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1 1 C ONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES IMPOT SUR LE REVENU, CONTRIBUTION SOCIALE GÉNÉRALISÉE : QUELLES RÉFORMES ? Rapport particulier LE CADRE JURIDIQUE DE REFORMES DE LIR ET DE LA CSG Jean-Luc Matt Maître des Requêtes au Conseil d’État Ce rapport est établi sous la seule responsabilité de son auteur. Il n'engage pas le Conseil des prélèvements obligatoires.

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CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES

IMPOT SUR LE REVENU,

CONTRIBUTION SOCIALE GÉNÉRALISÉE :

QUELLES RÉFORMES ?

Rapport particulier

LE CADRE JURIDIQUE DE REFORMES DE L’IR ET DE LA CSG

Jean-Luc Matt

Maître des Requêtes au Conseil d’État

Ce rapport est établi sous la seule responsabilité de son auteur. Il n'engage pas le Conseil des prélèvements obligatoires.

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SOMMAIRE

1. LA NATURE JURIDIQUE PARTICULIERE DE LA CSG ET SES CONSEQUENCES ................. 5

1.1. La double qualification juridique de la CSG.................................................................................... 5 1.1.1. La qualification juridique de la CSG en droit interne ....................................................... 5 1.1.2. La qualification juridique de la CSG en droit de l’UE ..................................................... 13

1.2. Les conséquences de la dualité de qualification juridique de la CSG ................................ 17

2. LE RESPECT DU PRINCIPE D’EGALITE DANS LE CADRE DE REFORMES DE L’IR ET DE LA CSG ..................................................................................................................................... 21

2.1. L’appréciation des revenus imposables ........................................................................................ 22 2.1.1. La prise en compte des frais professionnels ....................................................................... 22 2.1.2. Les règles de déductibilité de la CSG ...................................................................................... 23 2.1.3. La possibilité de différenciation de taux par catégories de revenus ....................... 25

2.2. La détermination de l’unité d’imposition et ses conséquences .......................................... 27 2.2.1. La prise en compte des facultés contributives au niveau du foyer fiscal .............. 27 2.2.2. La prise en compte des charges de famille .......................................................................... 32

2.3. Le caractère nécessairement progressif mais non confiscatoire de l’imposition globale du revenu des personnes physiques .............................................................................. 35 2.3.1. La nécessaire progressivité de l’imposition globale du revenu des

personnes physiques ...................................................................................................................... 35 2.3.2. L’interdiction d’une imposition globale confiscatoire ................................................... 37

3. LES CONDITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE REFORMES DE L’IR ET DE LA CSG ............. 41

3.1. Les principes applicables à une réforme législative fusionnant l’IR et la CSG .............. 41 3.1.1. Le principe de sécurité juridique ................................................................................................. 41 3.1.2. L'accessibilité et l’intelligibilité de la loi .................................................................................. 43

3.2. Les conditions du recouvrement à la source d’une imposition progressive ................. 44 3.2.1. Le respect de la vie privée ............................................................................................................... 44 3.2.2. Le choix des modalités de recouvrement ................................................................................. 47 3.2.3. Le respect du droit au recours des contribuables ................................................................ 50

3.3. Les conditions de garantie de l’équilibre financier de la sécurité sociale ...................... 52 3.3.1. L’affectation de recettes à la sécurité sociale ........................................................................ 52 3.3.2. Le cas particulier du remboursement de la dette sociale ................................................ 53

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INTRODUCTION

La commission des finances du Sénat a demandé au Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de réaliser une étude portant sur « l’élargissement de l’assiette de l’imposition des revenus, en examinant la faisabilité technique et juridique d’une fusion des assiettes de l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée [qui devra] déterminer si cette fusion pourrait permettre de faire évoluer le partage actuel entre l’imposition des revenus au taux proportionnel et l’imposition en fonction d’un barème progressif ». Il est également demandé au CPO d’étudier, à défaut de fusion, « dans quelle mesure un tel barème progressif pourrait être appliqué aux revenus soumis à la contribution sociale généralisée (CSG) ».

Le présent rapport se donne donc pour ambition de mesurer le degré de sécurité juridique des principaux scénarios de réforme de l’imposition des ménages susceptibles d’être proposés dans le cadre d’une fusion, d’un rapprochement ou d’une meilleure articulation entre l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG. Aucune option n’est privilégiée a priori, mais le scénario d’une fusion suscitant le plus de questions juridiques différentes, il fait nécessairement l’objet d’un plus grand nombre de développements quantitativement parlant.

Le champ d’études retenu comporte, d’une part, l’IR et son complément constitué par la contribution sur les hauts revenus (CHR), et, d’autre part, la CSG et les contributions sociales assimilées, notamment la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) et les différents prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Les cotisations sociales doivent toutefois également être évoquées qu’en tant qu’élément de comparaison.

Le présent rapport examinera tout d’abord la question de la nature juridique de la CSG, tant au regard du droit interne que du droit européen, pour mesurer les conséquences en cas de fusion ou de rapprochement avec l’IR. Si la CSG a été qualifiée d’imposition de toutes natures en droit interne, en raison de sa finalité, elle est en revanche assimilée à une cotisation sociale en droit de l’Union européenne (UE), compte tenu de son affectation à la sécurité sociale.

Dans une deuxième partie, le présent rapport étudiera, au regard du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, les problèmes d’assiette et de taux d’une imposition sur le revenu fusionnée ou rapprochée, pour interroger son degré de progressivité et de familialisation et l’évolution possible des règles de déductibilité de la CSG par rapport à l’IR. L’imposition globale sur le revenu des personnes physiques doit être progressive mais non confiscatoire. Les facultés contributives des contribuables doivent être évaluées au niveau du foyer fiscal, ce qui nécessite de tenir compte tant des revenus d’un éventuel conjoint que des charges de famille, dans un objectif d’équité horizontale.

Enfin, dans une dernière partie, les modalités de mise en œuvre d’une réforme fiscale concernant l’IR et la CSG seront abordées : sans revenir sur les questions spécifiques à l’année de transition d’une fusion (déjà traitées par le rapport du CPO de février 2012, Prélèvements à la source et IR), il s’agira de rappeler les garanties à apporter aux contribuables, notamment au regard du principe de sécurité juridique, ainsi que les problèmes posés par les choix des organismes de recouvrement, les modalités de contrôle et le contentieux.

Les analyses qui suivent se contentent de récapituler les jurisprudences existantes sur les questions juridiques que sont susceptibles de poser plusieurs scénarios de réformes de l’IR et de la CSG. Elles ont pour seule vocation de déterminer un éventail des possibles. La conformité aux règles de droit supérieures, tant constitutionnelles que conventionnelles, de tout projet de réforme particulier dépendra en tout état de cause des différents paramètres retenus, des scénarios envisagés et du cadre de la réforme. Il n’est pas possible non plus à

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ce stade d’anticiper d’éventuelles évolutions de jurisprudence, notamment au niveau constitutionnel.

Les conclusions de nature générale du présent rapport sont globalement concordantes avec les analyses juridiques présentées sur ces questions, tant dans le cadre du rapport remis par le Gouvernement au Parlement en 2012 sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG que du point d’étape sur les évolutions du financement de la protection sociale publié en mars 2014 par le Haut Conseil du financement de la protection sociale. Elles ne valident cependant pas tous les scénarios de réforme qui ont été envisagés à ce stade, limitant le champ des possibles au moins à court terme.

En raison du cadre constitutionnel spécifique existant en France, notamment le principe d’égalité devant les charges publiques tel qu’il est aujourd’hui interprété par le Conseil constitutionnel (CC), des réformes consistant à introduire dans le système fiscal français des dispositifs existant à l’étranger ne sont pas toujours possibles. Cela n’empêche pas, bien au contraire, de mener des réflexions économiques prospectives sur l’évolution souhaitable à plus long terme de nos régimes d’imposition. Les travaux d’une instance telle que le CPO contribuent en effet eux-mêmes, avec d’autres, à nourrir la réflexion des cours suprêmes pour, le cas échéant, leur permettre de faire évoluer le cadre juridique de référence, compte tenu notamment de l’évolution de la société.

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1. La nature juridique particulière de la CSG et ses conséquences

Compte tenu de sa création récente par rapport à l’IR et de ses relations ambigües avec les cotisations sociales auxquelles elle s’est en partie substituée1, la CSG suscite un certain nombre d’interrogations concernant sa nature juridique. Cette question est essentielle pour savoir qui est compétent pour déterminer les règles qui lui sont applicables. Indépendamment de cette question de répartition des pouvoirs entre institutions constitutionnelles, la qualification juridique de la CSG a en revanche peu d’impact sur les règles de fond à respecter ou appliquer.

Après avoir examiné la place de la CSG par rapport aux autres prélèvements obligatoires, il conviendra de mesurer la portée de la qualification retenue.

1.1. La double qualification juridique de la CSG

La CSG n’a pas reçu la même qualification juridique en droit interne et en droit de l’UE.

1.1.1. La qualification juridique de la CSG en droit interne

Il s’agit d’expliquer dans quelle catégorie de recettes la jurisprudence nationale, suivant le législateur, a placé la CSG au regard de ses caractéristiques propres. Il convient pour cela de rappeler au préalable quelles sont ces différentes catégories.

1.1.1.1. Les différentes catégories de recettes publiques

On peut regrouper en principe2 selon trois catégories juridiques les ressources publiques permanentes : les redevances, les cotisations et les impositions de toutes natures3. Les taxes parafiscales ont été supprimées par la loi organique n°2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

1.1.1.1.1. Les redevances pour services rendus

Le rapport du CPO de juillet 2013 sur la fiscalité affectée rappelle que les redevances pour services rendus sont des contributions publiques trouvant une contrepartie directe dans une prestation fournie par le service concerné. Ces redevances peuvent être instituées par le pouvoir réglementaire. L’article 4 de la LOLF impose seulement que les décrets en Conseil d’État (CE) instituant des redevances au titre de la rémunération de services rendus par l'État soient ratifiés par le Parlement en loi de finances.

Dans sa décision n° 2005-513 DC du 14 avril 2005, le CC a jugé que l'article 34 de la Constitution « ne réserve pas à la loi le soin d'instituer ou d'aménager les redevances demandées à des usagers en vue de couvrir les charges d'un service public ou les frais d'établissement ou d'entretien d'un ouvrage public qui trouvent leur contrepartie dans des prestations fournies par le service ou dans l'utilisation de l'ouvrage ». Il s’agit de la définition juridique d’une redevance pour services rendus. Un prélèvement destiné à

1 Sur l’évolution historique, voir le rapport particulier d’Anne-Céline Didier (rétrospective des enjeux d’une réforme de l’IR et de la CSG) présenté en mai 2014 devant le CPO. 2 Des prélèvements obligatoires particuliers et sui generis sont parfois aussi institués. 3 Il s’agit de la terminologie constitutionnelle. La LOLF, à tort, mentionne les « impositions de toute nature » au singulier.

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financer des missions d’intérêt général incombant par nature à l’État, dont les coûts ne peuvent être légalement mis à la charge des usagers, ne constitue donc pas une redevance pour services rendus mais une imposition dont seul le législateur peut fixer les règles (CE, Sect., 10 février 1995, n° 148035, Chambre syndicale du transport aérien).

Dans ce cadre, le CE exigeait traditionnellement que les redevances demandées aux usagers en vue de couvrir les charges d'un service public déterminé ou les frais d'établissement et d'entretien d'un ouvrage public doivent trouver leur contrepartie directe dans les prestations fournies par le service ou dans l'utilisation de l'ouvrage (Ass., 21 novembre 1958, n° 30693, Syndicat national des transporteurs aériens) et que le montant de la redevance doit être proportionné au service rendu (Ass., 10 juillet 1996, n° 168702, Société Direct Mail Promotion). Mais il a assoupli sa jurisprudence en estimant que, si l’objet du paiement que l’administration peut réclamer consiste en principe à couvrir les charges du service public, il n’en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie (Ass., 16 juillet 2007, n° 293229, Syndicat national de défense de l’exercice libéral de la médecine à l’hôpital). Ainsi, le respect de la règle d’équivalence entre le tarif d’une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire.

Il s’agit toutefois plus d’une différence de degré que d’une différence de nature avec une imposition de toutes natures. En effet, dans sa décision du 31 mars 2014, n° 368111, Ministre délégué, chargé du budget c/ Société Auchan France, le CE a accepté de contrôler le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), qui ne doit pas être manifestement disproportionné par rapport au montant des dépenses exposées par la commune pour assurer l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères et qui ne sont pas couvertes par des recettes non fiscales. Ce contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation est opéré, malgré l’absence de disposition encadrant ou plafonnant le taux de la taxe, dans la mesure où l’article 1520 du code général des impôts (CGI) précise que cette taxe est destinée « à pourvoir aux dépenses du service » de collecte des déchets des ménages. S’agissant d’une taxe et non d’une redevance pour services rendus, il n’appartient pas au juge de s’assurer de l’existence d’un rapport de proportionnalité, même distendu entre le montant réclamé et l’importance du service fourni. Le juge de l’impôt doit seulement s’assurer de la corrélation entre le coût du service et son produit, tel qu’il résulte du taux adopté, puisque la taxe a pour seul objet d’assurer le financement du service d’enlèvement des ordures ménagères. Dans le cas particulier d’impôts de répartition comme la TEOM, on se rend ainsi compte que la frontière entre une redevance et une taxe est assez ténue.

1.1.1.1.2. Les cotisations

Les cotisations relèvent d’un régime juridique hybride. Si le principe de leur institution relève du législateur, leurs principales caractéristiques sont déterminées par le pouvoir réglementaire. On peut distinguer deux catégories de cotisations : les cotisations dites volontaires obligatoires (CVO) et les cotisations sociales.

1.1.1.1.2.1. Les cotisations volontaires obligatoires

Comme le rappelle le rapport du CPO de juillet 2013 sur la fiscalité affectée, les CVO sont des cotisations que les organisations professionnelles représentatives d’une profession (notamment dans le domaine agricole, mais pas seulement) peuvent être habilitées à prélever sur tous les membres de cette profession. Bien que prélevées par et pour des organismes privés, ces cotisations ont un caractère public et obligatoire en raison d’un agrément par le pouvoir réglementaire, sur habilitation de la loi.

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Le CE a jugé, s’agissant des cotisations obligatoires versées par les architectes inscrits au tableau régional en vue de couvrir les dépenses du conseil régional et du conseil national, que le régime qui leur est applicable « ne concerne ni l’assiette, le taux ou le recouvrement d’une imposition qui relèvent du législateur en vertu de l’article 34 de la Constitution, ni celui d’une contribution au sens de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » (Sect., 23 octobre 1981, n° 17983, Syndicat de l’architecture).

Dans sa décision n°2011-645 DC du 28 décembre 2011, le CC a jugé, dans le même sens, que la contribution annuelle versée par les associations de gestion et de comptabilité à l’ordre des experts-comptables ne constitue pas une imposition de toutes natures, mais le CC n’avait pas alors précisé les critères de détermination d’une CVO. Il les a explicités dans sa décision n°2011-221 QPC du 17 février 2012 : les CVO servent à financer des activités en faveur des membres des organismes qui les ont instituées. Il s’est ainsi prononcé sur l’absence de compétence du législateur en ce qui concerne la détermination du régime des cotisations résultant des accords étendus selon les modalités fixées par les articles L. 632-3 et L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime. Ces dispositions ont pour objet de permettre aux organisations interprofessionnelles agricoles reconnues de prélever, sur tous les membres des professions les constituant, des cotisations permettant de financer des activités menées, en faveur de leurs membres et dans le cadre défini par le législateur, par les organisations interprofessionnelles constituées par produit ou groupe de produits.

Par rapport à la redevance pour services rendus, le principe même d’institution de la CVO relève du législateur et non du pouvoir réglementaire. En revanche, aucune condition d’équivalence n’est à respecter entre les cotisations prélevées et les dépenses financées. Le juge administratif doit seulement vérifier qu’il y a une adéquation entre les cotisations prélevées obligatoirement sur les membres d’un organisme professionnel, avec l’autorisation du Parlement, et les dépenses engagées par cet organisme au bénéfice de ses membres.

1.1.1.1.2.2. Les cotisations sociales

La ligne de partage entre cotisations sociales et impositions de toutes natures n’est pas évidente à tracer. Pour que le juge reconnaisse l’existence de cotisations sociales, il faut qu’il y ait, en contrepartie de son payement, ouverture d’un droit à prestation ou avantage servi par un régime de sécurité sociale. Cette notion de contributivité correspond à la logique assurancielle et à l’origine bismarckienne de la sécurité sociale. C’est pourquoi les cotisations relèvent des principes fondamentaux de la sécurité sociale au sens de l’article 34 de la Constitution : il s’agit d’éléments constitutifs des régimes de sécurité sociale.

La Cour de cassation (Ch. réun., 8 juillet 1953, Caisse régionale de sécurité sociale de Paris c/ Lorig) a retenu la définition suivante des cotisations, dans le cadre de l’organisation générale de la sécurité sociale depuis 1945 et pour les distinguer des anciennes cotisations ouvrières et patronales qui constituaient juridiquement (et non pas seulement économiquement comme aujourd’hui) un élément différé du salaire : elles sont « acquises au fonds commun des assurances sociales, qui en devient propriétaire, et confondues avec les autres ressources dont dispose cet organisme, pour être ultérieurement (…) réparties indistinctement envers les bénéficiaires au fur et à mesure que s’ouvrent leurs droits ». Le lien indirect mais certain entre cotisations et prestations, caractéristique du principe contributif au fondement des cotisations sociales, est ainsi clairement établi.

Le CC a repris ce critère contributif, d’abord dans sa décision n° 65-34 L du 2 juillet 1965 (il appartient au pouvoir réglementaire « de fixer dans le cadre d'un régime de pension la base du calcul des cotisations et des prestations, à condition cependant que les unes et les autres soient calculées sur des bases similaires »), puis plus explicitement dans sa décision n°93-325 DC du 13 août 1993 où il a donné en quelque sorte une définition

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« constitutionnelle » explicite des cotisations sociales : « les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale qui résultent de l’affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés ; (…) ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes ».

La décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012 a fait évoluer à la marge la définition des cotisations, en ne retenant plus le terme de « vocation », mais plus directement en faisant référence aux « cotisations ouvrant des droits aux prestations et avantages servis par le régime obligatoire de sécurité sociale ». On peut s’interroger sur la portée réelle de cette évolution sémantique, en l’absence notamment de commentaire aux Cahiers du CC sur ce point : le CC exigerait-il désormais un lien plus direct qu’avant entre cotisations et prestations, sans pour autant que ce lien soit aussi rapproché qu’entre une redevance et un service rendu ? En tout état de cause, dans cette dernière décision, le CC s’en est tenu à la nature du prélèvement et non à son assiette pour procéder à l’opération de qualification juridique : il a ainsi jugé, s’agissant des cotisations d'assurance maladie à la charge des travailleurs indépendants non agricoles, « qu'en faisant porter ces cotisations sur une assiette correspondant à l'ensemble des revenus des travailleurs indépendants les dispositions contestées n'ont pas modifié leur nature de cotisations ; que, par suite, ces cotisations ne relèvent pas de la catégorie des impositions de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution ».

Le CC a donné toute sa portée à la définition des cotisations sociales comme des « versements à caractère obligatoire ouvrant des droits aux prestations et avantages servis par » des régimes obligatoires de sécurité sociale dans sa décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014. Il a expressément relevé que les prestations et avantages auxquels les cotisations salariales d'assurance vieillesse à la charge des travailleurs salariés ouvrent droit « sont soumis à un plafond et déterminés en particulier en fonction de la durée de cotisation ainsi que des salaires sur lesquels ont porté ces cotisations », établissant ainsi un parallèle entre proportionnalité des prestations et des cotisations correspondantes. Les employeurs ne bénéficient pas, en contrepartie du versement des cotisations patronales, d’avantages équivalents, ce qui justifie qu’économiquement les cotisations patronales non contributives (maladie et famille) soient assimilées à l’impôt. Pour autant, le CC vérifie aussi si une cotisation patronale ouvre ou non des droits à prestations au bénéfice des salariés (décision n° 2014-706 DC du 18 décembre 2014). Il semble donc, qu’à la différence des cotisations salariales, le CC accepte que le lien avec les prestations soit beaucoup plus ténu en matière de cotisations patronales, de sorte que l’on peut estimer qu’au sein de la catégorie juridique des cotisations sociales, il y a une différence de degré substantielle entre cotisations salariales et cotisations patronales, mais non une différence de nature.

Le CE avait repris textuellement la définition initiale du CC dans sa décision du 6 octobre 1999, n°200241, Caisse nationale d’assurance maladie des professions indépendantes : « les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale constituent des versements à caractère obligatoire qui ouvrent vocation au bénéfice des prestations et avantages servis par ces régimes ». Sur ce fondement, il a jugé qu’une contribution ne peut pas être qualifiée de cotisation dès lors qu’elle est en partie à la charge de personnes relevant d’un régime de sécurité sociale autre que celui qu’elle a vocation à financer. En effet, s’il y a un décalage entre le cercle des bénéficiaires directs ou indirects des prestations et le cercle des redevables, le lien entre cotisations et prestations est rompu. En sens inverse, le CE a implicitement jugé, dans sa décision du 10 octobre 1980, n°10431, Syndicat national des antiquaires et SARL Galerie Schmit, que la contribution patronale finançant le régime des artistes et auteurs constitue une cotisation sociale dès lors qu’elle est due par toute personne qui procède à la diffusion d’œuvres et bénéficie donc, indirectement mais certainement, du régime.

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Comme l’exposait le commissaire du gouvernement P. Hubert dans ses conclusions4 sur CE, Ass., 26 octobre 1990, n° 72641, Union des assurances du secteur privé, « la cotisation sociale est due par une catégorie particulière de personnes, sans doute fort large mais délimitée avec précision : les bénéficiaires du régime concerné, c’est-à-dire en général les affiliés qui bénéficient des prestations, ou des employeurs qui bénéficient indirectement de la protection assurée aux salariés. Ce lien entre la cotisation et le bénéfice n’est pas mécanique et n’a donc rien à voir avec le lien qui unit la prime d’assurance à la prestation, même s’il constitue comme une réminiscence de ce que la sécurité sociale doit à la technique de l’assurance ». Dans cette décision de 1990, le CE a qualifié de cotisation sociale au regard de l’article 34 de la Constitution la cotisation assise sur les contrats d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur qui avait été instituée en 1967. Cette décision était fondée sur le champ des assujettis : ne devaient alors payer cette cotisation que les personnes physiques ou morales soumises à l'obligation d'assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur qui cotisaient également à un régime obligatoire d'assurance maladie ou bénéficiaient d'un tel régime en qualité d'ayant droit. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2002 a toutefois supprimé à la fois l’affectation du produit de cette cotisation à la branche maladie et la condition liée à l’affiliation à l’assurance maladie pour y être assujetti. En l’absence de tout lien contributif, il s’agit donc désormais d’une imposition de toutes natures.

