la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...
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LA STRATEGIE INTERNATIONALE DE CITIGROUP,
LE SUPERMARCHE BANCAIRE GLOBAL
IEP Toulouse
Mémoire de recherche présenté par : Jean-Baptiste Lopvet
Directeur du mémoire : Alexandre Minda
2010
LA STRATEGIE INTERNATIONALE DE CITIGROUP,
LE SUPERMARCHE BANCAIRE GLOBAL
IEP Toulouse
Mémoire de recherche présenté par : Jean-Baptiste Lopvet
Directeur du mémoire : Alexandre Minda
2010
Remerciements
Je remercie Alexandre Minda pour son temps et son encadrement pour la rédaction de ce
mémoire et plus généralement pour son implication dans le développement de la
spécialisation « Affaires Internationales et Stratégie d’Entreprise » à l’IEP Toulouse.
Avertissement
L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).
Sommaire
Introduction ................................................................................................................................1
Première Partie- L'expansion internationale de Citigroup: solution pour tirer profits de ses
avantages compétitifs face aux défaillances du marché. ............................................................7
Chapitre 1- les fondements théoriques de l'internationalisation des banques, de
l'internalisation aux avantages compétitifs .............................................................................8
Chapitre 2- Les déterminants empiriques des IDE financiers ..............................................23
Chapitre 3- la réactivation de la banque universelle dans le contexte de la dérégulation
financière du XXIème siècle ................................................................................................36
Deuxième Partie- Le supermarché financier de Citigroup: un spectre très large d'activités
bancaires projeté systématiquement sur de nombreux marchés étrangers ...............................40
Chapitre 1- La fusion de Citicorp et de Travelers Group: la construction d'une banque
universelle internationale répondant à la pression de la concurrence nationale...................40
Chapitre 2- Dix années d'expansion internationale de Citigroup: de puissants avantages
vecteurs d'une stratégie d'internationalisation à très grande échelle ....................................57
Troisième Partie- Le paradoxe du modèle : une phase d’expansion réussie suivie d’une
tourmente conduisant à refonder la stratégie vers une nouvelle orientation ............................73
Chapitre 1- Des résultats financiers contrastés, entre efficacité internationale et débâcle liée
à la crise ................................................................................................................................74
Chapitre 2- Face au constat de l'échec, recomposition profonde et recherche d'un nouveau
modèle international .............................................................................................................94
Conclusion: Après dix années de supermarché financier international, vers un nouveau souffle
................................................................................................................................................103
1
Introduction
Le 8 octobre 1998, Citicorp et Travelers Group fusionnaient pour donner naissance à
Citigroup Inc., conglomérat financier géant appelé à devenir la nouvelle banque du 21ème
siècle. Dix ans plus tard, John Reed, ancien Président de Citicorp et artisan de la fusion
exprime dans la presse ses plus grands regrets pour avoir créé une entité qui dans la crise de
2008 a été au cœur de la tourmente. Sa capitalisation a fondu de 300 milliards de dollar à six
milliards à son niveau le plus bas. Étrange situation d'une institution présentée à sa création
comme le nouveau paradigme du service financier, regroupant sous un même toit l'ensemble
des activités bancaires et financières possibles qui au bout de dix ans est décrite comme « une
erreur » par son architecte, une ligne à effacer. Peut-on parler d'une « décennie perdue » pour
Citigroup Inc. ?
De manière paradoxale, alors que Citigroup a pu se construire sur le démantèlement de
législations mises en place à la suite de la crise de 1929, c'est une nouvelle crise, un temps
comparée à celle de 1929 qui l'a forcé à un éclatement de sa structure, après deux
renflouement par le gouvernement fédéral américain pour un montant total de plus de
quarante milliards de dollars. Toutes les grandes banques internationales ont été touchées par
cette crise d'une ampleur inhabituelle. Certains acteurs de rang mondial ont disparu en
l'espace de quelques semaines tel que Lehman brothers et le paysage bancaire de ce début de
21ème siècle reste encore à imaginer alors que chaque acteur tente de mettre en œuvre une
stratégie propre de développement. Mais le cas de Citigroup semble le plus emblématique
d'un modèle stratégique à repenser. L'acteur bancaire de rang mondial ou banque
multinationale est selon la définition de Casson et Buckley (1991) une firme « qui possède et
contrôle des activités dans différents pays ». Cette définition est complétée par celle de Gray
et Gray en 1981 qui postulent la banque internationale comme un établissement financier qui
collecte les dépôts et accorde des crédits grâce à des entités localisées dans plus d'un pays.
Pour exprimer plus précisément les activités d'une banque multinationale, Davis et Lewis
détaillent trois activités économiques: les banques multinationales collectent des actifs dans
différents devises, ces banques transforment les actifs pour satisfaire les préférences des
épargnants et des emprunteurs, enfin elles transforment les maturités des dépôts pour
satisfaire les emprunteurs.
Si la refonte du secteur bancaire occidentale prendra plusieurs années et dépendra en partie de
certaines décisions politiques, on peut dès à présent faire le constat que la stratégie suivie par
Citigroup au cours de la décennie passée ne constituera plus le modèle de développement des
grandes banques internationales. Cette stratégie a pourtant été imitée, copiée, reprise par la
2
plupart des grandes banques globales, avec plus ou moins d'adaptation ou d'amélioration, de
façon plus ou moins poussée. De HSBC à Crédit Agricole en passant par BBVA et JPMorgan,
tous les grands noms sont devenus des canaux de distribution de produits financiers variés, à
l'image de la vision stratégique portée par les pères de la fusion Citicorp-Travelers Group dont
l'ambition était de bâtir un « supermarché financier », où le client aurait à sa portée un
éventail très large de produits bancaires, financiers et assurantiels et pourrait trouver des
réponses à l'ensemble de ses besoins pour un coût moindre. La place particulière de Citigroup
dans ce mouvement de recomposition tient à ce que la fusion des deux entités fut un élément
cristallisant dans la suppression des dernières barrières entre banque de dépôt et banque
d'investissement avec l'adoption du Gramm-Leach-Bliley Act en 1999, autorisant de ce fait la
formation de l'ensemble Citigroup. Les artisans de la fusion ont donc façonné le paysage
bancaire issu de cette vague de dérégulation.
Cette stratégie d'abord mise en œuvre à Citigroup Inc. puis plus largement reprise peut
apparaître à bien des égards comme le retour à la banque universelle, modèle prédominant
avant la crise de 1929. Depuis les années 80 les régulateurs financiers et politiques ont levé
les barrières empêchant la séparation des activités de banque d'investissement et de banque
commerciale de détail et les acteurs bancaires se sont rapidement dirigés vers cette nouvelle
opportunité de développement. Néanmoins, le modèle actuel de banque universelle diffère de
ce qui pouvait être observé au début du 20ème siècle. Ainsi suite à la crise de 2008 il a peu été
question de remettre en cause ces évolutions qui n'ont pas été jugées comme facteur central de
déstabilisation du système financier mondial et d'autres pistes d'amélioration de ce système
ont été évoquées. Pourtant le cas de Citigroup pousse à s'interroger sur les limites que les
banques elles-mêmes ont trouvé au modèle de banque universelle, et notamment les conflits
d'intérêt que ce modèle fait naitre.
La question qui peut se poser est celle de la responsabilité des banques, responsabilité dans le
déclenchement de la crise, mais aussi plus largement leur responsabilité au sein de nos
sociétés modernes dans lesquelles la finance a pris une place déterminante. La stratégie,
entendue comme mise en œuvre de moyens pour atteindre des objectifs pousse à s'interroger
sur le rôle des banques. Face aux accusations de vision à très court terme du secteur financier
et aux soupçons d'immoralisme dans les pratiques de certains acteurs, l'émergence de
nouveaux modèles bancaires nous interpelle sur la nécessité de comprendre quelles fins
poussent la création de ces grands ensembles conglomérats bancaires. Cette stratégie
répondrait-elle d'une logique d'efficacité et de rationalité économique qui serait bénéfique à
l'ensemble des acteurs impliqués (banques, investisseurs, clients...)? Ou est-elle captée par
certains acteurs pour servir leurs intérêts? Dirigeants? Traders?
3
La question de la stratégie des banques est au cœur des difficultés économiques de la période
2008-2009, alors que certaines activités très rentables sont montrées du doigt, comme le
trading en compte propre ou les marchés dérivés sur lesquels la gestion des risques s'est
montrée défaillante. Se pose la question de savoir pour qui la stratégie est mise en œuvre. Les
controverses autour des bonus des employés de Goldman Sachs montrent la pertinence de
cette interrogation. Au mépris des milliers de chômeurs aux Etats-Unis, Goldman Sachs peut-
elle accorder des millions de dollars de bonus à ses employés? Les décisions de politique
d'entreprise, la direction que prend un établissement bancaire sont des éléments déterminants
pour expliquer les comportements des acteurs qui appliqueront ensuite ces décisions sur
chaque marché financier, aussi complexe soit-il. Comprendre par qui est captée la décision
stratégique semble essentiel pour envisager une régulation du secteur bancaire.
Citigroup semble avoir été précurseur en adoptant le modèle du supermarché financier.
Pourtant, au sortir de la crise, l'orientation stratégique semble prendre une toute autre
direction.
« Citi Never Sleeps »
Depuis les années 80 et la dématérialisation des marchés financiers, le soleil ne se couche plus
sur la planète financière, les places financières se relayant au fil des fuseaux horaires. Pour
Citigroup non plus, le guichet ne ferme jamais.
La création de l'ensemble Citigroup a donné naissance au numéro bancaire mondial au regard
de nombreux indicateurs, avec des actifs approchant un trillion de dollars soit mille milliards
de dollars, plus de deux cents millions de clients dans une centaine de pays à travers le
monde. Plus que pour bénéficier des effets d'une envergure colossale de l'ensemble, la fusion
a eu pour but de regrouper sous le même toit un continuum d'activités bancaires et financières
jamais assemblé auparavant: du compte courant au financement d'opérations de marché, de
l'assurance personnelle au management de fortune. Précurseur dans cette stratégie, Citigroup
s'est imposé comme leader mondial du secteur, alors que Citicorp et Travelers avaient une
taille et une position bien plus modestes avant la fusion. Le développement post-fusion a
avant tout mis l'accent sur l'expansion internationale. Dans l'enthousiasme de la fusion, les
dirigeants du groupe entendaient révolutionner l'industrie bancaire à l'échelle globale, en
permettant à chaque client, quel que soit son profil d'effectuer ses activités bancaires et
financières avec une même société, quelle que soit sa localisation dans le monde et ainsi lui
offrir le meilleur service au meilleur prix dans une optique « one-stop shop ». Sur le marché
bancaire américain très concurrentiel, Citigroup a pris le pas pour se démarquer de ses
concurrents.
4
S'en est suivie une multitude d'acquisitions sur tous les continents, internationalisation très
poussée au fur et à mesure de l'ouverture et de la libéralisation des marchés sur l'ensemble du
globe. Ces rachats ont fait peu de distinction géographique puisque Citigroup s'est implanté de
manière globale sur tous les continents, dans les puissances émergentes. Ce phénomène est
bien caractéristique de la « troisième vague d'internationalisation des banques », décrite par
Garcia Herrero et Navia Simon1, vague qui a commencé dans la seconde moitié des années
90. Les implantations de Citigroup se sont faites en direction du grand public, avec l'ouverture
de réseaux d'agences. Loin d'être la seule institution financière à avoir choisi cette voie,
puisque 40% des avoirs en monnaies locales dans les pays émergents étaient en 2001 détenus
par des banques étrangères, Citigroup semble en être le cas le plus emblématique.
La globalisation est un processus aujourd'hui central dans nos modèles de société, et
l'économie n'est qu'un des multiples domaines concernés par cette globalisation. Aussi, les
stratégies de firmes à l'international sont l'objet d'une recherche fournie et de nombreuses
publications scientifiques. Ces phénomènes d'internationalisation donnent une nouvelle
perspective à une multitude de modèles économiques, de la théorie des marchés contestables à
l'économie géographique.
Très tôt sont apparus des éléments théoriques mettant l'accent sur la possession d'avantages
compétitifs par les firmes pour comprendre les raisons de l'internationalisation avec comme
fondement la théorie du cycle de vie de Vernon qui a été réactualisée pour prendre en compte
les phénomènes de globalisation. La stratégie du one-stop-shop adoptée par Citigroup semble
par son originalité et son caractère précurseurs s'inscrire dans cet ensemble théorique qui voit
dans la possession d'avantages spécifiques un déterminant majeur de l'internationalisation des
firmes. Imitée par ses principaux concurrents, Citigroup est néanmoins le cas le plus poussé
d'internationalisation rapide à l'échelle globale, sur l'ensemble du spectre d'activités bancaires
et financières. La fortune contrastée de cette stratégie pousse à s'interroger sur les facteurs de
réussite et d'échec du modèle de Citigroup.
Dans quelle mesure le groupe bancaire Citigroup possède-t-il des avantages comparatifs
propres et plus particulièrement à travers son modèle organisationnel du one-stop-shop
qui lui permette de développer une stratégie globale efficiente au regard de la
concurrence locale dans les pays cibles et de la concurrence nationale des grandes
banques américaines?
Si une grande incertitude demeure quant à la forme future de Citigroup, la compréhension de
1 Garcia Herrero A., Navia Simon D., « Determinants and impact of financial sector FDI to emerging economies: a home country's perspective », Working Group on Financial FDI of the BIS Committee of the Global Financial System (CGFS), Septembre 2003
5
la stratégie semble pertinente pour comprendre les évolutions passées des grandes banques et
leurs choix stratégiques futurs. Au-delà de la compréhension du cas de cette firme, cette étude
permet de mettre en lumière des phénomènes liés à l'internationalisation des entreprises en
général, et des groupes bancaires en particulier. Dans le contexte de la crise financière, cette
étude permet également de comprendre les recompositions dans le secteur financier. En effet
le caractère facilement imitable des produits bancaires rend ce secteur d'autant plus sensible
aux stratégies des acteurs qui le composent.
Plus largement la compréhension de la stratégie d'un groupe bancaire tel Citigroup semble
d'autant pertinente dans le cadre d'études à l'IEP Toulouse puisqu'au delà de la compréhension
de faits économiques, l'internationalisation d'activités bancaires relève également de questions
politiques ou géopolitiques ayant une répercussion internationale, par exemple les
problématiques de régulation financière. Si le point de vue de ce mémoire est essentiellement
micro-économique, la place centrale des firmes multinationales pousse naturellement à
évoquer des thématiques plus larges en relation avec la globalisation, ses conséquences et sa
direction. L'étude de Citigroup apparaît alors à l'intersection des différentes matières
enseignées dans le cadre d'un diplôme d'IEP. On tentera donc de faire apparaître cette
pluridisciplinarité, bien que l'approche de ce mémoire sera principalement économique.
Sans prétendre étudier de façon détaillée une institution aussi complexe que Citigroup, ce
mémoire se focalisera essentiellement sur l'internationalisation du groupe en se fondant sur
l'abondant corpus théorique disponible tant sur l'internationalisation des entreprises que sur
les stratégies bancaires. L'application de cet ensemble théorique à un cas pratique permettra
de valider la pertinence de ces modèles et d'en mesurer la portée tout en apportant une
modeste contribution à la connaissance empirique des stratégies internationales de firmes. Cet
exemple empirique viendra s'ajouter aux nombreuses autres illustrations pour nourrir le débat
théorique.
Pour étudier la stratégie d'un groupe, la découverte de ce groupe de l'intérieur semble fournir
la meilleure occasion d'acquérir du matériel d'étude. Cependant en raison de la taille de
Citigroup, de l'éloignement géographique (le siège se trouvant à New York) et de la période
troublée que connait le groupe, l'accès direct à des informations venant du groupe n'a pas pu
être possible. Le choix d'un groupe américain complique la recherche d'informations.
Néanmoins l'intérêt du cas de Citigroup semble tout particulier et permet de dépasser ces
considérations. Par ailleurs l'information disponible pour le public est largement diffusée et
très fournie ce qui permet de comprendre un grand nombre d'éléments de la stratégie de
Citigroup. De plus l'information réglementée est abondante et s'est beaucoup accrue avec
l'entrée du gouvernement américain au capital des banques. Des éléments financiers
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permettront également de mettre en avant certains phénomènes et de tirer des constats. La
standardisation au niveau international des normes comptables et des règles de publication
donnent aujourd'hui aux chercheurs une source d'information assez fiable et constante. La
base de données Bankscope qui rassemble une multitude d'informations financière permet
d'obtenir rapidement des séries d'indicateurs et de ratio. Cet outil constituera une autre source
majeure pour évaluer les performances financières des acteurs étudiés et en tirer des
conclusions. A partir des données extraites, des graphiques et analyses ont été réalisés pour
soutenir l'analyse. Néanmoins ces éléments chiffrés ne donneront pas lieu à une analyse
statistique poussée qui n'est pas l'objet de ce mémoire puisque la stratégie est appréhendée
sous ses différents aspects comme politique générale de l'entreprise et n'est pas réduite à sa
simple composante financière chiffrée.
Pour tenter d'apporter des éléments de réponse à la problématique, nous adopterons un
développement en trois étapes.
Tout d'abord nous nous intéresserons au cadre théorique qui entoure cette étude. La
perspective de ce mémoire se veut réellement tourner vers une application à un cas empirique
de modèles théoriques déjà très abondamment développés. Aussi il apparaît indispensable de
réfléchir sur le contexte théorique de l'internationalisation des firmes. Ces fondements
théoriques permettront d'analyser efficacement la stratégie de Citigroup par la suite.
Ensuite l'étude portera sur le développement de cette stratégie à l'international. En analysant
les étapes successives d'internationalisation de Citigroup, nous ferons apparaître l'orientation
stratégique qui a été prise par le groupe en s'appuyant sur un canevas élaboré à partir des
fondements théoriques. Le sens donné par Citigroup au « one-stop-shop » sera alors mis en
lumière.
Enfin à l'aide des outils théoriques et des éléments empiriques, nous procéderons à une
estimation de la réussite de la stratégie mise en œuvre. Cette estimation se basera sur des
données chiffrées ainsi que sur les évènements des derniers mois qui ont fondamentalement
remis en cause la stratégie de Citigroup. Ainsi nous tirerons des conclusions sur la stratégie de
cette banque au cours de la décennie et envisagerons les perspectives futures de
développement pour le groupe et plus largement pour les acteurs bancaires de rang mondial.
Si ce mémoire se focalisera très majoritairement sur Citigroup, nous nous efforcerons de faire
des liens avec d'autres groupes bancaires. Ainsi les concurrents américains de Citi permettront
de tirer des éléments de comparaison et d'estimer l'originalité et la réussite de Citi. La
comparaison avec des concurrents locaux dans les pays ciblés par Citigroup apporteront un
autre éclairage pour analyser la stratégie de Citigroup.
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Première Partie- L'expansion internationale de Citigroup:
solution pour tirer profits de ses avantages compétitifs
face aux défaillances du marché.
La définition d'un cadre théorique pour procéder à l'étude est une étape fondamentale pour
adopter un raisonnement méthodique et donner une direction de recherche à ce mémoire.
Grâce à l'abondante littérature traitant de l'internationalisation des entreprises, et en particulier
des banques, le cas de Citigroup peut être analysé au travers d'éléments théoriques précis. En
raison d'une étude centrée sur une entreprise qui s'est implantée directement dans de
nombreux pays, le parti a été pris de s'intéresser essentiellement aux théories relevant de
l'économie industrielle. Par ailleurs les raisonnements théoriques sur l'internationalisation des
banques s’appuient également sur l'économie industrielle.
A partir d'une analyse chronologique des principales théories de l'internationalisation des
firmes et des banques en particulier, nous montrerons le rapport entre trois types de facteurs:
le produit et les avantages compétitifs qui lui sont rattachés, le marché et plus précisément les
défaillances du marché qui sont grandes dans le milieu bancaire et enfin la localisation
géographique des activités. Ce triptyque permettra de faire apparaître des pistes de réflexion
sur les sources d'internationalisation de Citigroup.
En prolongeant cette analyse théorique, nous ferons référence à ses applications empiriques
pour présenter des outils qui seront utilisés plus loin dans la démonstration. Ces outils
permettront d'examiner les évolutions de Citigroup au cours de ses dix années d'existence.
Seront détaillés les différents types d'avantages compétitifs qui sont des déterminants des IDE
financiers ainsi que les différentes options stratégiques qui s'appuient sur ces avantages.
Enfin pour obtenir une approche théorique tenant compte des différentes facettes de
Citigroup, nous nous éloignerons quelque peu de l'internationalisation pour étudier les
éléments de recherche sur la banque universelle de nos jours. L'adoption du modèle one-stop-
shop représente le pari stratégique central de Citigroup, il convient donc d'étudier les éléments
théoriques qui justifient ce choix. Plutôt que de retracer l'histoire de la banque universelle,
l'étude tentera de se focaliser sur les raisons du choix de faire appel à cette stratégie
particulière à cette époque.
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Chapitre 1- les fondements théoriques de
l'internationalisation des banques, de l'internalisation aux
avantages compétitifs
L'internalisation des banques a fait l'objet de nombreux développements théoriques et l'on
peut aujourd'hui considérer que des pistes d'étude satisfaisantes existent. Les caractéristiques
particulières des produits financiers, qui sont des services très consommateurs d'information
poussent à envisager une approche différente sur certains points par rapport à des entreprises
plus classiques, par exemple des entreprises industrielles. L'étude des théories classiques de
l'internationalisation des entreprises apporte une base sur laquelle nous nous appuierons pour
étudier les théories appliquées aux banques qui comportent des éléments plus pertinents pour
comprendre les phénomènes d'internationalisation des groupes bancaires.
Ces théories raisonnent en termes de coût-bénéfice pour comprendre la décision d'investir
dans un pays étranger, et d'y installer une présence. Les différents auteurs ont tenté d'examiner
l'ensemble des coûts auxquels doit faire face une banque multinationale et les bénéfices
qu'elle pouvait retirer de son investissement pour comprendre les motivations
d'investissement direct à l'étranger.
Section 1- S'internationaliser pour bénéficier au mieux
d'avantages spécifiques
A. Hymer et Kindleberger
Dès les années soixante des auteurs ont appréhendé l'internationalisation sur la base d'un
constat simple: pour supporter les avantages dont bénéficient les firmes locales ayant une
bonne connaissance de leur marché national, les firmes étrangères doivent présenter d'autres
avantages que ne possèdent pas les firmes locales déjà présentes. Cette idée fut d'abord
développée par Kindleberger2 en 1969, puis par Hymer3 en 1976. Ce sont sur leurs travaux
que se sont appuyés la plupart des auteurs pour caractériser l'internationalisation des banques.
Hymer et Kindleberger sont tous deux partis du constat que les firmes multinationales et le
marché parfait sont des éléments incompatibles.
En effet, sur un marché parfait, la présence de profits excessifs induit l'entrée de nouveaux
2Kindleberger C.P., American Business Abroad, New Haven, Yale University Press, 1969 3Hymer S.H., The International Operations of National Firms: a Study of Direct Foreign Investment, Cambridge Mass., MIT Press, 1976
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acteurs sur ce marché qui vont faire augmenter la concurrence et disparaître tour profit
excessif, mais en aucune façon ce phénomène ne justifie l'entrée de concurrents étrangers.
Hymer postule alors l'imperfection du marché pour expliquer l'internationalisation des firmes.
Les firmes locales possèdent des avantages sur leur marché national grâce à leur connaissance
des clients, de l'environnement et des avantages en matière de coordination et de
communication, leurs activités se situant uniquement sur le marché national. Ces avantages
des firmes locales sont présentés comme des coûts que rencontrent les firmes multinationales
désireuses de s'implanter sur le marché. Pour pouvoir surmonter ces désavantages, les firmes
étrangères entrantes présentent d'autres avantages qu'elles peuvent transférer et réutiliser sur
le marché local. Pour Hymer ces avantages sont des avantages intangibles propres à la firme
de trois natures: technologie, personnel qualifié et savoir-faire (« business techniques »).
Kindleberger a adopté une approche très similaire alors même qu'il n'avait pas eu
connaissance des travaux de Hymer. Kindleberger fait cependant appel à des facteurs plus
larges pour expliquer l'imperfection des marchés comme l'image de marque, l'accès à certains
marchés (notamment de matières premières, comme les marchés des capitaux dans le cas des
banques internationales), des économies d'échelle...
Hymer explique le développement d'IDE bancaires par le fait que les marchés internationaux
pour ces actifs spécifiques soient imparfaits et le choix optimal pour une firme au regard du
rapport coût-bénéfice passe par un investissement direct dans le pays ciblé. Hymer compare
notamment les IDE à la licence. L'attribution d'une licence peut se révéler impossible en
raison de la difficulté de donner un prix à certains actifs, par exemple. La solution alors
rentable est l'utilisation par la firme elle-même de ses avantages en effectuant des IDE.
Par ailleurs Hymer envisage les IDE comme le moyen de maintenir le pouvoir de marché
pour des firmes en situation oligopolistique. En entrant sur un marché étranger, ces firmes
cherchent à défendre leur place et elles utilisent les IDE car c'est la manière la plus efficace de
transférer leurs avantages intangibles. Cet élément semble intéressant à prendre en compte
dans le cas de Citigroup. Le marché bancaire américain s'est en effet fortement concentré au
cours de la décennie.
Les critiques de ce modèle, et notamment dans son application pour les banques
multinationales se situent essentiellement sur le fait que Hymer et Kindleberger envisagent la
décision d'investir à l'étranger comme le rapport entre des firmes déjà présentes et des
nouveaux entrants. Les deux auteurs ne prennent en compte que le coût du désavantage des
nouveaux entrants et n'élargissent pas leur analyse à l'ensemble des coûts auxquels doit faire
face une firme s'internationalisant. En outre Buckley et Casson, auteurs majeurs de la théorie
de l'internalisation, ont reproché à la théorie Hymer-Kindleberger de prendre pour données les
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dotations factorielles des firmes, sans expliquer la source de ces dotations. Enfin la théorie
Hymer-Kindleberger ne justifie pas pourquoi une firme procède à une acquisition dans le pays
ciblé ou monte une structure de toute pièce. La forme des IDE n'est pas évoquée par Hymer et
Kindleberger. Ces deux dernières critiques apparaissent particulièrement pertinentes pour
l'étude du cas présent. Pourquoi la banque Citigroup a-t-elle tantôt racheté des groupes
locaux, tantôt développé son réseau à partir de zéro? Citigroup est-elle par nature un groupe
possédant des atouts pour s'internationaliser? Ou ses atouts ont-ils été construits par un choix
conscient des dirigeants? Sont-ils apparus par l'internationalisation avec un effet
d'entrainement?
Le caractère statique de l'approche Hymer-Kindleberger apparaît ici. Néanmoins les éléments
avancés par Hymer et Kindleberger ont été la base d'abondants développements qui ont visé à
compléter et améliorer cette théorie ainsi qu'à l'adapter à l'internationalisation des banques.
B. Le cycle de vie des produits, Vernon
La théorie du cycle de vie des produits de Vernon constitue un autre point d'ancrage des
théories de l'internationalisation des firmes. Par ailleurs ce modèle présente l'avantage de ne
pas être statique comme peut l'être la théorie Hymer-Kindleberger.
Vernon4 met l'accent sur l'innovation et le développement du processus de production. A
travers un cycle de vie en quatre étapes (lancement, croissance, maturité, déclin), Vernon
décrit les conditions d'internationalisation des firmes.
L'innovation et donc l'introduction de nouveaux produits permettent à la firme de bénéficier
d'un monopole temporaire sur son marché domestique. La proximité avec le consommateur
est essentielle pour comprendre ses besoins et y répondre au mieux. Puis, alors que des
concurrents entrent sur le marché et réduisent les marges de la firme, celle-ci commence à
exporter ses produits. Enfin lorsque le marché arrive à saturation et qu'il n'est plus possible
pour la firme de bénéficier des avantages qui lui procurent l'innovation, elle s'implante à
l'étranger pour utiliser de la façon la plus efficiente ses produits. En effet si l'on considère que
certains marchés étrangers sont moins avancés que le marché de la firme, elle peut alors
s'implanter à l'étranger pour se rapprocher de ses consommateurs, bénéficier de coûts de
production et de transport moindres et continuer à jouer d'une situation de monopole basé sur
l'innovation. De plus en trouvant des coûts de production moindres à l'étranger, la firme peut
réimporter les produits vers son marché national où elle disposera désormais d'un avantage de
coût. On le voit donc, le modèle de Vernon fait référence à certains avantages compétitifs
4Vernon R., « International investment and international trade in the product cycle », Quarterly Journal of Economics, 1966, 80, p. 190-207
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évoqués par Hymer et Kindleberger en termes de technologie. La firme maximise donc le
profit qu'elle peut faire grâce à l'innovation. Par le jeu de la structure oligopolistique des
marchés, la firme innovatrice est ensuite suivie par ses concurrents qui s'internationalisent à
leur tour pour ne pas perdre de parts de marché au niveau global. L'innovation engendre ainsi
un processus perpétuel d'internationalisation des firmes, en fonction de leurs produits et de
leur avance technologique.
La théorie du cycle de vie des produits de Vernon permet donc d'appréhender les IDE de
façon dynamique et de comprendre les différentes vagues d'internationalisation des firmes. En
outre, la focalisation sur l'innovation et l'avance technologique de cette théorie met en avant la
possession d'avantages spécifiques comme déterminant de l'internationalisation des firmes. Il
faut cependant noter les difficultés d'utiliser ce modèle pour la compréhension de
l'internationalisation des banques. Si certaines avancées technologiques peuvent donner un
avantage significatif à une banque, l'essentiel de l'innovation qui peut se réaliser sur les
produits bancaires en eux-mêmes (prêts, solutions d'épargne, facilités de paiement etc.) est
très facilement imitable par la concurrence. Cette question de la place de l'innovation pourra
être posée dans le cas de Citigroup. Par ailleurs, le modèle de Vernon ignore les IDE qui ne
relèvent pas de la substitution d'importations. Or l'internationalisation des banques ne se
réalise pas par l'import/export en raison de la nature des produits. On peut donc faire le
constat d'une inadaptation de la théorie de Vernon aux conditions du marché bancaire.
Néanmoins cette théorie conserve tout son intérêt pour envisager l'internationalisation comme
un processus dynamique déterminé par la possession d'avantages spécifiques.
Suite à la diffusion des deux modèles précédemment évoqués et à la progression des
phénomènes de globalisation des entreprises, un certain nombre d'auteurs ont tenté de
développer des théories plus adéquates, en particulier pour comprendre les phénomènes
spécifiques d'internationalisation des groupes bancaires
.
Section 2- Le modèle de l'internalisation, comprendre les
défaillances du marché
Devant les limitations de la théorie Hymer-Kindleberger, d'autres auteurs ont développé des
modèles s'appuyant sur le concept d'internalisation. Nous partirons de la théorie élaborée par
Buckley et Casson puis nous intéresserons à divers modèles ayant appliqué les acquis de
Buckley et Casson aux banques multinationales.
12
A. Buckley et Casson
Les deux auteurs ont développé un vrai paradigme pour comprendre l'internationalisation des
firmes en se basant sur le concept d'internalisation. Si ce concept apparaissait déjà en filigrane
dans les analyses de Hymer et Kindleberger, Buckley et Casson5 font de l'internalisation le
centre de leur théorie.
La théorie de l'internalisation tire ses racines de l'analyse de la firme faite par Coase6. Dès
1937 Coase a analysé les imperfections du marché (market failure) comme source
d'internalisation par les entreprises de certaines activités ou certaines fonctions. Pour Coase,
ces imperfections résident essentiellement dans les coûts de transaction qui existent lorsque
l'on a recours au marché pour certains contrats. Les coûts de transaction sont appréhendés
comme des externalités liées à la mise en place de contrats complets. Ces coûts sont
notamment les coûts « d'enforcement » pour faire respecter les contrats, les coûts de rédaction
des contrats, les coûts de recherche de la contrepartie, les coûts de motivation liés au caractère
incomplet et asymétrique de l'information. Face à des coûts de transaction trop élevés, la
firme préfère internaliser les actifs complémentaires. Cette décision est notamment influencée
par la spécificité des actifs, la fréquence des transactions et l'incertitude sur le futur. Dans une
perspective de maximisation du profit, la firme internalise certaines activités lorsque les coûts
de transaction sont trop élevés.
Buckley et Casson ont prolongé cette approche de la théorie de la firme pour l'appliquer aux
phénomènes d'internationalisation des firmes. Les deux auteurs ont envisagé la firme comme
une structure intégrée verticalement, qui internalise des marchés pour des produits
intermédiaires comme la recherche, la formation de son personnel, des actifs financiers... La
firme « revend » ces produits intermédiaires sur son marché intérieur au niveau global. En
utilisant les apports du modèle de Heckscher-Ohlin, Buckley et Casson expliquent que lorsque
la firme crée un marché interne, les avantages spécifiques d'un pays sont internalisés par cette
firme ce qui engendre donc des IDE. L'internationalisation permettrait donc de développer des
avantages dans deux sens: la firme utilise des produits intermédiaires qu'elle aurait des
difficultés à vendre sur un marché dans des conditions optimales pour dégager de nouveaux
profits mais la firme achète également des produits intermédiaires spécifiques au pays
d'implantation, produits qu'elle ne pourrait se procurer sur aucun marché de manière optimale.
L'actif central dans le raisonnement de Buckley et Casson est la connaissance et les
externalités que ce bien si particulier renferme. Bien que leur raisonnement ne se focalise pas
5Buckley P. J., Casson M., The Future of the Multinational Enterprise, 2nd Edition, Londres, MacMillan, 1991 6Coase A. H., « The nature of the Firm », Economica, 4, 1937, p. 386-405
13
seulement sur la connaissance comme déterminant de l'internalisation, Rugman7 considère
quant à lui que c'est un facteur majeur d'internalisation.
