Le corps, « char de l'âme » ?
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LE CORPS, « CHAR DE L'ÂME » ? Claire Synodinou Association Recherches en psychanalyse | Recherches en psychanalyse 2010/1 - n° 9pages 18 à 21
ISSN 1767-5448
Article disponible en ligne à l'adresse:
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-recherches-en-psychanalyse-2010-1-page-18.htm
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Pour citer cet article :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Synodinou Claire, « Le corps, « char de l'âme » ? »,
Recherches en psychanalyse, 2010/1 n° 9, p. 18-21. DOI : 10.3917/rep.009.0018
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Journal of Psychoanalytic Studies. Hosted by the Department of Psychoanalytic Studies, Paris Diderot at Sorbonne Paris Cité University.
Le corps, « char de l’âme » ? The body as “chariot of the soul”?
Claire Synodinou
Résumé : La relation corps-âme comporte l’idée d’un cheminement de concert. La formule, corps « char de
l’âme », peut être représentative d’une partie de la théorie freudienne. Freud considère, quant aux
pulsions, que les stimulations internes parviennent les premières à l’âme, et non que, seule, l’âme mène
le corps. Il évitait le cloisonnement et, face à la dualité ou la non-dualité, il propose le travail psychique à
plusieurs niveaux, privilégiant l’alternance du psychique et du corporel.
Dans cet article, à travers des exemples, nous assistons à la défaite du corps chez le patient somatique
et psychotique qui est conduit d’une certaine façon à sa séparation de l’âme. Le patient se trouve face à
la vérité existentielle, comme si l’énergie se concentrait au point d’être palpable.
Abstract : The body and soul relation involves the notion of a common evolution. The body as “chariot of the soul”
can represent a part of the Freudian theory. Regarding the drives, Freud considered that internal
stimulations arrive to the soul first, and not that the soul only leads the body. He avoided partitioning
and when faced with the dilemma of duality, he proposed the psychic work at different levels, giving
priority to the alternation between the psychic and the somatic.
This article presents, through different examples the body’s dismantling in the somatic and psychotic
patient that can lead the body in a certain way to its separation from the soul. The patient is faced with
an existential truth, as if the energy was concentrated to such a point that it becomes palpable, tangible.
Mots-clefs : corps, âme, pensée, psyché, éros, mythologie
Keywords : body, soul, thought, psyche, Eros, mythology
Les premières questions philosophiques ont été
soulevées quant à l’essence de l’âme, sa relation
avec le corps et son sort après la mort. L’homme
platonicien est l’homme de son âme.
Dans le titre de mon intervention « le corps,
char de l’âme », j’ai considéré que l’image du
char évoque une relation corps-âme comportant
l’idée d’un cheminement de concert. Il ne s’agit
pas ici de l’image platonicienne du Phèdre et de
l’attelage ailé, purement métaphysique, mais de
l’acception des deux éléments, corps et âme, en
interaction. D’autant plus que la question se
pose de savoir si le corps devance l’âme.
J’ai choisi la formule, corps « char de l’âme »,
car elle est représentative d’une partie de la
théorie freudienne. Freud considère, quant aux
9│2010 – Les origines grecques de la psychanalyse
The Greek Origins of Psychoanalysis
[En ligne] 27 juin 2010
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Journal of Psychoanalytic Studies. Hosted by the Department of Psychoanalytic Studies, Paris Diderot at Sorbonne Paris Cité University.
pulsions, que les stimulations internes
parviennent les premières à l’âme, et non que,
seule, l’âme mène le corps.
La statuaire grecque antique offre des
ensembles sculpturaux qui représentent
l’intrication de l’amour et de l’âme qui, tous
deux, sont configurés. Chez Platon, c’est Eros
qui, provoquant l’élan de l’âme en quête du
Bien, est la force qui encourage l’âme dans son
parcours du relatif à l’absolu, de l’être à devenir.
Le transfert peut être considéré comme le
pendant psychanalytique de l’amour. Sans
transfert, la procédure psychanalytique est
inconcevable, de même que sans amour ne peut
être conçu l’accomplissement de l’âme.
La métaphysique orphique dresse un tribunal de
l’âme dans l’Hadès. L’âme passe en jugement.
L’injonction orphique à l’égard de l’âme est une
injonction de purification et non pas une brutale
séparation du corps, telle que nous la
rencontrons chez Platon.
