L'Art d'Avoir Toujours Raison - Arthur Schopenhauer
-
Author
illuminatorsolari -
Category
Documents
-
view
102 -
download
5
Embed Size (px)
Transcript of L'Art d'Avoir Toujours Raison - Arthur Schopenhauer
LArt davoir toujours raison Arthur Schopenhauer
Publication: 1830 Source : Livres & Ebooks
Chapitre 1
Avant-propos : logique et dialectique [ Ces fragments avaient probablement t crits pour servir dintroduction .] I. Logique et dialectique taient considres par les Anciens comme tant synonymes, bien que rchir , considrer , calculer et converser taient deux concepts trs diffrents. Le terme dialectique (, , ) aurait t, selon Diogne Larce, dabord utilis par Platon, et dans Phdre , Le Sophiste , La Rpublique livre VII nous pouvons voir que par dialectique , il entend lemploi rgulier de la raison ainsi que le dveloppement des comptences dans sa pratique. Aristote utilise galement le terme dans le mme sens, mais selon Lorenzo Valla, il aurait galement t le premier utiliser le terme avec la mme dnition : nous trouvons ainsi dans son uvre lexpression , c.--d. , . Ainsi serait plus ancien que . Cicron et Quintilien utilisrent les mmes termes avec la mme signication gnrale. Ainsi selon Cicron dans Lucullus : , dans Topica , chap. 2 : . Selon Quintilien : et ce dernier terme semble donc tre lquivalent latin pour dialectique (selon Pierre de La Rame, Dialectique , , 1569). Lutilisation des termes logique et dialectique comme synonymes perdura du Moyen ge jusqu nos jours. Cependant, plus rcemment, le terme dialectique a souvent t utilis avec une connotation ngative, notamment par Kant, dans le sens de lart de la discussion sophistique et le terme logique a donc t prfr pour sa connotation plus innocente. Pourtant ces deux termes avaient exactement la mme signication, et ces dernires annes, ils ont t nouveau considrs comme synonymes. II.
1
Il est dommage que les anciens termes dialectique et logique aient t utiliss comme synonymes et jai du mal librement faire une distinction entre leurs signications. Autrement, jaurais aim pouvoir dnir la logique (drivant de : rchir , considrer , drivant lui-mme de : mot et raison lesquels sont insparables) comme tant la science des lois de la pense, autrement dit, la mthode de la raison et la dialectique (drivant de : converser car toute conversation communique des faits ou des opinions, c.--d. est historique ou dlibrative) comme tant lart de la controverse (dans le sens moderne du terme). Il est donc vident que la logique traite des a priori , sparables en dnitions empiriques, c.--d. les lois de la pense, les processus de la raison (le ), et en lois, c.--d. celles que suit la raison quand elle est laisse elle-mme et non entrave comme dans le cas des penses solitaires dun tre rationnel qui nest pas induit en erreur. La dialectique de son ct traite des rapports entre deux tres rationnels dont les penses saccordent, mais qui ds quelles cessent de saccorder comme deux horloges marquant la mme heure, crent une controverse, c.-d. un combat intellectuel. En tant qutres purement rationnels, les individus devraient pouvoir saccorder. Le dsaccord survient de la diffrence essentielle leur individualit, c.-.d. de llment empirique. La logique, science de la pense, c.--d. science des procds de la raison pure, devrait a priori tre capable de pouvoir stablir. La dialectique, en gnral, ne peut tre construite qu a posteriori , partir de la connaissance empirique des diffrences entre deux individualits rationnelles que doit souffrir la rexion pure, et des moyens quutilisent ces individualits lune contre lautre pour montrer que leur pense individuelle est pure et objective. Cest parce que cest la dans la nature humaine que lorsque A et B sont engags dans une rexion commune, , c.--d. communication des opinions (par opposition aux discussions factuelles), si A saperoit que les penses de B sur le mme sujet ne sont pas les mmes, initialement, il ne reverra pas sa propre pense pour vrier sil na pas fait une erreur de raisonnement, mais considrera que lerreur vient de B, c.--d. que lhomme est par nature sr de soi et cest de cette caractristique que dcoule cette discipline quil me plat dappeler dialectique . Mais pour viter toute confusion je lappellerai dialectique ristique , la science des procds par lesquels les hommes manifestent cette conance en leurs opinions.
2
Chapitre 2
La dialectique ristique
La dialectique ristique 1 est l ?art de la controverse, celle que l ?on utilise pour avoir raison, c ?est--dire lang|la|per fas et nefasristique n ?est qu ?un terme plus dur signiant la mme chose. Aristote (selon Diogne Larce, V. 28) aurait plac sur un pied d ?galit rhtorique et dialectique, visant convaincre, lang|grc| ? ? ? ? ? ? ? ? tandis qu ?analytique et philosophie visent chercher la vrit. lang|grc| ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? Diogne Larce, Vita Platonis, III, 48. Aristote fait la diffrence entre la logique ou analytique , la thorie ou mthode menant aux vritables conclusions, lapodictique ; la dialectique , ou la mthode menant aux conclusions passant pour vritables - , ( Topica , I, 1 et 12) - autrement dit les conclusions qui ne passent pas pour fausses et qui ne passent pas pour vraies (en elles-mmes). Quest-ce sinon lart davoir raison, que lon ait raison ou pas ? Cest--dire lart dattendre lapparence de la vrit, comme je le disais plus haut. Aristote divise toutes les conclusions entre logique et dialectique de la manire que je viens de dcrire, puis en ristique ; l ristique , la mthode par laquelle la forme de la conclusion est correcte mais dont les phrases, le sujet, ne sont pas vraies mais paraissent vraies, et enn : la sophistique , la mthode o la forme de la conclusion est fausse alors quelle parat correcte. Ces trois derniers appartiennent lart de la dialectique ristique car elles nont pas pour objectif de parvenir la vrit mais seulement de se parer de son apparence, cest--dire d avoir raison . Les conclusions sophistiques dAristote, dernier livre de sa dialectique, fut dit ultrieurement.. On peut en toute objectivit avoir raison, et pourtant aux yeux des spectateurs, et parfois pour soi-mme, avoir tort. En effet, si un adversaire rfute une preuve, et par l donne limpression de rfuter une assertion, il peut pourtant exister dautres preuves. Les rles ont donc t inverss : ladversaire a raison alorsLes Anciens utilisaient les termes logique et dialectique comme synonymes, ce qui est dailleurs toujours le cas avec le sens moderne de ces mots.1
3
quil a objectivement tort. Ainsi, la vracit objective dune phrase et sa validit pour le dbatteur et lauditeur sont deux choses diffrentes (cest sur ce dernier que repose la dialectique). Do vient ce comportement ? De la base mme de la nature humaine. Sans celle-ci, lhomme serait foncirement honorable et ne dbattrait sans autre but que la recherche de la vrit, et nous serions indiffrents, ou du moins naccorderions quune importance secondaire quant au fait que cette vrit desserve les opinions par lesquelles nous avions commenc discourir ou serve lopinion de ladversaire. Cependant, cest ce dernier point qui nous est primordial. La vanit inne, particulirement sensible la puissance de lintellect, ne souffre pas que notre position soit fausse et celle de ladversaire correcte. Pour sextraire de ce comportement, il suft de formuler un jugement correct : cela revient dire quil faut rchir avant de parler. Mais la vanit inne est souvent accompagne par la loquacit et une mauvaise foi inne. Ils parlent avant de rchir, et mme lorsquils se rendent compte plus tard que leur position est fausse, ils essaieront de faire en sorte de paratre que ce nest pas le cas. Lintrt dans la vrit quon aurait pu croire leur seul motif lorsquils dclarrent leur proposition vraie, doit cder le pas lintrt de la vanit : la vrit est fausse et ce qui est faux parat vrai. Il est pourtant quelque chose qui peut tre dit sur cette mauvaise foi, sur ce fait de persister soutenir une thse qui parat fausse, mme pour nous-mmes : nous sommes souvent initialement convaincus de la validit de notre propos, mais les arguments de notre adversaire semblent les rfuter. Si nous abandonnons immdiatement notre position, nous pourrions nous rendre compte par la suite que nalement nous avions raison et que ctait la preuve adversaire qui tait fausse. Largument qui nous aurait sauv ne nous est pas venu sur le moment. Cest donc de l que dcoule cette maxime que dattaquer un contre argument quand bien mme celui-ci nous parat criant de vrit, en esprant que celle-ci nest que supercielle et quau cours du dbat un autre argument nous viendra qui pourra endommager la thse adverse ou conrmer la validit de la notre : nous sommes ainsi comme presque forcs tre de mauvaise foi, ou du moins fortement enclins ltre. La faiblesse de lintellect et la perversion de la volont se soutiennent mutuellement. De l, ces joutes nont pas pour objectif la vrit mais une thse, comme sil sagissait dune bataille poursuivie . Comme expliqu plus haut, il ne peut en tre autrement.