Ce sont les imperfections du marché de la connaissance qui représentent le facteur clé de la
théorie de l'internalisation. En raison de l'impossibilité de contrôler la diffusion de la
connaissance sur un marché externe, le caractère « bien public » de la connaissance, la firme
fait de cette connaissance un bien public interne. On peut d'ores et déjà entrevoir la pertinence
de ce modèle pour les activités bancaires où la connaissance de la volonté d'un débiteur à
rembourser un crédit est centrale. Par ailleurs Buckley et Casson ont souligné l'importance de
l'internalisation pour des activités où la relation firme-client s'inscrit dans le long terme, ce qui
est particulièrement vrai pour la relation bancaire. En créant un marché interne pour
l'information, la firme rentabilise plus facilement cette information car le marché externe de
l'information ne pourrait lui donner un prix satisfaisant. Ceci est d'autant plus vrai à
l'international, quand l'information peut être réutilisée dans plusieurs pays. En supprimant les
multiples marché sur lesquels la firme pourrait espérer revendre la connaissance qu'elle
possède, la firme augmente la rentabilité de cette information et ce, tant que les bénéfices de
l'internalisation restent supérieurs aux coûts qui peuvent être des coûts de communication, de
coordination et de contrôle... Par ailleurs le coût marginal pour réutiliser une information dans
un autre pays est faible, l'information ayant déjà été produite. En outre dans le cadre
d'activités internationales, des contraintes de douane ou de taxation peuvent également entrer
en jeu et pousser une firme à établir une filiale plutôt qu'à établir des contrats classiques.
Enfin le caractère bien public de la connaissance pousse la firme à internaliser le marché à
l'international.
Une des caractéristiques de la connaissance est qu'il est toujours difficile pour un acheteur
d'évaluer la qualité de l'information fournie par le vendeur. On se trouve en présence
d'asymétries d'information. En conservant l'information en interne, ce problème disparaît, une
même firme produisant et utilisant l'information. Par ailleurs créer un marché interne de la
connaissance et de l'information permet à la firme d'en garder le contrôle et de les réutiliser
pour ensuite créer un produit final tirant partie de cet avantage informationnel.
La théorie de l'internalisation est un des cadres théoriques les plus satisfaisants pour
comprendre l'internationalisation des firmes multinationales. De nombreuses applications ont
été faites sur le cas particulier de l'internationalisation des banques.
7 Rugman A. M., Inside the Multinationals, Londres, Croom Helm, 1981
14
B. l'internationalisation des banques par la théorie de l'internalisation
A partir des éléments posés par Casson et Buckley, un certain nombre d'auteurs ont développé
leur propre théorie pour l'appliquer aux banques multinationales.
1. L'apport de Grubel
Grubel8 a envisagé plusieurs théories pour expliquer l'internationalisation des banques. Il
reprend les acquis de l'internalisation. Les asymétries d'information empêchent une banque de
vendre sa connaissance de ses clients et de recevoir un prix juste et adéquat. Un autre auteur,
Fiekele9 a développé une argumentation semblable. En effet l'acquisition de l'information sur
les besoins bancaires d'un client est un processus long et coûteux. Cependant une fois
l'information acquise, elle peut utiliser avec un coût marginal relativement faible.
Ainsi Fiekele soutient l'idée que la présence d'entreprises à l'étranger est un facteur
d'internationalisation des banques. Elles peuvent continuer à jouer de leur connaissance du
client pour le suivre dans le pays étranger, puis en raison de leur présence dans ce pays elles
gagnent une connaissance du marché local. Cette approche est appelée l'expansion défensive
(defensive expansion). Devant le coût, essentiellement en termes de temps, que représente la
connaissance d'un client, de son comportement et de ses besoins, une banque ne peut laisser
un autre bénéficier de ces informations. Lorsque le client s'internationalise, la banque possède
un avantage sur les concurrents bancaires locaux. Comme cet avantage ne peut être revendu
sur un marché de manière efficiente (cf. imperfections du marché), la banque
s'internationalise à son tour pour internaliser la relation informationnelle qu'elle possède avec
son client.
La relation entre la banque et son client est appréhendée comme un flot d'information qui
devient un bien public auquel toutes les équipes de la banque ont accès. On comprend ici le
sens de l'intégration verticale expliquée par Buckley et Casson. L'activité bancaire peut être
divisée en deux sous-activités: l'activité de connaissance du client qui consiste à collecter et
analyser l'information sur les besoins du client, ses pratiques, le risque qu'il renferme et
l'activité bancaire proprement dire qui concerne les diverses facettes de la banque, solutions
de financement, conseil. Cette deuxième activité a pour intrant l'information sur le client.
Grubel ne se limite pas à la connaissance du client, il inclut d'autres facteurs comme la
technologie ou les qualités du management pour expliquer l'internationalisation des banques.
Là encore, les facteurs qu'il énonce sont réutilisables à l'étranger avec un coût marginal limité.
8 Grubel H., « A theory of multinational banking », Banca Nazionale del Lavoro, Quarterly Review, December, 1977, p 349-363 9 Fiekele N,, « The growth of US banking abroad: an analytical survey », Key Issues in International Banking, Proceedings of a Conference, Federal Reserve Bank of Boston, 1977, p. 6-40
15
Enfin Grubel évoque d'autres facteurs poussant à l'implantation à l'étranger des banques. La
différenciation des produits serait selon lui un élément important pour comprendre
l'internationalisation des activités de banque de détail. Pourtant cet avantage peut paraître
faible car les produits bancaires sont facilement imitables pour la concurrence.
2. L'apport de Tschoegl
Devant la variété d'études consacrées à l'internationalisation des banques, le choix a été fait de
ne retenir que les auteurs qui semblaient les plus pertinents au regard de cette étude.
Tschoegl10 a prolongé les analyses de Buckley et Casson en y apportant des éléments
nouveaux. Il s'est aussi appuyé sur les travaux de Grubel. Tschoegl s'est principalement
intéressé à l'internationalisation des activités de banque de détail, toujours dans un cadre
d'analyse relevant de la théorie de l'internalisation. Tschoegl étudie un certain nombre de
facteurs qui relèvent tous de l'impossibilité ou du coût trop élevé de passer par le marché pour
obtenir ou vendre ces actifs particuliers et qui sont donc internalisés par les banques
multinationales.
Tschoegl démontre que s'il semble que les banques étrangères font face à des désavantages en
termes de connaissance du marché local par rapport aux acteurs déjà présents, ces
désavantages peuvent être rapidement dépassés. Pour les banques multinationales, la
connaissance d'un nouveau marché est un investissement ponctuel qu'elles peuvent avoir
réalisé au travers d'autres opérations. Tschoegl vient ainsi modérer la théorie Hymer-
Kindleberger. Cependant il ne remet pas en cause l'importance de la connaissance des
conditions locales qui est un intrant majeur pour la banque de détail. Tschoegl examine
également la régulation du secteur bancaire et des IDE bancaires. Selon lui la structure de la
régulation est un déterminant de l'internationalisation des acteurs bancaires ce qui permet
d'intégrer les facteurs de localisation dans la théorie de l'internalisation et explique le choix
des pays cibles. La nature de la compétition sur le marché local constitue une autre source
d'opportunités pour l'expansion internationale des banques. Les marchés non-compétitifs le
sont souvent en raison d'un contexte réglementaire particulier, ou d'une situation
oligopolistique. La situation du marché constitue un autre facteur de localisation.
Tschoegl s'intéresse aussi aux économies d'échelle qui ne peuvent bien entendu pas être
échangées sur un marché. Il évoque également la différenciation des produits, mais considère
que cet avantage n'en est pas réellement un puisqu'il est très facile de copier les produits
bancaires. Il montre néanmoins qu'une origine ethnique commune peut être un facteur
d'internationalisation, comme par exemple les liens entre la diaspora chinoise et les banques
10 Tschoegl A. E., « International retail banking as a strategy: an assessment », Journal of International Business Studies, 18, 1987, p. 67-88
16
chinoises de Hong Kong. Cette origine commune permet une meilleure connaissance de la
clientèle. En effet Tschoegl souligne aussi l'importance de la connaissance des clients dans le
processus d'internationalisation bancaire de façon très similaire à Grubel.
En conclusion de son analyse, Tschoegl détaille deux stratégies pour les banques à
l'international: une stratégie opportuniste et une stratégie délibérée. La stratégie opportuniste
consiste à s'engager sur un marché étranger dès lors que l'opportunité se présente ou qu'un
besoin existe. Cette stratégie implique de constamment chercher ou attendre de nouvelles
opportunités mais également d'envisager la sortie d'un marché lorsque celui-ci devient
compétitif et que les avantages de la banque multinationale disparaissent. Une stratégie
délibérée consiste à entrer sur un marché dès que la législation locale le permet, sans
distinction quant à la situation du marché local, à la possession d'avantages sur les
compétiteurs locaux... cette stratégie sous-entend que la banque multinationale possède des
avantages sur les acteurs locaux quelle que soit leur situation. Tschoegl classe la stratégie de
Citigroup (à l'époque Citibank) dans cette catégorie mais concède la difficulté empirique de
distinguer entre les deux stratégies. Enfin Tschoegl conclut que plus qu'un jugement a priori,
la situation de chaque firme doit être étudiée au cas par cas pour comprendre les atouts et
l'expérience de chacune.
La théorie de l'internalisation permet de dégager un cadre théorique clair. Il constitue un des
deux modèles les plus utilisés pour comprendre l'internationalisation des banques. En
appréhendant la décision d'entrer sur un marché étranger comme la meilleure solution pour
surmonter les imperfections du marché, il permet de faire apparaître divers avantages et
opportunités qui s'offrent à un acteur bancaire dans le cadre de sa stratégie internationale. Si
l'analyse initiale de Buckley et Casson peut sembler très abstraite, Grubel et Tschoegl
présentent des facteurs plus empiriques que seront détailler plus tard.
Le second modèle utilisé de manière large est le paradigme de Dunning, paradigme « OLI ».
Après avoir étudié la théorie développée par Dunning, nous verrons son application au cas des
banques multinationales.
17
Section 3- L'internationalisation, une combinaison
d'avantages spécifiques à la firme, d'avantages de localisation et
d'avantages d'internalisation: le paradigme OLI
A. Dunning et le paradigme OLI
Le paradigme OLI a été proposé par Dunning11 en 1977 qui a cherché à formuler un cadre
théorique générale pour comprendre les phénomènes d'internationalisation des entreprises en
s'appuyant sur trois ensembles théoriques: la théorie des organisations industrielles, la théorie
de l'internalisation et la théorie de la localisation. Dunning souhaitait ainsi remédier à son
insatisfaction vis-à-vis des modèles existants, notamment la théorie Hymer-Kindleberger et la
théorie de l'internalisation. Son modèle cherche donc à intégrer divers éléments au sein du
« paradigme ». Dunning postule qu'il existe trois catégories de conditions qui poussent une
firme à s'internationaliser.
Tout d'abord la firme possède des avantages vis-à-vis des firmes étrangères que Dunning
appelle « ownership-specific advantages ». Ces avantages sont un pré-requis pour
l'internationalisation des entreprises et sont constitués d'actifs intangibles car ils permettent à
la filiale d'un groupe étranger de soutenir directement la compétition sur le marché étranger
visé. Dunning les classe en trois catégories: les avantages liés à l'accès à certains inputs ou
marchés, les avantages liés aux dotations factorielles de la compagnie mère qui peuvent être
transférées pour un coût marginal nul et enfin les avantages directement liés à la
« multionationalité » d'une firme. Ces avantages proviennent principalement de la taille d'une
firme et sa position concurrentielle bien établie. On peut citer par exemple l'accès à un
personnel qualifié, les conditions de financement et l'accès aux marchés des capitaux. Ces
avantages se trouvent renforcés lorsque la firme est déjà multinationale puisqu'elle peut alors
faire jouer son expérience et augmenter son efficacité au niveau global dans l'allocation des
facteurs.
Le second type d'avantages envisagés par Dunning est étroitement lié au premier. Il s'agit
d'avantages d'internalisation qui tirent leur source dans les imperfections du marché en lien
avec le théorème de Coase. La firme internalise ses « ownership advantages » pour
contourner les coûts de transaction et diminuer les risques, notamment les risques dans le
processus de management ce qui pousse la multinationale à s'internationaliser. Dunning
s'appuie sur des éléments proches de la théorie de l'internalisation. Lorsque la firme possède
des avantages spécifiques, l'imperfection des marchés ne laisse à l'entreprise qu'une option
11 Dunning J., « Trade, location of economic activity and the MNE: a search for an eclectic approach » in Ohlin B., Hesselborn P., Wijkman P., The International Allocation of Economic Activity, London, MacMillan Press, 1977, p. 395-431
18
pour maximiser le profit qu'elle tire de ces avantages: l'investissement direct à l'étranger.
L'internalisation permet un meilleur contrôle des risques, une utilisation optimale des
économies d'échelle et une internalisation des externalités liées aux avantages spécifiques, par
exemple de connaissance comme évoqué plus haut. La possession d'avantages spécifiques
n'est pas suffisante pour expliquer les IDE. Elle se combine avec l'impossibilité de passer par
le marché pour les utiliser de façon optimale.
Enfin Dunning identifie un troisième type de variables pour expliquer les décisions
d'internationalisation, les avantages de localisation. Ces avantages sont très largement
interdépendants vis-à-vis des deux autres types de facteurs selon Dunning. Ils ont trait aux
différences qui peuvent exister entre le pays d'origine et les pays étrangers ciblés en relation
avec les avantages spécifiques de la firme. Ces avantages peuvent être liés à des conditions
douanières et tarifaires, ou encore des différences de législation et ils permettent d'expliquer
pourquoi une entreprise choisit un certain pays plutôt qu'un autre pour effectuer des IDE. Les
conditions locales d'un pays peuvent également modifier la structure d'un marché, avec par
exemple des coûts de production plus faibles ou un accès aux matières premières à un
moindre coût. Des éléments non-matériels sont aussi présents dans la décision de localisation
comme accès à la connaissance du marché local.
Pour Dunning une combinaison des trois types de facteurs est nécessaire pour expliquer
l'internationalisation d'une firme. Par ailleurs il estime qu'ils sont séquentiels, c'est-à-dire
qu'une imperfection de marché ne conduira à une internalisation seulement si la firme possède
des avantages particuliers. Ensuite, les facteurs de localisation détermineront les pays qui
seront l'objet de cette internationalisation. L'internationalisation, malgré la présence
d'avantages spécifiques à la firme et l'internalisation des imperfections du marché, n'aura pas
lieu, selon Dunning si le pays visé ne présente pas des avantages de localisation.
Le paradigme OLI de Dunning a été très largement utilisé pour l'étude des stratégies des
firmes à l'international. Il présente l'avantage d'incorporer plusieurs dimensions présentes dans
d'autres modèles. Plus qu'une théorie, Dunning a rédigé un paradigme qui se base sur de
plusieurs apports théoriques différents. Pour cela, il a été vivement critiqué, certains auteurs
estimant que son modèle manquait de cohérence interne et a recours à des éléments trop
disparates et peu applicables empiriquement en raison du nombre élevé de facteurs pris en
compte par Dunning. Buckley et Casson ont notamment critiqué la différence que Dunning
fait entre ownership advantages et internalization advantages. Selon les deux auteurs, cette
approche reposerait sur une mauvaise analyse du phénomène d'internalisation et les avantages
spécifiques de la firme seraient un concept qui n'est pas pertinent puisque la théorie de
l'internalisation suffirait à elle seule à expliquer les mêmes phénomènes. Cependant les
19
tenants de la théorie de l'internalisation ont reconnu l'utilité empirique du concept d'avantages
spécifiques de la firme. En outre, si Dunning a accepté certaines critiques et révisé son
paradigme, il estime que la théorie de l'internalisation ne permet pas d'expliquer entièrement
la structure du marché ou encore la localisation de tous les IDE. Il a ainsi clarifié sa pensée en
appréhendant les ownership advantages comme un bénéfice de la firme alors que
l'internalisation est la modalité par laquelle ces avantages se matérialisent. Ainsi ces avantages
permettent à la firme de s'internationaliser grâce à l'internalisation qui en est faite.
Le paradigme OLI a fait l'objet de développements très abondants dans divers secteurs
économiques et notamment dans le secteur bancaire. Malgré les limites qu'il présente, le
modèle OLI a, comme la théorie de l'internalisation permis d'élaborer des éléments d'étude
empirique pertinents au regard de la problématique de ce mémoire.
B. L'application du paradigme OLI aux banques multinationales
Les principales avancées théoriques concernant les groupes bancaires multinationaux en
application du paradigme OLI sont dues à trois auteurs, Gray et Gray et Yannopoulos. Pour ce
faire, ils ont apporté leurs propres modulations au modèle de Dunning.
Gray et Gray12 ont tenté d'appliquer systématiquement les trois éléments avancés par
Dunning. Ils font tout d'abord l'hypothèse qu'il existe des avantages spécifiques (« ownership
advantages ») pour toute banque qui s'internationalise. Ils doutent cependant de l'importance
des économies d'échelle car le bénéfice maximum de ces économies est atteint à une taille
critique bien inférieure à celle des grands groupes bancaires. Leur analyse se concentre
ensuite sur le I et le L de Dunning, délaissant les facteurs spécifiques à la firme.
Du coté des avantages d'internalisation, Gray et Gray ont envisagé trois aspects. Tout d'abord
les firmes multinationales tirent profit des imperfections au niveau des marchés pour leurs
produits, imperfections émergeant des barrières à l'entrée, de la différenciation des produits et
de la segmentation des marchés. Les deux chercheurs estiment néanmoins que l'imperfection
des marchés de produits n'est pas un facteur significatif dans les décisions d'IDE bancaires. La
différenciation des produits dans le secteur bancaire reste faible car les produits sont
facilement imitables par la concurrence tant internationale que locale. De plus les barrières à
l'entrée et leur dépassement ne représentent pas un avantage par rapport aux concurrents
locaux.
Ensuite le deuxième élément tient aux économies qui sont réalisées en intégrant dans une
même firme des activités relevant d'une diversification horizontale ou verticale. Les deux
12 Gray J. M., Gray H. P., « The Multinational Bank: A Financial MNC? », Journal of Banking and Finance, 5, 1981, p. 33-63
20
chercheurs reprennent alors les arguments avancés par d'autres auteurs avant eux et ils
démontrent que les banques internationales en ayant une présence locale dans certains pays
sont plus à même de gérer les risques potentiels auxquels elles peuvent être confrontées. De
façon plus générale, une présence internationale permet de faire émerger de la connaissance
qui, si elle n'est pas particulière à une banque dans un pays donné, est exploitée plus
efficacement à l'échelle globale.
Enfin les IDE financiers peuvent trouver leur source du point de vue de l'internalisation dans
l'imperfection des marchés d'intrants qui sont essentiellement de deux natures dans le milieu
bancaire, l'accès aux capitaux et la connaissance. L'accès aux capitaux constitue un avantage
commun à toutes les banques multinationales par rapport aux banques non multinationales,
mais cet avantage n'est pas spécifique à la firme puisque toutes les banques multinationales
peuvent accéder à des sources de financement similaire, tant dans sur les marchés locaux que
sur les marchés supranationaux. Cet avantage a donc une ampleur limitée, selon Gray et Gray.
L'exploitation de la connaissance que la banque possède de ses clients apparaît pour les deux
auteurs comme un facteur beaucoup plus important. Une banque multinationale peut fournir
des services financiers à un client avec lequel elle possède une relation de long terme à un
coût moindre et une efficacité accrue par rapport à une banque locale n'ayant pas de
connaissance préalable de ce même client. Gray et Gray vont plus loin et estiment qu'une
banque dont la clientèle s'installe à l'étranger perdrait cette relation de clientèle à la fois dans
le pays étranger mais également sur son marché national si elle ne suivait pas son client.
D'autres banques pourraient alors récupérer la connaissance du client et damer le pion à leur
concurrente. Pour Gray et Gray cet aspect est primordial dans la décision
d'internationalisation des banques.
Ce dernier élément peut également être appréhendé comme un avantage de localisation et on
peut ici comprendre la difficulté de différencier les différents types d'avantages.. Les clients
de la banque présents à l'étranger sont un facteur incitatif pour que la banque entre sur un
marché étranger. La connaissance du client peut donc être envisagée sous deux angles, celui
du prolongement de la relation existante par l'internalisation de la connaissance du client à
l'étranger, ou celui de l'incitation à la localisation dans les pays où les clients déjà connus ont
choisi de s'internationaliser. La problématique du contrôle de l'information est au cœur de
cette analyse. Gray et Gray soulignent alors l'importance de la coopération inter-firme dans le
milieu bancaire qui permet aux banques étrangères de préserver les relations qui existent avec
leurs clients sur des marchés dont l'accès peut leur être restreint par la régulation locale. A
contrario, des firmes multinationales non-bancaires dont les avantages reposent sur des
brevets peuvent ne pas entrer sur un marché sans pour autant perdre le bénéfice de leurs
21
brevets.
Les deux autres éléments que Gray et Gray soulèvent concernant les avantages de localisation
sont l'entrée sur des marchés à potentiel de croissance élevé et l'accès aux matières premières,
en particulier l'accès à des fonds dans différentes devises. Ce dernier aspect permet aux
banques d'offrir une gamme complète de produits à leurs clients, diversifie les avoirs et donc
le risque pris par ces banques. Il faut néanmoins soulever les limites que présente cet
argument. En effet selon cet argument, les banques américaines auraient un besoin moindre de
s'internationaliser en raison du rôle du dollar comme monnaie internationale. Or comme le
montre le cas de Citigroup, les banques américaines sont loin d'être les moins internationales.
L'autre aspect évoqué par Gray et Gray concerne l'entrée sur des marchés à forte croissance.
Le facteur de localisation est alors évident, pour les groupes bancaires il s'agit de tirer profit
de marchés en développement. Si la connaissance d'un client est un processus long et coûteux,
l'entrée sur un marché pour une banque se fait à un coût faible car la production de produits
bancaires spécifiques à un pays est peu coûteuse. Gray et Gray expliquent par cet argument le
fait que les firmes bancaires multinationales établissent de nombreux bureaux de
représentation à l'étranger.
Gray et Gray ont donc étudié l'internationalisation des firmes bancaires sous l'angle des
motivations qui poussent une banque à entrer sur un marché étranger en s'insérant dans le
cadre défini par Dunning. Si leurs apports rencontrent des difficultés identiques au paradigme
OLI, à savoir un manque de cohérence générale, Gray et Gray présentent néanmoins des
pistes intéressantes pour une recherche empirique. Leur modèle s'appuie particulièrement sur
les spécificités des activités bancaires. Il semble intéressant de souligner que les différents
auteurs ayant écrit sur les phénomènes d'internationalisation des banques envisagent des
facteurs semblables mais ont recours à un cadre théorique différent pour articuler les éléments
qui apparaissent pertinents.
A la suite de Gray et Gray, Yannopoulos13 a tenté d'appliquer le paradigme OLI aux banques.
Il procède également à un examen des trois types de facteurs. Il insiste fortement sur
l'importance de l'information et de la relation de clientèle des banques et se rapproche ainsi
de Tschoegl. Cependant l'analyse de Yannopoulos met en avant le rôle de la différenciation
des produits bancaires, comme avantage de propriété. Yannopoulos concède que la
différenciation des produits n'est possible qu'à court terme en raison du caractère très
facilement imitable des produits bancaires. Néanmoins il fait l'hypothèse de l'existence d'une
autre différenciation de plus long terme, une différenciation perçue plutôt que réelle. En effet
13 Yannopoulos, G. N., « The growth of transnational banking » in Casson M., dir., The Growth of International Business, Londres, Allen and Unwin, 1983, p. 236-257
22
la relation bancaire repose de manière fondamentale sur la confiance qu'inspire la banque au
client. Ainsi cette différenciation perçue résulte de la notation de la banque, de sa taille, et de
la probabilité perçue qu'elle renouvelle les crédits accordés, les garanties financières etc. Ces
éléments ne peuvent pas être échangés sur un marché et constituent donc un avantage majeur
pour une banque qui peut capter une clientèle étrangère sur la base de ces avantages. Cet
aspect ne semble pas avoir été envisagé par les autres chercheurs et constitue pourtant un
point essentiel et caractéristique de l'activité bancaire. Yannopoulos souligne l'importance de
la compétition sur des éléments non basés sur un prix, comme l'image de marque de la
banque. Cet aspect prend tout son sens dans la compétition que se livrent les grandes banques
à l'échelle mondiale ainsi qu'au local, vis-à-vis de plus petites institutions. Si les économies
d'échelle atteignent leur maximum à une taille bien inférieure à la taille des groupes bancaires
multinationaux, les bénéfices de cette taille peuvent apparaître sous la forme de la notation de
la banque, de la réputation dont elle jouit.
A travers les différentes théories évoquées, il est possible d'observer l'importante diversité des
approches pour expliquer l'internationalisation des firmes et plus particulièrement des
banques. Ces modèles se basent sur des phénomènes proches, avec par exemple la reprise par
tous les auteurs des facteurs liés à l'appropriation de la connaissance par les banques. Les
facteurs évoqués par les auteurs sont communs, mais le modèle théorique qui les articule
diffère. L'opposition entre l'internalisation et le paradigme OLI structure le débat. Les théories
de l'internalisation ont tenté d'établir un modèle cohérent tandis que les développements sur le
paradigme OLI font appel à des éléments plus variés en perdant de l'efficacité pour définir un
cadre clair. Le modèle éclectique postule que la firme multinationale développe ses avantages
sur son marché domestique pour ensuite les utiliser à l'international. La théorie de
l'internalisation quant à elle envisage la multinationalité comme une qualité intrinsèque de la
firme. Certaines firmes porteraient les caractéristiques des firmes multinationales. Cet aspect
apparaît particulièrement intéressant pour comprendre la stratégie d'un groupe comme
Citigroup. S'il peut être difficile d'évaluer empiriquement l'origine de l'internationalisation de
la firme, cette opposition entre les deux modèles théoriques pourra constituer une trame de
fond de cette étude.
Comme il a été possible de le voir, les auteurs se sont appuyés sur divers éléments liés à la
réalité des banques internationales. Il semble donc pertinent d'étudier ensuite les facteurs
empiriques pour réaliser par la suite une analyse méthodique et complète du cas Citigroup.
23
Chapitre 2- Les déterminants empiriques des IDE financiers
À partir des éléments théoriques envisagés précédemment, il est possible de produire un cadre
d'analyse empirique pour procéder à une étude systématique du cas de Citigroup. Les
déterminants empiriques apparaissent déjà en filigrane dans les travaux de Gray et Gray ou de
Tschoegl. Cependant devant la grande diversité des facteurs empiriques d'IDE financiers, de
nombreux auteurs ont entrepris d'étudier chacun certains déterminants bien spécifiques pour
en valider la pertinence et l'utilité comme facteur explicatif de l'internationalisation des
banques. La synthèse réalisée par Garcia Herrero et Navia Simon14 servira de base pour
établir les éléments qui seront ensuite examinés dans la suite de ce mémoire. Puis nous
envisagerons un autre modèle qui a eu une influence moindre sur les travaux de recherche
concernant l'internationalisation. Il s'agit du modèle développé par Smith et Walter. La
matrice d'analyse des stratégies internationale des groupes bancaires qu'ils proposent peut être
utilisée pour développer une approche alternative et peut ainsi compléter l'étude. Elle semble
particulièrement utile et adaptée au cas de Citigroup.
Section 1- les déterminants microéconomiques et
comportementaux tels qu'envisagés par Garcia Herrero et Navia
Simon
La synthèse de Garcia Herrero et Navia Simon présente l'avantage de permettre une étude
large et à plusieurs niveaux. En effet, dans leur article publié en 2003 les deux auteurs
envisagent trois types de facteurs déterminant les IDE financiers. Ces trois axes sont les
facteurs macroéconomiques, les facteurs institutionnels et les facteurs microéconomiques.
Du coté des facteurs macroéconomiques, Herrero Garcia et Navia Simon montrent que les
auteurs en science économique ont adopté une approche duale, prenant en compte les facteurs
macroéconomiques du pays d'origine de la firme et les facteurs macroéconomiques du pays de
destination des IDE. Les variables étudiées sont par exemple le taux de change ou encore la
position dans le cycle économique. Il a été ainsi démontré que les firmes japonaises ont
procédé à des IDE lors de l'appréciation du yen. Du coté du pays d'accueil, on peut noter le
potentiel de croissance du marché comme facteur d'IDE. Cet élément avait déjà été envisagé
par Gray et Gray et d'autres auteurs en ont validé la pertinence empirique. Les facteurs
14 Garcia Herrero A., Navia Simon D., « Determinants and impact of financial sector FDI to emerging economies: a home country's perspective », Working Group on Financial FDI of the BIS Committee of the Global Financial System (CGFS), Septembre 2003
24
institutionnels ont quant à eux essentiellement trait aux conditions réglementaires et légales
qui peuvent faciliter ou au contraire décourager les IDE dans un pays donné. Les facteurs
institutionnels ont déjà été pris en compte par les tenants de la théorie OLI qui les ont inclus
dans les avantages de localisation. Herrero Garcia et Navia Simon soulignent l'existence d'un
consensus sur la plupart des facteurs macroéconomiques et institutionnels et une abondante
littérature a cherché à prouver leur pertinence. Il faut noter que si l'approche de Herrero
Garcia et Navia Simon n'entend pas faire suite à aucun des modèles OLI ou de
l'internalisation et leur classement des facteurs empiriques ne reflète pas le cheminement de
pensée adopté par l'un ou l'autre des modèles. Les deux auteurs ont classé les facteurs
déterminants de manière à obtenir une facilité d'utilisation empirique.
Si les facteurs institutionnels et macroéconomiques ne sont pas à négliger pour comprendre
l'internationalisation des banques, il convient de les écarter de cette étude puisqu'ils ne sont
pas particuliers à une firme mais concernent l'ensemble des banques d'un pays ou d'une zone
donnés. Les facteurs microéconomiques constituent le cœur de l'analyse présente en raison de
l'étude d'un cas précis, celui de Citigroup. Herrero Garcia et Navia Simon répartissent leurs
différents facteurs en quatre catégories comme le montre le schéma 1.
Schéma 1. Catégories de facteurs empiriques d'internationalisation telles qu'envisagées par
Garcia Herrero et Navia Simon.
Comme l'expriment les deux auteurs, certains facteurs ont été abondamment étudiés tandis
que d'autres doivent toujours être validés empiriquement et les auteurs sont divisés quant à
leur validité.
Le facteur stratégique recouvre les phénomènes relevant de la structure du marché dans le
pays d'origine de la banque. Ainsi l'internationalisation d'un groupe bancaire dans un pays
donné pourrait engendrer un mouvement de réactions stratégique qui conduirait l'ensemble du
25
secteur dans ce même pays à suivre le premier compétiteur, notamment car les marchés
bancaires sont souvent en situation oligopolistique. La décision de s'internationaliser par un
des membres de l'oligopole entraine un nouveau tour d'alignement stratégique pour aboutir à
un équilibre oligopolistique plus ou moins stable. Pourtant ce facteur manque de précision
pour comprendre comment les banques concurrentes réagissent en termes de pays ciblés.
S'établissent-elles dans des pays différents pour chacune conserver leur pré carré? Ou
prolongent-elles la concurrence nationale en s'installant sur les mêmes marchés étrangers? Les
études empiriques sur le sujet ont produit des résultats contrastés et ne permettent pas de
trancher de manière claire. Par ailleurs ce facteur peut être lié à d'autres facteurs comme par
exemple l'origine commune qui sera développée plus loin. Si les banques espagnoles ont
massivement investi en Amérique latine, est-ce dû à une réaction oligopolistique? Ou
seulement à un contexte culturel proche? Une combinaison de ces deux facteurs, ou d'autres
facteurs est-elle démontrable? Le facteur stratégique pourra être considéré dans le cas de
Citigroup, étant donné que Citigroup fut le premier groupe à adopter la stratégie du one-stop
shop et à se lancer avec une ampleur aussi grande dans la troisième vague
d'internationalisation des banques. On peut alors se questionner sur le caractère stratégique de
cette décision. Est-ce un moyen de se dégager de la concurrence nationale, alors que Citibank
n'était pas forcément un des plus grands acteurs aux Etats-Unis? Cependant la forte
internationalisation des groupes bancaires américaines depuis plusieurs décennies rend
difficile une analyse systématique du facteur stratégique.
La diversification des risques constitue un autre aspect envisagé par la littérature empirique
sur l'internationalisation des banques. L'internationalisation de ses activités permet à une
institution bancaire de diversifier le risque auquel elle fait face, notamment en termes de
risque de crédit et ainsi de réduire son exposition à une certaine catégorie de risques, dans le
cas présent les risques liés au pays d'origine. La diversification internationale permet une
amélioration du couple risque-rendement des banques multinationales, comme l'ont montré
certains auteurs. La sélection des investissements internationaux se ferait donc en fonction de
la probabilité de rendement et de l'insertion dans le portefeuille d'activités déjà détenues par la
banque. Par ailleurs, la réalisation de la diversification par la banque elle-même plutôt que par
les investisseurs individuels révèle une efficacité supérieure. En effet les investisseurs
individuels ne peuvent pas tirer avantage des imperfections du marché de la façon dont une
banque a la faculté. La diversification des activités, notamment en terme géographique à
travers un groupe bancaire produit des synergies à l’intérieur du groupe que les investisseurs
ne peuvent trouver en détenant ces mêmes actifs de manière isolée. Cet élément a également
peu été testé empiriquement et il est possible d'émettre des réserves quant à sa pertinence.
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L'efficacité supérieure qu'une banque peut obtenir en s'internationalisant a été abondamment
documentée par la littérature économique. Les éléments qui ont été envisagés par les
différents auteurs tirent leur source directement dans les théories de l'internationalisation et
ont souvent été testés par les auteurs de ces théories eux-mêmes. Herrero Garcia et Navia
Simon évoquent trois déterminants liés à une efficacité, des rendements supérieurs. Tout
d'abord il a été démontré que la taille d'un groupe bancaire lui permet, dans une certaine
mesure, de gagner une efficacité supérieure. Les économies d'échelle donnent aux banques
internationales une supériorité sur les banques locales avec une taille bien inférieure. Les
banques multinationales peuvent transférer leurs économies d'échelle pour un coût
relativement faible. Cependant Herrero Garcia et Navia Simon soulignent que l'effet de taille
ne joue que sur certaines activités. Ainsi une présence internationale fondée sur la banque de
détail a un potentiel faible pour dégager des rendements d'échelle. Ceci est renforcé par le fait
que la taille critique est atteinte à des niveaux de taille bien inférieurs à ceux des banques
multinationales. Certaines études ont par exemple démontré que des banques régionales d'une
certaine envergure aux Etats-Unis avaient déjà atteint la taille critique au-delà de laquelle les
économies d'échelle deviennent négligeables. Il apparaît alors clair que les grands groupes
multinationaux ne réalisent des économies d'échelle qu'à la marge au niveau global. De plus,
au niveau local, les nouveaux entrants étrangers sur un marché sont d'abord de petits acteurs
face aux concurrents locaux et on peut s'interroger sur les économies d'échelle qu'ils dégagent
par rapport à ces concurrents locaux. Il s'agit aussi d'évaluer la possibilité d'économies
d'échelle au niveau global par rapport aux économies d'échelle au niveau local. En effet, les
réseaux de banque de détail fonctionnent souvent sur un mode national, en raison des
régulations et des pratiques bancaires locales. Il convient donc de s'interroger sur le degré
d'économies d'échelle qui peut être obtenu au niveau global.
