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LA STRATEGIE INTERNATIONALE DE CITIGROUP , LE SUPERMARCHE BANCAIRE GLOBAL IEP Toulouse Mémoire de recherche présenté par : Jean-Baptiste Lopvet Directeur du mémoire : Alexandre Minda 2010

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LA STRATEGIE INTERNATIONALE DE CITIGROUP,

LE SUPERMARCHE BANCAIRE GLOBAL

IEP Toulouse

Mémoire de recherche présenté par : Jean-Baptiste Lopvet

Directeur du mémoire : Alexandre Minda

2010

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LA STRATEGIE INTERNATIONALE DE CITIGROUP,

LE SUPERMARCHE BANCAIRE GLOBAL

IEP Toulouse

Mémoire de recherche présenté par : Jean-Baptiste Lopvet

Directeur du mémoire : Alexandre Minda

2010

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Remerciements

Je remercie Alexandre Minda pour son temps et son encadrement pour la rédaction de ce

mémoire et plus généralement pour son implication dans le développement de la

spécialisation « Affaires Internationales et Stratégie d’Entreprise » à l’IEP Toulouse.

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Avertissement

L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de

recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).

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Sommaire

Introduction ................................................................................................................................1

Première Partie- L'expansion internationale de Citigroup: solution pour tirer profits de ses

avantages compétitifs face aux défaillances du marché. ............................................................7

Chapitre 1- les fondements théoriques de l'internationalisation des banques, de

l'internalisation aux avantages compétitifs .............................................................................8

Chapitre 2- Les déterminants empiriques des IDE financiers ..............................................23

Chapitre 3- la réactivation de la banque universelle dans le contexte de la dérégulation

financière du XXIème siècle ................................................................................................36

Deuxième Partie- Le supermarché financier de Citigroup: un spectre très large d'activités

bancaires projeté systématiquement sur de nombreux marchés étrangers ...............................40

Chapitre 1- La fusion de Citicorp et de Travelers Group: la construction d'une banque

universelle internationale répondant à la pression de la concurrence nationale...................40

Chapitre 2- Dix années d'expansion internationale de Citigroup: de puissants avantages

vecteurs d'une stratégie d'internationalisation à très grande échelle ....................................57

Troisième Partie- Le paradoxe du modèle : une phase d’expansion réussie suivie d’une

tourmente conduisant à refonder la stratégie vers une nouvelle orientation ............................73

Chapitre 1- Des résultats financiers contrastés, entre efficacité internationale et débâcle liée

à la crise ................................................................................................................................74

Chapitre 2- Face au constat de l'échec, recomposition profonde et recherche d'un nouveau

modèle international .............................................................................................................94

Conclusion: Après dix années de supermarché financier international, vers un nouveau souffle

................................................................................................................................................103

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Introduction

Le 8 octobre 1998, Citicorp et Travelers Group fusionnaient pour donner naissance à

Citigroup Inc., conglomérat financier géant appelé à devenir la nouvelle banque du 21ème

siècle. Dix ans plus tard, John Reed, ancien Président de Citicorp et artisan de la fusion

exprime dans la presse ses plus grands regrets pour avoir créé une entité qui dans la crise de

2008 a été au cœur de la tourmente. Sa capitalisation a fondu de 300 milliards de dollar à six

milliards à son niveau le plus bas. Étrange situation d'une institution présentée à sa création

comme le nouveau paradigme du service financier, regroupant sous un même toit l'ensemble

des activités bancaires et financières possibles qui au bout de dix ans est décrite comme « une

erreur » par son architecte, une ligne à effacer. Peut-on parler d'une « décennie perdue » pour

Citigroup Inc. ?

De manière paradoxale, alors que Citigroup a pu se construire sur le démantèlement de

législations mises en place à la suite de la crise de 1929, c'est une nouvelle crise, un temps

comparée à celle de 1929 qui l'a forcé à un éclatement de sa structure, après deux

renflouement par le gouvernement fédéral américain pour un montant total de plus de

quarante milliards de dollars. Toutes les grandes banques internationales ont été touchées par

cette crise d'une ampleur inhabituelle. Certains acteurs de rang mondial ont disparu en

l'espace de quelques semaines tel que Lehman brothers et le paysage bancaire de ce début de

21ème siècle reste encore à imaginer alors que chaque acteur tente de mettre en œuvre une

stratégie propre de développement. Mais le cas de Citigroup semble le plus emblématique

d'un modèle stratégique à repenser. L'acteur bancaire de rang mondial ou banque

multinationale est selon la définition de Casson et Buckley (1991) une firme « qui possède et

contrôle des activités dans différents pays ». Cette définition est complétée par celle de Gray

et Gray en 1981 qui postulent la banque internationale comme un établissement financier qui

collecte les dépôts et accorde des crédits grâce à des entités localisées dans plus d'un pays.

Pour exprimer plus précisément les activités d'une banque multinationale, Davis et Lewis

détaillent trois activités économiques: les banques multinationales collectent des actifs dans

différents devises, ces banques transforment les actifs pour satisfaire les préférences des

épargnants et des emprunteurs, enfin elles transforment les maturités des dépôts pour

satisfaire les emprunteurs.

Si la refonte du secteur bancaire occidentale prendra plusieurs années et dépendra en partie de

certaines décisions politiques, on peut dès à présent faire le constat que la stratégie suivie par

Citigroup au cours de la décennie passée ne constituera plus le modèle de développement des

grandes banques internationales. Cette stratégie a pourtant été imitée, copiée, reprise par la

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plupart des grandes banques globales, avec plus ou moins d'adaptation ou d'amélioration, de

façon plus ou moins poussée. De HSBC à Crédit Agricole en passant par BBVA et JPMorgan,

tous les grands noms sont devenus des canaux de distribution de produits financiers variés, à

l'image de la vision stratégique portée par les pères de la fusion Citicorp-Travelers Group dont

l'ambition était de bâtir un « supermarché financier », où le client aurait à sa portée un

éventail très large de produits bancaires, financiers et assurantiels et pourrait trouver des

réponses à l'ensemble de ses besoins pour un coût moindre. La place particulière de Citigroup

dans ce mouvement de recomposition tient à ce que la fusion des deux entités fut un élément

cristallisant dans la suppression des dernières barrières entre banque de dépôt et banque

d'investissement avec l'adoption du Gramm-Leach-Bliley Act en 1999, autorisant de ce fait la

formation de l'ensemble Citigroup. Les artisans de la fusion ont donc façonné le paysage

bancaire issu de cette vague de dérégulation.

Cette stratégie d'abord mise en œuvre à Citigroup Inc. puis plus largement reprise peut

apparaître à bien des égards comme le retour à la banque universelle, modèle prédominant

avant la crise de 1929. Depuis les années 80 les régulateurs financiers et politiques ont levé

les barrières empêchant la séparation des activités de banque d'investissement et de banque

commerciale de détail et les acteurs bancaires se sont rapidement dirigés vers cette nouvelle

opportunité de développement. Néanmoins, le modèle actuel de banque universelle diffère de

ce qui pouvait être observé au début du 20ème siècle. Ainsi suite à la crise de 2008 il a peu été

question de remettre en cause ces évolutions qui n'ont pas été jugées comme facteur central de

déstabilisation du système financier mondial et d'autres pistes d'amélioration de ce système

ont été évoquées. Pourtant le cas de Citigroup pousse à s'interroger sur les limites que les

banques elles-mêmes ont trouvé au modèle de banque universelle, et notamment les conflits

d'intérêt que ce modèle fait naitre.

La question qui peut se poser est celle de la responsabilité des banques, responsabilité dans le

déclenchement de la crise, mais aussi plus largement leur responsabilité au sein de nos

sociétés modernes dans lesquelles la finance a pris une place déterminante. La stratégie,

entendue comme mise en œuvre de moyens pour atteindre des objectifs pousse à s'interroger

sur le rôle des banques. Face aux accusations de vision à très court terme du secteur financier

et aux soupçons d'immoralisme dans les pratiques de certains acteurs, l'émergence de

nouveaux modèles bancaires nous interpelle sur la nécessité de comprendre quelles fins

poussent la création de ces grands ensembles conglomérats bancaires. Cette stratégie

répondrait-elle d'une logique d'efficacité et de rationalité économique qui serait bénéfique à

l'ensemble des acteurs impliqués (banques, investisseurs, clients...)? Ou est-elle captée par

certains acteurs pour servir leurs intérêts? Dirigeants? Traders?