4
Ainsi, de manire gnrale, chacun persistera dfendre ses propres positions, mme si sur le moment il la considre lui-mme comme fausse ou douteuse. 2 Tout le monde est arm jusqu un certain point contre ce genre de procd par sa propre astuce et son manque de scrupules : chacun apprend dans la vie de tous les jours cette dialectique naturelle de mme que chacun possde sa logique naturelle. Cependant, celle-ci n ?est pas able sur le long terme. Il n ?est pas ais pour quelqu ?un de rchir l ?encontre des lois de la logique : si les faux jugements sont frquents, les fausses conclusions sont rares. Ainsi, les hommes sont rarement exempts de logique naturelle, mais ils peuvent cependant tre exempt de dialectique naturelle : c ?est un don distribu en mesures pour le moins ingales (elle est l ?quivalent du jugement, qui est ingalement rpartie parmi les hommes tandis que la raison reste la mme). Il arrive souvent que quelqu ?un soit dans le vrai mais que son argumentation ait t confondue par des arguments superciels. S ?il merge vainqueur de la controverse, il devra souvent sa victoire non seulement la justesse de son jugement, mais surtout l ?intelligence et l ?adresse dont il a fait preuve pour la dfendre. Ici, comme dans tous les cas, les dons sont inns 3 , cependant la pratique et la rexion quant aux tactiques par lesquelles quelqu ?un peut vaincre un adversaire, ou quant celles que l ?adversaire utilise, comptent pour beaucoup dans la matrise de cet art. Ainsi, mme si la logique n ?a pas grande utilit pratique, la dialectique peut l ?tre. Aristote lui-mme me semble avoir tabli sa logique propre (analytique) en tant que fondation pour la prparation de sa dialectique et en a fait son cheval de bataille. La logique s ?occupe simplement de la forme des propositions tandis que la dialectique porte sur le fond du sujet, la substance. Ainsi, il convient de considrer la forme gnrale de toutes les propositions avant de continuer avec les cas particuliers.Machiavel conseille son Prince de proter de tout moment de faiblesse de son voisin pour lattaquer car ce dernier risque dagir de mme. Si lhonneur et la dlit rgnaient en ce monde, ce serait une autre histoire, mais comme on nest pas en droit desprer trouver ces qualits chez son prochain, on ne doit pas les pratiquer soi mme sous peine de voir cette pratique se retourner contre soi. Ainsi en est il dans un dbat : si je laisse mon adversaire avoir raison ds que jai limpression quil a raison, il y a peu de chances quil fasse de mme lorsque la situation sinversera, et sil procde langlaper nefas , je dois faire de mme. Il est facile de dire que lon doit se rallier la vrit sans se soucier de ses propres prjugs, mais il ne faut pas sattendre ce que son adversaire fasse de mme, et il faut donc agir ainsi soi mme. En outre, si je devais abandonner la position que je dfendais auparavant ds que je me rends compte que mon adversaire a raison, il demeure possible que cette impression nest que passagre et que je risque dabandonner la vrit pour accepter une erreur. 3 langlaDoctrina sed vim promovet insitam .2
5
Aristote ne dnit pas lobjet de la dialectique dune faon aussi prcise que moi : sil lui donne bien pour principal objet la controverse, cest en tant quoutil pour rechercher la vrit ( , I, 2). Plus loin dans son uvre, il dit galement que dun point de vue philosophique les propositions sont traites en accord avec la vrit, et dun point de vue dialectique, en fonction de leur plausibilit, cest--dire de la mesure par lesquelles elles gagneront lapprobation des autres opinions ( - , I, 12). Il est conscient quil faut savoir distinguer la vrit objective dune proposition et la sparer de la faon dont elle est prsente et de lapprobation quelle suscite. Cependant, il ne fait pas une distinction sufsamment prcise entre ces deux aspects et nutilise la dialectique que pour le second cas Quune proposition soit vraie par rapport son contenu est un sujet bien trop incertain pour tablir la fondation de cette distinction, et il sagit dun sujet sur lequel le dbatteur est le dernier tre certain, et qui nest pas non plus rvl sous une forme trs sre, mme par le rsultat de la controverse. Ainsi, lorsquAristote parle de dialectique, il faut y inclure la sophistique, lristique et la peirastique, dnie comme lart davoir raison dans une discussion pour laquelle le plan le plus sr est sans aucun doute davoir raison ds le dbut, mais qui en soi ne suft pas tant donn la nature humaine et nest pas non plus ncessaire tant donn la faiblesse et de lintellect humain. Il faut donc avoir recours dautres procds, qui, justement par le fait quils ne sont pas ncessaires latteinte de la vrit, peuvent galement tre utiliss lorsque quelquun est objectivement dans son tort, et que ce soit le cas ou pas, la certitude est rarement au rendez-vous.
Mon avis est quil faut donc faire une distinction entre dialectique et logique plus claire que celle faite par Aristote, qu la logique il faut assigner la vrit objective avec pour limite sa formalit, et que lon conne la dialectique lart d avoir raison , et par opposition, ne pas distinguer la sophistique et lristique de la dialectique comme le fait Aristote puisque la diffrence quil pointe repose sur la vrit objective et matrielle. Or la certitude nest pas discernable avant la discussion et nous sommes contraints de dire, comme Ponce Pilate : Quest-ce que la vrit ? Car : selon Dmocrite (Diogne Larce, IX, 72). Il est facile de dire que lorsque lon dbat il ne faut avoir pour seul objectif que la recherche de la vrit, mais avant le dbat, personne ne connat la vrit et travers ses propres arguments et ceux de son adversaire, on peut sgarer. Dailleurs, : comme beaucoup ont tendance comprendre le terme dialectique dans le sens de logique , nous voulons appeler cette discipline , ou dialectique ristiche . 4 Il faut toujours bienDun autre ct, dans son livre Les Rfutations sophistiques , il fait trop defforts pour distinguer la dialectique de la sophistique et de l ristique alors que la diffrence ne rside que dans le fait que4
6
distinguer les sujets des disciplines les unes des autres.. Dans son , Aristote a, avec son esprit scientique, entrepris de dtailler la dialectique de faon mthodique et systmatique, ce qui est tout fait admirable, mais son but, videmment ici pratique, na pas t atteint. Dans ses Analytiques , aprs avoir examin les concepts, jugements et conclusions dans leur pure forme, il se tourne vers le contenu , lequel se rattache aux concepts : cest en eux que se tient le contenu sexclure mutuellement, par exemple, droit et tordu ; tre prsents dans le mme sujet : par exemple, le sige de lamour est dans la volont () et celui de la haine galement. - Cependant si elle est dans le sige du sentiment (), il en va de mme pour lamour. - Lme ne peut tre ni blanche, ni noire ; dans le cas o le degr infrieur manque, le degr suprieur manque galement : si un homme nest pas juste, ni ne sera pas non plus bienveillant. De l on en dduit que les sont des vrits gnrales qui se rapportent dentires classes de concepts que lon peut utiliser dans les cas particuliers pour en tirer des arguments et les montrer tous comme vidents. Pourtant, la plupart sont trs trompeurs et il y a de nombreuses exceptions : par exemple, selon un : les opposs ontles conclusions de la dialectique sont vraies dans la forme tandis que les conclusions de la sophistique et de lristique sont fausses (entre l ristique et la sophistique , seule diffre lintention : lristique vise avoir raison tandis que la sophistique vise la rputation et le gain pcuniaire). Quune proposition soit vraie par rapport son contenu est un sujet bien trop incertain pour tablir la fondation de cette distinction, et il sagit dun sujet sur lequel le dbatteur est le dernier tre certain, et qui nest pas non plus rvl sous une forme trs sre, mme par le rsultat de la controverse. Ainsi, lorsquAristote parle de dialectique, il faut y inclure la sophistique, lristique et la peirastique, dnie comme lart davoir raison dans une discussion pour laquelle le plan le plus sr est sans aucun doute davoir raison ds le dbut, mais qui en soi ne suft pas tant donn la nature humaine et nest pas non plus ncessaire tant donn la faiblesse et de lintellect humain. Il faut donc avoir recours dautres procds, qui, justement par le fait quils ne sont pas ncessaires latteinte de la vrit, peuvent galement tre utiliss lorsque quelquun est objectivement dans son tort, et que ce soit le cas ou pas, la certitude est rarement au rendez-vous. Mon avis est quil faut donc faire une distinction entre dialectique et logique plus claire que celle faite par Aristote, qu la logique il faut assigner la vrit objective avec pour limite sa formalit, et que lon conne la dialectique lart d avoir raison , et par opposition, ne pas distinguer la sophistique et lristique de la dialectique comme le fait Aristote puisque la diffrence quil pointe repose sur la vrit objective et matrielle. Or la certitude nest pas discernable avant la discussion et nous sommes contraints de dire, comme Ponce Pilate : Quest-ce que la vrit ? Car langlaveritas est in puteo : langgrc ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? selon Dmocrite (Diogne Larce, IX, 72). Il est facile de dire que lorsque lon dbat il ne faut avoir pour seul objectif que la recherche de la vrit, mais avant le dbat, personne ne connat la vrit et travers ses propres arguments et ceux de son adversaire, on peut sgarer. Dailleurs, langlare intellecta, in verbis simus faciles : comme beaucoup ont tendance comprendre le terme dialectique dans le sens de logique , nous voulons appeler cette discipline langladialectica eristica , ou dialectique ristiche .. Les rgles par lesquelles il dnit la dialectique sont parfois mlanges avec celles dnissant la logique. Il mapparat donc quil na pas russi trouver une solution claire ce problme
7
des rapports opposs, par exemple : la vertu est belle, le vice est laid - lamiti est bienveillante, lhostilit est malveillante. - Mais : le gaspillage est un vice donc lavarice est une vertu ou les fous disent la vrit et donc les sages mentent sont des raisonnements qui ne marchent pas. La mort est une disparition et donc la vie une naissance : faux.
