[Le Clezio J M G, Gustave JeanMarie] Mondo Autre(Bookos.org)

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  • Les contes de Le Clzio, qui semblent ns durve et du recueillement, nous parlent pour-tant de notre poque.Venu d'ailleurs, Mondo le petit garon quipasse, Lullaby la voyageuse, Jon, Juba lesage, Daniel Sindbad qui n'a jamais vu lamer, Alia, Petite Croix, et tant d'autres, noussont dlgus comme autant d'enfants-fes.Ils nous guident. Ils nous forcent traverserles tristes opacits d'un univers o l'espoir semeurt. Ils nous fascinent par leur volonttranquille, souveraine, accorde au silence deslments retrouvs. Ils nous restituent lacadence limpide du souffle, cl de notre me.

    J.M.G. Le ClzioMondo et autres histoires

    Un commentaire de cette uvre,assorti de nombreux documentset tmoignages, est disponibledans la collection Foliothque, n 47.

  • Ce livre vous est propos par Tri & Lenw

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  • H quoi ! Vous demeurez Bagdad,et vous ignorez que c'est ici lademeure du Seigneur Sindbad leMarin, de ce fameux voyageur qui aparcouru toutes les mers que le soleilclaire ?

    Histoire de Sindbad le Marin

  • L

    Mondo

  • Personne n'aurait pu dire d'o venait Mondo. Il taitarriv un jour, par hasard, ici dans notre ville, sansqu'on s'en aperoive, et puis on s'tait habitu lui.C'tait un garon d'une dizaine d'annes, avec unvisage tout rond et tranquille, et de beaux yeux noirsun peu obliques. Mais c'tait surtout ses cheveux qu'onremarquait, des cheveux brun cendr qui changeaientde couleur selon la lumire, et qui paraissaient presquegris la tombe de la nuit.

    On ne savait rien de sa famille, ni de sa maison. Peut-tre qu'il n'en avait pas. Toujours, quand on ne s'yattendait pas, quand on ne pensait pas lui, ilapparaissait au coin d'une rue, prs de la plage, ou surla place du march. Il marchait seul, l'air dcid, enregardant autour de lui. Il tait habill tous les jours dela mme faon, un pantalon bleu en denim, deschaussures de tennis, et un T-shirt vert un peu tropgrand pour lui.

    Quand il arrivait vers vous, il vous regardait bien enface, il souriait, et ses yeux troits devenaient deuxfentes brillantes. C'tait sa faon de saluer. Quand il yavait quelqu'un qui lui plaisait, il l'arrtait et luidemandait tout simplement :

  • 12 Mondo

    Est-ce que vous voulez m'adopter ? Et avant que les gens soient revenus de leur surprise,

    il tait dj loin.Qu'est-ce qu'il tait venu faire ici, dans cette ville?

    Peut-tre qu'il tait arriv aprs avoir voyag long-temps dans la soute d'un cargo, ou dans le dernierwagon d'un train de marchandises qui avait roullentement travers le pays, jour aprs jour, nuit aprsnuit. Peut-tre qu'il avait dcid de s'arrter, quand ilavait vu le soleil et la mer, les villas blanches et lesjardins de palmiers. Ce qui est certain, c'est qu'ilvenait de trs loin, de l'autre ct des montagnes, del'autre ct de la mer. Rien qu' le voir, on savait qu'iln'tait pas d'ici, et qu'il avait vu beaucoup de pays. Ilavait ce regard noir et brillant, cette peau couleur decuivre, et cette dmarche lgre, silencieuse, un peu detravers, comme les chiens. Il avait surtout une l-gance et une assurance que les enfants n'ont pasd'ordinaire cet ge, et il aimait poser des questionstranges qui ressemblaient des devinettes. Pourtant,il ne savait pas lire ni crire.

    Quand il est arriv ici, dans notre ville, c'tait avantl't. Il faisait dj trs chaud, et il y avait chaque soirplusieurs incendies sur les collines. Le matin, le cieltait invariablement bleu, tendu, lisse, sans un nuage.Le vent soufflait de la mer, un vent sec et chaud quidesschait la terre et attisait les feux. C'tait un jour demarch. Mondo est arriv sur la place, et il a com-menc circuler entre les camionnettes bleues desmarachers. Tout de suite il a trouv du travail, parceque les marachers ont toujours besoin d'aide pourdcharger leurs cageots.

    Mondo travaillait pour une camionnette, puis,quand il avait fini, on lui donnait quelques pices et ilallait voir une autre camionnette. Les gens du march

    Mondo 13

    le connaissaient bien. Il venait sur la place de bonneheure, pour tre sr d'tre engag, et quand lescamionnettes bleues commenaient arriver, les gensle voyaient et criaient son nom :

    Mondo ! Oh Mondo ! Quand le march tait fini, Mondo aimait bien

    glaner. Il se faufilait entre les tals, et il ramassait cequi tait tomb par terre, des pommes, des oranges,des dattes. Il y avait d'autres enfants qui cherchaient,et aussi des vieux qui remplissaient leurs sacs avec desfeuilles de salade et des pommes de terre. Les mar-chands aimaient bien Mondo, ils ne lui disaient jamaisrien. Quelquefois, la grosse marchande de fruits quis'appelait Rosa lui donnait des pommes ou des bana-nes qu'elle prenait sur son tal. Il y avait beaucoup debruit sur la place, et les gupes volaient au-dessus destas de dattes et de raisins secs.

    Mondo restait sur la place jusqu' ce que les camion-nettes bleues soient reparties. Il attendait l'arroseurpublic qui tait son ami. C'tait un grand hommemaigre habill d'un survtement bleu marine. Mondoaimait bien le regarder manier sa lance, mais il ne luiparlait jamais. L'arroseur public dirigeait le jet d'eausur les ordures et les faisait courir devant lui commedes btes, et il y avait un nuage de gouttes qui montaitdans l'air. a faisait un bruit d'orage et de tonnerre,l'eau fusait sur la chausse et on voyait des arcs-en-ciellgers au-dessus des voitures arrtes. C'tait pour celaque Mondo tait l'ami de l'arroseur. Il aimait lesgouttes fines qui s'envolaient, qui retombaient commela pluie sur les carrosseries et sur les pare-brise.L'arroseur public aimait bien Mondo, lui aussi, mais ilne lui parlait pas. D'ailleurs, ils n'auraient pas pu sedire grand-chose cause du bruit de la lance. Mondoregardait le long tuyau noir qui tressautait comme un

  • 14 Mondo

    serpent. Il avait trs envie d'essayer d'arroser, luiaussi, mais il n'osait pas demander l'arroseur de luiprter sa lance. Et puis, peut-tre qu'il n'aurait pas eula force de rester debout, parce que le jet d'eau taittrs puissant.

    Mondo restait sur la place jusqu' ce que l'arroseurpublic ait fini d'arroser. Les gouttes fines tombaientsur son visage et mouillaient ses cheveux, et c'taitcomme une brume frache qui faisait du bien. Quandl'arroseur public avait fini, il dmontait son tuyau et ils'en allait ailleurs. Alors il y avait toujours des gens quiarrivaient et qui regardaient la chausse mouille endisant :

    Tiens ? Il a plu ? Aprs, Mondo partait voir la mer, les collines qui

    brlaient, ou bien il allait la recherche de ses autresamis.

    A cette poque-l, il n'habitait vraiment nulle part. Ildormait dans des cachettes, du ct de la plage, oumme plus loin, dans les rochers blancs la sortie de laville. C'taient de bonnes cachettes o personne n'au-rait pu le trouver. Les policiers et les gens de l'Assis-tance n'aiment pas que les enfants vivent comme cela,en libert, mangeant n'importe quoi et dormant n'im-porte o. Mais Mondo tait malin, il savait quand on lecherchait et il ne se montrait pas.

    Quand il n'y avait pas de danger, il se promenaittoute la journe dans la ville, en regardant ce qui sepassait. Il aimait bien se promener sans but, tournerau coin d'une rue, puis d'une autre, prendre unraccourci, s'arrter un peu dans un jardin, repartir.Quand il voyait quelqu'un qui lui plaisait, il allait verslui, et il lui disait tranquillement :

    Bonjour. Est-ce que vous ne voulez pasm'adopter?

    Mondo 15

    II y avait des gens qui auraient bien voulu, parce queMondo avait l'air gentil, avec sa tte ronde et ses yeuxbrillants. Mais c'tait difficile. Les gens ne pouvaientpas l'adopter comme cela, tout de suite. Ils commen-aient lui poser des questions, son ge, son nom, sonadresse, o taient ses parents, et Mondo n'aimait pasbeaucoup ces questions-l. Il rpondait :

    Je ne sais pas, je ne sais pas. Et il s'en allait en courant.Mondo avait trouv beaucoup d'amis, rien qu'en

    marchant dans les rues. Mais il ne parlait pas tout lemonde. Ce n'taient pas des amis pour parler, ou pourjouer. C'taient des amis pour saluer au passage, trsvite, avec un clin d'il, ou pour faire un signe de lamain, au loin, de l'autre ct de la rue. C'taient desamis aussi pour manger, comme la dame boulangrequi lui donnait tous les jours un morceau de pain. Elleavait un vieux visage rose, trs rgulier et trs lissecomme une statue italienne. Elle tait toujours habil-le de noir et ses cheveux blancs tresss taient coiffsen chignon. Elle avait d'ailleurs un nom italien, elles'appelait Ida, et Mondo aimait bien entrer dans sonmagasin. Quelquefois il travaillait pour elle, il allaitporter du pain chez les commerants du voisinage.Quand il revenait, elle coupait une grosse tranche dansun pain rond et elle la lui tendait, enveloppe dans dupapier transparent. Mondo ne lui avait jamaisdemand de l'adopter, peut-tre parce qu'il l'aimaitvraiment bien et que a l'intimidait.

    Mondo marchait lentement vers la mer en mangeantle morceau de pain. Il le cassait par petits bouts, pourle faire durer, et il marchait et mangeait sans sepresser. Il parat qu'il vivait surtout de pain, cettepoque-l. Tout de mme il gardait quelques miettespour donner des amies mouettes.

  • 16 Mondo

    Il y avait beaucoup de rues, des places, un jardinpublic, avant de sentir l'odeur de la mer. D'un coup,elle arrivait dans le vent, avec le bruit monotone desvagues.

    A l'extrmit du jardin, il y avait un kiosque journaux. Mondo s'arrtait et choisissait un illustr. Ilhsitait entre plusieurs histoires d'Akim, et finalementil achetait une histoire de Kit Carson. Mondo choisis-sait Kit Carson cause du dessin qui le reprsentaitvtu de sa fameuse veste lanires. Puis il cherchait unbanc pour lire l'illustr. Ce n'tait pas facile, parcequ'il fallait que sur le banc il y ait quelqu'un qui puisselire les paroles de l'histoire de Kit Carson. Juste avantmidi, c'tait la bonne heure, parce qu' ce moment-l ily avait toujours plus ou moins des retraits des Postesqui fumaient leur cigarette en s'ennuyant. QuandMondo en avait trouv un, il s'asseyait ct de lui surle banc, et il regardait les images en coutant l'histoire.Un Indien debout les bras croiss devant Kit Carsondisait :

    Dix lunes ont pass et mon peuple est bout.Qu'on dterre la hache des Anciens !

    Kit Carson levait la main. N'coute pas ta colre, Cheval Fou. Bientt on te

    rendra justice. C'est trop tard , disait Cheval Fou. Vois ! Il montrait les guerriers masss au bas de la colline. Mon peuple a trop attendu. La guerre va commen-

    cer, et vous mourrez, et toi aussi tu mourras, KitCarson!

