La Tradition 1888-01 (N1)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • LA TRADITION

    des Contes, Lgendes, Chants, Usages. Traditions et Arts populairesPARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Direction :

    MM. EMILE BLEMONT ET HENRY CARNOY

    TOME 11. ANNE 1888.

    PARIS

    33, rue Vavin.

    M.D.CCC.LXXXVIII

  • N 1. 2e Anne. Prix du Numro :Un franc. .15 Janvier 1888.

    LA TRADITION

    REVUE GENERALE

    des Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populairesPARAISSANT LE 15 DE. CHAQUE MOIS

    Abonnement : France et Etranger : 15 francs.Taules communications doivent tre adresses M. HENKY CARNOY, 33, rue Vavin

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    Aux bureaux de la TRADITIONLIBRAIRIE A, DUPRET

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  • LIVRAISON DU 15 JANVIER 1888. 2 Anne.

    LA LGENDE DU MAEI AUX DEUX FEMMES, d'aprs M. Gaston Paris, mem-bre de l'Institut.

    TUDE SUR LE DRAC DU RHONE (PREMIRE PARTIE), par J.-B; BrengcrFraud.

    LA MORT DE GUILLAUME LE CONQURANT, par F.-M. Luzel, archiviste du.Finistre.

    LA TRADITION DE L'ANTCHRIST EN ALSACE, par M- H. Martin.SAINT NICOLAS ET LES

    .TROIS ENFANTS DANS LE SALOIR, par HenryCarnoy.

    LES ROSSES CHEZ EUX. IV, ISBAS. . LES BAINS. CONTES PETITS;RUSSIENS. SUPERSTITIONS ET LGENDES, par Armand Sinval.

    LE BOIS CHARMANT, CHANSON ET MLODIE POPULAIRES recueillies par Charlesde Sivry.

    CHANSON DE GASTON PHCEBUS, par Paul Boulanger.POMES DE LA TRADITION. II. CHRISTINE, POSIE de Emile Blmont.LA' NANNA DEL BAMBIN.O. BERCEUSE DE L'ENFANT JSUS, par Frdric

    Ortoli.CHRONIQUE MUSICALE, par Ed. Guinand.DINER DE DCEMBRE DE LA TRADITION,

    LA TRADITION parat le 15 de chaque mois par fascicules de 32 48 pages d'im-pression, avec musique et dessins.

    L'abonnement est de 15 francs pour la France et pour l'tranger.

    Pour les Instituteurs de province pouvant donner des notes ou articles la Revue, le prix est rduit 10 rrancs par an.

    Il est rendu compte des ouvrages adresss la Revue.

    Le premier volume de LA TRADITION, pour les nouveaux abonns, est envoy-franco, moyennant 12 francs.

    Adresseras abonnements M. Dnpret, 3, rue de Mdicis.

    Adresser les adhsions, lettres, articles, ouvrages, etc. M. Henry Carnoy, pro-fesseur au Lyce Lonis-le-Grand, 33, rue Vavin, Paris. (Les manuscrits noninsrs seront rendus).

    M. Henry Carnoy se tient la disposition des lecteurs de LA TRADITION le jeudide 2 heures 4 heures, 33, rue Vavin.

    COMIT DE RDACTIONMM. Emile BLEMONT,

    Henry CARNOY,Raoul GINESTE,Ed. GUINAND,

    MM. Charles LANCELIN.Frdric ORTOLI.Charles de SIVRY.Gabriel VICAIRE.

  • LA TRADITION

    LA LGENDEDU MARI AUX DEUX FEMMESA la sance publique annuelle du vendredi 18 novembre 1887, M. Gas

    ton Paris a lu devant ses collgues de l'Acadmie des Inscriptions et

    Belles-Lettre?, une belle, amusante et ruditc tude sur une lgende du

    moyen-ge que l'on retrouve habille diversement selon les pays etselonles temps. Cette lgende est celle du Mari aux deux Femmes. Nos lecteursnous sauront gr de leur donner les parties les plus intressantes de ce

    travail, trop long pour que nous puissions songer le publier en entierdans la Tradition.

    i Les voyageurs qui visitent la ville d'Erfurt, en Thuringe, s'arrtent,dans l'glise de Notre-Dame, devant un bas-relief du moyen-ge, d'ex-cution assez grossire, qui est encastr dans le mur ; il tait auparavantdans l'glise Saint-Pierre, aujourd'hui dmolie, et formait, horizontale-ment pos, le dessus d'une tombe. On y voit un chevalier de haute tailletendu entre deux femmes. Le sacristain ne manque pas d'expliquer quece chevalier est un comte de Gleichen, le chteau de Gleichen est prsde l, la famille n'existe plus, qui eut une trange aventure.

    Parti pour Jrusalem, il fut fait prisonnier et employ, chez le Sou-dan, aux travaux du jardinage. La fille du Soudan le vit, fut frappe desa bonne mine, puis, quand elle eut li entrelien avec lui, charme de sesdiscours, touche du rcit de ses malheurs. L'amour la disposait sefaire chrtienne ; les exhortations du comte l'y dcidrent. Elle proposaau prisonnier de l'pouser devant l'Eglise. Grand fut l'embarras ducomte, car il avait laiss en Thuringe une pouse aime. Mais le dsir dela libert l'emporta sur toutes les autres considrations : il fit la sultanela promesse qu'elle exigeait.

    Elle sut prparer et excuter son hardi dessein, et bientt les fugitifsarrivrent Rome. Le comte de Gleichen alla trouver le pape et lui exposale cas. Le mariage promis n'tait-il pas sacr? La princesse qui avaitrisqu ses jours sur la foi d'un chevalier chrtien et qui demandait lbaptme en mme temps que le mariage, pouvait-elle tre due dans saconfiance ? Le pape fut touch de cette situation. C'tait peut-tre lemme pape qu'un miracle avait si svrement rprimand pour n'avoirpas admis la pnitence le chevalier Tanhauser, qui, dsespr, taitretourn chez dame Vnus et s'tait damn pour toujours.

    Le pape montra cette fois plus d'indulgence. Il permit au comte deGleichen de contracter un nouveau mariage sans rompre le premier, etd'avoir en mme temps deux femmes lgitimes. Nos vieux conteurs n'au-raient pas manqu de se demander si c'tait en rcompense de sesprouesses ou en expiation de ses pchs. Le baptme et le mariageaccomplis, le comte reprit le chemin d la Thuringe, ne sachant trop

  • 2 LA TRADITION

    comment il se tirerait de la seconde partie, et non la moins difficile, desa tche. La Sarrasine, habitue la polygamie, ne voyait rien de cho-quant dans le fait d'avoir une partenaire ; mais que dirait l'Allemande ?

    Le comte laissa sa compagne un peu en arrire, et vint seul au ch-teau de Gleichen, o sa fidle pouse l'attendait en priant pour lui.Quand les premiers transports de joie furent passs, il lui raconta toutesses aventures,.lui peignit l'horreur de sa captivit, lui apprit par quelsprodiges de courage et d'adresse la fille du Soudan l'avait dlivr, lui ditqu'elle l'avait suivi et s'tait faite chrtienne, enfin lui avoua la promessede mariage et l'excution que cette promesse, du consentement du pape,avait reue Rome.

    La comtesse, aprs l'avoir cout en pleurant, dclara que celle quielle devait de revoir son mari s'tait acquis sur lui des droits gaux auxsiens propres, et demanda l'embrasser. Il courut la chercher, la com-tesse alla au-devant d'elle et se jeta dans ses bras, et la valle, situe aupied du chteau, o les deux femmes se rencontrrent, prit alors et agarde jusqu' prsent le nom de Val de Joie. Ils vcurent longtempsheureux dans cette union trois que rien ne troubla. Au sicle dernier,on montrait encore Gleichen le grand lit o le comte reposait entreses deux femmes, comme il repose en effigie sur la pierre spulcraled'Erfurt.

    Cette lgende se prsente nous pour la premire fois en 1639. Elletait si connue en Allemagne et si peu discute que Luther l'acceptacomme prcdent pour autoriser le mariage du landgrave Philippe deHesse.

    Les variantes et les incertitudes du rcit dmontrent, suivant M. G.Paris, que nous avons l un des exemples si nombreux de ce qu'on a nom-m la mythologie iconographique ; le peuple prouve toujours le besoind'expliquer les oeuvres d'art dont le sens est perdu. Le tombeau trois

    personnages, parmi les spultures de la famille de Gleichen, ne portantaucun nom, on imagina que c'tait un comte qui avait eu deux femmes,avec l'autorisation du pape, dans des circonstances extraordinaires, ettelles que les croisades pouvaient en fournir.

    En 1836, le tombeau fut dplac, on fouilla le caveau sous-jacent, et unmdecin, aprs avoir examin les crnes qui s'y trouvaient, dclara quel'un d'eux prsentait les caractres anatomiques d'une femme de raceorientale. Or, il n'est pas mme certain que. ce crne soit celui d'unefemme.

    On retrouve les traits essentiels de celte lgende dans un roman fran-ais du quinzime sicle ; le hros est un seigneur de Trasignies. en Hai-naut.

    La mme donne se rencontre, traite un peu diversement, dans unconte emprunt au douzime sicle, par une potesse franaise, Mariede France, aux traditions celtiques. Ce conte est le plus beau lai d'Eliduc.M. G. Paris analyse ce rcit breton.

    Eliduc, vassal du roi de la Petite-Bretagne est disgraci ; il quitte sadame Guildeluec, bien qu'il l'aimt, et s'embarque pour la Grande-Bre .

  • LA TRADITION 3

    tagne. L, il dlivre la belle Guilliadon, qui lui dclare son amour et luioffre sa main. Il n'ose dire qu'il est mari. Ils s'aiment platoniquement.Eliduc est rappel dans son pays ; il va partir. Emmenez-moi, dit la

    belle, ou je me tuerai ! Il l'emmne. Un orage clate sur mer pendantle voyage; elle tombe inanime. Il ne peut se rsoudre l'enterrer ; unefois terre, il la place sur un lit.

    Belle, dit-il, Dieu ne plaise que je continue vivre dans le sicle !Douce chre, c'est moi qui ai caus votre mort. Le jour o je vous met-trai en terre, je prendrai l'habit de moine, et je n'aurai d'autre adoucis-sement ma douleur que de venir chaque jour votre tombe. Puis ilgagne son manoir, o sa femme l'accueille avec grande joie ; mais il ne luimontre qu'un visage triste et ne lui dit pas une parole d'amiti. Chaquejour, ds le matin, il s'enfonait dans la fort et venait la chapelle ogisait son amie. Il la contemplait longuement, merveill de lui voirtoujours les couleurs et l'apparence de la vie, pleurait, priait pour son.me et ne rentrait chez lui qu' la nuit close.

