[Jean Saunier] La Synarchie(Bookos.org)

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':.La Synarchie ,ou le vieux rêve 'd'une nouvelle ,'société.

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':.La Synarchie ,ou le vieux rêve

'd'une nouvelle ,'société.

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.• © Culture, Art, Loisirs Paris 1971

1 i LA i

1 ___ -

· SYNAR CHIE

PAR JEAN SAUNIER

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SOMMAIRE

Une réalité insaisissable

D'une synarchie à l'autre La presse collaborationniste L'affaire du 13 décembre De Marcel Déatà l'épuration

Une interprétation de l'histoire Une censure réactionnaire contemporaine Réticences des historiens

Synarchie et technocratie

Politique occulte et occultisme Jésuites et francs-maçons politique Les« Sages de Sion»

Le « Roi du Monde »

Un marquis inspiré : Saint-Yves d'Alveydre

La synarchie comme volonté

U ne curieuse destinée U ne œuvre étrange De hautaines prétentions

La théorie des « fonctions sociales » Les institutions synarchiques Comparaison avec les idées du temps

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Page 119 La synarchie comme représentation

La« loi de l'Histoire» Les législateurs traditionnels L'histoire synarchique

Page 133 Destin de l'œuvre synarchique Réformer les institutions de l'Europe

Page 153 Pour aborderle XXe siècle

Page 167 Permanence de la synarchie occultiste

Page 183 Du pacte synarchique au mythe de la synarchie

Changer le cours de l'histoire de France

Un document révélateur Où n'est pas la synarchie? Où la chercher?

Le problème du martinisme Steiner - Les Veilleurs Le « Schéma de l'archétype social»

Qui sontles auteurs? Les« états généraux de la jeunesse» Le rôle des antimaçons

Page 203 Synarchie et crises économiques Entre les deux guerres

Page 223 Synarchie et crise spirituelle

Page 243 Synarchie et crises politiques

Page 261 Qu'est-ce, enfin, que la synarchie?

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Le Front populaire L'économie dii-igée sous Vichy

La recherche d'une élite La pensée de Coutrot Le rêve de l'unité

Extrême droite et synarchie Le régime de Vichy Les idées de la Résistance

ANNEXES

Page270 Bibliographie

Documents:

Page 273 Extraits du Procès de Benoist-Méchin

Page 275 Extraits du« Rapport Chavin»

Page 285 Extraits de « Martinisme et synarchie»

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Il y a beaucoup d'artifices nécessaires dans le travail par lesquels nous adaptons la réalité à notre intelligence.

Georges Sorel : « Réflexions sur la violence ».

Les dessous politiques ou politico­religieux de l'occultisme contemporain et des organisations qui s'y rattachent de près ou de loin sont certainement plus dignes d'attention que tout l'appareil fantasmagorique dont on a jugé bon de s'entourer pour mieux les dissimuler aux yeux des profanes.

René Guénon: « le Théosophisme ».

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\,

I.e drapeau «archéométrique» de la synarchie:

le fond, bleu et rouge, représente le.s ordres

politique et écono~ique, le soleil d'or est ['ordre spzntuel.

r W,H

1

Une réalité insaisissable

Au petit matin du 24 janvier 1937, un homme qui promenait paisiblement son fox avenue du Parc-des-Princes fut assassiné en quelques minutes par un tueur habile et qui disparut aussitôt. Le « Comité secret d'action révolutionnaire », entré dans l'histoire sous le nom de « Cagoule» que lui attribua, par dérision, un collaborateur de l'Action française, avait ordonné ce crime, tout comme il fera assassiner, à quelque temps de là, les frères Rosselli. La. victime s'appelait Dimitri Navachine. Ban­qUIer bien connu parmi les spécialistes, il

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avait acquis auprès des milieux nationalistes la réputation d'un agent soviétique déguisé; n'avait-il pas dirigé une banque à Moscou, avant d'être à la tête de la « Banque commer­ciale de l'Europe du Nord» qui passait pour être un organisme du commerce extérieur soviétique? N'avait-il pas trouvé audience chez les partisans du Front populaire, dont il était devenu un conseiller écouté en matière économique? N'était-il pas franc-maçon et mar­tiniste ? Ce crime souleva beaucoup d'émotion; une émotion d'autant plus grande, d'ailleurs, que ses motifs n'étaient pas très clairs et ne furent pas exposés par les auteurs du forfait. Aussi se dit-on très vite que seuls de puissants et mystérieux intérêts inconnus du vulgaire pouvaient l'expliquer. Quelques années plus tard, on vit donc surgir une thèse selon laquelle la Cagoule n'aurait été dans cette affaire que l'agent d'exécution d'une autre organisation beaucoup plus mystérieuse qu'elle: la synar­chie. Navachine, informé des dessous de la nnance et initié aux mystères des sociétés secrètes, aurait été réduit au silence parce qu'il avait découvert l'existence de la synarchie, ses sou­tiens nnanciers, ses complices qu'il surveiijait. Cette hypothèse, qui circula sous l'occupation, devint pour beaucoup une certitude, lorsque furent révélés d'autres crimes attribués aux synarques, crimes considérés comme d'autant plus probants que leurs inspirateurs étaient moins connus. Ainsi le «suicide» de Jean Coutrot, curieux homme, polytechnicien, homme d'affaires, phi-

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losophe, unijambiste, en proie au rêve d'une rénovation totale de la société; un suicide, bien sûr, mais allez savoir: on peut être contraint au suicide ... D'ailleurs ses deux secré­taires, Frank Théallet et Yves Paringaux, n10nt-ils pas eu des morts étranges ... qui n'ont certes pas fait l'objet d'informations judiciaires. L'impunité n'est-elle pas la preuve de la toute­puissance de ceux qui perpétrèrent ces crimes ? Ily a encore l'assassinat mystérieux - vrai­ment mystérieux, celui-là - de Constant .Chevillon, un homme de lettres doux et affable, qui était aussi le Grand Maître de l'organisation para-maçonnique dénommée «Ordre marti­qiste» et, par là même, fort au courant des implications occultistes de la synarchie ... Si l'on en croit la rumeur publique, ces cinq oadavres seraient ceux d'hommes qui, à un moment ou à un autre, auraient été dans une situation leur permettant d'en savoir long sur cette mystérieuse organisation; et d'ailleurs cçtte dernière, en les assassinant, n'aurait fait ,gue mettre à exécution la menace contenue dans i~avertissement qui ouvre le document pompeu­~~men~ dénommé «Pacte synarchique révolu­~pnnaIre pour l'Empire français » : :~~'ifoute détention illicite du présent document l~~pose à des sanctions sans limite prévisible,

9ue soit le canal par lequel il a été reçu. .,~4~,""U."'. en pareil cas, est de le brûler et de

point parler. La Révolution n'est pas une terie, mais l'action implacable régie par

de fer. » serait-il l'aveu de ces crimes

? Qui sont, alors, ces redoutables ? Que veulent-ils?

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hl

C'est, bien sûr, à ces questions que doit répondre ce livre à la suite d'une longue enquête. Aussi convient-il que, dès l'abord, on appelle l'attention sur un point important; la réponse à ces questions sera complexe, à l'image de l'énigme posée, mais c'est pour une raison très simple: comme son fils pré­sumé, le technocrate est toujours réputé sans entrailles, le synarque est toujours sans aveu. Personne, en effet, jamais n'a reconnu son appartenance à une société politique secrète dénommée la synarchie. Discrétion remar­quable dans ce domaine politique où chacun estime que ce qu'il fait savoir importe plus que ce qu'il fait et qui devient tout à fait exceptionnelle si l'on songe à la fierté immense et bien légitime que pourrait inspirer la parti­cipation à une entreprise aussi étonnante et qui n'a pas cl' équivalent dans l'Histoire. Car cette synarchie aurait été capable de s'em­parer des plus importants leviers de l'Etat; de saboter de l'intérieur l'œuvre socialisante du Front populaire, de préparer de longue main, et à la barbe des fins limiers de la Sûreté, l'effon­drement militaire et politique de la ur Répu­blique; assez habile pour prendre le pouvoir sous Pétain et le conserver sous de Gaulle, assez puissante pour inspirer aujourd'hui le gouvernement de Jacques Chaban-Delm~s comme, en d'autres temps, ceux de François Darlan ou de Pierre Mendès France. Invisible, conquérante, inébranlable et impunie puisqu'en cinquante ans nul n'a jamais eu le loisir de la trahir ou de l'accabler, la synarchie serait donc une donnée politique permanente, une puissance plus forte que tous les régimes.

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.Le lecteur ne s'étonnera donc pas de ce que la quasi-totalité de la littérature qu'il a pu par­courir à son propos soit faite de dénonciations partisanes véhémentes et indignées. Il aura d'ailleurs souvent constaté que, suivant une logique très particulière, un grand nombre d'auteurs ont fait, de l'absence d'aveu de la part des synarques, l'aveu décisif de leur cynisme et de leur puissance, la preuve par excellence que cette synarchie n'est pas une prganisation ordinaire. franc-maçonnerie ou compagnie du Saint-Sacrement, mais une société secrète supérieure, ce qui explique et excuse que l'on ne puisse administrer, en ce qui la concerne, aucune preuve matérielle màis seulement exhiber son intime conviction. Il s'ensuit, le champ étant libre pour toutes les hypothèses tôt façonnées en certitudes, que les synarques ont été présentés sous les appa­rences les plus diverses, quelquefois les plus hétéroclites: technocrates, adhérents d'une sorte d'Opus Dei, ministres de Vichy, ultras d;è !a collaboration, résistants de l'Organisation çwile et militaire, Cinquième colonne, jésuites, ,,' et valets du patronat de droit

, intégristes, membres du M.R.P., parti-de la Troisième force, pIanistes de l'entre­

, néo-socialistes, adhérents de " et Progrès» ou du «Grand Prieuré . ,. Gaules », groupe de Bilderberg, gaullistes

gauche, c'est-à-dire à peu près n'importe car cette liste, on le verra, est loin d'être

est que, pour tous ceux qui la l'action des synarques soit une évi­

Trahit quemque sua voluptas. Tout

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se passe comme si chacun avait son synarque, ennemi inti~e, fami1ie~, fl~tteur même, puisqu'il est superIeurement mtellIgent, commode, puisqu'il permet de ne pas chercher plus loin l'explication des ressorts profonds de la politique, c'est-à-dire de l'Histoir~. . Entre ces crimes redoutables et ImpUnIS et cette débauche de théories contradictoires, où est la vérité sur la synarchie? Pour le savoir, il ne faut pas craindre de s'aventurer dans une sorte de « descente aux enfers» de la logique, afin de voir c1aireme~t quelles obsessions ont été dénommées syna:chle depuis qu'on use de ce term~; d~ proc~der, en un mot, à une sorte de phenomenologIe de la synarchie. Ce n'est qu'après ce premier tour d'horizon qu'il sera possible de résoudre le problème. Mais il importe de souligner qu'aucune solu­tion satisfaisante ne pourrait être apportée, si, comme l'ont fait tous les auteurs précédents, on négligeait un des deux domaines où se ren~ contre la synarchie: politique et occultisme. Il faut voir les deux ensemble et tenir solidement chacun des deux bouts de cette étrange chaîne qui, elle, est unique, car elle est faite d'une même logique, d'une même représentation de la trame des destinées humaines. C'est de ce point de vue qu'on examinera donc, sur ces deux plans, l'idéologie et l'action des synarques réels ou supposés. Il deviendra alors possible de s'interroger légi­timement sur le point de savoir si, aujourd'hui encore, certains faits politiques ne trouveraient pas à s'expliquer par l'action de LA ou d'UNE synarchie, «chef d'orchestre invisible»

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,Uûn mystérieux «complot international » ... &he1que idée qu'on se fasse de la synarchie eh. abordant cet essai d'explication, c'est-à-dire qh'on la tienne p,o~r U1~e réalité solide ou .pour ùÎl assemblage heterochte de croyances vames, lfest nécessaire que l'on ne perde jamais de V:he qu'elle est d'abord une représentation de 2& qui meut l'Histoire, et que, par conséquent, ' représentation est d'autant plus heurtée

contradictoire que les faits politiques veut expliquer ont été plus violents et

incompréhensibles.

ne s'étonnera donc pas que ce terme ait eu cours le plus libre et son grand succès

des Français abasourdis ont tenté de les faits survenus dans leur pays

1940 et 1945.

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Marcel Déat considérait le gouvernement Darlan

comme llne émanation de la synarchie.

L' 'f!P une ~ynarchie ;,\ a 'l'autre

~I ) ans quelles conditions le mot de ,,~ynarchie apparut-il dans le vocabulaire poli-

o français? .' le savoir, il suffit d'ouvrir les journaux

paraissaient en France sous l'occupation; ..... grand nombre d'entre eux se mirent, à partir . 1941, dénoncer, avec des révélations

la criminelle entreprise des

est de reconnaître que la plupart des "VJlll1;~t=S qui se livrèrent à cet assaut quasi

contre les « forces occultes» étaient d'être remarquables sous le rapport de

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l'intelligence et de la vertu, et n'inspirent que rarement la confiance,

Dan.s les Au premier rang d'entre eux, il faut citer listes P' C ' , 'h' d 1 P " découvertes lerre ostanUm; anCIen eros e a remlere

poli~~,\~ Guerre qu'un anticommunisme viscéral avait figurait conduit à cagouler au « Comité secret d'Action sous le , l' , '1' l'" 1 nO 177-A. revo utlOnnalre », 1 avait au surp us re)OUl e

Voir Joseph d l' , 1 " 'Il 1940 '1 ' Désert: Toute mon e po lUque orsqu en )Ul et 1 avait ll~ vffér~ié déclaré « personnellement» la guerre à l'Angle-sur a azre ,

de la CagouJe terre, Fondateur dune « Ligue française d'épu-(Pans, ' d' 'd ' 1 d Il b ' Librairie des raUon, entraI e socla e, et e co a oratlOn

sdences et européenne» - le programme est clair _ des arts, , 1946). il fut aussi l'un des signataires, avec Déat,

Deloncle et Doriot, du premier appel pour la «Ligue des volontaires français contre le bol-

1,1 s'agi! de chevisme », en juillet 1941. Son journal, 1 orgamsa- l)A l fu l' d 1 d' d tion habi- ppe, t un es p us or uners e toute ~~ell~ment la presse dite collaborationniste à tel point deslgnee par ,

le sigle d'ailleurs que Costantini fut, à la Libération, «L.V.F.». . bl . ffi reconnu lrresponsa e pour «msu sance men-

tale ». C'est, en tout cas, dans cette feuille que parut, le 6 juin 1941, l'une des premières allusions publiques à la synarchie désignée comme «la plus secrète et la plus nocive des loges maçon­niques ». Peu après, en août 1941, paraîtront de plus substantielles révélations, sous la signature de

De son vrai « Paul Riche », un ancien vénérable de loge, Jean M~~~: converti à la Révolution nationale - et à l'anti­

maçonnisme; à vrai dire, ce factum ne ren­seigne guère que sur· la véhémence et les han­tises de son auteur, qui conclut: « J'accuse une bande organisée d'avoir fomenté un complot contre la vie et l'avenir de la Patrie ... Les accords de Montoire ont été sabotés par la

.. Entre autres buts, le mouvement A Montoire

poursuit la sauveo-arde des intérêts avait eu lieu, t> le 24 octobre

» 1940, l'entr.e-

h ' dl" vue célèbre synarc le est onc a ors presentee comme entre Pétain

nouvel avatar de l'entreprise attribuée de elt Hi~tlerd' à a SUI e e :~\J"F.~'~ date aux « Sages de Sion»; les dénon. laqu~lle on

d P ul R· h ' se mit à 1!iJ.· ........ ' .. v e a le e ne sont qu une nouvelle parler de

, d l' .,.. 1 l u1' «collabora-JUIIUL<Hl.Vll e anUsemlUsme e p us v galre, tion».

sont donc caractéristiques d'un des usages du mot. Mais elles valent

· ... "',,.n'·p d'être mentionnées en raison des com-auxquels elles ont ultérieurement

lieu et qui, pour leur part, sofit très de l'étrange mythologie de la synar-

. "'la Libération, en effet, Paul Riche, moins " que Costantini, fut condamné à mort ~t:exécuté. Excellente occasion pour certains d~élaborer un roman, Wenry Coston, par exemple, n'a pas craint H.Coston: d:~affirmer que «les tribunaux de l'épuration les Financiers

qui mènent pas manqué les antisynarchistes », et le monde,

p.n,"n.·"" P u1 h p. 105 (Paris, que, par sa mort, a Rie e avait payé La Librairie

seulement sa trahison envers le Grand f955)~aise, mais aussi ses révélations sensation- et aufsi 1 h' [ ] C Partzs, sur a synarc le ..., e sont des choses journaux et

l'on ne pard nn hommes o e pas .. , » politiques, .';t".,.." .... ~'''~"J ... qu'on dirait plaisante si la réalité p. 93 (Paris, '" Lectures

tragIque, ne peut etre sérieusement rete- françaises, pour deux raisons. 1960).

"'''Jl.L'-i.C; est que les tribunaux de l'épura­n'eussent pas été fâchés de retenir le

---· ...... U"J.il'-» parmi les chefs d'inculpation, verra que la question fut évoquée dans

procès, Et bien que leur «anti­--".U'.Jl'-» ait été d'une tout autre ten-

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dance politique que celui de Paul Riche, on ne peut dire qu'il les ait conduits à accabler ce dernier. La deuxième raison est que le collaborateur de l' Appel et du Pilori avait à «payer », comme dit Henry Coston, une longue suite d'appels au meurtre, dont certains étaient d'ailleurs proches de la démence. Qu'on en juge par ce «morceau choisi»: «Mort aux juifs! Mort à la vilenie, à la duplicité à la ruse juives! Mort à l'argument juif! Mort à l'usure juive! Mort à la démagogie juive! Mort à tout ce qui est faux, sale, laid, répugnant, négroïde, métisse, juif! C'est le dernier recours des hommes blancs traqués, volés, dépouillés, assas­sinés par les sémites et qui retrouvent la force de se dégager de la formidable étreinte ... Mort, mort aux juifs! Oui, répétons, répétons-le: Mort, M.O.R.T. aux juifs! Là! Le juif n'est pas un homme. C'est une bête puante. On se débarrasse des poux. On combat les épidémies. On lutte contre les invasions microbiennes, on se défend contre le mal, contre la mort - donc

Au Pilori. contre les juifs! » 14 i941~ Il faut assurément une certaine innocence pour

affirmer que l'auteur de ces lignes n'a payé de sa vie que ses révélations sur la synarchie ... d'autant que l'ensemble de ses articles est de la même eau ... Mais il y a plus encore: ces «divulgations» avaient été soumises à la censure des autorités d'occupation qui n'avaient vu aucun obstacle à leur publication. Elles mettaient pourtant en accusation le gouvernement de Vichy, à commencer par P. Pucheu, ministre de l'Inté­rieur ; à vrai dire, il n'y a là aucune contra-

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si l'on admet que les censeurs alle­ne pouvaient que souscrire à tout ce

servait la cause de la «collaboration» :.totale, fût-ce en dénonçant la tiédeur de certains ministres du Maréchal en ce domaine. Il est frappant de constater que ce comporte­ment des censeurs allemands, qui s'explique de manière logique, a donné lieu à des interpréta­:tions tout à fait irrationnelles qui me parais­'~ènt significatives des inductions abusives que le lecteur doit s'attendre à rencontrer souvent quand il s'agit de synarchie. pour Geoffroy de Charnay, l'auteur auquel ont, 'par la suite, recouru systématiquement tous C"eux qui ont écrit sur la question et l'un des principaux responsables des confusions généra­lement répandues à son propos, il est évident que les «autorités d'occupation, qui n'ont jamais cessé d'accorder une protection soutenue et efficace au mouvement synarchique français, avaient laissé passer ces articles de divulgation éh vue de pouvoir observer les réactions qu'elles allaient susciter, d'une part, et peut­être aussi à titre de semonce en vue de réchauf­,f~r le zèle des grands affiliés qui étaient alors dahs les conseils gouvernementaux de Vichy

,moment où commençait la guerre germano­, c'est-à-dire la vraie, la seule guerre ».

de temps après, un autre auteur qui a sa vie à pourchasser la synarchie dans

les domaines, Roger Mennevée, va systé­cette thèse en affirmant, toujours sans d'une preuve, que les premières dénon­de la synarchie furent inspirées par les

hautes influences de la synarchie, dési-

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reuses, le pouvoir étant pris, la République étranglée et le pouvoir clérical installé, d'épu­rer les cadres du mouvement et de dévier le ressentiment populaire vers d'autres entités responsables. Tant de machiavélisme force l'admiration! Car, à suivre nos auteurs, il faut soupçonner de «synarchisme» tous ceux qui dénoncent l'action de la synarchie, au moins autant que ceux qui font silence à son propos. En matière de synarchie, nul n'est innocent! Mais avant de s'engager dans les voies tor­tueuses peuplées d'émissaires et d'« agents» mystérieux, il est indispensable de scruter le contexte politique de cette affaire pour voir si, en lui-même, il ne fournit pas des indications plus rationnelles sur le comportement des groupes et des forces politiques en présence. Or, ce contexte politique est relativement clair: le 13 décembre 1940, Pierre Laval, chef du gouvernement, a été renvoyé par le Maréchal à la suite d'une conjuration dans laquelle pré­dominent des amis de ['Action française, dont plusieurs étaient aussi des anciens de la Cagoule. Tous les auteurs sont aujourd'hui d'accord: les ministres compromis dans l'ex­pulsion de Laval n'appartenaient pas tous à ['Action française, mais les mesures décisives et irréversibles furent bien prises par des sym­pathisants comme Du Moulin de la Barthète et AUbert; les «Groupes de protection» qui les exécutèrent, créés par le colonel Grous­sard, étaient conduits par des anciens dirigeants du C.S.A.R., tels Méténier et Henri Martin. C'est d'ailleurs ce dernier, mort en 1969 après avoir conduit jusque sous la V' République une

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de comploteur patenté, trop connue sérieuse, qui, dans l'hiver 1940-41,

branle toute l'affaire. Dès la constitution . t Darlan, en février 1941, il

compte que la tendance qu'il . , et qui s'était donné bien du mal

l'opération du 13 décembre, avait tiré autres les marrons du feu.

nationaux » désireux de se débarrasser de .. '. qui était trop l'homme des Allemands,

agi, mais c'était une autre équipe (celle lverm:me:nt Darlan) qui prenait le pou-

Martin et ses amis jugèrent-ils que 'rangs avaient été «noyautés », voire

·Ul"..L"'~~"'V» par une conjuration habile; d'où notes mises en circulation sous

U<UJ'"'''''''' pour dénoncer l'action de la synar-

aux amis de Laval et aux tenants de la tion étroite avec le Reich, ils ne sai­

pas davantage la complexité de l'affaire mirent à dénoncer les membres du gou­

'.,.Tnpn1" Darlan comme les inspirateurs du

que deux tendances politiques assez reprirent, chacune de son côté, de « synarchisme» pour attaquer

gouvernement. s'explique le fait que la plupart de ceux

1941, se posent en dénonciateurs de ---~''-HJ'l'" aient été liés au « Rassemblement

populaire» (R.N.P.) fondé en février, les deux tendances sont représen­

Marcel Déat, l'ancien socialiste, et par Deloncle, l'ancien cagoulard, assistés de

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Jean Fillol qui avait été mêlé étroitement à l'assassinat de Navachine. Ce n'est évidemment pas par hasard si, dès sa création, le R.N.P. lance contre le gouverne­ment Darlan une campagne dans laquelle on retrouve tous les arguments qui seront, à peu de temps de là, repris contre la synarchie. Le gouvernement est accusé de tous les maux qui accablent la France à cause du 13 décembre: juifs, maçons internationaux et financiers le dirigent occultement. Jean Luchaire dénonce avec fougue sa duplicité « synarchique »: «A l'instant où le gouvernement maintient à son

Belin était poste René Belin, l'homme des pétroliers de l'ancien L d d N y k "1 secrétaire on res et e ew or, ou 1 nomme pour

de la C.G.T., les nép.:ociations franco-allemandes l'homme qui devenu , D •• .,

ministre est 1 un des prmC1paux aSSOC1es de la banque de Vichy. ., ·1.lI: l' d Il b . JUlVe, 1 alllrme sa vo onte e co a oratlon

Les avec le Reich ! » NOT~~;:' Tel est alors le contenu politique immédiat 27 féVrIer des accusations de synarchisme; mais avant

1941. h ,. '1 f d 1 que le myt e ne s 1mpose, 1 au ra une ongue campagne politique dont le protagoniste prin­cipal va être l'ancien « néo-socialiste» Marcel Déat. On possède sur le rôle de ce dernier un docu­ment essentiel pour une bonne compréhension

Paru sous de cette première phase de la synarchie: l'ou­le êï~u~: vrage que lui a consacré l'un de ses anciens Varenne~: collaborateurs Georges Albertini qu'il me

le Destzn ' . ' de Marcel paraît indispensable de clter longuement, car

Déat (Paris, '1 d' . f b' 1 d' h' Il Il Editions 1 ectlt ort 1en a emarc e mte ectue e Janmaray, des dénonciateurs de la synarchie 1948). .

Après avoir exposé que Déat ne pardonnerait pas à Darlan d'avoir été le complice du coup du 13 décembre, dont il le soupçonnait même

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;:d'avoir été l'instigateur, il dit que son grief ',principal contre l'amiral était d'avoir été l'arti­san de l'arrivée au pouvoir de la synarchie: ;«11 avait la conviction, qu'il partageait avec beaucoup d'autres, qu'un gouvernement occulte se dissimulait derrière le gouvernement ,légal auquel il avait délégué quelques-uns des siens et qui tirait les ficelles de la politique ,ôfficielle. 'KCe n'est pas ici le lieu d'établir que la synar­chie n'a jamais existé. Déat pensait rigoureuse­~trient le contraire. Il l'écrivait souvent sans avoir jamais eu la moindre preuve de l'exis­tence de ce gouvernement occulte [ ... ]. ~<Déat pensait également qu'un certain nombre de ministres étaient délégués par elle pour

'faire triompher sa politique. Comme il ne savait pas très bien lesquels, il désignait au hasard les ministres techniciens ou polytechni­ciens. C'est ainsi qu'il comptait parmi les synarques, Pucheu, Bouthillier, Berthelot, Lehideux, Bichelonne (avant de le connaître), iBarnaud, Beaudoin, Jacques Leroy-Ladurie, Guérard, Benoist-Méchin et même Marion, ce qui est plus surprenant encore. Cette liste

"n'était pas immuable. Elle s'étendait au gré . des informations incontrôlées et des propos de salles de rédaction à court de copie. »

<le sens de la dénonciation est donc clair: la i,:,synarchie première manière est, pour Déat, ~,')~·poussée au pouvoir par la banque Worms » 'zi"& il aurait écrit : la « bande Worms » - qui,

le 13 décembre, «tenait le haut du à Vichy». Ceci inlassablement répété en dizaines d'articles, d'allusions, voire

jeux de mots (l'un des plus connus étant

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« qu'on ne nous parle plus de la Diète de Worms; à Vichy ces Messieurs se sont mis à table ».) On conçoit donc aisément qu'après une telle campagne certains, comme Fernand de Brinon,

Attentat de aient pu penser que l'attentat dont furent vic­PauICo~ette, times Laval et Déat le 27 août 1941 était une à VersaIlles. , ,

vengeance de la synarchie. Pourtant à l'aveu des amis de Déat, alors que la dénonciation de la synarchie n'est à ce moment qu'une ·affaire de pure circonstance et de conviction, il paraît intéressant de comparer le témoignage, qui est aussi à sa manière un aveu, d'un des principaux dirigeants du gouverne­ment accusé de synarchie, Yves Bouthillier, alors ministre des Finances.

LeDrame «En 1941, la nouvelle se répandit qu'une de V~~~ï'~ société secrète, la synarchie, avait entrepris

«Finances d'administrer l'économie française pour le sous la d' .,,,. .

contrainte», compte e pUIssants mterets mternatlonaux. (/~r~~~ M. Marcel Déat et les tenants de la pleine colla-

Plon, 1951). boration avec le Reich avaient été fort déçus d'assister, à la fin du mois de février, à la cons­titution d'un cabinet où, conformément à la volonté du maréchal Pétain et de l'amiral Dar­lan, aucun de leurs amis n'avait pu trouver place. Il s'agissait donc de discréditer le nou­veau ministère auprès des autorités allemandes comme auprès de l'opinion française. La pré­sence dans ce ministère de deux personnes appartenant au même groupe d'affaires (N.B. : il s'agit de la banque Worms), M. Pucheu, ancien normalien, M. Barnaud, ancien inspec­teur des finances, donna à Marcel Déat la solu­tion. Une mystérieuse association venait de s'emparer du gouvernement. Déat, en bon

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, savait que rien n'excite l'imagina­.. . populaire comme ces affabulations compli­: , ces plans concertés, ces complots ,biZarres où la politique et la finance, l'idéologie bt les intérêts sont mêlés, comme si le capita­lisme avait besoin de stratagèmes) de mots 4~ordre et de congrégations pour être puis-1ant ».

·®h retiendra l'aveu admirable de cette dernière :~~rase, qui vaut sans doute les plus longs ~@'mmentaires .

';:Ainsi donc apparut la synarchie dans le voca­J~U1aire politique français. Sa carrière ne faisait ,ijue commencer, car, rapidement, le mot allait ~ësigner une autre réalité que celle de ce groupe gui, torpillant la Révolution nationale et la col­laboration, tentait d'établir le pouvoir de ces grands techniciens au service du capitalisme, qu~ Burnham appellera les «managers ». P~ndant que les démagogues occupaient ce ~p'il est convenu d'appeler l'opinion publique

. des révélations aussi contradictoires que , s'élaborait une littérature confi­

Q~Jntl(~lle faite de notules, notes, rapports fabri­par des officines semi-policières de tous

et dont la diffusion dans des milieux ·?l<'fi.'-U\_~'''''-U''-'.lL bien informés », mais peu cri­

allait permettre l'apparition d'une ~",.'-u",-· image de la synarchie.

deuxième synarchie n'est plus, en effet, société secrète qui sabote la Révolution

; tout au contraire, elle est l'explica­. de cette dernière ; elle est « Vichy» dans

·:ensemble et dans toutes ses nuances, du • jeu à la collaboration totale. La synar­devient ce qui a suscité le nouveau monde

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politique né de l'effondrement de la Répu­blique, qu'elle a préparé comme elle a préparé délibérément la défaite militaire; elle est, au fond, l'anti-république et elle est unique, quelles que soient les divergences politiques apparentes de ses affidés. On voit bien que le mot prend ici une significa­tion tout à fait différente de l'acception admise par Déat! Mais pour bien comprendre·com~ent il en est arrivé là, il est nécessaire de revemr sur ces libelles et notes qui circulèrent dans le monde clos de Vichy. J'ai eu, pour ma part, entre les mains des dizaines de ces documents anonymes qui dénonçaient le caractère « synar­chis te » - d'ailleurs non défini - de l'activité de tel ou tel personnage; il ne servirait à rien, cependant, de les recenser et de les analyser tous. Mieux vaut se faire une idée de l'atmo­sphère dans laquelle ces idées étaient reçues grâce au journal politique tenu, durant toutes

Cinquante ces années, par Pierre Nicolle qui, avant la

d, . mt ?is guerre avait été le président d'un « Comité de armls Ice, '

2 vol?mes; salut économique» dévoué aux intérêts des (ParIS, Ed. . f' V' h

André Bonne, petites et moyennes entreprises, et ut, a lC y, 1947). et pendant toute l'occupation, l'informateur des

dirigeants du patronat français (René Gillouin affirme qq'il fut aussi l'un des agents de ren­seignements de Laval). Etabli à l'hôtel des Ambassadeurs, il fréquen­tait tous les milieux politiques, économiques, journalistiques, et ... autres, proches du nou­veau pouvoir, pour informer au jour le jour ses mandants. Et l'on retrouve bien dans son jour­nal la trace des libelles mis en circulation et leur répercussion sur le fragile pouvoir vichys­sois:

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:",:

:~ 3 Jum 1941 : «On parle à mot couverts 'd'une organisation secrète (synarchie) réunis­

-sant des polytechniciens. A la tête de cet orga­nisme se trouveraient Bouthillier et Berthelot, ainsi qu'un nombre important de hauts fonc­tionnaires des finances et des travaux pu­blics ... » 'r- 11 juin 1941: «Chevalier a eu avec le ,Maréchal un entretien au cours duquel il a :~e.xpliqué au chef de l'Etat ce qu'était l'organi­tsation occulte connue maintenant sous le nom .ae Mouvement synarchique ... » t'.' 12 juillet 1941 : « J'ai été amené à rencon­trer un officier du 2e Bureau de la Marine ·ciliargé d'une enquête sur les agissements de la ~~anque Worms. D'après cet officier supérieur, .garniraI, aussi bien que le Maréchal, désirent connaître exactement ce que représente la pres­,sion exercée par l'équipe d'Hippolyte Worms.» .~ 14 juillet 1941: «Dans la journée, de sources très différentes, j'apprends que la synar­:~hie serait dévoilée et connue. Cette révélation :'ciauserait de grosses difficultés à ses membres. '~près l'enquête menée par l'entourage du Maré­:;~hal, on dit que 140 personnes seraient appré-',.' . Il y a maintenant un cas Bouthillier . . posé ... »

" ai?si de suite; pendant des mois, le journal " Nicolle va refléter les informations de toutes , qui circulent un peu partout sur la synar-

puisqu'on parle même de la réunion, en 1941 à Berne, d'un groupe synarchiste

:,--Luau'ullal réunissant des Allemands, des des Américains et des Français.

enquêtes sont alors menées de toutes parts, les résultats ne sont pas toujours publiés:

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ainsi celle du chanoine Moncelle, conseiller de l'ambassade de France auprès du Vatican et ami personnel du Maréchal, celle du Dr Kley, celle du Dr Michel, représentant à Paris de l'Econo­mie du Reich, et combien d'autres dont il n'est pas encore possible de faire état. Inévitablement, les réseaux de renseignements français et alliés eurent à connaître de l'affaire; « documentation» et « intoxication» aidant, on ne s'étonnera pas que beaucoup aient eu à cœur d'embrouiller à plaisir les informations relatives au rôle réel ou supposé de la synarchie. L'une au moins de ces enquêtes, officielles ou privées, devait pourtant contribuer de manière décisive à la mutation de la notion de synarchie: celle qui aboutit au document dénommé « Rap­port Chavin» dont de larges extraits sont repro­duits dans l'annexe documentaire. Le commissaire Henri Chavin avait été nommé directeur de la Sûreté nationale en septembre 1940; à ce poste, il avait, bien sûr, eu à connaître de l'affaire du 13 décembre, et c'est lui qui, sur l'ordre du ministre Peyrouton, avait désigné le commissaire Mondanel pour procéder à l'arrestation de Laval. Lorsque, après la démission du ministre de l'Intérieur, le poste fut pris en charge par Darlan lui-même, puis par Pucheu, Chavin conserva la responsa­bilité de la Sûreté. Jusque-là rien que de très normal dans le monde feutré d'une haute admi­nistration, alors, comme aujourd'hui, toute dévouée, de par sa nature même, aux maîtres du moment. Ce qui est plus étonnant, c'est que ce fonction­naire important va avoir, dans l'affaire de la synarchie, un comportement étrange ; son nom

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en effet attaché à un Rapport confiden­sur la société polytechnicienne dite .B. » (Mouvement synarchique d'Empire)

« C.S.R. » (Convention synarchique révolu­,;t;t!'Jnz1Ut'ir C;) qui très vite allait être recopié, dif­

à des milliers d'exemplaires manuscrits, et même imprimés.

'''V. .... ''-.~~ tout de suite, Chavin n'est pas l'au-du rapport qui porte son nom. Ill' a seule­transmis. Ce document est, en effet, visi­

,,0I3 ..... ~~ .. ~ ..... antérieur au remaniement ministériel ',18 juillet 1941 au cours duquel François

fut nommé à la Production indus-en remplacement de Pucheu qui devenait

de l'Intérieur. Or, dans la liste des rprétendllS synarques, Pucheu est simplement .,U~,"~~;H'- comme « secrétaire d'Etat à la Produc­

industrielle ». Ce texte faisant lui-même à un dossier remis au Maréchal au

. '. de mai 1941 qui aurait été le fruit des .' .... de Jean Coutrot, mort peu après,

peut penser que le « Rapport Chavin» est résultat d'une enquête ouverte à cette

cette affaire, Chavin ne fut pas, comme a souvent dit, muté dans un petit poste de

, mais il est de fait que la promotion le fit entrer, en s~ptembre 1941, au

d'Etat ressemble bien à une disgrâce qu'on la pratique dans la haute adminis-

son nom lui demeure attaché à tort ou à il n'en reste pas moins que le « Rapport » constitue un document essentiel pour

.' la deuxième acception de la synarchie le vocabulaire politique français. C'est en

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effet cette analyse que nous retrouverons, cor­rio-ée sur certains points, agrémentée sur d~utres, sous la plume de tous les aut~urs qui ultérieurement traiteront de la synarchIe. Elle est simple: la synarchie est une société secrète fondée en 1922, dont l'un des membres dirigeants fut, entre les deux guerres; ~ean Coutrot, animateur de nombreuses assocIations de cadres: le Groupe X-Crise, le Centre poly­technicien d'Etudes économiques, le Comité national de l'Organisation française, le Centre i

d'étude des Problèmes humains, et quelques autres qui auraient constitué des organismes de « noyautage» dans les milieux économiques, administratifs ou dans des groupements «huma­nistes»: on dirait, en langage occulte, des cercles exotériques. Cette société secrète, délibérément anticommu­niste, aurait eu pour objectif de créer une nou­velle idéologie «révolutionnaire », capable de rendre vaines toutes les autres considérées comme surannées ou pernicieuses. Après avoir eu accès au pouvoir, en juillet 1940, tous ses efforts auraient tendu : 1) à vider la « Révolution nationale» de toute mesure susceptible d'être considérée comme socialisante (ce qui, on peut le dire, n'était pas une tâche surhumaine, tant ladite «révolu­tion» était réactionnaire dans son essence même ... ) ; 2) à saper à la base toute tentative d' affaiblis~e­ment de la domination économique de certal11S groupes capitalistes internationaux; ., 3) à sauvegarder par tous les moyens les l11te­rêts américains (fussent-ils juifs) liés aux groupes financiers intéressés au mouvement;

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:4'} à faire échec à toute tentative d' organisa­don économique européenne de nature à rendre èe continent indépendant de l'Amérique. A priori, ces griefs ne sont guère différents de ceux des partisans de la collaboration avec le Reich, qui, comme Jean Luchaire, dénonçaient en MM. Belin et Bouthillier les représentants des « grands intérêts américains ». Mais, ce qui è'st nouveau dans cette conception de la synar­Jhie, c'est que son action soit imputée au capi­t~lisme le plus réactionnaire, à certaines couches de l'armée et de l'Eglise, accusées, comme par les marxistes, d'avoir suivi délibérément un plan préétabli. La conclusion dudit rapport est remarquable à cet égard et doit être considérée comme le schéma fondamental qui sera repris par le plus grand nombre des auteurs: <<,[Le mouvement synarchique d'empire] repré­sente donc essentiellement, à la fois, un épisode de la lutte du capitalisme international contre lb socialisme et une tentative puissante d'impé­rialisme financier visant à assujettir toutes les économies des différents pays à un contrôle unique, exercé par certains groupements finan­ç;iers de la haute banque, lesquels assureraient 'àmsi, sous couvert de la lutte contre le commu­wsme, un monopole de fait sur toute l'activité itidustrielle, commerciale et bancaire.

le plan français, le noyautage par le E. de la banque, de la haute industrie et administrations de l'Etat s'est poursuivi

cc- ........ '"'-J·..... depuis 1922, cependant que, à ce mouvement, le recrutement

S.A.R. se développait au sein des hauts de l'armée.

19.3 7, les affiliés du M.S.E. étaient fort

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nombreux déjà, en place au sein et à la tête des grands organismes de l'Etat. Mais le C.S.A.R. échoua dans sa tentative insurrectionnelle de prise du pouvoir (arrestation de M. Deloncle, le 25 décembre 1937). » La révolution ayant ainsi avorté, un accouche­ment aux fers devenait nécessaire: il fut pra­tiqué par l'armée allemande lors de sa prome­nade militaire du 10 mai au 23 juin 1940; nombre de chefs français facilitèrent l'opération grâce à une conception prévoyante du patrio­tisme qui devait devenir officielle et nationale deux mois plus tard. « Le 15 juillet 1940 presque tous les conjurés du M.S.E. étaient en place; il y eut donc peu à changer dans le haut personnel de l'Etat. Il ne resta plus qu'à renvoyer les membres du Parlement dans leurs foyers et à récompenser le zèle des officiers généraux ayant su avec habi­leté faciliter une révolution par un désastre. « L'exploitation du pouvoir suivit avec une remarquable rapidité qui traduit et met en évidence, d'ailleurs, l'existence d'un plan préa­lablement établi et sûrement concerté. Un mois après la prise du pouvoir (18 août 1940), une loi organise la formidable pyramide des comités d'organisation et de répartition qui réalise la concentration de toute l'industrie française entre les mains de quelques affiliés. Onze mois plus tard (6 juillet 1941), une loi sur la réforme bancaire coiffe solidement le sommet de cette pyramide en plaçant l'organi­sation et le contrôle de toute l'activité bancaire entre les mains de quelques financiers apparte­nant au même groupement. « Exploitation combien facile avec la nouvelle

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de l'Etat: les grandes administrations pays sont devenues les services extérieurs de

.' Worms et le Journal officiel sert de . aux décisions de son conseil d'admi-

dont les hauts fonctionnaires de ",·"" ..... '.T ne sont plus que des agents d'exécution.

année aura donc suffi pour que la signi­profonde de la «drôle de guerre de

9-1940» apparaisse enfin en pleine : une révolution camouflée et dissimu­

'sous un désastre militaire obtenu par une . truquée, en vue de concentrer l'écono-

du pays entre les mains d'une maffia aux de puissants intérêts internationaux.

ceci réalisé en France sous le haut patro­de l'Eglise, complice du drame immense de le fanatisme de certains membres de son

ou simplement victime de certains t:a;tii't1-"", mais en tout cas étroitement associée

bénéfices de l'opération. » ne saurait dire que cette thèse soit à pro­

parler marxiste. Il n'est pas douteux, cas, qu'elle préfigure très nettement

qui aura cours dans les milieux de la , c'est-à-dire les milieux de gauche.

,la retrouve chez Albert Bayet (Pétain et la .. Colonne, qui ne parle pas de synar­mais en dessine l'image), chez Roger Guil­

'(les Trusts contre la Patrie), chez Georges (la France trahie par les trusts), chez Dumas (la France trahie et livrée) et

d'autres études parues dans la clandesti­ou dès la Libération.

,'toute une littérature paraît à ce moment, "'. ,pour cerner les véritables responsabilités

véritable nature du régime de Vichy, ses

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origines proches et lointaines, fait appel non ~ seulement au complot immédiat contre les institutions républicaines, mais encore à une 1

vaste conjuration qui s'identifie à la «réac­tion ». Dans les campagnes de presse menées au grand jour, par la presse résistante, se dis- 1

Cette thèse tingue alors Pierre Hervé qui, dans le journal lop~é~'!t:~; Action, affirme que la synarchie - entendue

la Li,bérati?n comme l'expression des « aspirations des élé­trahze (PariS, 1 1 1 'd d' b .., 1

Grasset, ments es P us UCI es une ourgeolsle mte-1945). Voir 1 Il ~ fin ., d' b . . .

aussi Bernard ectue e et anclere, une ourgeolsle qUI ne

1\6 yoyùennet: veut pas capituler» - conserve en 1945 la 1.UZS 0 son 1 d d Il' . d

les révolu- plupart des eviers e comman e. etait onc tionnaires? . , . bl 1 H C . ."

(Paris, Le mevlta e que es autes ours qUl sIegerent Portulan, alors se préoccupassent de la question 1946). , .

Dès le procès de Pierre Pucheu, exécuté à Voir Général Alger le 20 mars 1944, l'ombre de la synarchie

STi~!t:~ était apparue, mais avec incertitude, car la vérité sur défense en nia l'existence, cependant que l'ac-le procès . ".. bl d l" bl' . 'd' Puchezz cusatlon S averalt mcapa e e eta Ir Jut! 1-

(Paris Il'' . l' Plon,1963): quement. en Ira amsi pour tous es proces de collaboration, y compris celui de Pétain, au cours duquel de nombreux témoins l'évo­quèrent sans que jamais la cour se décide à considérer leurs témoignages comme décisifs.

Voir Jean- De la même manière que les cours de justice Louis Aujol: furcmt incapables de conclure de façon le Procès

, h!le(npois~- sérieuse sur l'existence même de la synarchie, Mec zn arls 1 A ffi . Il . f Albin-Michel, es autres enquetes 0 CIe es qUI urent ouvertes

1948) et cf. '1 'b" , It t . annexe à la apres a guerre n a outlrent a aucun resu a , fin de cet ainsi l'information confiée par le J'uge Béteille ouvrage.

et le conseiller Gareau au juge Alexis Zousman (par ailleurs chargé de toutes les affaires rela­tives au Commissariat aux questions juives) fut-elle purement et simplement classée, en avril 1947 ; ainsi les travaux de la Commission

4-2

d'enquête, instituée par la loi du ... août 1946 en vue de faire la lumière sur

•... événements survenus en France de 1933 à furent-ils sans résultat précis en ce qui

la synarchie. de sanction officielle n'a cependant

empêché cette dernière, ou au moins le de poursuivre la carrière que l'on sait;

au contraire, elle a notablement contribué .;~('!';rlr .. ~"''' le terme d'un parfum de mystère per­

L'échec des enquêtes officielles pour de preuves est ainsi devenu la démons­

,,:.a:~"~~U de la permanence et de l'invincibilité du synarchique. Par là s'explique, du

pour une part, le prestige du mot, quelle soit l'appartenance politique de ceux qui

usent, de Minute à l'Humanité. Je signale

que la synarchie est passée d'une dimen- entre cent exemples .sion historique à une autre; de l'explication cO!ltemPt~-·d·" , . d A 1" ralns ce lire :.evenements graves malS tout e meme Iml- dans

it~~ au temps d'une péripétie politique : ~~~3~~~té ,,~:!;;.: d'abord une équipe ministérielle de circons- 11959ffi: «quand , .• %:{ .. bl d 1 ·es 0 CIers :!;tjyice, capa e e saboter a« Révolution natio- activistes,

'{i\~le » et la collaboration avec le Reich ; ~eést:~fi~~ss et

Yi ensuite une organisation occulte soutenant ~~g:~t~l animant l'équipe vichyssoise participent à

, f . h l' l'· . d la nouvelle a ait autre c ose: exp Icatlon e toute synarchie".

de la France au xx" siècle. des querelles de sous-préfecture et des

de journalistes en mal de sensation­la synarchie ou les synarchies sont deve­, par un processus qu'il convient d'exami­

, une véritable philosophie de l'Histoire.

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Pétain et Darlan.

:':;")'

,\~()nt empo raine '~i:.i:1;::; .

n peut aisément imaginer que la n'ait pas survécu aux événements

était supposée expliquer: les époques ont toujours été fertiles en théories

.~VJ.lll"'llC:~: les prophéties de sainte Odile les interprétations « nouvelles» de Nos-

ont leur succès immanquable, dont ne s'inquiète dix ans après. L'émer­

et l'oubli s'expliquent aisément. ne fut le cas de la synarchie.

des documents anonymes, suspects, des témoignages et des mémoires

qui avaient été mêlés aux événements

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de l'Occupation, l'inévitable cortège des polé­miques n'ont rien éclairci, tant s'en faut. Restaient les historiens. Eux-mêmes ont hésité, devant cette étrange société secrète. Quelques­uns, pourtant, ont étudié le problème, mais ce fut pour récrire l'histoire de France antérieure au conflit, en posant comme axiome que tout s'explique par l'histoire de cette société secrète. Parmi ceux-là deux auteurs doivent être men­tionnés ; ils ne sont pratiquement pas connus en dehors de certains milieux spécialisés, mais leurs travaux, repris ou plagiés par d'autres, ont eu une influence considérable sur tous ceux qui se sont intéressés à la question, tout de même que le «Rapport Chavin» avait été repris et copié un peu partout. Il se trouve d'ailleurs que ces deux auteurs ont soutenu la même thèse que Chavin, en la corrigeant et en approfondissant certains points. Le premier de ces auteurs, dans l'ordre chrono­logique, s'appelait Raoul Husson (1901-1967); il n'était pas spécialisé dans les recherches de science politique, mais avait eu l'occasion de participer à l'élaboration de certains des docu­ments anonymes qui circulèrent sous l'Occupa­tion. Sa contribution à l'élaboration d'une explica­tion de la politique française par l'action du mouvement synarchique se manifesta surtout par la série d'articles que, sous le pseudonyme de D.-]. David, il donna à la revue la France intérieure qui était publiée, à la Libération, par Georges Oudard. Peu après, il devait faire paraître, cette fois sous le pseudonyme de Geof­froy de Charnay (nom d'un adjoint de Jacques de Molay, grand maître de l'ordre des Tem-

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"'J .. '"

:pliers), un ouvrage assez mal fagoté sous le titre Synarchie, panorama de vingt-cinq années Paris,

d'activité occulte, ce qui exprime assez bien la ~~~l~i~s thèse de l'auteur. 1946. '

Le second « spécialiste» de la question était un vieux routier de la « politique secrète» ou pré-tendue telle, Roger Mennevée, qui dirigea en êffet pendant presque cinquante ans une de ces

"èntreprises qui, moyennant abonnement, déli­".vrent à longueur d'année des lettres confiden­

tielles et des bulletins consacrés aux dessous de ,la politique et de la finance. 'Journaliste de talent, Roger Mennevée était d'ailleurs vraiment bien informé en ce qui concerne les questions relatives à l'espionnage sous toutes ses formes; sacrifiant pourtant, 'comme nombre de ses confrères, à l'esprit de système, il se mit, après la Seconde Guerre mon­diale, à voir la synarchie partout, de telle manière que les milliers de pages qu'il lui

,consacra, dans ses Documents politiques, diplo­,:matiques et financiers, sont surtout des docu­'ments étonnants sur ce que peut produire ,il'idée fixe. 'De longue date pourtant, Mennevée avait

dénoncé l'action politique et financière d'une ,',société secrète qu'il n'appelait pas encore la

ainsi qu'en témoignent les premières ,'~.u.,F.U\_", d'une étude qu'il consacrait, en 1928, à

organisation antimaçonnique» en France : 'La grande bataille que mène la réaction inter­

:éiÎ::""'~vu,uc:, depuis 1919, contre toutes les idées et libérales, sous les inspirations

« Sainte-Alliance» monarchique et reli­constituée par les monarchistes les plus

"~',~u",u' d'Allemagne, d'Autriche, de

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Hongrie, de Russie, en vue de la restauration dans toute l'Europe d'un régime monarchique de droit divin, prend actuellement une ampleur considérable et se manifeste en France sous une forme particulière sur laquelle il est de toute urgence d'attirer l'attention des milieux répu­blicains. » Ce que Mennevée dénonce alors, c'est l'action de 1'« Internationale de la réaction» dans des termes qu'il reprendra purement et simplement par la suite en la nommant « synarchie ». Armé de prudence, le lecteur attentif retiendra que ces travaux décrivent la synarchie non pas comme la conjonction occasionnelle des efforts de quelques ministres ou politiciens qui, à la faveur des péripéties politiques hasardeuses, auraient constitué un groupe de pression, mais bien comme une véritable organisation hiérar­chisée, poursuivant des objectifs précis pendant une longue période: c'est-à-dire une donnée politique permanente. Cette organisation, recrutant dans certaines couches élevées de la bourgeoisie, aurait, pen­dant les vingt années précédant la défaite de 1940, mis en place ses affiliés dans les hautes sphères de l'administration, les «grands corps de l'Etat », dans des sociétés secrètes « infé­rieures» comme la franc-maçonnerie, dans certains milieux militaires (anticommunis­tes), comme dans certaines associations de « cadres»: techniciens de l'organisation du travail découvrant alors la technocratie. Ce « noyautage », pratiqué avec discernement, aurait eu pour effet d'installer aux postes déci­sifs des hommes dévoués, sans que leur nombre excède jamais quelques centaines; Charnay

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qu'ils n'étaient qu'un millier en 1939. thèse, délibérément orgatliciste, distingue

~ttf!ml::nI la synarchie d'un mythe familier aux '''lJl ... a"", avec lequel on l'a souvent confondue,

des «Deux cents familles» (les U.S.A., le sociologue Wright Mills, connaissent

des « Soixante familles»). Voir l'Elite

ces derniers cas en effet les politiciens du pouvoir , , ' (New York, que la concertation étroite entre les °ux~ord 't

d d "" fi ., nlverSl y e gran s mterets nanClers s exerce Press, 1956;

travers des relations familiales, conjugales ~~~i;~ro, "sociales qui ne sont pas différentes de celles 1969).

commun des mortels. contraire, dans le cas de la synarchie -

soit tenue pour une réalité ou pour un -, il s'agit d'une organisation précise

'::H~V'U les desseins sont de donner forme et effi­à une volonté de puissance qui, au des Deux cents familles, demeure indis-

,J"i"""'~'·o et comme fluente. d'autres termes, les Deux cents familles C;",",il"~J.aJl"'ilt indistinctement la bourgeoisie

des grands moyens de production, que soit la manière dont elle gère cette

ro • .,. .. "" .. o privée, quel que soit le niveau idéo­de ceux qui en font partie.

, au contraire, réunirait dans une organisation les représentants des couches

plus dynamiques de ce grand capitalisme et hommes les plus aptes à le faire survivre tous les moyens.

auteur pourtant ne se résout à l'analyse "la synarchie comme réalité politico-écono­

; il faut un parfum plus violent. Aussi t-on à la rapprocher d'une société

politique réputée: celle des « Illuminés

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Sur les de Bavière », dans laquelle certains ont voulu lllllmin,és, V'OI'r le prototype de l'entreprise subversive -la these

de R~né en oubliant simplement qu'elle avait été inca-Le Forestier, bl d . '1 ., d d

publiée en pa e e surVIvre a a premiere escente e 1914, fait l'

encore po ICe.

autorité. C'est qu'à vrai dire la synarchie, comme l'ordre des Illuminés de Bavière, aurait pris comme modèle la Compagnie de Jésus. Tout le mys­tère serait là. Si l'on y regarde de près, pourtant, les révé­lations relatives aux méthodes de recrutement de la synarchie n'ont rien de probant. Lisons les affirmations de Geoffroy de Charnay: «Les recruteurs du Mouvement synarchique s'ingéniaient à attirer les sujets, à recruter vers une multitude de groupements d'apparences les plus diverses. Là, les invités sont à leur insu observés, étudiés et circonvenus. Lorsqu'un sujet paraît mûr pour être affilié, un recruteur spécialisé se rend à son domicile et lui remet un exemplaire du Pacte synarchique. Il lui demande en général son adhésion immédiate (sic). Mais quelquefois aussi il lui laisse le document pour lecture et pour étude. Le sujet est ainsi affilié (resic), car bien rares sont ceux qui refusent leur adhésion, ayant été en général bien choisis et longuement étudiés. «De véritables conférences méthodologiques étaient faites par certains dirigeants du M.S.E. aux recruteurs spécialisés. On leur enseignait notamment, dans ces conférences, qu'il fallait envisager l'atomisation de la conjuration. Il leur était recommandé de ne «démarcher» que leurs relations personnelles, chaque recruteur ayant ainsi un secteur social, le sien propre à prospecter.