L’importance du niveau de corrélation entre cotisations et prestations demeure toutefois difficile à appréhender. S’il était exigé que chaque cotisation sociale revête un caractère parfaitement contributif, cela pourrait conduire à qualifier d’impositions de toutes natures un certain nombre de prélèvements dont il est pourtant encore admis qu’ils sont des cotisations sociales, notamment les cotisations patronales non contributives affectées au financement des branches maladie et famille. Le CC semble pourtant s’être engagé dans cette voie dans sa décision n°2014-698 DC du 6 août 2014, puisqu’il a censuré un dispositif de réduction dégressive des cotisations salariales (rendant progressif le taux de ces cotisations jusqu’à 1,3 SMIC) qui avait pour effet qu’un régime de sécurité sociale continuerait « à financer, pour l'ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l'absence de versement, par près d'un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime ». En sens inverse, le CC avait pourtant admis, dans sa décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, que des conditions de ressources soient fixées pour bénéficier de prestations familiales, pourtant financées par des cotisations patronales assises sur tous les salaires. Il existe en tout état de cause de nombreux mécanismes (assiettes ou cotisations forfaitaires, plafond de la sécurité sociale, revenus perçus après la liquidation de la pension qui sont assujettis à cotisation mais n’ouvrent plus aucun droit, cotisations de solidarité n’ouvrant pas de droits supplémentaires) déconnectant cotisations et ouverture de droits.

Le champ des cotisations sociales n’est pas limité aux régimes obligatoires de base. Il a ainsi été admis par le CE que les cotisations d’assurance chômage sont aussi des cotisations sociales, alors même que l’assurance chômage ne relève pas de la sécurité sociale au sens de l’article 34 de la Constitution (16 février 2001, n° 208609, UNEDIC). Le CE a toutefois relevé l’absence de « lien direct » entre le montant de ces cotisations et les avantages « immédiats » que les employeurs et les salariés peuvent en retirer (5 janvier 1994, n° 73875, Ministre du budget c/ Union des Assurances de Paris). Dans le même champ, le CC a qualifié de cotisation sociale la contribution « Delalande », extérieure à la sphère de la sécurité sociale, en relevant que, payée par les employeurs licenciant des salariés âgés, elle concourait au financement d’allocations versées aux travailleurs privés d’emploi (décisions n° 92-311 DC du 29 juillet 1992 et n° 94-357 DC du 25 janvier 1995). Mais dès que l’on sort du champ des assurances sociales, la qualification de cotisation sociale ne peut plus être retenue. Ainsi, le

4 Prononcées alors que le débat parlementaire sur l’institution de la CSG venait de s’engager et qui ont très directement inspiré la définition retenue par le CC.

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CC a requalifié en imposition de toutes natures la « cotisation » versée par les employeurs au fonds national d’aide au logement (FNAL), laquelle sert à financer des aides personnelles au logement qui ne sont pas des prestations de sécurité sociale (décision n° 2014-706 DC du 18 décembre 2014).

La conséquence de la qualification de cotisation sociale a été précisée par le CC dès sa décision n° 60-10 L du 20 décembre 1960 : « si, en ce qui concerne le régime des assurances sociales, doivent être compris au nombre [des] principes fondamentaux [de la sécurité sociale] la détermination des catégories de personnes assujetties à l’obligation de cotiser ainsi que le partage de cette obligation entre employeurs et salariés, il appartient au pouvoir réglementaire de fixer le taux de la part qui incombe à chacune de ces catégories dans le payement de la cotisation ». Relève par voie de conséquence de la compétence du législateur la détermination des catégories de bénéficiaires exemptés totalement de cotisation (décision n° 70-66 L du 17 décembre 1970). Il appartient également à la loi de « déterminer les éléments de l'assiette des cotisations sociales » (décision n° 2001-451 DC du 27 novembre 2001). Le CE a une jurisprudence concordante (Ass., 10 juillet 1996, n° 131678, URSSAF de la Haute-Garonne).

1.1.1.1.3. Les impositions de toutes natures

A défaut du respect des critères permettant de qualifier un prélèvement obligatoire (au sens juridique du terme) de redevance ou de cotisation, le juge le qualifiera d’imposition de toutes natures : peu importe la dénomination, tout prélèvement à caractère obligatoire et de nature non budgétaire est ainsi qualifié s’il ne relève pas d’une autre catégorie. Il s’agit en quelque sorte de la catégorie-balai, ce qui est paradoxal alors qu’il s’agit de la catégorie à la fois la plus contraignante juridiquement (au regard de la compétence du législateur et des droits et libertés constitutionnels à respecter) et la plus forte symboliquement. Mais au regard de ce que sont les redevances et les cotisations, on peut tout de même caractériser de manière générale une imposition par l’absence de toute contrepartie au versement obligatoire qui doit être effectué par les redevables.

A titre d’exemple, le CC a estimé que relèvent de la catégorie des impositions de toutes natures les « redevances » perçues par les agences financières de bassin, devenus agences de l’eau (décision n° 82-124 L du 23 juin 1982, jurisprudence à laquelle s’est ralliée le CE, Ass., 20 décembre 1985, n° 31927, SA Établissements Outters), le « versement transport » destiné au financement des transports en commun (décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991), la contribution sociale de solidarité sur les sociétés (décision n° 91-302 DC du 30 décembre 1991), les « redevances » cynégétiques versées par les chasseurs lors de la validation de leur permis de chasser (décision n° 2000-434 DC du 20 juillet 2000), la taxe due à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à l’occasion de toute demande d’inscription d’un dispositif médical à usage individuel sur la liste des médicaments, spécialités et produits remboursables (décision n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000), la « redevance » d’archéologie préventive (décision n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003), la contribution pour la collecte, la valorisation et l’élimination des déchets due par les entreprises et organismes de distribution gratuite d’imprimés et prospectus (décision n° 2003-488 DC du 29 décembre 2003), les frais d’assiette et de recouvrement des impôts locaux prélevés par l’État (décision n° 2009-585 DC du 6 août 2009), la « cotisation 1 % logement » (décision n° 2010-84 QPC du 13 janvier 2011) ou la contribution versée par les employeurs au titre de leur participation au financement de la formation professionnelle continue (décision n° 2014-708 DC du 29 décembre 2014).

Le CE a une jurisprudence similaire. Il a ainsi qualifié d’impositions de toutes natures les contributions exceptionnelles dont ont été redevables les entreprises assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques (Ass., 28 mars 1997, n° 179049, Société Baxter), les contributions annuelles versées par le fonds d'assurance formation des

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médecins exerçant à titre libéral et par les unions des médecins exerçant à titre libéral au conseil national et aux conseils régionaux de la formation médicale continue pour leur fonctionnement (Ass., 3 juillet 1998, Syndicat des médecins Aix et région). Il a estimé que les contributions réclamées au titre du financement du service universel des télécommunications (18 juin 2003, n° 250608, Société Tiscali Télécom), de même que les « redevances » pour création de locaux à usage de bureaux (17 décembre 2003, n° 237044, Ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer c/ Mme Rado) constituent, par nature, des impositions. Il aussi été conduit à regarder comme des impositions les contributions versées par les employeurs aux organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), ainsi que le versement obligatoire, par ces mêmes OPCA, de leurs excédents financiers au fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (avis sur le projet de loi relatif à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, rapport public CE 2010 p. 116).

Dès lors qu’on est en présence d’une imposition de toutes natures, l’article 34 de la Constitution impose au législateur de fixer les règles concernant son assiette, son taux et ses modalités de recouvrement. A défaut d’épuiser sa compétence en la matière, le législateur risque une censure pour incompétence négative. Par exemple, dans sa décision n° 2009-578 DC du 18 mars 2009, le CC a déclaré contraire à la Constitution l’intégralité de l’article instaurant un prélèvement sur les ressources financières des organismes d'habitations à loyer modéré, au motif « qu'en renvoyant à un décret en CE le soin de définir le mode de calcul du " potentiel financier " annuel moyen, d'arrêter la liste des investissements à prendre en compte pour déterminer le champ d'application du prélèvement en cause et de fixer, sans l'encadrer suffisamment, le taux de ce prélèvement, le législateur a habilité le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l'assiette et le taux d'une imposition ; qu'il a ainsi méconnu l'étendue de sa compétence ». Il appartient seulement au pouvoir réglementaire d'édicter « les mesures d'application qui sont nécessaires à la mise en œuvre » des règles fixées par le législateur (décision n° 68-51 L du 4 avril 1968).

A la différence des cotisations, les impositions de toutes natures, quel que soit leur affectataire, doivent être autorisées annuellement par le Parlement en loi de finances, conformément au 1° du I de l’article 34 de la LOLF.

1.1.1.2. La CSG qualifiée d’imposition de toutes natures

La CSG recouvre quatre contributions distinctes ayant un certain nombre de points communs entre elles (notamment des taux proportionnels) et qui, au total, frappent la quasi-totalité des revenus : une contribution sur les revenus d'activité et de remplacement (articles L. 136-1 à L. 136-5 du code de la sécurité sociale), une contribution sur les revenus du patrimoine (article L. 136-6 du même code), une contribution sur les produits de placement (article L. 136-7 de ce code) et une contribution sur les sommes engagées ou produits réalisés à l'occasion des jeux (article L. 136-7-1). La CRDS, instituée par l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, est bâtie sur le même modèle, avec une cinquième contribution supplémentaire sur les ventes de métaux précieux, bijoux, objets d'art, de collection et d'antiquité.

Lorsqu’il a été saisi de la loi de finances pour 1991 ayant institué la CSG, le CC a, dans sa décision n°90-285 DC du 28 décembre 1990, confirmé la qualification que lui avait donnée le législateur, à savoir celle d’une imposition de toutes natures. Ce choix initial du législateur, validé par le juge constitutionnel, n’était pas essentiellement motivé par la place de ces dispositions en loi de finances (il n’aurait en effet pas été possible, au regard de la définition organique du domaine des lois de finances, d’y faire figurer des dispositions relatives à des cotisations sociales), le Gouvernement ayant déposé un projet de loi spécifique instituant une CSG avant de l’intégrer par voie de lettre rectificative au projet de loi de finances déjà déposé devant l’Assemblée nationale.

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Le critère déterminant est la finalité du prélèvement. Or ce prélèvement ne présente pas de lien suffisamment direct avec des prestations pour pouvoir être qualifié de cotisation : contrairement aux cotisations sociales, le fait d’être assujetti à la CSG n’ouvre droit à aucune prestation sociale. Comme le relevait le CC dans cette décision, les quatre contributions distinctes constituant la CSG « ont pour finalité commune la mise en œuvre du principe de solidarité nationale ». Un prélèvement dépassant la mise en œuvre de la solidarité professionnelle, au sein d’un régime de sécurité sociale déterminé, ne peut que constituer une imposition de toutes natures.

Le CC a réitéré sa jurisprudence relative à la CSG dans sa décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996, en précisant que « le produit de cette contribution est appelé à concourir de façon significative à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base », ainsi que dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000. Le commentaire aux Cahiers du CC de cette dernière décision précisait que la CSG avait « pour finalité la mise en œuvre d'une solidarité nationale et qui, dès son institution, a été caractérisée par son universalité, sa proportionnalité et sa simplicité ». Le CC a jugé de même, explicitement, pour la CRDS, le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement et la contribution additionnelle à la CSG sur les revenus du capital affectée à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) dans sa décision n° 2007-555 du 16 août 2007, ainsi que pour la contribution de solidarité pour l’autonomie également affectée à la CNSA et ayant la même assiette que les cotisations patronales d'assurance maladie (décision n° 2011-148/154 QPC du 22 juillet 2011). Cette jurisprudence concerne tous les prélèvements sociaux de nature similaire à la CSG.

Le CE a aussi classé la CRDS parmi les impositions de toutes natures (4 novembre 1996, n° 177162, Association de défense des sociétés de course des hippodromes de province). Il a justifié une telle qualification, tant pour la CSG que pour la CRDS, dans sa décision du 7 janvier 2004, n° 237395, Mme Martin, en constatant que « l’obligation faite par la loi d’acquitter la CSG et la CRDS est dépourvue de tout lien avec l’ouverture d’un droit à une prestation ou un avantage servis par un régime de sécurité sociale ». Il a confirmé que ces contributions constituent des impositions de toutes natures et non des cotisations de sécurité sociale « au sens des dispositions constitutionnelles et législatives nationales » dans plusieurs décisions ultérieures (15 juin 2005, n° 258039, M. et Mme Greard ; 4 juin 2007, n° 269449, M. Sokolow, s’agissant de revenus d’activité de source étrangère ; 4 mai 2011, n° 330551, Ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État et Cousin, s’agissant spécifiquement de la CRDS sur les revenus du patrimoine).

La Cour de cassation avait initialement la même jurisprudence. Dans l’arrêt de sa chambre sociale du 25 mars 1998, n° 95-45.198, CRCAM Sud-Alliance c/ Tallagnon, elle s’est prononcée dans le cadre d'un litige prud'homal opposant un salarié, ayant pris sa retraite par anticipation, à son ancien employeur quant à la prise en charge par ce dernier de certaines des taxes afférentes aux indemnités et versements consécutifs. Pour censurer le jugement du conseil de prud'hommes déniant à la CSG la qualification d'impôt, la Cour n’a pas repris directement à son compte la qualification retenue par le CC mais s’est fondée sur l'article 62 de la Constitution, selon lequel les décisions du CC s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, pour casser le jugement en raison de sa contrariété avec la décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990. En revanche, dans son arrêt du 14 octobre 1998, n° 96-42.439, Société Aquitaine de Fonderie Automobile c/ MM. Danielian et Roux, la chambre sociale a expressément jugé que la CSG constitue une imposition et non une cotisation.

Mais la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, devenue CJUE en 2009) est venue troubler ce bel ordonnancement.

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1.1.2. La qualification juridique de la CSG en droit de l’UE

Si la question de la nature juridique de la CSG au regard du droit de l’UE a été tranchée s’agissant de la contribution portant sur les revenus d’activité et de remplacement, le débat n’est pas encore clos en ce qui concerne les contributions pesant sur les revenus du patrimoine ainsi que sur les produits de placement.

1.1.2.1. La CSG sur les revenus d’activité et de remplacement

Saisie par la Commission d'une action en manquement dirigée contre la France sur la question de l'assujettissement à la CSG et à la CRDS des revenus d'activité et de remplacement soumis au régime de sécurité sociale d'un autre pays de l'Espace économique européen (EEE), alors que le champ d'application personnel de la CSG et de la CRDS était défini par le seul critère de la résidence fiscale en France, la CJCE a jugé cet assujettissement contraire au droit communautaire, sans pour autant se prononcer sur la nature de cotisation ou d'imposition de ces deux contributions.

Par deux arrêts de plénière du 15 février 2000, aff. 34/98 et 169/98, Commission c/ France, la CJCE a ainsi jugé contraire au règlement CEE 1408/71 du 14 juin 1971 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (devenu le règlement CE 883/2004 du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale) l'application de la CSG et de la CRDS aux revenus d'activité et de remplacement des travailleurs salariés et indépendants résidant en France, mais non soumis à la législation française de sécurité sociale dès lors qu’ils étaient assujettis aux régimes obligatoires de protection sociale dans les pays où ils étaient salariés.

La CJCE a constaté que la CSG et la CRDS entrent dans le champ d’application du règlement communautaire dès lors qu'elles financent les régimes français de sécurité sociale et présentent donc un lien direct et suffisamment pertinent avec les branches de sécurité sociale énumérées à l'article 4 du règlement. Selon la CJCE, « le critère déterminant est celui de l’affectation spécifique d’une contribution au financement du régime de sécurité sociale d’un État membre ». Dans ces conditions, la taxation en France des revenus d'activité et de remplacement de personnes travaillant dans un autre État membre et relevant exclusivement du régime de sécurité sociale de cet autre État méconnaît l'interdiction de double cotisation posée par l'article 13 du règlement. Elle constitue également une entrave à la liberté de circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement dès lors que les résidents de France travaillant dans un autre État membre sont ainsi contraints de financer deux régimes nationaux de sécurité sociale au lieu d'un seul.

La CJCE n’a pas qualifié ces deux prélèvements de cotisations de sécurité sociale, mais a considéré qu’eu égard à leur affectation, ils relevaient du champ d'application du règlement communautaire, même si « le paiement de la CSG n’ouvre droit à aucune contrepartie directe ou identifiable en termes de prestations ». Elle a relevé que « la circonstance qu'un prélèvement soit qualifié d'impôt par une législation nationale ne signifie pas que, au regard du règlement 1408/71, ce même prélèvement ne puisse être regardé comme relevant du champ d'application de ce règlement et, partant, soit visé par la règle du non-cumul des législations applicables ».

Depuis ces arrêts, la législation française a été mise en conformité avec la jurisprudence européenne, en prévoyant que l'assujettissement à la CSG et à la CRDS dépend d’un double critère reposant, d'une part et comme initialement, sur le fait d'être domicilié en France pour l'établissement de l'IR, et, d'autre part, sur le fait d'être à la charge, à quelque titre que ce soit, d'un régime obligatoire français d'assurance maladie (1° de l’article L. 136-1 du code de la sécurité sociale).

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Alors même que la jurisprudence européenne ne se plaçait que sur le terrain de l’affectation de la CSG et de la CRDS, et non de leur finalité, et que la modification législative subséquente pour se mettre en conformité avec elle maintenait le caractère universel de ces contributions en prévoyant un nouveau critère d’assujettissement relatif à l’affiliation à un des régimes de sécurité sociale existant et non à un régime professionnel en particulier, la Cour de cassation en a tiré une conséquence excessive en refusant la dichotomie de la CSG retenue par le CE – imposition au regard du droit interne en raison de sa finalité, cotisation au regard du droit de l’UE en raison de son affectation – pour juger qu’elle devait, de manière générale, être qualifiée de cotisation sociale.

Telle a été la jurisprudence, d’abord de sa chambre sociale (15 juin 2000, n° 98-12.469, M. Bozon c/ URSSAF de Saône-et-Loire ; 5 avril 2001, n° 99-18. 887, SA Confortex France c/ URSSAF de Lille ; 18 octobre 2001, n° 00-12. 463, André c/ URSSAF du Territoire de Belfort), puis de sa 2ème chambre civile (8 mars 2005, n° 03-30.700, Sté Dalle c/ URSSAF de Lille ; 10 mai 2005, n° 04-30.094, Burkhart c/ Caisse de prévoyance des agents de la sécurité sociale). Selon cette jurisprudence judiciaire, la CSG et la CRDS revêtent, du fait de leur affectation exclusive au financement de divers régimes de sécurité sociale, la nature d'une cotisation de sécurité sociale.

S’il en résulte logiquement que les résidents fiscaux français qui exercent leur activité salariée sur le territoire d'un autre État membre où ils sont affiliés à un régime de sécurité sociale ne doivent acquitter ni la CSG, ni la CRDS, l’exonération dont la Cour de cassation a fait bénéficier les travailleurs frontaliers en Suisse était excessive car non fondée sur le règlement 1408/71. De même, ne pas appliquer la condition de résidence fiscale en France pour assujettir à la CSG des personnes travaillant en France et soumises à la législation française de sécurité sociale mais résidant en Belgique, en raison de la qualification de cotisation sociale de cette contribution, alors même que le règlement communautaire désigne la législation française seule applicable constitue un paradoxe résultant de ce conflit de règles dans l’espace.

En revanche, dans toutes ses décisions précitées relatives à la CSG et à la CRDS postérieures aux arrêts du 15 février 2000 de la CJCE, le CE a maintenu constante sa jurisprudence les qualifiant d’impôt en droit interne, alors même que la CJCE a jugé que ces prélèvements, en tant qu'ils frappaient des salaires et avaient pour objet de financer des régimes de sécurité sociale, entraient dans le champ d'application du règlement européen régissant le droit d'assujettir les travailleurs frontaliers à des cotisations sociales. On aurait certes pu estimer, au regard du seul droit interne, que l’introduction par voie législative du nouveau critère d’assujettissement lié à l’affiliation à un régime de sécurité sociale aurait pu amener à une requalification en cotisation, dès lors que ce critère avait été jugé déterminant dans la décision Union des assurances du secteur privé du 26 octobre 1990 précitée, mais le CE a en tout état de cause fait prévaloir la qualification d’imposition réitérée par le CC après les arrêts de la CJCE (dès sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000), en se fondant uniquement sur le critère de la finalité de la CSG.

Finalement, par un arrêt de sa chambre sociale du 31 mai 2012, n° 11-10.762, Esso c/ Kalfon, la Cour de cassation s’est ralliée à la position du CE, en jugeant que « si la CSG entre dans la catégorie des impositions de toutes natures au sens de l'article 34 de la Constitution, dont il appartient dès lors au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement, cette contribution revêt également, du fait de son affectation exclusive au financement de divers régimes de sécurité sociale, la nature d'une cotisation sociale au sens de l'article 13 du règlement CEE 1408/71 du 14 juin 1971 ». Les qualifications d'imposition de toutes natures et de cotisation sociale ne sont donc pas exclusives l'une de l'autre, mais dépendent en réalité de l’objet du litige et du texte à mettre en œuvre : l'article 34 de la Constitution fixe une règle de compétence au profit du législateur, alors que le droit de l’UE a pour objet de coordonner les régimes de protection sociale au sein de l'UE en prévenant les doubles assujettissements. S’agissant d’interpréter

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une clause d'égalisation fiscale figurant dans le contrat de travail d'un salarié expatrié, la Cour de cassation a retenu la qualification de cotisation sociale pour juger que la CSG ne pouvait pas être retenue au titre de l'impôt théorique prélevé par l'employeur5.

1.1.2.2. La CSG sur les revenus du patrimoine et sur les produits de placement

La qualification des contributions sociales sur les revenus du capital au regard du droit de l’UE demeure indéterminée à ce jour. Elle ne sera tranchée par la CJUE, saisie d’une question préjudicielle par le CE, qu’au début de l’année 2015 selon son calendrier prévisionnel de jugement.

Le critère social d’assujettissement à la CSG et à la CRDS sur les revenus d'activité et de remplacement n’a été ajouté à l'exigence d'un domicile fiscal en France qu’en 2001, à l’occasion de la mise en conformité de la législation française avec les arrêts du 15 février 2000 de la CJCE. Pour la CSG et la CRDS sur les revenus du patrimoine et sur les produits de placement, demeure applicable uniquement le critère fiscal, de sorte que la situation des personnes percevant des revenus du patrimoine mais travaillant dans un autre État membre est la même que celle antérieure à 2001 au regard de la CSG et de la CRDS sur les revenus d’activité et de remplacement.

Il convient toutefois de noter qu’en raison d’une erreur de codification lors de la mise en conformité réalisée en 2001, le critère social s’est tout de même appliqué pour la CRDS sur les revenus du patrimoine jusqu’au 1er janvier 2011. Cette situation a été révélée par la décision Cousin du CE du 4 mai 2011 précitée. En effet, par le jeu de renvois erronés entre articles de textes législatifs, la définition des assujettis à la CRDS sur les revenus du patrimoine était la même que pour la CRDS sur les revenus d’activité et de remplacement, avec le critère social. Cette anomalie n’a été corrigée, après la décision du CE, que par la LFSS 2012.

Hormis cet « accident légistique »6, les personnes qui résident en France mais travaillent dans un autre État membre restent assujetties aux prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine. Ces contributions participent certes au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, mais elles sont assises uniquement sur les revenus du patrimoine du contribuable, indépendamment de toute activité professionnelle. Y a-t-il malgré tout un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent les branches de sécurité sociale, au sens du règlement 1408/71, pour justifier d’appliquer à ces contributions le même raisonnement que celui retenu par la CJCE en 2000 pour les contributions ne concernant que des revenus d’activité et de remplacement ?

