L'agir de Dieu dans et par la chair christologique

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L'AGIR DE DIEU DANS ET PAR LA CHAIR CHRISTOLOGIQUE Jean-Christophe Peyrard Institut Catholique de Paris | Transversalités 2013/4 - N° 128 pages 131 à 150 ISSN 1286-9449 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-transversalites-2013-4-page-131.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Peyrard Jean-Christophe, « L'agir de Dieu dans et par la chair christologique », Transversalités, 2013/4 N° 128, p. 131-150. DOI : 10.3917/trans.128.0131 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Institut Catholique de Paris. © Institut Catholique de Paris. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 28/03/2014 22h39. © Institut Catholique de Paris Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 28/03/2014 22h39. © Institut Catholique de Paris

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L'AGIR DE DIEU DANS ET PAR LA CHAIR CHRISTOLOGIQUE Jean-Christophe Peyrard Institut Catholique de Paris | Transversalités 2013/4 - N° 128pages 131 à 150

ISSN 1286-9449

Article disponible en ligne à l'adresse:

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--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Peyrard Jean-Christophe, « L'agir de Dieu dans et par la chair christologique »,

Transversalités, 2013/4 N° 128, p. 131-150. DOI : 10.3917/trans.128.0131

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L’AgIr DE DIEuDANs Et pAr LA CHAIr CHrIstOLOgIQuE

Jean-Christophe PEyrarDDoctorant1 Theologicum-Faculté de Théologie

et de Sciences Religieuses Institut Catholique de Paris

Si toute l’économie divine et toute l’œuvre du salut reposent sur l’agirpremier et gratuit de Dieu, parler d’un agir de Dieu pour l’homme d’aujour-d’hui ne va cependant pas de soi tant qu’on ne précise pas sa modalitémédiatrice, en particulier le temps et le lieu dans lesquels cet agir se déploiedans son rapport à l’homme. En effet, l’agir de Dieu pour l’homme ne seconçoit qu’en faisant intervenir l’humanité dans cet agir même ; c’estprécisément la manière dont l’humanité est intégrée dans l’agir divin quenous nous proposons d’éclairer ici par la lecture de Hans urs von balthasar.Celui-ci prend soin de compléter l’affirmation de la primauté de l’agir deDieu par celle de la coopération active de l’homme en réponse à ce donpremier et c’est le Christ dans l’accomplissement de sa mission divine en sonexistence qui fixera les bases de cette articulation. l’évidence de l’agir deDieu procède en effet selon balthasar de l’affirmation première de la foi dansle Christ ressaisi comme événement trinitaire, « Dieu y [l’espace terrestre]accède, y intervient et y agit par la mort, la descente aux enfers et larésurrection du fils de Dieu »2. C’est donc « par le fils et l’Esprit »3 que Dieu

1. Jean-Christophe Peyrard a soutenu sa thèse de doctorat le 16 septembre 2013. 2. Hans urs Von balTHaSar, Points de repère. Pour le discernement des esprits, trad.

bernard Kapp, Paris, fayard, 1973, p. 63.3. Hans urs Von balTHaSar, La Théologique. II : vérité de Dieu, trad. béatrice

Déchelotte et Camille Dumont, bruxelles, Culture et Vérité, 1995, p. 83.

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intervient et agit partout dans sa création libre, de sorte que parler d’agir deDieu dans le monde c’est également parler de la médiation christologiquede cet agir.

une analyse de quelques occurrences de l’agir chez balthasar (sansaucune prétention à l’exhaustivité dans une œuvre de cette ampleur), permetde préciser les contours de l’agir divin. on constate alors premièrement, quel’expression « l’agir de Dieu »4 est présente chez balthasar et que cet agirest exclusivement ordonné au salut ; deuxièmement, que l’agir est souventassocié au « pâtir »5 ; troisièmement, que cet agir appelle nécessairement uncorps6 ; quatrièmement, que cet agir de Dieu passe d’abord par l’agirobéissant du Christ7 et s’adresse à l’agir de l’Église8 comme à celui del’homme9. Dès lors, que faut-il entendre par «  agir de Dieu  » pour luigarder une réalité qui ne la dilue pas dans son rapport à l’agir du Christ d’unepart, à l’agir des hommes d’autre part ? Si tout agir ne se réalise dans lemonde que par la médiation d’un corps, est-il légitime de parler encore d’unagir direct de Dieu, autrement dit à quelle condition la médiation d’uncorps ne constitue-t-elle pas un obstacle à l’immédiateté de l’agir divin dansl’humanité?

Conformément à ces premiers indices, nous essaierons donc de déployerl’agir de Dieu chez balthasar à partir de son unique médiation, celle du Christqui se donne sur la croix. C’est donc l’agir de Dieu à travers le don christo-logique, lui-même médiatisé par la chair, qui sera ici analysé. on en déduira

4. Citons à titre d’exemple : La Dramatique divine. III : L’action, trad. robert Givord etCamille Dumont, namur, Culture et Vérité, 1990, p. 215, La Gloire et la Croix. Les aspectsesthétiques de la Révélation. I : Apparition, trad. robert Givord, Paris, Desclée de brouwer,1990, p. 30, Points de repère, p. 63, La Dramatique divine. II : Les personnes du drame, 1.L’homme en Dieu, trad. yves Claude Gélébart et Camille Dumont, Paris, lethielleux, namur,Culture et Vérité, 1986, p. 56 et 57, La Théologique II, p. 83, La Dramatique divine. III :L’action, trad. robert Givord et Camille Dumont, namur, Culture et Vérité, 1990, p. 215.

5. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 206, 439, La Dramatiquedivine, II, 2, p. 193.

6. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, III, op. cit., p. 377, Points de repère,p. 175.

7. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 2, op. cit., p. 193, La Dramatiquedivine, III, p. 377 et 442, La Dramatique divine, II.1, p. 57, La Gloire et la Croix, I, op. cit.,p. 439

8. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit., p. 57, Points de repère,op. cit., p. 252.

9. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit., p. 56, La Dramatiquedivine, II, 2, op. cit., p. 193, La Dramatique divine, III, op. cit., p. 215.

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le rapport à la liberté et à l’agir de l’homme ce qui permettra alors dedévoiler la propriété de la chair par laquelle l’agir de Dieu se fait présent ets’accomplit dans le monde.