Il arrive souvent que deux personnes dbattement frocement, puis en rentrant chez eux, ont pris la position de l ?adversaire, changeant ainsi leurs opinions.. Il n ?est pas rare que l ?on ne sache pas si l ?on est dans le vrai ou le faux : tantt on se croit tort dans le vrai, tantt les deux partis se croient dans le vrai. : lang|la|veritas est in puteo (selon Dmocrite : lang|grc| ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?). Au dbut d ?un dbat, en rgle gnrale, chacun est persuad d ?avoir raison et tandis que celui-ci se poursuit, les deux partis doutent de leurs propres thses et la vrit n ?est dtermine ou conrme qu ? la n. Ainsi, la dialectique n ?a rien voir avec la vrit tant que le matre d ?escrime considre qui est dans le vrai quand le dbat tourne en duel : il ne reste que l ?estoc et la parade et c ?est ainsi que l ?on peut on voir la dialectique : comme l ?art de l ?escrime mental, et ce n ?est qu ?en la considrant ainsi que l ?on peut en faire une discipline part entire. En effet, en se contentant de viser la vrit objective, nous en sommes rduit la simple logique tandis que si nous tablissions des prpositions fausses, ce ne serait que de la simple sophistique. Or chacun de ces deux cas implique que le vrai et le faux nous est connu l ?avance mais c ?est rarement le cas. La vritable conceptionAn de bien mettre en uvre la dialectique , il ne faut pas sattarder sur la vrit objective (qui est laffaire de la logique) mais simplement la regarder comme tant lart davoir raison , ce qui est, comme nous lavons vu, dautant plus ais que lorsque lon est demble dans le vrai. Cependant la dialectique en soi ne fait quapprendre comment se dfendre de tout type dattaque, et de mme, comment il peut attaquer une thse adverse sans se contredire. La dcouverte de la vrit objective doit tre spare de lart de faire des phrases gagnant lapprobation. : la premire est une ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? compltement diffrente qui est laffaire du jugement, de la rexion et de lexprience pour laquelle il nest pas dart particulier tandis que la seconde est le but de la dialectique. Certains lont dnie comme tant la logique des apparences, mais cette dnition est fausse, sans quoi elle servirait qu rfuter des propositions fausses. Or, mme quand quelquun a raison, il a besoin de la dialectique pour dfendre et maintenir sa position. Il lui faut connatre les stratagmes malhonntes an de savoir comment leur faire face, voire mme en faire usage lui-mme an de frapper son adversaire avec ses propres armes. Ainsi, dans la dialectique doit on carter la vrit objective, ou plutt, ne la regarder que comme circonstance accidentelle, et ne chercher qu dfendre sa position et rfuter celle de son adversaire. En suivant les rgles ces ns, aucun intrt ne doit tre accord la vrit car gnralement on ne sait pas o est la vrit5
5
8
de la dialectique est donc comme suit : l ?art de l ?escrime intellectuel dans le but d ?avoir raison dans une controverse. Bien qu ?ristique serait un nom correct pour cette discipline, le terme dialectique ristique l ?est encore plus. Celle-ci est trs utile, mais plus d ?un l ?a nglig tort. En ce sens, la dialectique na pour autre but que de rsumer les arts quemploient les hommes lorsque ceux-ci se rendent compte dans un dbat que la vrit nest pas de leur ct mais tentent quand mme de paratre avoir raison. Ainsi, il serait inappropri dans la science de la dialectique de sattarder sur la vrit objective et son dveloppement puisque la dialectique naturelle et inne ne sen soucie pas : seul avoir raison compte. La science de la dialectique, en un sens du terme, a pour principal but d tablir et analyser les stratagmes malhonntes an quils puissent tre immdiatement identis dans un dbat rel, et carts. Cest pourquoi la dialectique doit faire de la victoire son vritable but, et pas la vrit. J ?ignore si quoi que ce soit a dj t fait dans ce domaine, bien que j ?aie fait d ?amples recherches 6 . Nous sommes sur un champ toujours en friche. Pour raliser notre objectif, il nous faut donc nous baser sur notre exprience en observant comment tel ou tel stratagme est employ par un camp ou l ?autre au cours des dbats qui surviennent souvent dans notre entourage. En identiant les lments communs aux stratagmes rpts sous diffrentes formes, nous pourrons prsenter un certain nombre de stratagmes gnraux qui peuvent se montrer avantageux aussi bien pour soutenir nos points de vue que pour dfaire ceux de l ?adversaire. Ce qui suit est considrer comme une premire tentative dans ce domaine. -
Selon Diogne Larce, parmi les nombreux crits de rhtorique de Thophraste - lesquels ont tous t perdus - il en tait un intitul langgrc ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? qui aurait pu tre prcisment ce que nous cherchions.
6
9
Chapitre 3
La base de toute dialectique Avant tout, il nous faut considrer l essence de tout dbat : ce quil sy droule rellement. Notre adversaire a pos une thse (ou bien nous mme en avons formul une, cela revient au mme). Pour la rfuter, il existe deux modes et deux moyens. Les modes sont : ; ou , c.--d. montrer que la thse ne saccorde pas avec la nature des choses, la vrit objective absolue, ou du moins quelle est inconsistante avec dautres thses de ladversaire, c.--d. avec la vrit relative et subjective. Ce dernier mode ne produit quune conviction relative et ne fait aucune diffrence avec la vrit objective. Les moyens sont : rfutation directe ; rfutation indirecte. La directe attaque la thse sur ses raisons, lindirecte sur ses consquences : la directe montre quune thse nest pas vraie, lindirecte quelle ne peut pas tre vraie. Par le moyen direct , nous pouvons agir de deux faons. Soit en exposant que les raisons de la thse sont fausses ( ), soit en admettant les raisons ou prmisses mais en dmontrant que la thse ne dcoule pas deux ( ), cest--dire attaquer la conclusion et sa forme. Par la rfutation indirecte , nous faisons usage soit de diversion , soit d instance . La diversion : nous acceptons la thse adverse comme vraie et nous exposons ce qui en dcoule partir d ?une autre proposition considre comme vraie pour aboutir une conclusion manifestement fausse, soit parce qu ?elle contredit la nature des choses 1 , soit parce qu ?elle contredit d ?autres dclarations de l ?adversaire lang|la|ad rem ou lang|la|ad hominem (Socrate, Hippias majeur et autres). Implicitement, la thse adverse doit doncSi elle est en contradiction directe avec une vrit indubitable, nous aurons alors men notre adversaire langlaad absurdum .1
10
tre fausse car de deux prmisses vraies on ne peut aboutir qu ? une conclusion vraie tandis que deux prmisses fausses ne donnent pas forcment une conclusion fausse. Linstance , , : il sagit de rfuter la thse gnrale en se rfrent directement aux cas particuliers inclus mais auxquels ils ne semblent pas avoir de rapport, ce qui donne limpression de discrditer la thse elle-mme. Telle est la structure basique, le squelette de tout dbat, car tout dbat repose dessus. Mais la controverse peut se baser l-dessus ou seulement en donner limpression et peut utiliser de vritables arguments comme de faux. Cest parce quil nest pas ais de discerner la vrit que les dbats sont si longs et obstins. Nous ne pouvons pas non plus sparer la vrit apparente de la vritable vrit car mmes les dbatteurs eux-mmes nen sont pas certain. Je vais donc dcrire les diffrents stratagmes sans moccuper du vrai ou du faux puisque la distinction ne peut tre faite et que personne ne connat la vrit objective et absolue. En outre, dans tout dbat ou dispute sur nimporte quel sujet, il nous faut tre daccord sur quelque chose, et en principe, chacun doit bien vouloir porter un jugement sur ce dont il est question : . -
11
- Lextension
Stratagme I Lextension Il sagit de reprendre la thse adverse en llargissant hors de ses limites, en lui donnant un sens aussi gnral et large que possible tout en maintenant les limites de ses propres positions aussi restreintes que possibles. Car plus une thse est globale et plus il est facile de lui porter des attaques. Se dfendre de cette stratgie consiste formuler une proposition prcise sur le ou le . ;Exemple 1 : Je dis : Les Anglais sont la premire nation en ce qui concerne la dramaturgie. Mon adversaire tenta alors de donner une instance du contraire et rpondit : Il est bien connu que les Anglais ne sont pas dou en musique, et donc en opra. Je rfutai lattaque en lui rafrachissant la mmoire : La musique ne fait pas partie de la dramaturgie qui ne comprend que tragdie et comdie. Mon adversaire le savait probablement mais avait tent de gnraliser mon propos an dy inclure toutes les reprsentations thtrales, et donc lopra, et donc la musique, an de me prendre en erreur sur ma thse. Inversement, il est possible de dfendre ses positions en rduisant davantage les limites dans lesquelles elles sappliquent initialement, pour peu que notre formulation nous y aide. ;Exemple 2 A dit : La Paix de 1814 a donn toutes les villes allemandes de la ligue hansatique leur indpendance. et B donne une en rappelant que Dantzig avait reu son indpendance de Bonaparte et lavait perdu par cette Paix. A se sauve : Jai dit toutes les villes allemandes de la ligue hansatique : Danzig tait une ville polonaise. Ce stratagme a dj t mentionn par Aristote dans Topica , VIII, 12, 11.