L’activité professionnelle d’un travailleur, qu’elle soit salariée ou non salariée, se rattache nécessairement à un lieu d’exercice dans un État membre déterminé. Ce rattachement du travailleur, qui a utilisé son droit à la libre circulation, au territoire d’un État membre est susceptible d’entraîner l’application du règlement 1408/71. Mais les revenus du patrimoine n’ont pas de lien particulier avec l’exercice d’une activité professionnelle sur le territoire d’un État membre. En effet, un travailleur peut percevoir des revenus du patrimoine dans un État membre autre que celui sur le territoire duquel il exerce son activité professionnelle.

Le CE a été saisi du cas d’un résident fiscal en France qui est travailleur salarié aux Pays-Bas et perçoit, en plus de ses revenus d’activité, des rentes viagères à titre onéreux de source

5 La Cour de cassation maintient encore sa jurisprudence dissidente, fondée sur la notion d’affectation à la sécurité sociale, pour qualifier, de manière générale, de cotisation et non d’imposition la contribution sociale de solidarité des sociétés (Civ. 2e. 14 février 2013, n° 11-28.470, SA Matines c/ Caisse nationale du RSI), contrairement à la décision précitée du CC du 30 décembre 1991 et à la jurisprudence du CE (30 juin 2006, n° 281181, SA Groupe Appro). 6 Selon les termes employés par E. Crépey dans ses conclusions sur la décision de Ruyter du CE du 17 juillet 2013.

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néerlandaise. Ces revenus du patrimoine peuvent-ils être assujettis aux prélèvements sociaux en France ? Dans sa décision du 17 juillet 2013, n° 334551, Ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État c/ de Ruyter, le CE a jugé qu’aucun principe de droit de l'UE n'impose aux Etats membres de prévenir la double imposition juridique pouvant découler de l'exercice parallèle des compétences fiscales des différents Etats membres, conformément à la jurisprudence de la CJCE en matière de dividendes (Gr. ch., 14 novembre 2006, aff. 513/04, Kerckhaert et Morres).

Sur la question de l’application du règlement 1408/71, le rapporteur public E. Crépey estimait que « dès lors qu'un prélèvement obligatoire, quelle que soit sa nature juridique et quelle que soit la nature des revenus sur lesquels il pèse, est directement et spécifiquement dédié au financement de l'un des régimes de sécurité sociale d'un État membre déterminé, l'esprit du règlement de 1971 est de considérer qu'il ne doive être supporté que par ceux qui sont affiliés à l'un des régimes de cet État, peu important même, en réalité, que ce revenu soit, ou pas, un élément de l'assiette de financement de la protection sociale dans l'autre État ». Le CE n’a pas souhaité répondre directement à cette question en affirmant le rôle déterminant du critère de l’affectation à la sécurité sociale par rapport à la nature des revenus en cause, mais a posé à la CJUE la question préjudicielle suivante :

« Des prélèvements fiscaux sur les revenus du patrimoine tels que la CSG sur les revenus du patrimoine, la CRDS assise sur ces mêmes revenus, le prélèvement social de 2 % et la contribution additionnelle à ce prélèvement, présentent-ils, du seul fait qu’ils participent au financement de régimes obligatoires français de sécurité sociale, un lien direct et pertinent avec certaines des branches de sécurité sociale énumérées à l’article 4 du règlement du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté et entrent-ils ainsi dans le champ de ce règlement ? »

Dans ses conclusions rendues publiques le 21 octobre 2014 (affaire C-623/13), l’avocat général E. Sharpston a estimé que le règlement 1408/71 n’établit aucune distinction fondée sur la nature des revenus sur lesquels une contribution sociale est perçue pour apprécier l’existence d’un lien direct et suffisamment pertinent avec les lois qui régissent la sécurité sociale, et que l’exercice (actuel ou antérieur) d’une activité professionnelle est sans importance pour ce qui est de savoir si une personne relève de ce règlement. Dans ces conditions, les prélèvements sociaux sur les revenus du capital relèveraient du champ d’application du règlement, et ne pourraient donc pas être perçus des personnes relevant d’un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’UE.

La réponse à la question concernant la CSG et la CRDS est d’autant plus prégnante que la loi de finances rectificative du 16 août 2012 a étendu le champ d'application des prélèvements sociaux aux revenus fonciers et aux plus-values immobilières de source française perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France au sens de l'article 4 B du CGI. Non seulement les résidents travaillant dans un autre État membre sont soumis aux prélèvements sociaux sur les revenus du capital, mais aussi désormais les non-résidents, sous réserve des conventions internationales, quand bien même ils sont soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre État membre.

La Commission a déjà eu l’occasion d’estimer que cette modification de la législation française était contraire au droit de l’UE dans le cadre d’une procédure EU Pilot n° 4339/12/EMPL, qui a fait l’objet d’une clôture négative le 11 juillet 20137. Elle a été

7 Cette procédure a été mise en place par la Commission à partir de 2008 pour communiquer avec les États membres sur des questions relatives à l'application correcte du droit de l'UE ou la conformité de la législation d'un État membre avec celui-ci, et ce à un stade précoce de la procédure (avant le lancement d'une procédure d'infraction au titre de l'article 258 du TFUE). EU Pilot permet le traitement des plaintes adressées par les citoyens et les entreprises au sujet de l'application correcte du droit de l'UE et, simultanément, aux États membres de

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saisie par un résident fiscal irlandais, relevant de la législation de sécurité sociale irlandaise, qui conteste l’assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus d’un bien immobilier détenu en France. Quand bien même la France arguait que l’imposition de revenus liés aux biens immeubles doit faire l’objet d’un traitement particulier tenant à leur nature, la Commission s’est placée sur le seul terrain de l’affectation spécifique et directe des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine au financement de la sécurité sociale. Le principe d’unicité de législation en matière de prélèvements affectés à la sécurité sociale devrait s’appliquer tant qu'il s'agit des revenus personnels des personnes concernées, seuls les prélèvements sur les biens et services (comme la TVA ou les droits d’accises) étant exclus du champ d'application du règlement européen.

En fonction de la réponse à la question préjudicielle posée par le CE à la CJUE, la législation française concernant l’ensemble des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, soit pourra rester applicable en l’état en cas de réponse négative, soit devra être alignée sur les critères d’assujettissement applicables en matière de prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement en cas de réponse positive, si la Cour suivait les conclusions de son avocat général.

1.2. Les conséquences de la dualité de qualification juridique de la CSG

La qualification juridique donnée à la CSG et aux autres contributions sociales n'est pas une question purement théorique. Il convient de déterminer ses conséquences sur les marges de manœuvre ouvertes en matière de réforme fiscale.

Au sens des dispositions constitutionnelles nationales, la CSG constitue une imposition de toutes natures. L'autorité compétente pour fixer ses règles d'assiette, ses taux et ses modalités de recouvrement est le législateur, qui peut exercer sa compétence soit en loi de finances, soit en LFSS, soit dans une loi ordinaire, mais qui doit exercer pleinement sa compétence en ne laissant au pouvoir réglementaire que la fixation des modalités de mise en œuvre des règles législatives.

Une difficulté pratique a surgi du fait que la CSG sur les revenus d’activité s’est substituée à des cotisations sociales, en reprenant leurs règles d’assiette et de recouvrement. Afin, d’une part, de ne pas risquer d’introduire de différenciation entre les règles applicables aux cotisations et aux contributions sociales et, d’autre part, de ne pas devoir reprendre et actualiser chaque année dans la loi des dispositions assez complexes et détaillées (notamment pour le calcul d’assiettes forfaitaires applicables à certaines professions), une technique légistique particulière a été retenue : tant le I bis de l’article L. 136-2 et l’article L. 136-3 du code de la sécurité sociale (pour les règles d’assiette) que l’article L. 136-5 du même code (pour les règles de recouvrement) prévoient que le Parlement valide implicitement chaque année les règles correspondantes figurant dans des décrets et arrêtés « dans leur rédaction en vigueur à la date de publication de la dernière LFSS ».

Au sens des dispositions législatives nationales, la CSG – en tant qu’imposition – ne saurait être assimilée aux cotisations sociales pour l’application des règles de déductibilité au regard du revenu imposable à l'IR (tel était d’ailleurs l’objet du litige ayant donné lieu à la décision Martin du CE du 7 janvier 2004 précitée). Son régime de déduction pour la détermination des bases d’imposition à l’IR est organisé de manière tout à spécifique par la loi : seule une fraction de la CSG est déductible, comme on le verra en deuxième partie du présent rapport, alors qu’en principe (en vertu du 4° du 1 de l’article 39 du CGI) tous les impôts peuvent être compris parmi les charges déductibles.

fournir des éclaircissements sur leur situation et d’apporter des solutions dans un délai donné pour mettre fin à des infractions au droit de l'UE.

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Au sens du droit de l’UE, la CSG (au moins en ce qui concerne les revenus d’activité et de remplacement) constitue une cotisation sociale. Le principe de l’unicité de la législation nationale applicable à une personne affiliée à la sécurité sociale, qui a pour corollaire l’interdiction d’une double cotisation sur un même revenu personnel, interdit d’assujettir à la CSG les personnes physiques qui ne sont pas à la charge d'un régime obligatoire français d'assurance maladie.

Mis à part ce critère d’assujettissement, la qualification de la CSG en droit de l’UE n’a aucune autre conséquence, notamment sur la définition des règles d’assiette. En effet, la CJCE a précisé, dans son arrêt du 3 avril 2008, aff. 103/06, Derouin c/ URSSAF de Paris, que la France peut exclure de l’assiette de la CSG et de la CRDS les revenus perçus dans un autre État membre par un travailleur affilié à la sécurité sociale en France, par application notamment d'une convention préventive de la double imposition en matière d'impôts sur les revenus. Elle a ainsi indiqué que, « s’agissant plus particulièrement de la détermination de l’assiette des contributions sociales, selon une jurisprudence constante, il appartient, en l’absence d’une harmonisation au niveau communautaire, à la législation de chaque État membre concerné de déterminer les revenus à prendre en compte pour le calcul de ces contributions. Il importe, certes, que, dans l’exercice de sa compétence, l’État membre concerné respecte le droit communautaire. La compétence des États membres n’est donc pas illimitée, dès lors que ces derniers sont notamment tenus de respecter l’esprit et les principes du règlement n° 1408/71, dont celui de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, de veiller à ce qu’une personne ne soit pas pénalisée dans l’exercice de son droit à la libre circulation et de s’assurer que le régime ainsi élaboré ne prive pas cette personne de protection sociale ». La France est donc pleinement compétente pour déterminer l’assiette de la CGS et la CRDS.

Il est possible, soit comme dans l’affaire Derouin de renoncer, unilatéralement ou dans le cadre d'une convention fiscale bilatérale, à inclure dans l'assiette de la CSG les revenus perçus dans d’autres États membres par un travailleur, soit par parallélisme avec l’affaire Allard (26 mai 2005, aff. 249/04) d'y inclure l'ensemble des revenus perçus par un travailleur en France et sur le territoire d'autres États membres.

La nature juridique « hybride » de la CSG fait peser peu de contraintes sur les possibilités d’évolution de ce prélèvement. Tant qu’il répond à une finalité de solidarité nationale, il relève de la compétence fiscale du législateur et non des principes fondamentaux de la sécurité sociale. Tant qu’il est affecté à la sécurité sociale, il ne saurait taxer des travailleurs relevant de la législation de sécurité sociale d’autres États membres.

De ce point de vue, la fusion de la CSG dans un seul impôt sur le revenu pourrait faire tomber cette contrainte européenne : l’impôt sur le revenu fusionné étant en principe affecté à l’État, le règlement 1408/71 ne lui serait pas applicable. La réaffectation à la sécurité sociale d’une fraction du produit de cet impôt (sous la forme d’une fraction de TVA selon les actuels circuits financiers entre État et sécurité sociale ou d’un nouveau prélèvement sur les recettes de l’État qui pourrait être créé par la loi organique) ne constituerait pas, au sens de ce règlement, un lien suffisamment direct et pertinent avec la législation de sécurité sociale pour qu’il demeure applicable. En revanche, on peut avoir des interrogations en cas d’affectation directe à la sécurité sociale d’une fraction du produit de l’impôt fusionné : un tel prélèvement serait-il regardé par la CJUE comme spécifiquement affecté au financement de la sécurité sociale ? Dans ses conclusions rendues publiques le 21 octobre 2014 (affaire C-623/13), l’avocat général E. Sharpston a certes estimé que « la circonstance qu’une partie du produit d’une taxe participe au financement de la sécurité sociale ne suffit pas, à elle seule, à faire entrer cette taxe dans le champ d’application dudit règlement », mais elle donne en exemple la TVA qui n’est pas une imposition sur le revenu mais sur la consommation. La Cour pourrait peut-être tenir compte de l’importance de la part affectée à la sécurité sociale, et n’appliquer le règlement si celle-ci dépassait 50 %.

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Compte tenu du droit de l’UE, tout prélèvement sur les revenus personnels affecté directement au financement d’un régime de sécurité sociale ne devrait pas taxer des revenus soumis à des prélèvements équivalents dans d’autres États membres, alors qu’un financement au moyen d’une imposition d’Etat pourrait permettre de taxer de tels revenus. Cette contrainte pesant sur la territorialité du prélèvement social, d’une portée relativement limitée, résulte du choix du mode de financement de la sécurité sociale dans chaque État membre. Mais il s’agit en réalité de la conséquence de l’absence d’harmonisation européenne en la matière, puisque le droit de l’UE ne porte pas atteinte à la compétence des États membres pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale (CJUE, 21 février 2013, aff. 282/11, Salgado González). Et, au regard de l’article 153 du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), ces règles européennes de coordination en matière de sécurité sociale ne sont pas susceptibles d’affecter sensiblement l’équilibre financier de la sécurité sociale de chaque État membre, ni de porter substantiellement atteinte au principe de subsidiarité en vertu duquel chaque État membre peut définir les principes fondamentaux de son système de sécurité sociale.

Dans ces conditions, vouloir engager un débat en faveur d’une requalification de la CSG en cotisation en droit interne paraît vain. Cette piste a pourtant été évoquée dans le rapport d’étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale publié par le Haut Conseil du financement de la protection sociale en juin 2013. Il est ainsi indiqué pp. 68-69 de ce rapport d’étape que « sur le plan juridique, l’idée qu’un prélèvement doive nécessairement être regardé comme un impôt dès que son assiette s’étend au-delà des revenus d’activité, alors même qu’il conserve une vocation à financer des régimes de protection sociale, peut être discutée. Dans le cas de la CSG, c’est sa non-déductibilité initiale du revenu imposable à l’IR, et la volonté exprimée alors par les pouvoirs publics d’en faire un élément de progressivité des prélèvements obligatoires dans leur ensemble qui ont conduit le CC à la qualifier d’imposition de toutes natures en 1990. Il est permis de penser que le sort juridique de la CSG aurait pu être différent si ces orientations n’avaient pas été prises au départ ».

Ces prémisses paraissent erronées : la finalité du prélèvement a toujours justifié la qualification de la CSG comme imposition de toutes natures. Les caractéristiques essentielles de la CSG n’ont pas évolué depuis sa création, de sorte que cette qualification juridique n’est guère susceptible d’être remise en cause par le CC. En tout état de cause, ce dernier semble avoir fermé la porte à toute évolution de jurisprudence par sa décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014 qui a rappelé que l’objet exclusif des cotisations salariales consiste à ouvrir des droits et non à mener une politique redistributive. S’engager dans la voie envisagée par le Haut Conseil nécessiterait donc, soit de procéder à une révision constitutionnelle – qui serait très difficile à calibrer et aurait des effets quasi-nuls –, soit de modifier l’organisation de la sécurité sociale pour qu’il n’y ait plus en France qu’un seul régime universel – de sorte que l’assujettissement à cet unique régime de nature beveridgienne et l’affectation du financement dédié se superposeraient exactement.

Le rapport d’étape poursuit pourtant : « une piste de réflexion pour l’évolution future du financement de la protection sociale pourrait consister, dans la lignée de la jurisprudence de la CJCE, à dégager une distinction entre les divers prélèvements basée sur leur affectataire : seraient qualifiés d’impôts les prélèvements affectés à l’État et aux collectivités locales, et de cotisations les prélèvements affectés à la protection sociale. Mettant en adéquation le droit interne et le droit européen, cette clarification permettrait de stabiliser les règles applicables aux prélèvements sociaux, et notamment de donner compétence aux LFSS, dans leur champ d’intervention, de créer, de modifier et d’autoriser le recouvrement des prélèvements affectés au financement de la sécurité sociale. Elle serait par suite propice au développement d’une jurisprudence propre aux cotisations, dont on peut penser qu’elle serait plus ouverte en termes de progressivité du prélèvement, tant que le lien entre ce dernier et les prestations qu’il finance n’est pas trop distendu ».

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Il convient de rappeler que la qualification de la CSG au regard du droit de l’UE est sans incidence sur la qualification nationale d’imposition de toutes natures et que le critère de l’affectation n’est pas retenu en droit interne pour qualifier un prélèvement : il revient seulement à la loi de définir cette affectation comme élément constitutif de l’impôt (ainsi que le CC l’a rappelé dans sa décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013 en ce qui concerne la taxe d’apprentissage). Comme on l’a vu, la LFSS est déjà compétente pour déterminer l’ensemble du régime juridique applicable à la CSG (sauf son autorisation de perception annuelle, qui figure à l’article 1er de la loi de finances), et il conviendrait de ne pas réduire la compétence du Parlement en matière de financement de la sécurité sociale compte tenu des montants en cause et des enjeux. Enfin, le principe d’égalité devant les charges publiques s’applique aussi aux cotisations sociales, même s’il a une portée différente (notamment en ce qui concerne la progressivité et le caractère confiscatoire des prélèvements).

Ainsi, le CC a jugé que ce principe est applicable en matière de cotisations sociales dues par les sociétés d'exercice libéral (décision n° 2010-24 QPC du 6 août 2010), d’exonération de cotisation patronales d'assurance vieillesse en faveur de l’aide à domicile (décision n° 2011-158 QPC du 5 août 2011) ou de réduction générale (dite « réduction Fillon ») de cotisations patronales (décision n° 2013-300 QPC du 5 avril 2013). Le CE contrôle également le respect du principe d’égalité devant les charges publiques en matière de cotisations (17 novembre 2000, n° 185772, URSSAF de la Haute-Garonne ; 30 janvier 2008, n° 273438, Fédération générale agroalimentaire CFDT). Le CE raisonne régime par régime en matière de cotisations (6 septembre 2006, n° 277752, Union des familles en Europe ; 19 septembre 2012, n° 349087, M. Sartini), ce qui n’a en revanche pas de sens s’agissant de la CSG, laquelle taxe uniformément tous les assujettis au titre de la solidarité nationale et non pas seulement ceux relevant d’un régime particulier de sécurité sociale.

Il n’est donc pas recommandé au CPO de s’engager plus avant dans ce débat. Il suffit de prendre acte de l’absence de contrainte forte et de difficulté particulière résultant de la double qualification juridique de la CSG, qui n’est aucunement un obstacle à une réforme de ce prélèvement, combinée ou non à l’IR.

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2. Le respect du principe d’égalité dans le cadre de réformes de l’IR et de la CSG

Comme l’a rappelé le CC dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, le législateur est compétent pour déterminer l’ensemble des règles applicables à la CSG « sous réserve de respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle ». Parmi ceux-ci, le plus prégnant en matière fiscale est l’obligation de respecter le principe d’égalité. On distingue deux branches du principe d’égalité, selon leur fondement constitutionnel :

– l'article 6 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le CC juge que le principe d'égalité devant la loi (en général, et la loi fiscale en particulier) « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; qu'il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes » ;

– l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Sur ce fondement, le CC juge de manière générale que, pour assurer le respect du principe d'égalité devant les charges publiques, « le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ». S’agissant plus particulièrement de la loi fiscale, le CC ajoute que l’exigence résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789 « ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ; qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives » (voir, dernièrement, ces formulations dans la décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013).

Le contrôle de constitutionnalité opéré au regard de ces principes s’articule en quatre étapes :

− le CC examine si la différence de traitement résultant de la législation peut être justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi (voir par exemple sa décision n° 83-162 DC des 19-20 juillet 1983) ;

− si tel n’est pas le cas, il recherche la raison d’intérêt général en rapport direct avec la loi qui peut justifier une différence de traitement (voir par exemple sa décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003) ;

− il vérifie le caractère objectif et rationnel des critères qui fondent la différence de traitement en fonction des buts que le législateur se propose de poursuivre (voir par exemple sa décision n° 2003-477 DC du 31 juillet 2003) ;

− enfin, il exerce un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation, de l’éventuelle rupture d’égalité devant les charges publiques pouvant résulter de la loi (voir par exemple sa décision n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000).

Le contrôle restreint exercé par le CC se justifie par le fait que ce dernier ne se reconnaît pas « un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas

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manifestement inappropriées à l'objectif visé » (voir par exemple décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012).

Comment cette grille d’analyse constitutionnelle peut-elle être appliquée au regard de certaines questions susceptibles de se poser dans le cadre de réformes de la CSG ? Seront étudiés à cette aune successivement les obligations pesant sur les revenus imposables, celles concernant la prise en compte du foyer fiscal et enfin celles relatives aux taux des impositions.

2.1. L’appréciation des revenus imposables

La détermination des revenus imposables dans le cadre de réformes concernant l’IR et la CSG peut poser question au regard de la nécessaire prise en compte des facultés contributive, en ce qui concerne tant la prise en compte des frais professionnels que les règles de déductibilité.

2.1.1. La prise en compte des frais professionnels

Depuis sa création en 1991, la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement est perçue sur une assiette nette de frais professionnels, ces frais étant obligatoirement déduits de manière forfaitaire sur les salaires et revenus assimilés, alors que les non-salariés peuvent déduire leurs frais réels. Le taux de la déduction forfaitaire pour frais professionnels a d’abord été fixé à 5 %, puis il a été ramené à 3 % à compter de 2005 et enfin à 1,75 % à compter de 2012. La LFSS 2011 a également limité la déduction forfaitaire sur un montant de frais professionnels n’excédant pas quatre fois le plafond de la sécurité sociale, soit 12 516 € par mois en 2014. Il existe un système équivalent à l’IR puisque la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels y est plafonnée à 12 097 € pour l’IR 2014 dû sur les revenus 2013.

Cette déduction forfaitaire permet d’assurer l’égalité de traitement entre salariés et non-salariés8, au regard de deux types de considération :

– les conditions de déductibilité tout d’abord : les non-salariés ont en principe la faculté de déduire l’intégralité de leurs frais professionnels de l’assiette de l’IR (qui sert de base, sous réserve de quelques corrections, à celle de la CSG dont ils sont redevables), alors que l’assiette de la CSG des salariés, fondée sur l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, ne permet une telle déduction que dans certaines limites ;

– la transparence ensuite : le non-salarié qui établit lui-même sa déclaration peut (de bonne ou de mauvaise foi) majorer les frais réellement exposés ; tel n’est pas le cas du salarié. De surcroît, l’employeur ne prend pas nécessairement en charge l’intégralité des frais de ses salariés, quand ceux-ci sont difficilement identifiables ou malaisément dissociables de ses dépenses privées (par exemple une fraction du coût du logement quand le salarié est amené à travailler ponctuellement à domicile).