    Un jour qu'Eliduc avait t oblig de se rendre la cour du roi, sa-femme prit elle-mme le chemin de la fort et arriva dans la chapelle. Enapercevant le corps tendu sur le lit, elle comprit tout ; mais quand ellevit la merveilleuse beaut de Guilliadon, encore frache comme une rosenouvelle et joignant sur sa poitrine ses mains blanches et ses doigts effi-ls, la jalousie fit place aussitt dans son me un tout autre sentiment: C'est pour cette femme, dit-elle l'cuyer qui l'accompagnait, que monseigneur mne un si grand deuil. Sur ma foi, je le comprends. En voyant'une telle beaut en proie la mort, mon coeur se serre de piti, en mme-temps que l'amour le remplit de douleur. Et s'asseyant devant le lit,elle se mit pleurer celle qui avait t sa rivale.

    Elle est rappele la vie. Elle se rveille.

    Dieu ! que j'ai dormi ! La dame l'embrasse et lui demande qui elleest : Dame, je suis de Logres et fille d'un roi. J'ai aim un chevalier appe-l Eliduc, qui m'a emmene avec lui et cruellement trompe.. Il avait unefemme et ne me le dit pas. En l'apprenant, j'ai perdu connaissance, etvoil qu'il m'a abandonne sans secours dans une terre inconnue. Il m'atrahie, et je n'ai d'autre tort que de l'avoir aim. Folle est celle qui se fie un homme !

    Belle, rpond Guildeluec, vous vous trompez. Eliduc, cause de.vous, ne connat plus de joie dans ce monde. Il vous croit morte, et cha-que jour il vient ici vous contempler en pleurant. C'est moi qui suis sonpouse. La douleur o je le voyais vivre me brisait le coeur ; j'ai voulu -savoir o il allait, je l'ai suivi, je vous ai trouve, je vous ai rappele lavie et j'en ai grande joie. Soyez heureuse : je vous rendrai celui que ;vous aimez ; je vous le laisserai et je prendrai le voile.

    Elle fait chercher Eliduc ; en voyant les transports de joie des deuxamants qui se retrouvent, elle lui demande de la laisser partir, se fairenonne et servir Dieu, afin qu'il puisse prendre celle qu'il aime ; car ilne convient pas un homme de garder deux femmes, et la loi ne peut lepermettre. Elle se fait construire une abbaye autour de l'ermitage, et

  • 4 LA TRADITION

    s'y enferme avec trente nonnes. Eliduc pouse la belle Guilliadon, et ilsvivent longtemps heureux.

    Enfin" tous deux sont las du sicle. Eliduc btit son tour un cou-vent o il se retire; Guilliadon va rejoindre dans son monastre Guil-deluec, qui la reoit comme une soeur : elles priaient pour leur ami etleur ami priait pour elles. Ainsi tous trois finirent leurs jours. De leuraventure,, les anciens Bretons courtois firent un lai, dont Marie a misle thme en vers dans la douce langue de France.

    M. Gaston Paris conclut en exprimant l'opinion que la lgende a prisnaissance dans l'Europe orientale. Il y voit surtout un exemple de vertufminine et de tendresse conjugale, un pendant l'histoire clbre de lapatience de Grislidis.

    M. Paris se demande s'il ne serait pas possible de moderniser ce vieuxconte si touchant. Il ne le croit gure : Goelhe a chou avec son drameStella-, qui n'tait pas autre chose que le Mari aux deux femmes.

    Notre bizarre lgende semble donc bien morte, au moins pour laposie dramatique. Elle contient cependant un lment vraiment potique,je ne sais quoi de touchant et de rare ; dans le lai de Marie de France,elle nous apparat belle et frache encore, comme Guilliadon dans la cha-pelle, et qui sait si la fleur merveilleuse qui lui rendrait Ja vie est introu-vable ? C'est le secret de ces enchanteurs qu'on appelle des potes.

    M. Paris a voulu seulement constater le succs qu'obtint jadis ce rcitparadoxal o ce qui dans d'autres circonstances s'appellerait crime, estprsent comme le comble de la vertu, et rapprocher l'une de l'autre lesdiverses formes qu'il a prises, en se modifiant suivant les temps et leslieux, en Allemagne, en Bretagne et en France.

    H. C.

    ETUDE SUR LE DRAC DU RHONE

    bans l rgion du bas Rhne, depuis Avignon jusqu' Arles, on raconte,Volontiers, la veille, l'histoire des mfaits du Drac.

    Cette histoire parat avoir t crite pour la premire fois par dameEfalix, comtesse de Die, c'est--dire au treizime sicle ; mais il est cer-tain que la dame d Die n'a fait que fixer sur le papier un conte popu-laire qui remontait une poque extrmement loigne dans le pays.

    Voici tout d'abord, le rcit populaire qui servira de point de dpart

    notre tude, et qui fixera les ides sur les attributs que la crdulit lo-cale rattachait au monstre. Ai-je besoin d'ajouter que les provenauxRhodaniens ont parl et parlent encore de lui ; soit en tremblant quelquepeu quand l'auditoire est compos de vieilles femmes ou d'enfants ; soiten riant de la navet de ceux qui en ont peur, quand c'est un individuquelque peu rflchi qui entend raconter l'histoire Surnaturelle des mfaits du fameux Drac dont il est question ici.

  • LA TRADITION 5

    Il y avait jadis dans le Rhne, un enchanteur, esprit malfaisant ou sorcier, qu'on appelait le Drac. Il avait son palais dans le fond du fleuve,et so repaissait de sang humain.

    Ce Drac avait l'habitude de chasser de la manire suivante: quand ilvoyait une fille ou une femme occupe laver au courant de l'eau, il fai-sait passer, presque sa porte, une cuelle contenant un bijou ou quel-que objet de parure bien sduisant ; la coquette tendait la main, poussepar la convoitise, et l'cuelle s'loignait si habilement mesure, quebientt la femme perdait l'quilibre, tombait dans le Rhne, et devenait laproie du Drac.

    Quelquefois, il capturait ainsi un enfant en lui montrant un joujou flot-tant sur l'eau, ou bien il parvenait se saisir d'un marin en mettant unepice d'or dans l'cuelle. Quoi qu'il on soit, tous ceux qu'il prenait dis-paraissaient pour toujours, car il les mangeait et gardait un peu de leurgraisse pour se frotter les yeux, ce qui lui permettait devoir travers lesoncles, les choses les plus caches.

    Un jour, une femme de Beaucaire, qui avait eu un enfant depuis quel-ques semaines peine, tait venue laver du linge sur les bords du Rhne;elle vit le bijou fatal, chercha l'atteindre et fut enleve par le Drac.

    Cette fois le Drac ne mangea pas sa victime. Il faut sa voir que la femmede ce Drac venait d'accoucher et qu'il lui fallait une nourrice pour sonenfant; de sorte que la blanchisseuse de Beaucaire avait t capturedans ce but.

    Cette femme ne fut pas malheureuse, on la soigna trs-bien ; elle nour-rit comme il faut l'enfant du Drac, et l'leva avec soin, jusqu' ce qu'ileut l'ge de sept ans.

    A cette poque la femme du Drac mue de compassion pour elle, etdsireuse de lui tmoigner sa reconnaissance pour les soins qu'elle avaitprodigus son nourrisson, lui permit de revoir le jour.

    Voil donc la blanchisseuse revenue chez elle, et, comme on le pensebien, son mari et ses enfants furent bien heureux, car on l'avait cruemorte depuis bien longtemps.

    Aprs avoir consacr quelques jours la joie de sa dlivrance, lafemme dont nous parlons, reprit ses occupations. Or, un matin tant sor-tie pour ses affaires avant le lever du jour, elle aperut, sur la place de laville, le Drac qui tait venu dans le pays pour y chercher une proie hu-maine.

    Ce Drac tait invisible pour tout le monde et c'est grce cette condi-tion qu'il pouvait drober des femmes et des enfants sans tre poursuivi.Mais en passant sept ans son service, la nourrice avait acquis la pro-prit de pouvoir le voir avec un de ses yeux, de sorte qu'elle le recon-nut trs bien.

    La manire dont elle avait acquis cette proprit de voir le Drac, quandcelui-ci tait invisible pour tout le monde, tait asssez trange pour m-riter d'tre indique.En effet, nous avons dit tantt que le Drac mangeait

  • 6 LA TRADITION

    les individus qu'il parvenait capturer ; il faut savoir qu'il prenait un peude leur graisse et en faisait un baume avec lequel il se frottait les yeux,ce qui lui permettait de voir les choses caches; il s'en frottait aussi le

    corps, ce qui le rendait invisible quand il le dsirait.Or comme il voulait naturellement que son fils et les mmes qualits

    que lui, il avait remis la nourrice une petite bote contenant le baumefait avec la graisse humaine, et il lui avait recommand d'en frotter lesyeux et le corps de son enfant tous les soirs en se couchant. En outre, illui avait ordonn, sous peine de mort, de se laver aussitt ls mains dansune eau particulire qu'il avait mise sa disposition.

    Un soir, sans y prendre garde, la nourrice s'tait endormie sans se la-ver les mains, et en se rveillant elle se frotta l'oeil droit avec le doigtqui portait un peu de pommade, de sorte que, sans l'avoir cherch, elleavait bnfici de la proprit de double vue du Drac.

    Donc voyant le Drac, bien qu'il ft invisible pour tout le monde, elles'approcha de lui et lui demanda des nouvelles de sa famille. On comprendque le Drac qui n'tait pas habitu tre reconnu par ses victimes, futsingulirement tonn ; et comme lui-mme ne la reconnaissait pas, il luidemanda qui elle tait. La crdule nourrice le lui dit et lui avoua qu'ensjournant pendant sept annes son service, elle avait acquis la pro-prit de le voir de son oeil droit, quoiqu'il ft invisible pour tout le

    monde.Or, la malheureuse fut cruellement punie de son imprudence, ainsi

    que du bon sentiment auquel elle avait obi en demandant au Drac desnouvelles de sa femme et de son enfant ; car cet enchanteur se mit .cau-ser avec elle, en feignant d'tre content de la voir, et au moment o ellene s'y attendait pas, il lui plongea le doigt dans l'oeil droit et le lui creva.

    Ds lors la nourrice devenu borgne ne put plus le voir. Et depuis, per-sonne n'a pu le dcouvrir quoiqu'il continue ses dprdations et qu'ildvore de temps en temps quelque innocent ou quelque naf qu'il attirepar la cupidit ou la coquetterie.

    II

    Dans la rgion rhdanienne ou l'on parle des mfaits du Drac, il y aaussi une autre lgende, plus clbre mme : celle de la Tarasque. Je nem'en occuperai pas ici, parce que je l'ai tudie dj en dtail dans monlivre sur les Rminiscences populaires de la Provence, (E. Leroux, 1885.Ch. II).