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La question de la stratégie des banques est au cœur des difficultés économiques de la période

2008-2009, alors que certaines activités très rentables sont montrées du doigt, comme le

trading en compte propre ou les marchés dérivés sur lesquels la gestion des risques s'est

montrée défaillante. Se pose la question de savoir pour qui la stratégie est mise en œuvre. Les

controverses autour des bonus des employés de Goldman Sachs montrent la pertinence de

cette interrogation. Au mépris des milliers de chômeurs aux Etats-Unis, Goldman Sachs peut-

elle accorder des millions de dollars de bonus à ses employés? Les décisions de politique

d'entreprise, la direction que prend un établissement bancaire sont des éléments déterminants

pour expliquer les comportements des acteurs qui appliqueront ensuite ces décisions sur

chaque marché financier, aussi complexe soit-il. Comprendre par qui est captée la décision

stratégique semble essentiel pour envisager une régulation du secteur bancaire.

Citigroup semble avoir été précurseur en adoptant le modèle du supermarché financier.

Pourtant, au sortir de la crise, l'orientation stratégique semble prendre une toute autre

direction.

« Citi Never Sleeps »

Depuis les années 80 et la dématérialisation des marchés financiers, le soleil ne se couche plus

sur la planète financière, les places financières se relayant au fil des fuseaux horaires. Pour

Citigroup non plus, le guichet ne ferme jamais.

La création de l'ensemble Citigroup a donné naissance au numéro bancaire mondial au regard

de nombreux indicateurs, avec des actifs approchant un trillion de dollars soit mille milliards

de dollars, plus de deux cents millions de clients dans une centaine de pays à travers le

monde. Plus que pour bénéficier des effets d'une envergure colossale de l'ensemble, la fusion

a eu pour but de regrouper sous le même toit un continuum d'activités bancaires et financières

jamais assemblé auparavant: du compte courant au financement d'opérations de marché, de

l'assurance personnelle au management de fortune. Précurseur dans cette stratégie, Citigroup

s'est imposé comme leader mondial du secteur, alors que Citicorp et Travelers avaient une

taille et une position bien plus modestes avant la fusion. Le développement post-fusion a

avant tout mis l'accent sur l'expansion internationale. Dans l'enthousiasme de la fusion, les

dirigeants du groupe entendaient révolutionner l'industrie bancaire à l'échelle globale, en

permettant à chaque client, quel que soit son profil d'effectuer ses activités bancaires et

financières avec une même société, quelle que soit sa localisation dans le monde et ainsi lui

offrir le meilleur service au meilleur prix dans une optique « one-stop shop ». Sur le marché

bancaire américain très concurrentiel, Citigroup a pris le pas pour se démarquer de ses

concurrents.

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S'en est suivie une multitude d'acquisitions sur tous les continents, internationalisation très

poussée au fur et à mesure de l'ouverture et de la libéralisation des marchés sur l'ensemble du

globe. Ces rachats ont fait peu de distinction géographique puisque Citigroup s'est implanté de

manière globale sur tous les continents, dans les puissances émergentes. Ce phénomène est

bien caractéristique de la « troisième vague d'internationalisation des banques », décrite par

Garcia Herrero et Navia Simon1, vague qui a commencé dans la seconde moitié des années

90. Les implantations de Citigroup se sont faites en direction du grand public, avec l'ouverture

de réseaux d'agences. Loin d'être la seule institution financière à avoir choisi cette voie,

puisque 40% des avoirs en monnaies locales dans les pays émergents étaient en 2001 détenus

par des banques étrangères, Citigroup semble en être le cas le plus emblématique.

La globalisation est un processus aujourd'hui central dans nos modèles de société, et

l'économie n'est qu'un des multiples domaines concernés par cette globalisation. Aussi, les

stratégies de firmes à l'international sont l'objet d'une recherche fournie et de nombreuses

publications scientifiques. Ces phénomènes d'internationalisation donnent une nouvelle

perspective à une multitude de modèles économiques, de la théorie des marchés contestables à

l'économie géographique.

Très tôt sont apparus des éléments théoriques mettant l'accent sur la possession d'avantages

compétitifs par les firmes pour comprendre les raisons de l'internationalisation avec comme

fondement la théorie du cycle de vie de Vernon qui a été réactualisée pour prendre en compte

les phénomènes de globalisation. La stratégie du one-stop-shop adoptée par Citigroup semble

par son originalité et son caractère précurseurs s'inscrire dans cet ensemble théorique qui voit

dans la possession d'avantages spécifiques un déterminant majeur de l'internationalisation des

firmes. Imitée par ses principaux concurrents, Citigroup est néanmoins le cas le plus poussé

d'internationalisation rapide à l'échelle globale, sur l'ensemble du spectre d'activités bancaires

et financières. La fortune contrastée de cette stratégie pousse à s'interroger sur les facteurs de

réussite et d'échec du modèle de Citigroup.

Dans quelle mesure le groupe bancaire Citigroup possède-t-il des avantages comparatifs

propres et plus particulièrement à travers son modèle organisationnel du one-stop-shop

qui lui permette de développer une stratégie globale efficiente au regard de la

concurrence locale dans les pays cibles et de la concurrence nationale des grandes

banques américaines?

Si une grande incertitude demeure quant à la forme future de Citigroup, la compréhension de

1 Garcia Herrero A., Navia Simon D., « Determinants and impact of financial sector FDI to emerging economies: a home country's perspective », Working Group on Financial FDI of the BIS Committee of the Global Financial System (CGFS), Septembre 2003

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la stratégie semble pertinente pour comprendre les évolutions passées des grandes banques et

leurs choix stratégiques futurs. Au-delà de la compréhension du cas de cette firme, cette étude

permet de mettre en lumière des phénomènes liés à l'internationalisation des entreprises en

général, et des groupes bancaires en particulier. Dans le contexte de la crise financière, cette

étude permet également de comprendre les recompositions dans le secteur financier. En effet

le caractère facilement imitable des produits bancaires rend ce secteur d'autant plus sensible

aux stratégies des acteurs qui le composent.

Plus largement la compréhension de la stratégie d'un groupe bancaire tel Citigroup semble

d'autant pertinente dans le cadre d'études à l'IEP Toulouse puisqu'au delà de la compréhension

de faits économiques, l'internationalisation d'activités bancaires relève également de questions

politiques ou géopolitiques ayant une répercussion internationale, par exemple les

problématiques de régulation financière. Si le point de vue de ce mémoire est essentiellement

micro-économique, la place centrale des firmes multinationales pousse naturellement à

évoquer des thématiques plus larges en relation avec la globalisation, ses conséquences et sa

direction. L'étude de Citigroup apparaît alors à l'intersection des différentes matières

enseignées dans le cadre d'un diplôme d'IEP. On tentera donc de faire apparaître cette

pluridisciplinarité, bien que l'approche de ce mémoire sera principalement économique.

Sans prétendre étudier de façon détaillée une institution aussi complexe que Citigroup, ce

mémoire se focalisera essentiellement sur l'internationalisation du groupe en se fondant sur

l'abondant corpus théorique disponible tant sur l'internationalisation des entreprises que sur

les stratégies bancaires. L'application de cet ensemble théorique à un cas pratique permettra

de valider la pertinence de ces modèles et d'en mesurer la portée tout en apportant une

modeste contribution à la connaissance empirique des stratégies internationales de firmes. Cet

exemple empirique viendra s'ajouter aux nombreuses autres illustrations pour nourrir le débat

théorique.

Pour étudier la stratégie d'un groupe, la découverte de ce groupe de l'intérieur semble fournir

la meilleure occasion d'acquérir du matériel d'étude. Cependant en raison de la taille de

Citigroup, de l'éloignement géographique (le siège se trouvant à New York) et de la période

troublée que connait le groupe, l'accès direct à des informations venant du groupe n'a pas pu

être possible. Le choix d'un groupe américain complique la recherche d'informations.

