LDH Et Autres (Etat d'Urgence)

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Ligue des droits de l'homme LDHétat d'urgenceréféré-libertéPatrice Spinosi

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  • SPINOSI & SUREAU SCP dAvocat au Conseil dEtat

    et la Cour de cassation 16 Boulevard Raspail

    75007 PARIS

    CONSEIL DTAT

    SECTION DU CONTENTIEUX

    REFERE LIBERTE (art. L. 521-2 du code de justice administrative)

    REQUETE ET MEMOIRE

    POUR : 1/ La Ligue des droits de lHomme, dont le sige social est situ 138 rue Marcadet PARIS (75018), prise en la personne de son reprsentant lgal domicili en cette qualit audit sige et dment habilit agir en justice 2/ Mme Franoise DUMONT, ne le 23 juin 1946, de nationalit franaise, domicili au 62, rue Pixricourt Paris (75020), Prsidente de la Ligue des Droits de lHomme 3/ M. Henri LECLERC, n le 8 juin 1934, de nationalit franaise, domicili au 9 alle du Grand Saule Fresnes (94260), Prsident dhonneur de la Ligue des Droits de lHomme

    SCP SPINOSI & SUREAU

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    FAITS I. A la suite des attentats qui ont frapp Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, ltat durgence a t dclar sur le territoire mtropolitain et en Corse compter du 14 novembre 2015 par le dcret n 2015-1475 portant application de la loi n 55-385 du 3 avril 1955. Par dcret n 2015-1476 du 14 novembre 2015, modifi par le dcret n 2015-1478 du mme jour, les mesures prvues aux articles 5, 9 et 10 de la loi du 3 avril 1955 ont t dclares applicables lensemble du territoire mtropolitain et de la Corse. Il en est de mme pour les mesures mentionnes aux articles 6, 8 et au 1 de larticle 11 du mme texte, lesquels renvoient respectivement aux assignations rsidence, aux fermetures provisoires et interdictions de runion, ainsi quaux perquisitions administratives. Le rgime dtat durgence a ensuite t tendu loutre-mer par les dcrets n 2015-1493 et n 2015-1494 du 18 novembre 2015. II. En vertu de larticle 2, alina 3, de la loi du 3 avril 1955, la prorogation de ltat durgence au-del de douze jours ne peut tre autorise que par la loi . Le 18 novembre 2015, un projet de loi prorogeant lapplication de la loi n 55-385 du 3 avril 1955 relative ltat durgence et renforant lefficacit de ses dispositions a t prsent lAssemble Nationale par le Premier ministre et le ministre de lintrieur. Au sein de lexpos des motifs du projet de loi, il a t affirm que la gravit des attentats, leur caractre simultan et la permanence de la menace tablie par les indications des services de renseignement ainsi que le contexte international ont justifi le dclenchement initial de ltat durgence le 14 novembre 2015. A cette occasion, il a galement t soulign que la prorogation de ltat durgence au-del des douze jours du dcret initial tait

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    rendue indispensable par le maintien de la menace un niveau indit sur le territoire national . III. Par la loi n 2015-1501 du 20 novembre 2015, ltat durgence a t prorog sur lensemble du territoire national pour une dure de trois mois compter du 26 novembre 2015. En vertu de larticle 2 de cette loi, lapplicabilit de lensemble des mesures prvues en particulier par les articles 6, 8 et au 1 de larticle 11 de la loi du 3 avril 1955 a t maintenue. IV. Larticle 4-1 de la loi du 3 avril 1955, telle que modifie par la loi du 20 novembre 2015, prvoit dsormais que lAssemble nationale et le Snat sont informs sans dlai des mesures prises par le Gouvernement pendant ltat durgence. Ils peuvent requrir toute information complmentaire dans le cadre du contrle et de lvaluation de ces mesures . Dans ces conditions, le prsident de la commission des Lois de lAssemble Nationale, Jean-Jacques Urvoas, a annonc le 2 dcembre 2015 la mise en place dune veille parlementaire continue pour contrler et valuer lapplication de ltat durgence. A cette fin, sur le fondement de larticle 5 ter de lordonnance n 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assembles parlementaires, la commission des Lois de lAssemble Nationale a obtenu de pouvoir disposer des prrogatives attribues aux commissions d'enqute. Le 10 dcembre 2015, les mmes prrogatives ont t confres la commission des Lois du Snat pour une dure de six mois. V. Aprs une premire communication le 16 dcembre 2015, le Prsident de la commission des Lois de lAssemble Nationale a prsent le 13 janvier 2016 une deuxime communication dtape sur le contrle de ltat durgence (Prod. 1).

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    A cette occasion, des analyses chiffres et un bilan ddis aux mesures administratives prises en application de la loi relative ltat durgence ont t prsents (Prod. 2 et 3). V-1 Dans sa communication du 13 janvier 2016, le Prsident de la commission des Lois a soulign que ces mesures permises par ltat durgence ont donn lieu un usage contrast . Sur la palette de 13 mesures administratives , certaines nont fait lobjet daucune utilisation, ce jour , telle la procdure de blocage des sites provoquant la commission dactes de terrorisme ou en faisant lapologie ou encore la possibilit de placer sous surveillance lectronique mobile des personnes assignes rsidence (Ibid.). Dautres mesures nont t que ponctuellement utilises par les prfectures (institution de zones de protection ; remises darmes des catgories A D dtenues lgalement ; fermeture provisoire de salles de spectacle, dbits de boissons et lieux de runion ; couvre-feu). En outre, certaines mesures administratives ont t dictes en visant les dispositions de la loi du 3 avril 1955 alors quelles pouvaient parfaitement tre prise en temps normal sur dautres fondements juridiques (interdiction de vente dalcool, limitation des dplacements de supporters, etc. Ibid. pp. 2 et 3). En dfinitive, ce sont surtout trois mesures [qui] ont principalement t employes : 3021 perquisitions administratives au 12 janvier (une perquisition en 2005), 381 assignations rsidence ou encore des interdictions de manifester. Pour le moment, ce dernier chiffre na pas t communiqu par le Gouvernement, ce qui est incomprhensible (Ibid. p. 3). V-2 Au regard des donnes collectes, le Prsident de la commission des Lois a soulign que cest essentiellement aux premiers jours de ltat durgence que ces mesures ont t employes.

