Lanza del Vasto et la modernité

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F. ROGNON, LANZA DEL VASTO ET LA MODERNITÉ REVUE D’HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES 2003, Tome 83 n° 3, p. 325 à 350 325 LANZA DEL VASTO ET LA MODERNITÉ Frédéric Rognon Faculté de Théologie Protestante – Palais Universitaire 9, place de l’Université – 67084 Strasbourg Cedex Résumé : La pensée de Lanza del Vasto a souvent été qualifiée de « pré- moderne », ou d’« anti-moderne » : hostile à la civilisation technique, à la sécularisation, à l’autonomie individuelle et au progrès historique. Cepen- dant, sa critique de la « modernité » ne se rapproche-t-elle pas autant des positions « post-modernes » que « pré-modernes » ? En réalité, l’œuvre de Lanza del Vasto ne peut être réduite à aucune des catégories communes de classification : penseur de l’utopie et de l’uchronie, cet auteur demeure inclassable. La découverte de sa pensée dans toute sa complexité nous conduit à interroger le principe même de l’entreprise taxinomique, et à remettre en question sa pertinence heuristique. Abstract : The thought of Lanza del Vasto has often be called « pre-modern » or « anti-modern »: hostile to technical civilization, to secularization, to individual autonomy, and to historical progress. Nevertheless, does not his criticism of « modernity » draw as near to « post-modern » positions as to « pre-modern » ones? In fact, the works of Lanza del Vasto cannot be reduced to any of the common categories of classification : as a thinker of utopia and uchronia, this author remains unclassifiable. The discovery of his thought in all its complexity induces us to wonder about the very principle of taxonomic enterprise, and to question its heuristic pertinence. Dans le champ de l’histoire des idées et des courants phi- losophiques, toute tentative taxinomique s’expose au risque de l’approximation. C’est ainsi que d’aucuns ont maintes fois cru devoir classer la pensée de Lanza del Vasto, disciple chrétien de Gandhi, parmi les « pré-modernes », ou parmi les « anti-modernes » 1 . Loin de toute neutralité axiologique, le recours à de tels qualificatifs ne laissait pas de nourrir un certain discrédit à l’encontre d’un auteur, que l’on considérait comme un archaïque égaré en plein vingtième siècle, « engagé dans un chemin qui l’éloigne chaque jour davantage de notre monde » 2 . Dans un souci de rigueur et de précision terminologiques, mais aussi de justice à l’égard d’une pensée qui se ————— 1 C’est le cas par exemple de Pierre de Boisdeffre ; cf. de Boisdeffre, 1959, p. 554 ; 1969, p. 430. 2 De Boisdeffre, 1959, p. 557.

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LANZA DEL VASTO ET LA MODERNITÉ

Frédéric RognonFaculté de Théologie Protestante – Palais Universitaire

9, place de l’Université – 67084 Strasbourg Cedex

Résumé : La pensée de Lanza del Vasto a souvent été qualifiée de « pré-moderne », ou d’« anti-moderne » : hostile à la civilisation technique, à lasécularisation, à l’autonomie individuelle et au progrès historique. Cepen-dant, sa critique de la « modernité » ne se rapproche-t-elle pas autant despositions « post-modernes » que « pré-modernes » ? En réalité, l’œuvre deLanza del Vasto ne peut être réduite à aucune des catégories communes declassification : penseur de l’utopie et de l’uchronie, cet auteur demeureinclassable. La découverte de sa pensée dans toute sa complexité nousconduit à interroger le principe même de l’entreprise taxinomique, et àremettre en question sa pertinence heuristique.

Abstract : The thought of Lanza del Vasto has often be called « pre-modern »or « anti-modern »: hostile to technical civilization, to secularization, toindividual autonomy, and to historical progress. Nevertheless, does not hiscriticism of « modernity » draw as near to « post-modern » positions as to« pre-modern » ones? In fact, the works of Lanza del Vasto cannot bereduced to any of the common categories of classification : as a thinker ofutopia and uchronia, this author remains unclassifiable. The discovery of histhought in all its complexity induces us to wonder about the very principle oftaxonomic enterprise, and to question its heuristic pertinence.

Dans le champ de l’histoire des idées et des courants phi-losophiques, toute tentative taxinomique s’expose au risque del’approximation. C’est ainsi que d’aucuns ont maintes fois cru devoirclasser la pensée de Lanza del Vasto, disciple chrétien de Gandhi,parmi les « pré-modernes », ou parmi les « anti-modernes »

1. Loinde toute neutralité axiologique, le recours à de tels qualificatifs nelaissait pas de nourrir un certain discrédit à l’encontre d’un auteur,que l’on considérait comme un archaïque égaré en plein vingtièmesiècle, « engagé dans un chemin qui l’éloigne chaque jour davantagede notre monde »

2. Dans un souci de rigueur et de précisionterminologiques, mais aussi de justice à l’égard d’une pensée qui se

—————1 C’est le cas par exemple de Pierre de Boisdeffre ; cf. de Boisdeffre, 1959, p. 554 ;

1969, p. 430.2 De Boisdeffre, 1959, p. 557.

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déploie bien au-delà des schémas réducteurs, il nous revient d’unepart d’examiner le rapport de Lanza del Vasto au monde moderne,et d’autre part d’interroger à nouveaux frais les concepts de« modernité », « pré-modernité » et « post-modernité ». Dans leurconfrontation à l’œuvre vastienne, ces notions nous apparaîtrontpeut-être sous un jour inédit.

LANZA DEL VASTO « PRÉ-MODERNE », C’EST-À-DIRE « ANTI-MODERNE » ?

En contexte de « modernité », qualifier un auteur contemporainde « pré-moderne » induit un jugement dépréciatif : en l’occurrence,les entreprises taxinomiques tendent à instaurer d’emblée un rapportde synonymie entre les vocables « pré-moderne » et « anti-moderne ».Si nous voulons donc faire œuvre de discernement, il conviendrad’identifier le contenu du régime de modernité, en en déclinant lesdifférents critères, afin de repérer, en creux, en quelque sorte pardéfaut, ce qui pourrait lui être antérieur, et plus précisément ce qui,par l’assomption d’un double statut d’antériorité et de contempora-néité, pourrait lui être hostile. Nous nous limiterons bien entendu,sans affinement, aux tendances lourdes de la « modernité » : cellesdont la période dite « moderne » au sens des disciplines historiques(soit du seizième au dix-huitième siècles) ne révèle que les prodromes,et qui se radicaliseront et s’exacerberont au cours de la période dite« contemporaine » (soit à partir de la révolution industrielle).

a) La ville et la techniqueLe premier paramètre susceptible de distinguer la « modernité »

de ce qui la précède et de ce qui, en son sein, s’oppose à elle,s’avère être celui du phénomène urbain, doublé de son corrélatqu’est le complexe technologique. Or c’est précisément à propos dujugement critique porté par Lanza del Vasto sur la civilisationtechnicienne que paraît s’imposer le plus immédiatement, aux yeuxde ses détracteurs, la rupture entre sa pensée et la « modernité ».Lanza del Vasto emprunte la plupart de ses différents arguments auMahatma Gandhi

3, qu’il rencontre en Inde en 1937 et dont l’exempleva déterminer l’évolution de sa réflexion et de sa vie. Dans leprolongement des positions du leader indien, sa condamnation de—————

3 Cf. Gandhi, 1969, p. 213-220. Gandhi sera d’ailleurs lui aussi accusé d’ « anti-modernisme », depuis Wiston Churchill (qui le qualifie en 1931 de « fakir à moitié nu »)et Arthur Koestler (« L’enseignement de Gandhi est incompatible avec la croissance despays modernes », affirme-t-il, et « l’Inde irait mieux s’il n’y avait pas eu Gandhi »),jusqu’à Salman Rushdie (cf. Salman Rushdie, « Gandhi aujourd’hui », in Le Monde,21 avril 1998).