    Mais je dois en revanche rechercher en ce moment quels sont les contesanalogues celui du Drac qu'on rencontre dans les divers pays d'Europeplus ou moins loigns de la Provence. Or on sait que les monstres de lanature du Drac sont nombreux, on les dsigne : ici sous le nom d'Ondins; l sous celui de Naks; plus loin ce sont les Nixes, ou bien encoredes Wassermanns, etc., etc.. Ces monstres sont, comme nous le verrons,mles ou femelles. Et travers certains attributs locaux qui leur sont

  • LA TRADITION 7

    prts, on peut voir un fond d'analogie trs remarquable entre eux tous,quels qu'ils soient.

    Commenons par les Ondins ; on va voir combien ils ressemblent auDrac du Rhne, bien qu'ils habitent des contres plus ou moins loignesde la Provence.

    C'est surtout en Allemagne et en particulier en Saxe qu'on les voit deprfrence ou au moins qu'ils jouent le rle le plus important dans lacrdulit publique. En voici quelques exemples qui mieux que de longuesdfinitions vont fixer les ides sur leur compte.

    L'Ondin de la Saale Saxonne. Une sage-femme de la ville de Hletait tranquillement couche dans son lit une nuit, quand un homme vint

    l'appeler en toute hte pour un accouchement. Elle se lve sans retard,et le suit; mais voil qu'elle s'aperoit avec terreur qu'il dpasse la der-nire maison du faubourg et qu'il se dirige vers la rivire la Saale ; elleveut s'chapper, mais c'est impossible, et bientt elle voit les flots d la ri-

    vire s'carter pour leur donner passage, si bien qu'ils peuvent descendrejusqu'au fond sans tre mouills.

    Ils arrivrent ainsi dans un palais superbe o la sage-femme trouvaune femme en mal d'enfant, qu'elle ne tarda pas dlivrer heureusement.Cette femme reconnaissante lui dit : Je veux vous viter les embchesterribles auxquels vous tes expose, car mon mari, qui est l'Ondin de larivire, et qui ne veut pas qu'on s'occupe de nous, fera tout pour vousnuire.

    Ainsi, par exemple, il va vous tenter avec de l'or, mais ne prenez quece que vous avez coutume de recevoir pour votre salaire, sinon vous nereverriez plus le jour. Ensuite, aussitt que vous toucherez le bord de larivire, htez-vous de cueillir de l'origan et du marrube ; et quoiqu'il ar-rive ne manquez pas de garderies plantes dans votre main droite jusqu'ce que vous soyez rentre dans votre maison.

    A peine avait elle achev ces recommandations que l'Ondin entra dansla chambre avec une sbille pleine d'or, en disant l'accoucheuse : Pre-nez tout ce que vous voudrez ! Mais elle ne prit qu'une seule pice etmme la plus petite.

    L'Ondin fut trs dsappoint et lui dit qu'il allait la ramener au bordde la rivire. Or comme il passait devant pour carter les flots, la sage-femme put se baisser et saisir l'origan et le marrube ds qu'elle fut prsde la berge.

    Grce ces plantes, elle chappa aux embches de l'Ondin qui, toutmcontent qu'il tait, fut oblig de la laisser retourner chez elle ; ellen'entendit plus parler ni de l'Ondin ni de l'Ondinesa femme.

    BRENGER FRAUD.(A suivre)

  • 8 LA TRADITION

    LA MORT DE GUILLAUME LE CONQURANTI

    Le fils de Robert-le-Magnifique, le vainqueur de Hastings, le con-qurant de l'Angleterre, Guillaume-le-Btard n'est plus !

    Le hros normand est mort obscurment, au sac de la ville deMantes ; il est mort d'un coup du pommeau de sa selle dans leventre.

    Ah ! que n'est-il tomb plutt, en un jour de bataille, en com-battant vaillamment contre les Saxons ; que n'a-t-il succomb,comme le roi Harold, dans les plaines d'Hastings !

    Et lorsqu'il fut mort, on le transporta de Mantes Rouen ; et enle voyant passer, personne ne se ft dout que c'tait l le vain-queur des Saxons.

    Deux prtres, Gonthard, abb de Jumiges, et Guilbert, vquede Lisieux, un domestique et son chien, voil tout le cortge !

    Et le roi n'tait pas encore bien mort, que son domestique l'avaitabandonn;l'avait abandonn,pour courir aprs son chien disparu.

    Et quand la bte et l'homme revinrent, le roi Guillaume avaitcess de vivre, et l'abb Gonthard tait rest auprs de lui : l'vo-que aussi avait disparu !

    Pourquoi avez-vous quitt le roi? dit l'abb au serf. Ma foi !il sentait dj mauvais ; j'ai cru qu'il tait mort, et chien vivantvaut mieux que roi mort ! Ovanit des choses humaines !...

    IILe roi Guillaume est couch dans un cercueil de bois de cdre,

    entour de ses vieux capitaines et de ses barons normands et bre-tons, dans l'glise de l' Abbaye-aux-Hommes, Caen.

    L'vque d'Evreux, Gislebert II, a fait le pangyrique du grandguerrier : il a t loquent, et tout le monde est mu, et beaucoupont les larmes aux yeux.

    Mais, voil que tout--coup une voix rude et grossire s'lve,sous la vote sacre et trouble le silence des assistants, mle dedouleur et de respect.

    Chacun se dtourne, indign, et cherche du regard l'audacieuxqui vient profaner par des protestations insolentes le pieux re-cueillement de la crmonie funbre.

    Alors, Asselin, fils d'un marchal-ferrant, s'avance firement etdit, d'une voix forte et assure : Le saint vque a menti !...

    Le Guillaume, duc et Roi, dont voici la dpouille mortelle, a vol mon pre le champ que pavent ces dalles, et la terre o vous voulez inhumer son corps m'appartient ;

    J'y suis matre ; j'en atteste Dieu ! Je rclame mon bien, comme

  • LA TRADITION 9

    c'est mon droit, et j'en appelle Rollon, mon prince et le vtre... Voici mes tmoins !....

    III

    Et deux hommes s'avancent, travers les rangs presss de lafoule, un paysan et un soldat, et viennent s'agenouiller devant lecercueil.

    Tous les assistants frmissent ; les vieux guerriers compagnonsde l'illustre btard contiennent grand'peine leur indignation, etparlent de chtier sur-le-champ l'insolence du manant.

    Alors, le fils du ferreur de chevaux jette firement son bton ses pieds, comme un chevalier jette son gant, en signe de dfi.

    Et aussitt le prince Henri, troisime fils du roi dfunt, fait ces-ser les prires et les chants, et ordonne que personne ne bouge,jusqu' ce qu'il soit reconnu si l'homme a parl vrai ou faux.

    L'on fait venir le bourreau, et l'homme de la mort, tout habillde rouge, attend en silence, l'ombre d'un pilier, sa hache sur l'-paule.

    Cependant un incendie dvorait tout un quartier de la ville deCaen ; les flammes se refltent sur les vitraux armoris, qui bril-lent dans leurs chssis de plomb losanges, en projetant sur le cer-cueil une lueur rouge : et le bourreau attend toujours en silence, sahache sur l'paule.

    Un frisson de terreur s'empare des assistants; un silence de mortrgne sous la vote sacre; on s'interroge du regard avec anxit,et l'homme rouge attend toujours, sa hache sur l'paule-

    On consulte les registres du vieux roi ; on s'enquiert prs des plusanciens de la ville ; et l'homme rouge attend toujours, silencieux,et sa hache sur l'paule.

    Asselin a dit vrai : on le paie : on rallume les cierges; les chantset les prires recommencent, et l'homme rouge se retire alors, len-tement, et ayant toujours sa hache sur l'paule.

    Le fils du marchal-ferrant relve alors son bton, et se retireaussi ; mais en passant devant le catafalque royal, il tend la mainet dit :

    Duc et roi Guillaume, je te fais quitte ; et maintenant, repose enpaix, et que Dieu ait en misricorde ta grande me ! (1)

    F.-M. LUZEL.

    1. Cette ballade est historique, dans le fond et les dtails, comme on.peuen assurer parla lecture de Ordric Vital et de la Chronique desducs de,

    Normandie, par Benot, trouvre anglo-normand du XIIe sicle.

  • 10 LA TRADITOIN

    L TRADITION DE L'ANTCHRIST EN ALSACEJsus-Christ rpondit Saint-Jean qui lui demandait combien de temps

    le monde existerait encore : Un mille, mais pas deux mille !Le monde ne durera donc point plus de deux mille ans.Quand ces temps seront venus, la France asservie par l'Allemagne,

    reprendra possession de ce dernier pays,, comme au temps de Charle-magnc. Neuf papes rgneront encore Rome. La confusion ira croissantedans le monde. Une vieille Juive de 70 ans enfantera l'Antchrist sur untas de fumier. L'Antchrist aura ses disciples comme Jsus qui reviendrasur la terre. Chacun prchera sa religion et aura ses fidles. Puis le charde feu d'Elie passera dans le ciel.Des pluies de flammes tomberont sur laterre. Les montagnes s'affaisseront. Tout ce qui vit mourra. Et les trom-pettes des anges sonneront aux quatre coins du monde pour annoncer larsurrection des dfunts. Le Jugement commencera. Les damns serontmarqus d'une croix noire sur le front, et les lus seront appels par lesanges qui liront leurs noms sur le Livre de Vie.

    D'aprs les traditions de Gewenheim(Alsace).Mme H. MARTIN.

    SAINT NICOLAS ET LES TROIS ENFANTSDANS LE SALOIR

    Il n'est gure d'glise ou de chapelle, si humble qu'elle soit, qui ridpossde comme pendant la statue de sainte Catherine, l'image enpierre, pltre ou bois, du grand Saint-Nicolas, vque de Myre, patrondes jeunes garons, voire mme des vieux clibataires. Cette figure gros-sirement sculpte la plupart du temps, et colorie la faon d'uneimage d'Epinal, est toujours accompagne de trois petits enfants nus qui, la bndiction du pontife, sortent d'une sorte de baquet anses quel'on dit tre un saloir.

    Quelle lgende ces attributs rappellent-ils?On nous rpondra : la Lgende des trois petits enfants rapporte par

    Grard de Nerval, dans les Filles du feu, et qui est encore populaire dansle nord de la France. Mais cette lgende, dans cette forme, est relative-ment moderne. On peut se demander si dans la vie du saint, il y atraces de cette histoire, ou si les hagiographes en ont fait mention.

    Les plus anciennes Vies du saint vque de Myre parlent bien de troisjeunes filles qu'il dota pour viter leur prostitution, de trois jeunes mari-niers qu'il sauva d'un naufrage, mais nulle part on ne trouve la Lgendedes trois enfants au Saloir:

  • LA TRADITION 11

    Il tait trois petits enfants Qui s'en allaient glaner auxchamps.

    S'en vont un soir cliez un boucher : Boucher, voudrais-tu nousloger ? Entrez, entrez, petits enfants, Y a d'la place assur-ment.

    Ils n'taient pas sitt entrs, Que le boucher les a tus, Les acoups en p'tils morceaux, Mis au saloir comme pourceaux.