    Les guerriers obissaient l'ordre de Cheval Fou,mais Kit Carson les renversait d'un coup de poing ets'chappait sur son cheval. Il se retournait encore et ilcriait Cheval Fou :

    Je reviendrai, et on te rendra justice !

    Mondo 17

    Quand Mondo avait entendu l'histoire de Kit Carson,il reprenait l'illustr et il remerciait le retrait.

    Au revoir ! disait le retrait. Au revoir ! disait Mondo.Mondo marchait vite jusqu' la jete qui avance au

    milieu de la mer. Mondo regardait un instant la mer,en serrant les paupires pour ne pas tre bloui par lesreflets du soleil. Le ciel tait trs bleu, sans nuages, etles vagues courtes tincelaient.

    Mondo descendait le petit escalier qui conduit auxbrisants. Il aimait beaucoup cet endroit. La digue depierre tait trs longue, borde de gros blocs de cimentrectangulaires. Au bout de la digue, il y avait le phare.Les oiseaux de mer glissaient dans le vent, planaient,tournaient lentement en poussant des gmissementsd'enfant. Ils volaient au-dessus de Mondo, ils frlaientsa tte et l'appelaient. Mondo jetait les miettes de painle plus haut qu'il pouvait, et les oiseaux de mer lesattrapaient au vol.

    Mondo aimait marcher ici, sur les brisants. Il sautaitd'un bloc l'autre, en regardant la mer. Il sentait levent qui appuyait sur sa joue droite, qui tirait sescheveux de ct. Le soleil tait trs chaud, malgr levent. Les vagues cognaient sur la base des blocs deciment en faisant jaillir les embruns dans la lumire.

    De temps en temps, Mondo s'arrtait pour regarderla cte. Elle tait loin dj, une bande brune seme depetits paralllpipdes blancs. Au-dessus des maisons,les collines taient grises et vertes. La fume desincendies montait par endroits, faisait une tachebizarre dans le ciel. Mais on ne voyait pas de flammes.

    II faudra que j'aille voir l-bas , disait Mondo.Il pensait aux grandes flammes rouges qui dvo-

    raient les buissons et les forts de chnes-liges. Ilpensait aussi aux camions des sapeurs-pompiers arr-

  • 18 Mondo

    ts dans les chemins, parce qu'il aimait beaucoup lescamions rouges.

    A l'ouest, il y avait aussi comme un incendie sur lamer, mais c'tait seulement le reflet du soleil. Mondorestait immobile et il sentait les petites flammes desreflets qui dansaient sur ses paupires, puis il conti-nuait son chemin, en sautant sur les brise-lames.

    Mondo connaissait bien tous les blocs de ciment, ilsavaient l'air de gros animaux endormis, moiti dansl'eau, en train de chauffer leurs dos larges au soleil. Ilsportaient de drles de signes gravs sur leurs dos, destaches brunes, rouges, des coquillages incrusts dans leciment. A la base des brise-lames, l o la mer battait,le gomon vert faisait un tapis, et il y avait despopulations de mollusques aux coquilles blanches.Mondo connaissait surtout un bloc de ciment, presqueau bout de la digue. C'tait l qu'il allait toujourss'asseoir, et c'tait lui qu'il prfrait. C'tait un bloc unpeu inclin, mais pas trop, et son ciment tait us, trsdoux. Mondo s'installait sur lui, il s'asseyait en tail-leur, et il lui parlait un peu, voix basse, pour lui direbonjour. Quelquefois il lui racontait mme des histoi-res pour le distraire, parce qu'il devait srements'ennuyer un peu, rester l tout le temps, sanspouvoir partir. Alors il lui parlait de voyages, debateaux et de mer, bien sr, et puis de ces grandsctacs qui drivent lentement d'un ple l'autre. Lebrise-lames ne disait rien, ne bougeait pas, mais ilaimait bien les histoires que lui racontait Mondo.C'tait srement pour a qu'il tait si doux.

    Mondo restait longtemps assis sur son brise-lames, regarder les tincelles sur la mer et couter le bruitdes vagues. Quand le soleil tait plus chaud, vers la finde l'aprs-midi, il s'allongeait en chien de fusil, la jouecontre le ciment tide, et il dormait un peu.

    Mondo 19

    C'est un de ces aprs-midi-l qu'il avait fait laconnaissance de Giordan le Pcheur. Mondo avaitentendu travers le ciment le bruit de pas de quel-qu'un qui marchait sur les brise-lames. Il s'taitredress, prt aller se cacher, mais il avait vu cethomme d'une cinquantaine d'annes qui portait unelongue gaule sur son paule, et il n'avait pas eu peur delui. L'homme tait venu jusqu' la dalle voisine et ilavait fait un petit signe amical avec la main.

    Qu'est-ce que tu fais l ?Il s'tait install sur le brise-lames, et il avait sorti de

    son sac de toile cire toutes sortes de fils et d'hame-ons. Quand il avait commenc pcher, Mondo taitvenu ct de lui, sur le brise-lames, et il avait regardle pcheur prparer les hameons. Le pcheur luimontrait comment on appte, puis comment on lance,lentement d'abord, et de plus en plus fort mesure quela ligne se dvide. Il avait prt sa gaule Mondo, pourqu'il apprenne tourner le moulinet d'un gestecontinu, en balanant un peu la gaule de gauche droite.

    Mondo aimait bien Giordan le Pcheur, parce qu'ilne lui avait jamais rien demand. Il avait un visagerougi par le soleil, marqu de rides profondes, et deuxpetits yeux d'un vert intense qui surprenaient.

    Il pchait longtemps sur le brise-lames, jusqu' ceque le soleil soit tout prs de l'horizon. Giordan neparlait pas beaucoup, sans doute pour ne pas faire peuraux poissons, mais il riait chaque fois qu'il ramenaitune prise. Il dcrochait la mchoire du poisson avecdes gestes nets et prcis, et il mettait sa capture dans lesac en toile cire. De temps en temps, Mondo allaitchercher pour lui des crabes gris pour appter sa ligne.Il descendait au pied des brise-lames, et il guettaitentre les touffes d'algues. Quand la vague se retirait,

  • 20 Mondo

    les petits crabes gris sortaient, et Mondo les attrapait la main. Giordan le Pcheur les brisait sur la dalle deciment et les dcoupait avec un petit canif rouill.

    Un jour, pas trs loin en mer, ils avaient vu un grandcargo noir qui glissait sans bruit.

    Comment s'appelle-t-il ? * demandait Mondo.Giordan le Pcheur mettait sa main en visire et

    plissait ses yeux. Erythrea , disait-il ; puis il s'tonnait un peu : Tu n'as pas de bons yeux. Ce n'est pas cela , disait Mondo. Je ne sais pas

    lire. Ah bon ? disait Giordan.Ils regardaient longuement le cargo qui passait. Qu'est-ce que a veut dire, le nom du bateau ?

    demandait Mondo. Erythrea? C'est un nom de pays, sur la cte

    d'Afrique, sur la mer Rouge. C'est un joli nom , disait Mondo. a doit tre un

    beau pays. Mondo rflchissait un instant. Et la mer l-bas s'appelle la mer Rouge ? Giordan le Pcheur riait : Tu crois que l-bas la mer est vraiment rouge ? Je ne sais pas , disait Mondo. Quand le soleil se couche, la mer devient rouge,

    c'est vrai. Mais elle s'appelle comme a cause deshommes qui vivaient l autrefois.

    Mondo regardait le cargo qui s'loignait. II va srement l-bas, vers l'Afrique. C'est loin , disait Giordan le Pcheur. II fait trs

    chaud l-bas, il y a beaucoup de soleil et la cte estcomme le dsert.

    II y a des palmiers ? Oui, et des plages de sable trs longues. Dans la

    Mondo 21

    journe, la mer est trs bleue, il y a beaucoup de petitsbateaux de pche avec des voiles en forme d'aile, ilsnaviguent le long de la cte, de village en village.

    Alors on peut rester assis sur la plage et regarderpasser les bateaux ? On reste assis l'ombre, et on seraconte des histoires en regardant les bateaux sur lamer?

    Les hommmes travaillent, ils rparent les filets etils clouent des plaques de zinc sur la coque des bateauxchous dans le sable. Les enfants vont chercher desbrindilles sches et ils allument des feux sur la plagepour faire chauffer la poix qui sert colmater lesfissures des bateaux.

    Giordan le Pcheur ne regardait plus sa ligne main-tenant. Il regardait au loin, vers l'horizon, comme s'ilcherchait voir vraiment tout cela.

    II y a des requins dans la mer Rouge ? Oui, il y en a toujours un ou deux qui suivent les

    bateaux, mais les gens sont habitus, ils n'y font pasattention.

    Ils ne sont pas mchants ? Les requins sont comme les renards, tu sais. Ils

    sont toujours la recherche des ordures qui tombent l'eau, de quelque chose chaparder. Mais ils ne sontpas mchants.

    a doit tre grand, la mer Rouge , disait Mondo. Oui, c'est trs grand... Il y a beaucoup de villes sur

    les ctes, des ports qui ont de drles de noms... Ballul,Barasali, Debba... Massawa, c'est une grande villetoute blanche. Les bateaux vont loin le long de la cte,ils naviguent pendant des jours et des nuits, ils navi-guent vers le nord, jusqu' Ras Kasar, ou bien ils vontvers les les, Dahlak Kebir, dans l'archipel des Nora,quelquefois mme jusqu'aux les Farasan, de l'autrect de la mer.

  • 22 Mondo

    Mondo aimait beaucoup les les. Oh oui, il y a beaucoup d'les, des les avec des

    rochers rouges et des plages de sable, et sur les les il ya des palmiers !

    A la saison des pluies, il y a des temptes, le ventsouffle si fort qu'il dracine les palmiers et qu'il enlvele toit des maisons.

    Les bateaux font naufrage ? Non, les gens restent chez eux, l'abri, personne ne

    sort en mer. Mais a ne dure pas longtemps. Sur une petite le, il y a un pcheur avec toute sa

    famille. Ils vivent dans une maison en feuilles depalmier, au bord de la plage. Le fils an du pcheurest dj grand, il doit avoir ton ge. Il va sur le bateauavec son pre, et il jette les filets dans la mer. Quand illes retire, ils sont remplis de poissons. Il aime beau-coup partir avec son pre sur le bateau, il est fort et ilsait dj bien manuvrer la voile pour prendre le vent.Quand il fait beau et que la mer est calme, le pcheuremmne toute sa famille, ils vont voir des parents etdes amis dans les les voisines, et ils reviennent lesoir.

    Le bateau avance tout seul, sans faire de bruit, et lamer Rouge est toute rouge parce que c'est le coucher desoleil.

    Pendant qu'ils parlaient, le cargo Erythrea avait faitun grand virage sur la mer. Le bateau-pilote revenaiten tanguant sur le sillage, et le cargo donnait juste uncoup de sirne bref pour dire au revoir.

    Quand est-ce que vous irez l-bas, vous aussi ? demandait Mondo.

    En Afrique, sur la mer Rouge ? Giordan lePcheur riait. Je ne peux pas aller l-bas, je doisrester ici, sur la digue.