Dans la théorie idéaliste platonicienne, l’âme
tend vers son unité initiale (79d, 80a). Il s’agit ici
de la séparation entre le corps et l’âme. Le
corps, avec ses liens terrestres, représente les
désirs, les craintes, les émotions, les fantasmes
– que Platon nomme sornettes mortelles,
espèce mortelle – (79b).
Quant à ses besoins terrestres, le corps devient
la cause de conflits et l’âme est alors sa
prisonnière. Dans le Phédon, les désirs (67a), les
faiblesses (94e), les sensations, la folie, la
passion, le charme trompeur (81b), tout ce qui influence le corps est négatif, mais le corps lui-même ne l’est pas. Quand le corps ne trouble
pas l’âme, l’esprit parvient à l’Idée (65, 66).
L’essence de l’âme est son union avec l’Idée,
l’archétype, l’immuable, indépendamment de
l’être-sujet et la perception de la vérité par elle-
même (65c-d).
Dans le Phédon de Platon (66d, 67a-c) et dans le
Théétète (186a, 187a), ce n’est qu’alors que
l’âme peut atteindre la vérité, dès lors qu’elle se
sépare du corps et qu’elle se purifie (66b, 67).
L’âme ne doit pas se détacher délibérément du
corps en lui faisant violence : le suicide est
interdit, car il souille l’âme qui ne peut
accomplir sa purification (62b) et, ce faisant, se
heurte à la volonté divine.
Pour Platon, comme pour Empédocle, la
connaissance se fonde sur le principe de la
ressemblance, de la symétrie entre le sujet et
l’objet.
La dualité platonicienne n’est pas précisément
la théorie de deux substances opposées, âme-
corps, bon-mal, et rejet de la substance du mal.
C’est le refus du dialogue entre l’âme et le
corps, car l’union âme-corps est une mutilation
de l’essence de l’âme dans sa perfection. Le
besoin de purification révèle que la nature de la
dualité platonicienne est fonctionnelle, hiérar-
chique et offre un sens qui diffère de la notion
de clivage en deux mondes. La dualité corps-
âme chez Platon montre que celui-ci croit à la
capacité de détournement (periagogie), de
retournement (metastrophie) de l’âme dans la
quête de la connaissance et de la vérité.
La pureté est l’état de l’âme auquel l’homme
parvient après un éloignement intellectuel des
choses terrestres, un retrait du monde sensible
vers le monde intelligible et une préparation à la
mort entendant l’étude de la philosophie. Cette
« étude de la mort » (66d, 67d) par la séparation
entre l’âme et le corps, opère comme une
purification selon Henry Joly. Nous pourrions
considérer l’ascétisme comme l’équivalent de
cette étude de la mort. L’ascète, abandonnant le
corps, assigne à l’âme une valeur primordiale.
En observant des personnes qui viennent de
s’éteindre, nous constatons que, dès lors que
disparaît l’énergie de l’âme qui insuffle au corps
son élan, celui-ci s’alourdit. Si nous admettions
la dualité, nous dirions que le corps est sujet à la
pesanteur, tandis que l’âme représente
l’élément qui libère la personne de celle-ci.
L’expérience que j’ai acquise auprès de
personnes atteintes de graves maladies a fait
naître réflexions et sentiments : ces patients
confient leur corps aux soins des médecins, et
ce corps, affecté par la maladie, leur semble
étranger. En même temps, ils découvrent
l’essence de la vie et se produit alors une
transformation spectaculaire. Même si la fin est
proche – et la plupart le savent – ils se sentent
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revivre. C’est une bouleversante rencontre
entre le sens et la vérité qui leur est révélée en
raison de la maladie et de la mort imminente.
La défaite du corps conduit d’une certaine façon
à sa séparation de l’âme. Le patient se trouve
face à la vérité existentielle, comme si l’énergie
se concentrait au point d’être palpable. L’âme
se détache et s’évade librement vers la
connaissance.
Déjà en 1890, Freud, dans un de ses écrits,
reconnaît l’interaction entre les manifestations
corporelles, les sentiments et la pensée, dans un
cadre de réflexions, de mutations et de
transformations mutuelles.
