La Tradition 1888-04 (N4)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • N 4. 2e Anne. Prix du Numro : Un franc. 15 Avril 1888.

    REVUE GNRALEdes Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Direction :

    MM. EMILE BLMONT ET HENRY CARNOY

    PARISAux bureaux de la TRADITION

    LIBRAIRIE A. DUPRET3, rue de Mdicis, 3.

  • LIVRAISON DU 15 AVRIL 1888. 2e Anne.

    LA BEAUT DES FEMMES, dans les Potes, provenaux et dans la Tradition populaire.(Premire partie), par le Dr Stanislas Prato.

    BEAU PAGE DE LA REINE, posie de Gabriel Vicaire.TUDE SUR LE DRAC DU RHONE (fin), par J.-B. Brenger-Fraud.LA MAU-MARIE, chanson du Perche, recueillie par Charles de Sivry, mlodie recueillie

    par Mme marguerite Serticari.

    L'ARMNIE ET SES TRADITIONS, par Jean Broussali.CANTIQUE DE SAINT-HUBERT, recueilli par Mme Claire Marion.LES TRADITIONS DE L'ATELIER, par Frdric Chevalier.

    LES DANSEURS DE JONQUIRES, conte provenal de Roumanille, traduit par RaoulGineste.

    LE HOUN DOU BOEU, La Fontaine du Boeuf, posie en dialecte de Gascogne et traduc-tion de Isidore Salles.

    BELLE ISABEAU chanson populaire de la Gascogne, recueillie par Jean-Franois Blad,

    NOTES DE MUSIQUE, E. G.

    BIBLIOGRAPHIE, Raoul Gineste.

    NOTES ET ENQUTES,

    COMIT DE RDACTIONMM. Paul ARNE,

    Emile BLMONT,Henry CARNOY,Raoul GINESTE,Paul GINISTY,Ed.GUINAND,

    MM. Gustave ISAMBERT,Charles LANCELIN,Frdric ORTOLI,Camille PELLETAN,Charles de SIVRY,Gabriel VICAIRE.

    LA TRADITION parat le 15 de chaque mois par fascicules de 32 48 pages d'im-pression, avec musique et dessins.

    AVIS

    Nous prions nos abonns d'adresser leur cotisation M. A. DUPRET, diteur,3, rue de Mdicis. Envoyer un mandat sur la poste.

    L'abonnement est de 15 francs pour la France et pour l'tranger.Il est rendu compte des ouvrages adresss la Revue.Le premier volume de LA TRADITION, pour les nouveaux abonns, est envoy

    franco, moyennant la francs.Adresser les abonnements M. Dupret, 3, rue de Mdicis.Adresser les adhsions, lettres, articles, ouvrages, etc. M. Henry Carnoy, pro-

    fesseur au Lyce Louis-le-Grand, 33, rue Vavin, Paris. (Les manuscrits noninsrs seront rendus).

    M. Henry Carnoy se tient la disposition des lecteurs de LA TRADITION le jeudde 2 heures 4 heures, 33, rue Vavin.

  • LA BEAUT DES FEMMESDANS LES POTES PROVENAUX ET DANS LA TRADITION POPULAIRE

    L'amour est le sujet le plus frquent des posies du Midi et particuli-rement des chants des Provenaux. Comme les lyriques italiens, les trou-badours rime d'amor usr dolci e leggiadre . La premire source de laposie pouvait-elle tre autre chose que l'amour en ce moyen-ge, o cesentiment avait ses lois, son code, ses jolies cours d'amour surtout? Etl'amour n'est-il pas le premier lment de l'art par excellence : la Posie ?

    Quel amant, s'crie un troubadour, a souffert autant de malheurs quej'en ai endurs? Je n'ai rien reu des belles, et je n'ose rien leur deman-der. Une femme m'empche de possder les autres femmes, et cependantelle ne me permet point d'tre heureux avec elle ; elle ne me donne aucunsoulagement. Mais c'est aux doux sentiments qu'elle m'inspire que je doisd'tre plus reconnaissant envers le beau sexe et de l'honorer de tous meshommages.

    Raymond de Miravals chante :

    Tant l'amour est avis, qu'il sait comment ddommager quiconquese donne son service; je ne vois point serviteur loyal et dvou quin'obtienne enfin juste rcompense. Les chevaliers n'acquirent aucunmrite qu'une digne amie ne les ait disposs l'art de plaire, et lorsquequelqu'un tombe en faute, chacun dit : C'est clair qu'il n'est pas all l'cole des dames !

    Et Guillaume' de Saint-Didier : La femme qui mes chants sont sacrs, c'est l'archtype de la per-

    fection ; mais plus encore que son corps, son nom, ses entretiens, ses ac-tions, ses manires sont une beaut admirable. Puisse donc quelquerayon de sa beaut se glisser dans mes vers ! Oh! oui, si mes chantstaient dignes de la femme qu'ils clbrent, ils remporteraient sur ceuxdes autres troubadours, comme sa beaut l'emporte sur celle des autresdames.

    Inspirs par la beaut et par la courtoisie, les troubadours reprsen-taient l'amour sous les couleurs les plus charmantes. Richard de Barbe-zieux dit :

    Comme l'anne se pare des fleurs du printemps et des fruits de l'automne, ainsi chacun se pare de l'amour. Vous tes son clat et sa gloireuniques, vous, trs parfaite parmi les dames. Vous en assurez l'empire,parce que tout bien, tout charme en vous trouve une source intarissable ;

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    vous runissez sagesse, beaut, jugement, mais toutes ces qualits sontrendues plus prcieuses et plus clatantes par l'amour.

    Cadenet s'crie :

    Amour, amour, je crois qu'un homme peut chapper tous autresennemis, mais qu'il ne peut te fuir. Il nous est possible de combattre lesuns avec l'pe, de nous dfendre de ceux-ci avec le bouclier, de nous gau-chir dans leur rencontre, de nous cacher dans un lieu secret; le courageou la ruse, l'attaque hardie ou le stratagme, un chteau, une forteressenous sont utiles, et amis et allis nous servent utilement ; mais pour ce-lui que tu poursuis, plus il essaie de t'opposer d'obstacles, moins il a desuccs te combattre !

    Arnaud de Marveil que Ptrarque distingue de Daniel en l'appelant :Il men famoso Arnaldo clbre sous un autre nom Adlade, fille de

    Raymond de Toulouse, et dit : Tout mes yeux la peint; la fracheur du zphyr, l'mail des prs,

    la couleur des fleurs, me prsentant quelques-uns de ses charmes, m'en-gagent la chanter sans cesse.Par les hyperboles des troubadours, puiss-je la louer comme elle en est digne I puiss-je lui dire que sa beaut in-comparable lui donne la prminence sur toutes les autres dames dumonde! Si les troubadours n'avaient pas abus cent fois de cette louangepour des femmes sans mrite, je n'oserais lui rendre un tel honneur quine saurait que l'amoindrir.

    Grard Bornel donne cette dfinition de l'amour :

    Amour est exquise bienveillance, qui nat du coeur sans rien douter :parce que les yeux le font fleurir, et le coeur le fait grener.

    Et il ajoute encore : Les yeux vont voir ce que plat au coeur de retenir. Et quand sont

    bien d'accord et tous trois fixement arrts dans un visage, alors le v-ritable amour clt de ce que les yeux font au coeur agrer.

    Americ de Peguillan dit : Ce qu'aux yeux plat, et que contente le coeur, il veut exquis

    amour.

    Bernard de Ventadour exprime ainsi son admiration pour la beautd'une femme :

    De sa beaut elle claire beau jour et rayonne dans la nuitobscure.

    Et Gercamon crit :

    Quand le monde devient sombre, il brille o elle se trouve. Dans le Pome sur Boce, on lit:

    La maison o elle entre, en reoit trs clatante lumire. Peut-on concevoir une image potique plus charmante?L'essence de toute beaut n'est-elle pas la lumire qui, avec ses ailes

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    d'or, parcourt l'univers et jette la joie sur le monde ? Quand rayonne lalumire, la nature semble renatre et prendre une vie nouvelle. Et Dantene nomme-t-il pas muto. (muet), un lieu priv de lumire? (1) Aveccette potique fiction de l'clat lumineux que rpand autour d'ellela femme aime, le troubadour a russi donner un aperu exquis de lafemme aime et de sa beaut merveilleuse.

    Bien souvent les potes du Midi comparent les charmes de la femmeaux charmes de la fleur (2). J.-B. Porta dit que la fleur est la plante,ce que l'oeil est au corps. Dans la fleurse recueillent la lumire, l'clat, leparfum, l'idalit de la plante. Les potes et les femmes le sentent bien;pour le pote, la fleur est une source constante d'inspirations ; pour lafemme, c'est un objet perptuel d'attention et de soins.

    M. de Gubernatis (Mythol. comp.) dit que dans l'Inde Kma ou Kandarpa(le Dieu de l'amour des Vdas) fait la guerre avec des traits de fleurs, etque selon l'Abhidarma des Boudhistes tous les dieux du monde de Kma,c'est--dire du Paradis de l'amour, portent une fleur leur couleur. Unauteur a crit que les oiseaux sont les musiciens des pauvres. On peut direaussi justement que les fleurs sont la vivante posie des humbles. N'y a-t-il pas une parent saisissable entre les oiseaux et les fleurs ? La jolie fablede Gui et Bulbul n'est-elle pas un ingnieux emblme de cette affinit?Comme les oiseaux en tous pays, les fleurs gayent le ptre dans son iso-lement, le voyageur dans son chemin, l'ouvrier dans sa mansarde. Les -fleurs sont l'image et aussi les messagres des saisons, particulirementdu printemps, la saison de l'amour. C'est le don d'une fleur qui en nosjours de jouvence fait palpiter notre coeur par l'espoir d'un doux amour ;c'est une couronne de blanches fleurs qui ornera le front de la blondefiance au jour du mariage. Les Grecs dans toutes leurs ftes et dansleurs rjouissances publiques, se couronnaient de fleurs. Au fronton decertains difices, une fleur est l'attribut de Vnus et de l'Esprance. Lesfleurs consacres aux dieux taient le symbole de leur puissance. Le lysaltier appartenait Junon, le pavot Grs, l'asphodle aux Mnes, l'hya-

    (1) Enfer, V, v. 28 : lo venni in loco d'ogni luce muto. Cf. aussi : I, v.60 : Mi ripingeva (la bestia senza pace) l, dove il sol lace.