Dans les activités de banque d'investissement, l'internationalisation permet d'atteindre une
taille critique nécessaire pour répondre au besoin de financement de grands groupes tout en
maximisant le profit. La détention de succursales dans divers pays permet de développer des
solutions de financement ou d'investissement pour des clients avec un coût marginal faible
alors qu'une banque locale aura des difficultés et fera face à des coûts difficilement
surmontables pour acquérir les compétences techniques et humaines et les ressources
financières afin de répondre au besoin de ces mêmes clients. Ce facteur apparaît également
pertinent dans le cas de Citigroup qui a entendu projeter à l'international un spectre très large
d'activités, banque de détail et d'investissement, comme cela sera détaillé plus loin. Nous
tenterons donc d'évaluer la pertinence du facteur taille pour expliquer la stratégie
internationale de Citigroup. Ce facteur, et notamment la distinction qui est faite par les auteurs
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entre banque de détail et banque d'investissement, est intéressant à étudier empiriquement car
il donne à comparer les différentes stratégies des acteurs bancaires internationaux, Citigroup
contre d'autres concurrents ayant focalisé leur internationalisation sur différentes activités.
En lien avec cet argument, le degré d'internationalisation peut apparaître comme un
déterminant d'IDE bancaires. L'expérience internationale d'une banque semble être un facteur
qui la pousse vers toujours plus d'internationalisation, comme l'ont démontré plusieurs
auteurs. Cette expérience rend la conduite d'une nouvelle opération internationale moins
coûteuse car certains coûts ont déjà été surmontés, comme par exemple de l'intégration de
plusieurs systèmes législatifs dans le fonctionnement de la banque, ou encore le coût inhérent
au travail ensemble d'équipes relevant de cultures diverses. Par ailleurs la présence dans une
multiple de pays donne un profil de risque très diversifié pour la banque et rend ainsi une
nouvelle opération moins risquée. Une forte internationalisation depuis de nombreuses années
semble conduire à toujours plus d'internationalisation comme l'ont montré de nombreux
modèles, au-delà du secteur bancaire, avec par exemple le modèle Uppsala pour
l'internationalisation des PME. À l'aube d'une période de forte dérégulation au niveau
international, comme c'est le cas à la fin des années 90, la détention d'une expérience
internationale semble être un facteur poussant les banques déjà fortement internationales à
capitaliser sur cet avantage pour poursuivre leur croissance, car elles font face à des coûts
moins élevées et sont donc plus efficaces.
Enfin Garcia Herrero et Navia Simon font référence à un troisième déterminant reposant sur
l'efficacité d'une firme bancaire, l'efficacité en termes de produits et de canaux de distribution.
L'expérience que possède une banque en termes de produits et d'organisation de la distribution
lui donne un avantage pour pénétrer sur des marchés étrangers généralement moins
développés et moins bancarisés. L'utilisation de méthodes de distribution ayant fait leurs
preuves sur des marchés matures, la maitrise des produits distribués en termes de risque, de
profil des clients ciblés donne aux banques multinationales l'opportunité de développer un
réseau d'agences plus efficaces, avec un profil de rendement-risque meilleur que des
concurrents locaux. Certains auteurs ont ainsi démontré que les banques des pays de l'OCDE
préfèrent s'internationaliser dans des pays en développement dans lesquels le système
bancaire est moins performant, avec par exemple des taux de créances douteuses élevés par
rapport aux standards des pays de l'OCDE. On observe également le phénomène inverse, des
banques de l'OCDE qui s'implantent dans d'autres pays développés pour par exemple
bénéficier de la maturité de ces marchés, de la sophistication des produits et des canaux de
distribution. Cette efficacité sur les modes de distribution concerne essentiellement la banque
de détail et contraste ainsi l'argument évoqué précédemment.
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L'efficacité supérieure de certaines banques est couplée avec des avantages comparatifs.
Herrero Garcia et Navia Simon ont établi une classification des déterminants empiriques qui
permet de guider l'étude des banques multinationales. Cependant les différents déterminants
sont souvent très liés les uns aux autres et il peut être difficile de faire une distinction claire.
En lien avec l'efficacité sur les produits et les canaux de distribution, les banques
multinationales développent des avantages compétitifs en formulant des produits innovants et
en utilisant des technologies supérieures. Le contenu en technologie des activités bancaires a
connu un essor important avec le développement des technologies de l'information et de la
communication. Si dans les pays développés, l'avantage technologique est faible, en raison de
la diffusion rapide des innovations, l'introduction de nouvelles technologiques sur des
marchés émergents peut représenter un vrai avantage pour des banques étrangères. Il est
possible d'évoquer ici l'introduction des guichets automatiques, le développement des plates-
formes de gestion en ligne ou encore des cartes de crédit. Il en va de même pour l'innovation
sur les produits bancaires en eux-mêmes. Bien que les activités de service par nature ne
conservent que brièvement les innovations sur les produits, une banque peut être incitée à
entrer sur un marché étranger car elle possède une technologie, à la fois externe vers les
clients et interne dans la gestion de l'activité et du risque, et des produits innovants par rapport
aux concurrents locaux. Ces concurrents ont peu d'incitation à adopter ces innovations avant
l'entrée de banques étrangères car le marché local est peu développé et la situation
oligopolistique du marché pousse peu à l'introduction des innovations. Une banque étrangère
peut alors surmonter les désavantages auxquels elle fait face et capter une clientèle locale sur
la base de produits plus performants et avec un coût moindre.
L'origine commune constitue un autre élément évoqué par Herrero Garcia et Navia Simon. La
proximité culturelle, réglementaire ou encore linguistique rend l'entrée sur un marché étranger
moins risquée et diminue certains coûts d'entrée. La décision de procéder à des IDE peut être
motivée par ces liens culturels qui existent entre le pays visé et le pays d'origine de la banque
multinationale. Ces liens permettent à la banque étrangère d'entrer sur le nouveau marché
avec une incertitude plus faible puisque la clientèle du nouveau marché a des caractéristiques
communes avec la clientèle nationale. La banque multinationale peut ainsi utiliser sa
connaissance de sa propre clientèle pour la réutiliser vis-à-vis de clients nouveaux. On se
place ici directement dans le cadre de l'internalisation. La firme maximise un avantage
informationnel, à savoir la connaissance de la culture des clients et leurs pratiques bancaires.
Les auteurs ont largement validé sur le terrain cet argument. Par exemple, les banques
espagnoles ont été les premières à investir en Amérique latine et elles sont aujourd'hui les plus
présentes dans cette région. Les auteurs soulignent que la proximité culturelle vient souvent
29
des liens avec les anciennes colonies. On peut cependant s'interroger sur la pertinence de ce
déterminant dans le cas des banques américaines comme Citigroup. Avec quelles zones
géographiques les banques américaines peuvent-elles trouver une proximité culturelle? La
présence important de communautés immigrées aux Etats-Unis donnent-elles aux banques
américaines une connaissance multiple sur les pratiques de ces communautés? Il semble
intéressant d'examiner comment ce facteur peut être validé dans le cas de Citigroup.
Le dernier déterminant présenté par Herrero Garcia et Navia Simon est constitué par le fait
pour des banques de suivre leurs clients à l'étranger. Cet argument est l'un des plus étudiés
dans le cas de l'internationalisation des banques. Pour ne pas perdre une opportunité à
l'étranger, mais également la connaissance du client sur le marché d'origine, plusieurs auteurs
ont fait l'hypothèse que les banques suivent l'internationalisation de leurs clients, s'engageant
ainsi dans une « réaction défensive ». La connaissance qui a été produite sur un certain client,
et qui est un intrant intermédiaire dans l'activité bancaire serait perdue si à l'étranger, une
autre banque entre dans une relation bancaire avec ce même client et développe sa propre
connaissance du client. Plus loin encore, cette nouvelle relation bancaire menace la relation
qu'a la banque initiale du client puisque la connaissance produite par sa concurrente peut
ensuite être réutilisée sur le marché d'origine, et plus largement au niveau global. La réalité
empirique a produit des résultats contrastés. Au niveau macroéconomique, on constate une
influence des IDE en général ou du commerce bilatéral sur les IDE du secteur financier.
Pourtant ce phénomène est surtout valable entre pays développés. Pour les pays en
développement un phénomène inverse semble se produire. La faiblesse des services financiers
apparaît comme un frein aux IDE et les IDE financiers, qui permettent un développement du
secteur financier local seraient donc un préalable à l'entrée de firmes d'autres secteurs. Enfin
au niveau des firmes bancaires elles-mêmes, certains auteurs ont montré que les financements
accordés par les banques multinationales à l'étranger n'allaient pas à leurs clients de leur pays
d'origine. Le déterminant « suivre le client » semble donc discutable. Par ailleurs il convient
de noter qu'il s'applique uniquement pour les activités de banque de financement. Une
hypothèse similaire peut cependant être émise pour la banque de détail. On peut s'interroger
sur le poids des expatriés dans la décision d'une banque d'investir dans un pays donné, par
exemple dans le cas de banques chinoises servant la diaspora. La présence d'une clientèle de
détail à l'étranger doit néanmoins être conséquente pour pousser une banque à entrer dans un
pays. Ce déterminant ne doit pas être négligé, nous tenterons d'en vérifier son application dans
le cas de Citigroup. Cependant devant l'ampleur de l'étude nécessaire pour comprendre les
relations bilatérales entre deux pays, l'analyse du facteur « suivre le client » restera limitée
pour se concentrer sur d'autres facteurs.
30
L'article de Herrero Garcia et Navia Simon apparaît comme un guide empirique intéressant
pour l'étude d'une stratégie bancaire internationale. Les différents déterminants envisagés
peuvent ensuite être rattachés aux théories de l'internationalisation pour nourrir le débat sur le
modèle le plus capable de comprendre les phénomènes en présence. Chercher à valider ces
déterminants dans la stratégie de Citigroup semble être un moyen efficace de contribuer à la
littérature sur le sujet de l'internationalisation des banques.
Section 2- la matrice d'analyse de Smith et Walter
Smith et Walter15 ont développé leur propre modèle pour comprendre les stratégies globales
des groupes bancaires. Bien que leur matrice d'analyse n'ait pas été largement diffusée et
utilisée pour penser l'internationalisation des banques, elle donne cependant un cadre
d'analyse alternatif et enrichit le débat théorique. De plus ce modèle semble particulièrement
adapté pour l'étude de Citigroup et nous permettra d'apporter un éclairage supplémentaire à la
stratégie de cette banque. La matrice de Smith et Walter est en effet directement ancrée dans
la réalité empirique.
Matrice C-A-P telle que représentée par Smith et Walter16
Cette matrice tridimensionnelle repose sur trois types de critères pour analyser une stratégie:
Client, Arena et Product (modèle dit « C-A-P »). Chacune de ses trois variables peut prendre
15 Smith R. C., Walter I., Global Banking, 2003 16 idem
31
différentes caractéristiques et ainsi en combinant les particularités de chacune, il est possible
d’identifier la stratégie particulière d'une banque. Chaque combinaison constitue ce que les
deux auteurs désignent par « cell », un segment de marché qui peut viser la firme bancaire.
Ces segments déterminent la structure compétitive du marché et sont fonction d'autres
variables environnementales comme les régulations en vigueur ou le fonctionnement
économique du marché. Smith et Walter arguent que la dérégulation et l'ouverture des
marchés au niveau global offrent des opportunités pour entrer sur un champ plus vaste de
segments de marché, de « cells ». La dimension « client » va plus loin que la simple
distinction entre banque de détail et banque de financement. Cinq catégories de client sont
identifiés par Smith Walter: les clients souverains (Etats et entités gouvernementales), les
entreprises non-financières, les entreprises financières concurrentes ou appartenant à des sous
groupes différents, les individus à très haut revenus (« high net worth individuals » ou HNWI)
et enfin les clients et foyers relevant de la banque de détail de masse. La dimension « arena »
est envisagée de manière moins stricte. Pour Smith et Walter, la distinction première est à
faire entre le marché national et l'extérieur. Mais ils conçoivent la zone géographique
pertinente pour définir un marché comme une zone homogène réglementairement, en termes
de politique concurrentielle ou encore d'autorité monétaire. Ainsi « l'arena » est de fait très
liée à un Etat mais d'autres niveaux peuvent être pertinents par exemple dans un Etat fédéral
ou encore dans l'Union Européenne. Enfin la dimension « product » est constituée des
diverses catégories de produits bancaires. La dérégulation et le développement technologique
ont permis de nombreuses innovations financières et Smith et Walter soulignent la grande
diversité de produits qui existent aujourd'hui. Cependant les activités de crédit et de prêt
restent le cœur de l'activité bancaire, avec l'apparition de formes plus sophistiquées comme
les financements structurés. Les deux auteurs évoquent également d'autres activités.
L'ingénierie financière s'articule autour de la structuration de produits complexes,
spécifiquement mis en œuvre pour les besoins du client, allant du simple conseil en
financement à la vente d'un ensemble de services et de produits à un même client pour couvrir
toutes ses demandes. A travers les activités de risk management, les banques portent un
certain nombre de risques (crédit, change, liquidité...) soit elles-mêmes, soit à travers des
engagements, souvent enregistrés en hors-bilan. La prise de risque fait également partie des
activités historiques des banques et a évolué sous des formes de plus en plus complexes. Le
dernier type de produits détaillé par Smith et Walter est lié à l'arbitrage et à la prise de
position sur des actifs pour tirer avantage de la situation sur les marchés.
Chaque segment est défini par une combinaison des valeurs possibles pour chaque dimension.
Smith et Walter analysent ensuite ces segments de façon classique, selon le « diamant » de
32
Porter. L'originalité de leur approche tient à leur analyse des liens (« linkages ») que peuvent
faire les firmes bancaires pour maximiser leurs avantages et leur profil de risque-rendement.
Ces liens doivent conduire à la création d'un réseau de segments qui permettent à la banque de
bénéficier d'économies d'échelle. Ainsi le fait pour une banque d'être en mesure de servir une
certaine classe de clients plus efficacement que ses concurrentes grâce à sa connaissance d'une
autre classe de clients constitue un lien centré sur le client que la firme peut exploiter. Des
liens similaires peuvent exister pour les deux autres dimensions, par exemple lorsqu'une
banque peut produire un nouveau service financier proche d'un service qu'elle offre déjà ou
lorsqu'elle peut offrir ses produits sur une zone géographique nouvelle du fait de sa présence
dans une autre zone. La compréhension des liens que fait un établissement bancaire entre les
différentes dimensions permet d'expliquer la stratégie internationale de cet établissement.
Smith et Walter précisent que la stratégie de la banque doit s'articuler sur ses compétences
principales, ce qu'elle sait faire de mieux, tout en tenant compte des économies d'échelle
potentielles, de la diversification possible et sa capacité à mettre en œuvre l'orientation
choisie. La démarche stratégique repose sur sept questions principales selon les deux auteurs:
la position stratégique de l'entreprise, quels segments de marché sont porteurs pour
elle
la structure des marchés visés et leur évolution future possible
les compétences qui font la force de l'entreprise
les économies d'échelle et l'efficacité que la firme peut tirer de ces nouveaux marchés
les synergies au niveau des revenus et la diversification que peut lui apporter son
entrée sur des marchés étrangers
la configuration institutionnelle qui donne la meilleure organisation à la firme pour
être efficiente
la capacité de la firme bancaire à mettre en œuvre tous les moyens envisagés pour
faire réussir sa stratégie
C'est en menant une réflexion sur ces sept aspects que la firme doit déterminer la conduite
stratégique à adopter, d'après Smith et Walter.
Bien que le niveau maximal d'économies d'échelle soit atteint pour une taille bien inférieure à
celle des grands groupes internationaux, Smith et Walter reconnaissent que le regroupement
d'activités financières diverses permet d'obtenir des économies d'envergure à travers le
« cross-selling », le fait pour un client d'acheter plusieurs produits financiers auprès d'une
seule et même institution financière. Les coûts fixes étaient élevés dans le secteur bancaire,
33
particulièrement le coût de production de l'information, la création de « one-stop shops »
semble être une opportunité de développement dans la perspective d'entrer sur des nouveaux
segments de marché. Cependant ces économies d'envergure doivent être contrebalancées par
la décote que peuvent subir les conglomérats financiers. Si la diversification permet un
abaissement du niveau de risque, les conglomérats financiers subissent néanmoins une décote
dans leur valorisation financière car les investisseurs préfèrent assembler par eux-mêmes un
portefeuille d'activités diversifiés par la détention d'actifs plutôt que d'investir dans des
conglomérats financiers qui finalement peuvent être vus comme un « fond d'investissement
sur une large catégorie d'actifs », selon la formule de Smith et Walter. Cet aspect semble
particulièrement intéressant dans le cadre de ce mémoire puisqu'il est question des mérites du
conglomérat financier. Or la stratégie de Citigroup, comme il sera développé plus tard, peut
s'apparenter à la formation d'un conglomérat financier.
Pour se positionner dans les différentes cellules de la matrice C-A-P, les firmes bancaires
peuvent s'appuyer sur diverses sources d'avantages compétitifs qui sont très proches de celles
développées par d'autres auteurs. Smith et Walter mettent en avant l'importance fondamentale
des avantages informationnels. En effet l'information est la seule ressource qui puisse
réutiliser pour la production de services différents en simultané. De plus dans un
environnement globalisé de plus en plus complexe, la production, le traitement et
l'exploitation de l'information constituent un avantage déterminant pour une banque. La
possession de spécialistes et la capacité à diffuser les connaissances de ces spécialistes sont un
challenge qui conditionne la réussite d'une banque. Cette maitrise de l'information est
également liée à la possession de ressources humaines efficaces. L'accélération des échanges
et le caractère continu du fonctionnement des marchés financiers contraignent les groupes
financiers à prendre des décisions rapides tout en évaluant les risques de ces décisions. La
qualité des ressources humaines est alors clé pour faire la différence dans l'environnement
compétitif. Cette remarque s'est révélée particulièrement vraie au cours de la crise financière
où les opérateurs de marché ont dû faire face à des situations extrêmes inédites. Goldman
Sachs a su tirer profit amplement de cette crise faisant aussi honneur à la réputation de grande
qualité de ses équipes. La détention de ressources humaines de qualité va de paire avec
l'implantation dans des centres décisionnels de la planète financière. On peut ainsi faire
l'hypothèse que par leur implantation à Wall Street, les banques américaines bénéficient
d'avantages informationnels et d'avantages de ressources humaines.
Un autre facteur clé lié aux avantages informationnels évoqué par Smith et Walter est la
capacité à innover et à incorporer des technologies innovantes dans l'activité bancaire. En
raison de la facilité à imiter les innovations bancaires, une firme bancaire souhaitant rester
34
compétitive doit avoir la capacité d'innover sans cesse. Cet élément est généralement évoqué
par tous les auteurs ayant réfléchi sur les stratégies bancaires. Smith et Walter lient cet aspect
à la qualité du management et des équipes de la firme car c'est le management qui a la
capacité d'impulser une culture d'innovation et la qualité des équipes fait émerger des
innovations efficaces pour le processus de production. La technologie incorporée dans
l'activité bancaire se décompose en deux éléments: la technologie qui sera directement fournie
aux clients, par exemple avec l'introduction de nouveaux moyens de paiement, et la
technologie qui permettra à la banque d'être plus efficace dans son processus de production
mais qui ne sera pas directement utilisée dans un service en particulier.
Smith et Walter détaillent un avantage peu étudié dans la littérature, celui de la réputation d'un
groupe. La confiance est au cœur de l'activité bancaire et elle a dicté de nombreuses
évolutions dans le secteur bancaire. Si au 19ème et au début du 20ème les banques
cherchaient à inspirer la confiance en bâtissant d'imposantes agences dans les centres-villes, la
réputation passe aujourd'hui par l'établissement de marques reconnues internationalement et
par les opérations réussies avec de grands comptes (à travers la publication de « tombstones »
plaquette résumant une opération majeure menée par l'institution bancaire). La force de sa
marque constitue un déterminant de la capacité de la banque à réussir une opération
internationale. Comme le soulignent Smith et Walter « des clients de première classe sont
servis par des instituions de première classe ».
L'intérêt majeur de l'apport de Smith et Walter pour notre étude est que les deux auteurs
consacrent de nombreux exemples au cas de Citigroup. Publié en 2003, leur ouvrage ne prend
pas en compte les dix ans de vie de de Citigroup. Cependant Smith et Walter abordent des
éléments intéressants concernant le groupe. L'étude des segments de la matrice au regard des
avantages compétitifs propres à la firme doit conduire à la prise d'une décision stratégique et
pour cela les deux chercheurs envisagent plusieurs possibilités comme la croissance interne,
la domination de marchés, la fusion stratégique ou encore la croissance par acquisition
continue, qui concerne Citi. L'objectif de cette stratégie est d'obtenir instantanément des
clients tout en réduisant les coûts. Sandy Weill, artisan de la création de l'ensemble Citigroup
est permis de créer la « première vraie banque universelle d'Amérique », selon les mots de
Smith et Walter. S'ils soulignent que Citi a réussi à convaincre le marché de sa capacité à
intégrer de nouveaux clients tout en agissant significativement sur les coûts, ils émettent des
réserves quant à la soutenabilité du modèle. Ils soulignent les problèmes de ressources
humaines et de management que représente cette stratégie. L'objectif est clairement d'acheter
de nouveaux clients, mais les équipes ne sont quant à elles pas un actif clé. Par ailleurs Smith
et Walter mettent en avant la difficulté à gouverner des groupes aussi grands que Citigroup
35
dans l'environnement bancaire qui demande beaucoup de réactivité et d'adaptation au
changement. En outre les deux chercheurs s'interrogent sur la réalité du « cross-selling ». De
fait aucune étude n'a validé leur existence.
En 2003, il n'était pas possible de vérifier ces hypothèses. Aujourd'hui, alors que Citigroup
subit une profonde réorganisation, il semble intéressant de revenir sur les dix années écoulées
et de reprendre certains éléments avancés par Smith et Walter pour apporter un nouvel
éclairage à leurs travaux. Contrairement aux auteurs évoqués précédemment, Smith et Walter
ne font pas référence aux modèles de l'internationalisation des firmes ou des banques en
particulier mais ils partent d'une étude empirique des stratégies bancaires pour construire leur
propre modèle. La matrice C-A-P semble adaptée pour comprendre les comportements
stratégiques des banques, mais n'offre pas un cadre général théorique pour
l'internationalisation des firmes. Cette matrice peut être employée au coté des autres
déterminants empiriques tels que décrient par Garcia Herrero et Navia Simon. Il est possible
de constater une certaine homogénéité dans les déterminants empiriques des IDE financiers.
Nous appliquerons tous ces éléments au cas de Citigroup en gardant à l'esprit la théorie qui les
sous-tend. Ainsi en partant de faits empiriques, il sera possible d'apporter une contribution
modeste au débat théorique.
36
Chapitre 3- la réactivation de la banque universelle dans le
contexte de la dérégulation financière du 21ème siècle
Depuis les années 80, le monde de la finance et de la banque a connu des évolutions
profondes, tant technologiques que réglementaires. Le « big bang » technologique, qui a
entrainé une dématérialisation totale des échanges sur les marchés boursiers et la fin des
échanges « à la corbeille » s'est accompagné de changements législatifs et réglementaires tout
aussi importants. Le paysage bancaire issu de la crise de 1929 et de l'après-guerre a été
modifié pour tenir compte des évolutions de la mondialisation et la compétition internationale
entre les places financières tout en améliorant la fluidité des échanges et en laissant la porte
ouverte à des innovations financières sans précédent.
La crise de 1929 avait entrainé dans tous les pays développés l'introduction de législation
interdisant le regroupement d'activités de banque de détail et de banque d'investissement dans
un même établissement avec l'emblématique Glass-Steagall Act17 de 1933 aux Etats-Unis. Le
modèle de banque universel était la norme au 19ème siècle et jusqu'à la crise de 1929 avant
d'être banni suite à cette crise. Les chercheurs en science économique ont débattu avec
vigueur sur les mérites de la séparation des activités de détail et de financement ou au
contraire de leur regroupement. Certains auteurs mettent en doute les bénéfices du
regroupement de deux types d'activités. Cela serait la cause d'une augmentation du risque
systémique pour des économies d'échelle nulles ou presque. Ce débat a ressurgi au cours de la
crise financière de 2007-2009 et l'on s'est interrogé sur l'opportunité de revenir au
cloisonnement des activités avec un ton très politique. Beaucoup questionnent en particulier
les conflits d'intérêts qui peuvent survenir lorsqu'une même institution participe au placement
de titres pour le compte de certains clients et propose des produits d'investissement pour
d'autres, notamment des clients de détail vis-à-vis desquels l'asymétrie d'information est forte.
En outre se pose le problème du financement d'activités risquées par les dépôts.
En effet à la fin des années 90, l'Union européenne a mis fin à la séparation des activités de
banque de financement et de banque de détail. Aux Etats-Unis, ce décloisonnement fut plus
long et n'aboutit qu'en 1999 avec la révocation du Glass-Steagall Act par le Graham-Leach-
Bliley Act18. À partir de cette date, les activités bancaires ne sont plus soumises à aucune
restriction concernant la combinaison de banque de dépôt et de banque d'investissement. Il
17 Banking Act of 1933 ou Glass-Steagall Act voté par le 73ème Congrès américain et promulgué le 16 juin 1933 par le Président Franklin D. Roosevelt 18 Financial Services Modernization Act of 1999 ou Gramm-Leach-Bliley Act voté par le 106ème Congrès américain et promulgué le 12 novembre 1999 par le Président Bill Clinton
37
semble très intéressant de noter que la fusion entre Citicorp et Travelers Group est intervenue
juste avant le vote de cette loi et que les maitres d'œuvre de cette fusion ont fortement poussé
à l'adoption du Graham-Leach-Bliley Act, ayant même eu l'opportunité de donner leur avis
sur le projet de loi. Dès l'origine, Citi a donc défini sa stratégie comme le retour à la banque
universelle, comme l'ont souligné Smith et Walter. Cette décision s'appuie sur la supposition
que réunir toutes les activités financières (bancaires et non-bancaires telle que l'assurance)
serait plus efficiente. L'hypothèse centrale de cette décision est que le « one-stop shop »
permet au client de réaliser des économies en n'ayant qu'un seul interlocuteur, qu'une seule
firme face à lui pour réaliser l'ensemble des transactions financières dont il a besoin.
L'expression « supermarché financier » exprime parfaitement cette idée que mettre au service
du client l'ensemble des services dont il pourrait avoir besoin de manière simple et avec un
coût moindre, à l'image de ce que les supermarchés ont apporté au commerce de détail en
remplaçant les petits commerçants grâce à un éventail de produits larges à un prix bien
inférieur. Il s'agit alors de réaliser des économies du coté de l'offre. Ces économies ont été
contestées empiriquement dans le cas des banques internationales. Ainsi Vander Vennent19
soutient que les économies d'échelle pures ne peuvent justifier la formation de conglomérats
financiers, car les économies d'échelle maximales sont atteintes lorsqu'une banque détient des
actifs pour un montant de 25 milliards de dollars, comme l'ont démontré Walter et Saunders20.
Ces conclusions sont cependant contestées et d'autres montants maximums ont été calculés
sur d'autres marchés, par exemple en Allemagne. L'avantage de coût de la banque universelle
reste donc à prouver. Berger, Hancock et Humphrey21 montrent quant à eux que les banques
de plus grandes tailles sont plus efficaces. Cependant leur analyse montre également qu'il
existe de larges différences entre des établissements de taille similaire et ils concluent donc
que la façon dont la banque est tenue compte plus que sa forme organisationnelle.
Du coté des avantages en terme de revenus, certains auteurs ont ainsi démontré que le client
pouvait donner une valeur supérieure à une offre combinée de services financiers plutôt que
de devoir être en relation avec plusieurs firmes en raison des coûts d'information et de
transaction. Par ailleurs la banque universelle, et au-delà le supermarché financier rassemblant
des activités financières plus diverses permettent une diversification des sources de revenus et
donc une réduction du risque comme le montrent Walter et Saunders (1994)22. Benston23 se
19 Vander Vennet R., « Cost and Profit Efficiency of Financial Conglomerates and Universal Banks in Europe », Journal of Money. Credit and Banking, vol 34, n1, Fevrier 2002, p 254-282 20 Saunders A., Walter I., Universal Banking in the United States: What could we gain? What could we lose?, New York, Oxford University Press, 1994 21 Berger, A. N., Hancock D., Humphrey D., « Bank Efficiency Derived from the Profit Function. », Journal of Banking and Finance, 17, 1993, p. 317-347 22 Saunders A., Walter I., Universal Banking in the United States: What could we gain? What could we lose?, New York, Oxford University Press, 1994
38
base sur des exemples datant d'avant le passage du Glass-Steagall Act pour soutenir que les
firmes bancaires impliquées dans les activités d'assurance n'ont pas connu de faillite plus
importante que les firmes non impliquées. Vander Vennet24 pour sa part démontre que les
conglomérats financiers obtiennent une efficacité supérieure aux banques spécialisées dans un
seul type d'activités. Elles arrivent à cette supériorité opérationnelle notamment grâce à leurs
activités non-bancaires. En effet certains auteurs ont montré que les activités financières non-
bancaires sont peu corrélées en termes de risque avec les activités bancaires. L'alliance
d'activités d'assurance avec des activités bancaires classiques comme le crédit n'augmenterait
pas le risque présent dans la banque tout en permettant une efficacité supérieure. Ainsi en
combinant les avantages informationnels qu'elles acquièrent au travers des diverses activités
financières qu'elles exercent, les banques universelles connaissent d'autant mieux leurs clients
et pourraient ainsi mieux les servir, tout en évaluant de façon plus sûre le risque que
renferment ces clients car leur connaissance de ces derniers est plus profonde. Pour faire
référence aux théories évoquées plus haut, les banques auraient tout intérêt à proposer des
activités financières annexes à leur cœur de métier car par ce moyen elles internalisent des
externalités de connaissance.
La stratégie du « one-stop shop » semble bien être un retour à la banque universel et au
conglomérat financier, avec une focalisation sur le service du client. Alors qu'à l'heure
actuelle, on envisage de rétablir des contrôles sur les possibilités de lier des activités de
banque de dépôt et de banque d'investissement, les dix ans d'existence de Citigroup
permettent d'évaluer les apports du modèle de banque universelle pour l'internationalisation
d'une banque. Citigroup a eu l'ambition d'être le fournisseur de services financiers le moins
cher de la planète. Quelle réussite a rencontré cette stratégie? Des éléments théoriques
macroéconomiques poussent à douter de la pertinence du modèle de banque universelle. En
effet la formation de groupes bancaires très larges pose la question de la concentration des
risques dans un nombre faible d'institutions. La notion de « too big to fail » a montré ses
limites au cours de l'année 2008 lorsque de très grands établissements financiers, dont
Citigroup, ont dû faire face à une situation très critique nécessitant l'intervention massive de
l'Etat fédéral. Bien que ce débat entre tenants de la banque universelle et ceux de la séparation
des activités soit essentiel pour envisager le futur du secteur bancaire à l'international, dans le
cadre de ce mémoire l'intérêt porte sur la pertinence de cette stratégie pour un groupe en
particulier. Si tous les avantages posés ci-dessus sont réels et maitrisés par Citigroup, leur
utilisation dans le cadre d'une organisation « one-stop shop » permet-elle un profil risque-
23 Benston, G. J., « Universal Banking », The Journal of Economic Perspectives, vol. 8 n3, 1994, p 121-14 24 Vander Vennet R., « Cost and Profit Efficiency of Financial Conglomerates and Universal Banks in Europe », Journal of Money. Credit and Banking, vol 34, n1, Fevrier 2002, p 254-282
39
rendement meilleur? Bénéficie-t-elle au client? À l'actionnaire? Par ailleurs, le supermarché
financier peut-il être une solution stratégique pour l'implantation sur des marchés étrangers?
Si le cas particulier de Citi ne permet pas de tirer une conclusion générale, son caractère
précurseur et son ampleur donnent des pistes de réflexion sur cette stratégie.
A travers cette première étape du développement, un ensemble de modèles théoriques divers a
été étudié pour ensuite développer des déterminants empiriques directement vérifiables. La
complexité de l'activité bancaire d'une part, et des phénomènes d'internationalisation des
firmes d'autre part rendent difficile l'élaboration d'un cadre théorique unifié. Pour cela, le
recours à plusieurs ensembles théoriques permet de saisir l'internationalisation sous plusieurs
points de vue. La perte de cohérence théorique semble pouvoir être compensée par une
appréhension plus large des phénomènes étudiés. Ainsi le recensement des déterminants
empiriques effectué par Herrero Garcia et Navia Simon permet d'intégrer les deux ensembles
théoriques, l'internalisation et le paradigme OLI. L'étude de Citigroup utilise ces déterminants
pour comprendre de façon extensive le cas de cette firme, et notamment au regard de la crise
financière.
En effet l'exemple de Citigroup apparaît être à l'intersection de plusieurs tendances touchant le
secteur bancaire au niveau global. Son rôle dans la dérégulation et son adoption du modèle de
banque universelle sont emblématiques des évolutions de ce secteur. En conséquence, le
corpus théorique sur lequel il est possible de s'appuyer est vaste. Cependant les éléments
évoqués semblent à même de pouvoir guider l'étude de ce mémoire.