12
;Exemple 3 Lamark, dans sa Philosophie zoologique rejette lide que les polypes puissent prouver des sensations car ils sont dpourvus de nerfs. Il est cependant certain quil existe chez eux un sens de la perception : ceux-ci sorientent en direction de la lumire en se dplaant de tentacule en tentacule et peuvent saisir leurs proies. Il a donc t mis lhypothse que leur systme nerveux stendait travers tout leur corps en gale mesure, comme sils taient fusionns avec, car il est vident que les polypes possdent la facult de perception sans prsenter dorganes sensoriels. Comme cette thorie rfute largument de Lamark, celui-ci a recours la dialectique : Dans ce cas toutes les parties du corps des polypes doivent tre capable de toute sorte de perception, de mouvement et de pense. Le polype aurait alors en chaque point de son corps tous les organes du plus parfait des animaux : chaque point pourrait voir, sentir, goter, couter, etc. Ou mieux : penser, juger, faire des conclusions : chaque particule de son corps serait un animal parfait, et le polype serait au-dessus de lhomme car chaque particule de son corps aurait toutes les capacits des hommes. En outre, il ny aurait pas de raisons de ne pas tendre ce qui est vrai pour le polype tous les monades, puis aux plantes, lesquelles sont elles aussi vivantes, etc. En faisant usage de cette stratgie de dialectique, un crivain trahit le fait quil sait avoir tort. Parce que quelquun a dit : Tout leur corps peroit la lumire et agit donc comme un nerf , Lamark a tendu au fait que le corps tait capable de penser.
13
- Lhomonymie
Stratagme II Lhomonymie Ce stratagme consiste tendre une proposition quelque chose qui a peu ou rien voir avec le discours original hormis la similarit des termes employs an de la rfuter triomphalement et donner limpression davoir rfut la proposition originale. Nota : des mots sont synonymes lorsquils reprsentent la mme conception tandis que des homonymes sont deux conceptions couvertes par le mme mot. Voir Aristote, , I, 13. Profond , coupant , haut pour parler tantt de corps tantt de ton sont des homonymes tandis que honorable et honnte sont des synonymes . On peut voir ce stratagme comme tant identique au sophisme ex homonymia . Cependant, si le sophisme est vident, il ne trompera personne.
Nous pouvons voir ici quatre termes : lumire , utilis la fois au sens propre et au sens gur. Mais dans les cas subtils ces homonymes couvrant plusieurs concepts peuvent induire en erreur ;Exemple 1 A : Vous ntes pas encore initi aux mystres de la philosophie de Kant. B : Ah, mais sil sagit de mystres, cela ne mintresse pas !
14
;Exemple 2 Jai condamn le principe d honneur comme tant ridicule car si un homme perd son honneur en recevant une insulte, il ne peut la laver quen rtorquant une insulte encore plus grande ou en faisant couler le sang de son adversaire ou le sien. Jai soutenu que le vritable honneur dun homme ne pouvait tre terni par dont il souffre, mais uniquement par ses actions car il est impossible de prvoir ce qui peut nous arriver. Mon adversaire attaqua immdiatement mon argument en me prouvant triomphalement que lorsquun commerant se faisait faussement accuser de malhonntet ou de mal tenir son affaire, ctait une attaque son honneur et ce dernier souffrait cause de ce quil subissait et ne pouvait tre lav quen punissant son agresseur et en le forant se rtracter. Ici, lhomonyme impos est celui entre l honneur civique , galement appel bon nom , qui peut souffrir de la diffamation et du scandale, et l honneur chevaleresque ou point dhonneur , qui peut souffrir de linsulte. On ne peut ne pas tenir compte dune attaque sur le premier qui doit tre rfute en public, et donc avec la mme justication, une attaque sur le second ne peut pas non plus tre ignor mais ne peut tre lav que par le duel ou une insulte encore plus grande. Nous avons l une confusion entre deux choses compltement diffrentes qui se rassemblent dans lhomonyme honneur do provient laltration du dbat.
-
15
- La gnralisation des arguments adverses
Stratagme III La gnralisation des arguments adverses Il s ?agit de prendre une proposition lang|grc| ? ? ? ? ? ?, relative, et de la poser comme lang|grc| ? ? ? ? ?, absolue 2 ou du moins la prendre dans un contexte compltement diffrent et puis la rfuter. L ?exemple d ?Aristote est le suivant : le Maure est noir, mais ses dents sont blanches, il est donc noir et blanc en mme temps. Il s ?agit d ?un exemple invent dont le sophisme ne trompera personne. Il faut donc prendre un exemple rel. ;Exemple 1 Lors dune discussion concernant la philosophie, jai admis que mon systme soutenait les Quitistes et les louait. Peu aprs, la conversation dvia sur Hegel et jai maintenu que ses crits taient pour la plupart ridicules, ou du moins, quil y avait de nombreux passages o lauteur crivait des mots en laissant au lecteur le soin de deviner leur signication. Mon adversaire ne tenta pas de rfuter cette afrmation ad rem , mais se contenta de l argumentum ad hominem en me disant que je faisais la louange des Quitistes alors que ceux-ci avaient galement crit de nombreuses btises. Jai admis ce fait, mais pour le reprendre, jai dit que ce ntait pas en tant que philosophes et crivains que je louais les Quitistes, cest--dire de leurs ralisations dans le domaine de la thorie , mais en tant quhommes et pour leur conduite dans le domaine pratique , alors que dans le cas dHegel, nous parlions des ses thories. Ainsi ai-je par lattaque. Les trois premiers stratagmes sont apparents : ils ont en commun le fait que lon attaque quelque chose de diffrent que ce qui a t afrm. Ce serait un ignoratio elenchi de se faire battre de telle faon. Dans tous les exemples que jailanglaSophisma a dicto secundum quid ad dictum simpliciter . le second langlaelenchus sophisticus dAristote, langgrc ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?, ? ? ? ? ? ? ? ?, ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?, ? ? ? ?, ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ?, Les Rfutations Sophistiques , 5.2
:
Cest -
16
donn, ce que dit ladversaire est vrai et il se tient cest en opposition apparente et non relle avec la thse. Tout ce que nous avons faire pour parer ce genre dattaque est de nier la validit du syllogisme, cest--dire la conclusion quil tire, parce quil est en tort et nous sommes dans le vrai. Il sagit donc dune rfutation directe de la rfutation per negationem consequenti . Il ne faut pas admettre les vritables prmisses car on peut alors deviner les conclusions. Il existe cependant deux faons de sopposer cette stratgie que nous verrons dans les sections 4 et 5. -
17
- Cacher son jeu
Stratagme IV Cacher son jeu Lorsque lon dsire tirer une conclusion, il ne faut pas que ladversaire voie o lon veut en venir, mais quand mme lui faire admettre les prmisses un par un, lair de rien, sans quoi ladversaire tentera de sy opposer par toutes sortes de chicanes. Sil est douteux que ladversaire admette les prmisses, il faut tablir des prmisses ces prmisses, faire des pr-syllogismes et sarranger pour les faire admettre, peu importe lordre. Vous cachez ainsi votre jeu jusqu ce que votre adversaire ait approuv tout ce dont vous aviez besoin pour lattaquer. Ces rgles sont donnes dans Aristote, Topica , VIII, 1. Ce stratagme na pas besoin dtre illustr par un exemple.
18
- Faux arguments
Stratagme V Faux arguments On peut, pour prouver une assertion dans le cas o ladversaire refuse dapprouver de vrais arguments, soit parce quil nen peroit pas la vracit, soit parce quil devine o lon veut en venir, utiliser des arguments que lon sait tre faux. Dans ce cas, il faut prendre des arguments faux en eux-mmes, mais vrais ad hominem , et argumenter avec la faon de penser de ladversaire, cest--dire ex concessis . Une conclusion vraie peut en effet dcouler de fausses prmisses, mais pas linverse. De mme, on peut dtourner les faux arguments de ladversaire par de faux arguments quil pense tre vrais. Il faut utiliser son mode de pense contre lui. Ainsi, sil est membre dune secte laquelle nous nappartenons pas, nous pouvons utiliser la doctrine de secte contre lui. Aristote, Topica , VIII, 9.
