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A. van de Vyver La victoire contre les Alamans et la conversion de Clovis In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 15 fasc. 3-4, 1936. pp. 859-914. Citer ce document / Cite this document : van de Vyver A. La victoire contre les Alamans et la conversion de Clovis. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 15 fasc. 3-4, 1936. pp. 859-914. doi : 10.3406/rbph.1936.1193 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1936_num_15_3_1193

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A. van de Vyver

La victoire contre les Alamans et la conversion de ClovisIn: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 15 fasc. 3-4, 1936. pp. 859-914.

Citer ce document / Cite this document :

van de Vyver A. La victoire contre les Alamans et la conversion de Clovis. In: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 15fasc. 3-4, 1936. pp. 859-914.

doi : 10.3406/rbph.1936.1193

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1936_num_15_3_1193

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LA VICTOIRE CONTRE LES ALAMANS

ET LA CONVERSION DE CLOVIS

Trois siècles de discussions n'ont point réussi à établir hors de conteste à quelle date et de quelle manière Clovis soumit les Alamans ; s'il y eut quelque rapport entre sa victoire et sa conversion ; de quelle façon celle-ci s'opéra ; où et quand le baptême eut lieu. Depuis plus d'un demi siècle, l'édition et l'étude des sources ont précisé bien des points de détail, mais en multipliant les points de vue et les explications. Cependant, à travers les méandres des discussions et des hypothèses, on peut découvrir un lent cheminement progressif, passant par les points acquis, à côté des réalités entrevues ou sur les possibilités éliminées.

I. — L'évolution des Controverses.

On a reconnu de bonne heure (*) qu'en ce qui concerne ces questions, le Ps.-Frédégaire (vers 642) et VHist. gentis Franc. (vers 727) dépendent de Grégoire de Tours, HF., II, 29-31 (vers 575). En fournissant les éléments d'une chronologie de la vie et des œuvres de Boèce, de Cassiodore et d'Ennode, le philologue H. Usener fit remarquer dès 1877, que la lettre Cassiod.

(1) Cependant God. Kurth, Et. crit. sur le « Gesta regum Franc. », Bulletin Acad. de Belgique, 3e série, t. XXIII (1889), p. 261-291 et L'histoire de Clovis d'après Frédégaire, Revue des Questions historiques, t. 47 (1890), p. 60-100, eut encore à défendre la supériorité de YH. F. sur ces deux sources, auxquelles, pour l'histoire de Clovis, même un Léop. von Ranke, Weltgesch., t. IV, 2 (1883), p. 350 ss. continuait à donner la préférence. — Sur l'état actuel des discussions, cf. S. Hellmann, Das Fre- degarproblem, Hist. Vierteljahrschr., t. 39 (1934), p. 36-92.

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Var. II, 41, que Théodoric le Grand (le roi ostrogoth, maître de l'Italie) adressa à Clovis au sujet de sa victoire contre les Alamans, est postérieure à 501. A cette époque, on fixait le baptême du roi franc en 496 d'après Grégoire ; car cette date paraissait confirmée par la lettre de félicitations du pape Anastase (24 nov. 496-17 nov. 498), et la connexion entre la bataille et la conversion par la lettre de félicitations du métropolite de la Burgondie, Avit (solutus adhuc nuper populus captivus, viserait les Alamans). Dès lors le critique admit, que la lettre de Théodoric supposerait une seconde campagne, que le roi franc aurait entreprise à la suite d'un soulèvement des vaincus de 496 Q). Cette thèse fut défendue en 1884 par H. von Schubert dans une monographie très méritoire (2). Mais elle s'appuyait aussi sur la vita Vedastis, d'après laquelle les Alamans se seraient soumis en 496 avec leur roi. Grégoire de Tours aurait mentionné que celui-ci mourut dans la bataille pour rendre la victoire et la générosité de Clovis plus impressionnantes. La bataille de Tolbiac (Zulpich, près de Cologne), qu'on identifiait souvent avec celle de 496, aurait eu lieu auparavant. Car, Grégoire de Tours, HF., II, 37, dit seulement qu'à Vouillé (en 507), Clovis fut aidé par le fils du roi des Ripuaires, Sigebert, qui boitait depuis qu'il avait combattu les Alamans à Tolbiac. L'historien des Francs n'établit point explicitement un rapport entre cette bataille et celle que Clovis aurait gagnée en 496 (d'après Grégoire), entre Toul et le Rhin suivant la vita Vedastis (mettons aux environs de Strasbourg), en attendant qu'il soumit définitivement les Alamans au début du vie siècle (d'après la lettre de Théodoric). Ainsi, en forçant l'accord des documents (mort du roi), on en arrivait à une série de batailles contre les voisins de l'est.

Mais J. Havet démontra en 1885 (3) que la lettre du pape

(1) Anecdoton Holden. E in Beitrag zur Gesch. Roms in ostgothischer Zeit. Festschrift zur Begrüssung der XXXII. Versammlung dt. Phil. u. ScHULMàNNER zu "WiESRADEN, Bonn, 1877, p. 38-40 et 70 .

(2) Die Unterwerfung der Alamannen unter die Franken, Inaug. Diss, Strasbourg, 1884.

(3) Questions mérovingiennes, Bibl. Éc. d. Chartes, t. 46, p. 259 et 243 (=Œuvres, Paris, 1890, t. I, p. 46 ss). Ses preuves ont été renforcées

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Anastase est un faux de l'Oratorien Jérôme Vignier (f 1661), tout comme le compte-rendu du Colloque que des évêques catholiques et ariens auraient tenu à Lyon en 499, sous la menace de Clovis d'attaquer Gondebaud, s'il ne se convertissait (guerre de Burgondie, 500-501). Fr. Vogel qui venait d'éditer les œuvres d'Ennode (1), assimila alors (2) la bataille de 496 (d'après Grégoire de Tours) à celle de 506, d'après les données de la biographie de Cassiodore et de Boèce (destinataire de Var. II, 40) et la date du panégyrique du diacre de Milan (qui place la déroute des Alamans après la guerre de Sirmium 504-5), puisque d'après tous ces auteurs le roi des Alamans mourut dans la bataille. Vogel rejeta la chronologie de Grégoire et plaça le baptême du roi franc à la Noël qui suivit son succès sur les Alamans (506). Il est compréhensible que très tôt on ait établi un rapport de cause à effet entre deux événements qui se suivirent de près. Mais Br. Krusch qui s'était distingué par une étude sur le Ps. Frédégaire (3) et avait collaboré à l'édition critique de Grégoire de Tours (1884), répliqua vertement à l'éditeur d'Ennode (4). Il reconnaît avec lui qu'il faut rejeter l'hypothèse que Usener et von Schubert avaient faite de deux batailles gagnées par Clovis sur les Alamans (en 496 et en 506). La mort de leur roi dans la bataille est rapportée, en effet, aussi bien par Cassiodore et Ennode que par Grégoire. Mais Krusch tranche la difficulté comme Waitz (5), en admettant que Théodoric aurait rappelé seulement l'ancien succès de Clovis, pour mieux l'engager à ne point poursuivre présentement les vaincus. En redressant plusieurs erreurs de Vogel, Krusch condamnait sans recours cette belle étude. Depuis il a

(cf. ιδ., t. 47, p. 355) par le Chan. U. Chevalier, Œuvres de S. Avit, Lyon, 1890, p. 158, n. et 172, n. 2 ; T. Desloge, L'Université cath., Nouv. sér. t. IV (1890), p. 67 ss. ; H. Rahner, S.J., Die gefâlschten Papstbriefe aus dem Nachlass von Jér. Vignier, Diss. Bonn, 1935. Cf. E. Caspar, Gesch. d. Papsttums, t. II, Tubingen, 1933, p. 762.

(1) Monum. Germ. hist., AA., t. VIII (1883). (2) Hist. Zeitschr., t. 56 (1886), p. 385-403. (3) Neues Archiv, t. VII (1882), p. 247-351 ; 421-516. (4) Neues Archiv, t. XII (1887), p. 289-301. (5) Dt. Verfassungsgesch., t. II, l3 (1882), p. 55-56.

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pu se plaindre (x), d'avoir exposé déjà à quatre reprises, sans succès, une thèse beaucoup plus radicale. Cette triste destinée lui eût été épargnée sans doute et la vérité historique mieux servie, s'il était intervenu dans le débat avec plus d'acribie à un moment décisif.

La même année (1887), Hauck dans la première édition de sa Kirchengeschichte Deutschlands mit à l'avant-plan le témoignage de l'évêque Nizier de Trêves, s' efforçant de distinguer dans le récit de Grégoire deux sources d'origine et de tendance différentes : la lettre de Nizier (conversion par Clotilde, d'après une tradition ecclésiastique, cf. HF. II, 29 et 31) et la vita Vedastis (conversion lors de la bataille, d'après une tradition populaire, cf. HF. II, 30). Des contradictions dans le récit de Grégoire décèleraient cet amalgame et obligeraient à choisir entre les deux versions. Hauck se décide pour celle de Nizier, parce que dans sa lettre de félicitations, Avit ne parle pas de l'influence que la victoire aurait exercée sur la conversion de Clovis. Seulement, en 1893, Krusch démontra (2) que la vita Vedastis fut rédigée vers 642 à Arras par Jonas de Bob- bio qui copia Grégoire de Tours. De plus, il fit valoir que le témoignage de l'évêque de Trêves s'oppose radicalement à celui de l'évêque de Tours. D'après YHF. Clovis hésita entre le paganisme et la religion de Clotilde ; il se convertit à la suite de son vœu sur le champ de bataille et un nouveau miracle, grâce auquel les antrustiones assemblés acclamèrent spontanément le Dieu de Remi, dès que Clovis s'apprêta de leur en parler. D'après Nizier, Clovis hésita entre l'arianisme des rois Goths et le catholicisme des Gallo-Romains (d'après ce qu'on lirait aussi dans la lettre de félicitations d'Avit) et la cause décisive de sa conversion auraient été les miracles qui se produisaient à Saint-Martin de Tours. Témoin de ces prodiges, baptizare se sine mora promisit, dit Nizier. Conjecturant permisit (avec les éditeurs), Krusch admet que le baptême aurait eu lieu, non point à Reims, mais à Tours. Grégoire de

(1) HlST. VlERTELJAHRSCHR., t. 28 (1933), p. 560. (2) Zwei Heiligenleben des Ionas v. Susa, Mitteil. d. Inst. f. oesterr.

Gesch., t. XIV, p. 427-448.

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Tours ne pouvait ignorer ce fait, mais grand ennemi des Ariens, il aurait voulu cacher qu'à Tours Clovis hésita entre l'arianisme et le catholicisme et c'est pourquoi il omet de mentionner l'endroit, où eut lieu le baptême, se contentant de nommer Remi (qui en réalité aurait officié à Tours en l'absence de l'évê- que exilé par les Visigoths). Comme Tours ne fut pas aux mains des Francs avant 507, Clovis se serait fait baptiser dans cette ville au retour de sa conquête du royaume d'Alaric II. Jonas de Bobbio et le Ps. Frédégaire ont placé le baptême à Reims, parce qu'ils auraient été induits en erreur par Grégoire et c'est cette légende (développée par Hincmar) qui aurait donné lieu aux cérémonies du sacre des rois de France (*).

En 1888, God. Kurth avait analysé les sources de l'histoire de Clovis dans Grégoire de Tours (2), suivant la méthode de

(1) Sans doute afin que la question de la conversion de Glovis eût été présentée suivant toutes les hypothèses possibles (et surtout impossibles), W. Gundlagh, l'éditeur des Ep. austrasicae, admit N.A., t. XHI (1888), p. 381-382 et XV (1890), p. 245, n. 1, que la lettre de l'évêque de Reims Remi, à Clovis, qui succédait « dans l'administration de la Belgique Seconde », laisserait supposer que le roi franc et une grande partie de son peuple étaient déjà convertis dès avant la bataille de Soissons, parce que l'évêque de Reims écrit (M.G.H., Ep. III, p. 113, 16) : hoc imprimis agendum est ut Domini iudicium a te non vacillet ; ... sacerdotibus tuis debebis déferre et ad eorum consilia semper recurrere. Dans la lettre qu'il adressa à Clovis à l'occasion de son baptême, Avit, évêque de Vienne (en Burgondie) et comme le primat des Gaules, rappelle que depuis bien longtemps le roi lui prodiguait des marques de déférence. Hauck, Kir- chengesch. t. I4 (1904), p. 596-597, estimait que la lettre de Remi fut écrite, lorsque le Franc succéda à son père Childéric (cf. de même M. Bloch, infra p. 871, n. 4 cit., p. 165) ; mais L. Schmidt, Hist. Jahrbuch, t. 48 (1928), p. 612, la place avec raison après la victoire de Clovis sur Syagrius. Sub- sidiairement, elle constitue une invite au roi à se convertir. Le ton en est très différent de celle que l'évêque de Reims adressa au roi franc après la mort de sa sœur qui s'était convertie avec lui. Mais Krusch ne fait même pas allusion aux remarques de Gundlach, qui avançaient déjà les thèses qu'il défend : supériorité du témoignage de Nizier (comme pour Hauck), promisit à corriger en permisit, Reims suspect. Ces notes étaient remarquables en ce qu'elle abandonnaient les hagiographes postérieurs pour les documents contemporains.

(2) Les Sources de l'histoire de Clovis dans Grégoire de Tours, Revue pes questions historiques, t. 44 (oct. 1888), p. cS3-447,réiinprinié avec

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G. Monod (*). Sans avoir égard à la monographie de von Schubert (1884), à la controverse de Vogel et Krusch (1886), aux hypothèses de Hauck (1887), il rapportait à des Annales de Tours qui auraient été rédigées par lustres, la date de « la bataille dite de Tolbiac (496) » et toute la chronologie prétendument quinquennale que Grégoire présente des événements du règne de Clovis. Il déclarait (à la suite de Junghans) (2), que le récit de la bataille proviendrait d'une vita Remigii plus ancienne que celle, qui a été éditée à tort sous le nom de For- tunat et ne mentionne même pas la conversion de Clovis. Cette hypothèse, contre laquelle von Schubert s'était déjà élevé (3), fut maintenue par l'auteur (4), même après que Krusch en eut montré l'inanité (5). Elle est totalement abandonnée de nos jours (6). Cependant, dans son Clovis (1896), Kurth plaça (comme v. Schubert) la victoire du roi ripuaire Sigebert à Tolbiac avant celle remportée par Clovis en 496 d'après Grégoire de Tours. Celle-ci, déclarait-il quelque part en note, aurait été suivie « de nouveaux combats qui paraissent s'être échelonnés sur plusieurs des années suivantes et n'avoir pris fin que dans les premières années du vie siècle » C7). Dans son

quelques modifications dans ses Etudes franques, t. II (Bruxelles, 1919), p. 207. — Sur l'œuvre de G. Kurth, cf. H. Pirenne, Annuaire de l'Académie royale... de Belgique, 1924, p. 193-261.

(1) Etudes critiques sur les sources de l'histoire mérovingienne, Bibl. Éc. Hautes Étud., t. VIII (Paris, 1872).

(2) Childerich und Chlodovech, 1857 (trad. Monod, 1879), p. 53. (3) Loc. sup., p. 860, n. 2 cit., p. 136-140. — G. Monod, l. L, p. 99,

ayant cru reconnaître des restes d'hexamètres dans le récit de Grégoire, H. v. Schubert, l. L, p. 140, supposa qu'ils provenaient d'un poème de Vénance Fortunat sur la conversion de Glovis.

(4) Cf. Etudes franques, t. II (Bruxelles, 1919), p. 273. (5) Reimser Remigius-Fâlschungen, Neues Archiv, t. XX (1895),

p. 509. — Les Analecta Bollandiana, t. XV (1895), p. 348-349, lui ont donné raison.

(6) Même W. v. d. Steinen, l. infr. p. 881, n. 2 cit., p. 435-438 ne s'y arrête plus.

(7) Première édition (Tours, 1896), p. 314, n. 1 ; 315, n. 1 ; 317, n^ 1 ; 319 ; 613 ; 2° édit. (Paris, 1901), t. I, p. 302, n. 1 et 2 ; 305, n. 1 ; t. II, p. 273. — Dans le texte, Kurth, 1° éd., p. 317, n. 1, 2* édit., p. 305, n. 1. date la lettre de Théodoric « pas avant 507 » (comme Mommsen), mais

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édition des Variae (1894), Mommsen venait d'établir, en effet (*), que les lettres écrites par Cassiodore durant sa questure, ne sauraient être datées plus tôt que vers 507 et notamment Var. II, 41, adressée par Théodoric à Clovis au sujet desAla- mans. Sur ce point, le grand historien précisait les données fournies par Usener et Vogel. Néanmoins, il accepta la chronologie de Grégoire, parce qu'il admit, comme tout le monde à cette époque (il ignorait encore l'étude de Krusch de 1893), que solutus adhuc nuper populus captivus dans la lettre d'Avit à l'occasion du baptême de Clovis, faisait allusion à la victoire sur les Alamans, que de toute façon Grégoire place avant la guerre de Burgondie (500), tout comme le baptême. De cette victoire unique, en 496, (puisque la mort du roi alaman est mentionnée par Cassiodore et Ennode aussi bien que par Grégoire), Mommsen se contenta de distinguer une simple receptio Alamannorum intra fines regni Theodericiani, qui aurait eu lieu dix ans plus tard, reprenant l'argument, dont (à la suite de Waitz) Krusch s'était servi autrefois contre Vogel : Théodoric ne rappellerait en 507 les anciens succès de Clovis que pour mieux l'engager à ne point poursuivre les vaincus de 496. Kurth n'admit point cette interprétation, dont le contresens est manifeste: la lettre vise une victoire récente (2). Dès lors

dans l'appendice, Ie éd., p. 613 , 2e éd., t. II, p. 273, il conserve encore l'ancienne datation de Usener : « pas avant 501 ». — Dans la lre édition de sa biographie de Clovis, Kurth ne faisait guère de cas de l'étude de Krusch (1893), qu'il cite seulement à propos de la Vita de S. Jean de Réomé (p. 604) et point à propos de S. Vaast (p. 610) ou de Nizier, dont il ne plaça la lettre parmi les sources de l'histoire de Clovis, ni dans la première, ni dans la deuxième édition de son Clovis. La troisième édition, posthume, (Bruxelles, 1923), dépourvue de notes, est à négliger, (Krusch Neues Archiv, 1932, p. 466, l'ignore d'ailleurs).