40
Deuxième Partie- Le supermarché financier de Citigroup:
un spectre très large d'activités bancaires projeté
systématiquement sur de nombreux marchés étrangers
La possession d'un cadre théorique permet désormais d'aborder la stratégie de Citigroup en
détail. Dans la perspective d'apporter une modeste contribution à la littérature empirique sur le
thème de l'internationalisation des banques, il semble intéressant de s'appuyer sur les
déterminants étudiés par Herrero Garcia et Navia Simon et de vérifier leur validité dans le cas
de Citigroup. Cette étape de l'étude doit permettre de dresser un portrait de
l'internationalisation de Citi, depuis sa formation en 1998 jusqu'à l'éclatement de son modèle
au cours de la crise de 2008-2009. Au-delà d'une simple description, ce panorama donne
l'occasion de s'interroger sur les ressorts du développement de Citigroup. Quels atouts de la
banque ont permis ce développement international rapide et poussé qui a propulsé Citi du
statut de banque moyenne aux États-Unis à celui de géant financier international?
La fusion et ses motifs ont été un élément majeur dans la définition du cap stratégique de la
décennie suivante. L'ensemble du processus de fusion, de ses objectifs jusqu'au conglomérat
formé représente un événement unique dans le paysage bancaire en termes d'envergure
internationale. Cette fusion a non seulement consacré l'adoption du modèle de supermarché
financier mais également l'internationalisation poussée du groupe. Il est donc possible de
valider la pertinence de certains déterminants empiriques à travers l'étude de la fusion et du
conglomérat bancaire qu'elle a produit. Puis il semble intéressant d'étudier l'évolution de cet
ensemble en examinant comment le développement international a été mis en œuvre suite à la
fusion. Certaines caractéristiques de Citigroup lui ont permis de s'étendre à très grande échelle
sur le globe.
Chapitre 1- La fusion de Citicorp et de Travelers Group: la
construction d'une banque universelle internationale répondant à la
pression de la concurrence nationale
Section 1- Deux groupes à l’histoire bien différente
En 1998, Citicorp et Travelers Group n'étaient que deux groupes d'envergure – relativement –
moyenne à l'échelle des Etats-Unis avec une présence internationale limitée, bien que déjà
41
assez poussée dans le cas de Citicorp. La fusion de ces deux groupes a représenté un
événement inédit dans le secteur financier. Les deux ensembles apparaissaient éloignés dans
leurs activités, leur présence géographique et leur stratégie.
A. De City Bank of New York à Citicorp, l’évolution d’une banque
américaine de premier plan
Citicorp était essentiellement une banque de détail, avec une présence moyenne aux Etats-
Unis et un fort degré d'internationalisation pour une banque de détail américaine. Fondée au
début du 19ème siècle à New York sous le nom de « City Bank of New York », elle a connu
des fortunes diverses au gré des nombreuses crises bancaires qu'ont connu les Etats-Unis. Elle
est la première banque américaine à ouvrir une succursale à l’étranger en 1897 et dès le milieu
du 19ème siècle, alors que les premiers câbles transatlantiques sont posés, la City Bank of New
York adopte le sigle « CITIBANK » pour ses échanges par câble, nom qui est officialisé bien
plus tard en 1976.
Face au morcellement du marché bancaire et au très grand nombre d’acteurs sur le marché,
c'est principalement à travers des acquisitions que Citicorp s'est développée, tant au plan
national qu'au plan international. Aux Etats-Unis elle grossit par des rachats successifs de
concurrentes dans la région de New York. Pourtant à la veille de la fusion sa présence
américaine, bien que large, en faisait une banque moyenne, focalisée sur les clients de détail
et le crédit à la clientèle. Il est vrai que la taille du marché américain et le fédéralisme ont
plutôt poussé à la constitution de banques régionales, voire locales et ce n’est que à la fin du
20ème que des grandes banques nationales ont émergé. Au début des années 20, la banque
dépasse le milliard de dollars d’actifs, première banque des Etats-Unis à franchir ce cap. A la
fin des années 20, « Citibank » était déjà la plus grande banque américaine, voire la plus
grande banque au monde. C'est à cette période que Citibank amorce une spécialisation dans la
banque de détail. Au cours de cette décennie, Citibank s'intéresse à une source de fonds peu
utilisée à l'époque, l'épargne personnelle. Elle lance des comptes épargne puis plus tard des
prêts à la consommation. Pourtant elle ne délaisse pas les activités de banque d'affaires, et
tente de développer un modèle de banque universelle.
Après l'adoption du Glass-Steagall Act en 1933, elle fait définitivement le choix de se tourner
vers la banque de dépôt pour se séparer de ses activités de banque d’affaires, alors qu’elle
avait commencé à développer un modèle de banque universelle avec des services à la clientèle
de particuliers et des produits pour les entreprises et les institutions. Citibank souffre de cette
crise qui l’a mise en danger et qui la contraint à partir dans une nouvelle direction. Après la
deuxième Guerre mondiale, la banque tente de nouveau de s'insérer sur le marché du prêt aux
entreprises mais se retrouve confrontée à un manque de fonds pour financer ces
42
développements et les régulations bancaires de l’époque l’empêchent de se tourner vers
l’épargne provenant de l’extérieur de New York.
Face à cette contrainte, la banque de New York fait preuve d’innovation et introduit en 1961
un produit d’épargne qui a depuis connu un succès immense, le « Certificate of Deposit »,
appelé communément CD. Ce dépôt à terme a une maturité et un taux d’intérêt fixes, dans sa
version classique. Dans la plupart des cas, le client peut retirer son dépôt à tout moment mais
il perd alors le bénéfice d’un taux d’intérêt plus élevé. A nouveau Citibank tente de contourner
les régulations bancaires pour étendre son spectre d’activités. Elle constitue une holding
bancaire, à laquelle la banque Citibank est rattachée mais qui lui permet aussi de se
développer dans des activités financières alors interdites aux banques. Rapidement le congrès
américain réagit à cette pratique et empêche cette extension à des activités annexes. Toujours
dans un effort d’innovation, Citibank introduit de manière massive les cartes de crédit, avec
un contrôle des risques médiocres qui entraine de fortes pertes pour la banque.
En 1974, la holding adopte le nom « Citicorp » et le préfixe « Citi » commence à être décliné
sur l’ensemble des gammes de produits. Au cours des années 70 et 80, Citibank fait face à de
nombreux revers. Au plan national, sa division de banque de détail ne parvient plus à être
rentable. Le développement du premier réseau de distributeurs automatiques et l’adoption
d’une stratégie non plus basée sur les taux d’intérêt mais sur les frais facturés aux clients
devaient permettre à la banque de renouer avec les profits. Citibank profite également de
changements dans la régulation bancaire américaine pour se développer à l’extérieur de l’Etat
de New York dans l’ensemble des Etats-Unis. Enfin, les dirigeants de la firme décident d’axer
son développement sur l’assurance et l’information.
Le début des années 90 ne permet pas le redressement escompté et Citibank aggrave ses
difficultés à travers notamment des portefeuilles de crédits commerciaux ou hypothécaires de
mauvaise qualité. Citibank est également en perte sur les activités d’information (services de
cotation par exemple). John Reed, plus tard grand artisan de la fusion avec Travelers Group,
tente de redresser le groupe avec une politique choc alliant désinvestissement massif à
l’étranger et coupes dans les coûts, notamment les coûts des ressources humaines.
En parallèle de son développement national, Citibank poursuit dès le début du 20ème une
stratégie résolument tournée vers l’international. Elle se heurte alors à la législation
américaine qui jusqu’en 1913 empêche les banques bénéficiant d’une charte fédérale de
s’engager dans des activités internationales. Le Federal Reserve Act de 191325 autorise enfin
dans son article 25 l’expansion internationale des banques membres de la Réserve fédérale.
25 Federal Reserve Act of 1913 voté par le Congrès américain et promulgué par le Président Woodrow Wilson
43
Dès lors Citibank s’étend à l’international, de manière bien plus poussée que ses concurrentes.
Au début du 20ème, Citicorp procède à des acquisitions en Amérique latine, notamment à
Haïti et en Argentine, Etats où les entrepreneurs américains réalisent de nombreux
investissements en ce début de siècle.
L'ouverture internationale de Citigroup est donc ancienne. En 1918 Citicorp rachète
entièrement l'International Banking Corporation (IBC) ce qui lui donne accès à un réseau
international de succursales, de Londres à Singapour. Citibank obtient une présence
instantanée dans de nombreux pays: Inde, Chine, Japon... On constate déjà une volonté forte
des dirigeants de Citicorp d'axer le développement de la banque sur l'international. Il semble
donc que l'argument de l'internationalisation d'une banque comme facteur
d'internationalisation encore plus poussée soit valable dans le cas de Citigroup. L'expérience
internationale de Citibank remonte au début de son histoire et constitue une stratégie
délibérée.
Alors qu’elle n’est présente que dans l’Etat de New York, Citibank est déjà mondialement
connue et a des activités sur tous les continents. A la fin des années 70, l’essentiel de
l’expansion internationale de Citibank a été réalisé. La banque maintient une présence dans
tous les pays occidentaux. Cependant ses difficultés sur le plan américain remettent en cause
son développement international et elle se sépare d’activités en Europe (France, Italie) pour se
focaliser sur les marchés émergents. En 1991-1992, les profits issus de la banque de détail
dans les pays émergents dépassent ceux réalisées dans les pays du Nord (Japon, Europe et
Amérique du Nord). Dans la plupart des cas, Citibank procède d’abord par l’ouverture de
succursales dédiées aux clients « corporate », aux grandes entreprises. Puis elle étend ses
activités à la banque de détail, parfois en rachetant des concurrents locaux. Cette stratégie
devient d’autant plus importante après la fusion avec Travelers comme il sera évoqué plus
loin.
B. Un conglomérat financier : The Travelers Group
Travelers Group pour sa part était au moment de la fusion un ensemble financier plus
diversifié en termes d'activités. De manière beaucoup plus poussée que Citicorp, Travelers
Group a été bâti sur l'agrégation par rachat de sociétés financières, essentiellement à la fin des
années 80 et au début des années 90, ce qui correspond au début de la dérégulation financière.
En 1998, au moment de la fusion, le groupe Travelers rassemble en son sein plusieurs entités
acquises par fusion-acquisition. Fondée en 1864, The Travelers Life and Accident Insurrance
Company a eu une évolution relativement stable jusqu'aux années 80. Elle a introduit de
nombreuses innovations en matière d'assurance. Elle est notamment la première entreprise à
proposer des polices d'assurance pour automobile, dès 1897. Cette innovation sera la première
44
d'une longue série. Travelers Insurance se positionne très tôt dans une perspective
d'innovation constante.
Travelers Group devient réellement un ensemble diversifié lors de sa fusion avec Primerica.
Les deux entreprises distribuaient leurs produits d'assurance à travers un large réseau de
représentants et de distributeurs qui faisait leur force. Primerica est une firme plus diversifiée
que Travelers Company. Primerica offrait des produits d'assurance, mais également
d'investissement et d’assurance-vie à travers plusieurs fonds mutuels. A la fin des années 80,
Primerica rachète Smith Barney, une firme spécialisée dans le « brokerage », le courtage
d'actifs financiers. Primerica devient par cet achat une société de services financiers, sortant
du cadre unique de l'assurance. La fusion entre Primerica et Travelers a lieu en 1989 et la
nouvelle entreprise prend le nom de Travelers Group Inc. en 1995. L'ensemble est un groupe
financier diversifié. L'assurance représente encore une part importante de l'activité. Cependant
Travelers Group multiplie ses incursions dans la banque d'affaires et le management d'actifs.
En 1993 la firme rachète les activités de brokerage et d'asset management de Shearson
Lehman Brothers qui appartenait auparavant à American Express. Enfin Travelers Group se
dote d'une branche banque d'affaires avec l'achat en 1997 de Salomon Brothers, grande
banque d'investissement à Wall Street.
A la veille de la fusion, Travelers Group a essentiellement une présence aux Etats-Unis, bien
que la globalisation financière et les rachats successifs poussent naturellement la firme à
posséder des implantations dans les grands centres financiers. La base de la clientèle est
majoritairement constituée des clients de détail aux Etats-Unis et dans une moindre mesure au
Canada. La force de vente du groupe est alors son plus grand actif. Elle permet une diffusion
très large des produits financiers sans avoir la contrainte de maintenir un réseau d'agences
puisque les représentants sont indépendants et le groupe leur accorde une licence de
distribution de ses produits. Mais le groupe commence à avoir une forte présence sur les
marchés financiers, avec ses fonds d'investissement qu'il distribue à travers son réseau de
représentants. Au-delà de son marché de détail, Travelers Group obtient par ses rachats une
clientèle de grands comptes qui peuvent également souscrire ses produits d'investissement.
Sandy Weill, lui aussi grand artisan de la fusion entre Travelers Group et Citicorp a d'abord
activement participé à la formation de Travelers Group. En 1997, avant la « méga » fusion, il
est à la tête d'un groupe financier dont les limites sont difficilement visibles. Parti d'une
société d'assurance, Travelers Group est en fait devenu un fournisseur de produits
d'investissement. L'ensemble est renommé Travelers Group, mais il n'y a pas de fusion des
entités sous une marque unique. Les activités de courtage conservent le nom Smith Barney (le
nom Salomon Brothers disparaît progressivement). De même les activités de Primerica et
45
Travelers continuent d'opérer sous leur nom respectif.
Travelers group a eu une trajectoire de développement assez différente de celle de Citicorp.
Bien que la banque se soit étendue par des rachats, elle forme un ensemble plus homogène
que Travelers group. En termes de présence géographique, les deux groupes marquent
également leur opposition. Citicorp est très présente à l’international, même si les dernières
décennies ont permis un développement marqué aux Etats-Unis. Travelers group est très
largement présent aux Etats-Unis avec un réseau de distributeurs américains parmi les plus
larges au monde. Cependant sa présence à l’international dans les activités de détail est
limitée au Canada.
C. La « méga-fusion » donnant naissance à Citigroup
En 1998, Travelers Group et Citicorp décident de fusionner pour donner naissance à
Citigroup, alors présenté comme le plus grand groupe financier mondial. La fusion est
autorisée par le régulateur américain mais à la condition que le groupe se sépare de ses
activités d'assurance, la loi américaine interdisant à ce moment-là à une banque de détenir une
compagnie d'assurance et vice-versa. Une période de grâce de deux ans est donnée à
Citigroup pour vendre ses activités d’assurance. Pourtant les dirigeants des deux groupes
n’ont pas l’intention de se plier aux demandes de la Réserve Fédérale car cette possibilité de
combiner banque de détail, banque d’investissement et compagnie d’assurance est une
volonté délibérée qui sous-tend la fusion.
Celle-ci a été fortement impulsée par les dirigeants des deux groupes, Sandy Weill pour
Travelers et John Reed pour Citicorp. Sandy Weill a été le bâtisseur du conglomérat Travelers
Group et il joue un rôle très important dans l’alliance avec Citicorp et dans la stratégie
adoptée par la suite par Citigroup Inc. Parti d’une petite firme dont il était un des fondateurs,
il a œuvré pour la construction de Travelers en poussant à la diversification du groupe et en
menant sa politique de rachats. En 1998, plusieurs Etats européens ont déjà supprimé les
barrières à la constitution de groupes financiers réunissant des activités bancaires et
d’assurance. Sandy Weill y voit une opportunité d’étendre « son empire », bien qu’aux Etats-
Unis, le Glass-Steagall Act soit toujours en vigueur et empêche la fusion de ces deux types
d’activités. Dans un climat de dérégulation, les artisans de la fusion ont usé de toutes leurs
capacités de lobbying pour démanteler les dernières restrictions à la constitution de leur
ensemble. Ces efforts sont par la suite couronnés de succès puisque fin 1999 le Congrès
américain adopte une nouvelle législation qui supprime toute restriction à la conduite
d’activités financières par un même groupe, validant de fait la formation de l’ensemble
« Citigroup », tel que ses dirigeants le souhaitaient.
46
Si aujourd’hui tous les groupes bancaires se sont diversifiés et opèrent des domaines variés de
la finance, en 1998 ceci constitue une nouveauté. Les grands groupes bancaires rivaux de
Citigroup qui serviront d’éléments de comparaison pour cette étude, JPMorgan et Bank of
America ne sont au moment de la fusion Traveler-Citicorp pas les conglomérats financiers
d’aujourd’hui. Bank of America est alors une des plus grandes banques de détail, sans activité
d’assurance et avec des activités de banque d’affaires réduites. Par ailleurs Bank of America
est à cette époque très peu présente à l’international, remarque toujours valable aujourd’hui.
Le groupe JPMorgan Chase n’est pas encore réellement constitué, il ne le sera qu’en 2000. JP
Morgan & Co. est à cette époque une banque de détail avec une forte présence dans la banque
d’affaires. En 1933 avec le passage du Glass-Steagall Act, elle a été contrainte de se séparer
de sa banque d’investissement qui est devenue Morgan Stanley. Cependant avec les premières
mesures de dérégulation, JP Morgan opère un retour sur les activités de banque d’affaires et
remonte dès le début des années 90 dans le top 5 des banques d’investissement. La deuxième
entité constitutive du groupe JP Morgan Chase, la Chase Manhattan Bank est avant la fusion
de 2000 essentiellement une banque de détail. L’expansion internationale de JP Morgan & Co.
est forte de part la nature des activités de banque d’affaires. En banque de détail, Chase
Manhattan Bank et JP Morgan & Co. n’ont en 1998 pas de présence marquée à l’étranger.
La fusion de Citicorp et Travelers constitue en 1998 un développement important de la
finance très bien accueillie par les marchés et les acteurs de la finance. Au point de vue
opérationnel, Travelers Group débourse 70 milliards de dollars pour racheter la totalité des
actions de Citicorp, fusionne les deux sociétés et émet des actions Citigroup. L’ensemble vaut
140 milliards de dollars au moment de la fusion, avec des actifs au bilan d’une valeur proche
des 700 milliards de dollars. L’annonce de la fusion crée 30 milliards de dollars de
capitalisation boursière supplémentaire ce qui témoigne de l’engouement des investisseurs
pour cette fusion.
Cet enthousiasme est porté par les déclarations et les prévisions des dirigeants des deux
groupes alliés et particulièrement Sandy Weill qui est la principale force derrière cette fusion.
Après avoir participé à la montée en force de Travelers Group, il engage une nouvelle étape
forte dans le développement de son groupe. Lui comme les autres dirigeants des deux firmes
sont convaincus qu’elles pourront pleinement créer des synergies. En effet, les activités des
deux groupes se recoupent peu, tant en termes de secteurs et de produits qu’en termes de
présence géographique. Travelers pourra mettre à disposition de Citicorp son réseau de
distribution très large pour distribuer des produits d’investissement ou encore des crédits.
Pour Citicorp, c’est l’occasion d’intégrer l’expertise de Travelers en matière de produits
assurantiels dans ses agences, aux Etats-Unis et à l’international ainsi que les produits
47
d’investissement, tels que les assurances-vie. En outre, Citicorp peut s’étendre dans la banque
d’affaires avec l’apport du broker Smith Barney.
L’idée de « cross-selling » sous-tend cette opération. Grâce à une relation bancaire initiale, la
banque entend placer d’autres produits issus de filiales différentes. En rassemblant une
gamme très large de produits financiers, la banque est en mesure d’utiliser toute relation de
clientèle pour proposer d’autres produits. Dans cette approche, le conseiller clientèle gère la
relation avec son client et fait appel aux diverses filiales ou services spécialisés pour offrir à
ses clients des produits financiers autres que leurs besoins initiaux. Cette stratégie peut être
appliquée à tous les niveaux : en banque de détail où la standardisation des produits est très
forte comme en banque d’investissement et de financement où les besoins des clients sont
étudiés de manière beaucoup plus approfondie. Elle doit permettre de vendre plus de produits
à un même client en lui fournissant des solutions globales, du compte courant au produit
d’épargne retraite en passant par l’assurance auto et les prêts étudiants. Les synergies sont
donc doubles. D’une part des synergies de coûts peuvent être réalisées puisque un même
produit pourra être diffusé plus largement et donc bénéficier d’économies d’échelle. D’autre
part des synergies de revenus sont envisageables puisqu’en mettant en œuvre le cross-selling,
la banque espère augmenter le Produit Net Bancaire par client, c’est-à-dire le revenu par
client.
Cet historique des deux ensembles et de leur fusion permet d’appuyer plusieurs constats sur
les déterminants empiriques de l’internationalisation bancaire tels que développés par Garcia
Herrero et Navia Simon. La trajectoire des deux groupes, avant la mise en œuvre de la fusion
et l’adoption de la stratégie « one-stop shop », apporte des éléments pour analyser les ressorts
de l’internationalisation qui a suivi la fusion-acquisition.
Section 2- Les déterminants de l’internationalisation à la
fusion
En s’appuyant sur le schéma proposé par Garcia Herrero et Navia Simon, il est possible
d’examiner plusieurs avantages à partir des éléments évoqués ci-dessus. Les autres avantages
peuvent être étudiés par la suite, après l’analyse des dix ans de vie commune entre Citicorp et
Travelers au sein de Citigroup.
A. Une histoire et une culture internationales
Tout d’abord il est possible de remarquer aisément que l'internationalisation de la banque est
ancienne. Dès 1893, Citicorp acquière ses premières expériences avec l'étranger, puis elle
48
s'étend très rapidement à l'international jusqu'à pousser à des changements de la régulation
américaine pour poursuivre son expansion hors des Etats-Unis. Citigroup a déjà été
confrontée aux thématiques de l'internationalisation à plusieurs reprises dans son histoire et
elle a participé aux vagues d'internationalisation précédentes. Contrairement à nombre de ses
concurrentes aux Etats-Unis mais également en Europe, Citicorp ne s'est pas contentée
d'ouvrir des succursales dans les centres financiers mondiaux. En effet la banque qui ne dort
jamais comme le dit son slogan a ouvert des agences pour servir la clientèle locale et n'a pas
seulement servi une clientèle de grands groupes. Pour beaucoup de banques, être présent à
l'étranger est apparue comme une nécessité avec le développement des échanges
internationaux. Être présent dans les grandes places financières permet un accès aux marchés
de capitaux, de dette et de devises, comme l'ont souligné de nombreux auteurs. Citicorp est
allé au-delà de cette simple expansion pour accéder aux matières premières de l'activité
bancaire et est réellement entrée sur de nouveaux marchés, ceux de la banque de détail dans
des pays étrangers. A travers l'achat de l’International Banking Corporation, Citibank obtient
instantanément une large présence internationale. La crise de 1929, la régulation née du
Glass-Steagall Act et la deuxième guerre mondiale ont mis en sommeil le développement
international de la banque. A partir des années 50 mais surtout dans les années 70 et 80, elle
reprend son expansion dans des pays très variés qui ne sont pas nécessairement des grandes
puissances émergentes. En 1974, Citibank s'installe au Guatemala et Indonésie, en 1977 en
Finlande... Entre 1970 et 1980, une vingtaine de nouveaux pays entrent dans le périmètre de
la banque.
Incontestablement, Citicorp s'est inscrite dans une dynamique d'expansion internationale très
tôt dans son histoire. Cette expérience a un effet d'entrainement. La banque n'est pas en
situation d'incertitude forte, ses coûts pour mener une nouvelle internationalisation sont
moindres. Elle est présente sur tous les continents, elle fait face à la diversité culturelle de
façon poussée. On peut donc valider l'argument avancé par Garcia Herrero et Navia Simon
selon lequel l'internationalisation s'auto-entretient. En 1998, Citibank a une présence au moins
aussi importante à l'étranger qu'aux Etats-Unis. Cette expérience peut être appréhendée
comme un actif que Citicorp a apporté lors de la fusion avec Travelers. A contrario, Bank of
America et JP Morgan Chase se sont peu étendus à l'international, en dehors des grands
centres financiers tels que Londres ou Hong Kong. On peut donc en conclure que cet actif
possédé par Citicorp antérieurement à la fusion a été un déterminant de l'évolution de
l'ensemble Citigroup après la fusion. Citigroup a ainsi bénéficié dès sa création d'un avantage
sur ses concurrentes américaines ou aux autres banques internationales visant les mêmes pays
que Citi. Par rapport aux banques locales, l'expérience internationale n'est pas un avantage
49
comparatif puisque les banques locales connaissent leur marché national. L'expérience
internationale permet à la banque d'être avantagé par rapport aux autres banques étrangères et
de surmonter ses désavantages par rapport aux banques locales.
Ce constat d'une internationalisation ancienne de Citicorp permet d'examiner un autre
déterminant envisagé par Garcia Herrero et Navia Simon, celui de la proximité culturelle
comme déterminant de l'internationalisation. Les deux auteurs s'appuient sur un corpus de
recherche qui a démontré la validité de ce critère. Pourtant dans le cas de Citicorp, ce
déterminant apparaît peu pertinent.
La proximité culturelle peut être un facteur poussant à l'internationalisation car les pratiques
bancaires sont très liées à la culture de la zone en question. On constate ainsi que les
populations n'ont pas toutes le même rapport à l'argent, à la banque, au crédit... Cette situation
est apparue très évidente ces dernières années avec des pays anglo-saxons où l'on recourt
massivement au crédit en contraste avec des pays asiatiques à très forte épargne, par exemple
au Japon. En s'implantant dans un pays proche culturellement, la banque réduit l'incertitude
liée à l'entrée sur un marché inconnu. Ainsi elle se rapproche du niveau de connaissance des
banques locales de leur marché. Pourtant dans le cas de Citigroup, la proximité culturelle
comme facteur d'internationalisation semble difficilement prouvable.
En effet les premières incursions de Citibank à l'étranger ont été réalisées en Amérique latine,
puis avec le rachat de l'International Banking Corporation Citibank s'est implantée sur tous les
continents simultanément. L'expansion au Canada, pays le plus proche culturellement et bien
sûr géographiquement n'a lieu qu'en 1925, bien après que Citibank ait obtenu une présence
large dans toute l'Amérique latine. L'Irlande, pays qui peut être considéré comme proche
culturellement des Etats-Unis et particulièrement à New York, région d'origine de Citibank ne
voit cette dernière s'installer sur son territoire qu'en 1965. L'expansion au Royaume-Uni a lieu
dès 1902 à travers l'International Banking Corporation. Cependant en raison de l'importance
de la City dans la finance mondiale et ce dès la fin du 19ème siècle, on peut douter que la
proximité culturelle joue un rôle majeur dans la décision de s'implanter à Londres. Une
présence à la City semble être une sorte d'impératif pour toute banque qui entend développer
des activités internationales ou accéder à un marché de capitaux et de dette parmi les plus
importants au monde.
Il semble intéressant de noter que l'expansion de Citibank n'a pas suivi une logique
géographique ou culturelle. Citibank ne semble pas avoir visé une certaine aire géographique
mais plutôt avoir suivi un développement tous azimuts. Si le facteur « proximité culturelle » a
été validé dans le cas d'autres banques, il semble impossible d'en dire autant du cas de
Citigroup. Après la fusion, la poursuite du développement international n'a pas plus suivi de
50
logique culturelle. En 1998, Citigroup était déjà si internationale qu'il est difficile de la
rattacher à une culture particulière. La culture américaine est bien entendue prédominante,
mais la présence internationale ancienne a doté Citigroup d'une connaissance, voire d'une
imprégnation des nombreuses cultures et façons d'appréhender la relation bancaire.
En effet la proximité culturelle comme facteur d'internationalisation n'est valable que dans la
toute première étape d'internationalisation. Une fois que la banque a procédé à une période
expansion internationale, l'importance de la distance comme déterminant culturelle se réduit.
S'il est plus facile en termes de proximité culturelle pour une banque japonaise de s'implanter
en Corée que pour une banque américaine, une fois que les deux banques se sont installées
dans le pays, la proximité culturelle ne joue plus puisque désormais les deux banques sont
dans le pays et ont une connaissance de la culture locale.
B. L’internationalisation comme réponse à une pression concurrentielle
La deuxième série de déterminants qu'il est possible d'étudier suite à l'historique des deux
entités avant la fusion a trait à la situation du marché américain au moment de la fusion.
La fin des années 80 a été marquée par une forte dérégulation et de nombreuses innovations
financières. En 1998, l'Europe a déjà supprimé toutes les barrières à la constitution de banques
universelles. Aux Etats-Unis le mouvement est en marche et certaines régulations ont déjà été
abolies. Le secteur financier est donc dans une période de consolidation, comme on peut le
voir dans le cas de Travelers Group qui est devenu un conglomérat financier dans la première
moitié des années 90. Cette dérégulation va également de pair avec une nouvelle phase de
globalisation de la finance. Enfin le secteur financier a connu plusieurs crises qui ont conduit
à la faillite de nombreuses institutions, particulièrement aux Etats-Unis avec la crise des
« savings and loans ». Alors que le marché bancaire américain est resté longtemps très
morcelé avec des banques limitées à un Etat voire à quelques villes, des grands groupes
opérant de l'Atlantique au Pacifique émergent. Citicorp est alors une des plus importantes de
ces banques mais elle fait face à de multiples difficultés.
A l'international, le Mexique est touché en 1994 par une crise économique puis c'est au tour
de l'Asie de connaître une grave crise qui touche fortement le secteur financier. Tous ces
éléments ont certainement affecté la situation du marché bancaire aux Etats-Unis. Citicorp est
en difficulté dans la décennie 90 et essuie plusieurs trimestres de perte. Par ailleurs sa
présence relativement limitée à l’échelle des Etats-Unis au regard de l’immensité du marché
est une menace pour la banque. Travelers Group quant à lui affiche une bonne réussite comme
en témoigne sa boulimie d'acquisition. Cependant les activités de l'assureur restent centrées
sur les Etats-Unis.
51
On trouve derrière cette fusion d’une part la volonté d’obtenir une taille critique sur les divers
marchés où le groupe opère et d’autre part la volonté de précéder la concurrence dans le
mouvement de concentration. La levée progressive des restrictions a représenté une menace
pour les deux groupes et particulièrement Citibank qui rencontrait des difficultés. En 1995 est
adoptée une loi qui permet aux banques d’acquérir des concurrentes banque de détail dans
d’autres états américains. Compte tenu de cet environnement, la consolidation du secteur
semble alors inéluctable. C’est donc un doublement mouvement qui pousse à la fusion : la
préemption de la concurrence qui peut représenter une menace, et la recherche de l’obtention
d’un avantage de « first-mover » qui est alors une opportunité.
Face à la menace de la concurrence, la solution de l'alliance entre les deux groupes devait
permettre à l'ensemble de dépasser les problèmes évoqués précédemment en termes de
diversification géographique et d'activités. A travers la recherche de synergies, la notion
d'économie d'échelle semble partiellement induite. La distribution de produits financiers à une
plus large échelle en combinant les deux réseaux doit conduire à des économies sur les coûts
de production de ces produits. Citicorp et Travelers ont également cherché à peser au plan
national, avant que d’autres concurrents ne fassent de même. Pourtant, de nombreux auteurs26
ont démontré que la taille critique pour les activités de banque de détail est dépassée à un
niveau bien inférieur à celui de l’ensemble Citigroup. Bien qu’il n’existe pas de consensus sur
le montant de la taille critique, les analyses des auteurs la situent entre quelques centaines de
millions de dollars d’actifs au bilan jusqu’à quelques milliards. Or en 1998, les actifs de
Citigroup approchent les 700 milliards de dollars, et dépasseront par la suite le millier de
milliards de dollars. Si les acteurs du dossier ont utilisé ces possibles économies d’échelle
comme un des facteurs conduisant à la fusion, la taille critique ne semble pas être un facteur
justifiant la fusion, et donc par la suite l’expansion internationale du groupe. Des centaines de
banques régionales aux Etats-Unis ont continué à être profitables et le sont toujours
aujourd’hui. La taille de Citigroup n’était donc pas une contrainte déterminante pour sa
survie.
En adoptant le point de vue du pays d’accueil, la taille critique ne semble pas non plus
pertinente. En effet, Travelers Group était peu présent à l’international. L’alliance des deux
groupes n’a donc pas permis à l’ensemble d’obtenir une taille critique sur des marchés
étrangers en particulier. Par ailleurs Casson27 a démontré qu'en banque de détail, les
économies d'échelle sont difficilement transférables au niveau local. Les coûts fixes et les
26 Berger A. N., Hanweck G. A., Humphrey, D. B. « Competitive viability in banking: scale, scope, and product mix economies, » Research Papers in Banking and Financial Economics, 1986, 82 27Casson M., « Evolution of multinational banks: a theoritical perspective » in Jones G. dir, Banks as Multinationals, Londres, Routledge Publishing, 1990, p. 14-29
52
coûts d'entrée sur un marché sont élevés dans la banque de détail, la taille du groupe au niveau
mondial ne permet de les réduire qu'à la marge et c'est sûrement l'expérience internationale du
groupe qui est importante pour réduire ces coûts, plus que la taille du groupe. En banque
d'affaires, la possession d'une taille critique peut être un facteur d'internationalisation plus
pertinent. En effet, sur ce marché les clients diffèrent moins d'un pays à l'autre. Les grands
groupes font face à des problématiques semblables de financement quel que soit leur pays
d'implantation. Les économies d'échelle sont alors plus facilement transférables aux marchés
étrangers pour permettre à la banque étrangère d'opérer avec des coûts moindres par rapport
aux clients locaux. Les marchés étrangers peuvent en outre être un moyen d'atteindre la taille
critique puisque les activités de banque d'affaires sont des marchés plus étroits en dehors des
grands centres financiers.
Dans le cas de Citigroup, deux constats peuvent être faits. Bien que Citigroup possède une
banque d'investissement, son activité est historiquement plutôt centrée sur la banque de détail,
aux Etats-Unis comme à l'international. Ensuite en étant présente aux Etats-Unis en banque
d'affaires, elle est sur un marché suffisamment large pour obtenir une taille critique sur on
marché national. L'argument de la taille critique comme facteur d'internationalisation semble
donc modérément pertinent dans le cas de Citigroup. D'une part Citigroup a atteint une taille
critique bien avant la fusion et la phase d'expansion internationale qui a suivi. D'autre part, la
possibilité d'utiliser cette taille pour opérer à moindre coût à l'international semble limitée en
raison de la nature des activités bancaires en général et de celles de Citigroup en particulier.
L'obtention d'une taille critique comme moteur de la fusion ou de l'internationalisation ne
semble pas être un facteur économiquement valable. La combinaison de Citicorp et Travelers
a pu permettre une efficacité supérieure de l'ensemble, mais cette efficacité ne se situe pas au
niveau de la taille critique, plutôt de la combinaison d'activités complémentaires ou de
synergies liées à la fusion. Il s'agit alors plutôt de bénéfices relevant de l'économie des
fusions-acquisitions. Dans une perspective d'internationalisation du groupe, la taille critique
n'apparait pas comme un facteur déterminant.