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; .. ;~<'::De plus, tout affilié devait cacher sa qualité .'ide membre du M.S.E., même à une autre per­,sonne qu'il savait appartenir également au M.S.E., ceci en vue de renforcer dans toute la mesure du possible le secret de l'association ... » Ce texte montre bien que le caractère spéci­fique de cette association secrète, était, à en croire Charnay, de n'avoir aucun des caractères

; spécifiques d'une association secrète! Ce qui .est décrit là correspond en réalité aux méthodes ~que suit tout parti de cadres, soucieux de s'as­.~urer que ses membres professent des idées

:èompatibles avec les siennes propres. ..•. puisque ces dangereux synarques étaient assez naïfs pour se laisser attirer par le miroir aux alouettes de «groupements d'apparences les plus diverses» - ce qui est tout dire -, il paraît nécessaire de savoir ce qu'étaient ces pièges subtils. Selon nos auteurs, ils se classent en trois groupes principaux: 4- sur le plan philosophique, la plupart des associations, instituts et colloques divers qui,

.. entre les deux guerres, diffusèrent une idéolo­'gie se rapportant de près ou de loin à l'élabo­ration d'un nouvel humanisme: humanisme :é~onomique, humanisme intégral, transhuma-

....•• ,.uu .• ~, etc. ; sur le plan économique et social, les asso­. diverses - qu'elles soient d'inspiration

.. ;i'i\\J!UVPl'tpITIPnt patronale ou syndicale, ou des de recherches apparemment indépen­

, comme X-Crise ou France-1950 ._- qui, même époque, se préoccupaient d'organi-

. scientifique du travail, de rationalisation bien encore s'attachaient à l'étude de la crise

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économique du monde capitaliste et cher­chaient à la résoudre en recourant au «pla­nisme» ;. - sur le plan politique, les organisations dites nationalistes qui, après 1934, se consacrèrent à la lutte anticommuniste. Il est à noter à cet égard que Mennevée estimait pour sa part que la Cagoule, par exemple, n'était pas sous l'in­fluence directe de la synarchie, mais qu)elle avait pu être utilisée par cette dernière (notam­ment en ce qui concerne l'assassinat de Nava­chine) par l'intermédiaire d'autres organisations comme le mouvement« Spiralien », anticommu­niste et antijudéo-maçonnique, animé par un curieux homme, Georges Loustaunau-Lacau. Ce dernier point conduit à préciser ce qui, d'après nos auteurs, aurait été à l'œuvre der­rière tous ces groupements: «Le Mouvement synarchique d'empire, écrit Roger Mennevée, lâchant enfin son mot, a été, sur le terrain administratif, industriel et intellectuel, un puis­sant moyen d'action de l'Eglise romaine et spé­cialement des jésuites pour la subversion de la lIr République. » Ce mouvement n'est donc ni plus ni moins qu'un nouveau masque de l'Internationale réac­tionnaire. Il est curieux de constater que cette thèse, marquée à gauche et qui sera reprise par de nombreux spécialistes de l'anticléricalisme, en fait rejoint, par certains aspects, celle des collaborationnistes, partisans musclés d'un national-socialisme à prétentions révolution­naires, et qui dénonçaient dans la synarchie les influences «réactionnaires et cléricales» exer­cées par certains conseillers et certains ministres du Maréchal. Curieuse rencontre ...

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ce qu'on doit souligner pour voir dans son ampleur le problème posé -. - celui

la croyance en l'action de la synarchie -, que ce nouveau nom donné aux entre-

de «domination cléricale» ne fait ici à une invraisemblable quantité de

dénonçant, tout au long de notre politique, l'action de l'Eglise et de ordres religieux, au premier rang des­

nous retrouvons, bien sûr, la Compagnie Jésus. n'entre pas dans notre propos d'analyser

tenants et aboutissants de cet autre mythe moins comme chimère que comme

représentation dynamique» vivant de sa vie ."'1-,nht.p), il faut pourtant souligner son intéres­

avec la notion de synarchie. On entre autres exemples, qu'après

CA""CA""UJ.at de Henri IV, déjà de très nombreux de polémique dénoncèrent le rôle des

dans l'événement; le titre de l'un des pittoresques, qui est une réponse à la

!'iiiln!ler,ens,e de la Compagnie qu'avait publiée le Coton, confesseur de Sa Majesté, dit clai­

le sens de ces campagnes : «Anticoton, réfutation de la lettre déclaratoire du père

:,,...~.~'-' ••. Livre où est prouvé que les jésuites sont et auteurs du parricide exécrable

en la personne du Roi Très-Chrétien IV, d'heureuse mémoire» (1610).

long des années et même des siècles sui­la réputation de la Compagnie ne fera

. croître et embellir, ainsi qu'en témoigne fortune du faux célèbre dû au prêtre polo­

J awrowsky, qui a traversé l'Histoire sous titre de Monita secreta, ou instructions

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secrètes destinées à permettre aux jésuites de conquérir le pouvoir le plus absolu en toutes matières; en témoignent aussi les contro­verses qui agiteront la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle, inquiète des «infiltrations jésui­tiques », ou bien encore les campagnes d'un Montlosier contre le «parti prêtre» et la « congrégation », au début du XIXe siècle. Encore ne s'agit-il ici que de quelques exem­ples, mais qui montrent bien que les dénoncia­tions des entreprises cléricales sont une vieille habitude et ne peuvent convaincre pleinement (si elles entendent vraiment convaincre) que si elles apportent des preuves et non pas seule­ment une conviction. Aujourd'hui encore, dans le cas de l'Opus Dei, par exemple, on peut constater que de tels errements ont toujours cours, au point qu'il paraît normal qu'un jour­naliste définisse cette organisation singulière par une référence vague à une synarchie elle­même indéfinie: «L' œuvre (l'Opus) n'a que faire des sociologues; elle leur préfère les scientifiques et les économistes, et elle devient une gigantesque E.N.A., une sorte de théo­cratie technocratique ressemblant beaucoup à la synarchie qui fit tant parler d'elle en France pendant la guerre. » En bref: qu'est-ce que l'Opus Dei? Une sorte de synarchie ... Qu'est-

Minute, ce que la synarchie? Une sorte d'Opus Dei ... nO 388 du 0 . d il 1"

3 décembre n VOlt que e te es exp 1catlOns ne sont 1969. guère probantes, même si, et surtout si elles

reflètent un peu la réalité; il est bien vrai que le rôle politique d'institutions comme la Compagnie du Saint-Sacrement, les A A, la Sapinière au même titre que la Compagnie de Jésus ou l'Opus Dei mérite une étude atten-

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ri.···'·· '. . /:'

tive, mais on ne voit guère que celle-ci puisse progresser si peu que ce soit par des «dénon­ciations» comparables à celles que je viens de citer. Bien au contraire, les outrances de lan­gage et les assertions ridicules dont elles sont souvent remplies (la palme revenant à Nicolas de Bonneville, qui voulait, à la fin du xvnt siècle, chasser les jésuites de la franc­maçonnerie et ne craignait pas d'affirmer que Voltaire lui-même était mort jésuite sans en

., avoir le moindre soupçon) seraient même des ... obstacles graves à la compréhension de ce qui

...... fait la puissance politique de ces organisations. Dès lors, le lecteur comprendra que l'on doive recevoir avec circonspection la thèse selon laquelle le Mouvement synarchique aurait été un instrument de l'Eglise et des jésuites, qui - jouant le rôle de «Supérieurs inconnus », comme on disait dans la maçonnerie, ou de «Puissance inconnue », comme fut parfois

. ., désignée l'instance suprême de 1'« Intelligence i,~ .. .. Service » - auraient su animer des organisa­f tions politiques diverses et parfois même oppo­':::' sées en apparence. Il faudrait alors admettre

que l'Eglise, considérée comme un centre de '. décision unique, aurait pu utiliser, délibéré­'"ment et de manière simultanée, des organisa­

d'extrême droite, de type phalangiste, ."'~'.UU.l'- certaines de celles qui furent à l'origine

événements du 6 février 1934, et des libérales de gens qu'on appellerait des «réformateurs », voire des

sociaux-démocrates », alors entichés de pla­tion, comme les technocrates, que l'ex­

droite a toujours dénoncés comme des .. fouriers du communisme ».

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L'aspect intéressant de ces thèses demeure le fait qu'elles décrivent la synarchie comme un centre de décision unique et mondial, une des «forces occultes qui mènent le monde »'. Ces dernières seraient ordonnées autour de « pôles », sortes de points d'accumulation .du capital et du pouvoir financier entre les ma1r:s d'un petit nombre d'hommes, en mesure d'am­mer des « réseaux» liés entre eux par des fac­teurs économiques, mais aussi politiques, reli­gieux, psychologiques ou autres - ces hommes possédant des moyens en nombre indéfinis.

D'après Mennevée, qui s'est fait le théoricien de cette explication de la politique internatio­nale, il y aurait ainsi: - le pôle P (protestant), à la tête d'une form~­dable pyramide d'intérêts anglo-saxons: ame­ricains britanniques, allemands, nordiques; - le 'pôle C/S (catholique-synarchiste), qui réunit les intérêts financiers concentrés depuis des siècles autour de l'Eglise~ et dont le Mou­vement synarchique n'aurait donc été qu'une sorte de tiers ordre ; - le pôle C (communiste), issu d'une activité révolutionnaire tendant à déposséder les deux premiers de leur prédominance. L'histoire secrète du monde s'expliquerait donc par les conflits acharnés que se livrent, par per­sonnes interposées, ces trois centres de déci­sion. La synarchie, pour sa part, aurait été un ins­trument dans la lutte que se sont livrée, entre les deux guerres, le pôle C et le pôle C/S, le pôle P n'intervenant pratiquement pas, en France.

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pôle C, tendant à la création d'un cap~ta­d'Etat, son adversaire aurait été contramt, sauvegarder sa puissance, de riposter sur plans. D'une part, en ~ppelant à la l;:ttte,

y compris la lutte armée, contre le commumsm~ \comme le firent les puissances occidentales qUl . en Russie à la fin de la Première

" Guerre mondiale ou en soutenant les organisa-. d'obédience fasciste et nationaliste; enfin

inspirant la législation anticommuniste du de Vichy.

, autre part, pour conserver toutes ses , quelle que puisse être l'issue de cette

. , le pôle C/S aurait mis en place A un système idéologiq~e appelé à f~ir~ ,apparaltre l'inutilité de la revolutlon conslderee par les tenants du pôle C comme l'unique moye~ de rendre la société plus juste et plus humame : pourquoi faire lÎne révolution économique,

.,,'puisqu'il est possible, dès à .~r~sent et sans \i~i(:,' remettre en cause la propnete des grands !~j~hrnoyens de production, de suivre. une «t~oi­\::s';!'sième voie» entre le «conservatlsme caplta­;'t;;;;!liste» et le «socialisme inhumain»? D'où :'!':i l'importance des mouvements pIanistes, huma­" nistes et réformistes dans le système de rectu­

'tement synarchiste. On voit que ces thèses r:e manquent pas d'éléments digne.s de retenu

•. 'attention, en vue d'une analyse ngoureuse des . tés politiques du xxe siècle.

conservent. pourtant un défaut grave; de tout exoliquer par des «sociétés

~p.r·rÀ+,~" » qui, mê~e si elles ont pu avoir une ~.II.l:j[e]:lce objective, sont des conséquences plus

des causes. Internationale blanche, Deux familles, jésuites, Cinquième Colonne et

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beaucoup d'autres témoignent surtout, quand on les donne pour des explications non naïves de l'Histoire, de la sentimentalité de ceux qui les dénoncent et qui, les ayant identifiées, croient avoir découvert le ressort profond de l'Histoire, et de leur propre histoire. Mieux, tout alors s'explique: l'Histoire a une signification précise et accessible; ses désordres ne sont qu'apparents puisqu'ils sont, en fait, le résultat visible de combats invisibles que se livrent sans merci de puissantes sociétés secrètes, tout comme, aux yeux des Anciens, toutes choses s'expliquaient par le combat des dieux. Sans doute conçoit-on aisément que beaucoup aient eu et aient encore la tentation de se repo­ser sur une telle explication, simple et globale, tenant à l'essentiel puisqu'elle éclaire toutes les situations, inexplicables par ailleurs; qu'im­portent les rêves de puissance de ces maîtres occultes, si leur existence donne à la raison la sécurité de savoir que l'Histoire a une signifi­cation. On comprend dès lors que politologues et his­toriens aient renvoyé la synarchie dans «l'en­fer» des croyances irrationnelles et soient restés sur la prudente réserve qui avait été celle des magistrats, des jurés et des parlemen­taires ... Aussi, chaque fois qu'ils l'ont rencon­trée dans leurs études, ils ont essayé d'éluder le problème du complot, par une petite phrase

J de mise en garde; tel, par exemple, le Pr Jean

,ean d l\Ieynaud: la Meynau , traitant de la technocratie: «Sans

Technocratie: d 1 h' d 1 h' . muthe Oll a opter a t ese u comp ot synarc Ique, signa-réalité? p. 1?7 Ions la concordarice de cet intérêt pour les

(Pans,. h Payot,1964). SCIences umaines avec les préoccupations

.58

, '," qu'affichent de nombreux pa-:, ... » C'est qu'à chaque fois il faut faire

",',la part des affirmations de polémique, d'une :ft part, des constructions mentales élaborées de , ,manière para-historiques, d'autre part, des faits

:eux-mêmes enfin, étant admis que ces derniers , sont toujours présentés par les témoins en

,' .... ' f0I?-ction de leur propre jugement sur la synar­; ,chIe.

);;i:;":Rien n'est plus caractéristique à cet égard que ":}\;')le témoignage de René Gillouin, qui figura g:;:(souvent sur les listes de synarchistes mises en \N':"circulation à Vichy. Habitué de l'antichambre S;' ,du Maréchal, dont beaucoup le soupçonnèrent ", d'être l'éminence grise (et il n'eût pas été fâché

de paraître comme tel dans l'Histoire), Gil­louin, dans ses Souvenirs, tient évidemment à prendre seS distances par rapport au «com-plot ». Mais comment ne plongerait-il pas René

l'h' , d 1 l'" d' , Gillouin' Istonen ans a perp exlte, pUlsque ses ene- J'étais l'~mi

,gations elles-mêmes confirment plutôt l'exis- dl! M~récha?

d, . d Petaw (Pans,

:;;,;,:tence une entrepnse e grande envergure? Plon, 1966).

i;;",Qu'on en juge: «Je tiens à déclarer, ici, une ;";,fois pour toutes, que lorsque je parle de la

,'synarchie, ce n'est pas comme d'une conspira­tion, mais comme d'une équipe (dont l'initia-

':, teur avait été, si je ne me trompe, mon ami Jean Coutrot) et que je ne lui prête nullement

desseins ténébreux et inavouables, mais ambitions de puissance qui, si vastes

elles fussent, n'avaient rien en elles-mêmes condamnable, sauf leur prétention ou leur

à s'identifier avec l'intérêt natio-..» On croit rêver quand le même auteur

encore cette innocente «bande de » comme «un puissant groupement

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Le Crapouillot,

n° 20, sur Ies «Sociétés Secrètes»

(paris, 1953).

d'intérêts industriels et financiers qui, profitant de l'innocence du Maréchal en la matière (et c'est un de ses conseillers qui parle), avait mis la main dès le premier jour de Bordeaux sur les leviers de commande économiques et finan­ciers du nouvel Etat français ». Pour résoudre la contradiction intellectuelle entre le refus de la thèse jugée fantastique du complot et l'obligation de reconnaître qu'à Vichy s'était manifesté un «puissant groupe­ment d'intérêts financiers », les spécialistes de la science politique ont esquissé une thèse foncièrement différente. L'un des premiers à la formuler fut Emmanuel Beau de Loménie, auteur d'ouvrages mainte­nant classiques sur les dynasties bourgeoises, qui écrivait en 1953 que «la société secrète dénommée Mouvement synarchique d'Empire n'a probablement jamais existé ou n'a été qu'une minuscule chapelle dont l'origine ne semble pas remonter beaucoup plus haut que l'année 1940. En revanche, l'esprit synarchique, qui se confond quant à l'essentiel avec l'esprit technocratique, a existé et s'est développé dans toutes sortes de cercles influents plus ou moins liés entre eux, mais en même temps rivaux. Qui plus est, cet esprit synarchique ou technocratique n'est pas mort. Bien loin de là: il se développe aujourd'hui plus largement encore, en marge de notre parlementarisme restauré, qu'il n'avait fait sous le couvert du pauvre maréchal Pétain. Seulement, il se garde aujourd'hui de se laisser entrevoir du public au travers d'un aussi naïf document que le fameux «Pacte» dont le texte circulait dans les bureaux de Vichy. »

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thèse a été largement reprise depuis lors Philippe

l 1 Ph'l' B h d Bauchard' que ques auteurs, te lippe auc ar les Techn~-affirme dans un ouvrage estimable qu'il crates"et.

, ., . ' le pouvozr eut pas complot, mais une verItable <~ com- (Paris,

d ' M 1" . Arthaud, e pensee ». « enta Ite », avaIt 1966);

conclu, pour sa part, Henry W .Erh- ~~};~ann: dans son livre publié à Princeton en la Politique

7' 0 . dB' . F J du patronat : rganzze uszness zn rance j acques fran.çais . .... d'" 1960 (Pans, ne cralgrut l"'as ectlre, en , que A. Colin,

le procès de la synarchie n'avait pu s'ache- 1959);

faute de preuves, il n'en avait pas moins J~cques . d l' '1 b Billy: les un Important moment ans e a ora- Techniciens

des idées technocratiques en France» et le.Pouvoir , (PariS,

que plus près de nous un autre uni- P.U.F.,1960); , . '. Roland

, Roland Mousmer, analysaIt dans le Mousnier: les

synarchique le prototype d'une société ~:~rd~~~hies ordre technocratique. w.û~~:, 1969).

quelques exemples dus à des auteurs et pour certains éminents, se caracté­

tous par le refus d'une vision fantastique de conjurations et de complots, mais aussi l'affirmation précise d'une concertation des groupes proches du pouvoir. On peut

demander, dans ces conditions, si cette sorte « dissolution» de la synarchie dans une

peut permettre une meilleure compré­des facteurs réels de l'histoire poli­

Sans doute met-elle en ordre çertains «idéologiques» du problème et tient­

compte de la montée des techniciens profi­de l'abaissement du parlementarisme. Mais a le défaut grave de participer, elle aussi,

mythe - celui des « technocrates» -tend à considérer ces derniers comme un

pouvoir possédant une idéologie et

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poursuivant des objectifs spécifiques propres aux membres de ce groupe. C'est pourquoi ces explications rationnelles de la synarchie me paraissent encore faire une large place à l'illusion: tout groupe social détenteur d'un pouvoir tend à l'exercer pour son compte et sans partage, de telle manière qu'on peut affirmer que quiconque l'exerce pour autrui ne le détient pas vraiment. A aucun moment, les équipes de techniciens de Vichy, et d'ailleurs, n'ont montré la moindre hésitation quand il s'est agi de la sauvegarde des intérêts du grand capitalisme. Curieuse autonomie de ce « nouveau pouvoir » théoriquement libre de toutes attaches politiques, et théoriquement capable, au nom de la raison et de la technique, d'aller fort avrnt dans le sens de la rationali­sation et de la réforme de la société ... En l'es­pèce, il n'est pas douteux, et le témoignage de René Gillouin le confirme, que les synarchistes, ou réputés tels, n'étaient que les mandataires de puissants intérêts économiques. Loin d'être une explication satisfaisante, la «communauté de pensée » et la « mentalité» doivent être examinées, à leur tour, dans une perspective qui ne sacrifie pas aux aspects mythiques de la toute-puissance des techno­crates, considérés comme une nouvelle «force occulte» aussi sommaire que toutes les autres. C'est qu'une nouvelle fois, et en dépit de la « rationalité» de la thèse, nous rencontrons un raisonnement caractérisé par la croyance que les centres de décision ostensibles d'un régime poli­tique donné ne sont pas les véritables déten­teurs du pouvoir, mais des organes de transmis­sion et d'exécution dominés par des groupes

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v~",'~~,-~ et permanents. Il est clair que cette de la politique et de l'Histoire

.. ' distingue radicalement de l'image qu'on se /:fait des «groupes de pression» ordinaires.

En réalité, toutes les thèses relatives à la synar­.... chie et dont on vient de brosser un tableau . d'ensemble laissent place à des prétentions d'un ordre beaucoup plus élevé, puisqu'elles la

:;présentent comme une société permanente au \~('service d'une philosophie et mettant en œuvre ~{\ùn plan précis. !p;Aucune d'entre elles, pourtant, ne satisfait l'es­J;l;,prit, tant il est vrai que la seule évocation du ./ mot de « société secrète » entraîne avec elle un /: cortège de fantasmes que la raison elle-même

ne parvient pas à exorciser. Est-ce à dire, pour autant, que l'on doive renon­cer à connaître le fin mot de la synarchie ?

. Certainement pas, mais simplement que la :compréhension du phénomène synarchiste

<;:.exige que l'on tienne compte de tous les fac­)teurs qui ont pu jouer un rôle dans son élabo­

tion. Ce n'est pas par hasard que, dès la pre­",UJL~"'" allusion publique à cette organisation, on

évoqué la franc-maçonnerie et l'occultisme. synarchie ne peut être comprise dans le seul

;:,," .... vUJ.a.·Lu .. politique, non plus que dans le seul Il est nécessaire, indispensable,

la comprendre, de voir simultanément deux versants de la même montagne, faute quoi les thèses les plus subtiles demeurent simples hypothèses.

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LES.'JÉSUITES d'1iA SS É S

DE LA MA'ÇONNERŒ. E T

LEUR POIGNARD BRISJt PAR

LES MAÇONS.

ORIENT DE LONDRES. . l 1 8 8.

Le titre de l'ouvrage de B?nnevi!le exprzme bzen

les obsessions de son auteur.

\ le.· ..

çcultisme Utique

'occultisme, en général, fait en effet large place à l'idée que des groupes mysté­

animent des émissaires secrets et jouent rôle décisif dans la conduite des sociétés

UH,U1H~:' ; il a largement contribué à répandre conception familière et même populaire

se manifeste par l'importance accordée par . amateurs de la petite histoire au rôle des . , mages et alchimistes dans l'entourage souverains. peut, en effet, rapprocher certaines dénon-

. . de la synarchie des Campagnes menées très longtemps contre la franc-maçonne-

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rie accusée d'avoir préparé de longue main, et par un complot immense, la Révolution fran­çaise qui fut assurément, pour le corps social, un traumatisme profond, assez comparable, à cet égard du moins, à la défaite de 1940. On ne peut manquer de rappeler le nom de l'abbé Barruel, auteur des fameux Mémoires pour servir à l' histoire du jacobinisme, parus en 1797, et qui démontraient que la maçonne­rie était la seule et unique responsable de la fin de l'Ancien Régime. Mais il faut dire aussi qu'il ne s'agit pas là d'un cas isolé: cinq ans avant lui, un autre religieux, nommé Lefranc, avait publié des études dont les titres sont très clairs: le Voile levé pour les curieux, ou le Secret de la Révolution révélé à l'aide de la franc-maçonnerie, ou bien encore: Conjuration contre la religion catholique et les souverains, dont le projet conçu en France doit s'étendre dans l'univers entier. L'Anglais John Robison, que fréquenta Bar­ruel (qui mit d'ailleurs une ardeur toute con­fraternelle à le prendre de vitesse pour l'édi­tion de son ouvrage), écrivit de son côté un livre destiné à révéler les Preuves d'une cons­piration contre toutes les religions et tous les gouvernements de l'Europe, ourdie dans les assemblées secrètes des Illuminés, des francs­maçons et des sociétés de lecture. De telles publications ne faisaient alors que préfigurer d'autres «modèles» mentaux desti­nés à une audience incroyable tout au long du XIX

e siècle, car à l'explication, par l'action de la franc-maçonnerie, des événements tragiques de la Révolution française, devait bientôt s'ad­joindre, puis se substituer l'incrimination des

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comme agents moteurs invisibles de l'His­Barruel, lui-même, peu de temps avant

mort en 1820, avait entrepris la rédaction nouveau mémoire fondé sur la révélation

;, que lui avait faite un mystérieux capitaine, :ofean-Baptiste Simonini, de Florence, d'une ,';conjuration révolutionnaire permanente con­i:!duite par les juifs et les Templiers, formant i\,i,,:une véritable internationale dirigée par un :'~~~onseil s~pr~me. -, e~ occulte, il va de soi -, 'l!(i:et dont 1 obJectif etait de mettre bas la chre­il\tienté : dès lors la franc-maçonnerie n'apparais­')~!Nsait plus que comme un simple agent d'exécu­~i~(';tion de ce plan. >';';!Dès ce moment, on voit se dessiner clairement 'le type d'interprétation de l'Histoire qu'on

retrouve dans les dénonciations de la synarchie. Si de nombreux auteUjs, en effet, ont insisté

," non sans raison sur le rôle que tinrent dans ,l'élaboration de l'idéologie de la «Sainte­

.;(;Alliance» des auteurs «mystiques» comme :;~:':Bergasse et Mme de Krüdener, bien peu ont J;~ouligné la part prépondérante que prirent ,:dans cette affaire les tenants du barruelisme le ,,:plus borné. Le tsar Alexandre 1"", par exemple, :qui, un temps, favorisa certaines tendances de ,Ta maçonnerie, fut très rapidement «into­

',,''''''''UII'<C» par des campagnes contre le «marti­,:,,:<é'~,LL"U,,:; », sans voir qu'on désignait par ce mot ,'q'l'''''''';:'l bien l'entreprise subversive des « Illumi­

de Bavière » que certains courants religieux piétistes de la franc-maçonnerie.

,"\fc~'''u,..l''<c par cet amalgame, Alexandre 1"' en vien­à prescrire, le 13 août 1822, à son ministre

l'Intérieur, le comte Kotchoubey, « la disso­:!~,\""l\ ... Il! des sociétés secrètes de toute dénomina-

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tion, telles les loges maçonniques », soupçon­nées de libéralisme. Or cette mesure intervient

Sur précisément à la veille du départ d'Alexandre .Alexandre, pour le congrès de Vérone au cours duquel il

vOIr l'ouvrage ' de Constantin aura communication d'un mémoire fameux, dû de Grunwald:, h" AH' .. d Alexandre [er, a C rlstlan ugust, von augwltz, m1nlstre e

le Tsar Pl' A b '1 'd l' d mystique russe et ul-meme mem re ze e e or re (Paris, Amiot- maçonnique et chevaleresque de la Stricte

Dumont. , 1955), Observance, dans lequel est affirme que «la

clef de tous les événements de la Révolution se trouve dans le martinisme ».

Pourtant, et c'est là le point essentiel qui démontre que décidément ce qui concerne la représentation qu'on peut se faire d'une société secrète suppose la maîtrise d'une logique tout à fait particulière (et à certains égards non aris­totélicienne, au sens qu'Alfred Korzybsky donne à ce mot), il est extrêmement curieux de constater que Roger Mennevée, qui se donnait la mission de combattre la résurgence, sous le nom de synarchie, d'une nouvelle Sainte­Alliance, n'hésitait pas à reprendre à son compte, probablement sans le savoir, la propre terminologie d'Haugwitz, partisan de cette même Sainte-Alliance, en affirmant que «le grand mécanisme de diffusion de l'activité révo­lutionnaire depuis un siècle fut le faisceau mon­dial des sectes martinistes, dondes affiliés, dans chaque pays, contrôlaient eux-mêmes une foule de groupements divers (loges maçonniques, sociétés de pensée, associations multiformes, etc.) ». Etrange coïncidence, d'un siècle à l'autre, et qui montre bien à quel point il importe, pour voir clair dans cette affaire de la synarchie,

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ucider ce qui provient de l'occultisme, ou l'image qu'on s'en fait.

coïncidence n'est pas fortuite, mais ~'UV~F;U'" plutôt du succès de certaines légendes

à force d'être répétées, finissent pas s'im­chez ceux-là mêmes qui, de par leurs

.1'rl1nrf'<: choix politiques, auraient eu vocation n'en être pas dupes.

première d'entre elles, qui eut cours à la fin XIX

C siècle et au début du xx", est celle des tratiDns maçonniques dans l'Eglise», éton­

symétrique, d'ailleurs, de celle qui tenu le haut du pavé un siècle plus tôt, ~t

visait les «infi~trations jésuitiques dans ·la ~anc-nlaçonnel' »!

ex-jésuite, le père Emmanuel Barbier, écri­en effet sous ce titre un ouvrage paru en

10, adorné de nombreuses approbations quelque peu imprudentes, au

Délaissant l'imagerie ridicule d'un Taxil dont il recueillait toutefois une part

succès, Barbier voulait démontrer que ce appellera plus tard la «crise moder-

» dans l'Eglise avait été méticuleusement par une société secrète manipulée invi­

par les occultistes et pseudo~gnos­de l'époque, eux-mêmes invisiblement par les plus secrets initiés de la « Kab­

juive ». . peut ignorer un tel factum. Mais ce qu'il important de savoir, c'est que de longs

en seront repris trente ans plus tard être appliqués à la synarchie; il est de intéressant de noter que plusieurs colla­

de Barbier, dont notamment un cer­abbé Boulin, qui signera aussi Roger

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,

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Duguet, furent mêlés de tr~s près à y a~aire ,de «la Sapinière », cette cuneus: soct,ete. secrete int~griste ~ont on s'ac~ar;:e ~ulourd.hu~ enco~e à mer l'eXIstence, et qUl s etaIt constituee s~~r~­tement en vue de dénoncer le rôle des SOCIetes secrètes! De plus, un très grand nombre ~es documents qui, sous l'Occupation, dénonçaIent la sy?-ar­chie, provenaient des milieux. auxquels on VIent de faire allusion, qui ne voyaIent dans la sy~ar­chie qu'une forme nouvelle de la subverslOn qu'ils n'avaient cessé de fus~iger. . Dans certains cas même, 11s attemdront, sur leur lancée, des sommets rares dans le délire interprétatif. C'est le cas, par exemple, dans un très curieux document, daté de décembre 1943 et consacré à «l'impérialisme allemand et les sociétés secrètes pangermanistes », qui n'hésite pas à affirmer l'existence d'une direction occulte et unique des régimes politiques les plus divers... , «Nous avons déjà signalé l'identité, foncie~e des phénomènes comme l~ Nouvel~e economIe politique (N.E.P.) en RussIe, le fascIsme en Ita­lie le nazisme en Allemagne, le New Deal aux U.S.A., la Révolution nationale en Franc:. Tous ces phénomèmes ont été vo~lus et ?rgam­sés par les dirigeants des loges I?-t~rnatlOnales et en particulier les chefs du martIn1sn;e. « On connaît l'importance de cette methode de pseudo-réaction et on sait à q~e~l:, idée. de manœuvre elle répond chez les In1tIes q~ll la mettent en œuvre. Il s'agit de donner satisfac­tion au sentiment naturel de résistance à la Révolution tout en évitant l'éclosion de la réaction vraie. »

70

la stupidité de certains amalgames ne doit dissimuler la cohérence du raisonnement ils procèdent, qu'on doit rapprocher de la

sinistre par certaines de ses consé­. . , des Protocols des Sages de Sion. On \'sait que ce terme désigne un taux, élaboré par ,la police politique tsariste, qui fut diffusé à des :11lillions cl' exemplaires en Europe occidentale,

';j •. après la Première Guerre mondiale et que les ,j~pazis utilisèrent largement pour justifier leur ~~politique antisémite. I~~e texte rassemble plusieurs des thèmes utilisés i(~~u XIX· siècle pour dénoncer les prétentions ~~ominatrices prêtées au peuple juif par des .aùteurs comme Osman Bey, Herman Goedsche, Sidney Vignaux et de nombreux autres. A les en croire, il existerait une sorte de directoire occulte et mondial, nommé «Kahal» (le mot .veut tout simplement dire «communauté»), Jbrmé par les juifs en vue d'organiser par tous ~i:Jes moyens une domination autoritaire sur tous ilJès peuples de la planète. ::J.f;st-il besoin de préciser que ce schéma simple <,ai donné lieu, de la part des antisémites, aux . gloses les plus diverses et les plus convaincues ? ,'Tous sont d'accord pourtant pour admettre '. tous les accidents de l'Histoire: les révolu­

le Mal, enfin, ne trouvent à s'expliquer par un tel directoire, et les désaccords entre différents éditeurs des Protocols ne sont

i~~,UIX-1Jnernes qu'une preuve supplémentaire de la des moyens d'action des Sages de

et de leur aptitude à donner le change ! aussi, on le voit, il importe seulement qu'un

soit posé; tout le reste est affaire -·~'''U'~.\.. dans l'induction et dans la déduction.

71

L'ouvrag,e essentiel sur cette question demeure: Henry RoUin: Apocalypse de notre temps (paris, Gallimard, 1939). On peut consulter aussi: Norman Cohn: Histoire d'un mythe (Paris, Gallimard, 1967).

Page 35: [Jean Saunier] La Synarchie(Bookos.org)

H. Raus- Adolf Hitler lui-même, fort ébranlé par les chning' P l 'h'" , 1 Rh' Hitler m'~ rotoco S, n eSltalt guere, se on ausc nmg,

dit. (Pa!i.s, à affirmer qu'il importait peu que la fausseté Llbralrie d 1 l' d' hl d'" Som~g~, e 'ouvrage (p aglat un pamp et 1t1ge

1939). N l'III)' "d' , d contre apo eon a1t ete emontree e façon incontestable: l'important n'est pas que les Protocols soient authentiques au sens for­mel, mais qu'ils soient « véridiques» : tout ne se passe-t-il pas comme s'ils disaient la vérité? Que répondre à une telle logique, dont l'axiome fondamental n'est plus le principe d'identité? Il en va souvent de même dans tout ce qui concerne la synarchie et, dans son cas comme dans les autres, ce qui s'exprime souvent est d'abord l'incapacité de la raison à saisir la nature de l'Histoire. La preuve en est fournie par une collaboratrice de la très intégriste Revue interna(ionale des sociétés secrètes, qui signait de son nom de jeune fille, Lesley Fry, et qui, s'interrogeant sur l'identité des «Sages de Sion », écrivait en 1931 : « Mais quels sont leurs noms? C'est un secret qui n'a jamais été révélé. Ils sont la main cachée. Ils ne sont ni le « Comité des députés» (le Parlement enjuivé d'Angleterre), ni 1'« Al­liance israélite universelle» qui a son siège à Paris. Mais feu Walter Rathenau (assassiné par un groupe terroriste pré-nazi), de l'Allgemeine Elektrizitiits Gesellschaft, a jeté un peu de clarté à ce sujet, et il est probable qu'il eut connaissance de leurs noms, car tout porte à croire qu'il fut lui-même l'un des principaux leaders. Voici d'ailleurs ce qu'il écrivait dans la Wiener Freie Presse: Trois cents hommes (juifs naturellement) gouvernent les destinées

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continent européen, et ils élisent leurs suc­dans leur entourage ... »

s'explique l'Histoire: tout portait Fry et quelques autres personnes satis­de leur perspicacité, à croire ... car bien

le secret-qui-n' avait- jamais-été-révélé n'était devinette enfantine pour eux ...

maçonniques, judéo-maçonniques ou ild1eo-matconnJ'lco-bolcheviques, de Barrue! à

et de la Sainte-Droujine tsariste à l'ac­John Birch Society, relèvent bien d'une logique d'autant plus probante qu'elle

plus courte.

en quoi cela concerne-t-il la synarchie? directement, parce que, on l'a vu, pour

:f:::~kJ<;;alu.'-'-'UIJ elle n'a fait que prendre le relais, en temps, des mêmes hantises; elle fut «la nocive des loges maçonniques », comme

fut accusée d'être la revanche des intérêts à une époque où juifs et francs-maçons

la très chrétienne législation que

certains aspects de l'anti­n'ont été que le reflet de ces

•• .......... Ju'"'" obsessions. C'était d'autant plus nor­en un sens, que le seul programme synar-

te connu avait été élaboré par des occul-

conviendrait-il de s'entendre sur ces . René Guénon a fort justement souli-

que la notion d'occultisme est une chose René

t " d ., Il Guénon' e meme mo erne, pmsqu e e ne l'Erreur' ,~·"JHIC'- guère au-delà du milieu du XIX" siècle spirite (Paris, . . d . 1923,2" éd.

connalssalt auparavant que es Editions

1 1 . 1 tradition-u .... ' .... ,.'-,,» occu tes, p us ou mOlns occu tes nelles, 1952).

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d'ailleurs et parfaitement autonomes les unes par rapport aux autres: alchimie, astrologie, magie, mancies diverses, etc. Eliphas Lévi et, après lui, plusieurs écoles sans filiation tradi­tionnelle, comme le néo-rosicrucianisme, le théosophisme, l'occultisme et le martinisme de Papus entreprirent, chacune à sa manière, de constituer de toutes ces sciences, un corps doc­trinal unique, au demeurant fort hétéroclite. Parce qu'ils n'étaient pas sans quelques connaissances, et pour que l'illusion fût complète, ces auteurs n'hésitèrent pas à se récla­mer de traditions antiques et prestigieuses. C'est ce qui explique, en tait, le parallélisme éton­nant entre les démarches des occultistes et des anti-occultistes, quand il s'agit de rêver sur la direction occulte des grands événements humains. De longue date, en effet, certaines traditions

Voir Paul véritablement ésotériques ont porté sur le gou-Arnold' d'" '1 fu' d . Histoire de~ vernement es socletes ; 1 su ra e caer, par

Rose(-pCro,ix exemple, des textes d'inspiration rosicrucienne, ans, dl' A d Mercure de comme les projets e Jean-Va entm n reae,

France, 1945); 1 'f ' l" bl' d' R' bl' J·ean Servier: re aU s a eta issement une« epu ique Hi~~(H~p~: christianopolitaine », comparable à la «Cité du

(Paris, Soleil» de Campanella, à la «Nouvelle Atlan-Gallimard,. d F . B '1 M . d

1967), US» e ranCiS acon, ou a a« acana» e Samuel Hartlib, qui témoignent, aussi bien que la célèbre « Utopia» de Thomas More et d'une manière évidente, de la force de l'idée d'une société gouvernée par des Sages et des Initiés, tels qu'on les retrouve encore dans le « Collège de la Lumière» dont rêva Jean Amos Comménius. C'est cette même idée, chère aux hommes qui ne se résolvent pas à admettre que l'Histoire

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"n'ait aucun sens, et pas davantage à penser que .' 'l'état insatisfaisant dans lequel se trouve la ., société humaine puisse n'avoir jamais de terme, ';, que l'on retrouvera plus tard, sous une forme

différente, dans la légende des «Supérieurs inconnus» de la maçonnerie du XVIIIe siècle. Qui furent-ils? Qui le dira, puisqu'ils furent

, inconnus? Ce qui est sûr, c'est que dans cette .:,': légende, qui donna lieu à d~innombrables ';q-controverses, se retrouve l'image d'initiés ayant ;~ii;atteint un tel degré de réalisation spirituelle ~?{'qu'ils sont devenus capables de savoir ce qui 8ii'convient aux individus et aux sociétés. 'i:iTels les mystérieux compagnons de la « Société ." de la Tour» que découvre Wilhelm Meister

au terme de son périple: les épreuves qu'il avait connues, la chance inexplicable qui l'avait parfois servi, tous les événements de sa vie, en un mot, avaient été ordonnés - mis en ordre - par cette confrérie. De même, dans l'ordre

';collectif se retrouve une idée-force comparable, ;icelle d'abolir le hasard, insupportable à la rai­.... son, de sublimer la notion de destin, insuppor­'table aux sentiments, et de leur substituer le

rêve d'une nouvelle Providence exercée par des Sages.

... , On voit ainsi clairement quels rapports exis­'~i·tent entre cette conception de la vie sociale

lUP'l'n,~p par des « supérieurs inconnus », et d'une «Grande Loge Blanche» inventée le théosophisme, ou encore celle des

Maîtres spirituels» chère aux occultistes. ce point de la recherche, on ne peut manquer

certaines traditions étranges - et retrouve dans de nombreuses civilisa­- relatives au «Roi du Monde ».

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Si l'on se réfère à l'ouvrage magistral de René Guénon, le Roi du Monde, on constatera que ce nom désigne un «Législateur primordial êt universel », principe unique dont la fonction est d'énoncer la loi propre aux conditions d'un monde, d'une existence ou d'une civilisation donnés. Toutefois sa fonction, loin d'être pure­ment symbolique et spintuelle - c'est-à-dire, pour des contemporains, « théorique et imma­térielle» -, se manifeste, selon le même auteur, par l'intermédiaire d'un « centre spiri­tuel établi dans le monde, par une ORGANI­

SATION chargée de conserver intégralement le dépôt de la tradition sacrée, d'origine non humaine, par laquelle la Sagesse primordiale se communique à travers les âges à ceux qui sont capables de la recevoir ». Il est clair que Guénon ne fait pas ici allusion à une notion purement symbolique - mais à une organisation établie dans ce monde et capable de diriger la société humaine. Or c'est par là que nous rejoignons une nou­velle fois la question de la synarchie, car il se trouve que le créateur du système synarchique, Saint-Yves d'Alveydre (1842-1909), a non seulement largement influencé l'occultisme contemporain mais est aussi un des premiers auteurs qui aient évoqué clairement cette « légende» du Roi du Monde et consacré un ouvrage au centre initiatique supérieur qu'il appelle l'Agartha. Il se trouve aussi, et le lecteur comprendra que le long périple auquel on l'a convié n'était pas vain, que le système philosophico-politique dénommé synarchie constitue à la fois une her­méneutique de l'Histoire et un programme

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. 'action, en vue de l'instauration d'une société te gouvernée par des sages. alors, dira-t-on, s'il a bien existé un

système synarchique » ne serait-il pas l'expli­. en vain recherchée jusqu'ici ?

et non. parce que la question reste marquée par

dualité dont il est malaisé de sortir: d'une , dans le domaine politique, aucun de ceux ont été accusés de synarchisme ne s'est

réclamé de Saint-Yves d'Alveydre, même que personne n'a jamais reconnu son

à un tel mouvement; d'autre seuls quelques petits cénacles occultistes aucune effi.caci:té politique se sont procla­

més les disciples de Saint-Yves d'Alveydre, en prenant bien soin de récuser tout lien avec une synarchie politique et technocratique. .oui, pourtant, dans la mesure où l'on est prêt

reprendre l'examen des pièces du dossier, en compte des mises en garde dont ce d'ensemble à démontré précisément la

sité, parce qu'elles tiennent à la logique : processus d'une élaboration concep­

par laquelle notre raison elle-même sacri­au besoin de voir clair jusqu'à se substi­

au réel ; ou implacable logique de l'esprit qui conduit à donner pour une exp li­

miraculeuse ce qui n'est que la renoncia­à l'effort de comprendre.

ces deux extrémités, il y a place pour compréhension véritable de ce que fut la

, de ce que furent les synarques ...

Page 38: [Jean Saunier] La Synarchie(Bookos.org)

. ..' Saint-Y,/es d'Alveydre . (probabl~ment vers 1880).

n rquls

'.- ., insplre: Saint-Yves . d'A lveydre

'L'étude de la synarchie commence donc, en bonne logique, par celle du système élaboré par J~eph-Alex~dre Saint-Yves, mar­quis d'Alveydre ; œuvre singulière d'un homme au destin peu commun, œuvre qui tient à la fois de la révélation personnelle et de l'inter­prétation para-scientifique d'antiques traditions. Mais le moins étrange n'est pas que l'on y découvre souvent, au milieu d'un fatras de rimailleries et de redondances pseudo-prophé­tiques, des analyses politiques rigoureuses dont la suite a montré qu'elles n'étaient pas si , vaines.

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Ce curieux mélange, qui souvent a pu déconcer­ter, explique assez bien que tout ce qui concerne la synarchie soit demeuré longtemps confus; il y a cependant encore d'autres raisons à cet état de choses.

«c.e théo- La première est que la diffusion de l'œuvre dé sopheest S· y ,. . d' - '1 ].. .

le patriarche amt- ves n a Jamals epasse es Imltes smgu~ du renom:eau lièrement étroltes d'une partie du petit monde

occultiste. -1· 1 1 Il Les Rose-Croix occu tlste sur aquel e e e exerça cependant contemporains -' ----;:--- f . fl--s'en réclament une tres orte ln uence.

à h~uts cr Ai Ce n'est pourtant pas que Saint-Yves ait laissé -et bien qu i . d·ff' . ·1 fA. n'appartînt m 1 erents ses contemporams; 1 ut meme Sl lui-même à d·' . C ·11 FI aucune lscute que certams, comme aml e amma-

société .. 'h l' • , , l' d secrète. C'est non, n eSlterent pas a attaquer par es pam-

à ce titr~ de phlets dont l'un des plus curieux est un roman inco~~~~~ à clefs qui parut en 1886 : Monsieur le Mar-

que cette . H· . d' h ' 1·· phYSIOnomie quzs, zstozre un prop ete, sous a slgna-attire Il;otre ture de « Claire Vautier de l'Opéra» qui dis-attention:» . . ' ,

(Paul slmulait, en fait, une demoiselle Vigneau, son Vulliaurl).. AC·' ". d anclenne maitresse. e qUl n est qu un eplso e

secondaire, qu'on remettra à sa place, comporta cependant de graves conséquences pour les tra­vaux relatifs à notre homme. C'est qu'en effet tous les documents biogra­phiques qui furent ensuite publiés eurent pour objet de répondre à ces pamphlets et à ces

La France . 1 . . 1 d ' . . vraie (paris, artlc es vemmeux qUl e ecnvalent comme Lé~ali887r charlatan, suborneur de jeunes fil1es, hypnoti-

y, Fab~ seur, plagiaire, pontife de salon ... des Essarts: S· YI· Ad· b1· Mon Maître. amt- ves Ul-meme crut eV01r pu ~ler un M~fcï~ir~ long plaidoyer pro domo) en introduction à

(Paris;f8J~)~ l'un de ses ouvrages, que ses disciples, com~e Barlet: Fabre des Essarts, ou Barlet, son seul b1O-

Saint-Yves h b' 1·' d . d'Alm'ydre grap e, se ornerent par a suite a repro Ulre. (Paris, H~nri Depuis lors aucun auteur n'a tenté de repren-

DurvIlle, ' 1909). dre les recherches de manière plus scientifique.

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'Il'on voit ainsi de quelle belle naïveté font preuve ":~>André Ulmann et Henri Azeau, lorsqu'ils disent ,:(j,(:s'en tenir, en ce qui concerne la biographie de ;:;:xe personnage, « à ce qu'un de ses admirateurs !;::::passionnés, l'occultiste contemporain Jacques Jac9ues

:::Weiss, a bien voulu (sic) en révéler» ; il s'agit 't;;e;~;~!Se; en réalité d'une médiocre compilation du plai- ['autorité face au doyer paru dans la France vraie) c'est-à-dire poul~oir

-Ii' .. 1 . d' b· h·' . (Pans, Adyar, .... , tout e contralre une 10grap le seneuse. 1955).

;~~:Il n'est évidemment pas question de donner ;.J~it,i~i l'étude critique que I?érite la vie ?e l'in~ ~j!;"It1ateur de la synarchle; Je me borner al donc a ~(iretracer les grandes lignes de ce destin peu ;;:i',commun, non sans renvoyer le lecteur désireux :!"Id'entrer dans le détail à une autre étude que Jean , . 1· . , Saunier: Je Ul al consacree. Introduction

Joseph-Alexandre Saint-Yves, Dé le 26 mars ~~:herches 1842 à une heure du matin, était le f1ISël'un sur Saint­

médecin, Guillaume-Alexandre, alors âgé de J,1Îveydre

trente-sept ans, et d'une très jeune femme, Cà paraître).

'. Marie-Joséphine Amouroux, qui n'avait que ':i, dix-huit ans lorsqu'il vint au monde, dans la L'~cte de

::Xdemeure familiale, à deux pas de la 20rte Saint- ~:lh~~~~~hie i,',Denis au 23 de la rue de l'EchiquIer. - ;~~: sans

,,' ses a~nées d'enfance furent tôt remplies de violents conflits avec l'autorité paternelle et avec ses maîtres d'école; l'atmosphère fami-

. liale devint vite irrespirable, si bien que son ;' père se résolut à le placer, alors qu'il n'avait

<U que treize ans, dans une institution créée par ,:Gi;ùn conseiller à la Cour d'appel de Paris, Frédé-'}:;;ric-Auguste Demetz ( 17 9 7 -1873) qui, dès A tort anobli ", '1839· "f· ·en «de Metz» :.' . ,avait renonce a ses onctlOns pour se par de

,i/' consacrer à l'enfance délinquante. nombr·eux CT', . auteurs. )hcH avait ainsi fondé une «Société paternelle '!ikipour l'éducation morale, agricole et profession-

~:;~'

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Page 40: [Jean Saunier] La Synarchie(Bookos.org)

nelle des jeunes détenus âgés de moins de 16 ans acquittés en vertu de l'article 66 du Code pénal comme ayant agi sans discernement ». A cette initiative s'intéressèrent nombre de personnages distingués, comme le comte de Gasparin, le banquier François Delessert, le duc Decazes le comte de Rambuteau et beau­coup d'autre~, au nombre desquels i~ faut citer le Dr Villermé et Alexis de Tocquevllie. Dirigée par Demetzet Herman de Courteilles, l'association s'était installée à Mettray, près de Tours dans un immense domaine (dès 1855, il co~porte 196 hectares). Très vite d'ailleurs, elle avait recueilli, à côté des enfants pauvres, des fils de bonne famille, insubordonnés comme Saint-Yves, qu'on désirait rééduquer en les impressionnant par une claustration de courte durée. Demetz, par sa forte personnalité, influencera durablement Joseph-Alexandre qui, jusqu'à sa mort lui témoignera une grande vénération. Il es; vrai que loin de son père tout allait bien; Saint-Yves resta peu de temps à Mettray et s'en alla vivre chez le curé d'Ingrandes, l'abbé Rousseau, cependant que Demetz surveillait son éducation pendant deux ans. Puis il revint dans sa famille. Las! ni son père ni le lycée n'avaient changé. Ce fut donc à-nouveau la guerre. Ayant à grand­peine obtenu son baccalauréat en avril 1861 (il avait été recalé l'année précédente), Saint­Yves après de nouvelles incartades, fut cont:aint par son père à s'engager dans l'i?fan­terie de marine. Une fois encore Demetz mter­vint et lui permit de poursuivre ses études en obtenant de ses supérieurs qu'il entre à l'Ecole

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de médecine navale de Brest. Il y demeure trois ans, puis est mis en congé indéfiniment renou­velable par suite de maladie. pour des raisons demeurées obscures, il décide, à vingt-deux ans, de s'installer chez les pros­crits de Jersey, n'ayant pour survivre que les ressources modestes d'un jeune répétiteur de lettres et de musique. Son biographe, Bar­let, indique seulement qu'il était attiré «par les œuvres et la gloire de Victor Hugo»; de fait, toute sa vie, Saint-Yves demeuréra un hugolâtre fervent et consacrera à son idole des

... poèmes redondants. C'est alors qu'il se lie avec un autre hugolien, Adolphe Pelleport, et fré-quente assidûment les deux gendres de Pierre

1· L D Antoine Leroux Auguste Desmou ms et uc esage. Fabre

Une re~contre, pourtant, :ra le marquer, en lu~ f;?Jtî~25), Permettant de s'abreuver a une source que lU1 éru~itet

. d' D «theosophe», avaIt chaudement recomman ee emetz, auteur des

l, d F b d'Ol' t 1 th 'phe Vers dorés de œuvre e a re Ive, e eoso. Pythagore, de la Langue

Il fI ' , . hébraïque La grand-mère de Pe eport, en e et, n etaIt resfituée, de

V· . . F ' 1 Il l' d l'Etat social autre que IrgIme aure a aque e une egen e de l'homme

tenace magistralement étudiée par Léon Cel- ·Het.dt'u!le , 18 aIre

lier, a fait la réputation d'avoir été la « conso- ph~loso-1 · l" ,. d F b d'Ol' Eli ph/que du atnce» ou egene e a re lVet. e genre , . tr hl/main. etaIt, en tout cas, un personnage assez ex a-ordinaire qui avait, dit-on, confectionné le bon- 'l;oir

ouvrage net de baptême du Roi de Rome et, surtout, fondamental

1· . d 1 H' V"l D de Cellier: IsaIt ans e texte omere, Irgi e et ante Fabre

. aussi bien que Shakespeare. Par elle, Saint- ~~~I::t:I~_ Yves connut nombre de précisions sur Fabre et ti~n li

, l'etude des Surtout ses œuvres completes. aSfïec.ts

La guerre de 1870 le rappelle sur le continent ; ~~~~~~~~~ la Commune de Paris l'impress.i~nne au ,plus T.êr:tizet, haut point et de là date son ambltlon de decou- 1953).