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    Ainsi, sagissant tout particulirement des perquisitions administratives, elles ont fait lobjet d un usage concentr dans la premire semaine : Ds le 14 novembre, les prfets ont donc t chargs non seulement de cibler des individus et des lieux, mais galement de prvoir les conditions dintervention des forces de scurit. Selon nos statistiques, 907 perquisitions ont t ordonnes, dans les sept jours qui ont suivi les attentats, sur les 2 975 dont nous connaissons la date, soit prs dun tiers de la mise en uvre de ltat durgence sur ce volet. La volont de jouer sur leffet de surprise li la proclamation de ltat durgence et la dstabilisation psychologique des rseaux de dlinquants a t souligne par nombre de nos interlocuteurs (Ibid. p. 4). De mme, il a t soulign que les oprations visant les personnes radicalises et directement lies au terrorisme ont t effectues durant les deux premires semaines de ltat durgence : Globalement, selon nos calculs, la moiti des perquisitions fut conduite partir dlments venant des services de renseignement (SCRT, DGSI). Ce sont souvent ces objectifs qui ont t traits, dans les deux premires semaines et avec lappui des forces spcialises dintervention. Ces perquisitions avaient, selon nos interlocuteurs, pour but de dstabiliser un microcosme radicalis, dviter des rpliques dattentats bnficiant de leffet de sidration post-13 novembre et de sassurer que les individus concerns navaient pas chapp des procdures judiciaires anti-terroristes. Et depuis la priode des ftes de fin danne, nous nobservons plus beaucoup de demandes nouvelles (Ibid., p. 5). Les autres perquisitions, en particulier celles ralises ultrieurement, nont eu quun lien plus indirect avec les raisons qui ont justifi la dclaration de ltat durgence : Pour lautre moiti des perquisitions, dans la quasi-totalit des cas linitiative des services de scurit publique, les objectifs sont nettement moins prioritaires. Pour certains, le rattachement la

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    problmatique de lislam radical se fait par le biais dune inscription au fichier dnomm FSPRT quadministre lUCLAT et qui comprend des personnes dune trs ingale dangerosit. Pour dautres perquisitions, les objectifs poursuivis taient trs explicitement des infractions aux lgislations sur les armes et sur les stupfiants, soit du droit commun. La justification tient alors la porosit souvent voque entre radicalisation, terrorisme ou conomie souterraine (Ibid.). V-3 Ainsi, les donnes collectes rvlent une rduction trs nette du nombre de perquisitions administratives aprs les quinze premiers jours du rgime de ltat durgence. Plus encore, leur usage est devenu rare depuis le 24 dcembre (Prod. 2, Graphique 1). Un mme mouvement est observable concernant les assignations rsidence. A lexception dun lger sursaut aux alentours du 24 dcembre, le recours de nouvelles mesures de cette nature est dsormais extrmement limit (Ibid., Graphique 2). V-4 Selon le Prsident de la commission des Lois, ce net mouvement de dcroissance sexplique par le fait que partout o [les membres de la commission se sont] dplacs, [ils ont] entendu que les principales cibles et les objectifs avaient t traits. De fait, leffet de surprise sest largement estomp et les personnes concernes se sont pleinement prpares elles aussi faire face dventuelles mesures administratives. Ces phnomnes dextinction progressive de lintrt des mesures de police administrative se lisent dailleurs dans les chiffres, qui montrent bien plus quun essoufflement (Prod. 1, p. 9). Aussi, puisque la dclaration de ltat durgence le 14 novembre 2015 tait justifie par la ncessit de dmanteler des groupes susceptibles dagir et [de] neutraliser des individus au comportement menaant (Allocution du Premier ministre lAssemble Nationale, 19 dcembre 2015 Prod. 4), il apparat que tel nest manifestement plus le cas ce jour. VI. Or, si ltat durgence a t prorog pour une dure de trois

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    mois compter du 26 novembre 2015 par la loi du 20 novembre 2015, le lgislateur a galement prvu la possibilit quil y soit mis fin de faon anticipe. Ainsi, selon les dispositions de larticle 3 de la mme loi : Il peut y tre mis fin par dcret en conseil des ministres avant l'expiration de ce dlai. En ce cas, il en est rendu compte au Parlement. Pourtant, ce jour encore, le Prsident de la Rpublique na pas mis un terme ltat durgence. VII. Face cette inertie, les associations requrantes sont contraintes de saisir le juge des rfrs, en application des dispositions de larticle L. 521-2 du code de justice administrative, afin que tout ou partie du rgime de ltat durgence soit suspendu ou, tout le moins, pour quil soit enjoint au Prsident de la Rpublique de procder un rexamen des circonstances de fait et de droit qui ont conduit la mise en uvre de l'tat durgence, ds lors que la persistance injustifie de ce rgime porte une atteinte grave et manifestement illgale de nombreuses de liberts fondamentales.

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    DISCUSSION

    Sur la recevabilit VIII. A titre liminaire, il importe de souligner que les associations requrantes sont bien recevables solliciter la suspension de ltat durgence. En ce qui concerne la comptence du juge des rfrs IX. Premirement, les requrants nignorent pas que lorsquil a t saisi en 2005 dun recours comparable concernant ltat durgence dclar par le dcret du 8 novembre 2005 et prorog par la loi du 18 novembre 2005, le juge des rfrs du Conseil dEtat a rejet comme excdant sa comptence la demande tendant ce quil ordonne la suspension de ltat durgence ainsi dclar, ou dfaut, ce quil enjoigne au Prsident de la Rpublique de prendre un dcret mettant fin l'tat d'urgence (CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). Pour parvenir cette conclusion, le juge des rfrs avait alors soulign que : Si, pour le cas o l'ensemble des conditions poses par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, le juge des rfrs peut prescrire "toutes mesures ncessaires la sauvegarde d'une libert fondamentale", de telles mesures doivent, ainsi que l'impose l'article L. 511-1 du mme code, prsenter un "caractre provisoire" ; qu'il suit de l que le juge des rfrs ne peut, sans excder sa comptence, ni prononcer l'annulation d'une dcision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques ceux qui rsulteraient de l'excution par l'autorit administrative d'un jugement annulant pour dfaut de base lgale une telle dcision ; Or, sagissant des mesures de suspension et dinjonction alors sollicites titre principal, le juge des rfrs a estim quelles auraient la mme porte que l'obligation qui pserait sur l'autorit administrative la suite d'une dcision du Conseil d'Etat statuant au contentieux annulant le refus du Prsident de la Rpublique de mettre