    (2) Les peuples septentrionaux eux-mmes aiment les fleurs. Combien doi-vent les chrir les habitants de la ville des Fleurs, eettg- ville dont Cino dePistoja exil, disait, dans une lettre son ami Boccace : Deh ! quando ri-verdr il dolce paese Di Toscana gentile, Dove il bel fior si vede d'ognimese? Il ne faut pas s'tonner que certains chants populaires amoureux dela Sicile se nomment ciuri el ciuretti (fleurs et fleurettes) et que les petits cou-plets populaires toscans, les stornelli commencent toujours par le nom dequelque fleur, de mme que les mots Frundze vierde sont la formule typiqueinitiale des chants populaires roumains, selon Vasili Aleesandri (Poesii popu-lare ale Romnitor... Bucuresci, 1866, p. 92) et Cipariu (Elementa depoetica, p. 194). En Corse les Voceri commencent habituellement par : Jeme mets la fentre, je vois un pcher fleuri.

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    cinthe et le lierre Bacchus. Dans la mythologie vdique, la fleur sacredu lotus nat du nombril de Vishnou, et de cette fleur nat Brahman.Padma (mase. et neuf.) est un des nombreux noms du lotus en sanscrit.Padmanblia (au mase.) est le nom de Vishnou, et Padtn (au fm.) estcelui de la desse r, Lakshmi, femme de Vishnou, qui est reprsentedans les tableaux indiens avec une fleur de lotus. Le XVIII purana estnomm Padma (Lotus) en l'honneur de Vishnou; il dcrit l'Age durantlequel le monde entier tait occup par un immense lotus. Vishnou estencore nomm dans les Vdas Pushpahsa, c'est--dire celui dont le rireest fleuri, dont la bouche en riant laisse tomber des fleurs. Les anciens

    potes indiens parlent de fleurs tombant du ciel, la suite de victoiresobtenues sur le gnie du mal :

    Au moment o fut tu ce dmon, l'ennemi du monde, un immensecri s'leva du sein mme du ciel : Victoire! Et le vent charg de cles-tes parfums souffla de sa plus caressante haleine. Une pluie de fleurstomba du firmament sur la terre, et le char de Rama, le vainqueur futtout inond de ces fleurs divines aux suaves parfums (Ramayana,vol. IX, p. 278; trad. Fauche).

    Dans un conte de Somadeva, on lit que la fille du roi Suarma, regar-dant par la fentre, remarque le jeune Devadatta et l'attire vers elle cause de sa beaut. Elle cueille une fleur et en touche les lvres du hros.Celui-ci s'en va rempli de trouble; son professeur lui explique que par ce

    signe la princesse lui a donn rendez-vous au temple Pushpa (fleur). Dans le Gui ou Sanaubar, traduit par Garcin de Tassy, la reine laissetomber des fleurs de sa bouche, chaque fois qu'elle rit; une pareille don"ne revient souvent dans les contes populaires. Ainsi l'Etre divin, laissetomber des fleurs lorsqu'il parle ou rit.

    Dans un autre conte de Somadeva, Civa donne deux poux des fleursde lotus-: si l'une se fane, c'est que l'un des poux est infidle.

    Dans le Touti Nameh, une femme dit son mari soldat : Si le bouquet que je te donne se fltrit, c'est que je me serai rendue

    coupable de quelque faute. Dans le vieux roman franais de Percefort, une rose en perdant sa

    fracheur, rvle l'infidlit de l'amante.Selon M. Sehwartz (Der Ursprung der Mythologie, Vorrede VIII) le ciel

    est parfois un jardin fleuri que l'on a cru reconnatre dans la forme chan-geante des nuages. On a pris aussi les nuages pour des arbres puissantsdont les fleurs lumineuses taient le soleil, la lune et les toiles.

    L'un des pisodes les plus gracieux du Harivansa (trad. Langlois) estcelui de la fleur de l'arbre Paridjta, que se disputent Indra et son frreKrishna. Cette fleur conserve sa fracheur durant toute l'anne; elle pos-sde toutes les saveurs et toutes les odeurs et fait obtenir tous les souhaitsde bonheur que l'on peut former. Bien plus, elle est un gage de vertu,elle perd son clat avec l'impie, elle le conserve avec l'homme vertueux.

  • LA TRADITION 101

    Cette fleur merveilleuse offre la couleur aime, le parfum recherch ; ellepeut servir de flambeau durant la nuit; elle est un remde la faim, lasoif,aux maladies, la vieillesse; elle donne les chants et les concerts les

    plus doux et les plus varis.Celte digression un peu longue peut-tre, aura montr que les fleurs

    sont le symbole de la beaut morale et de la beaut physique. Les trou-badours ont t excellemment inspirs en comparant la femme, mer-veille de l'humanit, et la fleur, merveille du monde vgtal.

    Voyons maintenant quelques-unes de ces images.Dans le roman de Flamenca, on lit :

    La cara plena e colrada Rosa de mai, lo jorn qu'es nada, Non es tan bla ni tan clara Que ton li colors de sa cara.

    Et dans le roman de Fievabras :

    E la cara vermelha cum rosa en estt.

    Ainsi le vieux pote sicilien, Mazzeo Ricco, a dit : Ben passa rosa e flore La vostra fresca cera, Lucente pi

    che spera. Dans le roman de Jauffr, on loue ainsi une dame :

    Plus es fresca, bella e blanca Que neus gelada sus en branca, Ni que rosas ab flor de lis Que sol ren no i a mal assis;etc...

    Pierre Vidal dit:

    Rosa de pascor Sembra de la color, E Us de la blancor. Arnaud de Marveil :

    ... L vostre fron pus blanc que lis, Los vostres huelhs vairs erizens... La fassa fresca de colors, Blanca, vermelha pus queflors, Pelita boca, bellas dens, Pus blanca qu'ermerats argens, Menlo e gola e poilrina Blanca com neus e flors d'espina,etc.

    Et Elie de Barjols :

    ... Vostra beutat, qu'es aitals Com belha rosa e belhs cristais.

    Le n' est pas seulement en Provence que les fleurs sont regardes commeun symbole de beaut, et comme un objet de culte. Pour s'en convaincre,il suffit d'ouvrir le premier ouvrage venu de littrature orientale. Voyons,par exemple, le Choix des Contes et Nouvelles t-aduits du chinois, par Th.Pavie (Paris, B. Duprat, 1839). Dans le conte I. te Pivoines, il est questiond'un certainTsieu-Sien qui prend mille et mille soins pour les fleurs deson jardin. Cette sollicitude lui attire la protection d'un nymphe des jar-dins. Ses fleurs, deux fois dvastes par un jeune Chinois dbauch, re-prennent leur premire fracheur grce l'intervention de la nymphe.

  • 102 L TRADITION

    Emprisonn comme magicien, Tsieu-Sien est dlivr par le gnie. Lanymphe des fleurs et ses compagnes amnent un orage pouvantable quitue le jeune Chinois. Sur leur conseil, Tsieu-Sien se nourrit de fleurs, re-prend ainsi sa premire jeunesse et, obtenant l'immortalit, peut monterau ciel.

    Parmi les fleurs les plus jolies, la rose et l'anmone sont ddies V-nus, et le lotus est la fleur sacre de l'Inde. Selon la Fable, l'anmone estne des larmes de Vnus pleurant la mort d'Adonis, ou encore du sangd'Adonis tu parmi sanglier (I). Pline Hist.nat. 21.M.38) dit que ce nomd'anmone vient du grec (vent) parce que les fleurs de certaines es-pces ne s'ouvrent qu'au souffle du vent. Hsychius donne cette autre ex-

    plication que les fleurs de l'anmone sont du .vent gt.La fleur la plus odorante, la rose est consacre Vnus. Sa couleur

    blanche d'abord, fut change par le sang de la desse qui s'tait fait unepiqre aux pines de rosier. On dit encore que la rose est l'image dela beaut, la beaut du corps, fleur de la jeunesse, passant aussi vite quela fleur de Vnus.

    On raconte autrement l'origine del rose. Voici ce qu'en disent lesMusulmans :

    Mahomet, avant de se montrer aux hommes, s'tait mis faire letour du trne de l'Eternel. Dieu se tourna vers lui et le regarda. Le Pro-phte rougit et sua. Ayant essuy son front, six gouttes de sueur tomb-rent sur la terre. Une de ces gouttes donna naissance au ris et larose.

    On raconte galement que l'abeille, ayant offert du miel Jupiter, luidit qu'elle l'avait tir de la rose.Le pre des dieux nomma aussitt l'abeillereine des insectes, et la rose, reine des fleurs. Plus tard, ayant apprisque l'escarbot (image le l'envie) allait souiller pendant la nuit les ptalesde la rose, Jupiter ordonna que l'escarbot ft condamn vivre dans l'or-dure et que l'odeur de la rose ft dsormais mortelle pour cet animal.

    Anacron donne une origine diffrente la rose. Voici l'ode qu'il con-sacra cette fleur, d'aprs la traduction de Poinsinet de Sivry

    Clbrons l'honneur des champsRose, c'est toi qui m'inspire;Rose, fille du PrintempsJe te consacre ma lyre.

    Tu prsides aux beaux jours;Tes trsors parent les Grces;Tes parfums suivent les tracesDe la mre des Amours.

    Des nymphes de nos fontainesLa rose fait les plaisirs :La rose embaume nos plaines,Et l'haleine des Zphyrs.

    Les filles de MnmosyneOnt pris soin de l'embellir:On se plat la cueillir,Sans songer son pine.

    (1) Selon une autre version de la Fable, l'anmone changea de couleurgrce une goutte rie sang rpandue par Adonis un jour qu'il s'tait blessavec une pine.

  • LA TRADITION 103

    Souvent sa beaut l'exposeA l'injure du larcin :Aurore a les doigts de rose,Et Vnus en a le teint.

    Si la rapide vieillesseFane aisment son clat,Encore aprs sa jeunesseElle charme l'odorat.

    Mais chantons son origine.Non loin du temps du Chaos,

    . On vit paratre CyprineSur le vaste sein des flots.

    Alors, 6 roi du tonnerre ILa rose, trsor nouveau,Sortit du sein de la terre,Et Pallas de ton cerveau.

    Du milieu de ses pines,La rose, reine des champs,

    S'leva sur les ruinesDes autres fleurs du printemps.

