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L’appui des outils informatiques à la concertation : deux illustrations Séance n o 6, jeudi 29 novembre 2001 Concertation, décision et environnement 73

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L’appui des outilsinformatiques

à la concertation :deux illustrations

Séance no 6, jeudi 29 novembre 2001

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Introduction de la séance

Laurent Mermet

Je vous souhaite la bienvenue dans les locaux de l’ENGREF, où j’ai le plaisir devous accueillir dans le cadre du programme « Concertation, décision et environ-nement » (CDE) du ministère chargé de l’Environnement 1. La séance de sémi-naire d’aujourd’hui est consacrée aux outils informatiques et à leurs apports dansle domaine qui est le nôtre. Il ne s’agit pas, bien sûr, de traiter systématiquementun sujet aussi vaste, mais de l’introduire par deux illustrations. La première estl’utilisation d’un jeu de simulation multimédia pour la formation à la concerta-tion : un cas qui sera présenté par Laurence de Carlo et Jean-Pierre Choulet. Laseconde concerne la réalisation de modèles informatiques dits « multi-agents »pour analyser des situations de gestion des ressources naturelles, et leur utilisa-tion comme support de discussion entre les acteurs de cette gestion : un cas pré-senté par Olivier Barreteau.

Outre leur intérêt propre, ces deux cas introduisent des questions scientifiques –ou des enjeux d’action – d’ordres très différents. La première question soulevéeest l’utilisation de la modélisation informatique comme outil pour analyser lesprocessus de décision, les jeux d’acteurs et les négociations auxquels ils donnentlieu. Comment appréhender l’utilisation pour cela de modèles profondément dif-férents les uns des autres ? Quels sont les passages entre différents modèlesconceptuels, ou théoriques, de la concertation ou de la décision, et les simulationsinformatiques qui peuvent d’une certaine façon les matérialiser ? Comment cer-ner la valeur ajoutée de la mise en simulation informatique, par rapport à l’inter-prétation initiale de la situation, qui lui sert de base ? Quelles sont les relationsentre les simulations informatiques d’une part, et les sources où elles s’alimen-tent (données, représentations des systèmes et des processus) ?

Une seconde question est celle des outils informatiques non plus pour l’analysede la concertation, mais comme aide à la concertation. Ce thème avait déjà étéabordé dans la quatrième séance 2, surtout au sujet des technologies de communi-cation comme l’internet. Ici, nous voudrions élargir la base de réflexion enincluant ces autres apports des technologies informatiques que sont les possibili-tés de simulation.

Une troisième question concerne les relations entre modèle (ou support) informa-tique et simulations à participants humains. Ces jeux de simulation sont relative-ment peu développés dans notre domaine en France. Pourtant ils font l’objetd’une activité de recherche très intéressante au plan international, qui possède sarevue (Simulation and gaming) et sa société savante (l’International Simulation

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1. Voir la présentation du programme p. 7.2. Billé (R.), Mermet (L.) (dirs.), 2003, Concertation, décision et environnement. Regards croisés,Volume I, la Documentation française, Paris.

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and Gaming Association, ISAGA). Comme on le verra dans les deux cas présen-tés aujourd’hui, l’articulation entre la partie informatique et la partie jeu de rôlesest au centre du travail et des discussions.

Enfin, sur un autre plan, la séance devrait nous permettre d’aborder les enjeux dela formation. Il existe de nombreux programmes de formation à la concertation, àla négociation, par exemple dans les grandes écoles de commerce, d’ingénieurs,d’administration, alors même que la culture administrative dominante veut quel’on soit a priori doué ou pas pour la négociation – et donc que l’on ne s’y formequ’en cachette. Quels sont les liens de ces formations avec la recherche ? Quelssont les enjeux de formation correspondant au travail d’un programme derecherche comme « Concertation, décision et environnement » ? La question dela formation est aussi un des enjeux majeurs pour les chercheurs qui étudient lessimulations à participants humains. En effet, la conviction selon laquelle il estutile de mettre les acteurs en situation (simulée) pour les faire réfléchir et/ou leurfaire acquérir des savoir-faire est largement partagée. Mais les apports de ce typede méthodes sont pourtant difficiles à évaluer de façon précise, pour guider leuramélioration.

Bien sûr, nous n’espérons pas traiter toutes ces questions en une seule séance. Ils’agit plutôt ici de lancer une réflexion très large sur ces différentes dimensionsde l’usage des outils informatiques et des simulations. Nous souhaitons ainsi con-tribuer à lancer le volet du programme CDE sur les nouvelles technologies del’information et de la communication 1, dans la lignée de la quatrième séanceorganisée en juin 2001.

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1. « Concertation, décision et environnement – Quelles places et quels impacts pour les NTIC ? ». Pourtoute information sur cet appel à propositions de recherche, consulter le site web du ministère chargé del’Environnement :http://www.environnement.gouv.fr/actua/proposit/2001/concertation-decision-envir-ntic.htm.

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Quelle place pour le multimediadans la formationà la concertation ?L’exemple du CD Rom« La Francilienne »

Laurence De Carlo*

et Jean-Pierre Choulet**

Résumé

La formation à la concertation dans le domaine de l’environne-

ment et de l’aménagement comporte des enjeux pédagogiques

spécifiques. Il s’agit que les apprenants puissent proposer

ensemble des solutions dans le cadre de processus incertains,

complexes, en présence de légitimités multiples, sur des projets

ancrés dans des terrains concrets, physiques et humains. Un outil

multimédia peut, à certaines conditions, favoriser un tel appren-

tissage. Il s’agit moins d’exploiter au maximum les potentialités de

l’outil que de découvrir celles qui peuvent être mises au service des

objectifs pédagogiques. Cette présentation en proposera une

illustration à travers le travail d’une équipe de professeurs et spé-

cialistes du multimédia de l’ESSEC, qui a conduit à la conception

du CD Rom « La Francilienne ».

Introduction

Cette présentation a pour objet de vous présenter le CD Rom « La Francilienne »que nous avons conçu, en nous inspirant des écoles américaines de la négociationet de la médiation, dans une optique de formation. Nous expliciterons d’abord leprocessus de conception du CD Rom. Nous effectuerons ensuite une petitedémonstration pratique pour que chacun puisse se faire une première idée du pro-duit, avant de décrire succinctement le déroulement de la formation, étape parétape. Enfin, nous mettrons en évidence les principes pédagogiques qui nous ontguidés dans la conception du produit.

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* Professeur associé, département Environnement, ESSEC.

** Directeur de l’information pédagogique, ESSEC.

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Pour resituer le contexte dans lequel nous avons travaillé, précisons que la simu-lation concerne un processus de concertation réel qui s’est déroulé entre 1990 et1995, autour de l’implantation d’une dernière partie de la Francilienne 1, quidevrait rejoindre un jour Cergy et Orgeval, partie qui n’est toujours pas réaliséeaujourd’hui. Précisons aussi, en ce qui concerne notre travail, que la direction del’Information Pédagogique du groupe ESSEC (Ecole Supérieure des SciencesÉconomiques et Commerciales) regroupe la totalité des systèmes d’informationau service des processus pédagogiques, c’est-à-dire notamment la bibliothèqueacadémique, les systèmes d’information et le Médialab 2.

1. Présentation du CD Rom

Genèse du produit

Ce CD Rom a été initié par deux professeurs de l’ESSEC : Alain Lempereur, dudépartement Droit, et Laurence De Carlo, du département Environnement. Nousvoulions concevoir une formation à la concertation qui soit plus proche des pro-cessus de décision complexes que l’on rencontre dans l’action publique que lesformations que nous connaissions déjà et que nous avions à notre disposition. Ils’agissait surtout d’outils provenant d’Amérique du Nord, ayant la forme de jeuxde rôles très courts, dans lesquels les participants endossaient des rôles et appre-naient à décider ensemble. Ces outils nous paraissaient un peu simplistes si bienque nous avons souhaité aller un peu plus loin pour rendre compte du caractèrecomplexe (multi-acteurs, multi-rationalités) des processus à l’œuvre dans ladécision publique.

Nous avons donc commencé à rédiger un cas papier en 1996 : il s’agissait d’unjeu de rôles destiné à nos étudiants, dans lequel nous avons traduit les donnéesissues de nos recherches de terrain concernant la Francilienne. C’est alors que leMédialab de l’ESSEC s’est constitué, autour d’une équipe pilotée par Jean-PierreChoulet et que s’est mis en place un dialogue entre la technique et la pédagogie.Les deux professeurs ont ainsi découvert les potentialités des outils multimédias,leurs possibilités de mise en scène, et ont finalement trouvé cela suffisammentprometteur pour s’engager dans la réalisation du CD Rom. Une de nos grandeschances a été de travailler avec une équipe d’informaticiens qui n’a jamais cher-ché à optimiser l’utilisation de la technique informatique, mais au contraire àcomprendre au mieux les objectifs pédagogiques de l’outil afin de tenter de lesatteindre grâce à des techniques inconnues des initiateurs du projet. Nous avonsdonc procédé par itération permanente dans la réécriture rendue nécessaire par lechangement de média, réécriture qui a exigé la mise en commun de nos modes depensée pour aboutir à un produit original et innovant.

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1. Grand contournement autoroutier de l’agglomération de Paris.2. Laboratoire de recherche et développement, de production de simulations et de nouvelles pédagogiesutilisant les NTIC.

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Au total, nous avons travaillé sur ce projet pendant quatre ans avec une petiteéquipe constituée des deux professeurs à l’origine de l’initiative, de Jean-PierreChoulet ainsi que de deux autres personnes du Médialab (Franck Polycarpe, res-ponsable du projet, et Eric Choley, concepteur multimédia), et d’au minimumdeux étudiants en permanence pour nous assister.

Démonstration live

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L’interface générale

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La richesse des médias

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Une mise en situation réaliste, avec les vrais acteurs du débat

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Le passé toujours accessible, pour une mise en perspectiveà tout moment

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Commentaires

Comme vous le voyez, il s’agit d’une formation basée sur les médias, en l’occur-rence sur la totalité des médias qui ont servi aux acteurs sur le terrain : reportagesvidéo, interviews des véritables acteurs (préfet, Premier ministre, etc.). L’outilpermet aux étudiants de manipuler et de découvrir l’ensemble de ces médias qui« définissent » le dossier de la Francilienne. Ils peuvent le faire par équipes ouseuls, l’interface étant adaptée à différents modes d’exploitation. Cette interfaceest composée de la présentation du rôle de chaque individu puisqu’il s’agit d’unjeu de rôles, de diverses informations et notes d’instruction confidentielles duministère. Vous voyez également la présentation des différentes options du bou-clage de La Francilienne, en même temps que le directeur régional de l’Équipe-ment apparaît avec l’ensemble du dossier technique. Il y a donc tout uneanimation, mais en réalité c’est l’étudiant ou le participant qui manipule son dos-sier support média, aidé d’instructions techniques. On a aussi recréé un journaltélévisé afin de mettre en place et de synthétiser un certain nombre d’informa-tions d’actualité, une revue de presse basée sur des journaux particuliers pour

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Des outils personnels pour capitaliser

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remettre en subjectivité certaines informations. Ces revues de presse peuvent êtremanipulées, copiées/collées par les étudiants qui, de cette façon, capitalisentl’information qu’ils utilisent selon leur propre vécu. Notons que tous les vérita-bles acteurs sont présents, le plus fidèlement possible à la réalité, avec des témoi-gnages de riverains qui sont de vrais riverains, celui de l’ancien Premier ministreMichel Rocard, d’Alain Sallez, membre de la commission de suivi, d’un repré-sentant du COPRA, du préfet Sellier, etc. D’un certain point de vue, il n’y a doncpas simulation, au sens où l’on part des véritables médias. L’interface permet auparticipant à la fois de découvrir son propre rôle et celui des autres participants –dans le passé seulement pour ces derniers, nous y reviendrons – et d’avoir accès àun certain nombre de soutiens méthodologiques que nous mettrons en perspec-tive ultérieurement.

2. Déroulement de la formation

Notre CD Rom est conçu pour servir à des formations en modules allant de 15 à30 heures. On peut aussi l’utiliser par parties, pour des séances de trois heures parexemple, mais pour nous l’intérêt est vraiment de l’utiliser au maximum et danstoutes ses phases afin que les participants puissent développer un processusd’apprentissage significatif et individuel.

Première phase

Les participants qui arrivent en début de formation sont d’emblée mis devant lesécrans d’ordinateur. Ils ont, grâce à un code secret qu’on leur donne, accès à leurrôle. On débute en 1990, lors de la première phase de concertation sur le projet laFrancilienne. L’entreprise qui a été présélectionnée pour réaliser les travaux a étéchargée d’animer une concertation avec la population locale. Les participantsprennent connaissance à la fois des informations générales sur le contexte de laconcertation, et de ce qui concerne plus particulièrement leur propre rôle, grâce àune interface de différentes icônes. Cette première partie de la formation est assezlongue puisque les informations sont très nombreuses, notre souhait ayant étéd’être le plus près possible de la situation réelle.

Vient alors la première réunion de concertation, pour laquelle les participantschangent de salle, afin qu’ils se rencontrent directement plutôt que de se concer-ter et de négocier par l’intermédiaire de l’ordinateur. Il était en effet très impor-tant, pour nous professeurs, que la concertation, même aidée d’un outilmultimédia, se fasse entre êtres humains pour tenir compte de ses dimensionsinteractionnelles et émotionnelles qui ne sauraient être rendues par l’utilisationd’un outil informatique. La tentation est certes toujours présente lorsque l’on tra-vaille avec une équipe de modélisateurs, de numériseurs de contenu, de s’effor-cer d’aller jusqu’au bout, en prenant la totalité du domaine d’applicationpédagogique d’un outil et en développant un cas multimédia qui couvre toutes lesétapes d’une formation. C’est en cela que le dialogue est extrêmement important

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entre l’équipe pédagogique et l’équipe technologique, pour savoir délimiter leterritoire de chaque média et en respecter les tenants et les aboutissants. Celaexclut sans doute, même si ce serait techniquement facile aujourd’hui, que desprofesseurs engagent le développement d’un tel produit en faisant des spécifica-tions qu’ils envoient à un sous-traitant dans l’espoir d’obtenir en retour un outilpédagogique satisfaisant. L’échange itératif entre partenaires du projet est indis-pensable pour que surgisse la bonne utilisation de chaque média, au service durythme et des objectifs pédagogiques.