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vrir une formule politique susceptible de met­tre fin à la violence dans les rapport sociaux. Pour l'heure, il devient, après le conflit, un

Le dossier modeste commis au ministère de l'Intérieur, ti'o~~~i~~ dans les services chargés de l'étude de la presse

Saint-~ves politique. devraIt se . ., ,

trouver aux Une nouvelle rencontre - la trOlsleme, apres Archives Il d D Il d F b de France, ce e e emetz et ce le e a re, par personne

sOFiblÎ2V9\~ interposée -, mais encore plus décisive, allait Matl~rétde soudainement bouleverser son destin. pa Ien es L' d l "1 f ' .,.,

recherches, un es rares sa ons qu 1 requentalt etait, a jedn:~~!v~i~~ la bibliothèque de l'Arsenal, celui de Paul

sa~s Lacroix, auteur d'un grand nombre d'ouvrages pOUVOIr. d h"

expliquer cuneux et e romans lstonques; au cours cette d' "'1 r M' «clisparition». une SOIree, 1 y rencontra une remme, ane-

La famille Victoire de Risnitch, qui venait, en cette année materneUede 1876 de divorcer d'avec le comte Edouard la comtesse ,

Rze~s~a Fiodorovitch Keller, sénateur et chambellan de cO~~br~u~ la cour impériale de Russie et aussi conseiller ï~f~~~~!~~~ privé de Sa Majesté le tsar. La comtesse Keller

et parfois avait près de cinquante ans. Claire Vautier, peu singuliers. Je

signale au rancunière et réservant ses flèches à Saint~Yves, passage que , . d' li l' , . l'épOIlSl' de ecnt e e, et en occurrence son temOlgnage 'v-rrfi~î~ n'est pas sans intérêt, qu'elle « avait conservé,

petite-nièce en dépit des années, les restes d'une beauté de Marie

de Risnitch. jugée célèbre à l'époque du dernier empire. Le mariage T ' d '1 ' 1 . . . avant cu lieu res gr an e, e ancee, e vIsage un peu amalgn

. en 1900, sous le fard qui en dissimulait habilement les Weygand aurait fort rides, l'œil noir et profond rendu plus expres­

bien pu être reçu chez sif par l'estompe qui en accentuait le dessin, la

Saint-Yves... comtesse portait haut sa tête héraldique et imposait à tous par sa grâce fière et souveraine. De violents orages avaient traversé sa vie. Elle avait inspiré de grandes amours, de puissantes haines, semé sur sa route de nombreux bien­faits, récolté de noires ingratitudes. Elle s'était

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ir;',',r,",.: i ~;;,

l''?' I~::: mêlée à de hardies entreprises financières et

[

l, ;!~;: politiques et avait même joué, dans la dernière " guerre de l'Allemagne avec la France, un rôle 0" assez important pour qu'il ne fût pas oublié ... »Monsieur.

L'" 1 . f ' . le MarquIs. age venant, a comtesse, qUI ne requentaIt pp. 111-112.

plus guère le monde ~'était prise d'un vif inté-rêt pour les sciences occultes en général et l'al-chimie en particulier. Saint-Yves, jeune encore, bien fait, musicien, lettré et surtout connais­seur en hermétisme, ne pouvait manquer de retenir l'attention de la nièce de Madame Hanska. Comme sa tante, la comtesse Keller ne recula pas devant ce que son monde tenait

, pour une mésalliance. Moins d'un an après leur rencontre, elle épousait Saint-Yves. Le mariage fut célébré discrètement en Angleterre, à West­minster, le 6 septembre 1877, et le couple vint s'installer non loin de l'Etoile dans un hôtel particulier, au 27 de la rue Vernet. Saint­Yves, bien sûr, quitta le ministère de l'Inté­rieur pour découvrir une vie nouvelle, dans un cadre que tous les témoins ont décrit comme particulièrement raffiné, servi par une domes­ticité nombreuse en livrée noire. La différence d'âge entre la comtesse et lui, la différence de fortune lui firent bien sûr gagner, aux yeux du Tout-Paris, une réputation de «gigolo» que répandirent les pamphlets.

De même fut tourné en ridicule l'échec d'une curieuse opération commerciale, dans laquelle, peu de temps après son mariage, il entraîna

, la comtesse et quelques aristocrates; il avait, , . en effet, résolu de mettre au point un procédé

d'utilisation industrielle des algues marines. Ayant acheté un brevet qu'il compléta par des

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travaux personnels, il fonda une société qui ouvrit boutique sur le boulevard des Italiens.

Il reste de Le papier qu'elle fabriquait demeurant décidé-' cette " . il f Il ' l' entreprise ment trop gLlS, a ut mettre un terme a ex-

une Intté- périence, la comtesse ayant englouti dans ressan {'

brochure: l'affaire une somme coquette. De l'lltilité D' . f' Il . d . des al(1ues autres satls actIOns a aIent cep en ant vemr, ~~~~~~; puisqu'en 1880 la comtesse, dont l'ascendance

1879. paternelle était originaire de la région de Trieste, acquit une terre italienne à laquelle était attachée le titre de marquis d'Alveydre. C'est celui que prit son roturier d'époux. Ce dernier se consacra alors à son grand des­sein: la synarchie. Assisté d'un secrétaire, Louis Cabrol, auquel il dicte ses ouvrages, «dans une sorte d'extase continuelle », Saint-Yves rédige alors une série de livres, dénommés « Missions» ; le premier, qui paraît en 1882, était la Mission des Souve­rains; viendront ensuite celle des Ouvriers} puis la Mission des juifs} celle de l'Inde} celle de la France. C'est à cette époque que se déclenchent contre lui les campagnes auxquelles j'ai fait allusion: dans la Mission des juifs} un étonnant ouvrage dont on reparlera, l'œuvre de Fabre d'Olivet était à peine mentionnée; plusieurs repro­chèrent donc à Saint-Yves d'avoir effrontément pillé le «grand homme» (au demeurant fort obscur à cette époque) sans même lui rendre hommage. Dans le Rappel du 7 juillet 1885, un certain Victor Meunier, par ailleurs directeur du Cosmos} l'accusa d'avoir pillé, sans les citer, l'Histoire philosophique du genre humain} la Langue hébraïque restituée} ainsi que les Vers dorés de Pythagore} et s'attacha à compa-

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rer minutieusement les textes. Que Saint-Yves ait fait de nombreux emprunts n'est pas dou­teux; mais c'était méconnaître qu'il les avait fait entrer dans un système très différent, en dé~itive, de celulde Fabre, et fort original. Toùjours est"il qu'il se défendit avec maladresse et fut ulcéré par la publication du roman dont j'ai parlé, Monsieur le Marquis} qui, il faut le dire en bonne justice, est loin d'être une œuvre purement intellectuelle. Il s'agissait de régler des comptes qui n'avaient que peu de rapports avec la mémoire de Fabre d'Olivet. Ce qui est sûr, c'est que sa notoriété, qui commençait à s'affirmer auprès des occultistes subit un rude choc. Oswald Wirth, secrétair~ et biographe de Stanislas de Guaita, occultiste renommé en son temps, écrit que ce dernier «éprouva un cruel désenchantement lorsque l'auteur de la Mission des juifs fut démasqué en tant que plagiaire de Fabre d'Olivet. Ne voulant pas faire chorus avec les adversaires de Saint-Yves, Guaita se tut, mais il ne put s'empêcher de confier « qu'en fin de compte tout ce qui est bon dans Saint-Yves est du Fabre d'Olivet, le reste, du Saint-Yves original », en quoi l'ami était aussi cruel que l'ennemi, car on verra que l'œuvre du nouveau marquis d'AI­veydre était vraiment singulière.' Saint-Yves n'en poursuivit pas moins son œuvre et, au cours des années suivantes, publia de nombreux livres, des brochures, des poèmes grandiloquents destinés à l'illustration du sys­tème synarchique. Mais la déconvenue fut grande et, moins de huit ans après la Mission des Souverains} il mettait un terme à l'entre­prise qu'il couronna d'une «épopée nationale

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dédiée à l'armée française », Jeanne d'Arc .vic­torieuse (Boulanger et Déroulède sont passés par là), qui paraît en 1890 et qui constitue; selon l'expression de Victor-Emile Michelet pourtant plus que sympathisant, un assez éton­nant « fatras de rimailleries ». Mais alors la fortune de la marquise a com­mencé à fondre. Le couple, contraint aux « éco­nomies », émigre à Versailles dans une demeure sise en bordure de la place d'Armes et fort convenable, d'ailleurs, puisqu'il s'agit de l'an­cien hôtel de Mademoiselle, au 9, rue Colbert. L'heure du grand train est passée, et la mar­quise, qui atteint soixante-huit ans, mourra peu après, le 7 juin 1895. Saint-Yves, inconsolable, transforme sa chambre en chapelle ... Pour lui cependant l'étrange n'est pas fini. En 1886, en effet, il avait écrit un livre curieux auquel j'ai déjà fait allusion à propos de la «légende du Roi du Monde» et qu'il avait intitulé Mission de l'Inde en Europe. Mission de l'Europe en Asie. La question du Mahatma et sa solution, ouvrage à certains égards fantas­tique et qui contenait une curieuse description de l'Agartha, centre initiatique suprême dans le monde, et peuplé d'êtres étranges. On se rappelle que les années 1880 furent marquées par la diffusion, en Europe occiden­tale, des idées théosophistes et orientalisantes élaborées par Helena Petrovna Blavatsky; mais, dès avant que ne fût fondée en France la branche « Isis» de la Société théosophique, en 1887, tout un courant animé (et financé) par lady Caithness, duchesse de Pomar, àvait contri­bué à la propagation de certaines idées relatives aux <~ Mahatmas », grâce notamment à la revue

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messianique dénommée l'Aurore du jour nou­veau, à laquelle contribuait largement un cer­tain abbé Roca, disciple fervent de Saint-Yves. Mais qu'il s'agisse de la Société théosophique d'Orient et d'Occident, créée en 1882 par la duchesse de Pomar, ou de la Société théoso­

. phique tout court, chacun, dans le monde occultiste, adhérait à la croyance qu'il existait quelque part dans le monde des «Maîtres de Sagesse », invisibles et généralement situés dans quelque inaccessible Tibet, où ils formaient une «Grande Loge Blanche» dirigeant de manière occulte les destinées du monde. Ces « Mahatmas-Maîtres-de-Sagesse» ressemblent, bien sûr, étrangement aux rose-croix et aux Supérieurs inconnus, à ceci près qu'ils n'hé­sitent plus, pour faire connaître leurs inten­. tions aux dirigeants élus du théosophisme, à

:tr recourir à de véritables tours de prestidigitation. "', Ainsi Koot Hoomi LaI Singh: Morya, Djwal

l;~; Kul, dont les noms mêmes sont parfois des ifi!. défis aux lois les mieux assurées de la linguis-

:;lrii; tique... . rn: Or, v~rL1885, Saint-Yves avait reçu la visite W·· d'un' « mystérieux-émissaire» gui se disait ':'" prinëeiifghan'-et se-nommait Hadji Scharipf. ;;. Poùr weiiiifier'cêCétrang---e-personnag-e,-J"ai ,::'

consulté des orientalistes, qui ont été unanimes ,:pour affirmer que son nom était de pure fan­

. .:taisie et son faciès plus proche de celui d'un 'Albanais ou d'un Levantin que de celui d'un . Afghan. Paul Vulliaud, qui avait fort mauvaise ~LUJL~U'~. il est vrai, affirme, d'après Jules Blois, .Jules Bois:

, . . d' b h h' d le Monde S aglssalt un ra mane casse e son invisible,

par la révolte des cipayes et qui s'était p. 37.

au Havre, marchand d'oiseaux et profes-

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Soit en 198fi.

seur de langues orientales. C'est lui, en tout cas,_qllirévéla à Saint-Yves d'Alveydre le secret 4'.une aut6rl!~--suprême ...9.!g~n.isée en mode' sYllarc?i9.':l~, à Ii tête de laquelle se trouvaient trois pontifes: le Brahatma, le Mahatma et le Mahanga. Po.urtant, l'ouvrage ne parut pas alors, car Samt-Yves, craignant les représailles de ces hauts initiés, ordonna qu'il fût détruit; un seul exemplaire fut conservé par le comte Alexis Keller, son beau-fils, qui le remit, après la mort de Saint-Yves, à la Société de ses Amis qui l'édita en 1910. On sait que, par la suite: la controverse devait rejaillir lors de la publica­tion du livre de Ferdinand Ossendowsky Bêtes , , Hommes et Dieux, à la suite de quoi René Gué­non publia son Roi du Monde. Ce q~i est remarquable, en tout cas, c'est l'avertissement que lançait alors Saint-Yves aux O~cid~ntau~: <~ Si, vOll~_fle fa!~as la synar­c~~~a un siècle d'échéance, votre c~vilisation.. judéo-chrétienne Fout toujours ~li~~~.c:~\;iS>!~~_ süi?!l~atie brûiâli~ï:i.~Qr tOlli2~rs ~atee par une renaissance incroyable de l'Asie t.Qut ._ entièr~, ressusCitée,--deboui~·-croyarrte, armée de pied en cap et accomplissant sans vous, et à votre encontre, la promesse sociale des abramides, de Moïse, de Jésus-Christ et de tous les kabbalistes judéo-chrétiens. » Sans doute non loin de l'échéance, doutera-t-on que le président Mao Tsé-toung soit l'héritier de Moïse, mais comment ne pas voir que, sous lui, la nation principale de l'Asie est armée de pied en cap, et debout? V~!~.}894,-È~it années après la des~ruction de la M!~s.i()11._4.~J:1jjâe;~S~iilf~yves reçut la visite ,. --_ ............ _-.-"-----

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(tun autre Oriental qlli, d'après Paul Chacor­na'c, orfèvre en la matière, aurait été beaucoup plus sérieux que le premier. R~~._ne J~.e'!:1pet _d'id{!l1!ige! .c~_ personnage i il faut donc s'en remettre à l'avls'-du vieux libraire du quai Saint-Michel, qui précise que cet inf()rm~teuL aurait été découragé par les p.:~oëëùpa ti0l1s. ~gci~res·-4e~.s.:-iliît-"yves et par sori obstination à consiâérer «les-ënseigne- Paul

ments qu'on lui transmettait non pas comme Cha~or~ac: , la Vze szmple un enseignement traditionnel qu'on doit rece- de I!ené

. "1' d '1' Guenon VOlt et aSSlml er, malS comme es e ements (Paris, Ed.

destinés à s'intégrer dans un système person- ;:-e~f~~:~~58). nel... » C'est que, dès cette époque, Saint-Yves consacre toute son activité à une nouvelle œuvre encore plus importante que le système synar­chique et qu'il appelle 1'« a,rchéomètre ». L'idée s'en était imposée à lui par-une « inspi­ration» subite; elle n'en correspond pas moins à un vieux rêve de l'humanité, puisqu'il s'agit de celui d'une svnthèse concrète de toutes les ~~~g.aissances'.-o; conçoit que la chose soit malaisée-à décnre. L'ayant, pour ma part, lon­guement étudiée, je ne me hasarderai pas à la définir, laissant volontiers à d'autres une telle ambition. Pour Victor-Emile Michelet, par exemple, elle se définit comme «un ,procédé permettant d'appliquer aux sciences et aux arts une pénétration quasi mécanique des arcanes du Verbe; c'est un instrument de mesure des premiers principes ». Et le même auteur de témoigner: « J'ai vu pivoter sous les mains de Saint-Yves les cercles de carton couverts des signes du zodiaque, et leurs secteurs répondre à mes questions. »

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On trouverait aisément à notre auteur d'il­lustres prédécesseurs -dans son rêve: Raymond Lulle et Athanase Kircher, par exemple; mais. aussi Francisco Sanchez qui, après avoir décou­vert, du moins l'affirmait-il, la racine de toutes les langues, avait construit un speculum arche­typum susceptible de donner le sens de tous les mots imaginables et la clef de tous res sys­tèmes musicaux; ou bien encore Hoené Wronsky, inventeur du «prognomètre» en même temps que théoricien d'un étonnant messianisme. L'archéomètre, c'est, bien sûr, en grec, lâ mesure de 1'« Archée» dont parlent les hermé­tistes ; mais Saint-Yves préfère, pour sa part, l'expliquer en recourant au sanscrit Arka-

L'Archéo- Matra: Arka, dit-il, c'est le soleil, emblème ;.è[&t central du sceau divin, Ar étant «la roue

radiante de la Parole divine, Ka, la matière pri­mordiale », cependant que Matra est «la Mesure Mère par excellence, celle du Prin­cipe. » L'ambition de Saint-Yves est donc d'inscrire cette mesure du Verbe dans un instrument matériel qui, selon Papus, disciple de Saint­Yves, n'est autre que celui qu'ont utilisé les Anciens «pour la constitution de tous les mythes ésotériques des religions. C'est le canon de l'Art antique dans ses diverses mani­festations, architecturales, musicales, poétiques et théogoniques. »

1

Cet instrument est formé de cercles concen­triques et mobiles les uns par rapport aux autres, de telle manière que puisse être formé un nombre indéfini de combinaisons entre les signes dont ils sont couverts: signes zodiacaux

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et planétaires, couleurs, notes de musique, lettres des alphabets des langues sacrées (hébreu, syriaque, araméen, arabe, sanscrit, ai.l1si qu'une mystérieuse « langue primordiale» que Saint-Yves appelle le vattan)) nombres, etc. C'est donc un instrument de correspondance universelle qui permet, par exemple, à l'archi- ' tecte d'élaborer des formes d'après un nom, une couleur, une iclée, au poète d'exprimer les rapports entre les lettres et les couleurs. On songe inévitablement au sonnet des voyelles; et, de fait, écrit encore Papus, «les rapports des lettres et des couleurs entrevus intuitive- Voir Alain

b d d Mercier: ment par Rim au et ses imitateurs sont éter- les Sources

minés scientifiquement par l'archéomètre» Il ésotériques • et occultes n'est pas douteux en tout cas qu'une telle de la poésie

h h 'd' ' , symboliste, » rec erc e ne c'Jrrespon e tres exactement a 1870-1914

celle des poètes symbolistes, à commencer par T.ttN.'iz('t. Mallarmé obsédé par « le Livre ». ]969) ..

De son système, ~t-Yves ti~i-même de nombreuses applications, musicales notamment, " q~~ ne sont pas sans uiïe-éitangel .. ~io..nance. Dès 1905, il avait "d'a:ilIeurs pris ·un-brevet destiné à assurer à une petite société l'exclusivité de l'exploitation de ce «moyen d'appliquer la règle musicale à l'architecture, beaux-arts, Brevet

métiers et industries d'art graphique ou plas- cl: ~~3j~r~· tique, moyen dit étalon-archéométrique ». 1903.

. Les recherches, pourtant, furent interrompues par la mort. Saint-Yves, qui s'était rendu à Pau afin de se reposer et de se soigner, ~u-rut en effet, le 6 février 1909 à midi.' Son- corps fut "ramené à Vers allIes et inhumé auprès de la marquise d'Alveydre, au cimetière

'j'Notre-Dame, dans une chapelle étroitement . J~:'

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entourée d'arbres magnifiques et surmontée d'une croix à six directions, ornée de lettres hébraïques, qui, depuis, s'est brisée. L'homme, qui après tant d'autres avait rêvé de donner une paix définitive au monde fut oublié. Tels furent le destin et les ambitions de cet homme étrange. Qui fut-il au juste? Pour qui se prenait-il ? Nul doute qu'il se soit considéré comme dépo­sitaire d'une révélation personnelle, chargé d'une «mission ». Il regarda toujours avec condescendance les organisations occultistes et refusa même d'appartenir à l'une d'elles, fût-ce à titre honoraire. Il ne fut jamais, comme on l'a répété de tous côtés, grand maître de l'ordre martiniste. Fort intelligent - ses ennemis l'ont reconnu, qui ne lui passaient rien -, il paraît avoir été animé par une ambition hors du commun. Sa doctrine n'est pas, il l'affirme, « la doctrine d'un homme, mais le testament historique d'un peuple»: «Voilà longtemps que je veille et que je vois tout, longtemps que, comme une vigie nationale, je regarde et écoute ... » Mais rien peut-être ne donnera une idée de son caractère comme cet étrange passage de l'étonnante Mission de l'Inde, où notre auteur se justifie d'avoir appelé un des ouvrages Mis­sion des Souverains par l'un d'eux: «(. .. ) Les courtisans, les mondains, les flatteurs de tous les pouvoirs ignorent sans doute que non seulement dans les institutions synarchiques du cycle de Ram, mais aussi dans l'ésotérisme chrétien, régner c'est servir, regnare servire est. ( ... ). C'est à ce titre, en effet, qu'était et qu'est encore roi tout initié et que, comme tel, de

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dm

droit comme de fait, il faisait et fait encore partie du conseil de ceux qui prétendent à la direction des nations [ ... ]. Les temps sont pàS­sés heureusement, où l'antique sagesse devait se ~acher sous le masque de la folie ; mais les temps sont revenus, Dieu en soit loué au pl~s haut des cieux! où le Verbe direct peut et dott rentrer en action et parler aux pouvoirs de la Terre, pour peu qu'il se trouve un missionnaire au cœur assez humble pour s'adresser aux rois comme l'un d'eux ( ... ) Enfin, pour terminer cette mission par un vœu: vienne le jour d'un Concile œcuménique européen, où soient repré­sentés tous les cultes, toutes les universités, toutes les loges du trente-troisième degré, toutes les directions souveraines et puissé-je être convié d'y venir exposer et défendre la loi synarchique de l'Histoire et des sociétés humaines, assisté de deux mages de l'Agar-tha! » Mission de

Délire grandiose? Sans doute, pour une large ~~~f~5-198. part... Encore convient-il, pour l'apprécier exac-tement, de se rappeler qu'il n'y a pas moins d'excès et d'outrances verbales que chez tous les auteurs « sociaux» du XIX· siècle; certains jours même, Saint-Yves apparaît beaucoup plus réaliste que nombre d'entre eux. On oublie trop, en effet, que, selon la formule de Maxime Leroy, « le romantisme, le littéraire et le social du XIX· siècle est une longue hallu­cination. Ce n'est pas seulement Victor Hugo qui pense en prophète ministre de Dieu, mais aussi Balzac, Vigny. Benjamin Constant a eu lui-même, le comte Molé l'a relaté, ses heures de démence satanique chez Mme de Krudener; Sainte-Beuve, fait plus extraordinaire, s'ima-

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gina un jour avoir vu Hugo se réfugier à Pat­mos avec son aigle, comme compagnon de méditation. Tocqueville parle du mouvement démocratique avec une terreur religieuse, sa raison défaillant visiblement devant sa vision; Pierre Leroux, Cabet, George Sand vaticinent avec intempérance, faisant du céleste éloquent avec le plus prosaïque profane. C'est certaine­ment Comte qui a donné de ce temps l'image qui semble la plus ressemblante, ayant, avec une imagination dialectique inégalée, mêlé

Maxime savoir et hallucination dans son extraordinaire Leroy' d . ,. . .. l'

Histoire de; octrme, vesame et ralson, sClentisme et re 1-idées sociales gion confondus singulièrement.

en France, t. III, P: 9 Encore ne sont-ce là que quelques exemples

(parIs" . 1 . l' '11 d' Gallimard, qu on pourrait mu tip 1er et 1 ustrer une 1954). manière qui surprendrait, assurément, nombre

de nos contemporains. Ils montrent bien en tout cas que Saint-Yves n'est pas un auteur aussi singulier qu'on pour­rait le croire. Tout au contraire apparaîtrait-il plutôt comme l'un des derniers utopistes du XIX· siècle, lequel en avait tant vus que sa mémoire saturée ne le porta guère à conserver la trace de celui-ci. La synarchie serait-elle donc une nouvelle utopie? Assurément, si l'on retient la définition de Plekhanoff, disciple de Marx, pour qui est utopiste «quiconque

G. Plekhanoff: recherche une organisation sociale parfaite en Anarchisme d'" b .

et socialisme partant un prmClpe a stralt ». M~f!~ty)~ Tel est bien en effet l'un des caractèr~s essen­

tiels du système synarchique selon Samt-Yves, qui le délinit comme une loi « qui, étant celle de l'organisation normale des sociétés, est du

La France " 1 l' d l'H" Il' . vraie, t. J. meme COUp a 01 e Ist01re ». s ensuit p. Hi!. naturellement que cette loi est à la fois volonté

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::;:et représentation; volonté, c'est-à-dire un pro­. gramme d'action politique; représentation, . c'est-à-dire un moyen de déchiffrement de toute l'Histoire, une véritable herméneutique. C'est bien ainsi, d'ailleurs, que Saint-Yves l'a exposée dans ses Missions historico-philoso­phiques dont l'objet est de démontrer que, depuis l'Antiquité la plus reculée, cette synar­chie a été la seule organisation sociale satisfai­sante et durable.

o e

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·. La synarchie comme volonté

... Entant que programme cl' action et de rénovation politique, la synarchie se pré­sente comme une analyse de la réalité sociale aux termes de laquelle la vie de chaque commu­nauté humaine considérée comme un organisme clos doit, pour être satisfaisante, réaliser une harmonie complète entre trois fonctions prin-

. cipales comparables à celles qui existent dans chaque être humain. Ces trois fonctions sont analysées par Saint­Yves et ses disciples dans des termes de « bio-logie sociale» : __ N

--rapremiêre fonction, qui est à la base, cot- 1

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2'

respond au corps de l'homme; elle se définit en terme de ;-nutrition» : c'est l'économie; - la seconde fonction sociale c~rrespond à l'activité, à la volonté ç.QJ]1m~~~inm~_; elle a·ssurelesrelatIons-entre les hommes, par la voie de la législation et de la politique au sens large du tcrffië ;---- la troisième, l'.Esprit, ~çollçemeJ.a.. science, la religi9!1: et l'enseignement qui doivent guider tOllte l' act1vitéhû.mafrïê~ puisque seuls ils visent les fins dernières de l'homme. A partir de ce schéma simple et mille fois répété par Saint-Yves, se développe la deuxième idée essentielle du système, qui est qu'à cha-

(

cun. e de ces fonctions do~vent correspondre des institutions spécifiques, organisées de telle manière --que les trols -« pouvoirs sociaux» coexistent harmonieusement sans que l'un domine les autres. Telle est l'explication du mot de synarchie: i

Définition G d' E . , , 1 retenue par« ouvernement un tat, autotlte exercee L'él;!gfoe:i~ par plusieurs personnes ou plusieurs groupe­

grecque est ments à la fois. » sun, avec, T Il l' 1" 1 f et arché. e e est surtout exp lcatlOn de a erme con-

comm~~~~~ damnation par Saint-Yves du centralisme éta­tique et du parlementarisme « non spécialisé» : « ~a centralisation à outrance de l'Etat, la con­céntration qu'il a faite de tous les pouvoirs nationaux dans un seul fonctionnarisme direc­tement sous~'sa-Jépendance a eu peut-être son utilité vls~fvis -aeJ.-'Europe militaire et diplo­matique (, .. ). La vraie souveraineté soit de la Couronne soit du peuple est ainsi passée peu à peu, par des intermédiaires, dans une machine automatique, dans une société anonyme sans conseil d'administration responsable, dans

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r"F.' ....... Il

1 1

1

l'Etat: maître par le fonctionnarisme, de tous les corps constitués de la Nation. Le même

'. régime pratiqué sur un individu produirait un idiot qui ne se réveillerait que pour être aliéné. » Quant au parlementarisme tel qu'il fonction­nait sous la nr République, Saint-Yves l'ac­cuse de nombreux défauts. Le premier est de

· constituer une oligarchie: «Vous vous don-· nez-lin-maître qui prend en main votre part

de souveraineté nationale et qui, l'ayant, s'en ;,:sert soit à son profit, soit au vôtre. »

Le second défaut est d'être incompétent..: i« Celui que vous avez nommé a bien crié tant

qu'il a pu : Vive la République! ou: Vive la Monarchie! selon que vous avez la bonté de croire à la vertu magique de l'une ou de l'autre pilule; mais il lui aurait fallu au moins vingt ans d'études préparatoires, d'abord pour ·connaître exactement la différence entre ces deux formes de gouvernement, et ensuite pour

'. savoir à peu près la vingtième partie des ques­tions nationales sur lesquelles il va faire des lois, comme un aveugle fait de la peinture [ ... ]. Grâce à la science appliquée à l'indus­trie, nos nations ont pris depuis cent ans un tel développement d'activité, si nouveau, si imprévu dans tous les sens, qu'une Chambre et même deux ont trop d'affaires sur les bras non

· pour les connaître, nous n'en sommes pas là, .' mais même pour les étudier de front. » Pour remédier à cet état de choses, Saint-Yves propose une réforme com121ète des relations e..9,tre gouvernantsct~nés par la création

;·au niveau de chaque fonction SOCl e. __ ~_1,l.!llégis­ilabf, d'un exécutif et d'un judiciaire, en com------_ ....... __ ._---------~--_.--._--'-----

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Mission des ouvriers, p. 24.

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mençant par une meilleure utilisation du suf­frage universel. C'est à ce point que la théorie synarchique prend un aspect concret et devient un véritable programme d'utilisation immédiate, selon son auteur. A cet égard, il paraît intéressant de citer un texte fort clair que Saint-Yves publia dans la Nouvel{e Revue, le 15 mai 1889. «Du moment que le suffrage universel a deux aspects, l'un synarchique, l'autre anarchique; l'un de devoir, l'autre de droit; l'un social, l'autre politique; l'un national, l'autre féodal; l'un qualitatif, l'autre quantitatif; l'un profes­sionnel, l'autre individuel; l'un d'intérêts com­muns, l'autre de spéculations oligarchiques sur ces intérêts communs, il ne reste plus qu'à trou­ver la seconde méthode de groupement de l'élec­torat. « Cette méthode ne peut être théorique ni arbi­traire sous peine d'être vaine. Elle ne peut résul­ter que des faits. Ceux-ci répondent par l'affir­mation suivante de leurs besoins: représenta­tions élective et professionnelle de tous les intérêts populaires par le suffrage universel lui­même; dans l'électorat, préalablement à tout vote politique, rédaction des cahiers; élec­tions politiques sur cette base ad referendum. « Maintenant, la nature de ces intérêts popu­laires, et non une théorie quelconque, va nous dire leur groupement et leur méthode pos­sibles d'organisation élective dans l'électorat social' qui a .seul qualité constituante vis-à-vis de l'électorat politique ou quantitatif: audite

Ecoutez, cansules et patres canscripti! consuls, et S· 'd' 1 P 1 '1 1 d vous aussi,« 1 nous cons1 erons e eup e e ectora ans

pères l' bl d d'" d' d conscrits! ensem e e son eV01r, c est-a- 1re e son

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~ 1

1 1

1 énergie appliquée et productrice de bien public, il offre à notre observation trois grands genres de produits issus de son activité et de son con­trôle professionnels. «A la base c'est l'ordre économique: son pro­duit est la richesse matérielle de la Nation. « Ensuite c'est l'ordre juridique que tendent à former tous les jurys professionnels de toute espèce: son produit est la conscience publique, la richesse morale de la Nation. «Enfin vient l'ordre que tendent à composer tous les corps enseignants et enseignés, à tous les degrés professionnels de l'Enseignement: son produit est l'Instruction et l'Education publiques, la richesse intellectuelle de la Na-tion. « Ces trois ordres d'énergie populaire, et par conséquent de produits et d'intérêts, nous indiquent sûrement quelle serait la méthode sociale du suffrage universel sans préjudice de sa méthode politique actuelle, mais au contraire pour sa garantie. «Actuellement, les éléments professionnels électifs sont déjà assez développés pour per- En 1889. mettre à l'électorat de représenter ses propres intérêts dans le suffrage universel lui-même et d'en dresser les cahiers sociaux préalablement au vote politique et par circonscriptions régio-nales. « A - Pour l'ordre économique: 1/ les syndi­cats agricoles; 2 / les chambres et compagnies de commerce ; 3/ les syndicats industriels et les compagnies; 4/ les syndicats des agents de change, le notariat représentant la fortune pri­vée, les syndicats financiers, les banques; 5/ les syndicats ouvriers, les conseils des pru­dhommes, les bourses du travail.

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«B - Pour l'ordre juridique: tous les jurys professionnels, civils, militaires et religieux de tous les cultes. « C - Pour l'ordre enseignant: les conseils pro­fessionnels, provinciaux et supérieurs de l'ins­truction publique et des cultes. « [ ... ] Tels seraient, par ordres régionaux, les pouvoirs sociaux du suffrage universel, pouvant aboutir par les cahiers à un nouveau testament

LeCente- populaire comme celui qui, de 1302 à 1789, a Iwire de 1789. préparé toute la législation passée et présente Sa conclu-

sion, pp. 17-18. et créé la civilisation actuelle. » Ces institutions ne seraient que préparatoires. La réforme de la politique et de l'Etat devrait aboutir à des bouleversements plus importants encore qui peuvent être résumés dans le tableau qui figure aux pages 106 et 107. Ainsi se présente pour Saint-Yves le micro­cosme de la vie nationale, ou l'archétype social d'une organisation conforme à la loi synar­chique. On conçoit aisément que je ne puisse dévelop-, per ici tous les principes qui président à une telle organisation idéale de la société, et dont certains mériteraient d'autant plus d'attention qu'ils sont devenus presque des évidences pour nos contemporains. Je remarquerai cependant que Saint-Yves tenait tout particulièrement aux trois règles suivantes : - réconciliation de la science et de la religion judéo-chrétienne ; - distinction de l'autorité et du pouvoir, qui sera largement développée par la suite par René Guénon; - limitation de la politique par trois pouvoirs sociaux et spécialisés chacun dans son domaine

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propre, ce qui est un principe éminemment technocratique.

iIl faut mentionner, de plus, que le système synarchique, dans l'esprit de SaintYves, ne devait pas se limiter aux seules nations, mais, au contraire, s'achever par la création d'une synarchie européep.n~.!---'-----L€SlnstltUtions de cette dernière, formées sur ,le modèle trinitaire déjà exposé, devraient com­prendre: '-' , un copseil, ~uropée~es communes natio­,uales, destiné à se' prononcer sur les inté.têts éConomiques européens, et représentant tous le;'économistes, industriels, financiers, etc. ; '- un conseil euro éen des Etats, composé de conseil ers élus par tous les corps es magistra­tures nationales; - un ç9Dseil internationaLdes-Eglises natio­nales représentant la totalité des divers corps ~seigiiants de chaque nation. Ces « états généraux de l'Europe », que Saint­Yves appelait de ses vœux en un temps qui ne les souhaitait guère, préfigurent curieusement, on en conviendra, des institutions dont l'exis­tence fait l'objet, presque un siècle après, de furieuses polémiques. Pour éclairer autant que possible le «mythe synarchique» auquel fut en proie une large fraction de l'opinion française qui, de 1941 à 1946, recourut à lui pour s'expliquer sa propre histoire, il paraît nécessaire de mettre en 'lumière la signification profonde de la démarche intellectuelle de Saint-Yves, dans la mesure où

, dIe est susceptible d'aider à mieux comprendre se que l'idée de synarchie peut représenter ,~~ans le cadre d'une société capitaliste.

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~' l ' 1

REFORME DE LA POLITIQUE ET DE L'ETAT D'APRES SAINT-YVES D'ALVEYDRE

VIE SPIRITUELLE VIE MORALE 1 VIE" ECONOMIQUE

.... !

Volonté universelle as sentie Union en harmonie des deux Volontés individuelles volontés universelle et prises dans leur totalité individuelle fournissant la règle de conduite sociale

Principe d'organisation Principe d'organisation Principe d'organisation monarchique assurée aristocratique, assurée par démocratique assurée par le

har le Pontificat sUJrême. l'élection parmi ceux qui auront suffrage universel nommant a hiérarchie sacer otale. été reconnus aptes par les collèges électoraux et par la

et l'initiation l'Autorité spirituelle. rédaction des cahiers de vœux (pour le recrutement) (Nomination par les collèges

électoraux élus par l'ensemble des citoyens) ,

1

! Réalisation de la Fraternité Réalisation de l'Egalité (caractéristique de la vie devant la loi, assurée par:

Les Ministres universelle) les législateurs

chargés de l'exécution des lois pour élaborer la loi. Elus eux,mêmes Ils sont élus par les législateurs par les collèges électoraux et siègent en trois conseils

1 d'Etat

TROIS FONCTIONS TROIS CONSEILS TROIS MINISTRES TROIS COLLEGES 1

ELECTORAUX

Spirituelle: de l'Autorité: de la Vie intellectuelle de l'Enseignement Sacerdoce Instruction : (le Primat) (économie de la vie Théurgie Cultes 1 intellectuelle) Initiation (lois les concernant)

1

Intellectuelle: du Pouvoir: de la Vie morale du Pouvoir juridique Enseignement Justice (le Souverain justicier) théorique Police Justice de toute nature Guerre Année

(lois les concernant) Affaires Examen étrangères des candidats à l'exercice . 1

du pouvoir

i Pratique: de l'Economie: de la Vie économique du Pouvoir économique

Cultes Finances 1 (le ,Grand Econome)

publics Travaux publics

1 Industrie Agriculture (lois les concernant)

Ges EL'; 1 1 POUVOIR 1 1 AUTORITE 1 1 POUVOIR il 1

DES GOllVERNES DES GOUVERNANTS 1

~ ri 't'lectorat) 1

-1

106 107

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C'est qu'en effet le système de Saint-Yves, par­delà toutes ses singularités, par-delà ce que Guénon appelait «l'appareil fantasmagorique dont on juge bon de s'entourer pour mieux dis­simuler, aux yeux des profanes », correspond à certains desseins politiques très précis et rela­tifs aux conditions de survie du système capi­taliste. Nul doute, en effet, que Saint-Yves, qui lors de la répression de la Commune n'avait que vingt-neuf ans, n'ait été particulièrement sen­sible, après sa jeunesse passée dans les îles anglo-normandes, à l'immense crise morale que traversa la France à la fin du second Empire et pendant les premières années de la nI" Répu-

Albert blique. Comme l'écrit Albert Ollivier, «la Ollivier" 1 d'" , 48 . la Commun~ CrlSe mora e eJa amorcee en et qUI se pour-

Galli~~:d' suivait sous le second Empire était la crise de la 1939): bourgeoisie. La bourgeoisie (que je ne consi­

dère pas ici comme une classe, mais comme un état d'esprit) atteignait son apogée et déjà son déclin. Sa fine fleur se dérobait, démission­nait, préférant les chères études aux difficul­tés qu'il y a de prolonger une attitude jusqu'à la politique. Partout elle affichait son impuis­sance à vivre ». Dans sa jeunesse, Saint-Yves avait pu constater que cette impuissance n'était pas moins grande du côté des opposants à l'Em­pire; il ne sut jamais voir, plus tard, que l'es­poir avait changé de sens, passant du socialisme utopique au socialisme scientifique. De fait, si l'on s'en tient aux années 60 et 70, il n'est pas douteux que l'enthousiasme qu'avaient pu soulever, à la veille de 1848, les idées de Saint-Simon, de Fourier, de Cabet, de Louis Blanc, était largement retombé. Prou-

108

dhon, incarcéré dix ans, constatait mélanco­liquement, avant de disparaître en 1865: « Nous en sommes à l'étourdissement, à l'im­puissance, nous en serons bientôt au déses­poir. » Le désespoir vint en effet, on sait avec quelle horreur, lors de la répression de la Commune. Saint-Yves, alors mobilisé, en fut profondé­ment impressionné: «La première fois que

~. j'exposai mes idées, ce fut en 1871, à Ver­sailles, devant quelques compagnons d'armes, pendant qu'au loin Paris brûlait. Tenez, disais­je, en montrant le poing aux nuées rouges, cet incendie vient du temps d'Etienne Marcel. Notre génie national a su l'éteindre pour plus de cinq cents ans; mais ce n'est pas Thiers qui l'éteindra à coups de canon, c'est moi avec une loi vraie, juste et bonne pour tous. » Cette loi, c'est, bien sûr, la synarchie renouve­lée de l'antique et qui fait l'objet de nom­breux exposés entre 1882 et 1890. Or, pour comprendre la singularité de la démarche de Saint-Yves en même temps que sa signification, il convient de rappeler que cette décennie est marquée par une profonde mutation des idées sociales. En 1880, en effet, paraissent en France Capital et travail de Lassalle, préfacé par Benoît Malon, et surtout le célèbre ouvrage d'Engels, Socia­lisme utopique et socialisme scientifique} tra­duit par Laura Lafargue. Marx meurt en 1883, mais la même année paraît en France le résumé du Capital} établi par Gabriel Deville. Le droit d'association syndicale est reconnu en 1884, cependant que, dès 1882, avait commencé la montée du guesdisme qui va précisément abou-

109

La France vraie, t. I, p.121.

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tir à la concrétisation des aspirations du mou­vement ouvrier. Tant et si bien que le Siège romain lui-même dut se préoccuper de ce qu'on appela alors fort bourgeoisement « la question ouvrière» et publier, en 1890, l'encyclique Rerum novarum. Sur le plan politique, la crise n'est pas moins grande, car la nI" République, après s'être don­né en 1875 une Constitution qui n'en a pas l'air, déçoit par différents scandales qui dé­chaînent un an ti-parlementarisme marqué, au cours de ces dix années, par la crise boulangiste. Il faut attendre 1890 pour que le toast célèbre du cardinal Lavigerie donne le signal du rallie­ment des catholiques à la République. Mais le plus grave demeure la crise spirituelle de la classe dominante ou, plus exactement, la crise qu'engendre très normalement son absence de toute espèce de préoccupation spi­rituelle. Sans doute, une morale laïque essaie­t-elle de prendre le relais d'une chrétienté oubliée depuis longtemps ... Sans doute fit-elle, un temps, illusion. Peut-être, aujourd'hui que son écroulement est un fait largement acquis, est-on à même de mieux percevoir l'insatisfac­tion, alors confuse mais incontestable, de nom­breux esprits qui sentaient que, pour reprendre l'expression d'Ollivier, lorsque «toutes les morales croulent, il arrive un moment où demeure la plus élémentaire, la morale de la police des rues ». La nI" République, à ses débuts, assura, et largement, cette dernière ... Elle n'en conserva pas moins une plaie secrète. C'est en tout cas à cette triple crise économique, politique et spirituelle que prétendait remédier Saint-Yves, et il semble avec le recul du

110

~.

1

temps que sa démarche intellectuelle, qui alors n'eut guère de succès, soit éminemment carac­téristique de certaines aspirations, ou de cer­taines rêveries, de la haute et moyenne bour­geoisie. Nul doute, à cet égard, que certains aspects des mirages pseudo-orientaux du théosophisme, des légendes de l'occultisme ou du spiritisme primaire n'aient, pour une large part, corres­pondu (au même titre que certains mouvements poétiques) à un incoercible besoin de fuir le réel. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que certains des thèmes du programme politique de Saint­Yves, issu de telles rêveries, méritent attention, car leur enchaînement annonce des types de raisonnement largement répandus au xx" siècle, en même temps qu'il permet de mieux comprendre le sens de sa démarche. Le premier de ces thèmes fondamentaux est assurément la critique des politiciens profes­sionnels, à laquelle Saint-Yves, on l'a vu, a consacré des dizaines de pages; ainsi écrit-il dans Mission des ouvriers: «En politique, deux classes d'hommes vous dirigent et vous enseignent jusqu'à présent: les conservateurs et les destructeurs. Toutes deux sortent des collèges. Les uns, contents de leur lot, vous parlent de Devoir et de Monarchie; les autres, mécontents de leur sort, vous prêchent les Droits et la République. « Le fait est qu'ils ont besoin de vous, les pre­miers pour conserver leur situation tranquille­ment, les seconds, pour prendre celle des pre­miers, et devenir ainsi d'autres conserva­teurs ( ... ).

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« Ensuite, la politique est, jusqu'à présent, non une science, mais un mauvais art d'expédients à l'usage des ambitieux, un jeu de hasard, une roulette, le pire des jeux de hasard. La passion y tient plus de place que l'intelligence et les plus roués eux-mêmes, ceux qui marquent les cartes, ou font des martingales, n'en savent pas bien long et n'y voient pas bien clair, une

'.' . d fois la partie engagée sur le tapis où vont les ,,11sszon es. 'A d

ouvriers, p. 12. mterets es autres ... » Cette critique violente, qui, on le remarquera, renvoie dos à dos les différents groupes poli­tiques, s'adresse tout particulièrement au sys­tème parlementaire dans lequel Saint-Yves voit une oligarchie incompétente. Ces « thèmes» politiques que l'on retrouvera souvent dans les idées politiques de la première moitié du xx" siècle, et souvent chez les pires démagogues, trouvent leur origine dans les enseignements que Frédéric Demetz dispensa au jeune Saint-Yves, ainsi que lui-même l'a reconnu : « Quoique très réservé sur les choses politiques qui étaient peu de son goût, dit-il, il y touchait parfois par sa propre science de l'économie sociale [ ... ]. Les autres peuples savent encore où ils vont, car ils ne cherchent qu'eux-mêmes et leur propre bien particulier, ce qui n'est pas une œuvre difficile. La Russie suit, dit-on, une tradition, celle du testament de Pierre le Grand, la Prusse également depuis Frédéric II, l'Angleterre depuis Cromwell, l'Italie depuis Cavour. La France, seule, n'a plus de tradition suivie, parce qu'aucun régime politique n'est de taille à résumer son histoire. Elle a pourtant un testament à reprendre, mais il est social. Il n'émane pas d'un homme ni

112

d'un gouvernement, mais de la nation tout entière; vous le trouverez dans les états géné­raux. Plus tard, l'organisation et le fonctionne­ment de ces derniers me donna le fait de la

. . 1 1 d 1 F . d La France 101 SOCla e non seu ement e a rance, malS e vraie, pp. 75

l'Humanité ... » et suiv.

Ces réflexions donnent, en fait, la clef de toute la « représentation» synarchiste de l'Histoire; et on remarquera qu'elles ressemblent beaucoup au programme politique exposé en septembre Remarquons

1887 par le comte de Paris à qui s'étaient ral- B~~t\~sn~d~ liés la plupart des monarchistes, quatre ans blalY· Rétpul1-. lque, ees après la mort du comte de Chambord, et qUl qu'elles se

. , ". l" Il d fuss·eut avalt a peu pres etemt anClenne quere e es présentées en

1,· dl' .. . cas de succès or eamstes et es eg1tlmlstes. du référendum

Ce prince voulait, lui aussi, faire revivre une d'av~il1969. d·· h" 11 d 1 auralent ancienne tra Itlon Istonque, ce e e a« mo- rappelé ce

h· 1 . 1 f C . . programme narc le popu alte », et a uture onstltutlon de 1887.

qu'il annonçait devait comprendre non seule-ment une Chambre élue au suffrage universel, mais aussi un Sénat où seraient représentés «les grands intérêts sociaux» - cependant que le cabinet ministériel cesserait d'être res-ponsable devant les Chambres. Mais poursuivant plus loin l'analyse des arrière­pensées qui présidèrent à l'élaboration du sys­tème de Saint-Yves, on découvre la volonté mainte fois exprimée depuis, et toujours en vain, d'unir hommes de droite et hommes de gauche, de conjurer la « lutte des classes» au nom des intérêts communs à tous les citoyens.

, Rien ne me paraît plus caractéristique de cette préoccupation que les grands élans lyriques de Saint-Yves, d'autant plus lyriques qu'il est nécessaire de convaincre les exploités de renon­cer à lutter et d'accepter le système économique

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existant; parlant de «l'union des hommes de droite et des hommes de gauche dans une même pensée sociale, dans un même battement de cœur », l'auteur des Missions s'écrie: « Hommes de droite, ne vous choquez pas de ma libre allure, laissez-moi parler comme un homme de gauche, comme parlaient vos pères, il y a quatre cents ans! Hommes de gauche, ne vous choquez pas de la discipline strictement chrétienne que s'impose toujours non seule­ment mon sentiment, mais encore mon intelli­gence. Aussi laissez-moi vous parler comme un homme de droite qui ne séparerait jamais la science de la foi, comme parlaient vos pères il y a quatre cents ans. «Les uns comme les autres, vous verrez que ce que j'appelle le testament de la France n'en est pas moins moderne pour cela, et qu'il répond entièrement non seulement aux besoins actuels, mais à tout l'avenir de notre pays. « Ah! si Dieu m'accorde de vous rassembler tous dans une même intelligence sociale des vœux et des destinées de la Patrie, ce sera pour moi la seule récompense que je puisse ambi­tionner. Cette chère Patrie n'a plus besoin de révolutions qui !le la conduiront jamais qu'à des coups d'Etat "; elle n'a plus besoin de coups

La Z;:rance d'Etat qui ne la conduiront jamais qu'à des vraze, t. l, ' l .

p.40 revo uUons. » En dépit de toutes ses illusions, Saint-Yves ne pouvait ignorer que de telles exhortations, si émouvantes fussent-elles, n'étaient guère sus­ceptibles d'entraîner par elles-mêmes la régéné­ration de la société, dès lors que les rapports économiques et sociaux demeuraient inchangés. Aussi, pour unir hommes de droite et hommes

114

de gauche, Saint-Yves se fit-il, un des premiers peut-être, le théoricien de la collaboration des classes en régime capitaliste. Les années 1860 avaient été marquées, en effet, avec la loi sur les sociétés anonymes et l'épanouissement des méthodes bancaires (para­doxalement issues de la «morale des produc­teurs », chère aux saint-simoniens), par l'apogée de ce qu'on a appelé 1'« effort séculaire des bourgeois pour séparer le capital et le travail ». Albert Ollivier rappelle justement quels rap­ports économiques s'ensuivirent: «D'un côté, les ouvriers étaient confinés à un rôle de machine excluant toute participation réelle à l'œuvre qui les utilisait et, d'un autre côté, les dirigeants réduisaient leurs engagements, pré­tendant tout conduire du dehors, apportaient des capitaux sans travailler dans l'affaire. » Tout esprit sensé ne pouvait que prévoir les dangereuses répercussions d'un état de choses si manifestement inique. Saint-Yves, en tout cas, conclut clairement que la seule chance de survie pour le régime était d'atténuer les effets de la séparation du capital et du travail (effets que ne manqueraient pas d'exploiter les révolutionnaires, qu'en bon bour­geois il qualifiait d'ailleurs de « destructeurs»). C'est pourquoi il consacra de longues .t'ages de

" la Mission des ouvriers à démontrer que, loin d'être des forces opposées, le capital et le tra­vail doivent s'associer dans la liberté et la fra­ternité, sans ingérence de l'Etat. On retrouvera cette thèse, plus tard, chez tous les conservateurs, à commencer par l'Action française qui, après 1919, se mit à étudier les

-problèmes économiques en partant du principe

115

,0;<'

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que « la lutte des classes (simple illusion, mais illusion nocive) pouvait et devait être remplacée par une collaboration tendant à intégrer les

Eugen travailleurs dans la bourgeoisie ». Weber: L .. l'h A 'd Il b . l'Action a JUStice et onnetete e cette co a oration

(PaÂ~~st~~k~ devaient être assurées - et c'est là le dernier 1964)~ thème essentiel de sa pensée qui doit être mis

en évidence - par une «autorité spirituelle» capable de s'imposer aux deux autres pouvoirs, économique et politique. L'« Eglise natio­nale », formée des sages de la nation, un peu sur le modèle du Collegium lucis de Com-

Cf. mon ménius et des rêves rosicruciens, doit en effet étude: , . l ' d 1 1 d «Synarchie reumr es representants e tous es cu tes, e

et franc- 1 . . , . f maçonnerie» tous es enseIgnements, JeSUItes et rancs-dans la revue maçons enfin fraternellement unis science et foi Symbolis;"~ réconciliées dans un « œcuménist'ne » digne de

{Paris. 1971). l'Unesco. Théocratie semi-Iaïque, la synarchie rêvée par Saint-Yves peut être ainsi considérée comme le réceptacle d'un grand nombre d'aspirations confusément exprimées à la fin du XIX· siècle; si l'on veut résumer le programme d'action de ceux qui ont cru en elle, on ne saurait mieux faire que Barlet, fidèle disciple du marquis inspiré, lorsqu'il écrit: « En résumé, ce qui caractériserait une pareille organisation dite Synarchie, ce sont les particu­larités suivantes: «- Indépendance d'universités régionales rassemblant en un seul organisme tout ce qui se rapporte à la mentalité (religion, science, art, enseignement d'ordre général), formatrices et directrices de la conscience publique. «- Indépendance des gouvernés et de leurs intérêts assurée par deux institutions spéciales:

116

,.. ... 1·'W:f;· 1 :"_1".

l'} -

::'t:·~>·

: ~> ' .. :;;! '

«_ la chambre économique à qui doit appar-tenir exclusivement toute l'organisation du travail ; «- les états généraux, expression de la conscience publique et de ses impressions. «- Indépendànce des gouvernants par le rôle purement déclaratif des états généraux; garantie de leur capacité spéciale par leur mode . d'élection et garantie de leur travail délibératif \/1

par la double information des états généraux et de l'université. «- Indépendance complète de la magistra­ture pour régler les rapports entre les gouver-nants et les gouvernés, par la loi. 1 «- Contact permanent des gouvernants et des gouvernés, contrôle de ceux-là par ceux-ci, direction politique des gouvernés par les gou­vernants selon le vœu de ceux-ci, purifié par ·l'·d d 1 al'" 1 F.·Ch.BarIet: al e e a ment Ite socla e. l'Evolution V

F · dl' sociale /\ «- ormation permanente e a consCIence p.198 (Paris,

publique par un pouvoir spirituel complet, hLibrajrt!e

h ' f" , , 1 1" " ·erme lque, synt étique, tout a ait etranger a a po ltlque. » 1910).

