Le Cinéma d’Henri Verneuil

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Emmanuel Laborie Le Cinéma d’Henri Verneuil

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Le Cinéma d’Henri Verneuil

Emmanuel Laborie

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Remerciements

Je remercie toutes celles et ceux qui m’ont accordé de leur temps pour me parler de leur collaboration avec Henri Verneuil, autant que celles et ceux qui, par leur aide technique ou leurs simples encouragements, ont permis à ce livre de se réaliser.

Muriel Albouze, Daniel Argonovitch, Rémi Brunelin, Jean Gaven, Christophe Gilles, Pierre Gillette, Philippe d’Hugues, Maurice Jarre, Patrick Malakian, Virginie et Jean-Claude Martinet, Pierre Mondy, Claude Pinoteau, Edmond Richard, Jacques Saulnier, Bernard Stora, Nathalie Tampere, Nathalie Vergara, Patrick Wiseman.

Ainsi que le personnel de la cinémathèque de Toulouse et le personnel de la BIFI qui m’ont permis l’accès à des documents précieux.

Ce livre est dédié aux personnes que j’ai rencontrées au moment de sa rédaction en 2006/2007, et qui depuis ont disparu : Jean Gaven, Maurice Jarre, Pierre Mondy, Claude Pinoteau et Jacques Saulnier.

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Henri Verneuil reste un des cinéastes les plus populaires du cinéma français. Sa réputation auprès des cinéphiles est en train de s’inverser, la qualité de ses films, certains devenus cultes, n’ayant pas été démentie au fil du temps. Sur les 34 qu’il a réalisés en 40 ans de carrière, plus d’un s’est joué à guichet fermé. Il est un réalisateur connu des gens qui allaient voir un Verneuil en salle, autant que des plus jeunes qui ont découvert La Vache et le prisonnier, Le Clan des Siciliens ou Peur sur la ville sur le petit écran. Cinéaste à la tête d’une filmographie d’une grande diversité, la plupart des films de Verneuil ont été des succès commerciaux considérables. A relire ce qui a été écrit sur lui, on se rend compte que l’ensemble de la presse l’a considéré avec objectivité. Pourtant, cette réputation de metteur en scène maudit par la critique l’a longtemps poursuivi, en raison de l’autorité des revues de cinéma qui le honnirent depuis ses débuts. Sachant que le cinéma s’apprécie dans la perspective de son histoire, ce livre propose de s’attarder un peu sur l’œuvre d’un réalisateur qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucune analyse écrite.

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Chapitre 1 L’enfant gâté du cinéma français

L’entrée dans le cénacle

Henri Verneuil est devenu réalisateur en 1951, l’année où André Bazin fonde Les Cahiers du cinéma, revue qui mena une croisade contre ce qu’elle nommait « La qualité française », terme dévalorisant employé envers la presque totalité de la production cinématographique hexagonale d’après guerre. Entre 1951, année de La table aux crevés, et 1955, Henri Verneuil ne tourne pratiquement qu’avec Fernandel. Six films en tout dans cet intervalle de cinq ans. Ce sont les années où le comédien marseillais devient un véritable monument national, en même temps que la bête noire de la cinéphilie. Aux yeux de celle-ci, les metteurs en scène qui le dirigent sont des hommes à abattre, quelles que soient les qualités de leurs films, et on considère Verneuil comme un de ceux-là.

Entre 1945 et 1955, le cinéma français s’enrichit d’une trentaine de nouveaux noms, et de tous les cinéastes entrés dans le métier après la guerre, Verneuil est un cas à part. En effet, il est le seul dont les films atteignent d’aussi grands succès dès le début, autant qu’il sera le seul à rester en pleine activité jusqu’à un âge, à partir duquel les autres iront travailler pour le petit écran. Commercialement parlant, tout est dit, ce sont ses films qui vont dominer le marché, et ce, durant quatre décennies. Dans les années soixante, la nouvelle vague prend le pouvoir médiatiquement, mais la bonne santé économique du cinéma français est assurée par les films de Verneuil, et ceux de quelques autres (Gérard Oury qui triomphe lui aussi dès ses premiers films, Gilles Grangier en fin de carrière, Denys de la Patelière, même génération que Verneuil, dont les films, sauf deux d’entre eux, n’auront pas la même postérité, et ceux que nous appellerons L’autre vague, Molinaro, Deray, Lautner…) cinéastes bien mal aimés par la critique issue ou rattachée aux Cahiers du cinéma. Avec la naissance de cette revue, la frontière entre le cinéma d’auteur et le cinéma populaire fut plus que jamais