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l’urbanisation et de l’industrialisation semble sans appel : « Quefont-elles de nécessaire les villes ? Font-elles le blé du pain qu’ellesmangent ? Font-elles la laine du drap qu’elles portent ? Font-ellesdu lait ? Font-elles un œuf ? Font-elles le fruit ? Elles font la boîte.Elles font l’étiquette. Elles font les prix. Elles font la politique.Elles font la réclame. Elles font du bruit. Elles nous ont ôté l’or del’évidence, et l’ont perdu »

4. C’est donc un argument d’« évidence »que notre auteur s’applique premièrement à opposer aux scintille-ments de la termitière humaine ainsi qu’aux illusions du progrèstechnoscientifique, à ce que Jürgen Habermas, avec cependant uneintention tout autre, plus nuancée et moins radicalement polémique,appellera un quart de siècle plus tard « la technique et la sciencecomme idéologie »

5 : le premier tort de la société technicienne résideen sa nature fantasmagorique. Car le propre de l’« évidence », àlaquelle Lanza del Vasto invite ses lecteurs à « faire retour », est dese trouver occultée par les fastes de l’artifice, au point de ne plusapparaître au sujet conscient avec l’immédiateté originelle. C’estpourquoi notre auteur étaye son objection à l’encontre du mythe duprogrès pourvoyeur d’émancipation et de félicité pour l’homme, aumoyen d’une illustration à la fois sarcastique et fort évocatrice,susceptible de frapper les imaginations : « J’ai vu, dans une grandeCapitale opulente et libre, les passants se presser en file entre lesmurs et le long des asphaltes. Ils avaient l’air de fuir, le dos courbé,la tête dans les épaules, comme si on les fouaillait. Mais nul ne lespoursuivait sinon d’autres fuyards, et le fouet je ne le voyais pas.Ils avaient l’air attachés l’un à l’autre mais je ne voyais pas lachaîne. Ils étaient tous prisonniers de l’horloge de la Gare qui selevait au bout de la rue comme un astre sinistre »

6.Le second volet de la dénonciati on de la civilisation urbaine et

du machinisme concerne donc les menaces qu’ils font peser sur ladignité de l’homme en tant qu’être libre, considéré et traité commeune fin en soi, capable de subvenir à ses besoins par sa propre pro-duction de biens. C’est pourquoi il s’articule à une virulente diatribedirigée contre la division technique du travail, sa parcellisation en

—————4 Lanza del Vasto, 1945, p. 27.5 Cf. Habermas, 1973.6 Lanza del Vasto, 1959b, p. 78. Lanza del Vasto emprunte également le modèle narratif

du récit de la triple tentation de Jésus afin de stigmatiser le machinisme : « “Je vais te fairegagner du temps”, dit la machine quand elle parle en agneau ; et dès que l’homme se rend àla séduisante invite, tout le temps de sa vie est dévoré par la hâte. “Je vais t’épargner de lapeine”, promet-elle ; et c’est assez pour qu’il s’engage dans l’inextricable traquenard descolossales industries. “Je vais te donner le bien-être” (qui résisterait à tant de sollicitude ?) etaussitôt voilà l’air empesté, la vue bouchée, la pétarade et la bousculade, l’encombrement etle souci, les tonnes de camelote et les vivres en boîte, les gratte-ciel et la cuisine-usine etl’universelle déflagration pour mettre un point final au débordement… » (Lanza del Vasto,1959a, p. 49).

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tâches répétitives et dégradantes : « De tous les dégâts causés parles débordements de la technique, un des plus funestes est sansdoute l’avilissement du travail humain. […] L’œuvre de la main aété dénaturée, morcelée, vidée. Ce procédé, de décomposition etenfin d’élimination du travail de l’homme, se fait par la machine ets’appelle Industrie »

7. Lanza del Vasto poursuit son réquisitoire àl’encontre du progrès technique par la stigmatisation, à la foisempirique et quasi-visionnaire (au cœur des Trente Glorieuses), deses conséquences sociales, et notamment des crises cycliques dumarché de l’emploi : « Aux ouvriers qui menacent de suspendre letravail pour obtenir des salaires suffisants, les chefs d’entreprisesrépondent en achetant une machine qui les remplace par centaines.Quand on dit que la machine fut inventée pour épargner la peinedes hommes, on parle bien doucement ; la vérité est qu’elle a étéinventée pour servir les détenteurs du capital et leur épargner lapaye de leurs hommes. Le chômage n’est donc pas un effetaccidentel de l’introduction de la machine dans les fabriques, c’enest le but »

8. La sortie de la crise de l’emploi par l’entrée dans lacivilisation des loisirs, supposée relayer à terme la société indus-trielle, ne trouve pas davantage grâce aux yeux de Lanza del Vasto :« Notre civilisation de joueurs écervelés et de travailleurs amoindriss’est prise à rêver d’un paradis artificiel et mécanisé où tout lemonde sera délivré du travail, où les machines travailleront pournous, où il ne restera plus qu’à régler la distribution des biens etl’organisation des loisirs »

9. Ce rêve évoque pour notre auteur lesPanem et Circenses de la Rome antique, qu’il actualise et traduitainsi en français : « Indemnité de Chômage et Loisirs Organisés »

10.Car l’oisiveté s’avère être une aliénation de même nature que letravail mécanisé : dans les deux cas, l’homme se trouve dépossédéde sa vocation au noble travail des mains. Le plus beau fleuron dumonde « moderne », son utopie en quelque sorte (la libération del’homme à l’égard du travail par le truchement de la technique),s’apparente ainsi plutôt, dans la pensée vastienne, à un symptômede décadence. L’hymne triomphant de la « modernité » s’y voitréduit à n’être plus que son chant du cygne.

À l’instar de Gandhi 11, Lanza del Vasto se défend cependant de

condamner par principe tout usage de la technique. Il se contented’inverser l’ordre courant des priorités. Sur le modèle évangéliquedes rapports entre le sabbat et son bénéficiaire, l’essentiel est que la

—————7 Lanza del Vasto, 1959a, p. 94.8 Lanza del Vasto, 1959b, p. 95.9 Lanza del Vasto, 1959a, p. 97.10 Id.11 cf. Gandhi, 1969, p. 216-218.

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technique soit faite pour l’homme, plutôt que le contraire : « Ce queje reproche à leurs science et technique, c’est d’avoir pris lapremière place alors que ce devrait être la dernière ! Mais la dernièreplace, loin d’être méprisable, est celle du service de la vie et desbesoins »

12. Cette position implique une révision de ces « besoins »,une distinction entre besoins vitaux et désirs artificiels, un détache-ment à l’égard de ces derniers, et le choix de moyens simples,notamment le travail des mains et le recours à un outillage rudimen-taire, afin de satisfaire les premiers. L’homme doit être en mesurede maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, depuis la matièrebrute jusqu’au produit fini, et pour ce faire limiter sa consommationà ce qu’il peut lui-même produire, afin de ne dépendre pour sasubsistance d’aucune instance extérieure ni des abus de la commer-cialisation. Ces principes, déjà défendus au dix-neuvième siècle parun Charles Fourier dans son rêve de « phalanstères », renvoient dosà dos les systèmes économiques du libéralisme et du socialismed’État. Ils exigent un retour à la terre ainsi qu’une revalorisation del’agriculture traditionnelle et de l’artisanat. C’est une telle option,non seulement prônée mais expérimentée dans les Communautés del’Arche que Lanza del Vasto fonde en France en 1948 sur le modèledes ashrams gandhiens, qui nourrit chez ses détracteurs l’accusationd’« anti-modernisme ». Mais le critère technique n’est pas l’uniqueparamètre du régime de « modernité ».

b) La sécularisationUne autre des tendances lourdes de la « modernité » est sans

doute l’érosion et le reflux des croyances religieuses, en d’autrestermes l’amenuisement de leur pouvoir d’attraction et de leur per-tinence sociale. Qu’il obéisse à une logique interne au christianismeet trouve les conditions favorables à son éclosion autour de laRéforme, ou qu’il s’enracine dans une tradition antireligieuse et sedéploie au cours du siècle des Lumières, le processus de« désenchantement du monde »

13 s’impose progressivement enOccident. Or le fondement de la pensée de Lanza del Vasto s’affirmecomme étant d’essence religieuse : son interpellation adressée àl’Occident sécularisé s’apparente à un appel au retour à Dieu et auréenchantement du monde. Notre auteur interprète l’histoire et lefonctionnement des sociétés humaines à partir d’un principe her-méneutique singulier : le Péché Originel, qu’il conçoit non pascomme une faute morale, comme une simple désobéissance, ni même—————

12 Doumerc, 1983, p. 168.13 Rappelons que cette expression est attribuée à Friedrich von Schiller, reprise par

Max Weber dans l’acception restreinte de « l’élimination de la magie en tant que techniquede salut » (Weber, 1964, p. 117, 134), puis développée par Marcel Gauchet dans le sensplus large de « l’épuisement du règne de l’invisible » (Gauchet, 1985, p. II).