L'idée d'une taille critique pour l'internationalisation peut cependant être appréhendée sous un
autre angle, à la lumière des événements de la crise financière mais aussi de la suppression du
Glass-Steagall Act. Si le groupe disposait dès la fusion d'une taille suffisante pour être
efficient économiquement, d'autres éléments ont pu rentrer en ligne.
Ainsi la fusion est intervenue avant la suppression des barrières réglementaires, comme il a
déjà été évoqué. Citigroup n'a pourtant jamais envisagé de se délester des activités que le
régulateur bancaire américain lui demandait de vendre. Les dirigeants ont ardemment
combattu pour l'adoption de nouvelles régulations et la taille du nouveau Citigroup peut être
53
vue comme un moyen de pression sur les décideurs politiques. Il ne s'agit alors pas de se
protéger d'une potentielle concurrente mais de porter le premier coup pour bénéficier d'un
avantage, en l'occurrence l'avantage d'être le premier à développer un modèle de banque
universelle. On peut s'interroger sur l'influence de cette fusion sur le processus d'adoption de
nouvelles lois en matière bancaire. Dans le cas américain, le poids du groupe dans la sphère
financière a pesé dans les négociations sur la dérégulation. Citigroup a déployé de grands
moyens de lobbying pour s'assurer de la défense de ses intérêts au Congrès américain. S'il est
plus difficile de le mesurer, on peut imaginer que Citigroup a déployé des moyens semblables
dans les différents pays où elle s'est implantée, notamment les pays en développement où la
réglementaire financière peut être très contraignante, en Chine ou en Inde par exemple. S'il est
difficile de mesurer cet élément, on peut néanmoins émettre l'hypothèse que la taille qu'a
acquise la banque Citigroup au niveau global lui donne du poids sur des marchés étrangers,
même si sa présence au niveau local dans le pays est limitée.
Enfin un dernier élément qui peut être évoqué concernant la taille de Citigroup est apparu au
cours de la crise avec la notion de « too big to fail ». La taille nécessaire à des économies
d'échelle maximales a certes été dépassée depuis longtemps par Citi et des banques de taille
bien inférieure ont été tout aussi rentables que le géant. Mais au cours de la crise de 2007-
2009, des centaines de petites banques ont fait faillite alors que les grandes banques ont été
massivement renflouées par le gouvernement américain et la Réserve fédérale. Cette notion
de « too big to fail » n'était pas apparente jusqu'aux difficultés des dernières années.
Cependant il est possible aujourd'hui d'analyser la croissance internationale de Citigroup à
l'aide de cette notion. A l'issue de la fusion, Citigroup a été désignée comme une « méga-
banque », la plus grande banque mondiale. Clairement cette taille lui a permis au cours de la
crise d'avoir une assurance tacite de la part du gouvernement américain qui ne pouvait laisser
un ensemble si vaste faire faillite. On se trouve donc en présence d'un aléa moral. Avec
comme garantie d'obtenir un soutien du gouvernement en cas de graves difficultés, Citigroup
a pu prendre plus de risques qu'elle n'en aurait dû, sans faire face au risque de faillite. Dans
une stratégie internationale, cela peut avoir deux conséquences.
La banque peut s'étendre à l'international plus facilement que ses compatriotes qui n'ont pas
cette garantie implicite du gouvernement car elles n'ont pas une taille susceptible de mettre en
danger le système financier et l'économie. Citigroup pourrait supporter le risque représenté
par l'internationalisation et ce d'autant plus qu'en cas de graves difficultés, le gouvernement
devrait lui assurer son salut, comme cela a été le cas depuis 2007. Le rôle de l’aléa moral dans
la prise de risque de la dernière décennie n'a été évoqué que récemment et le « too big to fail »
n'a pas été envisagé comme un problème économique avant les difficultés des dernières
54
années. Pourtant on peut supposer que la taille du groupe et sa place centrale dans le système
financier américain ont pu pousser les dirigeants de Citigroup à s'engager à l'international plus
facilement, sachant qu'en cas de difficulté le gouvernement des Etats-Unis ne laisserait pas le
groupe s'effondrer. La taille du groupe lui a donné une position qui elle-même a permis à la
banque de s'engager de façon plus poussée à l'international. Si ce n'est pas un déterminant en
soi de l'internationalisation, la taille du groupe facilite l'internationalisation en dotant le
groupe d'avantages dont les concurrents ne disposent pas. La deuxième conséquence de cet
aléa moral est que Citigroup pourrait théoriquement prendre des risques supérieurs dans ses
opérations à l'étranger par rapport aux banques locales et ainsi offrir des produits plus
compétitifs. Ces éléments seront étudiés plus en détail ultérieurement.
La fusion a permis à Citigroup de disposer d'un statut de « first mover » qui lui donne des
avantages au plan national ainsi que pour son expansion internationale future. Ce statut de
« first mover » n'est pas lié à un changement de technologie qui bouleverse l'équilibre d'un
marché dans le cas classique. La dérégulation a lentement changé la configuration du marché
bancaire aux Etats-Unis, et de manière identique sur les marchés étrangers suivant cette vague
de dérégulation. Désormais une même entreprise peut apporter à un client l'ensemble des
produits financiers dont il a besoin. La relation bancaire peut être utilisée de façon plus large.
Avec la suppression des barrières à la pratique de différentes activités financières par une
même entreprise, il est donc possible pour cette entreprise d’utiliser au maximum la
connaissance qu’elle a de ses clients pour lui fournir des produits autres que le produit fourni
en première instance. Ces nouvelles possibilités d'utiliser la connaissance peuvent être
appréhendées comme un nouvel actif disponible pour la production de services financiers.
Le fait pour Citigoup de former un groupe diversifié peut apparaître comme un mouvement de
préemption de la concurrence pour saisir cet actif qui pourrait lui échapper avec la
suppression des barrières. En reprenant les apports du modèle C-A-P de Smith et Walter, il est
possible d'analyser ce développement comme une stratégie qui se fonde sur la clientèle
comme base d'extension à de nouvelles cellules, de nouveaux marchés. En servant un même
client, Citigroup se développe sur de nouveaux marchés car elle fournit de nouveaux produits,
en combinant les apports de Citicorp et de Travelers. Puis cette compétence acquise en termes
de produits et de clientèle est utilisée dans de nouvelles « arenas », de nouvelles régions
géographiques.
Enfin, en effectuant le passage à la banque universelle avant ses concurrentes, elle met en
place certains coûts de changement de fournisseur de services financiers pour ses clients. Si
l'on est client d'une même institution pour l'ensemble de ses besoins en services financiers, il
55
devient beaucoup plus difficile de changer d'institution financière car les coûts sont alors
élevés. Ce dernier argument repose sur l'hypothèse que les clients verront des bénéfices à
effectuer toutes les activités financières au sein d'un supermarché financier. C'est l'hypothèse
retenue par les artisans de la fusion et c'est celle que l'ensemble des acteurs en 1998
semblaient privilégier étant donné l'euphorie qui a entouré la fusion. Cette hypothèse semble
difficilement vérifiable empiriquement et c'est ce qui a causé les difficultés du modèle du
supermarché financier, comme il sera détaillé plus loin.
Pourtant le facteur stratégique a joué un rôle dans la stratégie de Citigroup. Face à une
nouvelle configuration du marché, ou plutôt à l'anticipation de cette nouvelle situation la
banque a tenté de devancer ses concurrentes et effectué un mouvement stratégique pour
s'introduire sur de nouveaux segments, au plan national, puis par la suite à l'international dans
un mouvement très similaire. En 1998, année de la fusion, Bank of America a été créée par
l’alliance de Nationsbank et BancAmerica. En 2000, c’est JP Morgan qui s’allie avec Chase
Manhattan. La fusion s’inscrit donc un contexte de consolidation du secteur. A la différence
de ses concurrentes, Citicorp ne se marie pas avec une autre banque mais avec un assureur ce
qui témoigne également du pari caractéristique des « first movers » que fait le groupe.
On peut noter ici la difficulté qui existe pour discerner entre les différents déterminants
avancés par Garcia Herrero et Navia Simon. La réponse stratégique à la pression sur le
marché a été d'adopter un nouveau modèle organisationnel. Mais l'adoption d'un nouveau
modèle organisationnel est également susceptible d'ouvrir des opportunités de mouvement
stratégique en modifiant la donne entre les acteurs. L’adoption du modèle one-stop shop
semble avoir été un moyen de préempter la concurrence nationale pour s’en démarquer et
profiter d’une rente de first-mover.
Le mouvement stratégique entrepris par Citi a donné lieu à un tour d’ajustement des banques
aux Etats-Unis. A l’international, Citi a aussi cherché à préempter ses concurrentes de façon
identique. On peut considérer que le facteur stratégique a joué un rôle important dans le
développement de Citigroup, et notamment dans la fusion entre Citicorp et Travelers Group.
Il a été possible d’étudier les conditions et les ressorts de la fusion et ainsi d’analyser la
pertinence de certains des déterminants de l’internationalisation de Citigroup. Le facteur
d’une internationalisation antérieure à la phase d’internationalisation étudiée ici est assez
visiblement pertinent dans le cas présent tandis que le facteur culturel est plus difficile à
valider. Le facteur de la taille critique a été abondamment étudié par la plupart des auteurs
sous le point de vue des économies d’échelle. Dans le cas de Citi, la taille critique n’est pas
56
une raison de l’expansion internationale étant donné que le groupe était déjà la banque la plus
grande monde. La poursuite de l’implantation à l’étranger ne pouvait avoir pour but d’obtenir
une taille permettant une efficacité économique supérieure. Néanmoins la taille de l’ensemble
a une pertinence dans l’analyse de la stratégie de Citi puisqu’elle la dote d’avantages tels que
la capacité à peser sur le pouvoir politique ou encore de bénéficier d’un effet de hasard moral
avec la constitution d’un géant « too big to fail », trop important dans le financement de
l’économie pour faire faillite. Enfin la réaction stratégique semble également un élément
ayant contribué à la fusion Citicorp-Travelers Group puis à l’expansion internationale. Sous la
contrainte d’un marché concurrentiel en évolution, le groupe a mis en œuvre une stratégie lui
permettant de se démarquer et de retrouver un chemin de croissance.
L’analyse de la fusion permet de comprendre un certain nombre d’éléments de la stratégie
internationale de Citigroup. Les autres déterminants évoqués par Garcia Herrero et Navia
Simon peuvent être analysés à travers l’étude du fonctionnement de Citi pendant la décennie
qui a suivi la formation du groupe.
57
Chapitre 2- Dix années d'expansion internationale de
Citigroup: de puissants avantages vecteurs d'une stratégie
d'internationalisation à très grande échelle
Les dix années qui ont suivi la fusion et qui se sont conclues par la crise financière ont été
l'occasion d'une phase d'expansion internationale sans précédent. Dès le milieu des années 90
commence la troisième vague d'internationalisation des banques, comme l'expriment Garcia
Herrero et Navia Simon. Alors que le premier chapitre de cette partie s'est essentiellement
focalisé sur la situation de Citigroup sur son marché national et la situation concurrentielle
aux Etats-Unis, ce second chapitre portera de façon plus marquée sur l'attrait que présentent
les marchés étrangers pour le développement de Citi.
Section 1- Le développement international de Citigroup
pendant ses dix premières années d’existence
Au lendemain de la fusion, Citigroup est présent sur tous les continents, dans un très grand
nombre de pays et sur toute la palette de produits financiers. L'expansion internationale n'a
pas tant concerné l'entrée dans de nouveaux pays, mais plutôt l'entrée sur des segments où elle
était absente auparavant.
Comme évoqué précédemment, Citigroup est un conglomérat financier. Son activité est
répartie en plusieurs divisions dont il semble intéressant de dresser un panorama pour
comprendre la réalité du supermarché financier. Si ce panorama apparaît aujourd'hui
semblable à celui de presque n'importe quelle banque en France, dix ans auparavant il
constituait une nouveauté. Par ailleurs le paysage bancaire américain diffère de ce qui existe
en Europe, et notamment en France. Les grandes banques d'affaires cohabitent avec des
grandes banques de réseau ainsi que de banques locales très petites, situation que l'on ne
retrouve pas en France où le marché est dominé aujourd'hui par des banques universelles
nationales. Par ailleurs les banques mutualistes ont une grande importance en France, elles
sont inexistantes aux Etats-Unis pour ce qui est des grands groupes.
La banque de détail de Citigroup, dénommée 'Global Consumer Group' est héritée des
positions de Citicorp. Elle distribue comme toute banque de détail des prêts à la
consommation, des prêts immobiliers, des cartes de crédit ou credit revolving. Particularité du
marché américain, Citigroup a créé un pôle spécifique désigné « Consumer Finance » qui
propose des produits pour les clientèles dites « subprime », c'est-à-dire avec une situation
58
financière délicate. Aux Etats-Unis, ces produits sont distribués à la fois dans le réseau
classique sous la marque « Citibank » et dan un réseau d’agences dédiées, « Citi Financial ».
Avec l'aide des activités de Travelers, les agences de Citigroup distribuent des produits
d'assurance de toute sorte, allant de l'assurance à proprement parler jusqu'à l'assurance vie et
les fonds d'investissement. En application du supermarché financier, tous les produits
financiers sont disponibles pour la clientèle de détail dans les agences. La clientèle cible de
cette branche est naturellement les particuliers ainsi que les petites et moyennes entreprises.
La division des cartes de crédit est aussi un élément fort du groupe. Les cartes et les
instruments de crédit liés sont non seulement distribués dans le réseau d'agences, mais
Citigroup gère également la distribution de cartes de crédit pour le compte d'autres
entreprises, par exemple des chaines de supermarché ou des compagnies aériennes. Cette
activité est dénommée « CitiCard ». Le pôle de banque de détail est également subdivisé en
grandes régions ou continents pour gérer les activités internationales.
Citigroup possède également une banque privée pour les clients à hauts revenus qui entre dans
le pôle « Global Wealth Management ». Sa filiale Salomon Smith Barney joue le rôle
d'intermédiaire financier pour proposer des solutions d'investissement à la clientèle, de détail
jusqu'à la clientèle de grandes entreprises et investisseurs institutionnels mais avec un
positionnement axé sur les grandes fortunes et les clients institutionnels. Ce pôle a constitué
un des points forts de Citigroup durant les dix années qui ont suivi la fusion.
Enfin le troisième pôle regroupe l'ensemble des activités de banque d'affaires de Citigroup. Il
s'agit des solutions de financement et d'investissement, sur les marchés ou par des
financements bancaires. Citi est également un poids lourd au niveau mondial dans la
recherche et l'analyse des sociétés et produits d'investissement. Les succursales du pôle
« Institutional Clients Group » offre toute la palette de produits dont ont besoin les grandes
entreprises, au quotidien pour gérer leur activité comme de façon plus ponctuelle pour se
financer et mettre en œuvre des projets de développement.
Suite à la crise, Citi a été remaniée pour opérer un changement stratégique. La présentation ici
donnée reprend l'organisation telle qu'elle était avant ce revirement car cette organisation a été
celle qui a accompagné le développement international pendant ces dix années. Depuis début
2009, le groupe est organisé en deux pôles, Citicorp et Citi Holdings. Ce dernier pôle a
vocation à être totalement liquidé. Il renferme les activités trop risquées qui ont mis le groupe
au bord de la faillite ainsi que des activités que le groupe n'estime plus stratégiques ou sur
lesquelles la stratégie n'est plus axée. Les activités de gestion de fortune, bien que très
rentables ont par exemple vocation à être cédées et le processus est déjà engagé au moment de
la rédaction de ce mémoire. Cet aspect sera évoqué dans le prochain chapitre.
59
Au moment de la fusion, Citigroup est déjà présent dans la très grande majorité des pays où sa
stratégie internationale prendra effet dans les dix années suivantes. Comme évoqué
précédemment, Citi était déjà très internationale depuis de nombreuses années et puisqu'il
s'agit de la troisième vague d'internationalisation bancaire, elle ne s'effectue plus dans de
nouveaux pays qu'à la marge. A l'été 2009, Citigroup avait une présence dans plus de cent
quarante pays. Cette présence est au minimum matérialisée par un bureau de représentation,
mais généralement il s'agit d'une filiale de banque d'affaires. On constate que c'est la nature
des activités qui est désormais le cœur de la stratégie d'internationalisation. Les dix premières
années d'existence de Citigroup sont l'occasion de projeter le supermarché à l'international.
L'expansion internationale de Citicorp puis Citigroup a suivi un schéma très homogène. Après
l'ouverture d'un bureau de représentation, la banque commence des activités de banque
d'affaires en offrant de services aux grandes entreprises internationales présentes dans le pays
concerné. L'étape d'internationalisation qui a commencé au milieu des années 90 chez
Citicorp et qui se poursuit plus amplement après la fusion réside dans le développement
d'activités de détail, ou liées à la clientèle grand public. Après la fusion, Citigroup a créé dans
une vingtaine de pays son réseau d'agences à partir de sa filiale en banque d'investissement.
C'est par exemple le cas en Égypte. Après avoir ouvert un bureau de représentation en 1955,
Citicorp a été établie une banque pour les grandes entreprises en 1975. Puis en 1999,
Citigroup ouvre sa première agence de détail au Caire. De même en Roumaine avec une
agence pour entreprises et institutions ouverte en 1995 et une première agence de détail en
2003. La croissance en interne avec une création d'un réseau d'agences est une des options
prises par Citigroup. L'implantation d'un réseau de détail commence par la proposition d'une
offre dédiée à une clientèle haut de gamme, dans un nombre restreint d'agences, préservant
ainsi le caractère privé de la banque. Puis le développement du réseau permet d'élargir l'offre.
L'introduction de cartes de crédit, souvent commercialisées en partenariat avec une grande
entreprise locale est un autre moyen de développement large vers la clientèle de détail. L'offre
de cartes de crédit est notamment un vecteur d'expansion efficace dans des pays où le marché
bancaire est encore peu développé et où ce type de cartes est une nouveauté et une innovation
par rapport aux produits proposés par les banques locales.
Le rachat de banques locales est aussi largement privilégié. Durant la seule année 2000,
Citigroup rachète quatre banques étrangères au Mexique, en Argentine et Hongrie. Chaque
année suivante est l'occasion de rachats qui se concentrent principalement sur trois zones
géographiques: l'Europe centrale et orientale, l'Amérique latine et l'Asie pacifique. C'est par
ce moyen que Citigroup entre sur le marché japonais réputé pour être difficilement pénétrable
pour des firmes étrangères. Pendant la décennie, Citigroup assemble une filiale puissante au
60
Mexique, Banamex qui devient un des trois plus grands groupes bancaires du pays. Elle prend
des positions à Taiwan, rachète une des premières banques coréennes, KorAm Bank. En
termes de répartition, la majorité de l'expansion internationale en nombre de pays s'effectue
par la croissance organique et la construction d'un réseau à partir de rien. Néanmoins le rachat
d'un groupe local permet un accès immédiat à un réseau déjà constitué et large. Ainsi les
filiales issues d'une acquisition pèsent plus que les autres filiales. Les banques rachetées
restent généralement des banques de second plan, Citigroup n’obtenant pas de position de
leader sur le marché local.
Cette expansion internationale présente la particularité que Citigroup passe systématiquement
sous son enseigne toutes les nouvelles activités développées à l’étranger, aussi bien la
croissance interne que les rachats externes. Les filiales de banque d’affaires conservent
évidemment la marque Citigroup, comme c’est la pratique en banque d’investissement.
Cependant cette projection d’un même concept de banque à l’international concerne
également la banque de détail. La marque « Citi » est déclinée sur tous les produits et sur tous
les marchés avec la même identité visuelle. Chaque produit ou ligne de produits se voit accolé
« Citi », par exemple CitiMortgage pour les crédits immobiliers, CitiCards pour les cartes de
crédit ou CitiPrivate Bank pour les activités de banque privée. Cette marque est reprise dans
toute expansion internationale, à quelques rares exceptions près. Banamex au Mexique est par
exemple la seule marque d’envergure que Citigroup n’a pas fait passer sous sa marque propre
(d'autres Etats aux marchés restreints ont conservé des marques différentes de Citi,
notamment en Amérique centrale). A Taiwan, après le rachat de la « Bank of Overseas
Chinese » les agences sont toutes passées sous la marque « Citibank ». De même en Corée, ou
en Pologne. Les mêmes éléments visuels, le logo, le slogan sont utilisés pour donner tout son
sens au supermarché financier. Le nom de chaque filiale est d’ailleurs formé en utilisant le
préfixe « Citi » ou « Citibank » suivi du nom du pays, par exemple « Citibank China », « Citi
Taiwan » ou encore « Citibank Columbia ». Cette option marketing adoptée par le groupe est
symbolique du développement stratégique international, ce « supermarché financier », sur le
modèle dans la grande distribution de Walmart. Les agences, les cartes de crédit ou encore les
sites internet des filiales présentent tous les mêmes visuels, les mêmes repères et les mêmes
types d’offre.
Dans chaque pays où le groupe est implanté, toutes les activités ont graduellement été
introduites sur le modèle de ce qui a été réalisé sur le marché américain. Dès lors que
Citigroup entre sur le marché de détail, elle apporte ses cartes de crédit, ses produits d'épargne
et d'assurance, son offre dédié aux petites et moyennes entreprises « Citi Business », ainsi que
très souvent une offre de banque privée, soit le nom de Smith Barney, de Citi Private Bank ou
61
de Citi Gold. On retrouve de manière très proche, voire identique cette offre globale de
produits bancaires dans les pays où Citi s'implante, de la Grèce à l'Inde. La gamme de
produits offerts est très proche d’un pays à l’autre, avec l’accent mis sur l’accessibilité partout
dans le monde, à n’importe quel moment, physiquement en agence, ou électroniquement. La
facilité pour le client est au cœur de la stratégie de Citigroup. Le groupe procède cependant à
des adaptations locales, notamment pour tenir compte des particularités réglementaires.
Il est donc possible de faire le constat d’une stratégie à l’échelle globale avec une très grande
uniformité. Citigroup a été la seule banque américaine à mettre en œuvre une telle stratégie à
l’international. Ces deux principales concurrentes JP Morgan et Bank of America ont évolué
progressivement vers une banque universelle avec une marque globale regroupant tous leurs
produits, mais elles n’ont pas suivi le développement international de Citi. Ainsi Bank of
America a pris par exemple des positions en Chine en s’alliant avec la China Construction
Bank. Néanmoins cette alliance ne s’est pas concrétisée par une entrée sur le marché chinois
de Bank of America alors que Citigroup, après avoir noué plusieurs partenariats avec des
groupes locaux a commencé la construction d’un réseau de distribution propre. Citi est la
première banque étrangère à effectuer ce type d’implantation en Chine.
Cet état des lieux du développement international de Citigroup sur la période récente donne
un aperçu de la réalité du supermarché financier et notamment de la très grande uniformité
qui préside à l’expansion de la banque. A la lumière de ces éléments, il est possible d’analyser
les autres déterminants tels que définis par Garcia Herrero et Navia Simon et qui n’ont pas été
analysés dans le chapitre précédent.
Section 2- L’expansion internationale sous l’angle des
déterminants empiriques de l’internationalisation
Le fonctionnement de Citigroup pendant la décennie suivant la fusion semble offrir un cadre
intéressant pour analyser l’importance de quatre types de déterminants de
l’internationalisation des banques. Il s’agit de la diversification du risque géographique, de
« suivre le client », des caractéristiques des produits et canaux de distribution et enfin du
caractère innovant des produits offerts.
A. Diversification du risque et conglomérat financier
D’après la théorie de la diversification du risque géographique, la banque s’étendrait à
l’international pour réduire son profil de risque tout en conservant le même niveau de
rendement. La banque internationale est appréhendée comme un portefeuille d’activités dont
62
la combinaison au sein de ce portefeuille permet une efficacité supérieure à ce qu’elle pourrait
être si les actifs étaient détenus séparément par des investisseurs, par exemple en investissant
dans des firmes différentes sur le marché. En incluant de nouveaux pays dans son périmètre,
la banque d’une part réduit son exposition aux autres pays dans lesquels elle est présente et
d’autre part elle peut dégager des synergies entre ses différentes filiales ce qui fait le groupe a
une rentabilité meilleure que si les filiales qui le composent étaient des sociétés
indépendantes. Dans le cas de Citigroup, il est possible de dresser deux constats.
L’expansion internationale de Citi a réellement été globale, sans ciblage géographique précis.
Cette situation est héritée des phases d'internationalisation successives puisque le nombre de
nouveaux pays où Citi s'implante durant cette décennie reste limité. Comme noté
précédemment il s'agit plutôt d'un changement de la nature de l'internationalisation avec le
développement de nouvelles activités. Cette expansion géographique très large semble offrir à
Citi un profil de risque très diversifié. Si l’argument de la diversification n’a pas été utilisé par
les dirigeants pour soutenir la formation du one-stop shop et sa projection à l’international, il
semble que le développement international de Citi a significativement diversifié les positions
du groupe. En 2005, soit près de 6 ans après la fusion, 59%28 du chiffre d’affaires dans les
activités de banque de détail étaient réalisés aux Etats-Unis. En 2009, cette part est tombée à
31.8% avec 32.3% pour l’Asie et 29% pour l’Amérique latine. On constate donc le poids très
fort que représentait le marché américain et la dilution progressive de ce poids par l’entrée sur
de nouveaux marchés internationaux. Les pourcentages en 2009 montrent un équilibre plutôt
bon entre les différentes zones géographiques ce qui rend les expositions du groupe mieux
réparties. Le groupe n'est plus dépendant d'une seule zone géographique pour ses revenus, en
banque de détail tout du moins. Les chiffres pour la banque d'investissement ne sont pas
exploitables de la même façon et ne permettent pas une comparaison similaire. Par ailleurs,
depuis 2008 le changement d'organisation de Citi et la liquidation de certaines lignes de
métier rend difficile l'étude des revenus par zone géographique en banque d'affaires.
Banque de détail2005 2009
en millions de dollars US
Produit Net Bancaire
en % du PNB total
Produit Net Bancaire
en % du PNB total
Amérique du Nord 30107 58,6% 7246 31,8%Europe, Moyen-Orient et Afrique 6201 12,1% 1555 6,8%Amérique latine 7311 14,2% 7354 32,3%Asie 7722 15,0% 6616 29,1%Total 51341 100,0% 22771 100,0%Source: Citigroup Annual Reports
Répartition du produit net bancaire par zone géographique
28 Rapports annuels de Citigroup, www.citigroup.com
63
Le deuxième constat concerne plus généralement la diversification d’un groupe, et non la
seule diversification géographique et n'est donc pas strictement en lien avec
l'internationalisation du groupe. Il semble cependant intéressant pour comprendre le
développement du groupe. Citigroup est devenu un véritable conglomérat bancaire en raison
du spectre très large d’activités financières. Cette diversification a rendu le groupe moins
dépendant d'une seule sorte d'activités financières. Une partie de la stratégie de Citigroup était
de réduire la part de ses revenus issus des intérêts sur les fonds mis à la disposition de la
clientèle et d'augmenter la part des revenus issus des commissions facturées pour la fourniture
de service. Un exemple de ces commissions peut être trouvé dans la fourniture de produits
d'investissement avec des frais fixe d'entrée pour acheter le produit. La diversification du
groupe permet cette stratégie en entrant sur des activités moins dépendantes d'un taux d'intérêt
comme la gestion de fortune. On peut également remarquer qu'avec la projection du même
modèle à l'international, Citi a également effectué une diversification de ses activités à
l'intérieur des pays où elle s'est étendue.
La diversification à Citigroup a donc pris deux voies concomitantes, une diversification
géographique et une diversification des produits. L'étude de la situation monopolistique du
marché bancaire américaine vient conforter l'idée que l'expansion internationale et le modèle
du supermarché financier ont été des éléments déterminants dans la stratégie de Citi. La crise
apporte d'autres éléments à cette hypothèse. Les difficultés des banques aux Etats-Unis
mettent en avant les avantages que peuvent retirer des banques qui ont des positions
internationales. Elles sont alors moins exposées au marché américain et auraient pu mieux
traverser une crise particulière dure pour le marché américain. L'étude des résultats de Citi
dément cette hypothèse, comme il sera étudié dans le chapitre suivant. On peut alors
s'interroger si la diversification à Citi était suffisante ou pertinente.
Enfin la présence très large de Citigroup peut jouer contre la banque pour deux raisons.
D'abord sur le plan géographique, une diversification si large réduit l'exposition à un pays ou
à une zone particulière mais dans le cas d'une crise économique globale, Citi est touchée de
façon sévère et ne peut bénéficier par exemple d'une meilleure résistance d'une zone
particulière. A diversification plus importante correspond un niveau de risque plus faible.
Mais selon la théorie financière, à un niveau de risque plus faible correspond un niveau de
rendement plus faible puisque le rendement est considéré être une fonction du risque pris par
l’investisseur. Déterminer le niveau de diversification et donc de risque optimal pour
maximiser le rendement de Citi n'est pas l'objet de ce mémoire mais le chapitre suivant
permettra d'obtenir des éléments pour déterminer si Citi a réellement établi un couple
rendement/risque meilleur que ses concurrentes.
64
Le deuxième élément qui pourrait limiter le rôle de la diversification comme avantage
comparatif de la banque est constitué du « conglomerate discount ». La théorie économique a
démontré que la valorisation des conglomérats subissait une décote en comparaison à ce que
la somme des différentes activités serait si elles étaient indépendantes. Cette décote tire sa
source dans le fait qu’il est difficile de valoriser l’ensemble des activités contenues au sein
d’un même groupe ainsi que d’estimer l’importance réelle des synergies. Face à cette
incertitude sur la valeur réelle de chaque activité et leur valeur globale lorsqu’elles sont
associées dans le même groupe, les investisseurs appliquent une décote qui se justifie
historiquement par la faible performance des conglomérats en général. Si Citigroup n’est pas
un conglomérat classique puisqu’il rassemble des activités appartenant au même secteur et qui
peuvent être distribués par les mêmes canaux, on peut s’interroger sur l’efficacité de cette
diversification et la matérialisation des synergies. Cet élément sera évoqué plus amplement
dans le chapitre suivant. Néanmoins on peut ici souligner que dès 2002 Citigroup s’est séparé
d’une partie des activités d’assurance de Travelers et a mis en vente « Travelers Property and
Casualty » dont les synergies avec le reste des activités bancaires n’étaient pas à la hauteur
des espérances.
Un dernier élément à noter concernant la diversification et la constitution d’un conglomérat
financier dans le cas de Citigroup concerne la notion de « too big to fail ». Comme
l’expriment Smith et Walter29, la faillite de conglomérats financiers serait lourde de
conséquences sur le système financier et ils sont donc presque certains d’être sauvés par le
gouvernement. Leur texte écrit en 2003 se révèle particulièrement d’actualité au regard des
évènements survenus depuis 2007. S’il est possible de laisser une banque d’affaires comme
Lehman Brothers faire faillite, de laisser de petites banques locales mettre la clé sous la porte
ou de laisser un assureur comme AIG ne plus honorer ses obligations, la faillite de Citi a la
capacité d’affecter toutes les branches de la finance de manière directe et sur de nombreux
marchés. Si la diversification du risque est valable pour les expositions de Citigroup en elle-
même, elle induit paradoxalement une concentration accrue des risques pour le système
financier à l’échelle globale puisqu’une seule et même institution détient une part non
négligeable des actifs du système financier.
La diversification apparait comme un élément déterminant de la stratégie internationale de
Citigroup. Le groupe a joué sur ce facteur pour équilibrer son modèle international. Il
convient cependant de mesurer la réalité de ce déterminant en termes de résultats financiers.
Plus largement, la diversification est ici à mettre en lien avec la taille du groupe. La taille et
l’étendue des activités de Citi poussent à s’interroger sur les bénéfices face aux risques que
29 Smith R. C., Walter I., Global Banking, 2003
65
cet ensemble recèle et nous ramène au débat sur la banque universelle et la création d’entités
trop grandes pour faire faillite.
B. « follow the client »
Le facteur « suivre le client » semble dans une mesure certaine avoir guidé le développement
international de Citi. Ce déterminant explique l’internationalisation de la banque par la
volonté de suivre son client à l’étranger pour ne pas laisser la connaissance que la banque a de
son client « s’échapper ». La banque s’installe dans les pays où ses clients s’implantent pour
exploiter la connaissance qu’elle en a au mieux et éviter que des banques concurrentes,
locales ou internationales ne récupèrent cette connaissance d’abord au niveau local, puis au
niveau global. L’étude de la stratégie qui consiste à suivre ses clients apparait pertinente à un
niveau macroéconomique en comparant par exemple les flux d’IDE et les flux d’IDE
financiers entre les Etats-Unis et des pays tiers. Ce type d’exercice n’est pas l’objet de ce
mémoire. Une étude au niveau de Citigroup en se basant sur son portefeuille de clients
institutionnels ne semble pas réalisable. Cependant l’observation du mode de développement
international permet de tirer certaines conclusions.
En effet on constate que l’expansion de Citigroup a généralement suivi le schéma de
développement international suivant : bureau de représentation-succursale de banque
d’affaires-ouverture d’agences de détail. La très grande majorité des implantations à
l’étranger ont suivi ce modèle qui comporte parfois des sous-étapes. Ainsi entre l’ouverture
d’une succursale « corporate » et la création d’un réseau de détail, on trouve souvent
l’ouverture de plusieurs succursales « corporate ». De plus avant l’ouverture d’un réseau de
détail grand public, dans certains pays Citi a d’abord ouvert un nombre limité d’agences
réservés à une clientèle d’entreprises de moyenne taille et une clientèle de particuliers
fortunés. Un tel développement semble en ligne avec le facteur « suivre le client ». Dans un
premier temps Citi a pu suivre ses clients qui sont des grandes entreprises en phase
d’internationalisation. Cette étape remonte bien avant la fusion avec Travelers. Puis la banque
a élargi sa clientèle aux entreprises locales en ouvrant de nouvelles succursales ou en créant
une offre dédiée à une clientèle de particuliers fortunés qui sont généralement très
cosmopolites et internationaux. Il peut s’agir d’expatriés ou d’élites locales ayant une
connaissance préalable de l’ensemble Citigroup à travers leurs voyages à l’étranger. Une fois
cette implantation réalisée, Citi a obtenu une connaissance du marché local suffisamment
bonne pour introduire la banque universelle et servir tout type de clients.
