ville.

Dans ce climat saisissant, «la presse écrite joue un rôle crucial dans la dénonciation des activi-tés criminelles qui sévissent à Montréal: à coups d’articles révé-lateurs, de titres accrocheurs et d’éditoriaux enflammés, les grands quotidiens et les journaux jaunes inondent la ville de scandales». Les réactions sont alors nombreuses, parmi la population, certes, mais aussi chez les politiques qui organi-sent une véritable «opération net-toyage», notamment via l’initiative de Pacifique Plante, surnommé Pax Plante, avocat et policier de l’épo-que. Entouré de Pierre des Marais et de Jean Drapeau, «les réformis-tes» vont prendre de multiples mesures en vue de réduire le crime qui siège dans la ville.

Finalement, pour se rendre compte de l’ampleur du phénomè-ne, on pourrait citer une nouvelle fois Al Palmer, qui écrit dans les années 1950: «notre ville est sans doute devenue l’agglomération la plus pittoresque du continent; tout ce que nous offrent New York, la Nouvelle-Orléans, San Francisco — ou n’importe quelle autre ville, à bien y penser —, Montréal le possède, et plus enco-re. Une sacrée ville à visiter, une sacrée ville où vivre, une sacrée ville où revenir: nous en aimons chaque recoin crasseux».x

Salomé grouard

Alexandre legrasLe Délit

Sur les pas d’Agatha Le musée Pointe-à-Callière retrace le parcours de la reine du roman policier.

Avec plus de soixante-six romans policiers au comp-teur et quelques deux mil-

liards d’exemplaires vendus, Agatha Christie, la «reine du crime», est une figure majeure de la littérature. À l’occasion du 125ème anniver-saire de sa naissance, Sur les traces d’Agatha Christie propose un aperçu de son œuvre et de ses inspirations à travers une exposition d’objets personnels et archéologiques cris-tallisant les grandes étapes de son parcours.

À l’image de son œuvre

Née en 1890 dans une famille de la bourgeoisie victorienne tradi-tionnelle, Agatha Christie eut une vie insolite, marquée par un goût pré-coce pour la littérature et les énigmes policières. Apprenant à lire seule à quatre ans, passionnée par le théâtre et le chant lyrique, la jeune Agatha fait rapidement du genre policier son objet de prédilection. Infirmière lors de la Première Guerre mondiale, elle découvre l’univers des poisons, élément récurrent de ses intrigues. Elle se nourrit également de ses nombreux voyages, notamment dans les pays dominés par l’Empire

britannique au Moyen-Orient. Mise au défi par sa sœur, la jeune roman-cière écrit en 1920 La mystérieuse affaire de Styles, premier ouvrage d’une série de romans inédits au suc-cès mondial incomparable. Agatha Christie se démarque tout au long de sa carrière littéraire par son style unique, caractérisé par des intrigues policières à huis clos sensibles à la psychologie des personnages.

Regroupant une multitude d’ob-jets personnels, Sur les traces d’Aga-tha Christie nous permet de plonger dans l’univers de la romancière et fournit une meilleure compréhen-

sion de son œuvre et de ses influen-ces. Organisée autour de plusieurs thèmes, comme son enfance ou son expérience de la guerre, l’exposition accumule, à la manière d’un enquê-teur, les indices sur son parcours individuel. De ses carnets intimes à ses robes, le travail d’accumulation de l’exposition est remarquable. Des objets plus surprenants sont égale-ment présentés, notamment des pan-neaux décoratifs «Art déco» issus des

wagons de l’Orient Express – train reliant Paris à Istanbul qui a inspiré à Miss Christie l’un de ses plus grands succès. Cette profusion de reliques de la romancière permet ainsi de découvrir certains aspects mécon-nus de son œuvre, comme son intérêt pour la commedia dell’arte.