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démarquée. La conséquence fut que le cinéma populaire ne cessa de s’avilir, autant que les spectateurs qui le plébiscitaient. Puis, avec les années, on en vint à abolir cette frontière, arguant que le cinéma était fait pour remplir les salles. Le corollaire fut qu’on eut tendance à juger sur la valeur des entrées en salle des films qui n’étaient pas faits pour les remplir. Pas la moindre ambiguïté au sujet de Verneuil qui entre dans la catégorie des cinéastes grand public, un public qu’il a toujours caressé dans le sens du poil, s’appliquant à lui donner ce qu’il avait payé au guichet. C’est dans la deuxième partie de sa carrière que Verneuil fut le plus attaqué, à une époque où, dans ses films, l’action prend le pas sur le contenu, principalement dans les films d’action qu’il tourne avec Jean-Paul Belmondo. La carrière de Verneuil se divise en deux parties. Dans la première, qui va de 1951 à 1960, ses films s’inscrivent dans la pure tradition du cinéma français populaire, dans le sens « qui represente le peuple en tant que milieu social » selon Duvivier, Carné, René Clair, avec des films comme Des Gens sans importance, Les Amants du Tage, Maxime, mais surtout de Pagnol, avec ses comédies taillées sur mesure pour Fernandel. Pagnol dont il adaptera d’ailleurs un scénario, Carnaval. Période qui contient beaucoup de films légers, comme Le Mouton à cinq pattes, L’Ennemi public n° 1, Le Grand chef, dont on ne peut pas dire que le temps leur ait rendu justice. Il y a toutefois un pas considérable entre ces films et Des gens sans importance, Les Amants du Tage, Maxime, et Le Fruit défendu. Si Verneuil n’avait réalisé que ces derniers, les jugements portés sur lui auraient sans doute été différents. A tord sans doute, mais les trop nombreux films qu’il a tournés pour Fernandel lui ont forgé une réputation qu’il ne méritait pas. Cette réputation laisse planer un doute sur la réelle qualité d’autres films qu’il tourne à la même période. Des films profonds, sombres, poétiques, liés à un univers très personnel. La critique, bien que positive, écrite par Truffaut pour Des Gens sans importance, sous entend déjà un « oui mais… ce n’est qu’un Verneuil. » Pourtant, à partir de films comme celui-ci, un grand réalisateur français est en train de naître, avec un univers, une vision du monde exprimée par un talent visuel incontestable. C’est l’époque où il raconte les histoires de petites gens et les films suivent le rythme de leur petite vie, faite de petites histoires autant que de grands drames. Ces personnages sont chauffeurs de taxis, routiers, laveurs de voitures, valets de maitre, manucures, peintres en bâtiment, vendeurs de grand magasin… ce sont des personnages du peuple, et c’est par ces personnages que le cinéma français est fréquenté depuis les années trente, jusqu’à l’avènement de la nouvelle vague qui les évacuera des écrans.

Dès ses débuts, Verneuil a toujours su aller dans le même sens que le cinéma, en s’adaptant à toutes les tendances. Surfant en permanence sur la vague, il finit par en devenir l’écume. Lorsque Fernandel est, après la guerre, la vedette la plus populaire du cinéma français, Verneuil comprend que c’est avec lui qu’il faut travailler pour