Suivre le client semble donc dans une certaine mesure un facteur valable dans
l'internationalisation de Citigroup. Il semble cependant difficile d'effectuer une étude précise
par pays appliquée au cas de Citigroup. Par ailleurs, comme il a été détaillé à l'étude de la
66
chronologie des implantations, le facteur « suivre le client » ne peut expliquer la prise de
position dans la banque de détail. Si les liens entre certains pays et les communautés immigrés
aux Etats-Unis peuvent faciliter, la présence d'une clientèle d'expatriés n'est pas suffisante
dans la majorité des pays pour justifier une implantation rentable sur le marché. Par ailleurs,
les liens entre communautés immigrés et pays d'origine comme déterminant de
l'internationalisation pourraient être rattachés à la proximité culturelle entre le pays d'origine
et le pays d'accueil des IDE et non pas à la volonté de suivre les clients à l'étranger. Ce
déterminant de l'internationalisation de la banque a eu une importance dans les premières
vagues d'internationalisation, mais la vague présente s'étant focalisé sur la banque de détail en
majorité, dans le cas de Citigroup, ce déterminant n'apparait pas comme le plus pertinent pour
l'étude actuelle. Cependant, étant donné qu'il a eu une importance dans une étape précédente,
il reste valable pour comprendre des phénomènes actuels. En outre, l'envergure de l'expansion
de Citi rend difficile d'appliquer ce facteur à la stratégie du groupe. En effet cette expansion
n'a pas ciblé de marchés particuliers avec lesquels les Etats-Unis, ou le groupe Citigroup ont
des liens particuliers. Le choix de s'étendre dans tel ou tel pays au cours de la phase
d'expansion n'apparait comme étant déterminé par la poursuite d'une clientèle dans un pays
étranger. A la suite de Garcia Herrero et Navia Simon, il est possible de questionner la validité
de ce facteur. Il ne semble pas possible d'expliquer la stratégie de développement de Citi par
la volonté de servir une clientèle sur laquelle elle aurait déjà une connaissance avancée et
qu'elle pourrait utiliser à l'étranger. Les activités de banque d'investissement sont plus à
même de favoriser une stratégie de « suivre le client » mais la période actuelle n'a pas vu un
développement particulièrement important des activités de banque d'investissement de Citi à
l'international par rapport au développement de la banque de détail.
C. Innovation et canal de distribution
Dans le cas de Citigroup, les produits et canaux de distribution et l’innovation contenu dans
les produits offerts sont particulièrement liés puisque la banque universelle telle que proposée
était une nouveauté. Citi a démontré une forte capacité à innover depuis l'origine puisqu’elle a
été la première banque américaine à introduire des cartes de paiement sur le modèle des cartes
de crédit actuelles, puis elle a installé les premiers distributeurs automatiques aux Etats-Unis
avant d'ériger l'un des réseaux de distributeurs les plus larges du pays. Ces innovations ne se
situent pas seulement sur le plan technologique. En effet Citigroup n’a cessé d’innover dans
les produits financiers qu’elle propose et a eu un rôle précurseur dans ce domaine.
L’introduction des Certificates of Deposit ou CDs aux Etats-Unis est l’exemple le plus
emblématique de cette capacité à innover puisque ces certificats de dépôt sont devenus l’un
des produits d’épargne les plus populaires aux Etats-Unis et ils ont été adaptés à
67
l’international. Citi, à l’époque Citicorp a été le premier groupe bancaire à proposer ces
produits et les a donc « inventé ».
L’innovation est un des principaux ressorts stratégique de développement d’une firme
puisqu’en introduisant une innovation, elle peut modifier les conditions d’offre sur le marché,
modifier le marché lui-même et obtenir un monopole temporaire qui lui assure une rente.
Dans le secteur bancaire et financier, cette possibilité d’obtenir une rente consécutive à une
innovation apparait plus difficile à maintenir en raison de la nature des produits bancaires,
plus particulièrement dans la banque de détail. L’essor des nouvelles technologies depuis les
années 80 a permis aux banques d’offrir de nouveaux services basés sur des technologies
innovantes. Il peut par exemple s’agir de services sur internet, ou plus récemment du
développement du paiement grâce au téléphone portable. Ces services sont cependant
rapidement repris par l’ensemble des banques concurrentes car ils sont le plus souvent
proposés par des sociétés spécialisées en technologie de développement des moyens de
paiement en partenariat avec des banques. Par ailleurs, concernant les moyens de paiement, il
est plutôt dans l’intérêt des banques d’adopter des technologies similaires pour que les
nouveaux moyens de paiement se développent, notamment puisque les technologies de
paiement nécessitent le développement de réseaux et de nouveaux standards technologiques.
Si une banque propose un nouveau moyen de paiement mais que ses clients ne peuvent
utiliser ce moyen qu’avec d’autres clients de la banque, la technologie a un intérêt limité.
La deuxième voie d’innovation pour une banque concerne l’offre de produits bancaires et
financiers nouveaux. Cette voie permet à la banque de réellement se différencier et d’attirer
des nouveaux clients. Si pour le client l’offre d’un nouveau produit bancaire se traduit
uniquement en termes financiers, pour la banque cela implique souvent un outil informatique
de gestion des risques et des flux innovant par rapport à celui de ses concurrentes, parmi
d’autres éléments comme une maitrise des éléments juridiques plus poussée par exemple.
Dans la banque de détail, la différenciation par l’innovation est généralement difficile à mettre
en œuvre car il est aisé pour les concurrents de répliquer par des offres similaires. Cette
caractéristique se retrouve dans la plupart des offres de service où le service ne peut
généralement pas faire l’objet de brevet protégeant l’innovation. La période durant laquelle la
banque bénéficie du monopole sur son innovation est de fait très réduite et les concurrentes
peuvent s’aligner très rapidement. Le savoir-faire de la banque est alors déterminant pour se
démarquer des concurrentes et c’est ce qui constitue l’avantage comparatif de la banque. C'est
dans la capacité à structurer le produit en termes de flux financiers, de documentation
juridique et de gestion risque puis à industrialiser ce produit que réside ce savoir-faire mais la
qualité du service à la clientèle.
68
Cette capacité à développer une offre bancaire innovante est plus particulièrement visible
dans la banque d’investissement où la structuration des produits est beaucoup plus complexe
et requiert une expertise difficilement transférable d’une banque à l’autre. En banque de
détail, les produits sont facilement décomposables et leur montage peut être analysé assez
rapidement ce qui rend l'alignement des concurrents aisé. La banque d'investissement exige
un niveau de maitrise financière beaucoup plus avancé. Cet aspect est particulièrement visible
dans la concurrence acharnée que se livrent les grandes banques d'affaires pour attirer les
meilleurs talents dans leurs équipes. Le montage de financement exige une connaissance
poussée des aspects légaux, une maitrise parfaite de l'exécution ainsi que la confiance des
marchés dans les produits offerts. Comprendre une structure de financement est alors
beaucoup plus difficile et imiter la concurrence nécessite un investissement conséquent. En
outre les clauses de confidentialité qui accompagnent les opérations de financement et
d'investissement rendent très opaques les montages mis en œuvre.
L'innovation dans le secteur bancaire est donc un phénomène complexe qui permet à la fois à
la firme de se démarquer et de prendre le pas sur ses concurrentes mais qui est également de
courte durée. Ceci est d'autant plus valable dans le cas de Citigroup que la banque a axé son
développement international sur son réseau de détail, marché sur lequel se différencier de la
concurrence en termes d'offres et d'innovation est certainement le plus difficile. Depuis 1998,
les possibilités d'innover sur le marché américain et à une échelle plus large sur les marchés
des pays développés sont assez réduites. L'essentiel de l'innovation s'est concentrée sur le
marché dit « des subprimes », c'est-à-dire l'offre de produits de financement destinés à une
clientèle présentant un profil de risques élevés et une solvabilité moindre. Les banques ont
tenté de servir cette clientèle en proposant des produits dont le succès a été plus que relatif
tant pour les clients surendettés que pour les institutions financières dont les risques ont été
mal maitrisés, comme l'ont montré les évènements au cours de la crise. Citi a été tout
particulièrement affectée par les difficultés sur le marché des subprimes, comme il sera
analysé dans le chapitre suivant.
À l'international la marge d'innovation est beaucoup plus importante sur un certain nombre de
marchés émergents dont le secteur bancaire est peu développé en comparaison de ce qu'il est
dans les pays développés. Citigroup semble avoir exploité ces différences dans la maturité des
marchés bancaires pour soutenir sa stratégie d'internationalisation, contrairement à ses
concurrentes américaines qui semblent avoir été plus réticentes à s'engager aussi fortement à
l'international. L'histoire de Citi démontre une force d'innovation constante, on peut supposer
que c'est cette capacité à innover qui a poussé Citi à se servir d'innovations pour entrer dans la
banque de détail sur des marchés étrangers. Cet élément peut donc être rattaché d'une part au
69
facteur microéconomique lié à la capacité d'une firme d'utiliser des innovations pour se
développer et d'autre part au facteur macroéconomique du différentiel de développement des
marchés bancaires à l'international.
Citigroup a utilisé la sophistication du marché de la banque de détail aux Etats-Unis pour
apporter des produits inconnus sur les marchés émergents. Un des produits qui a servi de base
de développement international pour Citi est la carte de crédit et le crédit en revolving qui lui
est attaché. Ce type de produits qui est caractéristique des Etats-Unis est peu développé à
l'international, même sur des marchés matures comme en Europe de l'Ouest. Citi a introduit
ce type de crédit et de facilité de paiement dans plusieurs pays d'Asie ou en Amérique latine.
À Taiwan par exemple Citi a introduit la carte de crédit et est devenue le leader du secteur ce
qui lui a permis de consolider ses positions en banque de détail et de racheter une banque
locale. De même au Chili ou encore en Inde, Citi s'est appuyé sur sa maitrise des cartes de
crédit pour développer une première approche du marché local. Les banques locales ne
maitrisaient que très peu ces produits ce qui a permis à Citibank de s'imposer dans le secteur.
Il faut noter que Citi a également souvent proposé des cartes de crédit par l'intermédiaire
d'autres institutions financières locales avant de les lancer sous sa propre marque dans ses
agences. Cette innovation représente plutôt une nouveauté au niveau de l'offre puisque la
technologie de paiement par carte existait bien entendu déjà dans ces pays. On peut émettre
l'hypothèse que si Citi a pu apporter cette innovation de crédit, c'est en partie grâce à son
accès à des conditions de refinancement très bonnes en raison de sa taille et sa présence sur
les marchés de capitaux américains.
D'autres innovations ont ensuite été introduites, notamment en ce qui concerne l'accès sur
internet et la possibilité de réaliser des opérations bancaires en ligne. Ce genre d’innovation a
été réellement novateur dans un certain nombre de marchés émergents où le secteur bancaire
restait très traditionnel. En outre, en raison de la faible présence physique de Citi, l’utilisation
des nouvelles technologies permet de servir la clientèle au mieux et de compenser le manque
de points physiques pour réaliser des opérations bancaires. De plus la mise en place de
systèmes de gestion en ligne de l’activité bancaire fait partie de la stratégie globale de donner
accès aux produits bancaires de la façon la plus simple, par une agence unique pour tous les
produits financiers, par un portail virtuel unique. Dans ce sens, on peut considérer que les
innovations introduites par Citi sur ses marchés étrangers s’inscrivent dans la stratégie de
supermarché financier, modèle organisationnel qui en lui-même constitue une innovation.
En effet Citi a non seulement été une des premières institutions à revenir au modèle de banque
universelle aux Etats-Unis mais également dans de nombreux autres Etats. Ce modèle en lui-
même constitue une innovation puisqu’il a permis à Citigroup de se différencier de ses
70
concurrentes et d’apporter à ses clients un produit nouveau, plus précisément un ensemble de
produits dans un même lieu. Si cette organisation donne à la banque les moyens d’être plus
efficaces que ses concurrentes, elle peut aussi être appréhendée comme une innovation pour le
client qui pourra désormais satisfaire l’ensemble de ces besoins en matière bancaire à travers
un seul et unique guichet. La banque universelle, dans ce contexte représente à la fois une
innovation, un nouveau produit et un nouveau canal de distribution pour certains produits,
notamment les produits d’assurance.
Il est possible d’utiliser des éléments de comparaison pour comprendre cette différence entre
Citi et ses concurrentes locales dans des pays étrangers. Le choix de deux marchés étrangers
permet d’apporter des éléments empiriques. S’il n’est pas possible d’être exhaustif et de
d’étudier la situation des marchés bancaires de détail dans tous les pays où Citi est présent, la
comparaison de la stratégie de Citi et de deux concurrentes locales au Mexique et en Corée
peut servir d’illustration. Le choix du Mexique et de la Corée s’est fait sur plusieurs critères.
Le Mexique représente le seul marché majeur où Citi n’utilise pas sa marque mais une
marque spécifique à ce marché, Banamex. Banamex est aujourd’hui un des trois premiers
groupes bancaires au Mexique avec BBVA Bancomer et Banco Azteca. Par ailleurs, Banamex
comme ses deux concurrentes publient une information large et accessible (en anglais) sur
leurs activités ce qui permet d’exploiter facilement les données. Citibank Korea semble
intéressante au regard du développement en Asie de Citigroup. La banque a ouvert de
nombreuses filiales de détail en Asie (Taiwan, Chine, Thailande, Corée…) aussi l’étude de
Citibank Korea apparait comme d’un intérêt certain. Citibank Korea fait partie des dix
banques les plus importantes de Corée et publient également des informations financières
assez poussées en anglais, ce qui à nouveau permet un accès facile. Enfin, Banamex et
Citibank Korea sont deux filiales de Citigroup dont les données financières sont disponibles
au public, ce qui n'est pas le cas pour la plupart des filiales de Citi. En effet, la banque publie
ses résultats globaux avec un détail par grandes régions mais les résultats de la très grande
majorité de ses filiales ne sont pas ou très partiellement accessibles.
Banamex est la plus grande filiale étrangère de Citigroup, elle représente à elle seule un
groupe bancaire au sein de l’ensemble. Elle a été constituée par plusieurs rachats successifs.
Aujourd’hui Banamex propose toute la palette de produits de Citigroup, plus une offre dédiée
aux particularités du marché mexicain. Son positionnement par rapport à ses concurrentes est
plus large, puisque Banamex a une activité d’assurance poussée alors que ses concurrentes ne
proposent pas une offre aussi profonde dans ce type de produits. Si BBVA Bancomer,
désormais filiale à 100% du groupe espagnol BBVA propose une offre très proche de celle de
Banamex, cette dernière a été la première à prendre cette voie sous l’impulsion de sa maison
71
mère, Citigroup. Rapidement les concurrentes de Banamex ont élargi leur offre, notamment
avec un portail internet fourni qui propose des services de gestion de compte. Cependant les
activités d'assurance restent marginales pour certaines concurrentes, comme Banco Azteca,
troisième groupe bancaire mexicain et le seul groupe dans le top 3 à ne pas être détenu par un
groupe étranger.
En Corée, CitiBank Korea a pris le pas sur ses concurrentes de la même manière, en
réunissant sous un même toit l'ensemble des activités et particulièrement les activités
d'assurance qui ont longtemps été proposé par des firmes distinctes des banques. Si l'on
compare Citibank Korea à Shinhan Bank, un des premiers groupes bancaires coréens, on
constate que les activités d'assurance n'ont été introduites qu'en 2005 tandis que Citibank les a
introduites dans ses agences coréennes dès 2001 puis ensuite plus largement lors du rachat de
KorAm Bank en 2004. Les grandes banques coréennes comme Kookmin Bank ou encore
Hana Financial Group ont suivi le modèle introduit par Citigroup. On peut néanmoins émettre
des réserves quant à l'influence de Citibank Korea sur le marché coréenne en général. En effet
la filiale de Citi en Corée est seulement le huitième acteur du secteur bancaire. On peut donc
supposer que son influence sur le marché est plutôt réduite et que si Citi a été la première à
développer ce modèle de banque universelle en Corée, elle n'a pas directement déterminé la
stratégie des acteurs locaux. Cependant, au niveau international, le supermarché financier a
été adopté par de nombreux acteurs à la suite de Citi et au gré des dérégulations dans chaque
pays. Aussi ce n'est peut être pas tant Citibank Korea qui a conduit à l'ajustement des
stratégies des banques coréennes, mais Citigroup au niveau global qui a influencé la stratégie
de l'ensemble des acteurs. Face aux promesses de rentabilité supérieure, d'efficience accrue et
de valeur ajoutée pour la clientèle qu'a apporté le modèle de banque universelle largement
défendu par Citi, un très grand nombre de banques dans tous les pays se sont converties à
cette stratégie, certainement pour ne pas rester en arrière face à ce nouveau modèle
prometteur. Par ailleurs, la présence de Citibank directement dans le pays a peut être accéléré
ce processus.
Le modèle de Citigroup a donc été un facteur d'internationalisation que l'on peut rattacher aux
avantages d'innovation et de canal de distribution. Il peut être appréhendé comme une
innovation majeure dans une longue suite d'innovations qui ont jalonné l'histoire de Citi. Citi
s'est servie de ses innovations pour gagner sa place à l'étranger et engager un développement
dans la banque de détail poussé. Si le résultat en termes financiers de cette stratégie sera
analysé dans le chapitre suivant, la mise en place de la stratégie a été une réussite au regard de
l'envergure des activités de Citi à l'international. Les avantages que possèdent Citi s'inscrivent
bien dans le cadre envisagé par Garcia Herrero et Navia Simon. On a pu cependant nuancer
72
certains éléments que les deux auteurs ont évoqués et qui ont été étudiés par les auteurs ayant
travaillé sur l'internationalisation des banques. Ainsi, le facteur « suivre le client » apparaît
difficilement valable dans le cas de Citigroup, en tout cas en ce qui concerne la période
actuelle. Le facteur « innovation technologique » est quant à lui un facteur central dans
l'internationalisation de Citigroup.
Les auteurs évoqués dans le premier chapitre ont mis en lumière la difficulté d'établir une
théorie systématique et générale pour englober l'ensemble des phénomènes
d'internationalisation des banques. Ce chapitre montre cette difficulté à saisir l'ensemble des
déterminants qui pousse Citi à s'étendre à l'étranger. De plus, il est parfois peu aisé de
discerner entre les différents déterminants évoqués.
Cette étape du raisonnement a permis d'examiner comment Citigroup s'inscrit dans les cadres
théoriques et de contribuer, très modestement, à la littérature théorique en questionnant
l'application des cadres au cas du premier supermarché financier mondial. Il semble
désormais intéressant et nécessaire d'examiner la réussite de Citigroup au cours de cette
décennie pour comprendre si la stratégie a été réellement efficace et si elle a réellement
bénéficié au groupe. La crise a durement affecté Citigroup qui a du être renflouée par le
gouvernement américain ce qui a conduit Citi à reformuler profondément sa stratégie, même à
l'international.
73
Troisième Partie- Le paradoxe du modèle : une phase
d’expansion réussie suivie d’une tourmente conduisant à
refonder la stratégie
Après avoir examiné les déterminants qui ont caractérisé la stratégie de Citigroup, avec
comme ressort principal de ce modèle de banque universelle, il semble désormais pertinent
d’évaluer la réussite de cette stratégie et d’en faire un bilan. Cette évaluation permet de juger
de la réalité des avantages comparatifs de Citi à l’international. Elle permet également
d’apprécier la pertinence du modèle de supermarché financier tel que choisit par Citi durant la
décennie passée. Ce chapitre montrera l’échec de la banque à mettre en œuvre ce modèle et
évaluera le poids de la stratégie d’internationalisation dans cet échec. Si Citigroup a largement
fait de mauvais choix au plan national dans certains investissements, sa stratégie
internationale présente des réussites comme cela sera détaillé en s’appuyant sur des éléments
chiffrés ainsi que sur des éléments qualitatifs. La comparaison avec des groupes bancaires
américains et étrangers permettra de situer Citi par rapport à ses concurrentes. Il est ensuite
possible d’étudier la recomposition du modèle adopté par Citigroup et de tenter d’apporter des
éléments de mise en perspective des possibles évolutions de Citi en particulier et du secteur
bancaire en général. Ainsi nous verrons le changement de cap opéré et la difficulté de gérer ce
supermarché financier à l’échelle globale. Citi semble profondément remettre en cause son
modèle sans pour autant abandonner la banque universelle.
74
Chapitre 1- Des résultats financiers contrastés, entre
efficacité internationale et débâcle liée à la crise
Section 1- Résultats liés à l'international
Citigroup a été très fortement impactée par la crise qui a commencé en 2007 et s’est étendue
jusqu’en 2009. 2008 et 2009 ont été marquées par de lourdes pertes et des provisions tout
aussi colossales conduisant le gouvernement américain à injecter plusieurs dizaines de
milliards dans le groupe. Loin d’être la seule banque américaine à être touchée par cette crise,
Citigroup a été un des groupes qui a connu les plus fortes pertes et elle ne doit son salut qu’à
l’intervention du gouvernement américain. Il convient donc d’analyser de Citi et d’établir des
comparaisons avec les concurrents américains (Bank of America et JP Morgan Chase) ainsi
que des concurrents locaux dans deux pays d’implantation (Mexique et Corée).
Bank of America et JP Morgan Chase forment avec Citigroup les trois plus grands groupes
bancaires américains au regard de la plupart des indicateurs, nombre de clients, taille des
dépôts, taille du bilan, actifs sous gestion... Ces trois banques représentent par ailleurs les trois
principaux réseaux de banque de détail aux Etats-Unis avec une présence dans la très grande
majorité des Etats, sur les deux cotes. Enfin ces trois groupes ont poursuivi une stratégie de
diversification et ont adopté le modèle de banque universelle que Citigroup a introduit en
premier. Ces éléments font de Bank of America et JP Morgan Chase des ensembles
intéressants de comparaison par rapport à Citi et permettent, dans une certaine mesure
d’évaluer la réussite de Citi.
A l’international, l’étude des filiales de Citi en Corée et au Mexique apporteront à nouveau un
éclairage de la réussite de la stratégie dans les pays d’implantation. La comparaison avec des
concurrents nationaux et des concurrents locaux permet de comprendre si Citi a su d’un coté
développer une stratégie internationale lui permettant de dépasser ses concurrentes en termes
de rentabilité et d’un autre coté si Citi a su surmonter les désavantages auxquelles elle
faisaient face par rapport aux concurrents locaux déjà bien établis sur leur marché national.
Les données qui servent à la démonstration sont extraites d'une part des rapports annuels et
autres documents d'information réglementés disponibles pour le grand public et d'autre part de
la base de données Bankscope qui agrège de nombreuses données sur des banques dans le
monde entier. Cette source constitue la principale source d'analyse de la réussite de Citi. La
largesse de cette base de données permet d'extraire des informations sur des banques locales,
en Corée et au Mexique. L'objet de ce mémoire n'est pas d'établir une étude quantitative
systématique de la rentabilité de Citigroup par rapport à ses concurrentes. Il s'agit de
75
comparer un certain nombre d'indicateurs pour tenter de mettre en lumière des grandes
tendances et de juger de la réussite de Citi. La comparaison entre les différentes banques se
base sur plusieurs indicateurs qui peuvent être distingués en trois catégories. Tout d'abord les
indicateurs liés au bilan des banques qui permettent de comprendre leur rythme de croissance
avec l'évolution de la distribution de prêts à travers la croissance du poste « crédit » dans
l'actif des banques. Du coté du passif, la croissance des dépôts permet également de juger du
développement de la banque de détail et semble donc pertinent au regard de l'approche
développée dans ce mémoire. La croissance des dépôts dans les pays étrangers est un
indicateur de la capacité de Citigroup à s'imposer comme un acteur local d'importance. La
deuxième série d'indicateurs provient du compte de résultat des banques et permet de juger de
la capacité de la banque à accroitre son chiffre d'affaires, en fonction de deux composantes, le
chiffre d'affaires issu des intérêts perçus sur les fonds prêtés et le chiffre d'affaires gagné par
la facturation de services ou de commissions. Ces indicateurs mesurent également la capacité
de Citi à se développer à un rythme supérieur, inférieur ou égal à ses concurrentes.
La dernière catégorie d'indicateurs permet de tirer d'avantages de conclusion sur la réussite de
Citi puisqu’il s'agit de ratios financiers qui expriment une valeur en fonction d'une autre. Ces
ratios sont de deux types: des ratios exprimant la rentabilité, par exemple le retour sur actif ou
le taux de profit dans le chiffre d'affaires et des ratios jugeant du risque pris par les banques
pour construire leurs profits. Ces ratios expriment par exemple le pourcentage de créances
douteuses (« non-performing loans » ou encore « net charge off » dans la terminologie anglo-
saxonne). Dans le contexte de la banque et de la finance, il est nécessaire de prendre en
compte une mesure du risque pris par les banques pour se doter d'une base de comparaison
identique. La théorie financière a démontré qu’à chaque niveau de rentabilité correspond un
niveau de risque en raison de l’aversion des investisseurs pour le risque. Cette aversion
explique le fait que pour supporter un risque supérieur, les investisseurs exigent une meilleure
rentabilité pour rémunérer le risque encouru. La réciproque est également vraie, une meilleure
rentabilité ne peut être obtenue sans en payer le prix qui s’exprime en un niveau de risque.
Juger de l’efficacité d’une stratégie en s’appuyant sur des éléments financiers doit donc
inclure une évaluation du niveau de risque avec lequel le profit est réalisé. La crise des
subprimes a montré l’importance du contrôle des risques et l’influence de ces risques sur le
résultat des banques. En supposant la validité des théories financières liant le profit et le
risque, pour d’obtenir une rentabilité supérieure à la concurrence, la banque doit supporter un
risque plus élevé. Si le niveau de risque est comparable, mais que la rentabilité est meilleure,
alors il sera possible de conclure que la banque en question opère d’une manière plus efficace
que ses concurrentes.
76
L’évaluation globale de l’exposition au risque des banques évoquées dans ce mémoire n’en
est pas l’objet. En effet, une étude approfondie nécessite de faire appel à un corpus théorique
sur les liens entre risque et rendement. Une analyse poussée devrait ainsi chercher à construire
un outil permettant de montrer la supériorité du couple rendement/risque de Citigroup par
rapport à la moyenne du secteur ou à certaines concurrentes. On pourrait par exemple réaliser
une courbe d'efficience associant pour chaque niveau de risque un niveau de rentabilité puis
examiner la position de Citigroup par rapport à cette courbe et ainsi évaluer sa capacité à
produire des résultats avec un niveau de risque moindre.
Cette étude apporterait une validation profonde à la réussite ou l'échec de la stratégie de
Citigroup au cours de la dernière décennie. Cependant elle est d'une envergure qui n'est pas
envisageable dans le cadre de ce mémoire. Par ailleurs, les données qui pourraient servir de
base à cette analyse pourraient être difficilement accessibles. Les données extraites de
Bankscope apportent un premier éclairage mais une approche approfondie nécessiterait des
sources plus fournies, par exemple avec des chiffres détaillés trimestriels voire même
mensuels. Les séries extraites de Bankscope sont soit directement extraites des comptes des
banques, soit construites par l'éditeur de la base de données à partir des informations
financières publiées. Les données extraites des comptes des banques proviennent du bilan et
du compte de résultat publiés en fin d'année, selon les normes comptables en vigueur dans les
pays de domiciliation des banques, à savoir les Etats-Unis, le Mexique et la Corée du Sud.
Chaque banque étant comparée à des concurrentes dans le même pays, la base comptable de
comparaison et le corpus réglementaire sont identiques. Ces données courent de 1999 à 2008,
avec parfois des interruptions notamment en Corée du Sud. Les ratios sont calculés
directement par l’éditeur de Bankscope et correspondent à des ratios classiques dont il existe
des définitions largement acceptées par les analystes financiers. Par ailleurs, ces ratios sont
également basés sur des données extraites des rapports annuels des banques. Aussi ces ratios
peuvent être considérés comme parfaitement fiables.
Le choix du Mexique et de la Corée du Sud a déjà été évoqué précédemment. A l’intérieur de
ces deux Etats, il a été nécessaire d’opérer un choix pour sélectionner les banques qui
serviront de comparaison avec Citigroup. Au Mexique, le choix s’est porté sur Banorte d’une
part et BBVA Bancomer d’autre part. Ces deux banques font partie des plus grandes banques
du pays, tout comme Banamex qui est le numéro deux du secteur. Ainsi l’environnement dans
lequel évoluent les trois banques est le plus proche possible. Elles font face à des contraintes
et des coûts très similaires et bénéficient d’économies d’échelle de même ordre. En Corée du
Sud, Shinhan Bank a été choisie pour être comparée à Citibank Korea. Toutes deux font partie
des plus importantes banques du pays, dans le top 10 mais pas dans le top 5. Par ailleurs, les
77
données de Shinhan Bank sont présentes dans Bankscope, ce qui n’est pas le cas de certaines
banques coréennes. A nouveau, ce choix a été guidé par la volonté de comparer la filiale de
Citi à une concurrente proche en termes de taille et de pouvoir de marché. Ces mesures ne
sont certainement pas exemptes de biais. Cependant elles permettent de donner une mesure de
la réussite de Citi dans ces trois pays. Par souci de lisibilité, il est possible d’étudier chaque
pays plutôt que d’utiliser une comparaison par type d’indicateurs.
A. Etats-Unis
Les deux premiers graphiques ont été créés à partir des données du bilan de Citigroup, JP
Morgan et Bank of America entre 2000 et 2008. Ils présentent pour le graphique 1 la
croissance des dépôts et des sources de financement à court terme et pour le graphique 2 la
croissance des crédits distribués. Les données ont été calculées simplement en établissant la
différence entre l’année n et l’année n+1, divisée par la valeur de l’année n, calcul classique
d’un taux de croissance.
Croissance des dépôts
-40,0%
-20,0%
0,0%
20,0%
40,0%
60,0%
80,0%
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Année
BoA Citigroup JPMorgan
Graphique 1. Croissance des dépôts de Citigroup et de ses concurrentes américaines
Croissance des crédits
-40,0%
-20,0%
0,0%
20,0%
40,0%
60,0%
80,0%
100,0%
120,0%
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Année
BoA Citigroup JPMorgan
Graphique 2. Croissance des crédits de Citigroup et de ses concurrentes américaines
Les dépôts et les crédits donnent une indication de la capacité de la banque à se développer et
à croitre. La croissance des dépôts indique la capacité de la banque à collecter des fonds
auprès de sa clientèle et donc à gagner de nouveaux clients, ou à convaincre ses clients actuels
78
de mettre plus d’argent sur ses comptes. La croissance des crédits quant à elle indique la
capacité de la banque à développer son activité commerciale puisque le prêt à la clientèle
constitue le cœur de métier de la banque, particulièrement en banque de détail. Ces deux
indicateurs ont peu de valeur en eux-mêmes puisque la croissance des dépôts et des crédits
peut être affectée par l’environnement économique qui peut entrainer une baisse du niveau
des fonds conservés en dépôt à vue ou réduire la demande pour le crédit. Cependant la
comparaison entre plusieurs banques évoluant dans le même environnement et soumises aux
mêmes tendances permet de donner du sens à ces indicateurs.
La lecture des graphiques 1 et 2 apporte peu d’indication quant à la supériorité de la stratégie
de Citigroup. La croissance des dépôts n’indique pas de tendance claire sur les huit années
prises en compte. Citi croit légèrement plus rapidement que ses deux concurrentes au début de
la décennie mais sans une franche tendance. Les graphiques 3 et 4 permettent de voir le
niveau relatif des dépôts et des crédits dans les trois banques. L’année 1999 représente la base
100 pour les trois banques et les années suivantes sont exprimées en fonction de ce niveau.
Evolution des crédits (indice 100 en 1999)
0
50
100
150
200
250
300
350
400
450
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
JPM organ
BoA
Cit igroup
Evolution des dépôts (base 100 en 1999)
0,0
50,0
100,0
150,0
200,0
250,0
300,0
350,0
400,0
450,0
1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
BoA
Citigroup
JPMorgan
Graphiques 3 et 4. Evolution des crédits et des dépôts (base 100 en 1999).
A nouveau, il est difficile d’établir une supériorité de Citi dans son expansion. Citigroup est
clairement au-dessus de Bank of America mais la comparaison avec JP Morgan est moins
tranchée. Par ailleurs, la comparaison avec JP Morgan comporte un biais, puisque le
rapprochement de JP Morgan et de Chase Manhattan a lieu en 2004, ce qui explique
l’évolution important des dépôts et crédits. Le même phénomène se produit en 2008, année
durant laquelle JP Morgan a racheté la plupart des activités de Washington Mutual, plus
grande faillite bancaire de l’histoire. Enfin, on peut noter la forte baisse des activités de Citi
en 2008 qui finit derrière ces deux concurrentes pour la croissance des crédits comme des
dépôts. Cet élément est une première indication de la façon prononcée dont la crise financière
a touché Citi. Aucun avantage pour Citi n'apparait à l'étude de l'évolution de deux points clés
du bilan d'une banque, les dépôts et les crédits. Ces deux éléments indiquent la capacité de la
banque à se développer, ils ne présentent pas la rentabilité de la banque. Ils sont donc un
indicateur partiel de réussite.
79
En effet, si la banque croit rapidement, cela peut se faire au détriment de la rentabilité ou du
niveau de risque pris. Les graphiques suivants 5 et 6 montrent la difficulté de Citigroup à se
développer par rapport à Bank of America et JP Morgan. Ces deux graphiques montrent
l'évolution des revenus d'intérêt et des autres revenus (principalement revenus de frais) avec
une base 100 en 2000.
Evolution des revenus d'intérêt (base 100 en 2001)
0,0
100,0
200,0
300,0
400,0
500,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Evolution des autres revenus (base 100 en 2001)
0,0
100,0
200,0
300,0
400,0
500,0
600,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Graphiques 5 et 6. Evolution des revenus (base 100 en 2001)
Si Citi groupe présente la meilleure croissance sur le début de la période concernant les
revenus de taux d'intérêt (différence entre les intérêts perçus et les intérêts payés), la tendance
s'inverse en 2003 tandis que Citi est tout au long de la période moins capable que ses
concurrentes de faire croitre ses revenus autres que ceux liés aux taux d'intérêts. L'écart sur le
graphique 6 ne fait que s'élargir entre 2001 et 2008. Ces deux graphiques confirment la
tendance observée sur les deux graphiques précédentes: Citi a eu des difficultés à accroitre ses
activités d'un point de vue global. Cependant le graphique 7 qui exprime l'évolution des
profits des banques (base 100 en 1999) montre que jusqu’en 2005, les profits de Citi ont
évolué mieux que ceux des concurrentes (JP Morgan reste très proche de Citi). 2005 est
marquée par une forte dégradation des profits de Citi qui s'effondrent bien en-dessous des
niveaux de Bank of America et JP Morgan.