(1) M.G.H., AA., t. XII, (1894), p. xxxni. (2) C. Cipolla, Considerazioni sulle « Getica » di Jordanes, Memorie

Accad. Se. Torino, Serie II, t. 43 (1893), p. 106-108, — ■ spécialiste de l'histoire italienne du ve-vie siècle — reconnaissait également que Théodoric fait allusion à. une victoire récente et que le corpus desVariae de Cassiodore ne comporte des lettres que de « 509 à 538 ». Admettant sans plus la bataille de 496, il suggérait cependant que les plus anciennes de ces lettres pouvaient remonter à peu de temps après cette date.

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si l'on veut maintenir également la victoire qui eut lieu en 496 d'après Grégoire, il convient d'abandonner la thèse de la victoire unique, acceptée par Vogel (506), Krusch en 1887 et Mommsen (496). Cependant, il restait une difficulté soulevée par Vogel : la mort du roi alaman dans la bataille est mentionnée aussi bien par Grégoire que dans la lettre de Théodoric et le panégyrique d'Ennode. Kurth néglige le témoignage d'Ennode, dont Mommsen avait cependant précisé la valeur chronologique et il avance que Théodoric ne dit pas quand le roi a péri, quoique la lettre de 506-7 place manifestement ce fait parmi les mêmes événements récents, au sujet desquels elle s'adresse à Clovis.

Dans une étude très fouillée, W. Levison (1898) Q) adopta un point de vue intermédiaire : victoire unique en raison de la mort du roi alaman, dont parlent Cassiodore (félicitations pour événements anciens) et Ennode, aussi bien que Grégoire, mais aussi mouvements belliqueux du roi franc qui continuèrent de 496 à 506 et ne prirent fin qu'à l'intervention de Théodoric qui rgçut les Alamans sur son propre territoire. D'autre part, l'auteur souligna l'incohérence que Hauck avait cru trouver dans le récit de Grégoire (conversion par Clotilde et lors du la bataille), mais il défendit l'exactitude approximative de la chronologie présentée par l'historien des Francs et admit l'hypothèse d'Annales de Tours quinquennales. Il s'attacha particulièrement à deux mentions (2) de la Continuatio s. VII de la chronique de Prosper, qui rapportent la prise de Saintes en 496 par les Visigoths et de Bordeaux par les Francs en 498. Vers cette date, Clovis aurait donc pu promettre sur le tombeau du saint patron des Gaules de se laisser baptiser sans retard. Car, point n'est besoin de changer avec Krusch promisit en permisit dans le témoignage de Nizier, qui est d'accord avec Grégoire pour placer le baptême avant la campagne de Burgondie (500). On ne s'expliquerait guère que Tours ait

(1) Zur Gesch. d. Frankenkönigs Chlodowech, Bonner Jahrbücher, t. 103 (1898), p. 42-86. Cf. M.G.H., Rer. Merov., t. VII (1920), p. 304.

(2) Elles avaient été relevées déjà par Kurth, Hist. poétique des Mérovingiens, 1893, p. 291.

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perdu la mémoire de cette glorieuse cérémonie ; mais le souvenir d'un pèlerinage ou d'une promesse à pu être effacé par le retour triomphal du roi en 508. Reims n'est point explicitement mentionné par Grégoire, mais est vraisemblable en soi et confirmé par les traditions orales rapportées par les auteurs postérieurs. Entre la victoire sur les Alamans et le baptême, événements rapprochés dans le temps, la tradition populaire a établi un lien de cause à effet. Sauf sur ce dernier point, l'étude du savant professeur de Bonn étayait les vues traditionnelles, mais en évitant les difficultés (date de la bataille contre les Alamans, opposition de Nizier et de Grégoire soulignée par Krusch) et en multipliant les batailles, que Clovis aurait livrées alternativement sur le Rhin et sur la Loire (notamment d'après une notice conservée par un anonyme du vne siècle).

L'heure n'était plus aux nouveautés. A. Ruppersberg, qui venait de présenter (*) quelques arguments en faveur de l'identité de la victoire de Clovis en 496 et celle de Tolbiac, où combattit le roi ripuaire Sigebert, fut simplement négligé. Vogel qui essaya assez maladroitement de préciser quelques traits de la chronologie d'Ennode, ne fut pas autorisé à exposer dans le Neues Archiv sa thèse renouvelée : victoire sur les Alamans, automne 507, baptême à la Noël ; Vouillé : 508 (2).Dans la seconde édition de son Clovis (1901), Kurth put marquer les progrès que le système de Levison faisait faire à la critique sur le chemin de retour vers la tradition (3). Hauck, dans une nouvelle édition de son monumental ouvrage (1904) (4), ne reconnut plus les contradictions, que précédemment il avait cru découvrir dans le récit de Grégoire. Il se rallia à la solution médiane de Levison avec quelques considérations personnelles. Il supposa notamment, que Grégoire de Tours aurait confondu deux batailles de Clovis contre les Alamans, puisqu'il mentionne la mort de leur roi à propos de la première (496), alors

(1) Bonner Jahrbücher, t. 101 (1897), p. 38-61. (2) Neues Archiv, t. 23 (1898), ρ . 51-74 ; cf. p. 74, n. 1. (3) Clovis, 2e éd., t. II, p. 283. (4) Kirchengesch., t. I, p. 113-118 et surtout 595-599 (= 5° éd. 1922).

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que Théodoric et Ennode nous informent qu'elle ne survint que dans la seconde (506). Mais y eut-il vraiment deux batailles?

Cependant, Krusch, dans sa réédition de la vita Vedastis (1905) (*), ayant exposé une deuxième fois son système (Tours, 508), qui rejette Grégoire pour Nizier (2), orienta exclusivement la discussion vers cet aspect du problème, négligeant la chronologie de la bataille contre les Alamans. M. Levillain (1906), qui avait été séduit un moment par l'argumentation de Krusch, se reprit (3) et essaya de concilier Avit, Nizier et Grégoire en faveur de la solution traditionnelle, mais complétée par le témoignage de Nizier : après l'action de Clotilde (Nizier-Gré- goire), conversion lors de la bataille (Grégoire, cf. Avit nuper populus captivus), hésitations entre catholicisme et arianisme vaincues (cf. Avit) par les miracles de Saint-Martin de Tours (promesse à Tours, le 11 novembre, fête de saint Martin : Nizier), baptême à Reims (Grégoire), 25 décembre (Avit), 496 (Grégoire, cf. Nizier).

En mettant au point ses anciens travaux dans son testament d'historien, ses Etudes franques (1919), Kurth, le principal défenseur de Grégoire de Tours, reconnut qu'en ce qui concerne la victoire sur les Alamans, l'historien des Francs est à préciser, mais il ne sut le faire (4). Entre Nizier et Grégoire

(1) Jonas Vitae sanct., Monum. Germ. Hist., in-8° (in usum schola- rum), p. 301-308.

(2) L'abbé E. R. Vat celle, La Collégiale de S. Martin de Tours, Thèse (Paris, 1908 = Bull, et Mém. de la Soc. arch. de Touraine, t. 46), p. 411-423, place avec Krusch le baptême (plutôt qu'une promesse) à Tours, mais en 496, — date également admise par Krusch, l. l., p. 308. Le Chan. N. Boissonnot, Hist. et description de la cathédrale de Tours. Paris, 1920, in-fol., p. 391-399, étaie cette thèse par quelques preuves locales en négligeant les autres... Mais Krusch, dans Neues Archiv, 1932, p. 458, prétend à tort que Reverdy, Le Moyen Age, 1913, p. 274-277, se serait rallié à la thèse du baptême en 507.

(3) Le baptême de Clovis, Bibl. Éc. d. Chartes, t. 67, p. 472-488. (4) T. II, p. 271 : « On peut croire qu'il (Grégoire de Tours) n'a pas tout

dit, parce qu'il n'a pas tout su, mais il faut reconnaître que tout ce qu'il dit a une base historique. Par exemple, dans son récit de la guerre contre les Alamans, nous lisons que le roi de ce peuple a été tué, qu'eux-mêmes ont été vaincus, qu'ils ont fait leur soumission à Clovis. On a établi au-

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son choix était plus vite fait : « Tout cet exposé (de la lettre de Nizier à la petite-fille de Clovis) a beaucoup plus pour but d'apprendre à C lotsinde comment devra se produire la conversion d'Alboïn, que de lui rappeler comment s'est converti son grand-père » (*). Cependant le critique s'évertua à concilier les témoignages des deux évêques. Dans son Clovis (1901), à la suite de Lecoy de la Marche, il avait fait une part au témoignage de Nizier, en admettant qu'en guise de préparation à son baptême, Clovis avait fait un pèlerinage à Saint-Martin de Tours. A présent, reconnaissant sans doute que d'après Nizier ce sont les miracles de Tours qui ont entraîné la conversion du roi franc et voulant éviter cet ombrage au témoignage de Grégoire, Kurth retourna à l'opinion de d'Arbois de Jubainville que M. Levillain avait combattue en 1906 et d'après laquelle Nizier se serait trompé en plaçant ce pèlerinage entre la conversion et le baptême. C'est antérieurement à sa victoire sur les Ala- mans, au cours de ses guerres contre les Visigoths, que Clovis aurait apprécié la valeur du catholicisme grâce aux miracles de Tours, mais il se serait décidé à la suite de la victoire sur les Alamans (2). M. Levillain (3) répliqua que de la sorte on supposait gratuitement une erreur de Nizier ; qu'on enlevait à son témoignage son sens propre : ce sont les miracles de Saint-Martin qui ont déterminé décisivement la promesse de Clovis. Enfin le critique accordait toujours à Krusch que la conversion de Clovis à Tours est « une victoire du catholicisme sur l'aria- nisme qui disputait l'âme du roi à la religion de Remi, comme Avit en témoigne également ». S'il en fut ainsi, Grégoire n'a

jourd'hui que tout cela s'est passé en effet, sinon en un acte comme on lit dans Grégoire de Tours, du moins en deux ou trois actes séparés entre eux par certains intervalles de temps. M. Hauck est parti de cette différence pour déclarer le récit de Grégoire peu sûr ; pour moi, j'invoque les ressemblances pour le montrer confirmé par l'érudition moderne ». Mais il s'agit de préciser quelles sont les ressemblances et surtout quelles sont les erreurs ou « les oublis » de Grégoire, et de ne point rester dans le vague.

(1) Ibid., p. 284. (3) Ibid., p. 288. (2) Compte-rendu des Etudes franques, Bibl. Éc. d. Chartes, t. 80

(1919), p. 261-4.

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t-il point commis plusieurs erreurs? Lui qui prétend nous donner un récit circonstancié de la conversion, l'attribue à deux miracles tout différents de ceux de Tours, que seuls Ni- zier envisage. Pour lui, les hésitations de Clovis vinrent de son paganisme et de celui de ses Francs ; pour Nizier, c'est à Tours que le roi se serait décidé entre le catholicisme et l'arianisme. Grégoire de Tours ignore ces hésitations et ces miracles décisifs de Tours. Personne n'a pu expliquer cette ignorance ou ce silence, qui constitueraient en réalité une erreur ou une tromperie, sauf Krusch qui déclaire que Grégoire nous en a menti. Pourquoi rejette-t-on le système de Krusch, si l'on admet le témoignage de Nizier?

Certes les critiques eurent raison de ne point répudier simplement l'historien des Francs et ils se plurent à mélanger les témoignages. Les mieux informés, comme Ludw. Schmidt (x), purent de la sorte, à la façon de Levison, multiplier les campagnes que Clovis aurait faites de 496 à 506, alternativement sur le Rhin contre les Alamans, sur la Saône contre les Burgondes et sur la Loire contre les Visigoths, avant le triomphe définitif à Vouillé. L'histoire militaire de Clovis acquit un intérêt palpitant. Mais le malaise subsista au sujet de la conversion. Ses mobiles réalistes furent le mieux démêlés par H. von Schubert (2). Tout comme Kurth, ce critique se montrait, avec raison, très méfiant à l'endroit de l'objectivité du témoignage de Nizier. Il caractérisa la conversion lors de la bataille comme une belle légende pleine de sens symbolique. Mais l'accord des deux évêques au sujet de la chronologie (avant 500) le dispensait sans doute d'examiner, comme il l'avait fait quarante ans auparavant, la question de la victoire sur les Alamans. Mgr. L. Duchesne (3) constata aussi que le récit de Grégoire est « très circonstancié, mais déjà un peu légendaire (G. Monod en son temps (4) disait : « à demi

(1) Gesch. d. deuischen Stâmme, lfe édit., 1910-1918. (2) Gesch. d. christl. Kirche im Frühmütelalter, Tübingen, 1921, p. 90-93.

Cf. supra, p. 860, n. 2. (3) L'Eglise au V7e siècle. Paris, 1925, p. 490-495 ; p. 492, n. 3 ; p. 493,

n. 2. (4) Et. critiques sur les sources de Vhist. méroo. Paris, 1872, p. 98.

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légendaire »). La conversion lors de la bataille « est un point où la tradition paraît le plus embellie par la poésie populaire ». L'éminent historien de l'Église penchait d'autant plus en faveur de la « tradition ecclésiastique » (comme disaient les critiques), que représenterait Nizier de Trêves. Cependant, M. L. Halphen (*), fit valoir les tendances apologétiques de Grégoire, qui se serait inspiré pour la conversion de Clovis des récits qu'Eusèbe de Césarée fit de celle de Constantin. Ailleurs, il parle « d'une dizaine d'années de combats, souvent violents (contre les Alamans) — entre autres le fameux combat dit de Tolbiac ou de Zulpich en 496 » (2). (Kurth s'exprimait ainsi en 1888, mais il y avait bien longtemps qu'il s'était repris). Dans une belle étude, M. L. Levillain ne plaçait-il pas en 497 Yinter- vention de Théodoric en faveur des Alamans? (3) M. M. Bloch par contre (4) admet que la guerre résumée par Grégoire dans la bataille de 496-7, a duré au moins jusqu'en 501 (qui est la date approximative proposée par Usener, il y a un demi-siècle). Il est, en effet, très enclin à accepter la thèse défendue

(1) Grég. de Tours, historien de Clovis, Mélanges ... F. Lot, Paris, 1926, p. 235.

(2) Les Barbares (Peuples et Civilisations t. V), Paris, 1926. 2e ed.it., 1930, p. 43. — Le spécialiste de l'histoire italienne, W. Ensslin, art. Theoderich der Grosse, dans Pauly-Wissowa, Realencyclop. d. class. Altertums, 2e Reihe, t. V (1934) p. 1745-71, s'exprime de même (p. 1758, 53) : Begliickwù'nschung zum Siège Chlodowechs bei Tolbiacum (496). De plus, on a montré depuis longtemps que Théodoric ne félicite pas Glovis pour sa victoire.

(3) La crise des années 507-508 et les Rivalités d'influence en Gaule de 508 à 514, Mélanges N. Iorga, Paris, 1933, p. 541-542. L'auteur cite comme référence G. Richter, Annalen des frànkischen Reiches, Halle, 1873, qui est antérieur à Usener et à toute la controverse. Dans sa dernière étude (1935), inf. p. 882, n. 1 cit., p. 171, il introduit la discussion approfondie, mais erronée, du témoignage de la lettre de Théodoric, par cette remarque, qui en dit long sur la connaissance que son auteur possède du status quaestionis : « De ces réalités concrètes, il en est une qui n'avait point été contestée jusqu'à nos jours [ ? !] et qui l'a été récemment [1932] : c'est la guerre des Alamans de 496-497. » Je ne regrette point d'avoir donné cet aperçu des controverses.

(4) Observations sur la Conquête de la Gaule par les Rois francs, Revue Historique, t. 154 (1927), p. 162 et n. 1.

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à plusieurs reprises par Ludw. Schmidt, que certaines pièces des Variae de Cassiodore qui intéressent les conflits au nord des Alpes, seraient antérieures à 506. Plutôt que d'abandonner la chronologie de Grégoire et de Nizier, ces auteurs passent sur toutes les précisions chronologiques que fournissent les spécialistes de l'histoire de l'Italie au vie siècle : Usener, Vogel et Mommsen. M. F. Lot fut plus avisé en rejetant la mention rapportée par l'anonyme du vne siècle, concernant la prise de Bordeaux par les Francs dès 498 et il se demande « comment admettre que l'évêque de Tours, Grégoire, si jaloux de la renommée de son siège épiscopal et entiché de saint Martin, eût attribué à l'évêque de Reims le mérite d'une conversion aussi glorieuse, si la tradition rapportée par Nizier avait la moindre valeur? » Q).

Déjà l'opinion s'accréditait qu'un demi-siècle de critique historique sur Grégoire de Tours et les autres sources de l'histoire de Clovis n'aurait fait qu'embrouiller la question (2), lors- qu'en 1932 M. Br. Krusch revint à la charge contre le baptême de Clovis « à Reims en 496 » en faveur de « Tours 507 » (3). Le savant terrible qui, une première fois, pour défendre la thèse traditionnelle, avait écarté du débat la lettre de Théo- doric au sujet des A amans et l'avait négligée ensuite pour placer le baptême après la victoire de Vouillé (4), prétendit cette fois avoir trouvé dans ce document un ablatif absolu qui devait établir, que la victoire sur les Alamans aurait également suivi de près celle que Clovis remporta sur Alaric II en 507

(1) Dans Hist. gén. de G. Glotz, Hist. du Moyen Age, t. I (1928-1934) p. 192, n. 63 et p. 189. — Ibid., p. 122, l'intervention de Théodoric en faveur des Visigoths (508-511) est mentionnée après la protection que le roi goth accorda aux Alamans (506). Mais en cet endroit, l'auteur néglige la suite chronologique des événements et les rend ainsi moins compréhensibles. [F. Lot, Les Invasions germaniques, Paris, 1935, est moins développé].

(2) Ibid., p. 189, n. 45 ; cf. p. 182, n. 7. — H. Weigel, Studiën zut Ein- gliederung Ostfrankens in das merovingische-karolingische Reich, Hist. Vierteljahrschr., t. 28 (1933), p. 451, n. 9.

(3) Chlodovechs Taufe in Tours 507 und die Legende Gregors von Tours {Reims 496), Neues Arghiv, t. 49 (1932), p. 457-469.

(4) Supra, p. 861 et n. 4 et p. 862, n. 2.

