Le 8 mars 2017. Introductionalainguignement.fr/wa_files/A_20Mes_20enfants.pdfLe 8 mars 2017....

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Le 8 mars 2017. Introduction Le problème n’est pas d’être vieux. Non. Le problème, est de se sentir vieux, vidé, sans plus aucune espérance, aucun projet. Je viens de vivre un enfer que la morphine ne calmait pas. Il me reste 2 désirs. Un, dont je reparlerai plus loin, l’autre d’essayer de tenir le plus longtemps possible, sans souffrance, pour elle, pour lui assurer le maximum de confort et de sécurité, pour j’espère, lui trouver une solution pérenne et humaine pour après mon départ. C’est ce qui m’a fait tenir au plus fort des douleurs, c’est ce qui m’a fait regarder toutes ces boîtes accumulées de barbituriques qui pourraient empoisonner un immeuble entier et de résister à la tentation de m’endormir pour ne plus souffrir. Je me pose la question souvent : à quoi bon vivre puisque de toute façon on va mourir ! j’ai peut être un élément de réponse : Pour avoir des souvenirs, les feuilleter tranquillement, et pourquoi pas, les transmettre. Ce qui va suivre, c’est l’histoire de vos parents, grands parents, un peu de vos arrière grands parents, et l’ambiance d’une France que vous n’avez pas connue. Il y a là des choses que vous ignoriez totalement, d’autres connues, mais peut être vues d’un autre angle, et peut être, au regard d’erreurs que j’ai probablement commises, des enseignements à en tirer. Mais je n’ai pas beaucoup d’illusions. Toi, Marie, je ne suis pas sûr que tu ne prennes pas cela par dessus la jambe, je crains que tu lises rapidement une ligne sur deux et qu’au bout d’un moment tu en ai marre et que tu rigoles. Je souhaiterais que tu fasses un effort, que tu lises, mais tranquillement, que tu essaies de t’imprégner un peu, avec un peu de gentillesse et de respect. Toi, Olivier, je ne sais pas. Mais j’ai les mêmes souhaits. Mais, si d’aventure, vous renoncez, si cela ne vous intéresse pas, voire même si cela vous indiffère, ce ne sera pas le plus important. Le plus important, pour moi, c’est de l’avoir écrit. Je ne cache rien. Par contre, si vous avez des observations sarcastiques, gardez les pour vous, laissez moi finir tranquillement. Votre père. 65 ans plus tard… sorti de l’hôpital .

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  • Le 8 mars 2017. Introduction

    Le problème n’est pas d’être vieux. Non. Le problème, est de se sentir vieux, vidé, sans plus aucune espérance, aucun projet. Je viens de vivre un enfer que la morphine ne calmait pas. Il me reste 2 désirs. Un, dont je reparlerai plus loin, l’autre d’essayer de tenir le plus longtemps possible, sans souffrance, pour elle, pour lui assurer le maximum de confort et de sécurité, pour j’espère, lui trouver une solution pérenne et humaine pour après mon départ. C’est ce qui m’a fait tenir au plus fort des douleurs, c’est ce qui m’a fait regarder toutes ces boîtes accumulées de barbituriques qui pourraient empoisonner un immeuble entier et de résister à la tentation de m’endormir pour ne plus souffrir.Je me pose la question souvent : à quoi bon vivre puisque de toute façon on va mourir !j’ai peut être un élément de réponse :Pour avoir des souvenirs, les feuilleter tranquillement, et pourquoi pas, les transmettre.Ce qui va suivre, c’est l’histoire de vos parents, grands parents, un peu de vos arrière grands parents, et l’ambiance d’une France que vous n’avez pas connue.Il y a là des choses que vous ignoriez totalement, d’autres connues, mais peut être vues d’un autre angle, et peut être, au regard d’erreurs que j’ai probablement commises, des enseignements à en tirer. Mais je n’ai pas beaucoup d’illusions. Toi, Marie, je ne suis pas sûr que tu ne prennes pas cela par dessus la jambe, je crains que tu lises rapidement une ligne sur deux et qu’au bout d’un moment tu en ai marre et que tu rigoles.Je souhaiterais que tu fasses un effort, que tu lises, mais tranquillement, que tu essaies de t’imprégner un peu, avec un peu de gentillesse et de respect.Toi, Olivier, je ne sais pas. Mais j’ai les mêmes souhaits.Mais, si d’aventure, vous renoncez, si cela ne vous intéresse pas, voire même si cela vous indiffère, ce ne sera pas le plus important.Le plus important, pour moi, c’est de l’avoir écrit.Je ne cache rien.Par contre, si vous avez des observations sarcastiques, gardez les pour vous, laissez moi finir tranquillement.Votre père.

    65 ans plus tard…sorti de l’hôpital .

  • A mes enfants

    Un chat, un chien, une grand mère, Draveil et La Vigne

    Je vais commencer par le début. Je vais commencer par mon enfance. Vers mes 5/6 ans.On habitait au 27 de la rue Emile Lepeu dans le 11ème arrondissement. Une rue avec presque aucune voiture, avec en face de chez nous une petite menuiserie, une petite fabrique de matelas, une entreprise de vernissage de meubles ( 90% des meubles étaient à l'époque vernis) et une toute petite épicerie qui existait encore il y a 10 ans où rien n'avait changé. Aussi un grand terrain qui servait de jeu de... quilles et gamins, on entendait les grandes personnes s’engueuler.Après la sortie de l'école, cette rue grouillait de mômes qui s'ébattaient partout. Il n'y avait pas de risque, pas de voiture, de détraqué, mais aussi pas de TV et de Smartphone. Il y avait un grand mur d'une ancienne entreprise de savonnerie contre lequel on jouait à la pelote. On s'enveloppait la main dans des chiffons et on tapait dans une balle au dessus d'une ligne. On avait inventé notre pelote basque, mais sans la paleta.Un petit 2 pièces cuisine au 2ème étage, avec, et c'était extraordinaire pour l'époque, les WC à l'intérieur.Cet appartement, je serais capable d'en dessiner les moindres détails, les couleurs, la disposition des meubles. Il y a 10 ans, les volets de la chambre et de la salle à manger qui donnaient Passage Alexandrie étaient inchangés.Un appartement de solitude, de colère et de disputes incessantes. Fils unique, j'assistais effrayé à cette guerre d'adultes, les assiettes qui s'écrasaient par terre, et les tabourets de la cuisine qui volaient à travers les pièces.Je rentrais de l'école rue Léon Frot avant mes parents et j'appréhendais l'arrivée de ma mère et sa voix de stentor. De cette enfance je garde le souvenir d'elle, sans jamais un geste de tendresse, mais ses hurlements et ses baffes. Je n'ai en souvenir aucun bisou, aucune caresse. Je n'avais pas de dialogue avec elle. Mon père était différent. Seul avec lui, j'ai de meilleurs souvenirs, des jeux, ses histoires qu'il me racontait déjà de sa déportation et je me souviens de temps en temps avoir été sur ses genoux. Par terre, dans l’entrée, il m'apprenait à jouer aux échecs. Mais dès que ma mère rentrait, tout changeait. Je ne comprenais pas l'objet de leurs disputes. Je me faisais le plus petit possible et quand ma mère en avait après moi, mon père prenait souvent, mais mollement ma défense. Je couchais dans leur lit. A l'envers, au milieu. Après j’ai eu un fauteuil en cuir vert qui se dépliait pour faire un couchage.Et quand j’évoque ma mère en furie sur le palier, m’éructer “ Alors tu restes avec ton père ou tu pars avec moi ?” c’est rigoureusement vrai, à travers les morceaux d’assiettes cassées, en pleurs, je cherchais mon chat dont je reparlerai plus loinIl y avait des trêves, que je redoutais aussi. Quand il y avait des trêves, il y avait le croque mitaine.Je le comprends un peu mieux maintenant, c'était des enfants de la guerre, massacrés par l'horreur, l'un comme l'autre. Ma mère, en plusieurs fois, a vu sa mère, son père et ses sœurs arrêtés par la Gestapo, a connu le port infamant de l'étoile et a dû, durant toute la guerre avec sa sœur Claire, se cacher dans Paris de la police française inféodée aux nazis et ses contrôles. Elle a appris à la libération, l'existence invraisemblable des camps, que toute sa famille avait été gazée à Auschwitz.Mon père a vu sa jeunesse se fracasser à Buchenwald, Mauthausen, Dora, Bergen-Belsen où il a été libéré le 1er mai 1945, après 3 années de camp de concentration, diminué, invalide. L'indemnité de soins qu'il percevait et lui permettait la gratuité, ne l'autorisait pas à travailler. Alors, il a fait plein de petits boulots au noir. Je me rendais compte par rapport à mes petits copains que l'on était pas riche, mais je ne me souviens pas avoir manqué de rien ou d'avoir eu faim. Non, moi mon problème, c'était la tendresse.J'avais un petit copain, Michel Vallée, qui habitait l'immeuble d'en face au 5ème étage, de l'autre côté de la cour. On se parlait par la fenêtre. Assez souvent, sur le chemin du retour de l'école, il me disait que sa mère avait préparé un gâteau et qu'il fallait que je monte avec lui.

