Le 50 Anniversaire du traité de l'Élysée et les relations franco ...

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© SCÉRÉN-CNDP, 2013. 1 Le 50 e Anniversaire du traité de l’Élysée et les relations franco-allemandes Les signatures et sceaux officiels du chancelier allemand Konrad Adenauer et du président français Charles de Gaulle sur le document original du traité de l’Élysée. © Andreas Altwein/DPA/AFP.

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Le 50e Anniversaire du traité de l’Élysée et les relations franco-allemandes

Les signatures et sceaux officiels du chancelier allemand Konrad Adenauer et du président français Charles de Gaulle sur le document original du traité de l’Élysée. © Andreas Altwein/DPA/AFP.

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Conception et réalisation du dossier Auteurs : Caroline Doublier, professeur agrégée d’histoire Claude Robinot, professeur agrégé et formateur dans l’académie de Versailles Chargée de mission : Marie-Christine Bonneau-Darmagnac Chef de projet éditorial : Tania Lécuyer Secrétaire de rédaction : Nathalie Bidart Iconographe : Adeline Riou Graphisme / Intégration technique / Intégration éditoriale : Unité de production web

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Sommaire

Introduction ....................................................................................................................................................... 4

Regards croisés, deux nations qui se construisent entre fascination et rejet ................................................ 6

Regards français sur l’Allemagne et les Allemands ..................................................................................... 6

Regards allemands sur les Français ............................................................................................................. 7

Le Rhin, un fleuve romantique et un objet de discorde .............................................................................. 9

Le printemps des peuples et l’influence du modèle révolutionnaire français .......................................... 15

Le temps des ennemis héréditaires ................................................................................................................. 17

La guerre franco-prussienne, 1870-1871 ................................................................................................... 17

La Première Guerre mondiale et la diabolisation de l’ennemi .................................................................. 19

La guerre et la fraternité des tranchées .................................................................................................... 21

La paix de Briand et Stresemann ............................................................................................................... 22

Les résistants allemands en France ........................................................................................................... 24

De Gaulle-Adenauer, une relation construite entre deux hommes, deux nations et deux États ................. 26

La première rencontre : 14-15 septembre 1958 ....................................................................................... 26

De Gaulle-Adenauer, un couple uni dans la guerre froide, 1958-1961 ..................................................... 28

La France, l’Allemagne et l’Europe, l’échec du plan Fouchet, 1961-1962 ................................................. 30

Le renforcement des liens entre les hommes et les nations, 1962-1963 .................................................. 31

La visite en Allemagne du général de Gaulle, 2 au 9 septembre 1962 ...................................................... 33

Le traité de l’Élysée, 22 janvier 1963 ......................................................................................................... 35

De Gaulle-Adenauer et le traité de l’Élysée : bilan et conclusion .............................................................. 38

Les autres couples franco-allemands .............................................................................................................. 39

Georges Pompidou et Willy Brandt, 1969-1974 ........................................................................................ 39

Valéry Giscard-d’Estaing et Helmut Schmidt, 1974-1981 .......................................................................... 40

Helmuth Kohl et François Mitterrand, 1982-1995 ..................................................................................... 41

Gerhard Schroeder et Jacques Chirac, 1998-2005 ..................................................................................... 43

Nicolas Sarkozy-Angela Merkel – François Hollande-Angela Merkel, 2007-2012 .................................... 45

Une amitié « par le haut et par le bas » .......................................................................................................... 47

Les institutions franco-allemandes et les réalisations ............................................................................... 47

La coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité : la BFA ................................................. 48

Un cas particulier : les jumelages franco-allemands ...................................................................................... 49

L’Ofaj, organisme de coopération de la jeunesse franco-allemande ............................................................. 51

Voltaire, Sauzay, Heine … ........................................................................................................................... 52

Le développement des programmes d’échanges individuels .................................................................... 53

Le manuel franco-allemand d’histoire ....................................................................................................... 54

Les lycées franco-allemands ............................................................................................................................ 56

Pour aller plus loin ........................................................................................................................................... 57

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Introduction

Un demi-siècle de relations étroites entre deux pays habitués à la routine des rencontres bilatérales ont conduit les commentateurs politiques à reproduire les mêmes clichés langagiers pour évoquer l’amitié franco-allemande. À l’ouest du Rhin, on parle de « couple franco-allemand », tandis que sur la rive droite, on évoque plus volontiers le « Deutsch-französisches Tandem ». Les deux métaphores contiennent chacune leur part de vérité. Dans un couple, on s’aime, on se brouille et on se réconcilie. Sur un tandem, il faut savoir pédaler en rythme pour ne pas tomber. On peut aussi se demander qui domine le couple et qui donne le rythme !

Cinquante ans d’amitié franco-allemande ont imposé l’image inverse de celle qui dominait à l’origine : deux nations hostiles, qui se sont affrontées à trois reprises pour défendre la ligne bleue des Vosges ou le « Deutscher Rhein ». Les deux images, celle des ennemis héréditaires comme celle de l’idylle, sont trop caricaturales et réductrices pour rendre compte de l’histoire des relations franco-allemandes dans la longue durée. Il est vrai que si les deux nations se sont constituées à des périodes différentes et selon des processus qui leur sont propres, elles ont chacune toujours regardé ce qui se passait de l’autre côté du Rhin, parfois avec sympathie, souvent avec méfiance. La Révolution française a été reçue avec sympathie jusqu’en Prusse. Les armées napoléoniennes ont-elles été accueillies avec moins de bienveillance, voire de l’hostilité, même si elles se présentaient comme porteuses de liberté ? Pour reprendre le mot de Robespierre : « Les peuples n’aiment pas les missionnaires armés. » Les révolutions libérales et démocratiques du XIX

e siècle, particulièrement celles de 1848, ont été porteuses d’un idéal de paix universelle. Paris était devenue, pour un temps, le refuge des libéraux allemands qui, avec les artisans, ont constitué une colonie importante dans la capitale.

Depuis la guerre franco-prussienne et le désir de revanche, ces périodes de connivence ont été balayées. Les manuels scolaires, mais aussi des travaux érudits, ont rarement résisté à une interprétation téléologique d’une histoire qui, du serment de Strasbourg à la dépêche d’Ems, en passant par le traité de Westphalie, conduisait à un affrontement millénaire entre les deux nations. On sait aussi que le chancelier Bismarck réactiva le concept d’« Erbfeind » (ennemi héréditaire) pour imposer aux Allemands du Sud et du Rhin la vision prussienne de l’unité. Cette dénonciation était d’abord une machine de guerre à usage interne. En France, le chauvinisme activé par la défaite a toujours tendu à prendre une partie pour le tout et les Allemands furent longtemps réduits à leur caricature infamante de « Pruscos », de « Boches » ou de « nazis ». L’histoire des relations franco-allemandes est plus complexe que ces visions tranchées. Même aux moments les plus dramatiques de la confrontation, il y eut toujours des francophiles et des germanophiles dans les élites nationales et à tous les échelons des sociétés civiles pour remettre en cause les idées dominantes et plaider pour la coopération. Les deux nations ont exercé l’une sur l’autre autant de rejet que de fascination, même si les Briand et les Stresemann ont connu moins de succès que leurs homologues va-t’en guerre.

Dans une première partie, nous essayons d’éclairer à travers un choix documentaire sur quelques moments forts de cette histoire la complexité de la relation franco-allemande, de la fin du XVIII

e siècle à la Seconde Guerre mondiale.

La deuxième partie est consacrée à l’amitié franco-allemande dont le traité de l’Élysée est à la fois le cadre et le symbole. Ce texte, signé par de Gaulle et Adenauer en 1963, a connu un destin particulier qui dépasse sa nature d’accord diplomatique entre deux États. En effet, les dispositions du traité ne se limitent pas à des actions de coopération intergouvernementale qui ne toucheraient que les administrations concernées. Il engage aussi les sociétés civiles, les femmes et les hommes, au plus près de leurs activités. Les jumelages, les voyages scolaires, les échanges universitaires, l’apprentissage de la langue de l’autre ont trouvé un large écho dans la

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jeunesse des deux pays. La coopération culturelle et scientifique prévue par les rédacteurs est devenue une réalité. On pourrait aussi trouver d’autres exemples de réalisations : dans le domaine militaire, avec la création de la brigade franco-allemande et, bien sûr, dans les domaines économique et industriel. La vitalité du traité de l’Élysée se manifeste aussi par les nombreuses célébrations dont il a été l’objet. Ses 10e, 25e et 40e anniversaires ont en effet été l’occasion de renforcer les pratiques de coopération. Enfin, le tandem franco-allemand a joué un rôle fondamental dans la poursuite et la relance de la construction européenne.

Les documents et les activités proposées dans les pages qui suivent n’ont pas la prétention d’épuiser le sujet ni d’écrire une histoire des relations franco-allemandes. Ils sont là pour mettre en perspective le demi-siècle qui vient de s’écouler et pour donner envie aux enseignants et à leurs élèves de poursuivre la recherche et les aider à comprendre l’Europe dans laquelle ils vivent.

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Regards croisés, deux nations qui se construisent entre fascination et rejet

Regards français sur l’Allemagne et les Allemands

L’Allemagne « qui a tant de différents maîtres »

L’Allemagne, par sa situation géographique, peut être considérée comme le cœur de l’Europe, et la grande association continentale ne saurait retrouver son indépendance que par celle de ce pays. La différence des langues, les limites naturelles, les souvenirs d’une même histoire ; tout contribue à créer parmi les hommes ces grands individus qu’on appelle des nations […] les Allemands ont trop de considération pour les étrangers, et pas assez de préjugés nationaux. C’est une qualité dans les individus que l’abnégation de soi-même et l’estime des autres, mais le patriotisme des nations doit être égoïste. La fierté des Anglais sert puissamment à leur existence politique ; la bonne opinion que les Français ont d’eux-mêmes a toujours beaucoup contribué à leur ascendant sur l’Europe ; le noble orgueil des Espagnols les a rendus jadis souverains d’une portion du monde. Les Allemands sont Saxons, Prussiens, Bavarois, Autrichiens ; mais le caractère germanique, sur lequel devrait se fonder la force de tous, est morcelé comme la terre même qui a tant de différents maîtres.

Madame de Staël, De L’Allemagne, 1813, p. 16 et 25.

Germaine de Staël, fille du ministre Necker, écrivit ce livre, De l’Allemagne, après un séjour en Allemagne dans les premières années du XIX

e siècle. Les idées et la sympathie qu’elle éprouve pour ce pays et ses habitants déplurent à Napoléon et son auteure dut s’exiler. À l’époque, comme beaucoup de ses contemporains, Madame de Staël doute que les Allemands forment une nation. Elle reconnaîtra son erreur dès 1813.

Une caricature des Allemands tels que les voient les Français

Faces boches. Sans nom d’éditeur. Carte postale illustrée signée Ch-Léo, collection Pierre Brouland. Source : www.caricaturesetcaricature.com/article-les-cartes-postales-satiriques-pendant-la-premiere-guerre-mondiale-96090355.html.

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Cette carte postale fait partie du volumineux corpus d’images anti-allemandes publiées pendant la Première Guerre mondiale. La plupart d’entre elles représentent des soldats ennemis sous des traits peu flatteurs (monstre, barbare, brute, animal vulgaire…). Celle-ci est originale car elle présente des civils qui correspondent tous à une typologie de l’Allemand perçue à travers le filtre des préjugés français. Le docteur et le professeur sont présentés comme d’inquiétants personnages, rigides et fanatiques, dévoués à l’Allemagne impériale. Le colonel a tous les traits du militariste prussien. Quant à la « Fräulein », elle est représentée en paysanne bien en chair, sans élégance et aux traits grossiers. Le représentant de commerce allemand est systématiquement présenté comme un espion ou un habile vendeur de camelote qui place sa marchandise à bon marché. À la fin du XIX

e siècle, il a attiré sur lui toute la rancœur de ses concurrents français et anglais qui ne peuvent admettre les succès de l’industrie germanique.

Regards allemands sur les Français

Ernst Moritz Arndt, poète et historien, appartient à cette génération d’intellectuels romantiques qui prennent conscience de l’existence d’une nation allemande et cherchent la voie de son émancipation. D’abord admirateur de la Révolution française, il s’en éloigne peu à peu, jusqu’à la condamner quand elle est portée par les baïonnettes des armées napoléoniennes. Son patriotisme allemand et sa conscience nationale se construisent contre les Français. En 1813, il écrit un poème sur la bataille de Leipzig, La Bataille des Nations. C’est la Prusse qui prend la tête de la révolte anti-française et sonne l’éveil de la nation allemande.

Über Volkshaß und über den Gebrauch einer fremden Sprache

Ich will den Haß gegen die Franzosen, nicht bloß für diesen Krieg, ich will ihn für lange Zeit, ich will ihn für immer. Dann werden Teutschlands Gränzen auch ohne künstliche Wehren sicher seyn, denn das Volk wird immer einen Vereinigungspunkt haben, sobald die unruhigen und räuberischen Nachbarn darüber laufen wollen. Dieser Haß glühe als die Religion des teutschen Volkes, als ein heiliger Wahn in allen Herzen, und erhalte uns immer in unserer Treue, Redlichkeit und Tapferkeit.

E.M. Arndt, Über Volkshaß und über den Gebrauch einer fremden Sprache, 1813.

Die Leipziger Schlacht

Wo kommst du her in dem roten Kleid ? Und färbst das Gras auf dem grünen Plan ? Ich komm’ aus blutigem Männerstreit, Ich komme rot von der Ehrenbahn. Wir haben die blutige Schlacht geschlagen, Drob müssen die Mütter und Bräute klagen, Da ward ich so rot. […]

Wie heißen, die zogen ins Todesfeld Und ließen fliegende Banner aus ? Es kamen Völker aus aller Welt, Die zogen gegen Franzosen aus, Die Russen, die Schweden, die tapfern Preußen Und die nach dem glorreichen Ostreich heißen, Die zogen all’ aus.

Wem ward der Sieg in dem harten Streit, Wem ward der Preis mit der Eisenhand ? Die Welschen hat Gott wie die Spreu zerstreut, Die Welschen hat Gott verweht wie den Sand ;

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Viele Tausende decken den grünen Rasen, Die Übriggebliebenen entflohen wie Hasen, Napoleon mit. […]

O Leipzig, freundliche Lindenstadt, Dir ward ein leuchtendes Ehrenmal. So lange rollt der Jahre Rad, So lange scheinet der Sonnenstrahl, So lange die Ströme zum Meere reisen, Wird noch der späteste Enkel preisen Die Leipziger Schlacht.

E.M. Arndt, Die Leipziger Schlacht, 1813.

Ce poème est dédié à la bataille de Leipzig, aussi appelée « bataille des Nations », ou Völkerschlacht, car la coalition qui y a vaincu la Grande Armée de Napoléon était constituée de troupes et de volontaires venus de toutes les provinces allemandes. Cet événement est ensuite considéré comme un moment fondateur de l’émergence de l’idée de nation allemande. C’est pour célébrer l’anniversaire de cette bataille que les étudiants allemands se réunirent en octobre 1817 à la Wartburg.

Suggestion d’activité On peut proposer aux élèves de faire une recherche sur l’importance de la bataille des Nations dans la formation du sentiment national allemand qui se traduit, entre autres, par un rejet de la France et des Français. On utilisera les trois références suivantes :

Jérôme Schweitzer, thèse, Leipzig : mythes, lectures et relectures d’une bataille napoléonienne en France et en Allemagne (1813-1871), École des Chartes, 2010.

L’article « Wartburgfest », sur Wikipédia : http://de.wikipedia.org/wiki/Wartburgfest.

Le site German History in Documents and Images (GHDI) propose un dossier « From Vormärz to Prussian Dominance (1815-1866) » : http://germanhistorydocs.ghi-dc.org/section.cfm?section_id=9.

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Le Rhin, un fleuve romantique et un objet de discorde

La rive gauche du Rhin, avatar de la théorie des frontières naturelles, ne devint une possession française que par la force des armées révolutionnaires en 1794. La défaite de Napoléon et les traités de 1815 sonnent le glas de cette revendication territoriale qui perdure tout au long du XIX

e siècle. Le Rhin, célébré par les romantiques, rêvé comme un lieu de réconciliation, est l’objet de fièvre nationaliste. Les artistes des deux nations font assaut de chauvinisme.

Une caricature allemande de Napoléon

Le Courrier du Rhin, pièce satyrique de 1813, Napoléon perdant tout à son retour de Leipzig, Paris, BnF, QB-1 (1813-11-09). Source : Bnf.

En 1813, à Leipzig, la Grande Armée est vaincue à la « bataille des Nations » par une coalition dont la Prusse fait partie. Cette lourde défaite marque la fin des ambitions européennes de l’Empereur et de son influence en Allemagne (Napoléon avait mis fin au Saint-Empire en 1806 et créé une confédération du Rhin, alliée de l’Empire, dont Mayence était l’une des capitales). Les Anglais, qui inspirent toutes les coalitions anti-napoléoniennes, produisent depuis le début de la Révolution, de nombreuses caricatures qui circulent dans toute l’Europe sur des feuilles volantes. Gillray et Cruikshank sont les maîtres du genre. Les Allemands, les Russes et quelques Français s’inspireront de leurs techniques et de leurs thèmes pour produire une propagande imagée contre Napoléon.

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Cette caricature allemande, dont il existe de nombreuses versions, montre l’Empereur en colporteur. Cramponné au sceptre de Charlemagne, il perd toutes ses marchandises dans sa fuite (ses conquêtes rhénanes et ses troupes). Le Courrier du Rhin était aussi le nom d’un journal et la nouvelle de la défaite se répand rapidement.