Il écrit :
[…] tous les états psychiques, y compris
ceux que nous avons l’habitude de
considérer comme des « processus de
pensée », sont dans une certaine mesure
« affectifs » et on n’en trouve aucun qui ne
soit accompagné de manifestations
corporelles et qui n’ait la faculté de modifier
les processus corporels.
Même dans le cas d’une sereine pensée
par « représentations », des excitations
correspondant au contenu de ces
représentations sont continuellement
transmises aux muscles lisses et striés ; […]
En essayant d’interpréter la position de Freud,
Laplanche et Pontalis parlent de « confier » au
corps la représentation mentale qui contribue à
l’évolution du processus analytique, comme
l’écrit F. Coblance dans la communication qui
sera présentée en mai, à Athènes, lors du
Colloque des Francophones. La conception
freudienne s’éloigne ici des idées platoniciennes
quant à la séparation entre le corps et l’âme et
l’assujettissement de l’âme au corps.
En 1938, Freud écrit :
Cela n’allait donc pas, car on ne pouvait
rester longtemps sans s’apercevoir que les
phénomènes psychiques dépendent au plus
haut point d’influences corporelles et
exercent de leur côté les actions les plus
fortes sur les processus somatiques.
Freud considère que :
[…] la pulsion apparaît comme un
concept frontière entre psychique (seelisch) et somatique, comme représentant
psychique (psychischer Repräsentant) des
stimulus issus de l’intérieur du corps et
parvenant à l’âme (Seele), comme une
mesure de l’exigence de travail qui est
imposée au psychique (seelisch) du fait de
sa corrélation avec le corporel.
Freud veillait à éviter la métaphysique quant à la
relation âme-corps. Tout en étant en continuité
avec le psychique, le substrat biologique demeure
puissant. D’une part, la continuité et, d’autre part
le conflit entre l’amour et la haine, les deux
principes d’Empédocle auxquels Freud se réfère
avec la pulsion de vie et la pulsion de mort.
Freud évitait le cloisonnement et, face à la
dualité ou la non-dualité, il propose le travail
psychique à plusieurs niveaux, privilégiant
l’alternance du psychique et du corporel.
Un patient psychotique mentionnait au cours de
sa thérapie : « je sens ici que mon corps s’unit à
mon âme et s’ils n’avaient pas été séparés peut-
être n’aurais-je pas été malade ».
Nous pourrions dire que la psychothérapie et la
psychanalyse rendent la relation âme-corps
harmonieuse en atténuant le conflit qui les
sépare et en permettant à chacun de s’exprimer
et d’être à l’écoute des besoins et des
demandes de l’autre.
Bibliographie :
Freud, S. (1984). Traitement psychique (traitement d’âme)
(1890). Résultats, idées, problèmes, I, 1890-1920. Paris : PUF.
Freud, S. (1985) Some elementary lessons in psycho-
analysis (1938). Résultats, idées, problèmes, II, 1921-1938.
Paris : PUF.
Freud, S. (1988). Pulsion et destins de pulsions. Œuvres Complètes. Psychanalyse, tome XIII, Paris : PUF.
Joly, H. (1980). Le Renversement platonicien, Logos, Epistème, Polis. Paris : Vrin.
Kelessidou, Α. (1999). Études de l’âme : thèmes de la psychologie hellénique antique. Athènes : Idéothéatron.
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Journal of Psychoanalytic Studies. Hosted by the Department of Psychoanalytic Studies, Paris Diderot at Sorbonne Paris Cité University.
Platon (1950). Œuvres Complètes, (Robin, L. trad. Fr.).
Paris : Gallimard.
Revault d’Allones, M. (2010). Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie. Paris : Seuil.
L’auteur :
Claire Synodinou
Psychanalyste membre titulaire SPH, SPP, IPA.
Professeur de Psychologie Clinique, de
Psychopathologie, et de Psychanalyse,
Université de Panteion, Athènes.
136 Syngrou Ave. Athènes, GR-176 71 Grèce
Safouan, M. (2009). Le langage ordinaire et la différence sexuelle. Paris : O. Jacob.
Weber, M. (1963). Le savant et le philosophe. Paris : Plon.
Référence électronique
Claire Synodinou, « Le corps, “char de
l’âme” ? », Recherches en Psychanalyse [En
ligne], 09|2010, mis en ligne le 27 juin 2010.
Texte intégral
Droits d’auteur Tous droits réservés
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