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    un terme l'tat d'urgence au motif qu'il ne peut lgalement s'abstenir de prendre un dcret en ce sens ; que, pour les motifs prcdemment indiqus, le prononc des mesures demandes titre principal par les requrants, qui n'ont pas un caractre provisoire la diffrence de la mesure demande par la voie de conclusions prsentes titre subsidiaire, excde la comptence du juge des rfrs ; qu'en consquence, les conclusions formules titre principal ne peuvent qu'tre rejetes ; IX-3 Toutefois, depuis cette ordonnance du 9 dcembre 2005, la jurisprudence du Conseil dEtat a significativement volu. En effet, le principe selon lequel le juge des rfrs ne peut prescrire que des mesures prsentant un caractre provisoire connat dsormais une exception en particulier au titre du rfr-libert prvu larticle L. 521-2 du code de justice administrative. IX-3.1 Par une ordonnance du 30 mars 2007, tout en rappelant que les dcisions prises par le juge des rfrs n'ont, en principe, qu'un caractre provisoire , le Conseil dEtat a ainsi jug que : Lorsqu'aucune mesure de caractre provisoire n'est susceptible de satisfaire cette exigence, en particulier lorsque les dlais dans lesquels il est saisi ou lorsque la nature de l'atteinte y font obstacle, il peut enjoindre la personne qui en est l'auteur de prendre toute disposition de nature sauvegarder l'exercice effectif de la libert fondamentale en cause ; qu'il en va ainsi notamment lorsque l'atteinte rsulte dune interdiction dont les effets sont eux-mmes provisoires ou limits dans le temps (CE, Ord. 30 mars 2007, Ville de Lyon, n 304.053, publi au recueil Lebon). Le juge des rfrs a donc confirm quil lui tait loisible denjoindre une collectivit, sur le fondement de larticle L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre une disposition qui n'avait pas de caractre provisoire en loccurrence, autoriser une association louer une salle municipale , ds lors que seule cette mesure tait mme de permett[re] au juge des rfrs [de] sauvegarder la libert de runion dont il a dcid qu'il y tait gravement port atteinte de manire manifestement illgale (Ibid.).

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    En somme, pour reprendre les mots des commentateurs autoriss, le juge du rfr libert du Conseil d'Etat [] a expressment jug que lorsque aucune mesure provisoire ntait susceptible de faire disparatre les effets de l'atteinte porte la libert fondamentale dont se prvalait le requrant , le juge des rfr peut prononcer une mesure aux effets dfinitifs (Frdric Lenica et Julien Boucher, Champ des mesures ordonnes en rfr : Provisoires, sauf si... , in AJDA, 2007, p. 1237). IX-3.2 Une telle position a t explicite et amplement confirme par le Conseil dEtat dans une dcision rendue le 31 mai 2007 : Il appartient au juge des rfrs, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illgale porte par une personne morale de droit public une libert fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature faire disparatre les effets de cette atteinte ; que ces mesures doivent en principe prsenter un caractre provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la libert fondamentale laquelle il est port atteinte ; que ce caractre provisoire s'apprcie au regard de l'objet et des effets des mesures en cause, en particulier de leur caractre rversible (CE, Ord. 31 mai 2007, Syndicat CFDT Interco 28, n 298.293, publi au recueil Lebon). Ce faisant, toujours selon les commentateurs autoriss, le Conseil dEtat a opportunment livr le mode d'emploi permettant au juge du rfr libert de s'affranchir de la condition formelle de mesure provisoire (Frdric Lenica et Julien Boucher, prcit). IX-4 Or, en loccurrence, il est manifeste que les demandes des requrants relvent prcisment de lexception au principe selon lequel le juge des rfrs ne peut prescrire que des mesures prsentant un caractre provisoire . En effet, il est certes constant que la demande tendant la suspension du rgime de ltat durgence ou ce quil soit enjoint au Prsident de

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    la Rpublique de procder cette suspension ne prsente pas un caractre provisoire, ainsi quil lavait t jug en 2005 (CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). Pour autant, il nest pas moins indniable quen loccurrence, aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la libert fondamentale laquelle il est port atteinte . De fait, seule une suspension en tout ou partie du rgime de ltat durgence est mme de faire cesser les atteintes aux liberts fondamentales et donc dassurer un exercice effectif de celles-ci. Ds lors, et compte tenu de la jurisprudence du Conseil dEtat, le juge des rfrs est ncessairement comptent pour connatre des demandes formules par les requrants titre principal et subsidiaire. X. En tout tat de cause, et supposer mme quil soit un instant possible dadmettre pour les seuls besoins de la discussion que ces demandes ne sont pas recevables, il y aura ncessairement lieu de faire droit la demande prsente trs subsidiairement et qui tend ce quil soit enjoint au Prsident de la Rpublique de procder un rexamen des circonstances de fait et de droit qui ont conduit la mise en uvre de l'tat d'urgence. En effet, ainsi la soulign le Conseil dEtat en 2005, une telle demande prsente quant elle un caractre provisoire (CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). A cette occasion, le juge des rfrs a dailleurs nettement affirm sa propre comptence pour apprcier de la persistance du rgime de ltat durgence : Le silence de la loi sur les conditions de mise en uvre de la facult ainsi reconnue au Prsident de la Rpublique [de mettre fin l'tat d'urgence "par dcret en conseil des ministres" avant l'expiration du dlai de trois mois] ne saurait tre interprt, eu gard la circonstance qu'un rgime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui dans un Etat de droit sont par nature limits dans le temps et dans

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    l'espace, comme faisant chapper ses modalits de mise en uvre tout contrle de la part du juge de la lgalit (Ibid.). En ce qui concerne lintrt et la capacit agir des requrants XI. Dune part, sagissant de lassociation requrante dment autorise ester en justice dans la prsente affaire par mandat de sa prsidente en date du 19 janvier 2016 (Prod. 7) , son intrt agir aux fins de solliciter la suspension de ltat durgence ne saurait faire lobjet du moindre doute. XI-1 En effet, il rsulte de larticle 1er, alina 1er, des statuts de l'association requrante (Prod. 8) que la Ligue des droits de l'Homme est destine dfendre les principes noncs dans les Dclarations des droits de lHomme de 1789 et de 1793, la Dclaration universelle de 1948 et la Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme et ses protocoles additionnels () . Larticle 3, alinas 1er, 2 et 3, de ses statuts prcise que : La Ligue des droits de l'Homme intervient chaque fois que lui est signale une atteinte aux principes noncs aux articles prcdents, au dtriment des individus, des collectivits et des peuples. Ses moyens d'action sont : l'appel la conscience publique, les interventions auprs des pouvoirs publics, auprs de toute juridiction notamment la constitution de partie civile lorsque des personnes sont victimes d'atteintes aux principes ci-dessus viss et d'actes arbitraires ou de violences de ta part des agents de l'tat. Lorsque des actes administratifs nationaux ou locaux portent atteinte aux principes viss ci-dessus, la LDH agit auprs des juridictions comptentes . Son intrt agir a frquemment t reconnu devant le Conseil dEtat depuis sa cration (v. rcemment CE, 4 novembre 2015, n 375.178).