    Mondo 23

    Pourquoi ? Il cherchait une rponse. Parce que... Parce que moi, je suis un marin qui n'a

    pas de bateau. Puis il recommenait regarder sa gaule.Quand le soleil tait tout prs de l'horizon, Giordan

    le Pcheur posait la gaule plat sur la dalle de ciment,et il sortait de la poche de sa veste un sandwich. Il endonnait la moiti Mondo et ils mangeaient ensembleen regardant les reflets du soleil sur la mer.

    Mondo s'en allait avant la nuit, pour chercher unecachette o dormir.

    Au revoir ! disait Mondo. Au revoir ! disait Giordan. Quand Mondo tait un

    peu loign, il lui criait : Reviens me voir! Je t'apprendrai lire. Ce n'est

    pas difficile. Il restait pcher jusqu' ce qu'il fasse tout fait

    nuit et que le phare commence envoyer ses signauxrguliers, toutes les quatre secondes.

  • Tout a tait trs bien, mais il fallait faire attentionau Ciapacan. Chaque matin, quand le jour se levait, lacamionnette grise aux fentres grillages circulaitlentement dans les rues de la ville, sans faire de bruit,au ras des trottoirs. Elle rdait dans les rues encoreendormies et brumeuses, la recherche des chiens etdes enfants perdus.

    Mondo l'avait aperue un jour, alors qu'il venait dequitter sa cachette du bord de mer et qu'il traversaitun jardin. La camionnette s'tait arrte quelquesmtres devant lui, et il avait eu juste le temps de seblottir derrire un buisson. Il avait vu la porte arrires'ouvrir et deux hommes habills en survtements gristaient descendus. Ils portaient deux grands sacs detoile et des cordes. Ils avaient commenc chercherdans les alles du jardin, et Mondo avait entendu leursparoles quand ils taient passs ct du buisson.

    Il est parti par l. Tu l'as vu ? Oui, il ne doit pas tre loin. Les deux hommes en gris s'taient loigns, chacun

    dans une direction, et Mondo tait rest immobilederrire le buisson, presque sans respirer. Un instant

    Mondo 25

    plus tard, il y avait eu un drle de cri rauque qui s'taittouff, puis nouveau le silence. Quand les deuxhommes taient revenus, Mondo avait vu qu'ils por-taient quelque chose dans un des sacs. Ils avaientcharg le sac l'arrire de la camionnette, et Mondoavait entendu encore ces cris aigus qui faisaient malaux oreilles. C'tait un chien qu'on avait enferm dansle sac. La camionnette grise tait repartie sans sepresser, avait disparu derrire les arbres du jardin.Quelqu'un qui passait par l avait dit Mondo quec'tait le Ciapacan qui enlve les chiens qui n'ont pasde matre ; il avait regard attentivement Mondo, et ilavait ajout, pour lui faire peur, que la camionnetteemmenait quelquefois aussi les enfants qui se prome-naient au lieu d'aller l'cole. Depuis ce jour, Mondosurveillait tout le temps, sur les cts, et mmederrire lui, pour tre sr de voir venir la camionnettegrise.

    Aux heures o les enfants sortaient de l'cole, ou bienles jours de fte, Mondo savait qu'il n'y avait rien craindre. C'tait quand il y avait peu de monde dansles rues, tt le matin ou la tombe de la nuit, qu'ilfallait faire attention. C'est peut-tre pour cela queMondo trottait un peu de travers, comme les chiens.

    A cette poque-l il avait fait la connaissance duGitan, du Cosaque et de leur vieil ami Dadi. C'taientles noms qu'on leur avait donns, ici dans notre ville,parce qu'on ne savait pas leurs vrais noms. Le Gitann'tait pas gitan, mais on l'appelait comme cela cause de son teint basan, de ses cheveux trs noirs etde son profil d'aigle; mais il devait sans doute sonsurnom au fait qu'il habitait dans une vieille Hotchkissnoire gare sur l'esplanade et qu'il gagnait sa vie enfaisant des tours de prestidigitation. Le Cosaque, lui,c'tait un homme trange, de type mongol, qui tait

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    toujours coiff d'un gros bonnet de fourrure qui luidonnait l'air d'un ours. Il jouait de l'accordon devantles terrasses des cafs, la nuit surtout, parce que dansla journe il tait compltement ivre.

    Mais celui que Mondo prfrait, c'tait le vieux Dadi.Un jour qu'il marchait le long de la plage, il l'avait vuassis par terre sur une feuille de journal. Le vieilhomme se chauffait au soleil sans faire attention auxgens qui passaient devant lui. Mondo avait t intrigupar une petite valise en carton bouilli jaune perce detrous que le vieux Dadi avait pose par terre, ct delui, sur une autre feuille de journal. Dadi avait l'airdoux et tranquille, et Mondo n'avait pas du tout peurde lui. Il s'tait approch pour regarder la valise jaune,et il avait demand Dadi :

    Qu'est-ce qu'il y a dans votre valise ? L'homme avait ouvert un peu les yeux. Sans rien

    dire, il avait pris la valise sur ses genoux et il avaitentrouvert le couvercle. Il souriait d'un air mystrieuxen passant sa main sous le couvercle, puis en sortantun couple de colombes.

    Elles sont trs belles , avait dit Mondo. Com-ment s'appellent-elles ?

    Dadi lissait les plumes des oiseaux, puis les appro-chait de ses joues.

    Lui, c'est Pilou, et elle, c'est Zo. II tenait les colombes dans ses mains, il les caressait

    trs doucement contre son visage. Il regardait au loin,avec ses yeux humides et clairs qui ne voyaient pasbien.

    Mondo avait caress doucement la tte des colom-bes. La lumire du soleil les blouissait, et ellesvoulaient rentrer dans leur valise. Dadi leur parlait voix basse pour les calmer, puis il les enfermait denouveau sous le couvercle.

    Mondo 27

    Elles sont trs belles , avait rpt Mondo. Et iltait parti, tandis que l'homme fermait les yeux etcontinuait dormir assis sur son journal.

    Quand la nuit tombait, Mondo allait voir Dadi surl'esplanade. Il travaillait avec le Gitan et le Cosaquepour la reprsentation publique, c'est--dire qu'il taitassis un peu l'cart avec sa valise jaune pendant quele Gitan jouait du banjo et que le Cosaque parlait avecsa grosse voix pour attirer les badauds. Le Gitan jouaitvite, en regardant bouger ses doigts, et en chanton-nant. Son visage sombre brillait dans la lumire desrverbres.

    Mondo se mettait au premier rang des spectateurs,et il saluait Dadi. Maintenant, le Gitan commenait lareprsentation. Debout devant les spectateurs, il sor-tait des mouchoirs de toutes les couleurs de son poingferm, avec une rapidit incroyable. Les mouchoirslgers tombaient par terre, et Mondo devait les ramas-ser au fur et mesure. C'tait son travail. Puis le Gitansortait toutes sortes d'objets bizarres de sa main, descls, des bagues, des crayons, des images, des balles deping-pong et mme des cigarettes allumes qu'il distri-buait aux gens. Il faisait cela si vite qu'on n'avait pas letemps de voir bouger ses mains. Les gens riaient etapplaudissaient, et les pices de monnaie commen-aient tomber par terre.

    Petit, aide-nous ramasser les pices , disait leCosaque.

    Les mains du Gitan prenaient un uf, l'envelop-paient dans un mouchoir rouge, puis s'arrtaient uneseconde.

    At... tention ! Les mains frappaient l'une contre l'autre. Quand

    elles dnouaient le mouchoir, l'uf avait disparu. Lesgens applaudissaient encore plus fort, et Mondo

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    ramassait d'autres pices qu'il mettait dans une botede fer.

    Quand il n'y avait plus de pices, Mondo s'asseyaitsur ses talons et regardait nouveau les mains duGitan. Elles bougeaient vite, comme si elles taientindpendantes. Le Gitan sortait d'autres ufs de samain ferme, puis les faisait disparatre entre sesmains, d'un coup. A chaque fois qu'un uf allaitdisparatre, il regardait Mondo en faisant un clin d'il.

    Hop ! Hop ! Mais ce que le Gitan savait faire de plus beau, c'est

    quand il prenait deux ufs trs blancs qui venaientdans ses mains sans qu'on comprenne comment ; il lesenveloppait dans deux grands mouchoirs rouge etjaune, puis il levait ses bras en l'air et restait unmoment sans bouger. Tout le monde le regardait alorsen retenant son souffle.

    At... tention! Le Gitan baissait les bras en dpliant les mouchoirs,

    et deux colombes blanches sortaient des mouchoirs etvolaient au-dessus de sa tte avant d'aller se perchersur les paules du vieux Dadi.

    Les gens criaient : Oh! et ils applaudissaient trs fort et jetaient une grosse

    pluie de pices.Quand la reprsentation tait finie, le Gitan allait

    acheter des sandwiches et de la bire, et tout le mondeallait s'asseoir sur le marchepied de la vieille Hot-chkiss noire.

    Tu m'as bien aid, petit , disait le Gitan Mondo.Le Cosaque buvait la bire et s'exclamait trs fort : C'est ton fils, Gitan ? Non, c'est mon ami Mondo. Alors, ta sant, mon ami Mondo !

    Mondo 29

    Il tait dj un peu ivre. Est-ce que tu sais jouer de la musique ? Non monsieur , disait Mondo.Le Cosaque clatait de rire. Non monsieur ! Non monsieur ! Il rptait a en

    criant, mais Mondo ne comprenait pas ce qui le faisaitrire.

    Ensuite le Cosaque prenait son petit accordon et ilcommenait jouer. Ce n'tait pas vraiment de lamusique qu'il faisait, c'tait une suite de sons trangeset monotones, qui descendaient et montaient, tanttvite, tantt doucement. Le Cosaque jouait en frappantdu pied sur le sol, et il chantait avec sa voix grave enrptant tout le temps les mmes syllabes.

    Ay, ay, yaya, yaya, ayaya, yaya, ayaya, yaya, ay,ay ! Il chantait et jouait de l'accordon, en se balan-ant, et Mondo pensait qu'il avait vraiment l'air d'ungros ours.

    Les gens qui passaient s'arrtaient un instant pour leregarder, ils riaient un peu et continuaient leurchemin.

    Plus tard, quand la nuit tait tout fait noire, leCosaque cessait de jouer, et il s'asseyait sur le marche-pied de la Hotchkiss ct du Gitan. Ils allumaient descigarettes de tabac noir qui sentait fort et ils parlaienten buvant d'autres canettes de bire. Ils parlaient dechoses lointaines que Mondo ne comprenait pas bien,des souvenirs de guerre et de voyage. Quelquefois levieux Dadi parlait aussi, et Mondo coutait ses paroles,parce qu'il tait surtout question d'oiseaux, de colom-bes et de pigeons voyageurs. Dadi racontait avec savoix douce, un peu essouffle, les histoires de cesoiseaux qui volaient longtemps au-dessus de la campa-gne, quand la terre glissait sous eux avec ses rivires enmandres, les petits arbres plants le long des routes

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    pareilles des rubans noirs, les maisons aux toitsrouges et gris, les fermes entoures de champs detoutes les couleurs, les prairies, les collines, les monta-gnes qui ressemblaient des tas de cailloux. Le petithomme racontait aussi comment les oiseaux reve-naient toujours vers leur maison, en lisant sur lepaysage comme sur une carte, ou bien en naviguantaux toiles, comme les marins et les aviateurs. Lesmaisons des oiseaux taient semblables des tours,mais il n'y avait pas de porte, simplement des fentrestroites juste sous le toit. Quand il faisait chaud, onentendait les roucoulements qui montaient des tours,et on savait que les oiseaux taient revenus.