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(Cassiodore, Var. II, 41) : Gloriosae quidem vestrae virtutis affinüate gratulamur, quod gentem Francorum prisca aetate residem féliciter in nova praelia concitastis et Alamannicos po- pulos caesis fortioribus inclinâtes victrici dextera subdidistis. Ces caesis fortioribus, Krusch l'avait enfin trouvé, auraient été les Visigoths battus peu de temps auparavant à Vouillé. Grammaticalement, n'importe qui comprendra : « les plus vaillants (des Alamans) ayant été tués ». Historiquement, il est impossible que Théodoric, qui signifia à Clovis qu'une attaque contre Alaric II provoquerait une intervention de sa part, aurait félicité le roi franc d'une victoire sur les Alamans, alliés aux Visigoths, remportée immédiatement après Vouillé, alors qu'effectivement il intervint contre les Francs et les Burgondes pour rétablir l'équilibre en Gaule. De plus, Ennode mentionne les Alamans passés sous protectorat italo-goth (à la suite de leur défaite par Clovis) dans un panégyrique qu'il tint pour Théodoric, antérieurement à Vouillé. Enfin, Grégoire de Tours H. F., II, 37 nous fait connaître l'itinéraire suivi par les Francs dans la guerre franco-visigothique. Après sa victoire près de Poitiers (507) Clovis continua en Aquitaine la conquête du royaume visigoth, tandisque son fils s'emparait de l'Auvergne. Il passa l'hiver à Bordeaux (hiemem agens) et l'année suivante ayant pris Toulouse, la capitale des Visigoths, assista à la prise d'Angoulème avant de recevoir la délégation de l'empereur à Tours (508) et, suivant Krusch, s'y faire baptiser (507).

La thèse de Krusch trouva immédiatement un contradicteur en M. Wolfram von den Steinen, de Bâle, qui a réfuté point par point les assertions du critique allemand. Dans sa réplique, M. Krusch a précisé ses thèses, mais il a abandonné son interprétation des caesis fortioribus et reconnaît que la lettre de Théodoric est antérieure à Vouillé (2). De plus, en raison de la campagne d'hiver que Clovis mena en Aquitaine et que le

(1) Chlodwigs Taufe : Tours 507? Histor. Jahrbuch, t. 53 (1933), p.51- 66. Cf. infra, p. 881, n. 2.

(2) Nochmals die Taufe Chlodowechs in Tours (507-508) und die Legende Gregors v. Tours (Reims 496-497), Hist. Vierteljahrschr., t. 28 (Nov. 1933), p. 560-567.

R. B. Ph. et H. — 57.

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futur éditeur de Grégoire de Tours (x) avait un peu oubliée, il déplace à la Noël de 507-8 ( 1) la date du baptême (à Tours) (2). Il

(1) Cf. ibid., t. 27 (janv. 1933), p. 673-757 et t. 28 (avril 1933), p. 1-21, ses études sur la tradition manuscrite de VHist. Franc.

(2) M. Krusch, p. 560, s'attaque à son contradicteur, parce que celui-ci n'a pas compris que damais dans Neues Archiv, t. 49, p. 468 (baptême lors de l'entrée solennelle de Glovis à Tours) se rapporterait à l'année 508, alors que l'auteur écrivit en tête de son article et de toutes ses pages: « Tours 507 ». Certes, M. v. d. Steinen, dans Hist. Jahrb., t. 53, p. 54-55, interprétait parfaitement la date et le système de M. Krusch (cf. supra, p. 862), en supposant que celui-ci admettait que Grégoire de Tours aurait placé les quartiers d'hiver à Clovis de Bordeaux, pour donner un alibi au roi franc et combattre le récit de ceux qui rapportaient (comme Ni- zier) que Clovis s'était fait baptiser à Tours. Car, pour M. Krusch, Grégoire de Tours a voulu cacher le baptême de Clovis à Tours... — Cependant,le critique écrit en même temps : « Der Sicherheit halber setze ich jetzt in der Ueberschrift 507-508, wie ich auch das Legendenjahr nach v. d. St. 's Aufsatz erweitere » [496-497]. Comme si Noël 507-508 avait existé ! Mais Krusch confirme ainsi que damais visait 507, car, s'il veut glisser maintenant, comme v. d. Steinen avec son Legendenjahr 496-497, il doit mettre 508-509. M. Krusch glisse à reculons. A la fin de la réplique (Histor. Vierteljahrsghr., t. 28, p. 567), nous lisons : « die Taufe des grossen Königs 608 » [Ι. 508] ; mais pour comble de distraction, Krusch, p. 562-563, a daté encore de 507 (au lieu de 507-8 ou 508) la lettre, par laquelle Avit, peu après la Noël, félicitait Clovis de s'être laissé baptiser : « Wer mit mir fur Tours stimmt muss das Legendenjahr 496-497 in der Ausgabe (des Epist. d'Avit, par Peiper, M.G.H., AA., VI, 2, p. 75) in 507 (sic) korrigieren und dann folgen zwei Briefe von 507 {sic) aufeinander... Das Jahr 507 (sic) fur die Datierung der Avitusbriefes 46 (à Clovis), hatte ich schon in meinem ersten Aufsatze (Mittheil. oesterr. Inst., t. 14, 1893, S. 446) an die Stelle des Legend en jahres bei Peiper wegen der West- gothenkrieges gesetzt und schon damais hatte ich 508 (sic) als Taufjahr nâher bestimmt. (On y lit : « friihestens 507 » et puis est fait mention de la campagne d'hiver). Dasselbe habe ich in meinem letzten Aufsatz (voir plus haut, comment au contraire Neues Archiv, t. 49 date constamment 507, parce que l'auteur avait oublié la campagne d'Aquitaine). Also zweimal ! Und zweimal hat es v. d. St. nicht gelesen ! lm anderen Falle hatte er sich seine Entgegnung ersparen können ». Et bientôt, dans sa communication à l'Académie de Berlin (cit., n. suiv., p. 1064), Krusch écrit : « Der Brief [la lettre d'Avit, il lui donne maintenant, p. 1063, la cote 38 de l'éd.CHEVALiER] ist Weihnachten 508 geschrieben, wie ich in allen meinen Aufsàtzen über diesen Gegenstand dargelegt habe ». Il oublie qu'il a commencé (1887) par défendre (Reims) 496, puis (1893) Tours 507 ou plutôt 508, ensuite (1905)

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la fixe franchement à la Noël de 508, dans une communication à l'Académie de Berlin (janv. 1934) (χ), pompeusement intitulée : Die erste deutsche Kaiserkrönung in Tours Weih- nachten 508. (Après avoir détruit la base historique du sacre à Reims, il convient de reconstruire.... Le siècle de Louis XIV ne croyait-il point que Clovis parlait le français?) C'est donc ainsi que Krusch interprète le passage, dans lequel Grégoire de Tours rapporte qu'au retour de sa conquête du royaume visigoth, ayant reçu de l'empereur le diplôme du consulat (honorifique, codicillos de consulatu), Clovis fut revêtu dans la basilique de Saint-Martin de Tours de la tunique de pourpre, de la chlamyde, et ceignit le diadème. « Ensuite, montant à cheval, il jeta l'or et l'argent au peuple et depuis ce jour on l'appelait fréquemment consul ou auguste (et ab ea die tam- quam consul aut augustus est vocitatus) ». Pour le moment contentons-nous de faire remarquer que, dans la table des chapitres Grégoire a intitulé ce paragraphe : De patriciato Chlodovechi regis (2). Enfin, ayant encore consacré quelques autres études à Grégoire de Tours (3), M. Krusch croit avoir trouvé que Clovis promulga sa Loi salique en 507, lors ( !) de la conquête du royaume visigoth (4) et il en a profité pour nous révéler quel-

508, tout en admettant Tours 496 comme possible, alors (1932) catégoriquement 507, pour glisser par 507-508 dans une bouillabaisse de chiffres et proclamer finalement 508. — Dans cette même réplique, p. 565, Krusch avance comme suprême argument, que Grégoire aurait écrit deux cents ans après les événements. Je ne manquerai point de citer ce passage.

(1) Sitzungsberichte D. Preussischen Akad. der Wiss., Berlin, t. 29 (1933), [janv. 1934], p. 1060-1069.

(2) Cf. Ludw. Schmidt, Die angebliche erste dt. Kaiserkrönung im Jahre 508, Hist. Jahrbuch, t. 54 (1934), p. 221-222 ; Id. Nochmals das Pa- triciat Chlodowechs, ibid., t. 55 (1935), p. 552-553 ; H. Günther, Dos Patriziat Chlodwigs, ibid., t. 54, (1934), p. 468-475.

(3) Die Unzuverlassigkeit d. Geschichtsschreibung Gregors von Tours (Thoringi - Dispargum), Mitteilungen d. oesterr. Inst., t. 45 (1931), p. 486-490. — Kulturbilder aus dem Frankenreiche zur Zeit Gregors von Tours. Ein Beitrag zur Gesch. des Aberglaubens. Sitzungsber. d. Preuss Akad. d. Wiss., Berlin, t. 30 (1934), p. 785-800.

(4) Die « Lex Salica », das àlteste deutsche Gesetzbuch. Zeit u. Umstànde ihrer Abfassung. Nachrichten d. Gesellsch. d. Wiss. zu Göttingen,

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ques traits aimables du caractère du roi franc (*). On aurait tort de rejeter simplement ces recherches, en raison des exagérations de langage et de pensée avec lesquelles elles sont présentées. Elles valent surtout par le détail, lorsqu'il n'est pas pittoresque.

En 1931, le P. D. A. Stracke, S.J., a écrit, en flamand, tout un volume (2), en vue de réhabiliter la Vita Vedastis, composée à Arras vers 640 par Jonas de Bobbio. Les critiques admettent à la suite de Krusch, qu'elle a simplement plagié le récit que Grégoire de Tours fait de la bataille contre les Alamans (3). Mais l'auteur refuse d'admettre une dépendance directe, suppose que le biographe a utilisé une vita ancienne (peut-être rédigée en langue franque) ou une source qu'il a en commun avec Grégoire, et des traditions locales.

On peut discuter sur la valeur que celles-ci, présentent pour l'histoire de saint Vaast, ou même de Clovis, quoiqu'il soit manifeste que le biographe du premier évêque d'Arras l'a introduit avec des miracles dans la vie du roi franc pour illustrer son personnage, comme tant d'autres hagiographes l'ont fait de leur pa-

Philol-hist. KL, Fachgruppe IL N. Folge, Bd. I, 1 (Berlin, 1934), p. 1-15. Le principal, sinon l'unique argument de Krusch pour arriver à ce résultat qui fait « tomber tout ce qui a été écrit jusqu'ici sur le problème en Allemagne et en France » (Krusch, l. n. suiv. cit., p. 861), c'est que la Lex salica a été rédigée par le même secrétaire (à preuve II, 6 : Quo numero usque ad duos porcos simili conditione convenu obseruare) qui composa la lettre aux évêques lors de son entrée en campagne (M.G.H., CapiL, t. I, p. 1) : simili condicione et de clericis... praeceptum est observare. — J. Petrau-Gay, La « Laghsagha » salienne, Rev. hist. de droit fr. et ÉTRANG., 1935 (janv.-juin), p. 54-85, 252-306, n'a pas encore connaissance de ces découvertes.

(1) König (pourquoi pas Kaiser*}) Chlodwig als Gesetzgeber, Hist. Vier- teljahrsschr., t. 29 (mai 1935), p. 801-807.

(2) Over bekeering en doopsel van koning Chlodovech, Centrale Boekhandel Neerlandia, Antwerpen, 1931. 265 pp. in-8°. Au sujet de cet ouvrage, W. Levison déclarait dans les Jahresberichte f. deutsche Gesch., t. VI (1930 [1932]), p. 163 : « in der Einschàtzung der Vita des Hl. Vaast hat den Verfasser aber die Liebe zu Volkstamm und Heimat.. .zu mindestens unwahrscheinliche Aufstellungen geführt, urn nicht mehr zu sagen. Gf. Rev. d'hist. eccl. 1932, p. 854-7.

(3) Cf. sup. p. 862. n. 2 et 868, n. 1.

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tron (x). Cependant le P. Stracke retourne la thèse de Hauck (qui l'a abandonnée par la suite) (2) et de Levison, mais qui de nos jours est controuvée, suivant laquelle l'épisode de la conversion lors de la bataille serait racontée par Grégoire, H. F., II, 30, avec des détails qui seraient en contradiction avec le récit de la conversion par Clotilde (H. F., II, 29 et 31) et sont de nature à faire rejeter l'épisode de la bataille. Le P. Stracke s'en tenant à la Vita Vedastis qui ne connaît que la conversion lors de la bataille et grâce aux miracles de S. Vaast, rencontré par Clovis à Toul sur le chemin de retour vers Reims, rejette l'influence de Clotilde et tout ce qui ne confirme pas les données de cette vita du vne siècle, parce qu'elle est la plus ancienne biographie du premier apôtre du pays franc, qui aurait décidé aussi de la conversion du « premier roi chrétien néerlandais » (3). En tout cas, cette vita ne précise pas la date de la bataille.

Partant également de la prétendue incohérence du récit de Grégoire, le Chan. Saltet (1932) rejette (4) au contraire la conversion lors de la bataille, parce que cette explication, est contredite par celle de Nizier (miracles de Tours), par Avit (du moins en ce qui concerne le miracle sur le champ de bataille ; le principal mérite de l'auteur est de l'avoir montré, mais il n'a pas remarqué que l'évêque de Vienne n'est guère plus favorable à l'explication de Nizier qu'il accepte) et enfin par la lettre de Théodoric qui situe la bataille au plus tôt vers 501 (qui est la date proposée il y a soixante ans par Usener, mais que Momm- sen a précisée pour 506-507), alors que Grégoire et Nizier sont d'accord pour fixer le baptême avant la guerre burgonde (500). Aussi l'auteur accepte, comme tous les critiques (sauf Vogel [506J et Krusch [508]), la date plus précise (vers 496) indiquée par Grégoire. Mais, en admettant que la conversion est antérieure à la bataille de cinq ou dix années, le doyen de la

(1) Cf. Kurth, Clovis, t. II, p. 243-269 ; EL franques, t. II, p. 225 ss. (2) Cf. supra, p. 862 et p. 867. (3) Stracke, /. /., p. 7 et 193, n. 1. (4) La Conversion de Clovis, dans Bulletin de Littérature ecclé

siastique, Toulouse, 1932, p. 97-113.

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Faculté de théologie de Toulouse n'a pu expliquer comment la légende s'est formée (*). Son collègue, le Père M. M. Gorce, s'y est essayé dans une biographie de Clovis, fort bien écrite, agré- blement illustrée, mais aussi hardie que superficielle (2). Il a très justement reconnu que Grégoire de Tours « a composé une œuvre de marqueterie, une mosaïque..., ses renseignements, valent souvent plus par tel détail concret où un point de vérité se conserve, que par leur arrangement chronologique et quasi- didactique. » Seulement, l'auteur l'a mal corrigé en plaçant de 488 à 491 la guerre de Burgondie (3), que non seulement Grégoire, mais son contemporain, le chroniqueur burgonde, Marius d'Avenches — qui puisèrent tous deux à des Annales burgondes — et une note dans une copie burgonde des fastes consulaires, fixent en 500-501 (4).

(1) L'auteur n'a pas donné la suite de son étude, où il devait éclaircir ce point.

(2) Clovis, 465-511. Avec 15 croquis dans le texte et 42 gravures hors texte. — Bibliothèque historique. Paris, Payot, avril 1935. 366 pp. petit-in-8°. L'auteur qui publia coup sur coup La France au-dessus des Races, Jeanne d'Arc et Vercingétorix, a voulu faire cette biographie « aux trois quarts exacte » (p. 9) et comme un pendant français à « l'ouvrage consacré à Clovis par l'historien belge Godefroid Kurth » (p. 7). Voici sa méthode (p . 8-9) : « Puisque la légende se mêlait si intimement à l'histoire de Clovis, on pouvait même penser qu'il y aurait là un moyen excellent de lui écrire sa vie... L'histoire est une science mêlée de conjectures : on n'est pas mathématiquement sûr que tel document est entièrement vrai ou entièrement faux ; mais, par bonheur, la fable vient au service de la vérité, comme pour l'épanouir et la mieux mettre en valeur ». — Voici un choix de noms propres extrait des « indications bibliographiques », en grande partie certainement ignorées de l'auteur : Couille au lieu de Coville, Guil- meimor pour Guilhiermoz, GuiROT pour Guizot. Hanet (Z. Ha vet) est placé entre deux ( 1) Halphen [(H.) des Mélanges Lot, 1925 et (L.) Les Barbares, 1926] et Hauck, Kirchengesch. Dt. [citée seulement d'après la [lre] éd., datée de 1881, au lieu de 1887]. Jularu = Jubaru, Manituis = Manitius ; Manrion = Mansion ; Punrit = Puniet ; Reverdez = Reverdy ; Tierenleyn = Tierenteyn ; Voget = Vogel.

(3) Gorce, Clovis, (Paris, 1935), p. 102, n. 1 et p. 348. (4) Cf. Levison, supra, p. 866, n. 1, Z., p. 51 ; Kurth, Et. franques,

t. II, p. 218-223 ; Ludw. Schmidt, Gesch. d.dt. Stümme, Ostgermanen (1934) p. 151, n. 2 et 3, 152, n. 3 ; Krusch, Neues Archiv, t. IX (1884), p. 277, (cf. M.G.H., AA., t. IX, p. 729 ad a. 501).

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(21) clovis 879

Je suis d'accord avec le critique pour ne point admettre que Clovis attaqua la Burgondie peu de temps après avoir épousé Clotilde. « Un mariage chez les Barbares scelle une alliance, une paix entre les royaumes contractants » Q). La politique d'alliances matrimoniales poursuivie par Théodoric le prouve à suffisance. Il n'est pas douteux que Clovis a marié la nièce de Gondebaud, lorsqu'il se réconcilia avec lui vers 502-3. Car alors le récit de Grégoire de Tours, qui rapporte vers 575 la tradition établie dans sa ville par Clotilde, qui y passa trente années de son veuvage (511-544), se trouve confirmé. Ayant eu de la reine deux enfants qu'il laissa baptiser, Clovis vainquit les Alamans en 506, suivant la date que la lettre de Théodoric nous oblige d'admettre. Arrêté entre le Rhin et le Danube par le maître arien de l'Italie, mais fort de son succès, le roi franc passa au catholicisme (Noël 506), mit l'atout gallo-romain dans son jeu et rompit l'entente avec les royaumes ariens établie par Théodoric. Il se vengeait ainsi de l'intervention de VOstrogoth et attaqua son allié visigoth sur la Loire au printemps de 507. Entre la victoire contre les Alamans et le baptême de Clovis un lien de cause à effet exista pour des raisons politiques, mais point suivant la forme dramatique et miraculeuse que la légende a popularisée. Ayant détruit le royaume visigoth immédiatement après son baptême, Clovis apparut bientôt comme le vainqueur des rois ariens, car il a vaincu aussi (mais auparavant) Gondebaud. Ses victoires sur les hérétiques furent attribuées très tôt à sa profession catholique. Le païen Clovis pouvait- il avoir vaincu le chrétien burgonde? Puisque l'historien des Francs savait que le Salien avait abandonné son paganisme à la suite de sa victoire sur les Alamans païens, il a placé tout naturellement la conversion de Clovis avant sa victoire sur l'hérétique Gondebaud. De la sorte, la double preuve était faite — elle l'était a priori dans l'esprit de Grégoire — de la supériorité du christianisme sur le paganisme et du catholicisme sur l'arianisme. En outre, la légende qui s'attachait au mariage de Clotilde (2), ne permettait point de le fixer après la

(1) Gorce, l. L, p. 100, n. 1. (2) Cf. Kurth, Etudes franques, t. II (1919), p. 253-4.