Le Rhin hugolien et lamartinien

Victor Hugo célèbre le Rhin

Vous savez, je vous l’ai dit souvent, j’aime les fleuves. Les fleuves charrient les idées aussi bien que les marchandises. Tout a son rôle magnifique dans la création. Les fleuves, comme d’immenses clairons, chantent à l’océan la beauté de la terre, la culture des champs, la splendeur des villes et la gloire des hommes. Et, je vous l’ai dit aussi, entre tous les fleuves, j’aime le Rhin. La première fois que j’ai vu le Rhin, c’était il y a un an, à Kehl, en passant le pont de bateaux. La nuit tombait, la voiture allait au pas. Je me souviens que j’éprouvai alors un certain respect en traversant le vieux fleuve […]

Oui, mon ami, c’est un noble fleuve, féodal, républicain, impérial, digne d’être à la fois français et allemand. Il y a toute l’histoire de l’Europe considérée sous ses deux grands aspects, dans ce fleuve des guerriers et des penseurs, dans cette vague superbe qui fait bondir la France, dans ce murmure profond qui fait rêver l’Allemagne. Le Rhin réunit « tout. Le Rhin est rapide comme le Rhône, large comme la Loire, encaissé comme la Meuse, tortueux comme la Seine, limpide et vert comme la Somme, historique comme le Tibre, royal comme le Danube, mystérieux comme le Nil, pailleté d’or comme un fleuve d’Amérique, couvert de fables et de fantômes comme un fleuve d’Asie. […] Le Rhin, dans les destinées de l’Europe, a une sorte de signification providentielle. C’est le grand fossé transversal qui sépare le Sud du Nord. La Providence en a fait le fleuve-frontière ; les forteresses en ont fait le fleuve-muraille. Le Rhin a vu la figure et a reflété l’ombre de presque tous les grands hommes de guerre qui, depuis trente siècles, ont labouré le vieux continent avec ce soc qu’on appelle l’épée. […]

Victor Hugo, Le Rhin, « Lettre XIV », Tome I, Hetzel, 1842, p. 147-163.

Poème sur le Rhin de Lamartine

Roule libre et splendide à travers nos ruines, Fleuve d’Arminius, du Gaulois, du Germain ! Charlemagne et César, campés sur tes collines, T’ont bu sans t’épuiser dans le creux de leur main. Et pourquoi nous haïr, et mettre entre les races Ces bornes ou ces eaux qu’abhorre l’œil de Dieu.

De frontières au ciel voyons-nous quelques traces ? Sa voûte a-t-elle un mur, une borne, un milieu ? Nations, mot pompeux pour dire barbarie, L’amour s’arrête-t-il où s’arrêtent vos pas ? Déchirez ces drapeaux ; une autre voix vous crie : «L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie ; La fraternité n’en a pas. »

Alphonse de Lamartine, « La Marseillaise de la Paix. Réponse à M. Becker », poème publié en 1841 dans la Revue des Deux Mondes.

Victor Hugo, effectue trois voyages sur le Rhin entre 1838 et 1840. Deux ans plus tard, il publie un texte littéraire très travaillé à partir de ses notes et lettres de voyage. Le manuscrit est illustré de dessins à l’encre et de croquis à la plume censés avoir été exécutés au fil de ce journal de voyage. Cette forme d’écriture permet à l’écrivain de décrire le fleuve et d’exprimer ses idées politiques. Hugo est très représentatif du courant humaniste et révolutionnaire qui trouvera son expression dans les révolutions de 1848 et le « printemps des peuples ».

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Dans son poème, Lamartine exprime des idées qui sont proches de celles évoquées par Hugo.

La défense du Rhin allemand

An Alphons de Lamartine

Sie sollen ihn nicht haben, Den freien deutschen Rhein, Ob sie wie gier’ge Raben Sich heiser danach schrein,

So lang er ruhig wallend Sein grünes Kleid noch trägt, So lang ein Ruder schallend In seine Woge schlägt!

Sie sollen ihn nicht haben, Den freien deutschen Rhein, So lang sich Herzen laben An seinem Feuerwein;

So lang in seinem Strome Noch fest die Felsen stehn, So lang sich hohe Dome In seinem Spiegel sehn!

Sie sollen ihn nicht haben, Den freien deutschen Rhein, So lang dort kühne Knaben Um schlanke Dirnen frein;

So lang die Flosse hebet Ein Fisch auf seinem Grund, So lang ein Lied noch lebet In seiner Sänger Mund!

Sie sollen ihn nicht haben, Den freien deutschen Rhein, Bis seine Flut begraben Des letzten Manns Gebein!

Nicolaus Becker, Gedichte von Nicolaus Becker. Verlag von M. DuMont-Schauberg, Köln: 1841, S. 216-218, www.freiburger-anthologie.de (v. 1.99).

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Germania montant la garde sur le Rhin

Lorenz Clasen (1812-1899), Germania montant la garde sur le Rhin, huile sur toile, 1860, 220 x 159 cm, Krefeld, Kaiser Wilhelm Museum. © akg-images.

En 1841, Nicolaus Becker publia un poème dans la gazette de Trêves qui connut un grand succès et fut mis en musique dans de nombreuses versions. On propose même de l’appeler la « Colognaise », par opposition à La Marseillaise. Le patriotisme allemand se manifeste face aux prétentions françaises sur la rive gauche du Rhin, ravivées par le gouvernement de Thiers. Le poème de Becker réussit à unifier derrière lui une Allemagne éclatée en trente-neuf États. Vingt ans plus tard, le sentiment est toujours aussi vif et le peintre Lorenz Clasen reprend le thème en chargeant l’allégorie de l’Allemagne, « Germania », d’assurer la garde du Rhin, « die Wacht am Rhein ». On a voulu voir dans Germania le pendant de la figure de Marianne 1. À part leur fonction allégorique et une origine empruntée au vocabulaire iconologique du néoclassicisme, ces deux figures sont différentes. Marianne incarne l’idée révolutionnaire et la république. Germania représente 1. Marie-Louise von Plessen, Michel Espagne, Wolfgang Leiner, Bernard Fischer et alii, Marianne et Germania. 1789-1889. Un siècle de passions franco-allemandes : [exposition], Paris, Musée du Petit Palais, 8 novembre 1997-15 février 1998, Musée du Petit Palais, 1997.

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d’abord l’Allemagne ou, pour être plus précis, la « Germanie » des anciens. Allégorie géographique et culturelle, elle se charge ensuite d’un sens politique selon qu’elle elle est enrôlée par les révolutionnaires de 1848, ou par les nationalistes. Le tableau de Clasen adopte plutôt cette dernière orientation en confiant à la jeune femme le soin de veiller sur le Rhin contre une menace française.

Un chauvinisme français arrogant et moqueur

Caricature anti-allemande sur le Rhin en 1870

Léon Choubrac (1847-1885), Nous l’avons vu votre Rhin allemand, estampe, 1870, Paris, Bnf, Réserve FT 4-QB-370 (167). Source : gallica.fr.

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Le Rhin allemand, Alfred de Musset

Nous l’avons eu, votre Rhin allemand, Il a tenu dans notre verre. Un couplet qu’on s’en va chantant Efface-t-il la trace altière Du pied de nos chevaux marqué dans votre sang ?

Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. Son sein porte une plaie ouverte, Du jour où Condé triomphant A déchiré sa robe verte. Où le père a passé, passera bien l’enfant.

Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. Que faisaient vos vertus germaines, Quand notre César tout-puissant De son ombre couvrait vos plaines ? Où donc est-il tombé, ce dernier ossement ?

Nous l’avons eu, votre Rhin allemand. Si vous oubliez votre histoire, Vos jeunes filles, sûrement, Ont mieux gardé notre mémoire ; Elles nous ont versé votre petit vin blanc.

S’il est à vous, votre Rhin allemand, Lavez-y donc votre livrée ; Mais parlez-en moins fièrement. Combien, au jour de la curée, Étiez-vous de corbeaux contre l’aigle expirant ?

Qu’il coule en paix, votre Rhin allemand ; Que vos cathédrales gothiques S’y reflètent modestement ; Mais craignez que vos airs bachiques Ne réveillent les morts de leur repos sanglant.

Alfred de Musset, 1841.

Le poème Le Rhin allemand, de Musset, date de 1841, le dessin de Choubrac croque l’actualité de la guerre franco-prussienne de 1870-1871. À trente ans d’écart, c’est la même attitude railleuse qui domine. Pour l’opinion française, le Rhin allemand est plutôt l’objet de charges chauvines que l’expression d’une revendication sur la rive gauche du fleuve. Plus que le Rhin, c’est l’annexion de l’Alsace-Lorraine qui devient, après 1871, l’objet de toutes les revendications.

Und als ich an die Rheinbrück kam, Heinrich Heine

Und als ich an die Rheinbrück kam, Wohl an die Hafenschanze, Da sah ich fließen den Vater Rhein Im stillen Mondenglanze

„Sei mir gegrüßt, mein Vater Rhein, Wie ist es dir ergangen? Ich habe oft an dich gedacht Mit Sehnsucht und Verlangen.”

So sprach ich, da hört ich im Wasser tief Gar seltsam grämliche Töne, Wie Hüsteln eines alten Manns, Ein Brümmeln und weiches Gestöhne:

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„Willkommen, mein Junge, das ist mir lieb, Daß du mich nicht vergessen; Seit dreizehn Jahren sah ich dich nicht, Mir ging es schlecht unterdessen.

Zu Biberich hab ich Steine verschluckt, Wahrhaftig sie schmeckten nicht lecker! Doch schwerer liegen im Magen mir Die Verse von Niklas Becker. […]

Der Alfred de Musset, der Gassenbub, Der kommt an ihrer Spitze Vielleicht als Tambour, und trommelt mir vor All seine schlechten Witze.” […]

„Oh, fürchte nicht, mein Vater Rhein, Den spöttelnden Scherz der Franzosen; Sie sind die alten Franzosen nicht mehr, Auch tragen sie andere Hosen. […]

Sie philosophieren und sprechen jetzt Von Kant, von Fichte und Hegel, Sie rauchen Tabak, sie trinken Bier, Und manche schieben auch Kegel. […]

Der Alfred de Musset, das ist wahr, Ist noch ein Gassenjunge; Doch fürchte nichts, wir fesseln ihm Die schändliche Spötterzunge. […]

Gib dich zufrieden, Vater Rhein, Denk nicht an schlechte Lieder, ein bessere Lied vernimmst du bald - Leb wohl, wir sehen uns wieder.”

Heinrich Heine, „Und als ich an die Rheinbrück kam“, Deutschland. Ein Wintermärchen, Januar 1844, Reclam Universal Bibliothek, Nr 2253, Kap. V, S. 18-21.

Les extraits du poème Und als ich an die Rheinbrück kam de Heinrich Heine sont issus du chapitre 5 de son œuvre Deutschland, ein Wintermärchen publiée en 1844, alors que l’écrivain vit en exil à Paris depuis 1831. Il fait ses deux derniers voyages en Allemagne en 1843 et 1844. Le recueil qui résulte du voyage de 1843 est très critique sur l’Allemagne de son temps. Il attribue ici au Rhin des mots sévères sur les vers de Nklas Becker.

Le printemps des peuples et l’influence du modèle révolutionnaire français

« Heureux comme un Allemand à Paris »

An das französische Volk !

Der Sieg der Demokratie für ganz Europa ist entschieden : Gruß und Dank vor allem Dir, französisches Volk ! In drei großen Tagen hast Du mit der alten Zeit gebrochen und das Banner der neuen aufgepflanzt für alle Völker der Erde [...] Französisches Volk, wir gehen Hand in Hand mit dir [...] Erhalte allen deinen Kindern, was sie alle erkämpften, und die einzige Hilfe, welche wir von dir begehren, ist, daß du standhaft bleibst und uns zujauchzest, wenn wir von den Zinnen des von deutschen Händen eroberten Deutschlands dir zurufen : Es lebe die Freiheit, die Gleichheit, die Bruderliebe ! Es lebe die Demokratie ! Es lebe die europäische Republik !

Marcel Herwegh, Briefe von und an Georg Herwegh.

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Le Paris de la Restauration et de la monarchie de Juillet abritait une forte colonie d’exilés allemands. Beaucoup d’entre eux étaient des artisans très actifs dans les ateliers du faubourg Saint-Antoine. D’autres étaient venus les rejoindre pour échapper à la prison ou pour exprimer librement leurs idées. Parmi ces exilés politiques, certains noms sont célèbres : le poète Heinrich Heine, Karl Marx et Georg Herwegh qui lance un appel au peuple français le 6 mars 1848.

Au secours de la révolution badoise

Appel aux braves citoyens de la garde mobile (par les démocrates allemands de Paris), Impr. de Wittersheim (Paris), 1848, Paris, Bnf, FOL-LB53-608. Source : gallica.fr.

Le pays de Bade, où l’influence française est forte depuis la Révolution, se soulève en avril 1848 pour réclamer une république et un parlement. Georg Herwegh et la Société des démocrates allemands lancent un appel et forment une colonne armée pour secourir leurs compatriotes. Les quelques milliers d’hommes qu’il réussit à rassembler arriveront trop tard pour empêcher la répression. Mis en déroute, les hommes d’Herwegh doivent s’enfuir en Suisse et en France. Pendant les combats, les insurgés adoptent le drapeau tricolore noir, rouge et or, inspiré du modèle français.

Suggestion d’activité

Recherchez dans les documents des pages précédentes des exemples qui témoignent d’échanges amicaux ou hostiles entre Français et Allemands de 1813 à 1870.

Rédigez ensuite un paragraphe qui explique comment la conscience nationale allemande s’est tout autant forgée avec l’aide de la France qu’en opposition avec elle.

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Le temps des ennemis héréditaires

La guerre franco-prussienne, 1870-1871

La guerre franco-prussienne de 1870-1871 inaugure un nouveau type de rapports entre les deux nations. Elle peut être perçue de différentes façons. On peut la voir comme l’opposition classique de deux États et de leurs dirigeants, qui affirment chacun leur puissance et leurs ambitions sur le théâtre européen. Les journaux satiriques qui croquent les personnalités de Bismarck et Napoléon III vont d’abord dans ce sens, comme le montre ci-dessous cette charge du journal satirique berlinois Kladderadatsch, publiée en 1869. Les accusations et la diabolisation de « l’autre », peint sous des couleurs noires, sont parfaitement symétriques. On les trouve des deux côtés du Rhin.

Bismarck et Napoléon III, les meilleurs ennemis du monde

Bismarck et Napoléon III, caricature, Kladderadatsch, 1869. © akg-images.

Mais le conflit ne se résume pas à un traditionnel « Kriegspiel » diplomatique et militaire. Cette phase prend fin à Sedan avec la reddition de l’empereur. Mais les combats ne cessent pas pour autant, opposant deux peuples et deux conceptions de la nation. On sait que, dans son projet d’unifier les Allemands autour de la Prusse et de son souverain, Bismarck avait besoin d’un ennemi. Il le trouva en France, après que l’Autriche fut exclue de la scène allemande en 1866. En effet, l’inimitié franco-allemande était nourrie des souvenirs de l’occupation napoléonienne, voire d’épisodes plus anciens, mais elle était restée latente, et inégalement répandue dans la trentaine d’États de la confédération germanique. Après Sadowa, la France apparaît comme le principal obstacle à l’unité allemande. Bismarck sut souffler sur les braises pour nourrir le feu du sentiment national allemand et prussophile. La France et les Français furent donc accablés du titre d’« ennemi héréditaire », auquel on prêta une longue liste de méfaits. Cette politique triomphe le 18 janvier 1871, à Versailles, dans la Galerie des glaces, lors de la proclamation de l’Empire par les souverains allemands. La scène est immortalisée par un tableau d’Anton von Werner en 1885, Die Proklamierung des Deutschen Kaiserreiches. Quelle

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revanche ! Sous le plafond de la Galerie où est représenté Louis XIV franchissant le Rhin, Guillaume Ier devient empereur. Cette cérémonie clôt une longue séquence d’humiliations qui avait commencé avec l’entrée de la Grande Armée à Berlin en 1806. À cette occasion, le peintre Charles Meynier avait représenté Napoléon à cheval franchissant la porte de Brandebourg (L’Entrée de Napoléon à Berlin). C’est aussi la victoire de la conception bismarckienne de la nation hostile aux idéaux français issus de la Révolution. Il existe aussi une autre manière de voir la guerre de 1870-1871 : celle de l’affrontement de deux peuples. Bien que la victoire allemande ait été rapide, la résistance du gouvernement de la Défense nationale, le siège de Paris et la durée des pourparlers sur les conditions de paix durèrent assez longtemps pour que la présence des troupes ennemies sur le territoire entraîne des réactions hostiles. Dans les départements occupés, derrière les lignes, des groupes de francs-tireurs, souvent organisés par des officiers, s’en prennent aux soldats. En représailles, les troupes allemandes procèdent à des arrestations, des exécutions et des prises d’otages. Ces faits de guerre, peu déterminants sur le plan militaire, furent assez nombreux pour que le souvenir s’en perpétue. Des monuments commémoratifs, des noms de rue et des plaques signalent dans les villages les exploits des francs-tireurs. Le souvenir des combattants de « l’année terrible » est aussi entretenu par quelques députés de la Troisième République qui trouvent là un thème et une clientèle propres à assurer leur assise électorale. C’est de cette époque que naît l’image du « Prussien », soldat implacable et brutal qui pille, vole, viole et assassine sans vergogne. Il est d’ailleurs significatif que, dans la langue populaire, le terme « prussien » qualifie tous les soldats allemands, quelles que soient leurs origines. Le qualificatif revêt plutôt une dimension péjorative qu’une origine géographique. Seuls les gens cultivés, dans leurs écrits sur la guerre, font la distinction entre les Prussiens, les Bavarois, les Hessois ou les Wurtembergeois dont les régiments sont aussi présents. Cette image cultivée par la propagande sera reprise sans beaucoup de changement jusqu’en 1945.

L’occupation allemande vue par Guy de Maupassant

Dans l’après-midi du jour qui suivit le départ des troupes françaises, quelques uhlans, sorti d’on ne sait où, traversèrent la ville avec célérité. Puis un peu plus tard, une masse noire descendit de la côte Sainte-Catherine, tandis que deux autres flots envahisseurs apparaissaient par les routes de Darnetal et Boisguillaume. Les avant-gardes des trois corps, juste au même moment, se joignirent sur la place de l’Hôtel de Ville ; et, par toutes les rues voisines l’armée allemande arrivait, déroulant ses bataillons qui faisaient sonner les pavés sous leur pas dur et rythmé. […]

À chaque porte des petits détachements frappaient puis disparaissaient. C’était l’occupation après l’invasion. Le devoir commençait pour les vaincus de se montrer gracieux envers les vainqueurs.