  • Alors, quand je le voyais se ruer au cou de sa mère, qu'elle l'embrassait, que moi aussi elle me câlinait, je pensais que ce serait bien si je pouvais changer de maman. Il n’est jamais venu chez moi. Il ne connaissait pas, ne savait pas ce qu'était un croque mitaine. J'étais étonné. Quand il y avait des trêves, mes parents sortaient le soir et me laissait seul avec... le croque mitaine.C'était ma mère, jamais mon père, qui me disait que le croque mitaine était derrière la porte que je ne devais pas me lever, allumer la lumière et dormir jusqu'à leur retour.C'était l'existentialisme, ces années de folie d'après guerre, St Germain des Prés, les cabarets, le jazz, cette volonté de revivre, de se rattraper. Jean Paul Sartre, Sidney Bechet, Miles Davis ou Duke Ellington. Juliette Gréco, Boris Vian et une production de grands films français et américains. La guerre du rail, l'inconnu du Nord Express, Fanfan la tulipe, Chantons sous la pluie, un américain à Paris. C'était Fernandel, Gabin, Gérard Philippe, Montand, Jean Marais, etc...Il faut savoir qu'à cette époque, aller au cinéma ce n'était pas comme maintenant. C'était une fête qui commençait à 20h30 par un documentaire, suivi bien souvent par un dessin animé, les actualités et ensuite un entracte avec des numéros de magie, ou des chanteurs ou des clowns. Il y avait des placeuses, des ventes d'esquimaux. Venait ensuite le film principal et on en sortait vers minuit ou plus tard. Ce n'était pas très cher et cela faisait à nouveau rêver après ces années d'horreur.Et mes parents en trêve allaient souvent rêver en me laissant, j'avais 5 ou 6 ans, avec le croque mitaine… Aujourd’hui encore, je me rappelle ces nuits de peur absolue, dans ce vieil immeuble où tout résonnait. Les portes qui claquent, les grincements, les bruits de poubelle qui remontaient de la cour et le croque mitaine, un géant qui n’aimait pas les enfants et qui pouvait les dévorer.Jamais, jamais je ne vous ai laissé ne serait ce que cinq minutes seuls le soir.Une fois, j’ai vaincu ma peur. Je me suis levé. Sans bruit. J’avais repéré une pelote de laine sur une étagère dans les wc. Alors, avec, j’ai attaché en bas tous les pieds de chaise de tabourets, la petite table qu’il y avait dans la chambre de mes parents jusqu’au pieds de leur lit.Le lendemain, ce n’est pas moi qui était debout le premier…Mes parents étaient dans la cuisine et m’attendaient de pied ferme. Rapidement et comme d’habitude ma mère s’est mise à hurler jusqu’à temps qu’à travers mes pleurs, j’avoue que je voulais qu’ils tombent en rentrant. Il y a eu un silence énorme, pas de gifle. Plus un mot jusqu’à mon départ pour l’école. Et le soir appréhendant leur retour, ce fut pareil, aucune allusion, un calme silencieux. Plus jamais ils ne m’en ont reparlé.Mais ils ont continué de me laisser seul avec le croque mitaine..Il y a un souci que mes parents n’avait pas avec moi. A l’école, j’étais un cador. C’est simple, sur une année, j’ai été 7 fois 1er et le dernier mois…37ème !J’aimais l’école. En ce temps, on était 40 par classe et à l’entrée en 6ème, tout le monde savait lire, écrire et compter. J’aimais les odeurs de cette vielle école communale de la rue Léon Frot. J’aimais le travail bien fait. Je trouvais au travers de mon maître M. Bernadet, ce qui me manquait, de la gentillesse et de la reconnaissance. Placé au 1er rang, je buvais ses paroles. Tout. La grammaire, les poèmes, le calcul, l’histoire et la géographie, l’éducation civique. Tous les jours, on rentrait avec

  • des devoirs à rendre le lendemain. J’adorais. Je les faisais avec beaucoup de soins, j’avais la faculté de retenir les récitations en très peu de temps et pour ce monsieur gentil avec de grosses lunettes noires, j’aurais eu honte de ne pas lui montrer ma reconnaissance. Malgré mon indiscipline totale, j’étais son chouchou. J’étais dissipé. Tous les mois, on recevait un bulletin scolaire que l’on devait faire signer par les parents et rendre le lendemain. Malgré mes notes désastreuses de 1 ou 2 sur 10 en conduite, avec le total des autres matières, je finissais, sauf une fois, à la première place. Mais ma mère me punissait pour mes notes de conduite et souvent, je l’entends encore, mon père prenait ma défense compte tenu de mes autres résultats. Alors, j’avais trouvé la combine.J’avais fauché et caché une lame de rasoir de mon père, une lame Gillette plate.Et avant que mes parents ne rentrent, avec un talent indéniable puisque cela a duré plusieurs mois,je grattais ma note de conduite, tout doucement, sans atteindre la trame et remplaçait un 2/10 par un 7 ou un 8. Je ne changeais pas le total des points, c’était trop compliqué. Cela m’aurait fait gratter et changer 2 Chiffres, trop dangereux. Mes parents ne vérifiaient jamais le total. Et le lendemain matin, je me levais plus tôt et regrattais et remettais le bon chiffre. Je pouvais le faire, j’étais toujours le premier levé, je me faisais chauffer mon lait, trempait mon pain et ensuite je moulinais dans un moulin en bois le café et je faisais couler de l’eau chaude. Je préparais un grand bol de café au lait avec 6 sucres ! et j’allais réveiller mon père. Un petit moment d’intimité avec lui.Jusqu’à temps que ma mère invite un soir son frère que tout le monde appelait Zizi et que mon père n’aimait pas beaucoup. Tapissier salarié de son état, il quittera cette profession pour cause de problèmes pulmonaires, suivra des cours de comptabilité avec succès et ironie du sort deviendra 25 ans plus tard….mon comptable.Toujours est il que ce soir là, me félicitant pour mon cahier de notes qu’il regardait, a trouvé que quelque chose n’allait pas. Apparemment prédisposé aux chiffres, il avait additionné dans sa tête et çà ne collait pas. Et le pot aux roses a été découvert. Scandale, adieu le prix d’excellence. L’année précédente déjà, toujours 1er de la classe, pour cause de mauvaise conduite comme on disait à l’époque, je n’avais pas eu le prix.La remise des prix était d’une grande importance. L’école de ce temps était élitiste. Sauf redoublement, il n’y avait aucune structure pour ceux qui ne suivaient pas. Tous les matins on devait présenter ses ongles et ses oreilles pour examen de propreté, s’asseoir les bras croisés, bien raide sur la chaise jusqu’à temps, comme à l’armée, que le maître dise repos. Bien sûr, le moindre bruit ou bavardage était sanctionné par des copies de ligne, des avertissements à donner aux parents et à rendre signés.C’était une grande cérémonie, en présence de toutes les classes, tous les maîtres et maîtresses, tous les parents. Tout le monde était endimanché. C’était solennel. Il y avait 2 prix : D’abord le prix d’honneur et le graal, le prix d’excellence. La plus part du temps, des livres magnifiques avec de belles reliures et d’un coût qui devait être élevé. Je me souviens de 2 récompenses, un prix d’honneur et un prix d’excellence. Et trois livres fabuleux. Le livre de la jungle de Rudyard Kiplingen format tabloïd avec des enluminures extraordinaires, Moby Dick de Herman Melville et celui qui m’a le plus fasciné, L’Iliade et l’Odyssée de Homère qui en fait se composait de 2 livres mais qu’on lisait d’une seule traite. Pour la petite histoire, mon père a eu le prix d’excellence du meilleur élève du…11ème arrondissement. Il m’avait montré le diplôme.Il y avait la télévision mais à partir de 20h, une seule chaîne en noir et blanc. Après un peu de jeu dans la rue, les devoirs, je lisais, beaucoup. Il n’y avait pas de magazine, pas de “news”qui rentraient à la maison. Paris Match existait déjà. Mais un livre était beaucoup plus sacré que maintenant; on en prenait grand soin. Je lisais toujours sur une table, sans jamais corner une page et je le rangeais précieusement.Dans cette enfance que je qualifierai pudiquement de sans bonheur, j’ai malgré tout eu de grandes joies.Bambi, mon chat, infatigable compagnon de jeux. Il était extraordinaire. Quand je rentrais de l’école, que je tournais la clé dans la serrure, je savais qu’il était là derrière la porte. Et c’était la folie ! je n’ai jamais connu un animal capable de se déchaîner comme cela, sautant de meuble en

  • meuble, prenant de l’élan pour courir le long des murs, se jetant sur moi et dès que j’avais retiré chaussures et chaussettes, se ruer sur mes pieds pour mordiller et jouer avec les orteils.Kazan, mon chien, un bâtard merveilleux, je lui montais dessus, il montait sur moi et fatigués, on se reposait l’un contre l’autre.Mon chien a été donné au menuisier en face et je pouvais aller le voir un peu tous les jours.Mon chat, qui devait certainement faire des dégâts a été donné à ma grand mère.