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campagne burgonde et comme on connaissait l'influence que la reine exerça sur la conversion de Clovis, toutes les données concordaient pour placer le baptême du roi franc avant sa campagne contre l'hérétique Gondebaud.

Mais le P. Gorce a abandonné (488-491) la date bien établie de la campagne de Burgondie (500-501), afin d'admettre pour la conversion la date traditionnelle (vers 496), que la plupart des critiques acceptent en raison du témoignage concordant de Nizier et de Grégoire, que l'auteur rejette, et avec raison, parce que le mariage et la conversion du Salien eurent lieu après la campagne de Burgondie. S'il avait été quelque peu avisé, il les aurait fixés après 501 et tout s'arrangeait. Mais, en outre, il date de 509 la bataille contre les Alamans, ayant entendu parler sans doute des caesis fortioribus de Krusch et ignorant que ce critique a abandonné aussitôt cette datation inepte (*).

(1) Gorce, Z. Z., p. 287, n. 1 : « Cassiodor, Variar, (sic), I, 4, 5 (/. II, 41). C'est cette lettre qui, faisant partie d'un recueil postérieur à 506-507, a permis (voir infra) [sans doute dans les indications bibliographiques] aux érudits modernes de situer la bataille contre les Alamans après la campagne d'Aquitaine et non au début du règne de Clovis ». Aucun érudit n'a jamais commis cette gaffe, même pas Krusch, un moment, car alors précisément il perdit de vue la campagne d'Aquitaine! Ailleurs, p. 144, n. 1, on lit au sujet de cette lettre : « ... postérieure aux années 505, 506 », et comme références [empruntées à Saltet, Z. Z., p. 108, n. 11, qui s'en servait pour faire valoir que « la victoire sur les Alamans... est postérieure au moins de cinq ou six ans au baptême de Clovis » (496). Et en effet, 501 est la date proposée pour la lettre de Théodoric par] : « H. Usener, Anecdoton Holderi (1877), p. 70. — M. Manitius, Geschichte der lateinischen litteratur (sic) des Mittelalters, t., E, (Z. I), p. 40. » L'auteur y ajoute : B. Krush (sic), Clodovechs (Z. Chl.) Sieguber (Z. Sieg iiber) die Alamannen, dans Neues Archiv, 1887 », qui est précisément l'étude dans laquelle le critique défendait la tradition et son Legendenjahr 496, avant sa découverte de « Tours 508 ». Cf. supra, p. 861, n. 4 et 872. — Les indications bibliographiques, dont Gorce a pourvu son volume, rapportent aux Mitteil. Inst. oesterr. Gesgh., 1884, dans lesquelles Krusch n'a rien publié ; l'étude de cet auteur (cf. supra, p. 862) Zwei Heiligenleben des Jonas v. Susa, qui est citée ensuite sous le titre de sa seconde partie Die altere Vita Vedasti, avec la référence exacte : ibid., 1893. L'étude de Krusch Neues Arghiv, 1932, cit. sup., p. 872, n. 3, est intitulée « Sur le baptême de Clovis », tout comme celle de son contradicteur : « Steinen (von der [Z. den]). — Baptême de Clouis, Vienne, 1933 » (cf. inf., p. 881, n. 2). L'ar-

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Dès lors, il repousse comme un anachronisme le rapport que Grégoire établit entre la bataille et le baptême, sans pouvoir expliquer l'origine de la légende qu'il fait sienne à sa façon (*). II reproduit l'explication de Nizier (conversion à la vue des miracles de Tours), hésite entre Tours et Reims pour le baptême et décrit finalement « le déroulement de ses pompes » (p. 177) d'après Grégoire, dont il accepte la chronologie (510) en ce qui concerne les meurtres des divers rois francs, alors que Clovis fit certainement périr les roitelets saliens au début de son règne.

Profitant des belles études de M. W. von den Steinen (2), qui essaya de concilier Grégoire, Nizier et Avit en recherchant leurs sources, mais négligea la lettre de Théodoric et la date de la victoire contre les Alamans (3), M. L. Levillain (1935) a complété sur ce point la thèse concordiste qu'il soutient depuis trente ans, mais n'a réussi qu'à en faire ressortir

ticle de v. d. Steinen dans I'Histor. Jahrb. (sup., p. 873, n. 1) n'est pas mentionné, non plus que les travaux subséquents de Krusch, mais on trouve la référence p. ex. de Forst de Battaglia, Le Mystère du Sang, dans La Vie intellectuelle, 1934 et W. Scheidt, Rassenkunde, Leipzig, 1930.

(1) Gorce, l. /., chap. xme et dernier : Tolbiac et son Dieu. « En réalité la victoire remportée par Clovis sur les Alamans ne s'est produite que sur la fin de sa vie. Mais on peut dire que jusqu'à cette bataille décisive le danger alaman restait suspendu sur la tête de Clovis, danger qui devait être beaucoup plus grave dès les premières conquêtes du roi franc qu'à l'époque où il avait déjà le loisir de promener ses armées jusqu'aux Pyrénées. En de telles circonstances critiques, Clovis a pu formuler dans son cœur, en train de se convertir ou récemment converti, la fameuse apostrophe où le désespoir se tourne déjà en espérance vers le Dieu de Clotilde. Telle serait l'esprit, sinon la lettre, du célèbre mot historique de Clovis à To- biac. »

(2) Chlodwigs Uebergang zum Christentum, Mitteil. d. Oesterr. Inst. f. Gesch., XII. Erg.-Bd. (1933), p. 417-501. Cf. supr. p. 873, n. 1.

(3) Hist. Jahrb., t. 53 (1933), p. 54 : Nur die seit je umstrittene Datie- rung der Schlacht (oder Schlachten?) gegen die Alamannen bleibt offen. M.I.O.G., Erg. XII (1933), p. 446 : da das Problem der Alemannenschlacht aus unserem Thema ausscheiden darf. Cependant, l'auteur admet 496-497 comme date approximative de la bataille à la suite de laquelle Clovis se convertit...

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davantage la faiblesse (x). Cependant, ces auteurs ont renforcé considérablement la valeur du témoignage de Grégoire. Me basant sur les documents contemporains, j'établirai que l'historien des Francs a commis une erreur de chronologie en plaçant la campagne contre Vhérétique burgonde (500-501) après le mariage (vers 503), la victoire contre les Alamans et la conversion (506) de Clovis, qui furent immédiatement suivies de la conquête du royaume visigoth et de l'action de grâces à Tours, de sorte que le témoignage naïf et intéressé de Nizier repose sur une confusion, puisque Clovis fut à Tours, sinon en 507, du moins en 508.

II. Les Lettres d'Avit.

1. Leur terminus a quo postérieur à 501. — II est reconnu à présent (2), que plusieurs pièces de la correspondance de ce parent de Sidoine Apollinaire, relatives à des discussions religieuses avec le roi des Burgondes Gondebaud, ont été datées de 499, en raison de la Collatio episcoporum qui est un faux (3)

(1) La Conversion de Clovis, Rev. de l'Histoire de l'Égl. de France t. 21 (avril-juin, 1935), p. 161-192 (dirigé contre l'étude du Chan. Saltet.)

(2) Cependant, ce point important n'a été relevé jusqu'ici que par P. N. Frantz, Avitus v. Vienne, als Hierarch u. Politiker. Inaug.-Diss. Greifswald, 1908, p. 100, et avec plus de précision par W. von den Steinen Chlodowigs Uebergang, sup., p. 881, n. 2, cit., p. 478, n. 4.

(3) II a été édité encore dans l'édition critique des œuvres d'Avit par R. Peiper, Mon. Germ. Hist., Auct. Antiq., t. VI, 2 (1883), p. 161, qui est antérieure à la découverte de ce faux par J. Havet (cf. sup., p. 860, n. 3) et fournit ces datations erronnées qui ont été simplement reprises (comme presque toutes les autres) dans l'éd. d'U. Chevalier, Lyon, 1890, quoique cet éditeur reconnaisse, comme tous les critiques, que la Collatio est un faux, de même que la lettre 33 de l'éd. Peiper (cf. p. 172, n.12). Cependant, A. Coville, Rech. s. l'hist. de Lyon du ve au ixe s., Paris, 1928, p. 313, parle encore du concile de Lyon qui se serait tenu en 499 d'après Chevalier, l. l. p. 167, n. 26, et J. R. Palanque, art. Avit, dans Dict. d'hist. et de géogr. eccl., t. V (1931), 1206, continue à mentionner ce colloque de 499, quoiqu'il soit informé que les documents de Jér. Vi- gnier sont des faux. Aussi, il croit qu'Avit aurait converti Sigismond peut- être dès 493. Les auteurs cités à la note précédente et Schanz, Gesch. d.

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(25) CLOVis 883

fabriqué d'après la lettre 23 (x) de l'évêque de Vienne (entre Lyon et Avignon, 17 juin 490 - 5 février 518) (2). J'ajouterai que sa lettre de félicitations à l'occasion du baptême de Clo- vis (ep. 46) serait la seule pièce de son épistolaire que nous pourrions dater antérieurement à l'année 500, si cet événement avait eu lieu avant cette date (3). Aussi peut-on admettre

röm. Lit, t. IV, 2 (1920), p. 386, n. 1 ; E. Caspar, Gesch. d. Papsttums, t. II (1933), p. 126, n. 4 ; L. Schmidt, Gesch. d. dt. Stamme, t. I, Ostger- manen? (1934), p. 149, n. 4 ; 151, n. 2 ; 159, n. 1 ; Mgr O. Bardenhewer, Gesch. d. altkirchl. Lit., t, V (1932), p. 341, sont mieux informés.

(1) Outre la lettre 33, celles datées à tort de 499-500 en raison de la Col- latio portent les numéros 8, 30, 53-54, 95-96. J'adopte la numérotation de Peiper, autre que celle de l'éd. Sirmond (1643) qui reproduit un ms. récent de la Grande Chartreuse (plutôt que de celle de Paris, cf. Peiper, p. vi) , en le corrigeant à son gré, et de l'éd. Chevalier qui suit l'ordre du Lugd., s. xii, que Peiper a légèrement modifié. Subsidiairement, ces éditeurs ont encore eu recours à quelques autres sources et notamment à des fragments de papyrus, s. VI. qui ont été presque totalement négligés jusqu'en ces derniers temps, parce que les anciens historiens ne les trouvaient point dans l'édition Sirmond.

(2) Chevalier, p. IV, n. 3, rappelle qu'on célébrait l'anniversaire de son ordination le 17 juin, qui en 490 était un dimanche (la Viia S. Aviti, mais qui n'est point contemporaine de l'évêque, déclarant qu'il fut ordonné sous le règne de l'empereur Zenon: 474-491). Ennode mentionne Avit, à propos de l'ambassade de l'évêque de Pavie, Épiphane, auprès de Gondebaud, mais L. Schmidt, Os tger manen2 (1934), p. 150, n. 4, a raison de faire remarquer que l'année 494 généralement admise pour cette ambassade, repose sur la date (25 févr. 494) de la lettre du pape Gélase à Rusticus de Lyon, laquelle est un faux de Jérôme Vignier. Cependant, cette ambassade a dû avoir lieu vers cette époque. — Sur la date du décès d'Avit,cf . Frantz, l. L, p. 13-14 et L. Duchesne, Fastes épisc, t. I2 (1909), p. 206, n. 2.

(3) Hormis les lettres datées d'après les faux de Vignier et citées sup. au début de la n. 1, la seule épître que Peiper place avant 500 (ou plutôt « après 494 » ; cf. Schanz, L t., p. 387\ est celle à l'évêque Eustorge [n. 10] qui a été identifié comme celui de Milan, déjà par Sirmond. Il me sera facile de confirmer cette identité. Avit remercie son correspondant d'avoir reçu deux fois des dona, destinés au rachat de prisonniers : Visitatur opère vestro nostrarum aerumna regionum et emanans ex largiendi thesauro irrigui fontis ubertas, cum Italiam rigaverit, respergit et Galliam. Ces mots font sans doute allusion au jet d'eau que l'évêque de Milan avait aménagé dans un baptistère. Le diacre de Milan, Ennode, a consacré un épigramme

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que toutes ses lettres sont postérieures à ce millésime. En éditant avant 507 son poème biblique en cinq livres, peu de

à cette merveille (Carm. II, 149), quoiqu'il ait regretté beaucoup de ne pas avoir obtenu, à la place d'Eustorge, ce siège qu'il avait si longtemps servi (cf. Ennod., Ep., VII, 9) :

De fonte baptisterii S. Stephani et aquaquae per columnas venit . En sine nube pluit sub tectis imbre sereno

Et caeli faciès pura ministrat aquas. ... Sancta per aethereos émanât lympha recessus

Eustorgi vatis ducta ministerio. Vogel, MGH. AA. t. VII, p. xxv, datait cette composition de 512-513

et Chevalier, l. L, p. 143, fixait la lettre d'Avit en 512-518, parce qu'avec les anciens auteurs ils placent en 512 l'accession d'Eustorge au siège de Milan. Mais depuis, Vogel, Neues Archiv, t. 23 (1898), p. 54, a admis le 25 juillet 507 comme date du décès du prédécesseur d'Eustorge, d'après la computation de Hasentab, que Sundwall, Abhandl. z. Gesch. d. ausgehen- den Römertums, Helsingfors, 1919, p. 48-50, 58-59, a précisée en adoptant 508, plaçant au 6 juin 515 la mort d'Eustorge et, d'après la chronologie de l'épistolaire d'Ennode, cet épigramme au premier trimestre de l'année 510. C'est sans doute vers cette date qu'Eustorge aura contribué à soulager les misères que le corps expéditionnaire ostrogoth avait accumulées par son invasion en Bourgogne en 509 (cf. Marius d'Avenches, ad h. a. : ... de- praedavit). D'ailleurs, la lettre que Théodoric adressa à Eustorge en 507- 511, Cassiod. Var. 1, 9 ; cf. II, 29, prouve péremptoirement en raison de la date de la questure de Cassiodore, que l'évêque de Milan était en fonction avant 512.

Dom G. Morin, Rev. Bénédictine, 1935, p. 207-210, a montré que la lettre suivante [11] à Césaire, év. d'Arles (depuis fin 502), lui recommande son collègue de Trêves, Maximien. Elle est suivie d'une autre [12] que Chevalier, p. 360, date « après 496 », parce que le destinataire, Maxime, devint évêque de Pavie à cette date et le resta jusqu'en « 510 environ » (ibid., p. 145, n. 5). D'après les Acta SS., Iulii, t. IV, p. 271 ss., Vogel, MGH. AA. , t. VII, p. xxiv, place son décès en janvier 511, et suppose qu'il n'eut point Ennode comme successeur immédiat (cf. F. Magani, Ennodio, t. II , Pavie, 1886, p. 194-195), qui ne devint évêque de Pavie que vers 513-514 (cf. Pfeilschifter, Theod. d. Grosse, Munster i. W., 1896, p. 146, n. 1 ; Sundwall, cité plus haut p. 71). Il nous suffit de constater que la lettre déclare aerumnas infelicium Gallorum consolatione consilii et largitate palpatis et a pour but d'obtenir d'un comte Betancus la libération d'un gallo-romain ante hos circiter quatuor annos pro pignore obsidatus assump- tum. Or, la première opération de Théodoric en Gaule, le siège d'Arles, remonte plutôt à l'année 508 qu'à la seconde moitié de 507. En tout cas, cette lettre fait allusion aux mêmes générosités que celles, dont l'évêque

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(27) CLOvis 885

temps après avoir publié un recueil de ses homélies, Avit rappelle à son frère Apollinaire, évêque de Valence, qu'il avait commencé à réunir et à classer ses petites poésies (épigram- mes), mais qu'elles ont été presque toutes perdues lors du siège ou de la prise de Vienne en 501 (1).

de Milan Eustorge, le pape (Lib. pont., éd. Duchesne, p. 263, 9) et Théodoric lui-même (Cassiod. Var. III, 40 et 44, pour le 1er sept. 510) gratifièrent la Provence et la Gaule vers 510.

La plus ancienne lettre que nous puissions dater est celle (34) aux sénateurs romains Fauste et Symmaque, et se rapporte au synode romain de 502.

(1) Avit., Prol. du Libellus de spiritalis historiae gestis. Nuper quidem paucis homiliarum mearum in unum corpus redactis, hortatu amicorum dis- crimen editionis intravi. Sed adhuc te maiora suadente,in cothurnum petulan- tioris audaciae durato fronte procedo. Iniungis namque, ut si quid a me de quibusdam causis mihi lege conscriptum est, sub professione opusculi vestro nomini dedicetur. Recolo equidem nonnulla me versu dixisse, adeo ut, si ordinarentur, non minimo volumine stringi potuerit epigrammatum multitu- do. Quod dum facere, servato causarum vel temporum ordine, meditarer, omnia paene in illa notissimae perturbationis necessitate dispersa sunt (A. Jahn, Gesch. d. Burgundionen. Halle, 1874, t. II, p. 128 ; cf. Chevalier, éd. p. vu, Schanz, Röm. Lit, t. IV, 2 (1920), p. 382, a très bien vu que cette catastrophe est celle dont Vienne fut le théâtre en 500-501). Quae quoniam singillatim aut requiri difficile aut inveniri impossibile foret, abieci ea de animo meo, quorum mihi vel ordinatio salvorum (sans doute les poésies qu'il avait composées depuis 500), ne dicam dispersorum repara- tio, dura videretur. Aliquos sane libelles apud quemdam familiarium meum postea repperi... Hi ergo, quia iubes, etsi obscuri sunt opère meo, tuo sal- tem nomine illustrabuntur.