Au bout de quelque temps, une fois la première terreur disparue, un calme nouveau s’établit. Dans beaucoup de familles, l’officier prussien mangeait à table. Il était parfois bien élevé, et, par politesse, plaignait la France, disait sa répugnance en prenant part à cette guerre. On lui était reconnaissant de ce sentiment ; puis on pouvait, un jour ou l’autre, avoir besoin de sa protection. […] – on se disait enfin, raison suprême tirée de l’urbanité française, qu’il demeurait bien permis d’être poli dans son intérieur pourvu qu’on ne se montrât pas familier en public, avec le soldat étranger. Au dehors on ne se connaissait plus, mais dans la maison on causait volontiers, et l’Allemand demeurait plus longtemps, chaque soir, à se chauffer au foyer commun. […]

Cependant, à deux trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivière, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les pêcheurs ramenaient souvent du fond de l’eau quelque cadavre d’Allemand gonflé dans son uniforme, tué d’un coup de couteau ou de savate, la tête écrasée par une pierre, ou jeté à l’eau d’une poussée du haut d’un pont. Les vases du fleuve ensevelissaient ses vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.

Car la haine de l’étranger arme toujours quelques Intrépides prêts à mourir pour une idée.

Guy de Maupassant, Boule de suif, Édition Pocket, 2004, p. 13-15.

Guy de Maupassant consacre au moins trois nouvelles à la guerre de 1870-1871. Boule de suif, Mademoiselle Fifi et Deux Amis. Dans cette dernière, il évoque deux bourgeois partis pour une partie

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de pêche qui, surpris par les Prussiens qui assiègent Paris, sont fusillés en tant qu’espions. Les deux autres nouvelles serviront à Christian Jacques pour son film de 1945, Boule de suif. Il n’est pas difficile d’y voir de nombreuses allusions à la veulerie des bourgeois, à la résistance et aux exactions de la soldatesque. L’extrait ci-dessus décrit toute la gamme des attitudes face à l’occupant.

La Première Guerre mondiale et la diabolisation de l’ennemi

Les crimes allemands, un thème développé par la propagande

Adrien Barrère (1877-1931), Souvenez-vous des crimes allemands. Exposition du 1er

au 30 octobre 1917, affiche, 1917, 120 x 80 cm, Paris, BnF, ENT DN-1 (BARRERE, Adrien)-ROUL. Source : gallica.fr.

En temps de guerre, le travail de la propagande consiste à dénoncer l’ennemi en le peignant sous les aspects les plus noirs et en l’accusant d’être un criminel. Depuis la guerre de 1870-1871, les affiches, les images et les récits dressent le portrait d’un soldat allemand brutal, criminel, voleur et violeur,

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assouvissant ses instincts les plus bas sur une population civile désarmée et désemparée. Par un glissement de sens, les crimes de la soldatesque sont imputés à tous les Allemands et deviennent l’expression d’un caractère national. En France, pendant la Première Guerre, une dizaine de départements du Nord et de l’Est connaissent de longues périodes d’occupation. Cette situation est exploitée par la propagande. Les Allemands sont des barbares qui s’en prennent aux populations, mais aussi à leurs monuments. Le bombardement et l’incendie de la cathédrale de Reims deviennent le symbole de cette volonté de détruire la civilisation dont la France est le porte-drapeau. L’affiche de 1917 ci-dessus est éditée par la ligue « Souvenez-vous », fondée par des écrivains et des critiques nationalistes. L’auteur du dessin, Adrien Barrère, est un affichiste professionnel spécialisé dans le théâtre de boulevard et le « Grand Guignol ». En 1919, il est l’auteur de la célèbre affiche du « bolchevick, le couteau entre les dents ».

Les Barbares occupent la Ruhr

« Le droit est mort, vive la brutalité ! », Kladderadatsch, 1923, illustration de Hahmann Werner (1883-1951), Collection privée. © Archives Charmet/The Bridgeman Art Library.

La propagande allemande adopta la même démarche dénonciatrice au moment de l’occupation de la Ruhr et de la Rhénanie par les troupes françaises, de 1923 à 1925. Le journal satirique Kladderadatsch présente une Marianne revêtue de l’uniforme français en train d’assassiner une femme qui est probablement Germania. Marianne est présentée comme une prostituée immorale et diabolique. En

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arrière-plan, les usines de la Ruhr, prises par les Français comme gage des réparations financières décidées par le traité de Versailles. D’autres dessins présentent les troupes françaises comme presque exclusivement composées de soldats coloniaux barbares et violeurs. La « force noire », qui désigne les troupes africaines, devient sous leur plume « la honte noire ».

La guerre et la fraternité des tranchées

La lettre d’un poilu sur une trêve de Noël, 1914

Chers parents

Je crois que vous allez vous ennuyer car je suis un peu en retard mais j’attendais une lettre de vous car je n’ai rien reçu depuis le 12 qu’elle était partie. Je pense que vous allez vous faire des cheveux comme beaucoup en ce moment cela n’a rien de bien agréable j’ai pris la garde au poste avancé 48 heures c’est très moche on attend parler les boches car on est à 40 m comme vous voyez on n’est pas loin. Il chante, il siffle ils n’ont pas l’air de s’ennuyer mais je crois bien qu’ils sont comme les autres qu’ils voudrait bien que cela soit fini, ils ont du touper car voilà 2 jours il y en un qui est venu à 10 m de notre tranchée avec un saucisson et une boite de cigare et les autres se sont découvert par dessus la tranchée et nous aussi il n’y a pas eut un coup de feu de tiré c’est plutot drôle en ces moment là mais cela ne dure pas car maintenant on a un ordre formel de tirer dessus.

Kléber Pouleau, samedi 26 décembre 1914 [orthographe et ponctuation d’origine, NdR].

En 2004, le film Joyeux Noël de Christian Carion a attiré l’attention du public sur un cas de trêve de Noël, entre des soldats gallois et allemands sur le front des Flandres le 25 décembre 1914. Ces moments de fraternisation spontanée ne sont pas un phénomène isolé. Ils se sont renouvelés toutes les années de guerre, sur tous les fronts. Les historiens ont aujourd’hui assez de recul pour s’y attarder avec la distance critique nécessaire vis-à-vis de sources qui viennent essentiellement des récits de guerre laissés par les combattants (voir le document ci-dessous).

Le jugement d’un historien sur ces épisodes de fraternisation

En 1914, après plusieurs mois de marches et de contremarches, les soldats se sont brutalement trouvés immobilisés dans des tranchées improvisées. Du coup, l’ennemi prenait figure, il avait un visage, parfois un prénom, vu l’incroyable proximité de la tranchée adverse, à six mètres, à quatre mètres quelquefois. Ces ennemis sont des hommes, comme vous et moi, à la moindre pause, ils chantent, ils boivent, ils rigolent… Pendant ces instants-là, on s’envoie du chocolat, des cigarettes. Oui, ces fraternisations, à Noël 1914 ou à Pâques 1915 d’abord, furent de simples balbutiements. Une manière de jouir de l’arrêt des combats. Un cri étouffé en faveur de la paix ? Peut-être… Les années passent… Les cœurs et les corps se sont endurcis… Et quand il y aura d’autres fraternisations, en Russie notamment après la chute du tsar, en février 1917, cette fois, ce ne sera pas seulement pour appeler à la paix, mais bien à la Révolution.

Marc Ferro, in Marc Ferro, Rémy Cazals, Malcolm Brown, Olaf Mueller, Frères de tranchées, Paris, Perrin, 2005.

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La paix de Briand et Stresemann

L’occupation de la Ruhr décidée par le gouvernement Poincaré en janvier 1923 pour contraindre l’Allemagne à exécuter les clauses du traité de Versailles déclenche une profonde crise. La population allemande organise la résistance passive, l’économie s’effondre. Les Anglo-Américains se montrent très critiques vis-à-vis de l’intransigeance française. En juillet 1924, la France accepte le plan de l’américain Dawes qui fixe le montant des réparations de guerre. L’occupation militaire, source de tensions, n’a plus de sens et l’armée évacue progressivement la Ruhr. En octobre 1925, en Suisse, à Locarno, une conférence internationale aboutit à la signature d’accords entre puissances européennes, dont la France et l’Allemagne, à l’initiative de Gustav Stresemann et Aristide Briand. Les signataires reconnaissent les frontières internationales et s’engagent à renoncer à la force pour satisfaire leurs revendications. En conséquence, l’Allemagne est admise comme membre de la Société des nations (Völkerbund) à Genève. Il s’ensuit une période d’optimisme dans les relations franco-allemandes, qui s’effondrera avec la crise économique et l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Gustav Stresemann et Aristide Briand reçoivent le prix Nobel de la paix en 1927 pour leur engagement. Très critiqués dans leurs pays respectifs, ils disparaissent peu de temps après leur accord. Le premier meurt de maladie en 1929 et le second en 1932.

Extraits du discours de ratification des accords de Locarno à la Chambre des députés, 26 février 1926

[…] Le peuple allemand est un grand peuple, il a ses qualités et ses défauts.

Le peuple français et lui se sont rencontrés, à travers les siècles, sur bien des champs de bataille qu’ils ont ensanglantés. La dernière guerre a été effroyable, elle a dépassé toutes les prévisions. Ce ne sont plus des armées restreintes qui ont été aux prises, ce sont des nations entières qui, pendant des années, se sont déchirées.

Et puis, il y a eu des vainqueurs, oui ! qui sont sortis de là avec un grand prestige, avec une force morale agrandie, certes. Mais aussi dans quel épuisement !

Où sont les peuples qui peuvent résister à de telles secousses ? Et quelles craintes n’éprouve-t-on pas quand on les voit dans cet état de faiblesse physiologique, de faiblesse financière, et qu’on se dit que, demain peut-être, faute de quelques précautions, faute d’accords qui les obligent à réfléchir le temps nécessaire pour se détourner de la guerre, ils pourraient être rejetés encore les uns contre les autres dans de pareilles convulsions ! Mais que resterait-il donc de ces malheureux peuples si une nouvelle guerre survenait ? (Vifs applaudissements à gauche, à l’extrême gauche et au centre.)

Je vous le dis simplement, faisant appel à votre raison, à vos cœurs et à votre patriotisme : Locarno, c’est ce qui peut empêcher cela. Locarno, c’est une barrière contre l’irréflexion. Locarno, c’est la nécessité de discuter. C’est, pour les peuples, la possibilité de se donner une raison de ne pas tomber aveuglément les uns sur les autres.

Ne serait-ce que cela, messieurs, ce serait énorme. […]

Et quant à notre frontière, comment est-elle sauvegardée désormais ? Par le jeu d’une garantie internationale. Le Rhin devient une frontière internationale. Voilà la vérité. […]

Aristide Briand.

Extraits du discours de Gustav Stresemann lors de la remise du prix Nobel de la paix à Oslo, le 29 juin 1927

An die Spitze der französischen Außenpolitik trat Briand, der Nachfolger Herriots, der die Zusicherung der Ruhrräumung einlöste. Es kam mit der deutschen Initiative des Memorandums vom 9. Februar 1925 die Inauguration der Politik von Locarno. Es wäre eine Unwahrheit, zu sagen, dass diese Politik vom ersten Augenblick an freudige und herzliche Zustimmung gefunden hätte. Misstrauen draußen verhinderte die schnelle Beantwortung des deutschen Schrittes. Missdeutung im Innern trat ihr entgegen, die schwächliche Resignation da sah, wo in Wirklichkeit eine aktive Politik einsetzte, die man glaubte als eine Verzichtspolitik bezeichnen zu können. Neue Fragen warf die Gegenseite in die Debatte, um Deutschlands

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Wunsch nach Frieden zu erproben. Der Eintritt in den Völkerbund wurde als Voraussetzung geschaffen für die Bekräftigung der Locarno-Verträge. Welche Wendung sprach sich darin aus ! Einst hatte Deutschland 1919 den Eintritt in den Völkerbund erstrebt und war von kurzsichtigen und einsichtslosen Leuten in diesem Wunsche zurückgewiesen worden. Jetzt wünschte man seinen Eintritt […]

Im September geschah Deutschlands Eintritt in den Völkerbund, bei dem Herr Briand in einer Rede, die in allen Erdteilen gehört wurde, davon sprach, dass die Zeit der Kanonen und Mitrailleusen vorbei sein müsse, und in der er die Worte sprach, die über diesem Jahrhundert stehen sollten, dass die beiden Großen Völker, Deutsche und Franzosen, so viel Lorbeeren im Kriege auf den Schlachtfeldern gegenseitig errungen hätten, dass die Zukunft sie nur sehen sollte im Wettbewerb um die Großen idealen Ziele der Menschheit.

Wer diese Stunden in Genf erlebt hat, der wird sie in seinem Leben nicht vergessen.

Gustav Stresemann.

Une caricature du journal satirique berlinois Kladderadatsch, 1926

Aristide Briand et Gustav Stresemann, Kladderadatsch, 1926, illustration de Hahmann Werner (1883-1951), Paris, BnF. © Archives Charmet/The Bridgeman Art Library.

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Cette couverture ironique célèbre à sa façon l’idylle franco-allemande qui suit les accords de Locarno. On veut bien y croire mais on reste méfiant, le chauvinisme français n’est pas loin. En France, Briand est dénoncé par des nationalistes comme un capitulard.

Suggestion d’activité Wer sind die zwei Politiker auf dem Bild ? In welchem Kontext wurde diese Zeichnung veröffentlicht ? Was will der Zeichner kritisieren ? Welche Rolle haben diese zwei Minister für die deutsch-französische Annäherung in den 20er Jahren gespielt ? Schreiben Sie einen kurzen Text über den „Geist“ von Locarno.

Les résistants allemands en France

Un film de 2006, La Résistance allemande en France, réalisé par Jean-Pierre Vedel et diffusé sur les chaînes publiques a attiré l’attention du grand public sur un aspect méconnu – et loin d’être anecdotique – de la Seconde Guerre mondiale : l’action des Allemands antinazis en France. Le dossier de presse présente leur action ainsi : « Plus de mille Allemands antifascistes se sont engagés pour lutter aux côtés des résistants, notamment dans les maquis de Lozère et des Cévennes. Membres du groupe de résistance Travail Allemand, ils ont été espions dans la Wehrmacht, ont renseigné les réseaux de la France libre et ont pris les armes contre leur camp auprès des maquisards. » Cette situation paradoxale nous rappelle que la Seconde Guerre mondiale était aussi une guerre idéologique qui pouvait remettre en cause l’évidence des fidélités nationales. Ces Allemands antinazis ne venaient pas tous du même horizon politique. On pense bien sûr aux communistes, souvent anciens des brigades internationales, dont l’entrée dans la Résistance correspond à la continuité d’un combat engagé depuis 1933. Ils n’avaient pas le choix. Pour les réfugiés juifs allemands, le lien avec la Résistance française est moins évident. Il se produit par l’intermédiaire d’un réseau de défense ou de secours aux étrangers. Enfin, d’autres individus aident ou rejoignent l’Armée de l’ombre pour des raisons morales ou religieuses. C’est le cas de soldats et officiers de la Wehrmacht qui espionnent leur armée pour le compte de « l’ennemi ». Les deux témoignages qui suivent montrent la variété et la complexité de ce groupe des « résistants allemands au nazisme en France ».

Témoignage de Kurt Hälker, soldat de la marine allemande et membre de la Résistance française

Je ne voulais pas faire la guerre. Mon père avait participé à la Première Guerre mondiale et il m’a raconté tellement de choses ! J’étais donc opposé à la guerre en quelque sorte… Dans le fond, j’étais quelqu’un d’apolitique. La seule chose qui m’importait, c’était de sauver ma peau. Les Français avec qui j’ai tenté de parler n’étaient pas très aimables, ce qui m’a un peu surpris. Aux dires de la propagande nazie, nous étions les bienvenus en France – or c’était tout le contraire. Mon premier choc, je l’ai eu en arrivant à Paris. J’ai vu des affiches, des avis publics d’exécution. Cette fois-là, il s’agissait de deux jeunes Français fusillés pour avoir participé à une manifestation. Je constatais des contradictions entre la propagande nazie et les informations que je lisais sur les téléscripteurs. Ça m’a amené à réfléchir et évidemment, ça m’a fait perdre toute la confiance que j’avais dans ceux qui orchestraient tout cela. […]

Début 43, nous avons fondé le Groupe des trois au ministère de la Marine. […] Nous étions informés par téléscripteur des prochaines razzias sur Paris. Le tristement célèbre camp de Drancy, où les 2 000 premiers citoyens juifs de France ont été internés dès 1941, était situé près de Paris. Les informations que nous avons pu recueillir, nous les avons transmises à nos contacts, pour les prévenir et pour aider. Nous avons fourni à la Résistance les informations qui nous semblaient intéressantes, celles sur la manière dont les dirigeants nazis évaluaient la situation en interne. Nous avons également tenté de nous procurer des armes, et nous en avons également fourni quelques-unes à la Résistance. […]

Nos contacts étaient essentiellement des femmes, des émigrantes allemandes qui vivaient en France et qui exécutaient leurs missions avec beaucoup de courage. Nous les avons toujours admirées. Et notre

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deuxième contact, c’était un coiffeur dont le salon était au centre-ville ; il y avait aussi un tailleur. Dans le feu de l’action, je n’avais jamais peur, mais avant, oui. Au moment de lancer une opération, de préparer quelque chose, on a parfois l’estomac qui chavire. Il faut surmonter son anxiété. Mais ensuite, on est heureux si ça marche. Et ça marchait. Nous nous en sommes tirés, pourtant, la situation a souvent été critique.

Source : www.arte.tv/fr/kurt-haelker/2138762,CmC=2138758.html.