Néanmoins l'intérêt du cas de Citigroup semble tout particulier et permet de dépasser ces

considérations. Par ailleurs l'information disponible pour le public est largement diffusée et

très fournie ce qui permet de comprendre un grand nombre d'éléments de la stratégie de

Citigroup. De plus l'information réglementée est abondante et s'est beaucoup accrue avec

l'entrée du gouvernement américain au capital des banques. Des éléments financiers

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permettront également de mettre en avant certains phénomènes et de tirer des constats. La

standardisation au niveau international des normes comptables et des règles de publication

donnent aujourd'hui aux chercheurs une source d'information assez fiable et constante. La

base de données Bankscope qui rassemble une multitude d'informations financière permet

d'obtenir rapidement des séries d'indicateurs et de ratio. Cet outil constituera une autre source

majeure pour évaluer les performances financières des acteurs étudiés et en tirer des

conclusions. A partir des données extraites, des graphiques et analyses ont été réalisés pour

soutenir l'analyse. Néanmoins ces éléments chiffrés ne donneront pas lieu à une analyse

statistique poussée qui n'est pas l'objet de ce mémoire puisque la stratégie est appréhendée

sous ses différents aspects comme politique générale de l'entreprise et n'est pas réduite à sa

simple composante financière chiffrée.

Pour tenter d'apporter des éléments de réponse à la problématique, nous adopterons un

développement en trois étapes.

Tout d'abord nous nous intéresserons au cadre théorique qui entoure cette étude. La

perspective de ce mémoire se veut réellement tourner vers une application à un cas empirique

de modèles théoriques déjà très abondamment développés. Aussi il apparaît indispensable de

réfléchir sur le contexte théorique de l'internationalisation des firmes. Ces fondements

théoriques permettront d'analyser efficacement la stratégie de Citigroup par la suite.

Ensuite l'étude portera sur le développement de cette stratégie à l'international. En analysant

les étapes successives d'internationalisation de Citigroup, nous ferons apparaître l'orientation

stratégique qui a été prise par le groupe en s'appuyant sur un canevas élaboré à partir des

fondements théoriques. Le sens donné par Citigroup au « one-stop-shop » sera alors mis en

lumière.

Enfin à l'aide des outils théoriques et des éléments empiriques, nous procéderons à une

estimation de la réussite de la stratégie mise en œuvre. Cette estimation se basera sur des

données chiffrées ainsi que sur les évènements des derniers mois qui ont fondamentalement

remis en cause la stratégie de Citigroup. Ainsi nous tirerons des conclusions sur la stratégie de

cette banque au cours de la décennie et envisagerons les perspectives futures de

développement pour le groupe et plus largement pour les acteurs bancaires de rang mondial.

Si ce mémoire se focalisera très majoritairement sur Citigroup, nous nous efforcerons de faire

des liens avec d'autres groupes bancaires. Ainsi les concurrents américains de Citi permettront

de tirer des éléments de comparaison et d'estimer l'originalité et la réussite de Citi. La

comparaison avec des concurrents locaux dans les pays ciblés par Citigroup apporteront un

autre éclairage pour analyser la stratégie de Citigroup.

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Première Partie- L'expansion internationale de Citigroup:

solution pour tirer profits de ses avantages compétitifs

face aux défaillances du marché.

La définition d'un cadre théorique pour procéder à l'étude est une étape fondamentale pour

adopter un raisonnement méthodique et donner une direction de recherche à ce mémoire.

Grâce à l'abondante littérature traitant de l'internationalisation des entreprises, et en particulier

des banques, le cas de Citigroup peut être analysé au travers d'éléments théoriques précis. En

raison d'une étude centrée sur une entreprise qui s'est implantée directement dans de

nombreux pays, le parti a été pris de s'intéresser essentiellement aux théories relevant de

l'économie industrielle. Par ailleurs les raisonnements théoriques sur l'internationalisation des

banques s’appuient également sur l'économie industrielle.

A partir d'une analyse chronologique des principales théories de l'internationalisation des

firmes et des banques en particulier, nous montrerons le rapport entre trois types de facteurs:

le produit et les avantages compétitifs qui lui sont rattachés, le marché et plus précisément les

défaillances du marché qui sont grandes dans le milieu bancaire et enfin la localisation

géographique des activités. Ce triptyque permettra de faire apparaître des pistes de réflexion

sur les sources d'internationalisation de Citigroup.

En prolongeant cette analyse théorique, nous ferons référence à ses applications empiriques

pour présenter des outils qui seront utilisés plus loin dans la démonstration. Ces outils

permettront d'examiner les évolutions de Citigroup au cours de ses dix années d'existence.

Seront détaillés les différents types d'avantages compétitifs qui sont des déterminants des IDE

financiers ainsi que les différentes options stratégiques qui s'appuient sur ces avantages.

Enfin pour obtenir une approche théorique tenant compte des différentes facettes de

Citigroup, nous nous éloignerons quelque peu de l'internationalisation pour étudier les

éléments de recherche sur la banque universelle de nos jours. L'adoption du modèle one-stop-

shop représente le pari stratégique central de Citigroup, il convient donc d'étudier les éléments

théoriques qui justifient ce choix. Plutôt que de retracer l'histoire de la banque universelle,

l'étude tentera de se focaliser sur les raisons du choix de faire appel à cette stratégie

particulière à cette époque.

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Chapitre 1- les fondements théoriques de

l'internationalisation des banques, de l'internalisation aux

avantages compétitifs

L'internalisation des banques a fait l'objet de nombreux développements théoriques et l'on

peut aujourd'hui considérer que des pistes d'étude satisfaisantes existent. Les caractéristiques

particulières des produits financiers, qui sont des services très consommateurs d'information

poussent à envisager une approche différente sur certains points par rapport à des entreprises

plus classiques, par exemple des entreprises industrielles. L'étude des théories classiques de

l'internationalisation des entreprises apporte une base sur laquelle nous nous appuierons pour

étudier les théories appliquées aux banques qui comportent des éléments plus pertinents pour

comprendre les phénomènes d'internationalisation des groupes bancaires.

Ces théories raisonnent en termes de coût-bénéfice pour comprendre la décision d'investir

dans un pays étranger, et d'y installer une présence. Les différents auteurs ont tenté d'examiner

l'ensemble des coûts auxquels doit faire face une banque multinationale et les bénéfices

qu'elle pouvait retirer de son investissement pour comprendre les motivations

d'investissement direct à l'étranger.

Section 1- S'internationaliser pour bénéficier au mieux

d'avantages spécifiques

A. Hymer et Kindleberger

Dès les années soixante des auteurs ont appréhendé l'internationalisation sur la base d'un

constat simple: pour supporter les avantages dont bénéficient les firmes locales ayant une

bonne connaissance de leur marché national, les firmes étrangères doivent présenter d'autres

avantages que ne possèdent pas les firmes locales déjà présentes. Cette idée fut d'abord

développée par Kindleberger2 en 1969, puis par Hymer3 en 1976. Ce sont sur leurs travaux

que se sont appuyés la plupart des auteurs pour caractériser l'internationalisation des banques.

Hymer et Kindleberger sont tous deux partis du constat que les firmes multinationales et le

marché parfait sont des éléments incompatibles.

En effet, sur un marché parfait, la présence de profits excessifs induit l'entrée de nouveaux

2Kindleberger C.P., American Business Abroad, New Haven, Yale University Press, 1969 3Hymer S.H., The International Operations of National Firms: a Study of Direct Foreign Investment, Cambridge Mass., MIT Press, 1976

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acteurs sur ce marché qui vont faire augmenter la concurrence et disparaître tour profit

excessif, mais en aucune façon ce phénomène ne justifie l'entrée de concurrents étrangers.

Hymer postule alors l'imperfection du marché pour expliquer l'internationalisation des firmes.

Les firmes locales possèdent des avantages sur leur marché national grâce à leur connaissance

des clients, de l'environnement et des avantages en matière de coordination et de

communication, leurs activités se situant uniquement sur le marché national. Ces avantages

des firmes locales sont présentés comme des coûts que rencontrent les firmes multinationales

désireuses de s'implanter sur le marché. Pour pouvoir surmonter ces désavantages, les firmes

étrangères entrantes présentent d'autres avantages qu'elles peuvent transférer et réutiliser sur

le marché local. Pour Hymer ces avantages sont des avantages intangibles propres à la firme

de trois natures: technologie, personnel qualifié et savoir-faire (« business techniques »).

