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LE COLBERTISME « HIGH TECH » Économie des Telecom et du Grand Projet

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La série « Enquête » propose, dans le cadre d'Hachette Pluriel, des textes inédits, fruits d'une recherche approfondie et documentée sur les grands sujets de société.

© 1992, Hachette.

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Collection Pluriel fondée par Georges Liébert et dirigée par Pierre Vallaud

ÉLIE COHEN

LE COLBERTISME « HIGH TECH »

Economie des Telecom et du Grand Projet

HACHETTE

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DU MÊME AUTEUR :

Qui gouverne les groupes industriels ? en collaboration avec Michel Bauer, Le Seuil, 1981. Les grandes manœuvres industrielles, en collaboration avec Michel Bauer, Belfond, 1985. L'État brancardier : politique du déclin industriel, 1974- 1984, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l'esprit », 1989.

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A Danièle, Delphine et Nadja

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REMERCIEMENTS

Cette recherche s'appuie notamment sur une série d'entretiens auprès d'industriels, d'exploitants, de hauts fonctionnaires. L'obligation de réserve qui s' impose à nos interlocuteurs nous interdit de les remercier nommément. Sans leur aide, leur disponibilité, leur confiance, ce travail n'aurait pas été possible. Qu'ils trouvent donc ici l'expres- sion d'un remerciement anonyme.

J'ai une dette particulière envers Kevin Morgan, qui m'a initié au modèle britannique et ouvert ses dossiers, et J.-M. Saussois qui a réalisé en grande partie la monographie amé- ricaine.

Le ministère de la Recherche et de la Technologie a soute- nu ce travail dans le cadre du programme « Intelligence de l'Europe ».

La rédaction de cet ouvrage a été achevée fin 1990, les corrections apportées depuis sont d'ordre factuel.

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PRÉSENTATION

Par vagues successives, le tournant de la rigueur de mars 1983 bouleverse toute l'économie de l'intervention publique. Un gouvernement socialiste ferme Billancourt et transforme la Régie en société anonyme partenaire de Volvo, sort du cadre de la grille unitaire de la fonction publique 450 000 agents des PTT, transforme les arsenaux militaires en entre- prise de droit commun (le GIAT). Ainsi donc, l'État, non content de laisser les canards boiteux à leur sort et les indus- triels performants aux prises avec un marché international chaque jour plus âpre, semble vouloir s'attaquer au noyau dur de son activité propre en « modernisant le service public », en affranchissant les directions productrices de ser- vices et, au total, en séparant le régalien du productif, la puissance publique de la tutelle.

On a peine à reconnaître l'État dirigiste à la française, il n'est plus question de politiques sectorielles ni de nouveaux grands projets technologiques nationaux ni même d'une spé- cificité des entreprises publiques. L'Économie de finance- ments administrés, qui avait permis à un capitalisme sans capitaux de prospérer sous l'aile protectrice d'un État pour- voyeur d'argent bon marché, a cédé la place à une économie de marchés financiers dominée par les investisseurs institu- tionnels (les « zinzins »). L'État, naguère agent central de la régulation sociale et maître d'œuvre du compromis social inflationniste, veille aujourd'hui d'abord aux grands équi-

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libres et laisse à des acteurs sociaux atones le soin de négo- cier aux marges. Enfin, l'État entrepreneur, porteur de grands projets, semble s'en remettre à l'initiative des indus- triels ou à la coopération européenne pour que la France reste dans la course. La technocratie, dans ses deux branches technique et administrative, déserte de plus en plus précoce- ment le service de l'État. Les croyances communément par- tagées dans un Etat rationalisateur et facteur d'équité sociale, expression de la nation et de sa volonté d'indépendance, reculent. C'est le marché qui semble aujourd'hui fournir le modèle, au point que des essayistes pressés nous proposent de passer sans transition de l'économie de marché à la société de marché.

Au moment où la France, expérience faite, renonçait à regret aux poisons et délices de la politique industrielle, aux États-Unis, à travers la question tarifaire, on redécouvrait le concept et en Europe, on s'interrogeait gravement sur la guerre économique. Que l'économie de marché ne soit pas seulement un mécanisme impersonnel de coordination éco- nomique, mais, à « l'étage capitaliste » 1 un système de pou- voir où des acteurs en situation d'imparfaite information recherchent par la concurrence ou la collusion des mono- poles sectoriels, voilà une découverte que nombre d'États vont faire dans les années 70 et 80 à la faveur des crises à répétition inaugurées par le choc monétaire de 1971.