Evolution des profits nets (base 100 en 2001)
0,0
500,0
1000,0
1500,0
2000,0
2500,0
3000,0
3500,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Graphique 7. Evolution des profits (base en 2001)
80
La supériorité des profits de Citigroup apparaît également dans ses ratios de rentabilité, ce qui
confirme une certaine supériorité de Citi pour produire des résultats. La croissance de
l'activité de Citi est certes plus faible que celle de la concurrence, mais Citi réussit à être plus
rentable que ses deux rivales. Les graphiques 8 et 9 montrent l'évolution de deux ratios. Sur le
graphique 8 est représentée la marge nette d'intérêt. Elle est calculée en à partir du revenu
d'intérêt divisé par les actifs rapportant un taux d'intérêt (pour simplifier, les crédits à la
clientèle). La marge nette d'intérêt montre que Citigroup fait mieux que les deux autres
banques sur la majorité des années considérées, même en 2007 et 2008, années de crise.
Le graphique 9 présente le Return On Average Assets (ROAA), le retour sur l'actif moyen.
C'est une mesure des profits nets sur l'actif moyen de l'année. Il ne considère pas seulement le
résultat lié aux intérêts gagnés et payés mais sur l'ensemble du profit de la banque et sur
l'ensemble de son actif. Le résultat est plus nuancé. Néanmoins Citi reste dominante sur
plusieurs années, au coude à coude avec Bank of America.
Marge d'intérêt nette
0,00
1,00
2,00
3,00
4,00
5,00
6,00
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
BoA Citi JPMorgan
Retour sur l'Actif Total Moyen
-2,00
-1,50
-1,00
-0,50
0,00
0,50
1,00
1,50
2,00
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
BoA Citi JPMorgan
Graphiques 8 et 9. Evolution des ratios de rentabilités
Citigroup semble donc en mesure de mieux utiliser sa clientèle, ses produits pour dégager des
profits. On peut supposer que d'un coté, elle sait mieux maitriser ses coûts et d'un autre coté,
qu'elle a la capacité de dégager plus de résultat par client ce qui semble valider, au niveau
global une supériorité de la stratégie de Citi en termes de rendement. Néanmoins on observe
qu'à partir de 2006, les résultats de Citigroup s'effondrent, comme il sera détaillé plus loin.
Enfin, on peut noter que si JP Morgan était la meilleure en termes de croissance du bilan, on
observe que sa rentabilité est la moins bonne des trois banques étudiées. On peut émettre
l'hypothèse que Citigroup a privilégié la rentabilité à la croissance de son activité. Il faut
cependant prendre en compte le risque supporté par les activités de la banque pour mesurer la
rentabilité sur le même niveau.
81
Ratio Impaired Loans / Gross Loans
0,00
1,00
2,00
3,00
4,00
5,00
6,00
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
BoA Citi JPMorgan
Graphique 10. Evolution du ratio de créances douteuses sur le total des créances accordées à
la clientèle
Le graphique 10 indique le rapport entre les créances douteuses et la valeur brute des crédits
émis par la banque. Ainsi il exprime le pourcentage de mauvaises créances dans le total des
créances au bilan de la banque. Une banque qui voit cet indicateur augmenter peut être
considérée comme réalisant des activités plus risquées. On constate que Citigroup est sur
toutes les années étudiées la banque la plus risquée au regard de ce ratio. En 2008, ce ratio de
risque explose et devient deux fois plus élevé que celui de Bank of America. Aussi si
Citigroup est plus rentable que ses deux rivales, elle réalise cette rentabilité en assumant des
risques plus élevés ce qui vient mitiger la supériorité de Citi au niveau de la rentabilité.
La stratégie de Citigroup ne semble pas lui avoir donné une avance significative sur ses deux
concurrentes américaines. Dans une première période, Citi a dépassé les deux autres banques,
mais les dernières années montrent un effondrement du résultat et un bond dans le niveau de
risque. Ces difficultés ne sont néanmoins pas liées directement à la stratégie internationale de
Citigroup mais à ses activités aux Etats-Unis essentiellement, comme cela sera évoqué plus
loin.
Le dernier graphique de cette section exprime le ratio de rendement (ROAA) en fonction du
ratio de risque (Impaired Loans / Gross Loans). Il donne une estimation du rendement par
niveau de risque. Le meilleur couple rendement / risque possible devrait se trouver proche de
zéro sur l’axe des abscisses et s’éloigner le plus possible en positif de zéro sur l’axe des
ordonnées. On constate que les relevés concernant Citi sont majoritairement situés vers le
haut des ordonnées. Cependant, par rapport à JP Morgan et surtout Bank of America, ils sont
plus éloignés du zéro des abscisses semblant ainsi montrer que le couple rendement / risque
de Citigroup est sensiblement moins bon que celui de la concurrence, sans pour autant
indiquer une tendance très nette. Si l’on se place par exemple à un ROAA de 1.5%, Bank of
America atteint ce rendement plusieurs années avec un taux de créances douteuses inférieur à
82
1% tandis que pour des valeurs légèrement inférieur à 1.5% de ROAA, Citi est aux alentours
de 2% de créances douteuses. Si la mesure reste imprécise et nécessiterait une étude très
approfondie des comptes de chacun des trois banques, ces éléments chiffrés donnent une idée
assez intéressante de la situation des différents acteurs.
-2,00
-1,50
-1,00
-0,50
0,00
0,50
1,00
1,50
2,00
0,00 1,00 2,00 3,00 4,00 5,00 6,00
Citi JP Morgan Bank of America
Graphique 11. Rendement en fonction du niveau de risque
B. Mexique
Une analyse similaire à celle effectuée au niveau global peut être menée au niveau de
Banamex avec une analyse d'abord des deux postes du bilan, dépôts et crédits, du compte de
résultat et enfin des ratios de rentabilité et de risque.
Evolution des crédits (base 100 en 2001)
0,0
50,0
100,0
150,0
200,0
250,0
300,0
350,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Evolution des dépôts (base 100 en 2001)
0,0
50,0
100,0
150,0
200,0
250,0
300,0
350,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banque Banamex Banque Bancomer Banque Banorte
Graphiques 12 et 13. Evolution des crédits et des dépôts de Banamex et de ses concurrentes
mexicaines (base 100 en 2001)
Les deux indices déjà présentés dans le cas de la comparaison sur le marché américain et
repris ici dans le cas mexicain sur les graphiques 12 et 13 n'indiquent pas de tendance de
croissance favorable à Banamex, et donc à Citigroup. Banamex arrive en troisième position
sur toute la période pour les deux indicateurs. On peut noter que Banorte est la banque
mexicaine étudiée qui connait la croissance la plus fulgurante, alors que c'est la seule des trois
qui n'est pas détenue par un groupe étranger.
83
Evolution des revenus d'intérêt (base 100 en 2001)
0,0
100,0
200,0
300,0
400,0
500,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Evolution des autres revenus (base 100 en 2001)
0,0
100,0
200,0
300,0
400,0
500,0
600,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Graphiques 14 et 15. Evolution des revenus (base 100 en 2001)
Au niveau des revenus, on observe un phénomène inverse pour la filiale de Citi à celui
observé au niveau global. Elle est moins performante pour dégager des revenus issus de taux
d'intérêt mais présente une performance légèrement meilleure pour ce qui concerne le revenue
issus de frais facturés aux clients. Au nouveau, comme au niveau global on observe que le
début de la période est meilleur pour la filiale de Citi, l'écart avec la concurrence se creusant
graduellement.
Evolution des profits nets (base 100 en 2001)
0,0
500,0
1000,0
1500,0
2000,0
2500,0
3000,0
3500,0
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Graphique 16. Evolution des profits
On constate qu'après le rachat de Banamex par Citi et donc la fusion de Citibank Mexico et
Banamex, les profits de Banamex ont progressé de façon plus rapide que ceux des deux
concurrentes, Banorte et Bancomer. Mais à nouveau, 2007 et 2008 sont marquées par un
effondrement des profits, baisse également notable pour Bancomer détenue par l'espagnole
BBVA tandis que Banorte semble se maintenir plutôt bien. Si cela n'est pas le sujet de ce
mémoire, il semblerait intéressant d'étudier plus en détail la performance des banques
mexicaines locales et celles détenues par des groupes étrangers.
84
Retour sur l'Actif Total Moyen (ROAA)
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
4
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Marge d'Intérêt Nette
02468
1012
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Graphique 17 et 18. Ratios de rentabilité
Les graphiques 17 et 18 ne montrent qu'une supériorité relative de Banamex en termes de
rendement. Banamex apparaît en avance sur Banorte et Bancomer pour ce qui est de la marge
nette d'intérêt. Cependant cette marge était déjà supérieure à celle de la concurrence avant
2001, année du rachat de Banamex par Citi. Il semble donc difficile de tirer une conclusion
quant à la réussite de la stratégie de Citi au Mexique. Le retour sur l'actif moyen apparaît très
volatil sans tendance claire. Banamex passe de numéro en termes de ROAA à numéro 3 d'une
année à l'autre.
Ratio Impaired Loans / Gross Loan
0,00
1,00
2,00
3,00
4,00
5,00
6,00
7,00
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Banamex Bancomer Banorte
Graphique 19. Evolution du ratio de créances douteuses sur le total des créances accordées à
la clientèle
Enfin, le graphique 19 montrant le ratio « risque » exprime que le niveau de risque de
Banamex est supérieur à celui de ses rivales. Ainsi l'ensemble des indicateurs considérés dans
cette étude ne démontre pas une supériorité notable de Banamex. Si certains éléments
semblaient donner l'avantage à Citi au niveau global, au moins sur le début de la période, dans
le cas de Banamex peu d'éléments permettent de conclure que la stratégie de Citigroup a
produit des résultats supérieurs à ceux de la concurrence. La rentabilité ne montre pas de
tendance supérieure et le risque pris dans la distribution de crédits est plus élevée.
C. Corée
La Corée présente l'intérêt d'être un pays asiatique, zone où Citigroup a effectué de
85
nombreuses opérations de croissance interne et externe. Par ailleurs, la Corée est une des
implantations en banque de détail les plus anciennes de Citigroup. Enfin c'est un des rares
Etats où Citi publie les données de sa filiale de façon suffisamment détaillée pour être
exploitées, ce qui est très rare la plupart des données des filiales étant directement intégrées au
bilan global et indisponible pays par pays.
Cependant, les données extraites de Bankscope présentent des manques, certainement dus aux
exigences de publication financière des régulateurs coréens puisque ces manques se
retrouvent dans le cas de Citibank Korea comme dans le cas de Shinhan Bank, la banque de
comparaison. Les éléments extraits permettent tout de même de tirer certaines conclusions.
Les mêmes éléments utilisés précédemment seront utilisés pour obtenir la même vision
d'ensemble.
Evolutions des crédits (base 100 en 1993)
0
200
400
600
800
1000
1200
1400
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
Evolution des dépôts (base 100 en 1993)
0100200300400500600700800900
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
Graphiques 20 et 21. Evolution des crédits et des dépôts de Citibank Korea et Shinhan Bank
(base 100 en 2001)
Les crédits et les dépôts apportent une approche différente du cas américain ou mexicain.
Citibank Korea s'est réellement développé plus rapidement que sa concurrente. La
comparaison avec un seul acteur du secteur limite la possibilité de généraliser le résultat. Mais
le résultat apparaît différent des autres marchés étudiés. Shinhan a été choisi car elle semble
être la banque coréenne la plus proche de Citigroup. Citibank Korea est numéro huit du
secteur, Shinhan numéro 5. Par ailleurs les données de Shinhan sont les plus accessibles, avec
une information fournie en langue anglaise. La comparaison donne une indication à défaut de
donner une vision exhaustive du marché bancaire en Corée du Sud.
Evolution autres revenus (base 100 en 1993)
0,00
200,00
400,00
600,00
800,00
1 000,00
1 200,00
1 400,00
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
Evolution revenus intérêt (base 100 en 1993)
0,00200,00400,00600,00800,00
1 000,001 200,001 400,001 600,001 800,00
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
86
Graphiques 22 et 23. Evolution des revenus (base 100 en 2001)
L'évolution des revenus montre la même tendance qu'observée au niveau du bilan. Les
revenus de Citibank Korea s'envolent par rapport à ceux de Shinhan.
Evolution profits (base 100 en 1993)
-3 000,00
-2 000,00
-1 000,00
0,00
1 000,00
2 000,00
3 000,00
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
Graphique 24. Evolution des profits
Du coté des profits, l'évolution est similaire mais l'écart entre CitiKorea et Shinhan est moins
net, notamment sur les dernières années de la période étudiée, de 2006 à 2008. Le
développement de Citi en Corée du Sud semble donc très fort mais il se traduit plus
difficilement en termes de résultats.
Marge d'Intérêt Nette
0,000,50
1,001,502,00
2,503,00
3,504,00
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
Retour sur l'Actif Total Moyen
-5
-4
-3
-2
-1
0
1
2
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
CitiKorea Shinhan
Graphique 25 et 26. Ratios de rentabilité
Les indicateurs de rentabilité sont difficilement interprétables en raison de leur forte volatilité.
Shinhan semble avoir une meilleure marge nette d'intérêt même si la courbe a des évolutions
rapides et contrastées. Le ROAA montre la même tendance. Citibank Korea a une moyenne
meilleure sur l'ensemble de la période car le ROAA de Shinhan descend très bas pour ensuite
remonter un peu plus haut que Citibank. La rentabilité de Citibank en Corée n'apparait pas
clairement meilleure.
Les indicateurs utilisés précédemment pour mesure le niveau de risque ne sont pas
significatifs en Corée du Sud. En effet Bankscope ne présente le ratio impaired loans / gross
loans que depuis 2006. Avec seulement trois années de données, il semble difficile de pouvoir
87
mener une analyse sérieuse. Sur ces trois années, Citibank Korea ressort avec un meilleur
ratio de créances douteuses que Shinhan.
Au regard de l’ensemble des indicateurs considérés sur les différents marchés étudiés, il ne
semble pas exister de tendance claire démontrant la supériorité de la stratégie de Citigroup.
On observe qu’au début de la période, Citi a pu prendre une certaine avance sur ses
concurrents directs comme Bank of America et JP Morgan. Néanmoins les graphiques
suggèrent que le risque supporté par Citi dans les activités de crédit est également supérieur à
celui de la concurrence. Ainsi le résultat purement financier de Citigroup entre 2000 et 2008
semble plutôt mitigé. A cet égard, les mesures de risque apparaissent intéressantes puisqu’il
semble que Citigroup ait évolué à un niveau plus élevé sans pour autant dégager des résultats
supérieurs.
L’étude des données financières de Citigroup ne semble pas démontrer de supériorité réelle de
Citigroup par rapport à la concurrence. Néanmoins Citi est restée tout au long de la décennie
un groupe parfaitement rentable et dont rien n’est venu perturber le développement
international. L’analyse financière des résultats est un des outils d’appréciation de la réussite
de Citigroup et certainement le plus facilement mesurable. Pourtant Citi a continué à s’étendre
au fil des années et à être profitable sur des marchés de banque de détail qu’il est difficile de
pénétrer pour une banque étrangère. Il convient donc de nuancer la réussite de Citi. Les
avantages que Citi possède sont certains. Comme il a été évoqué dans la première partie, les
banques étrangères font face à un surcoût et à des désavantages importants lors de l’entrée sur
un marché étranger. Si Citi ne semble pas se démarquer de façon notable de la concurrence,
elle reste tout à fait performante. Les avantages qu’elle possède pour son internationalisation
semblent donc réels puisqu’elle s’est développée sans connaitre d’échec à l’international.
Aucune sortie de marchés difficiles n’est intervenue jusqu’à la crise des « subprimes ». Par
ailleurs on observe un certain bénéfice de « first-mover » puisque Citi a été plus performante
que ses rivales au tout début de la période, avant d’être rattrapée et même dépassée.
Sous contrainte de l’environnement concurrentiel et réglementaire, la stratégie du
supermarché financier peut être décrite comme une stratégie gagnante. Néanmoins, elle est
une stratégie parmi d’autres pour réaliser un développement international et ne semble pas
produire de résultats nettement supérieurs. On peut également supposer que le statut de
« first-mover » de Citi lui a certes donné des avantages, mais cela peut être un désavantage en
raison de l’inexpérience des banques dans la conduite de ce modèle organisationnel. Ainsi,
dans cette hypothèse les banques qui ont adopté le one-stop shop à la suite de Citi ont pu
apprendre des erreurs de cette dernière. Ces banques suiveuses ont perfectionné le modèle ce
88
qui leur a permis d’être plus performantes.
Section 2- L’échec relatif de Citigroup
Si les avantages que la banque sont certains puisqu’elle a réussi à être rentable dans des pays
étrangers, la crise a révélé un certain nombre de difficultés pour le groupe qui ont conduit à
une reformulation de la stratégie et à de profonds changements dans le banque.
A. La crise des subprimes
Dès le début de la crise en 2007, Citigroup s’est trouvée au cœur des problèmes liés aux
« subprimes » et autres produits de titrisation dont les risques ont été mal appréhendés. En
avril 2007, Citi prenait une première mesure en annonçant la suppression de 17,000 postes
soit 5% de son effectif global. Quelques mois plus tard, ce chiffre a été doublé pour porter la
diminution de la force de travail de Citi à 10% de l’effectif total. Alors que les conditions de
marché se détérioraient, les équipes de la banque d’investissement de Citi ont continué à
réviser leurs estimations sur la valeur de certains actifs dans le bilan de la banque. Ces
dépréciations ont considérablement mis Citi dans le rouge. Les graphiques présentés dans la
partie précédentes ont montré cette large baisse des profits de Citi. JP Morgan et Bank of
America ont aussi été très touchées, mais dans une mesure moindre que Citi.
Face à ces pertes, Citi comme ses concurrentes se sont retrouvées dans une situation de faillite
virtuelle puisque les pertes ont intégralement consommé les capitaux propres de la banque. En
effet, lorsque l’actif perd de sa valeur, le passif de la banque doit être réduit d’autant pour
conserver l’équilibre du bilan et donner une valeur fidèle de la firme. Or les pertes sur les
instruments de crédit, essentiellement des CDO (« Collateralized Debt Obligations ») ont été
tellement importantes qu’elles sont devenues supérieures aux fonds propres de la banque.
Quand les fonds propres de la banque deviennent nuls ou même négatifs, elle est en faillite
virtuelle qui peut rapidement se transformer en faillite réelle si les déposants perdent
confiance dans la banque et retirent soudainement leurs avoirs. Le gouvernement américain
est alors intervenu pour injecter des fonds et maintenir la confiance dans les banques, dont
Citigroup qui fut l’une des banques nécessitant le plus de capitaux à la fois en raison de
l’ampleur de ses pertes et en raison de sa taille colossale.
Les activités qui ont mis en péril la banque sont communes à toutes les banques ayant connu
des difficultés au cours de la crise. Il s’agit de produits de titrisation et autres produits dérivés
basés sur des crédits hypothécaires en faveur d’une clientèle à la solvabilité très fragile. Ces
emprunteurs sont désignés aux Etats-Unis par l’appellation « subprimes », c’est-à-dire dans
une catégorie moins bonne que celle des meilleurs emprunteurs dénommés eux « primes ». La
89
revente et la transformation de ces crédit hypothécaires a produit une dissémination des
risques sans conduire à leur réduction. Si certains acteurs ont plutôt bien su gérer leurs
expositions et tirer leur épingle du jeu, d’autres comme Citigroup ont été durement touchés.
B. Les raisons de cet échec
L’ampleur des pertes de Citi semble être liée à plusieurs facteurs, qui ont peu à voir avec
l’expansion internationale de la banque mais qui en revanche ont été très liées à la
diversification du groupe, à la constitution d'un conglomérat ainsi qu'à la maitrise des risques.
En effet si la diversification des activités permet dans la théorie financière de réduire les
risques tout en maintenant le même niveau de rentabilité, cette diversification doit être
réalisée sous certaines contraintes et n'est valable que dans une certaine limite. Les activités
de Citigroup ont atteint une telle diversité, tant en termes d'activités qu'en termes
géographiques qu'on peut s'interroger sur la capacité à être diversifié efficacement.
1. La mauvaise intégration des activités
Si l'on se place dans la théorie financière, un investissement, ou dans le cas présent une firme
est intéressant s'il offre un couple rendement / risque supérieur à celui d'un portefeuille de
référence, le « marché » qui regroupe en théorie l'ensemble des actifs qu'il est possible de
détenir. L'objectif de l'investisseur est de « battre le marché » et de réaliser un meilleur
rendement. En se plaçant uniquement sur le marché des produits financiers, une firme telle
que Citigroup qui est présente sur un grand nombre de marchés tellement important se
rapproche d'une certaine manière de ce portefeuille qui rassemble l'ensemble des activités
possibles dans le secteur financier. Ce portefeuille est le plus diversifié possible puisqu’il
rassemble, théoriquement l'ensemble des activités possibles en matière financière. En s'en
rapprochant, Citi perd tout bénéfice de rendement supérieur. Néanmoins si un investisseur
peut prendre des positions dans des firmes opérant séparément et ainsi assembler ce
portefeuille supposé efficient, il peut le faire à moindre coût. La constitution du conglomérat a
des coûts comme le montre la décennie passée de Citigroup. Les coûts de fonctionnement du
marché sont internalisés par l'entreprise et sont transformés d'une certaine manière en coût
d'agence, de coordination et de fonctionnement du groupe.
Dans le cas de Citigroup, on note une grande difficulté à mettre en œuvre l'intégration des
activités au sein d'un groupe unifié. Il s'agit d'une part de raisons propres au groupe et d'autre
part d'une vision stratégique partiellement démentie par la réalité empirique. Dès 2002,
Citigroup se sépare d'une partie des activités de l'ancien Travelers Group. Seulement deux ans
après la fusion, les dirigeants de l'ensemble estiment que les synergies prévues entre les
activités d'assurance et les activités bancaires traditionnelles ne sont pas au rendez-vous. Cette
décision rapide indique la grande déception qu'a apportée le modèle de supermarché financier
90
et la nécessité d'une réaction rapide. L'ensemble du réseau de brokers et distributeurs de
produits d'assurance est abandonné par Citi et Travelers Group se reforme, cette fois
uniquement dans les activités d'assurance. L'alliance entre banque et assurance qui fondait la
stratégie de Citi est compromise. Néanmoins Citi continue à distribuer des produits
d'assurance dans son réseau bancaire puisque les activités mises en vente concernent plus
particulièrement l'assurance sur les établissements commerciaux qui étaient moins
directement au cœur de la stratégie de banque de détail du groupe.
Cette première cession est le témoin d’une problématique récurrente au sein de Citi, à savoir
le manque d’intégration entre les différentes entités. Le modèle du supermarché financier est
basé sur le cross-selling, comme moyen de proposer l’ensemble du spectre de produits
financiers sous un même toit et comme moyen de réaliser des économies. Les équipes
dirigeantes de Citi n’ont pas su gérer les rachats successifs. Chaque entité a continué à
fonctionner en autonomie avec une absence de construction d’une culture commune. De
nombreuses études ont montré la difficulté de faire émerger une culture commune lorsque
deux groupes fusionnent.
Dans le cas de Citigroup, on aurait pu penser à une intégration plus aisée car la fusion entre
Citibank et Travelers Group a été une fusion d’égal à égal, sans qu’un des deux groupes ne
prennent le dessus sur l’autre et donc sans stigmatisation d’une firme gagnante et d’une firme
perdante. Pourtant les filiales continuent d’opérer sans coordination avec leurs consœurs.
L’ensemble Citigroup a échoué à former un réel groupe où toutes les entités seraient
connectées et travailleraient ensemble alors que ce travail en commun apparaissait essentiel
pour la réussite de la stratégie décidée. En effet, le supermarché financier induit que les
différentes entités qui proposent des produits bien distincts s’associent pour que leur offre soit
combinée sous un même toit. Les systèmes informatiques ont été intégrés tardivement, voire
pas intégrés, empêchant ainsi le groupe de proposer une offre cohérente dans ses agences
« full-banking », ses supermarchés financiers. Finalement si le groupe s'est doté de l'ensemble
des activités financières, l'offre au client a été difficile à matérialiser en raison du défaut
d'intégration.
L’accueil très favorable que les investisseurs avaient réservé à la fusion Citibank-Travelers
s’est rapidement envolé. Le discount que les investisseurs attribuent généralement aux
conglomérats, comme il a été évoqué plus haut a été appliqué à Citigroup et ainsi des doutes
se font jour quant à la capacité de la banque à mettre en œuvre une stratégie efficiente. Ces
dysfonctionnements ont empêché Citi de tirer tous les bénéfices du modèle adopté et ont en
partie contribué au revirement stratégique opéré au cours de la crise des subprimes.
Bien que les résultats graphiques évoqués précédemment semblent pointer vers cette difficulté
de produire des bons résultats, les évènements de la crise ont été le facteur déclencheur de la
91
recomposition du groupe. Si des analystes doutaient déjà du modèle de Citigroup, la crise a
été un catalyseur. L’ampleur des pertes s’est faite le révélateur du mauvais fonctionnement du
groupe.
2. Le défaut de maitrise des risques
Un deuxième élément qui a conduit à la chute de Citigroup est le défaut de maitrise du risque
pris par les activités de la banque. Les indicateurs graphiques analysés précédemment ont
montré que les ratios de risque de Citi étaient sensiblement plus élevés que ceux de la
concurrence. Ces indicateurs montrent une tendance au sein de Citigroup à prendre des
risques, plus que la concurrence. Citigroup possédait dans son bilan plusieurs milliards de
produits dérivés de crédit dont les risques sous-jacents avaient été largement sous-estimés.
Comme toutes les banques américaines, Citigroup a participé largement à ce vaste et juteux
marché de produits de titrisation. Cependant les fortunes des banques ont été bien diverses.
Goldman Sachs a notamment très réussi à gérer ses expositions et ainsi cette banque a
beaucoup moins souffert que Citi durant cette crise.
Ce niveau de risque et son défaut de maitrise peuvent être expliqués de différentes manières.
Il est certainement possible d'attribuer cela aux rachats successifs et à leur mauvaise
intégration. Ainsi une culture propre au groupe a pu difficilement émerger. Des équipes
récemment intégrés, des entités encore peu interconnectées ont pu ne pas saisir tous les enjeux
des produits qu'elles ont montés. La stratégie de Citigroup aux Etats-Unis a été fortement
orientée sur les emprunteurs moins solvables mais beaucoup plus rentables pour la banque.
Ces emprunteurs ayant un profil de risque bien plus élevé, les taux d'intérêts et autres frais qui
leur sont appliqués sont plus élevés et rapportent donc plus de profits à la banque. Citi a
développé aux Etats-Unis un réseau d'agences dédié à ces emprunteurs et distincts du réseau
classique. Cette clientèle très rentable était devenue, avant la crise le nouveau terrain de
chasse des banques américaines et Citi s'est montrée particulièrement déterminée à capter ces
clients. Les crédits issus de ces activités ont ensuite été transformés en produits
d'investissement, par l'intermédiaire de montages complexes de titrisation, faisant appel
notamment à des CDO. Si ces CDO ont ensuite été proposés à des investisseurs extérieurs,
Citi a, comme souvent dans ce type de montage, gardé les tranches les plus risquées. Par
ailleurs, après les premières pertes sur ces portefeuilles de crédit, les investisseurs ont souvent
exigé de la banque à l'origine des montages de leur racheter les titres risqués. Ainsi Citi a vu
le montant de ses actifs proches du défaut augmenter fortement. Au vu des pertes durant la
crise, Citigroup a effectué un revirement stratégique majeur qui la fera sortir de ces activités
trop risquées dans lesquelles elle n'a pas su être profitable. Il s'agit de réduire le profil de
risque et de se recentrer sur des activités rentables mais moins risquées, comme il sera détaillé
92
dans le chapitre deux.
3. Le mythe du supermarché financier
Enfin un dernier élément que certains analystes ont mis en avant pour expliquer l'échec de
Citigroup est que le supermarché financier est un concept qui ne peut marcher en raison de
postulats de départ erronés. Citigroup souhaitait éviter à ses clients de devoir aller d'institution
en institution pour réaliser l'ensemble de leurs opérations bancaires et financières. Sous un
même toit, le client devait pouvoir effectuer toutes ses opérations et ainsi économiser de
nombreux coûts (coût de recherche, coût d'entrée dans une nouvelle relation avec un acteur
financier...). Les supermarchés avaient en leur temps permis aux consommateurs de se passer
des arrêts chez les différents commerçants pour réaliser toutes leurs courses sous un même
toit. La nature des produits financiers est cependant différente des produits physiques.
L'internet a rendu la comparaison entre les offres beaucoup plus faciles, le client peut
rapidement obtenir l'offre qui lui convient le mieux, au meilleur prix.
Ensuite la réduction des coûts qui était censée naitre du supermarché financier n'est pas
évidente. La taille du groupe a certainement conduit à des déséconomies d'échelle qui
renchérissent le prix des services offerts. Si ce surcoût n'est pas répercuté aux clients, il
diminue les marges de la banque, ce qui semble confirmé par les éléments financiers analysés
avec une rentabilité moindre. Ces déséconomies semblent renforcées par la mauvaise
intégration des différentes entités du groupe. Les synergies envisagées n'ont jamais été
réalisées, comme en témoignent les résultats trimestriels des dix années de vie de Citi qui
n'ont jamais convaincu les investisseurs et les marchés.
Par ailleurs l'hypothèse qui postule qu'en rassemblant sous un même toit toutes les activités
financières on obtient un coût plus faible pour ces produits apparaît difficilement vérifiable
empiriquement. En effet, un coût moindre pour un produit bancaire signifie que la banque
peut facturer moins pour un même niveau de risque que ses concurrentes. On peut alors
s'interroger en quoi le modèle du supermarché financier permet à la banque de mieux évaluer
le risque et donner un prix à ce risque meilleur que la concurrence. On pourrait supposer qu'en
développant une relation globale avec le client, en lui répondant à l'ensemble de ses besoins
en matière bancaire, la banque obtient une meilleure connaissance de son client, réduit donc
l'incertitude dans la relation bancaire et pourrait ainsi mieux estimer le risque du client. Cette
meilleure connaissance du client pourrait permettre de donner un meilleur prix au risque.
Pourtant Citi ne semble pas avoir été en mesure de contrôler ses risques mieux que la
concurrence, au vu de l'ampleur des pertes sur les subprimes. La mauvaise intégration des
activités a certainement également induit une mauvaise circulation de l'information ce qui a
empêché de bénéficier de cette connaissance plus poussée des clients.
93
L'échec de Citigroup a été assez marqué et a conduit à une profonde réorganisation du groupe.
Cet échec semble peu lié aux activités internationales de Citi puisque l'essentiel des pertes
s'est concentré dans les activités américaines liées à des prêts hypothécaires sur une clientèle
très risquée. Les dix années d'existence de Citigroup n'ont jamais produit les bénéfices espérés
de la fusion, même si l'expansion internationale de la banque peut être considérée comme une
réussite en soi. En effet, avant Citigroup, aucune banque n'avait réussi à devenir aussi
internationale et notamment dans les activités de détail. Le changement de stratégie qui sera
détaille dans le chapitre 2 ne concerne les activités internationales qu'à la marge, ce qui
témoigne de la satisfaction qu'apportent les marchés étrangers.
L'échec de Citigroup est lié à la fois à une mauvaise appréhension des bénéfices possibles du
modèle stratégique adopté et à une mauvaise mise en œuvre de ce modèle. Depuis 2008, les
dirigeants du groupe ont pris une nouvelle direction stratégique avec des changements en
profondeur.
94
Chapitre 2- Face au constat de l'échec, recomposition profonde et
recherche d'un nouveau modèle international
Dès le début de la crise, les dirigeants de Citigroup ont fait le constat de l’échec de leur
modèle ce qui les a conduit à prendre un nouveau cap stratégique. Cette nouvelle direction
s’est accélérée avec l’entrée du gouvernement américain au capital du groupe. Citi semble
avoir dans un premier temps navigué à vue pour faire face à l’urgence de la situation et éviter
une faillite. Progressivement une nouvelle stratégie semble se dessiner pour guider la banque
dans la prochaine période. Cependant le modèle de supermarché financier n’a pas été
totalement abandonné. Il a d’ailleurs été largement utilisé par d’autres banques partout dans le
monde, avec des succès divers. Le modèle de banque universelle a été par exemple adopté en
Europe, avec des adaptations. Enfin la stratégie de Citi est au cœur de nombreux débats sur la
banque universelle, sur la taille des institutions bancaires ou encore sur les conflits d’intérêt
au sein des banques.
Section 1- les changements stratégiques de Citigroup
L'annonce des premières pertes colossales pour Citigroup a entrainé des décisions de
réorganisation générale. Dans un premier temps, les dirigeants ont essentiellement cherché à
réduire les coûts et comme pour nombre d'entreprises au bord de la faillite, la réduction des
coûts est essentiellement passée par des coupes dans les équipes. Cette réponse de court terme
a ensuite été suivie d'un profond changement stratégique.
Les pertes liées aux subprimes ont contraint Citi à chercher des ressources pour renforcer son
bilan et éviter d'être de nouveau en difficulté au niveau de sa liquidité. Le renflouement du
gouvernement américain a permis de pallier aux difficultés les plus pressantes tandis que Citi
a entamé une stratégie de vente de certains actifs que les dirigeants n'estimaient plus comme
essentiels. Finalement une véritable remise en cause du supermarché financier a eu lieu. Les
dirigeants ont fait le choix de céder des activités qu'ils ne pensent plus être stratégiques pour
Citigroup. Le manque d'intégration des différentes entités a été reconnu et pour y remédier le
choix a été fait de vendre certaines filiales qui présentent le moins de possibilités d'intégration
pour reprendre le développement du groupe sur une nouvelle base et cette fois-ci proposer un
modèle de banque universelle intégrée, moins large mais plus efficace.