    Pour elle les Dieux osrentPrfrer la terre aux cieux.Et les Grces l'arrosrentD'un nectar dlicieux.

    Dans l'Inde, il y a des lotus qui ne fleurissent que le jour, et d'autresque la nuit. Voici deux couplets sur ces fleurs :

    a Quand le disque de la lune (en sansk. le dieu Lunus) s'efface, le lotusde la nuit se clt tristement, comme l'pouse dont le mari s'loigne.

    Quand le lotus du jour commence frmir sous le vent du matin, ilcoute avec impatience l'abeille qui vient, jaune de la poussire du lotusde la nuit, voltiger autour de ses feuilles, d'o tombent, comme des lar-mes, les gouttes pures de la rose, et d'o les oiseaux chantent au r-veil.

    Au Japon, les jeunes gens chantent la chanson : Fleur ou Pucelle : La nuit dernire, les fleurs du pcher furent'arroses par la pluie ; Ds que le jour vient d'clore, la vierge se lve et sort de la chambre. Elle cueille une fleur et se met au miroir pour voir qui l'emportera en

    beaut. La vierge interroge un jeune homme : Chez laquelle brille le plus la

    beaut, dans la fleur ou dans la vierge sage ? Le jeune homme rpond : La beaut de l fleur est incomparable. Elle, dans ses mains, presse la fleur, la chiffonne, la froisse et la jette

    aux pieds du jeune homme, en disant: Je ne crois pas qu'on puisse comparer cette fleur une personne vi-

    vante! (1)

    A Nagasaki, seconde capitale du Japon, tous les habitants se font unplaisir de chanter les vers de l' Invitation que je crois bien rapporter ici :

    La premire fleur du prunier de l'le de Kiousiou (2), Cette nuit pour vous, seigneur, s'ouvrira ; Si vous voulez connatre tous les charmes de cette fleur, Venez en chantant la lune, l'heure de la troisime veille.

    (1) Si-Ka-Zen-Yo, Anthologie japonaise, posies anciennes et modernes desinsulaires du Nippon, traduites en franais et publies avec le texte originalet une prface de Ed. Laboulaye. Paris, 1870, p. 165-166.

    (2) L'le mridionale du Japon, dans laquelle se trouve Nagasaki.

  • 104 LA TRADITION

    L'ode suivante est fort connue en Perse ; le peuple la chante dans lesrues, les ptres dans la solitude des champs :

    La rose n'est pas mignonne sans les joies De notre amour et le gaiprintemps ; Sans le vin exquis, ce n'est pas chose charmante.

    Le coin d'un jardin, le zphyr parfum D'un verger, sans un visage Vivement color comme une tulipe, ce n'est pas chose jolie.

    Se tenir auprs de son amour, mignon rosier, Avec sa lvre sucre,sans ses baisers, Sans ses caresses, ce n'est pas chose jolie.

    Balancement du cyprs, sommeil de la rose, Sans les voix de millechanteurs, Ce n'est pas non plus jolie chose.

    L'image trompeuse que forge Notre esprit, dans laquelle s'vanouitl'image De notre amour, ce n'est pas jolie chose.

    Vin, jardin et rose pourpre, Sont jolies choses ; il n'est pas l, No-tre cher amour : cne sont plus jolies choses... (1)

    On comprend fort bien que la rose soit le symbole de tous les ges dela vie. Un bouton de rose blanche peut indiquer un coeur qui ne connat

    point encore l'amour. Une jeune fille est une rose non panouie; un bou-ton de rose sera une image.

    William Jones (Poes.asiat. comment, p. 1-48) rapporte que les Arabes,faisant le portrait de leurs belles, comparent leurs boucles de cheveux

    l'hyacinthe, leurs joues la rose, leurs yeux aux violettes, pour la cou-leur, et aux narcisses pour la longueur.

    Dans la Bible, on fait dire la vierge reprsente sous une image all-gorique : Quasi patina exaltata sum in Cades et quasi plantatio rosoe inJerico ; quasi oliva speciosa in campis, et quasi platanus exaltata sum juxlaquant in plateis .

    Les potes arabes se plaisent dcrire les fleurs et les fruits ; de mme

    qu'ils les emploient dans leurs comparaisons pour servir de parure labeaut, de mme ils se servent de la beaut humaine pour embellir lesfleurs et les fruits.

    Ce fruit, dit l'un d'eux, est d'un ct blanc comme le lis; de l'autreaussi vermeil que la pche ou que l'anmone, comme si l'amour avaitruni la joue d'une vierge celle de son amant. (2)

    Un autre compare le narcisse qui vient d'clore aux dents blanchesd'une jeune fille qui mord une pomme d'Armnie (3).

    Dans un couplet populaire ombrien, on dit une jeune fille: Quando nascesti voi in quella valleNacque la rosa de mille colori.

    Dans la revue espagnole: El Folk-Lore Frexnense \\, p. 48), on lit

  • LA TRADITION 105

    Th. Braga (Cantospopulares do Arcipelago Aoriano, Porto, 1869; p. 19)donne ce joli couplet allgorique :

    i Brilha rosa, que nascestes Na mais Unda primavera ; Fosle nada entrespinhos Para mais brilhares na terra.

    On peut voir galement dans Sylvio Romro (Cantos. populares do Bra-zil, Lisboa, 1883, vol. II, IIIe srie, Silva de quadrinhas,pages 97, 62, 86) :

    Sois a flor mais delicada Que creou a natureza, Sois mais linda que arosa, Que brilha com mais grandeza.

    Minha me chama-se Rosa, Eu sou filho de roseira, No posso deixarde amar Uma flr que tanto cheira.

    Vinde c, mcu cravo d'ouro, Minha sementede prala, A tua visla mealegra, 0 teu retira me mata.

    On lit les couplets suivants dans Th. Braga (Cant. pop. do Arc. aor.,pages 33,49 et 63) :

    As rosas no preciso Ir colhel as na roseira ; As rosas so os sorrisos, D'essa bocca feiticeira. .

    Rosa branca, flor de espinhos, Rigorosa ma porfia, Quem lem ciumes deamores Ouve falar, desconfia.

    Cravo roxo, ama, ama, Oh jasmin, adora, adora : Branca rosa da ro-seira, Se tens penas chora, chora.

    La Biblioteca de las Tradiciones populares espanolas. (T. V, pages 86, 87,90) a publi ces vers populaires amoureux :

    Las rosas y los claveles Se dieron una batalla, Y los claveles ganaron Parque reinan en tu cara.

    Su colorte dio la rosa, El ciel su azul turqui, Te dio su talle la palma, Y su blancura el jasmin.

    Eres la palma gallarda Y hermosisimo laurel ;. Eres azcena blanca Y bellisimo clavel.

    Eres la flor delromero, Que me pntras el aima; Y i/o, como bien tequiero, Voy siguiendo tus pisadas.

    L oeillet (o cravo) signifie souvent 1 amant dans la posie populaire por-tugaise, de mme que la rose reprsente l'amoureuse.

    Chacun se rappelle ces vers de Catulle (Epithal. N 62, Vs 39-47) : Utflos in septis secretis nascitur hortisIgnotus pecori, nullo contusus aratro,Quem -mulcent aurse, firmat sol, educat imber,Multi illum pueri, multoe cupiere puelloe ;Idem, cum tenui carptus dflorait ungui,Nulli illum pueri, nulloe cupiere puellae.Sic yirgo, etc..

    Et ceux-ci de l'Arioste (Orlando furioso, I, 43) : La verginella simile alla rosa .Che in bel giardin su la nativa spina,Mentre sola e sicura si riposa,

  • 106 LA TRADITION

    Ne gregge, ne pastor se le avvicina ;L'aura soave e l'alba rugiadosa,L'acqua e la terra al suo favor s'inchina,Giovani vaghi, e donne innamorateAmano averne e seni e tempie ornate.

    Ma non si tosto dal materno steloRimossa vene, e dal suo ceppo verde,Che quanto avea dagli uomini e dal cielo,Favor, grazia e bellezza tutto perde,La vergine, etc..

    Le Tasse nous offre la mme comparaison (Grus. lib., ch. XVI, 14) : Deh! mira, egli canto, spuntar la rosaDal verde suo modesta e verginella,Che mezza aperta ancora e mezza ascosa,Quanto si mostra men, tanto pi bella ;Ecco poi nudo il sen gi baldanzosaDispiega, ecco poi langue e non par quella,Quella non par che desata avantiFu da mille donzelle e mille amanti.Cosi trapassa al trapassar d'un giornoDlia vita mortale il flore e il verde, etc..

    Chacun connat aussi l'odelette : A Cassandre, de Pierre Ronsard : Mignonne, allons voir si la rose,Qui ce matin avoit dcloseSa robe de pourpre au soleil,N'a point perdu, cette vespre,Les plis de sa robe pourpre,Et son teint au vostre pareil.

    Las ! voyez comme en peu d espace,Mignonne, elle a dessus la place,Las! Las! Ses beauts laiss choir!0 vraiment marastre nature,Puisqu'une telle fleur ne dureQue du matin jusques au soir!

    Ange Politien dcrit ainsi la violette dans ses Stances pour la Joute de Ju-lien de Mdicis, liv. I, 78 :

    Trma la mammoletta verginellaCon occhi bassi, onesta e vergognosa,Ma vieppi lieta, pi ridente e bellaArdisce aprir il seno al sol la rosa ;Questa di verde gemma s'incappella ;Quella si mostra all sportel vezzosa ;L'altra che 'n dolce foco ardea pur ora,Languida cadee il bel pratello inflora.

    Gabriel Chiabrera dcrit ainsi la violette dans une ode intitule : Labelt presto finisee :

    La volettaChe in sull'erbettaS'apre al mattin novella,Di', non cosaTutta odorosa,Tutta leggiadra e bella ?

    Si certamente,Che dolcementeElla ne spira odori,E n'empie il pettoDi bel dilettoCol bel d suoi colori ;

  • LA TRADITION 107

    Vaga rosseggia,Vaga biancheggia,Tra l'aure mattutine,Pregio d'Aprile,Via pi gentileMa che diviene alfine t

    Ahi, che in brev' ora,Corne l'aurora,Lunge da noi sen vola,Ecco languire,Ecco perireLa misera Viola.