Témoignage de Peter Gingold, communiste allemand réfugié en France

[…] Mon enfance s’est déroulée à Francfort-sur-le-Main où mon père exerçait le métier de tailleur. Nous étions huit enfants à la maison. J’ai suivi une formation d’employé de commerce et me suis syndiqué à l’âge de quatorze ans. Un an plus tard, j’ai adhéré à la Jeunesse communiste. J’ai assisté à la fin de la République de Weimar et à l’arrivée au pouvoir des nazis. J’avais alors dix-sept ans. J’ai milité clandestinement, puis, en fin d’année, la menace se précisant, nos parents ont décidé d’émigrer en France, avec toute la famille. […]

En 1939, lorsque la guerre a éclaté, j’ai été, comme d’autres Allemands, interné dans un camp, près d’Angoulême, puis, jusqu’à la capitulation des armées françaises, dans celui de Langlade, à une quinzaine de kilomètres de Nîmes. Je suis ensuite revenu à Paris. J’y ai retrouvé ma femme qui venait d’accoucher. Notre enfant est né pratiquement le jour même de l’entrée des troupes nazies dans la capitale. Au cours des semaines qui suivirent, tous les membres de nos groupes de jeunes se sont peu à peu retrouvés. Et, en septembre ou octobre, nous avons commencé à agir clandestinement. […] Nous avons acheté une petite imprimerie pour enfants et du papier à cigarette. On imprimait dessus : « À bas Hitler, à bas la guerre ! » C’était un travail symbolique, comme pour dire : « Il existe d’autres Allemands que les hitlériens. » […] Par la suite, nous nous sommes organisés. Ce travail d’organisation, on le doit surtout à Otto Niebergall, le responsable de notre groupe de communistes allemands réfugiés. Après la mise en place de la MOI, nous avons été chargés de l’action TA. Ça voulait dire « travail allemand ». Il s’agissait toujours de diffuser des tracts, mais aussi de contacter des soldats et des officiers pour découvrir si, parmi eux, nous pouvions trouver des antifascistes et les amener à travailler avec nous, à s’organiser et à agir au sein de la Wehrmacht.

[Par la suite Peter Gingold devient responsable de plusieurs régions. Il est arrêté et torturé en 1943, mais parvient à s’enfuir. Il se cache et participe aux combats de la Libération à Paris où, avec un drapeau blanc, il incite les soldats allemands à se rendre.]

[…] Après la fin de la guerre, je suis retourné en Allemagne. C’est très différent avec les jeunes générations, mais, souvent, là-bas, des gens de ma génération m’ont considéré comme traître. Ici, en France, on tient les résistants pour des patriotes […].

Source : Jean Morawski, « Peter Gingold : le drapeau blanc de la victoire », L’Humanité, 12 juillet 1994, www.humanite.fr/node/223292.

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De Gaulle-Adenauer, une relation construite entre deux hommes, deux nations et deux États

La première rencontre : 14-15 septembre 1958

De Gaulle a raconté dans ses Mémoires la première rencontre avec le chancelier Adenauer, dans sa résidence privée de la Boisserie, le 14 septembre 1958. Il n’est alors encore que président du Conseil, où il a été investi par l’Assemblée nationale depuis trois mois. La Constitution de la Cinquième République, encore dans les limbes, ne sera approuvée par référendum que deux semaines plus tard. Le général en donne une relation très personnelle dans ses Mémoires.

La rencontre vue par le général de Gaulle

Dès qu’il comprend que mon retour est une autre chose qu’un épisode, le chancelier demande à me voir. C’est à Colombey-les-Deux-Églises que je le reçois, les 14 et 15 septembre 1958. Il me semble, en effet, qu’il convient de donner à la rencontre une marque exceptionnelle et que, pour l’explication historique que vont avoir entre eux, au nom de leurs deux peuples, ce vieux Français et ce très vieil Allemand, le cadre d’une maison familiale a plus de signification que n’en aurait eu le décor d’un palais. Ma femme et moi faisons donc au chancelier les modestes honneurs de La Boisserie.

Source : Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, « Le Renouveau, L’Europe », Bibliothèque de la Pléiade.

La rencontre vue par le chancelier Konrad Adenauer

In der Regierung de Gaulle, die am 1. Juni 1958 die Verantwortung übernahm, waren drei Männer Stellvertreter de Gaulies, die ich durch und durch als Europa-Freunde kannte. Es waren Mollet, Pflimlin und Pinay. Diese drei Persönlichkeiten chienen mir Garanten dafür zu sein, daß nach dem Regierungsantritt de Gaulies abgegebene Erklärungen, die europäischen Verträge würden gehalten werden, von Frankreich ernst gemeint waren. Eine weitere Garantie dafür erschien mir, daß Couve de Murville, der bisherige Botschafter Frankreichs in Bonn, zum Außenminister ernannt wurde.

Begegnung mit de Gaulle in Colombey-les-deux-Eglises Am Samstag, dem 13. September 1958, beendete ich meinen Urlaub in Gadenabbia. […]Ich war von großer Sorge erfüllt, denn ich befürchtete, die Denkweise von de Gaulle wäre von der meinigen so grundverschieden, daß eine Verständigung zwischen uns beiden außerordentlich schwierig wäre. Es würde das erste Zusammentreffen eines deutschen Regierungschefs mit de Gaulle nach dem Kriege sein. […]

De Gaulle entsprach in keiner Weise den Auffassungen, die man in den vergangenen Monaten aus der Lektüre der Presse erhalten mußte. Er war ein völlig anderer Mann, als ihn unsere Presse, aber nicht nur unsere Presse, dargestellt hatte. Persönlich wirkte er sehr frisch. Als Politiker gewann ich aus den Unterredungen nicht den Eindruck eines Nationalisten, als der er stets abgestempelt wurde. De Gaulle war sehr gut unterrichtet über die gesamte außenpolitische Lage, insbesondere war er sich der großen Bedeutung des Verhältnisses zwischen Frankreich und Deutschland für diese beiden Länder und für Europa und damit auch für die ganze Gestaltung der Verhältnisse in der Welt bewußt.

Source : Adenauer, Erinnerungen 1959-1963, Random House, 1968, p. 415, 424-425.

Une rencontre privée très médiatisée

Le général de Gaulle a souhaité que le cadre familial et privé de La Boisserie facilite ses échanges avec le chancelier Adenauer. On est pourtant loin d’une rencontre informelle : la presse écrite et filmée est très présente et donne à l’événement toute sa dimension politique.

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Le président de Gaulle accueille le chancelier Adenauer à La Boisserie

Le général Charles de Gaulle accueillant chez lui à Colombey-les-Deux-Églises (Haute-Marne) le chancelier allemand Conrad Adenauer le 15 septembre 1958. © Rue des Archives/Agip.

La presse est autorisée à photographier la rencontre entre les deux hommes à l’arrivée, mais aussi au cours de leur promenade dans les jardins de La Boisserie où ils conversent sans l’aide de leurs interprètes, de Gaulle parlant couramment l’allemand.

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Une caricature du général de Gaulle, 1963

Manfred Oesterle, caricature du général de Gaulle en couverture de la revue Simplicissimus, 10 mars 1963. Source : Deutsches Historisches Museum, Berlin. Droits réservés.

Le jugement de l’historien Georges-Henri Soutou sur l’entrevue de Colombey-les-Deux-Églises

[…] de Gaulle est en position de supériorité, et il sait admirablement en jouer mais sans jamais y faire allusion lourdement : l’Allemagne est divisée, elle est encore obérée par le passé récent de la Seconde Guerre mondiale, elle est soumise en droit international à l’accord des Quatre Grands pour ce qui concerne « Berlin et l’Allemagne dans son ensemble » […] Quant à Adenauer, tout son objectif est de se rapprocher de la France sans rompre avec les autres partenaires de l’Europe des Six ni avec Washington : en fait, le rapprochement avec Paris doit lui servir de réassurance en cas de lâchage de la RFA par les États-Unis, c’est la grande crainte du chancelier, dont de Gaulle joue d’ailleurs assez cyniquement. Et en même temps et dans l’immédiat, il s’agit de pousser, par le rapprochement avec la France, les Américains à mieux prendre en compte les intérêts de la RFA. Adenauer cherche donc à manœuvrer dans le triangle Bonn-Paris-Washington, de Gaulle cherche à le maintenir dans un axe Paris-Bonn.

Source : www.canalacademie.com/ida8729-Les-rencontres-De-Gaulle-Adenauer-reconciliation-ou-mariage-de-raison-par-Georges-Henri-Soutou.html.

De Gaulle-Adenauer, un couple uni dans la guerre froide, 1958-1961

À l’automne 1958, de Gaulle rend visite au chancelier Adenauer à Bad-Kreuznach, ville de la Rhénanie-Palatinat qui a la double particularité d’avoir été le siège de l’État-major impérial en 1917 et d’être située dans la zone d’occupation française en 1945. Par-delà ces symboles guerriers, la visite du général a pour but de rassurer le chancelier sur les intentions françaises au moment où Khrouchtchev remet en cause le statut de Berlin. Non seulement de Gaulle réaffirme sa fermeté contre les Soviétiques, mais il se déclare, non sans malice, hostile à toute concession de la part de l’Otan et des États-Unis sur Berlin. Et comme les lieux sont porteurs de sens, c’est dans cette même ville de Bad-Kreuznach que le chancelier Kohl et le président Mitterrand s’entretiendront le 30 octobre 1984, au moment de la crise des euromissiles.

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De Gaulle signant le livre d’or de la ville de Bad-Kreuznach sous les yeux d’Adenauer, le 26 novembre 1958

© Stadtarchiv Bad-Kreuznach.

« Le destin normal du peuple allemand »

[…] l’Allemagne actuelle ne nous menace nullement. Nous considérons même qu’avec ses capacités, son énergie, ses ressources, elle constitue un élément essentiel de la vie et du progrès de l’Europe et du monde entier. Et puis, comme il est naturel pour deux adversaires qui, après avoir longtemps combattu, ont renoncé à s’entre-détruire, la France et l’Allemagne sont décidées à coopérer. Sur ce point, la politique du chancelier Adenauer coïncide avec la nôtre. […] Aussi, ne nous prêterons-nous à rien qui puisse porter le peuple allemand au désespoir ou bien compromettre son pacifique avenir, ou bien ruiner l’espérance qui, après tant de chocs et de larmes, s’est levée des deux côtés du Rhin. […]

[Parlant ensuite de l’Allemagne de l’Est] Nous ne sommes pas disposés à le reconnaître comme un État souverain et indépendant, car il n’existe qu’en raison de l’occupation soviétique et en vertu, si j’ose dire, d’une implacable dictature. Nous ne considérons pas sur le même plan, au point de vue des relations extérieures de la République française, nous ne considérons pas sur le même plan, d’une part cette organisation arbitraire, et d’autre part la République fédérale allemande dont tous les citoyens disent, écrivent, entendent ce qu’ils veulent, vont et viennent à leur gré, désignent en toute liberté leurs représentants et leur gouvernement. La réunification des deux parties actuellement séparées de l’Allemagne en une seule Allemagne qui serait entièrement libre nous paraît être le but, l’objectif, le destin normal du peuple allemand, à condition qu’il ne remette pas en cause ses actuelles frontières de l’ouest, de l’est, du nord et du sud et qu’il se destine à s’encadrer, le jour où ça sera possible, dans une organisation contractuelle de l’Europe pour la coopération de toute l’Europe, pour la coopération, pour la liberté et pour la paix.

Extraits de la conférence de presse du général de Gaulle du 25 mars 1959. Transcription intégrale dans le dossier « Charles de Gaulle, paroles publiques » de l’Ina. Source : ina.fr.

Lors de cette conférence, le général de Gaulle développe sa vision de l’Allemagne et de son avenir à l’heure de la guerre froide.

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Conférence de presse du général de Gaulle (25 mars 1959)

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne ou sur : www.ina.fr/fresques/de-gaulle/fiche-media/Gaulle00030/conference-de-presse-du-25-mars-1959.

Source : ina.fr.

La France, l’Allemagne et l’Europe, l’échec du plan Fouchet, 1961-1962

Un contexte international décevant permet la relance européenne

En mai 1960 devait se tenir à Paris une conférence internationale des « quatre grands » sur le désarmement et la question de Berlin. Nikita Khrouchtchev, prenant prétexte d’une affaire d’espionnage, claque la porte avant que les pourparlers ne commencent. Le général de Gaulle profite de ce ratage diplomatique provoqué par les Eisenhower et Khrouchtchev pour relancer le projet de coopération européenne. Il en discute à plusieurs reprises avec Adenauer, à Rambouillet en 1960 et à Röndorf en juillet 1961, dans le cadre des rencontres officielles et privées qu’ils affectionnent. Le chancelier accepte qu’un projet de renforcement des liens politiques soit présenté aux six pays membres de la communauté européenne. La rédaction en est confiée à Christian Fouchet, haut fonctionnaire et gaulliste de toujours. Le projet élaboré par la commission Fouchet prévoit d’instaurer une union fondée sur « le respect de la personnalité des peuples et des États membres » et dont les buts sont :

– de parvenir, dans les questions qui présentent un intérêt commun pour les États membres, à l’adoption d’une politique étrangère commune ;

– d’assurer par une étroite coopération entre les États membres dans le domaine de la science et de la culture, l’épanouissement de leur patrimoine commun et la sauvegarde des valeurs qui donnent son prix à leur civilisation ;

– de contribuer ainsi dans les États membres à la défense des Droits de l’homme, des libertés fondamentales et de la démocratie ;

– de renforcer, en coopération avec les autres nations libres, la sécurité des États membres contre toute agression grâce à l’adoption d’une politique commune de défense.

Extrait du projet de traité, 19 octobre et 2 novembre 1961.

Les réticences des partenaires conduisent à l’échec du plan, plusieurs fois remanié

Derrière les termes généraux de l’article 2 présenté ci-dessus se cache une vision gaullienne de l’Europe qui suscite l’inquiétude et les interrogations sur la gouvernance et les alliances de certains partenaires de la communauté car : – l’union politique des États membres est présentée comme un accord intergouvernemental, une « Europe des Nations », qui entre en contradiction avec les institutions de la communauté qui s’inspirent d’une démarche supranationale ; – une politique étrangère commune pose le problème de la relation avec les autres membres de l’Otan et demande de préciser les relations avec les États-Unis. Les opposants (Hollandais et Belges) obtiennent des modifications, mais les blocages persistent et se cristallisent autour de la question de la candidature britannique à la communauté. De leur côté, les Français maintiennent leur hostilité aux formes supranationales de pouvoir. Après trois versions successives, le projet est rejeté en avril 1962. Pour de Gaulle, la seule réalité tangible sur laquelle il peut désormais s’appuyer est l’axe entre Paris et Bonn, qu’il faut renforcer.

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Le renforcement des liens entre les hommes et les nations, 1962-1963

L’Europe des Nations, conférence de presse du 15 mai 1962

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne.

Source : ina.fr

Le 15 mai 1962, à l’occasion de cette conférence, le général de Gaulle précise sa vision de l’Europe et de la communauté européenne, qui le conduit à rechercher à renforcer ses liens avec l’Allemagne. C’est aussi l’occasion pour lui d’expliquer sa conception de la nation.

La vision du général de Gaulle sur l’Europe

Dans un monde comme le nôtre, où tout se ramène à la menace d’un conflit mondial, l’idée d’une Europe unie et qui aurait assez de force, assez de moyens et assez de cohésion pour exister par elle-même, cette idée-là apparaît tout naturellement. Et elle apparaît d’autant mieux que les inimitiés qui l’avaient séculairement déchirée, et en particulier l’opposition entre l’Allemagne et la France, ont actuellement cessé. Alors, du coup, voilà, mis en lumière, d’abord le caractère qu’on peut appeler complémentaire au point de vue géographique, stratégique, économique, culturel, etc., qui existe, les caractères communs, complémentaires qui existent entre les peuples de cette partie de l’ancien continent… […] Voilà des données de fait qui ont conduit six États du continent à tâcher d’établir entre eux des liens particuliers. […] Dans cet ordre d’idées-là, on a déjà fait quelque chose, quelque chose de positif, et qui s’appelle la Communauté économique européenne, qui a été créée en vertu du traité de Rome, créée en principe, et qui a été mise en œuvre grâce, d’abord, à notre redressement économique et financier de 58-59, car si nous n’avions pas fait ce redressement-là, il n’y avait pas de communauté qui tienne. En second lieu, grâce au fait que nous avons obtenu, en janvier dernier, que l’agriculture entre dans le marché commun. Et corrélativement, nous avons accepté de passer à ce que l’on appelle la deuxième phase, c’est-à-dire à une réelle application. Alors, ceci est fait. Il existe une organisation économique telle que peu à peu, les barrières douanières entre les Six s’effacent, ce qui ne manque pas de susciter leurs efforts. Et puis aussi, progressivement, leurs productions respectives sont ajustées, sont réglementées de telle sorte que le marché commun puisse, en bon ordre, ou bien les absorber lui-même ou bien les échanger au-dehors. C’est quelque chose, c’est beaucoup. Ce n’est pas tout. Aux yeux de la France, cette construction économique ne suffit pas. L’Europe occidentale, qu’il s’agisse de son action vis-à-vis des autres peuples, ou de sa défense, ou de sa contribution au développement des régions qui en ont besoin, ou de son devoir d’équilibre européen et de détente internationale, l’Europe occidentale doit se constituer politiquement […].

Je voudrais, incidemment, puisqu’en voici l’occasion, je m’excuse messieurs les journalistes. Vous allez être assez étonnés, mais je n’ai jamais, quant à moi, dans aucune de mes déclarations, parlé de l’Europe des patries, bien qu’on prétende toujours que je l’ai fait. Ce n’est pas, bien sûr, que je renie, moi, la mienne, bien au contraire. Je lui suis attaché plus que jamais. Et d’ailleurs, je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens, etc. Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient pensé, écrit en quelque espéranto ou volapük intégré. Alors, il est vrai que la patrie est un élément humain sentimental et que c’est sur des éléments d’action, d’autorité, de responsabilité qu’on peut construire l’Europe. Quels éléments ? Et bien, les États. Car il n’y a que les États qui, à cet égard, soient valables, soient légitimes, et, en outre, soient capables de réaliser. J’ai déjà dit, je répète qu’à l’heure qu’il est, il ne peut pas y avoir d’autre Europe possible que celle des États.

Extraits de la conférence de presse du général de Gaulle du 15 mai 1962. Transcription intégrale dans le dossier « Charles de Gaulle, paroles publiques » de l’Ina. Source : ina.fr.