Concentration de l’agir de Dieu dans le don du Christ L’agir divin médiatisé

Pour balthasar, l’agir par lequel Dieu se communique à l’homme ne peuts’imposer de l’extérieur de l’homme. Par son incarnation, le Verbe « nousmontre qu’en se faisant homme il ne fait pas violence à l’homme, maisl’accomplit justement dans ce qu’il a de plus humain »10. Dieu agit donc dansl’humanité de l’homme, en son essence même. En effet, balthasar affirmeque « l’acte du don du Père […] est coextensif à toute la dimension humainedu fils […] il coïncide totalement avec elle »11, il justifie alors d’une partque l’agir divin est à rapporter au don du Père en son fils et d’autre part quel’humanité, que le fils prend par son incarnation, concentre intégralementce don12. ainsi, tout l’agir de Dieu s’accomplit dans le don que le Christ faitsur la croix en nous livrant sa chair, de sorte que sa chair, ou « la dimensionhumaine du fils », s’impose comme la médiation de l’agir de Dieu, le lieude « concentration de l’action définitive de Dieu dans le Christ… »13. Ce rôlemédiateur de la chair reçoit une confirmation directe de la part de balthasar :« la chair, c’est-à-dire la figure humaine, que le fils de Dieu a prise [dasFleisch, das heibt die Menschengestalt, die der Sohn Gottes annahm], estdans son ensemble l’instrument de l’action salvifique de Dieu envers lemonde»14, de sorte qu’elle prend activement part à l’action divine. or, si,pour balthasar, l’incarnation du Verbe fait de la chair l’instrument de l’agirde Dieu, réciproquement, la chair, en tant que le milieu unissant leshommes, fait de l’incarnation un événement pour tout homme : « l’incar-nation [Inkarnation] du logos affecte l’ensemble de la nature humaine

10. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 403.11. Ibid., p. 329.12. Cf. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la

Révélation, III. Théologie 2. Nouvelle Alliance, trad. robert Givord, Paris, Desclée debrouwer, 1993, p. 348 : « or, dans l’action du Christ, homme comme nous […], il y a uneaction de l’amour de Dieu se livrant totalement ; et le but interne de cette action est le don àl’homme du même amour. »

13. Ibid., p. 162.14. Ibid., p. 568.

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[Menschennatur] en raison de la communauté des individus fondée surleur unité matérielle. »15 ainsi, en étant assumée par le Verbe, la chair est nonseulement affectée, mais elle prend directement part à l’événement queconstitue le Christ, même dans sa relation au Père et aux hommes. mais c’estparticulièrement la croix, plus exactement « la force de l’action définitivede Dieu à la Croix et à la résurrection »16 qui, pour balthasar, fait de la chairl’instrument du salut, ou ce qui porte et communique l’agir de Dieu dans lemonde, afin que les hommes, recevant ce pouvoir d’agir, puissent à leur tourcoopérer à la mission même du Christ : « la mission réellement substitutivedu Christ [das Christi real-stellvertretende Sendung] [… est] une actionconjointe [Mit-Tun] et une passion conjointe [Mit-Leiden] avec ceux quiétaient éloignés de Dieu pour leur ouvrir (comme second adam) un espacede mission chrétienne [einen Raum christlicher Sendung] dans lequel ilspeuvent, en Christôi, recevoir une part à son action et à sa passion salutairespour le monde »17.

Si c’est le Verbe, qui dans son humanité accomplit fidèlement la volontédu Père de sorte qu’il exprime parfaitement l’agir du Père pour le salut deshommes, le lien, qui apparaît chez balthasar entre cet agir et la corporéitéde l’homme et en premier lieu du Christ, ne doit pas nous surprendre. Eneffet, que ce soit avec la « chair [Fleisch] » ou avec le « corps [Leib] »balthasar fait jouer à la corporéité de l’homme un rôle central dans lamission du Christ, en particulier dans son œuvre substitutive18. « Seul le faitde la corporéité [als Leiblicher] lui permet, en effet, d’endurer la mort despécheurs, et de même, parce qu’il a un corps, il peut prendre la place [an dieStelle setzen] des pécheurs ou, pour mieux dire, les introduire dans la sphèrede sa propre existence divine, spirituelle et charnelle [leiblich] toutensemble.  »19 non seulement la corporéité se fait médiation de l’action

15. Hans urs Von balTHaSar, Épilogue, trad. Camille Dumont, bruxelles, Culture etVérité, 1997, p. 71-72.

16. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, III, 2, op. cit., p. 159-160.17. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 2, op. cit., p. 193.18. rappelons que pour balthasar, « “le sens et le but de la substitution […] consistent

à introduire les autres dans l’attitude intérieure de celui qui se substitue” ; il s’agit doncd’inclusivité. Et si un individu souffre en vue de sauver la vie morale d’un autre ou son rapportà Dieu, alors c’est consciemment que celui qui se substitue instaure et vit la communion(laquelle précisément naît de là) » in Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, III,p. 326.

19. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit., p. 358 (traductionmodifiée).

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salvatrice du Christ, mais son rapport à l’agir ne comprend aucune extério-rité. bien au contraire, on ne peut parler de corps que soutenu par un agir,de sorte que l’agir et la corporéité sont chez balthasar deux notions qui serecouvrent partiellement. Il n’y a de chair médiatrice, comme instrument del’agir de Dieu, que parce qu’elle est l’objet premier de cet agir, et peut parlà même coopérer à la constitution du corps de la mission divine. le corpsest corps d’action et ceci d’une manière originaire20. Cette intimité entrecorporéité et agir est en particulier exprimée par balthasar à travers lesyntagme «  corporéité en acte [in seiner ganzen wirkenden Leibhaftig-keit] »21, pour signifier que, par cette corporéité, l’homme est déjà en acteréceptif et expressif dans son entrelacs avec le monde avant même l’éveildu sujet.

La forme charnelle de l’agir divinor, poser la chair christologique comme médiation de l’agir de Dieu n’est

pas sans conséquences sur l’interprétation même de l’agir divin, en ce sensque la chair du Christ confère à cet agir la forme de l’existence du Christ dansle monde et lui définit un champ objectif d’application à la fois intérieur àl’homme et distinct de la sphère dans laquelle règne la subjectivité réflexive.Esquissons ces deux caractéristiques de l’agir de Dieu, données par la chairmédiatrice du Christ, et qui illustrent l’affirmation selon laquelle « Il estdécisif que le geste de Jésus donne à manger une «chair» qui est dans l’étatde ce qui «a été livré». »22

D’une part, si l’agir de Dieu consiste aussi à donner aux hommes d’êtreeux-mêmes acteurs dans le Christ de sa mission de salut, sa médiation parla chair, telle qu’assumée par le Christ, dit quelque chose de la forme queprend cet agir divin dans le monde. En effet, la chair du Christ, par laquellel’agir de Dieu s’accomplit, est essentiellement chair livrée sur la croix dans« la libre volonté de dépouillement du logos divin en faveur de l’homme »23

20. Cette notion associant le corps avec l’agir originaire de l’homme dans son implicationavec le monde est partagée avec G. Siewerth : « le corps [Leib] est lui-même l’acte primitif[Urhandlung] de l’homme qui, par cette action même qu’est le corps, est entré dans le monde.Cette entrée active dans le monde, l’homme l’a toujours déjà accomplie  » in GustavSIEWErTH, L’homme et son corps, trad. r. Givord, Paris, Plon, 1957, p. 85.