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La synarchie comme

, . representatlon

E fi quoi cette analyse, relativement simple des différentes fonctions sociales sur laquelle est fondé tout le système synarchique, peut-elle être considérée comme une véritable herméneutique de l'Histoire ? Pour le comprendre, il faut constamment avoir présent à l'esprit le fait que Saint-Yves a recouru, pour exposer ses idées, à une méthode para-historique. Aussi les milliers de pages, souvent érudites d'ailleurs, qu'il lui consacre, sont-elles un long développement explicatif, une paraphrase de l'histoire de l'humanité, et il n'est pas éton-

119

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nant qu'elles « démontrent» l'existence de la synarchie, puisqu'en réalité cette dernière est une donnée antérieure au récit historique. Le système étant en place, la formule étant découverte, il n'est que de l'appliquer et l'His­toire entière devient claire. Mais excessif et, à sa manière, grandiose, Saint­Yves n'hésite pas à pousser à ses conséquences ultimes l'esprit de système. C'est que, pour lui, les trois fonctions nutrition-relation-spiri­tualité n'existent pas seulement dans l'ordre physique et dans l'ordre social; elles sont dans la nature même de l'homme, dans l'univers tout entier, visible et invisible, et il faut qu'en toutes choses elles s'harmonisent sous peine de voir l'anarchie se substituer à la synarchie qui est l'ordre normal. Cette harmonie ne peut être assurée que par la juste ordonnance de chacune d'elle par rap­port à la plus haute: l'esprit. Il ~n fut toujours ainsi, il en sera toujours ainsi, dit Saint-Yves. Comment ne pas voir, dès lors, dans toute l'his­toire humaine, l'affrontement titanesque des tendances anarchiques et synarchiques? Com­ment? Mais en étant soi-même aveuglé, entraîné, «aliéné» par la vision non synar­chique. Pour lui, il est évident que dans les pires moments de l'histoire humaine où l'anar­chie' paraît près de l'emporter, le Divin, par le truchement de centres initiatiques plus ou moins élevés, délègue à l'humanité les « grands synarques », Ram, Moïse, Jésus, comme Pytha­gore ou Fo-Hi pour une civilisation entière, comme Jeanne d'Arc ou ... Saint-Yves pour une nation, La synarchie est donc, pour Saint-Yves comme

120

f'?' ,1

'::: pour ses disciples, une tradition primordiale ,;,' et centrale, révélée à l'homme dès ses origines,

et l'on ne s'étonnera pas de voir Barlet commenter la Mission des juifs en affirmant que ce n'est plus Saint-Yves qui parle mais la Tra­dition même, la « Révélation suprême déposée par la Divinité dans le berceau de l'humanité naissante comme un trésor ». Saint-Yves appa­raît lui-même comme le dépositaire d'une «science orale », c'est-àcdire d'une tradition secrète laissée par Moïse et par le Christ. De là sa méthode: «Je démontre, appuyé sur l'histoire du monde, que la synarchie, le gou­vernement arbitral trinitaire, tiré des profon­deurs de l'initiation de Moïse et de Jésus, est la promesse des Israélites comme la nôtre et le triomphe même d'Israël par la chrétienté.» Mission

Dès lors, il est logique que la méthode de Saint- ~~îl~ifs, Yves le conduise à déceler d'étranges analogies entre l'histoire des peuples les plus éloignés dans l'espace comme dans le temps. «Six siècles avant N.-S. Jésus-Christ, écrit-il par exe~ple, dans la sombre ténèbre du paga-nisme méditerranéen qui succède à la céleste clar~é de la synthèse orphique ; dans la période anarchique consécutive à la révolution des Le S d . s ou ras Soudras au profit de la bourgeoisie esclavaglste sont

. . d 1 h les membres et de la clergle agnosuque ; e toute a auteur de la

d'un Epopte, un homme se dresse, Pythagore, i:~~ième qui mérite plus encore et mieux que tout ce hindou1e: , di . le peup e. qu on en a t et que, pour cette ralson, nous Sa.int-Yves '. A d l' d'" , faIt mscnvons en tete e ce lvre estme a pre- visiblement

Parer l'intelligence à la compréhension et à allu,sion à. , • la revoluhol1 l'utilisation de l'instrument de précision qUl de 1789 ,

" d ' . 1 1 R' '1' . Il «confisquee» ,ren expenmenta e a eve aUon umverse e par la ..

du Verbe, la Divine Sagesse ( ... ). bourgeoISIe.

121

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Ce lexte « Or, dès notre vingtième année, nous avions est extrait , 1 d'" 1 P h d h" . de reso u etre e yt agore u c nstlanlSme,

l'introductjo~ supplanté depuis la Renaissance par l'esprit l'Archéomètre, païen. De là, vingt ans après, nos quatre Mis-

p. 9. sions chez les gentils modernes ... » Il apparaît clairement ainsi que l'expression de Saint-Yves revêt une forme que l'on pourrait dire « uchronique » par un néologisme compa­rable à utopie. Les cités radieuses décrites par les innombrables essais et romans dits uto­piques sont, dans un autre monde ignoré, des îles lointaines non situées sur la carte, d'où leur nom: « sans lieu» ; de la même manière, l'organisation décrite par Saint-Yves est « sans temps », n'appartient à aucune époque et peut se retrouver dans chacune d'elles. Loi de l'His­toire, elle lui échappe et n'est jamais affectée par ses vicissitudes. C'est que, révélée mais susceptible d'une observation scientifique, elle est à la fois trans­cendante et immanente, comme la Divinité même qui, seule, peut permettre de comprendre les contradictions du créé et de les ramener à l'unité. La synarchie n'est donc que l'expression dans le domaine social d'une harmonie universelle celle qui procède de la compréhension de~ causes premières, c'est-à-dire la Connaissance. «L'idéalisme et le réalisme, écrit Saint-Yves, la métaphysique et la physique, le spiritualisme et le matérialisme ont été présentés comme des conflits insolubles qui durent encore. Ils dure­ront dans tous les ordres possibles, tant que, par la mathèse synarchique, la science univer­selle de la vie n'aura pas tout ramené à l'intel­ligence et au sentiment de l'Unité divine par

122

sa médiation trinitaire. C'est cette science qui était le grand secret universitaire des Abra-mides, de Jethro et de Moïse, des prophètes des Esséniens et des disciples de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » La France

Etrange cheminement pour tenter de réconci- f.t~: 106.

lier hommes de droite et hommes de gauche, jésuites et francs-maçons, capital et travail; cheminement logique, pourtant, du point de vue de l'hermétisme : ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. Il n'est pas de révolution par en bas, il n'est qu'un retour à l'ordre par en haut. Conformément à ce principe, le récit historique de Saint-Yves, unique dans l'en-semble de son œuvre, c'est-à-dire comportant une structure identique dans chacun de 5es développements, se déroule sur des plans ou à des niveaux différents. Allant du général au particulier, on distinguera ainsi les œuvres en fonction de leur objet historique principal, étant bien entendu que chacune ne manque pas de fàire référence à la totalité du système. Dans 1'Archéomètre et la Mission de l'Inde, on trouvera ainsi des considérations relatives à l'histoire des civilisations au sens le plus général du terme, à l'organisation initiatique, si l'on ose dire, de l'humanité, ainsi qu'aux centres initiatiques suprêmes et notamment à l'Agartha. L'Agartha,

La Mission des juifs, qui est une œuvre prolixe ~~t l;~ ~:~~ntre mais essentielle renouvelée de l'Histoire phi- initi~tjque» , . supreme losophique du genre humain de Fabre d'Olivet, daus le

concerne plus directement les origines celtiques monde.

et surtout judéo-chré#ennes de l'Occident. La Mission des Souverains, quant à elle, est une histoire synarchiste de l'Europe depuis

123

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l'apparition du christianisme et vise à l'analyse des causes profondes de l'échec du christia­nisme.

Les mêmes Quant à la France vraie, comme son nom ~~~o~~~! l'indique, elle retrace l'histoire de ce pays du

dans l'épopé~ point de vue synarchiste, qui, on l'aura rem ar-consacree a / f . 1 . '1/ . / 'l" .

J~anne d'Arc. que, aIt une pace pnvi eglee a ancIenne InS-

titution des états généraux, représentant le sacerdoce spirituel, la noblesse politique,le tiers bourgeois et économique. Le lecteur comprendra aisément que je ne puisse pas résumer ici les milliers de pages consacrées par Saint-Yves à cette nouvelle his­toire de l'humanité; l'entreprise serait d'ail­leurs de peu d'intérêt pour qui a compris qu'un même schème se retrouve à chaque étape de cette histoire. Il convient toutefois de rappeler, s'agissant de l'organisation générale du monde, que Saint­Yves décrit avec un luxe de détails fantastiques, un Centre initiatique mondial dans Mission de l'Inde j il le nomme la « Parades a » ou l'Agar­tha. Gouvernée par une trinité synarchique, le Brahatma, «support des âmes dans l'esprit de Dieu », et ses deux assesseurs, le Mahatma, «représentant l'Ame universelle », et le Mahan­ga, « symbole de toute l'organisation matérielle du cosmos », cette Cité sainte invisible à ceux qui marchent sur la terre est le prototype des centres spirituels secondaires que connaissent les différentes traditions: Ishdankaïr, Salem, Thebah. Succédant à un centre plus ancien encore, Ayodhya, elle est le siège d'un souve­rain pontificat et d'une sorte d'université régu­latrice de l'évolution de l'humanité, dont, si

124

l'on en croit René Guénon (dans le Roi du Monde), serait issue, de manière caricaturale, ::.:("

" l'idée de cette Grande Loge Blanche chère aux :), théosophistes.

Cette Cité sainte, toujours selon Saint-Yves, existerait matériellement, encore que de ma­nière souterraine, aux confins de l'Himalaya ou peut-être dans les hautes vallées du Chitral (auxquelles, soit dit en passant, se référait sou­vent Georges Ivanovitch Gurdjieff), dans un territoire sacré « synarchiquement organisé et composé d'une population s'élevant à un chiffre de près de vingt millions d'âmes ». Possédant une langue sacrée «primordiale », le « vattan », longuement décrite dans [' Archéo­mètre, mais, faut-il le préciser, totalement incon­nue des linguistes officiels, les archives les plus secrètes de l'humanité, des laboratoires éton­nants capables de créer des êtres et des hommes nouveaux, ce centre initiatique occulte serait la plus haute autorité spirituelle existant en ce monde et donc, en dernière analyse, la seule 'capable de le sauver par le truchement de ses envoyés. . C'est en quelque sorte par délégation que tous les réformateurs de l'humanité, les «grands initiés» pour reprendre la terminologie de Schuré, viendraient de temps à autre remettre

. de l'ordre, l'ordre synarëhique, dans les collec­.;: tivités humaines. "::. Comme on l'a vu en ce qui concerne Pythagore, ,; Saint-Yves récrit, de manière à justifier la synar­

chie, l'histoire de tous les hommes prestigieux, .de tous les saints, de tous les dieux et demi­. de l'humanité entière. Ram, dont il fait

Celte fuyant jusqu'en Inde la tyrannie,

125

Mission de l'Inde, p.30.

Edouard Schuré, disciple de Mme Blavatsky, puis de Rudolf Steiner, publia un ouvrag·e célèbre qui doit d'ailleurs beaucoup à Fabre d'Olivet et à Saint-Yves.

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entraînant avec lui les meilleurs boréens, Krishna, Fo Hi, le Bouddha et combien d'autres témoignent en faveur de la tradition primor­diale, avec force détails, dates et preuves. Le principal de ces guides demeure cepen­dant Moïse, héritier par l'intermédiaire de l'Egypte des antiques enseignements. «En Egypte comme partout, les nécessités extérieu­res pesant sur le pouvoir central tendaient à séparer définitivement la morale de la politique, la religion de la loi proprement dite. C'est là que gît la cause morbide la plus funeste, la plus mortelle qui puisse désorganiser tout gouverne­ment soit général, soit particulier. Krishna y avait remédié dans les Indes, Zoroastre dans la Bactriane, Fo-Hi en Chine, en soumettant abso­lument la politique à la morale, le pouvoir à l'autorité [ ... ]. C'est pourquoi en feuilletant au fond des temples l'encyclopédie hermétique, la Saraï des Doriens Abramides, Moïse, comme le lion, regardait au loin vers le désert et au-delà encore vers les tours de Salem, la ville de la Paix, la Cité fidèle à la loi du Royaume de

Mission Dieu.» des jllif~· A d f d .. b'bl' S . t. T. p. 29ft gr an ren ort e cltatlOns 1 lques, alnt-

Yves établit donc que le gouvernement d'Israël K~h:;tl:.1es institué par Moïse était synarchiquement orga-

antlsemltes ., 1 C '1 d D' , l' de l'époqul' nlse, avec e ons el e leu representant en-retiendront seignement le Conseil des Dieux c'est-à-dire ce mot pour .' ,

dé.signer la maglstrature, et, dans chaque tribu, le nn pretendu C '1 dA' , 1 ' . Directoire OnSel es nClens representant 'economle.

organisanr::~ L'institution essentielle de Moïse, renouvelée, impér:ialisme selon Saint-Yves du Canon des Patriarches «domInateur, . ,.,' ,

conquérapt lm-meme comparable à la législation de Manou, et sur ,. 1 KhI d l'E l' h' de lui». etalt «e a a », prototype e g lse c re-

tienne. C'est que «le Messie, par cela même

126

~ ... ,

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qu'il est le Roi de l'Etat social, est le Libéra­teur, le Sauveur de l'Etat politique. Il le dé­livre de sa mentalité par l'Esprit Saint de sa gouvernement alité par l'Evangile, de sa Loi de mort par sa Loi de vie, de sa Légalité mor­telle par sa Légitimité essentielle. » L'Eglise était donc destinée à la même fonc­tion que les anciennes institutions tradition­nelles; pourtant, par une évolution que Saint­Yves analyse longuement dans Mission des souverains) elle ne sut pas demeurer fidèle à sa vocation purement spirituelle. Entre le IVe

et le ve siècle, sa discipline et sa hiérarchie commencèrent à évoluer d'une manière poli­tique et non théocratique, « en empruntant leur forme de gouvernement aux milieux impériaux qu'elles devaient régir, et qui la régirent, au contraire, en soumettant l'Eglise, sa doctrine, sa direction à tous les inconvénients des déma-gogies ». .'vlission des

Devenant politique, l'Eglise devint aussi la sOlweruins. p.49. proie d'une ambition de domination monar-chique autoritaire, calquée sur l'impérialat romain: «C'est la tradition césarienne qui s'érige à Rome, non en autorité enseignante ni en puissance de persuasion, mais en pouvoir politique, en domination justicière, ce qui est absolument le contraire du règne de J ésus-Christ. » /.1( France

Tombant dans le dualisme qui est la consé- praie, p. 109.

quence du règne de la force, elle laissa s'ins-taurer la féodalité, dans laquelle chaque chef s'empara à son seul profit du pouvoir qui lui était confié en vue du bien public, tandis que

. la papauté s'était elle-même emparée du pouvoir ···politique.

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127

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Mais par un « choc en retour », les politiques qui ne sont plus inspirés par une autorité spi­rituelle vont eux-mêmes assurer le triomphe de l'esprit laïque et défaire la papauté sur le ter­rain où elle est elle-même descendue. De la querelle faussement dite « du sacerdoce et de l'Empire» au triomphe du laïcisme, un même processus se développe, qui a trouvé son ori­gine dans la semi-apostasie de la papauté. BarIet, résumant avec bonheur les longs déve­loppements de Mission des souverains, pose la question: «Que devait faire, de son côté, la noblesse, la classe des gouvernants politiques? S'inspirer loyalement des enseignements de l'Eglise pour organiser la société nouvelle; y instituer l'ordre et la justice; favoriser, proté­ger le développement économique et l'éduca­tion de la classe productrice, pour lui laisser, à sa majorité, le soin et la responsabilité d'orga­niser l'ordre social des gouvernés et du travail réalisateur. «Or, ce rôle, la classe gouvernante s'en est acquittée plus mal encore que l'Eglise du sien, et il fallait bien s'y attendre puisque la société

Barlet: nouvelle était installée par des peuples essen-l'Evolution . Il . '11 d . d / d sociale, He ement guerners, pl ar s et lU epen ants. »

p. 175. Dès lors, au milieu des convulsions euro­péennes, c'est en vain que Henri IV et la grande Elizabeth rêveront de réaliser par une dernière guerre «les Etats vraiment unis d'Europe ». Richelieu et Mazarin, par des expédients poli­tiques, rendront en quelque sorte institutionnel le désordre européen instauré par le traité de Westphalie, après lequel la paix armée régnera comme l'anarchique et stérile substitut de l'idéal chrétien de fraternité universelle.

128

1-,'"

C'est que, tout au long de l'histoire de ce conti-.... nent, l'idéal synarchique n'a pu prendre forme

en dépit des instruments admirables qui le ser­vaient. Au nombre de ceux-ci, il faut, selon Saint-Yves, compter l'ordre du Temple. «L'histoire de l'Europe offre quelques raisons de supposer que les Templiers instruits connais­saient la portée des institutions synarchiques. Leur plan à ce sujet, celui tout au moins des

. grands maîtres presque toujours français, visait peut-être toute l'organisation du continent, celle de l'Asie et de l'Afrique, la conquête et

· la neutralisation des villes saintes, Jérusalem, · La Mecque, des universités secrètes ou publi­

ques du bouddhisme et du brahmanisme. «Mais il est dans les voies prédites qu'un tel accomplissement ne puisse s'opérer que par le parfait développement de l'intelligence des peuples et par leur libre assentiment non à une domination quelconque, mais à la loi même de

'. la Paix [ ... ]. .« Aussi, résistant à une domination étrangère, · l'instinct synarchique dè la France était-il plus conforme à ses besoins et à ceux de l'Europe à venir que le plan des Templiers du mo­ment. Ce dernier, devançant trop les siècles et le développement progressif des nations, eût

· incliné à demeurer politique au lieu de devenir .' social, en consolidant trop deux ordres féodaux . que le temps seul pouvait résorber dans un

"> intérêt et dans un droit général. » . T_a l}'rancl'

}!:Saint-Yves, pourtant, à de nombreuses reprises, ~'.T;: 215.

. ' ne manque pas d'insister sur le rôle important · l' d d l La France or re u Temp e dans des termes que re- I}raie,

d'ailleurs René Guénon qui voyait en t. II, p. 376.

« couverture» d'un centre initiatique.

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Toutefois, des 850 pages de la France vraie} on retiendra surtout le fait que notre auteur reconnaît sans ambages que toute la théorie synarchiste est issue d'une réflexion sur les états généraux, qu'il compare d'ailleurs aux castes orientales : «Si une étude est de nature à rapprocher socialement les hommes de valeur qui se combattent politiquement de la droite à la gauche de la nation, de l'école des jésuites à celle des francs-maçons et vice versa, c'est

l.a France bien l'étude des états généraùx et surtout de la t. TT. ;.r~:r,: loi sociale que j'ai formulée en m'en inspirant. »

De fait, point n'était besoin de récrire toute l'histoire de l'humanité, celle de l'Europe et celle de la France, pour reconnaître que la théorie synarchiste est fondée sur une systéma­tisation des états généraux, dans lesquels l'en­seignement étant représenté par l'épiscopat, la juridiction par la noblesse d'épée, l'économie par les délégués municipaux.

Jeanne d'Arc l1iclorieuse.

-dernières stronhes.

Jl.290. (Paris.

Sauvaitre. 1890).

Dans toute cette histoire passe un grand souffle lyrique, un grand rêve d'union, le dernier peut­être du XIX

e siècle, inconnu et désuet, mais digne répondant des rêves de Saint-Simon, en proie à l'attente du nouveau christianisme. Aucune analyse, sans doute, ne le ferait mieux comprendre qu'une citation de Jeanne d} Arc victorieuse} grandiose et dérisoire épopée: Allez, répétez tous à mon triple Israël Que je suis Vrai Christ Eternel, Roi du ciel,

Comme l'a prouvé ma Pucelle! Oui, France! Elle a sauvé la Terre en te

[sauvant, En déployant sur tous, Drapeau du Dieu

[Vivant, La Synarchie universelle !

130

Qu'ajouter à cela? Que dire de cette vision de l'Histoire? Assurément qu'elle n'est pas plus délirante que bien d'autres en un temps où, encore une fois, devins, prophètes, poètes pullu­laient et se livraient à tous les excès du messia­nisme le plus obscur: de Lessing et Ballanche à Victor Hugo, en passant par Cousin, Saint­Simon, Cabet, Pyat, Buchez, Sainte-Beuve, dix pages ne suffiraient pas à nommer ceux qui cédèrent au goût de la vaticination sociale. A cet égard, Saint-Yves en vaut bien d'autres, qui manquent de souille, par rapport à lui ... Mais si l'on veut revenir au réel, on doit se rappeler qu'à la même époque Friedrich Engels analysait dans les termes suivants le processus par lequel seraient supprimés les contradic­tions et les antagonismes du corps social: « Résolution des contradictions: le prolétariat s'empare du pouvoir public et, en vertu de ce pouvoir, transforme les moyens de production sociaux qui échappent des mains de la bourgeoi­sie en propriété publique. « Accomplir cet acte libérateur du monde, voilà la mission historique du prolétariat moderne. En approfondir les conditions historiques et par là, la nature même, et ainsi donner à la classe qui a mission d'agir, classe aujourd'hui oppri­mée, la conscience des conditions et de la nature de sa propre action, voilà la tâche du socialisme scientifique, expression théorique du mouve­ment prolétarien.» Un rêve, sans doute, appartient aux deux sys­tèmes : supprimer le poids de la division de la société en classes. Mais du synarchisme et du socialisme, qui mit en œuvre les moyens d'y

. parvenir?

Friedrich Engels: Sof"Ïalisme utonique et .~oci(llisme scientifique (Résumé et conclusion). La prE'mièrp parution en France est de 1880.

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Nicolas 11 et Alexandra connurent par l'intermédiaire de Papus

la doctrille synarchiste.

Destin de l'œuvre synarchique

L~ traits generaux de la synarchie selon son fondateur étant ainsi dessinés, il convient de se demander dans quelle mesure ce programme politique a pu influencer ceux qui, trente-deux ans après la mort de Saint­Yves, seront considérés comme les responsables de la défaite de 1940. En d'autres termes, Saint-Yves d'Alveydre a-t-il eu une postérité et ses disciples ont-ils vraiment créé une socié­té secrète dont l'action aurait été aussi déter-

" "minante que l'ont cru les antisynarchistes ? ::/. Certes, Saint-Yves a cherché à jouer un rôle ~::,politique en appliquant son programme.

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En 1882, lorsqu'il fait paraître sa Mission des souverains, il a quarante ans, des loisirs, des relations flatteuses, une fortune. Comment ne pas céder à la tentation? Pendant huit années, il va donc essayer, par desmoyens divers, ae clîaiiger le cours de la politique française et même-~!IfQp®m~, tout plein d'urie superbe

Mission qüi lui fait écrire, à propos d'un de ses livres, de "l~~l~: «qu'il constitue en lui-même un coup d'Etat

autrement important que ceux qu'ont jamais accomplis les hommes politiques » ... Pour apprécier l'efficacité de ces tentatives, il convient, une nouvelle fois, de distinguer ce qui concerne l'occultisme et ce qui concerne la politique. Dans ce dernier domaine l'action de Saint-Yves va s'exercer dans trois directions différentes. Dans un premier temps, iL:~~)Udra répandre l'idée. d'une,_~ouvelle organisaJiog .. euro éenne, fonder Fententë'aespetites puissances e ma­nière qu'elles puissent contraindre au dia­logue les grandes puissances, c'est-à-dire alors, le Royaume-Uni, la Prusse et la France. A cette action diplomatique, Saint-Yves substi­tuera bientôt une campagne plus modeste, puis­qu'elle ne "'.~s~r~9.ue la p~1.itique intérieure française. qU'If veut réformer par la créati<,n

(

d'un-'Conseil national économique représentatif de tous les producteurs, le capital et le travail enfin réunis. Mais simultanément, il conservera le secret es.,poir de faire prévalokses vues par une ac~n discrèt~ sur .. .-.C_~rtainës cours européennes et notamment sur celle de Russie où son épouse avali:-·conservé. des relatIOns non' négligeables; c"esta'aTIle~r-s à ce point que l'occultisme re-

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joindra la politique, puisqu'on sait que, sous l'influence de Saint-Yves, le Dr Encausse,reçu par la famille impériale, tentera, au début du siècle, de jouer un rôle auprès de Nicolas II, avant d'être supplanté par Raspoutine. , Qu'en 1882 donc Saint-Yves ait envisagé une 1

action politique au sens immédiat du terme, la preuve en est fournie par la conclusion de Mission des souverains,' « D'ici un an ou deux, tàUiIesesprits ralliés à la synarchie devront se compter et se concerter en vue d'adopter un programme et des moyens d'action et de pro­pagande. D~ __ .Il!~m~_..B~ __ dans les grandes époques de l'uniY~~selle Eglise, des ordres n6uveaux""sont'Ve'nus, àleur1ïëüre, répondre à derlüü:Veaux"besoins sociaux, de même aussi entre les conservateurs et les révolutionnaires européens, l'ordre des synarchistes devra plan­ter son drapeau d'arbitrage et de paix sociale. Ses organes de propagande seront, dans chaque pays, un journal et une revue ayant pour titre, la Synarchie nationale d'Angleterre pour les Anglais, d'Allemagne pour les Allemands, etc. Et tous ces organes réunis formeront un jour­nal synthétique, une revue universelle ayant pour titre la Synarchie européenne. » Les ambitions étaient immenses; les réalisa­tions furent des plus modestes. S~ Yves entreprit alors une tournée de confé­rences à travers toute l'Europe, afin d'amener lèspeiltes puissanœsà se constituer en Sénat européen sous le protectorat de la France et de la Russie d'abord, puis de tous les grands Etats qui auraient voulu entrer dans cette «ligue du bien public», sorte de Société des Nations avant la lettre.

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Ull~~S.9~rence _ organisée à Bruxelles, en oc­t®.I~ 1882, paraît avoir connu un certain succès, puisque plusieurs centaines de -per­sonnes y assistèrent, mais, l'année suivante, une tentative se solda par un échec à Amsterdam. Il fallait changer ~ de tactlquêe~réformer la politique fràl1çaise avant-de--ré.Eenter l'Europe. A'ussi;raconiê-Barrct,Saint~Yves-s;entoura-i~il de « quelques disciples convaincus de la synar­chie afin de fonder avec eux des institutions au moins préparatoires ». Il faut se rappeler que parut à ce moment la loi du 22 mars 1884 relative au droit d'asso­ciation syndicale. Saint-Yves, qui la salua comme le «retour de la République au prin­cipe de la vérité sociale du suffrage universel », pensa utiliser ces nouveaux droits en vue de préparer l'avènement de la synarchie par l'ins­titution d'un suffrage « qualifié ». Une organisation de l'électorat sur une base professionnelle et syndicale «entraînera du même coup, pensait-il, celle des deux forces qui lui sont connexes et qui, appartenant aujourd'hui à la féodalité, à l'anarchie mutuelle des sectes, des partis et des classes, n'ont pas

\

de lien social régulier qui les ramène à l'unité des intérêts nationaux et populaires. Ces deux forces sont l'Opinion publique et la Presse ». :q~_~ __ 18.?1-, __ ~Sa_iE!_-Yves _ . .s'attacha donc à convaincre l'opinion de l'excellence de son sy:stème, mais sans te:l{p'Q§~L~2.tppJ~1~ment ; il pr-éconise simplêment la réforme de l'organisa­tion économique, qui peut être entreprise dans le cadre politique existant alors. Désireux de faire participer à cette tâche les syndicats ou­vriers qui viennent de se constituer} il~-

136

le ~ janvier 1886, une grande réunion, rue dèLancry, à laquelle sont conviés .Rlu~_.Q~ deux cents délégués, sous la présidence de Jean Milhèt~Fontara51e,-- sénateur de la Réul110n depuisf8g2~--SaT~t~Yves-expose son projet d' «états généraux du suffrage universel, à commencer par le Grand collège économique avec ses cinq facultés: finances, agriculture, industrie, commerce et main-d'œuvre ». Mais ce n'est point encore assez pour exercer une influence décisive sur l'opinion publique. Il faut agir sur et par la Presse. Non pas la grande presse politique, que Saint-Yves connais­sait bien pour l'avoir analysée pendant son ser­vice au ministère de l'Intérieur, mais celle des organisations professionnelles et techniques, où se rencontrent les spécialistes, tout désignés pour représenter les corporations au sein du « Grand conseil de l'économie nationale ». C'est ainsi que fut fondé un «Syndicat de Presse économique et" professionnelle de France». C~vreul, de-t'ti1sfifur,- en accepta la prési­dence d'honneur, mais par ailleurs, le comité de patronage ne comptait guère de noms illustres; on y trouve, certes, à côté du séna­teur Milhet-Fontarabie, déjà nommé, François de Mahy, député de la Réunion, qui a tout de mêniëété trois fois ministre de l'Agriculture (il sera plus tard ministre de la Marine et des Colonies dans le cabinet Tirard), Paul Des­chanel, alors déQuté d'Eure-et-Loir, et Ernest D_eusL. ancien député, mais ce ne sont r pas là des personnalités de premier plan. Il en va de même pour le bureau, présidé par un aimable rêveur, Hippolyte Destrem; le baron Théodore de Cambourg est secrétaire,

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Les vœux flU président

. de la Réoublique

furent exoosés dans des

brochures tirées à

10000 exemplaires.

et Saint-Yves, à nouveau anobli pour la cir­constance en «de Saint-Yves d'Alveydre », est le modeste archiviste de l'organisation. Le directeur du Journal des fabricants de sucre siège en compagnie du président du syndicat des fabricants bijoutiers et de Constant Deville, membre du Conseil des prudhommes. Ayant ainsi réuni des hommes fort honorables - bons époux, bons pères et assurément bons chrétiens -, Saint-Yves leur fait accomplir de nombreuses démarches auprès du gouverne­ment, en faveur de «la représentation délibé­rante et consultative des intérêts économi­ques ». En décembre 1886, la République vient de s'offrir un nouveau cabinet présidé par René Goblet. Dans les premiers mois de l'année suivante, une délégation du syndicat lui demande audience, puis visite successive­ment tous les ministres; Emile Flourens aux Affaires étrangères, Albert Dauphin aux Fi­nances, le général Boulanger, le vice-amiral Aube, Marcelin Berthelot ainsi que Charles Floquet, président de la Chambre, et son col­lègue du Sénat, Eugène Le Royer. Au. dite de Saint-Yves, l'accueil de chacun es~ 'enthous~~te:.._Le présiCfëiïi de la Répu~ Rique lui-même, Sadi Carnot, aurait fait l'éloge des vœux qui lui furent soumis au cours d'une audience qui a lieu en mai 1888 et qui est le couronnement de la campagne. Dans le même temps, le parlement avait été saisi d'une péti­tion qui avait, bien sûr, fait l'objet d'un rap­port favorable de François de Mahy, questeur de la Chambre; personne, pourtant, n'en entendit plus jamais parler, après que la commission l'eut adoptée à l'unanimité.

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Saint-Yves, incompris, en éprouve de l'amer­tume, sans voir que les milieux politiques étaient trop agités par la crise boulangiste pour examiner sereinement ses projets. Il est frap­pant de constater ue la campagne synarchiste Gorresponèl'--exactement anse temps à a montee cr~1Joul~!l..Bisme :_.~n 1'8'86, Boulanger expursé-les princes de l'armée et recueille, au cours de la « revue» que l'on sait, son succès populaire; plus tard, c'est l'affaire Schnaebelé,

-la manifestation de la gare de Lyon, suivie de peu par l'affaire Wilson et la chute de Grévy; lorsque, en 1888, Saint-Yves au faîte de ses illusions rencontre le successeur de ce dernier, Boulanger vient d'être chassé de l'armée et entreprend une lutte ouverte contre le parle­ment. Le boulangisme, écrit Adrien Dansette, «coule à pleins bords. Depuis sa mise en réforme, le général tient sans cesse l'opinion en éveil. Chaque jour les journaux publient de lui une lettre ou une interview; les images se multiplient. On entonne de nouveaux refrains [ ... ]. Reconstitué, le Comité de pro­testation nationale commence une campagne désormais ininterrompue pour la dissolution de la Chambre et la révision de la Constitution ».

Sans doute, à ce dernier égard, les thèses de Saint-Yves auraient-elles eu quelque chance d'être prises en considération, mais la vivacité

\des passions politiques, que Saint-Yves voulait apaiser en démontrant leur caractère subalterne, ne leur donnait aucune chance d'être prises en considération par ceux-là mêmes qu'elles vou­laient chasser du pouvoir. Saint-Yves se drapa dans sa dignité et se réfu-

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Adrien DanseUe: Du boulangisme à la révolution dregfusienne. «Le boulangisme», p. 131 (Paris, Librairie académique Perrin, 1938).

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gia dans un silence hautain: «Après Jeanne d'Arc victorieuse, écrit-il eo_1890, nous cesse-

~~sc~~e~:~~~~~~~ta~~e~J~~~:i~~~llfl~~du~~~ . ou -non-ra contrepartie de notre œuvre d'al­

Préface truisme. Cette contrepartie ne peut être pour du même, nous qu'un examen officiel de la Loi synar­

ouvrage, h' p.12. C Ique. »

Cet examen ne vint jamais, et SaintYves n'eut que la piètre consolation d'être fait chevalier de la Légion d'honneur, le 26 juin 1893. Satisfaction dérisoire après de si hautes ambi­tions. N'ayant pu convaincre la République, il ne désespéra pourtant jamais de faire prévaloir ses vues auprès des monarchies subsistant alors: n'était-il pas lui-même un «Souve­rain» ? Cet aspect de son action (ou de ses illusions, comme on voudra) ne peut toutefois être compris que si l'on tient compte de l'influence exercée par Saint-Yves sur l'occultisme de son

1 temps, car c'est par le truchement d'occultistes

I

l et d'organisations à prétention initiatique qu'il a pu envisager d'être entendu par certaines cours. Un bon connaisseur de ces questions, Jollivet­Castelot, précisa même qu'il «faisait peu de cas des systèmes occultistes, de même que de la plupart des occultistes ». De fait, il témoigna toujours à leur endroit de la condescendance bienveillante qui sied aux pontifes, sans oublier jamais de marquer la différence entre eux et lui. C'est ainsi que Papus, qui lui avait fait parvenir trois diplômes ad honorem, de membre du Conseil suprême de l'Ordre marti­niste, de membre de la loge « le Sphinx» et de

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«docteur en hermétisme », se les vit ren­voyer ... Malgré cela, Saint-Yves faisait l'objet d'une étrange vénération chez les occultistes; le même J ollivet-Castelot témoigne que certains d'entre eux le considéraient comme « un êcre presque surhumain, un thaumaturge et un ins­piré dont on recueillait avec dévotion les avis ». Il suffit pour s'en convaincre de lire le portrait que trace un Papus : Papus:

«Existe-t-il en Europe des Maîtres véritables Itéa,;.;:ntaire

à côté en dehors ou au-dedans des centres de sciences . ...' "A .., dr' occultes, 101tlatlques r cette questIOn Je repon al 5e éd}tion

l,·n:: . [] L M A (Pans, nettement par al11rmatlve .... e altre Chamuel,

intellectuel est un homme à cheveux blancs et 1898).

dont la figure respire la bonté, dont l'être rayonne le calme et la paix de l'âme. Sa voie d'initiation fut toujours la voie de la douleur et du sacrifice. Il fut initié à la Tradition occi-dentale par les Centres les plus élevés; il fut initié à la Tradition d'Orient par deux des plus hauts dignitaires de l'Eglise brahmanique (sic), dont l'un fut le Brahatma des Centres saints de l'Inde. » De ce tableau, il ressort que Saint-Yves est ni plus ni moins qu'un nouveau messie. Il est vrai que d'autres, avant Papus, n'avaient pas reculé devant pareils excès. La publication des Missions - les deux pre­mières sont de 1882 - correspond en effet à l'apparition du « mouvement occultiste », dont l'un des objectifs fut d'opposer aux idées orien­tales, ou prétendues telles, de la Société de théosophie, une sorte de tradition occidentale mêlant des éléments de kabbale aux idées ins-

141

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pirées par le gnosticisme, 'le rosicrucianisme et la franc-maçonnerie, dans une atmosphère de messianisme. Ce dernier paraît avoir été particulièrement

Voir, goûté. C'est ainsi que l'étrange lady Caithness, entre autres, d h d P .. f d' S sur cette UC esse e omar, qUl aVaIt on e une« 0-

René G~~~~~; ciété théosophique d'Orient et d'Occident» et le ~héo- publiait une revue dénommée l'Aurore du jour

sophIsme. d h'" " . Histoire nouveau, organe u C rtstzamsme esoterlque,

d'une ~:li~1~~ annonçait une nouvelle venue du Saint-Esprit EJ;~ris, (sous une forme féminine, à laquelle elle n'était

1 IOns , , '1 d ')' 1 . d 1 Il . tradi- pas etrangere, 1 va e SOI, a a suite e aque e bonnelles, d ., . , Il 'd

rééd.1!l65). evalt s OUvrIr une ere nouve e succe ant au christianisme, comme ce dernier avait succédé à l'Ancien Testament. Vieille prophétie, en vérité, et dont on retrouverait des traces bien avant Joachim de Flore. La duchesse ne crai­gnait d'ailleurs pas d'affirmer que l'ancien monde avait fini en 1881 et que, de cette date, « le Seigneur avait créé un nouveau ciel et une terre nouvelle ». Dans ce milieu où l'on cultivait une sorte de christianisme ésotérique nuancé par l'enseigne­ment des prétendus «mahatmas », s'agitait un

Né en 1830: autre personnage curieux, le chanoine Roca. ordonne 0 -ld W' h . l' . b' , en 1858; SWaJ. lrt, qUl avait len connu, car c est

h~h:o~~ii~: par lui qu'il avait été présenté à Stanislas de de Perpignan Guaita dont il devint le secrétaire, en trace le

à dater .. C" . b de 1869. portrait SUlvant: « e pretre avait eaucoup

voyagé dans l'Ancien et le Nouveau Monde et rêvait d'élargir l'enseignement du catholicisme. Selon lui, les dogmes étroits avaient fait leur temps. De la lettre morte qu'ils formulent, un esprit vivifiant doit se dégager au bénéfice de l'humanité sortie de l'enfance. et scientifique­ment émancipée.

14-2

~.

i !

O···

«La doctrine proposée tournait autour du Christ W;&~ social, animateur divin de la collectivité Stanislas

h . C D' Hl' d de Guaita. UmaIlle. e leU- omme panaIt au- essus Souvenirs

deS individualités humaines tout en les péné- ~:c~é~aire trant: il figurait le grand arcane du christia- (Paris, '

nisme ésotérique. La conception qui illuminait ~;mbolisme, le théologien fut bien accueillie dans les milieux 1935).

mystico-théologiques. » Ce qui n'apparaît pas dans ce portrait, c'est l'exaltation mystique dont témoigne dans cha-cun de ses ouvrages le chanoine Roca, prophéti- 1884:

d ' d" . le Christ, sant avec ar eur et non sans eru lHon, malS le pape et la

comme en proie à un délire sacré: Fourier, t~55~cratie; Saint-Simon, Ballanche et la Kabbale, Buchez, la Crise

Chateaubriand, les Mahatmas, Auguste Comte ~~~~~e J: le

et Quinet, et bien d'autres défilent pour annon- ~f:d~pe. c~r ~e renOl~vell~me~t de. la société par ,:n chris- ~~~iI1~e tlamsme raJeunI. RaJeum par la synarchIe. Missions;

Car l'adulation du chanoine pour le marquis ne ~~S;i~ de

connaît pas de bornes: «Le marquis de Saint- Ml'Ancdien on e. Yves d'Alveydre, dans ses Missions, salue avec enthousiasme les nouveaux missionnaires judéo­chrétiens qui viennent rétablir une parfaite communion de mystère et d'amour entre tous les centres religieux de la Terre. Il emprunte à Isaïe les termes mêmes de cette prévision: Et je me choisirai, dans tout le genre humain, Une élite d'esprits qui deviendront les prêtres De ma terre nouvelle et de mes cieux nouveaux. »Moi, je réponds à M. de Saint-Yves que ces Glorieux Missionnaires ne sont pas à venir qu'ils sont centenaire: , 1889, Monde déjà sur la Terre et que ceux-là sont les nou- nouveau,

" .,. d Nouveaux veaUX apotres, qUI eCrIvent es œuvres comme cieux,

la sienne. » fe~~~elle L'idée centrale de ce nouveau messianisme est p. 38 (Paris,

Auguste en effet d'établir un accord entre toutes les Ghio, 1889),

14-3

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religions et toutes les sciences, entre toutes les Eglises et toutes les écoles, dans une synthèse, ou une mathèse, universelle; on reconnaît ici la préoccupation dominante de Saint-Yves re­prise par Roca lorsqu'il écrit: «Planant au­dessus des Eglises cléricales, des pagodes hin­doues, des synagogues juives, des sectes et des écoles de pavillons divers, le nouveau sacerdoce les englobera toutes, il en fusionnera les élé­ments homogènes en même temps qu'il les déli­vrera des éléments hétérogènes qui les empê­chent de s'entendre et de s'accorder. » Passant de la théorie à la pratique, le chanoine n'hésita pas à s'adresser en 1885, par une longue lettre, aux instances suprêmes du Grand Orient de France ... Saint-Yves, pour sa part, se montra fort heu­reux de ce disciple inattendu et louangeur. Dans M.ission de l'Inde - dont la rédaction, je le rappelle, est de 1886 -, il se laissa aller à rêver de la création d'un «Ordre de prêtres synarchiques », embryon de la future assemblée suprême, et reconnu par Rome, afin de travail­ler « au salut social de la chrétienté tout en­tière » ... Las! cependant que Roca polémiquait dans le Lotus avec Mme Blavatsky (qui était très hostile à Saint-Yves), Rome parla: mais ce fut pour le mettre en demeure de se rétracter, ce qu'il ne fit pas. L'Ordre des prêtres synarchiques ne vit pas le jour, mais un «Ordre de l'Etoile », subven­tionné par Mme Piou de Saint-Gilles et animé par Albert Jhouney qui professait une sorte de socialisme chrétien. Tout cela, depuis, a sombré dans l'oubli et seuls quelques intégristes dénon­cent encore dans les œuvres du chanoine Roca

144

-

les sources occultes et sataniques du mouvement C'est le cas , . d 1 'f '1' . de Pierre œcumenique et e a re orme COnCllalre. Virion,

Il n'en fut pas de même en ce qui concerne le collaborateur des martinisme alors créé et animé par Papus dont org~nisations

"1 'd" S' Y anh-on a vu qu l conSI eralt alnt- ves comme maçonniques A • Il 1 sous son maltre lnte ectue. l'Occupation

Qu'est-ce que le martinisme ? r;t qui a . .. d' f ecrIt depUIs Une organisatlon, un or re a orme para-maçon- lo~s sur ce

. ., 1 d 1" ul SUjet nique, qUl se rec ame e enseIgnement occ te Mystère

de deux « illuminés» remarquables de la fin du 1;~6~5~ité xvnt siècle, dom Martinès de Pasqually et Bient6t un

L . Cl d d S' M . d Id' gouvernement OUlS- au e e alnt- artln, ont a octnne mondial

secrète aurait été transmise tout au long du (Sa.i~t-Cénéré, EdItIOns XIx" siècle par de petits cénacles de Supérieurs Saint-Michel, . dl' '1" d G d P f' 1967). lnCOnnUS, mo e es a Image es ran s ro es du Régime Ecossais Rectifié et que l'on consi­dérait comme disparus. Cet ordre prétendait ainsi à la possession d'une tradition occidentale d'un ordre élevé, et son chef (en fait, son créateur), le Dr Encausse, n'hésitait point à écrire au tsar Nicolas ·lui-même : «Représentant d'une des plus antiques Adresse

d· . d l'h . , A de 1896, tra ltlons e umanite, nous recevons, grace citée par aux fraternités initiatiques, les hauts enseigne- PEhiliupspse .Inca e, ments des générations passées et nous trans- Sciences

". f 1 f 'bl occultes, mettons aux generatlons utures e al e p.280. appoint de nos modestes contributions à ces hauts enseignements. » Voir sur La réalité était moins grandiose, et personne ce p~int,

,. l . d'h' . tous les n Ignore pus aUJour UI que cette antIque travaux de @iation n'avait jamais existé et que même les ~~aed~u, liens doctrinaux avec Saint-Martin étaient des !llaîtr: té plus lâches, relevant tout au plus de l'inspira- d~~on es . 1'" recherches tIon ltteraue. sur

L'important demeure que le martinisme ait fait Saint-Martin et le «mar-illusion. tinisme».

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Il y réussit tout à fait chez les occultistes comme chez leurs ennemis, Chez les premiers, il parvint, en effet, à être comme l'épine dor­sale d'un certain nombre de groupements d'ins­piration apparemment diverse, mais générale­ment composés des mêmes membres, du moins en ce qui concerne les comités directeurs: il y eut ainsi l'Ordre kabbalistique de la Rose­Croix (qui n'avait, lui non plus, aucun rapport avec les rose-croix anciens); le Groupe indé­pendant d'études ésotériques, connu du public et qui servait, en quelque sorte, de pépinière ou de vivier ; les organisations maçonniques de Memphis et de Misraïm, réveillées pour la cir­constance; et même une Eglise, d'assez haute fantaisie, il est vrai, quant à la filiation apos­tolique, l'Eglise gnostique, L'Ordre martiniste était le lien le plus efficace entre ces groupe­ments, dont l'importance ne doit d'ailleurs pas être exagérée,

. 'l~outdmi Les anti-occultistes, pour leur part, ne pou-etaIt un es , l ' , h l' ' d

créateurs valent alsser ec apper occaslOn e renouer de «l'Union d 1 h f 'l' A 1 f du Peuple avec un e eurs myt es amllers, a aveur

russe»,. des circonstances qui permirent à Papus de connue aUSSI sous le nom jouer un certain rôle à la cour de Russie,

de «Centuries B ' d "'d' , N'l noires», dont outml, un es prInCIpaUX e Heurs, apres 1 us

a;~ri~jéf!n et Krouchevan, des Protocols des Sages de l'as~a~sinat Sion, alors au début de leur carrière, ne peut

des lIberaux" "h d f' , h , ,des S empec er e aIre certaIns rapproc ements

SOCIalIstes ' 'fi 'f D l 'f d' Il et des juifs slgm catI s,« ans a pre ace une nouve e P~ters~~~~~~ édition, écrit Henri Rollin, Boutmi s'étenda~t

1906), longuement sur le martinisme dont Papus pre­Henri Rollin: tendait renouer la tradition et qu'il avait du [' APdea~'{!t~: reste remis en vogue en Russie [ .. ,]. Il évo­temps ~Paris, quait le fameux mémoire de Haugwitz au

GallImard, C 'd V'· d' '1 1 1 1 f d 1939), ongres e erone, apres eque ace e

146

touS les événements de la Révolution doit être recherchée dans le martinisme, Il s'élevait donc contre la réputation d'ennemis jurés des francs­maçons que les martinistes s'étaient acquise à cette époque et protestait contre leurs préten­tions à représenter le «christianisme pur» [ .. ,]. Boutmi n'hésitait pas à attribuer aux marti-nistes un rôle considérable .. , » Il faut

'd' " , , comprendre De fait, certaInS entre eux n auraient pas ete les francs-

f h ' d ' l' "l maçons âc' es e pOUVOlr exercer en « InSpIrant» es athées,

Pouvoirs en place, A cet égard, il n'est pas dou- ma~érialistes, b" f d' anh-teux que le Dr Encausse ait su 1 tres pro on e- clé~i,?a?-x et

l,' fl d S' y " 1 polItIses, ment In uence e aInt- ves, aInSI que e eux-mêmes

montre un texte assez long, mais qu'il paraît '!~:cufe~ure indispensable-clé-Citer en entier, car il est très tra4itions

fi 'f d' al h' dl' anCIennes signi caU une an yse synarc lste e a rea- de leur ordre,

lité politico-économique, Papus affirme l'exis-tense de conseils internationaux «auxquels ptrn:îieni--part-üOnpas-deSpOIlf1ciens de car-rière ou des ambassadeurs galonnés, mais quel­ques ?ommes modest~~.L~_connus, quelques @dS ~nanciers, ~péri~~!sLpar le,:!r ~o,n~ep­tion.1iige __ a_~§ aff_~!,_es soclâles, aux pohuclens orgueilleux qui se figurent,-une fois ministres éphémères, gouverner le monde [ .. ,]. Un ré­seau bien organisé d'agences télégraphiques avec des directeurs anglais, un solide bureau inter­national d'informations économiques avec des consuls allemands, un groupement de directeurs français de banques d'émission, des informa- il

teurs belges, suisses ou japonais font un outil social vivant et agissant, autrement puissant qu'un parlement ou qu'une cour peuplée de courtisans, «Une grève venant à propos pour arrêter la construction d'un cuirassé, ou l'essor d'un port

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de commerce négocié au moment favorable, sont des manifestations inattendues de ces actions. sociales d'origine occulte qui n'éton" nent que les profanes [ ... ]. Or, à toute époque, il a existé non pas en astral, mais bien sur notre plan physique, des hommes qui aspiraient à réaliser<::~~!ll:i!1es}'~fQrm~s sociales, sans appar­tenir aux organismes visibles des sociétés. Ces hommes réunis en petits groupes créaient les outils, variables avec le moment, le pays choisi et l'état des esprits à l'époque. Ils agissaient d'après une vieille science d'organisation sociale issue des anciens sanctuaires d'Egypte et conservée pieusement en certains centres dits

Article hermétiques. » paru en 1914 L . . d A dans la revue es martmlstes, se onnant eux-memes comme

MJ'~ff~~ les continuateurs de telles traditions, se de­un temps, vaient assurément, sous la conduite de Saint-

l'organe de la y d d'fi 1 d l'h' . Société des ves, e mo 1 er e cours e Ist01re. Amis de L R' bl' , d ' d Saint-Yves: a epu lque etant emeuree sour eaux

S é · «les objurgations du nouveau Moïse, il restait pos-up rieurs 'bl d" , 1 . , inconnus». SI e enVIsager une revo utlon ou une evolu-

tion « par en haut », en conseillant sagement quelques souverains: le Maître n'était-il pas des leurs? En rédigeant Mission de flnde en 1886, il n'avait pas craint de conseiller la reine d'Angle­terre et le tsar de Russie sur leur politique en Asie, dans des lettres solennelles et messiani­ques. Peu après, il renouvelait, dans une série de poèmes non moins pompeux publiés en 1889, ses enseignements destinés à modifier tout l'équilibre européen. Je ne sais quel accueil les souverains intéressés réservèrent à ces épopées grandiloquentes.

148

1 , .

".'::

Ce qui est sûr, c'est qu'après un tel exemple les 1 occultistes résolurent de passer à une action r

plus directe; eQj~1lY!~L1893,~PaJ>~ ~_dressait a~ sulta!Lg.~_ Turquj~L;A1i~~L!!~~i~-.!I, une J longue éplt!·~ .. pour lUI exposer que seule la ctéation, en mode synarchiste, des Etats-Unis d'Europe, qui serait faite avant cinquante années, pourrait garantir à son empire une sécu­rité absolue. A peu de temps de là, il redoublait d'efforts auprès d'un autre souverain, le tsar Nicolas II, à l'occasion de son premier voyage officiel en France, en 1896. C'est alors que commence le curieux épisode qui devait amener Papus et son Maître spirituel, connu sous le nom de «Monsieur Philippe» (qui, Guénon l'a justement souligné, n'était qu'un guérisseur sans aucune connaissance doc­trinale) dans l'entourage immédiat de Nicolas et d'Alexandra Feodorovna, cependant que, dans l'ombre, Saint-Yves donnait se.L direc-ti,Tes.-.-.-.-~··--······-·-··--·-··--'-· .... ---.. _-

A plusieurs reprises entre 1900 et 1906, Papus et Philippe séjournèrent auprès des souverains et furent mêlés aux rivalités des clans qui agi­taient alors la cour de Russie. En arrière-plan de ces combats, se profilent les fameux Protocols des Sages de Sion) mis en circulation entre 1901 et 1905 et qui, lors­qu'ils furent mis sous les yeux du tsar, firent une si profonde impression sur lui que, pour

. un temps, il en fit son manuel de politique géné­.rale. Il n'est pas douteux que Papus et Philippe eurent sur le couple impérial une grande in­fluence que celle de Raspoutine ne parvint pas

1!t9

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Il s'agit de Raspoutine.

à eff~cer complètement. Mais il s'agissait beau­coup plus de la psychologie d'individus confron­tés à une situation pénible, que d'une interven~ tion· vraiment politique. Au surplus, le système synarchique ne fut évoqué que pour rappeler le tsar à son rôle mystico-politique de chef de l'Eglise et pour l'inciter à s'appuyer sur les fondements divins de son autocratie. Faisant allusion à l'impératrice, Henri Rollin écrit fort justement qu'« en dehors de' l'in­fluence profondément religieuse qu'elle lui reconnaît, de cette absolue confiance en Dieu qu'il lui inspirait, kJeitmotiv des souvenirs éV9qués par l'impératrice à2E~p()~ __ de Philippe !!Jll'i11Jpg~s.ibil~!Lpour la Russie dl aaopTêi-ùn rép)me con~{iJJ:t.t!~~~~Z; ]a"nécessité pour le tsar d'imposer -aux hauts personnages de l'Empire, aux ministres comme aux grands industriels, cette discipline élémentaire que le danger avait fait accepter spontanément par tous les pays les plus démocratiques. » «Dans une période comme celle que nous traversons écrivait-elle à Nicolas, il est néces­saire que ta voix se fasse entendre des proches quand ils continuent à ne pas obéir à tes ordres ou sont lents à les exécuter. Ils doivent apprendre à trembler devant toi. Rappelle-toi M. Philippe. Grigori dit la même chose. » Cette lettre d'Alexandra dit assez quelle sorte de conseils Papus et Philippe purent donner au tsar ; la haute philosophie ne tient qu'une place limitée dans ces propos. L'idée synarchique en est absente. A vrai dire, qu'importaient les conseils qu'on pouvait donner au fantôme politique qu'était déjà le tsar à qui tout échappait?

150

im i':

L'échec, prévisible, de cette tentative n'empê­cha pas cependant que 1'on continua de rêver. A tel point, d'ailleurs, qu'au cours du xxe siècle le système philosophico-politique sans grande importance qu'était la synarchie allait devenir un mythe.

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/'/1111 Desjardins, dans S(I jellnesse.

pour aborder le XXe

siècle

T rente-deux ans à peine devaient s'écouler entre la disparition de Saint-Yves et le moment où la synarchie sera jetée sur la scène politique sous les dehors aussi divers que fantastiques qu'on a vus. L'étude de la philosophie politique de Saint­Yves, qui fait ainsi figure de grand ancêtre et de précurseur, permet-elle d'expliquer la singu­lière fortune du mot au xx" siècle? Permet-elle, plus précisément encore, de tenir pour vraie l'existence de ce mouvement en forme de société secrète, existence que personne, au demeurant, n'a jamais pu démontrer ...

153

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Une fois encore, on constate que toutes les réponses possibles ont été apportées à la ques­tion, de la manière la plus contradictoire. Le «Rapport Chavin », lui-même, soutient, à deux pages de distance, d'une part, que le M.S.E. n'est en aucune manière le réveil du synarchisme de Saint-Yves; d'autre part, qu'il est' une dissidence de l'Ordre martiniste dont il affirme (à tort, d'ailleurs) que Saint-Yves avait été le grand maître. Il n'est pas douteux. en tout cas, que la thèse Chavin laisse présumer un rapport de filiation

Dans un très précis entre alveydrisme et M.S.E. ouvrage C . d d' '11 1 . dl' récent et e p01l1t e vue est al eurs ce Ul e a maJo-

d'idées ;:~~;: rité des auteurs, qui font preuve d'une mécon­la Chute naissance à peu près totale de l'œuvre de Saint-de la Ille YI' 'd 1 République ves et se alssent gUI er par eurs propres

(Paris, Stock, choix politiques' la synarchie est roucre pour 1970), • b

Wsilhl~am les blancs, blanche ou noire pour les rouges ... Irer. , • d .

affirme malS materlaux et ocuments, raIsonnements impru~ , h d 'd' demment que et met 0 es sont l entlqueS.

l'existence A cet égard et s'agissant des origines du du M.S.E.

a été établie M.S.E, il paraît très intéressant de renvoyer à (p. 246). . d ' d' ffi .