L’archéologie, ayant occupé une place majeure dans la vie pro-fessionnelle et personnelle d’Agatha Christie, est également abordée en

profondeur par l’exposition. Épouse successive de deux archéologues, les voyages d’Agatha Christie en Mésopotamie et sa participation active sur les terrains de fouille ont profondément nourri son œuvre, allant jusqu’à lui inspirer plusieurs romans policiers sur fond d’Égypte ancienne. Sur les traces d’Agatha Christie regroupe ainsi plusieurs artefacts antiques, dont certains trouvés par son second mari Max Mallowan. Une grande collection de têtes de divinités, de reliefs muraux, de sceaux-cylindres et de tablettes permet d’explorer cette facette majeure de son œuvre. Convaincue des similarités entre le travail d’un archéologue et celui d’un détective, l’archéologie marqua profondément l’œuvre d’Agatha Christie, lui ins-pirant un nombre impressionnant de récits d’enquêtes qui continuent d’intriguer un public international plus de trente ans après sa mort.

«Les gens que j’imaginais étaient toujours plus réels pour moi que ceux que je rencontrais en chair et en os», écrivait Agatha Christie. L’exposition qui lui est consacrée reconstitue cet univers imaginaire, à l’origine d’une création littéraire pro-digue. Sur les traces d’Agatha Christie invite à découvrir ou redécouvrir la vie et l’œuvre d’une femme de lettres aventureuse et énigmatique. x

hortense chauvinLe Délit

«L’exposition accumule, à la manière d’un enquêteur, les indices.»

The christie archive trust

Page 15: Le délit du 19 janvier 2016.

15Culturele délit · mardi 19 janvier 2016 · delitfrancais.com

Renouveau du westernLa huitième merveille de Tarantino sur les écrans montréalais.

Cinéma

La saison cinématographique est décidément bien chargée. Après la sortie de Star Wars,

Épisode VII: Le Réveil de la Force c’est au tour du dernier film de Quentin Tarantino de paraître sur le grand écran. Les Huit Enragés est donc sorti au Québec le 25 décem-bre 2015. Nous sommes plongés dans l’État du Wyoming aux États-Unis quelques années après la Guerre de Sécession. Dans ces mon-tagnes enneigées, deux chasseurs de primes se dirigeant vers la même ville sont poursuivis par un bliz-zard. Ils rencontreront un troisième personnage et voyageront ensemble vers la seule auberge sur le chemin. Une fois arrivés, de multiples situa-tions seront prétextes à une lente montée de tension.

Fuyez toute information sur le film, vraiment. Que l’on soit un habitué ou non de Tarantino, ce film est surprenant. La surprise n’est pas à prendre ici au sens de mul-tiples révélations en chaîne. Mais plutôt par rapport à la réalisation traditionnelle des films d’action, qui d’ordinaire sont très brouillons et ne nous laissent jamais le temps

de souffler. Jusqu’à nous en dégoû-ter – un fait que Jupiter Ascending du duo Wachowski explorait très astucieusement. Ici, vous prendrez votre temps avant que tout explose. Vous verrez de sublimes paysages, qui ne serviront pas uniquement de cadre mais aussi d’acteur, pendant presque la moitié du film,: vous en aurez plein les yeux. La montagne sur laquelle crapahutent les person-nages au début du film menacera en permanence leur vie.

Nuances scripturales

Malheureusement, ce rythme pourra passer auprès de certains pour de la lenteur. Surtout si on le compare aux carcans hollywoo-diens. Nous sommes en face d’un artiste qui sait instiller les émotions les plus sauvages – au sens de «pri-maires» – chez ses personnages: la peur, l’amour, l’instinct de survie. Néanmoins, malgré cet aspect, les personnages sont tous attachants. Ici, nul bon ni méchant. Chacun possède une part de motivation noble, sinon juste, mais aucune-ment «bonne». Nous nous écartons des deux archétypes d’anti-héros qu’il arrive de rencontrer: ceux qui font du mal pour leur propre satis-

faction, et ceux qui font le mal pour défendre une cause juste.

Les dialogues sonnent toujours très justes. Passionnants, ils plon-gent très facilement dans l’histoire et sont chargés en émotions. Ceux qui ont vu le film se rappellent tous de la scène passionnante où le major Marquis parle du fils du général Sanford Smithers. Le thème du racisme est aussi abordé

de manière très subtile et drôle à la fois. Néanmoins, certaines critiques font part d’un sous texte à propos des violences faites aux femmes qui nous ont paru complètement hors-propos. Pour ce nouveau film, le réa-lisateur nous plonge à nouveau dans l’univers du western, comme il avait précédemment fait avec Django Unchained. Et l’on retrouve ainsi un grand nombre de ses gimmicks.