Kindleberger a adopté une approche très similaire alors même qu'il n'avait pas eu

connaissance des travaux de Hymer. Kindleberger fait cependant appel à des facteurs plus

larges pour expliquer l'imperfection des marchés comme l'image de marque, l'accès à certains

marchés (notamment de matières premières, comme les marchés des capitaux dans le cas des

banques internationales), des économies d'échelle...

Hymer explique le développement d'IDE bancaires par le fait que les marchés internationaux

pour ces actifs spécifiques soient imparfaits et le choix optimal pour une firme au regard du

rapport coût-bénéfice passe par un investissement direct dans le pays ciblé. Hymer compare

notamment les IDE à la licence. L'attribution d'une licence peut se révéler impossible en

raison de la difficulté de donner un prix à certains actifs, par exemple. La solution alors

rentable est l'utilisation par la firme elle-même de ses avantages en effectuant des IDE.

Par ailleurs Hymer envisage les IDE comme le moyen de maintenir le pouvoir de marché

pour des firmes en situation oligopolistique. En entrant sur un marché étranger, ces firmes

cherchent à défendre leur place et elles utilisent les IDE car c'est la manière la plus efficace de

transférer leurs avantages intangibles. Cet élément semble intéressant à prendre en compte

dans le cas de Citigroup. Le marché bancaire américain s'est en effet fortement concentré au

cours de la décennie.

Les critiques de ce modèle, et notamment dans son application pour les banques

multinationales se situent essentiellement sur le fait que Hymer et Kindleberger envisagent la

décision d'investir à l'étranger comme le rapport entre des firmes déjà présentes et des

nouveaux entrants. Les deux auteurs ne prennent en compte que le coût du désavantage des

nouveaux entrants et n'élargissent pas leur analyse à l'ensemble des coûts auxquels doit faire

face une firme s'internationalisant. En outre Buckley et Casson, auteurs majeurs de la théorie

de l'internalisation, ont reproché à la théorie Hymer-Kindleberger de prendre pour données les

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dotations factorielles des firmes, sans expliquer la source de ces dotations. Enfin la théorie

Hymer-Kindleberger ne justifie pas pourquoi une firme procède à une acquisition dans le pays

ciblé ou monte une structure de toute pièce. La forme des IDE n'est pas évoquée par Hymer et

Kindleberger. Ces deux dernières critiques apparaissent particulièrement pertinentes pour

l'étude du cas présent. Pourquoi la banque Citigroup a-t-elle tantôt racheté des groupes

locaux, tantôt développé son réseau à partir de zéro? Citigroup est-elle par nature un groupe

possédant des atouts pour s'internationaliser? Ou ses atouts ont-ils été construits par un choix

conscient des dirigeants? Sont-ils apparus par l'internationalisation avec un effet

d'entrainement?

Le caractère statique de l'approche Hymer-Kindleberger apparaît ici. Néanmoins les éléments

avancés par Hymer et Kindleberger ont été la base d'abondants développements qui ont visé à

compléter et améliorer cette théorie ainsi qu'à l'adapter à l'internationalisation des banques.

B. Le cycle de vie des produits, Vernon

La théorie du cycle de vie des produits de Vernon constitue un autre point d'ancrage des

théories de l'internationalisation des firmes. Par ailleurs ce modèle présente l'avantage de ne

pas être statique comme peut l'être la théorie Hymer-Kindleberger.

Vernon4 met l'accent sur l'innovation et le développement du processus de production. A

travers un cycle de vie en quatre étapes (lancement, croissance, maturité, déclin), Vernon

décrit les conditions d'internationalisation des firmes.

L'innovation et donc l'introduction de nouveaux produits permettent à la firme de bénéficier

d'un monopole temporaire sur son marché domestique. La proximité avec le consommateur

est essentielle pour comprendre ses besoins et y répondre au mieux. Puis, alors que des

concurrents entrent sur le marché et réduisent les marges de la firme, celle-ci commence à

exporter ses produits. Enfin lorsque le marché arrive à saturation et qu'il n'est plus possible

pour la firme de bénéficier des avantages qui lui procurent l'innovation, elle s'implante à

l'étranger pour utiliser de la façon la plus efficiente ses produits. En effet si l'on considère que

certains marchés étrangers sont moins avancés que le marché de la firme, elle peut alors

s'implanter à l'étranger pour se rapprocher de ses consommateurs, bénéficier de coûts de

production et de transport moindres et continuer à jouer d'une situation de monopole basé sur

l'innovation. De plus en trouvant des coûts de production moindres à l'étranger, la firme peut

réimporter les produits vers son marché national où elle disposera désormais d'un avantage de

coût. On le voit donc, le modèle de Vernon fait référence à certains avantages compétitifs

4Vernon R., « International investment and international trade in the product cycle », Quarterly Journal of Economics, 1966, 80, p. 190-207

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évoqués par Hymer et Kindleberger en termes de technologie. La firme maximise donc le

profit qu'elle peut faire grâce à l'innovation. Par le jeu de la structure oligopolistique des

marchés, la firme innovatrice est ensuite suivie par ses concurrents qui s'internationalisent à

leur tour pour ne pas perdre de parts de marché au niveau global. L'innovation engendre ainsi

un processus perpétuel d'internationalisation des firmes, en fonction de leurs produits et de

leur avance technologique.

La théorie du cycle de vie des produits de Vernon permet donc d'appréhender les IDE de

façon dynamique et de comprendre les différentes vagues d'internationalisation des firmes. En

outre, la focalisation sur l'innovation et l'avance technologique de cette théorie met en avant la

possession d'avantages spécifiques comme déterminant de l'internationalisation des firmes. Il

faut cependant noter les difficultés d'utiliser ce modèle pour la compréhension de

l'internationalisation des banques. Si certaines avancées technologiques peuvent donner un

avantage significatif à une banque, l'essentiel de l'innovation qui peut se réaliser sur les

produits bancaires en eux-mêmes (prêts, solutions d'épargne, facilités de paiement etc.) est

très facilement imitable par la concurrence. Cette question de la place de l'innovation pourra

être posée dans le cas de Citigroup. Par ailleurs, le modèle de Vernon ignore les IDE qui ne

relèvent pas de la substitution d'importations. Or l'internationalisation des banques ne se

réalise pas par l'import/export en raison de la nature des produits. On peut donc faire le

constat d'une inadaptation de la théorie de Vernon aux conditions du marché bancaire.

Néanmoins cette théorie conserve tout son intérêt pour envisager l'internationalisation comme

un processus dynamique déterminé par la possession d'avantages spécifiques.

Suite à la diffusion des deux modèles précédemment évoqués et à la progression des

phénomènes de globalisation des entreprises, un certain nombre d'auteurs ont tenté de

développer des théories plus adéquates, en particulier pour comprendre les phénomènes

spécifiques d'internationalisation des groupes bancaires

.

Section 2- Le modèle de l'internalisation, comprendre les

défaillances du marché

Devant les limitations de la théorie Hymer-Kindleberger, d'autres auteurs ont développé des

modèles s'appuyant sur le concept d'internalisation. Nous partirons de la théorie élaborée par

Buckley et Casson puis nous intéresserons à divers modèles ayant appliqué les acquis de

Buckley et Casson aux banques multinationales.

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12

A. Buckley et Casson

Les deux auteurs ont développé un vrai paradigme pour comprendre l'internationalisation des

firmes en se basant sur le concept d'internalisation. Si ce concept apparaissait déjà en filigrane

dans les analyses de Hymer et Kindleberger, Buckley et Casson5 font de l'internalisation le

centre de leur théorie.