Il aura fallu que la position commerciale et financière américaine face au Japon devienne chroniquement déficitai- re pour que certains économistes découvrent la question industrielle et des hommes politiques les limites d'un libéra- lisme qui a toujours été l'idéologie de l'économie dominan- te. Le succès japonais dans les secteurs de haute technologie, l'achat de quelques symboles du rêve américain (Rockfeller 1. Fernand Braudel dans Civilisation matérielle, économie et capitalisme XV et XIII siècles, 3 tomes, Armand Colin. 1979, distingue trois niveaux de l' activité économique : la subsistance, les échanges et le capitalisme.

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Center, Columbia Pictures et CBS) et la dénonciation mal- adroite des incohérences des politiques publiques des admi- nistrations républicaines ou des orientations à courte vue des managers américains auront suffi pour que la question indus- trielle soit à nouveau posée avec force aux États-Unis et que le Japon commence à tenir la place libérée par les Soviétiques d'ennemi privilégié du peuple américain 2

Les Japonais ne pratiqueraient pas l'économie de marché comme les États-Unis ; dès lors, à maintenir leur économie ouverte, les États-Unis s'exposent à voir leur industrie balayée. Le rôle du MITI, l'organisation des groupes en kei- retsu 3 l'inaccessibilité au réseau de distribution et les sur- prix imposés au consommateur local expliqueraient que les industriels japonais puissent à la fois consentir un effort de recherche et de développement plus important, prendre le risque de la surcapacité de production, ne pas être affectés par les retournements de marché et persister dans leur objec- tif inébranlable de conquête de parts de marché sans cesse plus importantes aux États-Unis et ailleurs.

La querelle nippo-américaine traverse l'Atlantique très rapi- dement, et rencontre un écho d'autant plus favorable en France que le travail de deuil après l'effondrement de l'État interven- tionniste, omniprésent et omniscient, n'était pas achevé 4

L'incapacité collective des Européens à rester dans la

2. Cf. The Economist. 17 fév. 1990. « America-Japan Basho », et The Atlantic Monthly. James Fallows. « Getting along with Japan », déc. 1989. 3. Vaste ensemble d'entreprises comprenant banques, assurances, sociétés de com- merce et firmes industrielles ayant des liaisons financières lâches mais réalisant une intégration forte. Ces nébuleuses organisées autour de sociétés de commerce inter- national comme Mitsui. Mitsubishi, Marubeni, etc., assurent un financement privi- légié aux activités risquées, font jouer des synergies pour la conquête des marchés étrangers, assurent les premiers débouchés sur le marché interne. Ce mode d'inté- gration expliquerait que les Japonais aient conquis le marché trés cyclique des com- posants électroniques : en phase de démarrage, le marché intérieur permet l' écoulement. en phase de dépression, parce qu'ils peuvent supporter des pertes, les groupes japonais gagnent des parts de marché et tuent leurs concurrents, en phase de reprise, ils rationnent les entreprises dominées et accumulent les profits néces- saires au développement technologique. 4. Tous les magazines économiques vont broder sur le thème lancé par le Nouvel Économiste du 12 janvier 1990 : « Les Japonais sont des tueurs ». Même un journal

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course aux technologies de l'information et la difficulté de l'industrie française à être pleinement compétitive dans un univers de réel libre-échange alimentent un discours sur la singularité japonaise et sur le réarmement industriel national. Un grand patron français qualifie les Japonais de tricheurs. Mme Édith Cresson, non contente de déclarer que « le Japon veut conquérir le monde » 5 s'en prend à la pusillanimité des Américains face à un Japon conquérant. De part et d'autre de l'Atlantique, une idée fait son chemin : la spécia- lisation industrielle n'est pas seulement affaire d'avantages comparatifs, comme la théorie classique nous l'enseigne, mais aussi de volonté politique. La télévision haute défini- tion (TVHD) est aujourd'hui l'un des enjeux de cette volonté de résistance à la toute-puissance japonaise. Derrière cet objet d'équipement domestique banal se cachent les techno- logies les plus fondamentales pour l'industrie de cette fin de siècle (composants à haute intégration, écrans plats, informa- tique, satellites, électronique professionnelle, opto-électro- nique, logiciels, numérisation et traitement du signal...) et le vecteur privilégié de la communication entre les peuples, les langues, les cultures.

Ainsi donc la France abandonnerait son intervention tra- ditionnelle en faveur des secteurs de pointe au moment même où le Japon fait la preuve de l'efficacité à long terme de l'administrative guidance 6

Le « colbertisme high-tech », ce mélange d'initiative publique dans la recherche, de financements hors marché, de commande publique au service des entreprises et d'industries promues attributs de souveraineté, achèverait son cours au moment où l'étranger commencerait à en découvrir les vertus.

aussi peu spécialisé dans les affaires industrielles que Le Quotidien de Paris consacre trois pages le 1 1 janvier 90 au Japon » inventeur de la guerre économique ». 5. Tribune de l'Expansion du 10 janvier 90. Depuis, elle a montré un talent discu- table dans la stigmatisation des Japonais. 6. Cet autre nom pour « l'économie concertée » chère aux planistes français.