Le CC avait estimé, dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, que l’existence même de la déduction forfaitaire en faveur des salariés permettait d’éviter toute disproportion manifeste avec la situation des non-salariés. Dans sa décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, il a validé la diminution du taux de la déduction forfaitaire de 5 % à 3 %, en estimant qu’elle « n’a pas rompu de façon caractérisée l’égalité devant les charges publiques » dès lors que le législateur a pris en compte le rapprochement

8 Il existe un mécanisme similaire d’égalisation de l’assiette des revenus soumis à CSG au regard des cotisations sociales : dès lors que la CSG est perçue sur les salaires bruts, les cotisations personnelles de sécurité sociale qui ont été déduites du revenu imposable des travailleurs indépendants sont réintégrées dans l’assiette soumise à CSG.

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des situations réelles des salariés et des non-salariés depuis la création de la CSG. Le CC a pris en considération un changement des circonstances de droit – au regard de possibilités accrues de prise en compte des frais professionnels pour les salariés dans le cadre d’un arrêté du 20 décembre 2002 – ainsi qu’un changement des circonstances de fait grâce aux progrès intervenus dans la connaissance des revenus des indépendants, un argument essentiel étant tiré de la proportion notablement accrue de non-salariés recourant à un centre de gestion agréé pour établir leur déclaration de revenus.

Les modifications ultérieures de la déduction forfaitaire n’ont pas été examinées par le CC. L’écrêtement à quatre fois le plafond de la sécurité sociale a été justifié au regard du fait qu’au-delà d’un tel niveau de rémunération il n’y a plus de frais professionnels. En parallèle pour les non-salariés, la déduction au réel de frais professionnels supérieurs peut sembler difficile à justifier en pratique, sous le contrôle des organismes de recouvrement concernés puis du juge de l’impôt le cas échéant. La réduction à 1,75 % du taux de déduction forfaitaire a été justifiée, en droit, par la continuation de l’amélioration des conditions de prise en charge des frais professionnels des salariés (par exemple, la LFSS 2009 a étendu à l’ensemble du territoire l’obligation pour l’employeur de prendre en charge une partie des abonnements de transport collectifs, antérieurement limité à l’Île-de-France ; de même, les possibilités d’utilisation des titres restaurants financés par les employeurs ont été considérablement accrues par plusieurs dispositions) et, en fait, par une nouvelle augmentation du taux de recours aux centres de gestion agréés par les non-salariés (de 75 % à 80 %) et, en parallèle, par la diminution de la transparence des frais des salariés en raison de la multiplication des abonnements de téléphonie mobile pris en charge par les employeurs mais évidemment utilisables à d’autres fins.

On peut raisonnablement estimer que, sauf à pouvoir justifier de nouvelles modifications substantielles des conditions de droit et de fait, le législateur a fixé le taux de la déduction forfaitaire pour les salariés à un niveau plancher. Il convient en effet de ne pas dénaturer le principe même de la déduction. Ainsi, la suppression pure et simple de cette déduction forfaitaire serait à coup sûr jugée inconstitutionnelle. A cette aune, on ne peut pas non plus recommander de suivre la proposition du Haut Conseil du financement de la protection sociale, simulée p. 214 du point d’étape sur les évolutions du financement de la protection sociale publié en mars 2014, consistant à rendre cette déduction partiellement ou totalement déconnectée des revenus. En effet, un montant de déduction nominal, identique pour tous les salariés, serait susceptible d’être regardé comme contraire au principe d’égalité devant les charges publiques, non seulement entre salariés, mais aussi et surtout au regard de la situation des non-salariés qui sont par principe aux frais réels.

Il ne semble donc pas possible, en ce qui concerne les frais professionnels, de tenir compte des revenus que ces frais permettent d’obtenir pour une partie des redevables de la CSG (les non-salariés) et de ne pas en tenir compte du tout pour l’autre partie des redevables de la même CSG (les salariés).

2.1.2. Les règles de déductibilité de la CSG

Lorsque la loi de finances pour 1991 a institué la CSG à un taux de 1,1 %, elle n’a pas prévu sa déductibilité à l’IR, puisqu’elle se substituait à des cotisations patronales de sécurité sociale et que l’objectif recherché était de renforcer la progressivité d’ensemble de l’imposition des revenus. Lors de l’augmentation de 1,3 % du taux de la CSG réalisée par la première loi de finances rectificative pour 1993, la déductibilité de cette augmentation de la CSG avait d’abord été prévue, mais la loi de finances pour 1994 est revenue sur cette déductibilité, qui ne s’est donc pas appliquée. En revanche, lorsque le taux de la CSG a été augmenté pour se substituer à des cotisations salariales d’assurance maladie qui étaient déductibles de l’assiette de l’IR, les lois de finances pour 1997 et pour 1998 ont prévu la déductibilité des augmentations de taux de CSG correspondant à ces substitutions à des

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cotisations déductibles. Cette déductibilité a concerné non seulement les revenus d’activité mais aussi les revenus de remplacement et les revenus du capital, qui pourtant n’étaient pas auparavant soumis à cotisation. Lorsque la CSG sur les pensions de retraite et les revenus du capital a été augmentée en 2004, la loi de finances rectificative pour 2004 a aussi prévu la déductibilité de cette augmentation.

La part de la CSG non déductible a donc été, pour tous les revenus, de 2,4 points depuis 1993. La loi de finances pour 2013 a toutefois introduit une différence de traitement pour les revenus du capital, dont la part non déductible de CSG a été depuis portée à 3,1 points. Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le CC l’a validée par les motifs suivants : « Considérant, en l'espèce, que la réduction de la part de la CSG sur les revenus du patrimoine et les produits de placement admise en déduction de l'assiette de l'IR a pour effet d'augmenter les recettes fiscales et d'accroître le caractère progressif de l'imposition globale des revenus du patrimoine et des produits de placement des personnes physiques ; que cette réduction de la déductibilité, qui ne porte que sur la CSG sur les revenus du patrimoine et les produits de placement, demeure limitée ; que son incidence sur la majoration du taux d'imposition des revenus du patrimoine et des produits de placement soumis au barème de l'IR ne saurait, par suite, conduire à la regarder comme entraînant une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ».

L'article 154 quinquies du CGI prévoit que sont déductibles pour la détermination de l'assiette de l'IR :

– 5,1 points de CSG sur les revenus d'activité et les allocations de préretraite versées aux bénéficiaires dont la préretraite a pris effet depuis le 11 octobre 2007, ainsi que sur les revenus du patrimoine autres que ceux soumis à l'IR à un taux proportionnel et les produits de placement à revenu fixe, les bons ou contrats d'assurance-vie ou de capitalisation et les dividendes et assimilés pour lesquels la CSG est prélevée à la source ;

– 4,2 points de CSG sur les pensions de retraite et d'invalidité et les allocations de préretraite versées aux bénéficiaires dont la préretraite a pris effet avant le 11 octobre 2007 ;

– 3,8 points de CSG sur les autres revenus de remplacement, ainsi que sur tous les revenus de remplacement passibles du taux réduit de CSG à 3,8 %.

La CRDS et tous les autres prélèvements sociaux sur les revenus du capital ont toujours été intégralement non déductibles. Par ailleurs, la CSG portant sur les revenus du capital ayant fait l’objet d’un prélèvement forfaitaire n’est pas déductible. Le CC a en effet jugé, dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, qu’« il appartenait au législateur de prévoir, afin de ne pas remettre en cause le caractère progressif du montant de l'imposition du revenu des personnes physiques, que la déductibilité partielle de la CSG continuerait à ne bénéficier qu'aux revenus et produits soumis au barème progressif de l'IR et non à ceux soumis à un taux proportionnel ».

La non-déductibilité – partielle pour la CSG, totale pour les autres contributions sociales – trouve son fondement constitutionnel dans la possibilité de taxer à l’IR un élément d'assiette qui sert déjà de base à un autre impôt. Dans sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981, le CC a jugé, s’agissant de l’articulation entre imposition de la détention du capital et imposition des revenus du capital, qu’« en instituant un impôt sur les grandes fortunes le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés périodiquement par ces biens, qu'ils soient ou non soumis par ailleurs à l'IR ; qu'en effet, en raison de son taux et de son caractère annuel, l'impôt sur les grandes fortunes est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables ». Il a généralisé sa réponse dans sa décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 en jugeant qu’« aucune règle ou principe de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce que, dans l'exercice de la compétence qu'il tient de

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[l'article 34 de la Constitution], le législateur puisse, pour un impôt déterminé, retenir un élément d'assiette qui sert déjà de base à un autre impôt ».

En sens inverse, la déductibilité de la CSG de l’assiette de l’IR est aussi admise par le CC. Il l’a expressément jugé dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 : « Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que le législateur, dans l'exercice des compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, rende déductible un impôt de l'assiette d'un autre impôt ou modifie cette déductibilité, dès lors qu'en modifiant ainsi la charge pesant sur les contribuables, il n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité entre ceux-ci ». Il s’agit donc d’un choix quasi discrétionnaire du législateur, soumis uniquement au contrôle restreint de cohérence entre les buts poursuivis et les moyens mis en œuvre pour les atteindre qui est exercé par le CC. La logique fiscale, tenant à ce que seuls les impôts constituant une charge au regard du revenu taxé soient déductibles de l’impôt sur le revenu correspondant (par exemple, la déductibilité à l’IR et à l’IS des impôts locaux9) ne constitue pas une règle de nature constitutionnelle contrôlée par le CC.

Sur le principe, il est donc possible de prévoir, soit une déductibilité, soit une non-déductibilité, soit un mix des deux. Dès lors que chaque contribution sociale constitue un impôt particulier, et que la CSG est elle-même constituée d’impositions distinctes, il est aussi possible de traiter différemment les revenus concernés. Toutes ces possibilités de modifications législatives doivent toutefois également respecter le principe d’égalité devant les charges publiques en tant qu’il se traduit par des contraintes pesant sur les taux d’imposition qui seront exposées ci-après (ne pas remettre en cause le caractère progressif de l’imposition globale des revenus en cas de renforcement de la déductibilité, ne pas atteindre des taux confiscatoires en cas de renforcement de la non-déductibilité).

Enfin, on notera que cette grande latitude laissée au législateur en ce qui concerne la déductibilité de la CSG tient précisément à sa nature d’imposition de toutes natures. Si la CSG était une cotisation sociale (pour reprendre les termes du débat évoqué en fin de première partie du présent rapport), elle devrait être traitée comme toutes les autres cotisations sociales, c’est-à-dire être rendue intégralement déductible de l’IR. Il ne semble pas qu’il serait en effet alors possible de ne prévoir qu’une déductibilité partielle, car il serait impossible de justifier objectivement une telle portion de déductibilité, ni même la raison d’une différenciation avec les autres cotisations finançant les mêmes régimes de sécurité sociale.

2.1.3. La possibilité de différenciation de taux par catégories de revenus

Dans le cadre d’une fusion de l’IR et de la CSG, peut-on envisager la création d'un nouvel impôt avec des modalités d'imposition différenciées selon la nature du revenu ?

S'il existe aujourd’hui des taux différents pour les différentes contributions constituant la CSG, cela résulte du fait qu’il s’agit d’impôts distincts. Le CC ne s’est certes jamais prononcé explicitement sur cette différenciation des taux, mais il l’a implicitement validée à chaque fois qu’il a été saisi de dispositions législatives relatives à l’assiette et au taux de la CSG. La différence de taux entre revenus d’activité et revenus de remplacement, alors même qu’il s’agit d’une seule et même contribution, devrait pouvoir être justifiée par une différence de situation entre contribuables. En revanche, il peut sembler plus difficile de

9 L’article 39 du CGI, qui fixe les règles de détermination des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), dispose ainsi que « Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (…) notamment (…) les impôts à la charge de l'entreprise, mis en recouvrement au cours de l'exercice ». De même, l’article 31 du CGI prévoit que, pour la détermination de leurs revenus fonciers imposables, les propriétaires sont autorisés à déduire les impositions, autres que celles incombant normalement à l'occupant, payées au cours de l'année d'imposition et perçues à raison de leurs propriétés, au profit des collectivités locales.

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justifier que la CSG sur les revenus de remplacement – et elle-seule – soit progressive, dès lors qu’il y a trois ou quatre taux d’imposition (0 % ; 3,8 % ; 6,2 ou 6,6 %) dont l’application dépend de l’appréhension globale des revenus des contribuables concernés selon leur revenu fiscal de référence (RFR)10, alors que les revenus d’activité sont soumis à un seul taux proportionnel dès le premier euro. Une réforme consistant à appliquer également des taux progressifs pour les revenus d’activité, compte tenu de l’appréhension de l’ensemble des revenus du contribuable, ne pourrait que permettre de mieux garantir le respect du principe d’égalité devant les charges publiques pour cette contribution. Mais cela serait-il suffisant en cas de fusion ?

Alors même que la CSG est constituée de quatre impositions distinctes, le CC a vérifié, dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, l’absence de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques s’agissant de la détermination des redevables des différentes contributions constituant la CSG, dès lors que ces contributions ont « pour finalité commune la mise en œuvre du principe de solidarité nationale ». Il a ainsi comparé le seuil d’assujettissement à la CSG sur les revenus d’activité (au premier franc à l’époque) et à celle sur les revenus du patrimoine (correspondant au seuil de mise en recouvrement de l’IR).

Le CC a repris ce raisonnement globalisant dans sa décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997 relative à la contribution de solidarité territoriale qui avait été instaurée par la Polynésie française. Il a ainsi jugé que dans la mesure où les différentes contributions (assises sur les traitements, salaires, pensions, rentes viagères et indemnités diverses, sur les revenus des professions et activités non salariées, sur les produits des activités agricoles et assimilées et sur le revenu des capitaux mobiliers) « ont pour finalité commune la mise en œuvre d'un principe de solidarité territoriale », la détermination des différentes catégories de revenus assujettis et le choix des modalités d'imposition de ces catégories ne doivent pas « créer de disparité manifeste entre redevables », en relevant notamment qu’aucune catégorie de revenus n’était exonérée.

Cette dernière condition fait écho à une décision du CE (Ass., 30 juin 1995, n° 162329, Gouvernement du territoire de la Polynésie française) jugeant contraire au principe d’égalité devant les charges publiques l’exclusion initiale du champ d'application de la même contribution de solidarité territoriale de la catégorie des revenus provenant d'activités agricoles. Le CE a aussi annulé, dans sa décision du 5 décembre 2011, n° 349039, Confédération générale des PME de la Polynésie française, une loi du pays de la Polynésie française qui entendait assujettir de manière différenciée à cette contribution sociale territoriale les dirigeants de sociétés percevant des rémunérations selon qu’ils étaient ou non propriétaires de parts ou d’actions de ces sociétés. Le CE a estimé que cette distinction « est par elle-même dénuée de toute incidence sur l’appréciation des capacités contributives » et qu’elle méconnait par conséquent le principe d’égalité devant les charges publiques.

De même, s'il continue d'exister, à côté du barème général de l'IR, des taux d'imposition proportionnels, la barémisation des revenus du capital entreprise par la loi de finances pour 2013 a eu pour objectif et pour effet, par la suppression du prélèvement forfaitaire libératoire sur certains revenus de capitaux mobiliers, d'unifier les taux frappant les différentes catégories de revenus soumis à l'IR. Les dérogations au barème sont très ciblées et justifiées par des différences objectives de situation (revenus dont les caractéristiques et les modalités de perception sont substantiellement différentes) : plus-values professionnelles ou immobilières, bons anonymes... Le CC a aussi validé le principe de différents régimes de forfait pour tenir compte de la nature particulière de l'activité des diverses catégories de travailleurs indépendants (décisions n° 83-164 DC du 29 décembre 1983 et n° 98-405 DC du 29 décembre 1998), ainsi que la différence de traitement entre

10 La LFSS 2015 prévoit de ne tenir compte que de ce critère du RFR, et non plus également du montant de la cotisation d’IR.

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contribuables qui adhèrent ou non à un centre ou à une association de gestion agréé (décisions n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 et n° 2010-16 QPC du 23 juillet 2010). Le législateur doit pouvoir justifier de différences de situation objectives et cohérentes pour introduire des modalités de taxation différenciées au sein d’un même impôt.

À partir du moment où l’impôt unique sur le revenu résultant d’une fusion de l’IR et de la CSG devrait être progressif au niveau du foyer fiscal (voir ci-après), la nécessité de prendre en compte l’ensemble des revenus pour apprécier les facultés contributives ne permettrait pas aisément de justifier des taux différenciés par type de revenu. Le Conseil des impôts en faisait déjà le constat dans son 14ème rapport au Président de la République sur la CSG en 1995 (p. 107) : « La personnalisation d’un impôt n’est concevable qu’à partir de la connaissance du revenu global de chaque contribuable. Appliquer des taux différents sur une partie des revenus ou une catégorie de revenus n’a en effet pas de sens si le contribuable détient par ailleurs une masse importante de revenus ». Les différences de situation résultant d’impôts distincts avant la fusion ne pourraient être maintenues que si elles étaient objectivement justifiées au regard du régime d’imposition globale fusionnée.

2.2. La détermination de l’unité d’imposition et ses conséquences

Dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 censurant la réduction dégressive de CSG, le CC a précisé que, pour « prendre en compte les capacités contributives des redevables compte tenu des caractéristiques de chaque impôt », le législateur doit notamment tenir compte des revenus des membres du foyer fiscal ainsi que des personnes à charge au sein de celui-ci. On étudiera donc successivement les deux modalités de prise en compte des facultés contributives que sont, au regard de l’IR aujourd’hui, le quotient conjugal (QC) et le quotient familial (QF), lesquels utilisent la même technique fiscale de division par part du revenu global imposable quand bien même ils sont conceptuellement différents.

2.2.1. La prise en compte des facultés contributives au niveau du foyer fiscal

Selon une jurisprudence bien établie du CC, l’article 13 de la Déclaration de 1789 impose, pour toute imposition progressive générale des revenus des particuliers (c’est-à-dire hors impositions spécifiques sectorielles, incitatives ou dissuasives), l’appréciation de la capacité contributive au niveau du foyer fiscal. Sinon, deux foyers percevant les mêmes revenus et supportant les mêmes charges (donc présentant la même capacité contributive au sens de l’article 13 de la Déclaration de 1789) pourraient payer des montants différents.

L'appréciation des facultés contributives au niveau du foyer fiscal, qui garantit ainsi la neutralité à l'égard de la structure des revenus du foyer, peut se traduire par des choix d'imposition différents : soit le traitement identique des foyers fiscaux, quelle que soit leur composition ; soit le traitement différencié entre les foyers fiscaux composés d'une personne seule et ceux composés d'un couple soumis à imposition commune.

La fixation d'un seuil d'assujettissement unique pour les personnes seules et pour les couples (soit un QC égal à 1) n’a été admise par le CC que pour l’imposition de la détention du patrimoine. Dans sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981, le CC a ainsi jugé « qu'il est de fait que le centre de disposition des revenus à partir duquel peuvent être appréciées les ressources et les charges du contribuable est le foyer familial ; qu'en décidant que l'unité d'imposition pour l'impôt sur les grandes fortunes est constituée par ce foyer, le législateur n'a fait qu'appliquer une règle adaptée à l'objectif recherché par lui, au demeurant traditionnelle dans le droit fiscal français, et qui n'est contraire à aucun principe constitutionnel et, notamment, pas à celui de l'article 13 de la Déclaration des droits ». Il a

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rappelé, dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, qu’en créant l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), « le législateur a considéré que la composition du foyer fiscal n'avait pas, pour la détermination de la capacité contributive de celui-ci, la même incidence qu'en matière d'IR ». Ainsi, le barème de l'ISF est appliqué à la valeur du patrimoine détenu par le foyer fiscal, quelle que soit sa composition.

En revanche, l'attribution d'un coefficient de 2 au titre du QC constitue une règle consubstantielle à l'IR : en application du I de l’article 194 du CGI, une personne seule se voit attribuer une part tandis qu'un couple soumis à imposition commune se voit attribuer deux parts. La règle du QC égal à 2 pour l’IR se justifie par des préoccupations d’équité horizontale. Ainsi, à revenu total donné du ménage, les couples au sein desquels un seul conjoint travaille acquittent le même impôt que ceux où il résulte de l’addition de deux revenus. Plus généralement, il s’agit de taxer de la même manière un même revenu total, quelle que soit sa répartition au sein du couple, en estimant que le niveau de vie, donc la capacité contributive, doit être estimée à l’échelle du foyer.

L'avantage lié au QC n'est limité par aucun plafond juridique, contrairement au QF, mais seulement par le fait qu'il n'a plus d'effet au-delà du seuil correspondant au taux marginal supérieur multiplié par 2 (soit 302 400 € pour l’imposition en 2014 des revenus 2013). Ainsi, l’avantage maximal retiré du mécanisme du QC est automatiquement plafonné à un montant de 19 512 € en 2014.

Le CC a eu l'occasion de se prononcer sur les avantages générés par l’imposition commune en matière d'IR dans sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 : il a jugé que « l'avantage susceptible d'être tiré de l'imposition commune par les signataires d'un PACS, par rapport à la situation où ils seraient imposés séparément comme le sont les personnes vivant seules, serait de nature à constituer, s’il était excessif, une violation de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, alors surtout que la vie commune permet de dégager diverses économies à revenus inchangés ; que, toutefois, l'économie d'impôt pouvant résulter de l'attribution de deux parts pour l'application du QF n'atteint sa valeur maximale que dans le cas où les revenus propres de l'un des membres du couple sont faibles ou nuls ; que l'avantage alors tiré par l'autre de l'imposition commune se justifie, au regard de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par la présence à son foyer d'une personne à sa charge ; que, dans les autres cas, l'application combinée du QF et des autres règles de calcul de l'IR ne fait pas apparaître au profit des partenaires d'un pacte, par rapport à la situation où ils seraient imposés séparément, un avantage tel qu'il entraînerait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; qu'au surplus, cet avantage disparaît lorsque les revenus propres des deux partenaires sont faibles ou équivalents ; que, dans ces conditions, l'article 4 n'entraîne pas de rupture d'égalité entre les partenaires liés par un PACS et les personnes vivant seules ». Le CC a donc justifié l’existence d’un QC au regard du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques en validant l’attribution de deux parts à un couple marié ou aux partenaires d’un PACS.

Cette décision est ainsi longuement commentée aux Cahiers du CC : « Beaucoup plus délicat était le grief tiré d'une rupture d'égalité entre pacsés et personnes vivant seules en matière d’IR. Le mécanisme du QC atténue la progressivité du barème, alors même que la vie commune permet de dégager, pour un même niveau de revenu, des économies substantielles. Dans ces conditions, ferait problème au regard de l'article 13 de la Déclaration la situation dans laquelle, en concluant un PACS, deux personnes feraient une économie d'impôt (le montant de l’impôt acquitté par le foyer fiscal étant inférieur à la somme des impôts que ses membres paieraient s'ils étaient imposés séparément), tandis que, du fait des " économies d'échelle " permises par la vie commune, leur niveau de vie s'élèverait à revenus inchangés. Au cours du débat parlementaire, l'opposition dénonçait à cet égard un " effet d'aubaine ", en relevant que la réduction d'impôt résultant du QC, applicable aux pacsés en vertu de l'article 4, n'était pas plafonnée, contrairement à la réduction résultant du QF du fait de l'arrivée d'un enfant au foyer ». Le CC n'exclut ainsi pas que l'avantage tiré de l'imposition commune, par rapport à

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la situation où les conjoints seraient imposés séparément, puisse être excessif. Toute la difficulté est d’apprécier le niveau à partir duquel l’avantage devient excessif. Il serait donc vraisemblablement possible de le plafonner, tout comme l’est le QF.