Il aurait dù un CurIeux ocument emanant une 0 C1l1e préciser d' Ad' . d 1 h' , / par qui el extreme rOIte, malS ont a t ese a ete

comment. reprise à peu près partout et, récemment encore, dans le livre naïf d'André Ulmann et Henri Azeau. Il s'agit de Martinisme et synarchie) qui fait remonter le courant svnarchiste à Louis-

L'abbé Claude de Saint-Martin et Joseph de Maistre, Bal~ruel, dans la lignée du barruelisme. Après avoir étu-on. a vu,

r·endait la dié ces auteurs, puis résumé, très mal, la vie et franc- l' d S' Y d 1 maçonneri,e œuvre e alnt- ves, ce ocument ana yse, seule d . ., . 1 d M S E responsable ans une trol<;leme partIe, il nature u l . . .

R. 1 dt'~ la En dépit ou à cause de ses excès, de ses evo U IOn d d"'l f de 1789. outrances et e ses contra lctions, l met ort

154

~'

1

bien en évidence ce qu'on pourrait appeler la structure narrative du récit historique synar­chiste; ses outrances ne concernent d'ailleurs que la finalité supposée du M.S.E. qui, en l'occurrence, s'explique par un anti-judéo­bolchevisme maladif et obsessionnel. Pourtant, lorsque les auteurs « de gauche» dénoncent la synarchie, ils lui donnent une autre finalité mais conservent le même récit.

Ce dernier comporte toujours au moins les quatre points suivants: - le M.S.E. est, initialement, une secte occul­tiste fondée sur les thèses de Sdint-Yves, modernisées et adaptées aux circonstances; -' dans ce mouvement, de «hauts initiés inconnus » formant une « société secrète supé­rieure» manipulent des techniciens écono­miques et financiers ; - ce groupe s'est emparé du pouvoir par la ruse en 1940, à la suite d'un ou plusieurs complots; - il est au service d'une «internationale» toute-puissante, de nature différente selon les auteurs.

Que l'on rapproche de ce texte les phrases sui­vantes d'Ulmann et Azeau, qui considèrent que la synarchie est un complot réactionnaire, cléri­cal et ultra-capitaliste: «Il y a, dans toute l'action législative du régime de Vichy, à peu près autant d'improvisation que dans la défaite, c'est-à-dire très peu. C'est une construction rigoureusement préparée, rigoureusement édi­fiée, rigoureusement appliquée. Encore faut-il pour bien la comprendre remonter aux sources et suivre la chaîne, de Louis-Claude de Saint-

155

Voir en annexe Martini.~me et synarchie.

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Martin à Joseph de Maistre et jusqu'à Saint­Yves d'Alveydre qui a mis en forme la théorie synarchiqu~ du gouvernement des hommes. On

A. uJ~Â~:a~~ s'aperçoit alors que le fatras législatif, en appa­Synarchie rence improvisé, s'ordonne rigoureusement

et pOUVOIr, d 1 h' . d' A p.222. autour e a t eone u vIeux maitre. »

Ces phrases ne surprendront pas puisqu'on a déjà vu l'antisynarchiste «de gauche» Men­nevée reprendre à son compte, sans le savoir, les propres paroles d'Haugwitz au Congrès de V érane, pour dénoncer «le faisceau mondial des sectes martinistes ».

On remarquera, dans un premier temps, que ce n'est pas à tort que les différentes formes d'antisynarchisme ont mis en cause les occul­tistes, entendus au sens le plus large du terme; leur erreur est, au contraire, d'avoir limité leur propos aux seuls martinistes qui représentent bien peu de chose. De fait, la plupart des écoles occultistes, au xxe siècle, ont été préoccu­pées par la synarchie, qui constitue une donnée permanente depuis Saint-Yves d'Alveydre jus­qu'à nos jours. Alors même que ce dernier était en quelque sorte l'héritier d'innombrables utopies « sophiocratiques », si l'on ose le mot, les occultistes de tous bords, papusiens, anthro­posophes avec Rudolf Steiner, théosophes avec Jinarajadasa ou Vivian du Mas, martinistes avec Chevillon, ne cessèrent jamais de propo­ser des remèdes synarchiques à la «question sociale », tout au long du siècle. A cet égard, il paraît indispensable de relever l'extraordinaire incohérence du raisonnement des antisynarchistes, s'agissant du secret dont serait entourée l'œuvre de Saint-Yves.

156

~. 1 ....

1 L'âme du complot serait, en effet, à les en croire, un auteur qui a consacré des milliers de pages publiées chez un éditeur connu -Calmann-Lévy - pour exposer sa pensée, qui, on l'a vu, accumula les pétitions publiques et dont la plus haute ambition était que son sys­tème nouveau fît l'objet d'un examen officiel par le parlement de la lIre République. Sans doute estimait-il, dans sa conception théocra­tique, que certains documents devraient être « réservés» à l'usage des institutions nouvelles qui seraient créées selon ses vues, mais, vrai­ment, peut-on appeler secrète ou clandestine une telle entreprise? De la même manière, ses disciples incontestés n'eurent jamais rien de plus pressé que de publier des ouvrages - chez des éditeurs spé­cialisés, il est vrai - dont la diffusion fut toujours des plus médiocres, mais contre leurs vœux, on peut en être sûr. Je donnerai plus loin de nombreux exemples de ces petites revues ou de ces ouvrages sans grand succès qui, pendant quelques années, diffusèrent la pensée synarchiste: ils étaient tous dans le domaine public, et leurs auteurs eussent assu­rément préféré une audience plus vaste. Il ne s'agit point, en tout cas, de manœuvres clan­destines. Mais à côté de cette permanence des préoccu­pations synarchiques dans les milieux occul­tistes, faciles à pénétrer au demeurant, il convient, pour comprendre la genèse de la légende, de considérer une autre permanence, sur laquelle on a déjà appelé l'attention: celle de l'anti-occultisme qui, entre 1919 et 1939, disposait de nombreuses revues, au premier

157

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rang desquelles il faut citer la Revue interna­tionale des Sociétés secrètes. Or le document que j'ai cité, et qui provient de cette source, montre bien que la dénonciation de la synarchie n'a fait que prendre le relais d'autres dénon­ciations que prodiguait à longueur de numéros cette revue qui, pendant des années, retrouvait à chaque pas la trace des Sages de Sion et, dont son fondateur, Mgr Jouin, fut l'un des grands propagateurs. Ainsi serons-nous conduits à étudier l'étrange dialectique qui unit, à propos de la synarchie, les occultistes et leurs ennemis, en proie les uns et les autres aux mêmes obsessions.

Il demeure pourtant que la synarchie, au Xx

e siècle, présente un autre aspect: les tech­niciens, économistes, financiers dénoncés par les auteurs de Martinisme et Synarchie comme par les gens de la Revue internationale df;s Sociétés secrètes, mais aussi par Pierre Hervé ou Charles Dumas, ont bien existé. Ils furent, entre deux guerres, pIanistes, néo-socialistes, personnalistes ou humanistes; ils se retrou­vèrent dans les allées du pouvoir de Vichy et dans la Résistance. Peut-on dire qu'ils furent des synarques? Leur inspiration fut-elle vrai­ment commune? Saint-Yves fut-il, à sa ma­nière, leur précurseur, lui qui était antiparle­mentaire, mais aussi « européen », favorable à la « régionalisation », partisan de l'association du capital et du travaiL. Dans l'immédiat, l'étude qu'on a faite du synarchisme de Saint-Yves permet, en tout cas, de répondre au moins' partiellement à la ques­tion, s'agissant du point de savoir dans quelle

158

~.

1 1

mesure le théoricien de la synarchie peut être considéré comme le précurseur de certains courants de pensée. Une fois encore, il faut constater que les dis­ciples sont eux-mêmes à l'origine des idées fausses développées par les adversaires; c'est ainsi, par exemple, que Barlet ne craint pas d'affirmer que son maître vénéré avait été «le premier inspirateur de la loi sur les syndicats », de 1884 ; c'est là une exagération manifeste, car rien dans l'œuvre de Saint-Yves, antérieure à cette date, n'eût été susceptible d'inspirer le législateur, à supposer qu'un parlementaire ait lu quelqu'une des Missions; et, d'autre part, il est à penser que le mouvement ouvrier de l'époque était assez puissant pour obtenir la liberté syndicale sans l'aide d'un Saint-Yves. De la même manière, on ne peut guère accor­der d'importance à notre auteur en ce qui concerne l'idée d'union européenne. Sans doute ses vues relatives aux «états généraux euro­péens» ne sont-elles pas sans intérêt, mais il faudrait tout ignorer de l'histoire de l'idée européenne au XIX" siècle pour leur accorder une originalité. Déjà en 1849, Victor Hugo, présidant avec Cobden un congrès de la paix réuni à Paris, s'écriait: «Un jour viendra où rit dé PSar.

F R · l l' . e alnte-vous, rance, vous, USSle, vous, ta le, vous, Lorette:

A l AlI l'Idée ng eterre, VOUS, emagne, VOUS toutes, na- d'union

tions du continent, sans perdre vos qualités fédéra,le , europeenne dlstinctes et vos glorieuses individualités, vous (Paris.

f d ,. d . , A. Colin, vous on rez etroltement ans une umte euro- 1955),

péenne, et vous constituerez la fraternité euro-péenne .. , »

Et pendant la décennie où Saint-Yves écrit sur la synarchie, entre 1880 et 1890, il est de nom-

159

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breuses autres manifestations de l'idée euro­péenne qui, pour n'être pas très populaires, n'en furent pas moins marquantes. Mais il y a plus encore et qui va permettre de préciser la nature de l'étrange amalgame qu'on a dénommé synarchie et de montrer qu'il n'avait souvent rien à voir avec le système de Saint-Yves. Le premier des deux exemples que je veux rete­nir concerne la Fabian Society brit~Qt:!igue, dont la fondation se sltue préêis'émenT à l'époque ou Salnt-Yves commence à décrire son système poli.!!9u~ Il ;embf~ --~~trêmëîi1ent caractérls­flqUe qu'un auteur comme Roger Mennev~e

Les ait pu écrire tranquillement que «le travall-Documents. , l' '1 d

juin 1946 lisme anglais n'est en rea lte que e masque e (réédition 1 F b' S . h' , t ff t 1962, p. 67). a a lan oClety synarc lque»; ces, en e e ,

tout à la fois définir ce qu'il entend par synar­chie et affirmer que les idées de Saint-Yves n'y sont pas pour grand-chose ... Qu'est-ce que la société fabienne ? A l'origine, une société de pensée, dont le noble et vague objectif est, selon son historiographe et fonda--

E.R. Pease: teur Edward Pease, de « reconstruire la société ol~e/f;.~t~~f, sur une base non compétitive avec pour but de

Society. conjurer le malheur de la pauvreté ». But louable, assurément. Le patronage de Fabius cunctator) Fabius le Temporisateur, est déjà plus explicite: il s'agit de transformer la socié­té, mais en prenant bien soin d'éviter t?ute forme révolutionnaire violente: temporlser, réformer dans l'ordre, bourgeoisement, en quelque sorte.

(

Lorsqu'en 1884 la société choisit ce nom, elle compte en ses rangs nombre de personnages qui deviendront illustres: J. Ramsay Mac-

160

~.

1

donald, plus tard Premier mInIstre, Haldane, V~ir dans la

G.B. Shaw, Annie Besant (de la Société de :ll~~tion: théosophie) Sidney et Béatrice Webb Oliver la Théosophie,

, . ' par Jacques Lodge, H.G. Wells, etc. Ce premIer noyau se Lantier.

disait socialiste, mais temporisateur. Il s'inté-ressa donc aux réalisations immédiatement pos-sibles, en particulier sur le plan municipal et électoral, grâce à une ligue parlementaire fon-dée en février 1887. Par la suite, cette intelli-gentsia fabienne devait s'allier au trade-unio-nisme et participer à la naissance du parti tra-vailliste, tout en animant de nombreux groupe-ments d'études politico-économiques. Où est le «synarchisme» de la société fa­bienne? Saint-Yves n'y est assurément pour rien. Dès lors, s'il y a synarchisme, ce ne peut être que dans la renonciation à toute forme d'action révolutionnaire et dans la conviction que la société capitaliste peut être améliorée, petit à petit, par des réformes prudentes mais cer­taines, socialisations, nationalisations, toujours partielles et mesurées, qui a aucun moment ne mettent en question la structure de la propriété, la nature de l'Etat ou l'ensemble des relations entre les hommes. Il n'est pas douteux, en effet, que pour les fabiens «le socialisme était avant tout une façon d'aider le capitalisme à sortir de sa période infantile, et au bout de la route brillait l'utopie à la Wells, un monde stérilisé, hygié-nique, où toutes choses semblaient sortir des pages publicitaires d'un magazine. En cela,

.,comme tous les fabiens, il [Wells] voyait le

. ;:socialisme non comme une nouvelle catégorie, 'mais comme une simple forme d'hygiène so-

161

A.L. Morton: l'Utopie anglaise, p.213 (Paris, Maspero, 1964).

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Le ciale : le monde avait besoin de rangement ». fa~ianisme C'est dire qu'en fait le fabianisme était une

.'1 :~a~â~ tentative de doter le capitalisme d'idées pro-Influeuce d· ·bl d d /

surcertains gressistes ou, u mOIns, susceptl es e esar-in~~ll~~~~~!~ mer à l'avance tout changement fondé sur la

deux-guerres, lutte des classes. B:r~~l~d Nul doute qu'un tel projet ait fait considérer

ùe Jouvenel.. d d f· d les fablens comme e angereux ourners u La Reuue bolchevisme par la droite, et comme des réfor­

iJlterna.'it)!';a~e ml·stes insignifiants et servant d'alibi au capita-des SDe/etes 1 secrètes lisme par les révolutionnaires ... comme de vu -

It'ur COllsa,cra ' . un lIum~ro gaires synardllstes !

sur ce ~~l~cr. Pourtant force est bien de constater que, si le projet synarchique n'est pas autre chose que cela, on pourra aisément le retrouver chez u? très grand nombre d'auteurs et d'hommes pol~­tiques, dès lors qu'ils font si peu que ce SOIt profession de réformateurs. .., Il est d'ailleurs un autre exemple smguhere­ment révélateur de la difficulté où l'on se trouve de rattacher à Saint-Yves certains des courants de pensée que l'on a taxés de synarchisme:

On cOllsultera celui de Paul Desjardins, le fondateur des l'intéJ·cssapt fameuses «Décades de Pontigny». Nous ",ceuell: .

. P(~ul retrouverons ces dernières à propos de l'actl-LJesjardlJls d 1 /

el le .. [)éclldes vité de Jean Coutrot, ans es annees trente. de Pontigny. M· ·1 f 1· b· t tt date Documents aIS l aut sou 19ner que len avan ce e ,

présentés et à une époque contemporaine de Saint-Yves, par .-Inne d / .

. Heprgo.n- Desjardins manifesta es preoccupatlOns que UesjardlJls ." , Il d

(Paris, l'on pourraIt peut-etre comparer a ce es u P.U.F.,1964). fondateur de la synarchie, mais dont on peut

assurer qu'elles ne lui doivent rien. Fils d'un ancien précepteur du Prince impérial, condisciple à Normale supérieure de Jaurès, de Bergson et de Baudrillart, Desjardins, forte­ment influencé par le philosophe Jules Lagneau,

162

r p

crée en 1892 (il a alors trente-trois ans) une «Fondation de l'union pour l'action morale », qui, en 1905, prendra le nom d' « Union pour la Vérité ». Cette organisation veut être « un ordre laïc militant du devoir privé et social, noyau vivant de la future société », dont l'objectif est de réunir tous les hommes « qui, ,de quelque pays, de quelque condition que ce soit, en s'appuyant sur n'importe quelle reli­gion ou philosophie, consentent à subordonner leurs intérêts particuliers immédiats à l'accom­plissement de ce qu'ils croient bon, juste et vrai ». La terminologie moralisante recouvre une haute ambition. 1892 est l'année de la grève de Car-maux et celle des bombes de Ravachol ; Des-jardins et ses amis veulent créer une « société d'énergie morale », une chevalerie qui doit sau-ver l'esprit public: «En France, écrit-il, cin-quante hommes ligués, convaincus et résolus suffiraient à changer le moral du pays. » Lyau-tey, qui en est alors membre, y voit « une véri-table Eglise commune ouverte à tous, sans anathèmes », qui peut être la base d'une aris­tocratie intellectuelle, d'une véritable élite, que recherchent, chacun de son côté, des groupe- Maurice

Pujo et ments aussi divers que les chrétiens du Sillon, Henri

l Vaugeois es membres de l'Union rationaliste, ou le quittèrent

groupe de la Revue de métaphysique et de ~~î~98 pour

morale. Il s'agit d'unir les meilleurs d'où qu'ils aller fonder l'Action

viennent. française.

L'affaire Dreyfus, puis la crise moderniste -Desjardins prit parti pour le capitaine, et pour l'abbé Loisy - démontrèrent assez vite le caractère irréaliste de l'entreprise. Desjardins changea de méthode et, pour faire

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avancer l'idée, se mit à organiser dans l'an­cienne abbaye de Pontigny, qu'il avait acquise, des rencontres internationales de chercheurs, cl' artistes, d'écrivains, mais aussi de syndica­listes et d'économistes. A partir de 1912, il s'occupa aussi activement de la Ligue interna­tionale pour le Droit des peuples.

Je l'ai dit, nous reviendrons plus précisément sur cette phase plus tardive de cette activité. Ce qu'il faut retenir, pour l'heure, c'est que, dans la période contemporaine de Saint-Yves et dans les premières années du xx" siècle, il ne manque pas de gens qui ont des préoccupa­tions spirituelles ou économiques assez proches de celles qui se manifestent dans le système synarchiste, mais aussi qu'il serait tout à fait abusif d'induire, à partir de ressemblances plus ou moins précises d'ailleurs, l'existence d'un « centre» commun d'inspiration. La notoriété de Saint-Yves n'a jamais dépassé le domaine de l'occultisme, mais elle l'a inspiré jusqu'à nos jours, ainsi qu'on va le voir. On pourra ensuite discerner plus clairement dans quelle mesure il est possible d'utiliser le terme de synarchie pour désigner certains groupes qui, entre les deux guerres, puis pos­térieurement, tentèrent de remédier à la crise économique, à la crise politique, à la crise spi­rituelle de la société française.

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~ .. ' ..

. .~

Rudolf Steiner (ici vers 1885) élabora un programme d'action

comparable à la synarchie.

Permanence de la synarchie occultiste

Une des erreurs les plus graves qui ont été commises à propos de la synarchie a consisté à croire que la rareté relative des témoignages d'une activité synarchique était la preuve de l'existence de menées souterraines. Elle témoignerait plutôt de l'indigence des sources documentaires dont disposaient les auteurs qui ont traité de la question ... En réalité, de très nombreux ouvrages et opuscules témoignent de l'intérêt que les occultistes ont toujours porté à la question, et rien n'autorise à monter en épingle l'un ou l'autre d'entre eux - le seul qu'on connaît - pour en faire on ne

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sait quelle «preuve» de l'existence d'un cou­rant synarchiste. Ce dernier a toujours existé, et au grand jour; chez les occultistes et, encore une fois, la seule question importante serait de connaître son poids politique. . On ne peut évidemment entreprendre d'écrue ici, à propos de la synarchie, l'histoire complexe et un peu dérisoire de l'occultisme au xxe siècle; il est cependant nécessaire de montrer, à partir d'exemples précis, que la permanence des rêve-

1 ries synarchistes, plus ou moins inspirées de 1 Saint-Yves d'Alveydre, ne se retrouva pas seule-

\

ment dans le martinisme, généralement mis en cause par les antisynarchistes de toutes apparte­nances politiques. Dès avant la mort du « Maître », on retrouve des préoccupations de cette nature chez l'un des penseurs les plus importants de ce temps: René Guénon. on sait, en effet, que ce dernier, qui apparten~Üt alors à l'organisation martiniste (dont il devait pâila suite soulIgner le èâfâCtère pseudo-initia­tique), avait été sollicité, vers 1908, pour prendre fa tête d'un._« 0..E~!E~~~ 'I_~mple réiî?­ve>>oôn::C:raroncrat1on avait été orC1OiîiîèêPar

1 ufieënJité mzstér~.e gui s'a~ressait, par éCri-. ture directe, a un groupe de vm.s.t ,!;.t.llE occul­tist~_~qui se réunIssaient tantôt ru?--aes Canettes, tantôt rue Saint-Louis-en-l'Isle. Paul Vulliaud qui eut accès à des documents conf1-déIïtiefs" relatifs à cette affaire, à la suite de

Blanchard laquelle Guénon fut expulsé de l'ordre marti-

1 fon?ta, niste, en compagnie de Victor Blanchard, cite par a SUI e, ~n.ordre un rapport trouvé dans les archives de Pap~s :

martJmste et G (' ) d ., -d ,. synarchiste.« . uenon evalt s emparer u secretanat et

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~'

1

1

de toutes les adresses martinistes. L'Ordre de Fondateur des

G. - telle est la désignation du groupe d'après lluminés

le nom de son chef - était fondé sur l'idée de gi!fi~iâ~' vengeance templière, avec Weishaupt pour XVIIIe siècle.

modèle. Le rap ort insiste sur le tait -ue Samt- Cette y" d' II-! . d «vengeance» ves .n. vey re ne vou alt pas enten re par er est le thème

de ce genre de vengeance. POûrtânt, c'est sur ~~ ~:r\~1·~~de sôu archéomètre 'lue rCJrêrrëëlë-C;~ p~iïQiit grades.

s'appuyer pour soutëru~n t~~risme. G. se do~;igi~~ques dISalt un tem 11er réincarne. » .'> ~ ...,....-- ~~:~~cte D'àUtres personnages, ln fiiment plus suspects, que récente.

ne manquèrent pas de se réclamer de Saint- Guénon

Yves ou, du moins, d'utiliser sa notoriété, n~ticipa comme ce « professeur Staïr-Sisshar »qui sur rédaction

d ' . "'f d l'A ' h d'une longue un or re precis et lmperatl e gart a, étude sur . f d ' d 'do d 1 B h l'archéo-avait on e un «or re ve lque e a ra man- mètre, parue

dya» et envisageait, au début du siècle, de 1:G~ose. fonder un mouvement synarchique à forme

\

maçonnique. Vers 1912, il inondait Papus de lettres relatives à une prochaine réincarnation du marquis d'Alveydre. Il n'est pas nécessaire d'insister sur les élucu­,brations de ce genre; encore faut-il savoir qu'elles n'ont cessé de proliférer. L'œuvre de Saint-Yves suscita pourtant de plus sérieux commentaires comme ceux de Lucien Lejay ou de Louis Le Leu. ""-------Il faut-pourtant accorder une place particulière à ~arlet, ..sie son vrai p.01p~Rm, Faucheux (1838-1921) - Barlet est l'anagramme d'Al-

·ber1. "Filr~1iothéq!Ïte de l'Arsenal, il fut lui-même fonctionnaire et termina sa car­rière à Abbeville comme directeur de' PErirè­giStre~ Trèsr~pa~cIiiii"S les milieux

. ocCûltistes, il appartint à un très grand nombre de sociétés et eut le privilège de représenter en

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La .)( Bibliothèque de Lyon détient (sous la cote 5493) de fort intéressants documents prov.enani: de Le Leu, qui firent partie des archives de Papus.

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(

Europe 1'« Hermetic Brotherhood of Luxor» (H. B. of L.), à laquelle Guénon accordait tant d'importance. Grand travailleur, il n'a pour­tant laissé qu'une œuvre écrite limitée, mais qui comporte tout un plan de reconstruction de l'enseignement selon les vues de Saint-Yves. Simultanément d'autres disciples avaient créé une Société des Amis de Saint-Yves, qui pro­céda à l'édition des œuvres posthumes; cette association réunissait quelques personnages qui s'étaient liés d'amitié avec Saint-Yves à la fin de sa vie et travaillaient avec lui sur l'Archéo­mètre: Lebreton, son secrétaire, Jemain, spé­cialiste de la musique, Gougy, architecte, Batil­liat, littérateur (j'avoue n'avoir su retrouver trace de ses œuvres), Duvignau de Lanneau et, bien sûr, le Dr Encausse et le Dr Chauvet. On ne s'étonnera donc pas que le nom de Saint-Yves ait continué à être connu dans les milieux occultistes grâce à l'action de cette association. Mais on conçoit aussi qu'il n'y ait pas lieu d'accorder une importance trop grande aux publications de l'un ou de l'autre de ces disciples. Faute de bien connaître l'occultisme, Ulmann et Azeau n'ont pas manqué de commettre l'erreur de considérer, comme un indice inté­ressant la publication, e!l)912, d'une brochure

Chez intitulée l'Etat social' vr~née: «Un J.Lessard, h' c':~~l' d Ch imprimeur synarc lste», elle etalt . œuvre e auvet,

à Nantes. qui d'ailleurs la réédita ouvertement chez Cha­cornac en 1922, sous son nomen initiatique de « Saïr ». Le texte en est intéressant, mais il faut soûligner combien il est illusoire de voir dans cette brochure la preuve d'on ne sait quelle emprise de la doctrine synarchique « sur

170

~

1 1

les notables de nos provinces» ! Une nouvelle Ulmann et

fois, il faut souligner que rien de tout cela ne Azea'!l,

d, . 1 1 l' op. CIl., epassalt e cerc e lmité des gens qui s'intéres- p.45.

saient alors à l'occultisme; Saïr - le Dr C~auvet -. était du nombre et publia par la sUlte un cutleux ouvrage sur l'Esotérisme de la Genèse. L'intérêt de cette brochure réside bien plutôt dans le fait qu'elle est une transcription rigou­reus~ment fidèle d~§.-rvues de Saint-Yves dans u~ simple, qui écarte les redon­&mces et le prophetlsme, souvent pénibles chez l'auteur des Missions. Il est à noter, de plus, que ni Saint-Yves ni la ~ynarchie ne sont1!Q...mm~: il s'agit en réalité d'un résumé intelligemment fait à l'usage de gens avertis; il est bien certain d'ailleurs qu'en 1912, date de la parution de cette étude nombreux étaient ceux qui, dans le mond~ occultiste, avaient connu notre auteur. Le seul él~ment. quelque peu mystérieux que l'on peut decouvtlr dans ces diverses publications se trouve dans une ~-Victor-ErriTIë MiëfïefeTqul écr1~cran:sseSsôuve"!ïiii':«SaIilt-'YVes fut -avant tout préoccupé de montrer les ressorts secrets des grandes civilisations anti-ques pour faire bénéficier de cette connaissance la société anarchique qui est la nôtre. Peut-être u~ io~~_me sera-t~~ 'raco~r co.m~ent e,n !912.; ç~~~.[neme~passé_ f~L9~~n~,lLfl~-E:fOP..~!t)l~t~~ ~'i-~e]et: 1 uropez.et commentTadverse génie'dê1a térre les

Y 'app t .. . . Compagnons or a sa vlctOtleUse oppOSltlOn. » de la .

Il ne semble pas malheureusement que Miche- Hiérophanie, 1 " . l' 1 p.120 et alt Jamais alssé un te récit... En tout état (Paris. A

d . 1 d Il Dorbon AIllé. e cause, on volt ma e que e façon les s,d.). .

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disciples de Saint-Yves eussent influé de ma­nière décisive sur les négociateurs de Versailles. Ce qui est sûr, c'est que parmi les disciples immédiats on ne renonçait pas alors à faire prévaloir dans le monde les vues du marquis inspiré. On ne renonçait pas, mais les espoirs et les rêves étaient exprimés de manière pu-

Jean blique et sans qu'on en fît le moindre mystère. Bro'Sset: M' 1 .. 1"'1 Synarchie alS e martlmsme, Ul, n est-l pas une orga-

llniv::s~ïf:. nisation clandestine? Et n'est-il pas évident, Le ~oi.le pour Geoffroy de Charnay qui reprend d'ail­

avrll~22: leurs les termes d'innombrables libelles, que, « à partir de 1920, les organisations martinistes passent à l'action clandestine un peu partout

G. de dans le monde ... » ? Charnay: L . d'" '1' . Synarchie. a question vaut etre posee, assertion ayant rléjà.liI~: été mainte fois reproduite par des gens qui

P manifestement ignorent l'histoire des organisa-tions en cause. . Il n'est pas douteux, en effet, qu'un très grand

1 nombre de membres de l'ordre martiniste, sui­vant l'exemple de Papus, ont toujours porté et continuent de porter une grande attention à l'œuvre de Saint-Yves d'Alveydre ; ils ne s'en sont jamais cachés, d'ailleurs. Est-ce à dire pour autant que, vers 1920 ou 1922, le martinisme soit devenu le centre d'un immense complot capable de préméditer - et de réussir - la défaite française de 1940 et l'assassinat de la République? Toutes les «preuves» avancées jusqu'ici sont malheureusement erronées.

(

Il faut rappeler tout d'abord qu'après la mort de Papus, en 1916, le martinisme avait été agité de grandes convulsions, dues au vif désir de plusieurs membres du « Suprême Conseil » d'être proclamés «grand maître ».

172

Celui qui l'emporta - provisoirement De son vrai Téder, avait tendance à organiser son ordre ëh~rles comme une obédience maçonnique et, en tout Detré. cas, à subordonner l'admission à la possession préalable de grades maçonniques ... Cette ma-nière de voir n'était évidemment pas partagée par tous les adhérents, si bien que, peu après le décès de T éder en 1918 et son remplacement par Joanny Bricaud, une dis si- Autrefois dence, dirigée par Victor Blanchard entraînael,xPdulsé de , or re ·en la fondation d'un « Ordre martiniste et synar- comp~gnie c~iste» e}~..ÉEv~_er 1921,;.])ix ans plus tard, tle9~8)~non

(ViCtor-Emde 1Vfic1ië1ëfCréera, de son côté, un Ordre martiniste traditionnel. Intrigués par la dénomination de l'organisation créée par Blanchard - fonctionnaire à la Chambre des députés ,de nombreux auteurs, intoxiqués par les allégations des ser­vices antimaçonniques de Vichy, ont cherché à démontrer que ces événements constituaient la preuve de la création du Mouvement synar­chique d'Empire vers 1922. A preuve, le fait que Saint-Yves avait été le grand maître du

. martinisme: or on a vu qu'il n'en fut rien. Deux indices longuement commentés par Charnay établiraient, d'une part, qu'en 1920 les organisations martinistes auraient aban­donné leur «rituel de 1887» pour adopter un mode d'affiliation «d'homme à homme» permettant une plus grande clandestinité; d'autre part, qu'elles auraient «fermé leurs portes aux francs-maçons appartenant à d'autres obédiences ». Or il se trouve - et tous ceux qui connaissent un peu la question sont unanimes, de Jean Chaboseau à Jules Boucher, en passant par

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Robert Ambelain et quelques autres -, que ce « rituel de 1887 » n'a jamais existé en tant que tel, puisqu'il consistait précisément en un~ forme d'« initiation libre» ne comportant aucun formalisme d'aucune sorte. L'évolution de l'ordre martiniste, sous l'in­fluence de Téder, a comporté l'introduction d'un rituel imposé, la création de structures comparables à des loges maçonniques qui, par le fait même, supprimaient presque entière­ment les possibilités d'une initiation d'homme à homme, c'est-à-dire rigoureusement secrète pour tous ceux qui n'y avaient pas participé. Enfin, la ~ande maîtrise de T éder et celle de Bricaud furent marquées par une « maçonmsa­don» très poussée de l'ordre, puisqu'on n'y rëcevait plus que des gens possédant certains grades maçonniques; à tel point, d'ailleurs, que dé nombreux martinistes voulurent réagir

d " contre cette ten ance et creerent une autre organisation dirigée par Michelet, puis par Augustin Chaboseau, père de Jean Chaboseau. Dans ces conditions, on ne saurait, sans contre­faire la vérité, affirmer que devint clandestine une organisation qui renonçait ~à des usages permettant une véritable clandestinité ni qu'elle ferma ses portes aux francs-maçons le jour où elle exigea des postulants la possession de grades maçonniques ! C'est pourtant ce qu'avec une assurance tran­quille ont fait de nombreux auteurs ... Il est vrai qu'il leur fallait, à tout prix, un complot; ils transformèrent donc en comploteurs les martinistes qui clamaient à qui voulait les entendre leur dévotion envers le théoricien de la synarchie. Mais ce qu'il faut noter, c'est que

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~'

1

1

1

1

1

l

le contour de cette sorte de « cagoule» spm­tuelle, que l'on dessine ainsi, à l'aide d'indices sans consistance, est encore une fois emprunté en réalité aux vieilles obsessions barrueliennes du XIX

e siècle. Ce n'est évidemment pas par hasard; les pre­mières dénonciations de la synarchie, en 1941, s'appuyaient toutes sur une « documentation» provenant d'officines d'extrême droite qui intoxiquèrent littéralement les journalistes des­tinataires de leurs notes confidentielles et qui n'y connaissaient pas grand-chose. C'est là, UNE

des clefs du mythe synarchiste au Xxe siècle,

mais non la seuk De même que Charnay qui, se voulant \ « à gauche », ne cite pourtant que des auteurs antimaçonniques, plus près de nous, Ulmann et Azeau, qui visiblement ne l'ont pas lue, font de lady Queensborough «une personne bien 1

informée ». Cette très jolie personne qui s'ap­pelait aussi Edith Starr Miller, est, en fait, l'auteur d'un pesant ouvrage en anglais, mais imprimé en France, publié en 1933 après sa mort, «for private circulation only», et qui pour l'essentiel n'est qu'une compilation de textes largement répandus et d'inspiration « anti-judéo-maçonnico-bolchevique ». De telles sources permettent assez bien de comprendre que d'aucuns aient tenu le marti­nisme pour l'âme d'un gigantesque complot. Il demeure que cela n'est pas très sérieux ... D'autant que la permanence des préoccupations synarchistes ne s'est pas manifestée seulement chez les disciples immédiats de Saint-Yves ou chez les martinistes, et qu'en tout cas ni chez les uns ni chez les autres les années 1920-1922

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ne correspondent à des événements ou à une évolution qui puissent être considérés comme décisifs. Dans d'autres courants de pensée d'ins­piration occultiste, en effet, on retrouve sans difficulté des recherches ou des théories compa­rables à celles de Saint-Yves et qui avaient pour objet d'appliquer dans l'ordre social les ensei­gnements de la « Haute Science ».

Voir Rom Notons en particulier que Steiner, qui avait

D' Lantdau: beaucoup entendu parler de Saint-Yves par leu es mon

aventure, Edouard Schuré avec qui il s'était lié dès 1904, pp. 67 et 263 , ,. ." d d' '1' 1 (Paris, S etait mIS a repan re une octrme SOCla e etran- j

L'19~~): gement comparable à celle de l'auteur des Mis-1

sions; il en fit même un programme, rendu public en 1919, qu'il espérait pouvoir opposer aux XIV points de Wilson fondés uniquement sur des données politiques. Cette doctrine, comme celle de Saint-Yves, se fonde sur un organicisme systématique : il y a

Lettre des fonctions sociales comme il y a des fonc­ouvert[e tions physiques: « De même, le corps social a

au peup e, , . suisse besom d'une orgamsatlon dans laquelle aucun

(1919). , '" 1 f ' d' systeme n emplete sur es onctlons un autre; chacun reste indépendant, tout en

R. Steil!-er: concourant à l'ensemble. » On ne sera pas sur-da TrI pIe 'd' d S' l' , Organisation ptlS appren re que pour temer« a sltuatlon So~~l)~~f~ ne peut être améliorée par une simple trans­

z sfziW formation de la vie économique, mais par la r~:~; d~ séparation des trois pouvoirs: l'Esprit, l'Econo-

ZUrIch, l'E (juillet mIe et tat », n;;~r{~s~: Il n'est pas douteux que les analyses de Steiner de Steiner rejoignent très exactement la synarchie: l'es-

a été publié . , 1 'd 'd' 1" , , 1 en France prit, c est a VIe es 1 ees et actlv1te mora e sous le ti~re: des Eglises des universités des écoles des le Trzple , , ,

l Aspectt,de conservatoires, En un mot, la présence d'une

a ques zon 'l' '11 Il .. Il 'd 1 sociale. e Ite mte ectue e et Spltltue e qUI or onne es

176

~.

1

1 deux autres fonctions sociales: économique, Voir aussi, d'une part; politico-juridique, d'autre part, *~~~~:, Cette analyse rapide montre que l'on retrouve }asre~ue h 1 h h d 'd" a czence C ez es ant roposop es es 1 ees qUI peuvent spirituelle

" 'd' , . h' entre les etre conSI erees comme synarc 1stes sans que deux guerres, le mot soit J'amais prononcé et l'ouvrage . de Paul A la même époque d'ailleurs, les milieux ~odz[i: proches de la Société de théosophie que venait St~i~~r et la

d . S' " ., . questzon e qUItter temer etaIent en prOIe a un cuneux sociale

messianisme politico-social, qui trouvait au- (Paris, 1968). dience dans certains groupes artistiques et lit-téraires; Guénon y fait directement allusion: « Au début de 1918 rarut un journal intitulé ReI?-é ['Affranthi, qui; par la façon dont il comptait ~U;R~~-: sès années d'existence, se donnait pour la suite so~~~sme, de l'ancien Théosophe, mais dans lequel le mot (Paris,siééd. d h ' h' f" , C' Ed. tradi­e t eosop le ne ut Jama1s prononce. e Jour- tionnelles, nal, qui avait pour devise « Hiérarchie, Frater- 1965). nité, Liberté », ne contenait que des articles signés de pseudonymes et dont un~rande par-tie était consacrée aux ql.le·stiOJlê.. sociales; il y étÎÜt fait de très discrètes allusions au « Messie futur» dont on présentait comme des précur-seurs, à mots couverts, certains personnages en vue, parmi lesquels, Wilson et Kerensky [ .. ,]. Au même groupement apQ..~l.lli.iLJ~:.U~ &vue paltiJi!:!.~, « consacrée à la défense parti­culière des questions des pays Baltiques, qui seront la clef de la paix mondiale », ce qui montre qu'on y mêlait les préoccupations poli­tiques et diplomatiques à la littérature [ .. ,]. A l'intérieur de l'organisation des «Affran­chis» et au-dessus d'elle, il s'en trouvait deux autres plus fermées, le Groupe mystique Tala (le lien) et le Centre apostolique; celles-là, bien entendu, étaient nettement théosophiques. » Ce

177

L'animateur en était Arthur Toupine; le grand poète français Milosz, diplomate lituauien, s'intéressait fort à c·es travaux.

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La séance groupe prit par la suite le nom de « Veilleurs», i~~ug~~~~ inspiré par le poète Nicolas Beauduin, qui m'en apostoliq~e parla en 1961, et dont plusieurs membres.

fut marquee,. ., d'" . 1 h par une etalent ammes mtentlons« SOCla es » proc es

allocution d Il d S' y de Milosz, e ce es e amt- ves.

d tr:;~tadt Ce groupement des Veilleurs, fort mal connu,

u ro e e j:;> • 1 h' l'artiste n'a d intérêt en ce qUl concerne a synarc le, (février dl' ,

1919). que ans a mesure, ou un personnage assez énigmatique, nommé Vivian du Mas, y fit ses premières armes, en compagnie, si l'on en croit l'historien Pierre Mariel, d'un autre personnage

Cf. Pierre énigmatiqu~dolf Hess. Mariel' V" P l d M d' . d l'Ellrop~ lVlan oste u a§.,....auteur lscret malS ont Pdïe~~~ l'fnHuence fut considérable sur certaines écoles

siècle,~. 154 théosophistes, vaut d'être étudié en raison d'un (Paris,. . . l' 5 h' d l' h ' La Palatine, cuneux ouvrage, mtltu e !:.-.!!..ma e arc etype

V . 1964): social, mis en circulation hors commerce, sous oIr aUSSI

la Fran~- s'ôi11fOïn, mais qui connut aussi une édition Maçonnerze bl' ., L S P M en France pu lque slgnee« e S nar ue . . . »; cette

(Paris, Ci~6~') dénomination est ien d'ailleurs la seule allu-

D. t' et)e sion explicite à la synarchie dans ce curieux IC IOnnazre

des Sociétés ouvrage de quelque 140 pages. secrètes C 5 h" l \ (Paris, même e c ema se presente comme une ana yse édl~~l): systématique de tous les plans de l'univers

visible et invisible « sur lesquels s'étage la so­ciété hominale », ces plans étant eux-mêmes définis par la « réflexion de la trinité divine ». C'est la raison pour laquelle chaque page de l'ouvrage comporte cinq bandes horizontales, correspondant chacune à l'un de ces plans, le plan central étant lui-même double, participant aux deux plans supérieurs et aux plans infé-

Schéma de rieurs; c'est ainsi, par exemple, que sont défi-:~~~~f.é;~f5 nies les «sphères universelles de Conscience

L C (PartIS, décroissante créant les différents véhicules de la

a arave e . Il' s.d,). consclence co ectlve»:

178

rr· 1

«Le monde spirituel », où est 1'« être hominal immortel: expression unitaire. En rapport dans le stade actuel de l'évolution, avec l'esprit­élément de l'Ether.

«Le monde intuitionnel» où est le «corps hominal mystique»: expression trinitaire concomitante; expression septénaire successive. En rapport, dans le stade actuel de l'évolution, avec l'esprit-élément de l'Air.

« Le monde rationnel» a) de la raison abstraite ou raison pure, où est le «corps hominal causal»: expression tri­septénaire concomitante, expression hepta-sep­ténaire successive; en rapport avec l'esprit du Feu. b) le monde intellectuel de la raison concrète ou raison pratique, où existe le « corps hominal mental»: expression multitudinaire, en rap­"0rt avec l'esprit-élément du Feu.

« Le monde émotionnel », où existe le « corps hominal sentimental », expression multitudi­naire. En rapport avec l'esprit-élément de l'Eau.

« Le' monde matériel », où existe le «corps hominal physico-vital », expression multitudi­naire. En rapport dans le stade actuel de l'évolu­tion, avec l'esprit-élément de la Terre.

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Cette analyse doit beaucoup aux doctrines de la Société de théosophie telles qu'elles ont été exposées par l'un de ses dirigeants, Jinaraja~ dasa. Dans son ouvrage sur l'Evolution occulte de l'humanité, paru en 1928, on retrouve, par exemple, mot pour mot ces considérations sur les différents « mondes ». L'autëur du Schéma, toutefois, ne limite pas son propos à ces considérations philosophiques. Pour lui, chacun de ces mondes se retrouve dans la constitution de l'homme, mais aussI dans celle du corps social. Il existe des corréla­tions entre eux et les fonctions sociales, qui s()nt autant de «principes de l'harmonie so­ciale ». C'est ainsi qu'il définit les différents niveaux de « socialité » hiérarchisés :

Fonction sociale Entité Hiérarchie 1

Chef

1 Initiation Humanité Théocratie Seigneur

2 ~eligion Race Hiérocratie du Monde

3 {Mathèse Enseigne- Nation Idéocratie Pontife ment

4 Gouverne- Etat Aristocratie Primat ment

5 Economie Peuple Démocratie Syndic

A l'évidence, on retrouve ici certaines des idées chères à Saint-Yves d'Alveydre; sans doute ce dernier confondait-il «initiation, mathèse, en­seignement et religion» qui sont distingués dans ce tableau, mais on voit clairement que subsiste la distinction des trois fonctions prin­cipales : spirituel et culturel, d'une part; poli­tique, d'autre part; économique, enfin.

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Les institutions proposées par le Schéma ont, en conséquence, pour objet d'organiser le gou­vernement de chaque plan, qui comporte ainsi un Grand Conseil, une Assemblée élue selon des règles spécifiques, un organe exécutif, des états généraux, une Haute Cour arbitrale, etc., l'har­monie de l'ensemble étant assurée, comme chez Saint-Yves, par la présence des Sages qui assurent discrètement la surveillance et le contrôle de l'aptitude de chacun aux fonctions qu'il exerce. L'importance de ce livre, qui a d'ailleurs échappé à la plupart des auteurs qui n'en connaissent que ce qu'en dirent en 1944 les Documents maçonniques (revue antimaçon­nique), réside surtout dans le fait qu'il pré­figure, sans aucun doute possible, le fameux Pacte synarchique d'Empire, considéré sous l'Occupation comme la preuve par excellence du « complot synarchique ». Non seulement il le préfigure sur le plan des idées, mais encore est-il plus que probable que les rédacteurs de l'un et l'autre document appartenaient au même groupement. C'est cet aspect de la question qu'il faut étudier maintenant, et l'on constatera qu'il-peut appor­ter deux nouvelles certitudes concernant, l'une l'existence du synarchisme, l'autre les origines véritables du mythe synarchiste, qui sont deux choses distinctes ...

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Les «Documents maçonniques» revue antimaçonnique, en 1941/

r Du pacte synarchique au mythe de la synarchie

U TI mois après l'assassinat ignoble de Constant Chevillon, un collaborateur des Docu-ments maçonniques écrivait que les deux Avril1944,

ouvrages -le Schéma et le Pacte - « avaient p.185.

été découverts au cours de perquisitions poli-cières chez des francs-maçons, notamment chez le F.·. Gaston Martin. On les a trouvés égale-ment à Lyon, au temple martiniste de la rue des Macchabées, siège de l'ordre martiniste, des ordres de Memphis et de Misraïm et de l'Eglise gnostique, lors de la perquisition effec-tuée le 25 septembre 19A 1. Chevillon, grand maître de l'ordre martiniste et patriarche de

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l'Eglise gnostique, interrogé par le commissaire chargé de l'enquête fit des réponses évasives. Il déclara, le 25, qu'il s'agissait simplement d'un document communiqué pour son information personnelle et au surplus déjà ancien; puis, le 30, que les deux livrets lui avaient été remis par une demoiselle Jeanne Canudo, afin, lui avait-elle dit, de «pouvoir en comparer la teneur aux principes synarchiques de Saint­Yves d'Alveydre », et elle avait fait remarquer que « le livre était secret ». Il faut préciser d'emblée que rien dans les déclarations de Chevillon n'était imprécis, en dépit des allégations du collaborateur des Documents maçonniques. Le Pacte synarchique, si souvent commenté, mais pourtant mal connu, était bien un prolon­gement de la doctrine exposée dans le Schéma de l'archétype social, et il devait servir à recru­ter des personnes susceptibles de donner leur adhésion à une entreprise synarchiste. Les rapports du Pacte avec l'œuvre de Vivian du Mas sont très clairs; on a vu, par exemple, que les trois degrés inférieurs de la société ana­lysés dans le Schéma étaient: -la nation gouvernée par une idéocratie ; -l'Etat gouverné par une aristocratie; -le peuple formant une démocratie. Cette dernière était, par ailleurs, analysée comme le groupement des individus qualifiés de la manière suivante: «a) l'individu professionnel fondu dans le syn­dicat de sa profession; « b) l'individu personnalisé participant à la démocratie populaire; «c) la famille personnalisée participant à la

184·

démocratie populaire au prorata de son impor­tance quantitative, c'est-à-dire suivant le nombre d'enfants mineurs, la mère ayant les voix des filles, le père celles des fils. » Or, si l'on étudie attentivement le point VII du Pacte relatif à «la hiérarchie naturelle des réalités collectives », on trouve les propositions suivantes: « La nation, comme réalité culturelle de l'ordre synarchique, se manifeste ontologiquement par l'ensemble de ses universitaires et pédagogues, de ses ecclésiastiques, de ses artistes, de ses savants et de ses intellectuels purs, qui forment une véritable « démo-idéocratie» de service, de mérite et de talent. » L'Etat, réalité juridique de l'ordre synarchique, est défini, de son côté, comme une « démo-aris­tocratie» politique, formée par «les citoyens (gouvernants, fonctionnaires et militants poli­tiques) qui ont fait la preuve d'une réelle conscience politique ». Quant à la démocr;:ttie, le Pacte la caractérise : - par une démo-technocratie au niveau des économies régionales,

par une large autonomie des communes, - par l'organisation professionnelle, - par la famille, «milieu organique différen-cié de sélection des individus ». Mais alors que le Schéma se bornait à énoncer des principes très généraux, et même métaphy­siques, le Pacte se présente comme un pro­gramme d'action ; c'est pourquoi il particularise certains points que Vivian du Mas considérait comme accessoires: statut social de la femme, statut social de la jeunesse, formes de l'électo­rat, définition des secteurs de l'économie, etc.

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L'inspiration pourtant est bien la même, et elle est à rechercher, une nouvelle fois, dans un groupement occultiste. Quel groupement? Au. profit de qui pratiquait-il son recrutement? Depuis quand existait-il ? Dater le Pacte synarchique n'est pas une chose aisée et les auteurs ont donné des dates di­vers~s. Charnay, qui le premier le publia (du moins dans un imprimé), donne un texte mis en circulation en 1938, mais il admet que, dès 1935, le même document était déjà connu. Roger Fertal retient 1937, Ulmann et Azeau, 1936 ... , mais personne ne mentionne une date antérieure à 1934-193.5. A vrai dire, en ce domaine il y a loin de la coupe aux lèvres et ces dates ne' sont généralement que des indications sur le moment où tel ou tel a eu connaissance de l'existence du document et, avant guerre, rares furent ceux-là ... Plus rares encore furent ceux qui se hasardèrent, même au plus fort des campagnes antisynar­chiques, à désigner ses auteurs. Les nombreux libelles de polémique ne s'y aventurent que rarement et je n'en connais qu'un qui l'ait osé ouvertement. Il s'agit d'un texte copieux, inti­tulé sans souci d'élégance littéraire: Mémoire sur 'la guerre franco-allemande simulée de 1939-1940) sur la défaite truquée de mai-juin 1940} sur la prise du pouvoir de juillet 1?40 et sur la préparation idéologique et techmque du renversement des institutions républicaines depuis 1930. . Ce texte issu de milieux de « gauche » et qUl résumait: vers 1944, de nombreuses informa­tions dont certaines se retrouvent presque mot ~ mot dans les études de Charnay et de

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.. ·r·· Mennevée, contient d'assez nombreuses inexac­titudes, peut-être délibérées, mêlées à des faits précis. Or, s'agissant du Pacte, il note: «Ce texte est la charte politique du fascisme français. Indiquons tout de suite qu'il ne s'agit nulle­ment d'un fascisme du type germanique à la Rosemberg (sic), mais d'un fascisme à ciment idéologique catholique romain du type «por-tugais ». Il a été rédigé à une date inconnue Les iI,1itia~es

C d 'd' d MM V" d M mentlOnnees par Mme anu 0 al ee e . lvlan u as dans ce texte

et Armand Mora (F .L.N., janvier 1944). Il 'w.t~;' Paraît avoir subi une refonte et une seconde S.O.I.) s,?nt

, h (' cene d' «lllfor-rédaction vers 1934, due a Jean Cout erot Stc! mateurs» de

il s'agit de Coutrot) (R.L.Y., mars 1942). Une ~~l~~~~ment. troisième rédaction serait actuellement en pré- Ed,n~lsl sont·

al eurs paration (S.O.I., janvier 1944). » «codées».

Il ' . . l' d' At Les dates De te es « preclslOns », on e VOlt, olvent e re concernent

reçues avec discernement; il n'empêche toute- ~it ie~~ent fois que certaines d'entre elles confirment aussi té~?ignage bien les dires de Chevillon, rapportés par les :e~~ei1li. Documents maçonniques} que ce qu'enseigne la comparaison entre le Pacte et le Schéma de l'archétype social dû à Vivian du Mas. Or il n'est pas douteux que ce dernier a lon­guement collaboré - dans des investigations « théosophiques» - avec Jeanne Canudo, veuve d'un esthéticien qui, dans les années 1905-1910, publia dans les Entretiens idéa­listes alors dirigés par Vulliaud de nombreux et quelquefois curieux articles consacrés à la « mythologie» de Sherlock Holmes, aussi bien qu'à la mort d'Hercule et même une Introduc­tion nouvelle à la « Divine Comédie ». Peu avant l'époque qui nous intéresse directe­ment, Vivi an du Mas et Jeanne Canudo avaient

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joué un rôle parmi les animateurs d'un curieux mouvement occultiste qui se manifesta vers la fin de 1929 sous le nom de groupe des « Po­laires ». Cette organisation, dont la doctrine s'inspirait pour une large part du Roi du Monde, de Guénon, qu'on chercha d'ailleurs à compromettre, se présentait elle-même comme placée sous l'inspiration de l'Agartha.

Editépar Elle se fit connaître, en 1930, par un curieux ~voe~bd~~ ouvrage, signé « Zam Bhotiva » et intitulé assez

-' FPréfaceds obscurément Asia mysteriosa, l'oracle de Force 'lie ernan . .

Divoire, astrale comme moyen de communzcatzon avec Maurice l . l ., d'a' Magre et « es petztes umzeres rzent ».

Jean Ma~q?ès- Par une méthode arithmétique complexe RIVIère. ' qu'un certain Marie Fille disait tenir depuis 1908 d'un mystérieux ermite du Vitterbais, le père Julien, on déchiffrait des «communica­tions» reçues des «petites lumières », c'est-à­dire des « Sages, chefs des groupes ésotériques ou couvents entourant l'Agartha, ce Saint des Saints initiatique du Monde, que traditions et légendes situent précisément (sic) dans cette région mystérieuse de l'Asie: l'Himalaya ».