La théorie de l'internalisation tire ses racines de l'analyse de la firme faite par Coase6. Dès

1937 Coase a analysé les imperfections du marché (market failure) comme source

d'internalisation par les entreprises de certaines activités ou certaines fonctions. Pour Coase,

ces imperfections résident essentiellement dans les coûts de transaction qui existent lorsque

l'on a recours au marché pour certains contrats. Les coûts de transaction sont appréhendés

comme des externalités liées à la mise en place de contrats complets. Ces coûts sont

notamment les coûts « d'enforcement » pour faire respecter les contrats, les coûts de rédaction

des contrats, les coûts de recherche de la contrepartie, les coûts de motivation liés au caractère

incomplet et asymétrique de l'information. Face à des coûts de transaction trop élevés, la

firme préfère internaliser les actifs complémentaires. Cette décision est notamment influencée

par la spécificité des actifs, la fréquence des transactions et l'incertitude sur le futur. Dans une

perspective de maximisation du profit, la firme internalise certaines activités lorsque les coûts

de transaction sont trop élevés.

Buckley et Casson ont prolongé cette approche de la théorie de la firme pour l'appliquer aux

phénomènes d'internationalisation des firmes. Les deux auteurs ont envisagé la firme comme

une structure intégrée verticalement, qui internalise des marchés pour des produits

intermédiaires comme la recherche, la formation de son personnel, des actifs financiers... La

firme « revend » ces produits intermédiaires sur son marché intérieur au niveau global. En

utilisant les apports du modèle de Heckscher-Ohlin, Buckley et Casson expliquent que lorsque

la firme crée un marché interne, les avantages spécifiques d'un pays sont internalisés par cette

firme ce qui engendre donc des IDE. L'internationalisation permettrait donc de développer des

avantages dans deux sens: la firme utilise des produits intermédiaires qu'elle aurait des

difficultés à vendre sur un marché dans des conditions optimales pour dégager de nouveaux

profits mais la firme achète également des produits intermédiaires spécifiques au pays

d'implantation, produits qu'elle ne pourrait se procurer sur aucun marché de manière optimale.

L'actif central dans le raisonnement de Buckley et Casson est la connaissance et les

externalités que ce bien si particulier renferme. Bien que leur raisonnement ne se focalise pas

5Buckley P. J., Casson M., The Future of the Multinational Enterprise, 2nd Edition, Londres, MacMillan, 1991 6Coase A. H., « The nature of the Firm », Economica, 4, 1937, p. 386-405

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13

seulement sur la connaissance comme déterminant de l'internalisation, Rugman7 considère

quant à lui que c'est un facteur majeur d'internalisation.

Ce sont les imperfections du marché de la connaissance qui représentent le facteur clé de la

théorie de l'internalisation. En raison de l'impossibilité de contrôler la diffusion de la

connaissance sur un marché externe, le caractère « bien public » de la connaissance, la firme

fait de cette connaissance un bien public interne. On peut d'ores et déjà entrevoir la pertinence

de ce modèle pour les activités bancaires où la connaissance de la volonté d'un débiteur à

rembourser un crédit est centrale. Par ailleurs Buckley et Casson ont souligné l'importance de

l'internalisation pour des activités où la relation firme-client s'inscrit dans le long terme, ce qui

est particulièrement vrai pour la relation bancaire. En créant un marché interne pour

l'information, la firme rentabilise plus facilement cette information car le marché externe de

l'information ne pourrait lui donner un prix satisfaisant. Ceci est d'autant plus vrai à

l'international, quand l'information peut être réutilisée dans plusieurs pays. En supprimant les

multiples marché sur lesquels la firme pourrait espérer revendre la connaissance qu'elle

possède, la firme augmente la rentabilité de cette information et ce, tant que les bénéfices de

l'internalisation restent supérieurs aux coûts qui peuvent être des coûts de communication, de

coordination et de contrôle... Par ailleurs le coût marginal pour réutiliser une information dans

un autre pays est faible, l'information ayant déjà été produite. En outre dans le cadre

d'activités internationales, des contraintes de douane ou de taxation peuvent également entrer

en jeu et pousser une firme à établir une filiale plutôt qu'à établir des contrats classiques.

Enfin le caractère bien public de la connaissance pousse la firme à internaliser le marché à

l'international.

Une des caractéristiques de la connaissance est qu'il est toujours difficile pour un acheteur

d'évaluer la qualité de l'information fournie par le vendeur. On se trouve en présence

d'asymétries d'information. En conservant l'information en interne, ce problème disparaît, une

même firme produisant et utilisant l'information. Par ailleurs créer un marché interne de la

connaissance et de l'information permet à la firme d'en garder le contrôle et de les réutiliser

pour ensuite créer un produit final tirant partie de cet avantage informationnel.

La théorie de l'internalisation est un des cadres théoriques les plus satisfaisants pour

comprendre l'internationalisation des firmes multinationales. De nombreuses applications ont

été faites sur le cas particulier de l'internationalisation des banques.

7 Rugman A. M., Inside the Multinationals, Londres, Croom Helm, 1981

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B. l'internationalisation des banques par la théorie de l'internalisation

A partir des éléments posés par Casson et Buckley, un certain nombre d'auteurs ont développé

leur propre théorie pour l'appliquer aux banques multinationales.

1. L'apport de Grubel

Grubel8 a envisagé plusieurs théories pour expliquer l'internationalisation des banques. Il

reprend les acquis de l'internalisation. Les asymétries d'information empêchent une banque de

vendre sa connaissance de ses clients et de recevoir un prix juste et adéquat. Un autre auteur,

Fiekele9 a développé une argumentation semblable. En effet l'acquisition de l'information sur

les besoins bancaires d'un client est un processus long et coûteux. Cependant une fois

l'information acquise, elle peut utiliser avec un coût marginal relativement faible.

Ainsi Fiekele soutient l'idée que la présence d'entreprises à l'étranger est un facteur

d'internationalisation des banques. Elles peuvent continuer à jouer de leur connaissance du

client pour le suivre dans le pays étranger, puis en raison de leur présence dans ce pays elles

gagnent une connaissance du marché local. Cette approche est appelée l'expansion défensive

(defensive expansion). Devant le coût, essentiellement en termes de temps, que représente la

connaissance d'un client, de son comportement et de ses besoins, une banque ne peut laisser

un autre bénéficier de ces informations. Lorsque le client s'internationalise, la banque possède

un avantage sur les concurrents bancaires locaux. Comme cet avantage ne peut être revendu

sur un marché de manière efficiente (cf. imperfections du marché), la banque

s'internationalise à son tour pour internaliser la relation informationnelle qu'elle possède avec

son client.

La relation entre la banque et son client est appréhendée comme un flot d'information qui

devient un bien public auquel toutes les équipes de la banque ont accès. On comprend ici le

sens de l'intégration verticale expliquée par Buckley et Casson. L'activité bancaire peut être

divisée en deux sous-activités: l'activité de connaissance du client qui consiste à collecter et

analyser l'information sur les besoins du client, ses pratiques, le risque qu'il renferme et

l'activité bancaire proprement dire qui concerne les diverses facettes de la banque, solutions

de financement, conseil. Cette deuxième activité a pour intrant l'information sur le client.

Grubel ne se limite pas à la connaissance du client, il inclut d'autres facteurs comme la

technologie ou les qualités du management pour expliquer l'internationalisation des banques.

Là encore, les facteurs qu'il énonce sont réutilisables à l'étranger avec un coût marginal limité.

8 Grubel H., « A theory of multinational banking », Banca Nazionale del Lavoro, Quarterly Review, December, 1977, p 349-363 9 Fiekele N,, « The growth of US banking abroad: an analytical survey », Key Issues in International Banking, Proceedings of a Conference, Federal Reserve Bank of Boston, 1977, p. 6-40

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Enfin Grubel évoque d'autres facteurs poussant à l'implantation à l'étranger des banques. La

différenciation des produits serait selon lui un élément important pour comprendre

l'internationalisation des activités de banque de détail. Pourtant cet avantage peut paraître

faible car les produits bancaires sont facilement imitables pour la concurrence.

2. L'apport de Tschoegl

Devant la variété d'études consacrées à l'internationalisation des banques, le choix a été fait de

ne retenir que les auteurs qui semblaient les plus pertinents au regard de cette étude.

Tschoegl10 a prolongé les analyses de Buckley et Casson en y apportant des éléments

nouveaux. Il s'est aussi appuyé sur les travaux de Grubel. Tschoegl s'est principalement

intéressé à l'internationalisation des activités de banque de détail, toujours dans un cadre

d'analyse relevant de la théorie de l'internalisation. Tschoegl étudie un certain nombre de

facteurs qui relèvent tous de l'impossibilité ou du coût trop élevé de passer par le marché pour

obtenir ou vendre ces actifs particuliers et qui sont donc internalisés par les banques

multinationales.