    Le Dante dans son Paradis (Ch. XXX, Vs 124-26, et Ch. XXXI, Vs 1-12)nous offre sous l'image de la rose tout l'assemblage des esprits bienheu-reux du paradis :

    Nel giallo dlia rosa sempiterna,Che si dilata, rigrada e redoleOdor di Iode al Sol che sempre verna

    Mi trane Batrice, etc

    In forma dunque di candida rosaMi si mostrava la milizia santa,Che nel suo sangue Cristo fece sposa.Ma l'altra che volando vede e cantaLa gloria di Colui che la innamora,E la bont che la fece cotanta.Si come schiera d'api che s'infioraUna fata eduna si ritornaL dove suo lavoro s'insapora,Nelgran flor discendeva, che s'adornaDi tante foglie e quindi risalivaL dove il suo amor sempre soggiorna.

    Le prof. Theophilo Braga dans ses notes rudites sur les diverses ver-sions de la romance de Sylvana (p. 401-S de ses Gant. pop. de Arc. aor)nous dit : 0 povo (portugais) descreve o Paraiso do mesmo modo que se acha naDivina Comedia de Dante nas5& e 6a versoes da Sylvana : Estava no co acantar 'Numa Rosa encarnada . e tambem : A minha aima esta noco, Esta n'uma Rosa pintada.

    Ozanam dit ce propos : Dans les temples chrtiens, les Martyrs et les Vierges resplendissaient

    sur les vitraux, attendant presque un rayon de soleil pour descendre dansl'glise parmi les fidles. Au milieu resplendissait la Rose qui figurait lesneuf choeurs des Anges autour de l'Eternel; c'est dans cette ide que leDante puisa la jolie conception du Paradis dcrit sous l'image simple etpure de la Rose candide, dont les feuilles sont les siges des bienheureux.

    STANISLAS PEATO.

  • 108 LA TRADITION

    BEAU PAGE DE LA REINE Qu'avez-vous, dites-moi,Beau page de la reine ?Qu'avez-vous, dites-moi,Gentil menin du roi ?

    Madame a les yeux douxEt vous portez sa trane,Madame a les yeux doux :

    Pourquoi donc pleurez-vous ?

    Hlas I je ne suis rienQu'un enfant qui soupireHlas ! je ne suis rien, .L'amour est tout mon bien.

    Si je n'aimais pas tant,Comme il ferait bon rire !Si je n'aimais pas tant,J'aurais le coeur content.

    Madame a dans les yeuxLe bleu de la pervenche,Madame a dans les yeuxQuelque chose des deux.

    Madame entre ses doigtsTient une rose blanche,Madame entre ses doigtsTient la rose des bois,

    Et ses cheveux dorsComme la frache aurore,Et ses cheveux dorsOnt la senteur des prs.

    Ah ! plutt des lilas,J'en pleurerais encore,Ah ! plutt des lilas,Mais ne m'en parlez pas.

    Bah ! souriez un peu,Beau page de la reine,Bah ! souriez un peu, .Beau page rose et bleu.

    Non, j'ai trop coutLe chant de la sirne,Non, j'ai trop coutLe rossignol d't.

    Entre les deux sentiersQui vont la rivire,Entre les deux sentiersRecouverts d'glantiers,

    Du ct du Levant,Dans une chnevire,Du ct dit Levant,Est un petit couvent.

    C'est l que bien cachAu fond d'une cellule,C'est l que bien cach,J'expierai mon pch.

    Mais lorsque tendrementViendra le crpuscule,Mais lorsque tendrementLuira le firmament,

    Du haut de la grand' tourQui regarde la Bresse,Du haut de la grand' tour,J'pierai ton retour,

    0 mon royal trsor,Ma blonde chasseresse,0 mon royal trsor,Ma reine aux cheveux d'or.

    GABRIEL VICAIRE.

  • LA TRADITION 109

    ETUDE SUR LE DRAC DU RHONE

    Laissant de ct ce qui se rattache Penda Balou, et revenantaux superstitions des habitants de la vieille Europe, nous dironsque l'ide des Ondins se retrouve plus ou moins complte, ou plusou moins rudimentaire en nombre d'endroits.

    Sans avoir la prtention d'en citer toutes les manifestations, ajou-tons sommairement que l'Allemagne a ses Wassermanns qui sontdes esprits mchants habitant les eaux, les lacs, les rivires,et nui-sant,quand ils le peuvent aux malheureux riverains. En Norwge,il y a les Naks qui sont aussi de malins esprits gardant l'entre desfiords, et prlevant, chaque anne, l'impt d'une victime humaine,quand ce n'est pas davantage.

    En Laponie, il y a les Nikars qui sont aussi les gnies malfai-sants des eaux. Ces nikars sont dans chaque tang, dans chaquerivire, ils vivent isols ou en troupe,et attirent de diverses mani-res les imprudents qui, pour les voir, les entendre de plus prs,car il faut ajouter que ces nikars jouent de la musique ou chantent, qui pour les voir, dis-je, ou les entendre de plus prs, s'ap-prochent trop du bord, et tombent dans l'eau, o bientt ils sontnoys.

    Nous voyons l poindre un lment nouveau, c'est la musiqueou le chant des esprits malfaisants qui servent d'appt pour attirerles malheureuses victimes. Gardons ce point en mmoire, car nousconstaterons bientt qu'il a son importance.

    Ces esprits malfaisants que nous avons vus dans les superstitionsdes Allemands du centre sous la forme d'Ondins, existent aussidans la Germanie septentrionale sous le nom de Nixes ; ils habi-tent au bord de la mer Baltique,ou dans les fleuves, les lacs, etlestangs voisins. Ajoutons un dtail nouveau que nous devons sou-ligner : il en est des deux sexes. Ils chantent d'une faon trs m-lodieuse et attirent les pcheurs qui ne peuvent chapper leurcharme ds qu'ils ont prt l'oreille leurs chansons. En effet, cesnixes chantent successivement onze airs diffrents, et au douzimeils ont si bien captiv l'auditeur que celui-ci se jette l'eau et senoie pour approcher davantage du musicien.

    Les nixes femelles sont extrmement jolies et aiment la socit.Une fois, trois d'entre elles, prirent l'habitude de venir passer la veille

    chez des paysans qui habitaient auprs de leur lac, et pendant qu'ellesfilaient, elles racontaient les histoires les : plus extraordinaires, ou bienchantaient des airs mlodieux. Elles avaient soin de partir avant la on-zime heure du soir, et quelque soin qu'on mt les retenir, on ne pou-

  • 110- LA TRADITION

    vaitles empcher de s'en aller cette heure. Un soir, un jeune homme. qui tait devenu trs-amoureux de l'une d'elles, imagina de retarder l'hor-loge de sorte qu'elles restrent plus longtemps que de coutume. Mais lelendemain matin on trouva trois tches de sang sur l'eau de l'tang, etdepuis on ne les a plus revues.

    Ailleurs on raconte l'aventure suivante :

    Un jour, une nixe tait occupe peigner ses longs cheveux avec unpeigne d'or, quand un chasseur tmraire qui passait prs de la rocheSAir laquelle elle tait assise, voulut lui tirer un coup de fusil; elle se mit rire, et repoussa le projectile avec la main d'un air ddaigneux. Lechasseur effray s'en alla en courant. Seulement, trois jours aprs on letrouva noy.

    La lgende de ces habitants des eaux se prsente sous bien desformes. Nous retrouverons dans la province de Magdebourg, l'his-toire de la Demoiselle de l'Elbe, que voici :

    La demoiselle de l'Elbe. Il y avait jadis, dans les environs delville de Magdebourg, une Ondine qui habitait le fond du lit de l'Elbe. Cettendine tait une charmante jeune fille aimant beaucoup la danse, aussiallait-elle souvent danser dans les ftes publiques et tait-elle trs-aima-ble avec les garons. Un jour, un jeune boulanger s'prit de l'ondine etlui tint de doux propos ; elle les.couta avec plaisir, et bientt elle acceptala proposition de mariage qu'il lui faisait.

    Le crdule jeune homme partit avec elle pour aller demander sa main l'Ondin son pre; Ils montrent dans le bateau d'un pcheur du pays au-quel la jeune fille dit : Lorsque mon pre aura consenti notre union,je vous enverrai par le fil de l'eau une assiette de bois dans laquelle seraune pomme. Vous prendrez cette pomme, et vous la porterez aux parentsde mon fianc qui apprendront ainsi l'heureuse conclusion de notreunion,

    Aprs avoir parl, la jeune Ondine enlaa son fianc par la taille et sejeta avec lui dans la rivire, mais au lieu de l'assiette de bois contenantune pomme, le batelier vit un jet de sang sortir de l'eau. C'tait la preuvequeles parents de l'Ondine avaient tu le jeune homme pour se repatrede sa chair. Et il faut ajouter mme que le batelier fut trs-favoris parle sort dans cette circonstance, car s'il avait vu passer l'assiette de boisavec la pomme, et qu'il et voulu la prendre, il aurait t saisi etentranau fond de la rivire par l'Ondin malin.

    -Nous sommes ramens, on le voit, des traits qui rappellent leDrac du bas Rhne ; seulement la sbille flottante est applique une autre ide que celle de la coquetterie ou de l'envie provoca-trice dpossder: C'est un simple signe indicatif qu'elle fournitclans la prsente aventure,et comme il fallait complter la. pense,nous voyons intervenir le jet de sang qui sort de l'eau pour indi-quer la mort' du jeune homme.

    Nous pouvons rapprocher de cette, forme de la lgende la

  • LA TRADITION 111

    croyance aux lavandires bretonnes. On sait que le vulgaire croitque dans certains cours d'eau de la Bretagne il y a des lavandiresqui ont l'apparence d'aimables et belles jeunes filles, et qui appa-raissent aux imprudents qui viennent passer pendant la nuit surles bords de la rivire.

    Elles les appellent d'un air engageant, et les prient de les aider tordre le linge qu'elles viennent de laver; mais malheur au tm-raire qui se laisse enjler, car au moment o il essaye de tordre lelinge du bon ct, elles le tordent du mauvais, si bien qu'elles luitordent le cou sans rmission.

    Mary Morgan est une manifestation de la mme ide. On sait eneffet que les Bretons appellent de ce nom les femmes surnaturellesqui habitent les tangs et les mares; elles viennent souvent la nuitou le malin avant le lever du soleil peigner leurs longs cheveuxverts sur le bord de l'eau.