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    XI-2 Or, en loccurrence, la prsente requte a trait la mise en uvre et la persistance du rgime de ltat durgence dclar sur le fondement de la loi du 3 avril 1955 et prorog par la loi du 20 novembre 2015, lequel rgime est susceptible demporter une atteinte grave et manifestement illgale des liberts fondamentales garantis par la Constitution ainsi que par les engagements internationaux et europens de la France. Cest dailleurs ce titre que lassociation a pris publiquement position ds le 14 novembre 2014 pour affirmer la ncessit de lutter contre la violence terroriste tout en respectant les droits et liberts menacs par le dclenchement de ltat durgence (v. not. les communiqus de presse du 14, 16, 19, 24, 26 novembre et 1er dcembre 2015). En outre, lassociation a galement pris part aux appels publics tendant ce quil soit mis fin ltat durgence (Confrence de presse du 17 dcembre 2015 et Communiqu du 14 janvier 2016 annonant la manifestation du 30 janvier 2016). Il est donc indniable que les dispositions lgislatives litigieuses ont directement trait lobjet statutaire de lassociation exposante. XI-3 Lintrt agir de lassociation exposante est dautant moins contestable que depuis la dclaration dtat durgence, elle a initi des recours en annulation devant le Conseil dEtat contre des actes dapplications de la loi du 3 avril 1955 (Requtes n 395.091 et 395.092). A ces occasions, lassociation a dpos trois questions prioritaires de constitutionnalit, dont deux ont t transmises au Conseil constitutionnel concernant les dispositions des articles 8 et 11 I de cette loi (CE, 15 janvier 2016, n 395.091 et 395.092). De plus, par dcision du 11 dcembre 2015, le Conseil dEtat a jug recevable lintervention de lassociation dans le cadre de litiges o fut pose une question prioritaire de constitutionnalit concernant larticle 6 de la loi du 3 avril 1955 (CE, Sect. 11 dc. 2015, n 395.009). Dans cette mme instance, le Conseil constitutionnel a galement admis lintrt spcial de lassociation intervenir (Cons. constit. Dc. n 2015-527 QPC du 22 dcembre 2015).

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    XI-4 Enfin, il y a lieu de souligner que le sige de lassociation se situe lintrieur de la zone gographique dapplication des dispositions relatives ltat durgence. A ce titre, elle est susceptible dtre vise par des mesures lies ce rgime, tant prcis que ses activits impliquent notamment lexercice de la libert de runion et manifestation. En outre, il convient de prciser que sil appartient aux requrants de dmontrer sur le terrain de larticle L. 521-2 du code de justice administrative qu'ils subissent directement et personnellement l'atteinte la libert fondamentale dont il se prvaut (CE, 17 avril 2002, Meyet, n 245.283), ce principe n'empche pas le juge des rfrs, dans le cas o la demande est introduite par une personne morale, de statuer sur latteinte porte aux intrts que cette dernire sest donne pour mission de dfendre (en ce sens, v. not. CE, ord., 22 dcembre 2012, OIP-SF, n 364.584 ; CE, ord. 6 juin 2013, OIP-SF, n 368.816 ; CE, ord., 23 novembre 2015, Ministre de l'intrieur et commune de Calais, n 394.540 et 394.568). Or, ainsi que cela vient dtre dmontr, la mise en uvre persistante du rgime de ltat durgence a directement trait la mission statutaire de lassociation exposante. XII. Dautre part, sagissant des deux autres requrants, leur intrt agir ne saurait pas davantage tre contest. XII-1 En effet, toute personne physique qui rside habituellement lintrieur de la zone gographique dapplication des dispositions relatives ltat durgence est susceptible dtre affecte par les mesures dictes ce titre, de sorte que son intrt agir contre la persistance de ce rgime est acquis de ce seul fait. Et ce, indpendamment mme de savoir si cette personne est ou a t effectivement vise par lune de ces mesures. En ce sens, il convient de rappeler quen 2005, le juge des rfrs du Conseil dEtat a apprci lintrt agir de lensemble des requrants qui ont sollicit la suspension de ltat durgence en tenant uniquement compte tenu de leur lieu de rsidence rgulire.

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    Ainsi, pour estimer que lun deux ne justifiait pas d'un intrt suffisant au motif quil rsidait alors ltranger, le juge des rfrs du Conseil d'Etat a soulign que : Si large que puisse tre l'intrt contester devant le juge administratif les mesures dcidant de faire application un territoire dtermin du rgime de l'tat d'urgence ainsi que les dcisions ultrieures ayant une incidence sur le maintien en vigueur de ce rgime, une personne qui, la date de la saisine du juge, ne rside pas habituellement l'intrieur de la zone gographique d'application des dispositions relatives l'tat d'urgence, ne justifie pas d'un intrt suffisant pour en contester le maintien en vigueur (CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). XII-2 Or, en loccurrence, tous les requrants rsident rgulirement l'intrieur de la zone gographique d'application des dispositions relatives l'tat d'urgence, laquelle stend la totalit du territoire mtropolitain ainsi que de loutre-mer. Cette seule circonstance suffit tablir leur intrt agir. XIII. Il rsulte de tout ce qui prcde que les requrants ont manifestement intrt demander la suspension du rgime de ltat durgence. La prsente requte est ainsi parfaitement recevable. Sur lurgence XIV. En premier lieu, les requrants entendent faire valoir que la condition durgence est en lespce manifestement remplie. XIV-1 En effet, en droit, le Conseil dEtat regarde cette condition comme satisfaite ds lors que, de manire gnrale, le requrant justifie des circonstances particulires caractrisant la ncessit de bnficier trs bref dlai dune mesure pouvant tre prononce par le

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    juge des rfrs (CE, Ord., 23 janvier 2004, n 257.106, mentionn aux tables du recueil Lebon sur ce point ; CE, Ord., 28 mars 2008, n 314.368). En principe, et en application de larticle R. 522-1 du code de justice administrative, cest au requrant quil revient de justifier de lurgence de l'affaire . Toutefois, dans certaines circonstances, le juge du rfrs admet lexistence dune prsomption durgence. Ainsi, mme en l'absence de circonstances particulires, le refus de dlivrance d'un visa d'entre sur le territoire franais fait natre une situation durgence au sens de larticle L. 521-2 du code de justice administrative (CE, ord., 12 fvr. 2007, n 301.352, Publi au recueil Lebon). Il peut en tre de mme sagissant des dcisions darrt de travaux (CE, ord., 28 mars 2008, n 314.368, Publi au recueil Lebon). Plus rcemment encore, le Conseil dEtat a consacr lexistence dune telle prsomption durgence concernant les mesures dassignation rsidence dictes au titre du rgime de ltat durgence. Il a ainsi t jug que : Eu gard son objet et ses effets, notamment aux restrictions apportes la libert daller et venir, une dcision prononant l'assignation rsidence dune personne, prise par lautorit administrative en application de larticle 6 de la loi du 3 avril 1955, porte, en principe et par elle mme, sauf ce que ladministration fasse valoir des circonstances particulires, une atteinte grave et immdiate la situation de cette personne, de nature crer une situation durgence justifiant que le juge administratif des rfrs, saisi sur le fondement de larticle L. 521 2 du code de justice administrative, puisse prononcer dans de trs brefs dlais, si les autres conditions poses par cet article sont remplies, une mesure provisoire et conservatoire de sauvegarde (CE, Ord. 11 dcembre 2015, n 395.009, Publi au recueil Lebon). XIV-2 Dans ces conditions, et en loccurrence, il est manifeste que la