    Mondo coutait la voix de Dadi, il voyait la braisedes cigarettes qui luisait dans la nuit. Autour del'esplanade, les autos roulaient en faisant un bruitdoux comme l'eau, et les lumires des maisons s'tei-gnaient une une. Il tait trs tard, et Mondo sentait savue qui se brouillait parce qu'il allait s'endormir. Alorsle Gitan l'envoyait se coucher sur la banquette arrirede la Hotchkiss, et c'est l qu'il passait la nuit. Le vieuxDadi rentrait chez lui, mais le Gitan et le Cosaque nedormaient pas. Ils restaient assis sur le marchepied dela voiture, jusqu'au matin, comme cela, boire, fumer, et parler.

    Mondo aimait bien faire ceci : il s'asseyait sur laplage, les bras autour de ses genoux, et il regardait lesoleil se lever. A quatre heures cinquante le ciel taitpur et gris, avec seulement quelques nuages de vapeurau-dessus de la mer. Le soleil n'apparaissait pas toutde suite, mais Mondo sentait son arrive, de l'autrect de l'horizon, quand il montait lentement commeune flamme qui s'allume. Il y avait d'abord uneaurole ple qui largissait sa tache dans l'air, et onsentait au fond de soi cette vibration bizarre qui faisaittrembler l'horizon, comme s'il y avait un effort. Alorsle disque apparaissait au-dessus de l'eau, jetait unfaisceau de lumire droit dans les yeux, et la mer et laterre semblaient de la mme couleur. Un instant aprsvenaient les premires couleurs, les premires ombres.Mais les rverbres de la ville restaient allums, avecleur lumire ple et fatigue, parce qu'on n'tait pasencore trs sr que le jour commenait.

    Mondo regardait le soleil qui montait au-dessus de lamer. Il chantonnait pour lui tout seul, en balanant satte et son buste, il rptait le chant du Cosaque : Ayaya, yaya, yayaya, yaya... II n'y avait personne sur la plage, seulement quel-

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    ques mouettes qui flottaient sur la mer. L'eau tait trstransparente, grise, bleue et rose, et les cailloux taienttrs blancs.

    Mondo pensait au jour qui se levait aussi dans lamer, pour les poissons et pour les crabes. Peut-trequ'au fond de l'eau, tout devenait rose et clair comme la surface de la terre ? Les poissons se rveillaient etbougeaient lentement sous leur ciel pareil un miroir,ils taient heureux au milieu des milliers de soleils quidansaient, et les hippocampes montaient le long destiges d'algues pour mieux voir la lumire nouvelle.Mme les coquilles entrouvraient leurs valves pourlaisser entrer le jour. Mondo pensait beaucoup eux, etil regardait les vagues lentes qui tombaient sur lescailloux de la plage en allumant des tincelles.

    Quand le soleil tait un peu plus haut, Mondo semettait debout, parce qu'il avait froid. Il tait seshabits. L'eau de la mer tait plus douce et plus tideque l'air, et Mondo se plongeait jusqu'au cou. Ilpenchait son visage, il ouvrait ses yeux dans l'eau pourvoir le fond. Il entendait le crissement fragile desvagues qui dferlaient, et cela faisait une musiquequ'on ne connat pas sur la terre.

    Mondo restait longtemps dans l'eau, jusqu' ce queses doigts deviennent blancs et que ses jambes semettent trembler. Alors il retournait s'asseoir sur laplage, le dos contre le mur de soutien de la route, et ilattendait les yeux ferms que la chaleur du soleilenveloppe son corps.

    Au-dessus de la ville, les collines semblaient plusproches. La belle lumire clairait les arbres et lesfaades blanches des villas, et Mondo disait encore :

    Il faudra que j'aille voir a. Puis il se rhabillait et quittait la plage.C'tait un jour de fte, et il n'y avait rien craindre

    Mondo 33

    du Ciapacan. Les jours de fte, les chiens et les enfantspouvaient vagabonder librement dans les rues.

    L'ennui, c'est que tout tait ferm. Les marchands nevenaient pas vendre leurs lgumes, les boulangeriesavaient leur rideau de fer baiss. Mondo avait faim. Enpassant devant la boutique d'un glacier qui s'appelaitLa Boule de Neige, il avait achet un cornet de glace la vanille, et il la mangeait en marchant dans les rues.

    Maintenant, le soleil clairait bien les trottoirs. Maisles gens ne se montraient pas. Ils devaient tre fati-gus. De temps en temps, quelqu'un venait, et Mondole saluait, mais on le regardait avec tonnement parcequ'il avait les cheveux et les cils blanchis par le sel et levisage bruni par le soleil. Peut-tre que les gens leprenaient pour un mendiant.

    Mondo regardait les vitrines des magasins enlchant sa glace. Au fond d'une vitrine o la lumiretait allume, il y avait un grand lit en bois rouge, avecdes draps et un oreiller fleurs, comme si quelqu'unallait s'y coucher et dormir. Un peu plus loin, il y avaitune vitrine remplie de cuisinires trs blanches, et unertissoire o tournait lentement un poulet en carton.Tout cela tait bizarre. Sous la porte d'un magasin,Mondo avait trouv un journal illustr, et il s'taitassis sur un banc pour le lire.

    Le journal racontait une histoire avec des photos encouleurs qui montraient une belle femme blonde entrain de faire la cuisine et de jouer avec ses enfants.C'tait une longue histoire, et Mondo la lisait hautevoix, en approchant les photos de ses yeux pour que lescouleurs se mlangent.

    Le garon s'appelle Jacques et la fille s'appelleCamille. Leur maman est dans la cuisine et elle faittoutes sortes de bonnes choses manger, du pain, dupoulet rti, des gteaux. Elle leur a demand : qu'est-

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    ce que vous voulez manger de bon aujourd'hui ? Fais-nous une grande tarte aux fraises, s'il te plat, a ditJacques. Mais leur maman a dit qu'il n'y avait pas defraises, il n'y avait que des pommes. Alors Camille etJacques ont pel les pommes et les ont coupes enpetits morceaux, et leur maman a fait la tarte. Elle faitcuire la tarte dans le four. a sent trs bon dans toutela maison. Quand la tarte est cuite, leur maman la metsur la table et la coupe en tranches. Jacques et Camillemangent la bonne tarte en buvant du chocolat chaud.Ensuite ils disent : jamais on n'avait mang une tarteaussi bonne !

    Quand Mondo avait fini de lire l'histoire, il cachait lejournal illustr dans un buisson du jardin, pour larelire plus tard. Il aurait bien voulu acheter un autreillustr, une histoire d'Akim dans la jungle, par exem-ple, mais le marchand de journaux tait ferm.

    Au centre du jardin, il y avait un retrait des Postesqui dormait sur un banc. ct du retrait, sur le banc,il y avait un journal dpli et un chapeau.

    Quand le soleil montait dans le ciel, la lumire taitplus douce. Les autos commenaient circuler dans lesrues en klaxonnant. A l'autre bout du jardin, prs de lasortie, un petit garon jouait avec un tricycle rouge.Mondo s'arrtait ct de lui.

    Il est toi ? demandait-il. Oui , disait le petit garon. Tu me le prtes ? Le petit garon serrait le guidon de toutes ses forces. Non ! Non ! Va-t'en ! Comment il s'appelle, ton vlo ? Le petit garon baissait la tte sans rpondre, puis il

    disait trs vite : Mini. Il est trs beau , disait Mondo.

    Mondo 35

    Il regardait encore un peu le tricycle, le cadre peinten rouge, la selle noire, le guidon et les garde-bouechroms. Il faisait marcher la sonnette une ou deuxfois, mais le petit garon l'cartait et s'en allait enpdalant.

    Sur la place du march, il n'y avait pas grandmonde. Les gens allaient la messe par petits groupes,ou bien se promenaient vers la mer. C'tait les jours defte que Mondo aurait bien voulu rencontrer quelqu'unpour lui demander :

    Est-ce que vous voulez m'adopter ? Mais peut-tre que ces jours-l, personne ne l'aurait

    entendu.Mondo entrait dans les halls des immeubles, au

    hasard. Il s'arrtait pour regarder les botes aux lettresvides, et les tableaux d'incendie. Il pressait sur lebouton de la minuterie, et il coutait un instant le tic-tac, jusqu' ce que la lumire s'teigne. Au fond duhall, il y avait les premires marches des escaliers, larampe de bois cir, et un grand miroir terne encadrpar des statues de pltre. Mondo avait envie de faire untour en ascenseur, mais il n'osait pas, parce que c'estdfendu de laisser les enfants jouer avec l'ascenseur.

    Une jeune femme entrait dans l'immeuble. Elle taitbelle, avec des cheveux chtains onduls et une robeclaire qui bruissait autour d'elle. Elle sentait bon.

    Mondo tait sorti de l'encoignure de la porte, et elleavait sursaut.

    Qu'est-ce que tu veux ? Est-ce que je peux monter dans l'ascenseur avec

    vous ? La jeune femme souriait gentiment. Bien sr, voyons ! Viens ! L'ascenseur bougeait un peu sous les pieds comme

    un bateau.

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    O est-ce que tu vas ? Tout fait en haut. Au sixime ? Moi aussi. L'ascenseur montait doucement. Mondo regardait

    travers les vitres les plafonds qui reculaient. Les portesvibraient, et chaque tage on entendait un drle declaquement. On entendait aussi les cbles siffler dansla cage de l'ascenseur.

    Tu habites ici ? La jeune femme regardait Mondo avec curiosit. Non madame. Tu vas voir des amis ? Non madame, je me promne. Ah? La jeune femme regardait toujours Mondo. Elle

    avait de grands yeux calmes et doux, un peu humides.Elle avait ouvert son sac main et elle avait donn Mondo un bonbon envelopp dans du papier transpa-rent.

    Mondo regardait les tages passer trs lentement. C'est haut, comme en avion , disait Mondo. Tu es dj all en avion ? Oh non, madame, pas encore. a doit tre bien. La jeune femme riait un peu. a va plus vite que l'ascenseur, tu sais ! a va plus haut aussi ! Oui, beaucoup plus haut ! L'ascenseur tait arriv avec un gmissement, et une

    secousse. La jeune femme sortait. Tu descends ? Non , disait Mondo ; je vais retourner en bas

    tout de suite. Ah oui ? Comme tu veux. Pour redescendre, tu

    appuies sur l'avant-dernier bouton, l. Fais attention

    Mondo 37

    ne pas toucher au bouton rouge, c'est la sonnetted'alarme.

    Avant de refermer la porte, elle souriait encore. Bon voyage ! Au revoir ! disait Mondo.Quand il tait sorti de l'immeuble, Mondo avait vu

    que le soleil tait haut dans le ciel, presque sa placede midi. Les journes passaient vite, du matin jusqu'ausoir. Si on n'y prenait pas garde, elles s'en allaient plusvite encore. C'est pour cela que les gens taienttoujours si presss. Ils se dpchaient de faire tout cequ'ils avaient faire avant que le soleil ne redescende.

    A midi, les gens marchaient grandes enjambesdans les rues de la ville. Ils sortaient des maisons,montaient dans les autos, claquaient les portires.Mondo aurait bien voulu leur dire : Attendez ! Atten-dez-moi ! Mais personne ne faisait attention lui.

    Comme son cur battait trop vite et trop fort, luiaussi, Mondo s'arrtait dans les coins. Il restait immo-bile, les bras croiss, et il regardait la foule quiavanait dans la rue. Ils n'avaient plus l'air fatigucomme au matin. Ils marchaient vite, en faisant dubruit avec leurs pieds, en parlant et en riant trs fort.