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avoir du succès. Quand les histoires de hold-up deviennent à la mode, depuis Du riffifi chez les hommes de Jules Dassin, il tourne Mélodie en sous-sol, son premier polar. Au moment du triomphe des superproductions guerrières américaines, il tourne Week-end à Zuydcoote, dont l’action se déroule exclusivement sur une plage, même décor que dans Le Jour le plus long. En réponse à la nouvelle vague, Verneuil, metteur en scène de studio, réalise L’Affaire d’une nuit, s’appropriant à sa manière l’esprit d’À bout de souffle. En pleine mode du spaghetti-western, il tourne La bataille de San Sébastian avec le musicien emblématique du genre, Ennio Morricone. C’est aussi la période à partir de laquelle ses films seront de plus en plus influencés par le cinéma de genre italien, alors à son apogée. Après le triomphe de Bullitt, il réalise Le Casse, film par lequel sera popularisé la poursuite en voiture dans le film policier européen. Les années soixante dix venues, alors que les cinéastes de sa génération se tournent vers la télé, Verneuil continue à suivre les courants. Le phénomène de L’Inspecteur Harry le conduit à tourner Peur sur la ville, quant au cinéma politique exprimé en France par les films d’Yves Boisset, il lui inspire Le corps de mon ennemi, I… comme Icare et Mille milliards de dollars. Enfin, lorsqu’il tourne Mayrig et 588 rue paradis, Claude Berri vient de triompher avec le principe du film en deux parties, déclinable en série télévisée. Quiconque fait un rapide inventaire des films français les plus populaires depuis la guerre, en comptera plus d’un réalisé par Henri Verneuil. Son aisance fut égale dans tous les genres qu’a pratiqué notre cinéma national. Verneuil n’a jamais eu peur de rien. L’éclectisme et la politique des auteurs triomphante n’ont cependant jamais fait bon ménage, et à la vue de sa filmographie, on se demande quel rapport il y a entre La vache et le prisonnier et Le casse, entre Le mouton à cinq pattes et Le Serpent, entre Des gens sans importance et Peur sur la ville, ou entre Maxime et Les Morfalous. Les esprits de bonne volonté qui ont tenté de porter un regard différent sur son cinéma, ont rangé Verneuil dans la catégorie des « confectionneurs » ou des « orfèvres », ceux-ci n’ayant rien de méprisable. Il n’empêche que derrière toutes ces vérités, Verneuil a trimbalé son petit univers d’un film à l’autre, cherchant à divertir son public en lui servant à chaque fois un film différent du précédent, tout en laissant la possibilité au spectateur curieux de voir en lui autre chose qu’un simple faiseur.

Après 1960, et le sommet de sa carrière que sera Le Président, Verneuil se dirige vers un cinéma spectaculaire tourné avec de plus gros moyens. Il a déjà dix ans de carrière et, bien qu’il ait principalement tourné des comédies, huit en tout, dont sept avec Fernandel, on ne peut pas le définir comme le cinéaste d’un genre, tant sa filmographie est diverse, allant du drame à la comédie, de la comédie provençale au film policier, adaptant des auteurs aussi différents que James Hadley Chase, Simenon ou Marcel Aymé. Après Un Singe en hiver, chef d’œuvre inclassable où la comédie fait part égale avec le drame, à la fois film d’auteur et véhicule pour grosses