Cette première concertation est particulièrement houleuse parce que les rôles,tels qu’ils sont définis, font que le conflit qui émerge entre les différents acteursest très fort. Pour fixer les idées, ces acteurs sont le comité pour la défense desriverains, la Chambre de Commerce et d’Industrie, le préfet coordonnateur, lesélus locaux, une association de défense de l’environnement et le consortiumchargé des réunions de concertation avant de passer à la réalisation des travaux.

À l’issue de cette situation conflictuelle, les participants reviennent dans lasalle informatique et discutent avec le professeur de leur expérience de concer-tation. Ils communiquent entre eux et expriment ce qu’ils ont vécu tant en ter-mes de résultats que de processus. On insiste beaucoup à ce stade, qu’on appelledebriefing, sur le conflit, autour duquel le professeur fait émerger des conceptsà partir de la discussion. C’est une manière assez commune, « à l’américaine »,de fonctionner dans les jeux de rôles. Le professeur s’appuie pour cela sur deséléments méthodologiques et conceptuels fournis par les fiches inscrites dans leCD Rom.

La journée est alors finie pour le professeur, mais elle continue pour les partici-pants qui vont commencer à rédiger le soir chez eux leur journal de bord,c’est-à-dire une réflexion sur leur propre expérience. Ils le font avec l’aide d’unoutil fourni par le CD Rom, appelé bloc-notes et que nous vous présenterons plustard.

Deuxième phase

La phase suivante du processus de concertation réelle intervient après que leministère a suspendu le projet, avant de le remettre sur la table en 1993 dans lecadre de la circulaire Bianco de fin 1992. Les participants, de retour devant lesordinateurs, découvrent cette nouvelle situation, le cadre institué par la circulaireBianco et la nouvelle concertation dans laquelle ils vont s’inscrire. La circulaireexige qu’ils préparent une concertation portant sur les fuseaux de l’autoroute.Dans notre CD Rom, nous avons scindé cette période en deux séquences.

La première recouvre deux médiations préalables à la concertation sur lesfuseaux, qui interviendra ensuite. Pour cette étape, tous les participants changentde rôle. Ils se réunissent non plus à six mais à trois : d’un côté les riverains, laSNCF et les élus locaux, ces derniers servant de médiateurs dans la discussionentre les riverains et la SNCF portant sur l’option ferroviaire ; de l’autre le préfetqui lui joue le rôle de médiateur entre la Chambre de Commerce et d’Industrie etla direction régionale de l’Équipement pour discuter de l’option autoroutière. Le

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retour théorique concerne ici la question du tiers médiateur qui peut aider àl’avancement d’une négociation. Est traitée en particulier la tension entre coopé-ration et compétition, chaque participant disposant d’informations qu’il peut ounon dévoiler à l’autre en fonction de sa stratégie. Le professeur introduit de nou-veaux concepts et méthodes, toujours grâce au CD Rom, puis les participants tra-vaillent de nouveau individuellement sur leur journal de bord.

On passe alors à la deuxième séquence, qui constitue un moment important duCD Rom puisque les participants abordent la concertation sur les fuseaux tandisqu’apparaît la commission de suivi. En fin de séance, les participants se retrou-vent nombreux à la table, et constatent qu’ils peuvent apporter une valeur ajoutéeimportante au processus de concertation. Puis un debriefing intervient, amenantde nouveaux apports conceptuels et méthodologiques, suivi par un travail de cha-cun sur son journal de bord.

Troisième phase

Le CD Rom ne va pas jusqu’à la dernière phase de la circulaire Bianco, à savoir laconcertation sur les tracés, mais se termine par l’organisation d’une conférencede presse sur les fuseaux. Les participants changent encore une fois de rôle, et seréunissent entre eux pour préparer cet événement. La conférence est animée parla direction régionale de l’Équipement, les préfets, les élus locaux, les riverains,la commission de suivi et la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), avecpour but de présenter au public et à la presse leurs positions sur la suite du proces-sus de concertation, et éventuellement sur le choix des tracés qui doit avoir lieupar la suite. Lors de cette phase l’accent est mis sur la communication avec despersonnes qui ont été jusqu’alors plutôt extérieures au processus de concertation.On n’est donc plus dans le cadre d’une réunion mais de la présentation par cer-tains participants de leur discours devant d’autres jouant le rôle de la presse. Celacrée un effet quelque peu théâtral et souvent amusant. L’un des apports du multi-média lors de cette phase est de rendre le processus plus vivant, avec par exempledes participants qui viennent avec des banderoles et manifestent dans la sallepour défendre leurs positions. Enfin se tient un dernier debriefing concernantcette partie de l’exercice, au cours duquel on insiste donc sur les aspects de com-munication.

Séance de clôture

L’exercice se termine par un debriefing général au cours duquel l’accent est missur le lien entre simulation et réalité, à travers leurs points communs mais aussileurs différences, souvent introduites pour des raisons pédagogiques. En effet,toute simulation est en soi une manipulation que l’on a souhaité faire apparaîtreclairement aux participants, afin qu’ils soient plus à même d’être conscients ducadre de formation qui leur est offert, donc qu’ils soient moins objets de manipu-lation que sujets de formation.

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3. Principes et choix pédagogiquesayant guidé la conception du CD Rom

Tenir pleinement compte de la complexitédes processus de décision publique

Nous avons voulu former à la concertation dans le cadre de processus de décisioncomplexes, c’est-à-dire multi-acteurs et multi-rationalités. Les formations quiexistaient sous forme de jeux de rôles avançaient très progressivement, les jeuxcommençant généralement avec peu d’acteurs, puis les jeux suivants en introdui-sant de nouveaux. Mais ces jeux étaient toujours très simplifiés et indépendantsles uns des autres. Nous avons constaté qu’il s’avérait difficile dans ce cadre detransposer ce qu’on pouvait apprendre en cours dans la réalité d’une situationbeaucoup plus incertaine, dans le cadre d’un processus de décision long. Notrechoix, au contraire, a donc été d’être le plus proche possible de cette réalité.

Favoriser la créativité des participantspar l’absence de one best way

Nous avons conçu le CD Rom pour qu’il n’y ait pas de solution toute faite prévuepar le professeur et inscrite dans l’ordinateur : aucun tracé de l’autoroute ne peuts’avérer être le tracé miracle à atteindre. Il se trouve que la réalité facilite ce partipris (le projet n’ayant pas abouti à ce jour), mais c’est un choix que nous aurionsfait de toutes façons à des fins pédagogiques. Pour nous, il est en effet primordialde privilégier la créativité des participants. Former à la concertation, c’estd’abord permettre aux apprenants de dépasser des contraintes pour inventer denouvelles solutions sur lesquelles les différents acteurs pourraient se mettred’accord. Or, comment privilégier la créativité si le professeur détient déjà audébut du cours la solution qu’il faut atteindre ? En outre, cela poserait d’autresproblèmes en termes de pédagogie, les participants – en particulier sans doutelorsqu’ils sont étudiants en formation initiale – risquant de vouloir surtout plaireau professeur, être « performants » dans le cadre du cours en parvenant à LAmeilleure solution, plutôt que d’acquérir véritablement des compétences enconcertation.

Rendre compte des représentationsdes acteurs

Nous avons absolument tenu à rendre compte non seulement des multiples ratio-nalités en présence, mais aussi des affectivités, le processus de concertation fai-sant apparaître des émotions fortes. Cette exigence nous a conduits à privilégierdans le CD Rom une présentation subjective des informations.

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Présenter les informations de manièresubjective

La formation propre à chaque rôle, qui s’appuie sur une bande son, a pour but defaire adhérer le participant au rôle qu’il est censé endosser, de le « mettre encondition ». Ses caractéristiques sont donc présentées de manière très subjective :par exemple, pour le rôle de l’association de défense des riverains est dénoncée lasupercherie que constitue, pour eux, la présentation officielle des informations,l’accent étant mis sur la manipulation dont ils se sentent victimes par le truche-ment de dossiers techniques présentés comme objectifs et exhaustifs quoiqueplutôt subjectifs et incomplets. Ces documents, mis à disposition des acteurs,sont présentés notamment comme richement illustrés mais ponctués de tableauxtechniques aussi rassurants que peu lisibles.

Le CD Rom fournit un accès beaucoup plus vivant et documenté à l’informationque dans le cas de jeux de rôles sur papier qui existent couramment. Cela permetde mettre en scène la réalité, c’est-à-dire de présenter des événements et des phé-nomènes réels, d’accéder à la subjectivité des acteurs, de faire passer des émo-tions. Quand nous avons interviewé les acteurs réels, ils nous ont présenté leurpropre manière de voir les données, de les lire, et par exemple quand certains rap-ports étaient considérés comme illisibles par les riverains, nous avons repris cecaractère illisible en donnant un aspect un peu chiffonné au document. En outre,pour affiner le rendu des émotions des acteurs pendant la concertation, nousavons placé dans le CD Rom des vidéos de manifestations, diverses coupures depresse, etc. Ainsi la simulation devient plus crédible, plus proche de ce que lesacteurs vivent sur le terrain que ne le serait un jeu désincarné.

Au départ, nous disposions d’une grande quantité de documents (cartes, dossierstechniques, etc.), si bien que nous avons d’abord été tentés de permettre à chaqueparticipant de se forger un point de vue grâce à une présentation des informationssobre et identique pour chacun. Pourtant, nous nous sommes rendu compte que ladistance entre la réalité de ce qu’avaient été les analyses, mais aussi les étatsd’âme, des acteurs, et la situation vécue par les participants, était trop grande.C’est pour réduire cet écart qu’est apparue l’idée, au contraire, de mettre en scèneune partie des médias qui étaient à notre disposition, certains restant toutefoisprésentés de manière assez factuelle et identique aux différents rôles à une étapedonnée. Ce travail de mise en subjectivité nous a demandé une grande vigilance,mais nous avons réussi à ce que chaque rôle dispose d’une scénarisation qui luiest propre.

Finalement, nous nous sommes aperçus que cet effort pour diminuer un écartavait aussi réduit une distance temporelle : en créant une passerelle entre cequ’avait ressenti l’acteur et ce qu’était en train de ressentir l’étudiant, on a rendupossible une contraction du temps qui permet d’accompagner un étudiant dansune accélération de l’émotion, autrement dit dans son engagement dans le pro-cessus de concertation simulé. Ainsi, on peut aujourd’hui, avec l’expérience, ani-mer ce cours selon des configurations totalement différentes, en quelques joursou en une semaine. Ces deux effets de contraction sont un des apports majeurs dela multimédiatisation.

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Fournir des informations non hiérarchisées

Les différentes icônes qui permettent aux participants d’accéder à l’information(concernant le contexte de la phase dans laquelle ils se trouvent, leur propre rôle,le dossier technique, les articles sur les phases précédentes, les supports desdébats, les revues de presse, etc.) font apparaître les informations sans ordre préé-tabli, à la différence de jeux de rôles classiques. Les participants ont la responsa-bilité de hiérarchiser cette information qui est en quantité très importante. C’est ànouveau un choix qui permet de privilégier l’initiative et la liberté des partici-pants à un degré supérieur à ce qu’autorisent d’autres outils.

Faire changer les participants de rôle au coursdu jeu

Nous avons déjà signalé qu’à chaque séquence, donc à chaque phase de laconcertation réelle, les participants changeaient de rôle. Ajoutons qu’à chaquenouvelle séquence ils peuvent consulter l’ensemble des informations concernanttous les rôles de la séquence précédente. Cela leur permet de mieux relativiserleur propre rationalité pour entrer dans la peau des autres acteurs présents et lescomprendre.

Concrètement, chaque participant entre un mot de passe qui lui est propre et quile place dans une certaine configuration, avec un certain rôle. En sélectionnant labonne option, il se retrouve dans le « livre du temps », qui, pour respecter lasimulation du processus réel, ne permet pas d’accéder aux informations desautres rôles pour le temps actuel, mais autorise à remonter dans le temps et àaccéder aux informations de tout autre rôle à une étape antérieure. C’est un élé-ment d’analyse transversale très intéressant.

Laisser de nombreux degrés de libertéaux professeurs comme aux étudiants

L’outil CD Rom se présente au professeur comme un espace vectoriel à plusieursdimensions, dans lequel il décide du scénario de navigation pour les étudiants.Leurs changements de rôles dans les différentes étapes sont à son entière discré-tion, lui permettant d’affecter un chemin pédagogique à chacun avec le mot depasse correspondant. Il a aussi une grande liberté pour ce qui concerne l’utilisa-tion des fiches méthodologiques, qui constituent un support lui permettantd’apprendre des notions importantes aux participants. Il y a plusieurs manières deles utiliser, et de toute façon l’information contenue y est beaucoup trop impor-tante pour un seul cours, si bien qu’il y a des choix à faire. Ces choix peuvent êtreinduits par les concepts qui émergent de l’expérience vécue par les participants,mais aussi guidés par la volonté du professeur de faire passer tel ou tel concept demanière prioritaire.

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De son côté, l’étudiant lui-même se trouve dans une grande liberté de navigationdans l’information concernant son propre rôle : par exemple, il peut passer toutson temps à analyser les différents rôles dans le passé, ou au contraire se concen-trer exclusivement sur l’analyse des données de son propre rôle dans le présent ;il peut s’efforcer de scanner toute l’information et d’en faire une synthèse, ou aucontraire se focaliser sur la recherche de LA bonne information. Il y a donc undouble niveau de liberté pour l’étudiant et pour l’enseignant qui est à notre avisd’une certaine richesse.