    Il faut que je parle de ma grand mère.Ma grand mère. Mon bonheur absolu. Je n’ai pas de mots assez forts pour décrire tout l’amour que j’ai eu pour elle. Dans ce monde d’adultes que je ne comprenais pas, elle était ma trêve à moi.Son visage n’était que douceur. Elle a été mon premier grand amour.Tous les mercredis, en sortant de l’école, je marchais jusqu’à la station Charonne, je prenais le métro, je changeais à Strasbourg St Denis et descendait à Château rouge. A pied je traversais le Bd Barbès, remontait par la rue Poulet pour arriver au 7 rue Ramey, pratiquement au pied du Sacré Coeur. Mon père avait fait de nombreuses fois le voyage avec moi avant de me “lâcher”.La porte de l’immeuble qui n’a pas changé était lourde et je courais dans le couloir mais déjà elle m’attendait et son sourire… C’était un petit bout de femme. Le temps l’avait tassée. Toujours un châle sur les épaules, elle sentait bon comme un vieux meuble. C’est vrai, Bambi ne pouvait pas faire beaucoup de dégâts. Elle était concierge, elle occupait une loge misérable, une pièce de même pas 10m2 où dans un recoin il y avait un lit, une gazinière une table et 4 chaises. Aussi un lit cage en fer qui replié faisait une étagère. La seule fenêtre donnait dans une grande cour ou il y avait un autre immeuble également de 6 étages dont elle avait aussi la charge. Pour aller à son évier et aux toilettes, dans le “reste” de sa loge, elle devait traverser le couloir qui en hiver était glacial. Là elle avait droit à un petit couloir derrière une porte et au fond, des WC. Bien sûr, il n’y avait pas d’eau chaude. Sur le mur de sa pièce principale, il y avait une lucarne à glissière. C’était par là qu’elle donnait le courrier.Concierge, dans ces années là, c’était un vrai métier. Le digicode n’avait pas été inventé, ni les services de nettoyage. Une bonne concierge, c’était important pour les occupants.

    Tous les jours de la semaine, sauf le jeudi, par tous les temps, elle prenait son balai, son seau et ses serpillières et ce petit bout de femme grimpait au 6ème étage sans ascenseur des 2 immeubles et elle redescendait marche par marche en nettoyant. Elle était adorée par les occupants. Je l’ai su lors de ses obsèques, ils étaient plus nombreux que la famille…Aux murs dans sa loge, il y avait des petits masques africains qui me faisaient un peu peur.Mon grand père, que j’ai très peu connu était infirmier dans la coloniale. Il partait en mission. C’est à dire qu’ils rentraient dans les villages en Afrique, l’auto mitrailleuse devant.

    Ça tirait dans le tas, espérant avoir le sorcier, et les survivants étaient vaccinés et baptisés de force. Avec la bénédiction des …autorités religieuses. J’ai un souvenir de lui. Assis sur ses genoux, face à lui et à ses grandes moustaches. Le soir, malgré mon âge, il me faisait chabrot (un verre de vin dans le fond de soupe).

    Avec un tas d’os, probablement maintenant dans une fosse commune à St Ouen, ce sont les seules photos qui témoignent de son passage sur terre.

  • Je sais qu’un soir il est descendu à la cave et qu’il n’est jamais remonté.Bien sûr Bambi se ruait sur moi, mais curieusement, ma grand mère le calmait très vite sans hausser la voix. C’était le goûter, les devoirs et puis après les parties de…belote ! Elle adorait ! Elle trichait effrontément. Le dimanche parfois, on se retrouvait dans sa petite loge avec mon oncle Georges, ma tante Gilberte et Gilbert mon cousin. On avait très peu d’écart. On mangeait en premier, et ensuite on allait jouer dans la cour pour laisser la place aux adultes. Et après c’était les parties de belote 2 contre 2. Ma tante et ma mère ne jouaient jamais. Et ses tricheries faisaient rire tout le monde, elle se faisait souvent prendre. Le mercredi soir, après la soupe, elle dépliait le lit cage, Bambi venait dormir avec moi, et après de gros baisers, elle allait dans son lit et je m’endormais en pleine quiétude. Elle me donnait une fois par semaine ce que je n’avais pas à la maison. De la douceur, de la tranquillité et un amour manifeste. Je le lui rendais bien.

    Je crois que toute sa vie elle avait travaillé dans une crèche au service des enfants. Ceci expliquait cela. Je ne sais pas comment elle a abouti pour sa vieillesse dans cette loge de misère ni commentelle faisait pour vivre. Il est probable que la famille cotisait un peu. Et puis en fin d’année, elle avait “les étrennes” des occupants des immeubles et je sais qu’ils étaient généreux.Le jeudi matin elle me donnait 1 franc pour acheter 100 g de viande hachée et 20 c pour acheter du mou pour Bambi. Elle me laissait ensuite beaucoup d’autonomie. Je remontais par la rue Muller jusqu’au Sacré Coeur, la rue St Vincent, la Place du tertre et ses peintres, je redescendais par la rue du Chevalier de la Barre. J’ai usé mes fonds de culotte sur la butte Montmartre. Il y avait des vendeurs de peaux de lapin, des artisans qui portaient sur leurs épaules des vitres et qui déambulaient en criant “vitriers”, des rémouleurs qui affutaient couteaux et ciseaux, des remailleuses qui réparaient les bas, et les petites cabanes où on vendait des billets de loto, “les gueules cassées”, tous ces petits commerces qui faisaient une atmosphère si particulière et qui n’existent plus. Que j’aimais ces jeudis !!! Que j’ai aimé cette grand mère !!!Le jeudi en fin d’après midi, je repartais seul à pied au métro, elle ne pouvait pas quitter sa loge.Une grande embrassade et je partais retrouver mes parents et parfois, pas toujours, leurs tumultes et les cris. Je n’ai jamais laissé tomber ma grand mère. Autant que j’ai pu, adolescent, j’allais la voir une fois par semaine avec le même bonheur. Elle se tassait de plus en plus. A 16 ans, quand j’ai fugué, c’est chez elle que je me suis réfugié. Mais c’est une autre histoire…J’ai eu mon permis de conduire le 25 mars 1965, 3 semaines après mes 18 ans. Je travaillais, rue Béranger, qui donnait sur la place de la République. J’avais acheté une vieille 2cv et souvent le midi, je remontais le Bd Magenta, Barbès et j’allais la voir. Elle se dégradait petit à petit.Elle a été hospitalisée, angine de poitrine. Tous les midi j’allais la voir dans cette salle communede l’Hôpital Bichât. Elle set morte devant moi, la bouche grande ouverte, cherchant désespérément de l’air. J’ai été dévasté. Ma première vraie grande douleur. La butte Montmartre qui s’effondrait.La morgue, le petit cadavre tout blanc sur la table, la mise en bière, les obsèques à St Ouen. L’horreur.

    Draveil, des journées de bonheur.

    On prenait le car “Citroën” à la bastille. C’était parti pour une petite heure de voyage. Le car nous déposait juste devant la rue Louise Michel. Et avec nos valises on marchait jusqu’au N° 7.

  • Elle était en bois, surélevée sur des parpaings, 3 pièces, toute en longueur, sur un terrain d’environ 500m2. Elle avait appartenu à mes grands parents maternels, ceux d’Auschwitz.Chacun avait sa pièce. La plus grande mais aussi la plus commune, puisque cuisine oblige, pour mes parents, celle du milieu pour ma tante Claire et mon oncle Adolphe et celle du fond pour mon oncle Maurice et sa femme Jackie et leur fils, mon cousin, Serge.Sur fond de petits conflits familiaux, mon oncle Maurice était un communiste “stalinien” convaincu ce qui passait mal avec mon père, c’était une ambiance extraordinaire. Nous les enfants, on était libres, libres de courir dans le jardin, dans la rue, d’entrer chez les voisins.Les voisins, essentiellement les Boismartel, lui soûlard invétéré et violent avec sa femme et ses enfants, elle qui prenait les coups, et les enfants. Josiane, la fille ainée, Marinette, ma grande copine que je n’ai jamais connue que sous le nom de Didi, Louis, un grand gaillard qui tenait tête à son père et essayait de protéger ses soeurs et Paul, qui parlait très peu et toujours en retrait.Draveil, c’est pour moi des tas de souvenirs. Mon oncle Adolphe qui m’emmenait très tôt le matin à la pêche, à l’arrière de sa mobylette, sans cale pied. Les repas dehors et les immenses salades de tomates avec de l’ail. Didi qui regardait à travers le grillage et à qui discrètement mes parents donnaient un peu à manger. Ma cousine Hélène qui m’a appris dans la rue à faire du vélo. Le caca qu’il fallait aller faire dans la cabane au fond du jardin, avec la nuée de mouches vertes et les araignées. Ce puits, qui me fascinait, ma mère m’ayant dit que c’était là que vivait le croque mitaine et qu’il ne fallait pas que je m’en approche. Mon oncle communiste Maurice et ses gros cigares, il en mourra plus tard, que j’aimais bien. Les veillées le soir dans la rue, avec les voisins. Mais aussi ma première agression sexuelle, j’en connaîtrai deux autres plus tard mais j’avais 15 ans et j’ai su me défendre.A Draveil, il y avait ce que l’on appelait “les fouilles”. Plein de petits étangs, des petits lacs. Tout était sauvage. C’était là que mon oncle m’emmenait à la pêche et que des fois on partait tous pour la baignade. J’avais obtenu le droit d’y aller tout seul en vélo. Je devais juste traverser la grande route pied à terre. Le chemin qui menait aux fouilles était juste en face. Ma petite canne à pêche, une petite bourriche ( je ramenais toujours du poisson), des vers de terre, une montre pour rentrer à l’heure et c’était parti. Il n’y avait, une fois la grande route franchie, plus aucun risque. J’étais un petit garçon raisonnable et si je tombais à l’eau, il n’y avait pas de courant, c’était peu profond et je savais déjà nager. Il n’y avait pas de détraqué…Je péchais en contre bas du talus, mon vélo couché par terre. J’ai entendu sa voix et je me suis retourné. Il était au bord du talus et il m’apparaissait encore plus immense. je revois encore ses vêtements, ses grandes bottes au dessus d’un pantalon bouffant et comme sa veste, marron.Je sais maintenant que c’était une veste de chasse avec une cartouchière. Il avait un fusil, cassé en deux qu’il a posé au sol. Il m’a rejoint et m’a regardé longtemps pêcher. Il ne parlait pas. Je n’étais pas tranquille et commençait à regarder mon vélo. Cela a duré. Puis, doucement, il a pris ma canne à pêche, l’a posée et m’a, sans violence, attiré vers lui, la main sur mon épaule. Après, tout s’est brouillé. Il a ouvert son pantalon et j’ai vu un truc qui me paraissait énorme. Doucement, il a pris ma main et l’a posée dessus. Et il a bougé. Après, j’ai vu un liquide blanc sortir. il s’est revêtu et il est remonté sur le talus. Il me regardait. Je me suis approché de mon vélo, il n’a rien fait. Je suis remonté du talus avec et il n’a toujours pas bougé. J’ai commencé à pédaler doucement, je me suis retourné, il me regardait toujours. Alors, j’ai pédalé comme un fou, traversé la grande route sans me soucier de le faire à pied. Je pleurais, je n’avais eu aucun mal. Mais je savais que ce n’était pas bien, que c’était sale, j’avais honte. C’est mon père qui était là. Je ne me souviens pas ou était ma mère, peut être au marché. J’ai essayé, à travers mes pleurs et avec mes mots de raconter. Cela devait être