La loi de finances pour 2012 a institué, en sus de l'IR qui est pourtant censé constituer, aux termes de l’article 1 A du CGI, l’« impôt annuel unique sur le revenu des personnes physiques », une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CHR, dite « contribution Fillon ») codifiée à l'article 223 sexies de ce code, qui est un impôt censé être temporaire, assis sur le revenu fiscal de référence (RFR) des foyers fiscaux les plus aisés et dont les taux d’imposition sont peu élevés mais malgré tout progressifs. Le mécanisme de conjugalisation retenu pour la CHR se traduit par le doublement des seuils d'assujettissement pour les couples soumis à imposition commune :

– contribution à 3 % : 250 000 € pour un célibataire et 500 000 € pour un couple,

– contribution à 4 % : 500 000 € pour un célibataire et 1 000 000 € pour un couple.

Il en résulte un avantage maximal, par rapport à une imposition séparée, de 12 500 € pour un foyer fiscal dont l’un des conjoints ne perçoit aucun revenu. Le CC n’a pas eu à se prononcer sur cette « surtaxe d’IR », mais on peut déduire sa position compte tenu de ce qu’il a jugé à propos de la « sur-surtaxe d’IR » que le législateur avait voulu instaurer en loi de finances pour 2013.

En effet, dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le CC a censuré la contribution exceptionnelle de solidarité de 18 % appliquée à la fraction des revenus d'activité professionnelle excédant le seuil d'un million d'euros par personne physique. Il s'agissait d'une taxe individuelle : si chaque membre du couple percevait plus d'un million d’euros de revenus d'activité, chacun devait supporter la contribution sur la fraction de revenus dépassant le million d'euros ; si un seul membre du couple tirait de son activité professionnelle plus d'un million d’euros, la contribution était prélevée sur la fraction dépassant le million d'euros. Ainsi, pour reprendre l’exemple figurant dans la saisine sénatoriale, pour un même couple percevant 1,2 million d’euros, la situation au regard de la contribution différait selon la répartition des revenus au sein du couple :

– 1,2 million d’euros + 0 € = 1,2 million d’euros -> contribution de 36 000 €,

– 600 000 € + 600 000 € = 1,2 million d’euros -> pas de contribution.

La comparaison entre ces deux situations a conduit à une censure pour rupture de l'égalité des contribuables en raison de la non-prise en compte des capacités contributives de chacun. Le CC a en effet jugé que la contribution exceptionnelle de solidarité constitue un « prolongement » de l’IR et donc, qu'à l'instar de l'IR et de la CHR, les facultés contributives des contribuables doivent être appréciées au niveau du foyer fiscal et que la répartition des revenus entre conjoints doit être indifférente pour l'assujettissement à la contribution. Le CC a ainsi relevé que « le législateur a retenu le principe d’une imposition sur le revenu par personne physique sans prendre en considération l’existence du foyer fiscal » et que, « par l’effet de cette contribution exceptionnelle assise sur les revenus d’activité professionnelle des personnes physiques excédant un million d’euros, deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenu issu de l’activité professionnelle pourraient se voir assujettis à cette contribution ou au contraire en être exonérés, selon la répartition des revenus entre les contribuables composant ce foyer ». Il en a conclu « qu’en soumettant à cette contribution exceptionnelle les revenus des personnes physiques, sans tenir compte, comme pour l’imposition de l’ensemble du revenu à l’IR et la contribution exceptionnelle prévue par l’article 223 sexies du CGI, de l’existence du foyer fiscal, le législateur a méconnu l’exigence de prise en compte des facultés contributives ».

Selon le commentaire de cette décision aux Cahiers du CC, « pour respecter les exigences de l’article 13 de la Déclaration de 1789, le législateur n’est pas obligé de toujours tenir compte du foyer fiscal (…) s’il a prévu d’autres dispositifs permettant notamment de prendre en

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compte les capacités contributives des contribuables. Mais, en l’espèce, pour une contribution exceptionnelle qui est un complément de l’IR, il ne pouvait pas traiter différemment, en fonction de la répartition des revenus entre conjoints, deux foyers fiscaux qui disposent globalement du même niveau de revenu issu de l’activité professionnelle ». C'est ainsi la différence de traitement entre deux foyers fiscaux disposant du même niveau de revenus et assujettis ou non à la contribution exceptionnelle de solidarité, en fonction de la répartition des revenus entre les conjoints, qui a été censurée. Pour que des conjoints soumis à imposition commune ne soient pas imposés plus lourdement que s’ils étaient imposés séparément, le coefficient de 2 s'impose donc : ainsi, si chacun des conjoints percevait 1 million d’euros, le foyer fiscal ne devrait pas être assujetti à l’impôt en-deçà d’un seuil de 2 millions d’euros, sauf à être traité plus défavorablement qu'une personne seule.

Cette censure repose sur les mêmes motifs que celle prononcée en 2000 lorsque le législateur avait souhaité instituer une réduction dégressive de CSG, c'est-à-dire rendre la CSG progressive afin d'alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes. La décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000 a ainsi censuré la minoration de la CSG sur les salaires inférieurs à 1,4 SMIC au motif qu'elle ne prenait pas en compte l'ensemble des revenus du foyer fiscal. Pour reprendre l’exemple donné dans la saisine des députés, on retrouvait exactement le même effet :

– 1 SMIC + 3 SMIC = 4 SMIC -> CSG+CRDS à 7,3 %,

– 2 SMIC + 2 SMIC = 4 SMIC -> CSG+CRDS à 8 %.

A contrario, cela signifie que le CC accepte que la CSG, individuelle, cédulaire et proportionnelle, ne tienne pas compte du foyer fiscal. Le CC a même accepté, dans sa décision n° 2007-555 DC du 16 août 2007, le fait que la réduction des cotisations sociales salariales afférentes aux heures supplémentaires ou complémentaires couvre le montant de la CSG et de la CRDS dû au titre de ces heures sans aucune prise en compte du foyer fiscal, en raison de la « portée limitée » de cette mesure qui ne concernait pas l’ensemble des revenus d’activité mais seulement une fraction particulière de ces revenus.

On retrouve la même logique dans la décision n° 2011-180 QPC du 13 octobre 2011, par laquelle le CC a validé un prélèvement progressif sur le montant des rentes versées au titre de régimes de retraite supplémentaire dans lesquels la constitution de droits à prestations est subordonnée à l'achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l'entreprise (« retraites chapeau »), quand bien même il ne prenait pas en compte le foyer fiscal, au motif que les facultés contributives des contribuables avaient été prises en compte par un mécanisme d'exonération et d'abattement et en instituant deux tranches. Comme pour les heures supplémentaires, il s’agissait d’un élément de revenu tout à fait particulier qui était imposé spécifiquement, et non de l’ensemble des revenus d’activité.

On observera qu’il existe d’autres mécanismes de conjugalisation de l’impôt. On relève, dans le CGI, deux cas de coefficient conjugal inférieur à 2. Ainsi, l’abattement proportionnel au revenu en matière de taxe d’habitation11 est égal à 5 215 € pour un célibataire et à 8 231 € pour un couple, soit un coefficient conjugal de 1,58. De même, le plafond de ressources pour le bénéfice des avantages en matière de fiscalité directe locale12 et pour l’exonération de CSG et de CRDS sur les revenus de remplacement est fixé à 10 633 € pour un célibataire contre 16 311 € pour un couple, soit un coefficient conjugal de 1,53. A partir de 201513, le même coefficient sera retenu pour le calcul du seuil de revenus permettant de bénéficier du taux réduit de CSG sur les revenus de remplacement. A titre de comparaison dans le champ social, le coefficient conjugal est de 1,57 pour l’attribution du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), en vertu des articles

11 Prévu au a du I de l’article 1414 A du CGI. 12 Prévu au I de l’article 1417 du CGI. 13 Selon l’article 7 de la LFSS 2015.

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R. 522-67 du code de l'action sociale et des familles et R. 5423-1 du code du travail. On constate toutefois que de tels coefficients multiplicateurs inférieurs à 2 permettent seulement de fixer des plafonds de ressources pour l'octroi d'un avantage social ou fiscal, et non des seuils d’assujettissement dans le cadre d’un barème progressif d’imposition.

Dans son avis rendu le 21 mars 2013 à la demande du Gouvernement sur les conditions de constitutionnalité d’une contribution sur les très hauts revenus (rapport public CE 2014 pp. 190-191), le CE a donc estimé que « l'attribution d'un coefficient conjugal de 2 pour les couples soumis à imposition commune doit être regardée comme une caractéristique substantielle de tout impôt pesant sur le revenu des personnes physiques et indissociable de la conjugalisation ».

Au regard de ce panorama de la jurisprudence constitutionnelle actuelle, s’il semble envisageable de plafonner (en valeur absolue ou relative) l’avantage pouvant résulter de l’application du QC, on peut en revanche avoir de sérieux doutes sur la constitutionnalité d’une proposition de réforme telle que celle suggérée par C. Landais, T. Piketty et E. Saez dans leur ouvrage Pour une révolution fiscale publié au Seuil en 2011, où il est indiqué p. 64 que « le nouvel IR doit être entièrement individualisé, dans le sens où l’impôt dû dépend uniquement du revenu individuel et non pas du revenu du conjoint ». Il en va de même pour la recommandation n° 6 de la note n° 17 du Conseil d’analyse économique14, publiée en octobre 2014, qui consiste à supprimer le QC afin de favoriser l’objectif de réduction des inégalités de salaires entre femmes et hommes.

On peut également douter de la constitutionnalité des scénarios 1 et 2 du rapport du Gouvernement au Parlement de 2012 sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG (p. 66), où il est envisagé soit de remplacer le QC par un double barème qui ne maintiendrait l’équivalent du QC de 2 que pour les couples les plus modestes et réduirait son effet à mesure que le revenu du couple croît15, soit de limiter le QC à 1,5 au lieu de 216. Dans une imposition progressive, seul un QC de 2 (ou un double barème parallèle) permet d’assurer une équité horizontale, quel que soit le niveau de revenu, entre deux personnes en couple et deux personnes isolées percevant chacune les mêmes revenus. Tenir compte d’une approche économique en termes d’unité de consommation n’est pas pertinent au regard de telles situations, la fiscalité devant être neutre au regard du choix matrimonial des contribuables.

Dès lors que la CSG serait rendue intégralement progressive, un mécanisme équivalent au quotient conjugal portant sur l’ensemble des revenus assujettis devrait vraisemblablement être instauré. S’il était envisagé de faire évoluer le mode de taxation, pour l’individualiser davantage, il conviendrait à tout le moins de maintenir un droit d’option pour une imposition commune avec un QC égal à 2, afin de ne pas pénaliser certains ménages de manière telle que cela créerait une rupture d’égalité devant les charges publiques. Le rapport d'information de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale sur la question des femmes et du système fiscal17 envisage ainsi de donner la possibilité aux couples mariés ou pacsés d’opter librement pour l’imposition commune ou la déclaration séparée, mais cela aurait un coût pour les finances publiques.

Une difficulté subsidiaire peut apparaître en cas de dissolution du couple pour cause de séparation. En effet, comment traiter les prestations compensatoires au regard du principe d’égalité devant les charges publiques ? Leur traitement actuel au regard de l’IR ne

14 Les auteurs sont A. Bozio, B. Dormont et C. Garcia-Penalosa. 15 « Ainsi le quotient conjugal serait-il remplacé par un double barème, l’un appliqué aux personnes seules, l’autre appliqué aux couples. La construction de ce dernier serait opérée de façon à maintenir l’équivalent du quotient conjugal de 2 pour les couples les plus modestes, mais à en réduire l’effet à mesure que le revenu du couple croit ». 16 « Pour limiter des pertes budgétaires tout en restant cohérent avec les échelles d’équivalence de l’INSEE, le quotient conjugal est limité à 1,5 (au lieu de 2) ». 17 Rapport n° 1875 (XIVème législature) déposé le 10 avril 2014.

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pose pas de difficulté : déduction du revenu imposable par la partie versante (dès lors que ce revenu n’est pas à sa disposition), imposition chez la partie qui la perçoit. Or la CSG ne tient absolument pas compte de ces éléments de revenu, qui ne sont ni imposés, ni déduits. En cas de fusion entre l’IR et la CSG, dès lors que le principe à retenir consiste en la prise en compte du foyer fiscal, il en va de même en cas de dissolution de ce foyer, de sorte que les règles actuelles applicables à l’IR devraient être étendues à l’impôt résultant de la fusion de l’IR et de la CSG, afin de respecter l’article 13 de la Déclaration de 1789. Parmi les deux options envisagées pp. 45 et 46 du rapport précité du Gouvernement au Parlement de 201218, celle consistant à aligner la législation sur les règles de l’IR semble donc s’imposer d’un point de vue constitutionnel. Mais des modalités transitoires devraient en tout état de cause être prévues pour ne pas bouleverser l’équilibre financier pris en compte lors du calcul des prestations compensatoires, et pour rendre possible le cas échéant un nouveau calcul compte tenu du nouvel environnement fiscal global.

2.2.2. La prise en compte des charges de famille

Le législateur doit respecter les exigences résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, aux termes duquel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Cette prise en compte prend la forme, dans le champ social, des prestations familiales et, dans le champ fiscal, du QF à l’IR. Le système du QF vise à adapter le montant de l’IR aux facultés contributives de chaque foyer fiscal. Pour cela, il repose sur la division du revenu imposable en fonction du nombre de parts du foyer fiscal. Malgré son nom, le QF n’est pas uniquement un instrument de la politique familiale, du cadre duquel il a débordé largement dès son institution par la loi de finances pour 1946, mais également un élément de la politique sociale en faveur de plusieurs catégories de personnes peu favorisées dans leur existence et dont le législateur a traditionnellement reconnu la spécificité (invalides, parents isolés ou anciens parents isolés).

Le QF réduit la progressivité du barème de l’IR pour les contribuables ayant droit à plus d'une part (ou deux avec le QC) afin d’alléger leur charge fiscale en raison de leurs charges de famille (ou en raison d’autres charges particulières), et ainsi de procéder à une redistribution horizontale qui limite les effets de la redistribution verticale. La loi de finances pour 1982 a toutefois limité l'avantage procuré par le QF en plafonnant au-delà d'un certain seuil de revenus la réduction d'impôt résultant de son application, seuil qui est actualisé chaque année en fonction de l’évolution des tranches du barème de l’IR. Le plafonnement des effets du QF concerne ainsi chacune des demi-parts additionnelles qui s'ajoutent à deux parts pour les contribuables soumis à une imposition commune, ou à une part pour les autres contribuables. Le plafonnement tient toutefois compte de la situation particulière de certains contribuables, de sorte qu’il n’est pas uniforme : il existe ainsi des plafonds spécifiques pour les parents isolés et les anciens parents isolés, ainsi que pour les invalides, pensionnés de guerre et anciens combattants.

Le CC ne s’était pas prononcé, en 1981, sur la mesure instituant le plafonnement des effets du QF. En revanche, il s’est prononcé à trois reprises depuis sur sa constitutionnalité. Dans

18 « La fusion de l’IR et de la CSG imposerait : 1. soit d’aligner la législation sur les règles de la CSG, ce qui reviendrait à ne pas tenir compte du fait que les pensions réduisent la capacité contributive des débiteurs de pensions, ce qui serait particulièrement pénalisant pour ces derniers s’agissant d’un impôt dont le montant serait accru : la règle appliquée en matière de CSG demeure supportable tant qu’elle porte sur un prélèvement proportionnel et à taux limité. Son extension à un impôt progressif pourrait conduire à un relèvement substantiel de l’imposition des débiteurs de pensions ; 2. soit d’aligner la législation sur les règles de l’IR, ce qui serait gagnant pour les débiteurs de pensions (qui ne paieraient plus l’équivalent de la CSG sur les pensions versées) mais accroîtrait l’imposition des bénéficiaires de pensions. Pour ceux qui ont pour seul revenu les pensions alimentaires et ne sont pas imposables à l’IR, cela aurait pour effet de réduire de 8 % le revenu après impôt ».

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sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, il a validé la diminution du montant du plafond de l’avantage procuré par le QF, concomitante à la suppression, par la LFSS 1999, de conditions de ressources pour l'attribution des allocations familiales. Le CC s’est alors prononcé essentiellement sur le respect de l’alinéa 10 du Préambule de 1946, qui « implique la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur de la famille » mais dont les modalités de mise en œuvre relèvent de l’appréciation du législateur. Il a alors validé le choix du législateur, compte tenu des « autres aides aux familles, maintenues ou rétablies » : la diminution du plafond allait de pair avec la suppression de la mise sous condition de ressources des allocations familiales, votée l’année précédente. Il a repris le même raisonnement dans sa décision n° 2014-706 DC du 18 décembre 2014, à l’occasion de la modulation des allocations familiales en fonction des ressources du foyer par la LFSS 2015, en relevant que les exigences de caractère constitutionnel résultant de l’alinéa 10 du Préambule de 1946 devaient être garanties compte tenu de toutes les formes d’aides aux familles, qui « comprennent notamment le mécanisme fiscal du QF ».

L’argumentation du CC était très cursive sur le principe d’égalité en 1998 : « il résulte de l’objet même de la loi que les contribuables ayant des enfants à charge seront traités différemment des contribuables sans enfant à charge ». Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le CC a repris cette mention mais l’a développée pour indiquer les conditions de respect du principe d’égalité devant les charges publiques. Il a ainsi jugé que « le plafonnement du QF ne remet pas en cause la prise en compte des facultés contributives qui résulte de cette différence de situation », et respecte donc l’article 13 de la Déclaration de 1789, mais il a ajouté un obiter dictum pour estimer que cet article « n'impose pas que la prise en compte des charges de famille pour apprécier les facultés contributives ne puisse résulter que d'un mécanisme de QF ». Cela signifie toutefois bien a contrario que, sur le fondement tant de l’alinéa 10 du Préambule de 1946 que de l’article 13 de la Déclaration de 1789, le législateur doit prévoir, dans le cadre de l’imposition globale du revenu des personnes physiques, la prise en compte des charges de famille.

Enfin, dans sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, le CC a validé la diminution à 1 500 € du plafonnement général du QF, en actualisant à la marge son considérant de principe sur le QF : « il résulte de l'objet même du mécanisme du QF et de son plafonnement que les contribuables ayant des enfants à charge sont traités différemment, d'une part, des contribuables sans enfant à charge et, d'autre part, selon le nombre d'enfants à charge ; que le plafonnement du QF ne remet pas en cause la prise en compte des facultés contributives qui résulte de cette différence de situation ».

Le QF n’est qu’une des modalités possibles de prise en compte des charges de famille. Comme le précise le commentaire aux Cahiers de la décision n° 2012-662 DC, « le législateur pourrait donc mettre en place un autre dispositif que celui du QF pour prendre en charge les capacités contributives des contribuables liées à l’existence de charges de famille dès lors que ce dispositif satisferait aux exigences du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ». Le commentaire aux Cahiers de la décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010 indique également qu’« à défaut, se poserait la constitutionnalité de l’ensemble des impôts qui ne sont pas calculés à partir du QF (CSG, CRDS…) ».

Le CC a ainsi jugé, dans cette décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010, s’agissant de l’ISF qui est une imposition par foyer sans mécanisme de QF, que le législateur « n’a pas méconnu l’exigence résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789 qui ne suppose pas l’existence d’un QF ». Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, il a même validé, au regard de l’article 13 de la Déclaration de 1789, la suppression de l’abattement par personne à charge qui existait jusqu’alors pour l’ISF (dont le montant avait été porté de 150 € à 300 € par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011, cette augmentation ayant d’ailleurs été aussi validée par le CC dans sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011 au nom de la prise en « compte des charges familiales des redevables de cet impôt »). Il n’existe plus aujourd’hui aucun mécanisme de prise en compte des

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charges de famille pour l’ISF. Mais cette jurisprudence semble a priori cantonnée à cet impôt, qui « ne figure pas au nombre des impositions sur le revenu », car « en instituant un tel impôt, le législateur a entendu frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et de droits » (décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012).

L’imposition de la détention du patrimoine ne nécessite donc pas de prendre en compte les charges de famille. En revanche, l’imposition progressive du revenu le nécessite. Cela résulte de la décision de censure de la réduction dégressive de CSG prononcée par le CC dans sa décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000. Le CC a ainsi jugé qu’un dispositif ayant pour effet de rendre la CSG progressive devait, pour prendre en compte les capacités contributives, tenir compte des personnes à charge au sein du foyer fiscal dont on a déjà vu que la même décision imposait d’en faire l’unité d’imposition. La partie de CSG qui est déjà progressive (celle portant sur les revenus de remplacement : 0 % ; 3,8 % ; 6,2 ou 6,6 %) est ainsi calculée en fonction de seuils de RFR19 exprimés par part ou demi-part, de sorte que le QF y est bien indirectement appliqué.

Le CC raisonne, au regard de l’alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946, en cumulant aides sociales et fiscales : en cas de transfert des aides aux familles uniquement dans le champ social, même avec des transferts entre familles, cette exigence constitutionnelle pourrait donc être globalement respectée. Mais le CC raisonne également, dans le champ fiscal, au regard de l’article 13 de la Déclaration de 1789. Dans ces conditions, il ne semble pas possible de ne prévoir aucune prise en compte des charges de famille dans le cadre de l’imposition du revenu. Celle-ci ne doit pas nécessairement prendre la forme du QF, mais un dispositif substantiel permettant de tenir compte des facultés contributives semble indispensable. L’équité horizontale, entre foyers fiscaux avec enfant(s) et foyers fiscaux sans enfant doit être autant respectée que l’équité verticale. Pour reprendre la comparaison présentée par A. Sauvy dans sa Théorie générale de la population publiée aux PUF en 1955 : « La progressivité du taux [de l'impôt] se justifie parce que le superflu peut, par définition même, être réduit dans une proportion plus forte que le nécessaire. (...) Un célibataire qui gagne 150 000 F par an a un niveau de vie supérieur à un père de quatre enfants ayant le même revenu. Les imposer également serait frapper également la partie de plaisir du premier et la viande, voire le pain du second ».

Certaines propositions de fusion de l’IR et de la CSG envisagent de n’accorder qu’un « avantage » en impôt forfaitaire par enfant. Ainsi, dans leur ouvrage précité Pour une révolution fiscale, C. Landais, T. Piketty et E. Saez ont procédé à des simulations avec un crédit d’impôt de 190 € par mois et par enfant. De même, dans le scénario 1 du rapport du Gouvernement au Parlement de 2012 sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG (p. 66), il est envisagé un crédit d’impôt de 630 € par an et par enfant pour remplacer le QF. En faisant disparaître toute prise en compte de l’équité horizontale dans le cadre de l’imposition globale du revenu des personnes physiques, de telles propositions semblent en contradiction avec les exigences résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789. Les scénarios 2 et 3 du même rapport (pp. 66-67), consistant à remplacer le QF par des abattements à la base de 2 700 ou 3 000 €20, semblent présenter moins de risque constitutionnel dès lors qu’ils maintiennent une redistribution horizontale, avec une compensation des charges de famille qui continue (même si de manière fortement diminuée) de tenir compte de la structure des revenus.

Il serait aussi possible, notamment s’il était envisagé d’appliquer le QF à un impôt fusionnant l’IR et la CSG et afin de limiter le coût budgétaire qui en résulterait, de modifier

19 L’article 7 de la LFSS 2015 substitue un seuil exprimé en RFR à un seuil de mise en recouvrement de l’IR pour le bénéfice de l’exonération de CSG sur les revenus de remplacement.