Introduire les outils conceptuelset méthodologiques au fur et à mesurede l’exercice (learning by doing)

Les outils conceptuels et méthodologiques sont fournis aux participants au fur età mesure de la simulation, dans une pédagogie du learning by doing (apprendreen faisant). Ils entrent dans la simulation d’un processus de concertation etensuite seulement, ils ont accès à des concepts et des méthodes qui vont les aiderà analyser l’expérience qu’ils ont vécue pour progresser dans leur pratique.

Personnaliser l’apprentissagegrâce au « journal de bord »

Nous avons vu dans le déroulement de l’exercice que les participants, à la fin dechaque journée, notent l’analyse qu’ils font de leur expérience des réunions deconcertation. Ils le font par écrit en utilisant le bloc-notes qui apparaît dansl’interface proposée. Il permet de copier-coller des éléments d’information duCD Rom et met à disposition des outils classiques de traitement de texte. Chaqueparticipant complète ces éléments recopiés par l’analyse de son expérience per-sonnelle, en s’appuyant évidemment sur les concepts et méthodes discutés encours mais aussi éventuellement sur ceux qu’il aura découverts de sa propre ini-tiative sur le CD Rom et qui lui semblent intéressants. Le bloc-notes est donc unélément clé de la dynamique pédagogique de ce produit, puisqu’il contribue lar-gement à offrir un apprentissage véritablement individualisé.

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Table ronde

Catherine AtgerCentre d’études sur les réseaux, les transports,l’urbanisme et les constructions publiques(CERTU)

Je voudrais tout d’abord soulever la question del’adaptation de l’outil qui nous a été présenté à laculture de son public cible. Pour être efficace, jecrois qu’une formation doit partir de la culturedes personnes que l’on souhaite former. Or, ladémonstration qui nous a été faite ne nous a paspermis de nous faire une idée des possibilitésd’adaptation du CD Rom à des publics aussi va-riés que les agents des collectivités locales, del’administration, ou des entreprises privées. Jeme demande au fond quelle est la différence debesoin de formation entre un cadre d’un groupeagroalimentaire qui doit implanter une usinepolluante ou en tout cas posant un certainnombre de problèmes de relations avec les rive-rains, et un directeur départemental de l’Équipe-ment qui doit trouver un tracé pour une rocadeou une autoroute. Comment tenez-vous comptede ces différences ?

Ensuite, je voudrais renchérir sur ce que disaitLaurent Mermet en introduction quant à l’atti-tude des agents de l’administration vis-à-vis dela formation à la négociation. Il est tout à faitexact que pour eux généralement, soit on estdoué pour négocier, soit on ne l’est pas. Cen’est en tout cas pas une dimension assumée dumétier. Ils se voient garants de l’intérêt généralqui, leur a-t-on appris, n’est pas l’addition desintérêts privés mais une valeur qui transcendela société.

Enfin, votre formation est vraiment intéres-sante et elle serait utilement complétée par uneformation de type sciences politiques ; j’en-tends par là une formation qui aiderait à mieuxappréhender les systèmes d’acteurs et à mieuxcomprendre les rapports de force locaux. Eneffet, toutes les décisions prises en matièred’aménagement reflètent des choix de sociétéet des arbitrages de type politique et la difficul-té que nous avons actuellement est d’inventerdes méthodes qui permettent aux différents in-

térêts en jeux de s’exprimer. Je crains qu’onn’arrive à avoir des techniciens qui après avoirlongtemps raisonné sur le seul plan technique,y associent maintenant celui de la résolutiondes conflits, mais n’ont pas les outils leur per-mettant de comprendre la société dans laquelles’insère le projet.

Bernard ReberCentre de recherche Sens, éthique et société,CNRS-IRESCO

Je voudrais tout d’abord saluer le travail réalisé,car associer une pédagogie de sciences humai-nes à un savoir technique est très exigeant et de-mande énormément de temps. On peut citerpour mémoire un « couple » qui a développé unlogiciel qui s’appelle PROSPERO 1 améliorédepuis plus de quinze ans, Francis Chateauray-naud et Jean-Pierre Charriau, pour travailler surdes questions de controverses scientifiques.

J’en viens à mes questions. Je dois dire que j’aiété un peu étonné lorsque j’ai vu que ce produitétait un CD Rom, qui est un support assez à« interaction très limitée ». En même temps,j’ai compris que le jeu était plus « hybride »que cela dans la mesure où aux moments pas-sés devant l’écran succèdent des séquenceslive dans des conditions naturelles. J’ai mêmel’impression en fait que l’essentiel de laconcertation se fait dans ce deuxième type deconditions. Or, l’internet offre aujourd’hui detelles possibilités de travailler en réseau, no-tamment avec les jeux de rôles, que je suis restésur ma faim en me demandant pourquoi avoirchoisi de s’en priver.

Par ailleurs, j’aimerais vous faire préciser quel-ques concepts. Vous avez parlé de « techniquede l’information ». Est-ce un parti pris ? Trou-vez-vous le concept d’information plus richeque celui de communication ?

Dans le même ordre d’idées, vous dites offrir lapossibilité de « manipuler son support média » :que cela signifie-t-il ? Vous avez aussi beau-coup parlé de multi-rationalités, mais qu’enten-dez-vous par là exactement ? En sciences

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1. PROgramme de Sociologie Pratique, Expérimentale et Réflexive sur Ordinateur.

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humaines, dire qu’on est dans un contexte plura-liste ne se limite pas à constater un état de fait.Certains essaient de définir « des » rationalités,d’autres des théories morales diverses, ce qui estsouvent assez complexe. Pour vous, la multi-ra-tionalité signifie-t-elle simplement avoir des in-térêts différents à défendre, avoir une façondifférente de présenter ses arguments, ou bienest-ce encore autre chose ?Vous avez par ailleurs insisté sur l’incertitudedans laquelle les participants sont placés. Si j’aibien compris, elle vient largement des événe-ments qui sont introduits par les professeurs,c’est-à-dire par les personnes qui animent ledébat. D’autres éléments nouveaux peuvent-ilsêtre introduits et si oui, comment ?J’ai été très intéressé par l’analyse du passé.Effectivement, vous offrez la possibilité auxparticipants d’analyser le passé en ayant accèsaux positions des autres acteurs, ce qui est per-tinent. Pourtant, dans une controverse « gran-deur nature » – et c’est bien de cela dont ils’agit puisque vous avez souhaité coller à laréalité – le problème est que le passé bougetoujours. Si les choses se passaient commedans votre formation, je dirais à la limite qu’onn’aurait pas eu de conflit dans les Balkans pourprendre cet exemple, parce que l’état de l’his-toire et du passé aurait été stabilisé une fois

pour toutes si bien qu’il n’y aurait plus eu deproblèmes. J’ai assisté hier à un débat autour deCadarache concernant l’implantation d’un sited’entreposage et de traitement de déchets ra-dioactifs. Il est apparu très clairement que lesacteurs étaient loin d’être d’accord sur les don-nées passées ou futures du débat, certains pré-tendant par exemple que le site se trouve surune grosse faille géologique susceptibled’amener un jour un tremblement de terre im-portant, d’autres le niant.

Il semble que votre objectif soit finalement defaire en sorte que les gens soient capables de semettre d’accord de façon consensuelle et sanstrop de conflits. Est-ce possible ? Est-ce à ceconsensus que vous voulez absolument arriver ?Je pense personnellement que dans la réalité cen’est pas possible, et qu’in fine il y aura toujoursdes perdants parce qu’il faudra bien que la routepasse quelque part pour revenir à votre cas d’es-pèce. À partir de là, il faut se demander com-ment se font les révisions de croyance, deposition des acteurs. Vous avez dit que vos étu-diants ont dû changer de rôle. Cela leur a-t-ilpermis de changer d’avis ou simplement de voirce qu’étaient les positions des autres ? Qu’enconclure pour la réalité ? Est-ce ainsi qu’onchange d’avis et qu’on est capable d’envisagerd’autres avis ? Joue-t-on un rôle ?

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Discussion avec le public

Anne DuboscAgence de l’eau Seine-Normandie

Je souhaiterais poser trois questions.

D’abord, quelle place accordez-vous aucontexte général dans lequel se déroule laconcertation ? Par exemple, il se peut que lesnégociations qui ont été menées à cette époquese seraient déroulées différemment dans uncontexte post 11 septembre. Je crois qu’il y atout un environnement qui fait que les acteursont à un moment donné une certaine lecture desdossiers.

Ensuite, je suis un peu gênée que vous ne lais-siez pas latitude à d’autres acteurs d’apparaître.Il me semble qu’à la base de toute négociation,de toute organisation d’une concertation, il y al’identification des différents acteurs qui serontprésents autour de la table. Qui choisit ? Quisélectionne telle structure plutôt que telle autrepour s’exprimer au nom de tels usagers sur telspoints ? C’est une zone d’ombre sans doute unpeu dommage dans votre CD Rom.

Enfin, vous avez choisi à titre d’exemple unprojet d’aménagement. Pourquoi ? Est-ce lié àdes statistiques qui montrent que la demandede recherche en termes de négociation se fait leplus souvent sur des projets d’aménagement ?Qu’en est-il de projets plus politiques relevantde véritables choix de société ?

Paul LecroartInstitut d’aménagement et d’urbanismede la région Île-de-France

Je suis particulièrement intéressé par le cas quevous avez choisi, la Francilienne, parce qu’ilme semble que c’est justement un projet decontournement autoroutier de l’agglomérationde Paris qui n’a jamais été assumé comme tel,si bien que certains de ses tronçons sont tou-jours classés en route départementale. J’aime-rais savoir comment vous avez intégré dansvotre CD Rom cette question de maîtrise d’ou-vrage (dans le Val-d’Oise, la maîtrise d’ou-vrage de la Francilienne a été assurée par leconseil général, la concertation a été conduitepar le préfet de région et le principal financeurétait le conseil régional...).

Par ailleurs, vous avez très bien parlé des « ré-visions de croyances », du fait que les rôlesévoluent au cours de la concertation, maisqu’en est-il de la question des double, voire destriple rôles qu’ont certains des acteurs (etmême beaucoup d’entre eux) ? Avez-vous puprendre en compte cette dimension supplé-mentaire de la complexité ?

Denis BayartCentre de recherche en gestion, écolepolytechnique

Vous avez présenté d’un côté votre CD Romassez modestement comme une extension ducas papier offrant beaucoup plus de possibilités,mais d’un autre côté vous avez souligné toute lamise en scène qui est rendue possible par le mul-timédia. Pourriez-vous revenir sur ce point etnous faire un bilan des spécificités offertes par lemultimédia – le CD Rom en l’occurrence – parrapport au papier ? En quoi les participants s’in-vestissent-ils davantage ? Par exemple, vousavez indiqué qu’ils venaient à la conférence depresse avec des banderoles : ne le feraient-ils pasaussi dans un jeu sur papier ?

Pierre CohenConsultant

Je voudrais savoir si vous avez pu, et si oui, parquel indicateur et comment, mesurer l’efficaci-té pédagogique de ce travail.

Laurent MermetJe pense que l’on peut regrouper un certainnombre des questions posées dans la même ca-tégorie, celle de la rançon du perfectionne-ment. Dans les jeux de rôles sur papier desAméricains, les rôles sont plus que schémati-ques et les règles très simples. Vous avez intro-duit beaucoup de choses en plus, et vous voustrouvez face à de nombreuses questions quivous indiquent que vous n’en avez pas intro-duit assez. Pourriez-vous réagir de manièreglobale à ce qui peut apparaître comme unemise en cause pour schématisme alors quevous avez fait votre possible pour enrichirl’outil par rapport à ceux qui existaient déjà ?

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Laurence De CarloC’est une question que nous abordons toujoursavec les participants. Nous avons donc uneconscience claire des limites de notre outil. Defaçon très pragmatique, nous sommes partis del’existant en matière d’outils de formation, etnous avons essayé de les améliorer. Nous neprétendons donc nullement avoir le savoir toutpuissant ni apporter l’idéal de la connaissance ànos étudiants. Mais à partir du moment on l’onévoque avec eux les limites du produit et la di-mension de manipulation, on ouvre une discus-sion qui peut aider à traiter les questions quinous sont posées aujourd’hui. Par exemple, ilest vrai qu’une des limites est qu’on ne peut pasintroduire de nouveaux acteurs. En revanche,d’une part nous en discutons lors des debrie-

fings (pourquoi n’y aurait-il pas tel acteur ?Qu’aurait pu faire cet acteur s’il avait été là ?),d’autre part les acteurs peuvent quitter laconcertation s’ils pensent avoir besoin d’agiren contre-pouvoir en dehors du processus plu-tôt qu’en son sein. Je crois vraiment que laforce de l’outil, même s’il a figé certaines cho-ses, est de s’appuyer sur ces phases de debrie-

fing qui permettent de parler de ce qui n’est pasinscrit dans l’outil informatique.

Jean-Pierre ChouletJe voudrais réagir à la remarque de BernardReber quant au manque d’interactivité du CDRom. À la limite, on pourrait même être surprisqu’il n’y ait pas de vidéo en 3D, que le produitne soit pas sur un support DVD et ne fasse pasappel à de la simulation vocale : la palette destechnologies disponibles est évidemment im-mense. D’une part, le choix du CD Rom date dela conception du cas en 1995, et il est vrai qu’àl’époque le réseau internet n’aurait pas permisde supporter des médias aussi riches. D’autrepart, je pense que l’interactivité du CD Rom n’arien à envier à celle d’internet, et qu’elles peu-vent en fait se compléter. Ici, nous manipulonsdes quantités d’informations très lourdes (650Mégaoctets), et pour que l’interactivité soit sa-tisfaisante, il faut que le participant obtienne lesinformations qu’il souhaite immédiatementaprès son clic : cela nécessite d’avoir la totalitédes informations en local. Enfin, ce produit estaussi utilisé en réseau, par exemple à l’ENA ouà l’ESSEC, et les technologies qu’il utilise,compatibles, permettraient d’en créer une

version internet. Je crois qu’en fait le supportdu média n’a aucune importance.