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vedettes, Verneuil réalise Mélodie en sous sol, exemple de polar bâti pour Gabin et Delon, mais qui reste tout de même un film de réalisateur, et de dialoguiste, à l’inverse de ce que seront Le clan des siciliens, Le Casse, et Peur sur la ville, parfaits supports pour têtes d’affiche, où l’action prend le pas sur les personnages. Dans la deuxième période de sa carrière, après 1965, Verneuil est quasiment le seul metteur en scène de cinéma en France à pouvoir répondre du tac au tac au cinéma populaire américain. Dans les années soixante dix, Verneuil combattait sans se dégonfler des poids lourds nommés Clint Eastwood, Charles Bronson ou Steve McQueen, Peur sur la ville ayant été le seul concurrent commercial sérieux de La Tour infernale en 1974/75. C’est l’époque qui inspire à Truffaut la phrase suivante : « Robert Wise est le Verneuil de Verneuil. Verneuil est mon Verneuil, je suis le Verneuil de Godard, Godard est le Verneuil de Philippe Garrel, lequel, je l’espère, sera un jour le Verneuil de quelqu’un, preuve que ses films auront un peu plus de succès. » Entre ces deux périodes qui divisent sa filmographie, Verneuil fut appelé par Hollywood, les américains, encore dans les années soixante, veillant à « capturer » tous les autres metteurs en scène du monde à partir d’un certain degré de popularité dans leur propre pays. Le succès de Mélodie en sous-sol, et sa confection très Hollywoodienne, annonce le cinéma à l’américaine que Verneuil pratiquera désormais, s’inspirant ouvertement de Bullit, Dirty Harry, Parallax View, avec Le Casse, Peur sur la ville, I… comme Icare. Paradoxalement, ses deux films américains, La 25eme Heure, et La Bataille de San Sébastian, ont plus une âme européenne qu’américaine, même si des critiques de l’époque on vu dans ces films-ci les plagiats de deux succès de John Sturges, La Grande évasion et Les Sept mercenaires. Cependant, Verneuil, dont on a de bonnes raisons de penser qu’il serait devenu un des plus grands cinéastes américains, si au lieu de débarquer à Marseille, le bateau qui l’amenait d’Arménie avait atteint le port de New-York, était déjà, la quarantaine passée, bien trop français pour s’enraciner à Hollywood. Même si après 1965, son cinéma s’est américanisé, les personnages, Belmondo notamment, appartiennent à la tradition du cinéma populaire français. Cette identité française à l’intérieur d’un cinéma « codé à l’américaine », aura pour principale vertu de mobilier un public post-soixante-huitard de plus en plus retenu par ses habitudes cathodiques. Si on note une baisse de qualité des films de sa deuxième période, le talent de Verneuil ne s’est pas pour autant dissous. On y retrouve les mêmes constantes, la même générosité, les mêmes drames humains. Les principales faiblesses de son cinéma, viennent surtout du fait qu’après 1968, Verneuil n’ait plus de producteur, sinon Jean-Paul Belmondo qui co-produit à l’époque la plupart des films dont il est la vedette. En dépit de ses qualités, manque sur un film comme Le Casse, un regard de producteur (certaines scènes n’ont aucune cohérence), et un film comme Mille milliards de dollars, souffre de l’absence de scénariste. Dans les années soixante dix, les

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collaborateurs habituels de Verneuil, ne sont plus de ce monde, ou ont quitté le métier. Une nouvelle génération de cinéastes (Tavernier, Corneau, Miller, Téchiné, Blier, Girod) amenant de nouveaux scénaristes, et de nouveaux acteurs, ringardisent de fait un metteur en scène tel que Verneuil, issu de la vieille qualité française. Après 1970, il tournera beaucoup moins de films. La mort de Bourvil, Fernandel, et Gabin en l’espace de six ans, ayant déporté vers la télévision leurs metteurs en scène attitrés, Gilles Grangier et Denys de la Patelière, Verneuil n’aurait-il pas connu le même sort s’il n’avait pas rencontré Jean-Paul Belmondo ?

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Chapitre 2 Quelques thèmes et obsessions

L’arrivisme

D’évidence, les personnages des films de Verneuil sont tous des déshérités en quête de reconnaissance. Même si, (selon son fils Patrick Malakian, dans l’entretien en fin d’ouvrage) Verneuil n’en avait aucune conscience, l’obsession de la réussite sociale traverse tous ses films, poussant certains personnages jusqu’au crime. Dans les années cinquante, Françoise Arnoul fut l’incarnation de la fille prête à tout pour parvenir socialement. Dans Le Fruit défendu, le premier des quatre films qu’elle tournera avec Verneuil, elle incarne une entraîneuse de bar qui cherche la respectabilité entre les bras du brave Fernandel. Mais elle le quittera quand elle aura découvert la couardise de cet amant dominé par une mère possessive. Dans un épisode du Mouton à cinq pattes, la comédienne joue cette fois une jeune fille à peine sortie de l’adolescence, que ses parents veulent marier à un homme mûr, assuré d’une position sociale. Les Amants du Tage la verra fuir le crime de l’homme qu’elle avait épousé pour sa fortune, et se retrouver exilée dans un pays étranger. L’infortunée manucure qu’elle joue dans Paris palace hôtel, cherche l’union avec un jeune homme qu’elle croit de bonne famille, mais qui n’est en réalité qu’un simple ouvrier. C’est cependant Des Gens sans importance qui lui donnera le destin le plus noir, puisqu’elle meurt à la fin de l’histoire. Dans trois de ces films, Françoise Arnoul se retrouve châtiée pour avoir voulu appartenir à un monde qui n’est pas le sien, d’une certaine manière, d’avoir voulu échapper à son destin de fille pauvre. Dans Une Manche et la belle, Mylène Demongeot est une arriviste criminelle, proche de Françoise Arnoul dans Les Amants du Tage. Secrétaire d’une veuve fortunée, elle feint d’être amoureuse d’Henri Vidal, mais c’est en réalité pour en faire un complice dans le meurtre de son employeuse. Le sujet du Boulanger de Valorgue, tourne également autour de l’arrivisme d’une jeune femme, mais il n’est