    Saint-Nicolas, au bout d'sept ans, Saint-Nicolas vint dans lechamp. Il s'en alla chez le boucher: Boucher, voudrais-tu meloger?

    Entrez, entrez, Saint-Nicolas, Y a d'la place, il n'en manquepas. Il n'tait pas sitt entr, Qu'il a demand souper.

    Voulez-vous un morceau d'jambon? Je n'en veux pas: iln'est pas bon. Voulez-vous un morceau de veau ? Je n'enveux pas ; il n'est pas beau.

    Du p'tit sal, je veux avoir, Qu'il y a sept ans qu'est dansl'saloir ! Quand le boucher entendit a, Hors de la porte ils'enfuya.

    Boucher ! Boucher ! Ne t'enfuis pas, Repens-toi, Dieu te par-donn'ra ! Saint-Nicolas posa trois doigts Dessus le bord de cesaloir.

    Le premier dit : J'ai bien dormi! Le second dit : Et moiaussi ! Et le troisime rpondit : Je me croyais en Paradis 1.

    Telle est la lgende.Cette tradition existait dj au XII sicle. On rencontre des tableaux

    de cette poque avec la lgende des trois enfants au saloir et le patro-nage de Saint-Nicolas envers les coliers. Les verreries de Chartres etcelle do Bourges montrent qu'ils ne saurait exister de confusion entre lascne des trois matelots sauvs par Saint-Nicolas scne clbre dansl'Eglise d'Orient et celle des Trois enfants du saloir (1). La cath-drale de Manchester possde un bas-relief datant du XI sicle ou ducommencement du XII, qui reprsente six sujets de la vie de Saint-Nico-las. Les sujets sont les suivants :

    I. Saint-Nicolas dote les filles de son voisin;II. Trois chevaliers chappent la hache du bourreau ;III. Dlivrance des trois princes Npotien, Orsini, Apelin ;IV et V. Deux scnes relatives la Coupe d'Or ;VI. Trois mariniers, assis dans une embarcation mate et gre dont

    la poupe et la proue se terminent par de grosses ttes de monstres.Sur la lgende des trois enfants dans le saloir, voici deux versions qui

    existent notre connaissance.La premire est celle des pres jsuites Cahier et Martin, dans leur

    Monographie de la cathdrale de Bourges : Trois coliers de famille noble, riche, porteurs d'une grande somme

    (1) Nom. Ann, de Philos, cathol., tome VI (1882), p. 75,

  • 12 LA TRADITIONd'argent, se rendaient Athnes pour y tudier la philosophie. Or,comme ils voulaient auparavant voir Saint-Nicolas pour se recomman-der ses prires, ils passrent par la ville de Myre. L'hte, s'apercevantde leur richesse, se laissa entraner aux suggestions de l'esprit malin etles tua; aprs quoi les mettant en pices, comme.viande de porc, il salaleur chair dans un vase. Instruit de ce mfait par un ange, Saint-Nico-las se rendit avec lui l'htellerie et dit l'hte tout ce qui s'tait pass.Il le rprimanda svrement et rendit la vie aux jeunes gens par la vertude ses prires.

    La deuxime version nous est fournie par Jameson, dans son ouvrage :Legendary Art:

    Ce fut durant une famine que Saint-Nicolas ft l'un de ses plus pro-digieux miracles. Il voyageait dans son diocse pour consoler et encou-rager son troupeau. Or il logea un soir chez un fils de Satan. Comme lesvivres taient rares et chers, cet aubergiste volait des petits enfants qu'iltuait, faisait cuire et servait ses htes. Il eut l'audace d'offrir un metspareil l'Evque et aux hommes de sa suite; mais Saint-Nicolas n'eutpas plus tt jet les yeux dessus, qu'il eut connaissance de la fraude. Ilrprimanda svrement le cruel htelier; puis, allant vers le tonneau, ocelui-ci avait mis les membres sals de ses victimes, il fit le signe de lacroix. Aussitt les enfants se levrent sains et saufs. Ce miracle causaune immense sensation dans tout le pays.

    Cette version offre des rapprochements curieux avec celle de Grard deNerval. Malheureusement, Jameson n'en indique pas le source.

    L'opinion des Nouv. Ann. de Phil. cathol. : Il ne saurait y avoir deconfusion entre la lgende des mariniers et celle des enfants au saloir ; est-elle bien fonde ?

    Dans les tudes de traditionnisme, on a not plus d'une fois deslgendes formes d'aprs une fausse interprtation de monuments, sta-tues, images, etc. L'origine de la lgende franaise de Saint-Nicolas neserait-elle pas dans un de ces cas de mythologie iconographique ?

    En Grce et en Asie-Mineure, Saint-Nicolas est le patron des marins.Sa statue de bois orne la proue des vaisseaux.

    Dans les chansons populaires, il est souvent question d'une barquemerveilleuse aux mts de cristal, aux voiles de pourpre, au gouver-nail d'or, fin, que Saint-Nicolas dirige contre les vents et malgr lescueils. Il n'est, par exemple, jamais question des trois enfants dusaloir.

    La lgende franaise semble nous tre venue d'Orient la fin duXI sicle, c'est--dire l'poque de la premire Croisade. Les plerinsde Terre-Sainte, les Croiss qui avaient travers l'empire de Byzance,n'avaient-ils pas t vivement frapps par les images du grand saintde Myre, patron des matelots, reprsent sauvant du naufrage une bar-que monte par trois jeunes mariniers (miracle bien connu en Grce, quenous avons cit plus haut, et qui a fait de Saint-Nicolas le patron desmarins)? Qu'on se figure une barque monte par trois jeunes gens, telle

  • LA TRADITION 13

    que la pouvaient peindre les nafs imagiers byzantins, et il ne sera pasdifficile d'y voir pour un plerin ou un crois ignorant la lgende un saloir de bois et trois enfants, bien vivants. Et ce pieux chrtien dfaut de renseignements plus positifs, aura bientt imagin la lgendedu saint: Trois enfants mis dans un saloir et ressuscites par l'interventionde l'voque. Pourquoi taient-ils dans un saloir? qui les y avait placs?Ici, le rcit variera, chacun pouvant expliquer l'histoire suivant sa fan-taisie.

    Nous avons du reste trois versions : celles de Grard de Nerval, des j-suites Cahier et Martin, et de Jameson, qui semblent donner raison notrethorie.

    Les Nouv. Annales nous opposent la barque gre et mte de la ca-thdrale de Manchester. L'auteur du bas-relief s'tait servi d'une Vie deSaint-Nicolas, comme le prouvent les six scnes reproduites; il ne pouvaitexister pour lui de confusion.

    Nous aimerions voir nos lecteurs nous communiquer les observationsqu'ils ont pu faire et les notes qu'ils ont pu recueillir sur cette lgende ousur d'autres rcits relatifs Saint-Nicolas. Peut-tre les documents qu'ilsnous enverraient viendraient-ils confirmer ce que nous avons dit plus haut.Peut-tre aussi ils nous fourniraient l'histoire du saloir si elle exis-tait rellement avant le Xl sicle. En tout cas, ce serait une excellentecontribution la lgende d'un des saints les plus populaires de la France.

    HENRY CARNOY.

    LES RUSSES CHEZ EUXIV

    ISBAS. LES BAINS. - CONTES PETITS RUSSIENS.

    SUPERSTITIONS ET LEGENDES.

    Les Russes qui couvrent aujourd'hui les vastes plaines de Moscou auDon sont venus du Nord ; mais avant eux les peuplades de l'Asie y trafi-quaient, et quelques-unes finirent par s'y tablir.

    L'opposition que Pierre Ier trouva chez les Hetmans le dcida prendresrieusement en mains le gouvernement de ces vastes et fertiles terri-toires ; des serfs furent envoys pour cultiver le pays et l'esclavage s'ta-blit dans l'Oukraine jusqu'alors indpendante.

    A cette poque, le pays tait couvert de magnifiques forts que lesguerres dtruisirent en partie ; nous pouvions encore nanmoins par laportire du wagon, en voir passer devant nos yeux de magnifiques sp-cimens.

    Les cabanes des mougiks ne sont pas aussi bien bties que les ntres ;les fentres ne sont presque jamais d'querre et le banc qui court autourde l'habitation n'est gure tir au cordeau ; mais comme elle est blanche,

  • 14 LA TRADITION

    l'isba ou krainienne, bien lave la chaux une fois par mois ! Le petitjardin qui l'entoure et la spare de sa voisine est bien cultiv; on a eusoin d'entremler les lgumes de fleurettes qui apportent leur note po-tique au milieu de ce prosaque carr de choux et de navets; le soleildresse sa fleur clatante au milieu d'un plant de carottes, tandis que lesoeillets poussent de de l au pied des rubescentes pivoines.

    Aprs avoir termin ses affaires Mihouf, mon compagnon se mit ma

    disposition pour visiter une ou deux de ces cabanes aux environs. La pre-mire o nous nous arrtmes et dont la description suffit donner uneide de toutes les autres tait btie de grosses poutres entrecroises mas-

    tiques d'argile, de sable et de chaux ; il y avait tout autour un petit jardi-net plein de soleils et de salades. C'est que le paysan russe sans grains desoleil, c'est un jour sans pain, une nuit sans sommeil ; que feraient de leursmains les jeunes filles qui vont se promener le dimanche le long des routesou causent aux portos des maisons, si elles n'avaient les poches pleines de

    graines qu'elles mangent du matin au soir pour se donner une conte-nance? Les paroles de l'amoureux en seraient moins tendres et la blonde

    paysanne aurait moins do grce baisser les yeux et se balancer nave-ment de droite et de gauche en l'coulant.

    La porte tait ouverte ; le seuil donnait accs dans un corridor avecune porte de chaque ct ; droite, se trouvait la chambre principale ;celle de gauche n'est la plupart du temps qu'une pice dbarras.

    De prime abord, je ne vis que des enfants; il y en avait bien six: leplus jeune criait dans un berceau pendu au plafond par de grosses cordespasses dans un anneau ; ce berceau, trs primitif, tait fait de quatrebtons croiss en rectangle ; le fond de la couchette tait d'une forte toilecloue ces btons; mais la couverture tait savamment pique, borde derouge et faite d'une quantit de carrs d'toffe rouges, bleus, blancs, verts,cousus l'un l'autre, en damier ; un rideau descendait de l'anneau et en-

    veloppait le nid, et tout cela tait si gai, si resplendissant de couleur quel'on ne faisait aucune attention la construction rustique du berceau.

    Un moutard de deux ans se roulait terre, en chemise ; un troisime

    pleurait autout du pole parce qu'on l'avait apparemment sorti trop ttdu four o gisait encore son an, et tout l-haut, dans une soupente, au-dessus de ce pole tant convoit, un garnement de six ans en chemiserouge, montrait sa tte bouriffe et ses gros yeux tonnes qu'il fixaitsur nous.