    A l'tang du Duc, prs de Vannes, une d'elles fut vue un jour parun soldat qui voulut lui dire des gaudrioles; elle accueillit les plai-santeries en souriant, et le soldat s'enhardissant voulut l'embrasser;mais ce moment elle lui passa les bras autour du cou en riantd'un rire sardonique, et elle l'entrana au fond de l'eau o il se noya.

    Enfin ajoutons que les tres surnaturels qu'on appelle les Mer-ma'tdes sont de la mme catgorie, car les Ecossais appellent de cenom des Ondines qui habitent les lacs et les torrents et qui attirentpar des agaceries les nafs qui en voulant aller les embrasser senoient.

    VI

    J'ai parl prcdemment de l'ide de la musique tentatrice quisert d'arme ces Atres surnaturels que la crdulit populaire croithabiter le fond des eaux. Le lecteur a song dj sans doute quenous trouvons dans l'antiquit la trace de cette ide dans la lgendedes Sirnes qui faillirent empcher Ulysse de terminer heureuse-ment le fameux voyage de retour Ithaque.

    Je n'entrerai pas dans les dtails de l'aventure d'Ulysse dans lepays des Sirnes, c'est--dire de la cire qu'il se fit couler dans lesoreilles, et des liens avec lesquels il se fit attacher au mt de sonnavire ; ils sont trop connus pour tre reproduits. Mais le lecteurconviendra avec moi qu'on ne saurait mconnatre les liens de pa-rent qui existent entre les Sirnes et les Ondines. D'autre part ensongeant au pays o la mythologie plaait leur rsidence et qui sont.prcisment les rgions montagneuses des ctes de l'Italie mri-dionale et de la Sicile, c'est--dire les contres occupes par lespeuplades italiques les plus anciennes, rattaches, on le sait, lagrande famille Celtique ou Scythique,qui est considre comme la

  • 112 LA, TRADITION

    premire couche de stratification de la population de la pnin-sule.

    J'aurais bien d'autres variantes fournir de l'ide qui a prsid la lgende du Drac, mais ce serait une longueur inutile. Il impor-tait mon plan de montrer que cette ide, se rencontre dans uncertain nombre de pays plus ou moins loigns les uns des autresdans l'tendue de la vieille Europe ; et je crois qu'on admettrasans difficult que j'y suis arriv.

    VII

    Etant admis que cette ide du Drac se retrouve plus ou moinsmodifie, mais avec des ressemblances suffisantes pour accentuerla communaut d'origine des diverses lgendes de cette nature,nous devons rechercher quel peut tre le point de dpart de la don-ne primitive. Or, si je ne me trompe, nous sommes ici en prsenced'une importation trangre comme il arrive quand on entend ra-conter en Provence les aventures d'Hercule, le mariage de Protis

    et Gyptis, la mort de Cabestaing, etc..Seulement, cette fois, ce n'est pas par la voie de mer, et par l'in-

    termdiaire des peuplades littorales du bassin Mditerranenqu'elle est arrive chez nous, c'est par voie de terre qu'elle est ve-nue, colporte par des conteurs Celtes, Scythes, Galls, Kymris,Germains, Huns, Burgondes, Goths... etc. Au lieu d'avoir suivi lemme parallle gographique en allant de l'Est l'Ouest, elle s'estinflchie du N.E. au S.O. pour arriver jusque dans notre contrede Provence.

    Si je ne m'abuse,c'est une lgende qui a pris naissance dans cespays coups de cours d'eau dangereux par leur profondeur qui fontla grande majorit des contres russes, allemandes, Scandinaves ;de l elle est venue, de proche en proche, avec les courants humainsqui, sous la conduite des chefs prhistoriques comme Odin, He-sus, Agmius et tant d'autres de la mythologie finnoise, kymrique,galloise, etc.,ou sous les bannires des chefs plus voisins de nous,comme Bellovse, Teutobok, Attila, etc., sont venus successive-ment apporter leur stratification de peuplades pourmaintenirdansnos rgions le niveau de populalion qui, sans ces immigrations p-riodiques, aurait baiss depuis longtemps jusqu'au dessous dezro.

    BRENGER-FRAUD .

  • LA TRADITION 113

    LA MAU-MARIE

    chant de la comte l' ont mari.

    II

    L'a tant battuebisDe son bton de vert pommier,

    Le sang lui couleDepuis la tte jusqu'aux pieds.

    III

    Prend son sang rougeDans une tasse d'argent fin :

    Voici la belle,

    Le vin que tu boiras demain.

    IV

    Sa chemisette.Est comme la peau d'un mouton.

    Vers la rivire,Sa chemisette va laver.

    V

    Vers la rivire,Voit venir trois beaux cavaliers.

    e an plus m-chantde la comt

    Eh ! la servante,O est la dame du castel ?

    VI Suis pas servante ; bis

    Je suis la dame du castel. | Oh! ma soeurette,

    Qui donc vous a fait tant de mal?

    VII

    C'est, mon cher frre,Le mari que vous m'avez donn.

    Tous trois galopentVers la grand' porte du castel.

    VIII

    De chambre en chambre,L' ont poursuivi jusqu' au grenier ;

    A coups de sabre,Ils lui ont la tte coup.

    Chanson communique M. CHARLES DE SIVRYpar Mme MARGUERITE SERTICARI, qui l'arecueillie dans le Perche.

  • 114 LA TRADITION

    L'ARMNIE ET SES TRADITIONSI

    S'il y a une patrie des traditions et des lgendes, c'est en Armnie qu'ilfaut la chercher. C'est l, en effet, que se trouverait le berceau de l'hu-manit et l'origine de tout ce qui flotte sur notre plante. C'est l, sur lesommet du gigantesque mont Ararat, continuellement couvert de glacesternelles,que se serait arrte l'arche de No,de ce Juste qui trouva grceau yeux du Seigneur; et c'est aussi l qu'on place le Paradis terrestre,l'den de nos premiers parents Adam et Eve. C'est l que les Argonautesallrent chercher la Toison d'Or. C'est l que les botanistes croient avoirretrouv la patrie d'espces vgtales nombreuses, entre autre la vigne et,le poirier. C'est de l que le gourmand Lucullus a rapport la cerise.C'est de l que vient le faisan. Ce sont les montagnes de ce pays que lesDix Mille ont traverses dans leur fameuse retraite ; et c'est enfin l queles gographes montrent le centre de la terre.

    Disons d'abord quelques mots de ce qu'est ce pays pour faciliter l'intel-ligence de cet article.

    L'Armnie, terre originaire de l'homme, d'aprs la lgende, s'tend dela ligne du Caucase la, Mditerrane, et occupe tout ce plateau formida-ble qui s'lve au milieu de quatre grandes mers : la mer Noire, la merCaspienne, le golfe Persique et la Mditerrane ; elle commande par terreConstantinople, le canal de Suez et toutes les routes stratgiques quiviennent du Caucase et qui vont en Perse, en Syrie et au golfe Persique.Le point de convergence de toutes ces routes, dit M. le lieutenant-colonelNiox, se trouve Erzeroum, capitale actuelle de l'Armnie turque.

    Ce pays est incontestablement un des plus anciens du monde ; les tra-ditions nationales le font remonter jusqu'au dluge, 2350 ans avantJ.-C. Hag, le premier pre des Armniens, serait un de ces gants quiavaient tent d'lever la tour de Babel ; aprs la dispersion des langues,il serait venu en Armnie dans la rgion du Lac de Van, o il auraitfond la nationalit hagane ou armnienne.

    Les Armniens considrent leur langue comme antdiluvienne ; ils nes'appellent pas Armniens, ce nom leur vient des trangers ; eux-mmesse nomment haganes ou descendants de Hag. Les savants ne sont pasd'accord sur l'tymologie de ce mot : Armnie. D'aprs les uns, Armnieviendrait d'un mot aramen qui voudrait dire haut pays ; et, en effet, lasituation trs leve du pays semblerait donner quelques chances de cr-dit cette interprtation. D'aprs d'autres, et cela me parat plus vrai-semblable, Armnie driverait d'Aram, un de nos grands conqurants etrois.'

    Maintenant, pour ne pas m'loigner d mon sujet, crivant dans laTradition, j'essaierai de tracer les quelques lignes saillantes des tradi-tions anciennes autant que mes souvenirs me le permetteront, laissant

  • LA TRADITION 115

    de plus comptents et de plus verss dans la matire la lche de dve-lopper les lacunes de ma mmoire.

    iiDans un village appel Agri, sur le mont Ararat, plusieurs fois ruin

    par des tremblements de terre rcents, les Armniens cultivent encorela vigne, en mmoire de la premire vigne plante par le patriarcheNo. C'est assez dire combien la vigne est abondante et fertile en Arm-nie. Ses produits pourraient ddommager des ravages du phyloxra enFrance, si des chemins de fer traversaient le pays. Malheureusement, legouvernement turc s'obstine, dans son ignorance, refuser aux compa-gnies qui en font la demande, toute concession de construction de voieferre, car il croit avoir raison de tenir les Armniens dans une situationarrire en les isolant des progrs occidentaux. L'exprience lui dmon-trera le contraire.

    Les Armniens des environs montrent encore avec autant de prcisionque de conviction l'endroit prcis o s'arrta l'Arche de No. Ils vousmontrent mme, en Csare, dans la petite Armnie, sur le sommet dumont Arge, le gouvernail de l'Arche biblique, et ils en clbrent la ftechaque anne en allumant des torches sur la pointe leve qui termine lamontagne. C'est dans une grotte d'accs trs difficile et trs prilleux,que se trouverait enfonc parmi les glaces le clbre gouvernail. Il estbien entendu que je ne me charge pas d'en garantir l'authenticit. Maisil n'y a que la foi qui sauve.

    Un minent anglais, M. J. Bryce, qui a fait le voyage de l'Armnie vers1876 a excut la difficile et prilleuse ascension du mont Ararat. Ausommet il a rencontr un vieux fragment de bois qu'il a ramen prcieu-sement Londres. Dans une brillante confrence la Socit de Gogra-phie, l'explorateur affirma que ce morceau de bois appartenait l'Archede No. On peut consulter pour les dtails de cette intressante commu-nication, Je Bulletin de cette Socit, anne 1876.