20 « Sans remise en cause de la spécificité de la politique familiale qui conserve son objectif de redistribution horizontale, c’est-à-dire son objectif d’organiser une égalité de traitement entre ménages de composition différente, même pour des ménages à revenus élevés ».

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la pondération du QF, en retenant par exemple les échelles d’équivalence de l’INSEE ou de l’OCDE qui différencient notamment les unités de consommation en fonction de l’âge des enfants et non en fonction de leur rang comme l’actuel QF. Mais en tout état de cause, comme l’a jugé le CC dans sa décision n° 96-385 DC du 30 décembre 1996 en censurant la limitation aux seuls divorcés et célibataires de l'abaissement du plafond de la réduction d'impôt résultant de l'octroi de la demi-part supplémentaire accordée dans des conditions identiques aux veufs, divorcés et célibataires ayant élevé au moins un enfant, tous les contribuables se trouvant dans une situation similaire au regard des charges de famille devraient être traités de manière identique.

2.3. Le caractère nécessairement progressif mais non confiscatoire de l’imposition globale du revenu des personnes physiques

Selon sa jurisprudence traditionnelle, le CC examine le respect du principe d’égalité « compte tenu des caractéristiques de chaque impôt ». La situation des contribuables s'apprécie donc au regard de chaque imposition prise isolément. Pour autant, la complexification du système fiscal a amené le CC à prendre en compte les interactions entres impôts, qui sont particulièrement prégnantes s’agissant des relations entre IR et CSG. Il a donc développé des jurisprudences, sur la progressivité et le caractère confiscatoire des impositions, qui tiennent compte de l’ensemble des impositions pesant sur un même contribuable.

2.3.1. La nécessaire progressivité de l’imposition globale du revenu des personnes physiques

La progressivité de l’imposition pesant sur les revenus des personnes physiques est un principe constitutionnel, fondé sur l’article 13 de la Déclaration de 178921, qui a été dégagé par le CC à l’occasion de la création de la CSG et des problèmes d’articulation avec l’IR qui se sont alors posés.

Dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, le CC a admis la conformité au principe d’égalité devant les charges publiques du taux proportionnel et non progressif de la CSG en accumulant un certain nombre d’arguments : assiette « très largement définie », financement des dépenses de sécurité sociale, et notamment des prestations familiales devenues universelles, par l'ensemble de la population ; substitution à des cotisations « qui ne sont ni assises sur l'ensemble des revenus ni soumises à une règle de progressivité » ; « en outre, à la différence des cotisations sociales, les contributions nouvelles ne seront pas déductibles de l'IR, dont les taux sont progressifs ». Ce dernier argument, uniquement évoqué à titre confortatif dans cette décision, est devenu par la suite central dans l’appréciation de la conformité à la Constitution de l’articulation entre une CSG proportionnelle et un IR progressif.

En effet, dans sa décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, le CC a validé non seulement l’augmentation de 1,1 % à 2,4 % du taux de la CSG, mais aussi la déductibilité plafonnée de cette augmentation de taux à l’IR en jugeant « qu'en l'espèce, la déduction opérée par la loi, qui est au demeurant partielle et limitée dans son montant par un mécanisme de plafonnement, ne remet pas en cause le caractère progressif du montant de l'imposition globale du revenu des personnes physiques ». Il s’agit semble-t-il de la première fois que le CC vérifie le respect du principe d’égalité devant les charges publiques non pas uniquement

21 Alors même que les rédacteurs de la Déclaration ne sauraient avoir eu à l’époque l’idée une imposition progressive, concept économique marginaliste datant de la fin du XIXème siècle, mais il s’agit de l’office du juge (en général, et constitutionnel en particulier) que de tenir compte de l’évolution de la société pour adapter l’interprétation des textes fondamentaux.

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impôt par impôt, mais au regard de l’ensemble IR+CSG qui constitue « l'imposition globale du revenu des personnes physiques ».

Cette jurisprudence sur le principe de progressivité a été confirmée explicitement par deux décisions de 1997. Tout d’abord, dans sa décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997, le CC a fait référence au « principe de progressivité de l'impôt » pour valider la déductibilité à l’IR des versements des salariés aux plans d'épargne retraite institués par la loi : il a pris en compte au regard de ce nouveau principe, d’une part, la limitation des versements déductibles et, d’autre part, l’imposition à l’IR (progressif) des sommes capitalisées sur les plans d’épargne retraite.

Ensuite, dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, de nouveau s’agissant de la déductibilité de la CSG, il l’a admise dès lors qu'elle n’avait pas pour effet de « remettre en cause le caractère progressif du montant de l'imposition du revenu des personnes physiques ». Cette jurisprudence est ainsi résumée par le commentaire aux Cahiers du CC de sa décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999 : « Ne fait guère de doute le caractère constitutionnel du principe selon lequel l'IR doit être, conformément à l'article 13 de la Déclaration, une fonction croissante des capacités contributives du foyer fiscal. Il se déduit même a fortiori de la jurisprudence récente du CC qui voit dans la progressivité du barème de l'IR une exigence constitutionnelle ».

Dans sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, le CC en a fait application pour vérifier que le choix du législateur de soumettre à un taux proportionnel les prestations de retraite de source étrangère ou française versées sous forme de capital ne remet pas en cause « le caractère progressif du montant de l'imposition globale du revenu des personnes physiques ». Dans cette décision, il a même étendu le principe de progressivité à l’imposition de la détention du capital : il a ainsi relevé que, quand bien même le législateur avait alors décidé de réduire le nombre de tranches et d’abaisser les taux de l'ISF, la loi n’avait pas supprimé « toute progressivité du barème de cet impôt ».

Le CC a ainsi reconnu une pleine valeur constitutionnelle à la progressivité de l’imposition globale des revenus des personnes physiques, en tant que déclinaison du principe d’égalité devant les charges publiques. On peut tirer de cette jurisprudence trois enseignements au regard de scénarios possibles de réforme de l’IR et de la CSG :

– s’il était décidé de rendre la CSG entièrement déductible de l’IR, il conviendrait d’augmenter les tranches et taux du barème pour compenser l’effet très substantiel qui en résulterait en défaveur de la progressivité de l’IR ;

– il ne serait pas conforme à la Constitution que l’impôt unique sur le revenu résultant d’une éventuelle fusion de l’IR et de la CSG ne comporte pas de barème progressif : l’IR peut absorber la CSG, mais la CSG ne saurait absorber l’IR. Une flat tax à taux proportionnel unique n’est ainsi pas possible en France au regard de l’interprétation qu’a donnée le CC de l’article 13 de la Déclaration de 1789. La CSG peut comporter un taux unique (pour les revenus d’activité) seulement en raison de l’existence d’un IR à barème progressif en « contrepoint » ;

– la répartition de l’imposition globale sur le revenu des personnes physiques entre l’IR et la CSG doit permettre de maintenir une imposition globalement progressive. Il n’est donc pas possible, soit de réduire trop fortement la progressivité de l’IR ou son rendement, soit d’augmenter trop fortement le taux proportionnel de la CSG. Le CC n’exerce certes en la matière qu’un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Il n’avait même pas été saisi de la modification du barème de l’IR réalisée par la loi de finances pour 2005, qui avait pourtant sensiblement réduit sa progressivité, et il semble a priori assez difficile de pouvoir déclencher un contrôle a posteriori sur la base d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur une telle question d’équilibre global du système fiscal. Mais la question serait très vraisemblablement posée directement

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au CC si le législateur votait une réforme modifiant les paramètres essentiels de l’IR et de la CSG influant sur la progressivité globale.

2.3.2. L’interdiction d’une imposition globale confiscatoire

Le CC raisonne traditionnellement impôt par impôt pour vérifier le respect de l’article 13 de la Déclaration de 1789 : il a ainsi déjà censuré le caractère confiscatoire d’un impôt pris isolément (décisions n° 85-200 DC du 16 janvier 1986 et n° 98-405 DC du 29 décembre 1998). Compte tenu de la nature particulière de la CSG, le CC a également vérifié le respect du principe d'égalité devant les charges publiques en ce qui concerne la détermination des redevables des différentes contributions constituant la CSG et qu’il a aussi pris en compte les interactions entre IR et CSG compte tenu des règles de déductibilité de l’une par rapport à l’autre (décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990). Dans sa décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, il avait aussi admis de contrôler une imposition en la combinant à une autre qui était totalement similaire (il s’agissait de la contribution exceptionnelle sur la fortune qui « combinée avec l’ISF pour 2012, ne fait pas peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et de droits »).

Mais le CC avait refusé d’étendre son contrôle du principe d’égalité devant les charges publiques au regard de plusieurs impositions ne répondant pas à la même finalité (décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997). Il n’avait donc jamais, avant sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, pris en compte l'ensemble des impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable. Le commentaire aux cahiers du CC de cette décision assume, sans le justifier, le « choix du CC d’examiner le respect des facultés contributives des contribuables non plus impôt par impôt mais en effectuant un examen combiné des différentes impositions portant sur le même revenu ».

La prise en compte du « mille-feuille fiscal », consistant à additionner la totalité des impositions frappant un même revenu, apparaît en quelque sorte comme la conséquence de la suppression du « bouclier fiscal » par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011. Dans sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, le CC avait validé l’institution du droit à restitution des impositions directes en fonction du revenu en invoquant l’article 13 de la Déclaration de 1789 : la prise en compte des facultés contributives des contribuables « ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ».

Le CC avait aussi validé, dans sa décision n° 2007-555 DC du 16 août 2007, l’abaissement de 60 % à 50 % de la part maximale des revenus qu'un foyer fiscal pouvait être tenu de verser au titre des impôts directs, lesquels intégraient également la CSG et la CRDS, en jugeant que, « dans son principe, le plafonnement de la part des revenus d'un foyer fiscal affectée au paiement d'impôts directs, loin de méconnaître l'égalité devant l'impôt, tend à éviter une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » et que « le dispositif de plafonnement consistant à restituer à un contribuable les sommes qu'il a versées au titre des impôts directs au-delà du plafond fixé par la loi ne peut procéder que d'un calcul global et non impôt par impôt ».

Dans sa décision n° 2011-638 DC du 28 juillet 2011, le CC avait vérifié que la suppression du bouclier fiscal était en quelque sorte « compensée » par la diminution concomitante du barème de l’ISF, afin de ne pas « faire peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ». Mais dès lors que, postérieurement, il n’existait plus de mécanisme législatif permettant de garantir l’absence de caractère confiscatoire de l’imposition globale du revenu des personnes physiques (hors le dispositif de plafonnement de l’ISF en fonction des revenus, qui tient aussi compte des impositions directes sur le revenu mais ne concerne que les assujettis à l’ISF), le CC a estimé qu’il lui revenait de contrôler lui-même directement le respect de l’article 13 de la Déclaration de 1789, en reprenant la méthode de calcul global.

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Pour apprécier le caractère confiscatoire d’une imposition nouvelle ou d’un changement de taux, le CC calcule donc désormais un taux d'imposition cumulé, qualifié de « taux marginal maximal d'imposition », qui correspond à celui que paierait le contribuable qui devrait acquitter le maximum de chacune des impositions pesant sur son revenu. Si ce taux dépasse la limite du confiscatoire, la réforme dont il procède ou une imposition déjà existante sont déclarées contraires à la Constitution. Le CC, en tant que juge de la norme fiscale, ne raisonne pas en termes de taux moyen car un tel taux résulte d’un calcul individualisé par contribuable. Il estime nécessaire de s’assurer lui-même22 qu’aucun contribuable ne soit susceptible de devoir payer une imposition globalement confiscatoire.

Le CC a toutefois précisé que seules les impositions « portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable » sont prises en compte pour l'appréciation du « taux marginal maximal d’imposition » : lorsqu’une entreprise acquitte également une contribution sur un même revenu, cette « part patronale » n’est pas ajoutée dans le calcul du taux global. Par ailleurs, le CC prend en compte, dans son calcul, la part déductible de la CSG (tant à l’IR qu’à la CHR), ce qui est cohérent avec sa jurisprudence relative au principe de progressivité. En revanche, il ne tient pas compte des abattements pour frais professionnels (à l’IR et à la CSG) qui sont supposés plafonnés en-deçà du niveau de revenus auquel correspond le calcul du « taux marginal maximal d’imposition ». De même, et ainsi que le rappelle le commentaire aux Cahiers du CC de sa décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014, seules des impositions de toutes natures sont contrôlées à ce titre, le CC s’étant refusé à intégrer dans le « mille-feuille » les cotisations sociales dès lors que leur objet est de financer des prestations sociales selon un principe contributif.

A titre d’exemple de la méthode de calcul appliquée par le CC, on peut prendre le cas des différentes impositions pesant sur les rentes versées dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies (« retraites chapeau »). Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le CC a ainsi relevé que la fraction marginale de ces rentes excédant 24 000 € par mois était susceptible d’être taxée à :

– l’IR au taux de 45 % (en vertu de la dernière augmentation de la tranche marginale supérieure par la loi de finances pour 2013 qui lui était déférée),

– la CHR au taux de 4 %,

– la CSG au taux de 6,6 %,

– la CRDS au taux de 0,5 %,

– la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA) au taux de 0,3 %,

–la contribution salariale prévue par l’article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, au taux de 21 %.

Une fraction de la CSG et de la contribution salariale étant déductible de l’assiette de l’IR et de la CHR, ces déductibilités conduisaient à une minoration du taux maximal de taxation, qui s’élevait par conséquent à 75,34 %. Le CC a jugé que ce niveau global d’imposition ferait peser une charge excessive sur les contribuables au regard de leurs facultés contributives. Il a, par voie de conséquence, censuré le taux marginal de 21 % de la contribution de l’article L. 137-11-1 du code de la sécurité sociale, ramenant ainsi le taux marginal maximal d’imposition pesant sur les « retraites chapeau » à 68,34 %.

Le CC ne se cantonne pas à un raisonnement en termes de « taux marginal maximal d'imposition ». Il prend également en considération, lorsque cela lui paraît nécessaire, le plus prochain taux marginal et vérifie que celui-ci non plus n’est pas excessif : le CC analyse successivement chacun des taux marginaux supérieurs et ne s’arrête que lorsqu’il atteint un

22 Alors que le juge de l’impôt peut s’en assurer également au regard de l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

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taux global qu’il juge non confiscatoire. Par rapport au calcul du « taux marginal maximal d'imposition », la CHR n’est pas prise en compte pour des revenus comme les stock options ou les actions gratuites qui, à la différence des « retraites chapeau », ne sont soumis à titre principal qu’à une seule imposition progressive (l’IR). En l’espèce, alors qu’un taux marginal de 68,34 % a été jugé acceptable pour des « retraites chapeau » d’un montant annuel supérieur à 288 000 €, un taux marginal de 68,2 % a été considéré comme excessif pour des revenus « courants » supérieurs à 150 000 €.

Dans son avis rendu le 21 mars 2013 à la demande du Gouvernement sur les conditions de constitutionnalité d’une contribution sur les très hauts revenus (rapport public CE 2014, pp. 190-191), le CE a estimé, au regard des différentes censures prononcées par la décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, qu'« un taux marginal maximal d'imposition des deux tiers, quelle que soit la source des revenus, doit être regardé comme le seuil au-delà duquel une mesure fiscale risque d’être censurée par le juge constitutionnel comme étant confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur une catégorie de contribuables en méconnaissance du principe d’égalité. Ainsi un taux marginal maximal d’imposition supérieur aux deux tiers, pour les gains afférents à des plans d’option de souscription ou d’achat d’actions ou les avantages correspondant à la valeur des actions attribuées gratuitement, est jugé excessif pour un contribuable célibataire percevant 150 000 euros de revenus. Le taux marginal maximal d’imposition ne paraît pouvoir être supérieur à cette proportion des deux tiers que pour des niveaux de revenu très élevés, mais en deçà de 72 %, ou pour des revenus très spécifiques (bons anonymes) ». Le CE a toutefois estimé que l’ISF « ne paraît pas devoir être pris en compte pour le calcul du taux marginal maximal d'imposition pesant sur les revenus du capital. En effet, le CC a jugé, dans sa décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010, que l’ISF n’était pas un impôt sur le revenu du capital mais sur le capital lui-même. La circonstance que, dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, le CC ait déclaré conforme à la Constitution le nouveau barème de l’ISF, en relevant l’argument des requérants tiré du relèvement corrélatif de l’imposition des revenus du capital, ne semble pas faire obstacle à cette analyse ».

Dès lors que l’IR, la CSG et les autres contributions sociales entrent dans la composition du « mille-feuille fiscal », toute réforme séparée ou concomitante de ces impositions ne doit donc pas conduire à dépasser le taux marginal maximal d'imposition de 66,66 % pour des revenus « courants ». Ce n’est que pour des revenus cédulaires particulièrement élevés (comme certaines « retraites chapeau ») qu’il serait possible d’aller un peu au-delà de ce taux compte tenu de contributions spécifiques, mais sans pouvoir excéder toutefois un taux global de l’ordre de 70 %.

En 2014, les revenus d’activité (traitements et salaires, revenus professionnels des indépendants) supportent un taux marginal maximal d'imposition de 54,5 %. La marge de manœuvre restante jusqu'au taux de 66,66 % est ainsi de 12 %. Le taux pesant sur les revenus de remplacement est de 54,3 % pour les pensions de retraite (il est plus faible pour les autres revenus de remplacement), ce qui ouvre une marge de manœuvre équivalente, sauf pour les « retraites chapeau » pour lesquelles le taux validé par le CC est de 68,3 % : toute réforme portant sur les revenus de remplacement nécessiterait donc de diminuer à due concurrence les taux de la contribution salariale spécifique portant sur les « retraites chapeau ».

Pour les revenus du capital (revenus fonciers ; revenus de capitaux mobiliers (RCM) ; plus-values mobilières (PVM) ; BIC, BNC et BA non professionnels), le taux marginal maximal d’imposition s’établit d’ores et déjà à 62 %, compte tenu de la multiplicité des prélèvements sociaux sur le capital. La marge de manœuvre restante jusqu'au taux de 66,66 % est ainsi de seulement 4,6 %. S’agissant toutefois des dividendes, la marge de manœuvre serait un peu plus grande compte tenu de l'abattement d'assiette de 40 % au titre de l’IR. Il devrait également être envisageable de tenir compte des différents abattements pour durée de détention, accrus par la loi de finances pour 2014, concernant les PVM, dès lors que ces

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abattements ont été pris en compte par le CC dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 pour vérifier que « le législateur n'a pas instauré des modalités d'imposition qui méconnaîtraient les capacités contributives des contribuables ».

On observera ainsi que vouloir mettre fin à la déductibilité partielle de la CSG sans modification du barème de l’IR aurait pour effet une augmentation équivalente du taux de l’IR de 2,3 %, qui serait prise en compte par le CC dans le calcul du taux cumulé d’imposition. Celui-ci passerait ainsi pour les revenus du capital de 62 % à 64,3 %, s’approchant ainsi du taux maximal des 2/3 et obérant toute autre possibilité de modification à la hausse de la fiscalité du capital en France. Cet effet pourrait être utilement contrebalancé par une diminution des taux de la CSG ou de l’IR (selon que l’on souhaite ou non augmenter la progressivité d’ensemble du système fiscal).

Plus globalement, viser le taux confiscatoire aurait pour conséquence d'obérer toute future création d'impôt ou toute augmentation du taux de l'un des impôts entrant dans la composition du « mille-feuille fiscal ». Une telle modification devrait nécessairement être compensée par la diminution du taux ou la suppression d'un autre de ces impôts. La mécanique implacable du « mille-feuille fiscal » conduit nécessairement à privilégier les impôts à taux faible et à assiette large comme la CSG, sous réserve de respecter la progressivité d’ensemble du système fiscal. Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2013 sur l’application des LFSS (p. 135), « le taux marginal d’imposition des revenus du capital ne laisse que peu d’espace pour une augmentation générale de la CSG ».

Dans son rapport d’étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale publié en juin 2013, le Haut Conseil du financement de la protection sociale semblait déplorer que « la jurisprudence récente du CC relative à la contribution exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d’activité (décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012), qui intègre la CSG aux impositions de toutes natures qui doivent être prises en considération pour l’appréciation du caractère confiscatoire du prélèvement marginal total, limite la possibilité d’agir sur cette ressource ». La portée de cette jurisprudence doit effectivement s’apprécier compte tenu de la structure particulière des prélèvements obligatoires en France. Les revenus du travail y sont davantage soumis aux cotisations sociales que les revenus du capital (qui sont assujettis à des impôts car ils n’ouvrent pas de droits à prestations). Le caractère confiscatoire de l’imposition globale est donc plus rapidement atteint pour les revenus du capital, alors même que les revenus du travail subissent des prélèvements globaux plus importants avec les cotisations sociales patronales. Cette jurisprudence est donc favorable, soit à l’augmentation de la fiscalité indirecte sur les ménages (TVA) pour financer la protection sociale, soit au basculement des cotisations sociales sur de la CSG au titre des seuls revenus d’activité, ce qui est juridiquement possible dès lors que la CSG sur les revenus d’activité est une imposition distincte de la CSG sur les revenus du capital.

L’intégration de la CSG dans le « mille-feuille fiscal » tient ainsi à la nature même de ce prélèvement, lequel ne comporte pas de lien suffisamment direct avec des prestations à la différence des cotisations. Comme le précise le commentaire aux cahiers du CC de sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, « il ne convenait pas d’inclure dans cette addition d’impositions les cotisations sociales, même pour la part patronale de celles-ci, ces cotisations étant la contrepartie de l’acquisition de certains droits (retraite, maladie, invalidité) ni les cotisations au régime d’assurance chômage ». Mais à partir du moment où la mécanique du « mille-feuille » prend la suite du dispositif du « bouclier fiscal », on ne s’étonnera pas que la CSG soit concernée puisque, depuis un arrêt du 15 novembre 1996 du tribunal de grande instance de Paris, la CSG avait été intégrée dans le calcul du plafonnement de l’ISF. A partir du moment où le financement de la sécurité sociale fait plus appel à la solidarité nationale qu’à la solidarité professionnelle, le basculement dans le champ fiscal doit être assumé avec toutes ses conséquences.

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3. Les conditions de mise en œuvre de réformes de l’IR et de la CSG

Au-delà des critères de fond à respecter pour mettre en œuvre des réformes de l’IR et de la CSG, les modalités pratiques de telles réformes se doivent également de prendre en compte un certain nombre de principes juridiques. Seront étudiés successivement les règles de bonne législation que devrait respecter le législateur fiscal lorsqu’il souhaiterait adopter de telles réformes, les choix à effectuer quant aux modalités de recouvrement d’une imposition fusionnée et les moyens de garantir l’équilibre financier de la sécurité sociale.

3.1. Les principes applicables à une réforme législative fusionnant l’IR et la CSG

La réalisation de la fusion de l’IR et de la CSG est susceptible de remettre en cause la situation fiscale des contribuables, en ne faisant pas que des « gagnants ». Il y aurait alors des risques de contentieux, dont il convient de mesurer la portée si étaient invoqués les principes de sécurité juridique ou l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

3.1.1. Le principe de sécurité juridique

Comme l’a montré le rapport du Gouvernement au Parlement de 2012 sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG, la création d’un nouvel impôt fusionné serait susceptible d’entraîner d’importants transferts de charges entre contribuables, au demeurant pas totalement connaissables a priori ni maîtrisables par le législateur. Certains contribuables lésés pourraient-ils invoquer le principe de sécurité juridique pour contester l’augmentation non anticipée de leur imposition globale sur le revenu ?