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La rencontre de Reims, 8 juillet 1962

[…] symbole de nos anciennes traditions, mais aussi théâtre de maints affrontements des ennemis héréditaires, depuis les anciennes invasions germaniques jusqu’aux batailles de la Marne. À la cathédrale, dont toutes les blessures ne sont pas encore guéries, le premier Français et le premier Allemand unissent leurs prières pour que, des deux côtés du Rhin, les œuvres de l’amitié remplacent pour toujours les malheurs de la guerre.

Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir, Bibliothèque de la Pléiade.

La cathédrale de Reims, un décor historique pour une réconciliation

Le chancelier allemand Konrad Adenauer et le général de Gaulle assistent à la messe donnée à la cathédrale de Reims le 8 juillet 1962. © AFP/STF.

Les cérémonies de Reims sont la conclusion symbolique d’un voyage en France du chancelier Adenauer, auquel le général souhaite donner une dimension historique et populaire. Le choix de Reims tient à plusieurs raisons. C’est ici que le Franc Clovis fut baptisé par l’évêque Rémi. De Gaulle, qui ressentait charnellement l’histoire de son pays, illustre la célèbre phrase de Marc Bloch : il est de « ceux qui vibrent au récit du sacre de Reims 2 ». La ville a aussi été à deux reprises marquée par la guerre : en 1914, elle subit le bombardement de la cathédrale, et le 7 mai 1945, elle accueille la cérémonie de la signature de la capitulation allemande, un jour avant celle de Berlin. Pour marquer la fin de cette séquence guerrière, avant d’arriver dans la ville, les deux chefs d’État ont assisté non loin de là, au camp de Mourmelon, à un défilé commun de militaires allemands et français.

2. Marc Bloch, L’Étrange Défaite (1940), Folio Histoire, 1990, p. 198.

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La visite du chancelier Adenauer en France et à Reims

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne ou sur : www.ina.fr/video/AFE85009581/de-paris-a-reims-la-visite-du-chancelier-adenauer.fr.html.

Source : Les Actualités françaises, 11/07/1962, ina.fr.

La portée de la visite de Reims vue par la presse

Le chancelier Adenauer a déjà fait une quinzaine de voyages en France, mais c’est la première fois que la République donne à sa visite un caractère officiel, qu’elle lui confère une telle signification d’estime et d’amitié. Le but de l’invitation qui lui a été adressée est de souligner par toutes sortes de cérémonies et d’hommages l’heureux aboutissement du rapprochement franco-allemand. À celui qui, depuis dix ans, mène le bon combat pour ce rapprochement, le chef de l’État entend dire la reconnaissance et l’admiration qu’il lui voue. […]

C’est sur cette conception, avec laquelle le président de la République française s’est montré à plusieurs reprises en complet accord, que réside la bonne entente de Gaulle-Adenauer. Il s’y joint aussi une commune méfiance à l’égard des entreprises soviétiques. […]

Ce qui fait l’intérêt essentiel de ce déplacement, c’est qu’il permettra de déterminer dans quelle mesure le peuple français approuve la politique de rapprochement que ses dirigeants poursuivent avec constance, en dépit de toutes les vicissitudes intérieures, depuis le lancement du plan Schuman. La visite du président Lübke l’an dernier était passée un peu inaperçue. Sa personnalité d’ailleurs sympathique était peu connue en France. On ne saurait en dire autant du grand bourgeois de Cologne qui mène l’Allemagne fédérale d’une poigne vigoureuse depuis que les alliés lui ont rendu la souveraineté. […]

C’est bien cependant la consécration de la foule qui fera de l’entente franco-allemande, au-delà de l’accord de deux grands hommes promis à disparaître, une réalité durable, le gage qu’il n’y a pas de fatalité en histoire […]

Source : Hubert Beuve-Méry, Le Monde, Éditorial sur la visite du chancelier Adenauer en France, 3 juillet 1962.

La visite en Allemagne du général de Gaulle, 2 au 9 septembre 1962

Le président français, deux mois après avoir reçu le chancelier Adenauer, se rend en Allemagne et à Berlin. Il s’adresse aux soldats de la Bundeswehr mais aussi à la jeunesse allemande. Son objectif est de renforcer les liens politiques et culturels entre les deux pays en offrant des perspectives aux acteurs de ce rapprochement. Comme souvent, c’est en allemand qu’il s’exprime. Une langue qu’il maîtrise depuis sa jeunesse.

L’adresse du général de Gaulle à la jeunesse allemande, Ludwigsburg, 8 septembre 1962

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne.

Source : ina.fr.

Traduction en français de l’adresse du général de Gaulle à la jeunesse allemande

Quant à vous, je vous félicite ! Je vous félicite, d’abord, d’être jeunes. II n’est que de voir cette flamme dans vos yeux, d’entendre la vigueur de vos témoignages, de discerner ce que chacun de vous recèle d’ardeur personnelle et ce que votre ensemble représente d’essor collectif, pour savoir que, devant votre élan, la vie n’a qu’à bien se tenir et que l’avenir est à vous. Je vous félicite, ensuite, d’être de jeunes Allemands, c’est-à-dire les enfants d’un grand peuple.

Oui ! D’un grand peuple ! Qui parfois, au cours de son Histoire, a commis de grandes fautes et causé de grands malheurs condamnables et condamnés. Mais qui, d’autre part, répandit de par le monde des vagues fécondes de pensée, de science, d’art, de philosophie, enrichit l’univers des produits

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innombrables de son invention, de sa technique et de son travail, déploya dans les œuvres de la paix et dans les épreuves de la guerre des trésors de courage, de discipline, d’organisation. Sachez que le peuple français n’hésite pas à le reconnaître, lui qui sait ce que c’est qu’entreprendre, faire effort, donner et souffrir. Je vous félicite enfin d’être des jeunes de ce temps. Au moment même où débute votre activité, notre espèce commence une vie nouvelle.

Sous l’impulsion d’une force obscure, en vertu d’on ne sait quelle loi, tout ce qui la concerne dans le domaine matériel se transforme suivant un rythme constamment accéléré. Votre génération voit et, sans doute, continuera de voir se multiplier les résultats combinés des découvertes des savants et de l’agencement des machines qui modifient profondément la condition physique des hommes. Mais le champ nouveau et prodigieux qui s’ouvre ainsi devant vos existences, c’est à ceux qui ont aujourd’hui votre âge qu’il appartient de faire en sorte qu’il devienne la conquête, non de quelques privilégiés, mais de tous nos frères les hommes. Ayez l’ambition que le progrès soit le bien commun, que chacun en ait sa part, qu’il permette d’accroître le beau, le juste et le bon, partout et notamment dans les pays qui, comme les nôtres, font la civilisation, qu’il procure aux milliards d’habitants des régions sous-développées de quoi vaincre à leur tour la faim, la misère, l’ignorance et accéder à une pleine dignité. Mais la vie du monde est dangereuse. Elle l’est d’autant plus que, comme toujours, l’enjeu est moral et social.

II s’agit de savoir si, à mesure de la transformation du siècle, l’homme deviendra, ou non, un esclave dans la collectivité, s’il sera réduit, ou non, à l’état de rouage engrené à tout instant par une immense termitière ou si, au contraire, il voudra et saura maîtriser et utiliser les progrès de l’ordre matériel pour devenir plus libre, plus digne et meilleur. Voilà la grande querelle de l’univers, celle qui le divise en deux camps, celle qui exige de peuples comme l’Allemagne et comme la France qu’ils pratiquent leur idéal, qu’ils le soutiennent par leur politique et, s’il le fallait, qu’ils le défendent et le fassent vaincre en combattant ! Eh bien ! Cette solidarité désormais toute naturelle, il nous faut, certes, l’organiser. C’est là la tâche des Gouvernements. Mais il nous faut aussi la faire vivre et ce doit être avant tout l’œuvre de la jeunesse. Tandis qu’entre les deux États la coopération économique, politique, culturelle, ira en se développant, puissiez-vous pour votre part, puissent les jeunes Français pour la leur, faire en sorte que tous les milieux de chez vous et de chez nous se rapprochent toujours davantage, se connaissent mieux, se lient plus étroitement ! L’avenir de nos deux pays, la base sur laquelle peut et doit se construire l’union de l’Europe, le plus solide atout de la liberté du monde, c’est l’estime, la confiance, l’amitié mutuelles du peuple français et du peuple allemand.

Source : ina.fr.

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Le traité de l’Élysée, 22 janvier 1963

Photo officielle de la signature du Traité de l’Elysée

Signature du traité franco-allemand de coopération au palais de l’Élysée par le général de Gaulle et le chancelier Conrad Adenauer le 22 janvier 1963. © Dalmas/Sipa.

Un moment solennel et une image classique de la diplomatie internationale, la signature par les deux chefs de l’exécutif d’un traité engageant deux États. Tout montre que nous sommes dans le cadre de relations bilatérales et intergouvernementales.

Le texte du traité de l’Élysée

À la suite de la déclaration commune du Président de la République française et du Chancelier de la République fédérale d’Allemagne en date du 22 janvier 1963, sur l’organisation et les principes de la coopération entre les deux États, les dispositions suivantes ont été agréées :

I. – ORGANISATION

1. Les Chefs d’État et de Gouvernement donneront en tant que de besoin les directives nécessaires et suivront régulièrement la mise en œuvre du programme fixé ci-après. Ils se réuniront à cet effet chaque fois que cela sera nécessaire et, en principe, au moins deux fois par an.

2. Les Ministres des Affaires étrangères veilleront à l’exécution du programme dans son ensemble. Ils se réuniront au moins tous les trois mois. Sans préjudice des contacts normalement établis par la voie des ambassades, les hauts fonctionnaires des deux Ministères des Affaires étrangères, chargés respectivement des affaires politiques, économiques et culturelles, se rencontreront chaque mois alternativement à Paris et à Bonn pour faire le point des problèmes en cours et préparer la réunion des Ministres. D’autre part, les missions diplomatiques et les consulats des deux pays ainsi que leurs représentations permanentes auprès des organisations internationales prendront tous les contacts nécessaires sur les problèmes d’intérêt commun.

3. Des rencontres régulières auront lieu entre autorités responsables des deux pays dans les domaines de la défense, de l’éducation et de la jeunesse. Elles n’affecteront en rien le fonctionnement des organismes déjà existants – commission culturelle franco-allemande, groupe permanent d’État-major – dont les activités seront au contraire développées. Les Ministres des Affaires étrangères seront représentés à ces

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rencontres pour assurer la coordination d’ensemble de la coopération ; a) les Ministres des Armées ou de la Défense se réuniront au moins une fois tous les trois mois. De même, le Ministre français de l’Éducation nationale rencontrera, suivant le même rythme, la personnalité qui sera désignée du côté allemand pour suivre le programme de coopération sur le plan culturel ; b) les Chefs d’État-major des deux pays se réuniront au moins une fois tous les deux mois ; en cas d’empêchement, ils seront remplacés par leurs représentants responsables ; c) le haut-commissaire français à la Jeunesse et aux Sports rencontrera, au moins une fois tous les deux mois, le Ministre fédéral de la Famille et de la Jeunesse ou son représentant.

4. Dans chacun des deux pays, une commission interministérielle sera chargée de suivre les problèmes de la coopération. Elle sera présidée par un haut fonctionnaire des Affaires étrangères et comprendra des représentants de toutes les administrations intéressées. Son rôle sera de coordonner l’action des ministères intéressés et de faire périodiquement rapport à son Gouvernement sur l’état de la coopération franco-allemande. Elle aura également pour tâche de présenter toutes suggestions utiles en vue de l’exécution du programme de coopération et de son extension éventuelle à de nouveaux domaines.

II. PROGRAMME

A. - Affaires étrangères

1. Les deux Gouvernements se consulteront, avant toute décision, sur toutes les questions importantes de politique étrangère, et en premier lieu sur les questions d’intérêt commun, en vue de parvenir, autant que possible, à une position analogue. Cette consultation portera entre autres sur les sujets suivants : Problèmes relatifs aux communautés européennes et à la coopération politique européenne ; Relations Est-Ouest, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique ; Affaires traitées au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et des diverses organisations internationales auxquelles les deux gouvernements sont intéressés, notamment le Conseil de l’Europe, l’Union de l’Europe Occidentale, l’Organisation de coopération et de développement économique, les Nations Unies et leurs institutions spécialisées.

2. La collaboration, déjà établie dans le domaine de l’information, sera poursuivie et développée entre les services intéressés à Paris et à Bonn et entre les missions dans les pays tiers.

3. En ce qui concerne l’aide aux pays en voie de développement, les deux Gouvernements confronteront systématiquement leurs programmes en vue de maintenir une étroite coordination. Ils étudieront la possibilité d’entreprendre des réalisations en commun. Plusieurs départements ministériels étant compétents pour ces questions, du côté français comme du côté allemand, il appartiendra aux deux ministères des Affaires étrangères de déterminer ensemble les bases pratiques de cette collaboration.

4. Les deux Gouvernements étudieront en commun les moyens de renforcer leur coopération dans d’autres secteurs importants de la politique économique, tels que la politique agricole et forestière, la politique énergétique, les problèmes de communications et de transports et le développement industriel, dans le cadre du Marché commun, ainsi que la politique des crédits à l’exportation.

B. – Défense

I. - Les objectifs poursuivis dans ce domaine seront les suivants :

1. Sur le plan de la stratégie et de la tactique, les autorités compétentes des deux pays s’attacheront à rapprocher leurs doctrines en vue d’aboutir à des conceptions communes. Des instituts franco-allemands de recherche opérationnelle seront créés.

2. Les échanges de personnel entre les armées seront multipliés ; ils concerneront en particulier les professeurs et les élèves des écoles d’État-major ; ils pourront comporter des détachements temporaires d’unités entières. Afin de faciliter ces échanges, un effort sera fait de part et d’autre pour l’enseignement pratique des langues chez les stagiaires.

3. En matière d’armements, les deux Gouvernements s’efforceront d’organiser un travail en commun dès le stade de l’élaboration des projets d’armement appropriés et de la préparation des plans de financement. À cette fin, des commissions mixtes étudieront les recherches en cours sur ces projets dans les deux pays et procéderont à leur examen comparé. Elles soumettront des propositions aux ministres qui les examineront lors de leurs rencontres trimestrielles et donneront les directives d’application nécessaires.

II. - Les gouvernements mettront à l’étude les conditions dans lesquelles une collaboration franco-allemande pourra être établie dans le domaine de la défense civile.

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C. - Éducation et Jeunesse

En matière d’éducation et de jeunesse, les propositions contenues dans les mémorandums français et allemand des 19 septembre et 8 novembre 1962 seront mises à l’étude selon les procédures indiquées plus haut :

1. Dans le domaine de l’éducation, l’effort portera principalement sur les points suivants :

a) Enseignement des langues : Les deux Gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. Ils s’efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d’accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande. Le Gouvernement fédéral examinera, avec les gouvernements des Länder, compétents en la matière, comment il est possible d’introduire une réglementation qui permette d’atteindre cet objectif. Dans tous les établissements d’enseignement supérieur, il conviendra d’organiser un enseignement pratique de la langue française en Allemagne et de la langue allemande en France, qui sera ouvert à tous les étudiants.

b) Problème des équivalences : Les autorités compétentes des deux pays seront invitées à accélérer l’adoption des dispositions concernant l’équivalence des périodes de scolarité, des examens, des titres et diplômes universitaires.

c) Coopération en matière de recherche scientifique : Les organismes de recherches et les instituts scientifiques développeront leurs contacts en commençant par une information réciproque plus poussée, des programmes de recherches concertées seront établis dans les disciplines où cela se révélera possible.

2. Toutes les possibilités seront offertes aux jeunes des deux pays pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur compréhension mutuelle. Les échanges collectifs seront en particulier multipliés. Un organisme destiné à développer ces possibilités et à promouvoir les échanges sera créé par les deux pays avec, à sa tête, un conseil d’administration autonome. Cet organisme disposera d’un fonds commun franco-allemand qui servira aux échanges entre les deux pays d’écoliers, d’étudiants, de jeunes artisans et de jeunes travailleurs.

III. - DISPOSITIONS FINALES

1. Les directives nécessaires seront données dans chaque pays pour la mise en œuvre immédiate de ce qui précède. Les Ministres des Affaires étrangères feront le point des réalisations acquises à chacune de leurs rencontres.

2. Les deux Gouvernements tiendront les Gouvernements des autres États membres des Communautés européennes informés du développement de la coopération franco-allemande.

3. À l’exception des clauses concernant la défense, le présent Traité s’appliquera également au Land de Berlin, sauf déclaration contraire faite par le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne au Gouvernement de la République française dans les trois mois qui suivront l’entrée en vigueur du présent Traité.

4. Les deux Gouvernements pourront apporter les aménagements qui se révéleraient désirables pour la mise en application du présent Traité.

5. Le présent Traité entrera en vigueur dès que chacun des deux Gouvernements aura fait savoir à l’autre que, sur le plan interne, les conditions nécessaires à sa mise en œuvre ont été remplies.

Fait à Paris, le 22 janvier 1963, en double exemplaire, en langue française et en langue allemande, les deux textes faisant également foi.

Le Président de la République française Charles de GAULLE

Le Premier Ministre français Georges POMPIDOU

Le Ministre français des Affaires étrangères Maurice COUVE de MURVILLE

Le Chancelier de la République fédérale d’Allemagne Konrad ADENAUER

Le Ministre fédéral des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne Gerhard SCHROEDER

Source : france-allemagne.fr.

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© SCÉRÉN-CNDP, 2013. 38

Suggestions d’activités

À partir des parties surlignées, construisez un organigramme qui résume le fonctionnement et les domaines d’action du traité.

Relevez dans le texte du traité les formules qui montrent qu’il s’agit d’un accord bilatéral et intergouvernemental entre deux États.

Relevez aussi les dispositions qui concernent les alliés communs des deux pays.