21. Hans urs Von balTHaSar La Théologique, II, p. 11.22. Hans urs Von balTHaSar La Gloire et la Croix, III, 2, p. 129.23. Hans urs Von balTHaSar La Gloire et la Croix, I, p. 313.

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et comme « “pure ouverture” »24 face à l’hostilité du monde. ainsi, la chairtransfigurée qu’il donne par sa résurrection est aussi sa chair crucifiée dansson ouverture définitive sur toute l’humanité. C’est pourquoi, l’agir divinqui se réalise à travers cette chair prend essentiellement la forme d’un « sedonner soi-même ». Dans le même dépouillement, il se manifeste commele pouvoir de s’ouvrir soi-même et de se désapproprier de soi pour devenirtransparent à la volonté et à l’amour de Dieu pour les hommes, car, précisebalthasar, c’est « en étant “pure ouverture” » que Jésus se fait « transpa-rence parfaite [vollendete Durchsichtigkeit] »25. ainsi, lier l’agir de Dieu àla chair du Christ conduit à lui conférer la forme oblative du pro nobis dansla modalité sacrificielle que le Christ lui a donnée. « l’insertion [Einbezie-hung] des croyants dans le corps [Leib] et, par là, dans l’agir [Wirken] duChrist a nécessairement pour conséquence que […] ils ont aussi part à son“pour nous”. »26

D’autre part, la considération de l’agir rédempteur de Dieu à partir du dondu Christ sur la croix permet de lui spécifier son objet. Cette objectivationdu don est essentielle, nous semble-t-il, pour rendre compte de l’agir de Dieu.En effet, l’œuvre rédemptrice du Christ peut être comprise, vue du côté del’homme, par le jeu (dramatique) qui se déroule au seul niveau de la chairet selon lequel « une chair a été livrée en échange d’une autre chair »27, cequi permet de faire ressortir la réalité objective de l’échange substitutif opérépar le Christ. Cette objectivité est mise en valeur par balthasar dans toutesles formules décrivant l’échange christologique : « s’il ne nous avait pasenlevé ce qui nous appartient, il ne pourrait pas nous donner en échange cequi est à lui, et il ne nous est pas étranger […], parce que ce qui est à lui aassumé ce qui est à nous, en nous le redonnant transfiguré en lui (de la mortà la vie) »28. De cette objectivation par la chair de l’agir divin, on peut déduiredeux conséquences directes sur l’agir divin, ses caractères inconditionné etimmédiat.

24. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, IV. Le dénouement, namur,Culture et Vérité, 1993, p. 105.

25. Ibid., p. 105. 26. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, III, p. 377.27. Hans urs Von balTHaSar, Points de repère, p. 175.28. Hans urs Von balTHaSar, La vie surgie de la mort. Méditations sur le mystère pascal,

trad. martine Huguet, Philippe Charpentier de beauvillé et Isabelle Crahay, magny-les-Hameaux, Socéval, 2005, p. 69.

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En effet, si on peut associer à l’agir divin la médiation objective de lachair christologique, ceci implique que cet agir ne porte pas directement surl’homme dans sa subjectivité et son existence, mais a une réalité indépen-damment et antérieurement à toute disposition d’accueil de l’homme.autrement dit, l’agir de Dieu à travers le don de la chair du Christ estinconditionné, il est donné quel que soit l’accueil que lui réserveront leshommes. C’est ce que confirme balthasar, « Dieu, quand il agit en son fils,“obtient en tout la primauté” (Col 1,18) et n’a donc besoin de personne pourmener à terme son drame »29. Il faut alors comprendre que le don de soi duChrist en sa chair peut être parfait, réel et définitif, en tant qu’il objectivel’agir de Dieu pour l’homme, parce qu’en particulier il ne fait pas appel auJe de l’homme et donc ne s’accomplit pas sur le plan des consciences. S’iln’y a pas contradiction entre l’absoluité du don du Christ en tout son être etce qui semble être une exclusion de la conscience dans le don, c’est parceque le Christ donateur s’identifie absolument au don qu’il fait en sa chair,« il se fait chair », de sorte que la chair livrée concentre en elle tout l’êtredu Christ dans son obéissance au Père et dans la totale soumission de saconscience. À travers ce retrait du Je, le don procède alors d’une doubleignorance : le Christ, dans la déréliction totale de la croix, s’ignore lui-mêmedans l’acte du don de soi et devient ainsi pure chair d’ouverture à la totalitéde l’humanité jusque dans ses obscurités ; quant aux hommes, ils vontjusqu’à ignorer le don qui leur est fait, puisque, selon les termes de balthasar,ils le reçoivent « à leur insu ».

Cet agir, compris au niveau de la chair, est non seulement inconditionnémais il est aussi marqué par une immédiateté, qui ressortit du fait qu’ilprocède de la chair du Christ et s’imprime dans la chair de l’homme: « C’estsa chair qui s’adresse à ma chair [Sein Fleisch hat es auf mein Fleischabgesehen], à moi dans ma totalité [den ganzen Mensch], avec toutes lesforces et tous les élans de mon corps [leiblichen]. »30 le Christ agit directe-ment dans les hommes, c’est-à-dire dans leur humanité, et non sur leshommes, ce qui signifie qu’il affecte par son action leur essence et lespossibilités ontologiques de l’être de l’homme, mais il n’affecte pas directe-ment leur existence qui relève de la décision d’un sujet spirituel. l’inté-riorité de l’homme, c’est-à-dire son espace d’ouverture à l’être et à Dieu,est objectivement changée par l’acte unilatéral de Dieu dans le Christ. les

29. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, p. 57.30. Hans urs Von balTHaSar, Points de repère, op. cit., p. 175 (traduction modifiée).