    Au milieu d'eux, une vieille femme progressait lente-ment sur le trottoir, le dos courb, sans voir personne.Son sac provisions tait rempli de nourriture, et ilpesait si lourd qu'il touchait le sol chaque pas.Mondo s'approchait d'elle et l'aidait porter son sac. Ilentendait la respiration de la vieille femme qui souf-flait un peu derrire lui.

    La vieille femme s'tait arrte devant la porte d'unimmeuble gris, et Mondo avait mont l'escalier avecelle. Il pensait que la vieille femme tait peut-tre sagrand-mre, ou bien sa tante, mais il ne lui parlait pas,parce qu'elle tait un peu sourde. La vieille femme

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    avait ouvert une porte, au quatrime tage, et elle taitalle dans sa cuisine pour couper une tranche de paind'pice rassis. Elle l'avait donne Mondo, et il avaitvu que sa main tremblait beaucoup. Sa voix aussitremblait quand elle avait dit :

    Dieu te bnisse. Un peu plus loin, dans la rue, Mondo sentait qu'il

    devenait trs petit. Il marchait au ras du mur, et lesgens autour de lui devenaient hauts comme des arbres,avec des visages lointains, comme les balcons desimmeubles. Mondo se faufilait parmi tous ces gants,qui faisaient des enjambes considrables. Il vitaitdes femmes hautes comme des tours d'glise, vtuesd'immenses robes pois, et des hommes larges commedes falaises, vtus de complets bleus et de chemisesblanches. C'tait peut-tre la lumire du jour quicausait cela, la lumire qui agrandit les choses etraccourcit les ombres. Mondo se glissait au milieud'eux, et seuls ceux qui regardent vers le bas pouvaientle voir. Il n'avait pas peur, sauf de temps en temps pourtraverser les rues. Mais il cherchait quelqu'un, partoutdans la ville, dans les jardins, sur la plage. Il ne savaitpas trs bien qui il cherchait, ni pourquoi, maisquelqu'un, comme cela, simplement pour lui dire trsvite et tout de suite aprs lire la rponse dans ses yeux :

    Est-ce que vous voulez bien m'adopter ?

    C'est environ cette poque-l que Mondo avaitrencontr Thi Chin, quand les journes taient belles etles nuits longues et chaudes. Mondo tait sorti de sacachette du soir, la base de la digue. Le vent tidesoufflait de la terre, le vent sec qui rend les cheveuxlectriques et fait brler les forts de chnes-liges. Surles collines, au-dessus de la ville, Mondo voyait unegrande fume blanche qui s'talait dans le ciel.

    Mondo avait regard un moment les collines clai-res par le soleil, et il avait pris le chemin qui conduitvers elles. C'tait un chemin sinueux, qui se transfor-mait de loin en loin en escaliers avec de larges marchesde ciment quadrill. De chaque ct du chemin, il yavait des caniveaux remplis de feuilles mortes et debouts de papier.

    Mondo aimait bien monter les escaliers. Ils zigza-guaient travers la colline, sans se presser, commes'ils allaient nulle part. Tout le long du chemin, il yavait de hauts murs de pierre surmonts de tessons debouteille, de sorte qu'on ne savait pas o on tait.Mondo montait lentement les marches en regardants'il n'y avait rien d'intressant dans les caniveaux.

  • 40 Mondo

    Quelquefois on trouvait une pice de monnaie, un clourouill, une image, ou un fruit bizarre.

    Plus on montait, plus la ville devenait plate, avectous les rectangles des immeubles et les lignes droitesdes rues o bougeaient les autos rouges et bleues. Lamer aussi devenait plate, sous la colline, elle brillaitcomme une plaque de fer-blanc. Mondo se retournaitde temps en temps pour regarder tout cela entre lesbranches des arbres et par-dessus les murs des villas.

    Il n'y avait personne dans les escaliers, sauf une fois,un gros chat tigr tapi dans le caniveau, qui mangeaitdes restes de viande dans une bote de conserverouille. Le chat s'tait aplati, les oreilles rabattues, etil avait regard Mondo avec ses pupilles arrondiesdans ses yeux jaunes.

    Mondo tait pass ct de lui sans rien dire. Il avaitsenti les pupilles noires qui continuaient le regarder,jusqu' ce qu'il ait tourn au virage.

    Mondo montait sans faire de bruit. Il posait ses piedstrs doucement, en vitant les brindilles et les graines,il glissait trs silencieusement, comme une ombre.

    Cet escalier n'tait pas trs raisonnable. Tantt iltait raide, avec de petites marches courtes et hautesqui essoufflaient. Tantt il tait paresseux, il s'tiraitlentement entre les proprits et les terrains vagues.Parfois mme il avait l'air de vouloir redescendre.

    Mondo n'tait pas press. Il avanait en zigzaguantlui aussi, d'un mur l'autre. Il s'arrtait pour regarderdans les caniveaux, ou pour arracher des feuilles auxarbres. Il prenait une feuille de poivrier et il l'crasaitentre ses doigts pour sentir l'odeur qui pique le nez etles yeux. Il cueillait les fleurs du chvrefeuille et ilsuait la petite goutte sucre qui perle sa base ducalice. Ou bien il faisait de la musique avec une lamed'herbe presse contre ses lvres.

    Mondo 41

    Mondo aimait bien marcher ici, tout seul, traversla colline. A mesure qu'il montait, la lumire du soleildevenait de plus en plus jaune, douce, comme si ellesortait des feuilles des plantes et des pierres des vieuxmurs. La lumire avait imprgn la terre pendant lejour, et maintenant elle sortait, elle rpandait sachaleur, elle gonflait ses nuages.

    Il n'y avait personne sur la colline. C'tait sans doute cause de la fin de l'aprs-midi, et aussi parce que cequartier-l tait un peu abandonn. Les villas taientenfouies dans les arbres, elles n'taient pas tristes,mais elles avaient l'air de somnoler, avec leurs grillesrouilles et leurs volets caills qui fermaient mal.

    Mondo coutait les bruits des oiseaux dans lesarbres, les craquements lgers des branches dans levent. Il y avait surtout le bruit d'un criquet, unsifflement strident qui se dplaait sans cesse etsemblait avancer en mme temps que Mondo. Parinstants, il s'loignait un peu, puis il revenait, si procheque Mondo se retournait pour essayer de voir l'insecte.Mais le bruit repartait, et reparaissait devant lui, oubien au-dessus, au sommet du mur. Mondo l'appelait son tour, en sifflant dans la feuille d'herbe. Mais lecriquet ne se montrait pas. Il prfrait rester cach.

    Tout fait en haut de la colline, cause de lachaleur, les nuages taient apparus. Ils voguaienttranquillement vers le nord et, quand ils passaient prsdu soleil, Mondo sentait l'ombre sur son visage. Lescouleurs changeaient, bougeaient, la lumire jaunes'allumait, s'teignait.

    a faisait longtemps que Mondo avait envie d'allerjusqu'en haut de la colline. Il l'avait regarde souvent,de ses cachettes au bord de la mer, avec tous ses arbreset sa belle lumire qui brillait sur les faades des villaset rayonnait dans le ciel comme une aurole. C'tait

  • 42 Mondo

    pour cela qu'il voulait monter sur la colline, parce quele chemin d'escaliers semblait conduire vers le ciel etla lumire. C'tait vraiment une belle colline, juste au-dessus de la mer, tout prs des nuages, et Mondo l'avaitregarde longtemps, le matin, quand elle tait encoregrise et lointaine, le soir, et mme la nuit quand ellescintillait de toutes les lumires lectriques. Mainte-nant il tait content de grimper sur elle.

    Dans les tas de feuilles mortes, le long des murs, lessalamandres s'enfuyaient. Mondo essayait de les sur-prendre, en s'approchant sans bruit ; mais elles l'en-tendaient quand mme, et elles couraient se cacherdans les fissures.

    Mondo appelait un peu les salamandres, en sifflantentre ses dents. Il aurait bien aim avoir une salaman-dre. Il pensait qu'il pourrait l'apprivoiser et la mettredans la poche de son pantalon pour se promener. Ilattraperait des mouches pour lui donner manger et,quand il s'assirait au soleil, sur la plage, ou dans lesrochers de la digue, elle sortirait de sa poche etmonterait sur son paule. Elle resterait l sans bouger,en faisant palpiter sa gorge, parce que c'est commecela que les salamandres ronronnent.

    Puis Mondo tait arriv devant la porte de la Maisonde la Lumire d'Or. Mondo l'avait appele comme celala premire fois qu'il y tait entr, et depuis ce nom estrest. C'tait une belle maison ancienne, de typeitalien, recouverte de pltre jaune-orange, avec dehautes fentres aux volets dglingus et une vignevierge qui envahissait le perron. Autour de la maison,il y avait un jardin pas trs grand, mais tellementenvahi de ronces et de mauvaises herbes qu'on n'envoyait pas les limites. Mondo avait pouss la porte defer, et il avait march sur l'alle de gravier qui menait la maison, sans faire de bruit. La maison jaune tait

    Mondo 43

    simple, sans ornements de stucs ni mascarons, maisMondo pensait qu'il n'avait jamais vu une maisonaussi belle.

    Dans le jardin en dsordre, devant la maison, il yavait deux beaux palmiers qui s'levaient au-dessus dutoit et, quand le vent soufflait un peu, leurs palmesgrattaient les gouttires et les tuiles. Autour des pal-miers, les buissons taient pais, sombres, parcouruspar de grandes ronces violettes qui rampaient sur le solcomme des serpents.

    Ce qui tait beau surtout, c'tait la lumire quienveloppait la maison. C'tait pour elle que Mondoavait tout de suite donn ce nom la maison, la Maisonde la Lumire d'Or. La lumire du soleil de la find'aprs-midi avait une couleur trs douce et calme,une couleur chaude comme les feuilles de l'automne oucomme le sable, qui vous baignait et vous enivrait.Tandis qu'il avanait lentement sur le chemin degravier, Mondo sentait la lumire qui caressait sonvisage. Il avait envie de dormir, et son cur battait auralenti. Il respirait peine.

    Le chant du criquet rsonnait nouveau avec force,comme s'il sortait des buissons du jardin. Mondos'arrtait pour l'couter, puis il marchait lentementvers la maison, prt s'enfuir au cas o serait venu unchien. Mais il n'y avait personne. Autour de lui, lesplantes du jardin taient immobiles, leurs feuillestaient lourdes de chaleur.

    Mondo entrait dans les broussailles. A quatre pattes,il se glissait sous les branches des arbustes, il cartaitles ronces. Il s'installait dans une cachette, sous lecouvert des buissons, et, de l, il contemplait la maisonjaune.

    La lumire dclinait presque imperceptiblement surla faade de la maison. Il n'y avait pas un bruit, sauf la

  • 44 Mondo

    voix du criquet et le murmure aigu des moustiques quidansaient autour des cheveux de Mondo. Assis parterre, sous les feuilles d'un laurier, Mondo regardaitfixement la porte de la maison, et les marches del'escalier en demi-lune qui conduisait au perron.L'herbe poussait la jointure des marches. Au boutd'un moment, Mondo s'tait couch en chien de fusilsur la terre, la tte appuye sur son coude.