La sécurité juridique a été reconnue comme principe général du droit par le CE (Ass., 24 mars 2006, n° 288460, Société KPMG) : une disposition règlementaire nouvelle ne peut s’appliquer à des situations contractuelles en cours à sa date d’entrée en vigueur, sans revêtir par là même un caractère rétroactif illégal, seule la loi pouvant, pour des raisons d’ordre public, autoriser l’application de la norme nouvelle à de telles situations. De manière plus générale, et indépendamment de toute situation contractuelle, le pouvoir réglementaire se doit d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. Le CE applique également le principe de confiance légitime, mais uniquement lorsqu’il statue au regard du droit de l’UE.

Par rapport à la loi, le CE contrôle le respect des biens au sens de l’article 1er du 1er protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Celle-ci a développé une jurisprudence fondée sur la notion d’espérance légitime pour identifier les créances protégées par ces stipulations : ont ainsi le caractère de biens les seules créances en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir une espérance légitime d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété (2 juillet 2001, n° 42527/98, Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c/ Allemagne). Comme le juge la CEDH, « il y a une différence entre un simple espoir (…), aussi compréhensible soit-il, et une espérance légitime, qui doit être de nature plus concrète et se baser sur une disposition légale ou un acte juridique » (10 juillet 2002, n° 39794/98, Gratzinger et Gratzingerova c/ République tchèque).

Le CE a jugé que la notion d’espérance légitime ne fait pas obstacle à la suppression, pour l’avenir, d’une exonération fiscale (30 novembre 1994, n° 128516, SCI Résidence Dauphine)

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et que l’absence antérieure de taxation ne saurait conférer une espérance légitime de ne jamais être taxé (21 novembre 2012, n° 347223, M. et Mme Daumen). En revanche, l’octroi par le législateur d’un avantage fiscal spécifique pour une durée déterminée est « de nature à laisser espérer son application sur l’ensemble de la période prévue, contrairement à d’autres mesures fiscales adoptées sans limitation de durée », de sorte que « si les stipulations de l'article 1er du 1er protocole ne font en principe pas obstacle à ce que le législateur adopte de nouvelles dispositions remettant en cause, fût-ce de manière rétroactive, des droits patrimoniaux découlant de lois en vigueur, ayant le caractère d'un bien au sens de ces stipulations, c'est à la condition de ménager un juste équilibre entre l'atteinte portée à ces droits et les motifs d'intérêt général susceptibles de la justifier » (Plén., 9 mai 2012, n° 308996, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique c/ Société EPI).

Il doit donc exister dans l'évolution d'un dispositif fiscal un équilibre entre l'intérêt public, qui exige la modification de la norme, et les intérêts des contribuables au maintien de la situation juridique qu'ils tiennent de la législation antérieure, ce qui n’était pas le cas dans la décision Société EPI. En revanche, le CE a estimé, à l’aune de ces critères, que la limitation pour l’avenir du montant d’exonérations de cotisations sociales était proportionnée au double objectif consistant à recentrer le bénéfice de ce dispositif d’exonération sur les salaires les moins élevés afin de favoriser le recrutement de salariés moins qualifiés et à réduire le coût pour les finances publiques (27 juillet 2012, n° 327850, Société ST Informatique).

Au regard du droit européen, une réforme d’ensemble de l’imposition du revenu des ménages ne semble donc pas critiquable au titre de la sécurité juridique. Seule la remise en cause de règles fiscales temporaires, dérogatoires et incitatives pourrait poser un problème au regard des attentes légitimes des contribuables quant à la stabilité de la loi fiscale.

Si l’exigence de sécurité juridique n’est pas reconnue en tant que telle comme un principe constitutionnel par le CC, celui-ci se fonde sur l’article 16 de la Déclaration de 1789 pour s’assurer de la garantie des droits, « équivalent » constitutionnel de l’espérance légitime. Le CC estime sur ce fondement « qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait priver de garanties légales des exigences constitutionnelles ; qu'en particulier, il méconnaîtrait la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant » (décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012).

En matière fiscale, il n’y a donc pas de droit acquis au maintien d’une exonération (ce qu’a jugé la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 au regard de la suppression de l’exonération des intérêts versés à raison des plans d’épargne logement de plus de dix ans). La jurisprudence du CC s’est toutefois rapprochée de celle de la CEDH : d’une part, depuis sa décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, il a étendu son contrôle, au-delà des « situations légalement acquises », aux « effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations », ce qui est une forme d’incorporation en droit interne de la notion d’espérance légitime ; d’autre part, depuis sa décision n° 2013-366 QPC du 14 février 2014 (qui concerne une loi de validation mais qui est parfaitement transposable dès lors que la norme constitutionnelle de référence est identique), il exige que le législateur se prévale non plus seulement d’un « motif d'intérêt général suffisant », mais d’un « motif impérieux d'intérêt général ».

Pour autant, le degré d’exigence en matière constitutionnelle ne semble pas supérieur à celui résultant du droit européen. Le CE a ainsi refusé de transmettre au CC une QPC invoquant l’article 16 de la Déclaration de 1789 pour contester l’abrogation d’un crédit d’impôt incitatif à l’emploi en matière de taxe professionnelle. Dès lors que cette abrogation

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s’inscrivait dans le cadre du remplacement de cette taxe par la contribution économique territoriale, le CE a même estimé de manière plus générale que la « suppression, pour l’avenir, d’un allègement d’impôt spécifique à certaines situations, dictée par la nécessité de garantir la cohérence d’ensemble d’une réforme globale de la fiscalité directe locale des personnes exerçant à titre habituel une activité professionnelle non salariée, bien qu’elle ait eu dans certains cas pour conséquence la perte du droit à un crédit d’impôt dont la loi garantissait le bénéfice pendant une durée d’un ou deux ans, n’a pu ni constituer une atteinte au droit de propriété contraire aux articles 2 et 17 de la Déclarations des droits de l’homme et du citoyen, ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de situations légalement acquises sans justification par un motif d’intérêt général suffisant » (29 janvier 2014, n° 373087, SAS Green Équipements).

Cette jurisprudence serait parfaitement applicable dans le cadre d’une éventuelle fusion de l’IR et de la CSG. Dès lors que le législateur décide de remplacer un (ou deux) impôts par un autre, il s’agit d’une réforme d’ensemble s’apparentant à une « table rase », insusceptible d’ouvrir le droit au maintien d’avantages fiscaux préexistants. Une telle réforme doit toutefois pouvoir être objectivement justifiée par la nécessité de garantir la cohérence d’ensemble de la fiscalité directe des personnes physiques.

3.1.2. L'accessibilité et l’intelligibilité de la loi

Dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, le CC a érigé en objectif de valeur constitutionnelle l’exigence d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, fondée sur les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789. Le CC exige ainsi de manière générale que le législateur exerce pleinement la compétence que lui confie la Constitution : il doit « adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi » (décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005).

En ce qui concerne spécifiquement la loi fiscale, le CC a censuré une disposition législative qui ne précisait pas quelle interprétation retenir entre deux possibles pour la définition de l’assiette d’un impôt (décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985). Il a aussi censuré le dispositif de plafonnement de certains avantages fiscaux à l’IR qui figurait en loi de finances pour 2006. Sa décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005 pose le cadre de ce contrôle : « L'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et " la garantie des droits " requise par son article 16 ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des règles qui leur sont applicables et si ces règles présentaient une complexité excessive au regard de l'aptitude de leurs destinataires à en mesurer utilement la portée ; qu'en particulier, le droit au recours pourrait en être affecté ; que cette complexité restreindrait l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de bornes que celles qui sont déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel : " Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas " ; qu'en matière fiscale, la loi, lorsqu'elle atteint un niveau de complexité tel qu'elle devient inintelligible pour le citoyen, méconnaît en outre l'article 14 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel : " Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée " ; qu'il en est particulièrement ainsi lorsque la loi fiscale invite le contribuable, comme en l'espèce, à opérer des arbitrages et qu'elle conditionne la charge finale de l'impôt aux choix éclairés de l'intéressé ; qu'au regard du principe d'égalité devant l'impôt, la justification des dispositions fiscales incitatives est liée à la possibilité effective, pour le contribuable, d'évaluer avec un degré de prévisibilité raisonnable le montant de son impôt selon les diverses options qui lui sont ouvertes ; toutefois,

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que des motifs d'intérêt général suffisants peuvent justifier la complexité de la loi ». Il en a conclu qu’en l’espèce « la complexité du dispositif organisé par l'article 78 pourrait mettre une partie des contribuables concernés hors d'état d'opérer les arbitrages auxquels les invite le législateur ; que, faute pour la loi de garantir la rationalité de ces arbitrages, serait altérée la justification de chacun des avantages fiscaux correspondants du point de vue de l'égalité devant l'impôt ».

Au regard de cette jurisprudence, le dispositif d'une nouvelle imposition globale du revenu des personnes physiques ne devrait pas, en lui-même, atteindre un niveau de complexité tel qu'il en deviendrait illisible pour les contribuables. Des difficultés pourraient toutefois notamment survenir en ce qui concerne la transition entre l’ancien et le nouveau régime d’imposition, en cas de modification des avantages fiscaux existant, selon les différentes options qui seraient ou non ouvertes aux contribuables. Il va de soi que, plus un système est simple, moins il court de risque de ce point de vue.

3.2. Les conditions du recouvrement à la source d’une imposition progressive

La deuxième partie du présent rapport a tenté de démontrer qu’un impôt unique sur le revenu des personnes physiques devrait nécessairement être progressif, en tenant compte de l’ensemble des revenus du foyer fiscal compte tenu de ses capacités contributives. Les mêmes caractéristiques s’imposeraient si la CSG devenait, de manière générale, progressive comme l’est l’IR. Quelles conditions, tenant notamment au respect de la vie privée et aux garanties à offrir aux contribuables, devraient être respectées dans le cadre du recouvrement de ce type d’imposition progressive, prélevée à la source comme la CSG ?

3.2.1. Le respect de la vie privée

Comme l’a montré le CPO dans son de rapport de février 2012, Prélèvements à la source et IR, pour pouvoir prélever à la source un impôt globalement progressif, le taux synthétique d’imposition devrait être communiqué au tiers payeur, afin d’éviter des régularisations trop nombreuses et importantes ainsi que des risques de rupture d’égalité devant les charges publiques pour les contribuables concernés qui résulteraient de l’application d’un taux forfaitaire pour le prélèvement à la source avant régularisation. Il conviendrait alors de mettre en place un traitement de données à caractère personnel permettant à l’administration chargée de recouvrer l’impôt de communiquer le taux adéquat au tiers payeur.

3.2.1.1. Les exigences du droit européen

La collecte et le traitement de données relatives à la vie privée d’un individu doivent, en premier lieu, respecter les exigences résultant de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui protège le droit au respect de la vie privée. Selon la CEDH (26 mars 1987, n° 9248/81, Leander c/ Suède ; 16 février 2000, n° 27798/95, Amann c/ Suisse), le traitement de données personnelles, qu’elles soient intrinsèquement sensibles ou non et quel que soit l’usage qui en est fait, constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée qui ne peut être justifiée que si elle est prévue par la loi, poursuit un but légitime et apparaît nécessaire dans une société démocratique. La CEDH exerce sur la nécessité de l’ingérence un contrôle de proportionnalité en se référant explicitement aux exigences de la convention n° 108 du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981.

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L’article 5 de cette convention a été repris par l’article 6 de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, lequel a été transposé en droit interne, à l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, par la loi du 6 août 2004. Les exigences du droit de l’UE et celles de la CEDH se superposent donc en ce domaine, la CJCE ayant jugé qu’une règlementation nationale instituant un traitement de données à caractère personnel ne pouvait satisfaire aux exigences de l’article 6 de la directive du 24 octobre 1995 si elle était incompatible avec les stipulations de l’article 8 de la Convention (20 mai 2003, aff. 465/00, Österreichischer Rundfunk). Trois principes doivent ainsi être respectés par un traitement de données à caractère personnel : finalité, proportionnalité et effacement.

En vertu tout d’abord du principe de finalité, les données à caractère personnel doivent être « collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes » et ne pas être « traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités ». Les finalités poursuivies, qu’il convient par conséquent d’expliciter dans les dispositions régissant un tel traitement, doivent être légitimes, ce qui est bien évidemment le cas du recouvrement de l’impôt. Mais il faut surtout veiller à encadrer l’usage des données collectées de manière à ce qu’elles ne puissent pas être détournées de cette finalité.

Ensuite, selon le principe de proportionnalité, les données à caractère personnel doivent être « adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ». Le CE juge à cet égard que « les données pertinentes au regard de la finalité d’un traitement (…) sont celles qui sont en adéquation avec la finalité du traitement et qui sont proportionnées à cette finalité » (19 juillet 2010, n° 317182, Fristot et Charpy). Il serait ainsi préférable de communiquer au tiers payeur le taux d’imposition calculé par l’administration au préalable, et non les éléments (notamment relatifs au foyer fiscal) qui permettraient au tiers payeur de calculer lui-même ce taux à partir d’un barème prédéterminé. Dans son rapport de février 2012, Prélèvements à la source et IR (p. 168), le CPO plaide aussi « en faveur de l’option consistant à confier l’intégralité du calcul de l’impôt à l’administration, celle-ci ne communiquant au tiers payeur qu’un taux synthétique ». Le CPO a également examiné les risques de « connaissance indirecte » d’éléments relatifs à la vie privée, résultant de l’application par l’employeur d’un taux différent du taux de droit commun, mais les a estimés très limités.

Enfin, le principe d’effacement, ou droit à l’oubli numérique, impose de ne conserver les données sous une forme permettant l’identification des personnes concernées que « pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ». La durée de conservation ne devrait donc pas dépasser celle nécessaire à l’exercice des contrôles fiscaux.

3.2.1.2. Les exigences du droit constitutionnel

La collecte et le traitement de données relatives à la vie privée d’un individu doivent, en second lieu, respecter les exigences résultant de l’article 2 de la Déclaration de 1789, qui implique également le droit au respect de la vie privée depuis la décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995. Le CC veille ainsi à ce que le législateur exerce pleinement la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution, en fixant les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. Dans sa décision n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, il a jugé que le droit au respect de la vie privée implique que « la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel [soient] justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ».

Il existe une jurisprudence constitutionnelle nombreuse en matière de fichiers de police ou de justice, imposant au législateur d’opérer une conciliation, entre, d’une part, la

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sauvegarde de l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la protection de principes et de droits de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, les autres droits et libertés constitutionnellement protégés, mais elle ne concerne pas les impôts.

Le CC a aussi validé le transfert d’informations fiscales entre administrations : dans sa décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, il a jugé que le fait de permettre à l’administration fiscale d'utiliser, en vue d'éviter les erreurs d'identité et de vérifier les adresses des personnes, le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) dans le cadre des traitements de données personnelles relatifs à l'assiette, au contrôle et au recouvrement des impôts, et de communiquer des informations nominatives aux administrations sociales ne porte pas atteinte à la protection de la vie privée dès lors que les informations concernées sont soumises à l'obligation de secret professionnel, que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) peut enjoindre à l’administration de prendre sans délai des mesures protectrices et que ces échanges d’informations sont « strictement nécessaires et exclusivement destinées à l'appréciation des conditions d'ouverture et de maintien des droits aux prestations, au calcul de celles-ci, à l'appréciation des conditions d'assujettissement aux cotisations et contributions, à la détermination de l'assiette et du montant des cotisations et contributions, ainsi qu'à leur recouvrement ».

En revanche, le CC n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur un fichier équivalent à finalité fiscale, alimenté par l’administration mais à destination de tiers. Ayant retenu un autre motif de censure, le CC n’a pas eu à répondre, dans sa décision n° 2013-666 DC du 11 avril 2013, au grief tiré de l’atteinte à la vie privée occasionnée par la création du fichier de 35 millions de personnes auquel le dispositif de tarification progressive de l’énergie était adossé. Dans sa décision n° 2013-684 DC du 29 décembre 2013, il a jugé conforme à la Constitution la création du fichier national des contrats d'assurance-vie, mais la constitution de ce fichier repose sur une obligation, à la charge des entreprises d’assurance, des institutions de prévoyance et des mutuelles, de déclarer la souscription et le dénouement des contrats d’assurance-vie ainsi que leur encours et leur valeur de rachat chaque année, afin de contribuer à la lutte contre la fraude fiscale, laquelle constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Le CC a toutefois rappelé qu’il appartiendra aux autorités compétentes, sous le contrôle du juge, de « s’assurer que la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation, la communication, la contestation et la rectification des données de ce fichier des contrats d’assurance-vie seront mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à l’objectif poursuivi ».

Dans le cas de ce dernier fichier, les informations transmises sont à la seule destination de l'administration fiscale, qui est tenue à l'obligation de secret dans les conditions prévues à l'article L. 103 du livre des procédures fiscales. En revanche, pour recouvrer à la source, le fichier qu’il conviendrait de mettre en place serait élaboré par l’administration fiscale à destination des tiers payeurs. Les exigences en termes de confidentialité sont donc tout autre, et le CC s’assurera de l’effectivité des mesures de préservation du secret à l’égard des tiers qui devront être prévues par le législateur, notamment en termes de sanctions.

On observera que le CC est légitimement très exigeant en la matière, puisque dans sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014 il a censuré la création du registre national des crédits aux particuliers, portant sur plus de 12 millions de personnes et devant recenser des informations précises tant sur leur état civil que sur les différentes caractéristiques des prêts qu’elles ont contractés. Il a relevé en particulier que le registre est « destiné à recueillir et à conserver pendant plusieurs années des données précises et détaillées relatives à un grand nombre de personnes physiques débitrices », qu’il peut « être consulté à de très nombreuses reprises et dans des circonstances très diverses », que les établissements et organismes financiers sont autorisés « à utiliser les informations collectées lors de la consultation du

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registre dans des systèmes de traitement automatisé de données » et que « le législateur n’a pas limité le nombre de personnes employées par ces établissements et organismes susceptibles d’être autorisées à consulter le registre ». Il s’agit d’autant d’items que le législateur devra prendre en compte pour s’assurer de la constitutionnalité de la réforme envisagée.

3.2.2. Le choix des modalités de recouvrement

La question du choix de l’administration chargée de recouvrer une imposition fusionnée ne soulève aucune difficulté juridique. L’administration fiscale est seule compétente en matière d’IR, tandis que la compétence est partagée s’agissant de la CSG, entre, d’une part, les unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) s’agissant de la contribution portant sur les revenus d’activité et de remplacement et, d’autre part, l’administration fiscale pour les contributions sur les revenus du capital, recouvrées comme en matière d’IR. En cas de fusion, il reviendrait toujours à l’administration fiscale d’établir les rôles de l’impôt unique à partir des déclarations des contribuables, de les contrôler et d’engager les procédures de recouvrement forcé si nécessaire.

Le recouvrement à la source, auprès des tiers payeurs que sont les employeurs et les organismes de sécurité sociale, des acomptes sur cet impôt unique fusionné pourrait continuer d’être assuré comme aujourd’hui pour les URSSAF ou pourrait être également confié à l’administration fiscale. La problématique n’est guère différente de celle étudiée par le CPO dans son rapport précité de février 2012, lequel concluait qu’en cas de mise en place de la retenue à la source de l’IR et en raison de l’absence d’élément objectif faisant apparaître une supériorité manifeste d’un réseau de recouvrement sur l’autre, le choix entre un recouvrement confié intégralement à l’administration fiscale ou un recouvrement partagé entre l’administration fiscale et les URSSAF « est davantage de nature politique, et dépend notamment du caractère symbolique qui serait accordé au fait qu’un prélèvement régalien comme l’IR soit prélevé ou pas par l’administration fiscale » (p. 179).

Il n’y a aucune contrainte juridique en la matière dès lors que, dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, le CC a expressément validé le recouvrement de la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement par les URSSAF, lesquelles respectent organiquement et fonctionnellement l’exigence constitutionnelle tenant à ce que « le recouvrement d'une imposition contribuant, conformément à l'article 13 de la Déclaration de 1789, aux charges de la Nation, ne peut être effectué que par des services ou organismes placés sous l'autorité de l'État ou son contrôle ». Dans le cadre d’une imposition fusionnée, il conviendrait seulement d’adapter les procédures afin que, dans le cadre de la mission de recouvrement à la source d’un impôt d’Etat (et non plus d’une imposition affectée exclusivement à la sécurité sociale) qui leur serait le cas échéant confiée par le législateur, les URSSAF soient directement soumises au contrôle de l’administration fiscale, alors que les URSSAF recouvrent de manière indépendante de l’administration fiscale la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement et qu’elles continueraient de recouvrer de manière indépendante de cette administration les cotisations sociales.

Quand bien même il s’agirait d’une imposition unique, le recouvrement pourrait continuer d’être effectué de manière différenciée selon les revenus comme aujourd’hui avec les différentes contributions constituant la CSG. En raison de la nature différente des revenus en cause, les revenus d’activité des salariés et les revenus de remplacement pourraient faire l’objet d’un prélèvement à la source, de même que les revenus financiers qui sont depuis 2013 soumis au paiement d’un acompte sur l’IR se substituant à l’ancien prélèvement forfaitaire libératoire (PFL). En revanche, les autres revenus financiers et les revenus professionnels non salariés n’étant pas connus avant la connaissance du résultat annuel

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pourraient continuer de faire l’objet seulement d’acomptes basés sur les revenus connus de l’année précédente.

Dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, le CC a validé cette distinction s’agissant de la CSG, constituée de différentes contributions mais également entre revenus d’activité salariaux et indépendants relevant pourtant de la même contribution. Au sein même de l’IR, il a également estimé que les salariés ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des travailleurs indépendants (décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012). Les raisons objectives susceptibles de justifier un recouvrement différencié par cédule seraient toujours valables en cas de fusion des différentes impositions concernées en une seule : le contrôle constitutionnel d’égalité devant les charges publiques, selon les différents types de revenus, s’appliquerait au regard de l’imposition globale, comme cela a été étudié dans la deuxième partie du présent rapport, mais serait nécessairement beaucoup plus restreint au stade des modalités de recouvrement de l’impôt fusionné. On observera ainsi que le CC a validé, s’agissant de la contribution au service public de l'électricité, des différences de périodicité de versement dès lors qu’elles « correspondent à l'existence de modalités de recouvrement différentes en fonction des catégories de contributeurs et des modalités de fourniture de l'électricité consommée » (décision n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014).

Il conviendrait seulement d’éviter que les choix de ces modalités de recouvrement n’entraînent de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Cela nécessiterait de tenir compte des situations particulières en cas de prélèvement à la source d’un impôt fusionné portant sur l’intégralité des revenus mais dont le versement des acomptes à partir du taux synthétique d’imposition calculé par l’administration fiscale porterait seulement sur les revenus d’origine salariale ou sur les revenus de remplacement, les seuls pour lesquels il existe un tiers payeur pertinent.