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Ariane, Airbus, le TGV, le Temporel, le Minitel, les Mirage ou le Rafale, les moteurs d'avions (CFM 56), la Filière nucléaire PWR/Framatome et les technologies pétro- lières sont autant de réussites marquantes de grands projets technologiques, dues à l'initiative étatique, mais qui ont aussi trouvé des débouchés et des relais sur le marché inter- national, et plus particulièrement européen, au point qu'ils sont souvent mis à l'actif de la construction communautaire (Ariane et Airbus notamment).

Les échecs (Diamant, Concorde, ordinateurs de la CII, TDF1 et les réseaux câblés en fibres optiques), outre qu'ils apparaissent comme des brouillons coûteux, témoignent du caractère risqué des grands chantiers techno-industriels conçus et mis en œuvre par l'État. Pourtant, aujourd'hui encore, les biens issus des programmes de haute technologie constituent la base de la spécialisation industrielle et donc du commerce extérieur de la France.

En fait, succès comme échecs, au-delà des débats idéolo- giques sur les vertus intrinsèques de l'économie mixte ou de l'État minimal, posent trois problèmes.

Le premier, c'est celui de la consistance du modèle en question. Qu'entend-on par « grand projet technologique » et par « colbertisme high-tech » ? Quelles en sont les dimen- sions constituantes ? N'y a-t-il pas un a priori fort sur la sin- gularité française ? Ne risque-t-on pas de trouver l'exception française postulée au terme d'une comparaison internationale factice ? Comparabilité et réfutabilité sont les conditions de toute démarche scientifique, même si l'approche historique et la méthode des cas tendent à accentuer les spécificités.

Le deuxième problème évoqué dans un ouvrage antérieur 7 est celui des effets induits d'une spécialisation industrielle marquée par les choix étatiques. Le nucléaire civil et militaire ou les grands équipements d'infrastructure

7. L'État brancardier : politiques du déclin industriel 1974/1984, collection « Liberté de l'esprit Saint-Simon », Paris, Calmann-Lévy, 1989.

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ferroviaire, électrique, téléphonique, etc. ont certes contribué à développer l'électronique professionnelle ou l'industrie des réacteurs nucléaires. Du reste tout y incitait : les préfinan- cements, la commande publique, le caractère valorisant de recherches de pointe, le service de l'État... Mais ils sont à l'origine du relatif abandon des biens d'équipement, de l'électronique grand public et n'ont pas eu les retombées espérées sur les biens de consommation courante. Si l'on peut mesurer les effets directs de choix politiques arrêtés dans le contexte de la libération et maintenus avec constance jusqu'à nos jours, il n'est guère possible de faire de la rétro- projection et de s'interroger sur ce que serait la spécialisa- tion industrielle de la France aujourd'hui si de telles options n'avaient pas été prises.

Enfin, le troisième problème posé est celui du cycle de vie des grands projets, et notamment du passage de la phase d'équipement interne, à l'abri de frontières fermées, à celle de l'insertion dans l'économie mondiale. Tout grand projet connaît des phases critiques : négociés trop tôt, les tournants vers l'industrialisation conduisent à la fabrication de parfaits objets techniques sans marchés 8 ; trop tard, ils induisent un épuisement de la dynamique interne du système ; trop mal, ils produisent des résultats ambigus.

Ce modèle d'intervention déployé dans les secteurs « de pointe » s'est pour l'essentiel formé après-guerre. Pour un État volontaire confronté à une carence de l'initiative privée dans un domaine stratégique, il consiste à créer de toutes pièces un système recherche-production-commande publique dont la cohérence est assurée par un grand corps, l'adaptabilité par des organisations hybrides mi-administra- tion, mi-entreprise et la continuité par une série de méca- nismes dérogatoires aux règles de l'administration et des finances publiques.