Tschoegl démontre que s'il semble que les banques étrangères font face à des désavantages en

termes de connaissance du marché local par rapport aux acteurs déjà présents, ces

désavantages peuvent être rapidement dépassés. Pour les banques multinationales, la

connaissance d'un nouveau marché est un investissement ponctuel qu'elles peuvent avoir

réalisé au travers d'autres opérations. Tschoegl vient ainsi modérer la théorie Hymer-

Kindleberger. Cependant il ne remet pas en cause l'importance de la connaissance des

conditions locales qui est un intrant majeur pour la banque de détail. Tschoegl examine

également la régulation du secteur bancaire et des IDE bancaires. Selon lui la structure de la

régulation est un déterminant de l'internationalisation des acteurs bancaires ce qui permet

d'intégrer les facteurs de localisation dans la théorie de l'internalisation et explique le choix

des pays cibles. La nature de la compétition sur le marché local constitue une autre source

d'opportunités pour l'expansion internationale des banques. Les marchés non-compétitifs le

sont souvent en raison d'un contexte réglementaire particulier, ou d'une situation

oligopolistique. La situation du marché constitue un autre facteur de localisation.

Tschoegl s'intéresse aussi aux économies d'échelle qui ne peuvent bien entendu pas être

échangées sur un marché. Il évoque également la différenciation des produits, mais considère

que cet avantage n'en est pas réellement un puisqu'il est très facile de copier les produits

bancaires. Il montre néanmoins qu'une origine ethnique commune peut être un facteur

d'internationalisation, comme par exemple les liens entre la diaspora chinoise et les banques

10 Tschoegl A. E., « International retail banking as a strategy: an assessment », Journal of International Business Studies, 18, 1987, p. 67-88

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16

chinoises de Hong Kong. Cette origine commune permet une meilleure connaissance de la

clientèle. En effet Tschoegl souligne aussi l'importance de la connaissance des clients dans le

processus d'internationalisation bancaire de façon très similaire à Grubel.

En conclusion de son analyse, Tschoegl détaille deux stratégies pour les banques à

l'international: une stratégie opportuniste et une stratégie délibérée. La stratégie opportuniste

consiste à s'engager sur un marché étranger dès lors que l'opportunité se présente ou qu'un

besoin existe. Cette stratégie implique de constamment chercher ou attendre de nouvelles

opportunités mais également d'envisager la sortie d'un marché lorsque celui-ci devient

compétitif et que les avantages de la banque multinationale disparaissent. Une stratégie

délibérée consiste à entrer sur un marché dès que la législation locale le permet, sans

distinction quant à la situation du marché local, à la possession d'avantages sur les

compétiteurs locaux... cette stratégie sous-entend que la banque multinationale possède des

avantages sur les acteurs locaux quelle que soit leur situation. Tschoegl classe la stratégie de

Citigroup (à l'époque Citibank) dans cette catégorie mais concède la difficulté empirique de

distinguer entre les deux stratégies. Enfin Tschoegl conclut que plus qu'un jugement a priori,

la situation de chaque firme doit être étudiée au cas par cas pour comprendre les atouts et

l'expérience de chacune.

La théorie de l'internalisation permet de dégager un cadre théorique clair. Il constitue un des

deux modèles les plus utilisés pour comprendre l'internationalisation des banques. En

appréhendant la décision d'entrer sur un marché étranger comme la meilleure solution pour

surmonter les imperfections du marché, il permet de faire apparaître divers avantages et

opportunités qui s'offrent à un acteur bancaire dans le cadre de sa stratégie internationale. Si

l'analyse initiale de Buckley et Casson peut sembler très abstraite, Grubel et Tschoegl

présentent des facteurs plus empiriques que seront détailler plus tard.

Le second modèle utilisé de manière large est le paradigme de Dunning, paradigme « OLI ».

Après avoir étudié la théorie développée par Dunning, nous verrons son application au cas des

banques multinationales.

Page 23: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

17

Section 3- L'internationalisation, une combinaison

d'avantages spécifiques à la firme, d'avantages de localisation et

d'avantages d'internalisation: le paradigme OLI

A. Dunning et le paradigme OLI

Le paradigme OLI a été proposé par Dunning11 en 1977 qui a cherché à formuler un cadre

théorique générale pour comprendre les phénomènes d'internationalisation des entreprises en

s'appuyant sur trois ensembles théoriques: la théorie des organisations industrielles, la théorie

de l'internalisation et la théorie de la localisation. Dunning souhaitait ainsi remédier à son

insatisfaction vis-à-vis des modèles existants, notamment la théorie Hymer-Kindleberger et la

théorie de l'internalisation. Son modèle cherche donc à intégrer divers éléments au sein du

« paradigme ». Dunning postule qu'il existe trois catégories de conditions qui poussent une

firme à s'internationaliser.

Tout d'abord la firme possède des avantages vis-à-vis des firmes étrangères que Dunning

appelle « ownership-specific advantages ». Ces avantages sont un pré-requis pour

l'internationalisation des entreprises et sont constitués d'actifs intangibles car ils permettent à

la filiale d'un groupe étranger de soutenir directement la compétition sur le marché étranger

visé. Dunning les classe en trois catégories: les avantages liés à l'accès à certains inputs ou

marchés, les avantages liés aux dotations factorielles de la compagnie mère qui peuvent être

transférées pour un coût marginal nul et enfin les avantages directement liés à la

« multionationalité » d'une firme. Ces avantages proviennent principalement de la taille d'une

firme et sa position concurrentielle bien établie. On peut citer par exemple l'accès à un

personnel qualifié, les conditions de financement et l'accès aux marchés des capitaux. Ces

avantages se trouvent renforcés lorsque la firme est déjà multinationale puisqu'elle peut alors

faire jouer son expérience et augmenter son efficacité au niveau global dans l'allocation des

facteurs.

Le second type d'avantages envisagés par Dunning est étroitement lié au premier. Il s'agit

d'avantages d'internalisation qui tirent leur source dans les imperfections du marché en lien

avec le théorème de Coase. La firme internalise ses « ownership advantages » pour

contourner les coûts de transaction et diminuer les risques, notamment les risques dans le

processus de management ce qui pousse la multinationale à s'internationaliser. Dunning

s'appuie sur des éléments proches de la théorie de l'internalisation. Lorsque la firme possède

des avantages spécifiques, l'imperfection des marchés ne laisse à l'entreprise qu'une option

11 Dunning J., « Trade, location of economic activity and the MNE: a search for an eclectic approach » in Ohlin B., Hesselborn P., Wijkman P., The International Allocation of Economic Activity, London, MacMillan Press, 1977, p. 395-431

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18

pour maximiser le profit qu'elle tire de ces avantages: l'investissement direct à l'étranger.

L'internalisation permet un meilleur contrôle des risques, une utilisation optimale des

économies d'échelle et une internalisation des externalités liées aux avantages spécifiques, par

exemple de connaissance comme évoqué plus haut. La possession d'avantages spécifiques

n'est pas suffisante pour expliquer les IDE. Elle se combine avec l'impossibilité de passer par

le marché pour les utiliser de façon optimale.

Enfin Dunning identifie un troisième type de variables pour expliquer les décisions

d'internationalisation, les avantages de localisation. Ces avantages sont très largement

interdépendants vis-à-vis des deux autres types de facteurs selon Dunning. Ils ont trait aux

différences qui peuvent exister entre le pays d'origine et les pays étrangers ciblés en relation

avec les avantages spécifiques de la firme. Ces avantages peuvent être liés à des conditions

douanières et tarifaires, ou encore des différences de législation et ils permettent d'expliquer

pourquoi une entreprise choisit un certain pays plutôt qu'un autre pour effectuer des IDE. Les

conditions locales d'un pays peuvent également modifier la structure d'un marché, avec par

exemple des coûts de production plus faibles ou un accès aux matières premières à un

moindre coût. Des éléments non-matériels sont aussi présents dans la décision de localisation

comme accès à la connaissance du marché local.