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comme la totalité des vices et des crimes, mais comme une dispo-sition fondamentale, un mal métaphysique, dont vont découler toutesles autres fautes. Pour Lanza del Vasto, qui joue sur le rapprochementparonymique (sinon étymologique) entre les vocables « fruit » et« usufruit », le Péché Originel s’identifie à l’esprit de lucre et àl’appât du gain : « Le Péché Originel, c’est le mal d’avoir mangé-du-Fruit-de-la-Connaissance-du-Bien-et-du-Mal. […] Manger signifieprendre possession par la violence et dégrader pour réduire à soi.Fruit signifie jouissance et profit. Le péché est donc d’avoir tiré àsoi et dégradé la Connaissance pour la jouissance et le profit »

14.Cette définition inédite du Péché Originel autorise son auteur àl’extraire radicalement du champ de l’éthique, et de le discerner àl’œuvre dans la conduite de tous les hommes, y compris et notam-ment chez les plus honnêtes, les plus vertueux et moralementirréprochables d’entre eux, chez ceux qui obéissent aux lois et sesoumettent aux normes sociales et religieuses. Le Péché Originel setrouve ainsi érigé en agent du comportement non seulement indivi-duel mais collectif, c’est-à-dire finalement en moteur de l’Histoireet ressort des civilisations. Le Péché Originel engendre des abusque la morale ne condamne pas, et qui conduisent inéluctablementaux quatre fléaux faits de main d’homme : misère, servitude, guerreet sédition

15. Dans un siècle où les chercheurs en sciences sociales, polémo-

logues compris, s’évertuent à déterminer des causes économiques,démographiques ou socio-politiques, aux maux dont souffrel’humanité, et en particulier aux conflits armés, l’interprétationvastienne ne craint pas de s’inscrire à contre-courant, et s’exposeainsi à un reproche récurrent : elle souffrirait d’un déficit chroniquede rationalité. Elle échappe d’autant mieux aux logiques de lasécularisation qu’elle se prolonge en une proclamation aux accentsparénétiques de type revivaliste. Lanza del Vasto exhorte en effetses lecteurs à une rupture à l’égard des déterminations du PéchéOriginel, et annonce par conséquent une issue possible à ses enchaî-nements démoniaques. Il problématise son espérance et construit sasotériologie par le recours au concept de « Conversion ». Dans lapensée vastienne, la Conversion n’est pas prioritairement un puraccès à la foi, ni même un simple changement de mœurs. Elle estd’abord, contre toute attente, l’effet d’une « contrainte logique »

16 :un retour brutal à l’évidence immédiate de la présence du Dieuvivant en tant que « Relation Absolue »

17. Nous retrouvons ici

—————14 Lanza del Vasto, 1962, p. 167.15 Cf. Lanza del Vasto, 1959a, p. 9.16 Lanza del Vasto, 1991a, p. 163-269.17 Id., p. 268.

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l’argument d’« évidence » qui s’inscrit à contre-courant des tendancesphilosophiques « modernes », notamment à l’heure de la pensée dusoupçon. Lanza del Vasto relate en effet sa propre conversion, àl’âge de vingt-quatre ans, en découvrant dans le De Trinitate desaint Thomas d’Aquin cette confession qu’il portait déjà confusé-ment en lui-même : « Deus est relatio, non autem relativa, quia nonmutabilis »

18. La rencontre de cette formulation lui ouvre brusque-ment les portes d’un nouveau rapport au monde et d’une nouvelleapproche des fins dernières. Il en déduit que « si tout est relatif,l’Absolu par soi-même se pose : c’est la Relation »

19. En érigeantcette révélation intime au statut de ferment de conversion, et consé-cutivement, à celui de principe de structuration de l’existence duconverti, Lanza del Vasto s’inscrit délibérément dans une démarche« religieuse », selon l’acception étymologique du terme : à l’encontredes conceptualisations sécularisées d’un monde éclaté, cloisonné ensecteurs autonomes, les représentations vastiennes du cosmos et dela personne se ramènent à un vaste réseau unifié, holiste,d’interrelations permanentes entre différents niveaux du réel, sur-déterminées par le lien ultime de l’homme à la transcendance divine.Comme le montre la récente étude de Daniel Vigne, la pensée deLanza del Vasto s’avère être foncièrement une « philosophie dela relation »

20. Se convertir consiste donc, selon notre auteur, àacquiescer à cette Vérité révélée, selon laquelle tout est relation dufait de la « Relation Absolue » qu’est Dieu, puis à l’attester par unchangement radical de vie : par la tentative de restauration de rela-tions vivantes entre toutes les créatures et entre chacune d’elles etleur créateur. Or, c’est l’assomption d’un tel régime de vérité,chevillé au registre mystérieux, pour ne pas dire irrationnel, de larévélation, qui heurte le plus vigoureusement les logiques de lasécularisation, et partant celles de la « modernité ». Les modalitésde ce clivage apparaîtront plus nettement encore au sujet du rapportà l’Écriture, en confrontant les procédures de traitement des textesbibliques. Sur la scène proprement théologique, en effet, l’exégèsescientifique s’impose comme l’un des critères d’entrée dans le régimede la « modernité » sécularisée.

c) L’exégèse scientifique Lanza del Vasto a publié deux longs commentaires des Écri-

tures, l’un, qui a reçu l’Imprimatur, consacré aux Évangiles 21, et le

—————18 « Dieu est relation, mais non une relation relative, puisqu’elle est immuable » (id.,

p. 267-268).19 Lanza del Vasto, 1994, p. 208.20 Cf. Vigne, 2002.21 Cf. Lanza del Vasto, 1951.

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second aux trois premiers chapitres de la Genèse 22. Mais alors que

le vingtième siècle voit la consécration de la méthode historico-critique en exégèse, avant l’émergence d’autres types de lectures(structurale, psychanalytique, narrative…), notre auteur se refusecatégoriquement à adopter les règles de ce qu’il appelle la« Critique libérale »

23, et qu’il accuse de vouloir ruiner la religionchrétienne : « Ce grand travail d’insectes rongeurs n’a produit quepoussière et vide », déclare-t-il sans ambages

24. Tout au long de sescommentaires bibliques, il se situe ailleurs, dans une démarcheexistentielle plutôt que scientifique, sur un registre plus homilétiquequ’exégétique. En outre, tout en reconnaissant qu’une lecture destextes bibliques en seule traduction française et non en hébreu et engrec est « une lacune dont on doit tenir compte »

25, il affirme que cedéfaut reste relatif, « tandis que si le manque est dans l’intention, ladirection et le but », ce dont il accuse l’exégèse scientifique, alors« tout est perdu »

26. Lanza del Vasto ne se préoccupe donc ni dedégager diverses sources et couches rédactionnelles, ni dedistinguer les paroles authentiques du Jésus historique de celles quel’Église primitive aurait mises dans sa bouche : il reçoit toutel’Écriture comme Parole de Dieu révélée, et bien qu’il concèdeexceptionnellement la légitimité d’une lecture allégorique fidèle àl’intention du texte

27, il confesse que le donné biblique est pour lui« une histoire vraie, et même historiquement vraie »

28. Cela leconduit, au sujet de la Genèse, à défendre une position créationnistecontre l’idolâtrie de la science

29. Lanza del Vasto ne se contente cependant pas du texte reçu à

l’état brut. D’autres principes normatifs orientent son herméneutique.Il s’appuie ainsi par exemple sur la Tradition de l’Église catholique,qui parle de « la sainte Marie toujours Vierge », pour voir dans les« frères » de Jésus

30 des cousins, et non, comme Renan et la plupartdes exégètes protestants, de véritables frères

31. Il va même jusqu’àconsidérer le saint Suaire de Turin comme « une preuve irréfutablede la véracité des quatre récits des évangélistes »

32. Et lorsqu’ilrencontre des contradictions internes à l’Écriture, par exemple entre—————

22 Cf. Lanza del Vasto, 1968.23 Lanza del Vasto, 1951, p. 33.24 Ibid.25 Lanza del Vasto, 1968, p. 18.26 Id., p. 19.27 Cf. id., p. 13-14.28 Lanza del Vasto, 1951, p. 33.29 Cf. Lanza del Vasto, 1968, p. 14-22, 102-104.30 Cf. Mt 12, 46-50 ; Mt 13, 55 ; Mc 3, 31-35 ; Mc 6, 3 ; Jn 7, 3-5 ; Ac 1, 14 ; 1 Co 9,

5 ; Ga 1, 19.31 Cf. Lanza del Vasto, 1951, p. 365.32 Id., p. 38-39, 475.