Les plans larges de la première partie du film rendent très bien l’immensité et la beauté des décors. Le passage à l’auberge s’accom-pagne d’un changement de focale, plus courte, qui rend plus tangible l’enfermement et les sentiments des personnages. La sensation de huis-clos est renforcée par le jeu autour de la porte de l’auberge: cette dernière n’a plus de loquet, il faut successivement la défoncer puis la clouer pour l’ouvrir et la fermer. Les habitués reconnaitront les autoré-férences, notamment à travers la présence de plans zénithaux.

On pourra aussi s’étonner d’une narration extradiégétique (avec une voix off, ndlr), sobre, pour accompagner ces flash-backs, procédé jusque-là très rare dans les films de Tarantino. Les Huit Enragés est un très bon film. Il réussit le mélange des genres – thriller, western. Les dialogues sont travaillés ainsi que les plans. La violence n’est pas que bar-bare mais aussi «cathartique». Tarantino arrive à faire évoluer son propre cinéma tout en étant formellement très correct, et, malgré quelques facilités scéna-ristiques continue d’affirmer sa maîtrise du septième art. x

capucine lorber

Nouédyn baspin & léandre barôme Le Délit

4559 PAPINEAU - 514 523.2246 - THEATRELALICORNE.COM

LES ÉVÉNEMENTS

DU 12 JANVIER AU 20 FÉVRIER

Texte DAVID GREIG Traduction MARYSE WARDA Mise en scène DENIS BERNARD Avec JOHANNA NUTTER et EMMANUEL SCHWARTZET UN CHŒUR DE 9 CHANTEURS

ENGLISH SURTITLES ON THURSDAYS

FEBRUARY 4TH AND 11TH.

Le Relais pour la vie est un événement communautaire de collecte de fonds pour lutter contre le cancer. Durant toute une nuit, les participants eff ectuent une marche à relais afi n de s’impliquer dans une cause qui leur tient à coeur tout en profi tant de divertissement et d’activités.

Durant la nuit nous honorons les survivants et la mémoire de ceux qui ont perdu la lutte, et soutenons tous ceux qui luttent contre le cancer. Les individus peuvent s’impliquer en formant une équipe ou en étant bénévoles pour la nuit!

Le Relais pour la vie de McGill aura lieu le 23 janvier de 20h à 8h au Fieldhouse du centre sportif.

Inscrivez-vous aujourd’hui au tinyurl.com/mcgillrfl et consultez la page d’événement sur Facebook!

Comme dit le slogan, « Le cancer ne dort jamais, et pour

une nuit, nous non plus. »

«Nous nous écartons des deux archétypes d’anti-héros qu’il arrive de rencontrer»

Page 16: Le délit du 19 janvier 2016.

16 entrevue le délit · mardi 19 janvier · delitfrancais.com

Entrevue«Le laboratoire des curiosités»

Mêler art et médiation sociale: le dessein de la metteuse en scène Michelle Parent.

Diplômée de l’École supérieure de théâtre de l’UQÀM et après des dé-buts plutôt classiques dans le milieu

artistique, la comédienne Michelle Parent décide de porter le théâtre à des groupes plus ou moins éloignés des sentiers de la «bien-séance». De fil en aiguille naît Pirata Théâtre, une compagnie de non-acteurs rencontrés dans des foyers pour femmes en difficultés, centres de désintoxication… D’après un texte signé Olivier Sylvestre, leur dernière pièce Les Bienheureux occupera les planches du théâtre Aux Écuries du 19 au 23 janvier 2016.

C’est dans un café aux sols boisés, au beau milieu du quartier Hochelaga que Michelle Parent accepte de nous faire part de son parcours et de la mise en place des «Bienheureux», le fruit d’un an et demi de travail. En entrevue avec Le Délit, le chemine-ment qui l’a conduite à travailler avec celles et ceux qu’elle surnomme les «pirates» semble couler de source.

Le Délit (LD): Pour commencer, qu’est-ce qui t’a donné l’envie d’aller chercher une autre façon de faire du théâtre?