De Gaulle-Adenauer et le traité de l’Élysée : bilan et conclusion

La relation entre de Gaulle et Adenauer fut d’une qualité exceptionnelle. On leur doit non seulement la réconciliation franco-allemande, mais également le fait qu’ils ont su y engager leurs populations respectives. Le traité de 1963 a résisté à l’épreuve du temps. Il n’a pratiquement pas été modifié, sauf pour améliorer ou élargir le champ d’une coopération franco-allemande très active à de nombreux échelons ministériels. Pour Konrad Adenauer, la signature du traité est le couronnement de sa carrière, et presque son dernier acte politique puisqu’il est contraint de démissionner de son poste le 15 octobre 1963. Le Bundestag a ratifié le traité le 25 avril 1963, en y ajoutant un préambule de teneur atlantiste insistant sur le rôle des États-Unis. Cette réticence vis-à-vis de la vision gaulliste de l’indépendance de l’Europe est reprise par le ministre de l’Économie Ludwig Erhard qui succède à Adenauer. Ce dernier mène une politique qui privilégie les liens avec les États-Unis dans le cadre de l’Otan et en se montrant favorable à la candidature britannique dans la communauté. Les rapports entre le nouveau chancelier et le président français sont marqués par une courtoisie distante qui fit contraste avec la période précédente. En ce qui concerne la CEE, le général de Gaulle a besoin du soutien allemand pour faire adopter la politique agricole commune nécessaire à la modernisation de l’économie française. En revanche, il a beaucoup de mal à repousser les tentatives de gouvernance supranationale. De juin 1965 à janvier 1966, la France pratique « la politique de la chaise vide » face à ses cinq autres partenaires, refusant de céder sur le vote à l’unanimité au profit d’un vote majoritaire. Malgré tout, le couple, ou le tandem, franco-allemand demeure une réalité de fait.

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Les autres couples franco-allemands

Georges Pompidou et Willy Brandt, 1969-1974

Le tandem Pompidou-Brandt, chargé de l’application du traité de l’Élysée, est marqué par l’affichage d’une solidarité exigée par les circonstances internationales (dévaluation du dollar, guerre du Kippour, négociations Salt et crise pétrolière). Pourtant, en privé, le président français exprime son inquiétude sur l’Ostpolitik. Cette initiative de Brandt réveille la vieille crainte stratégique d’une Allemagne regardant trop à l’Est en direction des Soviétiques. Pompidou approuve du bout des lèvres mais il n’est pas loin de penser que le statu quo antérieur est préférable, au temps où François Mauriac pouvait dire : « J’aime tellement l’Allemagne que je préfère en avoir deux. » Ces divergences n’empêchent pas les deux pays de renforcer la coopération dans le domaine culturel puisque le 10 février 1972 est signée la convention créant trois lycées franco-allemands et un bac spécifique. C’est à Buc, dans les Yvelines, que s’installe ce nouvel établissement scolaire.

Discours de bienvenue prononcé par Georges Pompidou le 22 janvier 1973, pour le 10e Anniversaire du traité de l’Élysée

Le général de Gaulle et le chancelier Adenauer, tous deux sont morts. Mais d’autres ont repris le flambeau et c’est à nous aujourd’hui qu’il appartient de continuer leur œuvre. Sur le plan de nos rapports bilatéraux, nous y sommes, vous et moi, parfaitement décidés et je suis convaincu que les entretiens que nous allons avoir le démontreront une fois encore. S’agissant de la construction européenne et de la politique générale, beaucoup d’événements se sont produits, notamment en 1972, qui ont modifié les données de notre action. Je pense à l’élargissement de la Communauté. […] à la sage politique qui a transformé vos relations avec l’Est européen et permis de nouveaux progrès dans la voie de la détente […] Mais je reste convaincu que l’entente entre la France et l’Allemagne est plus que jamais capitale. Elle est indispensable à tous progrès sur la voie de l’Union européenne, elle conditionne largement la stabilité de notre continent et le développement de la coopération entre tous les pays d’un bout à l’autre de l’Europe.

Source : france-allemagne.fr.

Willy Brandt précise les intentions de son « Ostpolitik » lors de la rencontre franco-allemande du 12 juin 1973

Er wolle in dieser Gesamtsicht eine Frage an den Bundeskanzler richten, von der er hoffe, daß sie nicht indiskret sei. Diese Frage aber bedinge für das Nachbarland Frankreich vieles. Die Frage laute : „Wie sehen Sie, Herr Bundeskanzler, im Lichte dessen, was vor sich geht, die deutsche Zukunft ?" Er frage nicht, wie sich der Bundeskanzler die deutsche Zukunft wünsche, wenn sich die DDR von ihrem kommunistischen Regime lösen könne und es dann zu einer Wiedervereinigung käme, würde Frankreich dem applaudieren.

Dies sei aber wenig wahrscheinlich. Wenn der Bundeskanzler sich das Verhalten der Vereinigten Staaten von Amerika, dasjenige der Sowjetunion vor Augen halte, wenn er die Dinge im Lichte der deutschen Ostpolitik und der Beziehungen der Bundesrepublik zu den Ländern des Ostens sehe, wie stelle er sich dann diese Zukunft vor ? Dies sei für ihn die wichtigste, die fundamentalste Frage. Mit dieser Frage verbinde er nicht den Wunsch nach Voraussagen, er bitte vielmehr um die Ausdeutung einer Politik, die zwangsläufig komplexer sein müsse als die französische Politik.

Source : PA AA, [s.l.]. B 150 Akten zur Auswärtigen Politik der Bundesrepublik Deutschland.

Suggestions d’activités

Relevez dans le discours de Pompidou une phrase qui rappelle à son interlocuteur que l’Ostpolitik ne doit pas remettre en cause les fondements du traité.

Pour les germanistes et les classes européennes, relevez dans le discours de Brandt les phrases qui sont prononcées pour rassurer le partenaire français.

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Valéry Giscard-d’Estaing et Helmut Schmidt, 1974-1981

C’est à quelques jours de distance que les deux chefs de l’exécutif entrent en fonction. Bien qu’appartenant à des familles politiques différentes, le social-démocrate Schmidt et le libéral Giscard ont laissé l’image d’un couple presque parfait, agissant d’un commun accord pour résoudre les problèmes monétaires et harmoniser les politiques économiques.

La mise en place du système monétaire européen

Le système monétaire européen (SME), 1979

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne ou sur : www.ina.fr/fresques/jalons/fresque/recherche/themes/ll/Relations%20internationales$Construction%20europ%C3%A9enne%20?video=InaEdu01631

Source : ina.fr.

Dans cette vidéo des « Jalons » de l’Ina, le reportage télévisé qui explique le mécanisme du SME montre implicitement le rôle majeur des Français et des Allemands dans la relance européenne. Mais au-delà de cette entente bilatérale, c’est bien par rapport au mark que la France, et la majeure partie de l’Europe, se déterminent. Toutes les difficultés économiques de l’époque partent de ce constat : à cause de son instabilité (le « yoyo » des fluctuations), le dollar ne peut plus jouer son rôle de monnaie de référence. Les pays européens dont les échanges sont constitués en grande partie par le commerce intra-européen ont besoin d’une référence commune qui leur soit propre. Le SME a pour conséquence d’établir la valeur des devises européennes les unes par rapport aux autres et au-delà, la performance économique des pays de la communauté. Le jugement est sans appel. C’est bien la République fédérale qui donne le ton et le D-Mark qui assure la solidité du système. Certains économistes vont jusqu’à parler de l’Europe comme d’une « zone mark ».

Le sommet franco allemand d’Aix-la-Chapelle

Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing se rencontrent à Aix-la-Chapelle dans le cadre, désormais familier, des sommets franco-allemands. Outre les problèmes habituels de coopération, il s’agit de régler les divergences de vue sur le fonctionnement du SME et sur le rôle de l’Ecu, avant d’en informer les autres partenaires de la communauté. C’est bien dans le cadre bilatéral, parfois très discrètement, qu’a été conçu et mis au point le SME. Les réunions européennes ont été précédées de rencontres bilatérales. Le président français en fait presque l’aveu dans la conférence de presse finale.

Une zone de stabilité monétaire pour l’Europe

Le troisième sujet était sans doute le plus important et c’était la contribution que nous pouvions apporter à la création de cette zone de stabilité monétaire en Europe, zone à laquelle nous sommes, vous le savez, très profondément attachés, le chancelier Schmidt et moi-même. Je dois vous dire que sur ce point, l’esprit de Charlemagne a soufflé sur nos travaux. En effet, on peut résumer le progrès concernant la création de cette zone en en rappelant les détails. À Copenhague, nous avons fixé les objectifs au sein du Conseil européen. À Brême, nous avons adopté en commun les principes de l’organisation de cette zone. Et depuis la réunion de Brême, nous nous préoccupons des mécanismes. La réunion d’Aix-la-Chapelle a permis d’étudier de façon approfondie les problèmes qui se posent concernant les mécanismes, et de faire apparaître qu’il y avait sur ces problèmes des vues semblables entre les deux partenaires allemand et français. Ces mécanismes vont être examinés à partir de lundi au sein du Conseil des Communautés et je suis persuadé que nous serons à même d’apporter une contribution significative pour l’adoption d’un système commun.

Déclaration de Valéry Giscard d’Estaing à la conférence de presse du sommet d’Aix-la-Chapelle, le 14 septembre 1978.

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Helmuth Kohl et François Mitterrand, 1982-1995

Le chancelier chrétien-démocrate et le président socialiste français viennent de familles politiques différentes ; les deux hommes divergent sur les conceptions économiques. C’est pourtant au cours de cette période que les deux pays s’entendront pour décider ensemble d’engager l’Europe sur la voie de l’Union par l’adoption de l’Acte unique et du traité de Maastricht. C’est aussi ensemble qu’ils sortiront de la guerre froide et accompagneront l’Allemagne réunifiée.

Le discours de François Mitterrand au Bundestag, 20 janvier 1983

De fait, après la signature du traité, s’est ouverte une période dans les relations internationales, et notamment dans les relations Est-Ouest, qui a conduit nos deux pays à décider des choix nouveaux : l’indépendance stratégique pour la France, les traités avec les pays de l’Est pour la République fédérale d’Allemagne. Ces choix n’étaient pas antinomiques. Loin de là, mais ils auraient pu comporter, si les responsables de l’époque n’y avaient veillé intelligemment, heureusement, mais ils auraient pu comporter des risques pour la coopération franco-allemande. Ils ont au contraire suscité des consultations intensives. […] Notre analyse et notre conviction, celle de la France, sont que l’arme nucléaire, instrument de dissuasion, qu’on le souhaite ou qu’on le déplore, demeure la garantie de la paix, dès lors qu’il existe l’équilibre des forces. Seul cet équilibre, au demeurant, peut conduire à de bonnes relations avec les pays de l’Est, nos voisins et partenaires historiques. Il a été la base saine de ce que l’on a appelé la détente. Il vous a permis de mettre en œuvre votre « ostpolitik ». Il a rendu possible les accords d’Helsinki. Mais le maintien de cet équilibre implique à mes yeux que des régions entières d’Europe ne soient pas dépourvues de parade face à des armes nucléaires spécifiquement dirigées contre elles.

Source : france-allemagne.fr.

À l’occasion du 20e Anniversaire du traité de l’Élysée, François Mitterrand prononce au Bundestag un discours dont le sujet principal est la position française dans la crise des euromissiles qui menace de faire de l’Europe un champ de bataille entre les deux Grands. Le président français réaffirme sa solidarité avec l’Allemagne et la fermeté de son engagement avec l’Otan. Cette déclaration de solidarité sera très appréciée par les partenaires occidentaux.

Les cérémonies de Verdun, une image forte de l’entente franco-allemande

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne ou sur : www.ina.fr/fresques/jalons/liste/recherche/simple/Verdun?video=InaEdu00202.

Source : ina.fr.

Après avoir levé toutes les incertitudes sur le soutien français dans la crise des euromissiles, il fallait aux deux hommes d’États un symbole fort, une image médiatique, qui indique aux opinions publiques la volonté commune de continuer la politique de coopération. Le 70e Anniversaire de la guerre de 1914 en fut l’occasion. À Verdun, les deux hommes se tiennent la main alors qu’ils se recueillent devant les victimes de la bataille. C’est aussi une manière de préparer l’opinion à d’autres initiatives. Allemands et Français travaillent à ce qui sera bientôt présenté aux autres partenaires : l’Acte unique européen.

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Défilé de la brigade franco-allemande à Reims en 2012

Cérémonie du Cinquantenaire de la réconciliation franco-allemande célébrée par le président français François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel le 8 juillet 2012. © Sipa.

Lors des cérémonies officielles – les commémorations ou d’autres opérations communes –, la brigade franco-allemande fait désormais partie du paysage « naturel » des relations entre les deux pays. Sa création est pourtant récente et la démarche originale.

Création de la brigade franco-allemande et de l’Eurocorps, 22 mai 1992

La fin de la guerre froide et la réunification allemande ont créé de nouvelles conditions pour l’organisation et l’emploi des forces armées en Europe. La nouvelle doctrine militaire de l’Europe de l’Ouest sera définie un mois plus tard dans un texte connu sous le nom des « Missions de Petersberg 3 ». Une fois encore, les partenaires franco-allemands prennent les devants en organisant une brigade franco-allemande, partie prenante d’un Eurocorps.

La brigade franco-allemande, moteur de l’Eurocorps

Sur la base des propositions détaillées, formulées par les deux ministres de la Défense, le Conseil a décidé de créer une grande unité à vocation européenne et d’engager la phase de montée en puissance. La mise sur pied de ce Corps contribuera à doter l’Union européenne d’une capacité militaire propre, et manifeste la volonté des États participant au Corps d’assumer, dans le cadre d’une Union européenne comprenant à terme une politique de défense commune, […] Les missions du Corps européen s’inscrivent dans le cadre de l’Union européenne, dans le respect des limites constitutionnelles nationales et des dispositions de la Charte des Nations unies. Le Corps pourra être employé pour la défense commune des alliés, en application de l’article 5 du traité

3. www.bruxelles2.eu/defense-ue/defense-ue-droit-doctrine-politique/declarationdepetersbergueo-bonn-19juin1992.html.

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de Washington ou du traité de Bruxelles. Il pourra également se voir confier des missions de maintien ou de rétablissement de la paix, et être engagé dans le cadre d’actions humanitaires. Un état-major de montée en puissance sera mis sur pied à partir du 1er juillet 1992. La disponibilité opérationnelle du Corps, au moins pour les unités françaises et allemandes, est prévue pour le 1er octobre 1995.

Sommet de La Rochelle, 22 mai 1992, extrait du communiqué de presse.

Gerhard Schroeder et Jacques Chirac, 1998-2005

Cette période des relations franco-allemandes est marquée par la poursuite des engagements précédents, notamment l’introduction de l’euro comme monnaie commune et la poursuite de l’élargissement de l’Union européenne aux pays de l’ancien bloc de l’Est. En ce qui concerne les relations internationales, la France et l’Allemagne ont entraîné une partie de leurs partenaires européens dans le refus de soutenir l’intervention militaire des États-Unis en Irak.

Discours de M. Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères, devant l’Assemblée nationale à Paris, 20 janvier 1999

Les relations entre la France et l’Allemagne sont tout à fait particulières ; elles sont même uniques. Les ennemis héréditaires depuis des siècles et jusque dans notre époque moderne sont devenus non seulement de bons et pacifiques voisins, mais aussi des amis et des partenaires dont les rapports se sont avérés être le moteur de l’intégration du continent tout entier […]

Le 1er janvier 1999 a été, après le 9 novembre 1989 – le jour de la chute du Mur de Berlin –, la deuxième date historique pour l’Europe en cette fin de siècle. L’introduction d’une monnaie commune, la première depuis l’empereur romain Dioclétien, n’est pas en premier lieu un acte économique, mais avant tout un acte souverain et donc éminemment politique. En communautarisant sa monnaie, l’Europe s’est également décidée en faveur d’un chemin autonome vers l’avenir et en faveur d’un rôle autonome dans le monde de demain. Or, l’Union n’a à ce jour que partiellement le caractère d’un sujet politique. C’est pourquoi la communautarisation de la monnaie va engendrer vis-à-vis des structures communautaires manquantes aux plans politique et démocratique une tension dont la dynamique ébranlera prochainement l’actuel statu quo. Ce « choc fédérateur », comme on dit en France, qui émanera de l’euro, nous devrons l’exploiter ensemble énergiquement pour renforcer la capacité d’action politique de l’Union et orienter ses structures intérieures vers les nouvelles tâches. Selon moi, l’Union européenne devra se préoccuper à l’avenir de quatre grandes tâches : la modernisation du contrat social européen, l’élargissement aussi rapide que possible de l’Union, le renforcement de sa capacité d’action politique et l’amélioration de sa légitimation démocratique. L’Allemagne et la France doivent se concentrer maintenant sur la gestion de ces défis, non pas sous forme d’une entente exclusive, mais sous forme d’une entente élémentaire, car nous nous sommes toujours considérés comme animateurs et catalyseurs dans le cercle de nos partenaires.

Source : france-allemagne.fr.

C’est la première fois qu’un homme politique issu du mouvement écologiste « die Grünnen » occupe la responsabilité des affaires étrangères dans un gouvernement allemand. Il s’adresse aux parlementaires français pour donner sa conception de la coopération franco-allemande en Europe. Le discours a été prononcé en allemand, le texte ci-dessous est extrait de la traduction officielle qui a été remise aux parlementaires.

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Suggestions d’activités

En quoi la personnalité de Joschka Fischer, comme chef de la diplomatie allemande, est-elle une nouveauté (vous pouvez faire une recherche sur Internet) ?

Pourquoi, selon lui, l’introduction de l’euro est-elle une mesure plus politique qu’économique ?

Comment définit-il le rôle de tandem franco-allemand par rapport à l’Europe ? D’après ce que vous savez, les dirigeants français ont-ils la même vision (cherchez dans les documents précédents pour répondre) ?

Un chancelier allemand présent à la commémoration du Débarquement de Normandie, le 6 juin 2004

Voir l’extrait vidéo dans le dossier « Pour mémoire » en ligne ou sur : www.ina.fr/art-et-culture/musees-et-expositions/video/R09222714/ceremonies-franco-allemandes-au-memorial-de-caen.fr.html.

Source : ina.fr.