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les deux généalogies de Jésus 33, Lanza del Vasto considère que ce

fait a pour but d’inviter l’intelligence à se convertir : il ne donnepas congé à la raison, mais il la renverse, ou plus exactement ilremet droit ce qui était renversé, en attribuant à la raison un statutsecondaire par rapport à la foi qui est une « intelligence convertie »

34. Il n’en demeure pas moins que Lanza del Vasto adopte parfois,

à son insu, certains principes de l’exégèse scientifique. Ainsi, parexemple, au sujet de la scène des marchands du Temple, située parles synoptiques à la fin du ministère terrestre de Jésus

35, et par Jeanà son début

36, il affirme que cela revient au même puisqu’une telleposition souligne l’importance du passage

37. Ce faisant, il reconnaîtimplicitement que le texte est construit, et qu’il l’est selon uneintention théologique, au besoin contre la véracité historique.

En réalité, toute la lecture que Lanza del Vasto fait de l’Écrituresuit un principe herméneutique unique : le paradigme de la « non-violence », qui constitue par lui-même une grille de lecture. Cetteoption théologique justifie l’accent mis sur le texte du Sermon surla montagne

38 (en particulier sur les Béatitudes et sur le comman-dement d’amour des ennemis) : 100 pages sur 500 lui sont consa-crées

39, alors qu’il ne représente que 4 chapitres sur les 51 desÉvangiles de Matthieu et de Luc. Notre auteur voit dans ce texteune sorte de « canon dans le canon », à tout le moins la clefherméneutique de l’ensemble de la Bible, qu’il valorise d’autantplus qu’« elle n’a pour ainsi dire pas été entendue depuis deux milleans qu’elle a été promulguée »

40. Son approche littérale la rendd’ailleurs plus explosive, plus subversive, notamment au sujet del’injonction de « tendre l’autre joue »

41. Devant le récit de la femmeadultère

42, il ne mentionne même pas les soupçons d’inauthenticitéqui pèsent sur cette péricope chez les exégètes contemporains, maismontre au contraire que la distinction que fait Jésus entre une per-sonne et son acte est l’un des principes de base de la non-violence

43. L’approche vastienne de la non-violence s’efforce d’en concilier

les conceptions évangélique et gandhienne. De la non-violenceévangélique, il retient pour l’essentiel l’enseignement du Sermon—————

33 Cf. Mt 1, 1-17 ; Lc 3, 23-38.34 Lanza del Vasto, 1951, p. 32, 59.35 Cf. Mt 21, 10-17 ; Mc 11, 15-19 ; Lc 19, 45-48.36 Cf. Jn 2, 13-22.37 Cf. Lanza del Vasto, 1951, p. 250.38 Cf. Mt 5, 1 - 7, 29 ; Lc 6, 17-49.39 Cf. Lanza del Vasto, 1951, p. 148-247.40 Id., p. 192-193.41 Cf. Lanza del Vasto, 1991b, p. 149-151.42 Cf. Jn 8, 1-11.43 Cf. Lanza del Vasto, 1951, p. 370-372.

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sur la montagne en tant que modèle de résolution des conflits 44. Et

de la non-violence gandhienne, il adopte, en les articulant étroi-tement, les deux versants que sont le volet passif, l’ahimsâ(renoncement à toute nuisance ou affliction envers autrui, parrespect de toute vie

45), et le volet actif, le satyagraha (attachementindéfectible à la Vérité, au moyen d’un engagement public et auprix du don de soi

46). Reprenant une formule d’Aldo Capitani,Lanza del Vasto définit la non-violence comme « une manière defaire qui découle d’une manière d’être »

47, et qui se décline selontrois modalités : « Solution des Conflits », « Force de la Justice » et« Levier de la Conversion »

48. Le lien logique entre Conversion etnon-violence tient à ceci : vivre selon la Vérité, c’est faire en sorteque « le dehors soit comme le dedans et le dedans comme ledehors »

49. Le converti est donc conduit à se connaître et à seposséder lui-même, puis à extérioriser sa lumière intérieure parl’application de la non-violence dans toutes les dimensions de lavie : relations interpersonnelles, rapports d’autorité, exercice dudroit et de la justice, éducation des enfants, activités économiques,alimentation et santé, vie religieuse… Or pour trouver une réponsenon-violente ajustée à chacun de ces domaines, Lanza del Vasto, enréférence à l’idéal des premières Églises chrétiennes, opte pour lasolution communautaire, la seule apte à unifier la personne enreliant tous les champs du réel. C’est en cela aussi qu’il rompt avecla « modernité » non seulement sécularisée mais individualisante.

d) L’individu L’émergence de l’individu autonome comme catégorie et comme

valeur, en réaction à l’hétéronomie de la Tradition, est à l’évidencel’un des effets des Lumières, de l’urbanisation et de la Révolutionfrançaise, et par conséquent l’un des critères du régime de« modernité »

50. Comme Georg Simmel l’a clairement établi, lamégapole moderne, en brisant la personnalisation des rapportshumains, génère le culte de l’originalité du sujet, et partant stimuleses revendications de spécificité

51. De fait, face à la dissolution desmodèles stables, l’homme moderne est un perpétuel inquiet,intégralement responsable de lui-même et de ses propres valeurs

—————44 Cf. Lanza del Vasto, 1962, p. 241-244 ; 1971, p. 13-18.45 Cf. Lanza del Vasto, 1962, p. 292-299.46 Cf. Lanza del Vasto, 1962, p. 252-253 ; 1971, p. 29-30.47 Lanza del Vasto, 1971, p. 65.48 Lanza del Vasto, 1962, p. 240-267 ; 1971, p. 13-50.49 Lanza del Vasto, 1992, p. 150 ; cf. 1962, p. 18.50 Cf. Dumont, 1983 ; Ferry – Renaut, 1987.51 Cf. Simmel, 1989, p. 231-277.

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subjectives en constante redéfinition 52. Dans la « modernité »,

l’individu ne se définit plus comme un homme pécheur maiscomme un sujet de droit.

Or Lanza del Vasto semble prendre le contre-pied de cettetendance lourde. La vie communautaire, instituée sur les principesde la non-violence évangélique et gandhienne, est à ses yeux lasolution aux fléaux qui frappent le monde et qui risquent del’entraîner dans l’abîme. Elle seule est susceptible de réconcilierl’homme avec lui-même, avec ses semblables et avec Dieu. Lepropre du modèle communautaire, en contraste saisissant sur cepoint vis-à-vis de la dispersion foncière induite par le mondemoderne, réside dans sa capacité d’unification. Faire communautéconsiste en effet à « mener une vie qui soit une et où tout aille dansle même sens, de la prière et méditation au labeur pour le pain dechaque jour, de l’enseignement de la doctrine au traitement dufumier, de la cuisine au chant et à la danse autour du feu »

53. Enfondant les Communautés de l’Arche et en les développant, duranttoute la seconde moitié de son existence

54, Lanza del Vasto chercheraà « montrer qu’une vie exempte de violence et d’abus (de violencecachée autant que de violence brutale, d’abus légaux et permisautant que d’abus illégaux) est possible, que, même, elle n’est pasplus difficile qu’une vie de gain, ni plus déplaisante qu’une vie deplaisir, ni moins naturelle qu’une vie “ordinaire” »

55. Nous retrou-vons là les accents lyriques d’un Ferdinand Tönnies, qui, à la fin dudix-neuvième siècle, clivait le monde social en deux entités antago-nistes, générant deux modes de sociabilité mutuellement exclusives :d’un côté la « Société », immense et anonyme, conflictuelle etcorruptrice, et de l’autre la « Communauté » intersubjective, à échellehumaine, authentique et harmonieuse

56. Structure patriarcale etfamiliale, rythme de vie monastique, engagement par vœux, autarcieéconomique, renoncement à toute propriété individuelle, prise desdécisions à l’unanimité, « lâcher-prise » quant à sa volonté propre,esprit de service érigé en idéal normatif : les attributs des Commu-nautés de l’Arche semblent s’inscrire à contre-courant de la vagued’autonomisation de l’individu insufflée par le régime de « moder-nité ». Sa confrontation empirique aux aspérités du réel, aux décon-venues de l’expérience communautaire et aux farouches résistancesde la « pâte humaine »

57, a cependant conduit Lanza del Vasto ànuancer les excès spéculatifs du dualisme tönniesien. Peu à peu, il—————

52 Cf. id., p. 279-325.53 Lanza del Vasto, 1971, p. 70.54 Cf. de Mareuil, 1998, p. 198-457.55 Lanza del Vasto, 1971, p. 70.56 Cf. Tönnies, 1944.57 Cf. Lanza del Vasto, 1978, p. 63-77 ; de Mareuil, 1998, p. 201-357.