En outre, par rapport aux atouts des jeux de rôlesorganisés sur internet, je pense que notre pro-duit, qui est basé sur le modèle du jeu de rôles,n’en est pas vraiment un. S’il possède la dimen-sion ludique et la mise en rôles des jeux sur in-ternet, il se rapproche davantage d’un coursavec de nombreux messages pédagogiques et uncertain rythme correspondant. L’instant du de-

briefing, c’est-à-dire l’instant post-technolo-gique où les gens parlent en réel, est la clé del’apprentissage ; c’est à ce moment-là que latechnologie se retire.

Quant au fait que le passé bouge toujours, jesuis bien sûr d’accord et c’est bien pourquoi lesparticipants peuvent le fréquenter, analyser leséléments factuels qui y sont présentés, et doncle réinterpréter jusqu’à lui faire dire des chosestotalement différentes, c’est-à-dire en quelquesorte le réécrire.

Bernard ReberJe ne suis pas d’accord quand vous dites que lesupport du média n’a aucune importance : jecrois que lorsqu’on s’intéresse aux rapportsentre sciences humaines et technologies, l’inté-rêt est bien d’aller jusqu’à la spécificité du sup-port technique.

Laurent MermetJe voudrais à présent que l’on revienne sur laquestion soulevée quant à la spécificité du sup-port multimédia par rapport au support papier.La présentation nous a déjà apporté quelqueséléments de réponse : par exemple, quand lavoix off dit aux participants des jeux de rôles,avec une certaine urgence affective, la situationdans laquelle ils sont mis, on peut penser que çane leur fait pas le même effet que la lecture dumême rôle sur le papier. J’ai relevé aussi que lemultimédia donnait plus facilement aux partici-pants l’impression presque physique de foison-nement et d’hétérogénéité des informations. Ilserait sans doute utile de répondre à cette ques-tion de manière plus systématique.

Jean-Pierre ChouletLe premier apport du multimédia est de pou-voir stocker la totalité des médias de la situa-tion étudiée (cartes, vidéos et autres), de lesrendre navigables dans un temps raisonnable et

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accessibles très facilement. C’est un premierniveau de réponse très pragmatique mais déjàimportant à notre avis. Ensuite, comme je le di-sais précédemment, l’apport le plus intéressantqui est apparu est celui de la diminution del’écart entre les émotions de l’acteur réel et cel-les de l’étudiant. En effet, la mise en scène desmédias, le fait de créer une revue de presse parexemple, la présence d’une voix off dontl’émotivité a été évaluée pour présenter les in-formations sur les rôles, ont permis de réduirecette distance. En outre, la navigation dans letemps, c’est-à-dire le fait de pouvoir revenirdans le passé à tout moment pour y découvrirles autres acteurs, n’est possible qu’à partir dumoment où l’on dispose d’une grille d’authen-tification de l’information dont chaque partici-pant peut disposer. Ce serait concrètementimpossible sur papier. C’est cet espace vecto-riel dans le temps et dans l’information qui meparaît un des apports fondamentaux du multi-média, et le fait qu’il ne soit pas possible de re-présenter graphiquement, ni en 2D ni en 3D, lamatrice de navigabilité du cas, prouve bien quel’on a un niveau supplémentaire de ce quepourrait être un cas papier.

Laurence De CarloEn tant que professeur, je voudrais soulignerune nouvelle fois qu’un des grands apports dumultimédia dans notre produit est la libertédonnée aux étudiants de consulter l’informa-tion dans un ordre qu’ils choisissent et de lahiérarchiser, ce qui était impossible avec du pa-pier dans la mesure où l’on a forcément un sup-port que l’on feuillette dans un ordre prédéfiniet qui ne saurait fournir d’information engrande quantité.

Laurent MermetPour avoir beaucoup pratiqué les jeux de rôlesproposés par les Américains en matière de mé-diation et adaptés à l’environnement, parexemple Wilderness dans lequel on négocieune réserve naturelle en forêt, je sais que quel-qu’un qui est rompu à l’analyse de la négocia-tion retrouve facilement dans le jeu un certainnombre d’éléments autour desquels il peut ap-porter aux participants des cadres théoriques etdes références bibliographiques. En revanche,il est toujours difficile de faire passer les étu-diants du registre des jeux de simulation à celui

de la recherche de grilles de lecture analyti-ques. Or vous leur proposez, à l’intérieur dumonde que vous leur avez organisé, de faire cetaller-retour de manière construite entre l’uni-vers des théories de la négociation et lecontexte de simulation dans lequel ils évo-luent : je vois là une véritable avancée par rap-port à cette difficulté incontestable dans lamanipulation pédagogique des jeux de simula-tion papier.

Laurence De CarloTout à fait. Je voulais également répondre à lapremière question de Catherine Atger surl’adaptation du jeu à la culture de l’apprenant.Effectivement, les cultures des participantssont très variées, d’une part entre formation ini-tiale et formation permanente, mais aussi àl’intérieur de ces deux catégories. L’adapta-tion, encore une fois, se fait lors des debrie-

fings : selon leur vie, selon leur culture, leur ex-périence ou leur absence d’expérience, les par-ticipants ne vivent pas la concertation de lamême façon, ne l’analysent pas de la mêmefaçon, et n’en rendent pas compte de la mêmefaçon. Les discussions sont donc différentesselon les cas et font émerger des conceptsdifférents.

Laurent MermetSur le plan de la culture des apprenants,avez-vous pu faire des formations à des publicsadministratifs, en particulier à des personnesqui se trouvent prises dans les conflits, commeles agents des DDE ou autre ? Qu’en est-il deleur culture spécifique ?

Laurence De CarloNous avons fait une formation à des formateursde l’École nationale des Ponts et Chaussées(ministère de l’Équipement). J’anime par ail-leurs chaque année une session de deux joursdans un programme de formation permanentede l’ESSEC qui réunit des cadres de VivendiEnvironnement et des collectivités territoriales.Lors des debriefings, les participants introdui-sent des expériences personnelles de concerta-tion auxquelles ils ont participé, et cesexpériences sont conceptualisées, comme cellequ’ils ont dans le cadre de la simulation. En re-vanche nous n’avons encore jamais formé di-rectement les publics administratifs comme les

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agents des DDE. Je ne peux donc pas répondredirectement.

Thierry MasnouConseil général des Ponts et Chaussées

La formation porte-t-elle sur la négociation ousur le débat ? On sait bien que le débat publicn’est pas la négociation, donc est-ce une bonnechose de faire suivre cette formation à des gensqui vont participer au débat public mais dont lerôle n’y sera pas de négocier ?

Laurence De CarloLes techniques de négociation et de médiationsont souvent liées à celles de concertation. Dansnotre cas, on ne travaille pas sur des négociationspures, et les participants n’ont pas à prendreeux-mêmes de décision. En revanche, ils peu-vent, entre eux, élaborer une solution sur laquelleils sont susceptibles de tomber d’accord. Nousessayons de former des acteurs pour que, quandils se rencontrent, ils arrivent à se comprendre,éventuellement à s’entendre en étant assez créa-tifs pour proposer au décideur final des solutionssur lesquelles ils sont d’accord.

Laurent MermetOn est donc quelque part à mi chemin entre unjeu de négociations – dans lequel l’enjeu estprincipalement la solution qui est finalementretenue – et un jeu de débat public où il s’agitde se comprendre, de mettre en forme les réac-tions, les réponses, etc.

Reste la question de savoir dans quelle mesurele fait de concentrer l’attention sur la gestion oule traitement du conflit lié à l’aménagement nerisque pas d’une certaine manière de faire ou-blier d’autres dimensions du problème, tellesque les aspects politiques, les aspects de poli-tique publique des transports, etc. Je pense quec’est un des enjeux importants de la séanced’aujourd’hui, qui soulève notamment desquestions pédagogiques. La situation de simu-

lation dans laquelle vous placez les participantspeut-elle être utilisée pour aborder les ques-tions de rapports de forces politiques, qui n’ontpas comme ressource les théories de la négo-ciation mais plutôt, comme l’a souligné Cathe-rine Atger, celles des sciences politiques ?

Laurence De CarloJ’approuve entièrement l’idée selon laquellenotre produit serait utilement complété par uneformation en sciences politiques. Au cours del’exercice interviennent par exemple des ques-tions sur le rôle joué par les élus qui à un mo-ment donné défendent le développementéconomique alors qu’à d’autres ils sont plusproches des riverains : on intervient donc aussisur ce sujet, et l’on aborde la question de l’évo-lution de la définition de l’intérêt général à tra-vers de tels processus. Mais bien sûr on abordeces enjeux de manière ponctuelle au cours dudebriefing si bien que le CD Rom n’a pas voca-tion à remplacer un cours de sciences politi-ques. Ce n’est pas parce que nous pensons tenirun outil intéressant que nous prétendons toutenseigner avec !

Enfin, sur la question de Bernard Reberconcernant notre position par rapport à la ques-tion des conflits, nous avons une logique assezdifférente de celle des outils américains de con-

flict resolution qui tendent plutôt à les occulter.Nous présentons le conflit comme un typed’interaction sociale tout à fait légitime et entout cas préférable à l’indifférence. D’ailleurs,on sent bien dans l’ambiance de la classe queles tensions baissent au moment où le debrie-

fing aborde ces questions, dans la mesure où lesparticipants se sentent légitimés dans le faitd’avoir été en conflit. Ils sont sans doute mieuxdisposés ensuite à essayer d’en sortir quelquechose. Nous ne cherchons donc pas à nier leconflit, mais à en faire un mode d’interactiondont émergent des solutions dans lesquelles lesacteurs puissent prendre une part.

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Systèmes multi-agents et jeuxde rôles comme outils supportsde discussion pour la gestiondes ressources renouvelables

Olivier Barreteau*

Résumé

L’utilisation de systèmes multi-agents (SMA) pour la simulation de

dynamiques d’usage de ressources renouvelables va croissant. Ils

agissent en tant que mondes virtuels devant représenter des

points de vue sur des mondes réels. Plutôt que de validation se

pose la question de la légitimité de ces outils pour leurs différents

usages possibles (recherche, formation, aide à la négociation).

Celle-ci va dépendre de la qualité de la représentation mais aussi

du mode de construction ayant mené au monde virtuel ainsi que

de la maîtrise de son contenu par les destinataires des simulations.

Deux exemples au Sénégal sont détaillés dans lesquels les SMA

ont été utilisés en synergie avec des jeux de rôles, qui ont joué

un rôle de communication entre réalité et modèle médiateur de

discussions.

Introduction

Je voudrais tout d’abord préciser le contexte des travaux que je vais vous présen-ter. Tout a commencé au sein d’une unité de recherche qui s’appelait « Gestiondes ressources renouvelables et environnement » (GREEN) et qui était animéepar Jacques Weber au CIRAD. Des systèmes multi-agents y ont été développéspour comprendre comment fonctionnent les systèmes complexes de gestion deressources renouvelables. C’est dans cette équipe que j’ai fait ma thèse, avecFrançois Bousquet notamment, et par la suite nous avons commencé à passer dessystèmes multi-agents (SMA) aux jeux de rôles – je vous expliquerai commenttout à l’heure. Depuis un an ou deux, un petit groupe de personnes travaille surces questions entre le CIRAD, le CEMAGREF, l’INRA et l’IRD.

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* Chercheur au sein de l’équipe Gestion intégrée de bassins versants irrigués, UR Irrigation,CEMAGREF.

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Je vais donc vous parler des outils que constituent les systèmes multi-agents et lesjeux de rôles, en insistant moins sur les aspects techniques que sur la démarched’ensemble et les questions de méthode. Après vous avoir présenté ces outils etcomment on peut s’en servir pour la gestion de ressources renouvelables, je rela-terai deux expérimentations que nous avons menées et qui sont encore en coursdans la vallée du fleuve Sénégal. Je reviendrai alors sur les questions dedémarche et ferai le point sur ce qu’elles apportent comme connaissances.

1. Systèmes multi-agents et jeuxde rôles, supports de discussion pourla gestion des ressources renouvelables

La démarche : une modélisationd’accompagnement en interactionavec des processus de décision

Le point essentiel de notre démarche est qu’il s’agit d’une modélisation d’accom-pagnement, que j’ai représentée sur la figure 6.

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Figure 6

La démarche : une modélisation d’accompagnement

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On part donc d’un terrain dont on prend connaissance par exemple à partir d’unepremière expérience pratique, mais aussi à partir de documents divers issusd’autres types de recherche, et de tout ce que l’on peut trouver à moment donnéconcernant ce terrain. On se fait ainsi une première impression qui permet de for-muler un ensemble d’hypothèses accompagnées de questions. On formalise alorsles hypothèses dans un modèle et les questions dans un plan d’expériences pourréaliser des simulations. Ces simulations nous permettent de commencer à traiterles questions que l’on se pose, et leurs résultats nous amènent à discuter les hypo-thèses initiales, éventuellement à les remettre en cause et à poser de nouvellesquestions au terrain. On en revient donc au terrain avec un autre point de vue, et lapossibilité est offerte de réitérer ce type de cycle plusieurs fois – autant de foisqu’on en ressent le besoin.

Le thème du séminaire étant « concertation, décision et environnement », je vou-drais également préciser comment, de notre point de vue, cette modélisationd’accompagnement se situe par rapport à un ou des processus de décision quivont intervenir en dehors du travail de modélisation, mais en interaction avec lui.La figure 7 représente le processus de décision, que je conçois comme le produitd’un ensemble d’interactions entre les acteurs, qui rencontre de façon dyna-mique, éventuellement plusieurs fois et en différents endroits, le processus demodélisation.

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Figure 7

Une modélisation en interaction avec les processus de décision

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Les systèmes multi-agents

La figure 8, adaptée d’un ouvrage de Ferber 1, schématise ce qu’est un systèmemulti-agents. C’est d’abord un environnement, un lieu, dans lequel on situe diffé-rents objets qu’on peut décrire par des caractéristiques que l’on nomme les attributsde ces objets. Certains des objets sont doués d’autonomie et sont alors appelés desagents, caractérisés par un objectif en fonction duquel ils se comportent. Leurscomportements peuvent être des actions sur l’environnement, des perceptions dumilieu – perceptions qui peuvent être partielles ou complètes, exactes ou erronéesselon le choix du modélisateur – ou encore des communications entre agents.Actions, perceptions et communications sont complétées par les représentationsque se fait un agent de son monde, puisqu’il ne perçoit pas tout ce qui l’entoure.