19
- Postuler ce qui na pas t prouv
Stratagme VI Postuler ce qui na pas t prouv On fait une petitio principii en postulant ce qui na pas t prouv, soit : en utilisant un autre nom, par exemple bonne rputation au lieu de honneur , vertu au lieu de virginit , etc. ou en utilisant des mots intervertibles comme animaux sang rouge au lieu de vertbrs ; en faisant une afrmation gnrale couvrant ce dont il est question dans le dbat : par exemple maintenir lincertitude de la mdecine en postulant lincertitude de toute la connaissance humaine ; ou vice-versa, si deux choses dcoulent lune de lautre, et que lune reste prouver, on peut postuler lautre ; si une proposition gnrale reste prouver, on peut amener ladversaire admettre chaque point particulier. Ceci est linverse du deuxime cas. Aristote, Topica , VIII, 11. Le dernier chapitre du Topica contient de bonnes rgles pour sentraner la dialectique.
20
- Atteindre le consensus par des questions
Stratagme VII Atteindre le consensus par des questions Si le dbat est conduit de faon relativement stricte et formelle, et quil y a le dsir darriver un consensus clair, celui qui formule une proposition et veut la prouver peut sopposer son adversaire en posant des questions, an de dmontrer la vrit par ses admissions. Cette mthode rothmatique (galement appele Socratique) tait particulirement en usage chez les Anciens, et quelques stratagmes dvelopps plus loin y sont associs ( ceux-ci drivent librement des Rfutations Sophistiques dAristote, chapitre 15 ). Lide est de poser beaucoup de questions large porte en mme temps, comme pour cacher ce que lon dsire faire admettre. On soumet ensuite rapidement largument dcoulant de ces admissions : ceux qui ne sont pas vif desprit ne pourront pas suivre avec prcision le dbat et ne remarqueront pas les erreurs ou oublis de la dmonstration.
21
- Fcher ladversaire
Stratagme VIII Fcher ladversaire Provoquez la colre de votre adversaire : la colre voile le jugement et il perdra de vue o sont ses intrts. Il est possible de provoquer la colre de ladversaire en tant injuste envers lui plusieurs reprises, ou par des chicanes, et en tant gnralement insolent.
22
- Poser les questions dans un autre ordre
Stratagme IX Poser les questions dans un autre ordre Posez vos questions dans un ordre diffrent de celui duquel la conclusion dpend, et transposez-les de faon ce que ladversaire ne devine pas votre objectif. Il ne pourra alors pas prendre de prcautions et vous pourrez utiliser ses rponses pour arriver des conclusions diffrentes, voire opposes. Ceci est apparent au stratagme 4 : cacher son jeu.
23
- Prendre avantage de lantithse
Stratagme X Prendre avantage de lantithse Si vous vous rendez compte que votre adversaire rpond par la ngative une question laquelle vous avez besoin quil rponde par la positive dans votre argumentation, interrogez-le sur loppos de votre thse, comme si ctait cela que vous vouliez lui faire approuver, ou donnez-lui le choix de choisir entre les deux an quil ne sache pas laquelle des deux propositions vous voulez quil adhre.
24
- Gnraliser ce qui porte sur des cas prcis
Stratagme XI Gnraliser ce qui porte sur des cas prcis Faites une induction et arrangez vous pour que votre adversaire concde des cas particuliers qui en dcoulent, sans lui dire la vrit gnrale que vous voulez lui faire admettre. Introduisez plus tard cette vrit comme un fait admis, et, sur le moment, il aura limpression de lavoir admise lui-mme, et les auditeurs auront galement cette impression car ils se souviendront des nombreuses questions sur les cas particuliers que vous aurez pos.
25
- Choisir des mtaphores favorables
Stratagme XII Choisir des mtaphores favorables Si la conversation porte autour dune conception gnrale qui ne porte pas de nom mais requiert une dsignation mtaphorique, il faut choisir une mtaphore favorable votre thse. Par exemple, les mots et utiliss pour dsigner les partis politiques espagnols furent manifestement choisis par ces derniers. Le terme protestant fut choisi par les protestants, ainsi que le terme vangliste par les vanglistes, mais les catholiques les appellent des hrtiques . On peut agir de mme pour les termes ayant des dnitions plus prcises, par exemple, si votre adversaire propose une altration , vous lappellerez une innovation car ce terme est pjoratif. Si vous tes celui qui fait une proposition, ce sera linverse. Dans le premier cas, vous vous rfrerez votre adversaire comme tant lordre tabli , dans le second cas, comme prjug dsuet . Ce quune personne impartiale appellerait culte ou pratique de la religion serait dsign par un partisan comme pit ou bndiction divine et par un adversaire comme bigoterie ou superstition . Au nal, il sagit l dun : ce qui na pas t dmontr est utilis comme postulat pour en tirer un jugement. L o une personne parle de mise en dtention provisoire , une autre parlera de mettre sous les verrous . Un interlocuteur trahira ainsi souvent ses positions par les termes quil emploie. De tous les stratagmes, celui-ci est le plus couramment utilis et est utilis dinstinct. Lun parlera de prtres l o un autre parlera de ratichons . Zle religieux = fanatisme, indiscrtion ou galanterie = adultre, quivoque = salace, embarras = banqueroute, par linuence et les connections = par les pots-de-vin et le npotisme , sincre gratitude = bon paiement , etc.
26
- Faire rejeter lantithse
Stratagme XIII Faire rejeter lantithse Pour que notre adversaire accepte une proposition, il faut galement lui fournir la contre-proposition et lui donner le choix entre les deux, en accentuant tellement le contraste que, pour viter une position paradoxale, il se ralliera notre proposition qui est celle qui parat le plus probable. Par exemple, si vous voulez lui faire admettre quun garon doit faire tout ce que son pre lui dit de faire, posez lui la question : Faut-il en toutes choses obir ou bien dsobir ses parents ? De mme, si lon dit dune chose quelle se droule souvent , demandez si par souvent il faut comprendre peu ou beaucoup de cas et il vous dira beaucoup . Cest comme si lon plaait du gris ct du noir et quon lappelait blanc, ou ct du blanc et quon lappelait noir.
27
- Clamer victoire malgr la dfaite
Stratagme XIV Clamer victoire malgr la dfaite Il est un pige effront que vous pouvez poser contre votre adversaire : lorsque votre adversaire aura rpondu plusieurs questions, sans quaucune des rponses ne se soient montres favorables quant la conclusion que vous dfendez, prsentez quand mme votre conclusion triomphalement comme si votre adversaire lavait prouve pour vous. Si votre adversaire est timide, ou stupide, et que vous vous montrez sufsamment audacieux et parlez sufsamment fort, cette astuce pourrait facilement russir. Ce stratagme est apparent au fallacia non caus ut caus .
28
- Utiliser des arguments absurdes
Stratagme XV Utiliser des arguments absurdes Si nous avons avanc une proposition paradoxale et que nous avons du mal la prouver, nous pouvons proposer notre adversaire une proposition qui parat correcte mais dont la vrit nest pas tout fait palpable premire vue, comme si nous dsirions nous servir de cette proposition comme preuve. Si ladversaire rejette cette proposition par mance, nous proclamerons triomphalement lavoir men . Si en revanche il accepte la proposition, cela montre que nous tions raisonnablement dans le vrai et pouvons continuer dans cette voie. Nous pouvons aussi avoir recours au stratagme prcdent et dclarer notre position paradoxale dmontre par la proposition quil a admise. Cela demande une impudence extrme mais de tels cas arrivent et il est des personnes qui procdent ainsi dinstinct.
29
- Argument langlaad hominem
Stratagme XVI Argument mdseries L ou : lorsque notre adversaire fait une proposition, il faut vrier si celle-ci ne serait pas inconsistante - mme si ce nest quune apparence - avec dautres propositions quil a faites ou admises, ou avec les principes de lcole ou de la secte laquelle il appartient, ou avec les actions des membres de son culte, au pire avec ceux qui donnent limpression davoir les mmes opinions, mme si cest infond. Par exemple, sil dfend le suicide, on peut lui rpondre : Alors pourquoi ne te pends-tu pas ? Ou encore, sil soutient quil ne fait pas bon vivre Berlin, on peut rtorquer : Pourquoi ne prends-tu pas le premier express pour la quitter ? Tel est le genre de chicanes que lon peut utiliser.
30
- Se dfendre en coupant les cheveux en quatre
Stratagme XVII Se dfendre en coupant les cheveux en quatre Si ladversaire nous repousse en prsentant des preuves contraires, il est souvent possible de se sauver en tablissant une ne distinction laquelle nous navions pas pens auparavant. Ceci sapplique dans le cas de double sens ou double cas.