On imagine aisément qu'il était fait de nom­breux appels à l'alveydrisme, mêlé aux doc­trines théosophistes relatives à la Grande Loge Blanche; de fait, le groupe des Polaires se donnait pour tâche de reconstruire la société humaine à partir d'un enseignement spirituel : «Le groupe des Polaires sera sous la haute

Zam protection de l'Etincelle d'un Sage rose-croix Bothiva' l" d' . 1 d S " Asi~ et, comme ln lque un art1c e u tatut esote-

Mysteriosa, ri que son Commandant spirituel suprême sera p.148 C l' . . A d l' 'd l' A' M (Paris,« e U1 qm tten », envoye e « Sla ys-

Dorbon,. LAd l'Ill ., d S' y 1929). tetlOSa ». e reve e umme, e amt- ves

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1

d'Alveydre, commence à se réaliser ... » En dépit des efforts publicitaires (l' Intransigeant fit à l'époque largement écho aux expériences de « communication»), l'entreprise tourna court ... Parallèlement, un petit groupe s'était constitué, peu nombreux, et qui, seul, historiquement peut être qualifié de synarchiste. C'est ce petit groupe qui, dans les années 1934 à 1939, sera plus largement répandu dans les milieux occultistes (ce qui au demeurant était fort aisé), au point que certains observateurs peu avertis aient cru pouvoir parler de « noyau­tage » de certaines organisations. Ce point mérite explication: il est vrai que Jeanne Canudo et du Mils étaient membres de l'obédience maçonnique du Droit Humain, qu'ils comptaient des amis dans la branche Kurukshétra de la Société théosophique, dans certaines loges de la Grande Loge de France (notamment aux « Amitiés internationales») ou dans le martinisme, et qu'ils firent des confé­rences dans ces milieux. L'erreur serait pour­tant de penser qu'une telle activité ait pu leur donner barre sur ces organisations. Cela dit, il n'est pas douteux qu'une propa­gande discrète se fit pour une nouvelle « synar­chie impériale ». C'est d'ailleurs à ce point qu'il faut revenir aux déclarations de Constant Chevillon, selon lesquelles les documents trou­vés chez lui en 1941 étaient assez anciens et qu'il les détenait en vue de les comparer aux travaux de Saint-Yves. Assez anciens ... l'expres­sion peut-elle être employée en septembre 1941 pour des pièces détenues depuis 1935? Sans doute, si l'on veut dire par là qu'elles n'ont pas été obtenues à la suite d'événements aussi

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récents que l'agitation antisynarchiste de juillet­août 1941. Vers 1936, en effet, les martinistes dirigés par Chevillon animaient à Paris un « Collège d'oc­cultisme », sis rue Washington, où se donnaient des conférences largement ouvertes et où l'on vit souvent Jeanne Canudo et Vivian du Mas' la loge martiniste «Papus» avait elle-mêm~ pour antichambre deux loges du rite de

~f. Memphis-Misraïm (<< Jérusalem égyptienne» et Ambelam: l'A d 1 le Marti- « ge nouveau») ans esquelles on parlait

HiH::::~ évidemment de Saint-Yves et où l'on se préoc­et doctriI}e cupait des « comparaisons» évoquées par Che-

(Pans, '11 Cd' fi A Niclaus, Vi on. e ermer t meme à «l'Age nou-1946) . ' / . veau », une importante conference demeurée

inédite, et consacra à des réflexions philoso­phico-politiques, vaguement teintées de synar­chisme, un mince opuscule, sans grand intérêt, intitulé Regards sur le Temple social. Tout cela, à vrai dire, n'allait pas très loin, et il faut beaucoup de bonne volonté pour y voir la preuve d'un vaste complot. Les dirigeants de ce petit groupe avaient évidemment constaté que les organisations occultistes ne constituaient pas un levier très efficace pour changer l'ordre du monde. Ils s'engagèrent donc dans une voie plus directe. Reprenant l'idée de Saint-Yves selon laquelle les états généraux sont «le tes­tament social de la France », ils entreprirent donc de mettre sur pied des « états généraux de la femme, ceux de la paysannerie, de la pensée française, de l'industrie, de la banque et du commerce, etc., d'où sortiraient les « états généraux de la Nation et de l'Empire ». Avant d'en arriver là, l'organe principal et le moteur de cette nouvelle Révolution française

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1 .

L~~

devaient être constitués par les « états généraux de la jeunesse» qui furent mis sur pied le 24 juin 1934. Leurs promoteurs avaient comme souci princi­pal de faire prendre conscience à tous du fait qu'une véritable révolution se préparait, que l'ancien ordre des choses ne pourrait se main­tenir longtemps dans aucun domaine; ils se disaient cependant « révolutionnaires par néces­sité », mais «réformistes par goût» et leur préoccupation dominante était de « faire l'éco­nomie de la violence dans l'inéluctable révolu­tion ». Les états généraux de la jeunesse ne voulaient donc pas être un nouveau groupement de jeunes parmi mille autres, mais plutôt un ter­rain de rencontre neutre et apolitique, destiné à permettre les confrontations et à élaborer des « cahiers de revendications des jeunes ». Leur publication officielle s'appelait d'ailleurs Ca­hiers des états généraux de la jeunesse pour la libre confrontation des jeunes et leur affirma­tion dans la nation. D'assez nombreuses organisations envoyèrent des délégués à ces assises et, parmi ceux dont les interventions marquèrent la réunion consti­tutive de juin 1934, il faut relever les noms de Jean Luchaire, de Bertrand de Jouvenel et de Jean Nocher. L'instance supérieure, le bu­reau central d'organisation, était pourtant ani­mée principalement par les personnages qu'on a rencontrés dans les milieux du synarchisme occultiste. Le délégué général était Armand Mora ; le secrétaire, Gaston W oIf et, à côté des deux représentants des jeunes, Guy Zuccharelli et René Rotter, on retrouve, comme par hasard,

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Jeanne Canudo et Vivian du Mas pour repré­senter les aînés. Peut-on affirmer, dans ces conditions, que ce groupe s'inspirait de la doctrine synarchiste revue et corrigée par l'auteur du Schéma de l'archétype social? Que c'est lui qui élabora le Pacte synarchique d'Empire? Qu'il repré­sente la seule organisation synarchique dont l'existence soit certaine? Sans aucun doute. Les preuves en sont d'ail­leurs dans le domaine public, par l'intermé­diaire des «cahiers» de l'organisation et l'on s'étonnera qu'on ait fait autour d'elle tant de mystères, alors qu'elle n'hésitait pas, dès 1934, à évoquer sa référence synarchique.

«La jeunesse C'est ainsi, que, dans un texte destiné à servir devant la d d d" d 1 politique», e« support e ISCUSSlOn» au cours e a

publié dans session plénière de novembre 1934 on trouve le nO 3 des '

Cahiers, le passage suivant qui contient de nombreuses octobre 'd' d P h' , '1 1934. l ees u acte synarc lque et reve e par son

style caractéristique que ces deux documents ont bien eu le même rédacteur. «La Révolution française doit être originale, c'est-à-dire dans la tradition nationale, de carac­tère non pas totalitaire mais unanime, propagée sous la mystique «personnaliste» (primauté spirituelle de la personne humaine) et la mys­tique complémentaire du «service social» (remplaçant la notion de profit), alliant ainsi l'autorité du principe aristocratique et la liberté du principe démocratique; « '" l'aboutissement étant un régime synar­chique dissolvant automatiquement et sans violence les classes tout en respectant et favo­risant la diversité naturelle des personnes et la diversité fonctionnelle des citoyens;

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« .. , écartant toute dictature, mais renforçant réellement le pouvoir central ; « ... respectant la liberté de conscience, d'opi­nion et d'association politiques par affinité, mais substituant, au jeu antisocial, statique et anar­chique des «partis» (construits sur l'idée d'opposition et de lutte pour le pouvoir), le jeu hautement social, dynamique et synarchique des professions organisées et constituant par conséquent de véritables « ordres hiérarchisés» (construits sur l'idée de service social et la coopération réelle et légitime de tous au pouvoir par délégation des meilleurs et des plus compé­tents de chaque «ordre» au gouvernement effectif: central, régional, communal, coopéra­tif, syndical et corporatif). » Le Pacte, on le sait, devait opter pour cette solution: «la révolution invisible en ordre dispersé » ... L'important, en tout cas, est d'être assuré qu'il y a bien une relation directe entre le Schéma et le Pacte, entre les occultistes et les « états généraux de la jeunesse» - et aussi que, dès ce moment, l'entreprise était fort peu mysté­rieuse pour qui savait lire. Cette activité était si peu clandestine que de nombreux journaux de droite, comme la France catholique, dénon­cèrent son inspiration judéo-maçonnique. On lit ainsi dans la Revue internationale des Socié­tés secrètes d'avril 1935 : «Les néo-socialistes sont résolument hostiles

. au parlement et au capitalisme de spéculation. : Ils n'ont pas à cela grand mérite, car nous ne :' voyons pas qui songe à défendre ces deux ins­.). titutions en dehors de leurs bénéficiaires. :i~!:« La S.'. Jeanne Canudo, le F.·. Vivi an du Mas,

li 193

\~ i ~l~*r! ~t,

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MM. Georges Izard, Jean Luchaire, le F.·. Gas­ton Wolf, Bertrand de Jouvenel, tous les rédac­teurs de Notre Temps) de la Lutte des Jeunes) de Pionniers européens l'ont si bien senti qu'aux états généraux de la jeunesse leur décla­ration condamne les monopoles privés et réduit les pouvoirs du parlement par l'institution d'un Conseil économique. Les juifs et les francs­maçons, si nombreux aux E.G.]., préféraient se jeter dans un torrent irrésistible pour essayer de le capter que de s'y opposer. » . A l'instant même où l'on discerne la trace d'une activité politique d'inspiration synar­chiste - et dont l'existence est, pour une fois, indéniable -, on rencontre à nouveau cette curieuse Revue internationale des Sociétés se­crètes qui, de 191'2 à 1939, s'ingénia à dévelop­per d'une manière souvent sordide les pires thèmes de l'antisémitisme le plus grossier. La rencontre est d'autant plus piquante, si l'on ose dire, que plusieurs ont voulu voir dans cette

C'est le cas R.I.S.5. à l'anti-judéo-maçonnico-bolchevisme de M:~ï94.~~ forcené, une organisation ... synarchiste. De d'Ulmmanri fait, il ne manquait plus qu'elle!

et Azeau, , 1·' . 1 RIS S . Al d n plus En rea lte, Sl a .... a pu Jouer un ro e a s r~~e~~ièr~ cette affaire, cela tient au fait que plusieurs de

de synarchie, ses collaborateurs avaient partie liée avec l'une tout est ... ,. lIt' permis! des orgamsatlOns mtegnstes es p us .mys e-

rieuses du xxe siècle, à laquelle on a falt allu­sion: «Sodalitum Pianum », la Sapinière ... On remarquera, par exemple, que certains libelles antisynarchistes ayant circulé sous l'Oc­cupation reprennent purement et simplement les termes de l'ouvrage de l'abbé Barbier relatif aux Infiltrations maçonniques dans fEglise) paru en 1910, et qui, bien qu'il analyse longue-

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r ment l'œuvre de Saint-Yves, n'accordait d'ail­leurs que peu d'importance à la synarchie. Mais ce qu'il faut noter, c'est que l'un des princi­paux acolytes de Barbier, l'abbé Boulin, était, de l'aveu d'un des défenseurs de l'intégrisme, Jean Madiran, un des familiers de Mgr Bénigni, l'un des principaux dirigeants de la Sapinière. Ce même abbé Boulin était, par ailleurs, sous le nom de Roger Duguet, l'auteur d'incroyables romans relatifs aux liaisons entre sociétés se­crètes et politiciens, comme la Cravate blanche (Pierre Laval étant alors fort peu prisé par l'extrême droite) ou rElue du Dragon) paru en 1935. Or, quiconque a la patience - et il en faut! -de relire les vingt-cinq années de la R.I.S.5. s'aperçoit que tous ceux qui ont été accusés de synarchisme après 1941 avaient été antérieure­ment vilipendés par cette revue comme agents du judéo-maçonnisme ; et l'on a vu, il y a peu, que tel fut le cas de Jeanne Canudo, de Vivian du Mas et même de Déat, pourtant lui-même grand pourfendeur de synarchie quelques an­nées plus tard. On ne peut évidemment multiplier les exemples qui illustrent ce fait; il paraît toutefois indis­pensable d'en donner quelques-uns qui mon­trent clairement par quel processus les faits et gestes, sans véritable portée politique, de quel­ques petits cénacles occultistes ont pu être magnifiés au point d'apparaître, aux yeux de certains, comme des faits décisifs dans l'histoire européenne. En 1929, par exemple, la R.I.5.S. dénonce les entreprises d'Israël à qui « les apprentis curés enlevés à la prêtrise ne suffisent pas » et qui

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«veut des curés réels, prédicateurs d'occul­tisme sous leur déguisement d'ensoutanés offi­ciels. Les frères Salomon et Théodore Reinach vont diriger en France cette manœuvre [ ... ]. Avec eux, ils feront travailler Paul Desjardins et Paul Sabatier, protestants entièrement libé­rés. Par eux, va se tenter la « dissolution» de l'Eglise par les prêtres catholiques eux-mêmes, enseignant la prétendue vérité moderne. Bien curieuse et instructive histoire que celle des « entretiens d'été» entre les conspirateurs réu­nis dans la vieille abbaye de Pontigny où fré-

R.I.S.S.., quentent des prêtres éduqués en l'art de occulti~t~ construire des temples de la religion nouvelle

t. x':lI, par «quatre pontifes laïques initiés au plus n 9, 'd l" ,.

1er septembre secrets mysteres e esoterIsme ... » 1929, p. 270. L" , ., n:::' 1 a meme annee, on avait aUSSI amrme que a

« judéo-maçonnerie occultiste travaillait à l'avè­nement d'un omniarque qui, du siège anéanti de Pierre, ferait régner son impiété sur les Etats-Unis d'Europe et du monde », pour flétrir ceux qui se refusaient à trouver providentielle la « géniale réaction » de Mussolini. Comme Desjardins, et comme plus tard les néo-socialistes, les fabiens - dont on a vu que la gauche, elle aussi, devait dénoncer l'ins­piration synarchiste - furent souvent et lon­guement accusés d'être les instruments des

R.I.S.S., Sages de Sion, bien que leur société ait tou-25 ja~~:; jours su dissimuler le fait «qu'elle n'a jamais

1931, p. t': été, n'est et ne sera toujours qu'un instument roya~m~ utile et docile de la judéo-maçonnerie ».

socialiste. A . . . d' 1 Gouvernement USSI VOlt-on sans surprIse enoncer es entre-

fabien~~>~ prises les plus différentes, dès lors qu'elles ont pour but de modifier si peu que ce soit l'ordre - ou le désordre - établi; c'est ainsi, et ce

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sera le dernier exemple, que Georges Ollivier consacrera, pour le compte de la « Ligue franc­catholique» et de la R.I.S.s. réunies, une longue étude à la Franc-Maçonnerie et la C.G.T. dans l'économie française, dont une bonne part traitera du rôle réel ou supposé du F.:. Dimi­tri Navachine. Usant sans vergogne des positions du Saint­Siège, les collaborateurs de la KI.S.S. dénon­çaient donc sans trève le rôle des juifs dans les formations politiques les plus diverses et quel­quefois même les plus opposées. Il faut souli­gner que cette publication avait une audience assez restreinte et, en tout cas, limitée aux milieux qui, dès cette époque, se qualifiaient eux-mêmes de «nationaux» et dans lesquels se recrutaient les admirateurs de Mussolini, puis, et surtout, de Franco; c'est dans ces mêmes milieux que l'on sera quelquefois tenté d'entreprendre des actions plus « directes» que celles de Maurras, ainsi que le fit le Comité. secret d'action révolutionnaire. C'est aussi de ces milieux que partiront les premières dénon­ciations de la synarchie et qui reprendront point par point les « documents» de la KI.S.S. Ainsi s'explique, par la longue habitude des gens de la KI.S.S. qui se piquaient de connaître les dessous de la politique mondiale, que l'ac­tion et l'idéologie du groupuscule synarchiste occultiste aient été présentées comme des faits décisifs, alors que leur importance était mi­nime. Le rôle de l'anti-occultisme dans l'émergence du mythe synarchiste tient d'ailleurs à la logi­que particulière dont procédaient les multiples dénonciations dont j'ai parlé. Cette logique me

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paraît fort bien résumée par le titre d'un article de Pierre Loyer, qui signait aussi Leroy :

R.l.S.S .• le Socialisme, armée visible des sectes. Tout, 28 'uinti~k dans l'ordre politique, s'explique par l'action

.1 p.669. d'entités occultes, par définition diaboliques, et les organisations visibles, comme les idéologies, ne sont jamais que des apparences. Les textes, les infentions avouées ne comptent guère puis­que le «complot international» est perma­nent ; il faut chercher derrière chaque groupe­ment un cénacle occulte, donc occultiste, et il ne sert à rien de montrer l'insignifiance politique de la plupart de ces derniers; la réponse vient raide comme balle: cette insignifiance, elle­même, est voulue, elle est un masque, elle est donc la preuve par excellence de la justesse de l'analyse ... En l'occurrence, on constate que les nombreuses confusions entretenues par des revues et des journaux prompts à dénoncer, chez tout réfor­mateur comme chez tout révolutionnaire, l'ins­piration jndaIque, maçonnique et bolchevique, ne pouvaient que retrouver, très normalement, dans les documents inspirés par Saint-Yves, la synthèse des obsessions séculaires, avivées par l'acuité des crises politiques, économiques et spirituelles traversées par la France. L'œuvre de ce Saint-Yves existait, comme exis­taient l'activité du petit groupe animé par Jeanne Canudo et Vivian du Mas, ou celle du martinisme. Elles servirent donc de point de départ commode à un récit «historique ». De la même manière, Barruel et les fabricateurs des Protocols avaient su s'inspirer de faits réels pour les transmuer en une sorte d'épopée apoca­lyptique.

198

Peut-être sera-t-il quelque jour possible d'ana­lyser et de mettre en évidence la structure commune de tels récits et de décrire l'archétype logique qui procède à leur élaboration. Le plus clair résultat d'un tel travail sera sans doute de montrer qu~, s'il n'avait existé aucun cou­rant intellectuel « synarchiste », certains n'eus­sent pas manquer de l'inventer. Il existe en effet un parallélisme rigoureux entre la démarche des anti-occultistes et celle des occultistes, à commencer par le fait que les uns et les autres trouvent dans les mêmes rêve­ries leur raison d'être, l'explication de leurs échecs, celle de leurs réussites. Les occultistes rêvent d'un monde, où, comme à l'âge d'or, le Ciel parlerait clairement par le truchement d'envoyés souvent étranges et mys­térieux, sans doute, mais dont on ne peut dou­ter qu'ils sont proches des états angéliques. Quant aux anti-occultistes, détenteurs, comme représentants de Dieu sur terre, de la Vérité, ils expliquent l'échec du Royaume de Dieu par l'existence de forces sataniques qui ont licence de s'opposer, au moins provisoirement, à l'action des « missionnés » qu'ils sont. L'abbé Boyer,

Pour simplistes qu'ils soient, de tels raisonne- dé-:r~~~uI~e ments sont encore fréquemment soutenus dans chronique

cl b . , . pour une

. e nom reux groupements Integnstes contem- affaire de

P · h P' V' . h l' bb' B non-repré-oraInS; c ez lerre lnon, c ez a e oyer sentation

ou chez l'abbé de Nantes' comme J'adis à «la d'e~~a!1~, C

. , . . ' a reedIte lte cathollque» ammée par Jean Ousset· la les

, . l' f d ' Protocols, representatlon que on se orme es agents assaisonnés

mote~rs de l'histoire humaine n'a pas changé ~:tig~:idé­depUIS l'époque de la R.I.S.S., et la « synar- surIes .

h·· l' il' ., . 1 «secrets» oe C le » tlent une p ace pnv eglee parml es en- La Salette

V ' d S et de oyes e atan. Fatima.

199

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Tout aussi imperturbablement, le rêve synar­chis te poursuit son chemin dans plusieurs cha­pelles occultistes, sans que les pouvoirs publics trouvent matière à s'émouvoir. Dès 1946, il y avait eu un « Collège de l'ordre socialiste» qui, dans un manifeste, réclamait « la démocratie intégrale » fondée sur « les trois ordres qualifiés de l'ordre social populaire », une confédération impériale de peuples auto­nomes, un humanisme économique et, bien sûr, un « ordre culturel ». On n'entrera pas dans le détail de ces projets: mais il faut dire qu'on y retrouvait une nouvelle expression des vues de Saint-Yves, de Saïr, de Vivian du Mas et du Pacte. Il y eut aussi, à peu de temps de là, les écrits de Jacques Weiss, proche de la Société de théo­sophie. Il fit paraître dans un journal écono-

Les Echos, mique, les Echos) un tableau de la « physiologie 27 décembre d' . . d· .. , d 1951, n° 2686. une natlon same» ltectement msp1re e

Saint-Yves. On reparla aussi longuement de la synarchie vers 1960 dans un curieux mouve­ment néo-templier qui eut quelque succès dans certains milieux maçonniques et qui s'appuyait sur les «enseignements» de Jacques Breyer, auteur d'un ouvrage presque illisible intitulé Arcanes solaires. Plus près de nous enfin, un ancien membre

A. Gautier- du «Col1~ge de l'ordre socialiste », André Walter: G . W l . l la Chevalerie autler- a ter, en traitera encore onguement as~e~~~ et comme d'un projet actuel.

secrets. de Mais sans doute serait-il inutile de multiplier l'HIstOIre. 1 1 ·1

Hier. es exemp es, car 1 s sont encore nombreux, Aujourd'hui. ., l' h· Demain ces petlts cenac es ou «une synarc le» est

L (PTarbils, considérée comme le mysterium magnum

a ae d l'ho . h . T Honde,1966). e 1stOlre umame. ous ont en commun

200

leur peu d'importance. La science politique est celle du pouvoir, de sa conquête, de son° exer­cice, de sa finalité, et non pas l'étude des rêve­ries à propos du pouvoir ... C'est pourquoi il paraît nécessaire de revenir après ce long détour dans l'écheveau emmêlé de l'occultisme et de l'anti-occultisme, vers le domaine des idées économiques et politiques pour vérifier si l'existence d'un vaste complot synarchique est véritablement une hypothèse utile pour expliquer certains drames de l'his­toire de France.

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Henri de Man, théoricien dll « dépassement dll marxisme ».

l

Synarchie et

. crzse , .

economlque

A plusieurs reprises déjà, on a souli­gné les significations contradictoires des idées attribuées à la synarchie, tantôt « internationale réactionnaire» au service du capitalisme le plus oppressif, tantôt entreprise préparatoire du bolchevisme. Or les théories soutenues par les hommes et les organisations accusés de synarchisme entre les deux guerres - et on en verra quelques-uns dans les extraits du rapport Chavin - ne paraissent nullement avoir revêtu un caractère aussi extrémiste. Pour cause, d'ailleurs, puisque tous tendaient à une sorte de convergence

203

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« centriste» entre sociaux-démocrates et néo­capitalistes, et, à l'instar des théoriciens de la

J'emprunte Société fabienne, aspiraient à « faire survivr.e el'lte formule l . l' l' . 1 d qui me e caplta Isme sur un p an supeneur »en e 0-

pardaît tant d'institutions sociales plus que socialistes. ren re compte de

la nature de L' b . dl'" , d 1 !'entreprise· 0 seSSIon e a socIete secrete et u comp ot, li R?b~lïio~ loin d'avoir été féconde, au contraire interdit

dans Vers l'analyse d'ensemble que méritait la question. un nouveau ,. . "

prophétisn:e Sur le plan economlque, en effet, ce qUI a ete (Pans, l' h' d f" d Gallimard, appe e «synarc le» correspon ,en ait, a eux

. 1947.>. courants de pensée d'origines différentes, ten-VOIr aUSSI: d h' " d Heureux ant c acun a surmonter une cnse: cnse es

les pacl(·/iqu.es idées socialistes, d'une part; crise du système ParIS, • l' d'

Flammarion, capaa Iste, autre part. 1946), et L . d . l' , 1 P ., G la Fosse a cnse u socla Isme apres a remlere uerre de(9~~~~ ~ondia1e a des causes nombreuses et qui sont

Gallii962d, bIen connues: échec de l'Internationale socia-). liste devant le conflit, puisque les socialistes

européens se jetèrent dans les «unions sa­crées» nationalistes; crise provoquée par la révolution bolchévique, éliminant les sociaux­démocrates, et qui, en France, entraînera, en 1920, la naissance du parti communiste; ré­pression féroce de la r~volution spartakiste, en Allemagne, par les sociaux-démocrates eux­m~mes qui se font alors !es défenseurs du capi-

Pour toutes tahsme; et, quelques années plus tard, montée ces question~, du fascisme et du national-socialisme qui pré-

VOIr • l'ensemble tendent battre le SOCIalisme sur son terrain. de l'œuvre Db' , de Georges e nom reuses autres causes generales pour-

Lefranc. raient encore être mises en lumière' il en est , deux qui doivent être soulignées plus particu­lièrement. Tout d'abord, les tentatives de re­nouvellement de la pensée socialiste vont être l'œuvre d'une génération nouvelle qui a connu,

204 1

l

très jeune, la guerre de 1914-1918, et qui est formée d'hommes qui tous seront en âge de figurer sur la scène politique durant le second conflit mondial et au-delà. La seconde est que ces tentatives furent le fait d'un très grand nombre de petits groupes d'études - on dirait aujourd'hui des « clubs» - qui se firent et se défirent au gré des affinités individuelles. Dans ces conditions, on conçoit aisément que la tentation ait été grande d'imputer à chacun de ces groupes des arrière-pensées ou des inten­tions modelées sur l'attitude ultérieure de cer­tains de ses participants. Par exemple, parmi les membres de «Révolution constructive », animée en 1932 par Lefranc, on rencontre Cf. Lefranc: i

G Alb " Il b d D,Essai sur les eorges ertInl, co a orateur e eat sous problèmes l'Occupation et aUJ' ourd'hui animateur d'une socia~istes et

syndIcaux officine anticommuniste, et Georges Soulès (Paris,

(Ab Il') .. 1'0' . Payot, 1970). e 10 qUI, touJours sous ccupatlOn, partI-cipera au M.S.R. (Mouvement social révolu- ~;fi:;;~~!ur tionnaire) dirigé un temps par Eugène Deloncle. d~ la .

D ' . dl' blOgraphle e ces presences tIrera-t-on es COnC.LUSlOnS sur de Déat,

les sentiments de Guy Mollet, de Claude Lévi- ~!~eé:n~;a~de Strauss ou de Robert Marjolin qui, eux aussi, ~:~~tade appartinrent à ce groupe? Certes non. Le bouil- ce livre.

lonnement intellectuel qui se manifeste alors justifie les plus étonnantes rencontres - éton-nantes rétrospectivement, puisque la suite de l'Histoire devait apporter des clivages poli-tiques insurmontables. Mais, précis~ment, le fait que la politique ait par la suite divisé pro-fondément ces hommes interdit de penser qu'ils aient jamais eu en commun un projet comparable au « complot synarchiste ». Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que tous ceux qui cherchèrent alors à rénover le socialisme (et

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qui, pour la plupart, devinrent des réformistes) subirent profondément l'influence d'Henri de Man. Marxiste convaincu au début du siècle., côtoyant, au congrès d'Iéna, Bebel, Kautsky et Rosa Luxemburg,! travaillant avec Liebknecht, il évolue après 1918 et publie, en 1926, un

Henri ouvrage qui fera l'effet d'une bombe, Au-delà de Man' d .. 1 b h' Zur PS1Jcho~ U marxzsme) qUl remet en cause es ases p 1-

Soc~~~i:;:~= losophiques du marxisme: rationalisme, scien­(éd. alle- tisme et déterminisme, pour conclure que le

mande, 1926); . l' . d . , d'b Au-delà du SOCla Isme, pour vamcre, evraIt sen e arras-marxisme d 'f' d' (Bruxelles, ser, «non pas, certes, comme on se e aIt un

P . lA9217,et adversaire que l'on reconnaît tout à coup avoir

arIS, ean, d 'd' . . b' 1930). eu tort e consI erer comme un amI, mals Ien

comme on se débarrasse d'un ensemble de for­mules qui, après avoir été vivantes et vivi­fiantes, sont depuis longtemps dépassées par l'évolution des faits et retombées à l'état de préjugés nuisibles ». En somme, c'était appli­quer au marxisme la méthode critique par laquelle Marx lui-même avait, il y a près d'un siècle, établi la relativité des idéologies ... n n'est donc pas surprenant que de Man ait

Henri rejoint les positions fabiennes: «A certains de Man: . A '1' . d . 1

Après coup moments, Je crus que, grace a appUl es mte-(mémoir,es) 1 t 1'1 't d' [Bruxelles ec ue s, 1 y aUraI moyen e creer un mouve-. 1941]: ment semblable à celui des fabiens anglais, se

réclamant hardiment du principe des élites et brisant ainsi les murailles par lesquelles la « conscience de classe» marxiste avait séparé le socialisme ouvrier du reste de la nation et,

H. de Man: en particulier, de sa vie spirituelle. » Ce « souci U

P•1c9itS·' profond des valeurs spirituelles» se manifesta p. . notamment dans un ouvrage intitulé l'Idée socialiste. Le principal intérêt de ce livre est pourtant ailleurs : de Man y faisait le point sur

206

il

l

l'idée de planisme qu'il avait puissamment contribué à populariser, en faisant approuver par le Parti ouvrier belge un «Plan du Tra­vail » à son congrès de Noël 1933. Sans doute, de Man n'était-il pas à l'origine du planisme. Au lendemain de la Première Guerre ~ondiale, les théoriciens de la «Planwirt­schaft» et Walter Rathenau avaient lancé l'idée; les plans soviétiques l'avaient eux­mêmes popularisée. Dans les années trente, elle devait faire fortune dans tous les milieux afin d'exprimer la volonté des hommes de détermi-ner eux-mêmes leur sort, ainsi que le dira Gaston Bergery devant la Chambre des députés, le 22 janvier 1932 : «La fortune du mot Plan dans le monde, c'est l'expression de la néces-sité d'organiser, de remplacer le vieil équilibre naturel par une organisation préméditée. » Mais, à vrai dire, les thèses de l'ancien marxiste de Man rejoignent alors celles d'hommes venus d'horizons politiques tout à fait différents. L'un des plus intéressants de ces derniers paraît être Georges Valois. Cet ancien socialiste-anarchiste, De ~on . f . 1 vraI nom un temps rallié à l) Action françazse) ut aUSSI e Gressent.

fondateur, en 1925, avec Jacques Arthuys (plus tard animateur d'une organisation de Résis-tance), du premier parti fasciste français, « le Faisceau », après avoir tenté de lancer, en 1922, un «Comité national pour la convocation des états généraux ». Organisé par Philippe La-mour, qui, depuis lors, a fait une belle carrière, le Faisceau fut vite condamné par Maurras, et Valois revint vers la gauche. La Librairie syndi-caliste qu'il fonda alors publia, dans les années 1928-1929, de nombreux ouvrages qui, par leurs titres et la qualité de leurs auteurs, in-

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diquent assez bien les préoccupations de la nouvelle génération: à la suite du livre, quasi­messianique, de Valois lui-même sur Un nouvel âge de l' humanité, on y trouve Europe, ma patrie, par Gaston Riou, l'Economie dirigée, par Bertrand de Jouvenel, la Révolution créa­trice, par Pierre Dominique, la Dictature des marchands, par Jean de Pierrefeu, des études de Jean Luchaire, Charles Albert, Jacques Ar­thuys, José Germain, Hubert Lagardelle, tous noms connus dans la Résistance comme dans la Collaboration. Je ne puis évidemment manquer de signaler que Valois publia encore, en 1930, un ouvrage

Socialisme digne d'attention par la personnalité de son libéral, auteur, Carlo Rosselli. paru dans

collecti~! Cette même année 1930 vit également la publi­consacrée à cation de Perspectives soci~tlistes, de Marcel la critique D d 1 f d dl! ré!Iime éat, qui, pour pren re e ascisme e vitesse,

ItaIH;n... selon l' expression d'André Philip cherchera ce qUI ne , manque pas avec les néo-socialistes à attirer la classe

. de saveur 'bl d 1 Il' A fi de la part moyenne susceptl e e e ra 1er. cette n, du fondateur ,. 1 Al' . l'

du premier ecrit e meme auteur, es neo-socla Istes fas~i~:! « exprimeront un anticapitalisme de principe,

français! axé contre les banques et les puissances finan­André cières, mais défendant, contre le progrès tech-

Philip' les . 1 f . d 1 Socialistes mque et a trans ormatlOn es structures, es

1 (PSar~sl' entreprises marginales dans leur statu quo» . • e eUl, C' d d' , , d

1967). est ans ces con !tions qu un tres gran nombre de socialistes vont rallier ouvertement des positions réformistes, dissimulées par un planisme que la C.G.T. elle-même reprendra à son compte. Mais, à vrai dire, qui à cette époque n'est pas pIaniste? La crise des idées socialistes, en effet, n'est rien à côté de la crise, bien palpable, du capitalisme;

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et dans les milieux les plus divers et les plus étrangers à toute forme de socialisme on va s'ingénier à trouver des formules susceptibles de faire croire que le régime capitaliste est digne de survivre, pour peu qu'il soit amendé. Ce sera la tâche de groupes comme le célèbre « X-Crise », animé par Jean Coutrot, ou encore du fameux «Plan du 9 juillet 1934 », dans lesquels on a voulu voir des entreprises synar­chistes. Des hommes de droite intelligents ten­taient simplement de récupérer, pour faire sur­vivre le capitalisme, des idées de gauche, conformément au jugement exprimé par Joseph Caillaux dans le journal le Capital: «Il [le capitalisme] a maintes fois évolué, il évoluera encore. Car il ne s'embarrasse pas de formules Le Capital,

d 'fi' . T . l' '1 1 12 août 1932; e mtlves. out au contraIre, sa qua !te a P us cité par

remarquable est une extraordinaire souplesse. » G. Lefranc.

C'est dans cette perspective qu'il faut com­prendre la prodigieuse floraison de «plans» d'inspiration néo-capitaliste qui furent proposés dans les années trente, et parmi lesquels rien ne permet de privilégier ceux qui furent élabo­rés par Coutrot et ses amis. L'énumération de ces plans occuperait à elle seule plusieurs dizaines de pages, aussi se bor­nera-t-on à citer quelques exemples de ces travaux. Il y eut le « Plan pour sortir de la crise », élaboré par Emile Roche et adopté par le parti radical en mai 1934 ; comme il y aura, en octobre de la même année, le «Plan de la C.G.T. », à l'instigation de René Belin, futur ministre du Maréchal. La C.F.T.C. aura le sien, comme 1'« Union socialiste et républicaine» de Paul-Boncour, Paul Reynaud, le «Front

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social », animé par Bergery, Izard et Galey, les «Anciens combattants », animés par Henri Pichot, le «Front de l'abondance », puis « lE.U.N.E.S.» et «Dynamo », «Nouvel Age », animé par Georges Valois ; le « Plan de la Confédératiofl des Travailleurs intellec­tuels », «la Rénovation sociale », «l'Ordre nouveau», « Travail et Liberté », qui prône un ordre réel, défini simplement par Emile Belime : « Ni capitalisme ni communism~ » ...

On aurait également tort pourtant de considé­rer que ce planisme n'était qu'une affaire de mode chez les économistes et les syndicalistes ou, à l'inverse, qu'il procédait d'un «centre» unique inspirant secrètement les petits groupes de pensée que j'ai énumérés. Une aspiration commune existe réellement. Georges Valois l'avait annoncée dès 1929 en écrivant Un nouvel âge de l'humanité: «L'Eu­rope est aujourd'hui tout entière dans la deuxième phase de la révolution mondiale de structure. Elle hésite entre Moscou et Washing­ton. Entre Londres et Moscou également. Elle cherche depuis dix ans le sens des événements qui provoquent chez elle guerres et révolutions. La lumière se fait pourtant. Et l'Europe est à la veille de prendre des décisions qui décideront de son destin. La vieille bourgeoisie fait appel à la police. Le prolétariat regarde vers Moscou. Enfin une classe de techniciens se forme, prend conscience d'elle-même et se prépare à prendre en main le commandement de la révolution. » Dès lors il est évident que cette nouvelle « classe» ne pouvait se former qu'entre des hommes venus du socialisme et désireux de

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«dépasser le marxisme» et, d'autre part, des tenants du capitalisme souhaitant faire évoluer le système sans recourir au marxisme ... Il pa­raît extrêmement caractéristique à cet égard que Raymond Millet, faisant en 1936 un reportage sur les différents «plans» élaborés à cette époque, ait intitulé son livre: la Révolution de 193 ... Le communisme ou quoi ? Telle est bien l'alternative qui se présente alors. Il faut enfin remarquer que les néo-capitalistes comme Jean Coutrot, Gérard Bardet, Georges Guillaume et beaucoup d'autres, tout comme les néo-socialistes, se posent en penseurs plus qu'en économistes et veulent fonder leur atti­tude sur une philosophie à la manière d'Henri

Paris, Grasset, 1936.

de Man. Ainsi Jean Coutrot écrit-il: «Le capi- Jean

talisme, le socialisme étatiste, le communisme ~H~;~d~isme sont trois systèmes également rudimentaires, économique

(Paris, inhumains, périmés: aujourd'hui, et en France, C.P.E.E.,

doit être proposée à leur place une solution non ~2!6l;q~~ra, pas moyenne et médiocre, mais que les plus !~r:apoler orthodoxes dialecticiens doivent qualifier de abusivement,

h" 1 h que certains synt ese et qu on pourrait appe er un uma- propos nisme économique. » de Charles

de Gaulle, Cette volonté de réforme distingue radicale- loin d'être

1 nouveaux,

ment es néo-capitalistes de leurs confrères; reflétaient

d" 1 . d d des vues ou eurs attltu es antagonistes evant le plus que Front populaire. Du côté de Coutrot, c'est trentenaires,

et fort presque un émerveillement: «Ce mois de communes.

juin 1936 peut marquer l'affranchissement éco-nomique de tous les Français esclaves jadis de la clientèle capricieuse, de la concurrence anar-chique, de la distribution aveugle; il peut être un premier pas, bras dessus bras dessous, vers une société sans classes », puisqu'il représente

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une «victoire commune de tous les produc­teurs, patrons et ouvriers, sur l'inhumanité et l'anarchie des mécanismes économiques anté­rieurs ... » Un tel point de vue ne pouvait évi­demment être partagé par les «patrons de combat et de droit divin », qui ne virent jamais dans ces événements que des «ma­nœuvres de la II' et de la IIr Internationale liguées pour la destruction de notre patrimoine national ». Il est curieux de constater que l'on retrouve dans les rangs des conservateurs extrémistes tous les spécialistes de l'anti-judéo-bolchevico­maçonnisme et de l'antisynarchisme. C'est ainsi que lorsqu'ils organisent en avril 1937 une grande réunion à la Mutualité sur le thème « Laisserez-vous exproprier vos entreprises? », on retrouve parmi les conférenciers Jules Ver­ger, farouche théoricien de la collaboration des classes et patron de combat (qui d'ailleurs, après la défaite de 1940, poussera d'indécents cris de jubilation), Pierre Loyer, de la Revue internationale des Sociétés secrètes, dont on a vu le rôle équivoque dans l'élaboration de

Nicolle l'antisynarchisme, et Pierre Nicolle, du Comité l'a;t~a~; de salut économique, qui plus tard traquera le

d'un Plan synarque à Vichy. Nul doute que, pour ceux-là, de Salut économique, les néo-capitalistes - ou «réformateurs »,

~uf~~fl~~ comme on voudra - ne soient des agents

1 1934 ett camouflés du bolchevisme. Or telle est bien la

arg-emen b l'b Il . diffusé thèse soutenue par de nom reux 1 e es anU-chez les h' nationaux synarc IsteS ...

«ligUe~r~~~ Dès lors, que penser de l'accusation soutenu~ par les antisynarchistes de l'autre bord -- a commencer par Chavin, Charnay et Mennevée - selon laquelle Coutrot, pris ici en tant que

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symbole de tout le courant de pensée néo-capi­taliste, serait responsable du «sabotage» du ministère de l'Economie nationale mis en place par le Front populaire en « faisant échouer tous ~~~~~~~ les essais d'organisation socialiste de l'économie les extraits f . , MS' ...du Rapport rançalse tentes par . pmasse» r Chavin.

A vrai dire, si sabotage il y eut jamais, peut­être faudrait-il en chercher les responsables chez les dirigeants sociaux-démocrates les plus orthodoxes eux-mêmes, à commencer par Léon Blum. Rien, en effet, dans les accords Matignon du 7 juin 1936, célébrés comme une grande «victoire ouvrière », n'apparaît comme une mesure de caractère socialiste, c'est-à-dire tou­chant à la structure de la propriété: l'établisse­ment de contrats collectifs de travail, la liberté syndicale, l'augmentation générale des salaires, les élections de délégués du personnel s'ins- Les lois ~ur

. dl' .. "1 . les conges crlvent ans e reglme eXIstant et, SIS consU-et sur les tuent des améliorations incontestables ces der- conven.tions , collectives nières n'en demeurent pas moins un moyen seron~ v:otées d, 1 . d ,. , . le 11 JUill; assurer a survIe u reglme economlque. celle sur L 1 8 ·· 1936 L' J hl' les-quarante orsque, e Jum ,eon ou aux Ul- heures s-era même déclare à la radio entrevoir le début d'une adoptée le 12, , , .. non sans ere nouvelle, « ere des relauons dIrectes entre difficultés. les deux grandes forces économiques organisées du pays », c'est-à-dire entre le syndicalisme patronal et le syndicalisme ouvrier, et qu'il déclare qu'« il est maintenant clairement dé-montré qu'il n'est pas nécessaire de réaliser l'Etat totalitaire et autoritaire », ses propos ne sont pas différents de ceux des prétendus synar-chistes. On sait, au surplus, que Blum décrétera vite une « pause» dont le résultat, sinon l'intention,

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fut d'empêcher les véritables réformes de struc­ture qui, pour atteindre une efficacité réelle, auraient dû être ... plus que des réformes. Commentant l'échec du premier gouvernement Blum, Georges Dupeux écrit que son chef s'est résigné -aisément à abandonner un pouvoir qu'il aurait pu conserver sans beaucoup de difficul­tés, «pour n'avoir pas trouvé devant lui une

In Revue bourgeoisie capable de comprendre et d'accep­m~~1:;~i~~ ter ce qu'il offrait, une transformation sans conteml?o- révolution des structures économiques et so­(ja:·~Y:r~ ciales de la France de 1937 ». Je précise d'ail-

mars 1963). leurs, pour en terminer sur ce point, que lorsque L~f~~~~~ les services de Spinasse - v~sés par le .rapP?rt Histoire Chavin - élaborèrent un projet de plalllficatlOn

du Front d l' , ., L ' BI l' A • populaire, e eCOnOmle, c est eon um ul-meme qUl (p~~f: jugea inopportun de le mettre en application.

Payot,1965): Il n'est donc pas étonnant que la convergence d'aspirations des théoriciens réformistes venus

Le même d'horizons politiques différents se soit mainte­dé~l!~:~~ nue après l'échec du Front populaire, et qu'à la rh jOhur à faveur des événements qui entraînèrent l'effon-

la ~/am re: d d' . 1 . ., «Pourquoi rement u reglme par ementalte certams aIent penser que . l' . l

je veuille cru pOUVOlt mettre en app lcatlon eur concep-suppri~er tion de l'économie dirigée. le régIme

capitalist~, La vivacité des polémiques à propos de la synar-alors queJe h" . d 1941 . ." l' n'ai rien à C le a partIr e trouve amsl a s exp lquer la~î!~~e?! par l'antagonisme de groupes politico-écono­

Çur.ieux miques, aux intérêts mais aussi aux conceptions soclahste! d' M . f . d . lvergents. aIS, une OIS encore, on olt cons-

tater qu'à aucun moment on ne peut découvrir la trace d'un seul groupement assez puissant et assez organisé pour inspirer ou «manipuler » les autres. Ainsi, on constate à nouveau que les deux visages principaux de la synarchie qui ont eu

214

1 cours (la synarchie comme entreprise de sabo­tage de la Révolution nationale et la synarchie comme explication de l'emprise du pouvoir ultra-capitaliste de Vichy) ont tous deux été dessinés en retenant de manière arbitraire quelques éléments de la réalité. Chacune de ces conceptions suppose que « Vichy», considéré comme une entité poli­tique unique, ait eu en matière économique une ligne de conduite clairement définie. En fait, comme l'écrit justement Henry W. Ehrmann, « le règne de Vichy comporta trois ou quatre H.W. , . 'f d h '1' Ehrmann' reglmes succesSI sont c acun utlisa un per- la Politiq~e

sonnel différent, aux convictions politiques spé- fdu patr,onat rançazs, cifiques [ ... ]. L'anarchie qui caractérisait le p.67.

régime de Vichy, la lutte des personnes et des politiques opposées furent particulièrement sensibles dans le domaine de l'organisation éco­nomique et des relations industrielles », de nombreux auteurs en témoignent, comme Du Moulin de la Barthète, Bouthillier ou Nicolle. L'un des traits caractéristiques de cette ambi- Weygand,

.. , l ' 'fi d 1 peut-être gUlte est a coexIstence, peu paci que, ans es plusencol'C

allées du pouvoir, d'hommes comme Verger ou M:~~l~haL l'amiral Auphan, attachés au maintien de tous «som.nis il

1 . 'l' ' l' d' . d certaInes es pnvi eges capaa Istes et eSlreux e conser- influenc.es

t d, t' pernicieuses», ver, sous couver un vague corpora ISme, faisait figure

toutes les relations d'autorité dans l'entreprise, hde grandrl

d, h ' , 1 ' d 1 omme ans et autres ommes genera ement ISSUS u p a- ces milieux.

nisme qui, tels Spinasse, Laurat, Dauphin-Meu-nier ou Jouvenel, souhaitaient mèttre à profit la défaite du parlementarisme pour transformer le capitalisme par le truchement de l'économie dirigée, A la faveur de cette anarchie et de ces équi­voques, se développa cependant l'action de

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certains groupes, dont l'existence n'est pas dou­teuse, encore que leur efficacité ait été moindre que celle qui leur a été prêtée. . Ces groupes, d'une manière générale, sont for­més de techniciens appartenant à la haute administration ou au personnel directeur des grandes entreprises; nul besoin de subodorer un complot pour comprendre leur marche au pouvoir; comme l'écrivait dès 1941 un ancien

A. Dauphin- conseiller de Spinasse, poursuivant, sous Vichy, Mpeudni~r: son rêve d'organisation rationnelle de l'écono-

ro uzre l' , . d" pour mie «le capitalisme organisé, economle m-

l'homme ' h . . h (paris. gée,c'est le royaume du tec melen. La tec no-~~~~ut;r;li; cratie est la nouveauté de l'heure. Et ce n'est d~me~Ire un pas un simple accident si en France, au moment temoIgnage 'd' . 1 d" indispensable précis où l'on s efforce e systematlser e ln-compre~d~~ gisme, des polytechniciens sont partout installés

cer~ainst aux leviers de commande, qui dans les sections espOIrS e . , ,?erta~lles de l'office de répartition, qui dans les comltes IlluSIOns . . d 1 h d de l'époque. prOfesslOnnels, qUl ans es auts postes e

l'Etat ». Des origines sociales comparables, des forma­tions universitaires identiques, des intérêts communs avaient créé dans les « grands corps » une mentalité d'autant plus puissante que la République s'était montrée faible. Aussi d?it-on tenir pour certain que, « dans les consetls de ce gouvernement fantoche qu'était Vichy, les inspecteurs des finances prirent une importance prédominante, surtout ceux qui avaient le sen­timent d'avoir été lésés, quant à leurs promo­tions, par le régime républicain,. et c;u~ qui,

Ehnllânn, par leurs origines ou par leur manage, etalent le op. cit., plus étroitement liés à l'industrie et à la p.67.

banque ». Un tel état de choses justifie pour une part la

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thèse d'un Beau de Loménie, selon laquelle «la synarchie» - mais pourquoi l'appeler encore «synarchie»? - se confond avec la mentalité technocratique. Mais il y a plus: au milieu de ces techniciens, dont certains d'ailleurs travaillaient en réalité contre le régime de Vichy, se manifesta un groupe qui fut plus particulièrement accusé par Déat et les amis de Laval. Ce groupe a eu une existence incontestable, au moins un temps, et se retrouva effectivement dans le gouvernement Darlan formé après le 13 décembre, en février 1941. S'il est vrai que beaucoup de ses membres gravitaient autour de la banque Worms il faut dire aussi qu'ils avaient de nom­breuses' affinités intellectuelles et politiques.

Avant la guerre, plusieurs d'entre eux, et non des moindres Pierre Pucheu, Victor Arrighi, , , Paul Marion, par exemple, avaient appar.tenu a un petit cercle d'études, comme il en eXlsta de nombreux, appelé « Travail et Nation », où se retrouvaient aussi Bertrand de Jouvenel et Jean Coutrot. La plupart, d'ailleurs, étaient passés par le Parti populaire français de l'ancien com­muniste Jacques Doriot, qu'ils avaient quitté après Munich, entraînant de nombreux adhé- Voir, entre rents tels Bernard de Plas et Bertrand de Mau- al,uHt~,etS,. , zs ozre dhuy; ce départ provoqua pour le P.P.F. une de la .c0llu-

d .,. boratzon, importante perte e« maUere gnse» et une de Saillt-.. h" fi "r Paulien non molUs lmportante emorragle nancle e, (Maurice

car ces hommes avaient tous de nombreuses Yva.n Sicard, ., ., anCIen colla-« relations » industrielles et financleres qUl re- bor~teur de d . . 1 lb' DorIot) ulsuent a ors eurs su venUons. [Paris, C'est dans ce milieu que se recruta ce qu'on a ~';;J:;~ appelé le «Groupe des Cinq» (ministres du 1964].'

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gouvernement Darlan) : Pucheu à la Production industrielle, Benoist-Méchin à la vice-prési­dence, Barnaud aux Relations franco-alle~ mandes, Marion à l'Information, Lehideux à l'Equipement national. Au gré des auteurs, l'âme de cette équipe varie; tantôt c'est Bou­thillier, tantôt Victor Arrighi, tantôt Gabriel Leroy-Ladurie ou quelque autre, car nous re­nonçons à énumérer les « éminences grises » ! Nous y renonçons pour une raison évidente: c'est à ce moment précis que l'on passe de l'histoire au roman, de la constatation de l'exis­tence d'une équipe ministérielle, pour un temps homogène, à l'affirmation d'un complot que rien n'établit. Ces hommes n'ont d'ailleurs jamais caché leur goût du pouvoir, et l'on ne voit pas qu'il ait été chez eux plus ignoble que chez d'autres.

Ce qui est sûr, en tout cas, c'est qu'il tentèrent effectivement de pratiquer une politique écono­mique nouvelle, pour une part inspirée des innombrables projets de plans élaborés entre les deux guerres; cette politique devait consom­mer l'agonie du libéralisme et faire passer le capitalisme à un autre stade de son évolution, par la concentration des entreprises. A cette fin, les auteurs du Plan de l'Ordre nou­

Cité par veau en France utilisèrent les organismes mis Otto Abetz: 1 1 Ch d 1 d·· ( Histoire en P ace par a arte e a pro uctlon acte

l.dt:une dit «loi» du 16 août 1940), les comités d'or-

po 1 Ique " • d . Il f Il d franco- gamsatlOn In ustrle e, orme nouve e es allemande , , 1" .., l' d

(Paris, ententes genera lsees, aInSl qu une « 01» u ~~53~: 21 octobre 1940, dite Charte des prix, qui,

permettant leur blocage, pouvait agir sur les conditions de la production. Un Office de répar-

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tition des produits industriels complétait le sys­tème, ainsi qu'un Centre d'information indus­trielle (C.LL), qui était l'ancien Comité central d'organisation professionnelle et fut dirigé par Gérard Bardet. On avait, au nom de l'anticapitalisme officiel, supprimé les anciennes organisations patronales comme le Comité des Forges, mais, en réalité, les nouveaux comités mis en place sur le mo­dèle de ceux qui existaient en Allemagne, afin d'organiser le capitalisme, permettaient une dictature des grandes entreprises sur l'ensemble de l'économie. Comme bien on l'imagine, ces comités étaient remplis d'hommes tout dévoués au grand capital et aux monopoles. Pour ces derniers, peu importait que leurs agents fussent ou non membres de tel ou tel cénacle, qu'ils aient prêté tel ou tel serment, qu'ils connaissent ou non le Pacte synarchique ou qu'ils croient à l'Humanisme économique. Il faut même une singulière naïveté pour penser que la politique de Vichy ne s'explique que par l'action d'une «société secrète»; que l'on se rappelle la phrase d'Yves Bouthillier qu'on a déjà citée et qui résume bien la question: « Comme si le capitalisme avait besoin de stra­tagèmes, de mots d'ordre et de congrégations pour être puissant » ...

Paradoxalement, on peut dire que certains des « technocrates» apparus alors, et qui pour cer­tains étaient de bonne foi, ont été victimes des mêmes erreurs d'appréciation que certains diri­geants du Front populaire. Ils ont cru - ou fait croire - qu'un arsenal législatif suffirait pour contraindre le grand capitalisme à se sou-

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l mettre au bien commun, qu'une «Nouvelle [, Société », fondée sur des relations humaines différentes, pourrait être créée dans la collabo-­ration des classes, et qu'eux-mêmes, les techni­ciens, pourraient arbitrer les intérêts en pré­sence, par la vertu d'un dirigisme accepté par tous. Au même moment, d'ailleurs, de l'autre côté de la Manche, certains, qui avaient été leurs amis dans les groupes pIanistes et qui croyaient, eux aussi, à l'économie dirigée, rêvaient de refaire une société débarrassée des monopoles et des puissances d'argent. On sait bien comment ce rêve fut également anéanti. C'est qu'à vrai dire, et depuis longtemps, la France, comme l'Europe entière, traversait une crise qui n'était pas seulement économique; mais aussi spirituelle et politique.

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Synarchie et crlse spirituelle

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~ liOn a déjà constaté que l'idée d'un ~ '. «mouvement synarchiste », conçu sans réfé-

Alexis Carrel rèrmit rence aucune à l'occultisme en général et à Saint-d'une science de l'homme intégral. Yves d'Alveydre en particulier, a été élaborée

en retenant et en agençant de manière arbi­traire, et surtout très sommaire, quelques faits de l'entre-deux-guerres. C'est particulièrement visible en ce qui concerne les idées écono­miques, et ce ne l'est pas moins, s'agissant de la philosophie générale. Dans ce domaine également, on constate que les antisynarchistes ont souvent pris la partie pour le tout et ont réduit aux dimensions ridi-

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cules d'un complot tout un courant d'idées dignes d'attention. Ce courant affecta une large part de l'intelligentsia bourgeoise, par là même désireuse de conserver autant que possible l'ordre établi, lorsqu'elle constata que rien ne pourrait plus être comme avant la guerre de 1914 et que les normes intellectuelles commu­nément admises ne pourraient survivre long­temps. Les préoccupations dominantes de la quasi­totalité des philosophes et des essayistes non révolutionnaires de cette époque peuvent être caractérisées par la recherche d'une élite nou­velle, généralement définie comme u,ne « aristo­cratie de l'esprit », capable de faire la synthèse entre les différentes aspirations de l'homme, quelles que soient ses appartenances politiques et religieuses, quelle que soit sa «classe» d'origine. Il est d'ailleurs assez frappant de constater que, sur ce point au moins, Saint-Yves d'Alveydre - qu'aucun de ces philosophes n'avait lu -s'était montré bon prophète, puisque la plupart d'entre eux en vinrent à rêver d'une sorte de «Conseil de l'esprit» comparable à celui qu'il préconisait. Le fait est incontestable, mais il n'établit pas pour autant l'existence d'un complot. Le phénomène constaté après 1919 fut si général que l'on hésite à choisir entre ses différentes manifestations. On en retiendra cependant quelques-unes qui, par leur diversité même, permettront de le mieux caractériser. C'est ainsi que, peu après 1919, le comte Hetmann Keyserling, rendu célèbre par son Journal de voyage d'un philosophe, avait fondé à Darmstadt, et grâce à l'appui de l'ex-grand-

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duc de Hesse, une Ecole de la Sagesse, qui F1,rèr,eéde . . . d f' d' . Imp ratrlce orgamsalt es con erences une semame, on Alexandra

d·· . d'h· d ,.. CEl F·eodorovna ltalt aUJour U1 es semmaltes. ette co e de Russie.

devait être un centre de rayonnement intellec-tuel et spirituel international, sans caractère confessionnel, et capable de préparer une « nou-velle ère spirituelle ». Il s'agissait, pour Keyser-ling, de faire apparaître une élite nouvelle, une nouvelle aristocratie capable de succéder, sans heurts, à l'ancienne.