Le comportement d’un agent à l’intérieur du modèle peut se résumer de la façonsuivante (figure 9). L’agent 2 perçoit un état de l’environnement à un moment

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Figure 8

Les systèmes multi-agents

Source : d’après Ferber, 1995.

1. Ferber (J.), 1995, Les Systèmes multi-agents. InterEditions.2. Je précise que ce que j’appelle agent n’a rien à voir avec le terme employé en économie. Un agent estpour moi une entité autonome, et un exemple que je cite souvent pour fixer les idées est celui d’une thèsesoutenue il y a un an ou deux à l’Université Paris VI dans laquelle les agents étaient des tâches de peinture,l’idée étant de retrouver un tableau de Kandinsky avec un système multi-agents (Hutzler (G.), 2000, Du

jardin des hasards aux jardins de données : une approche artistique et multi-agent des interfaces homme /

systèmes complexes, thèse de doctorat, Université Paris VI, 291 p.).

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donné, qu’il interprète par rapport à sa représentation et son objectif via une pro-cédure de délibération interne. Cela l’amène à réagir par une action qui peut êtreune modification de l’environnement ou un envoi de message à un autre agent.

Cet autre agent perçoit un nouvel état de l’environnement et y réagit à son tour.La figure 10 nous montre un environnement initial à t-1 (une prairie) avec troismoutons appartenant à un agent V, éleveur. Un agent R, éleveur également, se ditqu’il pourrait mettre aussi des moutons à lui dans la prairie : il agit en en ajoutantdeux, et on retrouve donc à t un environnement qui a évolué. L’agent R peut alorspar exemple, si l’on en fait l’hypothèse dans le scénario, envoyer un message àl’agent V pour l’informer de son action – on pourrait aussi supposer que l’agent Vs’en aperçoit tout seul en allant dans la prairie. L’agent V se dit alors qu’il y a unmouton de trop et en enlève un à lui, ce qui aboutit à un nouvel état de l’environ-nement à t+1. Tout ceci n’est bien sûr qu’un exemple basique qui permet de voircomment fonctionne le modèle.

Ce qui pour moi est important ici est qu’il y a plusieurs voies d’interaction quisont représentées : l’action sur le milieu, la communication avec un autre agent –soit directement soit par l’envoi d’un message de type courrier, et une troisièmevoie, qui n’est pas représentée ici, via un groupe (par exemple si les agents R et Vfont partie d’une même association de belote, elle constitue un cadre collectifdans lequel ils peuvent discuter de ce qui se passe dans la prairie).

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Figure 9

Comportement d’un agent

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Au total, on peut dire que les caractéristiques principales d’un systèmemulti-agents sont les suivantes. (1) D’abord, c’est un outil qui permet de repré-senter des dynamiques d’interactions entre des entités hétérogènes. J’ai parlé icide deux éleveurs, un peu plus tôt de tâches de peinture, mais on peut aussi avoirdes interactions entre des agriculteurs et des administrations, entre des individuset des groupes, donc entre des entités hétérogènes de niveaux d’organisationvariés. On s’intéresse aux questions de savoir comment évoluent les représenta-tions, les comportements et l’environnement. (2) Ensuite, un système multi-agents permet une représentation distribuée des contrôles. Au lieu d’avoir classi-quement une modélisation avec un contrôle qui est global, on peut travailler leshypothèses et les scénarios sur le lieu où se situent les contrôles. (3) Une autrecaractéristique intéressante, notamment pour la suite des débats d’aujourd’hui,est la possibilité existante de varier les points de vue. Chaque agent est autonome,il a son propre point de vue sur un système si bien que l’on peut essayer de repré-senter des conflits d’intérêts ou des conflits liés à des points de vue différents. (4)On peut par ailleurs prendre en compte des niveaux d’organisation différents. (5)Enfin, pour ce qui concerne la modélisation d’accompagnement, on est en pro-grammation objet, très flexible au niveau informatique. On peut donc facilementavoir une généalogie de modèles, une évolution en fonction des besoins, desquestions, de l’interaction avec le processus de décision.

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Figure 10

Plusieurs voies d’interaction

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Systèmes multi-agents et processusde décision

Les systèmes multi-agents ont plusieurs relations possibles avec les processus dedécision ou de concertation. Une première possibilité est de chercher à modéliserle processus de décision : on travaille alors sur la modélisation du comportementdes acteurs dans la discussion. Une autre possibilité est de modéliser les enjeuxdu processus de décision en vue de simuler des scénarios qui peuvent être ceuxqui sont discutés. On ne modélise plus alors le comportement des acteurs dans ladiscussion mais par rapport à la ressource. Il s’agit de possibilités très différentes,et nous ne nous intéresserons qu’à la deuxième puisque notre direction estd’essayer de trouver des méthodes pour aider à la négociation. Or on ne peut pasaider à la négociation en la modélisant, mais en lui apportant de l’informationsupplémentaire. L’important entre ces deux possibilités de relations entre modèleet processus de décision, c’est le destinataire. Pour qui cible-t-on le modèle ? Unexemple illustrant la première possibilité nous est donné par des travaux réaliséspar des collègues du LISC au CEMAGREF de Clermont-Ferrand avec le projetIMAGES : le destinataire est dans ce cas un « décideur », par exemple un fonc-tionnaire de la Communauté européenne qui va chercher à mettre en place uncontexte de négociation, et souhaite donc comprendre comment une négociationpeut évoluer avec les contraintes qu’il y apporte. La deuxième possibilité seradétaillée avec les travaux sur le Sénégal que je vous présenterai juste après cesdernières précisions préliminaires.

Jeux de rôles et aide à la négociation

À partir des systèmes multi-agents, nous sommes arrivés à une réflexion sur lesjeux de rôles grâce notamment aux travaux de Laurent Mermet 1 et de VincentPiveteau 2, qui nous ont permis d’aborder des exercices de simulation de poli-tique à la fois pour la formation et en relation avec des projets de développement.Nous avons donc souhaité voir quelles étaient les possibilités d’usage des jeux derôles en complémentarité avec les SMA. Nous avons aussi remarqué une certaineproximité avec l’économie expérimentale, dans laquelle les économistes cher-chent à tester des modèles sous forme de jeux complètement contrôlés, une sorte« d’économie en chambre », pour voir si les modèles ou la théorie dont ils dispo-sent correspondent à ce qui se passe au cours d’une expérience.

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1. Mermet (L.), 1992, Stratégies pour la gestion de l’environnement. La nature comme jeu de société ?,L’Harmattan, Collection Environnement, Paris.2. Piveteau (V.), 1995, Prospective et territoire : apports d’une réflexion sur le jeu, CEMAGREFEditions.

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Complémentarité entre jeux de rôleset systèmes multi-agents

Pourquoi nous être tournés vers les jeux de rôles ? En fait, nous avions un pro-blème : quand nous avions réalisé notre système multi-agents, il nous avait bienplu, mais quand nous avons voulu le donner à voir il s’est avéré très compliqué dele présenter. L’idée était de représenter des systèmes complexes, que nous avionsbien simplifiés mais qui restaient encore assez lourds. Nous avons donc consi-déré le jeu comme une explicitation du contenu du modèle. Il s’agissait d’une partd’éviter l’effet boîte noire que peut avoir tout modèle vis-à-vis de quelqu’un quin’a pas participé à sa conception, et d’autre part d’en expliciter l’aspect dyna-mique qui est difficile à exprimer oralement. Les jeux de rôles étant une activitédynamique, ils convenaient très bien à cet usage.

Par ailleurs, suite aux conclusions de la thèse de Vincent Piveteau nous avions vuque le modèle pouvait apporter quelque chose par rapport aux jeux de rôles dansune perspective d’aide à la négociation. En effet, on aurait pu se dire que s’il fal-lait des jeux de rôles pour pouvoir cibler les SMA sur la négociation, on pouvaitpeut-être se contenter des premiers et oublier les seconds. Mais les travaux de V.Piveteau mettaient clairement en évidence la nécessité de recourir à des outilscomplémentaires tels que les modèles pour la préparation et l’exploration du jeu.Il s’agissait d’abord de caler le jeu en le simulant pour voir s’il pouvait donner deschoses intéressantes, mais aussi de donner les moyens de comparaison, une foisque le jeu existe, des différentes séances de jeu, puisque si dans le modèle tout estcontrôlé, ce n’est pas le cas dans le jeu. Par ailleurs, certains parallèles nousparaissaient assez naturels entre le jeu et les multi-agents, qui nous laissaient pen-ser que la complémentarité que l’on explorait avait un sens a priori. Le tableau 1en trace les grandes lignes et permet d’envisager les contributions mutuelles desdeux outils.

Tableau 1

Complémentarité jeux / SMA

Jeux de rôles Systèmes multi-agents

Joueurs Agents

Rôles Règles

Tour de jeu Pas de temps

Plateau de jeu Interface

Session de jeu Simulation

La question de savoir comment le jeu pourrait intervenir dans le cadre d’unemodélisation d’accompagnement figurait donc au centre de nos préoccupations.Cette question nous a menés au schéma de la figure 11. La formalisation du

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terrain, ou de ce que j’appelle le « monde observé », nous amène à un modèleconceptuel, c’est-à-dire ce que le chercheur peut avoir dans la tête. Ce modèleconceptuel peut être traduit soit sous forme de systèmes multi-agents informati-ques, soit sous forme de systèmes multi-agents humains que l’on a vite appelés« jeux de rôles ». Ainsi pour moi on passe dans les deux cas par un systèmemulti-agents, informatique ou humain, qui permet, via des simulations et desséances de jeux, de revenir au monde observé. Une synergie est donc possibleentre les deux outils pour trois usages différents. D’abord, la formation, à la ges-tion plutôt qu’à la négociation. Par exemple, on peut ainsi former des gestionnai-res de ressources pour leur donner une idée de l’évolution possible d’un systèmeselon différents scénarios et selon la plus ou moins bonne connaissance que l’onpeut avoir d’un terrain. Un deuxième usage concerne la recherche, pour com-prendre ce qui se passe dans un système. Enfin, le troisième usage concernel’aide à la négociation ou à la discussion.

Situation dans un processus de négociation

Prenons le cadre spécifique de la démarche patrimoniale, que l’on peut décrire encinq étapes (figure 12) : constitution d’une représentation commune, discussiondes objectifs de long terme, proposition de scénarios par les acteurs, test des scé-narios pour en choisir un, et ritualisation du choix. A priori, et c’était notre pointde vue avant les expériences, les outils jeux de rôles et SMA peuvent servir dansdeux de ces phases, à savoir la première et la quatrième.

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Figure 11

Les jeux de rôle dans la modélisation d’accompagnement

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Figure 12

Démarche patrimoniale

Constitution dereprésentation

communeObjectifs

de long termePropositionde scénarios

Test et choixd’un scénario

Ritualisationdu choix

Je vais à présent passer aux exemples et nous aurons l’occasion plus tard de voircomment ces outils sont intervenus ou non à ces différentes phases. Je commen-cerai par un exemple en cours qui s’inscrit dans la suite de mon travail de thèse etqui concerne la coordination entre les paysans au sein des systèmes irrigués de lavallée du fleuve Sénégal. Je présenterai ensuite plus brièvement le travail menéen ce moment par Patrick d’Aquino au CIRAD sur le plan d’occupation et d’amé-nagement des sols dans le delta du fleuve Sénégal.

2. L’exemple de la coordination entrepaysans dans les systèmes irriguésau Sénégal

Présentation du problème

La question initiale venait du fait que le système irrigué concerné posait un cer-tain nombre de problèmes, notamment aux bailleurs de fonds. En fait, les périmè-tres n’étaient pas utilisés comme on pensait qu’ils allaient l’être. En particulier,se posaient des problèmes d’endettement des paysans et d’accès au crédit, dedégradation des infrastructures, de « gaspillage » d’eau, ainsi que de rendementset de taux de mise en valeur plus faibles qu’attendu. Nous avons donc regroupéces différentes questions en une seule, celle de la viabilité du système irrigué. Enconsidérant le système irrigué d’abord comme un lieu d’interactions entre diffé-rents acteurs (entre les paysans, mais aussi entre les paysans et les gestionnaires),on a voulu comprendre quel était le lien entre les modes de coordination entre lesacteurs d’une part et la viabilité des systèmes irrigués d’autre part. En effet, iln’était bien sûr pas question d’arriver sur un aménagement et de dire aux acteurscomment se coordonner. Pour cela, nous avions besoin de constituer un outil per-mettant de simuler l’évolution du système irrigué en fonction de différenteshypothèses de comportements individuels et de règles collectives, et différentesformes de coordination. De là nous est venue l’idée de passer par un systèmemulti-agents, ce qui nécessitait au départ des recherches pour comprendre lescomportements et interactions existants.

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Le modèle

Je ne rentrerai pas ici dans les détails du modèle lui-même. La figure 13 donne unaperçu de l’interface utilisée, les différentes cases représentant un aménagementvirtuel que l’on a voulu une sorte d’archétype des aménagements sénégalais, sanssouci de coller à un aménagement particulier.