31
- Interrompre et dtourner le dbat
Stratagme XVIII Interrompre et dtourner le dbat Si nous nous rendons compte que ladversaire a entrepris une srie darguments qui va mener notre dfaite, il ne faut pas lui permettre darriver conclusion mais linterrompre au milieu de son argumentation, le distraire, et dvier ce sujet pour lamener dautres. On peut utiliser un (voir ).
32
- Gnraliser plutt que de dbattre de dtails
Stratagme XIX Gnraliser plutt que de dbattre de dtails Si ladversaire nous de expressment de mettre mal un point particulier de son argumentation mais que nous ne voyons pas grand-chose y redire, nous devons tenter de gnraliser le sujet puis de lattaquer l dessus. Si on nous demande dexpliquer pourquoi on ne peut pas faire conance une certaine hypothse physique, nous pouvons invoquer la faillibilit de la connaissance humaine en citant plusieurs exemples.
33
- Tirer des conclusions
Stratagme XX Tirer des conclusions Lorsque nous avons postul nos prmisses et que ladversaire les a admises, il faut sabstenir de lui demander de tirer lui-mme conclusions et le faire soi-mme immdiatement. Et mme sil manque une prmisse ou deux, nous pouvons faire comme si elles avaient t admises et annoncer la conclusion. Il sagit dune application du .
34
- Rpondre de mauvais arguments par de mauvais arguments
Stratagme XXI Rpondre de mauvais arguments par de mauvais arguments Lorsque ladversaire use dun argument superciel ou sophistique, et que nous voyons travers, il est certes possible de le rfuter en exposant son caractre superciel, mais il est prfrable dutiliser un contre argument tout aussi superciel et sophistique. En effet, ce nest pas de la vrit dont nous nous proccupons mais de la victoire. Sil utilise par exemple un il suft dy rpondre par un contre ( ). Il est en gnral plus court de procder ainsi que de stablir la vrit par une longue argumentation.
35
- langlaPetitio principii
Stratagme XXII
Si notre adversaire veut que nous admettions quelque chose partir duquel le point problmatique du dbat sensuit, il faut refuser en dclarant que ladversaire fait un . Lauditoire identiera immdiatement tout argument similaire comme tel et privera ladversaire de son meilleur argument.
36
- Forcer ladversaire lexagration
Stratagme XXIII Forcer ladversaire lexagration La contradiction et la dispute incitent lhomme l exagration . Nous pouvons ainsi par la provocation inciter ladversaire aller au-del des limites de son argumentation pour le rfuter et donner limpression que nous avons rfut largumentation elle mme. De mme, il faut faire attention ne pas exagrer ses propres arguments sous leffet de la contraction. Ladversaire cherchera souvent lui-mme exagrer nos arguments au-del de leurs limites et il faut larrter immdiatement pour le ramener dans les limites tablies : Voil ce que jai dit, et rien de plus.
37
- Tirer de fausses conclusions
Stratagme XXIV Tirer de fausses conclusions Il sagit de prendre une proposition de ladversaire et den dformer lesprit pour en tirer de fausses propositions, absurdes et dangereuses que sa proposition initiale nincluait pas : cela donne limpression que sa proposition a donn naissance dautres qui sont incompatibles entre elles ou dent une vrit accepte. Il sagit dune rfutation indirecte, une apagogie , qui est une autre application de .
38
- Trouver une exception
Stratagme XXV Trouver une exception Il sagit dune apagogie travers une instance , un . L, , ncessite un grand nombre dinstances bien dnies pour stablir comme une proposition universelle tandis que l ne requiert quune seule instance laquelle la proposition ne sapplique pas et qui la rfute. Cest ce qui sappelle une instance, , , . Par exemple, la phrase : Tous les ruminants ont des cornes est rfute par la seule instance du chameau. Linstance sapplique l o une vrit fondamentale cherche tre mise en application, mais que quelque chose est insr dans la dnition qui ne la rend pas universellement vraie. Il est cependant possible de se tromper et avant dutiliser des instances, il faut vrier : si lexemple est vrai, car il y a des cas dans lesquels lunique exemple nest pas vrai, comme dans le cas de miracles, dhistoires de fantmes, etc. ; si lexemple entre dans le domaine de conception de la vrit qui est tabli par la proposition, car a pourrait ntre quapparent, et le sujet est de nature tre rgl par des distinctions prcises ; si lexemple est rellement inconsistant avec la proposition, car l encore, ce nest souvent quapparent.
39
- Retourner un argument contre ladversaire
Stratagme XXVI Retourner un argument contre ladversaire Un coup brillant est le par lequel on retourne largument dun adversaire contre lui. Si par exemple, celui-ci dit : Ce nest quun enfant, il faut tre indulgent. le serait : Cest justement parce que cest un enfant quil faut le punir, ou il gardera de mauvaises habitudes.
40
- La colre est une faiblesse
Stratagme XXVII La colre est une faiblesse Si ladversaire se met particulirement en colre lorsquon utilise un certain argument, il faut lutiliser avec dautant plus de zle : non seulement parce quil est bon de le mettre en colre, mais parce quon peut prsumer avoir mis le doigt sur le point faible de son argumentation et quil est dautant plus expos que maintenant quil sest trahi.
41
- Convaincre le public et non ladversaire
Stratagme XXVIII Convaincre le public et non ladversaire Il sagit du genre de stratgie que lon peut utiliser lors dune discussion entre rudits en prsence dun public non instruit. Si vous navez pas d argumentum ad rem , ni mme d ad hominem , vous pouvez en faire un ad auditores , c.-d. une objection invalide, mais invalide seulement pour un expert. Votre adversaire aura beau tre un expert, ceux qui composent le public nen sont pas, et leurs yeux, vous laurez battu, surtout si votre objection le place sous un jour ridicule. : les gens sont prts rire et vous avez les rires vos cts. Montrer que votre objection est invalide ncessitera une explication longue faisant rfrence des branches de la science dont vous dbattez et le public nest pas spcialement dispos lcouter. Exemple : ladversaire dit que lors de la formation des chanes de montagnes, le granite et les autres lments qui les composent taient, en raison de leur trs haute temprature, dans un tat uide ou en fusion et que la temprature devait atteindre les 250C et que lorsque la masse sest forme, elle fut recouverte par la mer. Nous rpondons par un argumentum ad auditores qu cette temprature-l, et mme bien avant, vers 100C, la mer se serait mise bouillir et se serait vapore. Lauditoire clate de rire. Pour rfuter notre objection, notre adversaire devrait montrer que le point dbullition ne dpend pas seulement de la temprature mais aussi de la pression, et que ds que la moiti de leau de mer se serait vapore, la pression aurait sufsamment augmente pour que le reste reste ltat liquide 250C. Il ne peut donner cette explication, car pour faire cette dmonstration il lui faudrait donner un cours un auditoire qui na pas de connaissances en physique.
42
- Faire diversion
Stratagme XXIX Faire diversion Lorsque lon se rend compte que lon va tre battu, on peut faire une diversion , c.--d. commencer parler de quelque chose de compltement diffrent, comme si a avait un rapport avec le dbat et consistait un argument contre votre adversaire. Cela peut tre fait innocemment si cette diversion avait un lien avec le , mais dans le cas o il ny a pas, cest une stratgie effronte pour attaquer votre adversaire. Par exemple, jai lou le systme chinois o la transmission des charges ne se faisait pas entre nobles par hrdit, mais aprs un examen. Mon adversaire avait soutenu que le droit de naissance (quil tenait en haute opinion) plus que la capacit dapprentissage rendait les gens capable doccuper un poste. Nous avons dbattu et il sest trouv dans une situation difcile. Il a fait diversion et dclar que les Chinois de tout rang taient punis par la bastonnade, et a fusionn ce fait avec leur habitude de boire du th an de sen servir comme point de dpart pour critiquer les Chinois. Le suivre dans cette voie aurait t se dpouiller dune victoire dj acquise. La diversion est un stratagme particulirement effront lorsquil consiste compltement abandonner le pour soulever une objection du type : Oui, et comme vous le souteniez jusquici, etc. car le dbat devient alors personnel, ce qui sera le dernier stratagme dont nous parlerons. Autrement dit, on se trouve mi-chemin entre l dont nous discutons ici et l . Ce stratagme est inn et peut souvent se voir lors de disputes entre tout un chacun. Si lune des parties fait un reproche personnel contre lautre, cette dernire , au lieu de la rfuter, ladmet et reproche son adversaire autre chose. Cest ce genre de stratagme quutilisa Scipion lorsquil attaqua les Cartaginois, non pas 43
en Italie, mais en Afrique. la guerre, ce genre de diversion peut tre appropri sur le moment. Mais lors des dbats, ce sont de pauvres expdients car le reproche demeure et ceux qui ont cout le dbat ne retiennent que le pire des deux camps. Ce stratagme ne devrait tre utilis que faute de mieux .