Ces détails sont confirmés par la lettre d'Avit [43] à Eufraise, évêque de Clermont, en Auvergne (490-515 env.) : ...opusculi mei iam diu quaesitum praedonem in manus meas venisse plus gaudeo. Et quia libellum ipsum, quantum mihi indicavit, vobis reportât, peto ut qualecumque est opusculum ipsum, nee ante editum nec omnimodis emendatum, viro sublimi ac piissimo, si dignamini, fratri nostro Apollinari (... domni Sidonii filio) publicare atque excusare dignemini... Sufficiet me reprehensionis suae censuram hinc tantummodo intellexisse, si taceat. Il semble bien que le praedo est l'évêque Emeterius, inconnu par ailleurs. Il avait été recommandé par Eufraise à l'indulgence d'Avit, qui avait écrit d'abord à l'évêque de Clermont quantum fratri Emeterio apud me commendatio vestra profecerit et lui écrit maintenant has (litteras) etiam per ipsum (Emeterium) libenter ad- ieci, quibus opusculi mei... praedonem in manus meas venisse (à la suite de la visite d'Émétérius) plus gaudeo.

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Ayant trahi son frère co-régnant Gondebaud à la bataille sur l'Ouche, près de Dijon, gagnée de la sorte par Clovis, Gode- gisel s'était installé, en effet, dans Vienne, appuyé par un fort contingent de Francs, tandisque son frère se réfugiait dans Avignon (guerre de Burgondie). Les relations cordiales qu'Avit

Quant au fils de Sidoine Apollinaire, résidant à Clermont, il n'écrivit pas aussitôt à Avit pour le féliciter de son poème, sans doute parce qu'il fut bientôt appelé à la cour de Toulouse par la méfiance d'Alaric II. Mais il recouvra la faveur de son souverain (Scripsistis igitur, Christo praestante, iam redux, omnia tuta esse circaque vos dignationem domni regis Alarici illaesam et pristinam permanere), et Avit ayant appris cette bonne fortune par des tiers, s'empressa de féliciter son correspondant et de lui envoyer une meilleure copie de son poème (ep. 51) : Ante aliquot menses datas ad amicum quemdam communem magnificentiae vestrae litteras vidi, quibus... scribebatis placuisse vobis libellos, quos... de spiritalis historiae gestis etiam lege poematis lusi... Libellum tamen amicus, qui ut puto ad vos pervertisse fecit, non de librariis, sed adhuc ex notarii manu adeo mihi in- emendatum crudumque praeripuit, ut non facile dénotes ,auctoris magis scrip- torisne uitiis irascaris. Quapropter opusculum ipsum in membranas redac- tum et adhuc non quanta volueram correctione politum, ne moram desiderio tuo facerem, celeriter destinavi (Au moment où Avit expédiait cette lettre, Apollinaire lui écrivit enfin lui-même, cf. ep. 52). Dans son étude sur la chronologie des lettres d'Avit, Binding, Das burgundisch-roman. Koenig- reich, 1863, p. 263, a déjà remarqué que l'évêque Eufrasius de Clermont était évidemment l'ami qui avait envoyé le poème d'Avit, sur la demande d.e celui-ci à Apollinaire, sans doute durant le séjour que le fils de Sidoine fit à la cour de Toulouse. Le mauvais état de la première copie s'explique peut-être, parce qu'elle avait été faite rapidement, durant le séjour d'Emétérius auprès d'Avit, sur le manuscrit original, longtemps perdu, qu'Emeterius avait rapporté à l'auteur. Ante aliquot menses de Vep. 51, prouve que cette première copie (antérieure sans doute à l'édition dédiée au frère d'Avit, Apollinaire de Valence), rapportée par Emete- rius à Clermont, a été exécutée assez longtemps avant 507, terminus ante quem fourni par la défaveur momentanée du fils de Sidoine Apollinaire auprès d'Alaric II, dont parle la même lettre et qui doit être survenue avant la guerre franco-visigothique, à laquelle Apollinaire participa aux côtés de son souverain, (ep. 22 ; cf. Greg. Turon., H.F., II, 37). Cependant, il se pourrait que l'édition définitive, dédiée à Apollinaire de Valence, ne précéda que fort peu cette date. En tout cas, on ne peut dater avec certitude de 507 la lettre à l'évêque de Clermont, Eufraise [43], ni même celles au fils de Sidoine Apollinaire [51-52], parce qu'on ne sait à quelle date celui-ci fut un moment suspect à Alaric II, que plusieurs mois se sont écoulés entre la lettre d'Eufraise et celles au fils de Sidoine. Enfin,

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(29) clovis 887

entretint par la suite avec Gondebaud, laissent supposer que l'évêque n'avait point embrassé le parti du traître. Il fut sans doute traité par celui-ci en suspect, à moins qu'il n'eût quitté la ville. En tout cas, après qu'il se fut emparé de Vienne, Gondebaud y tua son frère et fit périr un grand nombre de Gallo- Romains et de Burgondes qui avaient participé à la rébellion (a).

Puisqu'au cours de ces luttes fratricides Avit perdit les feuilles éparses de ses poésies et même le manuscrit de son épopée biblique et que d'autre part nous ne pouvons assigner à aucune de ses lettres, ni de ses homélies une date antérieure à 502, il est vraisemblable qu'Avit aura perdu dans les mêmes circonstances tragiques les pièces qu'ils avaient composées antérieurement et que sa lettre à Clovis, tout comme l'homélie qu'il tint à l'occasion de la conversion de Lantilde, la sœur (arienne) de Clovis, à l'époque du baptême du roi franc (2), sont postérieures à 501, comme toutes ses autres lettres et ses homélies que nous avons conservées.

Krusch a placé le baptême de Clovis à la Noël de 508 et à Tours, en raison du témoignage de Nizier de Trêves, que nous récuserons, parce qu'il nous paraît reposer sur une confusion que nous pourrons expliquer facilement, puisque nous plaçons le baptême de Clovis à la Noël de 506 (immédiatement après la victoire sur les Alamans) et que le roi franc fut à Tours, sinon en 507, du moins en 508. Mais le critique a cru sa thèse confirmée par le fait, que la lettre de félicitations que l'évêque de Vienne adressa au roi franc à l'occasion de son baptême, se trouve dans l'épistolaire d'Avit à la suite d'une lettre

dans son édition, p. 186, n.5, Chevalier date à tort de 507 à 514-515 l'épisco- pat d'Eufraise qui se fit représenter aux concile d'Agde en 506. Grégoire de Tours, qui fut éduqué à Glermont par deux successeurs d'Eufraise, rapporte que celui-ci mourut quatre ans après Glovis et dans sa vingt- cinquième année d'épiscopat (490-515 ; cf. L. Duchesne, Fastes épisc, t. II2, p. 35)

(1) Cf. L. Schmidt, Gesch. d. dt. Stomme, t. I : Ostgermanen2, Munich, 1934, p. 151-152.

(2) Cette homélie existait encore en 1573 dans le papyrus de Thou, dont la Bibl. nat. conserve quelques fragments. Cf. Avit, éd. Chevalier, p. 345, p. lviii.

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expédiée au prince-héritier burgonde, Sigismond, lors de son entrée en campagne dans la guerre visigothique en 508, plutôt qu'en 507 (*). Seulement, tout le monde admet, qu'au point de vue de la chronologie, le plus grand désordre règne dans le recueil des lettres d'Avit et rien ne prouve que nous avons affaire ici à un de ces petits paquets de deux ou de trois lettres qui ont été expédiées simultanément, ou du moins à bref intervalle, à un même personnage ou à propos d'une même affaire.

Les deux autres lettres (ep. 91-92), qu'Avit envoya à Sigismond, encore durant la campagne, avant sa jonction avec les Francs, figurent à un tout autre endroit. Si ce n'est point le hasard qui a rapproché les deux lettres aux deux rois catholiques, c'est certainement en raison de leur contenu, qu'elles ont été placées l'une après l'autre et peut-être en a-t-on rapproché par la suite une lettre de 515-516, à l'empereur (ep.46a), parce que toutes trois glorifient le triomphe du catholicisme par les princes (2).

2. La Conversion de Sigismond. — M. *W. von den Steinen a fait remarquer dans une note au bas d'une page (3), que la lettre d'Avit à Sigismond (ep. 45) mentionne la conversion du fils de Gondebaud avec un enthousiasme tel, que cet événement doit être tenu pour récent et aurait eu lieu immédiatement avant l'entrée en campagne (vers 508) du roi burgonde en second, dans la guerre franco-visigothique.

(1) Je justifierai cette intervention tardive de Sigismond dans la guerre franco-visigothique de 507-508, dans une étude sur Clovis et la politique méditerranéenne à paraître dans les Mélanges que les élèves d'H. Pirenne consacreront à la mémoire de leur Maître.

(2) Cf. W. v. d. Steinen, Hist. Jahrbuch, t. 53 (1933), p. 60. La lettre 46 à Clovis paraît complète, mais celle à l'empereur 46a (se rapportant au fils de Laurentius et expédiée en même temps que ep. 9, 47-48) est incomplète du début, parce qu'elle a été déplacée postérieurement et elle a été longtemps confondue avec la lettre à Clovis. Sur la tradition des lettres et des homélies d'Avit, cf. la préface de l'éd. Peiper, p. vi ss. — Dans la lettre 92 à Sigismond, fideliter vicina coniungat se rapporte à la jonction des forces burgondes et franques.

(3) Loc. supr., p. 881, n. 2, L, p. 478, n. 4.

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AVITUS EPISCOPUS DOMNO SlGISMUNDO REGI De festivitate, ad quam profectus fueram, summa qui-

dem festinatione reversus sum. Sed quia iam duce Christo processeratis, laetificandus, ut de Deo credimus, reditu vestro, inmodice tamen attonitus reddor abscessu : quod scilicet in ipso successurae prosperitatis regressu, advolvi genibus domini mei, permulcere osculis manus et in sancto Ulo pectore sedem fidei nostrae adorare non merui,. . Egressi felices, ite sospites, redite victores. Fidem vestram telis inserite..., auxilia caeli precibus exigite, iacula vestra votis armate. Dabit Deus, ut bellorum trophaea quae vobis ipse praestiterit. . .

M. von den Steinen invoque à l'appui de son interprétation la lettre [8], par laquelle l'évêque annonça au pape la conversion de Sigismond, aussitôt qu'il l'avait apprise. Nous lisons dans ce fragment de papyrus du vie siècle, incomplet du début et resté longtemps inédit : (J)

... diu d(og)mata tenebrarum et mysteriorum orienta- lium (feroci)um barbarorum corda secluserant... sic di- vers(arum) terribiles animos nationum aut haeresis Ar- riana maculaverat aut naturalis (inmani)tas possidebat. At postquam princeps praefatus, in catholicam vestram de (pristino) errore commigrans, velut Christianorum signifer portanda coram populo veritatis vexilla suscepit, omnes adhortatione illiciens, nullum potestate compellens, suam gentem proprio, extraneas autem suae adquirit exemplo. Nec vobis (sug)geri dignum est, quam (vim) veritas habet ; catervatim quidem populi ad caularum (quas) re- gitis saepta concurrunt ; sed adhuc de regibus solus est, quem in bonum trans(isse) non pudeat. Sic quoque illos, quos adhuc provocatione non corrigens, iam tamen admiratione conpescens, si nondum saluti potuit adponere, saltem praestitit a persecutione cessare. Servate, quod superest, oratu adsiduo his partibus soli retigioso unicum pignus et inpetrate a Deo aliis regionibus tribui, qu{icquid) nobis peti- mus custodiri. De cetero veraciter ignorare me fateor, utrum memoratus filius vester scripto aut verbo votum suae obliga- tionis aper(ueri)t. Basilicam legis nostrae in urbe, quae

(1) Les mots mis entre parenthèses sont des conjectures des éditeurs aux endroits devenus illisibles. Les deux éditions, sup. p.882, n. 3 cit., sont à consulter.

R. B. Ph. et H. — 58.

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regni sui caput est, quantum ad (exter)nam paupertatem pertinet, magno sura(ptu), quodque de poten(t)i(bus ra)- rum est, maximo construxit adfectu et benedico munere vestr(o) (vestrae pietatis Pp.) ... pars quae desiderat(ur) ad(huc) pre(cibus) illius au<geatur coni.> ... — intellegite virum totis velle tribuere, quod a vobis poterit optinere petitioni(s) suae. Vos quantum talis persona mereri vide- tur, adicite. Ceterum ille piissima humilitate decernet, quod, cum omnis civitas vestra recte una dicatur ecclesia, iuste pro caelo habetur, quicquid de sacro terrae vel pulvere mi- seritis.

Mais on ne peut interpréter cette lettre sans avoir égard à cette autre [29], que Sigismond (par la plume d'Avit) adressa au pape Symmaque (f 19 juillet 514). Ce n'est point à regret que je reproduis ces trois documents diplomatiques concernant la conversion de l'héritier burgonde. Ils ont été pour ainsi dire complètement négligés, tandisque le récit que Grégoire de Tours donne de la conversion du roi franc a fait fureur durant quatorze siècles.

SlGISMUNDUS REX SyMMACHO PAPAE UrBIS RoMAE. Dum sacra reliquiarum pignora, quibus per me Gal-

liam vestram spiritali remuneratione ditastis, negare pe- tentibus non praesumo, me quoque sanctorum patrocinia postulare ad irriguum vestri apostolatus fontem necesse est. Quamquam etsi est adhuc apud vos de dono vestro, quod catholicae religionis debeat studio celebrari, etiam illud tamen convenit iustae devotionis intelligi, ut directis litterarii sermonis officiis alloquia illa captemus, quibus me pontificatus vester vel praesentem monitis docuit, vel ab- sentem intercessionibus adquisivit. Nec nunc paginae prae- sentis obsequium opportunitas reperta complectitur ; sed destinato ad vos diacono portitore, viro venerabili Iuliano, ad universalis Ecclesiae praesulem spiritu repraesentante concurrimus. Crescit quippe beneficiorum recordatione desiderium, nec umquam meis elabi sensibus possunt, quae nobis apud Italiam vestram vel pontificalis benignitas vel civilitas regalis impendit, cum, post familiaritatem totius munificentiae commodis praeferendam, [quia delevi] ista (L, istic éd.) liberius laxavit reditu, illa (illic L, éd.) tena- cius cinxit affectu... Attentior pro vestris, quod superest, incumbat oratio : in augmento namque ovium crescit eus-

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(33) CLOVis 891

todia pastoralis. Sacris nos apostolorum liminibus comme- moratione adsidua praesentantes, speciali, dum vixero, praedicatori vestri, ubi obtimuistis initium, impetrate pro- fectum. Litteris nos, in quantum possibilitas patitur aut libertas, quibus nobis doctrina et incolumitas vestra floreat, frequentate et, ut supra speravimus, ambienda nobis vene- rabilium reliquiarum conferte praesidia, quarum cultu beatis- simum Petrum in virtute et vos semper habere mereamur in munere.

Sigismond a fait visite au pape à Rome et au roi Théodoric, son beau-père, sans doute à Ravenne Q). Mais le fils de Gonde- baud est plus enchanté de la pontificalis benignitas et de sa familiaritatem qui, depuis (post), tenacius cinxit affectu que de la civilitas regalis, malgré ses totius munificentiae commodis, car, depuis, liberius laxavit reditu. Au retour de son pèlerinage, Sigismond a distribué, (comme les pèlerins font encore de nos jours), les reliques qu'il avait reçues, à tous ceux qui lui ont demandé un souvenir de son voyage spirituel. Aussi, il envoie maintenant tout spécialement un diacre à Rome, afin d'obtenir pour lui-même des reliques de Saint Pierre, et il invite le pape à entretenir avec lui une correspondance suivie au sujet de la doctrine catholique. Ce n'est point à Rome que l'héritier burgonde s'est converti : me pontificatus vester praesentem monitis docuit, absentem intercessionibus adquisivit (2), mais à son retour : familiaritatem ...reditu.... tenacius cinxit affectu (3).

La lettre d'Avit au pape [8] accompagnait certainement celle de Sigismond. Dans sa dernière partie, elle appuie la demande du roi en titre, afin d'obtenir des reliques de saint Pierre, par ces trois arguments : intellegite virum tous veile tri- buere (ce laïque ne gardera pas pour lui seul ces saintes dépouilles) ; — quantum talis persona mereri videtur ; — enfin tout

(1) La grande voie romaine de Milan à Rome passait par Ravenne, comme encore de nos jours la direttissima va par Bologne.

(2) Ubi obtinuistis initium ne saurait faire de difficulté. C'est le pape qui a obtenu la conversion par ses prières sur le tombeau des Apôtres (cf. absentem intercessionibus).

(3) Cf. aussi in augmente namque ovium... « au fur et à mesure que le nombre des brebis augmente, la vigilance du pasteur grandit ».

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ce que vous enverrez sera considéré comme un don du ciel (^, Les deux lettres [8 et 29] ont le même objet et le même but : annoncer au pape la conversion du fils de Gondebaud et demander des reliques. Déclaration d'allégeance de la part du roi en titre, nouvelle triomphale lancée par l'évêque de Vienne. Votum suae obligationis (ep. 8) ne signifie point dans le langage d'Avit (2) la promesse de se convertir, mais les vœux, la profession de foi catholique que le prince arien fit sans doute au cours de la cérémonie de la chrismation ou de la simple imposition des mains, car le baptême, même conféré dans l'hérésie, n'est jamais renouvelé (3). M. von den Steinen admet (4), qu'Avit ne fut point présent à la cérémonie, puisque l'évêque déclare [ep. 8] : De cetero veraciter ignorare me fateor, utrum memoratus filius vester scripto aut verbo votum suae obligationis aperuerit. Cependant, au ixe siècle, Agobard de Lyon (5) lisait encore l'homélie qu'Avit avait tenue à l'occasion de la conversion de Sigismond. Peut-être a-t-il magnifié cet événement à Vienne, où il prononça sans doute l'homélie à l'oca- sion de la conversion de la sœur de Clovis. La cérémonie de la conversion de Sigismond s'est-elle passée à Genève sans

(1) Pour lui-même Avit était plus exigeant et il obtint du patriarche de Jérusalem, par l'entremise du pape, des reliques de la croix. Car, dans sa lettre de remercîments au patriarche (25), il déclare expressément : ad me munera pervenerunt. C'est donc à tort que Peiper estime (et avec lui, E. Caspar, Gesch. d. Papsttums, t. II, Tubingen, 1933, t. II, p. 127, n. 3) qu'Avit aurait composé au nom de Sigismond la lettre, dont nous avons conservé un fragment (20), par laquelle il demande (pour lui-même) l'entremise du pape auprès du patriarche.

(2) Cf. Avit, ep. 17 : utrisque... votum excommunicationis indicite. (3) Concile d'Epaone (517), c. xvi (MGH, Conc, t. I, p. 23). A Rome on

se contentait même de soumettre l'hérétique converti à la simple imposition des mains (rite pénitentiel). Cf. P. de Puniet, Dict. d'Archéol. cuir, et de liturgie, t. III, 2 (1913), p. 2542 ; Dom Cabrol, ib. t. VI (1925), p. 2253 ; J. Coppens, De impositione manuum, Louvain, 1925.