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hommes acquièrent «  un espace qui leur permet de vivre plus dans leChrist qu’en eux-mêmes »31. C’est donc l’essence même de l’homme en sachair, dans sa capacité d’ouverture à l’être et à Dieu, qui est affectée dansl’événement du Christ. le fait que le don objectif du Christ en sa chair estdélié de toutes conditions subjectives humaines n’ôte donc aucune réalitéà l’agir de Dieu dans l’humanité. les termes balthasariens ne laissentsubsister aucun doute. Selon lui en effet, par le seul événement christolo-gique de la substitution, tous les hommes subissent un « changement » dansleur intériorité : « Il ne s’agit de rien de moins que d’une intervention dansle “domaine privé” des autres hommes : lorsque le Christ porte à leur place[im stellvertretenden Tragen] leur culpabilité devant Dieu, quelque chose[etwas] est changé en eux, et cela à leur insu [ohne ihr Wissen]. »32 Pas plusla liberté que la conscience des hommes ne sont à ce niveau sollicitées etimpliquées. la réalité transformatrice de l’agir de Dieu est toute entièreconcentrée dans la chair même livrée aux hommes dans le don substitutifdu Christ, à tel point qu’il faut alors se demander comment cet agir s’arti-cule à la liberté des hommes. De la même façon, si « sa chair s’adresse àma chair », faut-il comprendre que l’agir de Dieu relève de la seule activitéinterne à la chair, excluant par là même les rapports intersubjectifs ? Il noussemble que la réponse nécessite de distinguer deux moments au sein de cetagir.

Agir de Dieu et liberté de l’homme Libération de la liberté

on ne peut parler de l’agir de Dieu, au sens « d’une intervention dans le“domaine privé” des autres hommes », sans évoquer la liberté de l’homme.balthasar lui-même aborde cette question « de savoir comment la libertéhumaine se comporte à l’égard de cette action libre et gracieuse de Dieu ».la seule réponse passe alors nécessairement par l’affirmation croyante dela médiation. En effet, poursuit balthasar, « pour y répondre, on ne peutsupposer un seul instant que, comme dans l’ancienne alliance, la libertéarchétypique, fondant le droit, du Dieu de l’alliance, et la liberté de son

31. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de laRévélation, IV. Le domaine de la métaphysique, 2. Les constructions, trad. robert Givord etHenri Englemann, Paris, aubier, 1982, p. 175.

32. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit, p. 357.

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image, le partenaire créé, soient mises l’une en face de l’autre, sansmédiation. »33

Déterminons alors les conditions de cette médiation grâce auxquellesl’agir de Dieu ne remet pas en cause la liberté de l’homme dans les actes deson existence, mais au contraire la prend comme partenaire. le premierprésupposé que rejette balthasar est de considérer la liberté comme étantsouveraine et autonome, donnée à elle-même par elle-même et donc commela condition de possibilité de toute expérience. C’est ce concept de libertéqui motive la critique adressée à rahner : « rahner rejette l’idée de substi-tution comme “impensable”, parce que pour lui le concept de liberté, en tantqu’accomplissement personnel du sujet en sa totalité, occupe une place toutaussi centrale que chez Kant »344. le second est de considérer l’immédiatetéde l’agir de Dieu comme s’accomplissant sans médiation aucune entre lapersonne du Christ et les individus humains considérés dans leur subjecti-vité, c’est-à-dire comme si Dieu opérait directement entre de pures libertéssubjectives et autonomes. or nous venons d’indiquer que balthasar affirmaitla nécessité d’une médiation entre liberté de Dieu et liberté de son image etidentifiait précisément la chair comme instrument de l’agir divin. le rejetde l’agir de Dieu, et en son cœur la substitution, repose donc à la fois sur unefausse conception de la liberté et sur l’ignorance de la médiation par laquellel’agir divin s’accomplit dans le monde. Car, dans un monde affecté par lepéché, l’homme ne peut se déterminer seulement à partir de l’autonomie desa liberté, qui est elle-même aliénée. la décision souveraine de l’homme surlui-même ne peut constituer la référence absolue pour ses jugements.Pourtant Dieu veut un homme acteur dans une liberté authentique. Dès lorsl’agir de Dieu ne peut laisser hors de son champ la liberté impossible del’homme en régime de péché. Cependant s’il vise précisément la liberté del’homme, ce n’est pas pour la contraindre ou pour interagir avec lesjugements que l’homme prend au cours de son existence, mais pour changerles conditions même de son exercice, c’est-à-dire pour la libérer de l’enfer-mement dans lequel le péché de l’homme l’a condamnée. le « changementdans leur intériorité  », évoqué par balthasar, peut dès lors être compriscomme une libération de la liberté des hommes dans leur aliénation au péché.

33. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, III, 2, op. cit. p. 261.34. Ibid., p. 253. balthasar lui-même note ce rejet de la part de nombreux théologiens.

Cf. « Crucifixus etiam pro nobis. le mystère de la “substitution” », dans Communio, n° V,1, janvier/février 1980, p. 56.

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la transformation de la chair est le don de cet espace que le Christ ouvre lui-même en chacun sur la liberté infinie de Dieu, de sorte que l’agir de Dieu,qui, à travers le Christ, se déploie dans le « milieu humain », permet dedonner à l’homme les possibilités d’accéder à sa liberté dans sa plénitude.

la liberté humaine doit nécessairement s’objectiver dans un milieu étranger[in fremdem Material] où elle se situe et où elle est conditionnée par la faute(au moins collective) ; on dira même que ce milieu [dieses Material]contaminé par la faute […] ne reste pas extérieur à l’acte de liberté et quel’acte de l’individu, quand il répond à la grâce, surgit de cette culpabilité denature et la surmonte. Qu’est-ce qui empêche dès lors que la liberté,« aliénée » par la situation de faute, soit restaurée grâce à un individu qui,habilité pour cela par Dieu, éprouve par substitution le milieu aliénant [diedurch die Fremdheit des Materials « sich selbst entfremdete » Freiheit] (qu’ilsoit le fait du péché originel ou du péché personnel)? Ce faisant, il ne priveen rien de sa propre liberté personnelle celui dont il prend la place. bien aucontraire il la lui rend avec la possibilité de s’accomplir en plénitude.35

ainsi, non seulement l’agir de Dieu ne vient pas contraindre ou limiterla liberté des hommes, mais il la libère en l’ouvrant à sa liberté absolue,«  incorporés [einverleibt] à sa liberté, nous devenons aussi vraimentlibres »36. Cette libération par transformation de la chair s’accomplit dansl’échange substitutif du Christ. mais on ne peut en rester à cet agir de Dieusur l’horizon de la liberté de l’homme sans prendre en compte sa réceptionet la réponse de l’homme. Ceci nous conduit alors à distinguer le donontologique de Dieu dans la chair du Christ et son accomplissement parl’Esprit dans l’existence de l’homme.

La double dimension de l’agir divinEn effet, l’affirmation de l’agir unilatéral de Dieu, au sens d’une transfor-

mation ontologique des hommes à travers leur chair et comme l’ouvertured’un espace infini de liberté, représente le niveau ontologique37 de l’agir qui

35. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, III, op. cit., p. 255 (traductionlégèrement modifiée).