    Car chez le paysan russe, le pole est la pice importante de la mai-son : on n'y fait pas seulement du feu pour chauffer l'isba, on y fait la cui-sine, on y couche.

    A gauche, en effet, se dressait le pole russe, forte construction qua-drangulaire en briques revtues de pltre; le four est une large cavit ol'on fait le djeuner et le dner et o les enfants se pelotonnent en hiver.Au-dessus le pre et la mre s'tendent sur leur fourrure de peau de mou-ton. Ce pole tient ordinairement tout un ct de l'isba.

  • LA TRADITION 15

    Dans le coin oppos, la mre lavait un enfant de trois ans peine dansun koryto: c'est une sorte d'auge creuse dans un tronc d'arbre ; c'est le

    premier berceau de l'enfant, o on le lave deux ou trois fois par jour.L'eau est en effet l'lment prfr du mougik; le paysan russe a tou-

    jours t amateur des ablutions frquentes. Nestor, le plus ancien deschroniqueurs russes, parle avec tonnement des bains la lessive et desdouches froides la suite de ces bains chauds. Kostomarof, au 16e et au17e sicle, dit que chaque maison tait pourvue d'une salle de bains et quele paysan russe considrait l'hydrothrapie comme une panace univer-selle toutes sortes de maladies. Pierre-le-Grand, interrog sur les am-liorations hyginiques introduire dans la condition des paysans, rpon-dit un jour ; Pour nos mougiks, les bains, et c'est assez !

    Aujourd'hui encore, il y a des bains de vapeur dans les maisons des vil-lages ; naturellement, l'installation n'est pas brillante; les portes fer-ment mal, et bien des affections pulmonaires sont le rsultat de cette n-

    gligence; mais le mal est peut-tre compens par la force musculaire

    que puisent les mougiks dans ces brusques passages du chaud au froid.Par suite, le bain joue le rle le plus important dans l'ducation ;

    peine l'enfant a-t-il vu le jour qu'on le plonge dans l'eau tide; dans legouvernement de Vladimir on additionne l'eau d'un verre d'eau-de-vie depommes de terre ; aux environs de Nijni-Novgorod, on emploie l'eau-de-vie de bl; sur les bords du Don, des herbes adorifrantes sont mles l'eau bouillante et servent d'oreiller l'enfant au moment du bain.

    Cette eau est souvent bien chaude, car les paysans ont l'habitude del'essayer avec la main ; or, cette main est calleuse, insensibilise par lesintempries et les durs travaux des champs ; la peau n'est pas comparable celle d'un bb qui vient de natre.

    Aux environs de Viatka, on prend encore moins de prcautions ; lesfemmes vont et viennent pendant le bain sans fermer les portes et l'en-fant est lav grande eau sur une planche.

    Nous reviendrons sur ce sujet quand nous parlerons de la Grande-Rus-sie, nanmoins je ne puis m'empcher de mentionner ici quelques coutu-mes bizarres qui sont la consquence naturelle de cette prdilection duRusse pour le bain. En Sibrie, aux environs de Tobolsk et d'Irkoutsk, ontrane les nouveaux-ns dans la neige. Il arrive souvent que l'enfant vientau monde loin de toute habitation; la mre le plonge aussitt dans laneige et le frotte vigoureusement ; dans certaines localits, elle accom-pagne cette opration de ces mots : Supporte le froid, tu l'endureras tou-jours ; supporte le vent glacial du Nord, tu l'endureras toujours. Certainespeuplades interdisent formellement aux femmes d'accoucher dans la mai-son ; on loigne la mre au moins de cent pas de la cabane, proche d'unerivire ; peine est-elle dlivre, qu'elle lave l'enfant dans cette rivire,ou dans la neige, si c'est l'hiver.

    Les baptmes donnent lieu aussi de singuliers prjugs. On sait quele Pope saisit l'enfant par la tte, insrant un doigt dans chaque oreille

  • 16 LA TRADITION

    pour empcher l'intrusion de l'eau, et le plonge trois fois dans la Kresti-nitza. En gnral, cette eau est tide ; cependant, certains prtres tien-nent ce que l'eau ne soit jamais chauffe ; c'est ainsi qu'aux environsde Nijni-Novgorod, on plonge les nouveaux-ns dans l'eau froide, en hi-ver, mme au milieu des glaons.

    Je reviens mon isba : les mougiks qui l'habitaient devaient tre assez leur aise, car je remarquai que le plafond tait support par deux gros-ses poutres transversales; or, chacun sait que la cabane du pauvre n'aqu'une poutre, celle du riche, trois.

    Ces braves gens nous reurent sans embarras, quoique un peu gnspar notre langage forcment incorrect et o ils ne sentaient pas l'hommerusse Cette dnomination est en effet le trait d'union de tous les mem-bres de la grande famille slave depuis l'humble mougik de la steppejuspu'au Tzar lui-mme.

    S'il y a une distance norme, comme intelligence et instruction entrele paysan et le Barine, il y a ct de cela une sorte de compatriotismeconstant dans toutes les classes quand il s'agit des coutumes et mme desmets nationaux Qu'un membre de la famille des Romanof ou un petitpaysan d'un bourg ignor du gouvernement d'Arkhangel, dise : la rouskiTcheloviek, ce seul mot rapprochera ces deux extrmes et le Romanof etle Mougikse donneront la main.

    Rouski Tcheloviek, l'homme russe, boit le kvass, ne craint pas un verred'eau-de-vie, mange des blnis Pques, vnre les saints de la Lavra,clbre la devialouha et chante l'hymne au Tsar, en tout quoi tient la na-tionalit russe, et il n'y a pasun gnral qui ne sache que rien n'est pluscapable d'entraner le soldat et d'en faire un hros que de lui crier : Noussommes des hommes russes, par Dieu ! en avant, enfants ! Mrouskie loudii, ei Bogou ! vprod Malads ! Ils se battent alors commedes lions, oubliant souvent qu'il viennent de faire cinquante ou soixantekilomtres sans manger. Skoblef savait bien, lui, que le soldat russeaime sentir un camarade dans son chef, et pendant la guerre Turque,il coucha presque constamment dans un trou avec un seul matelas ; ilpartageait souvent ce trou avec un soldat et lui donnait mme son mate-las, si le malheureux tait bless.

    Un jour, il envoya une compagnie abattre quelques arbres qui gnaientune opration; l'endroit tait dangereux; les balles pleuvaient de touscts, et il s'aperut bientt que les soldats allaient lentement, hsitaientet cherchaient se cacher derrire les arbres. Il se mit au milieu d'eux etprenant une hache se mit crnement travailler avec eux.

    Voici la fin d'un discours d'un commandant ses troupes aprs une re-vue, l'issue d'un banquet :

    Enfants, demande-t il aux officiers, si le prince vous dit: Jetez-vous l'eau ?

    Nous nous y jetterons ! S'il vous ordonne de vous noyer ?

  • LA TRADITION 17

    Nous nous noierons ! S'il vous ordonne d'entrer dans le feu ? Nous irons ! Et vous vous ferez brler ? Tous ! Jusqu'au dernier? Jusqu'au dernier ! Bravo, mes enfants ! hurrah ! pour le Tsar ! Le service russe n'est pourtant pas facile; nous en avons donn une ide

    dans notre lgende : Le paysan et le diable. Mais le soldat russe est lourdet puise dans son inertie mme une force de rsistance que n'ont pas les

    tempraments plus sanguins de l'Occident.Il s'en console aussi par des proverbes et des chansons : Le soldat

    russe ne vole pas, il prend ce qu'il trouve. La capote lui sert de lit et dechemise. Qui va l? un soldat. Que porte-t-il? un paletot. O l'a-t il pris ?Il l'a trouv. Qui le lui a ordonn? Le caporal. Le soldat russe n'a riensous la dent pendant trois jours, le quatrime, it est au port d'armes.

    Surtout si le soldat est petit-russien, sa verve ne tarit pas et il se vengepar des coups de langue des Pans, de ses suprieurs et du service; maiscela ne dpasse pas les bornes d'une grosse raillerie ; ses quolibets sontbons enfants et sans grande mchancet.

    Le paysan petit-russien est en effet plus gai, plus adroit, plus fin et plusindustrieux que le grand-russe ; il est aussi plus vindicatif ; il se rappro-che plus du caractre emport et de l'intelligence plus vive et plus pri-mesautire du Polonais qui a longtemps domin le pays.

    Ne croyez pas cependant qu'il soit bien reconnaissant ce dernier delui avoir, par des croisements multiplis, communiqu un peu de ses fa-cults ; il ne perd pas au contraire une occasion de se moquer de ces Pansqui l'ont fait tant souffrir. Maints rcits que les paysans se racontent enfont foi.

    Pour eux le Pan est un tre incapable, qui on peut faire avaler lesbourdes les plus extraordinaires ; voici un de leurs contes ce sujet :

    Un paysan avait beaucoup de moutons; une brebis lui ayant fait unpetit, il l'emmena dans sa cabane avec son agneau.

    Le soir, un seigneur vint frapper sa porte et demanda passer lanuit.

    Serez-vous tranquille? demanda le paysan. Par Dieu ! Donne-nous coucher sans crainte; nous ne demandons

    qu'un petit coin pour attendre le jour. Le paysan ouvre sa porte et le seigneur s'assied sur un banc. Eh ! Mougik ! c'est une brebis qui frappe du pied ? Elle vous prend pour un loup, rpond le paysan (le seigneur avait en

    effet une fourrure de loup). Elle attrape bien les loups, cette brebis-l ;l'anne passe elle m'en a pris plus de dix.

    Le seigneur s'tonne et demande acheter la brebis. On marchandeet on s'arrte trois cents roubles. La brebis fut mise dans le traneauet on partit.

  • 18 LA TRADITION

    a Voil que trois loups se prsentent. Quand la brebis les vit, elle semit sauter de frayeur.

    Laisse-la aller, dit le Barine au cocher ; tu vois comme elle est im-

    patiente. Comme les loups entouraient dj le traneau, le seigneur jeta la bre-

    bis sur la route ; celle-ci prit vivement le chemin du bois, la queue entreles jambes, et les loups coururent aprs.

    Le seigneur envoya le cocher seul en avant. Celui-ci trouva bienttla brebis par terre ; il n'en restait plus que la peau. Ah ! seigneur, s'-cria-t-il en revenant, quelle bonne brebis ! elle s'est entirement dpouillede sa peau plutt que de se laisser prendre !

    Le mougik a ses trois cents roubles et raconte l'histoire du seigneuren les faisant danser dans sa poche.

    Et celui-ci :

    Il y avait une fois un jeune Magnat qui avait dpens follement l'h-ritage de son pre. Il ne lui restait plus que deux proprits : il en venditune et en ayant reu l'argent, se rendit dans l'autre pour tcher de s'endfaire, de mme.