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    persistance du rgime de ltat durgence porte, en principe et par elle-mme, une atteinte grave et immdiate la situation de lensemble des personnes qui rsident sur le territoire mtropolitain et doutre-mer. XIV-2.1 En effet, ces personnes sont susceptibles dtre affectes pour toutes les mesures que ce rgime permet, au premier rang desquels figurent les assignations rsidence, les perquisitions administratives ou encore les interdictions de runions. Or, si lexistence dune seule mesure telle quune assignation rsidence suffit caractriser lurgence au sens de larticle L. 521-2 du code de la justice administrative (CE, Ord. CE, 11 dcembre 2015, n 395.009 et al.), il ne peut quen de mme a fortiori sagissant de lensemble des mesures particulirement invasives et restrictives prvues par le rgime de ltat durgence. Partant, la seule circonstance que ltat durgence demeure applicable est ncessairement de nature crer une situation durgence justifiant que le juge administratif des rfrs soit saisi sur le fondement de larticle L. 521 2 du code de justice administrative. XIV-2.2 Le fait qu ce jour, les requrants naient pas t cibls par de telles mesures est parfaitement indiffrent, ds lors quil convient de tenir compte de leffet dissuasif quun tel rgime est susceptible demporter sur le libre exercice des liberts fondamentales, telle que la libert de manifester et de se runir (v. Cour EDH, Grande Chambre, 15 octobre 2015, Kudreviius et autres c. Lituanie, Req. n 37553/05, 100 ; v. aussi mutatis mutandis Cour EDH, Grande Chambre, 23 avril 2015, Morice c. France, Req. n 29369/10, 127). Tel est dailleurs le sens de lordonnance rendue en 2005 par le juge des rfrs du Conseil dEtat lorsquil fut saisi dune demande similaire celle des requrants, la condition durgence ayant t pleinement admise sans mme tre conteste (CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). Il ne saurait en tre diffremment concernant ltat durgence dclare le 14 novembre 2015 et prorog pour trois mois compter du 26 novembre 2015.

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    XV. Il rsulte de tout ce qui prcde que la condition durgence est en lespce indniablement caractrise. Sur latteinte grave et manifestement illgale des liberts fondamentales XVI. En second lieu, les requrants entendent soutenir que la persistance de ltat durgence plus de deux mois aprs son dclenchement est constitutive dune atteinte grave et manifestement illgale plusieurs liberts fondamentales au sens exact des dispositions de larticle L. 521-2 du code de justice administrative. XVI-1 Demble, et titre liminaire, les requrants tiennent souligner quils nentendent aucunement contester limportance cruciale de la lutte contre le terrorisme, en particulier aprs les graves et odieux attentats qui ont maills lanne 2015. A cet gard, nul ne saurait nier, pour reprendre les mots de la Cour europenne des droits de lhomme, les difficults que les Etats rencontrent pour protger leur population contre la violence terroriste, laquelle constitue en elle-mme une grave menace pour les droits de lhomme (Cour EDH, 4e Sect. 17 janvier 2012, Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, Req. n 8139/09, 183). Partant, toujours selon la Cour de Strasbourg, il est lgitime, devant une telle menace, que les Etats contractants fassent preuve dune grande fermet lgard de ceux qui contribuent des actes de terrorisme (Ibid.). XVI-2 Toutefois, la mme juridiction europenne prcise galement que, mme aux fins de lutte contre le terrorisme, les tats contractants ne disposent pas pour autant dune latitude illimite : Consciente du danger () de saper, voire de dtruire, la dmocratie au motif de la dfendre, [les Etats] ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre () le terrorisme, nimporte quelle mesure juge par eux

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    approprie (Cour EDH, 6 septembre 1978, Klass et autres c. Allemagne, Req. n 5029/71, 49). En dautres termes, les principes les plus fondamentaux de lEtat de droit et de la dmocratie exigent de manire imprieuse que les droits et liberts individuelles ne puissent tre sacrifis sur lautel de la lutte contre la violence terroriste. Il importe donc de combattre fermement le terrorisme sans perdre de vue les repres les plus essentiels de la dmocratie que sont les droits et liberts fondamentaux et dont les juridictions suprmes sont les ultimes gardiens. XVII. Or, le rgime de ltat durgence dclar le 14 novembre 2015 ne saurait chapper ces impratifs essentiels de lEtat de droit. XVII-1 En ce sens, nul ne conteste qu une situation de danger exceptionnel et imminent peut parfois rpondre un tat dexception, laquelle situation justifie que les droits et liberts soient fortement mais ponctuellement restreints. Ainsi, dans la nuit du 13 au 14 dcembre marque par les attaques terroristes Paris et Saint-Denis, cest en considration de lextrme gravit du moment (Allocution du Premier ministre au Snat le 20 dcembre 2015, p. 1 Prod. 5) que le rgime de ltat durgence prvu par la loi du 3 avril 1955 a t dclar. Toujours selon les mots du Premier ministre, ltat durgence est une rponse de court terme qui avait pour but de permettre aux autorits daller vite pour dmanteler des groupes susceptibles dagir et pour neutraliser des individus au comportement menaant (Allocution du Premier ministre lAssemble Nationale le 19 dcembre 2015, pp. 3 et 6 Prod. 4). En particulier, ainsi que la rcemment soulign le Prsident de la commission des Lois de lAssemble Nationale, certaines mesures spcifiquement permises par le rgime dtat durgence, dont surtout les perquisitions administratives, avaient pour but de dstabiliser un microcosme radicalis, dviter des rpliques dattentats bnficiant