36. Ibid., p. 377.37. Cette sphère ontologique créée par Dieu lui-même est attestée par balthasar :

« l’établissement de son droit [de Dieu] dans l’alliance et dans le cosmos en général, est,comme on l’a montré, une puissance tout à fait réelle, immanente au monde et ontologique »in Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, III, 2, op. cit., p. 260.

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n’offre pas à lui seul de visibilité dans le monde et ne force pas l’existencede l’homme à lui donner son espace d’accomplissement. l’agir de Dieurenvoie à l’échange substitutif et unilatéral opéré par le Christ dans sonrapport filial à Dieu. la seule affirmation au fondement de tout agir de Dieu,selon laquelle « celui qui donne son corps [Leib] et son sang le fait dans le“commercium” : nous rendant ce qu’il a pris de nous et transformé enlui »38, ne permet pas d’expliciter en quel sens on peut encore parler d’agirde Dieu pour l’homme aujourd’hui. Car, la finalité ultime de cet agir n’estpas la seule chair, dans une abstraction théorique des corps, mais les êtresindividuels dans leur liberté, qui seuls par leur existence dans le Christpeuvent donner à cet agir de Dieu un apparaître et un accomplissement dansle monde. Précisément, la médiation de l’agir de Dieu dans la chair duChrist offre la possibilité de distinguer et d’articuler l’agir fondateur de Dieuavec son appropriation dans l’existence de chaque homme. En effet, la« nature humaine » en tant qu’elle est fécondée et transformée dans le Christrend le don de Dieu immédiat et disponible à l’homme, qui est alors àmême, par la grâce de l’Esprit, d’en faire le déterminant de son existence.Par la chair livrée, ce don devient un événement universellement accessibleà tous les hommes car déjà inscrit en leur intériorité. « la manifestation[Auslegung] de Dieu donnée dans le Christ est accessible à chacun,puisqu’elle s’est produite dans le milieu de la nature humaine appartenantà tous [im Medium der allen gehörenden Menschennatur], si bien quechacun peut la saisir. »39 Pour balthasar, là où Dieu a déposé sa Parole dansle Christ, tel un « appel incarné », est aussi là où l’homme est librement àmême de la faire sienne, ce medium est la chair ou la « dimension humaine »ou la « nature humaine », permettant alors dans sa distinction avec lesindividus eux-mêmes, d’articuler l’acte unilatéral de Dieu et son accomplis-sement dans l’existence des individus. les hommes ont alors la possibilitéet la liberté de s’approprier en conscience ce don déjà donné du Christ ensa chair et donc aussi en leur chair. le don de Dieu dans la chair appelledonc un second moment responsif : celui de l’agir existentiel de l’hommequi doit habiter cette même chair. mais ce second moment doit être compriscomme venant s’accorder au premier de manière à ne pas en être séparé.En effet pour balthasar, tout l’agir salutaire de Dieu pour l’homme« contient à la fois l’agir de Dieu réclamant l’obéissance rédemptrice de

38. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 2, op. cit., p. 194.39. Ibid., p. 402.

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Jésus, et aussi la présence [Dabeisein] de ceux dont Jésus prend la place[stellvertreten] »40.

Par cette distinction au sein de l’agir divin des deux plans dont la chairoffre l’articulation, on est en mesure de concevoir l’agir de Dieu tout enpréservant à la fois la liberté de Dieu, qui donne purement gratuitement dansun don absolument inconditionné, et la liberté des hommes, auxquels ilrevient de donner à cet agir divin un rayonnement dans leur existence. lamédiation de l’agir par le don de la chair permet alors de déployer ladistinction et les rapports liant l’agir strictement divin de justification et l’agirde sanctification qui relève de l’homme qui, dans la foi, répond au premieren se laissant agir par lui. En effet, précise balthasar, c’est seulement ainsique l’on peut distinguer la « priorité objective (non temporelle) de l’acte dela justification sur celui de la sanctification (dans laquelle ensuite l’amourchrétien se manifeste comme amour du prochain), c’est l’acte unique etpréalable à toute action humaine qui attribue la grâce au pécheur, initiativeunilatérale de Dieu, n’y répond que la foi comme reconnaissance de lapriorité absolue du Dieu de grâce et la réception passive de la justificationimméritée dans l’acte de la remise sans condition de l’homme à Dieu »41.

Le déploiement de l’agir divin à travers l’agir de l’hommel’agir de Dieu, compris comme l’acte unilatéral de Dieu pour le salut des

hommes, ne se limite pas à l’agir historique de Jésus en tant que fait du passémais présente une actualité pour chacun. montrons alors que c’est parce quela chair du Christ concentre la totalité de l’amour entre le Père et le fils dansson incarnation que l’agir de Dieu doit se comprendre à la fois tout entierréalisé dans l’humanité du Christ et se déployant dans l’aujourd’hui del’existence de chacun : « Et c’est précisément avec sa chair [mit seinemFleisch] qu’il ne cesse d’agir. »42 la chair étant définitivement élevée austatut de medium toujours actuel d’accomplissement de cet amour de Dieudans son fils, l’agir de Dieu dans la chair du Christ convoque alors directe-ment tout homme en sa propre chair.

40. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, III, op. cit., p. 215.41. Hans urs Von balTHaSar, Nouveaux points de repère, Paris, fayard, 1980, trad. revue

par Georges Chantraine, p. 45.42. Hans urs Von balTHaSar, Points de repère, op. cit., p. 175 (traduction modifiée).

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« L’expérience » immédiate de l’agir divinEn effet, si l’agir de Dieu est définitif dans le Christ, il connaît un

déploiement dans le temps et l’espace à travers la chair que le Christ nouspartage et avec laquelle « il ne cesse d’agir » dans « la mort, la descente auxenfers et la résurrection du fils de Dieu ». En temps qu’événement trinitaire,il  est supratemporel, mais il s’inscrit dans le temps par la réponse del’homme initiée par le Christ. ainsi, pour balthasar d’une part l’agir de Dieuest une réalité déjà donnée en chacun, d’autre part il n’acquiert une figuremondaine et donc une visibilité qu’à travers l’agir de l’homme, ce quisuppose que l’homme puisse recevoir le pouvoir de se conformer à l’agir deDieu en lui. Cette communication de l’agir de Dieu se communiquant dansl’agir de l’homme est signifiée dans le fait que « sa chair s’adresse à machair ». « la révélation de Dieu n’est pas seulement un objet à regarder : elleest son action dans et sur le monde, à laquelle le monde ne peut répondre (etqu’il ne peut donc “comprendre”) que par l’action. »43 l’homme ecclésialse voit ainsi assigner un « rôle dans l’agir originaire de Dieu »44.