    Un soir d'automne, il songeait tristement l'avenir. Allons! se di-sait-il, voil la fin de mon argent; ceci vendu, je n'en aurai plus que pourune anne ou deux... aprs quoi, un peu de poison ou un poignard... etce sera fini... car un magnat de cette qualit ne saurait ni travailler nitendre la main.

    Son intendant qui ternua ct de lui le tira de sa rverie, Qu'y-a-t-il ? Un vieux Juif veut absolument vous parler pour affaire grave... Qu'il entre I... que veux-tu, Juif? Monseigneur, c'est moi, Isaac, honnte vieillard, qui viens vous

    faire part d'une importante dcouverte. J'avais reu de mes aeux et tri-saeux un vieux, vieux coffre auquel je n'avais fait aucune attention jus-qu'alors. Par bonheur, un jour j'y dposai une pice d'or... le lendemain,j'en trouvai deux ! J'en mis deux, le lendemain il y en avait quatre ! j'enmis successivement quatre, huit, dix,et toujours j'en recueillais le double!

    Eh bien ! continue remettre les pices miraculeuses... Oh ! non, Monseigneur ; j'ai essaye, cela no m'a pas russi; les

    pices obtenues par ce moyen ne se reproduisent pas. Il en faut de nou-velles, toujours, et il faut qu'elles soient d'or; l'argent ne se multiplie pasnon plus, J'ai essay, Monseigneur.

    Alors tu veux me vendre ton coffre merveilleux... Voyons, combienen demandes-tu ?

    Monseigneur se trompe !... Le coffre n'a d'effet qu'entre les mainsd'Isaac... je l'ai dj prt d'autres... il perdait alors toute sa vertu...peut-tre Monseigneur consentira-t-il croire un peu la parole d'unhonnte vieillard... Isaac ne ment pas... essayez seulement avec une piced'or... c'est peu de chose!

    J'en mettrai dix, plutt! Nous verrons bien! Tiens ! ls voil! Le lendemain Isaac rapportait vingt pices d'or. Le magnat enthou-

    siasm lui en donna cinquante qui en produisirent cent, naturellementpuis deux cents, trois cents, toujours avec le mme succs.

  • LA TRADITION 19

    coute, Juif, ton coffre est-il grand ? Oh ! oui, Monseigneur. Tiendrait-il bien dix mille pices d'or? Et mme vingt mille, Monseigneur ! Et par un beau soir d'automne, l'honnte Isaacvint chercher les sacs

    pleins d'or du magnat et disparut sans qu'on st jamais ce qu'il taitdevenu.

    Ainsi le paysan petit-russien se moque des Pans, niais il est juste dedire que d'un autre ct ce gouailleur prte bien le flanc aux plaisanteriesde ceux-l par son excessive crdulit. Il ny a pas de pays o sorcierset sorcires soient plus recherchs.

    Chaque village a sa sibylle que les jeunes gens vont consulter. Si parexemple une fille veut se faire aimer d'un jeune homme qui lui sembleindiffrent et par contre se dbarrasser d'un autre qui lui dplat, elle vaconter sa peine la Koldounia.

    Mon enfant, lui dit celle-ci, tu tcheras d'attraper une chauve-souris;tu la mettras dans un pot neuf avec un couvercle neuf; tu enterreras letout dans le jardin et tu l'y laisseras neuf jours et neuf nuits. Aprs cetemps, tu dterreras le pot et tu verras que la chauve-souris s'est anan-tie, et qu'il n'est rest que deux de ses os, l'un en forme de rteau, l'autreen forme de bche. Alors tu tcheras de te trouver sur le chemin de celuique tu dtestes et tu feras en sorte de le frapper lgrement par derrireavec la bche, sans qu'il s'en aperoive ; aussitt il deviendra un objet dempris pour tes parents et on ne t'en reparlera plus. Quant l'autre, tun'auras qu' le gratter un peu avec l'os en forme de rteau, aussi sansqu'il s'en aperoive, et il sera de suite agr par ta famille.

    La vieille a aussi le moyen de trouver des trsors. Il faut attendre lejour de la rsurrection (Pques) ; on sait que ce jour-l, on va l'glisede neuf heures minuit. Pendant ce temps, on btit un petit autel, dansun endroit dsert, assez loign de la maison ; on dispose sur l'autel lessaintes images; puis avec de la craie, du sel et du charbon on trace devantl'autel trois demi-cercles loigns de trois pas l'un do l'autre ; le premier,avec le sel ; le second, avec le charbon, et le troisime avec la craie ; vousposez ensuite ces trois morceaux sur l'autel et vous vous mettez prier.Vers minuit, au moment o on chante l'alleluia, vous verrez paratre desdiables, des petits dmons, des sorciers, tous arms de pelles et de fourches,qui tcheront de vous faire sortir do la place. Mais vous devrez ne pasmmeretourner la tte, rester immobile et continuer de prier; tout dpendde votre persvrance ce moment-l; quant aux dmons, les demi-cerclesles empcheront d'approcher plus prs de vous. Lorsque minuit sonnera,heure laquelle ils doivent tous rentrer, ils disparatront et vous laisse-ront seul ; alors vous verrez votre droite une sorte de fou-follet, vousjetterez dessus la craie, le sel et le charbon, et le fou s'teindra. A cet en-droit l, vous pouvez creuser et vous trouverez de l'or tant que vous envoudrez.

  • 20 LA TRADITION

    Il faut reconnatre cependant qn' l'exception des coutumes tradition-nelles des ftes de l'anne et qui se retrouvent partout, aussi bien cheznos paysans soi-disant civiliss que chez d'autres que nous nous permet-tons d'appeler barbares, la plupart des navets de nos mougiks provien-nent beaucoup moins de la faiblesse de leur esprit que de leur prodi-gieuse ignorance. Quelques exemples pris entre mille suffiront vous di-fier cet gard.

    Rien n'excita plus la colre et aussi l'tonnement des paysans russes quela cration des chemins de fer. Incapables de comprendre le mcanisme decette norme machine, en apparence vivante, ils donnaient ce phno-mne une foule d'explications plus ou moins saugrenues, et des plus inat-tendues-

    C'est la puissance du Diable qui est prisonnire dans la chaudire,disaient-ils ; et comme elle ne peut sortir, elle est bien oblige de tra-vailler.

    De vieilles femmes se tenaient sur le bord de la route ferre, et l'ap-proche du train remuaient les bras, faisaient des grimaces insenses lalocomotive, se livraient de grotesques contorsions et excutaient desdanses bizarres, tout cela dans le but d'effrayer le Diable et de l'loignerde leur territoire, plus semblables vraiment des sorcires de Macbethqu' des cratures humaines.

    En Bessarabie, un pope portant la croix et suivi d'une foule de paysans,hommes, femmes et enfants, s'avana au devant de la locomotive; heu-reusement le chauffeur put renverser temps la vapeur, mais les mougiksn'en restrent pas moins persuads que c'tait la croix qui avait arrt letrain.

    L'annonce de la dernire clipse causa une vritable panique dans lacampagne : on disait que ce serait le signal de grandes catastrophes,qu'il tomberait une pluie de pierres, qu'il y aurait des tremblements deterre, que le lendemain l'atmosphre serait sillonne d'une multitude deglobes de feu, etc. Un pope du Raskol, propritaire d'une maison, donnal'ordre ses locataires de dguerpir au plus vite, sous prtexte qu'ils avaientun piano queue et que cet instrument diabolique serait capable de fairetomber la maison au moment de l'clipse. D'autre part, comme par suitedu mauvais temps on ne put rien voir de cette clipse, les paysans rest-rent convaincus qu'il n'y en avait pas eu, puisqu'aucun malheur n'taitarriv, et il fut impossible de les en faire dmordre.

    Il est trs difficile dans bien des localits, de prendre des mesures con-tre les maladies contagieuses et les pizooties. S'il clate quelque part unepidmie de scarlatine, le paysan affirme que l'on ne peut rien faire con-tre la volont de Dieu : au lieu d'tre isols, les enfants sont apportsdans les glises ple-mle avec ceux qui ne sont pas malades; on n'en-terre les morts que trois jours aprs, et pendant cet intervalle les voisinset les autres enfants viennent rendre visite au cadavre et l'embrasser. Les vtrinaires sont chasss coups de bton par les femmes quand ilsveulent prendre des mesures prventives et abattre les btes malades.

  • LA TRADITION 21

    Le paysan russe croit encore aux femmes queue ; la premire Tziganevenue lui fera dposer ses vtements neufs, de l'argent mme, dans untrou deux cents mtres de sa demeure, sous prtexte d'y trouver un tr-sor, avec dfense d'en approcher de trois jours; une fois le dlai expir, lepauvre diable ne trouve plus rien naturellement ; vtements, argent etTzigane ont disparu-

    Et comment voulez-vous que le malheureureux mougik qui ne sait nilire ni crire, qui n'a de frottement intellectuel avec personne, pour qui,par suite de son loignement des villes importantes, les phnomnes lesplus simples sont des sujets d'tonnement, ne croie pas aveuglment ce qui lui parat sortir de l'ordre naturel des choses, quand des gens plusclairs et appartenant une classe plus leve, montrent tout autantde crdulit?

    J'ai eu entre les mains un acte en bonne forme, sign d'un intendant,dans le gouvernement de Kiev, un nomm Lachkievitch, promettant depayer en deux fois, des termes fixs, la 'somme de dix-huit roubles une certaine Alexandra Drobotova, la charg par elle de dtruire dansun dlai de... les chenilles qui envahissaient un champ de betteraves,et ce au moyen de divers enchantements, paroles magiques et autres ma-noeuvres surnaturelles. Toute la population de Kazan s'mut, il y a quel-que temps, de l'envoi l'Universit, l'adresse d'un professeur, d'unefiole contenant une certaine quantit de baciles virgules ; on craignaitqu'une terrible pidmie ne sortt tout--coup de cette fiole et n'envahtla ville ; il fallut que le professeur montt en chaire, pour expliquer avecles plus grands dtails l'histoire, la prparation et l'utilit de ces baciles etdmontrer au public la parfaite inocuit de ces chantillons.

    Il y a quelque temps, une demoiselle de Varsovie, fille d'un propritaireais du quartier de Prague, alla demander une sorcire les moyens dese faire aimer d'un jeune homme du voisinage. La Pythonisse lui con-seilla de se lever minuit, de faire trois fois, toute nue, le tour de sa mai-son, de se plonger ensuite dans un bain d'eau froide additionn de troismorceaux de charbon magique qu'elle lui donna, puis sans s'essuyer, dese coucher et de dormir jusqu'au jour. La jeune fille excuta la chose depoint en point, attrapa une bonne fluxion de poitrine et en mourut !