(4) L. sup., p. 888, n. 3, cit. (5) Ep. III (Liber advenus legem Gundobadi), c. 13 : m cuius (Sig.)

conversione recitavit (Avitus) homiliam in populo sensuum suavitate ple- nissimam et verbomm compositione dulcissimam (MGH., Ep. V, p. 163, 36). — L. Schmidt, Ostgerm.* (1934), p. 159, n. 1, parle à tort du baptême de Sigismond.

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(35) clovis 893

apparat, pour ne point mécontenter Gondebaud, qui resta attaché à l'arianisme? Ou bien s'agit-il d'une déclaration de foi antérieure à la cérémonie?

En tous cas, la connexion que nous avons établie entre les lettres qu'Avit adressa au pape au nom de Sigismond et au sien propre, prouve que l'évêque vise la conversion de l'héritier burgonde et non point celle de Clovis (*). Ce qui dès lors importe pour nous, c'est qu'Avit peut déclarer (ep. 8) : sed adhuc de regibus solus est, qui in bonum transisse non pudeat.

Sigismond avait obtenu le titre de roi (2) et son père régnant

(1) P. N. Frantz, siip., p. 882, n. 2, /., p. 84, n. 1, cf. p. 123 et U. Cheva- liek, éd. p. 139, n. 10, cf. p. 140, n. 8, ont hésité un instant, mais ni Pei- per, ad ep. 8, ni W. v. d. Steinen, /. /., ni E. Caspar (1933), L /., p. 126, ni L. Schmidt, l. /., n'ont admis qu'Avit aurait parlé de la sorte du roi franc dans sa lettre au pape. Et cependant ces auteurs supposent que la conversion de Clovis est antérieure à celle de Sigismond et ignorent la connexion de la lettre d'Avit avec celle que Sigismond adressa au pape (ep. 29).

(2) La meilleure preuve constitue le titre de la lettre 29 du pape Sym- maque (sup., p. 890), qui mourut deux ans avant Gondebaud. Le chroniqueur burgonde, Marius d'Aven ches (f 594), qui rapporte que Sigismond succéda à son père en 516 (cf. L. Schmidt, /. /., p. 158, n. 4), mentionne à l'année précédente que l'abbaye d'Agaune fut construite a rege Sigismundo. Dans la lettre 45 (d'Avit à Sigismond) qui nous occupe, le titre régi figure dans le meilleur ms., le Ludgun., mais pas dans celui (ou du moins dans l'édition) de Sirmond.

On a conjecturé avec raison qu'au lieu de Avitus episc. il faut mettre Sigism. rex dans le titre des deux lettres 47-48 qui, tout comme en 46 A et 9 concernent le fils de Laurentius autorisé à rejoindre son père à la cour de Constantinople vers 515 ; car Gondebaud vit encore : ep. 47 : ab amatore vestro, domno et pâtre meo, impletam me intercedente. Dès lors, L. Duchesne Fastes épisc, t. I2, p. 286, n. 2, a raison d'admettre que la lettre 9 au patriarche de Constantinople « ne vise pas nécessairement la fin du schisme acacien en 519,mais la nouvelle, sans doute prématurée, d'une réconciliation entre le pape et l'Église grecque ; des bruits de ce genre sont mentionnés dans la lettre 87 [d'après éd. Sirmond, ep. 41 éd. Peiper, 32d éd. Chevalier], qui est du début de 517 » (ou de la fin de 516, cf. la réponse du pape, ep. 42 éd. Peiper), de sorte que rien n'empêche de placer la mort d'Avit en 518. — Enfin, l'excellente vita Caesarii, composée entre 542-549, mentionne à propos du siège d'Arles en 508 : Gundoboldus et Sigismundus reges Burgundionum (MHG., Merov., t. III, p. 487, 16). Cette royauté de second

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à Lyon, il tenait sa cour à Genève, depuis qu'il y avait succédé à son oncle Godegisel, qui avait trouvé la mort (501) dans sa tentative de détrôner son frère co-règnant avec l'aide de Clovis (guerre de Burgondie). C'est à Genève, regni sui caput, comme dit Avit dans sa lettre au pape, que Sigismond faisait construire une basilique (1). Les critiques ont admis jusqu'ici que adhuc de regibus solus est se rapporterait aux deux rois burgondes, Sigismond et son père, et non point à tous les rois barbares, parce qu'ils acceptent 496 environ comme date du baptême de Clovis et qu'ils savent que Sigismond s'est converti après 501, puisqu'il règne à Genève. Cependant, à cette interprétation limitative tout le contexte de la lettre s'oppose. Avit ne considère pas seulement que cette conversion marquera la fin de Yhaeresis Arriana mais aussi de la nationum naturalis (im- mani)tas : le paganisme. L'exemple de Sigismond n'agit pas seulement sur son propre peuple, mais aussi sur les nations voisines : suam gentem proprio, extraneas autem suae adquirit exemplo,... Catervatim quidem populi ad caularum (quas) re- gitis saepta concurrunt ; sed adhuc de regibus solus est, quem in bonum transisse non pudeat. Si Avit parle des autres peuples, ce sont aussi leurs rois qu'il vise. Le caractère solennel et imposant de sa constatation serait singulièrement diminué, si adhuc de regibus solus est signifiait « des deux, il est le seul... ». Et l'évêque ajoute, que l'exemple de Sigismond a engagé les rois à cesser leurs persécutions : Sic quoque illos...., si nondum saluti potuit adponere, saltem praestitit a persecutione cessare. Cette remarque peut s'appliquer non seulement à Gondebaud, mais surtout à Alaric II, qui après avoir rétabli sur leur siège

rang était d'ailleurs habituelle chez les Burgondes, cf. L. Schmidt. l. l., p. 178-180.

(1) C'est aussi à Genève, villa Quatruoio (Le Carre?), d'après Frédég., III, 33, que Sigismond fut confirmé dans la royauté à la mort de son père. Cf. Binding, l. L, p. 225, n. 779-80 ; L. Schmidt, L l, p. 158, n. 5. — Cf. Avit, ep. 31 : constipatio Genavensis. — Hom.il. XIX dicta in dedicatione basilicae Genevae quam hostis incenderat, remonte sans doute à l'époque de la restauration de Genève par Gondebaud immédiatement après la guerre civile de 501, cf. Schmidt, p. 152, n. 4.

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(37) CLovis 895

plusieurs évêques exilés, publia le 2 février 506 sa Lex romana approuvée par les évêques et permit la réunion d'un concile à Agde en septembre 506 (J). Il semble bien que par adhuc Avit laisse entendre qu'une autre conversion est proche. Sans doute avait-il connaissance des dispositions du roi franc, qui lui avait témoigné déjà sa devotio (2) et avait laissé baptiser les enfants de Clotilde. S'adressant au pape, l'évêque de Vienne formule le vœu : Servate, quod superest, oratu assiduo his partibus soli religioso unicum pignus et inpetrate a Deo aliis regionibus tribui, quicquid nos petimus custodiri. Rapproché des textes qui précèdent, celui-ci prouve clairement que les autres régions ne possédaient point encore un tel unicum pig- nusï Avit pouvait-il exprimer avec tant d'ardeur le vœu de voir aussi à la tête d'autres nations un tel agent de conversion (3), si déjà depuis un ou deux lustres Clovis eût converti un grand nombre de ses Francs?

Les critiques reconnaissent maintenant que Sigismond s'est converti après 501, puisqu'il régnait à Genève, regni sui caput depuis la chute de Godegisel. Mais les textes connexes, adhuc de regibus solus est et tout le passage que nous venons d'interpréter, nous obligent à admettre que la conversion de Clovis est postérieure à celle de Sigismond. Non seulement ces

(1) Cf. L. Schmidt, l.L, p. 499-500. (2) Avit, ep. 46, à Glovis : humilitatem quam iamdudum nobis devotione

inpenditis. (3) Cette expression répond à celle d'Avit, unicum pignus et au contexte.

L'évêque de Vienne emploie généralement pignus pour désigner des reliques. De la sorte,il assimile le zèle catholique du prince burgonde à l'action exercée par les reliques, qui opèrent des miracles entraînant la conversion. Quelque temps avant la mort de Gondebaud (516), Avit déclare à Sigismond après avoir mentionné la politique hérétique de son père (ep. 31) : claret gloriosior sub principatu vestro noster triumphus, cum duabus haeresibus in unam redactis non minus acquirentibus quam convincentibus nobis et scismatorum numerus decrescit et scismatum. Et dans une homélie (xx) prononcée lors de la dédicace d'une église près de Genève (à Anne- masse) en 515, il s'écrie : Principis studio, sacerdotis adnisu, crescunt ani- mae Deo, orationibus loca, praemia construentibus, templa martyribus ; haeretico rarescente, profectus religionis adicitur...Paene est, ut in praesenti- bus iam subradiet, quod promittitur in futuris...

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textes et le terminus a quo que nous avons établi pour l'épis- tolaire d'Avit (après 500-1), mais la date (506) que nous assignerons à la bataille contre les Alamans et la critique que nous ferons du témoignage de Grégoire de Tours et de Nizier de Trêves, comme l'examen des raisons et des circonstances politiques qui motivèrent la conversion de Clovis, nous forcent d'abandonner pour celle-ci la date traditionnelle (496) et rendront évidente la solution que nous proposons au problème qui nous occupe : Clovis s'est laissé baptiser après sa victoire sur les Alamans et avant sa conquête du royaume visigoth, le 25 décembre 506.

Même si l'on admet avec M. van den Steinen, que l'épître [8] qu'Avit adressa au pape laisse supposer que l'évêque n'a pas assisté à la conversion de Sigismond — simple cérémonie d'imposition des mains — ·, on ne peut conclure de certaines expressions emphatiques d'une autre lettre d'Avit adressée à Sigismond lors de son entrée en campagne vers 507-8 (ep. 45), qu'à cette date l'évêque n'aurait pas encore rencontré le prince, dont la conversion remonterait à peu de temps auparavant. Par son interprétation contraire, le contradicteur de Krusch apporte le plus bel argument qui soit à la thèse qu'il combat (conversion de Clovis à Tours en 508), puisque la conversion de Sigismond est antérieure à celle du roi franc (adhuc de regibus solus est) et qu'il suppose qu'elle aurait eu lieu immédiatement avant l'entrée en campagne.

Tout d'abord, si Avit n'avait pas assisté à la cérémonie de la conversion, celle-ci a pu avoir lieu à Genève depuis un an ou même deux années, sans que l'évêque de Vienne aurait rencontré le prince héritier. Mais surtout, il me semble qu'Avit, regrettant d'avoir manqué le passage de Sigismond, a fort bien pu écrire, même s'il avait déjà vu le prince depuis sa conversion : in ipso succesurae prosperitatis regressu advolvi genibus domini mei, permulcere osculis manus et in sancto illo pectore sedem fidei nostrae adorare non merui.... Sed ego solus damno percellor quoties consolationi meae interesse non mereor. Les sentiments affectueux de l'évêque pour le prince sont entièrement basés sur la même conviction religieuse qui les

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unit, comme Avit le déclare dans la même lettre : Sed prae- sumo de maiestate divina hinc respectum mei sensibus vestris tenacîus adhaesurum, quo eum vobis amor catholicae legis infudit. Dans deux autres lettres qu'il addressa à Sigismond durant cette guerre franco-visigothique, il exprime toutes ses craintes pour les dangers que court celui qui est l'espoir du catholicisme en Burgondie.

Ep. 91 :... per illam, quam a Deo accepistis et mihi praesta- tis, gratiam precor ut, quamquam merito indictae fidei fir- mitate securi nobis magis impenso cautelae vestrae munere simus, trepidationi nostrae et ignaviae consulatis ; neque plus cogitetis, quod universitas pro vobis devota supplicat, quam quod suspensa formidat.

Ep. 92 : Videtur quidem de divina promissione diffi- dere, quicumque minus de vestra prosperitate securus est... Quippe, cum quicumque veraciter catholicorum nomen usurpant, pervigili prece Deo supplicare nunc debeant, ut vobis vota nostra illibata atque intégra relaturis, et fideliter vicina coniungat et féliciter adversa subiciat ; sicque in rerum necessitate multiplici ambifariam vobis, Christo propugnante, contingat et pax, quae cupitur, et Victoria quae debetur.

Il faut reconnaître que dans ces trois lettres que l'évêque de Vienne adressa à Sigismond (*) durant la campagne de 508, les motifs religieux sur lesquels il base son attachement au prince héritier sont beaucoup plus marqués que dans ses let- res postérieures (2) ; qu'ils laissent supposer que la conversion

(1) L. Schmidt, l. t., p. 159, n. 2, admet que le frère cadet de Sigismond, Godomar, se serait converti vers la même époque et serait visé dans l'apostrophe piissimi domini de la lettre 92 : Unde licet in Dei nomine per quos- cumque transeuntes prospéra cognoscamus, potes tis tamen piissimi domini conicere, quantum mihi dulcius erit, sicutme quibuscumque referentibus pascit illa sancti adfectus recognitio, sic me rescriptio laetificet, in qua ad quamdam praesentiae vicem verba vestra pro conspectibus adpicisci et subscriptionem pro manu merear osculari. Mais cf. H. v. Schubert, Staat. u. Kirche... Hist. Bibl., t. 26 (1912), p. 114, n. 2.

(2) Cf. Ep. 23 (date inconnue, mais postérieure à la conversion, sem- ble-t-il) : ... cum praesentiam vestram, Deo largiente, meruero. — Ep. 32 : Quis scilicet tam intolerabilem poenam aequanimiter ferai, ut paradiso vestri conspectus inclusus mora beatiora vos videati — ■ Ep. 76 : Dum alii sanctis

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est récente. Cependant, les expressions comme sedem fidei nostrae adorare non merui, étaient particulièrement de circonstance au début de cette guerre, qu' Avit place sous le signe de la foi, tout comme Grégoire de Tours le relate pour Clovis, l'allié des Burgondes. Et elles étaient d'autant plus justifiées, si le roi franc s'était converti le 25 décembre 506, peu après le jeune roi burgonde, quelques mois avant qu'il s'attaqua à l'arien Alaric II.

3. La conversion de Clovis d'après Avit. — Autrefois, un texte corrompu et actuellement, une interprétation erronnée, ont fait admettre que la lettre [46], par laquelle l'évêque de Vienne félicita Clovis pour son baptême — -, le seul document contemporain qui relate cet événement, — serait une réponse soit à un message que le roi franc aurait adressé au principal prélat de la Burgondie (comme à d'autres évoques de la Gaule), soit même à une invitation pour assister à la cérémonie. M. von den Steinen s'est attaché à reconstituer d'après la lettre du parent de Sidoine Apollinaire le contenu de la prétendue missive du Salien (3).

Voici le passage de la lettre d'Avit, sur lequel les critiques se fondent ;

Quid iam de ipsa gloriosissima regenerationis vestrae sollemnitate dicatur? Cuius ministeriis si corporaliter non accessi, gaudiorum tamen communione non defui ; quando- quidem hoc quoque regionibus vestris divina pietas gratula- tionis adiecerit, ut ante baptismum vestrum ad nos sublimis- simae humilitatis nuntius, qua competentem vos profite- bamini, pervenerit. Unde nos post hanc exspectationem iam securos vestri sacra nox reperit. Conferebamus namque nobiscum tractabamusque, quale esset illud, cum adunato- rum numerosa pontificum manus sancti ambitione servitii membra regia undis vitalibus conf overet. . .

Le P. Sirmond qui modifie souvent arbitrairement le texte de son manuscrit récent et perdu, a été le premier (à moins que ce soit

ac serenis praesentiae vestrae deliciis epulantur, ego sterilitatem desiderii mei sustente magis pauperis officii tenuitate quam ratione.

(1) Mitt., 1933, p. 487-494. Cf. Levillain, RHEF. 1935, p. 163, 170.

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le copiste de son manuscrit) à ne point comprendre ce passage, car il l'édite ainsi (1643): regionibus no s tri s adjece- rit (adjecit dans ses Conc. Gctll, t. I, p. 253), ut.... nuntius perveniret, en omettant qua competentem vos profitebamini, Ignorait-il que competens désigne le catéchumène qui, après avoir suivi l'instruction, s'est fait inscrire sur la liste pour la prochaine cérémonie du baptême?

Depuis un demi siècle le texte est établi par le Lugdunensis s. xii, — un manuscrit provenant du pays d'Avit ; néanmoins les critiques continuent à l'interpréter d'après l'ancienne théorie basée sur un texte corrompu et modifient celui du manuscrit en trois endroits. D'abord, ils mettent regionibus nostris, car ils déclarent vestris du Lugd. incompréhensible (l). Personne n'a reconnu qu'Avit emploie l'image admirable du vase plein qui déborde à la moindre goutte (hoc quoque) qu'on y ajoute : « lorsque certes la bonté divine aura ajouté à vos régions encore autant de joie (qu'il en fallait), pour que, dès avant votre baptême, la nouvelle de la sublime humilité, avec laquelle vous vous étiez déclaré candidat (au baptême), soit parvenue jusqu'à nous ». Pour pouvoir parler d'un message royal, il faut, en outre, interpréter sublimissimae humilitatis nuntius, qua, comme s'il y avait v es t r a e sublimissimae humilitatis nuntius, quo (2). Et cependant vestra humilitas n'est pas un titre qu'on adresse à une personne royale et c'est pourquoi Avit caractérise comme sublime l'humilité, dont Clovis fit preuve en se déclarant aspi-

(1) Ed. Peiper, MGH, AA., t. VI, 2, p. 374 (Corrigenda) ad 75, 26 : nostris legendum cum Sirmondo ; éd. Chevalier, p. 191 (nostris dans le texte) ; Krusch, MIOG. 1893, p. 444, n. 2 ; W. v. d. Steinen, L L, p. 482, n. ad 15 : natiirlich nostris ; Stracke, L sup., p. 876, n. 2, l. ; Saltet, L sup., p. 877, n. 4, L, p. 100, traduit le texte de Sirmond.