En ce sens, l’expérience chrétienne de l’agir divin dans l’humanité n’estpas dissociable de l’expérience de l’agir de l’homme ecclésial. la justifi-cation de cette affirmation réside dans la confession de foi paulinienne àlaquelle balthasar accorde une place centrale comme preuve de la réalité del’incarnation en chacun de nous45 : « avec le Christ je suis un crucifié ; je vis,mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). En laissantle Christ disposer de lui, l’homme reçoit alors la capacité de transparence àl’agir même de Dieu. la condition du côté de l’homme est que, dans sacorporéité en acte, il s’abandonne comme pur réceptacle au don du Christen sa chair. Dans cet effacement du Je, l’homme révèle alors l’Esprit duChrist comme l’agent ultime de son agir. Cette habitation du Christ en soiconstitue pour balthasar l’accomplissement et la manifestation de « l’actionuniverselle de Dieu » en chacun. « le véritable mystère de la révélationchrétienne, c’est bien plutôt que la réalisation du règne de Dieu exprimé parles formules “Dieu tout en tous” ou “ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christqui vit en moi”, peut être poursuivie en tant qu’action universelle de Dieu

43. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, op. cit., I, p. 13.44. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit., p. 57.45. on retrouvera la référence à Ga 2,20 en particulier dans Hans urs Von balTHaSar,

La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 192, 215, 436 et Hans urs Von balTHaSar, La Gloire etla Croix, IV, 2, op. cit., p. 161.

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dans la coopération active de la créature, dans l’abandon, le don de soi, leservice. »46

l’agir de Dieu est donc essentiellement un agir qui, à travers le don duChrist, informe ou modèle notre intériorité, afin que l’agir de l’homme puissedevenir son instrument de réalisation dans le monde. Cependant le fait dene pouvoir parler de l’agir de Dieu dans le monde qu’à partir de sa manifes-tation, donc à partir des œuvres de salut produites par l’agir de l’homme quis’y conforme et s’en fait l’expression, ne relativise-t-il pas pour le moins lecaractère d’immédiateté de l’expérience de l’agir divin ?

En comprenant l’agir de Dieu dans son immanence à toute chair, commele don déjà là du Christ dans l’intériorité de chacun, pénétrant « jusque dansles replis de l’inconscient », il devient alors évident que cet agir ne peut fairel’objet d’une expérience totalement subjective, au sens où les conditions del’expérience sont imposées par le sujet. Son caractère inconditionné nepeut faire intervenir une instance médiatrice qui ne se ferait pas d’embléepure ouverture à ce qui se donne. C’est pourquoi, l’expérience de ce qui estontologiquement changé en l’homme, ne peut se déployer que comme purévénement, c’est-à-dire dans un milieu à la fois disponible et malléable à cequi advient. Cette expérience ne pouvant être pleinement assumée enpremière personne, elle requiert le renoncement à l’exercice souverain de laréflexivité, ou, en reprenant les termes balthasariens, le « renoncement àl’expérience immédiate […] Dieu a besoin de récipients qui renoncent à leur“moi” pour y verser ce renoncement à soi-même qui constitue sonessence »47. C’est pourquoi, seule l’attitude d’écoute contemplative de ce quiest déjà en son intériorité est adéquate pour balthasar, car les hommes« sont renvoyés à quelque chose que, considéré du point de vue du Christ,ils sont et possèdent déjà »48. l’immédiateté du don ne peut être perçue quedans cette attitude de foi qui témoigne, de la part de celui qui accepte de s’youvrir, d’un certain retard de la compréhension sur le sens en vue de l’appro-priation et l’advenue à soi49. ainsi, l’agir de Dieu, qui s’accomplit dans

46. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, IV, 2, op. cit., p. 161.47. Hans urs Von balTHaSar, Nouveaux points de repère, op. cit., p. 62. « Expérience

immédiate » doit être compris ici au sens d’immédiate à la conscience. or l’immédiateté del’événement concerne la chair et non d’abord la conscience.

48. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 502.49. les analyses de Claude romano, dans L’événement et le monde, Paris, Puf, 1998,

montrent ici leur pertinence ; en particulier, par rapport à l’advenant qui advient comme« réponse à un événement, c’est-à-dire à ce qui excède de part en part la subjectivité en

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l’immédiateté du don du Christ aux hommes, est l’objet d’une expériencecontemplative, interprétée comme participation à l’agir et au pâtir du Christsur la croix. la personne dans la foi « vit toute entière de la parole de larévélation et est, dans cette mesure, un co-accomplissement de la décisiondivine, une “répétition et une réitération, un reflet du oui que Dieu aprononcé dans la résurrection de Jésus-Christ”, une participation à cetteaction divine et à son mouvement et en cela une marche à la suite du Christ,non pas une simple attitude de spectateur à côté de l’agir de Dieu, mais uneimplication dans la dramatique de l’agir divin envers le monde. »50 l’agirde Dieu se donne et se transmet aux hommes par le fils, de sorte que leshommes s’approprient ce don, qui est le pouvoir de se désapproprier pourles autres, et deviennent ainsi capables d’un pouvoir analogue, celui de sedonner.

Le « champ d’action » : immédiateté et transparence de la chairainsi l’expérience de l’agir de Dieu en nous s’accomplit comme « partici-

pation à cette action divine », et prend la forme « [d’] une implication dansla dramatique de l’agir divin envers le monde ». montrons alors que cetteinclusion de l’homme dans la dramatique divine, qui permet au Christ de vivreen chacun et à l’agir de l’homme d’être un reflet fidèle de l’agir de Dieu,repose de manière cohérente sur notre affirmation de départ selon laquellel’agir de Dieu se réalise dans la chair que le Christ livre à tout homme dansson échange substitutif. Il n’y a en effet de réelle immédiateté au Christ quesur la base du renoncement au Je-sujet de toute expérience, et c’est précisé-ment par ce renoncement que la chair s’offre comme médiation. Dans cettedésappropriation, le Christ donne sa chair à laquelle il s’identifie absolumentet l’homme la reçoit comme sienne dans un renoncement analogue, confir-mant par là que seule la communication par la chair ne souffre pas d’inter-médiaire. Ce qui est déjà constaté sur un plan phénoménologique, car toutehétéro-affection est appelée à devenir auto-affection dans la chair, trouve icison accomplissement sur le plan théologique. la chair du Christ, partagée par

l’ouvrant à plus qu’elle-même » (p. 133) et par rapport à l’expérience qui, « loin d’être une“faculté” du sujet, une condition transcendantale d’accueil, [elle] est cette manière même dontl’advenant s’advient » (p. 218) au point qu’en tant qu’événement, c’est elle qui jouit « d’unstatut transcendantal ».