    Enfin tout le monde croit encore en Russie aux tranges prophtiesqui prcdrent et annoncrent la mort d'Alexandre II. On dit que quandl'Empereur naquit en 1818 Moscou, l'impratrice Alexandra Fodorovnafit venir le prophte Thodore, clbre alors, mais dj presque en enfance,pour savoir ce que l'avenir rservait au nouveau-n. Il sera grand etglorieux, dit le prophte ; ce sera un des plus puissants souverains dumonde et cependant, c'est horrible dire, il mourra avec des bottes rouges. Personne ne pouvait comprendre que c'tait une allusion au sang quidevait couvrir les jambes du malheureux Empereur ; ce n'est en effet queplus tard qu'on fit ainsi l'application de cette prophtie.

    Ce n'est pas tout, au moment de son couronnement, la cloche du tem-

  • 22 LA TRADITION

    ple se dtacha et tomba avec un bruit effroyable, brisant tout sur son-

    passage. On y vit un funeste prsage. Alors florissait le prophte IvanIakovlvitch Korcha ; on alla le consulter. Dans un temps loign,dit-il, il y aura une explosion de feu.

    On parle encore d'unfou qui brisa d'un coup de hache les jambes unportrait de l'Empereur. Inutile d'ajouter que tout cela est publi par lesjournaux pieux et propag par le clerg; mais on sait aussi que les jour-naux pieux sont peu prs officiels en Russie, qu'ils sont lus par la haute

    socit, que les formes extrieures du culte sont obligatoires pour tous,et que nul n'oserait se dispenser tout au moins de faire semblant decroire.

    ARMAND SINVAL.(A suivre).

    LE BOIS CHARMANT

    IIUn' demoisell' s'en va chantant,Quand on voit que l'on est bien aiseUn' demoisell' s'en va chantant,Quand on voit que l'on est content.

    IIItin beau monsieur va, la suivant,Quand on voit que l'on est bien aiseUn beau monsieur va, la suivant,Quand on voit que l'on est content.

    IVLe beau monsieur met ses gants blancs,Quand on voit que l'on est bien aise

    D.C

    Le beau monsieur met ses gants blancsQuand on voit que l'on est content.

    Ils entrrent au bois charmant,Quand on voit que l'on est bien aise,Ils entrrent au bois charmant,Quand on voit que l'on est content

    VIUs s'en r'vinr'nt tous deux en chantant,Quand on que l'on est bien aise,Us s'en r'vinr'nt tous deux enchantant,Quand on voit que l'on est content.

    Chanson recueillie Paris par CHARLES DE SIVRY.

  • LA TRADITION 23

    CHANSON DE GASTON PHOEBUS

    I. Aqueres montines (bis)Qui ta haots souri, dondine,Qui ta hoiits soun, dondon.

    II. M'empechen de bd (bis)M'as amous oun son, dondine,M'as amous oun son, dondon.

    III. Si credi las bede (bis)Ou de las rencontra, dondine,Ou de las rencontra, dondon.

    IV. Passery l'agueleChens pou d'em negua, dondine,Chens poii d'em negua, dondon.

    I. Ces montagnesQui sont si hautes, dondine,Qui sont si hautes, dondon.

    II. M'empchent de voirO sont mes amours, dondine,O sont mes amours, dondon.

    III. Si je croyais les voir,Ou de les rencontrer, dondine,Ou de les rencontrer, dondon.

    IV. Je passerais l'eauSans peur de me noyer, dondine,Sans peur de me noyer, dondon.

    PAUL BOULANGER.

    POMES DE LA TRADITIONCHRISTINE

    Christine, aux doigts fins, coud la toileEt sert chez le roi libertin ;Elle est belle comme une toile,Comme l'toile du matin.

    Ecoute, petite Christine !Lui dit le roi, la flamme aux yeux ;Donne-moi ta frache glantine,Et prends ce collier prcieux !

    Est-il biensant que je prenneUn joyau de cette valeur ?Gardez ce collier pour la reine,Et laissez-moi ma pauvre fleur ! Ma petite Christine, coute !Un seul instant viens dans mes bras)Et je t'offre, quoiqu'il m'en cote,Le chteau que tu choisiras. Un seul instant parfois entraneDe bien longs regrets, cher seigneur ;Le plus beau chteau de la reineMe rendrait-il jamais l'honneur ?

    Christine, coule, ma petite IEt ne dis plus non ! Sois moi !Viens, que te faut-il ? Rponds vite,Veux-tu ma couronne de roi ?

    Non, votre couronne sacreNe saurait me porter bonheur :Que la reine en reste pare ;Ma couronne, moi, c'est l'honneur.

    Tu priras, si tu rsistes,Dans la tonne aux pointes de fer. Vous rendrez les bons anges tristes,Mais le ciel confondra l'enfer.

    Us ont mis la blahdhe VictimeDans la tonne o sont les grands clous ;Ils l'ont fait rouler l'abme,Sans plus de piti que des loups.Mais deux colombes sont venuesPour mener Christine au ciel d'or.Il en vint deux ; puis, vers les nues,On en vit trois prendre l'essor.

    EMILE BLMONT.

  • 24 LA TRADITION

    LA NANNA DEL BAMBINODIALECTE' CORSE

    Si spanna l'aria, lu tempu s'assirena ;Luci la stdda, la luna gi ripiena :Ninna, nanna, u me figliluAddurmentati parpena ;Ninna, nanna, bu MaLn m Re, lu me Missia !

    Tu cun tre dita susteni terra e cli ;E stu li chiami, so pronti e so fdli,0 spiranza di la mamma,Dolci dolci corne mli,Sapuritu corne manna....Dormi, dormi e fa la nnna !

    Quai vida u soli, la luna eu li stddi ?Quai d la vita ? Quai pasci ancu l'acddi ?Quai d li frutti e li matura ?Tu lu fior di li zitddi ;Tu lu Re di la natura,Tu da' i fiora e la virdura.

    Tu corne un nidu li populi e li regniLi teni in manu, li limiti e li segni :Ai t cenni tuttu piga,Or parchi p chi tu piegni ?

    Ninna, nanna ! bu blu !Addurmentati, figlilu.

    Tu conti i stddi, sa sempri indddi vani ;Ad una ad una li chiudi inni t mani ;A li porti dill'aurraTi rispondini ogni mani ;La m stdda mattutinaDormi, l'alba s'avvicina.

    Tu teni in pugnu la terra eu li monti,Tu da' lu cprsu ai fiumi ed a li fonti ;E la luci e la saettaAi t cenni stani pronti :Tu li mandi ed eddi vaniE ti vltani a li mani.

  • LA TRADITION, 25

    U sli e la luna ti servinu di mantu,E lu to regnu, lu mondu ch' tamantu !

    Sopra l'ali di lu ventuTu lu jiri tuttu quantu ;E lu celi starminatuIn in sofflu l'ha' jiratu !

    Tu freni u mari, la grandina e i turrenti ;U soli e la luna, li nivuli e li venti,

    E lu fulmini e li stddiTi so tutti ubbidienti,E ti portani, stu voliIn un amm'a li dui poli !

    Stu se adiratu, l'accendita e a staffetaCh'annunzia pronta, vicina la saetta ;E lu tonu la to bci,Bci d'ira e di vindetta,Chi suttrenna i fundamentiScti i morti e li viventi.

    Stu vardi torbu, stu tocchi li muntagni,Ni vani in fumu cui selvi e li eampagni ;Un ucchiata sla slaSecca i finmi eu li stagni ;Unu sguardu spezza i troniScigli i populi c i nazioni.

    Ai toni e ai lampi li segni lu camminu ;Ha' in manu i chiavi di a Morti e di u Distinu ;T'ubbidisci cli e terra :Or cos'ha, lu m carinu ?Senti in corpu, ha' qualchi pena ?Or addolcati parpena.

    Tu l'ambra flna, la perla, a margarila :Di li m affetti tu se la calamita ;Tu la vita diu m cri,Tu lu cr di la m vita ;Ninna ! nanna ! bu, blu !Or appattati, figlilu.

    La m vilotta, tu se Farcubalenu ;CM cumparisci tra nivul'e sirenu,Lu m fasciu di la mirra, !

  • 28 LA TRADITION

    Chi lu tengu sempr'in senu ;Lu m risu di lu pianuTuttu sceltu granu a granu !

    Tu se a lima cunfetta e sapurita,La mlarancia sanguigna e culurita,La m rosa bianca e rossa,La m amandula fhirita,La m mla muscatddaLi m occhi, la me stdda !

    Tu se a diana chi splendi mani e sera ;Tu l'alba chiara chi spanna la custra ;Tu apri e chiudi li stagioni,Tu fiurisci a prim avra ;Lu m sli, la m lunaU me vou, a m fortuna !

    Tu se l'aprili chi smalta la natura,Chi la rivesti di fira e di virdura ;La m mla maschirossa,La m fonti cusi pura !La m jemma d'u curadduLu m spicchiu di cristaddu !

    Surridi un pocu, richiara lu t visu :E lu t sguardu ch'algra u paradisu ;Un ha maggiu tanti firaQuant'ha grazii u t surrisu :Or surridi a la to mamma,Dormi, dormi e fa la nanna !

    Tu se lu spicu, tu se l'arba barona ;Chi muscateggia, prufuma li rigiona ;Tu la menta e luciminu,La vaniglia cusi bona 1Lu m balsamu spigatu,La m vita, lu m fiatu !

    Lu pianu e i monti riposani in prufondu :Tu slu vegghi, or nanna, lu m biondu ;Chiudi st'occhi cusi cari,S la luci di lu mondu ;O bijou di la t mamma,Dormi, dormi e fa la nanna!

  • LA TRADITION 27

    S' m'addurmentu, mi svegghiu a tutti l'ori,Nun dormi mai, ma vegghia lu m cri :Quand' vegghiu e quand' dormuPensu a te, lu m Signri !....

    Cos' st'affannu chi cresci li m vai !Ti pigliu in bracciu, t'azzecu, e veni e vai !U t viculu, figlilu,Un s'arreghi mai, mai :Or cos'hai lu m bambinu,Parchi piegni di cuntinu ?

    BERCEUSE DE L'ENFANT JSUS(TBADUCTION)

    L'air s'claircit, le ciel devient serein ;L'toile luit, la lune est dans son plein :Ninna, nanna, mon cher fils, -Endors-toi un moment ;Ninna, nanna, bu baO mon Roi, mon Messie !

    Avec trois doigts, tu soutiens ciel et terre ;Les appelles-tu ? Les voil obissants et fidles,Espoir de ta mre,Doux comme le miel,Savoureux comme la manne !...Dors, dors et fais la nanna !

    Qui conduit le soleil, la lune et les toiles ?Qui donne la vie et la pture aux oiseaux ?Qui donne les fruits et les fait mrir !Toi, fleur des enfants,Toi, Roi de la nature,C'est toi qui donnes les fleurs et la verdure !

    Comme un nid, les peuples et les royaumesSont tenus dans ta main, tu en marques les limites ;Tout plie tes commandements ;Pourquoi pleures-tu donc ?Ninna, nanna ! bu blu !Endors-foi, mon cher fils !