44
- Argument dautorit
Stratagme XXX Argument dautorit L . Celui-ci consiste faire appel une autorit plutt qu la raison, et dutiliser une autorit appropri aux connaissances de ladversaire. dit Snque (dans , I, 4) et il est donc facile de dbattre lorsquon a une autorit ses cts que notre adversaire respecte. Plus ses capacits et connaissances sont limites et plus le nombre dautorits qui font impression sur lui est grand. Mais si ses capacits et connaissances sont dun haut niveau, il y en aura peu, voire pratiquement pas. Peut-tre reconnatra t-il lautorit dun professionnel vers dans une science, un art ou artisanat dont il ne connat peu ou rien, mais il aura plus tendance ne pas leur faire conance. linverse, les personnes ordinaires ont un profond respect pour les professionnels de tout bord. Ils ne se rendent pas compte que quelquun fait carrire non pas par amour pour son sujet mais pour largent quil se fait dessus et quil est donc rare que celui qui enseigne un sujet le connaisse sur le bout des doigts, car le temps ncessaire pour ltudier ne laisserait souvent que peu de place pour lenseigner. Mais il y a beaucoup dautorits qui ont le respect du sur tout type de sujet, donc si nous ne trouvons pas dautorit approprie, nous pouvons en utiliser une qui le parat ou reprendre ce qu dit quelquun hors contexte. Les autorits que ladversaire ne comprend pas sont gnralement celles qui ont le plus dimpact. Les illettrs ont un certain respect pour les phrases grecques ou latines. On peut aussi si ncessaire non seulement dformer les paroles de lautorit, mais carrment la falsier ou leur faire dire quelque chose de votre invention : souvent, ladversaire na pas de livre la main ou ne peut pas en faire usage. Le plus bel exemple rside en ce cur franais, qui, pour ne pas avoir paver la rue devant sa maison comme devaient le faire tous les autres citoyens, cita une phrase quil dclara biblique : qui convainquit les conseillers municipaux. En outre, un prjug universel peut galement servir comme autorit. Parce que beaucoup de personnes croient comme le disait Aris45
tote que , il ny a pas dopinion, si absurde soit-elle, que les hommes ne sont pas prts embrasser ds quils peuvent pourvu quon puisse les convaincre que cest une vue gnralement admise . Lexemple affecte leur pense et leurs actions. Ils sont comme des moutons, suivant celui qui porte le grelot o quil les mne : il est pour eux plus facile de mourir que de rchir. Il est particulirement trange que luniversalit dune opinion ait autant de poids lorsque par lexprience on sait que son acceptation nest gure quun processus imitatif sans aucune rexion. Cependant, ils ne se posent pas cette question parce quils ne possdent plus de connaissance qui leur soit propre. Seuls les lus disent avec Platon , c.--d. le a beaucoup de btises dans le crne, et cela prendrait trop de temps que dy remdier. L opinion du public nest pas en soi une preuve, ni mme une probabilit de la vracit des arguments adverses. Ceux qui le maintiennent doivent prendre en compte : que le temps te une opinion universelle sa force dmonstrative : autrement, les erreurs du pass que lon tenait pour vrit devraient tre toujours dactualit. Il faudrait par exemple restaurer le systme ptolmaque ou ramener le catholicisme dans les pays protestants. que l espace a le mme effet, autrement, luniversalit respective du bouddhisme, du christianisme et de lislam poserait une difcult. ( Cf . Bentham, Tactique des assembles lgislatives , II, 76). Ce que lon appelle l opinion gnrale est, somme toute, lopinion de deux ou trois personnes et il est ais de sen convaincre lorsque lon comprend comment lopinion gnrale se dveloppe. Cest deux ou trois personnes qui formulent la premire instance, lacceptent et la dveloppent ou la maintiennent et qui se sont persuades de lavoir sufsamment prouve. Puis quelques autres personnes, persuades que ces premires personnes avaient les capacits ncessaires, ont galement accept ces opinions. Puis, l encore, acceptes par beaucoup dautres dont la paresse a tt fait de convaincre quil valait mieux y croire plutt que de fatiguer prouver eux-mmes la thorie. Ainsi, le nombre de ces adhrents paresseux et crdules grossit de jour en jour, car ceux-ci nallaient gure au-del du fait que les autres nont pu tre que convaincus par la pertinence des arguments. Le reste ne pouvait alors que prendre pour acquis ce qui tait universellement accept an de ne pas passer pour des rvolts rsistant aux opinions que tout le monde avait accept, soit des personnes se croyant plus intelligentes que le reste du monde. Lorsque lopinion a atteint ce stade, y adhrer devient un devoir, et le peu de personnes capables de former un jugement doivent rester silencieux : ceux qui parlent sont incapables de former leurs propres opinions et ne se font que lcho des opinions dautres personnes, et pourtant, sont capables de les dfendre avec une ferveur et une intolrance immenses. Ce que lon dteste dans les per46
sonnes qui pensent diffremment nest pas leurs opinions, mais leur prsomption de vouloir formuler leur propre jugement, une prsomption dont eux-mmes ne se croient pas coupables, ce dont ils ont secrtement conscience. Pour rsumer, peu de personnes savent rchir, mais tout le monde veut avoir une opinion et que reste-t-il sinon prendre celle des autres plutt que de se forger la sienne ? Et comme cest ce qui arrive, quelle valeur peut-on donc donner cette opinion, quand bien mme cent millions de personnes la supportent ? Cest comme un fait historique rapport par des centaines dhistoriens qui se seraient plagi les uns les autres : au nal, on remonte qu un seul individu. ( Cf . Bayle, Penses sur les comtes , I, 10).
Et pourtant, on peut utiliser lopinion gnrale dans un dbat avec des personnes ordinaires. On peut se rendre compte que lorsque deux personnes dbattent, cest le genre darme que tous deux vont utiliser outrance. Si quelquun de plus intelligent doit avoir affaire eux, il lui est recommand de condescendre user de cette arme confortable et dutiliser des autorits qui feront forte impression sur le point faible de son adversaire. Car contre cette arme, la raison est, , aussi insensible quun Siegfried cornu, immerg dans le ot de lincapacit et de lincapacit de juger. Devant un tribunal, on ne dbat quavec des autorits, celles de la loi, dont le jugement consiste trouver quelle loi ou quelle autorit sapplique laffaire dont il est question. Il y a pourtant tout fait place user de la dialectique, car si laffaire et la loi ne sajustent pas compltement, on peut les tordre jusqu ce quelles le paraissent, et vice versa.
47
- Je ne comprends rien de ce que vous me dites
Stratagme XXXI Je ne comprends rien de ce que vous me dites Si on se retrouve dans une situation o on ne sait pas quoi rtorquer aux arguments de ladversaire, on peut par une ne ironie, se dclarer incapable de porter un jugement : Ce que vous me dites dpasse mes faibles capacits dentendement : a peut trs bien tre correct, mais je ne comprends pas sufsamment et je mabstiendrai donc de donner un avis. En procdant ainsi, on insinue auprs de lauditoire - auprs duquel votre rputation est tablie - que votre adversaire dit des btises. Ainsi, lorsque la Critique de la raison pure de Kant commena faire du bruit, de nombreux professeurs de lancienne cole clectique dclarrent : nous ny comprenons rien. croyant que cela rsoudrait laffaire. Mais lorsque les adhrents de la nouvelle cole leur prouvrent avoir raison, ceux qui dclarrent ne rien y avoir compris en furent pour leurs frais. On aura besoin davoir recours cette tactique uniquement lorsquon est certain que laudience est plus incline en notre faveur quenvers ladversaire. Un professeur pourrait par exemple sen servir contre un lve. proprement parler, ce stratagme appartient au stratagme prcdent o lon fait usage de sa propre autorit au lieu de chercher raisonner, et dune faon particulirement malicieuse. La contre-attaque est de dire : Toutes mes excuses, mais avec votre intelligence pntrante il doit vous tre particulirement ais de pouvoir comprendre nimporte quoi, et cest donc ma pauvre argumentation qui est en dfaut. et de continuer lui graisser la patte jusqu ce quil nous comprenne quil nous apparat clair quil navait vraiment compris. Ainsi pare-t-on cette attaque : si ladversaire insinue que nous disons des btises, nous insinuons quil est un imbcile, le tout dans la politesse la plus exquise.
48
- Principe de lassociation dgradante
Stratagme XXXII Principe de lassociation dgradante Lorsque lon est confront une assertion de ladversaire, il y a une faon de lcarter rapidement, ou du moins de jeter lopprobre dessus en la plaant dans une catgorie pjorative, mme si lassociation nest quapparente ou trs tnue. Par exemple que cest du manichisme, ou de larianisme, du plagianisme, de lidalisme, du spinosisme, du panthisme, du brownianisme, du naturalisme, de lathisme, du rationalisme, du spiritualisme, du mysticisme, etc. Nous acceptons du coup deux choses : que lassertion en question est apparente ou contenue dans la catgorie cite : Oh, jai dj entendu a ! ; que le systme auquel on se rfre a dj t compltement rfut et ne contient pas un seul mot de vrai.