L’utilisateur dispose d’un ensemble de boutons lui permettant de choisir notam-ment les règles collectives et individuelles. Les règles collectives sont relativesau crédit et à l’eau – les deux notions que nous avons retenues dans le modèle.Les règles collectives, dans un souci de facilité, sont portées par des agents(c’est-à-dire des entités autonomes) ayant un statut de groupement. Comme je ledisais précédemment, il peut y avoir dans un même SMA des entités hétérogènes,et en l’occurrence nous avons dans ce modèle des agents « paysan » et des agents« groupement ». Ces groupements concernent par exemple la gestion de la sta-tion de pompage, le mode de partage de l’eau au sein d’une maille hydraulique,

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Figure 13

Le modèle SHADOC

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ou la répartition du crédit 1. Quant aux règles de comportement individuel, ellesincluent des règles de choix de mise en culture, des comportements par rapport auremboursement du crédit, des éléments de statut social qui interviennent au Séné-gal notamment dans les relations d’argent. On peut également choisir au niveaudes scénarios les modes d’interaction. Nous avons en effet jugé importantd’inclure dans le modèle le recours à des réseaux d’affinité sociale, qui peuventrelever par exemple de la famille ou de relations politiques locales. Ces réseauxcontraignent les échanges de services entre individus, notamment de tours d’eau.Les simulations effectuées en grand nombre (chaque scénario a été simulé 120fois) nous ont montré que l’on pouvait travailler sur la viabilité en fonction d’unscénario donné, tenir un discours cohérent et donc produire des théories sur lessystèmes irrigués. J’en étais là à la fin de ma thèse, et je ne pouvais pas avancerbeaucoup plus car j’ignorais si les théories que nous pouvions produire par simu-lation signifiaient quelque chose sur le terrain – en tout cas je n’avais pas d’élé-ments de preuve. Mes collègues modélisateurs me posaient avec raison laquestion de la validation de ce modèle élaboré à partir de mes enquêtes de terrain,de discussions avec les acteurs. N’avais-je pas mal interprété certaines choses ?

Il fallait donc que je puisse présenter le contenu du modèle via un retour au ter-rain, avec trois objectifs. D’abord, c’était une question de courtoisie vis-à-vis despersonnes enquêtées. J’avais été leur poser des questions régulièrement pendantdeux ans, et ils étaient naturellement curieux de savoir quel avait été le but decette prise d’information. Il y avait aussi, donc, la question de la validation demon modèle, et enfin l’idée que ce modèle pouvait servir en aide à la négociation,selon une logique représentée par la figure 14. Considérons un groupe en train dediscuter, sous un arbre, de règles collectives pour la gestion des systèmes irri-gués. Notre but est de simuler des scénarios à partir de règles proposées, avecrecours à l’ordinateur, avant de rapporter les informations complémentaires augroupe en train de discuter. Mais pour que ces informations complémentairesaient un sens, il faut que le groupe discute de ce qu’il y a dans l’ordinateur, afind’éviter l’aspect boîte noire dont je parlais tout à l’heure : d’où le recours au jeude rôles.

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1. Il faut savoir qu’au Sénégal, les crédits alloués par le Crédit Agricole le sont à des groupements d’inté-rêt économique, les paysans n’ayant pas accès individuellement à ces crédits. Il y a donc un intermédiaire,qui est propre au système irrigué.

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Du modèle au jeu

Pour passer du modèle au jeu, il s’est avéré impératif d’en réduire la complexitéafin de le rendre « jouable ». Cela supposait d’abord de diminuer sa taille. Dansle modèle, il y a environ une soixantaine d’agents paysans, et il n’est pas possiblede faire jouer soixante personnes en même temps. Nous avons toutefois souhaitéque chaque joueur appartienne encore à au moins deux réseaux, l’un lié à l’amé-nagement hydraulique, l’autre à l’activité sociale (en l’occurrence, les joueursappartiennent à deux villages qui ont une querelle ancienne, si bien qu’ils ne veu-lent pas coopérer). Ensuite, un changement de la représentation du temps s’estavéré nécessaire. Dans le modèle, les pas de temps correspondaient à une cam-pagne d’une trentaine de jours, ce qui n’était pas « jouable » non plus. On a doncréduit, tout en calibrant le jeu pour que chaque joueur voit au moins une fois qu’ilavait un risque de manquer d’eau. Enfin, un changement de la représentation desrègles s’est aussi imposé, puisqu’à ma première tentative il m’avait fallu plus dedeux heures pour expliquer toutes les règles du jeu, épuisant la patience des futursjoueurs. J’ai donc rediscuté avec une association villageoise très investie dans ledéveloppement local, pour voir avec elle quelles étaient les règles qui leur parais-saient importantes et celles qui leur paraissaient plus accessoires. Ils m’ontencouragé à simplifier beaucoup de choses sans que cela ne leur pose de pro-blème de réalisme par rapport au terrain, alors que lorsque j’avais montré lemodèle à des agronomes et autres spécialistes, ils me demandaient systématique-ment de le compliquer davantage...

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Figure 14

L’usage du modèle en aide à la négociation

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Le jeu a ensuite pu être utilisé de la façon suivante. La première phase a consisté àprésenter les rôles et à mettre en discussion cette représentation de la réalité :« vous êtes un paysan, voici vos leviers d’action par rapport à votre parcelle et àvos relations avec les autres. Vous y retrouvez-vous ? Pensez-vous pouvoir jouerun système irrigué ? ». Le jeu lui-même s’est déroulé dans une deuxième phase,comprenant un éventuel aménagement des règles. En fait, je laissais la possibilitéaux joueurs de tricher, ce qui me permettait d’apprendre ce qui leur manquaitdans la représentation. Durant cette phase, un enregistrement était réalisé sousforme d’une fiche remplie par un observateur présent dans la salle. Il faut justepréciser ici que le jeu est entièrement basé sur papier, sans utilisation de l’ordina-teur. Les règles sont traduites en rôles et décrites sur des cartes bilingues fran-çais-pulaar (figure 15) Il suffit alors de disposer d’un tableau et d’un lieusubdivisable en deux parties invisibles l’une de l’autre (2 pièces, ou une cour).Chaque joueur tire en début de partie deux cartes correspondant (1) à son objectifde mise en culture (maximum de production, ou vivrier ou conservation fon-cière), (2) à son statut social au sein d’une hiérarchie de 4 niveaux. Ces cartes luiconfèrent un rôle. Un peu plus tard dans le déroulement du jeu les joueurs tirentaussi des cartes décrivant leur rôle relatif au remboursement du crédit. Enfin, undebriefing à chaud avait lieu aussitôt après le jeu, avec un retour sur son déroule-ment (notamment : est-ce que les joueurs s’y retrouvent ou non ?) et une discus-sion sur ce qu’il représente par rapport aux cas réels.

Je voudrais pour terminer cette partie sur le jeu souligner trois types de réactionsobservées sur les sites, sachant que l’on a joué une demi-journée avec chacun desaménagements qui avaient servi de base pour réaliser le modèle. D’abord, il estclair que le jeu a été pris au sérieux, les joueurs ayant cherché à « bien jouer ».Ensuite, ils ont paru d’accord sur la représentativité du jeu, et enfin son intérêt

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Figure 15

Cartes objectif

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comme support de discussion ne s’est pas démenti. Même s’il est assez difficilebien sûr de juger objectivement de ces retours sur le jeu, quelques anecdotes nousont encouragé. Par exemple, dans un des villages, alors que nous repartions, unefois le jeu terminé, avec le tableau blanc sur lequel nous avions représenté le sys-tème irrigué, les joueurs sont venus vérifier que nous avions bien tout effacé. Ilsne souhaitaient pas que le village proche dans lequel nous allions répéter l’expé-rience le lendemain s’aperçoive qu’ils avaient « mal joué » en n’arrivant pas à untaux de mise en culture très élevé... C’est indéniablement une forme de recon-naissance. En outre, on nous a rapporté que les discussions s’étaient plusieursfois prolongées tard dans la nuit après notre passage, y compris sur ce que celaimpliquait pour la réalité.

Du jeu à l’atelier de formation

Nous avons ensuite réalisé un atelier de formation destiné à un public plus varié,incluant par exemple la société d’aménagement qui bénéficie des prêts du CréditAgricole, et s’étalant sur une durée plus longue (trois jours). Nous avons constatéle même intérêt pour le jeu, mais avec plus de discussions sur la représentativitédu modèle. La question des classes et des statuts sociaux, différenciés dans notrejeu, a notamment été soulevée et notre hypothèse remise en cause – y compris pardes gens qui l’avaient acceptée lors d’une précédente partie dans un village. Celanous a semblé relever d’un comportement « politiquement correct », puisqu’onétait à ce moment-là en pleine campagne électorale pour les élections législati-ves. Or étaient présentes plusieurs personnes qui ne se connaissaient que par lefait qu’elles étaient toutes des responsables intermédiaires du parti socialiste,alors au pouvoir et quasi-identifiable à l’État. Ces responsables ne pouvaientdonc entériner une représentation faisant état de différentes castes alors qu’offi-ciellement la société sénégalaise est égalitaire. En revanche, l’interprétation dujeu pour la validation de ce que j’avais mis dans le modèle était facilitée par laposture des joueurs dans le jeu. Parmi eux se trouvaient deux Wolofs et huitPulaars, et ceux qui se sont retrouvés avec leur parcelle dans les deux plus mau-vaises positions étaient les Wolofs, ce qui trouve une résonance frappante avec laréalité. Ainsi, même si tout le monde était à égalité, certains étaient plus avanta-gés que d’autres...

Cela nous a conduits pour le troisième jour à une deuxième version du modèle, àpartir du jeu cette fois au lieu du contraire. Nous lui avons donné un nouveaunom, Njoobaari Ilnoowo, ce qui en Pulaar signifie littéralement « le baise-en-ville des irrigants » : c’est-à-dire le minimum qu’on emmène avec soi en voyage.Il y a là la notion de représentation minimum mais aussi d’accompagnement.C’était l’une des propositions de noms qui avaient été faites par les joueurseux-mêmes, la deuxième étant « cafard » qui pour eux était assez valorisant carc’est une bête qui fouille partout mais qui se traduit par « bug » en anglais – ce quine nous inspirait guère au niveau informatique. Ce deuxième modèle nous a per-mis de faire une simulation avec les paysans qui avaient joué, qui ont choisi col-lectivement des scénarios grâce au même type d’interface que dans le premiermodèle (figure 16), et ont pu discuter les résultats de la simulation.

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Conclusion

Avec le double modèle SHADOC / Njoobaari Ilnoowo, nous avons donc réaliséun simulateur basé sur un SMA pour étudier la viabilité des systèmes irrigués. Larestitution au terrain s’est faite dans de bonnes conditions via un jeu de rôles, quia constitué un support de discussion fructueux.

3. L’exemple d’un plan d’occupationet d’aménagement des sols dansle delta du fleuve Sénégal, à traversla plate-forme SelfCormas 1

Je voudrais à présent vous présenter très rapidement un autre exemple, à savoir laplate-forme SelfCormas mise au point par mon collègue Patrick d’Aquino pour

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Figure 16

Une deuxième version du modèle

1. Pour plus d’informations sur cette partie on pourra consulter notamment : D’Aquino (P.), Etienne (M.),Barreteau (O.), Le Page (C.) et Bousquet (F.), 2001, « Jeux de rôles et simulations multi-agents », in

E. Maleyzieux, G. Trébuil et M. Jaeger (éds), Modélisation des agroécosystèmes et aide à la décision, Edi-tions Cirad-Inra, pp. 373-390.

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réaliser des simulations. L’enjeu était la mise en place d’un plan d’occupation etd’aménagement des sols, avec définition des règles d’accès aux ressources. Lecahier des charges demandait la définition d’un zonage, de règles d’accès et demodes d’évaluation. Pour les modélisateurs, il s’agissait de préparer les élémentspour pouvoir modéliser la situation en temps réel, avec les acteurs.

Le protocole suivi a pris la forme d’un atelier de trois jours selon le déroulementsuivant :

– Jour 1 : identification des besoins avec les acteurs, à l’aide de supports carto-graphiques. Il s’agissait donc d’une première phase de mise en discussion du jeude rôles, qui était fait par les futurs joueurs.

– Jour 2, matin : conception du jeux de rôles pour représenter la dynamique dusystème par les acteurs locaux.

– Jour 2, après-midi : discussion des scénarios à simuler.

– Nuit 2 : réalisation, par les modélisateurs présents sur place, du modèle corres-pondant au jeu du deuxième jour.

– Jour 3 : simulations et discussions.

Le premier enseignement de SelfCormas est la bonne appropriation du modèlegrâce à l’implication des joueurs dans sa constitution. En fait, ce n’était plus laréalisation du modèle qui constituait une gageure, mais l’accessibilité de lamodélisation : une modélisation médiatrice puisque c’est autour d’elle que la dis-cussion s’est faite. Cette expérience a abouti à plusieurs demandes de reconduc-tion de ces ateliers, et a initié des recherches de renseignements plus précis.Par exemple, à la suite d’un des ateliers, les joueurs ont souhaité solliciterun zoo-technicien de l’Institut sénégalais de recherche agricole afin qu’il éclair-cisse un point particulier des relations entre gestion des ressources et maladiesdes animaux.

4. Éléments de discussion

Situation dans un processus de négociation

Si l’on reprend la trame de la démarche patrimoniale (figure 12), on constate quedans la première phase de constitution d’une représentation commune, les outilsque nous utilisons peuvent intervenir notamment lors de la discussion de la repré-sentation initiale, de la discussion des situations réelles, et de la constitution dujeu. Quant à la quatrième phase (test et choix d’un scénario), nos outils y inter-viennent pour la simulation des scénarios, la discussion des résultats de ces simu-lations, et la recherche d’informations complémentaires.

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Appropriation des représentations

Du fait que les joueurs ont participé à la construction du modèle ou au moins l’ontvécue, ils ont une meilleure capacité à suivre les simulations et à les interpréter.La diminution de l’effet boîte noire est donc sensible, bien que nous n’ayons pu lamesurer faute d’avoir trouvé les indicateurs adéquats. Les joueurs ont en tout caspu entrer dans la complexité des simulations par le jeu.

Légitimation

Je m’intéressais au départ aux questions de légitimité au niveau de l’usage dumodèle dans un processus de négociation, par rapport aux informations qu’il peutapporter. Ces questions se posaient un peu par opposition à la validation sou-haitée par les modélisateurs, qui ne me paraît pas pertinente en l’occurrence àmoins d’être une validation d’usage du modèle. La légitimité de SHADOC restedonc « virtuelle » parce qu’elle repose uniquement sur son usage – les gens ontbien voulu jouer, ils se sont intéressés au jeu mais le modèle n’a pas été utilisédans des processus de concertation réels. Toutefois, le jeu a comme on l’a vuengendré des discussions sur la réalité, sur les besoins de coordination que lesjoueurs pouvaient avoir. Remarquons qu’il y a sans doute plus d’implicationspour SelfCormas, qui a incité les gens à aller chercher ensemble des informationspour pouvoir aller plus loin. Dans tous les cas, un vrai travail sur la légitimiténécessite un suivi sur un pas de temps plus long.