  • 28 LA TRADITION

    Tu comptes les toiles et sais toujours o elles sont ;Tu les tiens une une dans ta main ;Aux portes de l'aurore,Elles te rpondent chaque malin,O mon Etoile matinire !Dors, car, vois-tu, l'aube approche !

    Tu tiens dans ta main la terre avec les monts ;Tu donnes leur cours aux fleuves et aux sources ;La lumire et la foudreSont prtes tes ordres ;Tu les envoies, elles vont,Et te reviennent obissantes !

    Le soleil et la lune te servent de manteau,Ton royaume est le monde si vaste !Sur les ailes des vents,Tu le parcours tout entier,Et fais en un clin d'oeilLe tour du ciel sans bornes !

    Tu mets un frein la mer, la grle, aux torrents ;Le soleil, la lune, les nuages et les monts,La foudre et les toilesSont tes ordres.Le veux-tu ? En un soupirIls se portent dans l'espace d'un ciel l'autre !

    Si tu t'irrites, l'clair est le messagerQui annonce promptement la foudre ;Le tonnerre est la voix,Voix de colre et de vengeanceQui secoue les fondements de la terre,Et fait trembler les vivants et les morts (1).

    Si ton regard est courrouc, si tu touches les montagnes,Elles s'vaporent en fume ainsi que les champs elles bois ;Un seul de tes coups d'oeilDessche les fleuves et les lacs ;Un de tes regards brise les trnesEt anantit les peuples et les nations !

    (1) Il a dploy les cieux comme une tente ; vient-il s'irri-ter ? Il les roule comme un livre et toute la milice, du cieltombe comme la feuille de la vigne et du figuier (fsae).

  • LA TRADITION 29

    Tu marques le chemin aux clairs et au tonnerre ;Tu tiens dans ta main les secrets de la Mort et du Destin ;Le Ciel et la Terre t'obissent :Qu'as-tu donc mon chri ?As-tu quelque douleur ?Je t'en prie, apaise-toi donc un peu !

    Tu es l'ambre fine, la perle, la marguerite,L'aimant de mes affections,Tu es la vie de mon coeur,Le coeur de ma vie ;Ninna, nanna, bu, blu !Or donc apaise-toi, mon fils !

    Tu es mon esprance, l'arc-en-cielQui parat entre le clair et les nuages...Un vase do myrrheQue j'ai dans mon sein,Le riz de la plaineTri grain par grain !

    Tu es pour moi le cdrat confit et savoureux,La grenade colore,La rose blanche et rouge,L'amandier fleuri,La pomme odorante,Mes yeux, mon toile !

    Tu es l'toile du matin et du soir,L'aube resplendissante au sommet du coteau ;Tu ouvres et fermes les saisons ;Tu couvres les champs de fleurs au printemps ;Tu es ma lune et mon soleil,Ma joie et mon bonheur !

    Tu es avril qui maille la natureEt l'habillo de fleurs et de verdure,Ma pomme colore,Ma source pure,Ma branche de corailyMon miroir de cristal !

  • 30 LA TRADITION

    Souris un peu, panouis ta figure ;Ton regard rjouit le paradis ;Le mois de mai n'a pas tant de fleursQue ton sourire a de grces :Souris ta mre,Ou dors, dors et fais la nanna !

    Tu es la lavande et le thym des montsQui parfume et embaume le pays ;Tu es la menthe et le jasmin,La vanille si agrable,Le baume en piMon souffle et ma vie !

    Les plaines et les monts reposent tranquillement ;Seul tu veilles, repose-toi, mon chri,Ferme tes yeux qui me sont si chers,Car ils sont la lumire du monde,O bijou de ta mre !Dors, dors et fais la nanna !

    Si je m'endors, je m'veille toute heure ;Mon coeur ne dort jamais, il veille toujours :Mais que je dorme ou que je veille,Je pense toi, mon Seigneur !....

    Mais qu'est-ce que ces pleurs qui accroissent ma peine ?Je te prends dans mes bras, viens,O mon fils, ton berceauNe repose jamais, jamais !Or qu'as-tu, mon enfant,Pourquoi pleurer toujours ?

    FRDRIC ORTOLI.

    CHRONIQUE MUSICALELe got de la musique et spcialement de la musique symphonique

    s'est largement rpandu, depuis quelques annes, en France. Quels pro-grs, depuis l'poque relativement rcente, 1851, o le regrett Pasde-loup, dont ce sera l'ternel honneur, entreprenait de vulgariser les chefs-d'oeuvres symphoniques des matres tels que Beethoven, Mozart, Haydn,Weber, Mendelssohn, etc.. ! On sait le succs de cette tentative, jugetmraire : elle n'tait pourtant que la reprise heureuse d'une ide qu'a-vait eue, ds 1837, un homme d'une grande valeur artistique : Valentino,

  • LA TRADITION 31

    ancien chef d'orchestre de l'Opra avec Habeneck avait fond, rue Saint-Honor, des concerts classiques qui durrent jusqu'en 1841. Se souvient-on aujourd'hui de cet initiateur des sances populaires, actuellement sifructueuses? Histoire toujours recommence de ceux qui sment sansrcolter ! C'est du moins justice que, de temps autre, on crie aux mois-sonneurs le nom de celui qui a jet le grain au sillon.

    C'est assurment une chose embarrassante pour l'amateur de musiquede choisir, chaque dimanche, le concert o il assistera. La varit, l'at-trait des programmes, la vogue des oeuvres ou des artistes sollicitent endivers sens son intrt : le Conservatoire de musique, avec sa perfection,les concerts de MM. Colonne et Lamoureux, avec la sduction de leursouvrages remarquables, sont parfois galement tentateurs. Enfin, ceuxqui sont curieux des oeuvres encore inconnues, des efforts encourager,des entreprises leves et nouvelles sont attirs par les auditions quedonne, au thtre du Chteau-d'Eau, M. Rmy-Montardon, directeur del'cole franaise de musique. Nous avons assist toutes les sances etnous y avons got un double plaisir : de l'une l'autre, l'orchestre,sous l'nergique direction de son chef, a accompli de constants et rapidesprogrs ; dans chacune, une ou deux oeuvres indites de quelque compo-siteur moderne nous ont t prsentes ; c'est donc l un thtre o lesjeunes, si peu hospitalirement accueillis sur les scnes plus en vogue,peuvent se produire et conqurir la renomme. A ce titre, la tentativede M. Rmy-Montardon est encourager : elle se recommande d'ailleurspar une excellente excution.

    Nous saluons encore avec joie, au dbut de la nouvelle anne et dansnotre premire chronique, la nomination au thtre de l'Opra-Comiqued'un homme d'initiative, M. Paravey, qui semble vouloir rompre avecles dtestables errements du pass et jouer chaque anne un certainnombre d'opras de jeunes compositeurs. N'est-elle pas en effet remar-quable cette cole franaise qui commence Gounod, Ambroise Tho-mas, Reyer, se continue dans Saint-Sans,Massenet, Delibes, Joncires,Lalo, Lenepveu, Th. Dubois, Ch. Lefebvre, Benjamin Godard, Guiraud,Salvayre, Paladilhe et se rvle encore dans des lves tels que Broutin,Marty, Piern, Hue, Rabuteau, Vidal, etc.. Que d'oeuvres admirables ontdans leurs cartons ces auteurs cits au hasard et quel riche rpertoire ypourrait puiser un directeur avis ! Nous esprons que M. Paravey seracelui-l : tous ceux qui ont souci de l'art franais l'encourageront dansses efforts, le soutiendront de leur plume et lui concilieront la faveur dupublic.

    L'anne 1888 sera donc, nous l'esprons, fructueuse pour l'art musicalet nous en suivrons les manifestations au thtre, dans les concerts etmme travers les divers ouvrages o elles se traduiront.

    ED. GUINAND.

  • 32 LA TRADITION

    Dner de dcembre de la Tradition. Le mardi, 6 dcembre 1887,a eu lieu au Rocher de Cancale,78, rue Montorgueil, le deuxime dnerdel saison. Assistaient au dner: MM. Emile Blmont, Frdric Ortoli,Raoul Gineste, Henry Carnoy, Dr Constantin Stravelachi, Dr MichelHadji-Dmtrios, Godefroy Malloizel, Paul Boulanger, le chansonnierJ. Colle et son fils Lonce Colle, M. Broussali, etc., etc..

    Le dner a t des plus cordiaux, M. Broussali, dans une petite conf-rence improvise, nous a trac le tableau des traditions armniennesdepuis... l'Arche de No jusqu' nos jours. Cette confrence sera repro-duite dans un de nos prochains numros. MM. Blmont et RaouI'Gi-neste, ont dit des vers trs applaudis. M. Henry Carnoy a chant plu-sieurs ballades populaires franaises : Le Roy Loys, la Mort du RoiRenaud, le Matelot de Bordeaux, Dans les jardins d'mon Pre, etc.M. Frdric Ortoli a dit des berceuses et ballades de l'le de Corse; puisMM. Constantin Stravelachi et Michel Hadji-Dmtrios ont chant,l'hymne national grec et des airs populaires des les de l'Archipel Otto-man. M. Colle, membre du Caveau, a improvis une chanson de cir-constance consacre notre revue, la Tradition :

    Pendant qu'au loin, silencieuse et nueLa plaine dort sou long somme hivernal,Des bras ardents ont repris la charrueEt mis le soc aux flancs du sol natal.Puisqu'en ce jour l'amiti nous rassemble,Pour clbrer leur premire moisson,Levons le verre et buvons tous ensemble,Aux fondateurs de la Tradition.

    Elle vivra... car, des matres en elle,On sent frmir le souffle gnreux :Car, elle boit la source ternelleLe lait puissant, la sve des aeux.Tu souffres dans ta gloire, chre France,Un deuil cruel courbe ton noble front,Que le pass te rende l'esprance,Retrempe-toi dans la Tradition.

    Elle vivra, triomphez, heureux pres ;Elle vivra... Dans les roses lointainsJe vois planer l'essaim des jours prospresEt le succs couronner ses destins.Que n'ai-je un luth au lieu d'une musette,Pour saluer un si beau nourrisson?En attendant que vienne un vrai pote.Messieurs, je bois la Tradition.

    Courage donc, achevez votre gerbe,Allez, vaillants, vos nobles travaux,Allez ravir la Flore superbeDes temps pusses ses bouquets les plus beaux.Trop vieux hlas ! pour tenter le voyage,Je vous suivrai des yeux l'horizon,Le coeur en fte et criant du rivage :Honneur, honneur la Tradition.

    On' s'est spar vers onze heures, en se donnant rendez-vous pour lemardi 6 fvrier 1888, 7 heures et demie, au mme restaurant duRocher de Cancale; 78, rue Montorgueil; (Prire de prvenir M. HenryCarnoy, 33, rue Vavin, avant le 4 fvrier.

    Le Grant : HENRY CARNOY.

    Laval, Imp. et str. E. JAMIN, 41, rue de la Paix,