Michelle Parent (MP): Je faisais des spectacles, j’allais voir des spectacles et je me rendais compte qu’autour de moi dans la salle, les spectateurs étaient surtout des «gens de théâtre» qui venaient voir leurs «amis de théâtre», des initiés. Alors je me disais: à quoi ça sert si on reste qu’entre nous les artistes, qu’on se trouve bons et beaux... Donc, je me suis mise à chercher des gens qui seraient le plus loin possible du milieu. Qui n’ont peut-être même jamais vu de théâtre. J’ai commen-cé à donner des ateliers dans un centre pour

femmes en difficultés en 2009Ça a changé ma façon de voir l’art car leur

présence m’a énormément touchée. Non pas leurs problématiques comme telles mais la façon qu’elles ont de réfléchir, d’oser se mettre en avant. Parce que c’est un acte hyper cou-rageux de faire un exercice de théâtre quand tu n’en as jamais fait. J’ai trouvé ça beau et théâtral de voir des gens se dépasser, puis j’ai eu le goût de faire de la mise en scène à cause de ça. Fait que j’aime ça: créer un espace pour rassembler un échantillonnage de la société qui ne se serait pas rencontré autrement. Pour moi c’est un peu le laboratoire de ma curio-sité: si je mets telle personne avec telle per-sonne, qu’est-ce qu’ils se disent, qu’est-ce que ça donne? Et ça, ça se ressent je pense dans les spectacles. Fait que c’est parti de là!

LD: Tu as ensuite fondé ta propre compa-gnie: Pirata Théâtre.

MP: Oui, pour faire mon premier spec-tacle La Maison, je me suis dit qu’il fallait que je démarre une compagnie. C’est là que j’ai trouvé le nom «Pirata théâtre» que je trouvais très poétique à l’époque (rires). Maintenant, parfois, je suis un peu gênée mais ça faisait

beaucoup de sens pour moi et ça le fait encore parce que tu sais, ces femmes-là de la rue me faisaient penser à des pirates. Elles ont un côté super rebelle qui me plaisait. Et puis aus-si, j’ai un petit peu l’impression de pirater l’art avec le vrai, et de pirater le vrai avec de l’art.

LD: C’est vrai qu’il y a un petit côté aven-turier dans ta démarche…

MP: Oui exactement parce que pour cha-que projet tu pars à l’aventure. Ça change en cours de route, même là on est encore en train de changer des petits trucs, on a des désiste-ments de dernière minute… Ça demande une mise en scène extrêmement malléable parce que la plupart des projets incluent des gens sujets à une dépendance. Mais cette contrain-te est hyper stimulante pour moi.

J’ai donc fait sept projets à partir de ça, après les femmes je suis allée voir les toxico-manes dans le cadre de l’association Cactus Montréal, un organisme sur Sainte Catherine, vraiment très proche du milieu de la rue. On leur propose des activités qui leur permettent de faire autre chose que s’entendre dire qu’il faut qu’ils aillent en cure de désintox… Il y a beaucoup de gens qui passent dans mon pro-cessus de travail mais il y a aussi des membres du spectacle des «Bienheureux» qui sont là depuis trois ans!

LD: Peu à peu tu as alors ajouté une dimension sociale à ton travail?

MP: En fait, l’art c’est vraiment un véhi-cule différent. Quand tu arrives et que tu as le «chapeau d’intervenant» en face d’une per-sonne qui a une problématique, le côté social est évident… Tandis que moi je m’en fichais de leurs difficulté, on ne fait pas du théâtre documentaire non plus. Dans mes spectacles, je ne parle pas de qui a fait de la prostitution, je ne le sais pas et ne veux même pas le savoir. Et ça facilite vraiment les choses parce qu’on est plus dans un rapport d’égal à égal.

LD: Dirais-tu que ton but est plutôt d’intégrer des marges de la société à l’art ou carrément d’élargir la définition même de l’art ?

MP: Dans tous les cas, pour moi, pren-dre la décision de monter un spectacle ou de faire un film – même si c’est une comédie – ça parle de nous. Même un blockbuster, même Superman ça parle de nous. J’ai de la misère à concevoir que quelqu’un me dise: «Non, moi je fais du pur divertissement». Donc c’est vraiment les deux. Pour moi, amener du social dans l’art, c’est ce qui fait que ça fait du sens. C’est un apport beaucoup plus global et je pense que j’aurais arrêté si je n’avais pas trouvé ça.