    C'tait bien de dormir comme cela, au pied del'arbre qui sent fort, pas trs loin de la Maison de laLumire d'Or, tout entour de chaleur et de paix, avecla voix stridente du criquet qui allait et venait sanscesse. Quand tu dormais, Mondo, tu n'tais pas l. Tutais parti ailleurs, loin de ton corps. Tu avais laiss toncorps endormi par terre, quelques mtres du cheminde gravier, et tu te promenais ailleurs. C'est cela quitait bizarre. Ton corps restait sur la terre, il respiraittranquillement, le vent poussait les ombres des nuagessur ton visage aux yeux ferms. Les moustiques tigrsdansaient autour de tes joues, les fourmis noiresexploraient tes vtements et tes mains. Tes cheveuxs'agitaient un peu dans le vent du soir. Mais toi, tun'tais pas l. Tu tais ailleurs, parti dans la lumirechaude de la maison, dans l'odeur des feuilles dulaurier, dans l'humidit qui sortait des miettes deterre. Les araignes tremblaient sur leur fil, car c'taitl'heure o elles s'veillaient. Les vieilles salamandresnoires et jaunes se glissaient hors de leurs fissures, surle mur de la maison, et elles restaient te regarder,accroches par leurs pattes aux doigts carts. Tout lemonde te regardait, parce que tu avais les yeux ferms.Et quelque part l'autre bout du jardin, entre unmassif de ronces et un buisson de houx, prs d'un vieuxcyprs dessch, l'insecte-pilote faisait sans se lasser

    Mondo 45

    son bruit de scie, pour te parler, pour t'appeler. Maistoi, tu ne l'entendais pas, tu tais parti au loin.

    Qui es-tu? demandait la voix aigu.Maintenant, devant Mondo, il y avait une femme,

    mais elle tait si petite que Mondo avait cru un instantque c'tait une enfant. Ses cheveux noirs taientcoups en rond autour de son visage, et elle tait vtued'un long tablier bleu-gris.

    Elle souriait. Qui es-tu ? Mondo tait debout, peine plus petit qu'elle. Il

    billait. Tu dormais ? Excusez-moi , dit Mondo. Je suis entr dans

    votre jardin, j'tais un peu fatigu, alors j'ai dormi unpeu. Je vais partir maintenant.

    Pourquoi veux-tu partir tout de suite ? Tu n'aimespas le jardin ?

    Si, il est trs beau , dit Mondo. Il cherchait sur levisage de la petite femme un signe de colre. Mais ellecontinuait sourire. Ses yeux brids avaient uneexpression curieuse, comme les chats. Autour des yeuxet de la bouche, il y avait des rides profondes, et Mondopensait que la femme tait vieille.

    Viens voir la maison aussi , dit-elle.Elle montait le petit escalier en demi-lune et elle

    ouvrait la porte. Viens donc ! Mondo entrait derrire elle. C'tait une grande salle

    presque vide, claire sur les quatre cts par dehautes fentres. Au centre de la salle, il y avait unetable de bois et des chaises, et sur la table un plateaulaqu portant une thire noire et des bols. Mondorestait immobile sur le seuil, regardant la salle et les

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    fentres. Les fentres taient faites de petits carreauxde verre dpoli, et la lumire qui entrait tait encoreplus chaude et dore. Mondo n'avait jamais vu unelumire aussi belle.

    La petite femme tait debout devant la table et elleversait le th dans les bols.

    Est-ce que tu aimes le th ? Oui , dit Mondo. Alors viens t'asseoir ici. Mondo s'asseyait lentement sur le bord de la chaise

    et il buvait. Le breuvage tait couleur d'or aussi, ilbrlait les lvres et la gorge.

    C'est chaud , dit-il.La petite femme buvait une gorge sans bruit. Tu ne m'as pas dit qui tu tais , dit-elle. Sa voix

    tait comme une musique douce. Je suis Mondo , dit Mondo.La petite femme le regardait en souriant. Elle sem-

    blait plus petite encore sur sa chaise. Moi, je suis Thi Chin. Vous tes chinoise ? demandait Mondo. La petite

    femme secouait la tte. Je suis vietnamienne, pas chinoise. C'est loin, votre pays ? Oui, c'est trs trs loin. Mondo buvait le th et sa fatigue s'en allait. Et toi, d'o viens-tu? Tu n'es pas d'ici, n'est-ce

    pas? Mondo ne savait pas trop ce qu'il fallait dire. Non, je ne suis pas d'ici , dit-il. Il cartait les

    mches de ses cheveux en baissant la tte. La petitefemme ne cessait pas de sourire, mais ses yeux troitstaient un peu inquiets soudain.

    Reste encore un instant , dit-elle. Tu ne veuxpas partir tout de suite ?

    Mondo 47

    Je n'aurais pas d entrer dans votre jardin , ditMondo. Mais la porte tait ouverte, et j'tais un peufatigu.

    Tu as bien fait d'entrer , dit simplement Thi Chin. Tu vois, j'avais laiss la porte ouverte pour toi.

    Alors vous saviez que j'allais venir? dit Mondo.Cette ide le rassurait.

    Thi Chin faisait oui de la tte, et elle tendait Mondoune bote de fer-blanc pleine de macarons.

    Tu as faim ? Oui , dit Mondo. Il grignotait le macaron en

    regardant les grandes fentres par o entrait lalumire.

    C'est beau , dit-il. Qu'est-ce qui fait tout cetor?

    C'est la lumire du soleil , dit Thi Chin. Alors vous tes riche ? Thi Chin riait. Cet or-l n'appartient personne. Ils regardaient la belle lumire comme dans un rve. C'est comme cela dans mon pays , disait Thi Chin

    voix basse. Quand le soleil se couche, le ciel devientcomme cela, tout jaune, avec de petits nuages noirstrs lgers, on dirait des plumes d'oiseau.

    La lumire d'or emplissait toute la pice et Mondo sesentait plus calme et plus fort, comme aprs avoir bu leth chaud.

    Tu aimes ma maison ? demandait Thi Chin. Oui madame , disait Mondo. Ses yeux refltaient

    la couleur du soleil. Alors c'est ta maison aussi, quand tu veux. C'est comme cela que Mondo avait fait connaissance

    avec Thi Chin et la Maison de la Lumire d'Or. Il taitrest longtemps dans la grande salle regarder lesfentres. La lumire restait jusqu' ce que le soleil

  • 48 Mondo

    disparaisse compltement derrire les collines. Mme ce moment-l, les murs de la salle taient si impr-gns d'elle que c'tait comme si elle ne pouvait pass'teindre. Puis l'ombre tait venue, et tout taitdevenu gris, les murs, les fentres, les cheveux deMondo. Le froid tait venu aussi. La petite femmes'tait leve pour allumer une lampe, puis elle avaitemmen Mondo dans le jardin pour regarder la nuit.Au-dessus des arbres, les toiles brillaient et il y avaitun mince croissant de lune.

    Cette nuit-l, Mondo avait dormi sur des coussins, aufond de la grande salle. Il avait dormi l les autresnuits aussi, parce qu'il aimait bien cette maison.Quelquefois, quand la nuit tait chaude, il dormaitdans le jardin, sous le laurier, ou sur les marches duperron, devant la porte. Thi Chin ne parlait pasbeaucoup, et c'est peut-tre pour cela qu'il l'aimaitbien. Depuis qu'elle lui avait demand son nom et d'oil venait, la premire fois, elle ne lui posait plus dequestions. Simplement, elle le prenait par la main etelle lui montrait des choses amusantes, dans le jardin,ou dans la maison. Elle lui montrait les cailloux quiont des formes et des dessins bizarres, les feuillesd'arbre aux nervures fines, les graines rouges despalmiers, les petites fleurs blanches et jaunes quipoussent entre les pierres. Elle lui portait dans sa maindes scarabes noirs, des mille-pattes, et Mondo luidonnait en change des coquilles et des plumes demouette qu'il avait trouves au bord de la mer.

    Thi Chin lui donnait manger du riz et un bol delgumes rouges et verts moiti cuits, et toujours duth chaud dans les petits bols blancs. Quelquefois,quand la nuit tait trs noire, Thi Chin prenait un livred'images et elle lui racontait une histoire ancienne.C'tait une longue histoire qui se passait dans un pays

    1

    Mondo 49

    inconnu o il y avait des monuments aux toits pointus,des dragons et des animaux qui savaient parler commeles hommes. L'histoire tait si belle que Mondo nepouvait pas l'entendre jusqu'au bout. Il s'endormait, etla petite femme s'en allait sans faire de bruit, aprsavoir teint la lampe. Elle dormait au premier tage,dans une chambre troite. Le matin, quand elle serveillait, Mondo tait dj parti.

  • Il y avait des feux sur la plupart des collines, parcequ'on approchait de l't. Dans la journe, on voyaitles grandes colonnes de fume blanche qui tachaient leciel, et la nuit il y avait des lueurs rouges inquitantes,comme des braises de cigarette. Mondo regardaitsouvent du ct des incendies, quand il tait sur laplage, ou bien quand il montait le chemin d'escaliersvers la maison de Thi Chin. Un aprs-midi, il taitmme rentr plus tt que d'habitude pour arracher lesmauvaises herbes qui poussaient autour de la maison,et quand Thi Chin lui avait demand ce qu'il faisait, ilavait dit :

    C'est pour que le feu ne puisse pas venir ici. Maintenant qu'il dormait presque toutes les nuits

    dans la Maison de la Lumire d'Or, ou dans le jardin, ilavait moins peur de la camionnette grise du Ciapacan.Il n'allait plus dans les cachettes des rochers, prs de ladigue. Ds que le jour se levait, il partait se baignerdans la mer. Il aimait bien la mer transparente dumatin, le bruit trange des vagues quand on a la ttesous l'eau, et les cris des mouettes dans le ciel. Puis ilallait voir du ct du march, pour dcharger quelques

    Mondo 51

    caisses, et pour glaner les fruits et les lgumes. Il lesrapportait ensuite Thi Chin pour le repas du soir.

    Aprs midi, il allait parler un peu avec le Gitan, quitait assis rver sur le marchepied de sa voiture. Ilsne se disaient pas grand-chose, mais le Gitan avait l'aircontent de le voir. Le Cosaque venait ensuite, avec unebouteille d'alcool. Il tait toujours un peu saoul, et ilcriait avec sa grosse voix :

    H ! Mon ami Mondo ! Il y avait aussi une femme qui venait quelquefois,

    une grosse femme au visage rouge et aux yeux trsclairs, qui savait lire l'avenir dans les mains despassants ; mais Mondo s'en allait quand elle arrivait,parce qu'il ne l'aimait pas.

    Il partait la recherche du vieux Dadi. Ce n'tait pasfacile de le trouver, parce que le vieil homme changeaitsouvent de place. Il tait assis sur les feuilles dejournal, sa petite valise jaune perce de trous ct delui, et les gens qui passaient croyaient qu'il mendiait.En gnral, Mondo le rencontrait sur le parvis desglises, et il s'asseyait ct de lui. Mondo aimait bienquand il parlait, parce qu'il savait beaucoup d'histoi-res sur les pigeons voyageurs et sur les colombes. Ilparlait de leur pays, un pays o il y a beaucoupd'arbres, des fleuves tranquilles, des champs trs vertset un ciel doux. Auprs des maisons, il y a ces tourspointues, couvertes de tuiles rouges et vertes, o viventles colombes et les pigeons. Le vieux Dadi parlait avecsa voix lente, et c'tait comme le vol des oiseaux dansle ciel, qui hsite et tourne en rond autour des villages.Mais il ne parlait de cela personne d'autre.