  • incohérent. Mon père a cru que je racontais une histoire à la quelle il ne comprenait rien, parce que j’avais perdu ma canne à pêche. Il ne m’a pas puni et on n’en a jamais reparlé.Plus jamais je suis retourné seul à la pêche, mais à chaque fois que mon oncle m’y emmenait, j’espérais que”le monsieur” reviendrait et que mon oncle prendrait ma défense.Mais Draveil c’est aussi, dans cette vieille maison en bois ou personne n’allait plus, un souvenir merveilleux, fantastique : c’est là, que votre mère et moi pour la première fois avons fait l’amour. On allait pratiquement tous les dimanches, on allait “s’isoler” là…Draveil. C’est paraît il là, selon ma mère qui l’a répété maintes fois, que j’ai été conçu par…erreur.C’est le père Boismartel qui est venu frapper à la porte au mauvais moment. Agréable vu la suite…

    La vigne

    Je le réalise maintenant, je ne sais pas pourquoi cela s’appelait “La Vigne”. Il n’y en avait pas. Je n’ai jamais posé la question. Et maintenant, je n’aurai pas de réponse. Tous les protagonistes sont morts. Chaque année, j’y passais trois mois de vacances.C’était une petite ferme, au sommet d’une petite colline, sans voie d’accès à la D25, sur la commune de Sénezergues, en Auvergne. Une bâtisse de pierres entassées, perdue au milieu de champs vallonnés. Une eau de source qui se déversait dans un lavoir en ciment dans la cour, une grande pièce au rez de chaussée chauffée par une énorme gazinière à bois, une grande table massive au bout de laquelle, nul n’avait le droit de s’asseoir; la place était réservée au chef de famille. Je me

    souviens d’un homme robuste, qui ne parlait pas. Je ne le voyais qu’au moment des moissons. La ferme était si petite, que le reste du temps, il partait à Maurs travailler comme maçon.

    Je ne le revoyais pas, mais sa place à table devait rester vide. Un escalier étroit menait à des chambres sans chauffage. Je dormais sous un énorme édredon.C’était la “Tata Louise” qui régentait, toujours habillée en noir, des cheveux blancs et une grande douceur. Paul, le fils aîné me paternait. J’ai le souvenir d’un petit pistolet en bois qu’il avait fabriqué et m’avait offert. Renée, la fille qui était grande et maigre. Je me cachais pour la regarder quand elle allait faire pipi derrière la grange. Il n’y avait pas de toilettes.Petite ferme, 2 vaches, 7 cochons, des poules et des lapins. C’est tout. Et des champs, des vallons, des forêts à l’infini. Une vue magnifique. Une fois par semaine, sur un coup de Klaxon, je devais descendre par la forêt pour rejoindre la route et le boulanger dans sa guimbarde qui me mettait entre les mains une énorme tourte de pain frais. J’avais d’autres missions : la recherche de champignons, des cèpes. Je partais à travers la forêt avec un grand panier attaché au tour du cou et le bâton fourchu pour les serpents qu’il ne fallait jamais oublier. Il y en avait beaucoup et Paul m’avait montré comment reconnaître les cèpes et me protéger avec le bâton des serpents pour le cas où je me ferais surprendre. Des couleuvres, mais aussi des vipères. Il y avait une clairière en plein soleil avec un petit cours d’eau où je m’arrêtais pour prendre des écrevisses qui se cachaient sous les pierres et c’était autour qu’il fallait faire attention. Paul triait les champignons que je ramenais, les lavait, puis les découpait en fines lamelles qu’il positionnait sur

    La TataLouise

  • des cadres en bois avec un grillage de poulailler, ensuite exposés en plein soleil. Il fallait beaucoup de récoltes pour obtenir un Kg de cèpes séchés. c’était au boulanger qu’ils étaient vendus et je me rappelle même le prix : 1000fr le Kg et j’étais tout fier de revenir avec les sous. Mes écrevisses étaient jetées dans un bac et survivaient jusqu’à temps que la Tata Louise juge le nombre suffisant…On me chargeait aussi d’apporter du lait, des gâteaux ou des oeufs dans une ferme que je rejoignais à travers champs. J’avais droit en arrivant à une grosse tartine de bon pain avec de la confiture. Je revenais avec du beurre, pas le beurre de maintenant, et de la crème fraîche dont la saveur n’existe plus. Et aussi, je devais emmener les cochons “au champ” et je passais l’après midi à m’amuser avec. Je ne devais pas m’approcher des vaches. Et puis il y avait “les foins”. Avec deux gros boeufsque probablement les fermiers se prêtaient entre eux, on coupait les blés et j'avais le droit de monter À côté de Paul sur la carriole. Après j’aidais à faire les gerbes. Le foin était mis en grange et j'y faisais de grandes bagarres avec Paul.Durant plusieurs années, cela a été 3 mois de bonheur intense, chez des gens gentils. Je me souviens encore des omelettes aux cèpes et des clafoutis aux cerises. Et cette liberté…Bien des années plus tard, avec votre mère on y est repassé. La tâta Louise était toujours vivante et alerte, son fils Paul l’avait prise avec elle à “La Chourlie”, un petit village assez proche. Et La Vigne a été vendue à des anglais, qui avaient tout rénové. On s’est présenté en voiture par la petite route qu’ils avaient faite, mais la femme qui était seule à refusé de nous laisser entrer.J’ai appris que la Tata Louise était morte à 102 ans. C’était la soeur du “Père Bonnet”, le patron du café où ma mère travaillait rue de Lappe. C’est devenu un ami de mes parents et je l’aimais bien.

    Les lycées, Caryl Chessman, collège, Brévannes

    Mes parents avaient trouvé un peu d’aisance. Mon père, je crois, avait un emploi de commercial Chez Japy et essayait de fourguer leurs machines à écrire et ma mère travaillait de nuit, rue de Lappe. Je la voyais peu. Le matin elle dormait et le soir elle n’était pas là. Çà m’allait bien.Une 4cv neuve trônait au pied de notre immeuble !!C’est à la rentrée 1957 que j’ai été admis au lycée Jean Baptiste Say. Toujours très dissipé. Avec Mme Laborie, professeur de maths, rapidement surnommée la bourrique, le courant n’est pas passé. J’ai en mémoire cette femme à la chevelure énorme qui en accrochant son manteau disait systématiquement “ Guignement sortez !” Dès la 6ème, on apprenait l’algèbre. Je me suis fait un peu largué. Je me rattraperai plus tard. Mais aussi, ce merveilleux prof de français, Mme Sanchidrillan. Passionnée, elle nous a passionné pour les beaux textes, la poésie, les grands auteurs.