50. Hans urs Von balTHaSar, Karl Barth: présentation et interprétation de sa théologie,trad. par Eric Iborra, Paris, Cerf, 2008, p. 217.

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tous, est en parfaite communion avec toute chair jusqu’à ne faire plus qu’uneseule chair, de sorte que toute chair est alors en mesure de se faire transpa-rente à l’Esprit qui conduit le Christ et donc peut reproduire l’agir de Dieuselon la grâce donnée à chacun. la mise en évidence de la médiationcharnelle renforce alors cette intimité entre l’agir de Dieu et l’agir del’homme. Car, si l’immédiateté repose sur le don de la chair du Christ et sicelui-ci est le don fait à l’homme de participer à son agir et à son pâtir, alorsrecevoir sa chair signifie essentiellement conformer son existence à l’attitudemême du Christ livrant sa chair. Plus précisément, en nous donnant sa chair,le Christ nous donne la possibilité de communier à sa disposition existentielledans son pro nobis, c’est-à-dire à son ouverture absolue, dans le renoncementau Je, à tout ce que sa mission divine lui impose. le Christ donne en effet,selon balthasar, de «  communier à mes sentiments [Gesinnung], lessentiments de celui qui n’a pas retenu fébrilement sa forme de Dieu, mais s’estanéanti lui-même, et, dans un esprit de service et d’humilité, se mit à s’épan-cher tout entier, devenu obéissant jusqu’à la mort sur la croix  »51. Ditautrement, par sa chair livrée, il nous donne de communier à ce par quoi ilse rapporte corporellement au monde52 et aux hommes dans son obéissanceau Père. C’est donc en prenant en considération la médiation de la chair quele pécheur « ne se voit pas dépossédé par cette médiation de son rapportimmédiat à Dieu, mais rétabli dans la forme véritable de ce rapport : rapportfondé sur une authentique “humanité divine” ».53

l’unité au Christ par appropriation de sa chair livrée conduit doncchacun à la conformation de tout son être à l’agir du Christ dans sa missiondivine, de sorte que s’édifie un même corps d’action dont le cœur (ou la« tête ») est le Christ. l’expression « champ d’action [Handlungsbereich,Wirkbereich] »54, utilisée par balthasar, permet de rendre compte de cetteunité d’action centrée sur le Christ, elle désigne la sphère de rayonnement,tel un corps de présence rayonnante et agissante au monde. En affectant

51. Hans urs Von balTHaSar, Le cœur du monde, trad. robert Givord, Paris, Descléede brouwer, 1956, p. 82.

52. Il nous semble qu’ici « sentiment » désigne cette disposition existentielle d’ouvertureinconditionnée, ou « la manière dont l’advenant se sent lui-même face à ce qui lui arrive ».Cf. Claude romano, L’événement et le monde, op. cit., p. 138.

53. Hans urs Von balTHaSar, «  Crucifixus etiam pro nobis. le mystère de la“substitution” », in : Communio, n° V, 1, janvier/février 1980, p. 62 ou Hans urs VonbalTHaSar, Nouveaux points de repère, op. cit., p. 222.

54. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, III, op. cit., p. 378, La Dramatiquedivine, II, 2, op. cit., p. 197, voir également La Gloire et la Croix, III, 2, op. cit., p. 207.

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ontologiquement toute l’humanité dans sa chair, le champ d’action du Christs’étend ainsi à tous les hommes, ceux-ci deviennent alors une extension deson propre corps de parole et d’agir. Saisis dans ce rayonnement, ils sont àleur tour rendus capables d’agir, de parler et de percevoir au nom du Christlui-même, formant dès lors le véritable Corps du Christ, au sens de son agiret de sa présence dans le monde. « la foi consiste à laisser Dieu agir en nous,à accepter cette action qui nous rend capables, unis à Jésus en le suivant deprès, et fort de la mission qu’il nous a confiée, de poser les actes salutairesqui transforment le monde. […] En se laissant éclairer et guider par elle, l’agirhumain est modelé par l’agir divin qui le gouverne et l’accompagne. »55 ona là la condition pour que l’agir humain soit l’expression fidèle de l’agir deDieu dans sa mission rédemptrice, formant avec le Christ un champ « d’actionconjointe [Mit-Tun] » et de « passion conjointe [Mit-Leiden] »56.

Par cette conformation de toute chair dans la chair du Christ, le momentde l’agir responsif de l’homme peut être interprété comme faisant partie del’agir divin qui veut s’unir à l’humanité, pour autant que l’on saisisse l’agirde Dieu dans la différenciation du moment du don ontologique, originaireet inconditionné de la chair du Christ – et donc événement transformant lachair de l’homme –, avec le moment de l’agir existentiel de l’homme, qui,dans la grâce de l’Esprit, lui donne de s’accomplir en chacun et confère parlà même à l’agir de Dieu une effectivité et une visibilité mondaines. Dansces conditions, la réponse de l’homme devient elle-même la manifestationdirecte de l’agir premier de Dieu. Précisons, pour conclure provisoirement,la propriété de la chair de l’homme que le Christ assume et transfigure poury faire reposer l’unité de l’agir entre Dieu et l’homme.

L’immanence de l’agir divin en tout homme charnelÀ travers la chair du Christ, tout agir ou pâtir du Christ affecte et s’imprime

dans la chair de l’homme. « Ce n’est pas du dehors qu’il nous parle, c’est ennous; il nous atteint au plus intime de notre nature [eigensten Natur] ; et dansla mesure où le Christ est notre frère et a répondu à Dieu dans notre nature,nous-mêmes nous avons déjà répondu en lui. »57 autrement dit l’agir du Christ,

55. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, op. cit., II, 1, p. 56.56. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 2, op. cit., p. 193.57. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 404. Il nous paraît clair

qu’ici, il faut comprendre que c’est notre chair qui y a répondu plutôt que nous-mêmes enconscience.