49
- En thorie oui, en pratique non
Stratagme XXXIII En thorie oui, en pratique non Cest peut-tre vrai en thorie, mais en pratique a ne marche pas. Par ce sophisme, on admet les prmisses mais on nie les consquences, et ce en contradiction avec la rgle de logique . Lassertion est base sur une impossibilit : ce qui est correct en thorie doit marcher en pratique, et si a ne marche pas cest quil a une erreur dans la thorie, quelque chose qui a t oubli, et que cest donc la thorie qui est fausse.
50
- Accentuer la pression
Stratagme XXXIV Accentuer la pression Lorsque vous soulevez un point ou posez une question laquelle ladversaire ne donne pas de rponse directe, mais lvite par une autre question, une rponse indirecte ou quelque chose qui na rien voir, et de faon gnrale cherche dtourner le sujet, cest un signe certain que vous avez touch un point faible, parfois sans mme le savoir, et que vous lavez en somme rduit au silence. Vous devez donc appuyer davantage sur ce point et ne pas laisser votre adversaire lviter, mme si vous ne savez pas o rside exactement la faille.
51
- Les intrts sont plus forts que la raison
Stratagme XXXV Les intrts sont plus forts que la raison Ds que ce stratagme peut tre utilis, tous les autres perdent leur utilit : au lieu de tenter dargumenter avec lintellect de ladversaire, nous pouvons appeler ses intentions et ses motifs, et si lui et lauditoire ont les mmes intrts, ils se rallieront notre opinion, quand bien mme elle fut emprunte un asile dalins, car de manire gnrale, un poids dintention pse plus que cent de raison et dintelligence. Ceci nest bien entendu vrai que dans certaines circonstances. Si on arrive faire sentir ladversaire que son opinion si elle savrait vraie porterait un prjudice notable ses intrts, il la laisserait tomber comme une barre de fer chauffe prise par inadvertance. Par exemple, un prtre dfend un certain dogme philosophique. Si on lui signie que celui-ci est en contradiction avec une des doctrines fondamentales de son glise, il labandonnera. Un propritaire terrien soutient lutilisation de machinerie agricole telle quelle est pratique en Angleterre, car une seule machine vapeur accomplit le travail de nombreux hommes. Si quelquun lui fait remarquer que bientt les transports seront galement assurs par des machines vapeur et quen consquence le prix de ses talons chutera de manire dramatique, voyons voir ce quil va dire. Dans de telles situations, gnralement le sentiment de tout le monde se retrouve dans la citation : . Et de mme si lauditoire appartient la mme secte, guilde, industrie, club, etc. que nous, et pas notre adversaire : sa thse ne devient plus correcte ds lors quelle porte atteinte aux intrts communs de ladite gilde, etc. et les auditeurs trouveront les arguments de notre adversaire faibles et abominables, peu importe leur qualit, tandis que les ntres seront jugs corrects et appropris mme sil ne sagissait que de vagues conjectures. Nous nous ferons applaudir par la foule tandis que ladversaire devra honteusement quitter les lieux. Oui, lauditoire, de faon 52
gnrale, sera daccord avec nous uniquement par pure conviction, car ce qui apparatra comme tant dsavantageux pour nous leur paratra intellectuellement absurde. . Ce stratagme pourrait sappeler toucher larbre par la racine et porte le nom plus courant d .
53
- Dconcerter ladversaire par des paroles insenses
Stratagme XXXVI Dconcerter ladversaire par des paroles insenses Nous pouvons stuper ladversaire en utilisant des paroles insenses. Ce stratagme est bas sur le fait que :
Sil est secrtement conscient de sa propre faiblesse et est habitu entendre de nombreuses choses quil ne comprend pas mais fait semblant de les avoir comprises, on peut aisment limpressionner en sortant des tirades la formulation rudites, mais ne voulant rien dire du tout, ce qui le prive de loue, de la vue et de la pense, ce sous-entend quil sagit dune preuve indiscutable de la vracit de notre thse. Il est bien connu que dans les temps modernes, certains philosophes ont utilis ce stratagme contre tout le peuple allemand avec un brillant succs. Mais comme il sagit d , nous pouvons prfrer nous rfrer au de Goldsmith, chap. 7.
54
- Une fausse dmonstration signe la dfaite
Stratagme XXXVII Une fausse dmonstration signe la dfaite (devrait tre le premier). Lorsque ladversaire a raison, mais a, par bonheur, utilis une fausse dmonstration, nous pouvons facilement la rfuter et dclamer ensuite avoir rfut en mme temps toute la thorie. Ce stratagme devrait tre lun des premiers tre exposs car il est, somme toute, un prsent comme un . Si lui ou lauditoire na plus aucune dmonstration valable soumettre, nous avons alors triomph. Par exemple, lorsque quelquun avance largument ontologique pour prouver lexistence de Dieu alors que cet argument est facilement rfutable. Cest ainsi que les mauvais arguments perdent des bonnes affaires, en tentant de les soutenir par des autorits qui ne sont pas appropries ou lorsquaucune ne leur vient lesprit.
55
- Soyez personnel, insultant, malpoli
Ultime stratagme Soyez personnel, insultant, malpoli Lorsque lon se rend compte que ladversaire nous est suprieur et nous te toute raison, il faut alors devenir personnel, insultant, malpoli. Cela consiste passer du sujet de la dispute (que lon a perdue), au dbateur lui-mme en attaquant sa personne : on pourrait appeler a un pour le distinguer de l , ce dernier passant de la discussion objective du sujet lattaque de ladversaire en le confrontant ses admissions ou ses paroles par rapport ce sujet. En devenant personnel, on abandonne le sujet lui-mme pour attaquer la personne ellemme : on devient insultant, malveillant, injurieux, vulgaire. Cest un appel des forces de lintelligence dirige celles du corps, ou lanimalisme. Cest une stratgie trs apprcie car tout le monde peut lappliquer, et elle est donc particulirement utilise. On peut maintenant se demander quelle est la contre-attaque, car si on a recours la mme stratgie, on risque une bataille, un duel, voire un procs pour diffamation. Ce serait une erreur que de croire quil suft de ne pas devenir personnel soimme. Car montrer calmement quelquun quil a tort et que ce quil dit et pense est incorrect, processus qui se retrouve dans chaque victoire dialectique, nous laigrissons encore plus que si nous avions utilis une expression malpolie ou insultante. Pourquoi donc ? Parce que comme le dit Hobbes dans son , chap. 1 : . Pour lhomme, rien nest plus grand que de satisfaire sa vanit, et aucune blessure nest plus douloureuse que celle qui y est inige. (De l viennent des expressions comme lhonneur est plus cher que la vie , etc.) La satisfaction de cette vanit se dveloppe principalement en se comparant aux autres sous tous aspects, mais essentiellement en comparant la puissance des intellects. La manire la plus effective et la plus puissante de se satisfaire se trouve dans les dbats. Do laigreur de celui qui est battu et son recours larme ultime, ce dernier stratagme : on ne peut y chapper par la simple courtoisie. Garder son sang-froid peut cependant 56
tre salutaire : ds que ladversaire passe aux attaques personnelles, on rpond calmement quelles nont rien voir avec lobjet du dbat, on y ramne immdiatement la conversation, et on continue de lui montrer quel point il a tort, sans tenir compte de ses insultes, comme le dit Thmistocle Eurybiade : . Mais ce genre de comportement nest pas donn tout le monde. Le seul comportement sr est donc celui que mentionne Aristote dans le dernier chapitre de son : de ne pas dbattre avec la premire personne que lon rencontre, mais seulement avec des connaissances que vous savez possder sufsamment dintelligence pour ne pas se dshonorer en disant des absurdits, qui appellent la raison et pas une autorit, qui coutent la raison et sy plient, et enn qui coutent la vrit, reconnaissent avoir tort, mme de la bouche dun adversaire, et sufsamment justes pour supporter avoir eu tort si la vrit tait dans lautre camp. De l, sur cent personnes, peine une mrite que lon dbatte avec elle. On peut laisser le reste parler autant quils veulent car , et il faut se souvenir de ce que disait Voltaire : la paix vaut encore mieux que la vrit , et de ce proverbe arabe : Sur larbre du silence pendent les fruits de la paix. Le dbat peut cependant souvent tre mutuellement avantageux lorsquil est utilis pour saiguiser lesprit et corriger ses propres penses pour veiller de nouveaux points de vue. Mais les adversaires doivent alors tre de force gales que ce soit en niveau dducation ou de force mentale : si lun manque dducation, il ne comprendra pas ce que lui dit lautre et ne sera pas au mme niveau. Sil manque de force mentale, il saigrira et aura recours des stratagmes malhonntes, ou se montrera malpoli. Entre le dbat et le , etc. il ny a pas de diffrence signicative sinon que le second requiert que le ait toujours raison par rapport l et quil est donc ncessaire quil saute les , ou quon argumente avec ce dernier de manire plus formelle et ses arguments seront plus volontiers pares de strictes conclusions.
57