(2) C'est ce que fait, tout comme tant d'autres critiques, W. v. d. Stenen, l. L, p. 487 : « Avitus macht ein paar positive Angaben. Am deutlich- sten § 15 : es kam zu uns ante baptismum vestrum ein nuntius Eurer humilitas, qua (quoi) competentem vos profitebamini. Also Chlodwig hat for- mell, auch jenseits der Grenzen seines Reiches, die Botschaft ausgehen lassen, er sei Competens, et p. 482 : « ein Bote Eurer hocherhabenen Demut zu uns kam, durch den (Bote) Ihr Euch als Taufbewerber bekanntet. »

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rant au baptême. Mais si profitebamini se rapportait (ut... nuntius, quo (?)... profitebamini, perveniref) à une missive que Clovis aurait adressée aux évêques de la Gaule, qui n'auraient pu se tromper — et encore moins leurs rois ariens — sur les intentions politiques de ce manifeste — et c'est le sens que les critiques attribuent à ce document supposé (*) — , comment ce terme (et la proclamation qu'il viserait) pourrait-il se comporter avec la sublime humilité du roi? Aussi, Avit ne dit pas que Clovis aurait lancé aux quatre coins de la Gaule la nouvelle de son prochain baptême. Il ne remercie point le roi pour une missive, encore moins pour une invitation et il n'allègue aucune excuse pour ne pas y avoir répondu. C'est la divina pietas qui, dans les régions soumises à Clovis (regioni- bus vestris), a fait déborder la joie à ce point, que la nouvelle que le roi s'est déclaré aspirant au baptême, s'est répandue jusqu'en Burgondie (2), dès avant la cérémonie. C'est Avit qui explique au roi (et en même temps à Gondebaud), comment il a été mis au courant de sa conversion et a pu, de la sorte, à la Noël, s'associer en esprit, tout comme ses collègues et ses fidèles, au grand événement que la divine Providence s'est chargée de leur annoncer d'avance et que, dès lors, il ne pouvait manquer de célébrer par cette lettre. Avec une habileté onctueuse, l'évêque fait précisément ressortir que ce n'est point Clovis qui, au delà de son royaume, a informé le clergé gallo-romain de sa conversion. Pour cette raison, il peut déclarer que le roi s'est porté candidat au baptême avec la plus sublime humilité. Car, le Franc aurait pu se prévaloir de son geste dans un but politique. Ce qui ne prouve pas, que telles ne furent point ses intentions (3), mais seulement qu'il n'a

(1) Surtout, cf. ibid., p.- 485 et 487 et Krusch, Sitzungsber. Berl. Akad., 1933, p. 1062.

(2) Pervenerit. L'évêque de Reims, Remi, commence sa lettre de félicitations à Clovis (cf. sup., p. 863, n. 1) par ces mots : Ru m o r ad nos magnum pervenit administrationem vos Secundae Belgicae suscepisse. Manifestement, Clovis n'était pas pressé de lancer des proclamations aux évêques.

(3) Cf. in/., p. 909. Avit, qui rapporte que Clovis est convaincu que sa conversion, rendra ses armes plus puissantes.

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pas été aussi maladroit que d'en faire part et de les signifier dans une proclamation à des évêques d'un royaume ami, dont le roi et le peuple dominateur étaient en grande majorité ariens.

Mais cette sublime humilité ne fait que d'autant plus d'effet. C'est donc la divine Providence qui s'est chargée de répandre la nouvelle au loin, de même que c'est Elle qui choisit le roi des Francs comme son arbitre dans la question politico-religieuse qui séparait les vaincus gallo-romains des dominateurs germaniques. S'il avait contribué à convertir (sans doute récemment) le roi en second, Sigismond, Avit avait échoué dans ses tentatives pour amener Gondebaud à la foi romaine. Plus que toutes les discussions et les traités des évêques, la conversion du roi franc devait impressionner le roi des Bur- gondes. Aussi en félicitant Clovis, Avit fait surtout la leçon à Gondebaud.

Avitus EPiscopus Clodovëcho régi. Vestrae subtilitatis acrimoniam quorumcu nique schis-

matum sectatores sententiis suis, variis opinione, diversis multitudine, vacuis veritate, Christiani nominis nisi sunt obumbratione velare. Dum ista nos aeternitati committimus, dum quid recti unusquisque sentiat futuro examini reser- vamus, etiam in praesentibus interlucens radius veritatis emicuit. Invenit quippe tempori nostro arbitrum quemdam divina provisio. Dum vobis eligitis, omnibus iudicatis ; vestra fides nostra Victoria est.

Pour mieux faire ressortir combien le choix de Clovis est méritoire et décisif et sans viser trop directement l'hérésie arienne, le prélat multiplie sans préciser (quorumcumqué) le nombre des sectes et des doctrines que le converti aurait eu à écarter. Évidemment (2), le Saiien ne fut guère sollicité par le sémipélagianisme de Fauste de Riez, dont le centre était à Marseille, ni par les Bonosiens qu'Avit signale même à Genève, ni par l'eutychianisme de l'empereur Anastase, contre lequel Avit écrivit un traité à la demande de Gondebaud lui-

(1) Cf. von den Stbinen, Mitt., /. /., p. 486.

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même, mais en manquant parfois d'exactitude (*). Du moment qu'il était décidé à abandonner son paganisme, celui qui régnait sur les bords de la Seine et de la Loire ne put hésiter qu'entre la forme romaine ou arienne du christianisme. L'aria- nisme n'était plus répandu que parmi les peuples goths. C'était un legs du passé qu'ils avaient apporté des Balkans. Il distingait les conquérants barbares des populations romaines surtout par l'usage de la langue vulgaire dans la liturgie. Pratiquement inexistant au Nord de la Loire et de la Bourgogne, il rendait précaire, sinon impossible, l'entente entre les deux groupes ethniques dans les royaumes goths qui s'étaient établis autour de la Méditerranée occidentale, les Visigoths, les Burgondes, les Ostrogoths et les Vandales. Le dualisme religieux autant que politique minait ces puissances militaires qui séparaient Clovis des rivages ensoleillés de la mer bleue. Clovis a opté pour la religion romaine des peuples vaincus, mais civilisés, parce qu'il n'était point lié par le passé de son peuple païen à la forme de christianisme qui séparait les conquérants germaniques des populations romaines. Son intérêt lui commandait de prendre parti pour celles-ci contre ceux-là. Cependant, le Salien de Tournai et de Reims ne s'est point décidé à se convertir, avant qu'il ne fut amené à s'attaquer à la puissance visigothique avec l'aide des Bur- gondes, alors que leur prince héritier s'était déjà converti au catholicisme — comme nous l'avons démontré d'après d'autres lettres d'Avit — et après que le péril alaman eut été écarté pour les Francs comme pour les Burgondes. Cette condition était réalisée, comme nous le prouverons, non point en 496, mais en 506. Entre sa victoire sur Syagrius (vers 486) et celle contre les Alamans vingt années s'écoulèrent, durant lesquelles Clovis fut occupé surtout par la conquête des autres royaumes saliens et à établir sa puissance dans les immences et fertiles régions qui s'étendent entre la Loire et la Meuse.

A cette époque, il n'avait pas encore de raisons d'entrer en conflit avec les peuples ariens (sauf avec les Burgondes), mais

(1) Cf. Mgr L. Duchesne, L'Eglise au VIe siècle, Paris, 1925, p. 503 et n. 4, 504, n. 1.

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il devait s'assurer leur amitié pendant qu'il était occupé dans le Nord et que les Alamans le menaçaient à l'Est. Alors, il a pu subir plus ou moins l'ascendant des puissances ariennes, en entrant dans la coalition germanique et arienne que cimenta contre un retour de Byzance, par des alliances matrimoniales, le plus grand des rois d'Occident, le maître de l'Italie, Théodoric (1). On a supposé avec assez de vraisemblance, que tout comme Audoflède, lorsqu'elle épousa Théodoric (vers 491-3), une autre sœur de Clovis, Lantilde, était devenue arienne durant un séjour, à la cour de Ravenne (2). Mais le Sicam- bre était assez avisé pour ne point se laisser entraîner trop avant dans l'orbite des puissances étrangères, s'aliéner ses leudes et les tribus saliennes, auxquelles ils venaient de s'imposer, en renonçant prématurément à son paganisme qui établissait les origines divines de son pouvoir royal, tromper en même temps les espoirs que les évêques, la noblesse et les populations gallo-romaines mettaient en lui, en s'abandonnant à l'arianisme des états goths que sa suprême ambition était de conquérir. 11 attendit, sentant croître son prestige au fur et à mesure, que les deux partis s'empressaient chaque jour davantage à le gagner.

C'est à ces tentatives ariennes que l'évêque de Vienne fait allusion, lorsqu'il commence sa lettre en déclarant, que des « sectateurs de toutes sortes de schismes ont essayé de voiler (3) la subtile perspicacité de Clovis en se couvrant du

(1) Cf. mon étude citée sup., p. 888, n. 1. (2) H. v. Schubert, /. sup., p. 860, n. 2 /., p. 37, n. 5. (3) Levillain, RHEF., 1935, p. 177, traduit ont voilé, en adoptant la

leçon des deux manuscrits suivie par l'éd. Peiper, mais qui donne un contre-sens (que la traduction renforce encore, car visi sunt... velare = ont paru voiler). Précédemment, Bibl. Ec. Ch., 1906, p. 486, il avait accepté la traduction de Kurth, Clovis, I2, p. 335 : « C'est en vain (mots ajoutés, mais qui rendent très bien le sens de la phrase) que les sectateurs de l'hérésie ont essayé de voiler... » qui se base sur une conjecture palmaire de Labbé cf. éd. Peiper, ad p. 75, 3) : nisi sunt ... velare, que l'éd,. Chevalier a acceptée, tout comme von den Steinen, l. L, p. 480 (zu benebeln gesucht). Ici on découvre l'erreur d'interprétation, sur laquelle on base l'accord d'Avit et de Nizier et tout le système de Tours : après la victoire sur les Alamans, les hérétiques « réussirent à jeter le doute daas l'esprit du roi ».

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nom chrétien (*) ». Par une erreur d'interprétation flagrante, la plupart des critiques ont admis que ce texte d'Avit confirmerait l'explication intéressée et naïve, que Nizier donne de la conversion de Clovis, afin de provoquer de cette façon celle d'Alboïn : le Franc, hésitant entre le catholicisme et l'arianisme, se serait laissé convaincre en assistant aux miracles qui se produisaient sur le tombeau de saint Martin à Tours. L'évêque de Vienne déclare au contraire, qu'en dépit des tentatives des hérétiques — mais donc en connaissance de cause — , Clovis a choisi, grâce à sa subtile perspicacité d'esprit (Vestrae sub- tibilitatis, comme un titre, sont les premiers mots de la lettre), tel un arbitre de la Providence, ce qu'il y avait de mieux pour lui et pour tous. Avit pourrait-il parler de la subtile perspicacité de cet esprit, si elle s'était laissé voiler, de cet arbitre, de la Providence, qui aurait hésité? D'ailleurs, avant qu'il se convertit avec une partie de sa Gefolgschaft, il avait déjà fait son choix, préparé la voie à suivre et engagé l'avenir, en épousant une princesse catholique et surtout en laissant baptiser ses deux fils (2). Enfin, l'évêque de Vienne révèle clairement que le roi n'a pas basé son choix sur le contenu dogmatique des doctrines en présence. « Tandisque nous réservons, dit-il, à l'au-delà et au jugement dernier (aeternitati et futuro exa- mini) de départir ce qu'il y a de vrai dans l'opinion de chacun, il y a à présent le fait, qui luit comme un trait de lumière à travers les nuages (interlucens), que la divine Providence a désigné un arbitre : ce qu'il a choisi pour lui (comme lui convenant le mieux dans cette diversité d'opinions) est un jugement pour tous ». Ce n'est pas qu'Avit ne soit mieux informé

« Comment savoir où est la vérité », continue M . Leviîlain . « Par les miracles qui se produisent grâce à l'intercession des saints, répond saint Nizier. Et voici justifiée la présence de Clovis au tombeau de saint Martin de Tours !» Le tour est joué 1 C'est un des plus sales tours que connaisse l'historiographie de Clovis.

(1) Cependant, l'évêque veut sans doute moins faire allusion à ces tentatives, qu'au fait que les nombreuses sectes qui se réclament du nom chrétien, devaient faire hésiter un esprit moins perspicace que celui de Clovis.

(2) La valeur de cette information de Grégoire sera établie dans la seconde partie de cette étude.

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lui-même. Il a écrit assez de traités et participé à tant de discussions, pour qu'il sache, lui, à quoi s'en tenir au point de vue théologique. Il emploie cette tournure élégante pour signifier, que Clovis n'a point basé son jugement sur la valeur respective de ces différences doctrinales (le Christ est-il le Fils naturel ou adoptif du Père...? Voilà tout ce qui distingue théo- logiquement l'arianisme du catholicisme). C'est aussi une concession habile, pleine d'égards pour ceux qui, comme Gon- debaud, adhèrent encore à l'une de ces multiples sectes (*), incapables (quelque soit leur teneur de vérité partielle) à fournir la solution totale et opportune dans le domaine politique : l'entente entre la minorité des conquérants barbares et la majorité soumise, mais civilisée. Si pour arriver à cette solution, le roi franc avait eu recours au moins à une preuve indirecte : les miracles de Saint-Martin de Tours (signalés par Nizier de Trêves à la petite-fille de Clovis comme un tuyau pour la conversion de son mari arien), ou l'épreuve du champ de bataille (rapportée par Grégoire de Tours), l'évêque de Vienne n'aurait pas manqué d'exalter la faveur miraculeuse, qui aurait fait du roi l'élu providentiel, tandis qu'au contraire, il déclare que c'est le roi qui a choisi (elegistis). C'est par l'excellence de son choix qu'il s'est révélé comme l'arbitre de la Providence. Avit aurait-il omis de faire connaître (car pouvait-il ignorer ces circonstances frappantes, si elles avaient déterminé la conversion du roi) le moyen sûr et certain pour tous d'éprouver la valeur de ces différends doctrinaux, dont, au contraire, il veut désormais réserver la solution pour l'éternité? Il n'est même plus nécessaire qu'on s'inquiète encore de ces oppositions de doctrine. Le nœud a été tranché, l'arbitre de la Providence s'est révélé : non prévenu, puisqu'il était païen, et se décidant dès lors librement entre toutes les formes de christianisme, son esprit perspicace a choisi ce qui était le mieux pour lui (vobis) et pour tous (omnibus). C'est

(1) Schismatum sectatores. Le plus souvent Avit qualifie avec raison l'arianisme comme une hérésie. Ici il minimise, parce qu'il veut être conciliant, et surtout faire ressortir que le tort de ce christianisme, c'est de provoquer un schisme, une opposition entre les deux peuples.

R. B. Ph. et H. — 59.

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par là que son choix s'est révélé providentiel. Surtout, il y a désormais le fait (invenit), que la foi catholique n'est plus celle des vaincus : vestra fides, nostra Victoria est (*). L'équilibre des forces est déplacé. Malheur à ceux qui n'en tiendront pas compte et ne se rangeront point à l'avis de l'arbitre de la Providence, qui a choisi pour tous. En se laissant handicaper dans le domaine religieux, ils courent grand risque sur le terrain politique.

Placé objectivement devant le problème, Clovis n'a pas prêté l'oreille aux voix des schismatiques ; il n'a pas eu besoin d'un prédicateur catholique (sine praedicatore vidistis) (2), ni de miracles (ce tuyau à l'usage de tout le monde, recommandé par Nizier de Trêves). Il a écarté du débat les vétilles dogmatiques et l'a résolu librement (elegistis) par son génie (à la fois politique et religieux) à l'avantage de tous et s'est révélé de la sorte comme l'arbitre de la Providence. Telles sont les hautes vues réalistes du grand noble gallo-romain, métropolite contemporain, Avit de Vienne.

Il révèle en outre, dans un long passage qui fait suite à ces constatations, quel a été le grand obstacle que le roi franc eut a surmonter : la tradition de ses ancêtres. Les Mérovingiens, en effet, descendaient des dieux (3). Aussi Avit déclare que tout le miracle de la conversion réside dans le fait (talis facti mira- culum) — et non point dans la cause alléguée par Grégoire ou Nizier : Tolbiac ou Tours — , mais dans le fait, que Clovis a su rompre avec, ses ancêtres. S'adressant à Gondebaud, il

(1) Évidemment, cette expression s'entend dans le domaine religieux. Dans la lutte entre l'arianisme et le catholicisme, Clovis a opté pour la religion romaine. Puisqu'Avit réserve la question doctrinale, la victoire ne porte point sur la doctrine, mais sur la pratique : désormais les rois ariens seront obligés de passer également au catholicisme. Mais, comme Avit rapporte plus loin que Clovis (comme lui-même) est convaincu que cette foi augmentera la force de ses armes, il est manifeste que l'évêque de Vienne envisage également les conséquences pratiques de cette foi et de cette victoire.

(2) Cf. infra, p. 913, la citation et l'interprétation de ces mots. (3) W. v. d. Steinen, MOI G, Erg. XII (1933), p. 481, ad 8, a fort bien

expliqué ce passage et renvoie à Marc BLOCH,ies rois thaumaturges, Strasbourg, 1924.

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fait remarquer que dorénavant l'excuse de la tradition des ancêtres n'est plus valable : Discedat ab hac excusatione post talis facti miraculum, noxius pudor (*). Et aussitôt l'évêque ajoute que Clovis n'aura rien perdu au change : s'il se contente désormais de la seule noblesse de son ascendance (ayant renoncé à y reconnaître des dieux), c'est qu'il a voulu que tout ce qui, dans sa descendance, puisse orner le faîte de l'excellence, dérivât de lui : Vos de loto priscae originis stemmate sola nobilitate contenu, quidquid omne potest fastigium gene- rosifatis omare, prosapiae vestrae a vobis voluistis exsurgere. C'est l'origine de « la majesté très chrétienne » : instituistis posteris, ut regnetis in caelo. Aussi, tout de suite le noble évê- que gallo-romain compare le roi franc à l'empereur : Gau- deat equidem Graecia principe legis nostrae (2), sed non iam quae tanti muneris donum sola mereatur. Illustrât tuum quo- que orbem claritas sua et occiduis partibus in rege non novi in- haris lumen effulgurat. « Que la Grèce certes se réjouisse d'un prince catholique, mais non plus de ce qu'elle mérite seule le don d'un tel présent. Sa clarté illumine aussi ton empire et dans les régions occidentales, sa lumière éclate dans un roi qui n'est point au début de sa carrière ».

La comparaison que ce texte institue entre l'empereur et le roi est trop grandiose (3), pour qu'elle puisse exclure (ou

(1) Cette allusion au roi des Burgondes est unanimement reconnue. Cf. sup., p. 889, Avit disant de Sigismond dans sa lettre au pape : sed adhuc de regibus solus est quem in bonum transisse non ρ u d e a t .

(2) Krusch, MOIG. 1893, p. 444, n. 1, corrige ainsi principem legisse nostrum. — La lex gothica, par contre, c'est l'arianisme.