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qui s’engage au plus intime de notre nature, inclut et entraîne avec lui cettenature de sorte que, déjà formée par l’agir et le pâtir du Christ, elle représentela réponse inchoative de l’homme, réponse que chacun aura à ratifier en sachair. C’est pourquoi, la réponse de l’homme ne peut se situer sur un autre planque là où se concentre tout le don du Christ et, à travers lui, l’agir de Dieu. Eneffet, la condition pour que la chair du Christ médiatise le don et l’agir de Dieuest qu’elle soit non seulement non extérieure à l’acte même du Christ maisqu’elle soit le Christ lui-même dans l’acte du don de soi absolu, ce qui n’estpossible que par l’identification du Christ à la chair verbum-Caro. Cetteidentification s’accomplit comme désappropriation et aboutit à ce que, pourbalthasar, ce n’est plus le Je qui parle mais la chair totalement déprivatisée duChrist elle-même. « la chair parle à la chair [Fleisch spricht zu Fleisch]. »58

Ici, les possessifs ont disparu, ce n’est plus « sa chair qui s’adresse à ma chair »,signifiant par là la déprivatisation absolue du Christ dans sa subjectivité. lacommunication du Christ aux hommes, le don de la Parole ou son agir pronobis, se réalisent sur le seul plan de la chair. Il ne s’agit pas ici d’une circula-rité, mais d’une immédiateté assurée par la chair du Christ qui s’offre dansl’intimité de tout homme. balthasar confirme lui-même cette immédiateté dela communication dont les agents sont les corps déprivatisés car abandonnésà l’Esprit du Christ : « Il existe une sphère dans laquelle nos corps [Leib] aussicommuniquent – bien au-delà de l’union sexuelle : non pas pour former uneunité biologique, mais dans un organisme pneumatique fondé sur la résurrec-tion du Seigneur et sa présence eucharistique. »59 Cet organisme décrit l’unitéde l’agir fondée par la seule chair du Christ, par laquelle l’Esprit se faitimmédiat à chaque homme.

or, cette immédiateté de la chair sur laquelle se fonde l’unité entre agirde l’homme et agir de Dieu n’est pas attestée seulement sur le plan de laparole, mais elle est exprimée de manière encore plus concrète par balthasarà travers le toucher: « Sa “chair” touche notre chair, en elle Dieu est devenu notreprochain. »60 on comprend alors que par ce toucher, il n’y a plus réellement de

58. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 344.59. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit., p. 358-359.60. Hans urs Von balTHaSar, La prière contemplative, trad. bernard Kapp, Paris,

fayard, 1972, p. 153. la prépondérance du voir chez balthasar ne doit pas occulterl’importance accordée au toucher. De manière non exhaustive, on se réfère ici à : La Gloireet la Croix I, p. 220, 265, 273, 279, La Gloire et la Croix II, 2, p. 361, La Dramatique divineII, 1, p. 59, 361, La Dramatique divine II, 2, p. 225, Épilogue, p. 46, 71, La prièrecontemplative, p. 153, 258.

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séparation entre sa chair et notre chair, plus encore, sa chair de mission n’estque par et pour ce contact avec notre chair, qui, de son côté, est elle-mêmedéterminée dans sa forme par ce toucher. C’est même le toucher qui,lorsqu’il procède de la substitution christologique des chairs, la constituecomme chair médiatrice du salut ; à travers lui le salut dans le Christ se faitimmédiat pour tous les hommes. la chair christologique dévoile alors etaccomplit radicalement et universellement sa propriété fondamentale, celle«  d’être essentiellement en relation à une autre chair »61, c’est-à-dired’instaurer une immédiateté avec les autres. Dans le Christ elle devient alorsmédiation immédiatisant le don de Dieu à tous les hommes, il n’y a plus deséparation entre les membres du corps et le Christ comme tête du corps.ainsi, la condition matérielle par laquelle l’Esprit se fait immédiat à touthomme et qui, par là même, permet la conformité de l’agir de l’homme parrapport à l’agir premier de Dieu, repose sur cette propriété de con-tingencede la chair62, en tant que cette propriété est assumée dans l’échange substi-tutif que le Christ opère pour les hommes. Cette con-tingence désigne alorsle principe fonctionnel et matériel par lequel l’Esprit agit dans l’humanitéà travers la chair du Christ. C’est aussi le principe par lequel l’agir de Dieuet en particulier « la rédemption atteint tous les hommes car le genre humainforme une unité »63, le « genre » étant précisément défini par balthasar « parleur enracinement commun dans la chair et leur engendrement par unioncharnelle [fleischliches] »64. ainsi, par ce « contact [Kontakt] »65 de toutechair avec la chair du Christ, l’homme peut entrer et participer aux disposi-tions mêmes du Christ dans son pro nobis substitutif, il prend ainsi part à soncorps d’action et de passion et se constitue alors comme personne corporelle,agissante dans le Christ, car « avoir un corps, c’est déjà toucher le corps duChrist »66. le champ de l’œuvre substitutive du Christ s’étend ainsi à traversl’espace et le temps. l’agir de Dieu non seulement s’accomplit parfaitementdans l’agir du Christ, mais par ce toucher immédiat des chairs, l’agir du

61. Didier franCK, Chair et corps, op. cit., p. 153.62. la phénoménologie a déjà mis en évidence pour sa part cette propriété de

contingence de la chair : « Toute chair se constitue d’un contact à l’autre, autrement dit, lachair est essentiellement con-tingente  » (Didier. franCK, dans Chair et corps. Sur laphénoménologie de Husserl, Paris, Éditions de minuit, 1981, p. 168.

63. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, II, 1, op. cit., p. 121.64. Hans urs Von balTHaSar, Épilogue, op. cit., p. 72, « et ceci, poursuit balthasar, est

le présupposé pour que quelqu’un ait pu souffrir en se substituant à l’humanité ».65. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, I, op. cit., p. 206.66. Hans urs Von balTHaSar, La Gloire et la Croix, II, 2, op. cit., p. 361.

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Christ se multiplie dans l’agir des hommes de la même manière que soncorps dans le corps des hommes. « Par la passion que le Christ a enduréecorporellement, par l’eucharistie qui multiplie son corps, l’étranger estdevenu un “parent selon la chair”, et bien plus un membre de son Corps. »67

on voit alors que pour balthasar, si l’agir de Dieu est une réalité unilaté-rale de Dieu, son actualisation pour aujourd’hui passe par la réponse del’homme qui se l’approprie dans la désappropriation de sa chair et le fait alorsparvenir à sa visibilité pour tous. la médiation charnelle est essentielle pourmettre en évidence non seulement la réalité objective de cet agir, maisaussi son immédiateté comme don déjà là dans l’intériorité de tout hommeet son universalité dans le respect des libertés du donateur divin et deshommes qui en bénéficient. l’agir de Dieu ouvre ainsi à tout homme unespace de liberté qui le place devant sa responsabilité aujourd’hui, cardevant répondre de ce don qui lui est fait directement.

Jean-Christophe PEyrarD

67. Hans urs Von balTHaSar, La Dramatique divine, IV, op. cit., p. 254.

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