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dut prendre en compte et intégrer dans son modèle communautairecertains éléments hérités de la modernité occidentale : non seulementquelques innovations techniques, mais surtout le principe del’autonomie relative de l’individu, ce qui implique un net clivageentre instance publique et instance privée (espace, temps, valeurs etchoix personnels). Ses Communautés ont donc dû quitter la matricefusionnelle et le paradigme totalisant des origines pour faire droit àl’altérité en leur sein. Il nous reste à examiner un dernier para-mètre : celui du rapport au temps et à l’histoire. Parviendra-t-il poursa part à nous convaincre du caractère foncièrement « pré-moderne » de la pensée de Lanza del Vasto ?

e) La temporalité historiqueLe régime de « modernité » est indissociable d’une conception

linéaire de l’histoire : les ruptures induites envers la Tradition parles diverses révolutions politiques et économiques, la croissanceexponentielle des découvertes et inventions, l’accélération des bou-leversements des modes de vie, ont ouvert un champ de représen-tations du temps qui exclut toute hypothèse de régression. Lasentence commune, aux prétentions sapientiales, l’exprime en cestermes : « On ne peut pas revenir en arrière ». Par résignationfataliste ou par adhésion enthousiaste, cet aphorisme prend acte desmutations irréversibles qui affectent la condition de l’homme moderneet l’état de son environnement : il n’est pas possible de remonter lecourant de l’histoire, ni même de lui résister.

Or, à cela Lanza del Vasto répond, non sans velléité provocatrice :« On ne peut pas ne pas revenir en arrière »

58. Le recours à la mêmeexpression de déterminisme, simplement redoublée mais non pasniée, se justifie par l’observation des cycles historiques qui, sur lemodèle des révolutions solaires et lunaires et de la ronde dessaisons, font alterner grandeur et décadence des civilisations. Sil’on ne peut pas ne pas revenir en arrière, affirme notre auteur, c’estqu’on l’a toujours fait, soit par nécessité après une catastrophe, soitpar sagesse, en évitant la catastrophe

59. Et se refusant à percevoir cequi pourrait radicalement distinguer l’époque moderne des autrescycles historiques qui l’ont précédée, Lanza del Vasto exhorte sescontemporains au « grand retour » : non pas à un retour à uneépoque quelconque de l’histoire, « car toutes sont abominables »

60,mais « au Royaume et au Jardin »

61, c’est-à-dire à soi-même et àDieu. Commentant la formule de Malraux qui, dans la filiation—————

58 Lanza del Vasto, 1991b, p. 130.59 Cf. id., p. 130-131.60 Lanza del Vasto, 1981, p. 159.61 Id.

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hégélienne, avait déclaré : « Entre Dieu et l’Histoire, j’ai choisil’Histoire », notre auteur réplique : « Eh bien, c’est un tristechoix ! »

62. Lanza del Vasto semble donc bien appartenir à lacatégorie de ceux que le Manifeste communiste taxait, en les oppo-sant aux « révolutionnaires » et aux « conservateurs », d’acteurs« réactionnaires », parce qu’ils « cherchent à faire tourner en arrièrela roue de l’histoire »

63. Cette qualification de penseur « réaction-naire » peut sans doute convenir à Lanza del Vasto, à condition dela limiter à son acception technique, c’est-à-dire axiologiquementneutre et nullement polémique. Au « Progrès » d’une route droite etascendante, il oppose le « Régrès » vers l’origine

64, conformémentà une conception cyclique du temps.

Dans les Communautés de l’Arche qu’il a fondées, la prégnancedu rythme des saisons, la célébration somptueuse des solstices etéquinoxes, doublées de l’adoption du calendrier liturgique chrétien,exaltent cet éternel retour du même. À l’instar des sociétés tradi-tionnelles

65, tout se passe comme si l’instauration, ou plutôt la res-tauration, d’une ritualité qui structure l’espace et scande le tempsselon l’alternance du quotidien profane et du festif sacré, cherchaità conjurer l’irréversibilité de l’histoire et la fuite du temps consi-dérées comme décadence et chute

66. Cependant, l’intégration de latension eschatologique, qui surdétermine cette représentation cy-clique du temps, la différencie radicalement des versions stoïcienne(empruntée à Héraclite) et nietzschéenne (sans doute héritée desreligions orientales via la philosophie de Schopenhauer) de lapalingénèse. L’imminence de la fin, du fait des fléaux faits de maind’homme et non d’une punition divine ni d’un temps fixé par Dieu,avive l’urgence de la conversion. Ainsi, lors de la prière autour dufeu, rédigée par Lanza del Vasto et récitée chaque soir dans lesCommunautés, il est dit : « Mettons un terme au temps, un centreaux ténèbres extérieures, et rendons-nous présents au présent »

67.S’exprime ici une volonté pathétique de suspendre le temps par laprière et de s’inscrire dans un registre d’éternité, ou encore de

—————62 Lanza del Vasto, 1991b, p. 152.63 Marx, 1982, p. 412.64 Cf. de Mareuil, 1998, p. 86.65 Cf. Eliade, 1969 ; 1971.66 Lanza del Vasto a d’ailleurs élaboré un exercice méditatif et liturgique, constitué d’un

enchaînement de postures, de gestes rythmiques et de chants, intitulé le Grand Retour. Lepremier acte célèbre la Création ; le second la Chute (en jouant l’orgueil, la rébellion, laviolence, mais aussi, significativement, la « mécanisation » et le « progrès ») ; et le troisièmeacte le Retour (« Je me consacre au travail, à l’obéissance, à la responsabilité, à la pauvreté,à la purification, à la simplification, à la non-violence ; je m’exercerai à l’indépendance, àla vigilance, à la justice, à la charité, à la foi, à l’humilité, à la véracité, à la pitié, afin deservir Dieu ») (Lanza del Vasto, 1993a, p. 248-251).

67 Lanza del Vasto, 1992, p. 41-42.

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« contemporanéité », au sens kierkegaardien du terme 68, vis-à-vis

d’une instance originelle ou primordiale. Il s’agit de vivre pleinementle présent, non par eudémonisme jouissif, mais par attention à soi-même, à ce qui se passe en soi et autour de soi, et à la présence deDieu dans l’instant qu’il habite. Le temps ne se trouve aboli que parsouci de vigilance et d’éveil de la conscience, en vue de laconversion et du Salut.

Ainsi, le rapport de la pensée vastienne à la temporalitéhistorique se révèle plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord.Sa spécificité tient aux modalités inédites de l’articulation qu’ellesuggère entre progrès et cycle, conversion et eschatologie. En effet,si la représentation strictement linéaire de l’histoire en tant queprogrès continu s’avère être un leurre et même une faute, saconception cyclique comme retour permanent à l’origine ne sejustifie qu’en se nourrissant d’une autre représentation linéaireimplicite. Celle-ci se décline en une dimension collective de typeeschatologique (la fin du monde provoquée par l’humanité elle-même), et en une dimension individuelle de type sotériologique (leSalut auquel chacun est appelé, en termes de conversion et d’entréedans la non-violence). Distinct sur ce point des théories classiquesde l’éternel retour du même, le « Grand Retour » auquel Lanza delVasto exhorte ses contemporains ne consiste pas à revenir à unepériode révolue de l’histoire pour la revivre de manière rigoureu-sement semblable, mais à retourner à soi-même et à Dieu pourentrer dans une existence absolument nouvelle

69. Mais à la différencedes théologies chrétiennes de type conversionniste, Lanza del Vasto,selon une version du pélagianisme plus catastrophiste que millé-nariste, propose une synergie des engagements communautaires detous les convertis afin d’« éviter la fin du monde »

70 et de sauverl’humanité d’elle-même.