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cependant pas traité au premier degré. La fille d’immigrés italiens jouée par Pierrette Bruno épouse un jeune homme du village qui, lui, est bien français. Si le père du jeune homme que joue Fernandel la rejette, c’est d’abord parce qu’il s’oppose à la venue d’une étrangère dans la famille, mais de manière sous-entendue, parce qu’il croit que cette jeune fille se cherche une respectabilité en épousant son fils. Dans L’Affaire d’une nuit, Pascale Petit quitte Pierre Mondy pour Roger Hanin, lassée de vivre avec un raté. Roger Hanin est un industriel parvenu qui l’attire par ses signes extérieurs de richesses, pour finalement s’en retourner près de sa femme. A la fin du film, elle se retrouvera seule, sans amant, et sans mari non plus, puisqu’il la quitte après avoir découvert sa liaison adultérine. Ce désir d’ascension sociale, ou cette envie d’appartenir aux gens du monde, on le rencontrera encore à travers d’autres personnages féminins, de premier ou de second plan, dans d’autres films. Pour ne citer que quelques exemples, la femme du gouverneur de La Bataille de San Sébastian, est en réalité une putain qui a épousé un homme de pouvoir pour accéder à un rang social. Exactement comme Marie Laforêt dans Les Morfalous, qui, elle, a épousé un banquier, riche mais impuissant, dont elle dit « c’est bien la première fois qu’il fait des étincelles avec sa bite » en pissant sur une ligne à haute tension. Toute une galerie de portraits féminins, qui ne parvient à s’élever socialement qu’à travers ses charmes, et jamais autrement.

Femmes mères ou femmes putains

Sabine Sun, Alain Delon, Le Clan des Siciliens

Qu’elles soient mères ou catins, les femmes se jouent de l’emprise des hommes. C’est le cas de Maria Mauban dans La Table aux crevés. C’est elle qui décide de braver son clan familial pour aller vivre avec Fernandel. Dans Le Fruit défendu, Françoise Arnoul devient la maîtresse du même Fernandel, certes par intérêt, mais si elle avait été une femme soumise, elle serait restée avec lui malgré la lâcheté de son amant. Dans Le Boulanger de Valorgue, la fille-mère, au lieu de vivre dans la

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honte, assume le fait d’élever son enfant seule. Dans Carnaval, Jacqueline Pagnol joue également une femme émancipée comme on en rencontrait souvent dans le cinéma français d’après guerre. Mariée à Fernandel, elle lui avoue sans vergogne avoir un amant, et si elle revient au foyer à la fin de l’histoire, c’est parce que l’amant en question est un lâche. Dans Les Lions sont lâchés, Claudia Cardinale est une jeune provinciale qui monte à Paris pour y jouir des plaisirs de la vie, et passer d’un homme à un autre. Si elle retourne en province à la fin du film, c’est parce qu’aucun des hommes qu’elle a connus ne furent à la hauteur de ses appétits sexuels. Dans Cent mille dollars au soleil, Andréa Parisy laisse croire à Belmondo qu’elle l’aime, mais c’est une ruse pour lui dérober le chargement du camion. Ce personnage féminin habillé comme un homme, maniant le fusil, rappelle, au passage, de nombreuses femmes bisexuées rencontrées dans le western américain des années cinquante, Joan Crawford dans Johnny Guitare ou Barbara Stanwyck dans La Reine de la prairie. Dans les années soixante dix, les personnages féminins, dans le cinéma français, emboîteront le pas de la libération de la femme. Les films de Verneuil seront conformes. Dans Le Casse, Jean-Paul Belmondo tombe dans le piège amoureux d’une call-girl, ignorant qu’elle est l’agent de renseignement du policier que joue Omar Sharif. Dans Le Serpent, il s’agit d’une autre call-girl, jouée par Virna Lisi, qui contredit la paysanne mère de famille qu’elle jouait dans La 25ème heure. C’est elle qui fait découvrir à l’agent soviétique joué par Yul Brynner, les plaisirs de la vie en occident. Dans Peur sur la ville, Rosy Varte flanque au visage du tueur Minos sa liberté sexuelle tout à fait assumée. Elle sera alors assassinée par le tueur, rendu tout aussi impuissant par les femmes libérées, que les personnages masculins des Lions sont lâchés. Il en va de même de Marie-France Pisier dans Le Corps de mon ennemi. Fille de bonne famille, mariée à un homosexuel, elle s’émancipe dans les bras de Jean-Paul Belmondo. Si Belmondo l’abandonne à la fin du film, c’est parce qu’elle n’était pour lui qu’un instrument utile à nourrir sa vengeance. Il y a aussi dans I… comme Icare, un personnage d’appoint joué par Brigitte Lahaie (alors emblème du cinéma porno) sauvagement assassiné parce qu’elle a été le témoin d’un meurtre. Dans ces films en question, l’insoumission des femmes à la domination masculine, entraîne l’émasculation. Claude Sautet, notamment dans Vincent, François, Paul et les autres ou César et Rosalie, mettait en scène des hommes, que l’émancipation féminine rendait plus adultes. Les films de Verneuil nous montrent des hommes qui, au contraire, s’infantilisent davantage, soit, en se retranchant vers la camaraderie (Cent mille dollars au soleil) soit, en supprimant les femmes légères, comme le fait le vieux Manalese joué par Jean Gabin dans Le Clan des siciliens, ou le Minos de Peur sur la ville.