    Quand Mondo tait assis sur le parvis des glisesavec le vieux Dadi, les gens taient un peu tonns. Ilss'arrtaient pour regarder le petit garon et le vieilhomme avec ses colombes, et ils donnaient davantage

  • 52 Mondo

    de pices parce qu'ils taient mus. Mais Mondo nerestait pas trs longtemps mendier, parce qu'il yavait toujours une ou deux femmes qui n'aimaient pasvoir cela et qui commenaient poser des questions.Et puis il fallait faire attention au Ciapacan. Si lacamionnette grise tait passe ce moment-l, sre-ment les hommes en uniforme seraient sortis et l'au-raient emmen. Ils auraient peut-tre mme emmenle vieux Dadi et ses colombes.

    Un jour, il y avait eu un grand vent, et le Gitan avaitdit Mondo :

    Allons voir la bataille des cerf s-volants. C'tait seulement les dimanches de grand vent que

    les batailles de cerf s-volants avaient lieu. Ils taientarrivs sur la plage de bonne heure, et les enfantstaient dj l avec leurs cerfs-volants. Il y en avait detoutes sortes et de toutes les couleurs, des cerfs-volantsen forme de losange, ou de carr, monoplans oubiplans, sur lesquels taient peintes des ttes d'ani-maux. Mais le plus beau cerf-volant appartenait unhomme d'une cinquantaine d'annes, qui se tenait tout fait au bout de la plage. C'tait comme un grandpapillon jaune et noir aux ailes immenses. Quand ill'avait lanc, tout le monde s'tait arrt de bougerpour regarder. Le grand papillon jaune et noir avaitplan un instant quelques mtres de la mer, puisl'homme avait tir sur le fil et il s'tait cabr. Alors levent s'tait engouffr dans ses ailes et il avait com-menc son ascension. Le cerf-volant montait dans leciel, trs loin au-dessus de la mer. Le vent qui soufflaitfaisait claquer la toile de ses ailes. Sur la plage,l'homme ne bougeait presque pas. Il dvidait la bobinede fil, et son regard tait fix sur le papillon jaune etnoir qui se balanait au-dessus de la mer. De temps entemps, l'homme tirait sur le fil, l'enroulait sur la

    Mondo 53

    bobine, et le cerf-volant montait encore plus haut dansle ciel. Maintenant il tait plus haut que tous lesautres, il planait au-dessus de la plage avec ses ailestendues. Il restait l, il planait sans effort, dans le ventviolent, si loin de la terre qu'on ne voyait plus le fil quile retenait.

    Quand Mondo et le Gitan s'taient approchs,l'homme avait donn la bobine et le fil Mondo.

    Tiens-le bien ! dit-il.Il s'tait assis sur la plage et il avait allum une

    cigarette.Mondo essayait de rsister au vent. Si a tire trop, tu donnes un peu, puis tu reprends

    aprs. A tour de rle, Mondo, le Gitan et l'homme avaient

    tenu le cerf-volant, jusqu' ce que tous les autres,fatigus, retombent dans la mer. Tout le monde avaitla tte renverse en l'air et regardait le grand papillonjaune et noir qui continuait planer. C'tait vraimentle champion des cerfs-volants, il n'y en avait pasd'autre qui sache monter si haut et voler si longtemps.

    Alors, trs lentement, l'homme avait fait descendrele grand papillon, mtre par mtre. Le cerf-volanttanguait dans le vent, et on entendait les dtonationsde l'air dans sa voile, et le sifflement aigu du fil. C'taitle moment le plus dangereux, parce que le fil pouvaitse rompre sous la tension, et l'homme avanait un peuen enroulant la bobine. Quand le cerf-volant avait ttout prs du rivage, l'homme s'tait dplac sur le ct,en tirant d'un seul coup, puis en lchant le fil, et le cerf-volant avait atterri sur les galets, trs lentement,comme un avion.

    Aprs, comme ils taient fatigus, ils taient restsassis sur la plage. Le Gitan avait achet des hot dogs etils avaient mang en regardant la mer. L'homme avait

  • 54 Mondo

    racont Mondo les batailles, sur les plages de Tur-quie, quand on attachait des lames de rasoir auxqueues des cerf s-volants. Quand ils taient trs hautdans le ciel, on les lanait les uns contre les autres,pour essayer de les faire tomber. Les lames de rasoircoupaient les voiles. Une fois, il y avait bien longtemps,il avait mme russi couper le fil d'un cerf-volant quiavait disparu au loin, emport par le vent comme unefeuille morte. Les jours de grand vent, les enfantsfaisaient voler les cerfs-volants par centaines, et le cielbleu tait couvert de taches multicolores.

    a devait tre beau , disait Mondo. Oui, c'tait beau. Mais maintenant les gens ne

    savent plus , disait l'homme. Il se levait et il envelop-pait le grand papillon jaune et noir dans une feuille deplastique.

    La prochaine fois, je t'apprendrai comment on faitun vrai cerf-volant , disait l'homme. Au mois deseptembre, c'est la bonne saison, et tu peux faire volerton cerf-volant comme un oiseau, presque sans letoucher.

    Mondo pensait qu'il ferait le sien tout blanc, commeune mouette.

    Il y avait aussi quelqu'un que Mondo aimait bienaller voir, de temps en temps. C'tait un bateau quis'appelait Oxyton. La premire fois qu'il l'avait rencon-tr, c'tait l'aprs-midi, vers deux heures, quand lesoleil frappait sur l'eau du port. Le bateau tait amarrau quai, au milieu des autres bateaux, et il se dandinaitsur l'eau. Ce n'tait pas du tout un grand bateau,comme tous ceux qui ont des proues comme des nez derequin et qui portent de grandes voiles blanches. Non,Oxyton, c'tait simplement une barque avec un grosventre et un mt court l'avant, mais Mondo l'avait

    Mondo 55trouv bien sympathique. Il avait demand son nom quelqu'un qui travaillait sur le port, et le nom aussi luiavait plu.

    Alors, il venait le voir souvent, quand il tait dans lesenvirons. Il s'arrtait sur le bord du quai, et il rptaitson nom voix haute, en chantant un peu :

    Oxyton ! Oxyton ! Le bateau tirait sur son amarre, revenait cogner

    contre le quai, repartait. Sa coque tait bleu et rouge,avec un lisr blanc. Mondo s'asseyait sur le quai, ct de l'anneau d'amarrage, et il regardait Oxyton enmangeant une orange. Il regardait aussi les reflets dusoleil dans l'eau, les vagues molles qui faisaient bougerla coque. Oxyton avait l'air de s'ennuyer, parce quepersonne ne le sortait jamais. Alors Mondo sautaitdans le bateau. Il s'asseyait sur la banquette de bois, la poupe, et il attendait, en sentant les mouvementsdes vagues. Le bateau bougeait doucement, tournaitun peu, s'loignait, faisait grincer son amarre. Mondoaurait bien voulu partir avec lui, au hasard, sur la mer.En passant devant la digue, il aurait dit Giordan lePcheur de monter bord, et ils seraient partisensemble sur la mer Rouge.

    Mondo restait longtemps assis l'arrire de labarque, regarder les reflets du soleil et les bancs depoissons minuscules qui avanaient en vibrant. Quel-quefois il chantonnait une chanson pour le bateau, unechanson qu'il avait invente pour lui :

    Oxyton, Oxyton, Oxyton,On va s'en aller-er-erOn s'en va pcherOn s'en va pcherLes sardines, les crevettes et les thons ! Ensuite Mondo marchait un peu sur les quais, du

    ct des cargos, parce qu'il avait aussi une amie grue.

  • 56 Mondo

    Il y avait beaucoup de choses voir, partout, dans lesrues, sur la plage, et dans les terrains vagues. Mondon'aimait pas tellement les endroits o il y avaitbeaucoup de gens. Il prfrait les espaces ouverts, l oon voit loin, les esplanades, les jetes qui avancent aumilieu de la mer, les avenues droites o roulent lescamions-citernes. C'tait dans ces endroits-l qu'ilpouvait trouver des gens qui parler, pour leur diresimplement :

    Est-ce que vous voulez m'adopter ? C'taient des gens un peu rveurs, qui marchaient les

    mains derrire leur dos en pensant autre chose. Il yavait des astronomes, des professeurs d'histoire, desmusiciens, des douaniers. Il y avait quelquefois unpeintre du dimanche, qui peignait des bateaux, desarbres, ou des couchers de soleil, assis sur un strapon-tin. Mondo restait un moment ct de lui, regarderle tableau. Le peintre se retournait et disait :

    a te plat ? Mondo faisait oui de la tte. Il montrait un homme et

    un chien qui marchaient sur le quai, au loin. Et eux, vous allez les dessiner aussi ? Si tu veux , disait le peintre. Avec son pinceau le

    plus fin, il mettait sur la toile une petite silhouettenoire qui ressemblait plutt un insecte. Mondorflchissait un peu, et il disait :

    Vous savez dessiner le ciel ? Le peintre s'arrtait de peindre et le regardait avec

    tonnement. Le ciel ? Oui, le ciel, avec les nuages, le soleil. Ce serait

    bien. Le peintre n'avait jamais pens cela. Il regardait le

    ciel au-dessus de lui, et il riait.

    Mondo 57

    Tu as raison, le prochain tableau que je ferai, cesera rien que le ciel.

    Avec les nuages et le soleil ? Oui, avec tous les nuages, et le soleil qui claire. a sera beau , approuvait Mondo. Je voudrais

    bien le voir tout de suite. Le peintre regardait en l'air. Je commencerai demain matin. J'espre qu'il fera

    beau. Oui, il fera beau demain, et le ciel sera encore plus

    beau qu'aujourd'hui , disait Mondo, parce qu'il savaitun peu prdire le temps.

    Il y avait aussi le rempailleur de chaises. Mondoallait souvent voir le rempailleur de chaises l'aprs-midi. Il travaillait dans la cour d'un vieil immeuble,avec son petit-fils qui s'appelait Pipo assis ct de luiet envelopp dans un grand veston. Mondo aimait bienvoir travailler le rempailleur de chaises, parce quec'tait un homme vieux mais qui savait faire bougerses doigts trs vite pour entrelacer et nouer les brins depaille. Son petit-fils restait immobile ct de lui, avecce veston qui le couvrait comme un pardessus, etMondo s'amusait un peu avec lui. Il lui apportait deschoses qu'il avait trouves en marchant, des galetsbizarres de la plage, des touffes d'algues, des coquillesde moules, ou bien des poignes de jolis tessons verts etbleus polis par la mer. Pipo prenait les cailloux et il lesregardait longtemps, puis il les mettait dans les pochesdu veston. Il ne savait pas parler, mais Mondo l'aimaitbien parce qu'il restait assis prs de son grand-presans bouger, envelopp dans le veston gris qui descen-dait jusqu' ses pieds et qui couvrait ses mains commeles vtements des Chinois. Mondo aimait bien ceux quisavent rester assis au soleil sans bouger et sans parleret qui ont des yeux un peu rveurs.

  • 58 Mondo

    Mondo connaissait beaucoup de gens, ici, dans cetteville, mais il n'avait pas tellement d'amis. Ceux qu'ilaimait rencontrer, c'taient ceux qui ont un beauregard brillant et qui sourient quand ils vous voientcomme s'ils taient heureux de vous rencontrer. AlorsMondo s'arrtait, il leur parlait un peu, il leur posaitquelques questions, sur la mer, le ciel ou sur lesoiseaux, et quand les gens s'en allaient ils taient touttransforms. Mondo ne leur demandait pas des chosestrs difficiles, mais c'taient des choses que les gensavaient oublies, auxquelles ils avaient cess de penserdepuis des annes, comme par exemple pourquoi lesbouteilles sont vertes, ou pourquoi il y a des toilesfilantes. C'tait comme si les gens avaient attendulongtemps une parole, juste quelques mots, commecela, au coin de la rue, et que Mondo savait dire cesmots-l.