Quel apprentissage ?

Du point de vue des chercheurs, l’apprentissage a porté sur le fonctionnement dusystème irrigué. Du point de vue des joueurs, il a porté sur les points de vue desautres acteurs. La démarche empruntée a favorisé la constitution d’une connais-sance commune, présentant dans un temps et un espace réduits des phénomènesqui durent normalement trois mois. Ayant vécu cela ensemble en unedemi-journée, ils pourront plus facilement en discuter ensuite. La question desavoir à quel point la constitution d’une connaissance commune peut être un fac-teur favorable à la concertation demeure toutefois posée.

Conclusion

Les SMA accompagnés de jeux de rôles sont donc intéressants d’une part poursimuler des systèmes complexes et dynamiques, et d’autre part pour partager etfaire partager des points de vue. D’autres usages sont également possibles pour laformation et la recherche.

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Table ronde

Jacques SalzerSciences de l’éducation, CERSO, universitéParis IX-Dauphine

Dans le cadre de mes recherches je m’intéressedepuis longtemps à la négociation et, bien quepas du tout informaticien, j’ai commencé à pra-tiquer les jeux de rôles en formation dès ledébut des années 1960 : c’est sur la base decette expérience que je souhaiterais réagir.

Tout d’abord, j’ai beaucoup apprécié l’idée defaire jouer les acteurs eux-mêmes, c’est-à-direpar exemple de vrais paysans, dans des vraislieux, qui vivent un problème proche de celuiauquel ils sont confrontés dans le jeu. C’est unedémarche relativement rare à mon avis, lesjeux de rôles étant plutôt utilisés en généralpour la formation. Je pense que cela peut ap-porter beaucoup à la prévention de conflits in-terminables dus à des malentendus. Après unevraie négociation, il est très rare que les diffé-rentes parties prennent une heure pour faire undebriefing, non seulement sur le fond mais surleur manière de négocier, alors que ce serait ex-trêmement utile pour les négociations ultérieu-res. Le jeu a l’avantage de réintroduire unedistance qui peut permettre de combler cemanque.

Je vous propose un autre exemple. J’ai partici-pé l’an dernier en Suisse à une expérience avecdix Palestiniens et dix Israéliens professeursd’histoire. Nous devions travailler sur la ques-tion théorique du conflit, mais il n’était pasquestion pour eux de s’attaquer au problèmebrûlant du conflit israélo-palestinien dans sonensemble. Nous voulions donc travailler surune sous-question tout de même fort intéres-sante : si un jour la paix s’établissait, Palesti-niens et Israéliens pourraient-ils enseigner lamême histoire à leur jeunesse ? On peut eneffet supposer que s’ils n’enseignent pas l’his-toire de la même manière, ils perpétueront leconflit dans les autres générations qui appren-dront des réalités différentes. Pourtant, l’éva-luation de la première journée de jeu consacréeà l’enseignement de l’histoire a fait apparaîtrequ’ils pensaient finalement indispensable detravailler sur des éléments du conflit israélo-palestinien lui-même. J’ai alors proposé un jeu

de rôle où un Israélien et un Palestinien,connaissant tous les deux le processus de mé-diation, jouent le rôle de co-médiateurs, oùdeux Israéliens et deux Palestiniens jouent lerôle de négociateurs, et où les autres soient ob-servateurs. La simulation de négociation por-tait sur un des thèmes de divergence (qui sediscutait par ailleurs entre représentants politi-ques à la même période à Camp David avecBill Clinton). De l’avis des participants, celaleur a permis d’avancer, au sens où chacun a puplus et mieux dire ce qu’il avait à dire, s’expli-quer et comprendre la position de l’autre. In

fine, ils se sont déclarés très satisfaits de l’ana-lyse et de l’écoute réciproque que leur avaitpermis le jeu de rôle. Il permettait un accord...sur leurs points de désaccord. Ils ont travaillépar la suite entre eux, sur le modèle de la mé-diation (sans se couper mutuellement, sanss’empêcher de parler...) mais en s’opposantconstructivement pour explorer les limites del’histoire commune qui pouvait être reconnueet enseignée de la même manière dans les éco-les palestiniennes et israéliennes.

La présentation d’Olivier Barreteau m’a aussibeaucoup rappelé le théâtre d’entreprise, danslequel des employés constituent une troupe etfont une enquête dans leur entreprise pour re-cueillir des témoignages sur des situations pro-blématiques, voire des conflits. Ils jouent alorsdes rôles qui ne sont pas les leurs, pour leurscollègues, et cela peut s’avérer très efficace.

Reste effectivement, lorsqu’on met en place unjeu, à obtenir l’acceptation des acteurs de la réa-lité en le présentant de manière adéquate. Ilconvient pour cela de souligner entre autresqu’il ne s’agit pas d’une performance, d’unspectacle, mais que chacun doit simplement agircomme il pourrait le faire s’il se trouvait dans lasituation qu’on lui propose. Cette phase de pré-paration avec les acteurs est capitale car ils doi-vent bien comprendre quel est l’objectif du jeu,comment il fonctionne, comment il a été monté,quel sens il a dans le contexte donné, etc. Aprèsle jeu, je crois qu’il est important de faire vrai-ment très attention à la façon de le relier aumonde réel. Le jeu peut ressembler à la réalitéou s’en distancier. Parfois de nombreuses

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réticences qui existent dans la réalité par rapport

à tel ou tel projet éventuel sont effacées dans le

jeu ou apparaissent dominantes alors qu’elle le

sont moins dans la réalité. D’où l’importance de

l’analyse du jeu avec les acteurs, aussi impor-

tante que le jeu lui-même.

Pour conclure, je voudrais souligner trois

points sur lesquels il convient à mon avis d’être

très vigilant avec les jeux de rôles, qui peuvent

aussi induire en erreur :

– Le premier risque vient du fait que le jeu de

rôles est avant tout présenté comme un jeu et

qu’il y a des observateurs : les acteurs peuvent

alors être emportés par l’exhibition et le spec-

tacle. Ils jouent alors davantage pour les obser-

vateurs que par rapport à la réalité de ce qu’ils

vivent et désirent. On peut alors être amené par

le jeu à aller plus loin dans le conflit ou au con-

traire dans l’accord, et à en tirer de mauvaises

interprétations, si on ne réintègre pas la réalité

dans la discussion qui suit.

– Le deuxième risque est que des enjeux cachés

demeurent non dits : il ne faut surtout pas croire

que tout est net et dévoilé dans un jeu de rôles,

puisque c’est quand même de la simulation.

– Enfin, il ne faut pas oublier que parmi les

différentes interactions complexes entre ac-

teurs, les émotions (par exemple la colère, la

tristesse, la honte ou la joie) sont importantes et

peuvent varier selon que l’on est dans le jeu ou

dans la réalité. Elles peuvent notamment être

amplifiées ou au contraire réduites, et cela mé-

rite d’être analysé. Grâce au jeu de rôles qui fait

ressortir les différences et les ressemblances

avec la réalité, les non dits des émotions peu-

vent ressortir et être perçus, alors que le risque

est de ne pas en parler et de croire que le jeu est

identique à la réalité.

Les conclusions que l’on peut tirer du jeu, sur

le fond des problèmes, doivent tenir compte

de l’ensemble de ces risques. Sous ces réser-

ves, le jeu de rôles me semble être un des

moyens les plus précieux pour approcher les

réalités humaines qui se glissent dans les réali-

tés environnementales.

Bernard Picon

Sociologue, directeur du DESMID, universitéd’Aix-Marseille II

Il se trouve que j’ai commencé ma carrière en

1966 dans un laboratoire de psychologie so-

ciale, avec François Bourricaud, auteur d’un

livre qui a pendant longtemps fait référence

sur les théories de l’autorité 1. Nous consti-

tuions, autour d’un sujet qui faisait débat, des

petits groupes de dix personnes, et par codage

systématique des prises de parole (technique

de Bells du « qui parle à qui »), il était pos-

sible de dégager et d’analyser comment s’éta-

blissaient des prises de pouvoir par la seule

capacité des uns ou des autres à affirmer leur

autorité par leurs modes d’expression dans les

débats. Ces types de recherche mériteraient

d’être réactualisés et adaptés aux réunions de

concertation dans lesquelles s’expriment re-

présentants de l’administration, élus, usagers.

Des rapports de domination ou d’exclusion

s’y dessinent indépendamment des positions

sociales des intéressés, et des décisions en

dépendent. Mon expérience – limitée – des

systèmes multi-agents me vient du suivi so-

ciologique apporté récemment à une thèse

d’informatique qui comprend une modélisa-

tion multi-agents du fonctionnement hydrau-

lique du delta du Rhône 2. On pourrait

naïvement attendre d’un outil informatique

d’aide à la décision, qu’en un simple « clic »,

il nous dise comment gérer l’eau de façon op-

timale pour l’hydrosystème. Bien sûr, ce n’est

pas si simple, d’abord parce qu’on a affaire à

des hommes (pêcheurs, agriculteurs, environ-

nementalistes, etc.) et à un système hydrau-

lique qui a une histoire. Il est géré depuis

longtemps de façon empirique selon la règle

des « trois 20 ». D’un commun accord, les ac-

teurs du delta ont décidé qu’il ne fallait pas

que le niveau de l’étang de Vaccarès dépasse

20 centimètres au-dessus ou au-dessous du ni-

veau de la mer, ni que sa salinité ne dépasse 20

grammes de sel par litre. Le système ne fonc-

tionne pas si mal ainsi, si bien que le multi-

agents, finalement, formalise une gestion em-

pirique et déjà ancienne du delta.

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1. Bourricaud (F.), 1970, Esquisse d’une théorie de l’autorité, Plon, deuxième édition, Paris.

2. Franchesquin (N.), 2001, Modélisation et Simulation Multi-Agents d’écosystèmes anthropisés : une

application à la gestion hydraulique en Grande Camargue, Thèse d’informatique (Université Aix-Mar-seille III).

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D’où ma première question : au-delà de l’aide àla décision, qu’est-ce qu’un SMA apporte surle plan scientifique ou cognitif ? Je comprendsqu’on puisse modéliser pour aider à la déci-sion, mais l’aide à la décision n’a jamais été unobjectif scientifique. Cet outil informatiquea-t-il aussi pour objectif scientifique d’apporterune meilleure appréhension du rapport hom-me/nature ? Je crois que c’est une question im-portante autant pour les organismes de re-cherche appliquée que fondamentale.

Ma deuxième question concerne de façon gé-nérale la fonction de ces nouvelles technolo-gies. La fonction visible semble en être l’aide àla décision. Mais ces outils ne véhiculent-ilspas un risque de conservatisme ? Au fond, onessaie de « mettre de l’huile informatique dansles rouages » entre des gens habilités à prendredes décisions, mais le processus de prise de dé-cision lui-même ne fait pas l’objet d’une ré-flexivité critique. Pour l’implantation d’uneautoroute, on se retrouve ainsi à essayer de fa-ciliter le jeu entre les préfets, les administra-

tions, les usagers, les élus, sans s’interroger surle jeu lui-même. Je veux bien admettre que l’onne soit pas payé pour contester, mais cela n’in-terdit pas de réfléchir à la règle du jeu. Ducoup, il me semble déceler derrière l’analyseou la facilitation des négociations une pointede conservatisme : voici comment cela fonc-tionne, efforçons-nous que cela fonctionne en-core mieux grâce à nos nouvelles technologies.

Enfin, ma dernière question concerne les rela-tions entre acteurs et experts. Derrière l’appa-rent souci démocratique de la parole donnéeaux acteurs dans les jeux de rôles, il y a l’expertqui donne la parole, et cet expert incontestéest le seul à bien maîtriser les technologieset l’informatique. Cela ne cache-t-il pas un ren-forcement du pouvoir des experts ? On parlebeaucoup en ce moment de la puissance tropgrande donnée aux experts et du rééquilibragede leurs relations avec les citoyens, mais je medemande si les expériences que l’on nous a pré-sentées ne contribuent pas à accroître cette dis-tance entre l’expert et le citoyen.

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Discussion avec le public

Olivier PetitC3ED, université de Versailles – Saint Quentinen Yvelines

D’abord, Olivier Barreteau a affirmé qu’on nepouvait pas aider la négociation en la modéli-sant : j’aimerais savoir sur quoi repose cetteaffirmation.

Ensuite, je voudrais faire un parallèle avec lapremière séquence consacrée au CD-Rom LaFrancilienne. Tel que présenté par Laurence deCarlo et Jean-Pierre Choulet, il semble collerau plus près à la réalité des acteurs. Dansl’exemple du SMA concernant les périmètresirrigués sénégalais, au contraire, on a affaire àdes « scénaristes » qui donnent une représenta-tion abstraite de la réalité, à travers un systèmeirrigué virtuel que l’on propose à des acteursqui eux sont concrètement, quotidiennementconfrontés à une situation et à des problèmes.Qu’est-ce que cela apporte par rapport à l’outilutilisé pour la Francilienne ?

Jean-Marie AttonatyLaboratoire d’économie publique, INRA

La figure 6 fait apparaître le lien entre terrain,modèle et simulation, mais il n’y a pas de« problèmes ». Comment arrivent-t-ils ? Quien sont les porteurs ? Comment se fait leuridentification et leur légitimation ? Quelle rela-tion y a-t-il entre le problème et le modèle ?Bien souvent on fait un modèle pour résoudreun problème, mais une fois qu’on a fait le mo-dèle on s’aperçoit que le problème n’est pascelui que l’on avait posé au départ. Ne fau-drait-il pas compléter la figure ? Olivier Barre-teau a bien dit que le modèle relevait d’unevolonté d’aide à la décision, de résolution deproblèmes, mais la manière de les définir n’apas été envisagée, pas plus que celle de relier lemodèle et les acteurs aux porteurs des diffé-rents problèmes qui sont en conflit les uns avecles autres. C’est à mon avis une question sur la-quelle il faudra débattre dans l’avenir des SMAet des jeux de rôles.