Pour Dunning une combinaison des trois types de facteurs est nécessaire pour expliquer

l'internationalisation d'une firme. Par ailleurs il estime qu'ils sont séquentiels, c'est-à-dire

qu'une imperfection de marché ne conduira à une internalisation seulement si la firme possède

des avantages particuliers. Ensuite, les facteurs de localisation détermineront les pays qui

seront l'objet de cette internationalisation. L'internationalisation, malgré la présence

d'avantages spécifiques à la firme et l'internalisation des imperfections du marché, n'aura pas

lieu, selon Dunning si le pays visé ne présente pas des avantages de localisation.

Le paradigme OLI de Dunning a été très largement utilisé pour l'étude des stratégies des

firmes à l'international. Il présente l'avantage d'incorporer plusieurs dimensions présentes dans

d'autres modèles. Plus qu'une théorie, Dunning a rédigé un paradigme qui se base sur de

plusieurs apports théoriques différents. Pour cela, il a été vivement critiqué, certains auteurs

estimant que son modèle manquait de cohérence interne et a recours à des éléments trop

disparates et peu applicables empiriquement en raison du nombre élevé de facteurs pris en

compte par Dunning. Buckley et Casson ont notamment critiqué la différence que Dunning

fait entre ownership advantages et internalization advantages. Selon les deux auteurs, cette

approche reposerait sur une mauvaise analyse du phénomène d'internalisation et les avantages

spécifiques de la firme seraient un concept qui n'est pas pertinent puisque la théorie de

l'internalisation suffirait à elle seule à expliquer les mêmes phénomènes. Cependant les

Page 25: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

19

tenants de la théorie de l'internalisation ont reconnu l'utilité empirique du concept d'avantages

spécifiques de la firme. En outre, si Dunning a accepté certaines critiques et révisé son

paradigme, il estime que la théorie de l'internalisation ne permet pas d'expliquer entièrement

la structure du marché ou encore la localisation de tous les IDE. Il a ainsi clarifié sa pensée en

appréhendant les ownership advantages comme un bénéfice de la firme alors que

l'internalisation est la modalité par laquelle ces avantages se matérialisent. Ainsi ces avantages

permettent à la firme de s'internationaliser grâce à l'internalisation qui en est faite.

Le paradigme OLI a fait l'objet de développements très abondants dans divers secteurs

économiques et notamment dans le secteur bancaire. Malgré les limites qu'il présente, le

modèle OLI a, comme la théorie de l'internalisation permis d'élaborer des éléments d'étude

empirique pertinents au regard de la problématique de ce mémoire.

B. L'application du paradigme OLI aux banques multinationales

Les principales avancées théoriques concernant les groupes bancaires multinationaux en

application du paradigme OLI sont dues à trois auteurs, Gray et Gray et Yannopoulos. Pour ce

faire, ils ont apporté leurs propres modulations au modèle de Dunning.

Gray et Gray12 ont tenté d'appliquer systématiquement les trois éléments avancés par

Dunning. Ils font tout d'abord l'hypothèse qu'il existe des avantages spécifiques (« ownership

advantages ») pour toute banque qui s'internationalise. Ils doutent cependant de l'importance

des économies d'échelle car le bénéfice maximum de ces économies est atteint à une taille

critique bien inférieure à celle des grands groupes bancaires. Leur analyse se concentre

ensuite sur le I et le L de Dunning, délaissant les facteurs spécifiques à la firme.

Du coté des avantages d'internalisation, Gray et Gray ont envisagé trois aspects. Tout d'abord

les firmes multinationales tirent profit des imperfections au niveau des marchés pour leurs

produits, imperfections émergeant des barrières à l'entrée, de la différenciation des produits et

de la segmentation des marchés. Les deux chercheurs estiment néanmoins que l'imperfection

des marchés de produits n'est pas un facteur significatif dans les décisions d'IDE bancaires. La

différenciation des produits dans le secteur bancaire reste faible car les produits sont

facilement imitables par la concurrence tant internationale que locale. De plus les barrières à

l'entrée et leur dépassement ne représentent pas un avantage par rapport aux concurrents

locaux.

Ensuite le deuxième élément tient aux économies qui sont réalisées en intégrant dans une

même firme des activités relevant d'une diversification horizontale ou verticale. Les deux

12 Gray J. M., Gray H. P., « The Multinational Bank: A Financial MNC? », Journal of Banking and Finance, 5, 1981, p. 33-63

Page 26: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

20

chercheurs reprennent alors les arguments avancés par d'autres auteurs avant eux et ils

démontrent que les banques internationales en ayant une présence locale dans certains pays

sont plus à même de gérer les risques potentiels auxquels elles peuvent être confrontées. De

façon plus générale, une présence internationale permet de faire émerger de la connaissance

qui, si elle n'est pas particulière à une banque dans un pays donné, est exploitée plus

efficacement à l'échelle globale.

Enfin les IDE financiers peuvent trouver leur source du point de vue de l'internalisation dans

l'imperfection des marchés d'intrants qui sont essentiellement de deux natures dans le milieu

bancaire, l'accès aux capitaux et la connaissance. L'accès aux capitaux constitue un avantage

commun à toutes les banques multinationales par rapport aux banques non multinationales,

mais cet avantage n'est pas spécifique à la firme puisque toutes les banques multinationales

peuvent accéder à des sources de financement similaire, tant dans sur les marchés locaux que

sur les marchés supranationaux. Cet avantage a donc une ampleur limitée, selon Gray et Gray.

L'exploitation de la connaissance que la banque possède de ses clients apparaît pour les deux

auteurs comme un facteur beaucoup plus important. Une banque multinationale peut fournir

des services financiers à un client avec lequel elle possède une relation de long terme à un

coût moindre et une efficacité accrue par rapport à une banque locale n'ayant pas de

connaissance préalable de ce même client. Gray et Gray vont plus loin et estiment qu'une

banque dont la clientèle s'installe à l'étranger perdrait cette relation de clientèle à la fois dans

le pays étranger mais également sur son marché national si elle ne suivait pas son client.

D'autres banques pourraient alors récupérer la connaissance du client et damer le pion à leur

concurrente. Pour Gray et Gray cet aspect est primordial dans la décision

d'internationalisation des banques.

Ce dernier élément peut également être appréhendé comme un avantage de localisation et on

peut ici comprendre la difficulté de différencier les différents types d'avantages.. Les clients

de la banque présents à l'étranger sont un facteur incitatif pour que la banque entre sur un

marché étranger. La connaissance du client peut donc être envisagée sous deux angles, celui

du prolongement de la relation existante par l'internalisation de la connaissance du client à

l'étranger, ou celui de l'incitation à la localisation dans les pays où les clients déjà connus ont

choisi de s'internationaliser. La problématique du contrôle de l'information est au cœur de

cette analyse. Gray et Gray soulignent alors l'importance de la coopération inter-firme dans le

milieu bancaire qui permet aux banques étrangères de préserver les relations qui existent avec

leurs clients sur des marchés dont l'accès peut leur être restreint par la régulation locale. A

contrario, des firmes multinationales non-bancaires dont les avantages reposent sur des

brevets peuvent ne pas entrer sur un marché sans pour autant perdre le bénéfice de leurs

Page 27: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

21

brevets.

Les deux autres éléments que Gray et Gray soulèvent concernant les avantages de localisation

sont l'entrée sur des marchés à potentiel de croissance élevé et l'accès aux matières premières,

en particulier l'accès à des fonds dans différentes devises. Ce dernier aspect permet aux

banques d'offrir une gamme complète de produits à leurs clients, diversifie les avoirs et donc

le risque pris par ces banques. Il faut néanmoins soulever les limites que présente cet

argument. En effet selon cet argument, les banques américaines auraient un besoin moindre de

s'internationaliser en raison du rôle du dollar comme monnaie internationale. Or comme le

montre le cas de Citigroup, les banques américaines sont loin d'être les moins internationales.

L'autre aspect évoqué par Gray et Gray concerne l'entrée sur des marchés à forte croissance.