    Le Père Bonnet, sa fille sur ses genoux, ma mère et moi sur la chaise…

  • La conscience et les pauvres gens de Victor Hugo, le lac de Lamartine, l’albatros de Baudelaire, épitaphe funéraire de José-Maria de Heredia, etc. Je les sais encore par coeur. Elle nous avait dit qu'une partie de ses aïeux avait disparu dans le naufrage du Titanic. Elle nous a demandé une rédaction sur une catastrophe connue ou à imaginer. Il y avait eu un grave accident d'avion quelques temps plutôt À Orly. J’ai fait un texte de quelques pages sur une catastrophe aérienne décrivant l'ambiance dans le poste de pilotage. J'ai eu la meilleure note et Elle a lu ma rédaction a toute la classe. C'est elle aussi qui, ayant été absent longtemps pour une mauvaise bronchite asthmatique, est venue me voir rue Émile Lepeu pour m’offrir en livre de poche… l’iliade et l'odyssée! Je ne lui ai pas dit que je les avais déjà lus. Mais, enfant doué, je n’ai pas pu sauver ma 6ème.Retour à Draveil. Mon père avait ouvert une petite agence immobilière en bordure de la grande route. Je ne crois pas que cela ai bien marché. Il avait acheté une Panhard bleue clair, 1954 DN 75! (Bonne mémoire…). Tous les matins, nous partions ensemble depuis Paris jusqu'à l'agence où je prenais mon vélo pour aller au lycée de… Montgeron. Je retournais à l’agence après les cours et je faisais mes devoirs souvent chez la vieille dame d’à coté et qui avait toujours un bon gâteau. Elle vivait dans un foutoir indescriptible de vieux machins autour d’un piano plus vieux qu’elle. C’est de là que vient la peau avec le masque d’indien qui a toujours trôné au mur, chez mes parents.

    Cellule 2455, couloir de la mort. Caryl Chessmanhttp://www.lesinfluences.fr/Caryl-Chessman-le-ruban-noir-de-l.htmlhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Caryl_Chessman#.C5.92uvres_de_Caryl_ChessmanCela ne vous dira probablement rien. Ce livre a changé beaucoup de choses pour moi. En culottes courtes, j’avais 13 ans, j’ai lu ce livre. Notre prof d’histoire géo, militantactiviste contre la peine de mort nous avait sensibilisé à le lire. En 1959/1960, l’affaire Chesmann défrayait la chronique. Tous les média en parlait. Le bandit à la lumière rouge. Pas de meurtre, mais des viols. Il avait toujours nié. Pour la première fois, on allait au titre de la loi “Lindbergh” mettre à mort un homme accusé de viols. Le bandit à la lumière rouge “enlevait” les femmes des voitures et leur faisait subir des violences dans les fourrés à côté. Il y'avait donc bien kidnapping… Durant 12 années, il a assuré seul sa défense et à 7 reprises dont 2 fois au dernier moment, a réussi à obtenir un sursis. C’était devenu un grand juriste et un grand écrivain qui fut exécuté le 2 mai 1960.Le lendemain de l’exécution, ce prof que même cette classe de ”perturbateurs” respectait, a refusé de nous faire cours. Visiblement bien préparé, il l’a remplacé durant plusieurs jours par l’histoire de la peine capitale à travers les siècles. Ce fut ma première grande réflexion d’adulte, et mon refus définitif et inchangé d’accepter que l’homme puisse tuer un autre homme au nom d’une justice. J’avais l’impression d’être devenu grand.

    CollègeIls ont fini par avoir ma peau. De conneries marrantes, objet de lettres d’avertissement que je retirais systématiquement de la boîte à lettres, en conneries tout court, je me suis fait virer. Faut dire que la dernière, involontaire, ce qu’ils n’ont pas cru, était de taille…J’avais mis le feu au laboratoire de physique/chimie ! Ils ont moins rigolé que lorsque avec un copain, on avait, avec du solide fil de pêche, attaché ensemble à travers les roues une bonne centaine de vélos sur le parking. Qu’elle pagaille ! Le coup des dizaines de grenouilles lâchées dans les classes avait même amusé le proviseur. Mais l’incendie…Malgré le témoignage de copains, l’occasion était trop belle. Viré !Mais comme j’étais un bon élève malgré tout, j’ai été inscrit au collège de Brunoy, où on habitait maintenant rue de la Faisanderie, sans redoubler.Je m’y suis bien adapté. Ce prof d’anglais qui ne savait donner son cours qu’en parlant de tennis, ce prof de physique chimie qui lors d’une démonstration, nous expliqua qu’il ne fallait jamais verser l’eau dans l’acide sulfurique et qui s’est envoyé tout seul à l’hôpital, faisant le contraire en nous parlant. J’avais maintenant un Solex, récompense pour mon certificat d’études. Je travaillais bien, j’avais de bons résultats et surtout j’aimais ça. Je ne savais pas que mes études allaient s’arrêter là !!On est parti vivre à Brévannes. Mes parents avaient acheté un café.

    http://www.lesinfluences.fr/Caryl-Chessman-le-ruban-noir-de-l.htmlhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Caryl_Chessman#.C5.92uvres_de_Caryl_Chessman

  • Et mon adolescence allait se fracasser.

    Brévannes“Le café du départ”. A l’arrivée, pour moi un désastre. Je n’exagère pas en écrivant qu’à partir de ce moment et jusqu’à mon mariage, je compte sur les doigts d’une main les fois où j’ai pu être seul avec mes parents, manger avec eux, ou simplement, discuter, hors la présence “d’un client”.Mon père ouvrait à 6h, pour le premier car dont le dépôt était à côté du café. C’était le seul moyen pour se rendre et aller travailler à Paris. Et le café fermait vers 1h du matin. Et le lundi.Une salle avec de grandes baies vitrées, l’arrière salle pour les amoureux et joueurs de cartes, une terrasse bien ombragée avec 2 grands arbres, l’appartement derrière, le décor était planté pour une adolescence qui allait tourner à la catastrophe et qui allait me faire entrer dans le monde des adultes trop rapidement.Il y avait le juke box qui serait maintenant une pièce de collection, avec les tubes de l’époque, Pétula Clark et son charriot, Halliday qui retenait la nuit, Vartan et les garçons et les filles de son âge, Leny Escudero et son amourette, Brel à Amsterdam et ce foutu train qui n’arrêtait pas de siffler

    avec Richard Antony. Et ce flipper, collé pendant 8 ans contre le mur de ma chambre. Rien qu’au bruit, je donnais le score !L’hospice de Brévannes. Un château acheté par l’assistance publique. L’entrée principale était juste en face du café. Des petits vieux, souvent abandonnés, tous avec un pantalon bleu et à bandes rouges lorsqu’ils étaient punis, traînaient autour des bistrots. Une école d’infirmières, toutes internes, suffisamment libérées, faisait de cette ville un véritable lupanar, l’accès aux dortoirs était…facile. C’était une banlieue mal famée, l’époque des blousons noir et des “mobs”. Il y avait souvent des bagarres et mon père gérait assez bien. Enfermés à l’intérieur, avec l’aide des chauffeurs de car, les loubards recevaient des corrections et petit à petit cela s’est calmé. Moi, j’évoluais dans tout cela, mes cours, les parties de tarot dans l’arrière salle, les filles et je m’étais mis à jouer sérieusement aux échecs.

  • Ma mère avait son Graal. Elle avait “son café” !

    L’abandon et la lâcheté, la révolte, Françoise

    Ce sera mon dernier bulletin scolaire. Je terminais ma 4ème et l’année scolaire en beauté.

    L’abandon et la lâchetéMais ma mère avait un Graal aussi pour moi…Là où elle me destinait, je n’avais pas besoin de diplôme disait elle. Garçon de café !!! Je travaillais sérieusement et à 30 ans, j’aurai mon café !Il est vrai qu’à cette époque les serveurs et serveuses, n’étaient payés qu’au pourboire, sans aucun autre salaire et gagnaient bien mieux leur vie que maintenant. Souvent le soir à la fermeture, j’aidais notre serveur à faire sa comptée sur son plateau de service. On faisait des colonnes des différentes pièces de monnaie et chaque soir mon père récupérait le total en fond de caisse et lui donnait l’équivalent en billets. Le samedi, jour de marché, c’était impressionnant !Je venais d’avoir 14 ans et légalement, en 1961, mon cursus scolaire pouvait s’arrêter.

  • J’ai protesté, dit que je voulais continuer, plus tard faire physique /chimie, que je n’avais que mon certificat d’études. “Tu n’as pas besoin de diplôme !”. Je ne pouvais pas lutter contre l’intolérance de ma mère et la lâcheté de mon père qui a laissé faire. Il ne voulait plus d’emmerdes. Il ne s’opposera plus jamais. C’est en candidat libre que je me présenterai l’année suivante au BEPC, que j’ai décroché sans problème.Alors, avec l’aide du père Bonnet qui connaissait tous les bistrots auvergnats de Paris, en septembre 1961, j’ai été “placé”. D’abord dans un bar tabac PMU. La seule chose dont je me souviens, c’est de la fille des proprios, on avait le même âge et elle me plaisait bien. Mais elle, elle continuait ses études. Au bout de quelques temps, j’ai envoyé balader les parents et la fille. Le père Bonnet est revenu à l’aide. Cette fois, c’était dans une grande brasserie à la Porte de Versailles. Je faisais la salle. Je débarrassais les tables. On déjeunait en 2 services. Une fois, j’ai été à la table du patron. gros auvergnat dans toute sa splendeur. Il m’a fait observer que je ne mangeais pas. J’ai répondu que je n’avais pas faim. Je ne l’ai pas vu venir. Sa baffe a été magistrale. “ un bon ouvrier çà se voit à table ! mange !” Cela m’est toujours resté. J’étais logé à 200m, au dernier étage d’un immeuble, sans ascenseur. C’était une petite remise avec un évier et un lit. Pas de chauffage, pas d’espoir.