    En face du mont Ararat (qui a 5,000 m. de hauteur absolue), se dresseune autre montagne non moins imposante par l'tendue de sa base,l'Arcadze ou l'Ala-geuze (mont Bigarr) des modernes, qui se termine parquatre pointes qui se lvent comme des vedettes. Gomme elles sont re-couvertes de matires sulfureuses, elles laissent chapper des lueurs quibrillent pendant la nuit, ce qui prouve combien l'Armnie tait travaillepar des forces plutoniques et volcaniques qui ont d clater, il y a 2,000ans, et disperser les mers intrieures qui parcouraient l'Armnie, mersdont nous conservons comme vestiges les trois grands lacs de Van dansl'Armnie turque, de Svan dans l'Armnie russe, d'Ourmiale dans l'Ar-mnie persane.

    On sait que l'Armnie est, comme la Pologne, divise en trois trononsque se sont adjugs les Turcs, les Persans et les Russes.

    La surface du pays,; cause de ces rvolutions terribles de la nature,

  • 116 LA TRADITION

    nous semble de formation rcente, au point de vue gologique, car, au point de vue historique, le pays est un des plus anciens, comme l'-tablissent les inscriptions cuniformes dcouvertes sur les immenses ro-chers de la province de Van.

    Les lueurs qu'on aperoit pendant la nuit sur les quatre vedettes del'Arcadze, ont fait dire aux habitants, voire mme certains historienscrdules, qu'il y avait au fond de cette montagne une crypte, une cavernedans laquelle saint Grgoire l'illuminaleur, l'aptre national de l'Arm-nie, aurait bti une chapelle o il aurait suspendu une lampe ardentequi brle continuellement et qui brlera toujours. Lorsqu'elle cessera debrler ce sera, dit-on, le signal de la fin du monde. Alors on entendrales tambours et les trompettes de l'vangile.

    C'est aussi prs de cet endroit qu'on a dcouvert la-lance qui pera lesein du Christ, et c'est encore dans ces rgions qu'on aurait dcouvert lavraie croix avant de la transporter Constantinople.

    L'histoire de l'introduction du christianisme en Armnie est accompa-gne d'un grand nombre de traditions.

    Abgare, roi d'Edesse ou d'Armnie, tant atteint d'une maladie incu-rable, apprit que le Christ faisait des miracles ; il lui enuoya deux am-bassadeurs pour l'inviter venir le gurir, promettant d'introduire lechristianisme dans ses tats en reconnaissance de son rtablissement.L'Armnie appartenait alors au culte de Zoroastre et adorait le soleil etle feu.

    De nos jours encore, on rencontre dans le christianisme armnien denombreux vestiges de l'ancien culte. C'est ainsi que dans les principauxactes de la vie, les fiancs, les amoureux, les mourants se tournent versle Levant soit pour prendre le soleil tmoin, soit pour lui demanderla force. Dans les glises, les autels sont dresss vers le Levant, les tom-beaux sont tourns galement dans cette direction.

    Le Christ reut avec sympathie les envoys du roi d'Armnie, mais ils'excusa de ne pouvoir se rendre l'invitation qui lui tait faite, sonheure, dit-il, n'tant pas venue. Il leur promit cependant d'envoyer aprssa mort deux aptres pour convertir les Armniens, et il leur donna sonportrait :

    Remettez ceci votre roi, et il sera guri en le touchant ! leurdit il.

    En effet, le roi d'Armnie, au reu du portrait, obtint sa gurison mi-raculeuse.

    L'original de ce portrait passe pour exister encore aujourd'hui Edesse. Dans la dernire confrence que j'ai faite Nantes la Socit deGographie, sur les malheurs immrits de ma pauvre patrie, on m'ap-prit qu'un certain M. Deville de Sardlys, qui habite cette ville, possde-rait ce portrait qui lui serait revenu des anciennes familles des Croiss ;je laisse aux hommes comptents le soin de faire celte constatation.

    Le christianisme d'Armnie est donc le plus ancien, puisqu'il date du

  • LA TRADITION 117

    temps mme du Christ. Une curieuse et volumineuse correspondancechange entre Jsus-Christ, le roi d'Armnie et les principaux monar-ques de la terre nous a t galement conserve. Le roi d'Armnie futdonc le premier monarque du monde qui se convertit au christianismeet notre peuple fut le premier qui accepta en masse la nouvelle civilisa-tion qu'on importait de la Jude.

    Quoi qu'il en soit, le christianisme lutta longtemps en Armnie contrela vitalit du paganisme ; il ne devint religion d'tat que vers le com-mencement du IVe sicle. Ce fut saint Grgoire lTlluminateur qui fondale trne patriarcal d'Armnie, sous le rgne de Tiridate, dans la villesainte d'Etchmiadzin, dont le nom veut dire Descente du Fils unique. Eneffet, saint Grgoire aurait eu une sainte vision dans laquelle le Christ luiserait apparu et aurait trac de sa' main de plan de l'glise patriarcaled'Etchmiadzin, leve plus tard par l'Illuminateur, comme une sorte deVatican armnien, et qui, malgr de nombreuses rparations, nous seraitconserve aujourd'hui d'aprs ce plan primitif.

    Les descendants de saint Grgoire, ou des papes armniens, continuentencore maintenant siger Etchmiadzin, enclav dans le territoire del'Armnie russe,et portent le titre de Catholicos,ou chef suprme universel.L'Eglise armnienne est une glise nationale et indpendante, et elle n'estni romaine, ni grecque, ni russe ; elle s'est montre trs jalouse de sonautonomie, car elle a jou constamment et elle joue encore un grand rlepolitique dans le pays.

    En effet,rArmnie,bienque divise aujourd'hui en trois tronons : turc,russe et persan, est nanmoins unie par la foi et obit un seul chef,celui d'Etchmiadzin, qui a ses prrogatives et qui seul a le droit d'ordon-ner les voques et de bnir l'huile sainte envoye dans toutes les glisesd'Armnie.

    L'invention de l'alphabet armnien au IVe sicle est accompagne d'unesainte lgende, qui attribue son auteur, Mesnof, une vision dans la-quelle un esprit lui apprit tracer nos caractres.

    III

    Je m'arrterai ici dans cet expos, qui n'a fait qu'effleurer les traditionsarmniennes ; mais j'en demande pardon au lecteur, je n'ai gure le loi-sir de poursuivre ma tche que d'autres, certainement, complteront,surtout par l'tude de trs antiques chants nationaux et d'autres rcitstraditionnels fort curieux.

    En parlant de l'Armnie dans la Tradition, je n'ai d'autre but que defaire connatre mon pays oubli et d'intresser le monde civilis sonsort et son relvement. L, en effet, il n'y a point de justice, point de.scurit, point de chemins de fer ni de routes praticables, mais partoutla terreur, la ruine et la dsolation semes par le Turc, homme assoupi,dmoralis, qui ne vit que de spoliations lgales.

    Et, cependant, la terre d'Armnie est une des plus fertiles et des plus

  • 118 LA TRADITION

    riches du monde, mais que voulez-vous ? On ne peut ni faire le com'merce, ni se considrer comme propritaire. Il n'y a ni lois ni polices. Etcela en plein XIXe sicle, aux portes de cette vieille Europe o fleurissentles ides phifantropiques et le progrs.

    Pourquoi ne pas traiter les Armniens comme les Grecs, les Bulgareset mme les Maronites du mont Liban? Ne sont-ils pas dignes de la li^bert et n'ont-ils pas rendu de grands services l'humanit en payant deleur existence le salut de l'Europe aux Croisades ?

    D'ailleurs, quoi de plus modr et de plus lgitime que les revendica-tions des Armniens, qui, loin d'aspirer une indpendance politique, necherchent que la prompte ralisation de l'autonomie administrative etlocale promise la rgion de l'Armnie turque par l'art. 61 du trait deBerlin de 1878, rest lettre morte.

    coutez, d'ailleurs, ce qu'en dit l'auteur du Mal d'Orient, ouvrage rcentet fort prcieux pour tous ceux qui s'occupent des choses de la Turquie cause des nombreux renseignements qu'il contient et qui sont expossavec une comptence rare et une franchise audacieuse :

    L'Armnie est une nation digne de toutes nos sympathies; on doit toujours admirer un peuple qui, travers des sicles d'oppression, a su conserver intactes sa langue, sa nationalit et ses croyances ; les d- fauts qu'on reproche la classe de ses fonctionnaires serviles au service de la Turquie, sont les consquences naturelles d'une longue servitude. Que l'Armnie retrouve sa libert d'expansion, elle deviendra une na-t tion florissante grce l'intelligence de ses habitants, leurs aptitudes pour l'industrie et le commerce, leur esprit d'ordre et d'conomie* Ajoutons cela que l'Armnie possde dj des littrateurs, des pein- trs, ds musiciens qui ont conquis leur clbrit en Europe; les meil-t leurs acteurs de l'Orient sont des Armniens.

    Ce peuple est donc appel marcher l'avant-garde de tous les pro- grs dans ces rgions quasi-sauvages, et il pourra, son tour, jouer le rle de nation civilisatrice.

    Je demande donc en'terminant mes honorables lecteurs et lectrices s'intresser mon pays et participer le faire connatre par tous lesmoyens de propagande sainte, humanitaire et patriotique.

    JEAN BROUSSALI.

    CANTIQUE DE SAINT-HUBERT(Air du bon Jsus).

    Ouvrons notre mmoireEt levons nos yeuxJusqu'au centre des Cieux,

    .....Pour publier la gloire

  • LA TRADITION 119

    Du grand bien-aim de Dieu, du grand saint Hubert,Si rclam par tout l'univers.

    Publions en tous lieuxLe pouvoir de ce saint glorieux.

    Parmi la loi paenne,Saint Hubert fut nDe trs noble ligne,Fils du duc d'Aquitaine.

    En France renomm par son premier exploit,Il fut s'offrir au service du roi,

    O il fut srementFait capitaine son contentement.

    Hubert, en son jeune ge,A eu l'honneur d'avoirComme ayant le pouvoir,Floribane en mariage,

    Fille du comte Dagobert demeurant Louvain.La chasse tait son plus grand entrelien.

    Le plaisir et la joie,De saint Hubert taient parmi les bois.

    Le Seigneur par sa grce,Changea bien ce paenAu nombre des chrtiens.Dans une partie de chasse

    Jour du vendredi-saint, chassant dans la fortIl guide un cerf et le poursuit de prs,

    Et comme un chassseurIl esprait d'en tre vainqueur.