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    de leffet de sidration post-13 novembre et de sassurer que les individus concerns navaient pas chapp des procdures judiciaires anti-terroristes (Prod. 1, p. 5). Le tout, avec la volont de jouer sur leffet de surprise li la proclamation de ltat durgence et la dstabilisation psychologique des rseaux de dlinquants a t souligne par nombre de nos interlocuteurs (Ibid. p. 4). En outre, les autorits excutives ont galement justifi cette dcision par les impratifs de protection de lordre public par le contexte exceptionnel de laccueil de lvnement dampleur mondiale quest la COP 21 (Dclaration du ministre de lintrieur sur la mise en uvre et le contrle de l'tat durgence, 2 dcembre 2015 Prod. 6). XVII-2 A ce stade, lexistence mme du rgime dtat durgence et sa mise en uvre ont certes affect une multitude de liberts fondamentales au sens des dispositions de larticle L. 521-2 du code de justice administrative. Il en est ainsi tant du droit au respect de la vie prive et familiale, de la libert daller et venir, de la libert dexpression et de communication, du droit dexpression collective des ides et des opinions, que de la libert dassociation, de la libert de travailler, de la libert de commerce et dindustrie ou encore de la libert dentreprendre, ainsi que du droit un recours effectif (v. not. CE, Ord. 11 dc. 2015, n 395.009 et al. ; CE, Ord., 23 dc. 2015, n 395.229 ; CE, Ord., 6 janv. 2016, n 395/620 et 395.621; v. mutatis mutandis CE, 15 janv. 2016, n 395.091 et 395.092). Toutefois, compte tenu de lextrme urgence lie notamment au risque dune rplique terroriste imminente, de telles restrictions aussi graves soient-elles pouvaient alors passer pour justifies. XVII-3 Pour autant, un tel sacrifice ponctuel de liberts doit rpondre strictement lurgence du moment et tre au service exclusif dun prompt retour de lEtat de droit. Aussi, les graves restrictions aux liberts fondamentales impliques

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    par ltat durgence ne saurait tre justifis que durant un court moment. En ce sens, le juge des rfrs du Conseil dEtat a dj eu loccasion daffirmer explicitement qu un rgime de pouvoirs exceptionnels a des effets qui dans un Etat de droit sont par nature limits dans le temps et dans l'espace (CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). Plus rcemment, il a t soulign par le Prsident de la commission des Lois de lAssemble Nationale, si la proclamation de ltat durgence tait justifie, [] la lgislation dexception nest pas une simple alternative celle des temps normaux. Cest une vritable drogation seulement justifie par lvidence. Le grand drangement quelle entraine ne peut donc tre que dune brve dure et sans squelles (Prod. 1, p. 8). Pour sa part, le rapporteur spcial du comit de suivi de ltat durgence de la commission des Lois au Snat a affirm que l on ne saurait durablement fonder la prvention du terrorisme sur des procdures drogatoires nos rgles habituelles de prvention des troubles lordre public et de rpression des infractions la loi pnale. Il mapparat exclu, au risque de fragiliser les fondements de notre tat de droit, de procder durablement des perquisitions hors du contrle de lautorit judiciaire ou de maintenir sur le long terme des personnes en assignation rsidence, alors mme quaucun lment ne permettrait de les renvoyer, en vertu de nos rgles relatives au procs quitable, devant une juridiction de jugement (Entretien avec Michel Mercier, 16 dcembre 2015 Prod. 9). Dans le mme sens, par une dclaration du 15 janvier 2016 adopte lunanimit, la Commission nationale consultative des droits de lhomme runie en Assemble plnire a indiqu que sagissant de ltat durgence, si le recours celui-ci pouvait se justifier au lendemain des attentats du 13 novembre, [] ltat dexception, qui doit demeurer provisoire, ne saurait devenir la rgle : il a pour seul et unique objectif un retour rapide la normalit (CNCDH, Assemble plnire, Dclaration sur ltat durgence, 15 janvier 2016, 5 Prod. 10). Autrement dit, si des mesures exceptionnelles peuvent tre adoptes pour faire face une menace imminente, elles se doivent dtre

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    limites au strict ncessaire, cibles avec une prcision suffisante et ne prsenter quun caractre temporaire (Prod. 1, p. 9). XVII-4 Partant, ds que les strictes conditions qui justifiaient ltat durgence disparaissent, il doit immdiatement tre mis fin ltat durgence. Tel fut dailleurs lintention du lgislateur qui, lexacte image de ce quil fit en 2005, a certes prorog ltat durgence pour trois mois compter du 26 novembre 2015, mais a galement expressment confr au Prsident de la Rpublique le pouvoir dy mettre fin de faon anticipe par dcret en conseil des ministres. Or, en donnant comptence au prsident de la Rpublique pour mettre un terme l'tat durgence avant lexpiration du dlai lgal, [le lgislateur a] autoris[], le cas chant, l'intervention du juge des rfrs sur le fondement de l'article L. 521-2 du Code de justice administrative (Pascal Caille, Ltat d'urgence La loi du 3 avril 1955 entre maturation et dnaturation , in Revue du droit public et de la science politique, 1er mars 2007, n 2, p. 323). De fait, la persistance de ltat durgence en dpit de la disparition des raisons qui ont justifi son dclenchement prive de tout fondement les importantes restrictions aux liberts fondamentales que ce rgime emporte. Ainsi, ces atteintes initialement justifies deviennent des atteintes graves et manifestement illgales au sens exact de larticle L. 521-2 du code de justice administrative, ce qui requiert lintervention du juge des rfrs (v. CE, Ord. 9 dcembre 2005, n 287.777). XVIII. Or, tel est prcisment le cas en lespce. En effet, non seulement les circonstances exceptionnelles qui justifiaient ltat durgence ont disparu. Mais au surplus, et corrlativement, les mesures radicalement drogatoires au droit commun permises par ce rgime ont manifestement atteint le but qui leur avait t initialement assign.

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    Sur la disparition du pril imminent rsultant datteintes graves lordre public XIX. Premirement, il y a lieu de rappeler quen vertu de larticle 1er de la loi du 3 avril 1955 : Ltat d'urgence peut tre dclar sur tout ou partie du territoire mtropolitain, des dpartements d'outre-mer, des collectivits d'outre-mer rgies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Caldonie, soit en cas de pril imminent rsultant datteintes graves l'ordre public, soit en cas d'vnements prsentant, par leur nature et leur gravit, le caractre de calamit publique . XIX-1 Or, compte tenu des dclarations des autorits excutives ou encore de lexpos des motifs du projet de loi prorogeant ltat durgence, il est manifeste que cest en raison dun pril imminent de nature terroriste rsultant des atteintes graves lordre public commises lors des attentats du 13 novembre 2015 que ltat durgence a t dclench puis prorog. En somme, cette dcision tait destine permettre la neutralisation immdiate des terroristes auteurs ou complices des assassinats, mais aussi de prvenir la menace imminente de nouveaux attentats sur le sol franais en rplique immdiate ceux du 13 novembre. Mais ce jour, prs de deux mois aprs les tragiques attentats de Paris et Saint-Denis, le pril li ces atteintes graves lordre public ne saurait plus tre regard comme imminent au sens exact de larticle 1er de la loi du 5 avril 1955. XIX-2 Certes, les requrants nignorent absolument pas combien la menace terroriste demeure forte, tel point que de nouveaux attentats ne sont, hlas, pas exclure. Cependant, tel nest pas le critre prvu par la loi. En effet, limminence du pril doit sapprcier au regard des