    La révolteJ’ai pété les plombs.J’ai quitté mon travail, je suis rentré à Brévannes et malgré les hurlements, je n’ai pas cédé : plus jamais je ne travaillerai dans un café !!! Et qu’à partir de maintenant c’est moi qui déciderai !France Soir, les petites annonces. CEBTP ( Centre d’Essais du Bâtiment et des Travaux Publics )recherche un(e) jeune laborantin(e). Formation assurée, bonnes possibilités de carrière.Je me suis fait embauché. Rue de Vaugirard à Paris. 4h30 de transport par jour, j’ai tenu 6 mois.On faisait des études sur la glissance des routes. J’étais attaché à une machine. Une roue de scooter tournait sur un cylindre sur lequel étaient disposés différents échantillons de revêtements routiers.Quand je mettais en route après avoir disposé dans un certain ordre les échantillons, un grillage se levait automatiquement pour me protéger des projections et mes poignets attachés étaient tirés vers l’arrière. Il fallait que j’appuie sur un bouton pour aller aux toilettes et être détaché. Le DRH adorait les garçons ce qui amusait tout le monde le midi à la cantine. Sauf moi. Il ne me lâchait pas. Il a retrouvé sa voiture dans le parking avec les 4 pneus crevés et un mot sur son pare brise “ Arrêtez avec Alain ou alors on continue”.J’avais repéré une annonce : laboratoire de photogravure recherche apprenti, rue Béranger dans le 3ème. Moins de trajet et en plus, je ne serai pas attaché…Le patron, M. Béreny a convoqué mon père pour connaître…ses opinions politiques ! La boîte réalisait des brochures à usage restreint et confidentiel, bien sûr en noir et blanc, sur les sièges éjectables des avions de chasse de…l’armée australienne ! Il ne voulait pas de communiste ! Il n’y avait pas de contrat d’apprentissage et d’école alternée. C’était sur le tas. Un brave homme, M. Clachet, ex photograveur chez Georges Lang est devenu mon maître d’apprentissage. Il était de la vieille école, rude et gentil, mais d’une patience infinie. Il m’a fait découvrir et aimer ce métier. Pour faire un film avec des images et du texte, il fallait d’abord.. fabriquer le film ! On mettait la feuille de triacétate dans une tournette et les produits photo sensibles. La force centrifuge étalait le tout et on mettait à sécher dans le noir total avant de pouvoir s’en servir. C’était en 1962 et pour la première fois, j’aimais ce que je faisais, pour… 300F par mois. Tous les matins avant de prendre mon car, mon père me donnait 7F50.Dans ce petit restaurant que j’avais trouvé pas très loin, où je déjeunais tous les jours, le prix du menu était à 7F et le café à 50Ct. Au bout d’un certain temps, la patronne m’offrait toujours le café. Je ne l’ai pas dit et tous les jours j’avais 50Ct d’argent de poche. Mais elle n’aurait pas du. C’est avec cet argent économisé que j’ai acheté mes premières cigarettes…

    FrançoiseJe rentrais le soir heureux de ces bonnes journées. En plus, j’avais rencontré une élève infirmière. Elle était différente, elle ne couchait pas. Françoise Quilleré. Elle avait 5 ans de plus que moi, je faisais plus vieux que mon âge mais ça ne plaisait pas à ma mère… Souvent elle attendait dans

  • l’arrière salle que je rentre du travail. C’était une fille sérieuse, qui venait du Finistère et qui travaillait dur pour devenir infirmière. Petit à petit on est devenu amoureux. Cela a duré 18 mois. Mais ma mère a décidé de s’en mêler. Elle trouvait intolérable la différence d’âge. La guerre a repris. Elle m’a interdit de la revoir et ne la voulait plus au café. Et cette guerre, elle l’a gagnée. Françoise avait eu son diplôme et avait été mutée et on ne pouvait se voir qu’en cachette. Le temps a fait le reste et moi, j’ai fugué…chez ma grand mère où mon père m’a retrouvé après plusieurs jours. Curieusement, l’histoire me donnera 2 compensations à l’intolérance de ma mère.C’est “grâce” à elle, que j’ai pu bénéficier de la loi Fillon et prendre ma retraite 2 ans plus tôt, pour longue carrière…Et des années aussi plus tard, quelques jours après le décès de votre mère, Françoise m’a appelé à mon bureau. Les journaux avait déballé et c’était pas difficile de trouver le N° de la Photogravure de l’Ouest. Elle était en poste à Orléans, mariée avec 2 enfants. Après ses condoléances, elle m’a enjoint très fortement de la rejoindre dans sa communauté où auprès de son Dieu, je trouverai amour et réconfort. Elle était devenue avec son mari…témoin de Jéhovah !!! Grâce à ma mère, je l’ai peut être échappé belle…

    Facebook, mon métier, quelques filles…

    Au café, tout le monde me parlait, me serait la main. J’avais plein “d’amis”, mon Facebook à moi. Les habitués. Les chauffeurs du terminal de cars, le personnel hospitalier, les joueurs de belote et de tarot, les piliers de bistrot. Je ne pouvais pas parler à mes parents. Ils étaient devenus inaccessibles. Dès que je m’approchais, il fallait qu’un quidam s’en mêle. Même en salle, je ne pouvais pas m’installer. Impossible d’étudier, de lire. Il y en avait toujours un qui venait à ma table pour discuter. Alors, je restais dans ma chambre, derrière le bar.Dans cette petite boîte de 8 salariés, je me suis défoncé. Je voulais m’en sortir. Ce métier, je le “sentais”. Mon Maître d’apprentissage m’a prêté des tas de livres et ce qui allait me servir bientôt,des bouquins techniques sur la décomposition du spectre solaire, les synthèses additives et soustractives, les couleurs primaires et complémentaires. J’étais de tous les coups. Je ne refusais rien. Il fallait préparer les produits chimiques, dissoudre les sachets d’hydroquinone, d’hyposulfite de sodium, etc. Le travail le soir, la nuit, le week end, j’ai tout accepté. De temps en temps, j’avais droit à une prime de… 150F, la moitié de mon salaire d’arpette. Et j’apprenais sans relâche. Je devenais de plus en plus autonome. Ma mère, occupée par son bar me foutait la paix, je la voyais très peu. Tous les matins je prenais un croissant et un café au bar, comme si j’étais un client. Mon père faisait sa mise en place et des fois on parlait un peu.. A 6h30 je prenais le car qui me déposait à la Bastille, puis le métro jusqu’à République. Curieusement, je réalise maintenant que mes parents ne m’ont jamais demandé que ce soit à cette époque ou bien plus tard, en quoi consistait mon métier. Que cela était rudimentaire ! Pour photographier les textes d’une mise en page, on utilisait un banc de reproduction de 4m de long, tout en bois, et pour varier la focale, la chambre noire porte film et l’objectif, glissaient séparément, entraînés par des vis sans fin, sur des rails en bois. Pour l’échelle 100/100, on avait 2 cames d’arrêt, mais pour réduire ou agrandir, il fallait calculer la proportion et photographier en même temps un double décimètre pour avoir la taille désirée. Et bien sûr, les films étaient panchromatiques. Il fallait tout éteindre pour en sortir un de la boîte et le coller dans le noir total sur le plateau arrière de la chambre noire. Le film insolé était développé à la main et c’est seulement quand il était dans le bain de fixation que l’on pouvait rallumer la lumière.J’avais bien progressé, le patron jouait le jeu, mon salaire aussi. J’avais atteint la qualification de “photographe similiste”. J’étais capable de traiter n’importe quel document, textes et images en …noir et blanc. J’approchais de mes 18 ans.J'avais un copain dont je ne me souviens que du prénom. André, un grand gaillard, belle carrure, italien d’origine, avec une belle gueule. Il était jardinier employé communal et faisait des ravages parmi les…élèves infirmières. Il avait 3 ans de plus que moi et avec sa…2CV, on partait en chasse !

  • Aussi Jacky Godebout, un physique déjà de camionneur. Peut être pourquoi, sans attendre les 18 ans et un permis, il manoeuvrait tous les camions de l’entreprise de son père pour les ranger dans la cour. Plus tard, il reprendra la suite et deviendra un bon manager.

    Limeil Brévannes. 10.000 habitants et un nombre infini de filles délurées, libres de toutes contraintes familiales. L’école d’infirmières. Un réservoir inépuisable qui faisait du bâtiment qui leur était assigné, un véritable baisodrome pour peu que l’on réussisse à franchir les gardiens dont je connaissais une bonne moitié, car clients attitrés et souvent alcoolisés, du bar de mes parents…J’ai été dépucelé en juin 1960, je venais d’avoir 13 ans, par une gentille future infirmière…Pour “chasser” les filles, la technique était simple : on allait là où il y avait concentration. On franchissait sans trop de difficultés le mur d’enceinte de l’hôpital, on se faufilait dans les allées bordées d’arbres centenaires en évitant les patrouilles de rondiers, pour aboutir au bâtiment des dortoirs et chambres individuelles. Il y a eu certains soirs…. des carnages. Il y avait également beaucoup de fêtes de “village”, sous chapiteau avec des orchestres locaux,les guinguettes au bord de l’eau. Les “boîtes” de l’époque.