La réorganisation majeure a été de scinder le groupe en deux entités : Citicorp et Citi
Holdings. À la tête des deux entités ont été placées des équipes de direction distinctes pour
gérer les stratégies bien différentes que les dirigeants du groupe ont assignées à chaque
branche. Citicorp rassemble les activités que Citigroup compte garder et sur lesquelles elle
95
fonde son développement futur tandis que Citi Holdings représente un portefeuille d’activités
dans le groupe souhaite se séparer.
A. Citi Holdings
Citi Holdings regroupe bien entendu toutes les activités liées aux dérivés de crédit et autres
produits de titrisation qui ont créé les pertes au cours de la crise. Ces activités sont gérées par
des équipes dédiées pour être liquidées de la meilleure façon, voire éventuellement cédées à
des investisseurs externes volontaires pour assumer les risques encore très importants
contenus dans ces portefeuilles. Ce type d’activités a été séparée du reste de la banque comme
cela a été réalisé dans toutes les banques ayant subi des pertes au cours de la crise.
Une deuxième branche d’activités qui devraient être cédées est constituée de toutes les
activités dénommées « consumer lending » ou encore « consumer finance ». Il s’agit des
offres de prêts et de facilités de financement dédiées aux clients présentant des profils de
risque plus compliqués. Citi a ainsi entrepris de fermer l’ensemble de ses agences
« CitiFinancial » et « CitiMortgage » qui étaient destinées à la clientèle dite « subprime »,
moins solvable. Les prêts risqués comme les prêts étudiants, très importants aux Etats-Unis
sont aussi amenés à sortir de l'ensemble de Citigroup. La distribution de cartes de crédit
adossées à du credit revolving a également été fortement réduite alors que Citigroup était un
des premiers distributeurs de cartes de crédit. Citi a notamment réduit son offre de cartes « co-
branded », c’est-à-dire des cartes de crédit proposées à travers des canaux indirectement, par
exemple des chaines de supermarchés, des compagnies aériennes…
Enfin la troisième branche d’activités qui ont été ou qui seront vendues par Citi semble
étonnante. Citi est sortie d’activités très rentables mais qui ne semblaient pas être intégrables
au reste des entités. Plusieurs « pétites » comme les décrivent les analystes ont été sorties du
périmètre du groupe. Ainsi le broker et gestionnaire d’actifs Smith Barney a été partiellement
cédé à Morgan Stanley dans le cadre du joint-venture dont Morgan Stanley détient la majorité
des parts. A terme, les dirigeants de Citi ont exprimé le souhait de se désengager totalement de
Smith Barney. Smith Barney était une des filiales les plus rentables du groupe. Bien que les
dirigeants aient justifiés cette vente par la difficulté d’intégrer Smith Barney au sein de
l’ensemble Citigroup, il apparait largement que la vente a été dictée par une considération
financière de court terme, à savoir récupérer des fonds pour recapitaliser le groupe. La marque
de cartes de crédit « Diners Club » a également suivi un processus similaire, ayant été vendue
en totalité à Bank of Montreal. Citi procède en outre à la vente d'activités de gestion d'actifs et
de brokerage à l'international. Ces activités semblent le moins faire sens au sein du groupe. En
banque d'investissement, Citigroup a aussi réduit ses activités les plus opaques. En 2010, la
vente de fonds d'investissement en « private equity » a été lancée.
96
Au Japon, Citigroup a vendu une partie de ses activités qui étaient constitués en joint-venture.
Le Japon semble être intéressant pour la compréhension de la stratégie d'ensemble du groupe.
Citi est sortie de ses joint-ventures pour se focaliser sur ses activités en propre. Elle met
l'accent sur deux types d'activités: la gestion de fortune et le service aux grands groupes. Ces
deux éléments se retrouvent dans la nouvelle stratégie de la banque, à l'étranger comme sur le
marché domestique.
Les activités d'assurance ont été mises de coté. Après la vente de Travelers en 2002, Primerica
a été introduite en bourse en novembre 2009. Primerica est un distributeur de produits
financiers et d'investissement à travers un réseau très large de représentants indépendants
auxquels des licences sont accordées.
La logique économique qui préside à ces cessions apparait peu claire. La pression du
gouvernement américain y est certainement pour beaucoup dans ces cessions car elles
rapportent beaucoup d'argent à la banque et ont rassuré le gouvernement sur la capacité du
groupe à rembourser les prêts publics. La pression de l'opinion publique américaine est aussi
un facteur influençant fortement la direction stratégique de Citigroup. Les dirigeants ont été
fortement incités à produire des bons résultats pour rassurer l'opinion et le gouvernement et
montrer leur détermination à sortir la banque de l'ornière, bien que ces résultats semblent
relever d'une logique purement à court terme.
A l’international, Citigroup a effectué un certain nombre de changements, essentiellement
dans la banque de détail. Les filiales de détail sur certains marchés considérés comme plutôt
mûrs ont été vendus ou le seront dans les prochains mois. Ces cessions ont parfois eu lieu
dans des pays où la présence de Citi est pourtant historique. C’est ainsi le cas en Argentine,
premier pays où Citi s’est implantée à la fin du 19ème siècle. Citi a procédé un repli assez large
des marchés européens avec un retrait du Royaume-Uni dans la banque de détail, la vente de
Citibank Portugal. Avant la crise, Citigroup avait déjà vendu ses activités de détail en
Allemagne. La plupart des marchés internationaux desquels Citi souhaite se retirer sont des
marchés plutôt mûrs où le potentiel de croissance est limité et la concurrence forte. Sur ces
marchés aux mains d'oligopoles, il semble difficile pour de plus petits acteurs de se faire une
place significative qui leur permette d'être suffisamment rentables. Les activités risquées de
cartes de crédit ou des prêts à la consommation à l'international ont été également mises en
vente.
L'ensemble des activités de Citi Holdings représentait encore 38% du chiffre d'affaires du
groupe en 2009. Sur le deuxième semestre 2010, cette part est tombée à 25%, indiquant ainsi
une sortie rapide de ces activités. Les cessions ont d'abord concerné les activités les plus
risquées et moins rentables, et à l'opposé les activités les plus rentables pour redresser les
finances du groupe. Désormais la banque semble être dans une phase de recentrage
97
stratégique où les cessions se font en fonction de l'orientation qui a été choisie pour reprendre
le développement après les difficultés de la crise. Trimestre après trimestre, l'équipe dirigeante
annonce de nouvelles cessions, alors que dans la période précédente, chaque trimestre
apportait des nouveaux rachats. L'objectif de liquider Citi Holdings sera rapidement atteint,
consacrant la fin du supermarché financier pour Citigroup.
B. Citicorp
Citicorp réunit les activités qui fondent le développement futur du groupe. Les dirigeants ont
fait le constat de l'échec du supermarché financier global. Si les raisons de cet échec ne sont
pas seulement liées au modèle en lui-même, mais également à la mise en œuvre du modèle
dans le groupe. L'orientation pour la période suivante se concentre d'une part sur la banque de
financement et d'investissement, et d'autre part sur la banque de détail, aux Etats-Unis et à
l'international. Les pertes pendant la crise ont fait prendre conscience aux dirigeants des trop
grands risques pris et du défaut de leur maitrise. Aussi le choix a été fait de se recentrer sur
des clientèles de meilleure qualité. La banque de détail aux Etats-Unis devrait être redéployée
dans les plus grands centres urbains pour viser une clientèle plus aisée avec des conseillers
dédiés à cette clientèle. L'accent est également mis sur la banque privée, fortement génératrice
de revenus.
À l'international, le développement de Citigroup ne semble pas avoir été mis entre parenthèses
puisque la banque a annoncé son intention de poursuivre son internationalisation en banque
de détail. L'Asie semble être le centre des attentions des dirigeants de Citi. Certains nouveaux
pays verront l'apparition d'agences Citibank, comme le Vietnam. D'autres verront le nombre
d'agences augmenter fortement, l'Inde et la Chine en particulier. Les perspectives de
croissance en Asie apparaissent très favorables et Citi semble vouloir en profiter. Comme il a
été noté précédemment, les activités internationales du groupe n'ont pas participé aux pertes
colossales durant la crise. Les filiales étrangères les moins rentables ont été vendues pour
dégager du cash et permettre l'entrée sur des marchés plus porteurs. Mais de manière générale,
la stratégie internationale a peu été remise en cause. La vente de certaines filiales va réduire
l'offre distribuée à l'international comme aux Etats-Unis, mais les banques de détail à
l'étranger n'ont guère été touchées par une nouvelle stratégie globale, à l'exception de
l'Europe.
On constate enfin que le recentrage de Citi semble plutôt consister en une cession de filiales
qui n'ont jamais pu être intégrées dans un ensemble cohérent mais que néanmoins, la majorité
des activités resteront dans le groupe, dans des filiales historiques du groupe. Plutôt que de
tenter à nouveau d'intégrer les entités, les dirigeants semblent avoir fait le choix de se baser
sur les forces du groupe pour se développer. C'est notamment le cas en banque
98
d'investissement et de financement. Si les activités les plus risquées ont été abandonnées,
Citigroup n'a guère opéré de réorganisation de ces activités. Seules les filiales qui
n'apparaissaient pas sous la marque « Citi » et qui continuaient à opérer de façon
indépendante, telle que Smith Barney ont été cédées.
Le groupe semble clairement s'éloigner du supermarché financier, puisque le spectre
d'activités financières ne sera plus intégralement proposé dans ses agences. Certains types de
prêt risqués en seront exclus, tout comme la plupart des produits d'investissement de type
assurance-vie ou fonds mutuels. La sortie des activités de gestion d'actifs a des conséquences
sur l'ensemble de la banque, du détail à la banque d'investissement. Au-delà des volontés
affichées des dirigeants de se recentrer sur certains métiers, les limites de ce recentrage sont
parfois difficiles à saisir. Le groupe s'est séparé des activités de broker et de vente de produits
d'investissement mais il affiche sa volonté de s'étendre dans la gestion de fortunes, ce qui
passe nécessairement par l'offre de produits d'investissement.
Les contours du nouveau Citigroup sont difficiles pour l'heure à cerner. L'éloignement du
supermarché financier n'a jamais été annoncé par les dirigeants, c'est plutôt une analyse qui a
été faite par les marchés. Cependant l'offre de Citi sera, dans les faits bien moins large
puisque les produits d'assurance ne sont désormais plus proposés aux Etats-Unis et cette
situation devrait sûrement être étendue à l'ensemble des filiales internationales.
En se référant au modèle de Smith et Walter, on peut considérer que Citigroup passe d'une
stratégie visant toutes les cellules à une stratégie visant des cellules particulières, bien
identifiées. Comme l'ont analysé les deux auteurs, la mise en place d'une stratégie efficiente
nécessite de viser des cellules précises en fonction des ressources et des caractéristiques de la
banque. Le supermarché financier ne semble viser aucune cellule en particulier, du point de
vue des produits, du point de vue géographique ou de celui des clients. Cet éparpillement des
ressources semble en contradiction avec le modèle C-A-P de Smith et Walter puisque les deux
auteurs envisagent les liens entre les marchés, les « cellules » comme le moteur de l'efficacité
comme cela a été évoqué plus haut. Citigroup semble s'orienter désormais vers un type de
clientèle, celui de la banque de détail plutôt haut de gamme, avec un éventail de produits
excluant l'assurance sur une échelle globale. À l'aune du modèle de Smith Walter, on peut
supposer que la nouvelle direction du groupe sera plus porteuse grâce au « cell-targeting »
effectué qui permettra d'extraire la valeur de certains marchés en particulier.
En raison de l'évolution rapide du paysage bancaire américain, au gré des évènements sur les
marchés il semble difficile de tracer les limites du futur groupe. Il apparaît clair que Citi aura
une taille bien inférieure et que le gouvernement américain ne la laissera probablement plus
s’étendre aussi largement. Ces évolutions ne remettent pas en cause les avantages que possède
Citi dans le cadre de son internationalisation. La banque a été profondément transformée aux
99
Etats-Unis, mais les changements à l'international apparaissent moins fondamentaux. Aucun
pays n'est apparu comme le mouton noir des filiales de Citigroup. Au contraire, c'est le
marché national qui a le plus endommagé la stratégie de la banque. A cet égard il semble
pertinent de rappeler qu'historiquement, Citigroup a toujours été considéré comme un géant
international mais un nain aux Etats-Unis.
Si Citi ne sera peut être plus le géant financier qu'elle était, elle restera certainement une des
rares banques globales, avec comme principale et peut être unique concurrente comparable à
l'échelle internationale HSBC. Les avantages de Citigroup lui ont véritablement permis de
surmonter ses désavantages face aux concurrentes locales et de s'implanter comme un acteur à
l'égal des autres sur des marchés étrangers. On peut même aller plus loin et s'interroger si
Citigroup ne serait pas en elle-même une banque globale et non plus une banque appartenant
à un pays en particulier, ce qui justifie l'appellation « supermarché financier global ».
Section 2- le modèle de Citigroup et le paysage bancaire
international
A l'heure où Citigroup semble s'éloigner du modèle de banque universelle, le constat pour la
concurrence montre une direction tout opposée. Alors que Citi se sépare de ses filiales, ses
concurrentes Bank of America et JP Morgan ont suivi une trajectoire inverse en profitant des
difficultés de certaines institutions financières pour étendre leurs activités. Bank of America
s'est alliée à Merrill Lynch, banque d'investissement et de gestion d'actifs au bord de la faillite.
JP Morgan a repris les activités de détail de Washington Mutual qui était, elle en faillite. Si
aux Etats-Unis les banques d'investissement et les banques uniquement de détail cohabitent,
en Europe le paysage bancaire est beaucoup plus uniforme et la quasi-totalité des banques ont
adopté le modèle de banque universelle.
En Europe, le retour à la banque universelle est intervenu plus tôt qu'aux Etats-Unis, une
directive européenne a en effet autorisé la constitution de conglomérats financiers. Les Etats-
Unis sont restés plus longtemps réticents à retirer les barrières à la constitution de ces banques
universelles en raison du traumatisme important issu de la crise de 1929. Citigroup a été un
précurseur dans la mise en œuvre de la banque universelle à l'international, mais les banques
européennes se sont tournées vers ce modèle avant elle, certes sans l'appliquer de la même
manière à l'international. La crise a ravivé le débat sur les bénéfices et les risques que la
banque universelle apporte au système financier. Les auteurs restent partagés sur le sujet et il
est difficile d'arriver à une conclusion certaine. Les études arrivent à des conclusions parfois
opposées mais beaucoup s’accordent pour conclure que les banques universelles ne présentent
pas un risque supérieur aux banques spécialisées. Cette conclusion se base notamment sur le
100
fait que les activités d’assurance et les activités bancaires apparaissent peu corrélées et
l’alliance de ces deux types d’activités rend les résultats des banques plus stables. Il est sûr
que le financement d'activités hasardeuses telles que les CDO au cœur de la crise par les
dépôts de la banque de détail présente un risque majeur pour la stabilité du système financier.
Néanmoins les régulations bancaires strictes aujourd’hui en vigueur sont à même de protéger
la sphère financière de façon plus adéquate qu’en 1929 et le débat sur la banque universelle
s'est rapidement éteint.
Les déboires de Citigroup ont certainement joué un grand rôle dans la réactivation de ces
débats. La banque était l'exemple le plus abouti de banque universelle, en ce qui concerne les
Etats-Unis. Son échec largement relayé dans les médias a pu rouvrir les interrogations sur ce
modèle qui avait conduit à la crise de 1929. Mais le débat qui apparaît le plus important est
celui du « too big to fail ». Les analystes, les économistes et les chercheurs s'interrogent sur
les risques que font peser sur le système financier l'apparition d'institutions financières si
grandes que leur faillite ferait tomber la planète financière, et l'économie mondiale. Comme
cela a déjà été évoqué, cette taille gigantesque et la garantie d'un sauvetage par l'autorité
publique entrainent un risque d'aléa moral majeur. Implicitement, une telle banque ou
institution financière ne peut faire faillite. Ainsi tous les risques peuvent être pris sans jamais
en assumer les conséquences. Cette situation induit un risque considérable pour le système
puisque les gains sont privés, gagnés par la banque, mais les pertes et les risques sont portés
par la société. Par ailleurs, si les firmes les plus grandes obtiennent dans la majorité des cas un
fort pouvoir de marché, une banque trop grande pour faire faillite obtient un avantage décisif
sur ses concurrentes puisqu’elle est déchargée de tout risque. Le jeu de la concurrence est
ainsi faussé, en sus des risques que la situation fait peser sur le système financier.
Aussi le supermarché financier de Citigroup a montré la pertinence de ce débat. Les éléments
graphiques ont montré le risque supérieur pris par Citigroup, pour une rémunération qui ne
semble supérieure qu'à la marge. L'hypothèse que Citigroup a joué de cet aléa moral semble
donc plausible, même s'il semble évident que les dirigeants n'ont pas explicitement décidé de
se jouer de l'Etat américain. Le démantèlement de Citigroup semblait donc une nécessité pour
répondre aux critiques, mais aussi pour rétablir un certain équilibre sur le marché bancaire
américain, voire même international.
La taille de la banque semble donc être le facteur majeur dans sa chute. Comme l'ont
dénommé Smith et Walter, la croissance du groupe a été réalisée par « continuous motion »,
un mouvement continu qui a fait naitre ce géant financier manquant de cohérence,
d'intégration. Plus que le modèle en lui-même, il semble que ce soit la manière dont le groupe
a été créé qui est au cœur des difficultés. Or cette expansion par acquisition continuelle a peu
à voir avec le secteur bancaire. Il est possible de trouver de nombreux exemples de fusions
101
qui n’ont pas produit les résultats espérés, dans des secteurs économiques très variés.
Les banques européennes ont montré leur résistance face à la crise et pourtant elles sont
majoritairement des banques universelles. Le cas français est emblématique puisque les
grandes banques françaises proposent toutes à leur clientèle une offre large tant en banque
qu'en assurance. Berger, Hancock et Humphrey30 démontrent que plus que la taille ou
l'envergure des activités, c'est la façon dont la banque est dirigée qui importe pour expliquer
sa réussite. Les banques françaises, bien que touchées par la crise n'ont pas remis en cause
leur modèle qui n'a d'ailleurs jamais été critiqué par les analystes ou les hommes politiques.
La banque universelle n’a pas été visée comme facteur de la crise. On constate même qu’à la
suite de Citigroup, ce modèle a été privilégié par toutes les banques occidentales dans leur
internationalisation, avec un cheminement très proche de celui de Citi. (Banque
d’investissement, suivi des premières agences de détail pour une clientèle haut de gamme et
enfin ouverture large à la clientèle de détail). Son avenir ne semble pas être compromis, même
aux Etats-Unis comme en témoignent les récentes acquisitions de JP Morgan et Bank of
America. La séparation entre banque d’affaires et banque de détail ne semble pas être à
l’ordre du jour. La chute de Lehman Brothers a montré qu’une banque d’investissement,
même sans base de dépôts auprès du public peut mettre en péril le système entier. La faillite
de Lehman n’a pas eu de conséquences directes sur les dépôts du grand public, mais en raison
de l’interconnexion entre toutes les institutions financières, elle a néanmoins menacé les
banques de détail, et donc indirectement les avoirs des clients de détail. La séparation de la
banque d’investissement et de la banque de détail au nom de la protection des petits
épargnants n’apparait pas comme une option valable.
Après avoir examiné les ressorts de la stratégie internationale de Citigroup dans la deuxième
partie, la troisième partie a permis de dresser le bilan de cette décennie de supermarché
financier. Ces années ont été jalonnées de difficultés qui, si elles sont restées discrètes pendant
la majorité de la période, ont éclaté au grand jour avec la crise des subprimes. Pourtant
l’expansion internationale a été une réussite et elle n’a guère été remise en cause. Ce modèle a
été adopté par de nombreux acteurs à la suite de Citigroup. Si les données financières ne
donnent pas un avantage franc à la banque rouge et bleue, le fait même que Citi n’apparaisse
pas significativement en-dessous de ses concurrentes à l’étranger, le fait qu’elle ait les moyens
de toujours poursuivre son expansion internationale en banque de détail montrent la capacité
du groupe à surmonter les désavantages face aux compétiteurs locaux.
A l’échelle globale, l’échec apparait néanmoins clair. Les raisons de cet échec sont multiples
30 Berger A., Hancock D., Humphrey D., «Banking efficiency derived from a proft function », Journal of Banking and Finance, Avril 1993
102
et peuvent être trouvées à la fois dans un modèle stratégique pour partie erroné, et à la fois
dans un fonctionnement défaillant de la banque. Le problème qui apparait comme récurent est
la taille du groupe. Citi semble avoir été trop grande pour être gérée et intégrée de façon
efficace. Sa taille a certainement aussi favorisé une prise de risques à travers l’aléa moral que
son statut de « too big to fail » lui a conféré. Cette prise de risques n’a été que peu compensé
par un rendement supérieur ce qui laisse penser que le modèle one-stop shop n’a pas été à la
hauteur des attentes des dirigeants. Cependant à l’aune du succès de la banque universelle à
l’échelle globale, la voie ouverte par Citigroup semble avoir profité à l’ensemble du secteur,
particulièrement aux Etats-Unis. Citi y a été dépassée par ses concurrentes les plus proches.
103
Conclusion: Après dix années de supermarché financier international, vers un nouveau
souffle dans une nouvelle ère bancaire
En l’espace de dix ans, un géant financier est né et a disparu. A la fin des années 90, l’avenir
semblait très prometteur pour les banques qui sont parties à la conquête du monde, en plein
contexte de suppression des entraves au commerce transnational. Les établissements
financiers sont entrés dans une phase d’internationalisation et Citigroup a été le précurseur de
ce mouvement.
Citigroup a été un temps le leader d'un paysage bancaire hérité d'une longue évolution qui a
trouvé son aboutissement avec le Gram-Leach-Bliley Act qui retire toute restriction à la
constitution de conglomérats bancaires aux Etats-Unis. Grâce à cette stratégie de supermarché
financier, Citigroup s'est hissée au rang de numéro un mondial, place que la banque n'occupa
pas longtemps. Dès 2007, le modèle semble se disloquer et en 2010 Citigroup n'est plus ce
one-stop shop que les marchés avaient acclamé en 1998. Le groupe dispose pourtant d'atouts
incontestables pour mener à bien son internationalisation. L'examen de ses atouts à l'aide des
outils théoriques déjà existants a permis d'apporter une contribution modeste aux approches
théoriques. La culture de Citigroup apparaît comme le facteur le plus profond pour expliquer
l'internalisation du groupe dans la période récente. Cela peut paraître paradoxal lorsque l'on
constate que les déboires actuels de Citigroup ont beaucoup à voir avec l'absence d'intégration
des différentes filiales dans un ensemble cohérent.
Pourtant la culture centenaire du groupe l'a préparé à être une firme multinationale. Depuis
presque l'origine Citi a eu des implantations internationales. En ajoutant la tradition
d'innovation qui anime les équipes de la banque, la culture de Citi lui a permis de se
confronter à la banque de détail dans des pays étrangers à l'égal des concurrentes locales. Le
groupe n'a certes pas surperformé ses concurrentes. Néanmoins il est le seule groupe
américain à posséder plus d'activités en banque de détail à l'étranger qu'aux Etats-Unis, ce qui
atteste de sa réussite dans son développement international. Certains facteurs avancés par les
auteurs de l'internalisation des banques, comme Garcia Herrero et Navia Simon semblent
difficilement valables pour le cas de Citigroup. Suivre ses clients, dans le cas de la banque de
détail a peu de sens. La proximité culturelle entre le pays d'origine du groupe et les pays visés
par la stratégie n'apparait pas non plus comme un déterminant majeur pour Citigroup. La
pertinence des facteurs liés à l’obtention d’une taille critique ou encore la diversification
géographique de la banque est plus difficile à trancher. Ces facteurs peuvent être dans une
certaine mesure des déterminants de l’internationalisation d’une banque comme Citigroup,
mais ils apparaissent plus comme des déterminants secondaires. Enfin le modèle
104
organisationnel de Citigroup semble lui avoir permis de bénéficier d'un statut de first-mover,
tant aux Etats-Unis qu'à l'étranger qui a certainement été déterminant dans la poursuite du
développement international du groupe.
L'avantage du « premier joueur » n'est cependant qu'éphémère. La concurrence a été rapide à
suivre Citi dans l'adoption d'un modèle similaire. Les dirigeants de Citi ont fait preuve d'une
certaine boulimie d'acquisitions qui a nui à la rentabilité du groupe. En outre les bénéfices
attendus du supermarché financier n’ont pas été à la hauteur des attentes. L’arrivée de la crise
a bousculé la stratégie du groupe. En quelques mois, le géant financier a subis une cure
d’amaigrissement à marche forcée, sous l’impulsion directe du gouvernement américain. Sa
taille gigantesque lui a été plus défavorable que bénéfique et fait peser sur le système
financier un risque important (bien que Citi soit loin d’être la seule institution à avoir atteint
une taille mettant en danger le système financier). Cette taille a été un problème pour le
fonctionnement du groupe, entrainant déséconomies d’échelle, prise de risque trop élevé et
absence de cohérence. Si Citi était « too big to fail », trop grande pour défaillir, il s’agit de
défaillir au sens strict de faire faillite puisqu’au niveau financier, la réussite n’a été guère au
rendez-vous et le groupe a failli à dégager une rentabilité supérieure à la moyenne pour les
actionnaires.
Dix ans après la fusion entre Citibank et Travelers, le paysage bancaire international semble
entrer dans une nouvelle ère. Parler d’une décennie perdue pour Citi semble trop simple et les
déclarations des anciens dirigeants regrettant la tournure qu’ont pris les évènements
apparaissent exagérées. Au regard de l’internationalisation, Citigroup est devenue la première
banque globale, globale tant au niveau du spectre de produits proposés qu’au niveau de
l’exposition géographique. Les résultats du deuxième trimestre 2010 montrent que 70% des
profits de la banque sont issus des activités internationales, particulièrement en Asie et
Amérique du Sud. Il est probable qu’au cours de cette troisième période
d’internationalisation, Citigroup soit devenu l’archétype de la banque internationale, présente
partout et dans tous les types d’activités.
Le cas de Citigroup semble particulièrement intéressant dans le contexte actuel d’adoption de
nouvelles régulations bancaires. La banque new-yorkaise semble avoir concentré tous les
éléments tant décriés aujourd’hui. Elle a pris des risques élevés en proposant des prêts à une
clientèle peu solvable, prêts avec lesquels elle a ensuite joué sur les marchés par
l’intermédiaire de CDO. Elle a atteint une taille qui menace l’équilibre du système mondial.
Son démantèlement actuel apparait comme inévitable. Si la rentabilité n’a pas été au rendez-
vous pour les actionnaires, si les licenciements massifs sont une menace pour les employés du
groupe et si les dirigeants qui se sont succédés à la tête du groupe se sont excusés pour leur
105
échec, on peut néanmoins s’interroger sur l’impact qu’a eu l’entrée de Citi sur des marchés
étrangers. L’arrivée d’un tel géant sur un marché national a certainement eu des conséquences
sur les marchés locaux, pour le secteur bancaire comme pour les consommateurs. Citi a réussi
avec succès l’entrée sur de nombreux marchés émergents, ce qui témoigne de sa capacité à
surmonter son désavantage face aux concurrents locaux, comme l’analysent les théories de
l’internationalisation des banques. Ainsi elle a dynamisé certains marchés locaux, apportant
modernisation et innovation. Elle a certainement profité au secteur de ces pays en poussant les
acteurs locaux à s’adapter aux normes de fonctionnement des grandes banques occidentales.
Des études sur l’impact de l’entrée de banques étrangères sur des marchés étrangers ont été
conduites et étudier l’impact propre de Citi sur ces marchés pourrait être une piste intéressante
pour contribuer à la compréhension des phénomènes bancaires transnationaux. Enfin,
Citigroup a également orienté et changé le paysage bancaire américain. De ses pressions pour
abroger le Glass-Steagall Act à son démantèlement, le groupe représente un moteur pour le
secteur bancaire américain qui semble s’orienter vers une version corrigée du supermarché
financier de Citi.
Citi apparait comme le symbole de la finance du début du 21ème siècle, omniprésente, ultra
puissante et difficilement contrôlable. En 2010, comme à la sortie de la crise 1929 ou dans les
années 80, Citigroup est à nouveau sur le point de se réinventer pour affronter les défis de la
prochaine période. La finance américaine a semblé vaciller tandis que les banques des pays
émergents affichent leurs ambitions, avec des introductions en bourse record. Dans cette
période de profonde réorganisation bancaire, Citi doit se trouver un nouveau souffle pour une
fois de plus sortir de l’ornière et regagner son titre de première banque globale.
106
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109
Table des matières
Introduction ................................................................................................................................1
Première Partie- L'expansion internationale de Citigroup: solution pour tirer profits de ses
avantages compétitifs face aux défaillances du marché. ............................................................7
Chapitre 1- les fondements théoriques de l'internationalisation des banques, de
l'internalisation aux avantages compétitifs .............................................................................8
Section 1- S'internationaliser pour bénéficier au mieux d'avantages spécifiques ..............8
A. Hymer et Kindleberger ..............................................................................................8
B. Le cycle de vie des produits, Vernon .......................................................................10
Section 2- Le modèle de l'internalisation, comprendre les défaillances du marché ......... 11
A. Buckley et Casson....................................................................................................12
B. l'internationalisation des banques par la théorie de l'internalisation........................14
1. L'apport de Grubel ................................................................................................14
2. L'apport de Tschoegl............................................................................................. 15
Section 3- L'internationalisation, une combinaison d'avantages spécifiques à la firme,
d'avantages de localisation et d'avantages d'internalisation: le paradigme OLI ...............17
A. Dunning et le paradigme OLI ..................................................................................17
B. L'application du paradigme OLI aux banques multinationales................................19
Chapitre 2- Les déterminants empiriques des IDE financiers ..............................................23
Section 1- les déterminants microéconomiques et comportementaux tels qu'envisagés par
Garcia Herrero et Navia Simon ........................................................................................23
Section 2- la matrice d'analyse de Smith et Walter........................................................... 30
Chapitre 3- la réactivation de la banque universelle dans le contexte de la dérégulation
financière du 21ème siècle ...................................................................................................36
Deuxième Partie- Le supermarché financier de Citigroup: un spectre très large d'activités
bancaires projeté systématiquement sur de nombreux marchés étrangers ...............................40
Chapitre 1- La fusion de Citicorp et de Travelers Group: la construction d'une banque
universelle internationale répondant à la pression de la concurrence nationale...................40
Section 1- Deux groupes à l’histoire bien différente ........................................................40
A. De City Bank of New York à Citicorp, l’évolution d’une banque américaine de
premier plan..................................................................................................................41
B. Un conglomérat financier : The Travelers Group .................................................... 43
C. La « méga-fusion » donnant naissance à Citigroup .................................................45
Section 2- Les déterminants de l’internationalisation à la fusion.....................................47
110
A. Une histoire et une culture internationales ..............................................................47
B. L’internationalisation comme réponse à une pression concurrentielle ....................50
Chapitre 2- Dix années d'expansion internationale de Citigroup: de puissants avantages
vecteurs d'une stratégie d'internationalisation à très grande échelle ....................................57
Section 1- Le développement international de Citigroup pendant ses dix premières
années d’existence ............................................................................................................57
Section 2- L’expansion internationale sous l’angle des déterminants empiriques de
l’internationalisation.........................................................................................................61
A. Diversification du risque et conglomérat financier .................................................61
B. « follow the client » .................................................................................................65
C. Innovation et canal de distribution...........................................................................66
Troisième Partie- Le paradoxe du modèle : une phase d’expansion réussie suivie d’une
tourmente conduisant à refonder la stratégie............................................................................73
Chapitre 1- Des résultats financiers contrastés, entre efficacité internationale et débâcle liée
à la crise ................................................................................................................................74
Section 1- Résultats liés à l'international..........................................................................74
A. Etats-Unis ................................................................................................................77
B. Mexique ...................................................................................................................82
C. Corée ........................................................................................................................84
Section 2- L’échec relatif de Citigroup.............................................................................88
A. La crise des subprimes.............................................................................................88
B. Les raisons de cet échec...........................................................................................89
1. La mauvaise intégration des activités...................................................................89
2. Le défaut de maitrise des risques..........................................................................91
3. Le mythe du supermarché financier .....................................................................92
Chapitre 2- Face au constat de l'échec, recomposition profonde et recherche d'un nouveau
modèle international .............................................................................................................94
Section 1- les changements stratégiques de Citigroup .....................................................94
A. Citi Holdings............................................................................................................95
B. Citicorp ....................................................................................................................97
Section 2- le modèle de Citigroup et le paysage bancaire international...........................99
Conclusion: Après dix années de supermarché financier international, vers un nouveau souffle
dans une nouvelle ère bancaire...............................................................................................103
Bibliographie ..........................................................................................................................106
111
Résumé
En étudiant en détail le cas de Citigroup, il est possible de s’intéresser aux déterminants de
l’expansion internationale des banques. Dans la troisième vague d’internationalisation des
institutions financières que nous vivons actuellement, Citigroup a été un précurseur en
adoptant dès 1998 le modèle du « supermarché financier » ou « one-stop shop ». Le groupe
est devenu un géant financier alliant toute la palette d’activités financières, de l’assurance à la
banque d’investissement. Durant les dix années écoulées, elle a cherché à projeter ce modèle
sur de nombreux marchés bancaires étrangers.
En 2010, deux constats sont possibles. D’une part l’international a été un domaine de réussite
pour Citi qui malgré la crise poursuit son développement. D’autre part, sur son marché
national les Etats-Unis Citigroup a été fortement malmené ce qui a profondément remis en
cause son modèle et a mis fin au « one-stop shop ».
En termes de facteurs d’internationalisation, certains apparaissent comme plus pertinents que
d’autres pour le cas de Citi. La taille colossale du groupe semble avoir joué un rôle important
dans l’expansion internationale. L’histoire et la culture de Citi, qui s’exprime à travers une
forte capacité d’innovation ont certainement contribué à faciliter le développement à
l’étranger. Ainsi cette étude permet d’apporter un nouvel éclairage aux théories de
l’internationalisation des banques à travers le cas de la plus grande banque au monde,
Citigroup.
Mots clés
Banque universelle ; internationalisation des firmes ; Citigroup ; crise des subprimes ;
supermarché financier