Discours prononcé par le chancelier Gerhard Schröder, le 6 juin 2004 à Caen au Mémorial de la paix

Monsieur le président de la République, Monsieur le Premier ministre, Mesdames, Messieurs, Chers concitoyens européens,

Il y a soixante ans aujourd’hui, Caen et la Normandie étaient le théâtre de souffrances incommensurables et des dizaines de milliers de victimes jonchaient ce sol, ce même sol sur lequel de vaillants soldats déployaient leur courage pour libérer l’Europe. Le souvenir que la France garde du 6 juin 1944 est différent de celui de l’Allemagne et pourtant, ce souvenir a fait naître chez les uns et les autres le même sentiment : nous sommes convaincus que nous voulons la paix. Nous, Allemands, savons qui sont les auteurs criminels de la guerre. Nous sommes conscients de notre responsabilité face à l’Histoire et nous l’assumons. […]

Les objectifs démocratiques auxquels nous aspirons sont la liberté, la justice et une vie digne pour tous, dans la paix, sans haine religieuse, sans arrogance nationale ni aveuglement politique. Dans la réalisation de ces objectifs, nous avons pour atouts l’héritage des Lumières, la tolérance et la beauté consolatrice de la culture européenne. Préserver ces objectifs a été et reste la mission que nous dicte le 6 juin 1944. L’Europe a tiré les leçons du passé et je tiens à dire que nous, Allemands, nous les acceptons dans toute leur réalité. […]

Le renversement de la dictature hitlérienne a été l’œuvre des alliés à l’Ouest et à l’Est. Nous n’oublions pas non plus les millions de personnes victimes des nazis en Europe de l’Est, ni les femmes et les hommes des pays de l’Alliance occidentale, ni les soldats russes qui ont donné leur vie pour la libération de leur patrie. Personne n’oubliera jamais l’histoire horrible de la dictature hitlérienne qui a duré douze ans. Ma génération a grandi dans son ombre. Il n’y a que quatre ans que ma famille a retrouvé la tombe de mon père, soldat mort en Roumanie. Je ne l’ai jamais connu. Mesdames, Messieurs, Ce n’est pas l’ancienne Allemagne de ces années sombres que je représente ici aujourd’hui. Mon pays a retrouvé sa place au sein de la communauté des peuples civilisés. […] La construction d’une démocratie prospère et stable a demandé beaucoup de temps. En 1989, les citoyens de l’Allemagne de l’Est ont réussi, dans une révolution pacifique, à renverser la dictature communiste pour instaurer la liberté et réaliser l’unité. Mais, si nous avons pu mener à bien la réunification de notre pays, c’est aussi grâce à la France qui nous a tendu la main, en faisant preuve de générosité et de sagesse politique. Cette journée du 6 juin 2004 nous offre une bonne occasion d’en remercier la France et ses alliés. Pour renverser la dictature hitlérienne, il a fallu des patriotes et des soldats. C’est précisément parce que nous le savons, nous Allemands, que nous ne sommes pas pacifistes. Mais nous ne voulons pas non plus employer les moyens militaires à la légère. Toutefois, dans les cas où l’intervention militaire a été et reste nécessaire, l’Allemagne ne recule pas devant la responsabilité qui lui incombe pour défendre la paix et les Droits de l’homme. […]

Source : france-allemagne.fr.

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Suggestions d’activités

Expliquez en quoi ce moment de commémoration est émouvant pour les participants et pour le chancelier Schroeder.

Expliquez la phrase soulignée dans le discours ; en quoi fait-elle référence aux leçons du passé ? Que sous-entend-elle sur la politique de Défense de l’Allemagne ? (Vous pouvez vous aider des autres documents présents dans ces pages).

Nicolas Sarkozy-Angela Merkel – François Hollande-Angela Merkel, 2007-2012

Nicolas Sarkozy et Angela Merkel

Rencontre entre le nouvellement élu président de la République française Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel le 16 mai 2007, à Berlin. © Reuters/Guido Bergmann/Bundesregierung.

François Hollande et Angela Merkel

Rencontre entre le nouvellement élu président de la République française François Hollande et la chancelière allemande Angela Merkel le 15 mai 2012, à Berlin. © Reuters/Jacky Naegelen.

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Ces deux photos sont révélatrices des rapports installés par la coopération entre les deux pays. Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012, le jour même de leurs investitures respectives, se rendent à Berlin pour une visite officielle à la chancelière Angela Merkel. C’est une tradition qui se met en place. La première sortie officielle d’un président français hors de son territoire est à destination de Berlin. Au-delà des appartenances politiques des uns et des autres, la nécessité d’agir et de faire avancer les dossiers communs l’emporte sur toute autre considération. Depuis 2008, la crise financière internationale et les difficultés européennes liées à l’ampleur de la dette publique mettent à l’épreuve la solidité des relations et commandent une concertation permanente. Malgré les divergences et le choc des personnalités, la relation impose d’aller de l’avant. Le 4 février 2010, l’agenda franco-allemand 2020 a été adopté, qui fixe pour les dix ans à venir une feuille de route pour tous les projets et actions à réaliser. L’esprit qui y préside s’inscrit bien dans la tradition de coopération bilatérale des États et de renforcement des liens entre les sociétés civiles (voir le texte ci-dessous).

Extraits du préambule de l’Agenda franco-allemand 2020

Depuis soixante ans, la réconciliation franco-allemande a permis que s’établisse entre nos deux pays une coopération unique et exemplaire, fondée sur notre conscience de la responsabilité partagée de nos deux pays vis-à-vis de l’Europe et inspirée par la volonté d’agir comme moteur de la construction européenne. Au cours des décennies successives, le partenariat franco-allemand fondé sur des valeurs communes, un patrimoine culturel commun et des liens étroits entre les réseaux dans le domaine de la société civile, a été capable d’évoluer pour apporter des réponses adaptées aux défis auxquels étaient confrontés nos deux pays. […]

Nous voulons que la coopération franco-allemande, dont nous sommes les dépositaires et que nous avons le devoir d’approfondir, se renforce et s’étende. Nous sommes convaincus que l’entente étroite entre nos deux pays doit reposer davantage sur le développement des liens entre les deux sociétés civiles, notamment le développement des échanges entre les jeunes des deux pays. L’éducation, la formation et la recherche sont d’une importance primordiale pour notre avenir et nous sommes résolus à y travailler ensemble. Le renforcement concret des liens entre les sociétés civiles française et allemande sera une priorité de notre coopération bilatérale au cours des années qui viennent.

Source : france-allemagne.fr.

Suggestion d’activité L’Agenda définit six domaines d’actions pour lesquels des projets sont envisagés. Choisissez pour chacun des domaines ci-dessous un projet qui vous paraît être important et réalisable. 1. Économie, finances et emploi 2. Énergie, climat et biodiversité 3. Croissance, innovation, recherche, éducation et enseignement supérieur 4. Politique étrangère, défense, sécurité 5. Rapprochement de nos citoyens 6. Cadre institutionnel

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Une amitié « par le haut et par le bas »

Les institutions franco-allemandes et les réalisations

En cinquante ans d’existence et de pratique, le traité de l’Élysée a fait preuve d’une grande souplesse ; des ajouts et des transformations ont permis de l’adapter aux besoins et aux bouleversements politiques de l’Europe et du monde, sans en changer l’esprit. D’autre part, les liens et les domaines coopératifs se sont multipliés. Un exemple au niveau institutionnel : les rencontres dites de « Blaesheim ». Instaurées en 2001, elles permettent aux deux chefs d’État de se rencontrer dès qu’ils en ressentent le besoin, de manière informelle et sans ordre du jour. Elles illustrent bien l’étroitesse des liens et la plasticité des institutions communes. Les échanges et la coopération ne se limitent pas à l’exécutif, ils sont également vivants aux autres échelons du pouvoir et de l’administration entre les parlementaires, les régions et les Länder, sans oublier les jumelages de villes particulièrement nombreux entre les deux pays. Concernant la société civile, la mise en place, dès 1963, de l’Office franco-allemand de la jeunesse (Ofaj) réalise les souhaits exprimés par le général de Gaulle dans son discours à la jeunesse de Ludwigsburg. L’engagement à la « connaissance de l’autre » est soutenu à travers les voyages et les échanges scolaires et universitaires. L’originalité de la relation franco-allemande est d’avoir su organiser une coopération et des échanges amicaux « par le haut et par le bas ».

Schéma de fonctionnement des institutions franco-allemandes

1. Les organes de décision

Sommets franco-allemands

Rencontres bisannuelles entre les chefs d’État depuis 1963.

Rencontres de Blaesheim 4

Le chancelier et le président se rencontrent de manière informelle tous les deux mois

ou plus, selon les besoins.

Le sommet du 40e Anniversaire du 22 janvier 2003 a décidé de remplacer les sommets par le dispositif suivant.

Conseils des ministres franco-allemands Deux rencontres par an pour établir et coordonner les politiques communes.

Secrétaires généraux pour la coopération franco-allemande Postes occupés par les deux ministres chargés des Affaires européennes.

Ils favorisent la concertation gouvernementale et le rapprochement des sociétés civiles.

2. Les organes de coopération

la Plénipotentiaire de la République fédérale d’Allemagne chargée des relations culturelles franco-allemandes (depuis 1963)

l’Ofaj : Office franco-allemand pour la jeunesse (juillet 1963) le CFADS, Conseil franco-allemand de défense et de sécurité (1988) le Ceffa, Conseil économique et financier franco-allemand (1988) le Conseil franco-allemand de l’environnement (depuis 1989) la Coopération entre les parlements français et allemand (le 22 janvier 2003, une séance commune de

l’Assemblée nationale et du Bundestag s’est tenue à Versailles) l’Agenda 2020 (créé en 2003, il élabore des projets communs pour l’Europe)

la Journée franco-allemande, le 22 janvier (depuis 2003) le prix De Gaulle-Adenauer, le 22 janvier (1988) la chaîne de télévision Arte la brigade franco-allemande

4. Le nom de ces rencontres est celui du village alsacien où a eu lieu la première rencontre le 31 janvier 2001.

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La coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité : la BFA

Au sommet de Karlsruhe, en 1987, le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl décident de créer une unité mixte franco-allemande. La brigade franco-allemande (BFA) est mise en service trois ans plus tard. En 1993, elle est intégrée dans l’Eurocorps. La BFA a participé à des opérations militaires en Macédoine, en Bosnie (Sfor) et au Kosovo (Kfor) ; elle est aussi présente en Afghanistan (Isaf). D’autres missions à caractère humanitaire et environnemental l’ont engagé, comme l’assistance aux populations lors du naufrage du pétrolier Erika (2000) ou des inondations

suite à la crue de l’Elbe (2002). Pour plus d’information, on peut consulter le site de la BFA : www.df-brigade.de.

Carte de la répartition des unités de la BFA

Le jaune correspond à des unités allemandes, le gris aux françaises et le vert aux unités binationales. L’État-major est installé à Müllheim, dans le Bade-Wurtemberg.

Source : Brigade franco-allemande, www.df-brigade.de.

Suggestion d’activité

Que remarquez-vous sur l’implantation géographique des unités de la BFA, en quoi sont-elles symboliques de l’esprit du traité de l’Élysée ?

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Un cas particulier : les jumelages franco-allemands

Les jumelages de villes allemandes et françaises sont exemplaires de la volonté d’échange et de coopération des sociétés civiles. Comme le rappelle l’historienne Corinne Defrance dans un article passionnant : « Aujourd’hui, on dénombre près de deux mille cinq cents jumelages entre des villes et collectivités territoriales françaises et allemandes et plus des trois quarts de la population française et allemande vit dans une commune jumelée avec une commune du pays partenaire. » L’historienne remarque que le mouvement ne doit rien à de Gaulle et Adenauer et qu’il a précédé le traité de l’Élysée et le rapprochement par le haut. Au contraire : « C’est à la base que les forces profondes sont à l’œuvre et qu’il faut rechercher les facteurs et les étapes du processus de rapprochement et de réconciliation franco-allemand. En effet, la réconciliation ne peut être décrétée. De Gaulle et Adenauer auraient-ils pu signer le traité de l’Élysée si les mentalités françaises et allemandes n’avaient auparavant évolué considérablement 5 ? » En mai 1950, à Stuttgart est fondé l’UIM, l’Union internationale des maires. Dans un contexte où résonne le discours de Robert Schuman sur l’Europe, deux villes décident de se jumeler.

Le premier jumelage Montbéliard-Ludwigsburg

Montbéliard avait aussi la particularité d’être administrée par une personnalité, Lucien Tharradin, ayant la conviction de la nécessité du rapprochement franco-allemand et la légitimité pour l’entreprendre : il était ancien prisonnier de guerre, résistant et déporté à Buchenwald […]

Lucien Tharradin, le maire de Montbéliard, confia en 1950 : « Se regarder toujours, de part et d’autre du Rhin, en grinçant les dents, le doigt sur la détente du fusil, prêts à mettre le feu au monde, n’est pas une existence raisonnable pour les deux peuples. […] On ne construit rien sur la haine, et ceux qui se montrent maintenant les plus intransigeants, sont peut-être ceux qui rampaient le mieux devant les oppresseurs. »

Source : Corine Defrance, op. cit.

Essor et limites des jumelages franco-allemands

L’année 1958 marque un point d’inflexion et c’est à partir de cette date que les jumelages franco-allemands prirent véritablement leur essor. Jusqu’à la signature du traité de l’Élysée, le nombre d’accords de partenariat fut multiplié par plus de cinq. On en dénombrait cent trente en avril 1963. Ces chiffres prouvent que le phénomène des jumelages était largement engagé avant la conclusion du traité. Le travail réalisé à la base par la société civile et la lente transformation des mentalités qui en était résulté avait même rendu possible la signature d’un tel acte par les chefs d’État et de gouvernement. Selon Alain Poher, le traité de 1963 fut « la suite logique des premières initiatives de rapprochement tentées dans le cadre des jumelages ». En 1969, le nombre des jumelages dépassait les quatre cents. En 1981, on fêta le millième. Les jumelages comme les rencontres bilatérales furent donc incontestablement stimulés par le traité et surtout par la création de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) fondé en juillet 1963 qui disposait de fonds spécifiques pour soutenir leur développement. Globalement, les années 1950 constituent la période « inter-européenne » et majoritairement franco-allemande des jumelages. À partir des années 1960 et 1970, d’autres types de jumelages furent en vogue : les jumelages Est-Ouest, puis les jumelages Nord-Sud. D’aucuns relèvent alors un certain essoufflement qualitatif des jumelages franco-allemands. Hans Manfred Bock en voit l’une des causes dans le « partage des tâches » qui s’était instauré dans l’après-guerre : aux jumelages, les contacts locaux, et aux grandes organisations médiatrices, le travail de

5. Corine Defrance, « Les jumelages franco-allemands. Aspect d’une coopération transnationale », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 99, 3/2008, p. 189-201. Cet article peut être téléchargé dans sa totalité en version PDF sur le portail de revues de sciences humaines et sociales Cairn : www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2008-3-page-189.htm.

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réception, d’analyse, de compréhension de la culture de l’autre pays, de travail avec les élites, sans qu’il y ait véritablement d’interactions entre eux. Cette séparation des tâches n’aurait pas permis aux jumelages de développer tout leur potentiel pour une « Europe par en bas ».

Source : Corine Defrance, op. cit.

Suggestion d’activité Il existe dans une commune proche de chez vous un jumelage franco-allemand. De la même façon, votre département et votre région ont aussi des liens de coopération. Pour le savoir, vous pouvez vous rendre sur l’un des sites proposés ci-dessous. Constituez ensuite une fiche sur le contenu du jumelage (date de création, contenu, projets, échanges, etc.).

Pour les communes : www.diplomatie.gouv.fr/fr/enjeux-internationaux/cooperation-decentralisee/atlas-francais-de-la-cooperation/article/acces-a-atlas. Un atlas vous permet d’accéder à votre commune et d’explorer le contenu du jumelage :

Pour les départements : www.france-allemagne.fr/La-cooperation-departementale,2463.html

Pour les régions : www.france-allemagne.fr/La-cooperation-regionale,1154.html

On peut aussi consulter le livre numérique de l’Ofaj consacré aux jumelages : www.ofaj.org/sites/default/files/flipbook/Infobrief_01-2012/HTML/index.html#/16/

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L’Ofaj, organisme de coopération de la jeunesse franco-allemande

Dès l’origine, le rapprochement franco-allemand a concerné la jeunesse des deux pays, selon la volonté des deux signataires du traité de l’Élysée. À Ludwigsburg, de Gaulle s’était adressé à la jeunesse allemande en allemand. Adenauer à lui aussi reçu de jeunes Français à de nombreuses occasions. L’Office franco-allemand de la jeunesse est né en même temps que le traité. L’accord prévoyait la création d’un organisme chargé de soutenir et de développer les échanges entre les jeunes de la RFA et de France. Pour autant, les premières initiatives dans ce domaine avaient vu le jour au début du XX

e siècle et avaient repris dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les premières rencontres de jeunesse franco-allemandes eurent lieu dès 1945, dans la zone d’occupation française, et plusieurs organisations œuvraient déjà en ce domaine, comme par exemple – mais ils ne sont pas les seuls – le Comité français d’échanges avec l’Allemagne nouvelle, fondé en 1948 par Emmanuel Mounier et dirigé par Alfred Grosser, ou bien le Bureau international de liaison et de documentation (Bild, www.bild-documents.org), qui proposent des rencontres et des échanges à la jeunesse des deux pays. L’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj–DFJW) prévu dans le traité franco-allemand du 22 janvier 1963 fut créé par l’accord portant création de l’Ofaj qui entra en vigueur le jour de sa signature, le 5 juillet 1963. L’article 2 de l’accord initial stipule : « L’Office a pour objet de resserrer les liens qui unissent les jeunes des deux pays, de renforcer leur compréhension mutuelle et, à cet effet, de provoquer, d’encourager et, le cas échéant, de réaliser des rencontres et des échanges de jeunes. » L’Ofaj peut être considéré comme une des plus belles réussites concrètes directement issues du traité de l’Élysée.

La création de l’Ofaj

En 2008, l’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) fêtait son 45e anniversaire. Fondé le 5 juillet 1963, l’Ofaj a permis à plus de huit millions de jeunes Français et de jeunes Allemands de se rencontrer et de parfaire leur connaissance de la langue et de la culture de l’autre. Cela signifie que plus de 200 000 jeunes ont participé, en moyenne annuelle, à plus de 11 000 rencontres. L’accord du 5 juillet 1963 stipulait que la mission de l’Ofaj était de « resserrer les liens qui unissent les jeunes des deux pays » et de « renforcer la compréhension mutuelle ». Le nouvel accord de 2006 a changé la lettre, mais non l’esprit de notre mission. Avec la création de l’Ofaj, le général de Gaulle et le chancelier Adenauer voulurent donner un signe fort : ils confiaient à la jeunesse la tâche d’approfondir les relations entre la France et l’Allemagne, condition indispensable à une coexistence pacifique en Europe.