    Le permis de conduire, la couleur

    Il me le fallait. Mon maître d’apprentissage était parti en retraite et je savais que pour progresser je devrais prendre une décision : quitter cette petite entreprise où je me plaisais tant, où tout le monde m’aimait et où j’avais “grandi”. Je voyais bien que jamais on ne pourrait toucher à la couleur. Et je sentais qu’elle allait exploser. On commençait à voir des magazines avec des cahiers en couleur et aussi quelques publicités. Il était nécessaire que je trouve une entreprise qui s’investissait dans ces nouvelles technologies. Je voulais pouvoir travailler n’importe où sans avoir à refuser pour des problèmes de transport. Pour rejoindre Paris, je n’avais que les autocars et pour travailler dans une autre banlieue, il n’y avait pas de transport et vu les horaires de la profession, ce n’était pas envisageable.Les 35h étaient inconnues. On partait quand le travail était fini. Dans les années 60, on était au milieu des 30 glorieuses. Le chômage était pratiquement inexistant, la croissance de 4,5% chaque année, les salaires qui suivaient et ces nouveaux biens de consommation. Les machines à laver, les téléviseurs, les voitures et aussi les premiers lotissements qui permettaient de devenir propriétaire à crédit. Le boom économique d’après guerre qui nous fait rêver maintenant.Il y avait une petite auto école place de la République. Je n’avais pas beaucoup d’argent. J’ai pris un forfait de 8h de cours et matin et soir dans les transports en commun, je bûchais le code de la route.J’avais opté pour des leçons d’une heure, et le patron me laissait y aller sans difficulté. C’était à 200m. J’ai été convoqué à 14h le 25 mars 1965. J’avais bien sympathisé avec le moniteur et c’est grâce à lui que je l’ai eu du premier coup. Il m’avait conseillé de prendre toute mon après midi et d’attendre à la terrasse du café à côté. Il me ferait un signe discret. Il me disait que l’examinateur était “une peau de vache” et recalait pratiquement tout le monde, sauf à la fin, sous réserve que cela se soit passer correctement, il disait qu’il fallait quand même qu’il en donne un !C’était par ordre alphabétique et à l’appel de mon nom, il dirait : pas encore arrivé. On était une vingtaine et à son signal, je devais arriver, l’air essoufflé et présenter mes excuses, le travail, dur de se libérer, etc. Et ça a marché !! Après quelques questions dans la voiture sur la sécurité et le code de la route, j’ai fait le tour de la place de la République, un créneau sans bavure et j’ai entendu la phrase miraculeuse : “bon, vous l’avez, il fallait bien que j’en donne un”.Mine de rien, ce permis obtenu avec si peu de frais et si jeune allait faire basculer ma vie.Cela faisait quelques temps que je regardais les petites annonces de France Soir.Et quelques jours après l’achat de cette vieille 2CV, il y a eu l’annonce magique : Société de photogravure recherche jeune similiste. Formation à la couleur si volontaire et performant.Au Plessis Trévise, à 15 km de Brévannes !J’en ai immédiatement parlé à mon patron. Il m’a dit, vas-y, présente toi tout de suite !

  • A 15h, je sonnais à la porte, sans rendez vous. C’est ce qui a dû plaire à celui qui allait définitivement assurer mon avenir professionnel. Il trouvait que j’étais gonflé de me présenter sans RDV. Mais il a pensé que je devais en vouloir car il m’a reçu et fait subir un interrogatoire en règle.Il m’a fait visiter et m’a montré les équipements. Il m’ a demandé ci ceux ci m’impressionnaient.Et j’ai fait une réponse invraisemblable qui a emporté l’affaire : ce qui m’impressionnerait, serait de ne pas avoir la place ! Il m’a demandé quand je pouvais commencer. Je lui demandé l’autorisation de téléphoner à mon patron. Cela lui a plu aussi. La réponse a été immédiate : dès lundi si tu veux !A 17h30, je ressortais avec un nouvel emploi, une grande probabilité de formation à la couleur et 30% de salaire en plus !!! J’étais euphorique, mon père était content et ma mère comme d’habitudeémettait des critiques : on ne quitte pas comme çà un emploi sans réfléchir, si je travaillais dans un café, je n’aurais pas de souci de formation, etc.Le vendredi, mon patron, M. Bérény, m’a fait une belle fête d’adieu au restaurant avec l’ensemble du personnel. Il m’a offert un magnifique briquet Silver Match. Il avait les larmes aux yeux et moi aussi. C’est ce même briquet qui quelques mois plus tard allait me faire revenir au monde présent en me sortant de 4 jours de totale amnésie, suite à un accident à la tête.Transporté à l’hôpital de Villeneuve St Georges, je ne me souvenais plus de mon nom, de mon âge et je ne reconnaissais personne, même pas mes parents. C’est un médecin qui a eu l’idée de fouiller dans mon placard et de me présenter mes différentes affaires, dont un paquet de Gitanes et un briquet. Et il s’est aperçu que j’avais marqué un temps d’arrêt sur ce foutu briquet. Il avait trouvé la porte d’entrée et il ne m’a plus lâché. Des rafales de questions, est ce que je l’ai acheté ? il m’a été offert ? Quand ? Pourquoi ? Et relayé par le personnel infirmier, petit à petit, il m’a ramené et m’a redonné mes souvenirs.Ce nouvel employeur allait devenir pour moi un modèle qui me servirait plus tard.Son pragmatisme, son organisation dans le déroulement commercial, technique et administratif du moindre dossier, sa capacité de réaction à l’imprévu, sa discipline imposée à tous, intolérante aux erreurs et tolérante aux initiatives personnelles, tout cela m’a fait comprendre qu’être “patron”, c’était un métier. Et en plus de la couleur, çà aussi, il me l’a appris.Je travaillais beaucoup, toujours volontaire en cas de surcharge, soirs et week end. On était débordé.La couleur envahissait tout. Les magazines, les publicités et bientôt la télévision. Il fallait investir et embaucher. C’est à ce moment que s’est pointé un inconnu, Gilles Loubeire, qui s’était fait embaucher en affirmant qu’il était …photographe couleur. Le patron me l’a confié pour lui expliquer les matériels. En fait, il n’y connaissait rien, et était bien incapable de sortir la moindre production. Il était sympa. Alors, je lui ai montré ce que je savais et le temps qu’il ingurgite, j’ai dû assurer une plus grosse production pour le couvrir. Cependant, il pigeait vite et quelques mois plus tard, il était autonome. Et puis il y a eu la grande exposition des arts graphiques, la “DRUPA” qui se tenait à Düsseldorf. Le patron m’a proposé de l’accompagner. C’était gigantesque, avant gardiste, 600000 visiteurs. Une nouvelle technologie qui pointait son nez allait faire basculer toute la profession : L’avènement du scanner dédié aux arts graphiques. Le premier modèle, le KS Paul existait en 3 exemplaires en Europe dont un à Paris. Au retour, dans l’avion, mon patron m’a fait une proposition déconcertante. Il se faisait fort de me faire embaucher dans cette société parisienne, de me faire former sur ce matériel. J’avais sa parole, ma formation terminée, il me réembaucherait et investirait dans un scanner. Cela m’éloignait, je perdais en salaire, mais même si je n’étais pas réembauché, je pressentais que c’était l’avenir. J’ai accepté. SEP, Société Européenne de Photogravure, à la Porte d’Orléans, grosse boîte, filiale d’Hachette, la CGT, qui plus tard deviendrait mon ennemie intime, régnait en maître.10,47 Fr de l’heure, 174h/mois. 6 mois de formation. On était 2. Il avait 25 ans et était déjà alcoolique au dernier degré. Sa seule passion était l’étude des…serpents ! Tout son salaire y passait, bouquins, matériels, déplacements. Il deviendra plus tard un grand expert renommé, mais toujours…saoul. Un scanner maintenant, se pose sur une table et pèse 2 Kg. Celui là faisait 4m de long et 1m50 de hauteur. A minima 2 heures de maintenance par jour étaient nécessaires pour remplacer toutes les lampes qui sautaient. Rien que la procédure de mise en route demandait 45 mn.

  • C’était un scanner rotatif et le principe était simple. Le document à analyser était fixé sur un cylindre translucide à l’intérieur duquel un rayon lumineux, fixé sur une vis sans fin le traversait.La puissance électrique produite était modulée par les détails du document et transmise à un module qui insolait un film que l’on chargeait dans le noir absolu et qu’il fallait ensuite développer toujours dans le noir. Nous disposions de 6 vis sans fin différentes pour choisir la bonne résolution d’une image. Plus le pas de vis était étroit, plus la résolution était fine et plus long était le temps de traitement. Un 24x36 agrandi 10 fois, c’était 2h de roulage et il fallait surveiller que rien ne pète durant le processus. La direction nous imposait d’être en chemise cravate car nous avions beaucoup de visiteurs. Le hic était que chaque vis sans fin baignait dans un bain d’huile minérale, pesait 15kg, et s’installait en s’inclinant sur un axe à 1m20 du sol ! On se foutait de l’huile partout ! Mais notre dirigeant a résolu le problème… en nous attribuant une prime de chemise !C’était un travail passionnant. Après notre formation, toute l’entreprise dépendait de ce matériel et…de nous. Au final, nous étions 6 opérateurs en 3x8 deux par deux et j’étais responsable de mon équipe. J’avais 19 ans. Deux autres passions m’attendaient. Une anecdotique et une autre…

    Aujourd’hui 19 juillet, je sors de l’hôpital après une 10ème angioplastie. Le chirurgien m’a dit que ma jambe droite, sous réserve de ne pas rejeter le stent, était sauvée.