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    atteintes graves lordre public constates lors dvnements ponctuels et dment identifiables, mais non laune dune menace diffuse et permanente, aussi grave soit-elle. A cet gard, il nest pas inutile de rappeler que les prcdents recours au rgime de ltat durgence ont tous t dclenchs en rponse des vnements qui, certes, pouvaient tre de grande ampleur, mais taient ncessairement lis des troubles graves lordre public objectivement constatables (v. ainsi les meutes urbaines de 2005 ou et celles en Nouvelle-Caldonie en 1984, ou encore les vnements du 13 mai 1958 Alger et le putsch des gnraux Alger en 1961). Partant, sauf autoriser le maintien perptuel du rgime exceptionnel au nom de la lutte contre le terrorisme et ainsi renoncer dfinitivement lEtat de droit, la seule circonstance que les atteintes graves lordre public qui ont justifies la dclaration de ltat durgence puissent potentiellement se reproduire lavenir ne saurait suffire justifier sa persistance. XIX-3 Tout au plus la survenance prochaine dun vnement prcis ou lexistence de circonstances particulires elles-aussi temporellement circonscrites peuvent-elles donner corps un risque caractris de rdition des atteintes graves lordre public. Ainsi, en 2005, le juge des rfrs du Conseil dEtat a pu admettre la persistance de ltat durgence en raison notamment des conditions dans lesquelles se sont dveloppes les violences urbaines partir du 27 octobre 2005, de la soudainet de leur propagation, de lventualit de leur recrudescence loccasion des rassemblements sur la voie publique lors des ftes de fin d'anne et de l'impratif de prvention inhrent tout rgime de police administrative (CE, Ord., 9 dcembre 2005, n 287.777). En somme, ce sont les ftes de fin danne qui ont cr un risque caractris de rdition des violences urbaines aux sources de la dclaration de ltat durgence. Mais ds que cette priode sest acheve, un dcret en Conseil des ministres a t dict pour mettre un terme, de faon anticipe, ltat durgence le 4 janvier 2006. En 2015, outre les ftes de fin danne propices aux rassemblements

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    , lorganisation de la COP 21 a t regarde comme un vnement exceptionnel qui justifiait le recours ltat durgence (v. la Dclaration du ministre de lintrieur, 2 dcembre 2015 Prod. 6) et, tout particulirement, ldiction de mesures dassignation rsidence (v. CE, Ord. CE, 11 dcembre 2015, n 395.009 et al.). Toutefois, lensemble de ces vnements ont eu lieu et plus aucun autre dampleur quivalente ne peut fonder la persistance, ce jour encore, de ltat durgence, lequel est dsormais priv de toute justification. XX. Ce seul constat suffit caractriser une atteinte grave et manifestement illgale lensemble des liberts fondamentales affects par le rgime de ltat durgence. Mais il y a bien plus. Sur la disparition de la ncessit des mesures exceptionnelles permises par le rgime dtat durgence XXI. Deuximement, il importe de souligner que la dclaration de ltat durgence le 14 novembre 2015 et sa prorogation compter du 26 novembre avaient pour objectif affich de permettre aux pouvoirs publics de mettre en uvre, sans attendre, des moyens et des procdures exceptionnels pour protger nos citoyens, assurer leur scurit (Allocution du Premier ministre lAssemble Nationale le 19 dcembre 2015, p. 3 Prod. 4). XXI-1 Parmi ces moyens et procdures souhaits par les autorits excutives figurent tout particulirement les assignations rsidence, les fermetures provisoires et interdictions de runions, ainsi que les perquisitions administratives, prvues respectivement par les articles 6, 8 et 11 I de la loi du 3 avril 1955. En effet, ces mesures ne figurent pas parmi celles disponibles de plein droit par la seule dclaration de ltat durgence. En vertu de ces articles 6, 8 et 11 I combins larticle 2, alina 2, de

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    la mme loi, cest par dcret puis par la loi de prorogation concernant larticle 11 I que de telles mesures peuvent tre spcifiquement actives dans une zone dfinie. XXI-2 Or, en loccurrence, il a t dcid ds le 14 novembre 2015 que ces trois mesures particulires seraient accessibles aux autorits administratives. Une telle dcision rvle ainsi quau dbut de ltat durgence, ces mesures ont t regardes comme ncessaires. Plus encore, il apparat mme que cest la possibilit de recourir ces trois sries de mesures qui a essentiellement motiv la dclaration de ltat durgence, comme en atteste notamment le discours du Premier ministre devant lAssemble Nationale (Prod. 4). La pratique des autorits administratives la amplement confirm puisque, comme la relev le prsident de la commission des Lois de lAssemble Nationale, sur la palette de 13 mesures administratives offertes par le rgime de ltat durgence, seules ces trois mesures ont principalement t employes (Prod. 1, p. 5). XXII. Mais ainsi que cela a dj t soulign (cf. supra V), cest essentiellement aux premiers jours de ltat durgence que ces mesures ont t employes. XXII-1 Sagissant tout particulirement des perquisitions administratives, elles ont fait lobjet d un usage concentr dans la premire semaine pour profiter de leffet de surprise (Ibid. p. 4). Surtout, les statistiques ont pleinement tabli que seulement la moiti des perquisitions ralises ont vis des personnes directement lies au terrorisme. Et ce, essentiellement durant les deux premires semaines de ltat durgence voire pour un usage concentr dans la premire semaine (Ibid., p. 5). Or, il est constat que depuis la priode des ftes de fin danne il ny a plus beaucoup de demandes nouvelles concernant ces