(3) Qu'on rapproche de ce texte celui que Sigismond par la plume d'Avit adresse à l'empereur, après mars 515, encore du vivant de Gondebaud (car, elle a été envoyée en même temps que les ep. 9, 47-49, cf. Krusch, N.A., XII, p. 295 ; cf. sup., p. 888, n. 2) , et qui dans la tradition manuscrite a été accolé (46a), incomplet du début, à la lettre d'Avit à Clovis (ep. 46) :

Nulla igitur patria quasi speciali sede sibi vos vindicet... Uno s o l i s i u- b a r e (cf. inf. p. 912, n. 1) omnia perfruuntur ; vicina quidem plus gaudent lumine, sed non carent remotiora fulgore. Quapropter radiale perpetuum prae- sentibus diademate, absentibus maiestate. Successus felicium triomphorum, quos per vos regio illa gerit, cuncia concélébrât. Tangit etiam nos oestra félicitas : quotiescumque illic pugnatis, hinc vincimus. Inter haec tamen catholi-

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même prendre en considération), qu'en Burgondie le prince héritier fût déjà passé au catholicisme. Car, si longtemps que vécut son père, Sigismond lui était soumis même dans les questions religieuses (!). Avit parle d'ailleurs d'un roi « dont le panache n'est point nouveau », non novi iubaris ; et le monarque que depuis longtemps il essaie en vain de gagner à sa cause, c'est Gondebaud. A présent, il propose de mettre fin (aeter- nitati reservamus) à ces discussions religieuses, dans lesquelles le roi burgonde se complaît sans pouvoir se décider. Il lui oppose la décision de Clovis qui est devenu l'arbitre de la Providence. Il vient de lui adresser une invite directe : Discedat noxius pudor, car le Franc a prouvé qu'il y a mieux que la divinité terrestre des ancêtres, dont le roi burgonde ne peut même pas se prévaloir et que le roi peut entraîner son peuple pour s'entourer d'une auréole céleste. Ce roi, qui règne sur la moitié de la Gaule et a vaincu les Alamans, vient de donner le signal de la renaissance de l'Occident et bientôt il sera l'égal de l'empereur grec(2). Gondebaud n'envie-t-il point cette gloire? Restera-t-il en retard?

Le prélat de la Burgondie se présente alors en esprit la splendeur de la cérémonie du baptême qui eut lieu à la Noël (ut... eo die ad salutem regeneratrix unda vos pareret, quo natum redemp- tionis suae caeli dominum mundus accepit). Il se la représente non point à la façon de Nizier : réalisée en vitesse (sine mord), non point à la manière Grégoire : sous le haut patronage de

cae religionis adfectu servit in vobis cura miserendi ; et in apice rerum omnium gubernacula continente, non minus eminet sanctitas quam potestas...

(1) Dans une lettre (77) adressée à Sigismond, Avit déplore que le prince n'est pas venu fêter les Pâques à Vienne et le reprend par ce qu'il a célébré cette fête à Lyon dans l'église arienne de son père : ... Unam in utraque ci- vitate vestram ecclesiam perinde diligitis, sed pio patri, in quantum ex ρ ed i t, donec vos ad quamlibet sequi consentiat, adhaeretis. Onde sicut iussum est, primum Deo de solemnitate, tum, quod debetur, solvimus Caesari. Vos, de laetitia vestra et incolumitate sollicitis, licet Caesaris sitis, quod domnis exigimus, reddite pietati. (Dans cette dernière phrase, sollicitis est l'adjectif de domnis). — On sait que le fils et la fille de Sigismond ne se convertirent que peu après l'accession de leur père au trône, en 516-517 (cf. ep. 7, p. 36, 6 ss. et Homil. 26).

(2) Cf. inf. p. 913, n. 1.

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l'évêque du district, Remi ; maïs au milieu d'une affluence de prélats, en une sorte de concile national :

... cum adunatorum numerosa pontificum manus sancti ambitione servitii membra regia undis vitalibus confoveret, cum se servis Dei inflecteret timendum gentibus caput, cum sub casside crinis nutritus salutarem galeam sanctae unctionis indueret, cum intermisso tegmine loricarum im- maculati artus simili vestium candore fulgerent.

Et aussitôt Avit ajoute : Faciet, sicut creditis, florentissime regum, faciet, inquam, indumentorum ista mollities, ut vobis deinceps plus valeat rigor ctrmorum et qui dquid félicitas us q u e hic praestiterat ad de t hic s anctito s . Un théologien-historien éminent, le Chan. L. Saltet, a récemment fait observer (*) que cette « parole formelle de Saint Avit » constitue « une objection décisive contre le récit de Grégoire de Tours » d'une conversion lors de la bataille. « Certainement, écrit-il, l'évêque de Vienne ne se fût jamais exprimé de la sorte s'il avait connu, à cette date, une victoire miraculeuse de Clovis contre les Alamans, car la mention de cette « chance heureuse jusqu'aujourd'hui », comme explication des succès du roi exclut l'idée même d'une protection divine récente... » (2). De plus, nous venons de relever,

(1) Loc. sup. p. 877, n. 4 L, p. 106. (2) M. Levillain, professeur à l'École des chartes, a répliqué RHEF.,

1935, p. 172, au doyen de la Faculté de théologie de l'Université catholique de Toulouse, que « la protection divine accordée à un païen doit être mise au compte de son heureuse fortune. » Précisément, nous ne pouvons admettre que l'évêque aurait rais sur la même ligne tous les succès que Clovis avait remportés précédemment : ceux qu'il avait obtenus en invoquant ses dieux païens et celui que lui avait accordé récemment le Dieu des chrétiens. Cet événement miraculeux, qui aurait préludé à la conversion de Clovis et des Francs, le saint évêque le fourre parmi les autres bonnes chances du païen. Avit proclame que Clovis est pour tous l'arbitre désigné par la Providence, mais il ne le prouve pas à la façon de M. Levillain (qui se base cependant sur Avit), en établissant « le miracle de Tolbiac». Pour le saint évêque, celui-ci n'a été qu'un des nombreux coups de la bonne fortune de Clovis, de sa félicitas de païen. Et à propos, « Dieu accorde-t-il sa protection à un païen? Est-ce en tant que païen qu'il aurait accordé sa protection à Clovis? Distinguo; materialiter : concedo ; formaliter : nego :

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qu'Avit qualifie très improprement comme un miracle (ta- Us facti miraculum) le fait, que le roi a pu se dégager de la

c'est sur la promesse et le désir de se faire baptiser qu'il lui aurait accordé sa protection, et dans ce cas Clovis avait la foi implicite (comme dira bientôt M. Levillain) et n'était plus un païen. Mais Avit le traite comme tel. Cependant, il tient à lui confirmer (faciet, sicut creditis, faciei, inquam), que la sanctitas du catholique ajoutera encore à la force de ses armes. Il avait un argumentum ad hominem incomparable, dont il devait partir : puisque Clovis était persuadé que Dieu lui avait accordé la victoire sur une simple promesse de se laisser baptiser, il devait être certain que, baptisé, ses victoires seraient encore plus grandes. Comment la sainteté commune du baptême pourrait-elle d'ailleurs ajouter encore plus de force aux armes de Clovis qu'une victoire miraculeuse? Mais non, Avit ne fait aucune allusion spéciale à la protection divine, au miracle qui aurait fait de Clovis le défenseur prédestiné de l'Église. Tout ce qui a précédé le baptême de Clovis, n'a été qu'une bonne fortune de païen. C'est pourquoi Avit ajoute sicut creditis : Vous avez raison de croire, d'espérer que le baptême et la sainteté de votre cause ajouteront encore à la bonne fortune de vos armes.

Le croira-t-on, M. Levillain trouve dans le sicut creditis un second argument en faveur du miracle « de Tolbiac ». « Comment Clovis peut-il croire, demande-t-il, que son baptême lui rendra ses armes plus puissantes, s'il n'a pas, quoique païen, constaté que la protection divine avait ajouté à leur force? » Voici, en effet, l'argument décisif. Il est trop beau qu'on ne le mette pas un peu en forme : S'il n'a pas, quoique païen, constaté que la protection divine avait ajouté à leur force, Clovis ne peut croire que son baptême lui rendra ses armes plus puissantes (Voilà la majeure de M. Levillain, à laquelle je m'en voudrais de changer autre chose que l'interrogation af f irmative. — De falso quidlibet !). - Or, tout le monde admet (même sans le témoignage d'Avit) que Clovis a cru que son baptême lui rendra ses armes plus puissantes (sans quoi il ne se serait point fait baptiser). - Donc tout le monde admet (même sans le témoignage d'Avit ou de Grégoire) que Clovis a constaté, quoique païen, que la protection divine avait ajouté à la force de ses armes.

Voilà comment on prouve a priori et de consentement unanime, qu'étant païen, Clovis a obtenu la protection divine. Et quand on ouvre Grégoire de Tours, on constate que c'est dans la bataille contre les Alamans... Qui nimis probat, nihil probat.

Il reste toujours qu'Avit dit seulement que Clovis croit que la sainteté ajoutera à la force de ses armes. On m'a toujours appris que l'on croit ce que l'on n'a pas encore expérimenté. Or, si Clovis eut éprouvé la protection divine, étant païen, sur une simple promesse de se faire baptiser, il devait être d'autant plus certain du secours céleste après le baptême.

M. Levillain prétendra peut-être que sicut crdeditis veut dire : « comme

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tradition de ses ancêtres, précisément parce que la cause n'en a point été un miracle (car, dans ce cas le fait serait expliqué par une cause plus que suffisante et ne constituerait plus un miracle en lui-même). Cette cause, Avit l'a reconnue dès le début de la lettre dans la subtile perspicacité de Clovis, qui paraît avoir été surtout de nature politique, puisqu'à ce propos l'évê- que réservait la question de doctrine. Et à présent, il appuie la conviction du roi que son baptême lui permettra de remporter de nouvelles victoires : Faciet, sicut creditis, florentissime regum, faciet, inquam.... (x). La signification impérialiste du baptême de Clovis apparaissait clairement à tous. Avit la souligne comme pour donner un avertissement à Gondebaud et l'engager à se mettre également en si bonne posture. Seulement l'évêque est assez prudent, pour relever que ce sera la sanctitas du baptême, et non point la trahison du clergé et de la noblesse gallo-romaine, qui favorisera les succès de Clovis (tout comme il a été informé du prochain baptême du roi par la Providence). De plus, il était dans son rôle d'évêque de proposer un autre champ à l'activité de Clovis : la conversion des peuples païens par des ambassades...., de façon qu'à l'instar de l'empereur grec, auquel Avit vient de comparer le roi franc, celui-ci devienne comme le patriarche des Germains occidentaux.... : quatenus externi quique populi paganorum, pro reli- gionis vobis primitus imperio servituri, dumadhuc aliam videntur

vous en êtes persuadé, convaincu. Toute la question est de savoir comment et pourquoi on l'est. Clovis pouvait admettre, en raison de la conjoncture politique, que son baptême lui aurait facilité la conquête des royaumes ariens, dont la population gallo-romaine était catholique. Il pouvait en être convaincu d'après l'idée qu'il se formait de ce Dieu des catholiques qu'il venait d'accepter pour le vrai Dieu, sans qu'il y ait été déterminé par un miracle. Mais M. Levillain veut nous fournir une explication théologique, plus en harmonie, pense-t-il, avec les conceptions du saint évêque : « c'est la sanctitas du catholique, à qui la protection divine est acquise (explique M. Levillain), qui complétera l'œuvre de la félicitas ». J'en conclus, puisque d'après M. Levillain le catholique possède de iure la protection divine, qu'il n'était guère nécessaire, pour croire à cette protection, que Clovis l'eut éprouvée étant païen. C'était simplement son devoir de croyant.

(1) Inquam répond symétriquement à sicut creditis et n'est point, comme le croit M. v. d. Steinen, l. /., p. 488, n. 1 : rein formai nach der Parenthese.

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habere proprietatem, discernantur potius gente quam principe Q), tout comme l'empereur règne (mais ne gouverne pas) sur tous les peuples et tous les rois.

L'évêque introduit sa suggestion d'une politique religieuse par cette transition : Vellem vero praeconiis vestris quiddam exhortationis admettre, si aliquid vel scientiam vestram vel observantiam praeteriret. Numquid f idem perfecto praedica- bimus, quam ante perfectionem sine ρ ra edi c a to r e v i- d is ti s (2). Le grand politique qu'était Avit, écrivant au

(1) M. v. d. Steinen, /. L, p. 484 ad loc, a très justement fait remarquer que tels sont les derniers mots de la lettre, qui n'est point incomplète de la fin. Ils ont attiré dans l'archétype des deux manuscrits la fin de la lettre de Sigismond à l'empereur (ep. 46 A), qui développe les mêmes idées : Nulla igitur patria quasi speciali sede sibi vos vindicet (cf. Uno solis iu- bare, comme dans la comparaison de Clovis avec l'empereur, cf. sup., p. 907), et patri omnium.

(2) Et voici pour M. Levillain. IL, p. 173, une troisième « allusion, plus directe à la guerre alémanique.... Sous la plume du théologien qu'était l'évêque de Vienne, l'expression fidem... quam vidistis [on remarquera que le texte est mal présenté] ne peut faire allusion qu'à un miracle ». Pour la preuve, le critique renvoie à M. v. d. Steinen, /./., p. 492-3, qui donne une interprétation théologique de cette expression. Celle-ci ne saurait viser l'objet, les mystères de la foi (fides quae creditur), puisqu'ils ne peuvent être compris, ni contemplés ici-bas. Seulement dans un miracle on peut voir une manifestation de la puissance divine. Cependant, l'auteur (p. 493) reconnaît que fidem videre ne s'applique que très imparfaitement à la constatation d'un miracle, qui ne constitue qu'une preuve de la foi. Aussi M. von den Steinen a déjà changé d'avis, d'après ce qu'il a écrit à M. Levillain : « mir scheint jetzt dass Avitus an dieser stelle mit fides nicht den objectiven Glauben (das Christentum), sondern Chlod- wigs subjective fides qua creditur, seine Glaubenskraft, meint, parallel zur humilitas und misericordia. Und dann brauchte sich « vidistis » gar nicht auf Wunder zu beziehen ». Cependant M. Levillain, qui tient absolument à établir le miracle « de Tolbiac », rétorque : « Mais alors, l'évêque en bon théologien opposerait ici la foi explicite, qui est celle du baptisé qui croit aux dogmes qui lui ont été enseignés, à la foi implicite de ceux qui croient à ce que les chrétiens croient sans avoir une connaissance nette et formelle de la doctrine : l'infidèle qui se convertit soudainement à la vue d'un miracle a la foi implicite ». Il peut l'avoir tout aussi bien s'il se convertit pour d'autres raisons qu'à la vue d'un miracle. Du moment qu'il désire le baptême, il a la foi implicite. Comment ce « bon théologien » se contenterait-il de parler à Clovis de cette fidem quam sine praedicatore

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fier Sicambre (et indirectement à Gondebaud) ne pouvait que féliciter le barbare de ce que, dans ces régions lointaines, où il n'y avait que peu d'évèques et en dépit des tentatives des hérétiques pour l'induire en erreur, ce subtil esprit (V es tri sub- tilitatis acrimoniam) eût reconnu par lui-même — la question doctrinale mise à part (aeternitaii reservamus) -- quelle était la foi (fidem quam sine praedicatore vidistis), capable d'apporter l'unité religieuse à la Gaule, partagée entre les différentes sectes chrétiennes et païennes, et qui devait assurer également l'entente politique entre les peuples et les rois, (pourvu que ceux-ci fussent assez clairvoyants pour suivre l'exemple de Clovis, sans quoi la sainteté de ses armes les rendra encore plus redoutables) ; alors que le roi burgonde ne parvenait point à se décider, malgré l'exemple de son fils et toutes les discussions et les traités que l'évêque de Vienne et les autres lui avaient consacrés. C'est pour cela, qu'Avit célèbre Clovis comme l'arbitre de la Providence, qui, seul, avait choisi pour tous.

On comprend que l'évêque de Vienne, qui était avec Césaire d'Arles, comme le primat des Gaules, néglige le rôle de Clotilde dans la conversion de Clovis, quoiqu'il connût certainement cette princesse burgonde. Cette adresse quasi officielle de la Gaule veut laisser tout le mérite de la décision qui assurera la victoire du catholicisme en Occident, à l'arbitre de la Providence, dont la perspicacité avait écarté les schismes et les sectes qui opposaient les Germains et les Romains ; à la majesté du roi franc, qui avait renoncé à ses origines réputées divines, pour devenir par la sainteté catholique l'égal de l'empereur grec ('), qu'il surpassait par son orthodoxie et la force de ses armes en Occident.

vidistis, quand le praedicator aurait été Dieu lui-même par ses m iracles. En ce cas, il aurait dû dire (cf. sup., p. 897, Vep. 91 cit.) : Numquid fidem praedicabimus quam singulari dono Dei accepistis.

(1) v. d. Steinen, l. L, p. 483 ad 10, relève qu'Avit appelle avec un certain dédain Graecia (sup. p. 907 ; ep. 41, p. 70, 5 : iactitare se Graeci- am) et Caesar Graecorum (ep. 2, p. 16, 1) la partie orientale de l'empire et l'empereur lui-même, qu'il sait cependant louer comme le pater omnium lorsqu'il lui écrit (cf. sup. p. 912, n. 1).

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Nous pouvons conclure, que dans la lettre que le primat des Gaules adressa à Clovis à l'occasion de son baptême, rien laisse supposer que le Franc se serait converti à la suite d'un miracle à Tolbiac ou à Tours, mais que tout dans ce message exclut cette explication aussi pieuse que populaire. De plus, nous avons montré que cette lettre, comme tout l'épistolaire d'Avit, est postérieure à l'année 500 ; que la conversion de Clovis suivit celle de l'héritier burgonde, Sigismond, qui se convertit quelque temps avant la guerre franco-visigothique (de 507). Or, Grégoire de Tours place le baptême de Clovis immédiatement après sa victoire sur les Alamans. Quand nous aurons établi à l'aide des documents contemporains, que celle-ci eut lieu en 506, et que nous aurons reconnu et la valeur du témoignage de Grégoire et les légendes qu'il accueille, il apparaîtra clairement, que le Salien se convertit à la foi romaine quelques mois (Noël 506) avant qu'il s'attaqua à l'arien Ala- ric II, avec la neutralité bienveillante des Burgondes, dont le roi en second, Sigismond, s'était converti quelque temps auparavant.

Gand A. van de Vyver. Athénée royal.

(à suivre)