INTERLUDE

Résumons. Si la définition du régime de « modernité » conjugue,comme nous l’avons admis d’emblée, quelques tendances lourdestelles que la civilisation urbaine, le progrès technique, la sécularisa-tion, l’autonomie individuelle, et une conception linéaire de l’histoire,la pensée de Lanza del Vasto semble pouvoir être qualifiée d’« anti-moderne ». Néanmoins, l’examen de ces différents critères nous adéjà laissé entrevoir, en filigrane, que la philosophie vastienne nes’oppose pas terme à terme, sur un mode dualiste, à la « modernité ».—————

68 Cf. Kierkegaard, 1990, p. 94-111.69 Cf. Lanza del Vasto, 1991b, p. 131.70 Cf. Lanza del Vasto, 1991b.

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Si notre auteur exhorte ses contemporains au retour à la vie simple,rurale et artisanale, il admet néanmoins la technique lorsqu’elle estmaîtrisée et mise au service de l’homme. S’il développe une penséereligieuse face à la sécularisation, sa compréhension du PéchéOriginel en fait une catégorie plus métaphysique qu’éthico-fidéiste,et la Conversion est pour lui l’effet d’une contrainte logique plutôtque de la grâce. S’il oppose à l’exégèse scientifique une réceptionlittéraliste des textes bibliques, il reconnaît cependant leur caractèrede construction à des fins théologiques. S’il propose la Commu-nauté comme solution aux affres et misères de l’individualisme« moderne », le régime communautaire qu’il élabore, loin d’êtrefusionnel, fait droit en son sein à une relative autonomie personnelle.Enfin, last but not least, s’il entend dénoncer les illusions du progrès,sa pensée du « Retour » articule étroitement vision cyclique (« pré-moderne ») et projection linéaire (« moderne ») de l’histoire.

En d’autres termes, les conditions de possibilité dont dépend lacritique vastienne de la « modernité » sont elles-mêmes rigoureu-sement « modernes ». Et, de ce fait, la pensée de Lanza del Vasto nese laisse pas aisément réduire à la nostalgie d’un Âge d’Or. Son« anti-modernisme » ne s’identifie pas nécessairement à un « pré-modernisme ». Il nous faut délibérément dissocier les deux caté-gories. C’est pourquoi nous sommes invités à oser une autre hypo-thèse, bien plus audacieuse.

LANZA DEL VASTO « POST-MODERNE », C’EST-À-DIRE « ULTRA-MODERNE » ?

a) Lanza del Vasto, nostalgique ou précurseur ?La critique vastienne de la « modernité » ne se laisse pas sans

apories qualifier de « prémoderne ». Comme nous venons de levoir, l’amalgame entre le « prémoderne » et l’« antimoderne » serévèle pour le moins sujet à caution. Aux arguments déjà évoqués,il convient d’ajouter la dimension visionnaire, donc résolumenttournée vers l’avenir, des intuitions de Lanza del Vasto. Nombre dethématiques aujourd’hui situées au cœur du débat public étaientexposées et développées par notre auteur dès les années 1930 à 1950dans une indifférence quasi-générale : ainsi, l’urgence de mesuressusceptibles de sauvegarder la Création, la nécessité du dialogueinter-religieux (qu’il appelait « œcuménisme »

71), la dénonciationde la torture, ou la résolution constructive des conflits par lamédiation (et notamment par la présence de forces d’interposition—————

71 Cf. Doumerc, 1983, p. 209.

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dans les zones d’affrontements). Les récentes notions de « principede précaution », de « développement durable », de « médiation inter-religieuse », et même l’institution des « Casques bleus », trouventdans son œuvre, qui ne fait sur ces points que traduire et transposercelle de Gandhi en Occident, des prodromes alors méconnus. Surun mode plus marginal, les acteurs de la vague communautaire etdu « retour à la terre » dans les années 1960 et 1970 ont reconnu enlui un précurseur et un inspirateur.

Lanza del Vasto annonce donc, avec trois ou quatre décenniesd’avance, les mouvements d’idées qui parcourent et travaillent àprésent les sociétés européennes. Sa voix n’est cependant pas tout àfait isolée. Dans sa critique de la civilisation urbaine et technicienne,il sera rejoint par un Jacques Ellul

72, redécouvert et considéréaujourd’hui comme un annonciateur des débats les plus contempo-rains. Pour Ellul, en effet, la technique n’est pas un épiphénomène,elle fait système

73 et oriente toute la société vers un horizontotalitaire

74. Du fait de son hégémonie dans l’intégralité du champsocial, tout est devenu moyen, les fins ont disparu, nous ne savonsplus vers quoi nous marchons

75. C’est pourquoi Ellul n’hésitera pasà dénoncer « le terrorisme feutré de la technologie »

76. Nous per-cevons dans ces réflexions un écho de la stigmatisation vastiennedu progrès non maîtrisé, de l’exploitation débridée des sourcesépuisables d’énergie, de l’idolâtrie de la science et de la croissancesans fin

77. Tous deux précurseurs de l’écologie, Jacques Ellul etLanza del Vasto partageront également la condition des prophètesméprisés.

En prônant l’ouverture au dialogue inter-religieux, et ce dans lafiliation gandhienne, Lanza del Vasto rencontrera un autre précurseurignoré : Louis Massignon

78. L’hospitalité sacrée dont bénéficiel’orientaliste français au sein d’une famille musulmane, à Bagdaden 1908, et qui lui sauve la vie alors qu’il était condamné à mort,devient à ses yeux un paradigme des relations authentiques entre lesreligions. En effet, entre différentes traditions spirituelles, soutient-il, nous sommes les hôtes les uns des autres

79. Ces convictions,partagées avec Lanza del Vasto, mettront de nombreuses années avantde faire débat. Nos deux auteurs se retrouveront au cours de laguerre d’Algérie pour condamner ensemble la pratique de la torture—————

72 Cf. Ellul, 1948 ; 1975 ; 1977 ; 1988 ; 1990.73 Cf. Ellul, 1977.74 Cf. Ellul, 1990, p. 258-265.75 Cf. Ellul, 1948, p. 82-94.76 Ellul, 1988, p. 449.77 Cf. Lanza del Vasto, 1945, p. 19-27.78 Cf. Massignon, 1983 ; Lanvin, 1997.79 Cf. id.

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par l’armée française. Dès mars 1957, Lanza del Vasto jeûneravingt jours, jusqu’à Pâques, pour tenter d’éveiller la conscience desFrançais

80. Ces actes posés au milieu d’une unanime indifférencesemblent être aujourd’hui des signes d’avant-garde, alors même quel’on assiste en quelque sorte à un retour du refoulé.

Enfin, la non-violence et la résolution constructive des conflitsont été théorisées, défendues et expérimentées par d’autres penseurs(Henry Thoreau, Simone Weil, Eric Weil…) et par d’autres leaderssocio-politiques (Gandhi, Martin Luther King, César Chavez…) depar le monde au cours des deux derniers siècles. Elles n’ont cepen-dant gagné en crédibilité que tout récemment. Dès les années 1930,Gandhi avait imaginé le projet d’une Armée de Paix, la Shanti-Sèna, qui s’interposerait entre les belligérants sans recourir à laviolence, sans même porter d’armes. Lanza del Vasto populariseracette idée après sa rencontre avec Vinôbâ Bhaâvé, successeur deGandhi, en Inde en 1954

81. L’institution des Casques bleus, en 1956,s’en inspire partiellement, sans pour autant renoncer à l’armementdes conciliateurs. Mais ce n’est que bien plus tard que cette arméed’interposition commencera à jouer le rôle fondamental que nousconnaissons dans le maintien de la paix et la prévention des conflitscivils et militaires. Par ailleurs, tous les secteurs de la société(famille, école, entreprise, quartiers…) ont aujourd’hui recours àdes « médiateurs » dûment formés, et l’UNESCO a déclaré lesannées 2001-2010 « Décennie pour une culture de la paix et de lanon-violence ». Là encore, ce sont des principes et des pratiquesélaborés quarante ou cinquante ans auparavant qui sortent de leur« ghetto culturel » pour trouver leur aboutissement officiel.

Il semble difficile de qualifier de « pré-modernes » des intui-tions longuement proclamées dans le désert, avant d’être aujourd’huiadmises comme foncièrement pertinentes et reprises à leur comptepar les instances les plus autorisées en tant que rouages incontour-nables des régulations institutionnelles. Si la pensée de Lanza delVasto exprime une critique acerbe du régime de la « modernité »,tout en s’enracinant dans ses propres prémisses, ne serait-ce doncpas moins par nostalgie d’un état antérieur que par une insigneprémonition d’un monde ultérieur, d’un régime postérieur à lacondition « moderne », qui lui succéderait ou qui en radicaliseraitles tendances ? L’hypothèse mérite au moins d’être soigneusementexaminée.