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Des femmes de caractère

Fernandel, Maria Mauban, La Table aux crevés

Lorsqu’elles sont mères au foyer ou simplement des épouses, les femmes sont des femmes dominatrices. Dans La Table aux crevés, Fernandel se réjouissait de la mort de sa femme, qui lui faisait mener une vie terrible. Le Fruit défendu et Mayrig nous montrent des mères pleines d’attention à l’égard de leur fils, mais qui s’avèrent au bout du compte étouffantes. Zsa Zsa Gabor dans L’Ennemi public n°1 est, sous ses aspects de poule de luxe, le chef d’un gang à qui les membres obéissent comme des enfants à une mère. Isa Miranda, la riche veuve qu’épouse Henri Vidal dans Une Manche et la belle, se comporte avec cet époux plus jeune qu’elle, davantage comme une mère que comme une épouse. Quant à Charles Boyer dans Paris Palace hôtel, il profite de l’absence de son épouse tyrannique, pour aller jouer les roquentins auprès d’une jeune fille. Bien qu’on ne rencontre jamais la femme de Roger Hanin dans L’Affaire d’une nuit, on devine qu’elle est aussi une femme de caractère qu’il craint, comme une mère. Son escapade amoureuse, le temps d’une nuit, n’aura été qu’un moment d’insoumission à une épouse qu’il va retrouver sagement au petit matin. L’ancien truand rangé des voitures joué par Henri Virlojeux dans Mélodie en sous-sol, est le gérant de bains-douches, dominé par une mégère qui tient les comptes de la maison. Des Gens sans importance, Le Président,

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Un Singe en hiver, Mélodie en sous-sol et Le Clan des siciliens, sont quatre films qui placent Jean Gabin dans une situation d’indocilité envers des femmes despotiques, soit pour avoir une aventure amoureuse (Des Gens sans importance) soit pour, en compagnie d’un jeune, se soûler (Un Singe en hiver) ou aller faire un casse (Mélodie en sous-sol et Le Clan des siciliens.) Dans Le Président, Gabin n’a pas affaire à sa femme mais à sa secrétaire (elle aussi tyrannique) de laquelle il se cache pour fumer et manger ce que lui interdit son régime alimentaire. Il en va de même pour Yul Brynner dans Le Serpent, film où il échappe à sa femme pour mener sa mission d’espionnage, comme il lui avait précédemment échappé pour avoir une aventure extra-conjugale. La même Virna Lisi, dans La 25ème heure, n’est pas une épouse tyrannique, mais une femme au caractère bien trempé, qui va remuer ciel et terre auprès des autorités roumaines, pour qu’on lui rende son mari déporté. Lequel, joué par Anthony Quinn, est un homme naïf, immature, mais que cette aventure va faire rentrer dans l’âge adulte, comme nous le montre la dernière scène du film où il prend ses enfants dans ses bras, en véritable père. Cette galerie de portraits féminins met à jour une certitude : les femmes, dans la filmographie de Verneuil, sont rarement des victimes, et lorsqu’elles le deviennent, elles savent faire front à l’adversité. Notons qu’il a failli tourner un film intitulé L’Epreuve, d’après un roman où une jeune femme abusivement incarcérée, se battait pour sa libération.