Source : www.ofaj.org/histoire (textes des accords du 5 juillet 1963 et de 2005 accessibles).

Pour en savoir davantage sur les origines et la mise en place de l’Ofaj, il est utile de consulter également les deux ouvrages consacrés à l’histoire de cet organisme en 2003 et 2008, à l’occasion de son 40e, puis de son 45e anniversaire :

Hans Manfred Bock (Hrsg.), Deutsch-französische Begegnung und europäischer Bürgersinn, Studien zum Deutsch-Französischen Jugendwerk 1963-2003, Leske+Budrich, Opladen, 2003 ;

H. M. Bock, C. Defrance, G. Krebs et U. Pfeil (dir.), Les Jeunes dans les relations transnationales, l’Office franco-allemand pour la jeunesse, 1963-2008, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2008. Parmi les très nombreuses actions menées en direction de la jeunesse des deux pays, on peut retenir quelques exemples.

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Voltaire, Sauzay, Heine…

… autant de noms aujourd’hui évocateurs de voyages, d’échanges et de rencontres. En effet, dès sa création, l’Ofaj a eu pour mission de soutenir la réalisation des échanges scolaires en groupes et des échanges individuels de jeunes Français et Allemands. Son action s’étend notamment aux domaines suivants : « a) rencontres et échanges d’écoliers, d’étudiants et de jeunes travailleurs. » Ce domaine est ainsi resté prioritaire dans les accords successifs de 1973 et 1983. L’accord sur l’Office franco-allemand pour la jeunesse du 26 avril 2005, remplaçant l’accord du 25 novembre 1983, rappelle comme suit l’objet de l’Ofaj : « L’Office encourage et soutient des rencontres et des échanges dans les secteurs scolaires et extrascolaires, et, le cas échéant, il les réalise lui-même. Il peut également soutenir des programmes d’échanges avec des pays tiers. » Par la suite, l’Ofaj a adapté son action – celle de l’apprentissage de l’allemand en France et du français en Allemagne – à l’évolution du public scolaire, en choisissant d’élargir le public cible (en ouvrant aux établissements professionnels par exemple), de s’ouvrir à d’autres types de rencontres (en tiers-lieu, autour de la pédagogie de projet). Il a aussi dû accompagner de nouveaux dispositifs, comme le développement des sections européennes en France depuis 1992 et des sections bilingues de français en Allemagne, puis celui des sections Abibac, créant de nouveaux besoins. Les nouveaux programmes d’échanges mettent en valeur la pédagogie de projet et l’interdisciplinarité. Le concours de journalisme « Les jeunes écrivent l’Europe / Schüler machen Zeitung » en est un bon exemple.

Le concours de journalisme franco-allemand

L’Office franco-allemand pour la jeunesse (Ofaj) a organisé à huit reprises le concours franco-allemand « Les jeunes écrivent l’Europe » avec le soutien de la Fondation Robert-Bosch et en coopération avec l’Association Région Presse Enseignement Jeunesse (Arpej). Après ces huit années d’existence, riches en échanges et en expérience, le concours « Les jeunes écrivent l’Europe » s’est achevé : il a permis à plus de 10 000 collégiens et lycéens de se rencontrer et de travailler ensemble autour d’une thématique européenne et de produire des textes de qualité. L’Ofaj tient à remercier ses partenaires, la Fondation Robert Bosch et l’Arpej.

Source : www.ofaj.org/les-jeunes-ecrivent-l-europe, ou bien directement, sur www.lesjeunesecriventleurope.org.

Suggestions d’activités

Lors de la préparation d’un échange scolaire avec un établissement partenaire en Allemagne, faire rechercher aux élèves ce qu’est un « appariement scolaire » et à quels soutiens il peut ouvrir la voie. Rechercher sur le site de l’Ofaj les autres secteurs qui bénéficient de son soutien financier (www.ofaj.org).

On peut demander aux élèves de répondre aux questions suivantes : – Jusqu’à quel âge peut-on bénéficier de l’aide de l’Ofaj ? – Est-ce qu’il faut être scolarisé pour en bénéficier ? (Et bien non, puisque beaucoup d’associations, de clubs sportifs, de comités de jumelage reçoivent le soutien de l’Ofaj lorsque leurs activités concernent des jeunes.) – Quelles sont les possibilités d’échange offertes aux jeunes professionnels ? – Faut-il être obligatoirement de nationalité allemande ou française pour bénéficier d’un soutien de l’Ofaj ? – Faut-il parler l’allemand pour participer à un programme de l’Ofaj? (Et bien non, puisque l’une des missions de l’Ofaj est justement de promouvoir l’apprentissage de la langue et que certains programmes concernent des jeunes qui n’apprennent pas encore la langue de l’autre.)

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Le développement des programmes d’échanges individuels

Ces dernières années, le développement des programmes d’échanges individuels a permis de multiplier les possibilités d’acquérir une expérience personnelle de la vie dans l’autre pays sur une durée plus ou moins longue (un mois à 6 mois de présence dans l’autre pays) à travers la scolarité et/ou la vie de famille, une intégration plus profonde dans la culture de l’autre. Dans ces programmes, l’Ofaj apparaît comme soutien financier et a de ce fait joué un rôle d’impulsion fondamental. L’expérience Voltaire est même devenue un sujet d’étude pour l’apprentissage de l’interculturalité. Les rapports envoyés par les élèves à la suite de leurs séjours ont fait l’objet d’enquêtes et d’études approfondies pour comprendre l’impact de l’immersion dans la culture de l’autre. Le programme Voltaire a été lancé en 1999-2000, il n’a concerné que 16 élèves la première année, à titre expérimental, puis ses effectifs ont très vite augmenté pour atteindre plusieurs centaines, ce qui représente un gros investissement pour les élèves et leurs familles (six mois passés à l’étranger suivis de six mois de présence du correspondant à la maison), mais un bénéfice très important sur le plan linguistique. Les échanges de moyenne durée, comme ceux du programme Brigitte Sauzay (3 mois) ou du programme Heinrich Heine (3 à 6 semaines) ont également connu un vif succès car leur organisation est moins lourde.

Suggestion d’activité

À partir des ressources proposées sur le site de l’académie (ici Versailles) et sur celui de l’Ofaj, recherchez toutes les possibilités qui s’offrent à un élève qui veut partir en Allemagne, en fonction de son âge et de la durée de séjour souhaitée.

www.ac-versailles.fr/public/jcms/p1_60499/echanges-et-mobilite-des-eleves-des-1er-et-2d-degres Par exemple : – pour partir dans le cadre d’un échange avec sa classe (mobilité collective) www.ofaj.org/echanges-scolaires – pour participer à un projet scolaire avec sa classe www.ofaj.org/reseau-des-projets-scolaires-franco-allemands – pour participer avec une classe à une rencontre en tiers-lieu www.ofaj.org/echanges-en-tiers-lieu – partir seul en Allemagne dans le cadre d’un échange pour 3 à 6 semaines avec le programme Heinrich Heine www.ac-versailles.fr/public/jcms/p1_60562/programme-heinrich-heine-3-a-6-semaines-en-allemagne – pour une durée de trois mois avec le programme Sauzay www.ac-versailles.fr/public/jcms/p1_60561/programme-brigitte-sauzay-3-mois-en-allemagne www.ofaj.org/programme-brigitte-sauzay – pour une durée de six mois avec le programme Voltaire www.ac-versailles.fr/public/jcms/p1_60560/programme-voltaire-6-mois-en-allemagne www.ofaj.org/programme-voltaire – pour passer une année scolaire entière en Allemagne www.ac-versailles.fr/public/jcms/p1_60563/validation-de-l-annee-de-seconde-en-allemagne – pour aller travailler l’été dans la ville jumelée www.ofaj.org/jobs-dans-la-ville-jumelee%20… Et il y a bien entendu encore d’autres propositions à découvrir sur le site de l’Ofaj.

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Le manuel franco-allemand d’histoire

La rédaction d’un manuel franco-allemand d’histoire, utilisé dans des classes françaises et allemandes de lycée et Gymnasium, est le résultat concret de la proposition faite par 500 jeunes Allemands et Français réunis à l’initiative de l’Ofaj à Berlin, le 21 janvier 2003. Les jeunes avaient souhaité avoir la possibilité d’apprendre une histoire commune à partir de manuels communs (voir www.france-allemagne.fr/Abschlusserklarung-des-Deutsch,1682.html).

Présentation des manuels franco-allemands

Après le premier volume du manuel d’histoire franco-allemand disponible depuis 2006 pour les élèves de terminale, le deuxième volume a été présenté à Berlin le 9 avril 2008 et à Paris le 23 avril 2008. À l’occasion de la tenue du Parlement des jeunes, les 500 lycéens français et allemands réunis par l’Ofaj à Berlin le 21 janvier 2003 dans le cadre de la commémoration du quarantième anniversaire du traité de l’Élysée avaient souhaité la création d’un « manuel d’histoire ayant les mêmes contenus pour les deux pays afin de réduire les préjugés causés par la méconnaissance mutuelle ». Ce vœu s’est concrétisé : le premier volume du manuel d’histoire franco-allemand est disponible depuis la rentrée 2006 pour les élèves de terminale (Klasse 12/13 en Allemagne). Ce manuel a été édité par un binôme composé d’un éditeur français (Nathan) et d’un éditeur allemand (Ernst Klett), et s’est vendu à plus de 75 000 exemplaires des deux côtés du Rhin depuis sa parution, en mai 2006.

Source : http://eduscol.education.fr/pid23155-cid45744/manuel-franco-allemand.html.

Das französische Geschichtsbuch

Das deutsch-französischen Geschichtsbuch (DFGB) ist ein zentrales Symbol der deutsch-französischen Freundschaft und ein Leuchtturmprojekt der deutschen wie der französischen Auswärtigen Kultur- und Bildungspolitik. Das DFGB ist ein allgemeines Geschichtsbuch für die Oberstufe (keine Geschichte der deutsch-französischen Beziehungen) und das weltweit erste in zwei Staaten inhaltlich identische Schulbuch. Es wird vom Klett-Verlag auf Deutsch und von den Éditions Nathan auf Französisch in eigener Verantwortung herausgegeben (ist also kein Regierungsschulbuch). Eine deutsch-französische Projektgruppe aus Historikern, Schulbuchexperten und Fachbeamten steuert die Umsetzung des ehrgeizigen Vorhabens. [...] Das Deutsch-Französische Geschichtsbuch stellt mehr dar als ein reines Schulbuch. Junge Deutsche und junge Franzosen lernen aus dem gleichen Lehrwerk die Geschichte ihres eigenen Landes, des Partnerlandes sowie Europas und der Welt. Dieses Projekt von außerordentlicher Symbolkraft soll kommende Schülergenerationen dazu anregen, Geschichte mit anderen Augen zu sehen. Das Buch stellt historische Ereignisse aus verschiedenen Perspektiven dar und überwindet damit ein Geschichtsverständnis, das auf nationalen Sichtweisen beruht. Die Aufmerksamkeit liegt auf Ähnlichkeiten, Unterschieden und Wechselwirkungen, die die jeweils vergleichend betrachtete Entwicklung Deutschlands und Frankreichs verbinden, sie dann in ihren europäischen und schließlich in ihren globalen Zusammenhang stellen. [...]

Source : www.france-allemagne.fr/Das-deutsch-franzosische,1239.html.

Suggestions d’activités

Recherchez dans le texte de la déclaration finale du Parlement franco-allemand des jeunes (18-23 janvier 2003) les raisons pour lesquelles les jeunes ont demandé que ce manuel soit écrit. Quelles étaient leurs autres propositions ?

En recherchant sur le site des éditeurs (www.nathan.fr et/ou www.klett.de, ou sur www.france-allemagne.fr/Das-deutsch-franzosische,1239.html), trouvez les réponses aux questions suivantes : – Comment a-t-on décidé du contenu de ce manuel ? – Était-ce facile de concilier un programme français et les programmes des différents Länder allemands ? – Quels ont été les compromis nécessaires ?

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– Pourquoi était-il important de faire un manuel franco-allemand d’histoire et pas un manuel d’histoire franco-allemande ?

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Les lycées franco-allemands

Les lycées franco-allemands, au nombre de trois, ont été créés par le traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, dans le but de développer la coopération dans le domaine scolaire. La première école, à Sarrebruck, date de 1961. La seconde a ouvert à Fribourg-en-Brisgau en 1972 et vient de fêter son quarantième anniversaire. La création du baccalaurréat franco-allemand, le 10 février 1972, concrétise le projet et un troisième lycée franco-allemand est créé en France en 1975.

Les lycées franco-allemands offrent la spécificité d’évoluer dans un environnement binational et d’obtenir un diplôme ayant l’équivalence d’un baccalauréat français et d’un Abitur allemand, qui permet aux élèves de poursuivre leurs études dans les deux pays. Ces établissements accueillent les élèves depuis la classe de CM2 (après un examen d’entrée) jusqu’à la terminale. Les trois établissements fonctionnent de la même façon et les programmes enseignés résultent d’un accord entre eux. Le lycée franco-allemand de Buc, situé près de Versailles, a été construit en 1981. L’établissement réunit un collège et un lycée, ainsi qu’une école élémentaire franco-allemande, depuis les années 1990. On peut donc y croiser dans les couloirs des élèves de tous les âges, et certains y passent toute leur scolarité jusqu’au bac franco-allemand. Au-delà de l’enseignement bilingue, c’est aussi un lieu où l’interculturalité est vécue au quotidien et au rythme des fêtes, des marchés de Noël et des bonbons de la Saint-Nicolas, ainsi que de nombreuses activités culturelles. Pour en savoir plus

www.france-allemagne.fr/Les-lycees-franco-allemands,2473.html

www.lyc-lfa-buc.ac-versailles.fr/

http://dfg-lfa.org/fr/start/ (Saarbrücken)

www.dfglfa.net/dfg/ (Freiburg)

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Pour aller plus loin

Ressources Scérén

Séquences pédagogiques sur Émilangues : L'Europe depuis la chute du Mur ; La Chute du Mur : entre émerveillement et peurs ; Les programmes d'échanges et de mobilité pour les élèves.

« Les relations franco-allemandes », Éducasources, une sélection de liens institutionnels : www.educasources.education.fr/selection-detail-162563.html.

Aujourd’hui l’Union européenne, coll. « Questions Ouvertes », Scérén, 2012. Aujourd’hui l’Allemagne, coll. Questions Ouvertes, Scérén, 2009.

Bibliographie

Il n’est pas question de donner ici une bibliographie complète de thème, la tâche serait difficile, tant les ouvrages sont nombreux. Quelques titres facilement abordables en tiendront lieu. Pour une recherche plus approfondie on peut consulter les bibliographies établies par des institutions spécialisées.

Bibliographie du Cerfa : www.ifri.org/files/Cerfa/biblio_relationsfrall.pdf Bibliographie de Diploweb.com, revue de géopolitique en ligne : www.diploweb.com/Relations-franco-

allemandes-depuis.html BITSCH Marie-Thérèse (dir.), Le Couple France-Allemagne et les institutions européennes, Bruylant, 2001. DEFRANCE Corinne, PFEIL Ulrich (dir.), Le Traité de l’Élysée et les relations franco-allemandes, 1945-1963-2003,

CNRS, 2005. LEBLOND Laurent, Le Couple franco-allemand depuis 1945. Chronique d’une relation exemplaire, Le Monde

Éditions/Marabout, 1997. MENUDIER Henri, L’Office franco-allemand pour la jeunesse. Une contribution exemplaire à l’unité de l’Europe,

Armand Colin, 1988, 249 p. VON PLESSEN Marie-Louise, Espagne Michel, LEINER Wolfgang, FISCHER Bernard Fischer et alii, Marianne et

Germania. 1789-1889. Un siècle de passions franco-allemandes : [exposition], Paris, Musée du Petit Palais, 8 novembre 1997-15 février 1998, Musée du Petit Palais, 1997.

Sitographie

Les quelques adresses fournies ci-dessous sont très riches et ouvrent de nombreuses portes sur des sujets et des thèmes variés concernant les relations franco-allemandes Le site bilingue de France-Allemagne consacré à l’année France-Allemagne est le site de base, le portail le plus complet pour aborder la question : www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963,0029 Le site de l’Ofaj, une brochure interactive et bilingue sur l’avenir des relations franco-allemandes : www.ofaj.org/sites/default/files/flipbook/infobrief-lettre-d-info-39/index.html#/1 Exposition réalisée par les Archives du ministère des Affaires étrangères. Ce site propose des documents originaux en fac-similé sur les relations franco-allemandes à l’époque du traité de l’Élysée : https://pastel.diplomatie.gouv.fr/editorial/archives/dossiers/elysee/index.html Die deutsch-französische Freundschaft vor dem Hintergrund des europäischen Integrationsprozesses (1950-1963). Ce site est une collection de documents (Album) en allemand et en français sur la relation bilatérale constituée à partir des collections Europan Navigator (ENA.Lu) dans le CVCE (Centre d’étude sur l’Europe) : www.cvce.eu/education/unit-album/-/unit/EXTERNAL_ALBUM/e7939b49-de16-41fa-a2ac-83decb1af2a7 Relations franco-allemandes 1945-1963 propose des caricatures, dessins de presse et vidéos : www.cvce.eu/education/unit-album/-/unit/EXTERNAL_ALBUM/2af4593d-97f5-432b-a8a8-d6b720315732 Histoire des relations franco-allemandes sur le site d’Arte : http://php.arte-tv.com/elysee/chronik/ftext/index.html La Fondation Charles-de-Gaulle consacre un dossier « De Gaulle et l’Allemagne » : www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/de-gaulle-et-le-monde/de-gaulle-et-l-allemagne.php

Documentaire

France-Allemagne, une histoire presque commune, un film de 52 minutes de Bertrand Delais, coproduction Kuiv productions/CNDP, 2013.