On aurait sans doute tort en effet d’opposer « anti-moderne » à« ultra-moderne ». Dans un texte intitulé précisément Anti-moderne—————

80 Cf Lanza del Vasto, 1971, p. 77-97 ; 1987.81 Cf. Lanza del Vasto, 1954.

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et daté de 1922, Jacques Maritain, dont les affinités personnelles etphilosophiques avec Lanza del Vasto sont abondantes, présente lapensée néo-thomiste comme étant tout aussi bien « anti-moderne »qu’« ultra-moderne » : « aussi “anti-moderne” par son immuableattachement à la tradition qu’“ultra-moderne” par sa hardiesse às’adapter aux conditions nouvelles surgissant dans la vie dumonde »

82, « anti-moderne » contre les erreurs du temps présent,mais « ultra-moderne » pour toutes les vérités enveloppées dans letemps à venir

83. Maritain fait remonter la « Chute » et les « erreursdu temps présent » aux « trois réformateurs » que furent Luther,Descartes et Rousseau, et qui ont conduit la « révolution anti-chrétienne » à rompre le lien entre foi et raison, prélude àl’autonomie de la science

84. Si Lanza del Vasto discerne (et dénonce)les sources de la « modernité » dans le principe du Péché Originelpoussé jusqu’à ses conséquences extrêmes, plutôt que chez quelquespersonnages historiques, il rejoint Maritain dans sa critique de lasécularisation. Et comme lui, il se défend de vouloir retourner auMoyen Âge ou à une quelconque période de l’histoire, mais chercheà construire un monde inédit, enfin relié à son Créateur et denouveau fidèle à ses voies

85. De même, les idéaux nostalgiques et visionnaires peuvent se

recouvrir, et les logiques réactionnaires et prospectives s’intervertir.Le sociologue Jean Séguy distingue avec raison les utopies « pro-gressives » et les utopies « rétrogressives », c’est-à-dire « des utopiesqui vont dans le sens ou à l’encontre du sens indiqué par le change-ment social perçu comme inévitablement en train de s’instaurer.L’utopie critique le présent soit comme présageant une lenteurfatale dans l’installation de conditions nouvelles (utopie progressive),soit comme coupable de tolérer la moindre part d’un changement enune direction funeste (utopie rétrogressive) »

86. Précisons queSéguy entend par « utopie » « tout système idéologique global visant[…] à transformer – de manière au moins optativement radicale –les systèmes globaux existants »

87. Or le sociologue s’empressed’ajouter qu’une utopie « progressive » qui « logeait son espé-rance dans l’accélération de certaines potentialités du changementsocial » peut, sous l’effet des circonstances, « emprunter une autredirection »

88, et qu’inversement la conjoncture peut donner une orien-tation « progressive » à une utopie « rétrogressive ». L’ambivalence—————

82 Maritain, 1987, p. 928.83 Cf. id., p. 929.84 Cf. Maritain, 1984, p. 429-655 ; 1987, p. 931-937, 967-970.85 Cf. Lanza del Vasto, 1943, p. 145-146 ; 1991b, p. 131 ; Maritain, 1987, p. 934-937.86 Séguy, 1999, p. 218.87 Id.88 Id., p. 219.

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du contenu de l’utopie, mise en exergue par Jean Séguy, se retrouvedans la pensée vastienne. Il s’agit cependant moins d’un changementd’orientation du fait des circonstances que d’un dispositif conceptuelpermanent : la critique du présent convoque et mobilise autant lesressources de l’avenir que celles du passé dans ses diverses stratégiesde légitimation.

Lanza del Vasto se présente donc davantage comme un précur-seur que comme un auteur nostalgique. Il convient néanmoins deprendre garde à ne pas confondre indûment deux notions : celled’« ultra-modernité » et celle de « post-modernité ». Si l’amalgamen’est pas de mise ici, c’est parce que le premier concept n’apparaîtque comme une modalité particulière du second. Le vocable « post-moderne » est en effet éminemment polysémique. Il est temps del’examiner de plus près.

b) La notion de « post-moderne » C’est dans les années 1960 qu’apparaît le terme « post-

moderne », chez les critiques littéraires américains, afin de désignerdes œuvres qui, loin de remettre en cause les tendances de la« modernité », les approfondissent et les exacerbent. Mais c’estl’architecte Charles Jencks qui, dix ans plus tard, popularise ceconcept en rompant, au contraire, avec la tyrannie de l’innovation àtout prix, pour s’accorder le droit de renouer avec le passé

89. Lanotion de « post-moderne » se trouve donc d’emblée, dès son émer-gence dans le champ de l’esthétique, grevée d’une série d’ambiguïtés.Dans un souci de clarification sémantique, Luc Ferry en distinguetrois acceptions :

1) le « post-moderne » comme comble du « modernisme » :sans en être pleinement conscients, les avant-gardistes qui veulentdéconstruire la « modernité » en récusant le primat de la rationalitéissu des Lumières, perpétuent en fait le projet révolutionnaire de latabula rasa et de l’innovation permanente. Ils s’inscrivent ainsidans la « modernité » rationaliste, dont ils poussent les tendancesjusqu’à leur paroxysme

90. Cette version du « post-moderne »s’identifie par conséquent à l’« ultra-moderne »

91. 2) le « post-moderne » comme retour à la tradition contre le

« modernisme » : une seconde compréhension du « post-moderne »—————

89 Cf. Ferry, 1990, p. 327-328.90 Cf. id., p. 328-332.91 Après avoir marqué la rupture qui sépare « modernité » et « post-modernité »

(cf. Lyotard, 1979), Jean-François Lyotard reconnaîtra d’ailleurs le lien de continuité quiles rapproche : l’idée d’une succession linéaire entre deux périodes est en soi parfaitement« moderne », et le « post-moderne » était déjà inclus, à l’état virtuel, dans la « modernité »(cf. Lyotard, 1986, p. 120-126).

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en fait une réaction contre le « modernisme » exacerbé, notammentdans le domaine de l’art, qui s’évertuait à produire de l’inédit pourl’inédit. Cette deuxième version veut ainsi refermer la parenthèsemalheureuse de la « modernité », et, pour ce faire, restaurer lestraditions esthétiques du passé

92. Il s’agit donc d’un « post-moderne » régressif, réactionnaire au sens technique du terme.

3) Enfin, la « post-modernité » comme dépassement du « moder-nisme » : cette troisième acception entend dépasser le « modernisme »sans pour autant l’abolir ou l’accomplir (selon les principes de ladialectique hégélienne), mais en le rééquilibrant par la prise encompte d’éléments qu’il aurait négligés. Il ne s’agit pas de congédierla raison mais de renoncer au rationalisme, d’harmoniser lesdonnées de la tradition, l’apport de la « modernité », et l’inventionde nouveaux modèles

93. S’il nous était permis de transposer le triptyque proposé par

Luc Ferry depuis le domaine esthétique vers le champ plus large de laphilosophie et de la pensée, nous aboutirions probablement aux con-clusions suivantes. Les positions de Lanza del Vasto ne correspondentcertainement pas à la première acception du « post-moderne », maispeut-être à la seconde ou à la troisième. Le deuxième sens duvocable exprime bien cette conception réactionnaire de l’histoirecomme déclin. Il ne rend cependant pas compte de l’articulation,spécifique à la pensée vastienne, entre une représentation cycliquedu temps et une tension de type eschatologique. Sans doute cetteacception du « post-moderne », tout en restaurant le passé, n’enassume-t-elle pas les implications religieuses antérieures à la sécu-larisation, et ignore-t-elle la représentation thomiste, reprise parLanza del Vasto, de Dieu en tant que Relation Absolue. Le troisièmesens du vocable « post-moderne » pourrait davantage coïncider avecla philosophie vastienne, par son souci de corriger la « modernité »,de renier ses excès sans renoncer à toutes ses prémisses. Néanmoins,là encore, la nouvelle synthèse qui nous est suggérée ne semble pasvouloir transiger avec les ruptures induites par la « modernité » surle plan religieux. La pensée de Lanza del Vasto, grevée de présup-posés anti-séculiers, ne peut donc coïncider avec cette acception duterme. C’est pourquoi il importe à présent de nous tourner vers lesmodalités de traitement du fait religieux en régime de « post-modernité », selon ce que les sciences humaines nous en révèlent.

Car si Luc Ferry circonscrit la triple définition du « post-moderne »dans le champ esthétique, les sociologues ont transposé cette notionvers le domaine des représentations et des comportements des acteurs—————

92 Cf. Ferry, 1990, p. 332-334.93 Cf. id., p. 334-336.

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sociaux, et notamment dans celui des croyances religieuses. À cesujet, Jean-Paul Willaime considère qu’en régime de « modernité »,le religieux institutionnel reflue, mais se trouve remplacé par desutopies séculières, en particulier des idéologies politiques. La « post-modernité », pour sa part, s’exprime par la poursuite des mutationssocio-culturelles en cours, mais aussi par le déclin de la croyanceau progrès, c’est-à-dire au Salut de l’humanité par la rationalité : lesutopies séculières sont à leur tour sécularisées. Le religieux revient,non plus sous forme institutionnelle, mais par dissémination de lacroyance et subjectivisation du sentiment religieux. Du fait que cenouveau régime s’inscrit en continuité plutôt qu’en rupture euégard à la « modernité », Willaime préfère parler à son endroitd’« ultra-modernité » que de « post-modernité »

94. Plus soucieuxencore de contester le postulat de discontinuité entre les deuxrégimes, d’autres sociologues choisiront l’expression de « modernitétardive ».