    C'taient les questions aussi. La plupart des gens nesavent pas poser les bonnes questions. Mondo savaitposer les questions, juste quand il fallait, quand on nes'y attendait pas. Les gens s'arrtaient quelques secon-des, ils cessaient de penser eux et leurs affaires, ilsrflchissaient, et leurs yeux devenaient un peu trou-bles, parce qu'ils se souvenaient d'avoir demand celaautrefois.

    Il y avait quelqu'un que Mondo aimait bien rencon-trer. C'tait un homme jeune, assez grand et fort, avecun visage trs rouge et des yeux bleus. Il tait habilld'un uniforme bleu fonc et il portait une grosse besacede cuir remplie de lettres. Mondo le rencontrait sou-vent, le matin, dans le chemin d'escaliers qui montait travers la colline. La premire fois que Mondo lui avaitdemand :

    Est-ce que vous avez une lettre pour moi ? Le gros homme avait ri. Mais Mondo le croisait

    Mondo 59

    chaque jour, et chaque jour il allait vers lui et luiposait la mme question :

    Et aujourd'hui ? Est-ce que vous avez une lettrepour moi ?

    Alors l'homme ouvrait sa besace et cherchait. Voyons, voyons... C'est comment ton nom, dj ? Mondo , disait Mondo. Mondo... Mondo... Non, pas de lettre aujour-

    d'hui. Quelquefois tout de mme, il sortait de sa besace un

    petit journal imprim, ou bien une rclame et il lestendait Mondo.

    Tiens, aujourd'hui, il y a a qui est arriv pourtoi.

    Il lui faisait un clin d'il et il continuait son chemin.Un jour, Mondo avait trs envie d'crire des lettres,

    et il avait dcid de chercher quelqu'un pour luiapprendre lire et crire. Il avait march dans lesrues de la ville, du ct des jardins publics, mais ilfaisait trs chaud et les retraits de la Poste n'taientpas l. Il avait cherch ailleurs, et il tait arriv devantla mer. Le soleil brlait trs fort, et sur les galetsde la plage il y avait une poussire de sel qui miroi-tait. Mondo regardait les enfants qui jouaient aubord de l'eau. Ils taient vtus de maillots de couleursbizarres, des rouge tomate et des vert pomme, etc'tait peut-tre pour a qu'ils criaient si fort enjouant. Mais Mondo n'avait pas envie de s'approcherd'eux.

    Prs de la btisse en bois de la plage prive, Mondoavait vu alors ce vieil homme qui travaillait galiserla plage l'aide d'un long rteau. C'tait un hommevraiment trs vieux habill d'un short bleu dlav ettach. Il avait le corps couleur de pain brl, et sa peautait tout use et ride comme celle d'un vieil lphant.

  • 60 Mondo

    L'homme tirait lentement le long rteau sur les galets,de bas en haut de la plage, sans s'occuper des enfants etdes baigneurs. Le soleil luisait sur son dos et sur sesjambes, et la sueur coulait sur son visage. De temps entemps, il s'arrtait, sortait un mouchoir de la poche deson short et il essuyait son visage et ses mains.

    Mondo s'tait assis contre le mur, devant le vieilhomme. Il avait attendu longtemps, jusqu' ce quel'homme ait fini de ratisser son morceau de plage.Quand l'homme tait venu s'asseoir prs du mur,il avait regard Mondo. Ses yeux taient trs clairs,d'un gris ple qui faisait comme deux trous sur lapeau brune de son visage. Il ressemblait un peu unIndien.

    Il regardait Mondo comme s'il avait compris soninterrogation. Il dit seulement :

    Salut ! Je voudrais que vous m'appreniez lire et crire,

    s'il vous plat , dit Mondo.Le vieil homme restait immobile, mais il n'avait pas

    l'air tonn. Tu ne vas pas l'cole ? Non monsieur , dit Mondo.Le vieil homme s'asseyait sur la plage, le dos contre

    le mur, le visage tourn vers le soleil. Il regardaitdevant lui, et son expression tait trs calme et douce,malgr son nez busqu et les rides qui coupaient sesjoues. Quand il regardait Mondo, c'tait comme s'ilvoyait travers lui, parce que ses iris taient si clairs.Puis il y avait une lueur d'amusement dans son regard,et il dit :

    Je veux bien t'apprendre lire et crire, si c'esta que tu veux. Sa voix tait comme ses yeux, trscalme et lointaine, comme s'il avait peur de faire tropde bruit en parlant.

    Mondo 61

    Tu ne sais vraiment rien du tout ? Non monsieur , dit Mondo.L'homme avait pris dans son sac de plage un vieux

    canif manche rouge et il avait commenc graver lessignes des lettres sur des galets bien plats. En mmetemps, il parlait Mondo de tout ce qu'il y a dans leslettres, de tout ce qu'on peut y voir quand on lesregarde et quand on les coute. Il parlait de A qui estcomme une grande mouche avec ses ailes replies enarrire ; de B qui est drle, avec ses deux ventres, de Cet D qui sont comme la lune, en croissant et moitipleine, et O qui est la lune tout entire dans le ciel noir.Le H est haut, c'est une chelle pour monter aux arbreset sur le toit des maisons ; E et F, qui ressemblent unrteau et une pelle, et G, un gros homme assis dansun fauteuil ; I danse sur la pointe de ses pieds, avec sapetite tte qui se dtache chaque bond, pendant que Jse balance; mais K est cass comme un vieillard, Rmarche grandes enjambes comme un soldat, et Y estdebout, les bras en l'air et crie : au secours ! L est unarbre au bord de la rivire, M est une montagne ; N estpour les noms, et les gens saluent de la main, P dort surune patte et Q est assis sur sa queue ; S, c'est toujoursun serpent, Z toujours un clair; T est beau, c'estcomme le mt d'un bateau, U est comme un vase. V, W,ce sont des oiseaux, des vols d'oiseaux ; X est une croixpour se souvenir.

    Avec la pointe de son canif, le vieil homme traaitles signes sur les galets et les disposait devantMondo.

    Quel est ton nom ? Mondo , disait Mondo.Le vieil homme choisissait quelques galets, en ajou-

    tait un autre. Regarde. C'est ton nom crit, l.

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    C'est beau ! disait Mondo. Il y a une montagne,la lune, quelqu'un qui salue le croissant de lune, etencore la lune. Pourquoi y a-t-il toutes ces lunes?

    C'est dans ton nom, c'est tout , disait le vieilhomme. C'est comme a que tu t'appelles.

    Il reprenait les galets. Et vous, monsieur ? Qu'est-ce qu'il y a dans votre

    nom? Le vieil homme montrait les galets, l'un aprs

    l'autre, et Mondo les ramassait et les alignait devantlui.

    Il y a une montagne. Oui, celle o je suis n. Il y a une mouche. J'tais peut-tre une mouche, il y a longtemps,

    avant d'tre un homme. Il y a un homme qui marche, un soldat. J'ai t soldat. Il y a le croissant de la lune. C'est elle qui tait l ma naissance. Un rteau ! Le voil ! Le vieil homme montrait le rteau pos sur la

    plage. Il y a un arbre devant une rivire. Oui, c'est peut-tre comme cela que je reviendrai

    quand je serai mort, un arbre immobile devant unebelle rivire.

    C'est bien de savoir lire , disait Mondo. Jevoudrais bien savoir toutes les lettres.

    Tu vas crire, toi aussi , disait le vieil homme. Illui donnait son canif et Mondo restait longtemps graver les dessins des lettres sur les galets de la plage.Puis il les mettait ct, pour voir quels noms celafaisait. Il y avait toujours beaucoup de O et de I parce

    Mondo 63

    que c'tait eux qu'il prfrait. Il aimait aussi les T, lesZ, et les oiseaux V W. Le vieil homme lisait :

    OVO OWO OTTO IZTI

    et a les faisait bien rire tous les deux.Le vieil homme savait aussi beaucoup d'autres

    choses un peu tranges, qu'il racontait de sa voixdouce, en regardant la mer. Il parlait d'un paystranger, trs loin de l'autre ct de la mer, un paystrs grand o les gens taient beaux et doux, o il n'yavait pas de guerres, et o personne n'avait peur demourir. Dans ce pays il y avait un fleuve aussi largeque la mer, et les gens allaient s'y baigner chaquesoir, au coucher du soleil. Tandis qu'il parlait de cepays-l, le vieil homme avait une voix encore plusdouce et lente, et ses yeux ples regardaient encoreplus loin, comme s'il tait dj l-bas, au bord de cefleuve.

    Est-ce que je pourrai venir avec vous ? deman-dait Mondo.

    Le vieil homme avait pos sa main sur l'paule deMondo.

    Oui, je t'emmnerai. Quand est-ce que vous partirez ? Je ne sais pas. Quand j'aurai assez d'argent. Dans

    un an, peut-tre. Mais je t'emmnerai avec moi. Plus tard, le vieil homme reprenait son rteau et il

    continuait son travail un peu plus loin sur la plage.Mondo mettait dans sa poche les cailloux de son nom,il faisait un signe de la main son ami et il partait.

    Maintenant il y avait beaucoup de signes, partout,crits sur les murs, sur les portes, ou sur les panneauxde fer. Mondo les voyait en marchant dans les rues dela ville, et il en reconnaissait quelques-uns au passage.

  • 64 Mondo

    Sur le ciment du trottoir, il y avait des lettres graves,comme ceci :

    DE

    NADINEE

    mais ce n'tait pas facile comprendre.Quand la nuit tombait, Mondo retournait la Mai-

    son de la Lumire d'Or. Il mangeait le riz et leslgumes dans la grande salle, avec Thi Chin, puis ilsortait dans le jardin. Il attendait que la petite femmevienne le rejoindre, et ils marchaient ensemble trslentement sur le sentier de gravier, jusqu' ce qu'ilssoient compltement entours par les arbres et lesbuissons. Thi Chin prenait la main de Mondo et laserrait si fort qu'il avait mal. Mais c'tait bien quandmme, de marcher comme cela dans la nuit sanslumires, en ttant du bout du pied pour ne pastomber, guids seulement par le bruit du gravier quicrissait sous les semelles. Mondo coutait le chantstrident du criquet cach, il sentait les odeurs desarbustes qui cartaient leurs feuilles dans la nuit. afaisait un peu tourner la tte, et c'tait pour a que lapetite femme serrait trs fort sa main, pour ne pasavoir le vertige.

    La nuit, tout sent bon , disait Mondo. C'est parce qu'on ne voit pas , disait Thi Chin.

    On sent mieux, et on entend mieux quand on ne voitpas.

    Elle s'arrtait sur le chemin. Regarde, on va voir les toiles, maintenant. Le cri aigu du criquet rsonnait tout prs d'eux,

    comme s'il sortait du ciel mme. Les toiles apparais-

    Mondo 65

    saient, l'une aprs l'autre, elles palpitaient faiblementdans l'humidit de la nuit. Mondo les regardait, la tterenverse, en retenant son souffle.

    Elles sont belles, est-ce qu'elles disent quelquechose, Thi Chin ?

    Oui, elles disent beaucoup de choses, mais on necomprend pas ce qu'elles disent.

    Mme si on savait lire, on ne pourrait pas com-prendre ?

    Non, on ne pourrait pas, Mondo. Les h