    Le cerf lui rsisteEt lui disant : Crois-moi,Chasseur, arrte-toi!En vain tu fais ta poursuite

    Au divin Roi des rois. Regarde-moi dans ce lieu,Figure-toi que je suis ton vrai Dieu;,

    Je viens te convertir,Quitte ta chasse et bannis tes plaisirs.

  • 120 LA TRADITION

    Hubert mit pied terreEt fut bien surprisDe voir un crucifixEntre les bois d'un cerf

    Qu'il avait poursuivi. Prostern genoux ,Il dit : Seigneur, que me demandez-vous ?

    Dites-moi, dans ce lieu,Ce qu'il faut faire pour vous plaire, mon Dieu!

    Sitt la voix rpte.En lui disant : Hubert,Va trouver saint Lambert,vque de Mahtrecht.

    Il doit le baptiser. Tu apprendras soudainDe ce saint homme vivre en chrtien ;

    Tu seras patron des chasseursEt des Ardennes : c'est pour ton bonheur.

    Hubert fut MastrechtTrouver saint Larrbert ;Lui dit d'un coeur ouvert : Trs digne el saint vque,

    Il faut me baptiser ; je viens les larmes aux yeux,Me prosterner de la part de mon Dieu.

    Soyez mon prolecteur ;Enseignez-moi la vraie loi du Seigneur.

    Saint Lambert le baptise,Charitablement,Lui apprit l'instantA vivre selon l'glise ;

    Le fit vrai pnitent ; aprs quoi saint Hubert,Pendant sept ans resta dans le dsert,

    Se traitant en rigueur,Se nourrissant de racines et de fleurs.

    Aprs que ce saint hommeEt assez souffertSous l'habit solitaire,Et pour qu'on le renomme

    Un ange du Ciel lui fut envoy,

  • LA TRADITION 121

    Lui donna la sainte tole et la clefQui fera prserver

    Tous les chrtiens d'animaux enrags.

    Sur la place Mauberl,Une vieille harengreDe Monsieur de Saint-Hubert,Insullit la bannire.Le saint par un miracle,Comme il en faisait tant,A ce dmoniacle

    Flanquit la rage aux dents (1).(BRESSE.) Mme CLAIRE MARION.

    LES TRADITIONS DE L'ATELIERChacun sait qu'une dos portes de Notre-Dame de Paris est orne de

    ferrures forges par le diable en personne: que, du temps o Er-win de Steinbach construisait la cathdrale de Strasbourg, sa fille al-lait la nuit, sans s'veiller, sculpter au clair de lune les statues des tourset du portail ; que Dante Alighieri, montr au doigt par les vieilles fem-mes de Ravenne, ne devait plus jamais sourire puisqu'il revenait del'enfer.

    Lorsque le peuple, dans la sincrit de l'ignorance, daigne s'occuperd'une cration de l'art ou do la personne d'un artiste, la fable qu'il in-vente, inspire par une intuition nave et esthtique, s'harmonise avec lecaractre de la chose ou de la figure et attache une posie de plus sonrayonnement.

    Il n'en est pas de mme des lgendes consacres par l'rudition : fussont-elles issues do la source populaire la plus pure, elles perdent toutesaveur tre transmises par les doctes a titre de faits logiques et de v-rits.

    C'est pourquoi toute une srie d'anecdotes, qui longtemps firent lesdlices de prtendus archologues de la peinture, eurent au plus hautpoint le don de froisser le sentiment des artistes.

    Quelle .inconscience de la nature intime de l'art et de ses moyens d'ac-tion, dans ces histoires !

    Par exemple, on crivait et on rimprimait ceci: la fille d'un potierde Sycione, Dibutade, inventa le dessin; en profilant sur un mur l'ombre

    (1) Ces huit derniers vers se retrouvent dans le Cantique de Saint-Hubert,de Vad. (R. G.). .

  • 122 LA TRADITION

    de son amoureux. Parrhasius peignit un rideau si exactement imit queZeuxis lui-mme y fut tromp. Quant au talent de Zeuxis, c'est sur desoiseaux qu'il faisait illusion. Ceux-ci venaient becqueter des raisins expo-ss parle matre.

    Ces chantillons suffisent. Au temps o florissait le rapin chevelu, ces

    purilits enfantines devaient l'exasprer jusqu'au paroxysme. Il lui fal-lait en faire justice. Entreprendre une polmique en rgle contre desgens graves et autoriss, .puiser des arguments dans l'esthtique et dans

    l'archologie, coordonner les lments d'une critique rationnelle, alignerles Titans de la controverse pour exterminer les infiniment petits de la

    ngation intellectuelle, faire la guerre ce qui n'est pas et massacrer ce

    qui n'a jamais vcu, lui et sembl d'un don quichottisme oiseux autantque plein de prils. Pourtant, en perptuant l'erreur pdante, on le sai-

    gnait au vif, lui le pote de la nature. Il lui fallait se venger. Alors auxdoctes niaiseries, il opposa en parodiant des fantaisies bouffonnes qui lui

    parurent avoir la mme valeur plus lepersiflage.il inventa des lgen-des burlesques o le grincement de la scie vibre haut et clair.

    Voici quelques-unes de ces parodies. Quoiqu'elles ne soient gureges que de dix ou douze lustres, elles appartiennent la tradition aussibien que les contes gaulois qui se narrent encore dans les campagnes et

    par lesquels les vilains raillaient le seigneur, le cur, les sergents et lebourreau.

    I

    L'ASCENSION

    Fiers de leur nombre, glorieux de la situation que leur cit occupesous Je soleil de la plus Haute-Garonne, les trois cent soixante-seize habitants de Caragoude considraient avec raison le clocher do leur glisecomme le pivot de l'univers.

    A l'instant o commence ce rcit, pour que Fblouissemont fut complet,il ne manquait qu'une tincelle la splendeur de Caragoude. Et leflamboiement de cet atonie de lumire, tait attendu dans les haltementsde l'anxit.

    Toutes les gloires une une s'taient amonceles sur la radieuse pa-roisse. Toutes, sauf une seule : la gloire artistique. Estimant que cette la-cune serait comble ds qu'une merveille picturale ornerait le matre-autel de l'glise, un fidle gnreux venait dfaire la fabrique un legsde vingt-sept francs quarante-cinq centimes. -

    Le chef-d'oeuvre devait tre mis en place lors de la fte de l'Ascension;les marguilliers avaient successivement adress leur commande aux ma-tres les plus illustres; mais les matres illustres,bien qu'attachs aux tho-ries les plus opposes et se montrant sans cesse diviss d'opinion, s'taientcette fois accords sur un point : avec un ensemble parfait, ils avaientdclin l'honneur de travailler pour la paroisse de Caragoude.

    De refus en refus, on tait arriv l'avant-veillo de la fte choisie pour

  • LA TRADITION 123

    faire de l'glise du lieu l'gale de la chapelle Sixtine.Aucun tableau n'taitannonc. Et les marguilliers de Caragoude n'auraient jamais consenti s'adresser un artiste de second ordre qui, mme en s' appliquant de sonmieux, leur et fourni une toile comme on en peut voir dans n'importequelle cathdrale.

    La situation devenait dsespre. Un sauveur se prsenta.C'tait le peintre de la localit. Il s'exprima en ces termes: Monsieur le cur, messieurs de la fabrique, La population entire s'irrite de vos lenteurs. Vous tes perdus si un

    homme de gnie ne vient votre secours. Me voici. Doutez vous de macapacit ? Dt ma modestie en souffrir, vous n'avez qu' descendre sur laplace du march et contempler deux de mes crations rcentes. La fouleenthousiaste acclame ces oeuvres que j'ai paracheves ce matin mme.Ce sont l'enseigne de Cadillou le chapelier et la boutique de Tribouillacle bottier. J'ai peint ici des hottes, des souliers, des galoches, l des chapeaux, des casquettes, des brets qui excitent chez les connaisseurs un v-ritable dlire d'merveillement. Ces productions vous prouveront que si jen'ai point fait de figures humaines, je n'en suis pas moins apte, et au-del excuter le trsor pictural que rclame notre pays. Que vous faut-il?Une Ascension. Rien de plus simple. Confiez-moi la commande et ce serala gloire ternelle, pour moi, pour vous et pour la contre qui a l'honneurde m'avoir vu venir au jour.

    L'artiste ne s'illusionnait point sur son talent. Il usa d'un procd quirappelle quelque peu l'artifice de Timanthe exprimant la douleur d'Aga-memnon en lui voilant le visage. En moins de deux jours, il terminason Ascension. Sur la toile, une couche de bleu le plus fin exprima s'ymprendre l'immensit du ciel. Puis en bas, rasant le cadre, des coif-fures de tous les modles firent comprendre qu'une foule de peuple setrouvait assemble, tandis qu'en haut une paire de bottes, demi engagedans la bordure, voquait nettement l'esprit du spectateur l'image ra-dieuse du fils de Dieu s'levant vers l'empyre.

    (A suivre). FRDRIC CHEVALIER.

    LES DANSEURS DE JONQUIRESEn dix-sept-cent et tant, l'an qu'il arbora la robe rouge et le

    chapeau cramoisi doubl de velours bleu, monsieur de Langaste,nomm Consul, paya de ses sous et deniers une Cte aux Jonqui-riens. Un beau dimanche, qui tombait le jour des Rois, il fit chan-ter les cigales (1) en plein hiver et fit perdre haleine aux tambouri-naires, tellement, toute la nuit, il se but dans ses salons, et il sedansa dans la grande salle de son chteau.

    (i) Faire chanter les cigales, c'est--dire trop boire, rendre les gens gais enles enivrant. ROUMANILLE

  • 124 LA TRADITION

    IIMais bien que ses vingt ans fussent en fleur, et qu'elle ft toute

    l'anne, jours de fte et jours ouvriers, habille des dimanches,demoiselle Julienne, fille unique du nouveau Consul, ce bal m-morable, fit tapisserie : il n'y eut pas un jeune, pas mme un vieuxqui voult la faire danser !

    Allez donc chercher ! elle tait un tantinet boiteuse et grle,avec des yeux louches et bords d'anchois. En revanche, cepen-dant, sa petite bosse ne se voyait pour ainsi dire pas, et elle laportait avec une galante aisance.

    Demoiselle Julienne, quand, l'aube, le bal fut termin, sortitdela grande salle au bras de sa mre, et gonfle comme une poiresauvage, elle rafrachit de ses pleurs les anchois de ses yeux/

    III Julienne, ma fille belle, lui dit le lendemain monsieur le

    Consul, va ! sois tranquille : dsormais quand tu voudras danser,va ! tu danseras tant que tu voudras.C'est moi qui t'en rponds !