Face à cette religiosité diffuse, sans lien social visible, Lanzadel Vasto adopte une approche originale : d’un côté il acquiesce à laprivatisation du croire, en mettant l’accent sur la conversionpersonnelle et la spiritualité vécue plutôt qu’institutionnellementdéterminée et canalisée ; mais, par ailleurs, il invite les convertis àune intégration communautaire, sur un mode confessionnellementpluriel. Plus précisément, il institue une sociabilité communautairefondée à la fois sur l’altérité religieuse interne (plusieurs traditionscohabitant en un même lieu) et sur la référence de chacun à uneconfession unique clairement établie (afin d’éviter toute tendance ausyncrétisme

95) : « fidélité à notre tradition, ouverture aux autres » 96.

Chaque personne engagée dans la Communauté est incitée à seconvertir sans cesse à sa propre foi, à approfondir son héritageidentitaire spécifique, et dans le même mouvement à reconnaître etdialoguer au quotidien avec ses compagnons de vie relevant d’autrestraditions. C’est pourquoi Lanza del Vasto n’a pas voulu faire del’Arche un Ordre religieux mais un Ordre laborieux, qui ne se situepas au-dessus des religions mais « au-dessous », au seuil commun detoutes les confessions : un Ordre qui revendique Jean-Baptiste pour« patron », et la réconciliation religieuse pour vocation et mission

97.Si le fondement religieux de sa pensée constituait la principalepierre d’achoppement entre Lanza del Vasto et la « modernité », ilfait également obstacle, du fait de sa singularité, à son assomption

—————94 Cf. Willaime, 1995, p. 104-113.95 Cf. Lanza del Vasto, 1978, p. 221-234, 255-270.96 Id., p. 233.97 Cf. Lanza del Vasto, 1959b, p. 233-234 ; 1962, p. 8 ; 1978, p. 221-234, 246-247 ;

Doumerc, 1983, p. 209-215.

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du régime de la « post-modernité » : par son articulation spécifiqueentre identité individuelle et identité collective, par son intransi-geant refus du syncrétisme, par la focalisation de sa parénèse nonseulement sur l’appartenance communautaire mais sur l’engagementfidèle et la participation effective à une lignée croyante au sein dupluralisme… À l’encontre des principes de la « post-modernité »religieuse, Lanza del Vasto ne peut concevoir pour le converti un« croire » sans « appartenir », sans « s’engager » et sans « parti-ciper » assidûment. De plus, en appelant à la désobéissance civileface aux lois injustes et aux structures sociales illégitimes

98, Lanzadel Vasto résiste au reflux des questions de conscience dans lasphère privée. Du fait de la dimension politique que revêt à sesyeux le Péché Originel, il refuse ainsi la neutralité de la sphèrepublique et la soumission des citoyens à la seule légalité, àl’encontre non seulement du mouvement de la sécularisation et del’individualisation des croyances, mais peut-être aussi des principesde la laïcité.

La spécificité de ses positions place la pensée de Lanza delVasto (et la pratique des Communautés qui s’en inspirent) à la foisen phase et en décalage vis-à-vis de l’« ultra-modernité » religieuse.Notre auteur fait preuve d’une grande tolérance envers l’altéritéreligieuse, mais n’admet pas pour autant le « bricolage » spirituel ;il avalise les dynamiques du « développement personnel », sans pourautant cautionner l’individualisme consumériste ; il insiste sur laprimauté du vécu émotionnel, mais développe un système explicatiftrès élaboré de l’histoire de l’humanité et de l’ordre des choses. Cedernier point est d’ailleurs tout à fait significatif : alors que la « post-modernité » se caractérise par une grande suspicion et une profondedésaffection à l’égard de tous les grands systèmes de sens, quicontribuaient à unifier l’existence en l’intégrant dans une visiontotalisante, Lanza del Vasto construit une théorie holiste et cohérentede l’homme et du monde, qui se veut Vérité immuable et éternellecar inspirée par les lois divines

99. Mais, dans le même mouvement,il sacralise le cheminement foncièrement singulier de chaque hommeau sein de cette histoire globale

100, renouant ainsi avec la prolifé-ration à l’infini de micro-récits individuels qui est propre au régime« post-moderne ». De paradoxe en paradoxe, la pensée de Lanza delVasto échappe sans répit aux cadres taxinomiques qui s’évertuent àla saisir. Elle se situe irrémédiablement ailleurs, dans un autre lieuet en un autre temps.

—————98 Cf. Lanza del Vasto, 1971.99 Cf. Lanza del Vasto, 1992, p. 150-159.100 Cf. Lanza del Vasto, 1962, p. 40-48.

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c) Lanza del Vasto, penseur de l’utopie et de l’uchronieLa philosophie de Lanza del Vasto cherche désespérément à

résoudre la crise du sens, ou plus précisément la crise du « sens dusens », comme le dit Luc Ferry

101. Face à la désillusion généraliséeet à la dissipation des normes et des repères, elle construit un sys-tème englobant et totalisant. Ce faisant, elle consent aux logiquesde la « modernité » que par ailleurs elle dénigre et condamne sansappel. Et, par là même, elle diverge des principes de la « post-modernité » auxquels, sur d’autres plans, elle souscrit sans réticence.Tout se passe comme si la pensée vastienne jouait à cache-cacheavec les classifications communes, s’amusant à croiser les critères,à entrelacer les variables, à hybrider les paramètres.

Lanza del Vasto s’affirme comme un penseur de l’utopie, ausens que Jean Séguy conférait plus haut à ce terme, mais aussi, plusfondamentalement, comme un maître virtuose de l’uchronie. Saphilosophie s’inscrit dans un registre spatio-temporel qui ne se laissecerner par aucune catégorie clairement déterminée et par conséquentsécurisante. Et cependant, ultime pied de nez aux velléités taxino-miques (puisqu’un auteur qualifié d’« utopiste » et d’« uchroniste »se trouve enfin classifié), cette pensée n’est pas restée indéfiniment« sans lieu » ni « sans temps ». Elle s’est incarnée très concrètementen un lieu et dans un temps donnés, en un hic et nunc qui défie lesspéculations les plus fantasmagoriques : dans les Communautés del’Arche qu’il a fondées en 1948, ainsi que dans le mouvementd’alliés et d’amis qui les soutiennent, et qui perdurent depuis plusd’un demi-siècle. Les aléas de cette application d’une pensée dansle réel mériteraient une autre étude. Nous retiendrons simplement leconstat qu’à défaut d’être « moderne », « pré-moderne » ou « post-moderne », la philosophie vastienne s’avère être en phase avec lesaspirations d’un certain nombre de nos « contemporains ».

CONCLUSION

Au terme de ce parcours, nous devons admettre que la penséede Lanza del Vasto est définitivement inclassable. Passablement« anti-moderne » mais nullement « pré-moderne », partiellement« post-moderne » sans être clairement « ultra-moderne », « utopiste »et « uchroniste » tout en ayant réalisé son rêve communautaire en unlieu et en un temps donnés, Lanza del Vasto échappe irrémédiablementaux taxinomies élaborées à partir du concept de « modernité ».

—————101 Ferry, 1996, p. 19.

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Mais, au-delà de sa pensée propre, ce sont ces classificationselles-mêmes qu’il s’agit d’interroger. Quelle est la validité heuristiquede la notion de « modernité » et des catégories connexes, si ellessont incapables de rendre compte des positions d’un auteur ? Et,plus largement, quelle est la pertinence des prétentions taxinomiquespour l’exposé de l’histoire des idées ? Il appert que leur légitimitédemeure, mais au prix d’un considérable déplacement, si ce n’estd’un renversement. Il conviendrait peut-être en effet de n’y avoirrecours qu’avec souplesse et humilité, en guise d’aiguillon critiqueplutôt que de boussole infaillible : non pour figer les positions d’unauteur dans un cadre intangible élaboré a priori, mais dans le butunique de confronter à ces catégories une pensée qui les dépasse etles relativise, afin de la mettre en valeur elle seule, dans sa singularitéet dans ses potentialités insoupçonnées.

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