Ce qui est intéressant, c'est de voir quel public s'enthousiasmait pour l'enseignement de l'époux de la petite-fille de Bismarck, qui reconnaissait avoir été largement influencé par les théories de H.S. Chamberlain. Lorsqu'il vint faire en France, en 1933, deux conférences sur «la Révolte des forces telluriques et les responsabilités de l'esprit» et sur« la Commu­nauté des esprits », on trouve, dans son audi­toire, l'archevêque de Paris, le ministre de l'Education nationale, Huxley, Valéry, Salvador de Madariaga, et d'autres personnages distin­gués par l'intelligence, mais dont la préoccupa­tion dominante était assurément de retarder le plus possible l'heure des changements décisifs dans la société humaine. A la même époque que Keyserling, un autre aristocrate d'Europe centrale - à vrai dire austro-hongrois, descendant de Grecs et fils d'une Japonaise -, Richard Coudenhove-Ka­lergi, se préparait à entreprendre une croisade paneuropéenne dans laquelle beaucoup ont voulu voir une « entreprise jésuitique» et sy­narchiste. Son rêve était «une économie diri­gée, au sens où l'entendait Platon, par une aris-

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tocratie de l'esprit », aussi éloignée des concep­tions de Wilson que de celles de Lénine. Ses principes philosophiques étaient simples: « La technique ne peut remplir sa grande mis­sion qu'en se mettant consciemment au service des valeurs éthiques »; le refus du matéria­lisme doit conduire « à l'avènement de l'aristo­cratie de l'esprit à laquelle on s'élèvera en substituant au principe du gouvernement par le nombre, la norme platonicienne du gouver­nement par les meilleurs». Pour arriver à ces

On fins, il pensait qu'il serait possible de découper retrouvera 1 d . . , . f .

plusieurs e mon e en cmq parues, aux reglmes par alte-de ces idées ment autonomes: les Etats-Unis l'Union sovié-

dans le ' P.ade tique, l'Empire britannique, la Chine et le

synarchll]ue J 1 P Cd" . d'Empire. apon et a aneurope. ette ermere aurait été organisée, dans un premier temps, d'abord, « sur le plan militaire» par un pacte et par l'institution d'un tribunal arbitral; sur le plan

Voir: J'ai économique, par une union douanière et l'adop­choisi tion d'une monnaie unique,' sur le plan natio­l'Europe

Pl (r:[~)' naI, par la protection effective des minorités ». on, . Le succès de Coudenhove-Kalergi fut incontes-

Le drapeau bl "1' bl' "1 . de la ta e, mals 1 est mcontesta e aussi qu 1 mter-~~~::~bt vint dans les milieux bourgeois les plus proches v~guem~nt du grand capital. C'est ainsi que le Comité

a celul de ,. ,., F Saint-Yves: economlque paneuropeen, consUtue en rance

bleu, avec uJ?-e par Louis Loucheur ne comportait que des grande crOlX , rouge ls~rl personnalités de la haute industrie, dont cer-un so el . ,. 1 1 ' .

d'or. tames etaient connues comme es p us reacUon-naires du patronat; c'est ainsi qu'y figuraient Lambert-Ribot, Peyerimhof, Fould, Cordier, Marlio, Gillet, etc. Ce qu'il faut souligner, c'est qu'à côté de ces aspects économiques bien tangibles Couden­hove-Kalergi diffusait une idéologie semi-mys-

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tique se réclamant des Croisés, de Dante, du « Grand Dessein de Henri IV», autant que de Mazzini et de Victor Hugo. Or cette «ambiance» de religiosité laïque se retrouve, et bien avant Coutrot, chez un très grand nombre d'auteurs français du premier après-guerre. Nous n'en prendrons qu'un exemple qui paraît révélateur, celui de Georges Valois qui, dans la conclusion de son Nouvel Age de l'humanité, prophétisait aussi: «A côté de la cité tech­nique, ou entre la cité technique et le monde des choses invisibles, il y aura les cités morales, intellectuelles, spirituelles, religieuses, se parta­geant les esprits et les cœurs, franchissant les frontières ethniques, donnant à tous le senti­ment de l'universel et de l'éternel [ ... ]. Nous allons à un ordre nouveau, cent fois plus orga­nique, plus charpenté, plus vertébré que celui qui se dissout. Nous allons à une cité technique universelle, avec ses trusts, ses régions écono­miques, sa mécanique de précision, ses ondes enregistrées à toute seconde. Mais ce sera le support de grandes cités spirituelles, de grandes sociétés culturelles où apparaîtront les nou­veaux visages des vieux peuples non plus sous l'aspect du guerrier dévastateur, mais avec les traits spiritualisé de l'être qui veut sa gloire en servant l'humanité et qui, dans le grondement des machines, écoute et distingue dans son cœur les pulsations du mouvement éternel. » Cet appel à une nouvelle spiritp.alité évoque les vieux songes utopistes, à commencer par celui de Saint-Simon. Mais on a vu aussi qu'à cette époque certains s'employaient active­ment à le réaliser.

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Nous avons évoqué déjà la figure de Paul Des­jardins et son activité d'avant 1914. Il faut dire maintenant que l'influence qu'il exerça après la victoire est encore plus caractéristique, par sa méthode, de cette recherche d'une nouvelle élite et de cette obsession de la « synthèse hu­maniste» qui ont été réduites au mythe synar­chiste. L'œuvre essentielle de Desjardins est consti­tuée par l'animation des «Entretiens d'été de Pontigny» qui se déroulèrent de 1922 à 1939. Ces entretiens prétendaient réunir les spécia­listes de chacune des questions évoquées, qui faisaient l'objet d'une série de conférences sui­vies d'échanges de vues dans le cadre de l'an­cienne abbaye. La diversité des questions abordées au cours

Il y eut de ces décades montre assez que l'on cherchait trois décades a' aborder dans un esprit de synthèse les pro-pu~' '

en août et blèmes fondamentaux de l'époque; en voici septembre.

quelques exemples: 1922-3e Décade: La Société des Nations et les préjugés qu'il lui faut vaincre. 1926-36 D.: L'humanisme. Son essence. Un nouvel humanisme est-il possible? 1929-1re D.: Le procès de la bourgeoisie de-vant la classe ouvrière. 1933-3e D.: Sur le caractère révolutionnaire des événements actuels. Veut-on la révolution? 1937-3e D.: Vocation sociale de l'art dans les époques de trouble mental et de désespoir. On voit que les questions de « philosophie poli­tique» tenaient une large part dans ces travaux, à côté des questions d'esthétique, de morale ou de littérature qui étaient d'ailleurs largement traitées. Sans doute, et par définition même, ces

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rencontres n'étaient-elles pas destinées à conclure, à déboucher sur un programme d'ac­tion admis par tous les participants. Mais la confiance en la méthode des rencontres réunis­sant les meilleurs de chaque discipline dans la « tolérance» et la « bonne volonté » explique assez que les enragés de la Revue internationale des Sociétés secrètes aient subodoré on ne sait quel relent de maçonnerie, puis de synarchie dans les décades de Pontigny. Dieu sait pourtant que ce milieu était peu « révolutionnaire », mais au contraire imbu de réformisme; les aspirations de Desjardins lui­même paraissent extrêmement caractéristiques à cet égard. Dès 1926, en effet, il s'était inté­ressé au Redressement français, fond~ par le magnat de l'électricité Ernest Mercier et par Lucien Romier. Ce mouvement, qui s'appuyait sur le grand patronat, préconisait ouvertement des mesures fiscales favorables au grand capi­tal, nlanifestait un antiparlementarisme agressif et souhaitait un régime autoritaire; ses diri­geants considéraient d'ailleur.; Pétain comme un sympathisant actif. Pendant quelques an­nées, cependant, Desjardins crut que le Redres­sement pourrait lui offrir la possibilité de réa­liser une de ses ambitions, le rajeunissement des méthodes pédagogiques; il proposa même, en 1927, la création d'un type nouveau de Collège d'humanités populaires. Si peu révolu­tionnaire qu'ait pu être ce projet d' «école de commune culture », il mettait trop en cause la culture bourgeoise pour être subventionné par le Redressement français; aussi l'entreprise échoua-t-elle. Par contre, une « convergence» beaucoup plus

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Romier sera plus tard un conseiller écouté de Pétain, pour ce qui concerne le nouvel ordr,e économique et social.

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significative se manifesta vers 1929: Desjardins lut Au-delà du marxisme, de Henn de Man, et fut si enthousiasmé que, la même année, De Man fut invité à Pontigny. Il y revint à plu­sieurs reprises et les «entretiens d'été» devinrent un centre de diffusion de son sys­tème; c'est ainsi que s'y tinrent plusieurs « conférences internationales des plans de tra­vail ». Lors d'une conférence tenue en sep­tembre 1934 en vue de définir l'action des socialistes on rencontre, de manière significa­tive, par~i les participants, R?sselli, Belin, Laurat, Lacoste, Dauphin-Meumer, J01~venel, Spaak; plus tard viendront encore LoUls Val­lon Colette Audry, Gaitskell. .. De~jardins visait cependant plus loin que la diffusion des nouvelles doctrines économiques ; il s'agissait véritablement pour lui de conjurer la crise spirituelle qui envahissait l'Occident et d'inventer un nouvel humanisme, par l'émer­gence d'une élite n'excluant pas le monde du travail. Aussi s'intéressera-t-il de près aux recherches de l'Institut supérieur ouvrier, ani­mé notamment par Georges et Emilie Lefranc. Pontigny accueillit ainsi les « Semaines de l'édu­cation ouvrière» dans la lignée des anciennes « universités populaires ». Quelque chose d'équivoque demeure cependant dans ces entreprises, dans les postulats philoso­phiques dont elles procèdent, comme dans leurs applications pratiques. Aucun des participants, sans doute, n'admet avec Marx que « la libéra­tion des travailleurs sera l' œuvre des travail­leurs eux-mêmes» ; il s'agit plutôt de prêcher une nouvelle fois la collaboration des classes. La preuve en paraît d'ailleurs fournie par une

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rencontre franco-suédoise, réunissant des pa-trons et des syndicalistes et qui souleva d'ail- A parcourir

leurs d'assez nombreuses polémiques en 1938. à~ 1;r~e ue

0 , . l" . ,. p q , n s aperçOlt que es memes patrons qUl s ln- on constate / . '1 P , que le teressment aa aneurope se retrouvent a «modèle

P · M' L b R'b D suédois» ontlgny : erCler, am ert, lot, avezac, faisait déja Barnaud. figure de

«mythe». Cette rencontre avait été conçue par Auguste Detœuf, :fondateur avec Guillaume de Tarde des Nouveaux Cahiers, lancés au printemps de 1937 et qui voulaient regrouper des patrons éclairés, des hauts fonctionnaires, des intellec­tuels, des syndicalistes non communistes, en vue de conjurer les divisions politiques et sur­tout les colères sociales. «Aucun des membres du gfoupe n'avait plus confiance dans les bien­faits du libéralisme économique, tué non par la volonté des hommes ou à cause d'une libre action des gouvernements, mais par une inéluc­table évolution interne. La plupart des indus­triels qui finançaient les Nouveaux Cahiers étaient étroitement liés aux activités des cartels français et internationaux. A leurs yeux, des relations industrielles plus ordonnées, fondées sur un respect mutuel des adversaires et la considération de leurs intérêts respectifs, étaient le complément indispensable d'une or­ganisation économique digne de ce nom ... » Mêlé à ce groupe comme à l'activité de Ponti­gny, on retrouve, bien sûr, Jean Coutrot, qui vient de fonder en 1936 le Centre d'études des problèmes humains, et qui participe aussi aux t!avaux du groupe France-50 créé par Francis Hekking et dans lequel se réunissent d'ailleurs des hommes que l'on a déjà rencontrés. S'il convient de ne pas accorder à Jean Coutrot

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Ehrmann: la Politique du patronat français, p.55.

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l'importance disproportionnée que lui ont don­née les antisynarchistes, puisque son activité n'a jamais rien eu de mystérieux mais au contraire s'est déroulée au grand jour, il est aussi nécessaire de connaître sa pensée.

Il s'agit de On a dit et -répété à satiété, et tout récemment les Leçons Ph'l' B h d .' 1 de juin 1936. encore lIppe auc ar , que Je cIte, que« es

L'.hllman{sme idées contenues dans son livre sur l'humanisme economzque. /. .

Document economlque fourmront l'essentiel des thèmes n° 4 du d 'fl' d d Centre e re eXlOn es groupes «synarques» e

pol~1~i~~ Vichy en 1942 et de la relance économique de . d'E!udes la technocratie gaulliste en 1945 ». economlques Il l' 1 . d' /.. 1 (Paris,1936). y a a p usœurs erreurs appreclatlOn; es

« synarques » de Vichy avaient eux-mêmes par­ticipé suffisamment à tous les groupes pIanistes pour n'être pas tributaires, sur le plan idéolo­gique, du seul Coutrot. Quant aux « techno­crates gaullistes», ils appartenaient à la même génération et avaient souvent participé aux mêmes travaux, de Louis Vallon à Robert Lacoste. De plus, ils avaient créé des groupes d'études fort importants - comme l'O.C.M. (Organisation civile et militaire) - qui prépa­rèrent souvent dans le détailla reprise en main de la France. S'il n'est pas douteux que ces hommes tinrent compte des enseignements qu'ils avaient pu recevoir à X-Crise, à France-50, à Pontigny ou ailleurs, leurs perspectives politiques furent largement modifiées par la guerre et l'on ne voit pas que les écrits du seul Coutrot aient eu sur eux une influence particu­lièrement nette. Mais l'erreur de perspective la plus grave est celle qui fait de Coutrot l'homme d'un seul livre, fHumanisme économique)' il s'agit là d'un livre de circonstance, écrit «à chaud»

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devant l'explosion du Front populaire et dans lequel se retrouvent, bien évidemment, cer­taines de ses idées maîtresses; mais, en réalité, il ne rend pas vraiment compte de sa démarche intellectuelle si on le considère isolément, ce qu'ont fait tous les auteurs.

Il Coutrot ne se veut pas économiste, mais 1: d'abord philosophe.

Les fondements de la «Nouvelle Société» dont rêve celui-ci sont décrits dans son livre intitulé De quoi vivre) paru, en 1935, avec une préface de Jules Romains. (Je précise, au passage, que, contrairement aux allégations du rapport Cha­vin, la terminologie de Coutrot n'évoque jamais celle du Pacte synarchique.) La démarche philosophique de Coutrot trouve son origine dans la constatation que l'humanité n'est plus une espèce, mais une poussière d'in­dividus « qu'envahit peu à peu le sentiment tra­gique de la vie dont parle Unamuno ou, ce qui est plus grave, de l'inutilité de la vie. Cette pulvérisation ou atomisation de l'homme abou­tit à un isolement extrême de chaque individu qui ne survit qu'en se prenant lui-même pour fin - une fin dont le caractère dérisoire ne lui échappe d'ailleurs pas ». Pour Coutrot, le capi­talisme est largement responsable de cet état de fait qui procède de la rupture des liens sociaux traditionnels: «patriotisme local, voisinage rural, profession organisée, corporation et même religion ». Pourtant, il estime que cette sorte de fluidité, voire de déliquescence du milieu humain comporte en elle-même d'immenses possibilités de mutation de l'humanité, pour peu que l'in­telligence soit capable de comprendre la nou-

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veauté totale de la situation: «La crise des solutions traditionnelles, particulièrement éco­nomiques et religieuses, dissout les automa· tismes, amène les problèmes au seuil de la conscience claire; elle déclenche l'effort intel­lectuel réfléchi qui doit aboutir, en dernière analyse, à travers tous les systèmes, toutes les philosophies, à des règles pour le comportement de l'individu, qui seul agit réellement. » Pour parvenir à cette conscience claire, l'indi­vidu doit comprendre qu'il ne peut être à lui­même sa propre fin, en raison de sa nature; sa sensibilité, en effet, n'est pas constante et se trouve soumise à des périodicités qu'on re­trouve dans toute la création, ce que Coutrot appelle «l'aspect ondulatoire de l'univers »: révolutions des planètes et des saisons, oscilla­tions du pendule, battements du cœur, vibra­tions des atomes, contractions du poumon, alternance journalière du sommeil, etc. On ne peut résumer ici le voyage intellectuel de Cou­trot à travers l'astronomie, la physique, la phy­siologie, la psychologie et la sociologie qui, toutes, s'accordent pour décrire un «univers ondulatoire avec points singuliers sur les fronts d'onde ». L'important est de remarquer que ses conclusions veulent s'appuyer sur un accord complet entre l'homme et l'univers, sur une loi scientifique. Car les rythmes humains, les faits moraux, l'esthétique, la politique, l'économie, la spiritualité doivent être reconstruits par l'intelligence, de manière à échapper définiti­vement à l'inconscient et à la sentimentalité des races et des foules. Pratiquement, Coutrot estime que son système doit récuser la dialectique marxiste, qui formule

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la lutte des classes et l'autodestruction du capitalisme, et qu'il devient nécessaire de « remplacer l'opposition des contraires par la continuité d'une courbe sinusoïdale» ; d'où ses travaux, dans des milieux divers, pour exposer la nécessité de la transformation - et non la destruction - du capitalisme en soumettant « à la raison seule la production et la répartition des richesses. Suivant son processus habituel, l'entendement remplacerait les instincts acqui­sitifs par des automatismes contrôlés et substi­tuerait à l'économie mercantile une répartition rationnelle fondée sur les besoins ». En matière politique, Coutrot considère que les lois de la sensibilité collective font qu'aucun peuple ne peut s'accommoder d'un régime inva­riable; dès lors, les institutions doivent compor­ter des «soupapes pour les besoins d'alter­nance », capables d'assurer un « équilibre ciné­matique» et qui rendront vaines les «déchi­rures telles que émeutes, révolutions et tyran­nie ». Il faut donc savoir mettre en place, à la manière des Romains, «un dictateur tempo­raire et parfaitement légal chargé expressément de sauver et de régénérer la République [ ... ]. Le fonctionnement des institutions représenta­tives doit être suspendu non seulement lors des crises graves pour des raisons de salut public, mais périodiquement, en temps normal et à des intervalles fixés d'avance, pour révision et adap­tation: le pouvoir intérimaire pourrait être exercé par un des grands corps de l'Etat repré­sentant les élites de toutes origines, afin d'évi­ter les dangers - peut-être aussi l'efficacité -d'un pouvoir personnel ». En matière politique comme en économie, il

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importe donc de « ne pas cristalliser une struc­ture entière à un moment défini» ; mais on voit que Coutrot fait aussi appel à la notion des' « élites de toutes origines» qui constitueraient une « autorité spirituelle» garante des institu­tions. C'est que son humanisme « intégral et véritable, dynamique et additif» veut être une mystique de l'avenir; il convient, dit-il encore, de fournir des mythes nouveaux à l'espèce et de réinventer en mode laïque « l'hygiène mentale élaborée par les religions et les philosophies, les exercices spirituels d'Ignace de Loyola comme le Manuel d'Epictète ». «Les besoins d'alter­nance et d'isolement pourront s'apaiser par des retraites dans des réserves nationales ou des couvents, Pontigny ou Grande Chartreuse, rele­vés par les exigences de l'hygiène intellec­tuelle ». On voit ainsi que les vues de Coutrot, quelque­fois fulgurantes et toujours hors du commun, dépassaient singulièrement le cadre économique où ont voulu les enfermer non seulement les antisynarchistes, mais aussi les historiens de la synarchie. C'est qu'il voulait plus que donner à l'homme « de quoi vivre»; il rêvait de le transformer de fond en comble, ainsi qu'en témoigne la conclusion de son' livre: « Une coopérative pour l'avancement de la race humaine rassemblerait sans doute aisément de plus grands esprits, autant d'appuis des pou­voirs nationaux, et davantage des autorités ou personnes internationales. Dans cette Eglise profondément laïque se rassembleraient tous les clercs, biologistes, philosophes, éducateurs, chercheurs et hommes d'action, chefs de grou­pements humains, qui donneraient un sens à

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l l leur tâche en communiant dans cette mystique,

où le clair de raison baigne les signes indéter­minés du futur. Suivant une des plus belles paroles de Marx, le philosophe ne peut plus se contenter d'expliquer le monde: il doit contri­buer à le changer. On recruterait sans peine les membres fondateurs de cette coopérative sacrée, vouée à la culture de ce que l'espèce humaine recèle de divin: les rencontres des œuvres soli­darisent déjà les auteurs. » On voit ainsi clairement que Jean Coutrot aspi- Toutes les

. b d' ,. 1 citations de ralt, comme eaucoup autres, a VOlr se ever Coutrot sont '1' Il bl d' tL ' extraites de une e lte nouve e et capa e une syn nese De quoi vivre

spirituelle, caractérisée par la convergence «par (rPlaéssi.mt t)'è

h d d 'ff' d' h'l tal r s en aut» es 1 erentes octrmes p 10S0- lié avec

h· l' . NId 1 C Teilhard p lques et po luques. u oute que e entre de Chardin,

d'étude des problèmes humains devait être qu:il t à presen a l'amorce d'une telle œuvre. Desjardins

N 1 d ." lA' d,en 1938. u oute aUSSl qu a a meme epoque autres aient formé le même projet et tenté de le mener à bien. Il n'est pas possible, à cet égard, de ne pas signaler au moins les efforts d'un J ean J,~an. R·· . d' '11 . b' Rlvam: Un lvam, qUl al eurs se poursulvront len programme

, 1 d 'f' d 1940 de restaura-apres a e alte e . tion sociale. Jean Rivain, ancien monarchiste d'Action fran- ~a ~?ur çaise, ami de Georges Valois, auteur, en 1926, P~é.c~~;eur. d, l' h' , 'R 'd L Preface de un lvre ent ouslaste consacre a ene e a Léon Bérard

Tour du Pin (et dédié à Benito Mussolini, « qui (sPar~st'é , OCle

tient dans ses mains les destinées de 1 Eu- d'édition

) . f d' d'b 1937 A . Le Livre, rope » ,avalt on e, e ut ,une ssocla- 1926). Il est . l" , f . .., d également uon pour umte rançalse, qUI ammalt, ans l'auteur de

de nombreuses villes de France, des Cercles RI' efaJr:e

J F bl" l'U" f . 1 umte eune- rance pu lalt mte rançazse, es française,

C h· d 1 N Il F . (Paris, Fernand a zers e a ouve e rance et un peut men- Sorlot,1936).

suel dénommé la Vérité aux Français. Dans ces publications, « les partisans du Front

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populaire et ceux de l'ancienne Union nationale ont également la parole; les syndicalistes de toutes les nuances de l'opinion révolutionnaire y ont le même accès que les réformistes promo­teurs d'une économie nouvelle. Par cette tri­bune libre, la Nouvelle France exerce un ma­gistère de conciliation et d'arbitrage sur les idées, en même temps qu'elle informe le public de son action propre et des résultats obtenus ». On voit que l'ambition de Rivain était, elle aussi, de réunir les hommes par-delà leurs appartenances politiques, philosophiques et religieuses; et, de fait, on retrouve, dans la Vérité aux Français, les signatures de Léon Blum, Ortega y Gasset, Belime, Coutrot, Déat, Carrel, Friedmann, Herriot, Jeanneney, Pré­vost, Jules Romains, Maurice Thorez à côté de Belin, Giraudoux, de Man, Maze,' Georges Izard, De1aisi et Yves Paringaux. Entreprise synarchique? Rivain en fut accusé non sans violence d'ailleurs, SOllS l'Occupatio~ ... Quant à la Coopérative pour l'avancement de la race humaine dont rêvait Coutrot, elle devait connaître un commencement de réalisation grâce au Dr Alexis Carrel, prix Nobel de méde­cine, qui, en 1941, était venu se mettre à la disposition de Pétain. Il fut, à côté de Max Bo~nefous, Lagardelle, Bichelonne, René Gil­louln, Alfred Sauvy, Gustave Thibon un des dirig~ants du groupement d'intellect~els qui devait constituer l'alibi philosophique du nou­vel ordre corporatif, la Fondation française pour l'ét~de des problèmes humains, instituée par les 10lS des 17 novembre 1941 et 14 jan­vier 1942. De longue date, en effet, Carrel avait médité sur

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la possibilité d'un «gouvernement des sages» Cf. la France

capable de «reconstruire l'homme civilisé ». de l~2s(prif,. S

· l' .. d . , h p. ParIS, « 1 orgamsatlOn es socletés umainesécrit- Sequana, '1 1930"" d/ 1943). 1 en , etait anstocratlque et non emocra-tique, la guerre pourrait être bien vite suppri-mée. Mais les nations sont dirigées aujourd'hui par la foule, l'homme moyen, et gouvernée par des sentiments et des appétits.» Mais aussi prévoit-il qu'il y aura «une grande poussée mystique semblable à celle qui précéda l'an mille et qui le suivit. Peut-être cette impulsion, si elle réussit à s'incorporer à la science, sera­t-elle la base d'une civilisation nouvelle ... C'est notre seul espoir. » La Fondation,. dont François Perroux fut le secrétaire général, était composée de médecins, d'économistes, d'ingénieurs, de statisticiens, d'architectes, de chimistes, d'industriels, d'an­thropologues, de généticiens, etc., et elle avait pour but d'étudier l'homme non seulement dans sa multiplicité à travers ces diverses disci-plines, mais aussi « dans son unité organique et spirituelle. Seule la soudure de toutes les sciences qui se rapportent à l'homme peut Voir, sur rendre ces sciences utilisables pour notre pro- Aifr~~nt, grès [ ... ]. Pour la première fois dans le monde, Fabre-Luce:

. . . "bl' d b hil Journal de une lnstltutlon s eta lt sur es ases non p . 0- la France,

sophiques, n.on politiques et exclusivement rJ~~~!esq. scie~tifiques, p~~r }a construction systématique ~~f.~94~1), de 1 homme C1Vlhse dans la totalité de ses acti- et la

. , . Il " Il . 1 biographie vltes corpore es, splntue es, socla es et ra- du Dr Robert ciales. Son but est de créer une nouvelle techno- rP:li~~dt logie: l'anthropotechnie ». Plon, 1952).

L'entreprise devait tourner court, et pour de8 raisons politiques: c'est que Carrel, comme beaucoup de ses confrères en rêverie apolitique,

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feignait d'oublier que, dans la société capita­liste, l'apolitisme n'est jamais que le masque du conservatisme. Il demeure pourtant qu'à travers lui, comme à travers Coutrot, Valois et bien d'autres, s'ex­primait la nostalgie de ce que Roland Mousnier appelle une « société d'ordre». Mais par-delà les références à la rationalité, à la modernité, à la science, s'agit-il d'une « société d'ordre technocratique» ? Malgré les apparences, rien n'est moins sûr, à moins de s'entendre sur la notion de technocratie. C'est qu'en réalité ces «technocrates» qui, avant guerre, se forgent une doctrine, qui, pour d'au­cuns participent à un incertain pouvoir sous l'Occupation, sont encore gens soucieux de sou­mettre leur action aux impératifs d'une philo­sophie. Ils aspirent à une sagesse transcendant la technique dont, incontestablement, ils sont passés maîtres. Comme René Gillouin, conseil­ler du Maréchal, l'écrit après la guerre dans un curieux ouvrage dénommé Aristarchie ou

(Genève, Recherche d'un gouvernement, ils estiment qu'il A l'ens-eigne .d!l y a des questions « qui ne relèvent pas ou qui Cheval aIle,

1946). ne relèvent qu'accessoirement des techniciens de la géographie ou de la stratégie, de l'écono­mie ou de la finance, mais principalement des savants ou des sages dans l'art politique ». Ainsi apparaissent-ils soucieux des fins der­nières de l'homme et de la société d'une ma­nière tout à fait différente de l'idéologie des «technocrates» d' apr~s-guerre, qui sont d'abord des gestionnaires et des « managers » préoccupés seulement de rationaliser la produc­tion et la consommation économiques. Sans doute est-ce par nostalgie d'une époque

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1 où l'on croyait que les techniciens conserve­raient assez d'intelligence pour comprendre que leur savoir n'est pas une fin en lui-même, que François Perroux réaffirmait récemment que les « hommes généraux, comme disait Saint­Simon, ont un rôle plus décisif que jamais à l'époque des techniciens. Ils embrassent de vastes ensembles et inventent des objectifs et des significations. Ils proposent les tâches communes par rapport à quoi les intérêts parti­culiers seront arbitrés en fin de compte. Ils conçoivent des œuvres collectives à la mesure de leur nation et, au moins, entreprennent la rénovation du style de la vie nationale. Entre les techniciens et les masses que les nouvelles techniques peuvent atteindre, ils sont des inven­teurs de synergies, et la médiation vaut ce que vaut le projet collectif qu'ils mettent en

François Perronx: Aliénation et société industrielle,

œuvre». :e. 156

P · A d'fi . . Il l '11 (Paris, eut-etre cette e muon est-e e a mel eure Gallimard,

que l'on puisse donner, des hommes épris de 1970).

« médiation» qui furent appelés synarques, sans trop savoir qu'ils l'étaient. Mais force est alors de constater qu'ils n'eurent pas de descendance, et que les technocrates d'aujourd'hui ne leur res-semblent guère, qui ne se soucient ni de philo-sophie ni des fins dernières. La synarchie ne serait plus alors un complot ni même un système de pensée, mais simplement un dernier effort d'intelligence des hommes de la fin de l'âge industriel, sentant venir une société nouvelle dans laquelle ils n'avaient pas vocation d'entrer.

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Derrière les ~ ligues », la synarchie?

Synarchie et

. crzses politiques

L'étude des idées philosophiques et économiques de ceux qui ont été qualifiés de synarques montre à l'évidence que cette déno­mination incertaine peut être appliquée à un très grand nombre d'hommes publics, dont, en définitive, le seul dénominateur commun serait de ne pas recourir à un type de pensée révolu­tionnaire au sens marxiste du terme. La synar­chie, on l'a vu, peut aller de Léon Blum (préfa­cier de l'Ere des organisateurs, de Burnham) à l'extrême droite ... Pour un complot, c'est beau­coup! De plus, on voit mal, dans ces condi­tions, pour quelle raison les «convergences

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intellectuelles », qui dans certains cas ont bien existé, seraient qualifiées de synarchistes. Sans doute aura-t-on retrouvé des «thèmes» com-' muns entre les penseurs cités et Saint-Yves d'Alveydre: régionalisation, Conseil national économique, coopération des classes sociales; mais ces thèmes sont précisément si répandus dans les idéologies du xx" siècle et doivent si peu à Saint-Yves lui-même que l'on ne découvre à l'usage du mot de « synarchie» d'autre justi­fication que l'attrait d'un terme étrange. S'il est toujours facile, en effet, de découvrir des parentés entre des déttiàrches intellectuelles _ c'est même un exercice courant en matière littéraire - il l'est beaucoup moins d'apporter , . des preuves sérieuses de l'e:s:istence d'une actlon politique, en l'occurrence d'un complot. Peut-on admettre qu'il y eut, avant guerre, un complot spécifiquement synarchiste pour abattre la III" République? Peut-on admettre que la synarchie fut à l'origine des événe­ments du 6 février 1934 ? Qu'elle « noyauta» ou «coiffa », directement ou indirectement selon les auteurs, des entreprises comme le Mouvement spiralien du commandant Loustau­nau-Lacau et comme la « Cagoule » ? Que ses membres préparèrent délibérément la défaite de 1940 afin de mettre en place le nouvel « Etat français », représenté extérieurement par le beau « dessus de cheminée» qu'était un vieux maréchal de France ?

Ce serait assurément réduire à peu de chose des événements qui trouvent leur origine dans des faits et des mentalités autrement plus graves qu'un complot romantique; la «trahi-

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l 1

son» ne fut pas le fait de quelques hommes lb in de là ... Ainsi que l'écrit cruellement l'au~ Cassius:

teur qui signe Cassius, dès 1935 « était en passe la VI~rzffëé . , . sur a azre de s accomphr le renversement décisif, généra- Péta!n

d 1 h ,. ., 1 F (G·ene.c,

teur e a catastrop e qu lmposait a a rance Ed. du

la volonté de ses classes dirigeantes. Cette ~~l~d~,du même droite jadis « cocardière », nationaliste et 1945).

chauvine, tant qu'elle avait peu redouté un pro-létariat terrassé par la saignée versaillaise, concentrait maintenant ses regards sur ce qu'elle tenait pour son adversaire le plus dan-gereux, 1'« ennemi intérieur», ainsi que l'écri-vait en propres termes M. Charles Maurras. La Charles

tentative de coup de force mal préparée mal MEaurr.ats: , nque e sur coordonnée du 6 février 1934 avait échoué. La la monarchi/', . . '1 1 d h p.556 vlctolre e ectora e es gauc es en 1936 accrut (paris, 1925).

encore les angoisses et les colères des possé-dants. L'ancien ennemi, l'Allemagne, ayant donné l'exemple d'un «barrage au bolche-visme », prenait sourdement un visage amical [ ... ]. Car le problème français, pour la droite cessait de se poser en termes de défense natio: nale; la défense sociale comptait seule [ ... ]. Qui m~nace tout cela? Les « gens de gauche », les « democrates », les marxistes et ces peuples à l'étranger dont les gouvernements sont sus-pects de timidité ou de complaisance à l'égard de la Russie soviétique. Qui s'offrent au contraire comme un rempart, comme d'irrem-pl~çable,s auxiliaires? Les fascismes, qu'ils sOlent d Allemagne et portent la chemise brune d'I.talie et portent la chemise noire, d'Espagn~ et Jouent aux croisés. Ce qui importe exclusive-ment, c'est la protection qu'ils accordent aux « honnêtes gens», industriels, banquiers, hommes d'affaires. Ils sont l'antibolchevisme. »

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René Rémond: la Droite

en France (Paris,

Aubier, 1963).

De fait, beaucoup en France aspirent à l'instau­ration d'un « pouvoir fort », tel Ernest Mercier qui déclare, le 24 janvier 19.34, au Redresse­ment français: «La seule solution que les cir­constances imposeront bientôt est celle d'un gouvernement d'autorité » ... Le 6 février n'était pas loin. « Attentat contre le régime », il le fut certainement ... Si la Commission d'enquête ne parvint pas à déterminer s'il y eut « complot» au sens précis du terme, il n'en demeure pas moins que de nombreux organes de presse, à commencer par l'Action française, de nombreux groupements, Jeunesses patriotes, Croix de feu, etc., appelaient au renversement pur et simple du régime parlementaire. Lorsque René Ré­mond affirme qu'on ne peut retenir d'autre hypothèse que celle d'une «agitation qui tourne mal », il met a contrario en évidence la cause profonde de l'apparition ultérieure de la « Cagoule » ... C'est que les dirigeants des organisations de droite s'étaient alors révélés fort incapables de dépasser le stade de l'agitation dans la rue, incapables, en un mot, de comploter sérieuse­ment. Dès lors, il était inévitable qu'un certain nombre de ceux qui souhaitaient un pouvoir fort et qu'avait déçus l'attitude des dirigeants nationalistes entreprissent de se donner des moyens d'action efficaces contre le «péril rouge ». Il faut dire, pourtant, qu'il est encore malaisé de porter un jugement assuré sur le « phéno­mène cagoulard », qui jusqu'ici a toujours été traité par le biais de l'anecdote spectaculaire et n'a pas fait l'objet d'études réellement appro­fondies. Entre Maurras qui voyait dans la

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Ca~o~le «un siT?ple appareil de provocation Si intéres­pohclere aux malnS du Front populaire» _ sa!ltes

d, '11 d sOIent-elles, non sans, al eurs, énoncer le mythe d'une les études

1?ternati~nale blanche fasciste répondant à ~?~~~~'I;lx l 1nternatlOnale communiste - et Roger Men- ~~lj,We~lre nevée qui affirmait, en 1946, que la création du Paris, Plon, C ., d'" 1 1962)etde omtte secret actlOn revo utionnaire avait été Ph. Bourdrel

. ., 1'1 Il' S' 1 . (la Cagoule, « lnSplree par nte Igence ervlce par 'lnter- Paris,Albin-

médiaire de M. Flandin» il y a place pour Michd,1970) , ne sont pas

toutes les hypothèses, s'agissant d'un ensemble d~s t~a.vaux d, " . d Il defimhfs. orgamsatlons qUl,« es rue es du Faubourg On recourra

b '11' 1" '. encore av'ec au ouges marsel aiS, a Ignalent une lnvralsem- profit à blable série d'échantillons humains» Joseph

C · '. . Désert et e petit monde natlonahste avait ainsi créé à Fernand

t t F d 1 l'b ' . 1 Fontenay. ouver emen un ront e alerte qUl, se on M. y. Sicard, allait « de l'Action française aux radicaux-nationaux (Milliès-Lacroix et André Grisoni), en passant par la Fédération républi-caine, le Parti agraire (Paul Antier) et le Parti républicain national et social. Le Parti popu-laire français avait, en outre, passé un accord à des fins uniquement anticommunistes avec '« la Spirale» du commandant Loustaunau~Lacau (alias Navarre), futur fondateur du réseau de résistance «Alliance », qui dépendra directe-ment des services de renseignement britan-niques. Avec Navarre, se trouvaient, à la Spi- Benjamin

raIe, Claude Farrère, de l'Académie française, ~:~d f~uS René Benjamin, de l'Académie Goncourt, le cha~tre

, , 1 L' D 1 '11 1 "1 offiCIel, ,et genera aVlgne- e VI e, e genera Brécard souvent , l' . 1 J b ' ridicule, du amlta ou ert, etc. » maréchal

Comme le C.S.A.R. d'Eugène Deloncle regar- Pétain.

dait souvent du côté de la Rome mussolinienne, la Spirale de Loustaunau-Lacau, fondée en 19.3 7 et succédant aux réseaux anticommunistes baptisés Corvignolles, louchait vers le fran-

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quisme (une de ses annexes s'appelait d'ailleurs Union militaire française, tout comme l'Uni6n militar en Espagne). Ses dirigeants se méfiaient cependant de l'aventurisme romantique d'un Deloncle et ne se laissèrent pas entraîner dans des règlements de comptes criminels. Mais quelles qu'aient pu être les sympathies ou les actes des différents groupes anticommu­nistes, dont l'inspiration fut quelquefois même ouvertement fasciste, on aurait tort de recher­cher dans leur origine des motivations intel­lectuelles complexes ou simplement des pré­occupations philosophiques comparables à celles d'un Coutrot. Entre Deloncle et Loustaunau­Lacau, il existe, peut-être, des nuances tenant au choix des moyens; ni l'un ni l'autre, cepen­dant, n'est remarquable sur le plan de la pen­sée. L'unique doctrine est l'anticommunisme, et le « pense clair et marche droit» des Came­lots du Roi. Nul doute m~me que les enthou­siasmes d'un Coutrot, d'un Bardet et d'un Guillaume devant le Front populaire n'aient été suspects à leurs yeux. Dès lors, peut-on penser que ces groupes natio­nalistes aient été « manipulés » par une synar­chie? Qu'ils aient pu servir de provocateurs n'est pas douteux. Mais qui peut prétendre avoir « manipulé» un Deloncle? La suite de l'Histoire n' a-t-elle pas montré que de tels hommes, précisément, n'en faisaient jamais qu'à leur tête? Contre leurs amis de la veille, et contre leur propre sécurité le cas échéant ... Il est plus que probable, en effet (mais la preuve pourra-t-elle jamais en être donn~e ?), que l'assassinat de Navachine et celUi des frères Rosselli ont trouvé leur origine, d'une

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part, dans un anticommunisme sommaire, d'autre part, dans le désir de complaire à Mus­solini, et qu'aucune synarchie n'y fut pour quoi que ce soit. Dans ces conditions, si l'on veut appeler « synarchie» certaines formes de « technocratie humaniste» à mi-chemin entre le néo-socialisme à la de Man et le néo-capitalisme à la Coutrot, on doit renoncer à user de ce terme, s'agissant de certaines manifestations d'extrême droite et, inversement, étant entendu au surplus que ni l'un ni l'autre de ces courants de pensée n'a d'affinités avec Saint-Yves d'Alveydre et ses discioles immédiats ou lointains. La ~ême dialectique, si l'on peut dire, se retrouve dès qu'on étudie la question ducarac­tère supposé synarchique du régime instauré par Pétain. Sur le plan politique, on retrouve la même diversité, voire la même incohérence qu'en matière économique. Il faut dire pourtant que certaines des tendances de l'Ordre nouveau étaient, au moins initialement, très influencées par la pensée maurrassienne, ainsi qu'en témoigne l'historien de l'Action française, Eugen Weber: « Bien que le national-socialisme ou son équivalent prévalût à Paris, Pierre Do­minique a déclaré que «ce qui dominait à Vichy, c'était le nationalisme, un nationalisme de droite dont Maurras était l'expression ». Les observateurs les plus avertis l'ont confirmé: Vallat, Fabre-Luce, Loustaunau-Lacau, Maurice Martin du Gard et Robert Aron ont tous été frappés par la prépondérance du nationalisme intégral dans l'entourage du Maréchal. Le général Bernard de Sérigny trouva son vieil ami entouré de personnalités qu'il considérait

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comme étant des militants de l'Action française - Henri Du Moulin de la Barthète, Raphaël Alibert, Paul Baudouin, le général Brécard _. dont aucun n'avait jamais appartenu à l'Action française, stricto sensu, si ce n'est Du Moulin qui avait été un étudiant d'Action française, et aussi Yves Bouthillier, qui fut ministre des

Eugen Finances de 1940 à 1942. » Weber: C tt d ., V' h l'Action e e convergence e maurrasslens a IC y

fra(r;,t;:::is~ explique d'ailleurs, et beaucoup mieux que le Stock, 1962). «complot synarchiste », de nombreux carac­

tères de la Révolution nationale placée sous le signe de l'anticommunisme, de l'antidémocra­tisme et d'une sorte de centralisation monar­chique du pouvoir. En fait, ce régime prétendait aussi combattre le capitalisme; dans son message du 12 juillet 1940, Pétain affirmait déjà: «Le travail des Français est la ressource suprême de la Patrie. Il doit être sacré. Le capitalisme international et le socialisme international qui l'ont exploité et dégradé font également partie de l'avant­guerre. Ils ont été d'autant plus funestes que, s'opposant l'un à l'autre en apparence, ils se ménageaient l'un l'autre en secret. Nous ne souffrirons plus leur ténébreuse alliance. Nous supprimerons les dissensions dans la cité. Nous ne les admettrons pas à l'intérieur des usines et des fermes. » On reconnaît là un des thèmes favoris de tous les courants de la droite, sans exception, maurrassienne, mais aussi franquiste, mussolinienne ou hitlérienne. Dès lors, il nous paraît très imprudent de n'ex­pliquer l'action de Vichy que par une conjura­tion d'un millier d'hommes. De l'aveu même d'un de ses très. rigoureux théoriciens, l'ex-

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amiral Auphan, « Vichy a représenté essentielle­ment un sursaut des forces traditionnelles contre les forces révolutionnaires» et « la lutte contre Vichy, objectif numéro un de la Résis­tance, fut quelque chose d'essentiellement marxiste ». Amiral

Pour beaucoup, en effet Vichy revanche sur Auphan:

1936 f' .' , ' Mensonges

- OU «6 evner 34 reussi »- était et vérité.

f d t 1 1 d h' Essai sur

on amen a ement a gran e revanc e sur 1789. la France

Le même Auphan le déclare sans ambages: ir~r~'o~es « Au bout de cent cinquante ans de lente intoxi- Editions'

t · l'd' 1" d d' . Self, 1949). ca Ion par es l ees alques u emocratIsme, au moment où la France paraissait à tout jamais hors d'état de réagir, le régime de Vichy, spon-tanément surgi, a été une réaction salutaire antirévolutionnaire, qui a failli réussir. » ' En fait, si la «spontanéité» visée par Auphan est très d~scutable, il est bien certain qu'une large fraction de la bourgeoisie a recherché ainsi en 1940 un autoritarisme contre-révolution-naire qui n'avait rien à voir avec les rêves de perfection sociale d'un Saint-Yves ou avec l'humanisme d'un Coutrot. L'organisation du nouvel Etat n'avait d'ailleurs rien d'une «pyramide synarchique », comme l'ont écrit Ulmann et Azeau : la centralisation de tous les pouvoirs entre les mains du Maré­chal - que ces pouvoirs soient analysés de façon classique, comme législatif, exécutif et judiciaire, ou à la manière synarchiste, comme économique, politique et intellectuel - créait d'ailleurs une situation totalitaire qui était le contraire du fonctionnement autonome de ces pouvoirs envisagé par Saint-Yves. De la même manière, on ne peut retenir comme synarchiste la suppression de toutes les formes de suffrage

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populaire, puisque, au contraire, le système alveydrien leur fait une large place: votes directs et indirects, référendum, réunion d'états régionaux et généraux. En réalité, on pourrait ainsi reprendre l'un après l'autre tous les carac­tères propres du régime de Vichy et on consta­terait qu'aucun ne correspond à ceux de la synarchie. Mais il n'est pas moins certain que, sous le couvert des institutions, différents groupes financiers comme le «groupe de la banque Worms» ne cessèrent de s'affronter pour impo­ser leur politique. Une fois encore, pourtant, si l'on retient le mot de synarchie pour désigner ces hommes, on doit remarquer que la preuve n'a pas été faite qu'ils aient formé une organisation et qu'ils aient tra­mé un complot au sens précis du terme. De la même manière, il est alors nécessaire de les distinguer intellectuellement des «lavalistes» et des collaborateurs ouvertement ralliés au national-socialisme. Le seul point commun entre ces deux tendances étant que chacune reprenait un terme d'une même alternative: la survie du capitalisme. Un dernier point doit être souligné, s'agissant de Vichy; il démontre qu'il serait vain de s'en tenir à l'hypothèse synarchiste : c'est que tout, dans ce régime, reflète, par-delà les déclarations mystificatrices relatives à l'union nationale, la primauté du politique sur toute autre considéra­tion ; primauté incontestable qui fait écho au « politique d'abord» de Maurras et qui a intro­duit des clivages graves dans toutes les ten­dances politiques de l'époque: des socialistes, assez nombreux d'ailleurs, se sont ralliés à la

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Révolution nationale; d'anciens « cagou­lards» sont allés à la Résistance. De telle ma­nière que si l'on veut retrouver dans le person­nel politique du régime les agents de la « révo­lution invisible en ordre dispersé» préconisée par le Pacte, on le peut tout autant dans la Résistance ... Tel est bien le danger de la méthode «indi­ciaire » que l'on a toujours retenue pour déce­ler les traces de l'existence d'une synarchie et qui, à partir de vagues ressemblances théma­tiques, conclut à l'identité.

Or si, par exemple, on entreprend d'étudier les Voir « idées politiques et sociales de la Résistance », l'intéressant ouvrage qui on décèlera aisément dans de nombreux textes P?rte ce ti~l'e, 'd . , du à HenrI emanam e groupements dlfferents des thèmes Michel et

1 Boris Mirkine-communs te s que : Guetzévitch

mystique du chef, irû~~: 1954). - appel à la création d'une élite nouvelle, , - condamnation sévère du parlementarisme de la ur République, - remise en cause radicale de la société d'avant-guerre, - volonté d'une réorganisation totale de cette société, - création d'un humanisme nouveau, - nécessité d'un socialisme humain, etc. Tous thèmes que les affidés de Vichy ne man­quaient pas de développer dans le même temps. Nier certaines affinités intellectuelles serait stupide, mais combien plus encore conclure à l'identité d'inspiration. C'est pourquoi il me paraît nécessaire de dis­tinguer très nettement l'idée d'un complot orga­nique de celle d'un courant de pensée, au fur

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et à mesure que l'on se rapproche de la période actuelle. Car, bien sûr, la question brûlante est de savoir s'il existe aujourd'hui une synarchie. Lorsqu~ Roland Mousnier, résumant les vues de Phi­lippe Bauchard et de Jacques Billy, écrit que les « idées d'X-Crise en particulier sur l'écono­mie planifiée inspirèrent l'expérience Léon Blum (1936-1937), les groupes synarques de Vichy en 1942, la relance économique de. la technocratie gaulliste de 1945 avec l'équipe Chaban-Delmas, les conseillers de Mendès France en 1954 », nul doute qu'il laisse en­tendre, assez imprudemment - ou, en tout cas, que beaucoup comprennent -, que cer­tains aspects de la politique actuelle trouvent leur origine dans une néo-synarchie, celle de la «Nouvelle Société ». C'est donc poser à la fois la question de la Résistance, de la techno­cratie et du « néo-radicalisme post-gaullien ».

Que la Résistance ait entendu tracer les règles d'une nouvelle société n'est évidemment pas douteux; même un Francisque Gay, qui n'avait rien d'un révolutionnaire, en témoigne: «La Charte de la Résistance, qui, ne l'oublions pas, porte dans sa rédaction l'empreinte de Georg~s Bidault, proclamait sa volonté de promouv01r les réformes indispensables qui, sur le plan économique, étaient, en premier lieu, l'instau­ration d'une démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l'économie. C'est tout un ordre social nouveau qu'il s'agit de construire, nous disait jadis l'Appel aux hommes de notre esprit.

254

«Charles de Gaulle, sans être plus précis, n'était pas moins catégorique. Dans son dis­cours programme prononcé à Lille, le 2 octobre 1944, peu après la Libération, il définissait les grandes lignes d'une politique économique: « ... Nous voulons donc la mise en valeur en commun de tout ce que nous possédons sur cette terre; pour y réussir, il n'y a pas d'autres moyens que ceux qu'on àPpelle l'économie diri­gée [ ... ]. Au point où nous en sommes, il n'est plus possible d'admettre ces concentrations d'intérêts que l'on appelle dans l'univers les « trusts », qui ont pu correspondre à une période donnée de mise en valeur des ressources de la terre, mais qui ne correspondent plus aujourd'hui aux nécessités d'une organisation économique réformée [ ... ]. Pour cette écono­mie dirigée, pour cette mise en valeur en commun de toutes les ressources du pays, il y a des conditions à remplir dont la première est évidemment que la collectivité, c'est-à-dire l'Etat, prenne la direction des grandes sources Francisque

de richesse commune et qu'il contrôle certaines g~~:o~er~tes autres activités sans, bien entendu, exclure les d'inspiration chrétienne à grands leviers que sont, dans l'activité des l'épreuve du

h 1, 1 pouvoir ommes, initiative et e juste profit. » (Mémoire

confidentiel), p. 73 (Paris,

On retrouve dans ces textes le souci constant de fJ50)d et Gay,

faire évoluer le capitalisme «sur un plan . . supérieur»; à ce titre, on peut toujours faire une comparaison avec la démarche de type synarchique. Mais dans ces conditions, il faut considérer que le plus grand nombre des groupes d'études, de réflexions qui se sont suc-cédé en France pendant la Résistance et depuis étaient synarchistes dès l'instant où ils ont pu

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prétendre (de l'O.C.M. au club Jean Moulin, en passant par Patrie et Progrès), préparer une société nouvelle sans révolution et sans mise en cause des structures capitalistes. Ce n'est pas assez pour faire une bonne poli­tique; c'est trop pour faire un complot. Ce qui est sûr, c'est que depuis plus de vingt­cinq ans les différentes «sociétés de pensée» qui se sont manifestées, et ont parfois même défrayé la chronique, ont été, sans exception, terriblement indigentes sur le plan des idées par rapport aux groupements de la Résistance dont elles se sont d'ailleurs souvent bornées à dé­marquer les travaux. Or l'un des groupements souvent nommés comme représentatifs d'une certaine «techno­cratie de gauche» considérée comme synar-

Voir chiste, fut justement l'O.C.M. (Organisation notamment . '1 '1")" M' BI M. Blocq- C1V1 e et ml Halte , ammee par ax1me ocq-Ch~~i~a~!~ Mascart, Georges Izard, Pierre Brossolette et

. . de la Jacques Arthuys qui venait de «chez Valois » ReSistance, d l'A' f . L'O r' Mdl suivies et e ction rança1se. .\.J.., ont es

d'études pour ' d f " f' d d une nouvelle etu es urent extremement econ es, tenta e Révolution survivre à la Libération sous la forme d'une

française U . '11" Il f' (Paris, mon trava1 Iste, qU!, une nouve e OIS, c10945); évoque, de par son nom même, le seul dénomi-

C lArtthtur nateur commun à tous les hommes et à tous les

a me e: f' 1 l'O.C.~. groupements qui urent, un Jour ou 'autre, (Pans, 'd h' l 'f . P.U.F.,1961). accuses e synarc 1sme: e re orm1sme tempo-

risateur ou, pour revenir aux sources britan­niques, le fabianisme. De ce réformisme, l'instrument privilégié à paru être, au cours de cette seconde moitié du xx6 siècle, le gouvernement des techniciens, le « pouvoir directorial ». Nul doute même que, pour beaucoup, le terme de synarchie a désigné

256

et désigne enc?re la technocratie; et, après tant de conf~s10ns autour du mot, pourquoi pas? La notion de technocratie et celle de synarchie sont si confuses que leur confusion même crée entre elles une indiscutable parenté. Sans doute n'est-il pas permis de revenir ici longuement sur la technocratie, qu'on a pris coutume de décrire à partir des visions de Saint­Simon, rêvant d'un nouveau christianisme et d'un ~ouveau sacerdoce, en oubliant de signaler que SI cet auteur s'était adressé d'abord aux « i~dustriels », «pour établir l'organisation SOCiale que réclame l'état présent des lumières» il revint très vite à une autre vision des choses ~ « Je les avais stimulés, écrit-il, à être les insti- H. de Saint­gateurs et les directeurs de cette grande révolu- SI imNon: . h'l h' e ouveau tIon p 1 osop lque. De nouvelles méditations Christianisme , 'l' d d 1 Il et les écrits m ont prouve que or re ans eque es choses sur la

devraient marcher était: les artistes en tête rcehliqiodn. , Olx·e

ensuite les savants et les industriels seulement texte~ par 'd ., 1 Henn apres ces eux premIeres casses. » Desroches

La pratique technocratique depuis vingt-cinq ~aS~~il, ans, et la France en a fait l'expérience, montre 1969). en effet que l'idéologie du « management» a pour caractéristique d'être fondée sur une renonciation totale à toute considération des fins dernières de la société humaine. Le techno-crate ne souhaite pas, comme le dit une formule encore une fois empruntée à Saint-Simon, « substituer l'administration des choses au gou­vernement des hommes»; en fait, il agit en gouvernant les hommes comme s'il administrait des choses. C'est pourquoi il ne paraît pas possible de considérer les formes modernes· de la technocra-

, tie comme les héritières de la synarchie, ou des

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synarchies, que l'on entende par ce mot le sys­tème de Saint-Yves d'Alveydre, ou même les aspirations convergentes des néo-capitalistes et des néo-socialistes de l'entre-deux-guerres. Il ne semble pas davantage possible de démon­trer que la synarchie correspond à un pro­gramme ou à un régime politique précis et mis en pratique à un moment donné de l'Histoire. Des communautés d'aspirations sont assurément visibles en matière politique, comme sur le plan économique ou dans le domaine intellectuel, mais à aucun moment elles ne se sont concréti­sées dans un projet politique précis et défini. Partout, certes, on a rêvé d'une «nouvelle société»: chez les pIanistes de 1934, et de toutes obédiences, chez les partisans de la Révo­lution nationale ou du Nouvel Ordre européen, chez les résistants, plus sérieusement encore; on y rêve encore, assurément, et sans doute est-ce la moindre des choses, à chaque fois qu'une société traverse une phase critique de son évolution. Mais, à chaque fois aussi, le rêve peut avoir deux visages, irréductibles l'un à l'autre: réformisme ou révolution. Il semble bien, en définitive, que le mot de synarchie. « révolution invisible en ordre dispersé », n'ait jamais servi qu'à désigner certains courants réformistes également suspects aux yeux des révolutionnaires et à ceux des conservateurs .