    Les échecs et la petite robe bleue

    Très jeune, vers 5 ou 6 ans, mon père m’avait appris le jeu d’échecs. Ce jeu m’a tout de suite fasciné. Un jeu où la chance n’intervient pas, où seules les capacités de réflexion, de mémoire, d’audace et de création, supérieures à celles de ton adversaire, te donnent la victoire. C’était un bon joueur, très patient à m’apprendre. Je n’ai jamais su ou lui avait appris. Probablement à l’armée. Pratiquement tous les soirs, j’avais la leçon. Et puis on commencé des matchs. Bien sûr, il m’écrasait, mais je progressais vite. Mon oncle Zizi, mon futur comptable, était également un bon joueur et je faisais aussi des parties contre lui. J’achetais régulièrement des revues spécialisées, jouais par correspondance et vers mes 16/17 ans mon score “Elo” me classait comme un joueur de très bon niveau. A l’époque, pour travailler dans le monde de l’imprimerie et du labeur, il fallait être encarté à la CGT. Dans la presse, c’était elle qui procédait aux embauches et le patronat acceptait sinon, c’était la grève ! Le leader CGT à qui j’avais refusé de prendre la carte et qui me vouait une vindicte évidente, m’avait vu feuilleter la revue Europe échecs. Il était, aux échecs, le crack de la boîte. Personne ne l’avait jamais battu. Il a cru bon de me provoquer en 2 manches et une belle si il y a lieu. Si je perdais, je prenais la carte de la CGT. Il m’a demandé en se marrant ce que je souhaiterais en cas de victoire. Je lui ai demandé que les semaines ou je serai du matin, il vienne me dire bonjour en m’apportant un café. Tout çà, devant son aréopage. Et les matchs ont eu lieu devant ses supporters. Et ce con, pendant presque un an, une semaine sur 3, m’a apporté mon café le matin. A chaque fois qu’il voulait négocier une revanche, je lui jouais le croissant en plus et il a toujours refusé… Et je me suis inscrit aux championnats de France par correspondance.

  • Le travail, les échecs, les filles, j’étais très occupé. Mais lassé d’être le gibier, on voulait aussi être chasseur. Alors, hormis l’école d’infirmières et les fêtes locales sous chapiteau, on allait au bal, avec mon copain André. Pas le samedi soir. Le dimanche après midi, et en costume cravate.Le Chalet du Lac, à St Mandé était notre territoire de chasse favori. Un beau bâtiment en bordure d’un lac, plusieurs grandes salles, dont une de bal avec une grande estrade où se produisaient de très beaux orchestres. C’était les slows, Léo Ferré et son extra, les tangos, Adamo et vous permettez monsieur, les valses avec Piaf et la foule, les pasodobles et Luis Mariano, chachacha avec Distel et son scandale dans la famille, et les rocks d’Elvis Presley.Mais c’est avec Sinatra et Strangers in the night que ma vie allait basculer.On était assis tous les deux à une table et pas loin de nous, 4 ou 5 filles discutaient et rigolaient. J’avais croisé le regard d’une blonde aux cheveux longs et un beau visage. André, qui dans un régiment de dragueurs aurait été au moins colonel, m’avait expliqué que lorsqu’après avoir invité une fille à danser, il fallait interpréter sa réponse. Si elle te répondait oui sans hésitation sans t’avoir regardé ou en te regardant, ce n’était pas bon ! Par contre, si après avoir hésité elle acceptait, on marquait un point… Frank Sinatra, les violons et l’étranger dans la nuit, je me suis lancé. “ vous dansez Mademoiselle ? “. Elle m’a regardé, elle a hésité et s’est levée… C’était somptueux.Je n’avais vu que son visage et je découvrais le reste. Un corps moulé dans une petite robe bleue turquoise largement au dessus du genou, un sourire magnifique et ses longs cheveux qui dégoulinaient de chaque coté sur sa poitrine. Elle a marché devant moi pour rejoindre la piste et de dos, c’était l’apothéose. Ses jambes, sa silhouette, un vrai bonheur. On a dansé toute l’après midi. Je la voyais refuser d’autres partenaires. A la fin, je lui faisais un simple coup d’oeil et on se retrouvait sur la piste. Elle dansait très bien et moi aussi. Elle avait 18 ans et devait être rentrée pour 19h. On s’est donné rendez vous pour le dimanche suivant… pour 18 années de bonheur absolu.On s’est fréquenté de septembre 1966 au 29 juin 1968, notre mariage.A cette époque, on se fiançait. On s’est fiancé.Et à cette époque, une fille sérieuse et vierge … c’était pas facile à convaincre. La peur de tomber enceinte, la peur tout court. Elle a vaincu sa peur 3 mois avant notre mariage. A Draveil. Elle n’a plus jamais eu peur.Une fois de plus ma mère a voulu foutre le bordel ! Comme je lui répondais qu’effectivement on allait se marier à l’église puisque elle était croyante, elle m’a fait une crise. Pourquoi à l’église et pas dans une synagogue ? Elle a vitupéré. Dans ce cas elle ne viendrait pas ! Je lui ai alors dit que je ne l’avais jamais vue foutre les pieds dans une synagogue et même jamais en parler ! Moi je suis athée et cela ne me gène pas de me marier religieusement. Si tu ne veux pas venir c’est ton problème. Et là, pour une fois, mon père a osé trancher : moi je viendrais ! et ma mère est venue…Ce fut un beau mariage avec une belle météo. Et elle était si belle et rayonnante.

  • On avait trouvé un deux pièces cuisine à Maisons Alfort que mon oncle Adolphe avait remis en état.Quelques jours plus tard on est parti en voiture en voyage de noces à Alicante en Espagne. Sa cousine tenait un hôtel restaurant avec une grande piscine et nous avait invité pour le mois. Sauf qu’elle ne nous avait pas dit que c’était un (somptueux) hôtel …de passe. Et les filles et leurs clients passaient devant notre fenêtre. Et le soir, nous étions le seul couple “normal” attablé. Au bout de quelques jours on prétexté que l’on voulait voir Gibraltar et on est parti.Au début, quand j’ai connu votre mère, elle travaillait comme secrétaire sténo dactylo dans une petite société de fabrication de baies et fenêtres en aluminium à St Maur. Le patron s’appelait …M. Alu !!! Il fallait l’écrire ! Puis elle s’est faite embauchée au siège parisien du Mouvement Français pour le Planning Familial. Elle chipait des photocopies de courrier des lecteurs et certains étaient de véritables gags ! le mari outragé qui écrivait que malgré qu’il prenait sa pilule régulièrement, sa femme était encore tombée enceinte !La présidente, qui était aussi avocate, l’a convoquée dans son bureau et lui a fait une proposition fantastique : sous réserve qu’elle accepte de voyager, de travailler quelques fois le week end, elle était mutée à son service dans son secrétariat personnel avec une grosse augmentation de salaire. Bien sûr, elle a accepté. Elle a accompagné la présidente dans différents congrès. j’avais le droit de venir. On a tout su des différents troubles sexuels et MST ainsi que des différentes méthodes de contraception.Mon patron avait tenu sa parole. Il avait acheté un scanner et m’avait réembauché. Nous avions 2 très bons salaires et un excellent démarrage dans notre vie de couple.Cependant, au bout de quelques mois, on s’est rendu compte que quelque chose clochait : on ne se voyait plus. On faisait l’amour sur la rampe d’escalier. Son travail était prenant, le mien aussi et cela nous laissait très peu de temps pour nous. Il y avait des Week End ou elle partait avec sa présidente et d’autres ou c’était moi qui était mobilisé. Par ailleurs, on était confrontés à un problème important : l’un comme l’autre on voulait avoir jeune des enfants.

    Aujourd’hui 17 août 2017. Il est 23h55. Consultation en pneumologie à l’hôpital. Après les tests, comparaison avec ceux passés en décembre 2014. Pas bon. Dégradation d’un début d’emphysème en fibrose des 2 poumons. Je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur de la façon dont je vais mourir. Et j’ai peur pour Claudine …après.Grosse claque. Pour l’instant, je n’ai plus envie d’écrire. Et je ne sais pas si je vais me motiver à nouveau. A quoi bon ? https://www.allodocteurs.fr/maladies/poumons/fibrose-pulmonaire-une-vie-a-bout-de-souffle_21115.htmlhttp://www.doctissimo.fr/html/dossiers/maladies-respiratoires/15100-fibrose-pulmonaire-idiopathique.htm

    Au mariage de son frère Claude

    https://www.allodocteurs.fr/maladies/poumons/fibrose-pulmonaire-une-vie-a-bout-de-souffle_21115.htmlhttps://www.allodocteurs.fr/maladies/poumons/fibrose-pulmonaire-une-vie-a-bout-de-souffle_21115.htmlhttp://www.doctissimo.fr/html/dossiers/maladies-respiratoires/15100-fibrose-pulmonaire-idiopathique.htmhttp://www.doctissimo.fr/html/dossiers/maladies-respiratoires/15100-fibrose-pulmonaire-idiopathique.htm