    Et ce jour mme, le fourrier de ville trompette, tromptea tousles coins et recoins de Jonquires : Au nom du Roi et de la part de monsieur de Langaste, parla grce de Dieu, noble Consul do Jonquires, il est fait savoir notre peuple que toutes les fois qu'il se donnera un bal, soit de jour, soit de nuit, dans notre cit do Jonquires,lesdanseurs prendront leurs danseuses chacune son four. Sept heures de carcan puniront les contrevenants, s'il y en a.

    Ainsi le veut, ainsi l'ordonne monsieur de Langaste, noble Consul de Jonquires.

    IV

    Si elle fut contente, demoiselle Julienne de Langaste! a ne sedemande pas !

    Toutes les fois qu' Jonquires il se dansa, ft-ce de jour, ft-cede nuit, elle fit trmousser sa pefile bosse tant qu'elle voulut.

    Et de l vient le dicton qui se dit en Provence: Prendre lafile, comme Jonquires quand on danse.

    ROUMANILLE.

    (Traduit du Provenal par RAOUL GINESTE).(Almanach provenal de 1888).

    BELLE ISABEAUCHANSON POPULAIRE DE LA. GASCOGNE

    Adieu, belle Isabeau: Garde-le bien pour moi.Garde Ion coeur volage, Voil que je m'engageGarde ton coeur volage, Au service du roi.

  • LA TRADITION 125

    Servit sept ans passs. Mo voil capitaine,

    bis

    Me voil capitaine,Dans les dragons dors.Allons revoir ma belle:

    C'est pour nous marier, bis

    Bonjour, belle Isabeau. Bonjour beau capitaine

    bis

    Bonjour, beau capitaine,Capitaine tranger;Faisons l'amour ensemble:

    Putain, c'est mon mtier, bis

    Putain, c'est ton mtier! J'ai tir mon grand sabre,

    bis

    J'ai tir mon grand sabre,Clair el bien affil. Dieu pardonne ton me! Le sang a tout pay.

    Adieu mes bons amis,Adieu pre et mre.

    bis

    Adieu pre et mre,Adieu donc pour toujours;Je vais me rendre moine,J'ai perdu mes amours. bis

    JEAN-FRANOIS BLAD.

    NOTESDE MUSIQUELes salons mondains ont aussi leurs premires. M. et Mme

    Fuchs viennent -d'offrir leurs nombreux amis trois reprsenta-tions d'un charmante Revue : Cent moins un, faite par MM. PaulFuchs et Henri Lyon. Cet ouvrage qui ne compte pas moins de3 actes est une sorte d'oprette, pleine de verve et d'esprit, donttous les airs, duos, ensembles, ont t crits pour la circonstanceparles meilleurs musiciens modernes. Il faudrait tout citer quandon a affaire des compositeurs comme Massenet, Delibes, Th.Dubois, Lenepveu, Joncires, Widor, Wormser, Piern, Vidal,d'Indy, Lecocq, Messager, Guiraud, Pfeiffer, Palicot, Tiersol,Thom, Ren, Chausson, de Kervguen, etc.. et Chabrier dontle duo-bouffe a t le clou de cette partition aux Cent pres. Quant l'interprtation, elle a t charmante, confie des amateursdont la plupart sont de vritables artistes, entre autres et au pre-mier rang, la matresse de celte maison qui est un temple de lamusique.

    M. Julien'Tirsot, sous-bibliothcaire au Conservatoire, vientde publier chez Heugel un recueil de chansons populaires sous celitre : Dix Mlodies populaires des Provinces de France.

    Le choix de ces chansons est excellent. Il faudrait les ciler tou-tes. Nous avons trouv avec plaisir clans le recueil de M. Tiersotune Chanson de Mai champenoise qui se distingue par un rythmepiquant et par un curieux mlange de mesure deux temps et trois temps. Bien curieuses aussi : La Pernelle ; la chanson farcieLa Bergre et le Monsieur; la version 'Anne de Bretagne ; En pas-sant par la Lorraine, et la mlodie du Chant des Livres. Ces chan-sons avaient t excutes dans l'un des concerts du cercle Saint-Simon. M. Tiersot a t bien inspir en les publiant.

    E. G.

  • 126 LA TRADITION

    LE HOUN DOU BOEUPays de Gosse

    Au bord don cam, dbat un cassouraDoun lou hoelhatye a bis mente amourte,Entre.les heus coumence senteestrte :Lou soo que hounse et que eau debara.

    Com en un putz, le sente que bireye,L'oumpre ques' hey m ngue cade pas ;L'ouelh abrumat, en arriban au bas,M ns' soubinque, la-haui, tout soureye.

    Obre dou diable ou bien obre de Di,A qui que bet, per crede qu'at cau byre, un cap de boeu, encournt en le peyre,E tan semblan que disrn qu'es bi.

    Tout com lous rays, oubrs de plane berte,Lou trubalh heyt, lou cim arroumgat,Qu'es'tin pensi : sus lou mus anegat,L'ayque que sort per le bouque entrouberte.

    D'un grand bouhat, comme le buts de le ma,Quen de Nadau bin le hestesagrade,Touts lous cent ans, les yens de le countrade.Sus lou minoueyt, que l'entnen brama.

    De so qui s'dits, aquet boeu qui s'asperye,Qu're Bethlem, au brs dou saubadou :Diu qu'a punit lou praube peccadouD'ab hematit deban le sente Bierye !

    (Dialecte de Gascogne) ISIDORE SALLES

    LA FONTAINE DU BOEUF(PAYS DE GOSSE)

    Au bord des champs, sous la chnaieDont l'ombre a vu bien des amours,Entre les fougres commence un sentier troit;

  • LA TRADITION 127

    Le sol se creuse, il faut descendre.Comme en un puits, le chemin tournoie;A chaque pas l'ombre se fait plus noireEt l'oeil obscurci, en arrivant au fond.Plus ne se souvient que, l haut, tout rayonne.OEuvre du diable ou bien oeuvre de Dieu,Il voit-l, il faut voir, pour croire,

    Une tte de boeuf, encorne dans la pierre,Et si ressemblante qu'elle semble vivre.Et comme ses frres de la plaine verte,Aprs le travail fait, ruminant le mas,Il se tient pensif. Sur son mufle noy,L'eau tombe de la bouche entr'ouverte.D'un grand souffle, comme les voix de la mer,Quand de-Nol vient la fte sacre,Tous les cent ans, les gens de la contre,Sur les minuit, l'entendent mugir.D'aprs la tradition, ce boeuf qui se purifieEtait Bethlem, au berceau du Sauveur :Dieu a puni l'infortun pcheurD'avoir fiente devant la Sainte Vierge.

    I. S.

    BIBLIOGRAPHIEMaurice bouchoir. Les Symboles, 1,volume, Charpentier. 3 fr. 50.Le volume que M. Maurice Bouchor vient de publier chez l'diteur

    Charpentier fera la joie de tous les traditionnistes ; je ne parle pas, bienentendu, de ceux sur qui la posie produit un effet analogue celui quela musique produit sur les chiens.

    Les Symboles en effet sont une remarquable synthse des traditions religieuses.

    J'ai eu, dit l'auteur dans sa prface, l'ide de suivre la pense reli-gieuse dans son volution travers les ges, depuis l'aurore des tempshistoriques jusqu' notre poque ; et surtout j'ai voulu, dans un grandnombre de mes pomes, rsumer l'esprit d'une religion au lieu d'em-prunter aux diverses croyances des thmes potiques ne portant pas surce qui en est la vritable essence.

    Et ce programme, M. Bouchor l'a ralis de la faon la plus heureuse,Mythes gyptiens, lgendes bibliques, popes babylonniennes et per-sannes, traditions indoues, mythologie grecque et Scandinave lui ont ins-pir de superbes pomes o le ct populaire est merveilleusement com-pris; Nous citerons au hasard ees quelques vers de la vie la lamort :

  • 128 LA TRADITION

    C'est au bord de la mer durant les nuits d't,Que se rvle nous l'antique Vrit.Nous coutons le bruit des vagues: et leur plainteEst pour nous une voix mystrieuse et sainte.Nous parlons leur langage aux aigles des rochers.Qu'une alouette citante cl nos coeurs sont touchs.La pierre, sous nos pieds, parfois crie et s'anime,La foule peut frmir au, rythme des chansons,Mais non pas nous comprendre, et seuls nous connaissonsLes ges de la lune, et le lieu solitaireO le soleil cach rve loin de la terre.Dans le trouble avenir, moi je plonge mes yeux.Je peux, en plein midi, voiler d'ombres les deuxPar un jour de juillet faire tomber la neige,Disperser l'ennemi sans bouger de mon sige,Dtruire, par des noirs et soudains tourbillons,Le fruit dans les vergers, l'orge dans les sillons.Si notre amour est fort, nos haines sont tenaces.Malheur qui nous brave et rit de nos menaces !

    Ces vers donneront certainement au lecteur le dsir de lire tout ce vo-lume dont on peut rsumer ainsi le mrite: Synthse admirable de latradition religieuse dans une forme puissante et dfinitive.

    R. GINESTE.

    NOTES ET ENQUTESL'Acadmie franaise a choisi pour le sujet du concours d'loquence de

    1889, Les contes de Perrault.

    Notre ami Gabriel VICAIRE, va publier incessamment chez Lemerre sonpome du Miracle de Saint-Nicolas dont nous publierons un extraitdans notre prochain numro.

    Dner de la Tradition. Le prochain dner aura lieu,ainsi que nousl'avons annonc dj, le mardi 1er mai 7 heures 1/2 au restaurant du Ro-cher de Cancale, 78, rue Montorgueil. Nous avons l'espoir que tous noslecteurs de Paris tiendront assister ce dner pour ouvrir traditionnel-lement le printemps par la fte du premier de mai. Ds maintenant,les adhsions seront reues par M. Henry Carnoy, 33, rue Vavin. Pour labonne organisation du dner, il est ncessaire de prvenir l'avance M..H. Carnoy. Nous rappelons que le.prix du dner est fix 6 francs.

    ' Le Grant : HENRY CARNOY.

    Laval, Imp. et ster. B. JAMIN, 41, rue de la Paix.