Les hommes sont de grands enfants

Omar Sharif, Le Casse

Bien qu’il ait été considéré comme un réalisateur de films d’hommes, Verneuil met en scène des personnages masculins dominés par des maîtresses-femmes. Ces hommes sont souvent puérils, et même carrément nigauds lorsqu’ils sont incarnés par Fernandel. On remarquera aussi combien, dans de nombreux films, ces hommes se livrent à des jeux de gamins. Fernandel, dans La Vache et le prisonnier,

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imite avec la bouche le bruit d’un pneu crevé pour faire croire à des soldats allemands que leurs roues de bicyclette se dégonflent. Dans Le Grand chef, il joue au cow-boy et aux indiens avec le gamin qu’il a kidnappé. Dans un sketch du Mouton à cinq pattes, il laisse échapper des souris pour effrayer une femme, ou se déguise une nouvelle fois en cow-boy pour faire la promotion de matériel de camping, dans L’Ennemi public n°1. L’adulte infantilisé est un des ressorts de la comédie, mais Verneuil s’en est également servi dans ses films dramatiques. Dans Les Lions sont lâchés, Darry Cowl est un adolescent attardé qui reste indifférent au charme de Claudia Cardinale, auprès de qui il préfère exposer les formules de ses inventions, comme à une camarade de classe. On retrouve ce même genre de scène dans Mayrig, lorsque la plus jeune des tantes de l’enfant est présentée à son prétendant. Interprété par Patrick Timsit, il s’agit d’un serrurier qui, au lieu de lui faire la cour, occupe tout un repas à lui expliquer le mécanisme d’une serrure. Jean Gabin, dans Un Singe en hiver, est l’exemple d’un vieillard qui retombe en enfance. Le jour du bombardement, il pointe ses doigts comme un fusil pour tirer sur les avions. Puis, il suce des bonbons acidulés pour éviter de boire, et en compagnie de Jean-Paul Belmondo, il tire un feu d’artifice sur une plage. Gabin, de nouveau, dans Le Clan des siciliens, est propriétaire d’un entrepôt de jeux électriques, entouré de tout un tas d’accessoires qui le rattachent à l’univers de l’enfance. Les personnages du Casse sont également des immatures. Ceux qui composent la bande ressemblent davantage à des gamins qui vont faire une mauvaise blague qu’à de vrais truands. Quant à la jeune fille qui est avec eux, ils ne manifestent à son égard aucun désir, la traitant comme une simple copine. Le film est d’ailleurs rempli de jouets, depuis la mallette qui leur sert à ouvrir le coffre, jusqu’à leur planque où sont entreposés des masques et des jeux de fléchettes, jusqu’à ce faux revolver avec lequel Belmondo menace Omar Sharif. Les adultes qui s’amusent avec des jeux ou des jouets reviennent d’ailleurs très souvent dans les films de Verneuil. Citons ce vieillard qui, dans La Table aux crevés, s’excite sur un flipper, Jean Gabin et Pierre Mondy qui, dans Des Gens sans importance, jouent au baby-foot, ou encore Felix Marten qui s’amuse avec un singe mécanique dans Maxime. Mais également Bernard Blier qui, dans Le Corps de mon ennemi, joue avec le golf électronique qu’il a dans son salon. Ces hommes demeurés au stade de l’enfance prennent aussi parfois pour des jouets des choses qui n’en sont pas. A la fin de Mélodie en sous-sol, Alain Delon semble presque amusé de voir les billets remonter à la surface de l’eau. Il a la même attitude que Jean-Paul Belmondo dans Le Casse, qui peut très bien s’enfuir avec les émeraudes, mais qui préfère les jeter sur Omar Sharif, comme un gamin jetterait une poignée de gravier sur un autre gamin. Lino Ventura, dans Cent mille dollars au soleil, s’émerveille devant le beau camion rouge qui vient d’arriver dans l’entrepôt. Camion à bord duquel s’enfuira Jean-Paul Belmondo, avant de se voir