Lorsqu’un contribuable perçoit plusieurs catégories de revenus mais que ses revenus salariaux ou de remplacement ne sont pas dominants, lui faire supporter immédiatement sur de faibles salaires ou revenus de remplacement la charge d’une imposition, même seulement provisionnelle, alors que les autres sources de revenus (ceux du capital) sont beaucoup plus irrégulières voire aléatoires pourrait être regardé par le CC comme portant atteinte à l’article 13 de la Déclaration de 1789. Il en irait de même, s’agissant des revenus salariaux, en cas de très forte disparité entre les salaires perçus par les membres d’un couple. Un système d’adaptation du taux de prélèvement, à l’initiative des contribuables sous le contrôle de l’administration, devrait être prévu par le législateur afin de permettre de garantir l’absence d’effet de trésorerie disproportionné.

Il convient à ce stade de s’interroger sur la portée du troisième scénario de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG envisagé pp. 78-80 du rapport précité remis par le Gouvernement au Parlement en 2012. A côté des deux schémas-types de fusion (absorption de l’IR par la CSG ou absorption de la CSG par l’IR), est évoquée la possibilité de faire coexister deux prélèvements distincts au sein d’un impôt juridiquement unique : la CSG ne serait plus qu'un acompte de l’IR23. Faire référence à un acompte conduit à penser que ce scénario ne constitue pas une réforme de l’imposition globale sur le revenu des personnes physiques, mais seulement de ses modalités de recouvrement qui seraient en quelque sorte appariées. Il est ainsi expliqué que la CSG, le cas échéant rendue partiellement progressive (par cédule), serait recouvrée à la source l’année n, et l’impôt global sur le revenu liquidé l’année n+1 selon un barème progressif concernant l’ensemble des revenus. Un complément d’impôt serait alors appelé auprès des foyers dont

23 « Ce scénario est fondé sur la coexistence de deux prélèvements distincts, mais au sein d’un impôt juridiquement unique. Le premier prélèvement, opéré à la source, succèderait à l’actuelle CSG. Le second prélèvement, opéré sur une base déclarative au cours de l’année suivant la perception des revenus, succèderait pour l’essentiel à l’actuel IR. La différence avec la situation actuelle tient à ce que le premier prélèvement, à la source, fonctionnerait comme un acompte de l’impôt global, le second prélèvement, différé, servant à payer le solde éventuel ».

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le montant total d’impôt dû est supérieur à la CSG déjà acquittée, tandis qu’un remboursement d’impôt serait accordé aux foyers se trouvant dans une situation inverse.

Si la CSG devenait un acompte (proportionnel ou progressif) d’un IR demeurant en l’état (avec un barème majoré pour intégrer les taux de CSG en son sein24), elle ne constituerait plus un impôt autonome, mais une simple avance sur l’IR dû : les contribuables imputeraient la CSG payée, non pas comme aujourd’hui partiellement sur l’assiette des revenus soumis à l’IR avec les règles de déductibilité partielle, mais directement sur le montant de l’IR lui-même. On se retrouverait dans une situation similaire à celle de l’IR portant sur les revenus de capitaux mobiliers depuis la loi de finances pour 2013, avec un acompte prélevé à la source à un taux forfaitaire par les établissements financiers, puis avec une régularisation de cet acompte lors du calcul global de l’IR sur l’ensemble des revenus l’année suivante. La CSG ne constituant plus un impôt distinct de l’IR, son produit ne pourrait plus être affecté à la sécurité sociale, puisqu’il servirait en réalité à payer l’IR lui-même. Enfin, la perception d’un acompte sur des bases substantiellement distinctes de l’impôt définitivement dû serait susceptible d’entraîner des ruptures caractérisées de l’égalité devant les charges publiques, de sorte qu’une harmonisation des assiettes serait en tout état de cause un préalable nécessaire à sa mise en œuvre. Ce scénario correspond donc à une fusion par absorption de la CSG par l’IR, avec prélèvement à la source de l’IR et régularisation globale l’année suivante.

Une autre manière de traiter juridiquement ce scénario consisterait à maintenir la CSG comme impôt autonome, en en faisant un prélèvement libératoire de l’IR. Mais dès lors que des revenus auraient subi un tel prélèvement, ils ne pourraient plus par définition faire l’objet d’un autre prélèvement (puisque les contribuables seraient ainsi libérés du paiement de l’IR) : le CC a donné toute sa portée au caractère libératoire d’un prélèvement dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 en jugeant que les contribuables concernés « se sont, en application de la loi, déjà acquittés d'un impôt qui les a libérés de leurs obligations fiscales au titre de ces revenus », de sorte que le législateur ne peut pas accroître postérieurement leur imposition au titre de ces revenus. En tout état de cause, la possibilité de prévoir, au sein d’une imposition globale des revenus à barème progressif, l’existence de prélèvements forfaitaires libératoires doit pouvoir être objectivement justifiée. Dans cette même décision du 29 décembre 2012, le CC a accepté le maintien, malgré la barémisation des plus-values mobilières à l’IR, d’un taux forfaitaire libératoire de 19 % pour les plus-values réalisées par certains créateurs d’entreprises en raison de la poursuite par le législateur fiscal d’objectifs incitatifs de politique économique : il a ainsi relevé que « par l'instauration de ce régime dérogatoire, le législateur a entendu édicter des mesures d'incitation au développement d'activités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels en fonction des buts recherchés ; (…) que les critères retenus pour pouvoir bénéficier du régime d'imposition forfaitaire au taux de 19 % sont relatifs au domaine d'activité de la société dont les titres ou les droits sont cédés, à la durée de détention de ces titres, à la proportion de ces titres dans les droits de vote ou les droits dans les bénéfices sociaux de la société et à l'exercice de certaines fonctions de direction ou de contrôle ou d'une activité salariée au sein de la société pendant les cinq années précédant la cession ; que ces critères, qui ne sont pas inintelligibles, sont objectifs et rationnels ; qu'ils sont en lien avec l'objectif poursuivi par le législateur ». De tels objectifs et critères apparaissent totalement inatteignables dans le cadre d’une imposition de rendement budgétaire.

La piste consistant à vouloir traiter la CSG comme acompte de l’IR ne semble donc pas susceptible de déboucher sur une réforme qui serait distincte de la « simple » mise en œuvre d’une retenue à la source d’un IR qui aurait absorbé la CSG.

24 Pour préserver le caractère globalement progressif de l’imposition du revenu des ménages, il conviendrait de refondre complètement le barème de l’IR.

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3.2.3. Le respect du droit au recours des contribuables

Le droit au recours est garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789, au titre de la garantie des droits. Le CC fait expressément référence à ce droit dans ses décisions concernant les modalités de recouvrement d’impositions de toutes natures (n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 ; n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013). Il convient donc de vérifier comment ce droit serait garanti, dans le cadre de réformes rapprochant IR et CSG.

Dans sa décision Société Bourgogne-Bois du 10 juillet 1956, le Tribunal des conflits (TC) a jugé qu’en plus de la compétence reconnue par la loi à la juridiction administrative pour statuer sur le contentieux de l’assiette et du recouvrement des contributions directes, celle-ci est également compétente dans le cas d’une imposition qui ne peut être rangée ni dans la catégorie des contributions directes, ni dans celle des contributions indirectes, en tant qu’elle se rattache au contentieux général des actes et opérations de puissance publique.

Le CC a repris ce dernier critère pour constitutionaliser, de manière générale, la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction25 dans sa décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 relative à la loi transférant à la juridiction judiciaire le contrôle des décisions du Conseil de la concurrence. Interprétant la loi des 16 et 24 août 1790 ainsi que le décret du 16 fructidor an III, il a ainsi jugé que « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ».

La juridiction administrative est par principe compétente en matière fiscale, domaine par excellence d’exercice des prérogatives de puissance publique, sous réserve des exceptions de compétence au profit de la juridiction judiciaire prévues par la loi (litiges relatifs aux droits de mutation et ISF notamment). Les impôts directs sur le revenu, qui ne font pas partie d’une matière réservée par nature au juge judiciaire, relèvent ainsi naturellement de la compétence du juge administratif : l’article L. 199 du livre des procédures fiscales (LPF) attribue ainsi à l’ordre juridictionnel administratif les litiges relatifs aux impôts directs.

Le CC admet cependant, dans sa décision du 23 janvier 1987 précitée, que « lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient, selon les règles habituelles de compétence, entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, il est loisible au législateur, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé ». Il n’admet cependant de dérogation au principe constitutionnel de répartition des compétences juridictionnelles que si cette entorse est dûment motivée par un souci de bonne administration de la justice. Dans sa décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, il a ainsi censuré les dispositions législatives qui transféraient à la juridiction judiciaire les litiges portant sur les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière, estimant que la juridiction administrative, dépositaire de la compétence de droit commun « dans le domaine de l'annulation des actes de la puissance publique », était autant à même que l’autorité judiciaire d’offrir au requérant une voie de recours appropriée.

25 Lesquels ont tous deux un fondement dans le texte même de la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

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Le législateur ne peut donc confier au juge judiciaire la connaissance des litiges soulevés par l’imposition des revenus des ménages que par dérogation exceptionnelle à cette règle normale de répartition des compétences. La seule dérogation admise en la matière par le CC concerne l’attribution au juge judiciaire de la compétence pour statuer sur les litiges relatifs à la CSG (et la CRDS) sur les revenus d’activité et de remplacement. Il n’a pas explicité, dans sa décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, les raisons justifiant cette dérogation au profit des juridictions compétentes en matière de sécurité sociale26, mais il a mentionné dans sa décision que le législateur a choisi de se référer, pour la détermination de l'assiette de cette contribution, aux « revenus pris en compte pour l'établissement des cotisations exigées en application de la législation sur la sécurité sociale » et qu’il en a confié le recouvrement à des organismes, les URSSAF, relevant déjà du juge judiciaire. Il a en revanche expressément relevé, s’agissant des contributions portant sur les revenus du capital, que « demeurent en vigueur les règles de droit commun attribuant compétence à la juridiction administrative ».

Le CC a également vérifié, quand bien même il s’agit de contributions distinctes, que cette partition des compétences juridictionnelles ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la justice, dès lors que les garanties prévues par le législateur (notamment l’introduction du recours en appel pour les litiges relatifs à la CSG sur les revenus d’activité et de remplacement) « ne sont pas sensiblement différentes » entre les redevables des différentes contributions.

Cette répartition des compétences concernant la CSG entre les deux ordres de juridiction a été reprise tant par le CE (29 juillet 1998, n° 136877, Ministre du budget c/ Cazal, s’agissant des prélèvements sociaux sur les revenus du capital ; 28 avril 2000, n° 216459, Meggle, s’agissant à la fois de la CSG et de la CRDS) que par le TC (3 juillet 2000, n° 3192, Magnies). Qu’en adviendrait-il en cas de fusion de la CSG avec l’IR ?

Quelle que soit l’administration qui serait chargée par le législateur de recouvrer une imposition fusionnée prélevée à la source (donc y compris s’il s’agissait des URSSAF pour le précompte lui-même), le contentieux de ce qui deviendrait l’impôt unique sur le revenu des personnes physiques ne paraît pouvoir relever que de la juridiction administrative. Outre qu’il existe d’ores et déjà un bloc de compétences au profit du juge administratif en ce qui concerne les « impôts commerciaux » (IR, IS et TVA27), impôts très liés entre eux et donnant fréquemment lieu à des réclamations conjointes des contribuables à raison des mêmes opérations, de sorte que l’ordre juridictionnel administratif est déjà « principalement intéressé » en la matière, le recouvrement par l’État (ou pour son compte) de l’« impôt citoyen » constitue au premier chef la manifestation d’« actes de la puissance publique », pour reprendre les termes de la jurisprudence du CC. Dans son rapport précité de février 2012 (p. 185), le CPO a abouti à la même conclusion dans un cas moins « pur », consistant en la mise en œuvre de la retenue à la source de l’IR : « le contentieux de l’IR retenu à la source devrait rester dans sa totalité du ressort du juge administratif, au risque d’éventuelles divergences de jurisprudence avec le juge judiciaire si le recouvrement de cet impôt était confié aux URSSAF, également compétentes pour le recouvrement des cotisations sociales ».

Dans ces conditions, la mise en œuvre du scénario fondé sur la coexistence de deux prélèvements distincts au sein d’un impôt juridiquement unique, envisagé pp. 78-80 du rapport du Gouvernement au Parlement de 2012 sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG, nécessiterait très vraisemblablement une unification immédiate du contentieux au profit du juge administratif. Celui-ci devrait statuer sur les

26 Cette attribution législative de compétence au juge judiciaire étant elle-même dérogatoire au principe constitutionnel de répartition, les organismes de sécurité sociale étant chargés, sous le contrôle de l’État, de la gestion d’un service public administratif et disposant à cet effet de prérogatives de puissance publique. 27 A l’exception de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), assise sur le chiffre d’affaires.

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litiges relatifs à la CSG qui serait devenue un acompte de l’impôt fusionné, tout comme il continuerait de statuer sur l’IR lui-même.

3.3. Les conditions de garantie de l’équilibre financier de la sécurité sociale

Depuis la révision constitutionnelle du 22 février 1996 ayant institué les LFSS, l’équilibre financier de la sécurité sociale constitue un objectif de valeur constitutionnelle. Cette exigence constitutionnelle serait-elle susceptible d’être respectée en cas de fusion de la CSG avec l’IR ? Qu’en serait-il aussi pour la CRDS, qui a une finalité spécifique ?

3.3.1. L’affectation de recettes à la sécurité sociale

Une réforme rapprochant les règles relatives à l’IR et à la CSG mais maintenant deux impositions distinctes ne susciterait aucune difficulté particulière au regard des relations financières entre l’État et la sécurité sociale. En revanche, en cas de fusion au sein d’un seul impôt, se pose la question de la répartition de son produit entre l’État et la sécurité sociale.

Si l'article 34 de la Constitution prévoit que les LFSS déterminent les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale, il ne fait référence qu’aux prévisions de recettes de la sécurité sociale. Sur ce fondement, le CC a d’abord jugé que l'équilibre financier de la sécurité sociale constitue une « exigence constitutionnelle » (décisions n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 et n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001) puis un objectif de valeur constitutionnelle (décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002). Mais il n’impose aucunement que la LFSS détermine tous les éléments des recettes : elle se doit seulement d’en retracer, dans ses articles de chiffres, les prévisions, alors que la loi de finances doit « détermin[er] les ressources (…) de l'État ». La CSG, en tant qu’imposition de toutes natures, peut par ailleurs également trouver place en loi de finances.

Si, comme la CSG aujourd’hui, l’impôt fusionné était intégralement affecté à la sécurité sociale (il s’agit d’une des hypothèses évoquée par le rapport d’information présenté par D. Migaud au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le prélèvement à la source et le rapprochement et la fusion de l’IR et de la CSG28), ses règles devraient être déterminées en priorité en LFSS. En revanche, si cet impôt fusionné était affecté au moins en partie à l’État, il reviendrait à la loi de finances d’en définir ses règles.

A cet égard, il n’y aurait pas d’obligation de fixer en LFSS les règles applicables au nouvel impôt fusionné. Si le IV de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale fait référence à un monopole de la LFSS pour créer ou modifier toute mesure non compensée « de réduction ou d’exonération de contributions affectées aux régimes obligatoires de base » ou « de réduction ou d’abattement d’assiette » de ces mêmes contributions, il s’agit de mesures ponctuelles, non d’une réforme d’ensemble d’un prélèvement existant qui serait supprimé au profit d’un nouvel impôt. Il en va de même pour la disposition du III du même article L.O. 111-3, qui prévoit que seule une LFSS peut affecter à un tiers une recette exclusive ou partagée de la sécurité sociale, comme l’est la CSG. Le même raisonnement de type « table rase » que celui présenté au regard du principe de sécurité juridique semble pouvoir s’appliquer en la matière également.

La loi de finances devrait déterminer les modalités de « rétrocession » à la sécurité sociale d’une partie du produit de l’impôt fusionné, afin de permettre ensuite à la LFSS de définir les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale compte tenu des prévisions de recettes en résultant. Il serait également possible, comme l’évoque le rapport d’information précité de D. Migaud (p. 160), dans un souci de meilleur pilotage

28 Rapport n° 3779 (XIIème législature) déposé le 13 mars 2007.

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global des finances publiques, de fusionner les parties « recettes » de la loi de finances et de la LFSS, ce qui nécessiterait au préalable une révision constitutionnelle.

Le rapport du Gouvernement au Parlement de 2012 sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG évoque (p. 40) quatre possibilités d’affectation à la sécurité sociale : en premier lieu, une fraction du produit global du nouvel impôt ; en deuxième lieu, une fraction de l’assiette du nouvel impôt ; en troisième lieu, une fraction correspondant à un taux du nouvel impôt (jusqu’à une certaine tranche du barème progressif) ; en dernier lieu, un produit correspondant au niveau de la CSG avant la fusion, indexé par exemple sur le PIB.

Dans le cadre de ces scénarios, les règles précitées de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale continueraient de s’appliquer à la nouvelle imposition, en tant qu’elle serait affectée à la sécurité sociale. Mais elles seraient particulièrement difficiles à mettre en œuvre (que compenser à la sécurité sociale en cas d’octroi d’un avantage fiscal incitatif par exemple ?), dès lors qu’il ne s’agirait plus comme avec la CSG d’une imposition exclusivement dédiée. Une évolution du cadre organique pour prévoir de nouvelles règles permettant de sécuriser les recettes de la sécurité sociale devrait donc être adoptée concomitamment à la réforme fiscale.

Deux autres possibilités d’affectation à la sécurité sociale sont également envisageables : d’une part, utiliser le vecteur du compte de concours financiers (CCF) intitulé « Avances aux organismes de sécurité sociale » (CAOSS), créé par la loi de finances pour 2013, qui regroupe l’essentiel des transferts financiers entre l’État et la sécurité sociale sous la forme d’un « tuyau » unique d’affectation de fractions de TVA ; d’autre part, recourir à la technique du prélèvement sur les recettes de l’État au profit de la sécurité sociale, ce qui était envisagé par le rapport d’information précité de D. Migaud (p. 160) et qui nécessiterait au préalable une modification de l’article 6 de la LOLF.

Sous réserve de modifications de nature technique des textes adéquats, aucune solution ne s’impose juridiquement. Il s’agit d’un choix politique au regard du mode de pilotage de l’équilibre financier de la sécurité sociale qui souhaite être retenu. Cette dernière ne bénéficie en effet, à la différence des collectivités territoriales depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, d’aucune clause constitutionnelle de garantie de ressources ou d’autonomie financière. Tout au plus le CC vérifierait-t-il, au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle d’équilibre financier de la sécurité sociale, que le législateur a prévu d’accorder des ressources suffisantes, quelles qu’elles soient, pour permettre au service public de la sécurité sociale d’assurer ses missions correspondant à la mise en œuvre de droits constitutionnels (droit à la santé, solidarité à l’égard des familles et des anciens travailleurs,…). Il faut toutefois noter que le scénario consistant à affecter directement à la sécurité sociale une fraction du nouvel impôt fusionné obligerait à retenir des règles d’assiette respectant la jurisprudence de la CJUE29 pour ne pas imposer les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un autre État membre de l’UE, ce qui pourrait poser des difficultés en termes de rendement budgétaire.

3.3.2. Le cas particulier du remboursement de la dette sociale

La gestion et le remboursement de la dette sociale ont été confiés par l’ordonnance du 24 janvier 1996 à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Cet établissement public national à caractère administratif, dont c’est l’unique mission, s’est vu affecter pour cela à titre exclusif le produit de la CRDS, créée par la même ordonnance. La multiplication des reprises de dette des régimes obligatoires et de leurs fonds de financement depuis sa création ont nécessité l’apport de ressources nouvelles à la CADES :

29 Comme on l’a vu en première partie, cette jurisprudence est fondée sur la notion d’affectation d’un prélèvement.

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celle-ci bénéficie également désormais d’une fraction de la CSG (à hauteur de 0,48 point) et du prélèvement social sur les revenus du capital (à hauteur de 1,3 point). Que deviendraient les recettes de la CADES en cas de fusion de l’IR avec la CSG et la CRDS ?

On observera tout d’abord que, la CRDS ne suffisant plus à elle seule à assurer le financement de la CADES, il n’y aurait aucune raison objective de la laisser subsister en cas de fusion IR-CSG : il serait logique qu’elle soit traitée comme la CSG, puisqu’une fraction de CSG bénéficie également à la CADES. Il conviendrait alors de déterminer les modalités de garantie de ressources de la CADES, indispensables pour assurer la qualité de sa signature auprès des emprunteurs internationaux sur les marchés financiers.

Il n’y a, pas plus que pour les régimes obligatoires de base de sécurité sociale, de contrainte juridique particulière de niveau constitutionnel. En revanche, des exigences renforcées de niveau organique pèsent sur toute réforme fiscale ayant des incidences sur les ressources de la CADES. En effet, l’ordonnance du 24 janvier 1996 a été complétée par la loi organique du 2 août 2005 relative aux LFSS (LOLFSS) afin de prévoir que « tout nouveau transfert de dette à la CADES est accompagné d’une augmentation des recettes de la caisse permettant de ne pas accroître la durée d’amortissement de la dette sociale », disposition à laquelle le CC a conféré une valeur organique par sa décision n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005. Tout en accordant une dérogation exceptionnelle à cette obligation, la loi organique du 13 novembre 2010 relative à la gestion de la dette sociale a ajouté une contrainte complémentaire s’agissant des recettes de la CADES, en exigeant que « l’assiette des impositions de toute nature affectées à la CADES porte sur l’ensemble des revenus perçus par les contribuables personnes physiques ».

Il va de soi que le nouvel impôt résultant d’une fusion IR-CSG-CRDS taxerait l’ensemble des revenus des ménages. Il conviendrait donc de prévoir une clef d’affectation spécifique de son produit à la CADES, afin de garantir que le montant annuel devant en résulter n’accroitrait pas la date d’apurement de la dette sociale déjà transférée à la CADES au-delà de 2024 (soit la date actuellement prévue par la CADES pour son extinction30). Une telle affectation devrait figurer en LFSS : la même loi organique du 13 novembre 2010 a en effet indiqué que la LFSS « doit prévoir l'ensemble des ressources affectées au remboursement de la dette sociale jusqu'au terme prévu pour celui-ci » et le CC a précisé, dans sa décision n° 2010-616 DC du 10 novembre 2010, qu’il « sera ainsi mis à même de vérifier que ces ressources sont suffisantes pour que ce terme ne soit pas dépassé ».

De plus, comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de septembre 2013 sur l’application des LFSS (p. 139), « le CC vérifie désormais que le transfert de ressources associé à une reprise de dettes permet de respecter le terme prévu pour l’amortissement de la dette sociale sans dégrader les conditions de l’équilibre financier des régimes de sécurité sociale ». Dans cette même décision du 10 novembre 2010, le CC a en effet jugé que les LFSS « ne pourront pas conduire, par un transfert sans compensation au profit de la CADES de recettes affectées aux régimes de sécurité sociale et aux organismes concourant à leur financement, à une dégradation des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale de l'année à venir ». Dans sa décision n° 2010-620 DC du 16 décembre 2010, le CC a ainsi vérifié que les dispositions financières de la LFSS 2011 permettaient « d'assurer à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), par l'affectation de ressources nouvelles, la compensation, en 2011, de l'affectation de recettes à la CADES ». Il conviendrait donc, en cas de modification des clefs d’affectation de l’impôt fusionné entre régimes de sécurité sociale et CADES, de ne pas dégrader par ce seul effet, sans compensation financière adéquate, l’équilibre financier des régimes ou des branches affectataires d’une fraction des ressources qui serait ainsi transférée à la CADES.

30 Voir l’annexe 8 (p. 24) au PLFSS 2015.