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    personnes directement lies au terrorisme (Ibid., p. 5). A cet gard, il est parfaitement significatif que sur les 3 021 perquisitions administratives recenses au 7 janvier 2016, seules 25 infractions en lien avec le terrorisme aient t constates. Sachant au surplus que seulement 4 ont vritablement donn lieu une saisie du parquet antiterroriste, les 21 autres relevant du dlit dapologie de terrorisme (Prod. 11). Au surplus, et plus gnralement, les donnes collectes rvlent une rduction trs nette du nombre de perquisitions administratives aprs les quinze premiers jours. Plus encore, leur usage est devenu rare depuis le 24 dcembre (Prod. 2, Graphique 1). XXII-2 Il en est exactement de mme concernant les assignations rsidence puisqu lexception dun lger sursaut aux alentours du 24 dcembre, le recours de nouvelles mesures de cette nature est dsormais extrmement limit (Ibid., Graphique 2). Certes, nombre dassignations rsidence demeurent encore en vigueur ce jour. Mais par nature, ces mesures ont une vocation provisoire afin daller au plus vite [] pour neutraliser des individus au comportement menaant (Allocution du Premier ministre lAssemble Nationale, 19 dcembre 2015 Prod. 4) et il ne saurait tre question de maintenir sur le long terme des personnes en assignation rsidence, alors mme quaucun lment ne permettrait de les renvoyer, en vertu de nos rgles relatives au procs quitable, devant une juridiction de jugement (Entretien avec le snateur Michel MERCIER, 16 dcembre 2015 Prod. 9). XXII-3 Pour ce qui est des fermetures provisoires, seuls quelques cas ont t recenss (Ibid., p. 2) et sagissant des interdictions de manifestation, le Gouvernement na pas communiqu de chiffres la commission des Lois de lAssemble Nationale (Ibid., p. 3). Le cas chant, il appartiendra donc au juge des rfrs du Conseil dEtat duser de ses pouvoirs dinstruction pour obtenir

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    communication de ces donnes. Mais l encore, le recours ces mesures est donc demeur fort limit. XXIII. Par consquent, il est objectivement tabli que, tout particulirement depuis la fin de lanne 2015, les dispositifs exceptionnels de ltat durgence ne sont plus activement utilises par les autorits. Une telle extinction progressive de lintrt des mesures de police administrative qui va au-del dun simple essoufflement sexplique essentiellement par le fait que les principales cibles et les objectifs [on]t t traits , do le constat parlementaire de ce que lessentiel de lintrt de ce que lon pouvait attendre de ces mesures semble, prsent, derrire nous (Prod. 1, p. 9). Ce constat est dautant moins rfutable que nombre de dispositions relevant du droit commun permettent ldiction de mesures comparables. De faon significative, il y a ainsi lieu de relever que par un rcent dcret du 14 janvier 2016, trois associations ont fait lobjet dune dissolution aux motifs quelles visaient notamment promouvoir une idologie radicale, provoquant au jihad, et organiser le dpart de combattants en zone irako-syrienne (Dcret du 14 janvier 2016 portant dissolution de trois associations, NOR: INTD1600901D). Or, cette dcision a t prise sur le fondement de larticle L. 212-1 du code de la scurit intrieure au lieu de recourir larticle 6-1 de la loi du 3 avril 1955 relative ltat durgence, tel quissu de la loi du 20 novembre 2015. XXIV. Il est donc manifeste que les mesures relevant du rgime de ltat durgence ne peuvent rsolument plus passer pour strictement ncessaires et ont donc perdu toute justification. Partant, le seul fait que ces mesures radicalement drogatoires au droit commun soient encore en vigueur dans lordre juridique et puissent potentiellement tre utilises tout instant suffit caractriser une

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    atteinte grave et manifestement illgale, situation qui non seulement affecte directement et personnellement lexercice des liberts fondamentales par lassociation requrante et par les deux requrants individuels, mais en outre, affecte galement lensemble des liberts fondamentales que lassociation requrante sest donne pour mission statutaire de dfendre. XXV. Il rsulte donc de tout ce qui prcde que la suspension de ltat durgence est certaine. A cet gard, il appartiendra au juge des rfrs du Conseil dEtat dapprcier de la ncessit de suspendre le rgime de ltat durgence dans sa totalit ou, le cas chant, de certaines de ses modalits. Il pourrait en tre tout particulirement ainsi de tout ou partie des mesures prvues respectivement par les articles 6, 8 et 11 I de la loi du 3 avril 1955, tant rappel que celles-ci ne sont pas actives de plein droit par la seule dclaration de ltat durgence et quelles peuvent donc chacune tre neutralise en dpit de la persistance de ce rgime.

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    PAR CES MOTIFS, et tous autres produire, dduire, suppler, au besoin mme doffice, les requrants concluent ce quil plaise au juge des rfrs du Conseil dEtat :

    - A TITRE PRINCIPAL, SUSPENDRE en tout ou partie le rgime de ltat durgence dclar par le dcret n 2015-1475 du 14 novembre 2015 et prorog la loi n 2015-1501 du 20 novembre 2015;

    - A TITRE SUBSIDIAIRE, ENJOINDRE au Prsident de la

    Rpublique de mettre fin sans dlai tout ou partie de ltat durgence en application des dispositions de larticle 3 de la loi n 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;

    - TRES SUBSIDIAIREMENT, ENJOINDRE au Prsident de la

    Rpublique de procder un rexamen des circonstances de fait et de droit qui ont conduit la dclaration de ltat durgence;

    - METTRE A LA CHARGE de lEtat la somme de 5.000 euros

    sur le fondement de larticle L. 761-1 du code de justice administrative.

    Avec toutes consquences de droit.

    SPINOSI & SUREAU SCP dAvocat au Conseil dtat et la Cour de cassation

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    Productions :

    1. Commission des Lois de lAssemble Nationale, Deuxime communication dtape sur le contrle de ltat durgence, 13 janvier 2016.

    2. Commission des Lois de lAssemble Nationale, Premires analyses chiffres arrtes au 11 janvier 2016 (prsentes au cours de la runion du 13 janvier 2016).

    3. Commission des Lois de lAssemble Nationale, Mesures administratives prises en application de la loi n 55-385 du 3 avril 1955 depuis le 14 novembre 2015 (au 12 janvier 2016).

    4. Allocution du Premier ministre lAssemble Nationale sur le projet de loi sur la prorogation de ltat durgence, le 19 dcembre 2015.

    5. Allocution du Premier ministre au Snat sur le projet de loi sur la prorogation de ltat durgence, le 20 dcembre 2015.

    6. Dclaration du ministre de lintrieur sur la mise en uvre et le contrle de l'tat d'urgence, 2 dcembre 2015.

    7. Mandat de la Prsidente de la LDH du 19 janvier 2016. 8. Statuts de la LDH. 9. Entretien avec Michel Mercier, rapporteur spcial du comit de

    suivi de ltat durgence de la commission des Lois au Snat, 16 dcembre 2015.

    10. CNCDH, Assemble plnire, Dclaration sur ltat durgence, 15 janvier 2016.

    11. Laurent Borredon et Ismal Halissat, Quand Franois Hollande gonfle le nombre de procdures antiterroristes , Le Monde, 8 janvier 2016.