8. Les Anglo-Saxons parlent alors de « White Elephants ».

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L'usage fait ici de la notion de colbertisme pour qualifier la forme très particulière que revêt l'intervention de l'État dans certains secteurs de haute technologie n'a en fait rien à voir avec la notion de « politique industrielle ». Nous avons pu montrer dans un précédent ouvrage combien une poli- tique industrielle était d'abord un discours politique sur l'industrie qui recouvrait des pratiques radicalement diffé- rentes 9 celle de l'État brancardier pour les secteurs en déclin, celle de l'État stratège illusoire pour les groupes industriels concurrentiels dotés de gouvernements privés, celle enfin du colbertisme high-tech dans certains secteurs de pointe où l'État pouvait mobiliser la commande publique. Dans le premier cas, la politique industrielle n'est qu'une politique sociale déguisée ; dans le deuxième, elle se résume en fait à un guichet d'aides que les groupes industriels actionnent à leur convenance ; dans le troisième, il s'agit d'une construction économique et institutionnelle particuliè- rement originale. La spécificité du colbertisme high-tech est ici objet d'étude : sous quelles conditions historiques, insti- tutionnelles et organisationnelles un grand projet technolo- gique prend-il forme ? Comment devient-il ensuite l'affaire d'appareils industriels ou administratifs ? Qu'advient-il lors- qu'il débouche sur le marché ? Comment évolue dans le temps la relation entre l'Etat-tuteur et l'organisation porteuse du grand projet ? Ces questions portent sur le volontarisme étatique, sur les effets des conjonctures politiques, sur les données organisationnelles internes, sur les effets de l'inser- tion dans l'économie mondiale. Elles ont en commun une perspective : celle du changement dans les systèmes com- plexes. La question du passage pour un grand projet de l'espace public à l'espace marchand s'est toujours posée. Elle revêt aujourd'hui un caractère crucial avec la mondiali- sation des économies et le coût prohibitif du développement à l'échelle nationale de grands projets. Très sommairement,

9. Cf. Les Grandes Manœuvres industrielles, avec M. Bauer, Belfond, 1985.

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on peut distinguer quatre modalités de passage : soit l'organi- sation hybride porteuse du grand projet s'autonomise et se transforme en entreprise de droit commun ; soit elle persiste et rebondit de grand projet en grand projet ; soit elle s'épuise et régresse ; soit enfin elle sert d'appui à un ensemble plus vaste, européen par exemple. La réussite du grand projet est sa pre- mière source de fragilité. Il n'est pas facile de mobiliser les salariés du secteur public pour qu'ils poussent à la consomma- tion d'électricité ou de téléphone quand, pendant dix ou vingt ans, on les a maintenus en haleine par les irrésistibles progrès du nucléaire national ou de la quête de l'autonomie technolo- gique face à IBM. Le colbertisme high-tech, tout en préser- vant formellement les conditions de son succès passé, peut se muer en système régressif, en bureaucratie immobile au servi- ce d'équipes politiques tentées par l'interventionnisme mimé- tique. Mais en même temps, la crise de 1974-1984 et la fulgurante ascension du Japon dans le domaine des industries à fort contenu technologique ont, dans bien des domaines, rendu l'effort nécessaire de recherche-développement hors de portée des différents États-nations européens. La solution, au risque de l'épuisement du modèle par achèvement de la mis- sion, involution interne, inadéquation aux enjeux industriels, technologiques et financiers d'une économie mondialisée, a été recherchée par la France dans le cadre européen.

L'objet de cet ouvrage est de donner à voir et à com- prendre ce que furent, ce que sont devenus ces grands projets et de s'interroger sur leur éventuel devenir en prenant pour fil conducteur le secteur des Télécommunications. Ce choix s'imposait d'évidence. Dans nul autre domaine le retard de la France n'était aussi évident et le rattrapage aussi exem- plaire. Tous les ingrédients du grand projet y sont réunis : la percée technologique du laboratoire public, l'équipement volontariste du territoire, la mue d'un petit industriel contre- maître en n°1 mondial du secteur et, pour finir, l'involution bureaucratique de l'organisation hybride porteuse.

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débats nationaux du printemps 1990 sur la sortie de crise, le développement des inégalités et la nécessité d'augmenter la redistribution quand le Japon à marche forcée étendait son emprise industrielle et financière.

La rhétorique industrialiste est donc appelée à refleurir périodiquement. Elle constitue une forme de réponse à trois problèmes persistants du gouvernement de l'État-nation : sa place entre les niveaux de gouvernements supranational et infranational, la redéfinition de ses missions, l'apprentissage de la séparation entre intérêts industriels et nationaux.

Pour l'État jacobin, la reconnaissance pleine et entière des effets institutionnels de la naissance d'un embryon de gouvernement européen et d'autorités régionales légitimes ne peut aller sans régressions, sans affirmations verbales d'une autorité publique inentamée. Le discours de l'industrie obéissante et de l'État-bouclier face aux empiétements de Bruxelles remplit cette fonction.

Pour l'État colbertiste, l'apprentissage d'un nouveau rôle, celui de l'État modeste, instance d'agrégation des demandes de la société civile et avocat des entreprises territoriales auprès d'instances internationales régies par le droit, consti- tue un redoutable défi. Les échappées dans l'ordre du dis- cours sur les grands projets européens où le passe-droit est le moteur de l'action sont le prix à payer pour l'apprentissage du nouveau rôle.

Enfin, pour l'État « jules-ferryste ». la remise en cause de la filière unique de l'excellence et la reconnaissance de l'entrepri- se comme lieu de formation à l'ère de « l'intelligence organi- sée » nécessite une véritable révolution copernicienne.

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