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poursuivi par Lino Ventura, comme si celui-ci était jaloux que son meilleur copain lui prenne un jouet qu’il espérait avoir. Dans La Vache et le prisonnier, de nouveau, Fernandel traite la vache comme un animal de compagnie, lesquels animaux, pour les enfants, ont valeur de jouet. Egalement, dans Week-end à Zuydcoote, le soldat qu’interprète Georges Géret est aussi fier de sa mitraillette, qu’un enfant le serait d’une arme en jouet qui le rend invincible.

Le déguisement

Fernandel, Le Grand chef

Fernandel, L’Ennemi public n°1

Page 20: Le Cinéma d’Henri Verneuil

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Dans certains films, ce sont des vêtements que les personnages utilisent comme des panoplies. Si Fernandel se déguise au sens premier du terme dans Le Grand Chef ou dans L’Ennemi public n°1, Anthony Quinn s’amuse à jouer un personnage qu’il n’est pas, sous une panoplie de faux prêtre dans La Bataille de San Sébastian. Tout comme il le fait dans une séquence de La 25ème heure, lorsqu’on lui donne un uniforme allemand pour faire de lui un gardien de camp. Dans La Vache et le prisonnier, on rencontrait également deux prisonniers français évadés qui, sous des uniformes allemands, s’amusaient à faire croire à Fernandel qu’ils étaient des SS. Le déguisement a souvent attiré Verneuil. Il s’est lui-même déguisé dans deux de ses films. D’abord dans Un Singe en hiver où, pendant le générique, on le voit jouer une silhouette de soldat allemand, ensuite dans Mayrig, où il s’est collé une fausse barbe pour jouer le prêtre qui prononce l’éloge funèbre de son père. Adalberto Maria Merli, dans Peur sur la ville, joue tout le film avec une prothèse oculaire grossièrement apposée sur son visage, de telle sorte qu’il a l’air déguisé. Dans Le Corps de mon ennemi, Daniel Ivernel et Claude Brosset se déguisent en femme pour se livrer à des jeux sadomaso. Mais Verneuil s’est également servi du déguisement pour donner à certains de ses comédiens des rôles de compositions qui les transformaient complètement. Dans Le Mouton à cinq pattes, Fernandel endossait plusieurs déguisements différents, et il se déguisait en clown dans Carnaval pour déclarer en chanson qu’il était cocu. Jean Gabin dans Le Président, puis Omar Sharif et Claudia Cardinale dans 588 rue Paradis, sont tous trois déguisés pour jouer la vieillesse de leur personnage. Quant à Yves Montand dans I… comme Icare, il est aussi déguisé, alors que jouer sous ses traits naturels n’aurait rien changé à son personnage. Le caractère infantile des hommes adultes, se traduit également par le rapport de complicité qu’ils entretiennent avec des enfants. Citons quelques exemples, en commençant par Michel Simon, qu’un enfant aide à résoudre une enquête dans un épisode de Brelan d’as, Fernandel et l’enfant qu’il a enlevé dans Le Grand chef, ou Jacky Nercessian et l’enfant dans Mayrig. On se souvient aussi d’une scène du Boulanger de Valorgue où Fernandel, en voyage en Italie, s’asseyait à une terrasse de café et se retrouvait entouré d’enfants qui lui sautaient au cou. Cette complicité enfant-adulte, on la rencontre dans d’autres films où l’intervention d’un enfant sert à faire basculer l’histoire. Dans Un Singe en hiver, la dernière scène du film nous montre Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo prenant le train avec la fille de ce dernier. Dans le wagon, Jean Gabin racontera à la fillette la légende des singes d’Orient qui donne son titre au film, lui signifiant que d’avoir retrouvé son père, elle aura mis fin à ses dérives alcooliques. Dans La Bataille de San Sébastian, lorsque Anthony Quinn se cache sous une charrette pour échapper aux soldats qui le poursuivent, il est vu par un enfant à qui il fait un clin d’œil pour qu’il ne le dénonce pas. Dans Le Clan des Siciliens, Jean Gabin apprend de son petit-fils