Olivier BarreteauJe voudrais d’abord faire une remarque suiteaux commentaires de Jacques Salzer. Il se

trouve qu’en fait au Sénégal nous avons pré-senté le jeu de rôles comme un théâtre, toutsimplement parce que le jeu de rôles y est in-connu alors qu’il y a depuis longtemps des for-mes de théâtre rural.

Pour ce qui est du risque que les acteurs soientemportés par le côté spectacle du jeu et faus-sent ainsi en partie la simulation, j’ai remarquéqu’on a effectivement cette possibilité quandon joue avec des gens qui ne sont pas directe-ment concernés (en particulier en formation àla gestion des systèmes irrigués et/ou aux sys-tèmes multi-agents en écoles d’ingénieurs –formation initiale ou continue). En revanche,quand on joue avec des gens qui sont concer-nés, il semble que le risque soit beaucoupmoins présent. Il peut y avoir d’autres formesde dérive, de manipulation, que pour l’instantnous ne percevons pas – la thèse en cours deWilliam’s Daré au CEMAGREF s’intéresse enpartie à cette question.

Je voudrais enfin souligner que lorsqu’on ajoué sur trois jours, les participants ont jouépour apprendre le premier jour, pour simuler ledeuxième. Nous avions la petite crainte qu’ilsne se rencontrent entre les deux jours et qu’ilss’entendent sur les scénarios. Cela ne s’est pasproduit, soit que les participants n’étaient pasintéressés par le jeu soit qu’ils n’aient pas cher-ché à « tricher ».

Laurent MermetLes SMA constituent-ils un amortisseur dechangement greffé sur la situation, comme lesuggérait Bernard Picon ?

Olivier BarreteauLa question paraît tout à fait intéressantepuisque notre point de vue n’est effectivementpas de nous intéresser au processus de négocia-tion, au sens où on l’accepterait tel qu’il est.Nous y sommes néanmoins attentifs à traversles choix des partenaires de terrain et des cassur lesquels nous travaillons. Mais en la ma-tière le CEMAGREF et le CIRAD ont décidéde travailler sur des méthodes d’appui aux pro-cessus de concertation. C’est sans doute une

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approche plutôt « ingénieur », mais pour moil’apport scientifique de nos travaux se situebien au niveau méthodologique, de productiond’outils et de méthodes pour faciliter des pro-cessus de concertation en servant de support dediscussion. L’évaluation d’un point de vue« sciences sociales » de ces expérimentationsest en cours.

Autre question : pourquoi ne peut-on pas aiderla négociation en la modélisant ? C’est un pointde vue personnel, mais je ne pense pas qu’ilsoit très utile de donner à un acteur un modèlede lui-même. Il est plus intéressant de lui don-ner soit un modèle des autres, soit de l’aider àcibler un enjeu partiel complexe. Si on prendl’exemple de l’eau en Camargue, la modélisa-tion ne va pas porter sur comment les gens né-gocient, mais sur l’influence des règles etdécisions possibles sur la gestion de l’eau.

Enfin, pour moi les problèmes sont présentsdans la figure 6 à travers la rubrique « hypothè-ses et questions » : les hypothèses qu’on faitsont fonction des problèmes qui ont été détec-tés et interprétés. Je suis par ailleurs entière-ment d’accord que les problèmes vont évoluerau cours du travail : lorsqu’on revient sur unterrain avec un modèle, non seulement le pro-blème perçu par le chercheur a évolué en fonc-tion des simulations qu’il a faites, mais en plusle terrain (au sens large, incluant les acteurs, lesparties prenantes, les différents problèmes quise posent) a évolué en fonction de différentsparamètres... dont l’intervention du chercheur.

Maya LeroyCentre national d’études agronomiquesdes régions chaudes

La recherche qui nous a été présentée afficheun objectif d’aide à la décision et de support àla négociation pour des usagers d’un périmètreirrigué dans un objectif de gestion des ressour-ces naturelles. Cette recherche a lieu dans uncontexte décisionnel et politique concret. Il y ad’abord des arbitrages importants en cours dediscussion sur les usages de l’eau du fleuve Sé-négal et un certain scepticisme des bailleurs defonds sur la viabilité de l’irrigation dans lavallée du fleuve. Il y a ensuite un processus dedécentralisation et de transfert des compéten-ces de l’État aux communautés rurales(dénommé « régionalisation en matière d’envi-ronnement et de gestion des ressources naturel-

les »). Enfin l’exercice que vous avez mené– le jeu – a eu lieu au moment des élections auSénégal.

J’aimerais donc savoir plus précisément com-ment vous réglez le « statut » de cette rechercheau sein du collectif de chercheurs. Quel statuta-t-elle vis-à-vis du commanditaire ? Quel statuta-t-elle dans le processus d’action concret ?Quel retour faites-vous et comment analysez-vous l’intervention ? D’autre part, quel statut lesagriculteurs ont-ils donné à cet exercice ? Com-ment ont-ils perçu ce jeu, cette « aide à la dis-cussion », sachant que vous retourniez sur unterrain où vous aviez déjà longuement travaillé,mais à un moment particulier – celui des élec-tions présidentielles.

Enfin, vous affichez un travail orienté vers unobjectif de gestion des ressources naturelles,mais il semble qu’il s’agisse avant tout, dans cejeu de rôles associé à un système multi-agents,de gérer de l’eau pour la production de riz, degérer des problèmes financiers pour lancer lacampagne agricole, etc. Quelle est réellementla dimension environnementale, disons « éco-logique » de ce travail ?

Olivier BarreteauJe vais répondre en distinguant les deux expé-riences qui sont assez différentes de ce point devue.

Dans le premier cas (les systèmes irrigués dansla moyenne vallée), nous n’avions pas de com-mande spécifique d’un bailleur de fonds. Maisla littérature, importante sur ce sujet, donnait desrecommandations allant dans des sens différentsselon l’origine de l’expert rédigeant le rapport etselon l’origine de sa commande. Cela nous adonné envie de prendre un point de vue cher-chant à regrouper les différents diagnostics, via

la question de la viabilité de ces systèmes irri-gués, viabilité entendue comme la longévitésans intervention extérieure forte. Il y a alors eudeux temps très nettement séparés dans ce tra-vail. Dans un premier temps, nous avons menédes recherches pour essayer de comprendre lesliens éventuels entre viabilité et modes de coor-dination entre acteurs dans les systèmes irrigués,avec la volonté de tester au niveau méthodolo-gique l’outil particulier qu’est le systèmemulti-agents. Il n’y avait donc là qu’un objectifde connaissance. Dans un deuxième temps, lacapacité qu’a eu le jeu de faire discuter les

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acteurs de leurs systèmes réels nous a incités àcontinuer à travailler sur l’usage de ce typed’outils en aide à la concertation.

Donc, à aucun moment nous n’avons été pré-sentés ni par un bailleur de fonds, ni même parl’extérieur. Simplement, au début la SAEDnous a présentés aux agriculteurs afin que nouspuissions discuter avec eux. Tous les entretiensse sont ensuite passés de manière complète-ment indépendante. Deux ans après, cette in-troduction par la SAED, qui tenait plutôt lieud’autorisation à travailler dans la région, étaitprobablement oubliée.

Dans le cas de l’atelier de 3 jours avec NjoobariIlnoowo, le jeu avait été présenté comme élé-ment d’une formation, l’atelier ayant lieu auCIFA 1. Les participants étaient défrayés deleur déplacement, logés et nourris durant lestrois jours. Ils n’avaient pas d’attente spéci-fique par rapport au jeu. Par contre, à la fin, unebonne moitié d’entre eux m’ont demandé àavoir les cartes ou le jeu pour pouvoir s’en ser-vir de retour dans les villages. On ne les a pasdonnés tout de suite, de façon à réaménager unpeu le jeu suite aux réactions et à se donner lesmoyens de pouvoir suivre les usages qui en se-raient faits afin de pouvoir les analyser. Ensuiteon a eu des problèmes de financement pourpouvoir revenir, si bien que nous n’y sommesretournés qu’en juin 2001 pour présenter Wil-liam’s Daré et le travail de thèse qu’il va ac-complir là-bas. À cette occasion certainsparticipants à l’atelier de formation nous ont si-gnifié qu’ils étaient bien contents qu’on re-vienne et qu’ils commençaient à ne plus ycroire.

Par rapport à l’expérience de Patrick, je préfèrelui laisser la parole et que les gens intéressésprennent connaissance directement de sestravaux 2.

L’enjeu pour nous, maintenant que nous avonsfranchi une étape, que nous avons l’impressionque le jeu a été bien accepté et favorise effecti-vement les discussions, est de se donner lesmoyens de mieux interpréter ce qui se passedans le jeu par rapport aux jeux sociaux réels.

William’s DaréCEMAGREF

Par rapport à la question de Maya Leroy et aucadre politique dans lequel s’inscrit ledeuxième exemple, les plans d’occupation etd’aménagement des sols ont commencé sur ledelta sous forme d’expérience pilote, avantd’être institutionnalisés. Les POAS sont au-jourd’hui entrés dans le cadre législatif et sesont généralisés à l’ensemble de la vallée.

Hubert KiekenDépartement Environnement, ENGREF

Suite à la présentation, il me reste un doute surle statut des systèmes multi-agents. La termi-nologie utilisée m’a parfois posé problème. Enparticulier je n’arrive pas à comprendre le rôleconféré à ces outils : ont-ils une fonction essen-tiellement heuristique pour explorer les confi-gurations du système virtuel, ou ont-ils aussiune valeur prédictive ? J’ai en effet cru com-prendre que l’approche était essentiellementheuristique : vous étudiez des configurationsdu système en regardant comment elles sontmodifiées en fonction des règles de coordina-tion des agents, et comment ces modificationsaffectent ou non la viabilité du système. Pour-tant, sur le transparent présentant les objectifsde la modélisation, vous dites également queles SMA sont, en définitive, « des outils poursimuler l’évolution des systèmes irrigués ».J’ai donc l’impression qu’il y a là un glisse-ment sémantique, et je me pose la question desraisons de ce glissement.

Olivier BarreteauS’il y a un doute sur ce point, je dois pouvoir lerésorber : c’est clairement le rôle heuristiqueque nous conférons aux systèmes multi-agents.Le principe est bien de représenter un systèmeirrigué virtuel et de simuler comment il se com-porte dans différents cadres d’hypothèses pourmieux comprendre sa dynamique. À propos ducas de Patrick d’Aquino, SelfCormas a égale-ment un rôle heuristique dans la mesure où,même s’il est pris dans un cadre opérationnel,

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1. Centre de formation agricole de la vallée.2. La plupart des travaux sur l’usage des jeux de rôles et des systèmes multi-agents sont accessibles sur lesite suivant : <http://cormas.cirad.fr>.

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l’usage des simulations, qu’elles soient infor-matiques ou jouées, permet d’identifier lespoints sur lesquels on a besoin d’en savoir da-vantage. Il s’agit donc d’essayer de mieuxcomprendre le système, de le représenter d’unefaçon qui permette d’explorer un peu de sacomplexité, de mettre en évidence les pointsd’ombre qui vont amener à aller chercher d’au-tres outils et des expertises spécifiques.L’avantage est alors que ces expertises serontattendues et correspondront à des besoins pré-cis des acteurs sur le terrain. En aucun cas unsystème multi-agents n’a de valeur prédictive.

Bernard ReberConcernant l’éventuel caractère conservateurdes nouvelles technologies, je voudrais souli-gner qu’il y a beaucoup de recherches parexemple sur l’utilisation d’Internet par lesmouvements associatifs, et il s’avère que cetoutil aide plutôt les faibles que les forts.

Bernard PiconMa question était un peu provocante mais elletraduisait aussi un souci pour moi bien réel. Jevoudrais toutefois dire à présent qu’il y a dans lamodélisation qui nous a été présentée quelquechose de révolutionnaire au niveau scientifique,qui est de créer un modèle dans lequel interagis-sent des êtres non humains et des êtres humains.Si l’on considère que la question de l’environne-ment est à l’interface entre la nature et la société,créer des modèles de situations qui intègrent à lafois des données humaines et des données natu-relles est une grande avancée.

Laurent MermetIl est assez difficile, lorsqu’on est dans l’uni-vers de modélisation ou des jeux de rôles, de

faire fonctionner des débats réunissant lespoints de vue du formateur, du chercheur qui apu fournir des données ou des systèmesconceptuels, et du modélisateur. On voit biensûr les deux présentations de cet après-midil’effort de réflexion qui peut être fait dans laconception d’outils complexes, mais on peutaller plus loin en associant des chercheurs à ladémarche de réflexivité. En revanche, il faut uncertain nombre de cadres pour y réfléchir, alorsque l’on a tendance à se retrouver soit dans desenceintes de débats exclusivement consacréesà l’univers pratique de la formation et de la pé-dagogie, soit dans des arènes plus scientifiquesqui posent de façon assez arbitraire des verrousdécourageant de discuter des applications pé-dagogiques. Je crois que nous avons réussi au-jourd’hui à ne pas nous enfermer ni dans lapromotion d’une méthode ou de la pratiquepure du pédagogue, ni dans le regard complète-ment distancié des sciences sociales par rap-port à ce genre de pratiques.

On n’en mesure pas moins tout le chemin quireste à parcourir pour instaurer un débat réelle-ment constructif, par exemple entre les modéli-sateurs et les chercheurs qui travaillent demanière beaucoup plus précise en amont de lamodélisation, afin d’apporter un regard cri-tique et scientifique sur les modèles proposéspermettant de tirer le maximum de ces éclaira-ges et d’établir des croisements. Pour la modé-lisation, l’obligation d’explicitation est un peul’avantage correspondant à l’inconvénient dela simplification. Je voudrais souligner à cepropos qu’un des mérites des équipes qui tra-vaillent aujourd’hui sur ces questions est de re-chercher le débat et de ne pas reculer devantd’éventuelles mises en cause.

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