LD: Si tu avais dû rester dans cette idée «d’art pour l’art»…

MP: Oui, je trouvais que c’était comme vide un peu. C’est le fun, hein, de faire du théâtre mais entre nous, de «virtuose» à «vir-

tuose», ça devient super hermétique. Pis il y a aussi quelque chose qui me parle dans le fait d’amener des non-professionnels au théâtre ou dans une œuvre d’art. Ce que je trouve très beau moi dans cette «théâtralisation» de la présence, c’est qu’on est tellement dans un monde où on applaudit les virtuoses que ce que je trouve hyper touchant c’est la fragilité mise en scène. Mes gens, ils ne jouent pas de personnages, ils n’ont pas à construire quel-que chose, ils sont juste là pis je les mets dans une arène de jeux et j’observe comment ça les transforme pour vrai. C’est un peu comme pour dire que toi aussi tu as le droit d’être pré-sente, même si tu bégayes ou autre... Je trouve ça beau.

LD: Vous avez produit la pièce vous-mê-me. Comment vous avez trouvé le financement?

MP: Euh, ben, c’est pas facile (rires). Par contre, le côté social fait que les centres avec lesquels je travaille nous aident à financer une partie du projet. Puis, on répète au centre

même donc ça c’est quand même un apport de financement. Artistiquement c’est super parce qu’on est dans un grand lieu qui est quand même inspirant, l’endroit où se font les réunions Alcooliques Anonymes puis tout ça. On utilise même les chaises de la salle pour notre spectacle. Si j’avais pu j’aurais amené les néons (rires). J’ai quand même reçu une base du Conseil des arts de Montréal et du Conseil des arts du Canada qui a un programme qui s’appelle «Théâtre et communauté». Puis mon partenaire, Les Écuries, nous a soutenus. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a, mais c’est quand même pas évident.

LD: Et est-ce que tu as eu l’impression de voir une évolution au niveau du public et de la visibilité de tes spectacles entre le premier et maintenant ? Le public se diversifie peu à peu ?

MP: L’évolution que je vois c’est à quel point ce genre de projets là est plus populaire. Je ne dis pas que je suis une pionnière hein, mais quand j’ai commencé en 2008, il y avait peu de gens qui faisaient ça. On parlait pas tant encore de médiation culturelle alors que maintenant c’est un grand mot, il y a plein de programmes et tout ça. Il y a comme un élan que je trouve chouette.

LD: Et pour finir, quelques détails sur la mise en scène des Bienheureux?

MP: Pour moi c’est vraiment un genre d’amalgame, tout d’abord dans la distribution: il y a des acteurs, des non-acteurs, des gens de plusieurs souches de la société, plusieurs âges. C’est aussi un mélange des genres et aussi des textes: des vox pops, des passages d’improvisations qu’on a retranscrits… Tout ça a été conçu pour créer la démonstration des douze étapes pour atteindre le high, l’euphorie ultime. Ce qu’on ne sait pas trop comment nommer parce que c’est intangible, ce qui est quand même proche de, disons, un high par une substance, high parce que tu as fait du yoga… (rires). Parce qu’on est quand même bombardés de l’idée qu’il faut être heureux. Que ça soit dans la psycho-pop, dans les affai-res de style de vie, «art» de vie… Je ne dis pas que c’est mal, si ça te fait du bien c’est correct. C’est juste qu’il y a comme un manque quand tu ne l’as pas et que tu es triste et malheureux «de ne pas être heureux», tu vois? C’est pour ça que Les Bienheureux prend un peu la forme d’une réunion d’Alcooliques Anonymes, sauf que la recherche n’est pas la sobriété mais bien le contraire, sauf que la réunion ne se passe pas comme prévu et c’est là que le jeu se passe… x

Propos recueillis parCÉLINE FABRE

Le Délit

«Moi ce que je trouve hyper touchant c’est

la fragilité mise en scène.»

«J’ai un petit peu l’impression de pirater l’art avec le vrai, et de pirater le vrai avec de

l’art.»

Les Bienheureux Théâtre Aux Écuries

Du 19 au 23 janvier 2016

«Ce qu’on ne sait pas trop comment

nommer parce que c’est intangible»