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· RAPPORT CONFIDENT/EL Sur la Société secrète PolytechniCienne

dite Ir: M. S. E. ».

(Mouvemflnt Synarchique d'Empire) OU

cC.S.R •• (Conyention $ynorchique Révolutionnaire)

V

SOMMA.IRI:

- Il. - Forme dt j'offoUohon.

- lU, - R~~'$ eN "MS.f." oveç M. Jton CoutrO! el ~( :e "'.SAR." IV, - M,Io"-l dt (KtU''''''''11 fI print1pOUx membt~ du "MS ......

- V. - Action du "M.S E." tn F~t. - VI._ eo....;' .... ""'.

CHAPITRE PREMIER

GENERALITES

Document fondamental v

Une /Jersion iml'rim,sc el cllIndestine du «Rapport ClllwÎn ~).

1 ! 1 ,

Qu'est-ce, enfin, que la synarchie?

PerPlexe devant le complot synarchique dont la réalité lui échappait, Alfred Fabre-Luce se risqua à prédire qu'un jour, «peut-être, quelque historien futur, craignant de s'égarer dans cette période confuse, ressuscitera la légende des synarques pour y trouver un fil d'Ariane ». Sans doute la prédiction ne s'est-elle que trop réalisée: plus d'un a ressuscité la légende et s'en est vanté. Mais pour quel résultat? La synarchie est-elle vraiment le fil d'Ariane, l'herméneutique de l'Histoire qu'on en a fait? Il faudrait, bien sûr, que la modestephénomé-

A. Fabre­Luce: Journal de la France, p.489.

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nologie des synarchismes qu'on vient d'esquis­ser cède la place à une épistémologie; peut-être même aussi à une psychanalyse. . Pourtant, si la notion de synarchie demeure insaisissable dans sa totalité, il demeure pos­sible de faire le compte des différentes signifi­cations au confluent desquelles elle se rencontre sans jamais se réduire à l'une ou l'autre d'entre elles. On peut à cet égard retenir au moins six certitudes:

1. La synarchie est d'abord le système de Saint­Yves d'Alveydre, qui lui-même ordonne et actualise des acquis anciens; essentiellement, le rêve d'une « sophiocratie » qui fut celui ou qui a été prêté aux pythagoriciens, aux Templiers ou aux rosicruciens. Ces acquis sont, d'autre part, intégrés dans une démarche utopique qui peut, à de nombreux égards, être comparée à celle des utopistes classiques et à celle des auteurs du XIX" siècle. S'il est certain que la pensée de Saint-Yves est souvent singulière, au point de paraître parfois près de sortir du domaine de la raison, elle n'est aucunement mystérieuse, je crois l'avoir montré. 2. Il n'est pas douteux que ces idées, mêlées à celles d'autres courants occultistes, théoso­phiques, anthroposophistes, martinistes, etc., ont constitué la doctrine d'un petit groupe qui a bien existé, qui a effectivement rédigé le Pacte synarchique d'Empire et dont certains membres, qui avaient une «tête politique », ont espéré jouer un rôle. Pourtant, loin d'être à l'origine des courants de pensée économique et politique apparus après la Première Guerre

262

mondiale, ce groupe était, au contraire, « à leur remorque », un peu comme les d~rigeants de la nouvelle maçonnerie spéculative de 1717 éta~ent tributaires de la nouvelle idéologie ana­lysee par Paul Hazard dans la Crise de la c.onscience européenne. Son importance poli­tique ~ut à peu près nulle, mais les confusions commIses par ses adversaires lui ont donné une dimension quasi-mythique. 3. En tant qu'élaboration rétrospective de l'Histoire - ou, si l'on veut, «rétrodiction» - le mot de synarchie a été utilisé pour dési­gne.r. des coura~ts de pensée philosophique, polItique et economique de l'entre-deux­guerres et vaguement convergents. Les princi­paux thèmes communs qu'on peut y retrouver sont Fhuman~s~e, un certain idéalisme (pri­m,aute. ?u ,sp1t1tu~1 entendu au sens laïque), necesslte d une arIstocratie nouvelle aristocra­tie de l'esprit, etc. Sur le plan politi~ue : refus ~u pa~lementarisme ; dans certains cas, aspira­tions a un régime fort et, surtout, refus du communisme, qui est le principal dénominateur commun. Sur le plan économique: rationalisa­tion du capitalisme, au besoin par l'économie dirigée, de manière à le faire survivre. A l'évidence, toutes ces idées ressortent de la recherche d'une «troisième voie », et on les r.etrouve chez les néo-socialistes, les néo-capita­listes et les premiers «technocrates» de 1'~Roque, tous plus ou moins réformistes; il y a ? aIlleurs entre eux des parentés ou des affinités mtellectuelles tout à fait incontestables leur projet fondamental étant de récuser tout~ lutte des elasses, sans introduire de changement structurel dans la société capitaliste.

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Sur cette notion d,e rétro diction, voir le remarquable livr'e de Paul Veyne: Comment on écrit l'Histoire <Paris, Le Seuil, 19711.

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Le caractère spécifique de cette image de la « synarchie» n'est pas de constater ces analo­gies, mais de les attribuer à une inspiration commune provenant d'un centre unique, exis­tant de manière organique : un « comité direc­teur », qui est l'âme d'un complot. 4. Pendant la guerre et l'Occupation, la synar­chie sert à désigner le groupe des ministres du gouvernement Darlan, groupés autour de Pierre Pucheu, qui, se faisant plus ou moins l'écho de certaines des théories d'avant-guerre, prétend construire un « Ordre nouveau » - assez dis­tinct de la Révolution nationale dans la mesure où cette dernière est teintée de maurrassisme. Ce groupe correspond grosso modo à une pre­mière manifestation du «grand capitalisme monopoliste» moderne, efficace, technicien, désireux de régenter toute l'économie; fonciè­rement anticommuniste, bien sûr, mais sans complaisances pour les formes archaïques de l'organisation sociale. Son apolitisme prétendu est simplement l'expression de sa volonté de dominer à tout prix : les illusions d'un Pucheu croyant que, même si la gauche prenait le pou­voir, elle aurait besoin de lui, sont révélatrices de ce point de vue. 5. A la même époque, puis à la Libération, le terme de synarchie se confond avec une impu­tation de complot indéfini, mais polyvalent, dans son usage polémique, policier et judiciaire. Il est d'ailleurs vain de rechercher une signi­fication unique du terme qui peut alors s'appli­quer aux comportements politiques les plus contradictoires ... Le moindre paradoxe n'est pas qu'à trois ans de distance Marcel Déat et Pierre Hervé (alors communiste) aient pu l'utiliser

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1

pour polémiquer contre les mêmes personnages ou pour les accabler. 6. Dans la période contemporaine, la notion de synarchie, dégagée à la fois de ces acceptions contingentes liées aux événements de l'Occupa­tion et des implications occultistes, en est venue à désigner assez vaguement les formes nouvelles de la technocratie éprise de «management », désireuse de rationaliser le système capitaliste.

Dans cet usage, le mot de synarchie, qui n'évoque plus un « complot» au sens précis du terme, paraît devoir être utilisé longtemps encore, ainsi qu'en témoignent les récentes ré­flexions d'un journaliste s'interrogeant sur le rôle des techniciens dans la société contempo­raine. « Pour les députés de la majorité comme pour ceux de l'opposition, la réponse ne fait pas de doute: 90 % sont d'avis que «les affaires du pays sont de plus en plus souvent réglées par les technocrates». Le succès du thème de la « technostructure », défini par J. K. Galbraith et popularisé en France par M. Edgar Faure, va bien dans le même sens. La classe politique se sent dépossédée par les «jeunes messieurs» bardés de diplômes, regorgeant de compétence et d'assurance, impatients de se

,1 réserver toutes les responsabilités. ,f Cette crainte des élus, parfois cette impatience il des ministres éveillent une résonance chez les ~ électeurs. Le mythe cabalistique d'une puis-~ SI ance . ~o~terrai.ne ré~n~nt claln.destRinebment

L sur

'1. a societe a toujours ete pogu aire. 0 ert ane l" a souligné, dans son livre Political Ideology) sa ,~ vivacité aux Etats-Unis. En France, où plane !~' encore le fantôme de la «synarchie », il se

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greffe S1.J.r le sentiment de dépendance et de vulnérabilité à l'égard de l'Etat. Le guichet symbolise la lenteur et l'anonymat, le techno­crate incarne l'omnipotence inaccessible et loin­taine.

Alain Tels sont les principaux « niveaux de significa-Duhamel:· d h' "1 . d «les tion» u terme synarc le, qu 1 lmporte e

Techniques mettre en lumière nouvelles . d'~i~~ à la On remarquera que chacun peut être intégré deClSlon», d d . l' . d'ff'

in le Monde, ans es perspectlves po ltlques . 1 erentes, 19l1~~il~ voire totalement hétérogènes, avec une égale

force de « démonstration », si bien qu'on peut dire que synarchisme et antisynarchisme appa­raissent toujours comme de véritables « photo­montages»: comme Saint-Yves d'Alveydre avait récrit l'Histoire, Mennevée l'interprète pour la gauche, Virion, pour la droite, en utili­sant les mêmes preuves. Cette écriture établit, au gré du récitant, des connexions entre telle ou telle des images de la synarchie qu'on a énumé­rées, parfois entre toutes; elle est un véritable récit, à partir d'éléments réels d'ailleurs, qu'elle ajuste à sa perspective narrative qui comporte une progression thématique et une intégrfltion épique. C'est une « rétrodiction » de l'Histoire, d'ampleur et de finalité variables, tendant à mettre en lumière l'action déterminante d'un petit groupe d'hommes échappant aux contin­gences ordinaires (capitalistes, techniciens, « initiés », sages, etc.).

La synarchie, et c'est une des raisons de son caractère insaisissable, est en effet une repré­sentation mentale de la politique, qui trouve son origine dans l'intégration de toute une série de modèles a-historiques prétendant

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1 ~ '1. ;~

expliquer l'Histoire. Mais il faut souligner que cette intégration a elle-même un pôle positif et un pôle négatif. Ce dernier se retrouve à l'état presque pur dans le «modèle barruelien» d'explication de la Révolution française par l'action unique de la franc-maçonnerie, comme dans l'explication de l'Histoire par les Protocols des Sages de Sion. On le trouve également à l'usage de la gauche dans le thème du complot clérical ou ultra­réactionnaire. Le pôle positif de cette intégration lui répond trait pour trait: Sages de l'Agartha, « Société de la Tour », de Wilhelm Meister, jardiniers d'Elzbethstein chez Meyrink, « groupe de Dra­meille », chez Raymond Abellio; il s'agit, chaque fois, d'initiés et de sages supérieurs aux hommes ordinaires.

Ce qu'il faut souligner, c'est que tous ces thèmes récurrents, relatifs, en définitive, à l'ac­tion supposée bénéfique ou maléfique de « Supérieurs inconnus », se sont tous retrouvés sans exception dans l'un ou l'autre aspect de la synarchie ou de l'antisynarchie. C'est par là que ces dernières sont indissociables et unies dans les phases dialectiques d'un même récit. C'est pourquoi on peut dire que la synar­chie est une représentation mentale fondée sur l'intégration des modèles antérieurs et qu'elle constitue un «invariant », quelles que soient les finalités politiques de ceux qui la dénoncent... Rouge ou blanche, elle est un centre de décision unique, et il faut bien qu'elle existe pour donner un sens aux incohérences de l'Histoire.

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Sans doute, convient-il de ne pas nier la réalité de certains des faits politiques ou idéologiques par ailleurs taxés de synarchisme. Le réfor­misme, prônant le «socialisme sage» déjà stigmatisé par Sorel, a bien existé - existe bien encore -, et il serait grave d'en mécon­naître l'existence; il demeure toutefois qu'on ne peut l'expliquer par l'action de la synarchie. Tel est bien, en effet, le vice fondamental de toute représentation synarchiste (ou antisynar­chiste, c'est tout un) de l'Histoire: prétendre introduire une explication unique des « ressorts secrets» par le biais d'une unité artificielle, trancher le nœud gordien des causalités enche­vêtrées pour mettre en lumière un agent moteur nécessaire et suffisant. Excès de l'esprit de système ? Délire interpré­tatif? Souvent l'un et souvent l'autre, assuré­ment. Mythe? Certainement pas, si l'on se réfère à la conception sorélienne de 1'« image d'un avenir fictif (et même le plus souvent irréa­lisable) qui exprime les sentiments d'une collec­tivité et sert à entraîner l'action ». Mystifica­tion? Assurément, si l'on considère que l'his­toire humaine ne dépend pas de quelques hommes, si haute soit l'idée qu'ils se font d'eux­mêmes ou qu'on s'en fait, mais d'une lutte dans laquelle le dernier des opprimés - Spar­tacus - peut peser d'un poids décisif. Sans doute, discerne-t-on encore derrière l'arti­fice que constitue le concept de synarchie chez ses adversaires comme chez ses partisans, la nostalgie d'un gouvernement des Sages et celle d'une société d'ordre - d'une nouvelle société rationnelle. Sans doute, pourrait-on enfin déterminer que

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cette étrange construction mentale procède du désir de la raison de mettre à tout prix en ordre sa perception d'une situation politique caracté­risée par une telle dilution des pouvoirs qu'elle ne parvient pas à découvrir, dans le désordre des choses, leur raison d'être. Mais peut-être, après tout, n'est-il pas besoin de chercher très loin la cause du prestige qui s'attache à l'idée, au mot de synarchie. Peut­être suffit-il de rappeler combien les hommes aiment à transformer leur histoire en spectacle, parfois même en beaux contes, pathétiques et passionnants, peuplés de traîtres et de sur­hommes, et non point d'hommes ordinaires doutant d'eux-mêmes, pitoyables enfin, à force de ne jamais savoir comment finit l'Histoire qu'ils écrivent quotidiennement et sans la comprendre. Qu'importent alors les invraisem­blances du récit, quand il permet le rêve?

Nul doute, à cet égard, que l'histoire de la synarchie méritait d'être contée ...

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ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE

Il n'existe aucune bibliographie tant soit peu méthodique de la question; aussi a-t-il paru opportun d'en mettre une à la disposition du lecteur, et qui concerne aussi bien les aspects occultistes que les aspects politiques. Pour des raisons pratiques, on n'a retenu ici que des ouvrages en langue française mentionnant explicitement la synarchie. Pour être complet, il faudrait ajouter: 1) les notes, rapports, mémoires plus .ou moins c0.n~dentiels qui ont circulé dans les milieux de la Collaboration et de la Resistance; 2) les très nombreux articles de journaux et de revues; 3) les ouvrages des auteurs soupçonnés de «synarchisme ». Pou~ ~es derniers, le lecteur pourra se reporter aux notes du texte. Une blbho­graphie critique ainsi conçue prend un.e. dimepsion ~ml?on:a~t~, aussi n'était-il pas possible de la donner ICI. Meme amsl hmJtee aux références explicites à la synarchie, cette bibliographie suppose des choix: les ouvrages cités ont été choisis en fonction de l'intérêt du témoignage et de la perspeétive personnelle de l'auteur. mais on ne s'étonnera pas de ce que la plupart comportent surtout des aveux d'ignorance.

Œuvres de Saint-Yves d'Alveydre

La bibliographie de Saint-Yves comporte une trentaine de titres, d'importance fort inégale en raison des nombreuses redites. On retiendra principalement:

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Mission actuelle des Souverains par l'un d'eux. Paris, 1882 (Dentu); 1884 (Calmann-Lévy); 1948 (Nord-Sud). Cette dernière édition comporte une intéressante introduction, non signée, due à M.C. Mission actuelle des ouvriers. Paris, 1882 (Dentu); 1884 (Calmann-Lévy). Mission des Juifs. Paris, 1884 (Calmann­Lévy); 1928 (Dorbon); 1956 (Niclaus); 1971 (Éditions traditionnelles). Avec une bibliographie d'ensemble de Saint-Yves. Mission de l'Inde en Europe. Mission de l'Europe en Asie. La question du Mahatma et sa solution. 1886 (édition non publiée); Paris, 1910 '(la Librairie hermétique); 1949 (Dorbon). La France vraie (Mission des Français). Paris, 1887 (Calmann-Lévy). L'Archéomètre. Clefs de toutes les religiOns et de toutes les sciences de l'Antiquité. Réforme synthétique de tous les arts contemporains. Paris, 1911; 1934 (Dorbon).

.~ t t

Ouvrages relatifs à la synarchie dans l'occultisme

AMBELAIN Robert

BARBIER Emmanuel

BARLET F.-Ch.

CAILLET Albert

CELLIER Léon CHACORNAC Paul ENCAUSSE Philippe

GILLES René GUÉNON René

JOLLIVET -CASTELOT LE FORESTIER René

LE LEU Louis MA RIEL Pierre

MERCIER Alain

MICHELET Victor­Émile PAPUS

PEYREFITTE Roger PIGNATEL Fernand ROCA (abbé)

SAUNIER Jean

SYNARQUE S.P.M. VAUTIER Claire

VIRION Pierre

VULLIAUD Paul

WEISS Jacques WIRTH Oswald ZAMBHOTIVA

Le Martinisme. Histoire et doctrine. Paris, 1946. Les Infiltrations maçonniques dans l'Église. Lille-Paris, 1910. Sai[lt-Yvesd'Alveydre. Paris, 1910. L'Evolution sociale. Paris, 1910. Manuel bibliographique des sciences psychiques et occultes. Paris, 1913. Fabred'Olivet. Paris, 1953. La Vie simple de René Guénon. Paris, 1958. Sciences occultes ou vingt-cinq années d'occul­tisme occidental. Papus, sa vie, son œuvre. Paris. 1949. Les Templiers sont-ils coupables? Paris, 1957. Le Théosophisme, histoire d'une pseudo­religion. Paris, 1921. Le Roi du monde. Paris, 1927. La Grande Triade. Paris, 1946. Le Destin ou les Fils d'Hermès. Paris, 1920. La Franc-Maçonnerie occultiste et templière. Paris, 1970. L'Organisation sociale. Paris, 1931. L'Europe païenne au xx' siècle. Paris­Genève, 1964. La Franc-Maçonnerie en France. Paris, 1969. Les Sources ésotériques et occultes de la poésie symboliste (1870-1914). Paris, 1969. Les Compagnons de la Hiérophanie. Paris. s.d. Anarchie, indolerlce et synarchie. Paris, 1894. Les Disciples de la science occulte: Fabre d'Olivet et Saint-Yves d'Alveydre. Paris, 1888. Les Fils de la lumière (roman). Paris, 1961. Batailles maçonniques. Paris, s.d. Glorieux centenaire, 1889. Nouveaux cieux, nouvelle terre. Paris, 1889. Introduction aux recherches sur Saint-Yves d'A lveydre (inédit). (Le) Schéma de l'archétype social. Paris, s.d. M. le Marquis. Histoire d'un prophète. Paris, 1886. Mystère d'iniquité. Saint-Cénéré, s.d. Bientt5t un gouvernement mondial. Saint­Cénéré, s.d. Manuscrit inédit détenu par la bibliothèque de l'Alliance israélite universelle. La Synarchie. Paris, 1955. Stanislas de Guaita. Paris, 1935. Asia mysteriosa. Paris, 1929.

Études politiques et historiques

ABELLIO Raymond

ARON Robert

Vers un nouveau prophétisme. Paris, 1950. Heureux les pacifiques. Paris, 1950. Histoire de Vichy. Paris, 1954.

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Page 135: [Jean Saunier] La Synarchie(Bookos.org)

AUJOL Jean-Louis AZEAUHenri BAUCHARD Philippe BEAU DE LOMÉNIE Emmanuel BILLY Jacques BOU RD REL Philippe BOUTHILLIER Yves CHARNAY Geoffroy de

CHASTENET Jacques COSTON Henri

COTEREAU Jean

DÉSERT Joseph

DUMAS Charles EHRMANN Henry W. FABRE-LUCE Alfred

FERBAER Louis-Marie FERTAL Roger

GALTIER-BOISSIÈRE Jean

GILLOUIN René GUILLIEN R. HERVÉ Pierre MALLET Alfred MENNEVÉE Roger

MEYNAUDJean MONOD Flavien MOULIN DE LA BARTHETE Henri du MOUSNIER Roland

NICOLLE Pierre

SAINT-PAULIEN SCHMITT (Général)

SHIRER William

SOUPAULT Robert TOURNOUX J.-R. VALOIS Georges VARENNES Claude VOYENNE Bernard ULMANN André et

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Le procès Benoist-Méchin. Paris, 1948. Synarchie et pouvoir. Paris, 1968. Les Technocrates et le pouvoir. Paris, 1966. La Mort de la troisième République. Paris, 1951. Les Techniciens et le pouvoir. Paris, 1960. La Cagoule. Paris, 1970. Le Drame de Vichy. Paris, 1950. Synarchie. Panorama de vingt-cinq années d'activités occultes. Paris, 1946. Histoire de la [JI< République. Paris, 1957. Les Financiers qui mènent le monde. Paris, 1955. Partis, journaux et hommes politiques. Paris, 1960. Les technocrates et la synarchie. Paris, 1962. Le Complot clérical. Jésuites. Synarchie. M.R.P. Paris, 1947. Toute la vérité sur l'affaire de la Cagoule. Paris, 1946. La France trahie et livrée. Paris, 1944. La Politique de patronat français. Paris, 1959. Journal de la France. Genève, 1946. Événements survenus en France de 1933 à 1945. Paris. 1947-1954. La Technocratie et les libertés. Paris, 1966. Le Manifeste de la contre-révolution française. 1958.

Histoire de la guerre. Paris; et le.>" Cra: pouillot », passim. ' J'étais l'ami du maréchal Pétain. Paris, 1966. Les Trusts contre la patrie. La Libération trahie. Paris, 1945. Pierre Laval. Paris, 1954. Très nombreux articles in " Les documents politiques diplomatiques et financiers». A noter: numéro spécial de juin 1946, réédité en mai 1962. La Technocratie. Mythe ou réalité? Paris, 1964. Le Pouvoir bourgeois. Paris, 1970.

Le Temps des illusions. Genève, 1946. Les Hiérarchies sociales, de 1450 à nos jours. Paris, 1969. Cinquante mois d'armistice. Paris, 1947. Procès Pétain. Compte rendu sténogra­phique. Paris, 1945. Histoire de la collaboration. Paris, 1964. Toute la vérité sur le procès Pucheu. Paris, 1963. La OIute de la troisième république. Paris, 1970. A lexis Carrel. Paris, 1951. L"Histoiresecrète. Paris, 1962. La France trahie par les trusts. Paris, 1944. Le Destin de Marcel Déat. Paris, 1948. Mais où sont les révolutionnaires? Paris, 1946.

LE PROCES BENOIST -MECHIN Extraits

Ce procès, qui commença le 29 mai 1947, sous la présidence de Louis Noguères, est particulièrement révélateur de la gêne des membres de la Haute Cour de Justice devant la synarchie. Cette ,dernière tut évoquée deux fois dès la première audience, ainsi que le retrace le compte rendu sténographique des audiences de la Haute Cour. (Le Procès Benoist­Méchin, édité par Jean-Louis Aujol (Paris, Albin­Michel, 1948).

« M. le président. - Nous irons vraisemblablement aussi vite sur la question de la synarchie. Vous êtes indiqué comme ayant été un synarque éminent. Vous avez vu, dans le dossier, le document tout entier relatif à la synarchie et vous avez vu que vous y figurez en bonne place. Voulez-vous vous expliquer? Savez-vous ce que c'est? Avez-vous connu la synar­chie ou des synarques et, personnellement, avez-vous appartenu à la synarchie? «M. Benoist-Méchin. - Je ne sais pas ce que c'est que la synarchie. Je n'ai jamais fait partie de la synarchie. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui fît partie de la synarchie. Je n'ai jamais été prié d'adhé­rer à la synarchie. Je n'ai jamais su, concernant la synarchie, quoi que cc soit d'autre que ce que vous savez vous-même par les journaux. « Me Marcel Héraud. - C'est-à-dire rien du tout. «M. le président. - Ne dites pas cela, Me Marcel Héraud, car dans un grand nombre d'affaires nous avons eu à nous occuper de synarchie et je dois dire que jusqu'ici nous n'avons pas trouvé, devant nous, un synarque ou, en tout cas, nous n'avons pas trouvé devant nous un accusé qui dise: «Je suis un synar­que.~

«Me Marcel Héraud. - Et même qui dise ce que c'est que la synarchie. «M. le Président. - Vous l'avez vu au dossier

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comme moi; je vous fais grâce de tout le mémoire; mais, en tout cas, il est peut-être intéressant de noter que, dans ce dossier, il y a quelque chose qui ne se trouve pas ailleurs, c'est l'opération qui a été­faite contre le Dr Martin; le Dr Martin a été arrêté avec toute une équipe qui travaillait contre la synar­chiè ; il a fallu que Pétain intervienne lui-même pour demander des explications; il a fallu surtout que l'équipe, qui avait été arrêtée avec le Dr Martin -parce qu'on faisait la chasse aux synarques - mette à mal les barreaux de la prison où on l'avait enfer­mée pour que l'opinion - au moins gouvermentale - s'en inquiétât. « Nous avons ainsi, dans ce dossier, quelque chose de plus que dans les autres, mais comme ce n'est pas un fait personnel de l'accusé, je ne veux que le signa­ler après lui avoir posé la question : «Oui ou non saviez-vous ce qu'était la synarchie. et oui ou non étiez-vous un synarque?»

«M. Benoist-Méchin. - Il m'est impossible de vous donner d'autres renseignements sur la synarchie; je puis vous raconter simplement une toute petite anecdote, elle vous amusera· peut-être et, comme ces débats ne vont pas être amusants, il faut saisir la balle au bond : « Il y avait autrefois - comme dans les contes -un monsieur qui s'appelait Coutrot ; je ne l'ai jamais connu. M. Coutrot avait un livre d'or et, dans ce livre d'or, il inscrivait des noms; cela s'appelait le «Livre d'or de la synarchie ». Lorsque le gouver­nement Darlan s'est constitué, le présidenJ: Laval a eu l'impression que le gouvernement Darlan était un obstacle à son retour immédiat au pouvoir. Alors je crois qu'il a voulu jouer un tour au gouvernement Darlan; il a voulu lui accrocher une banderille de couleurs voyantes, et il a fait circuler le Livre d'or qui lui avait été apporté, m'a-t-on dit - car je n'en suis pas certain -, par M. Eugène Deloncle. Alors, tout d'un coup, on a crié partout que le gouverne­ment Darlan, c'était le gouvernement de la synar­chie. Je vous prie simplement de remarquer qui a lancé le bruit: c'est M. Marcel Déat, dans l'Œuvre. «M. le Président. - Et Jean Renaud. de la Solida­rité française?

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«M. Benoist-Méchin. - Je ne connais pas M. Jean Renaud. En tout cas, je crois qu'un synarque, cela signifie quelqu'un qui est cousu d'or, qui brasse des milliards, quelqu'un qui est associé à la plus puis­sante des finances internationales, quelqu'un - lâ­chons le grand mot - qui a partie liée avec les «trusts ». Ce n'est pas mon cas; je crois que la suite de ces débats vous permettra de vous faire exactement une idée de mes moyens d'existence. Je suis un homme qui vit de sa plume; je ne dispose d'aucun appui financier èxtérieur à celui que m'ap­porte mon propre travail. «M. le Président. - Eh bien, comme vous n'étiez pas - indiquez-vous - un synarque doré, peut-être figuriez-vous sur le Livre d'or de la synarchie, mais vous n'étiez pas, vous, doré pour cela.

RAPPORT CHAVIN (1941) Extraits

A plusieurs reprises, j'ai cité d'importants extraits de ce texte et exposé pour quelles raisons il cons­titue un document très caractéristique de la littéra­ture semi-clandestine qui circula sous l'occupation. .l'ai retenu ici, à titre d'exemple, les passages rela· tifs à Jean Goutrot: d'une part. pour éviter des redites inutiles, dautre part, pour montrer au lecteur par quel processus peut s'élaborer, à partir de faits authentiques, un «récit mythique» assez étonnant. Je précise que la liste des noms cités dans ce docu­ment a souvent été considérablement «enrichie» dans d'autres écrits de cette époque et, faut-il le dire? qlle ie ne la reproduis qu'à titre de document, sans la reprendre à mon compte.

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rRAPPoRTs DU M.S.E. AVEC M. JEAN COUTROT ET AVE(l ~E C.S.A.R. (Chapitre lI/) J

Jean Coutrot fut un des dirigeants du M.S.E.

M. Jean Coutrot fut certainement un membre et un membre dirigeant du M.S.E. Notre affirmation repose sur trois faits : 1) L'exemplaire du document fondamental de cette secte parvenu entre nos mains émanait d'un fami­lier de M. Jean Coutrot. 2) La lecture attentive de ce document permet d'y retrouver à chaque page la terminologie si spéciale de M. Jean Coutrot, ainsi que les formes verbales qui particularisent ses écrits de façon si caractéris­tique. De toute évidence, M. Jean Coutrot a collaboré à la rédaction du document (s'il ne l'a pas rédigé lui-même en entier). 3) Trois semaines environ après le décès de M. Jean Coutrot, le journal hebdomadaire l'Appel, du 5 juin 1941, a publié l'entrefilet suivant: « Une mort subite et mystérieuse: Il y a quelques « jours est mort subitement à Paris, 51, rue Ray­« nouard, un certain Jean Coutrot. Ce Jean Coutrot « avait joué un rôle important dans la néfaste poli­« tique des Pierre Cot, Guy Lachambre et autres « saboteurs de notre aviation. Oui, ce Jean Coutrot « avait beaucoup «trafiqué» dans l'aviation. N'ap­« partenait-il pas à la plus secrète et à la plus « nocive des loges maçonniques, la «Synarchie» 1 « Cela expliquerait peut-être sa mort mystérieuse. » Le rédacteur de cette note, visiblement, ne disposait que de renseignements médiocres et même partiel­lement inexacts. Toutes corrections faites d'évi· dentes inexactitudes, M. J. Coutrot y est bien affirmé membre du Mouvement synarchique d'Empire.

M. Jean Coutrot membre du C.S.A.R.

Dans les milieux polytechniciens du ministère des Finances et de l'Economie nationale, M. J.ean Cou­trot passait pour « cagoulard» ; le fait nous fut sou­vent confir~é en 1937 et 1938 (confirmé par 1.1., le 9 juin 1941, au cours d'un déjeuner). Depms environ une dizaine d'années, M. Jean Cou­trot manifestait une activité extraordinaire. Cette activité, par certains de ses aspects, était nettement

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insolite; elle prit fin, en mai 1941, par son décès survenu dans des conditions mystérieuses. Cette activité peut être analysée de la façon sui­vante, en distinguant successivement: - les groupements fondés par M. Coutrot, - le sabotage du ministère de l'Economie nationale en 1936-1937,

la tendance idéologique générale, les voyages de M. Coutrot, la mort de M. Coutrot.

Les groupements fondés par M. Jean Coutrot

1) Le groupe «X-Crise», fondé vers 1932, se pro­posant l'étude de la crise mondiale qui sévissait alors, dans ses causes et dans ses remèdes. Son secrétaire était M. Bardet. 2) Centre polytechnicien d'études économiques (C.P.E.E.), qui résulte de la transformation du groupe précédent, effectuée vers 1934. Siège: 12, rue de Poitiers, Paris-7e•

3) Comité national de l'Organisation française (C.N.O.F.), association sans but lucratif, fondée vers 1934. Siège: 11 bis, rue d'Aguess~au, puis transféré 57, rue de Babylone. 4) Ecole d'Organisation scientifique du travail (O.S.T.), fondée vers 1934. Directeur: M. Maurice Ponthière. Siège: 57, rue de Babylone. 5) Centre d'Organisation scientifique du travail (C.O.S.T.), créé par décret du 25 novembre 1936 (J.O. du 27), signé de MM. Blum et Spinasse. Siège au ministere de l'Economie nationale, 1, rond-point des Champs-Elysées. Comprend un bureau technique permanent dont la présidence était assurée par M. Coutrot. 6) Centre d'Etudes des problèmes humains (C.E.P.H.), fondé en 1936. Siège: 9, rue Lincoln, Paris-8e•

Comité exécutif: MM. Henri Focillon, Coutrot, Dr Alexis Carrel, Aldous Huxley, Georges Guillaume. Membres conseillers, notamment: MM. Jacques Branger, René Guillouin, Dr Martigny, Jean Milhaud, Alfred Sauvy, Jean lTIhno, etc. Secrétaire adminis­tratif : Paul Rivoire. 7) Journées de l'abbaye de Pontigny. Réunions orga­nisées à l'abbaye de Pontigny chaque année depuis 1936, une, deux ou trois fois par an durant, chaque fois, trois ou quatre jours.

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8) Institut de psychologie appliquée (l.P.A.), fondé en 1938. Membres conseillers, notamment: MM. le Dr André Artus, Gérard Bardet, Coutrot, Henri Focillon, Georges Guillaume, Dr Held, M. Hijmans, Pierre Lévy, Paul Planus, etc. 9) Groupements non conformistes, fondés en 1939 (pendant la guerre). Déjeuner hebdomadaire au res­taurant Alexandre, 18, rue des Cannettes, Paris-6e •

Principaux membres: Mme Forbin, MM. Braibant, Jacques Branger, Coutrot, Georges Guillaume, Pelor­son, Polin, Raybaut, Simon, Estèbe, Heurteaux, etc.

But de ces groupements

Ces groupements multiples, divers, formés toujours des mêmes personnages dans les comités directeurs, n'avaient qu'un seul but: - attirer le plus grand nombre possible d'intellec­tuels de milieux différents; - les étudier, les circonvenir, lef assiéger; - recruter parmi eux, par un choix sévère, des membres du M.S.E. En résumé, ces groupements constituaient pour M. Controt à la fois un mode de pénétration et de recrutement.

Le sabotage du ministère de l'Economie nationale en 1936·1937

Jean Coutrot, ex-dirigeant de la Maison Gaut et Blanchan, à Paris, où il avait des intérêts par alliance, a, en 1936, abandonné son activité indus­trielle pour l'action administrative. lnt.roduit auprès de M. Spinasse, lorsque celui-ci prit le portefeuille de l'Economie nationale en 1936, M. Coutrot devint rapidement son conseiller écouté. L'action de M. Coutrot fut double: 1) il introduisit dans l'administration le plus grand nombre possible de ses adhérents du «M.S.E.» (notamment MM. Branger, Hekking, etc.) ; 2) il fit échouer tous les essais d'organisation socia­liste de l'économie française tentés par M. Spinasse et lui en proposa d'irréalisables. En bref, il torpilla le portefeuille de l'Economie nationale dont le prin­cipe ne survécut pas à cette tentative. du moins sous la forme d'un ministère autonome.

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La tendance idéologique générale de M. Coutrot

Etalée da~s, ses ~crits, conférences et colloquès, la tendance IdeologIque de M. Coutrot était fort singu­lière : il se disait socialiste mais antimarxiste, anti­néo-socialiste, etc.; bref, en opposition avec toute nuance socialiste connue. Son travail était exclusivement orienté vers la désa­grégation, la démolition de tout le socialisme cons­tructif quelle que soit son étiquette. Désagrégation d'autant plus efficace qu'elle s'exerçait au sein des milieux cultivés axés sur le patronat et l'Adminis­tration des ministères d"ordre économique. En défi­nitiv-e, le travail de sape au bénéfice du grand patronat.

Les voyages de M. Coutrot

M. Jean Coutrot allait souvent à l'étranger sous cou­vert d'organisation scientifique du travail. En 1938 et 1939 notamment, il se rendit plusieurs fois en Angleterre et en Suède. Il fréquentait, en Angleterre, M. Aldous Huxley, écrivain de tendance pronatio­nale-socialiste. Il était en relation, en Suède, avec l'organisation des socialistes suédois, dite S.S.S., de même tendance.

D'où venait l'argent?

M. Coutrot finanç.ait lui-même tous les groupements dont il était le créateur et l'animateur. Dans chaque cas, il faisait face aux dépenses: de secrétariat (per­sonnel et matériel), de locaux (location, entretien, chauffage ,et éclairage), de rétribution de ses colla­borateurs directs. Il finançait les revues publiées par certains de ces groupements, les «journées de Pontigny». les ouvrages qu'il publiait, ses propres voyages à l'étranger, etc. Plus son entretien per­sonnel et familial: une femme et cinq enfants, une puissante automobile, un standard de vie assez dis­pendieux. Depuis 1936, il avait cessé toute activité industrielle privée. Il n'a jamais accepté de recevoir un centime de traitement-ou d'indemnité de l'Etat pour son acti­vité au C.a.S.T. ou auprès d'une Administration quel­conque. Ses dépenses devaient atteindre au bas mot 800 000 F par an. D'où venait l'argent?

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La mort de M. Coutrot

Survenue aux environs du 15 mai 1941, elle fut tenue secrète et ne parut pas dans la presse. Ce n'est que le 5 juin 1941 que le journal l'Appel lui consacra l'entrefilet reproduit plus haut. Au dire de M,V.T. questionné le 6 juin, M. Coutrot se serait suicidé par absorption d'une forte dose de somnifère et aurait été trouvé mort dans son lit au matin, à son domi­cile, 51, rue Raynouard, Paris-16". Selon une autre version émanant d'un de ses familiers, et sérieuse, M. Coutrot se serait suicidé en se précipitant par la fenêtre. Au surplus, cette mort a suivi à huit jours d'inter­valle celle de son jeune secrétaire et collaborateur, M. Théalet. Ce qu'il y a de certain, c'est que le maréchal Pétain avait reçu, au début de mai 1941, un important dos­sier contenant des photographies et des documents originaux concernant l'existence et l'activité du M.S,E. et que ces documents avaient pu lui être remis en raison d'indiscrétions à l'origine desquelles se seraient trouvés M. Coutrot et son secrétaire. Ces indiscrétions donnèrent lieu, au sein du Groupement, à des dissentiments violents immédiatement suivis de la mort des responsables (aux environs du 13 mai 1941). La mort de l'économiste russe Navachine, le 23 jan­vier 1937, ne serait pas elle-même sans lien avec l'ac­tivité du M.S.E.: cônseiller écouté de M. Spinasse, il contrecarrait les plans du Groupe; de plus, franc­maçon et martiniste authentique, il avait découvert l'existence de cette étrange «dissidence» et en sur­veillait étroitement le développement et l'action sou­terraine.

[MILIEUX DE RECHUTEMENT ET PHINCIPAUX MEMBRE~ ~U M.S.E. (Chapitre IV) J

Milieux de recrutement du M.S.E.

Les éléments dirigeants du M.S.E. paraissent, en ce qui concerne la France, dépendre de deux milieux distincts mais étroitement liés: a) certains milieux bancaires, notamment la banque Worms, la banque Lehideux, etc. ;

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b) certains milieux .du haut patronat, appartenant notamment au Comité des Houl'lle' res' t . 't' , , a cer alns g.roupes pe r?hers, a certaines sociétés de construc-ho~~ ~ecamques et métallurgiques et à certaines SOCIetes de grands travaux. Le recrutement de leurs affiliés a été activement poussé dans les milieux suivants: 1) anciens élèves de l'Ecole polytechnique (c'est la grande majorité) appartenant à l'Administration la banque, l'industrie; , 2) anciens élèves de l'Ecole centrale (quelques éléments) ; 3) anciens élèves de l'Ecole des sciences politiques (notamment de nombreux inspecteurs des finances) . 4) Conseil d'Etat (assez nombreux éléments) ; , 5) anciens élèves de l'Ecole normale supérieure (quelques éléments) ; 6) enfin, quelques médecins et personnalités diverses,

Principaux affiliés

Les affiliés les plus marquants paraissent être les suivants: Assemat : Chef du cabinet du ministre des Finances en 1936, directeur de la Caisse nationale des marchés de l'Etat en 1940-1941 (très probable). Barnaud (Jacques): Administrateur de la banque Worms, 45, bd Haussmann, ancien inspecteur des finances, ancien X, directeur du cabinet du ministre du Travail (Belin) en juillet 1940, puis délégué géné­ral pour les relations économiques franco-allemandes depuis le 23 février 41. Baudouin (Paul) : Ancien X, directeur général de la Banque d'Indochine, ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Vichy jusqu'en février 1941; introduit dans les conseils ministériels par Paul Reynaud en mars 1940. Belin (René) : Secrétaire d'Etat au Travail. Benoist-Méchin: Fondé de pouvoir de la banque Worms, secrétaire général pour l'Administration à la vice-présidence du Conseil, le 23 février 1941 (Dar­lan), secrétaire d'Etat à la vice-présidence du Conseil pour les questions franco-allemandes, le 10 juin 1941. Porta un message du maréchal Pétain au président de la République turque, le 26 juin 1941. Bichelonne (Jean) : Secrétaire général pour la Pro­duction industrielle et le Commerce intérieur.

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Borotra tJean) : Ancien X tpromo 1920), joueur de tenniS, secrétaire général à l'Education générale et aux Sports, depuis juillet 1940. . . . Bouthillier (Yves) : Ministre des Fmances du cabmet Reynaud en 1940, puis du gouvernement de Vichy. Ancien inspecteur des Finances. I3ranger (Jacques) : Ane,ien X (pro~o 27). EX-,copa­borateur intime de Coutrot. DIrecteur general adjoint de la Caisse nationale des marchés de l'Etat au ministère des Finances. Bréart de Boisanger (YveS) : Chef adjoint du cabinet Daladier, en mai 1940. Nommé directeur de la Banque de France par Bouthplier, après juill~t 1940. Brunet: Conseiller d'Etat. Directeur du Tresor en 1941 (ex-Mouvement des fonds); . Chaux (Edouard): Ancien X, chargé de mission à l'Economie nationale. Coqueugnot (Henri) : Ancien X <Iii'omo 1900). Dir~c­teur de l'Union des consommateurs de prodmts métallurgiques et indu.striels. Directeur de la sidé­rurgie au secrétariat d'Etat à la Production indus­trielle. Deloncle (Eugène) : Ancüin X (promo 1910), un des chefs et fondateurs probables du mouvement. Fanton d'Andon (Andr~) : Ancien X (promo 1913). Directeur général adjoint des Mines domaniales de potasse d'Alsace. Directeur des Mines au même ministère. De Faramond: Contrôleur général. Directeur des services du Contrôle général de la liquidation des marchés de guerre. Directeur du Service des admi­nistrateurs provisoires au Commissariat pour les affaires juives. Filippi (Jean): Chef du ca~inet de M. La~~ireux (Finances), en mai 1940, pms de M. Bouthllher en 1940-1941. Représente actuellement le ministre des Finances en zone occupée. De Font-Réault: Auditeur au Conseil d'Etat. Chef du cabinet civil du maréchal Pétain, le 21 mai 1940. Gardanez: Administrateur délégué de la nouvelle Compagnie havraise péninsulaire de Navigation (M. Worms, président) ; commissaire du gouverne­ment, le 21 janvier 1941, auprès du Comité provisoire de la Marine marchande. Gibrat (Robert) : Ancien X (promo 1912). Ingénieur­conseil, directeur de l'ElIiétricité au secrétariat d'Etat à la Production industrielle.

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Gillouin (René): Vice-président du Conseil mumCI­pal de Paris, 1938. Chargé de mission au cabinet du maréchal Pétain en 1940-1941. Guérard (Jacques): Chef de cabinet de M. Paul Baudouin en 1940-1941. Président du Comité de l'Assurance et de la Capitalisation. Guillaume (Georges): Sujet suisse, apparaît en France aux environs !le 1934; aux côtés de Jean Coutrot depuis cette date; selon toute probabilité, agent de liaison international du M.S.E. et dirigeant occulte du groupe. Hekking (François) : Ancien X (promo 1930). Ingé­nieur des tabacs, secrétaire permanent du C.a.S.T. en 1939. Attaché au ministère de l'Armement pendant la guerre. A, en 1939, présenté la promotion des tabacs au Führer, chancelier du Reich, M. Hitler. Est, depuis 1940, «eUi mission» aux Etats-Unis. Lafond (Henri): Ancien X (promo 1941). Administra­teur délégué de l'Association minière. Secrétaire général de l'Energie au secrétariat d'Etat à la Pro­duction industrielle. Lamirand (Georges): Ancien élève de Centrale (promo 1923 B). Directeur général de la société Isidore Leroy à Ponthierry (S.-et-M.). Vice-président de la Chambre syndicale des fabricants de papier peint de France. Secrétaire général à la Jeunesse depuis 1940. Le Gorrec (Yves) : Ancien X (promo 1908). Membre du Conseil d'admin~stration de Pechelbronn. Lehideux (François): Ancien élève des Sciences politiques. Ançien directeur général des Usines Renault (jarp.~is bombardées pendant la guerre). Délégué général à l'Equipement national, depuis le 23 février 1941, avec rang et prérogative de secré­taire d'Etat. Leroy-Ladurie (Gabriel) : Administrateur de l'Immo­bilière du bollievard Haussmann (Service financier de la banque Worms). Libersart (Georges): Chef adjoint du cabinet de M. Lamoureux (Finances) en mai 1940, puis de M. Bouthillier en 1940-1941. Martiny (Dr) : En relations très étroites avec Coutrot depuis 1937. Activité collaborationniste intense à Paris en 1940-1941 dans les milieux médicaux. Mény (colonel) : Ex-sous-secrétaire d'Etat à l'Air en avril 1940. Du Moulin de La Barthète : Inspecteur des Finances,

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chef du cabinet civil du maréchal Pétain en 1940-1941. Proche parent par alliance de M. Lehideux. Olivier (Marius): Ex-président du Comité centra} d'Organisation professionnelle. Président du Comité d'Organisation pour l'Industrie de la fonderie (1940-1941). De Peyerimhoff (Henry) : Président du Comité cen­tral des Houillères de France, de la Société houil­lère de Sarre-et-Moselle, de la Société des mines de Bourges, membre du conseil d'administration de Péchelbronn, etc. Pietri: Ex-inspecteur des Finances, ex-ministre des Communications après juillet 1940 ; ambassadeur de France en Espagne en 1940-1941. Pineau (Louis) : Ex-directeur de l'Office national des combustibles liquides, commissaire du gouvernement à la Compagnie française des pétroles, directeur des Carburants au ministère de la Production indus­trielle. Planus (Paul) : Ingénieur-conseil, attaché au minis­tère de l'Armement pour l'Organisation scientifique du travail, en 1939-1940. Pucheu (pierre) : Directeur du service d'exportation du Comptoir .sidérurgique de France, secrétaire d'Etat à la Production industrielle depuis février 1941. Rebuffel (Charles) : Ancien X (promo 1881). Prési­dent du conseil d'administration de la Société des grands travaux de Marseille. Père de Mme de Portes, maîtresse de Paul Reynaud (décédée dans un acci­dent d'automobile en août 1940). Remargue : est, avec M. Worms, membre du conseil d'administration de la Société des grands travaux du béton armé à Paris. Roujou: Maître des requêtes au Conseil d'Etat. Attaché à différents cabinets successifs à l'Economie nationale, en 1938 et 1939 ; nommé, en 1940, direc­teur de l'Administration générale au ministère du Travail (Belin). Rueff (Jacques) : Ancien X (promo 1919). Inspecteur des Finan.çes. Professeur à l'Ecole libre des sciences politiques. Ex-directeur du Mouvement général des fonds. Ex-attaché financier à Londres. Sauvy (Alfred): Ancien X (promo 1920). Sous­<rrrecleur de la Statistique générale de la France (poste créé pour lui en novembre 1940). Ancien membre du cabinet Reynaud, en 19.39 et 1940, puis

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;Y4 . .• )

du cabinet Bouthillier en 1941. Est le frère de la journaliste Titayna. Weiller (Paul-Louis): Constructeur d'avions. Ami très intime de M. Deloncle depuis de longues années. Interné' administrativement en octobre 1940, relaxé en mai 1941.

MARTINISME ET SYNARCHI,E Extraits

Il s'agit d'un document anonyme, postérieur à 1941, et qui prétend corriger les vues du «Rapport Cha­vin», en mettant en lumière le fait que la synarchie n'est que le nom nouveau de «l'action subversive des sectes ». Le r.hapitre 1er traite de LOlli.~-Clallde de Saint-Martin et la Révolution française .. le second est consacré à Saint-Yves d'Alveydre, et le troi­sième cité ici concerne «le Mouvement synarchique d'Empire dit Synarchie ».

1° Son origine.

Dans Mission des Souverains par l'un d'eux, en 1882, Saint-Yves avait annoncé la création d'une organisa­tion destinée à établir dans le monde le régime de l'avenir fondé sur la loi synarchique. «De même, écrivait-il, que dans les périodes de l'Universelle Eglise, des ordres nouveaux sont venus, à leur heure, répondre à de nouveaux besoins sociaux, de même aussi entre les conservateurs et les révolutionnaires européens l'ordre des synarchistes devra planter son drapeau d'arbitrage et de paix sociale.» Les frères maçons martinistes n'ont p-as oublié le testament du maître, pour reprendre l'expression de son disciple

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Barlet, et ont constitué, lorsque le besoin s'en est fait sentir, au lendemain de la Grande Guerre, une nouvelle organisation secrète d'action politique, le Mouvement synarchique d'Empire ou Convention synarchique révolutionnaire. Les efforts tentés dans le Rapport Chavin pour éliminer cette filiation, qui est certaine, prouvent les craintes que la divulgation du complot a fait naître chez les martinistes.

2" Doctrine du Mouvement synarchique d'Empire.

«Elle est tout entière inspirée de Saint-Yves. Il suffit de lire le «document de base», ou même les « Treize points» qui en sont le résumé, pour s'en convaincre. On a simplement élagué, modernisé, précisé et adapté les idées de Saint-Yves, mais l'esprit est resté fidèlement le même. On s'est surtout évertué, et c'est sans doute l'originalité de Coutrot ou d'un autre, à mettre au point l'organisation pra­tique nécessaire à l'action politique, ce que Saint­Yves avait négligé apparemment. C'est par un grou­pement de techniciens, financiers pour la plupart, que doit être réalisé l'Empire. synarchique proposé comme but. Mais il ne faudrait pas s'y tromper: ces techniciens qui se croient les véritables maîtres ne sont qu'un moy~n: Ces hommes, qui agissent et qui apparaissent, ne sont gue de bas initiés. De hauts initiés les utilisent pour la préparation d'une révo­lution qui leur est cachée et dont ils seraient bien effrayés s'ils pouvai.ent se l'imaginer. « Les dirigeants du martinisme, en créant après la guerre de 1914-1918 la secte synarchique sur les données historiques et philosophiques laissées par Saint-Yves, lui ont donné une mission plus particu­lièrement économique, et J. Coutrot a admirable­ment compris son rôle quand il s'est attaché à inté­resser les techniciens de l'industrie et de la finance à la concentration administrative des entreprises. L'activité synarchique avait pour arrière-pensée et a eu pour effet réel l'extension considérable, surtout depuis juin 1940, des mesures du capHalisme d'Etat et de socialisme d'Etat. Elle a ainsi préparé les voies à la soviétisation qui pourra désormais se contenter de provoquer la sa-isie, par des méthodes révolution­naires, des instruments de production par des orga­nisations ouvrières marxistes, sans avoir à réaliser de toutes pièces les organes spécifiques de l'Etat pro-

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létarien qui se trouvent, grâce à la synarchie, réalisés d'avance. « La synarchie peut donc être comparée au Club d'Holbach où, pendant les vingt années qui pré­cédèrent la Révolution de 1789, fréquentèrent les économistes imbus des théories nouvelles du libéra­lisme, des doctrines de Law et de Necker. Cette catégorie spéciale d'encyclopédistes élabora les thèses économiques et financières adoptées plus tard par les jacobins et facilitera leur besogne en susci­tant des mesures transitoires.

3° Importance du comp,lot synarchique.

«L'organisation synarchique, grâce à des précau­tions particulières sévères, réussit à rester absolu­ment inconnue jusqu'en 1940. C'est à cette époque seulement que quelques personnalités nationales vinrent il apprendre le secret. Elles s'empressèrent de dénoncer le complot. Ce fut l'affolement dans le camp de la subversion, mais l'organisation était trop puissante pour que cela suffise il l'abattre. Déjà, elle était maîtresse de l'Etat en France, où elle continue, malgré cette alerte, il consolider ses positions et il poursuivre systématiquement son œuvre de subver­sion. « Des agents essayèrent immédiatement, comme nous l'avons déjà dit, de minimiser' l'affaire, mais il faut se garder de se laisser tromper par les bruits qu'ils font courir d'une «bonne synarchie ». Le Mouve­ment synarchique d'Empire n'est que la combinaison française d'une vaste intrigue internationale contrô­lée par le judaïsme mondial, travaillant en liaison avec les diverses internationales (financière et communiste) et qui rejoint non seulement l'action des sociétés secrètes anglo-américaines et soviétiques, mas encore celle des sociétés secrètes germaniques. Ii prépare la grande révolution mondiale de demain.

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Page 143: [Jean Saunier] La Synarchie(Bookos.org)

Cet ouvrage

LA SYNARCHIE

appartient à la collection HISTOIRE

DES PERSONNAGES MYSTERIEUX

ET DES SOCIETES

SECRETES

Sur une mise en page de Jean Garcia, il a été imprimé

sur les presses des PETITS-FILS

DE LEONARD DANEL maîtres-imprimeurs A LOOS-LEZ-LILLE

numéro d'éditeur: 550 numéro d'imprimeur: 6290