Le facteur de localisation est alors évident, pour les groupes bancaires il s'agit de tirer profit

de marchés en développement. Si la connaissance d'un client est un processus long et coûteux,

l'entrée sur un marché pour une banque se fait à un coût faible car la production de produits

bancaires spécifiques à un pays est peu coûteuse. Gray et Gray expliquent par cet argument le

fait que les firmes bancaires multinationales établissent de nombreux bureaux de

représentation à l'étranger.

Gray et Gray ont donc étudié l'internationalisation des firmes bancaires sous l'angle des

motivations qui poussent une banque à entrer sur un marché étranger en s'insérant dans le

cadre défini par Dunning. Si leurs apports rencontrent des difficultés identiques au paradigme

OLI, à savoir un manque de cohérence générale, Gray et Gray présentent néanmoins des

pistes intéressantes pour une recherche empirique. Leur modèle s'appuie particulièrement sur

les spécificités des activités bancaires. Il semble intéressant de souligner que les différents

auteurs ayant écrit sur les phénomènes d'internationalisation des banques envisagent des

facteurs semblables mais ont recours à un cadre théorique différent pour articuler les éléments

qui apparaissent pertinents.

A la suite de Gray et Gray, Yannopoulos13 a tenté d'appliquer le paradigme OLI aux banques.

Il procède également à un examen des trois types de facteurs. Il insiste fortement sur

l'importance de l'information et de la relation de clientèle des banques et se rapproche ainsi

de Tschoegl. Cependant l'analyse de Yannopoulos met en avant le rôle de la différenciation

des produits bancaires, comme avantage de propriété. Yannopoulos concède que la

différenciation des produits n'est possible qu'à court terme en raison du caractère très

facilement imitable des produits bancaires. Néanmoins il fait l'hypothèse de l'existence d'une

autre différenciation de plus long terme, une différenciation perçue plutôt que réelle. En effet

13 Yannopoulos, G. N., « The growth of transnational banking » in Casson M., dir., The Growth of International Business, Londres, Allen and Unwin, 1983, p. 236-257

Page 28: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

22

la relation bancaire repose de manière fondamentale sur la confiance qu'inspire la banque au

client. Ainsi cette différenciation perçue résulte de la notation de la banque, de sa taille, et de

la probabilité perçue qu'elle renouvelle les crédits accordés, les garanties financières etc. Ces

éléments ne peuvent pas être échangés sur un marché et constituent donc un avantage majeur

pour une banque qui peut capter une clientèle étrangère sur la base de ces avantages. Cet

aspect ne semble pas avoir été envisagé par les autres chercheurs et constitue pourtant un

point essentiel et caractéristique de l'activité bancaire. Yannopoulos souligne l'importance de

la compétition sur des éléments non basés sur un prix, comme l'image de marque de la

banque. Cet aspect prend tout son sens dans la compétition que se livrent les grandes banques

à l'échelle mondiale ainsi qu'au local, vis-à-vis de plus petites institutions. Si les économies

d'échelle atteignent leur maximum à une taille bien inférieure à la taille des groupes bancaires

multinationaux, les bénéfices de cette taille peuvent apparaître sous la forme de la notation de

la banque, de la réputation dont elle jouit.

A travers les différentes théories évoquées, il est possible d'observer l'importante diversité des

approches pour expliquer l'internationalisation des firmes et plus particulièrement des

banques. Ces modèles se basent sur des phénomènes proches, avec par exemple la reprise par

tous les auteurs des facteurs liés à l'appropriation de la connaissance par les banques. Les

facteurs évoqués par les auteurs sont communs, mais le modèle théorique qui les articule

diffère. L'opposition entre l'internalisation et le paradigme OLI structure le débat. Les théories

de l'internalisation ont tenté d'établir un modèle cohérent tandis que les développements sur le

paradigme OLI font appel à des éléments plus variés en perdant de l'efficacité pour définir un

cadre clair. Le modèle éclectique postule que la firme multinationale développe ses avantages

sur son marché domestique pour ensuite les utiliser à l'international. La théorie de

l'internalisation quant à elle envisage la multinationalité comme une qualité intrinsèque de la

firme. Certaines firmes porteraient les caractéristiques des firmes multinationales. Cet aspect

apparaît particulièrement intéressant pour comprendre la stratégie d'un groupe comme

Citigroup. S'il peut être difficile d'évaluer empiriquement l'origine de l'internationalisation de

la firme, cette opposition entre les deux modèles théoriques pourra constituer une trame de

fond de cette étude.

Comme il a été possible de le voir, les auteurs se sont appuyés sur divers éléments liés à la

réalité des banques internationales. Il semble donc pertinent d'étudier ensuite les facteurs

empiriques pour réaliser par la suite une analyse méthodique et complète du cas Citigroup.

Page 29: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

23

Chapitre 2- Les déterminants empiriques des IDE financiers

À partir des éléments théoriques envisagés précédemment, il est possible de produire un cadre

d'analyse empirique pour procéder à une étude systématique du cas de Citigroup. Les

déterminants empiriques apparaissent déjà en filigrane dans les travaux de Gray et Gray ou de

Tschoegl. Cependant devant la grande diversité des facteurs empiriques d'IDE financiers, de

nombreux auteurs ont entrepris d'étudier chacun certains déterminants bien spécifiques pour

en valider la pertinence et l'utilité comme facteur explicatif de l'internationalisation des

banques. La synthèse réalisée par Garcia Herrero et Navia Simon14 servira de base pour

établir les éléments qui seront ensuite examinés dans la suite de ce mémoire. Puis nous

envisagerons un autre modèle qui a eu une influence moindre sur les travaux de recherche

concernant l'internationalisation. Il s'agit du modèle développé par Smith et Walter. La

matrice d'analyse des stratégies internationale des groupes bancaires qu'ils proposent peut être

utilisée pour développer une approche alternative et peut ainsi compléter l'étude. Elle semble

particulièrement utile et adaptée au cas de Citigroup.

Section 1- les déterminants microéconomiques et

comportementaux tels qu'envisagés par Garcia Herrero et Navia

Simon

La synthèse de Garcia Herrero et Navia Simon présente l'avantage de permettre une étude

large et à plusieurs niveaux. En effet, dans leur article publié en 2003 les deux auteurs

envisagent trois types de facteurs déterminant les IDE financiers. Ces trois axes sont les

facteurs macroéconomiques, les facteurs institutionnels et les facteurs microéconomiques.

Du coté des facteurs macroéconomiques, Herrero Garcia et Navia Simon montrent que les

auteurs en science économique ont adopté une approche duale, prenant en compte les facteurs

macroéconomiques du pays d'origine de la firme et les facteurs macroéconomiques du pays de

destination des IDE. Les variables étudiées sont par exemple le taux de change ou encore la

position dans le cycle économique. Il a été ainsi démontré que les firmes japonaises ont

procédé à des IDE lors de l'appréciation du yen. Du coté du pays d'accueil, on peut noter le

potentiel de croissance du marché comme facteur d'IDE. Cet élément avait déjà été envisagé

par Gray et Gray et d'autres auteurs en ont validé la pertinence empirique. Les facteurs

14 Garcia Herrero A., Navia Simon D., « Determinants and impact of financial sector FDI to emerging economies: a home country's perspective », Working Group on Financial FDI of the BIS Committee of the Global Financial System (CGFS), Septembre 2003

Page 30: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

24

institutionnels ont quant à eux essentiellement trait aux conditions réglementaires et légales

qui peuvent faciliter ou au contraire décourager les IDE dans un pays donné. Les facteurs

institutionnels ont déjà été pris en compte par les tenants de la théorie OLI qui les ont inclus

dans les avantages de localisation. Herrero Garcia et Navia Simon soulignent l'existence d'un

consensus sur la plupart des facteurs macroéconomiques et institutionnels et une abondante

littérature a cherché à prouver leur pertinence. Il faut noter que si l'approche de Herrero

Garcia et Navia Simon n'entend pas faire suite à aucun des modèles OLI ou de

l'internalisation et leur classement des facteurs empiriques ne reflète pas le cheminement de

pensée adopté par l'un ou l'autre des modèles. Les deux auteurs ont classé les facteurs

déterminants de manière à obtenir une facilité d'utilisation empirique.

Si les facteurs institutionnels et macroéconomiques ne sont pas à négliger pour comprendre

l'internationalisation des banques, il convient de les écarter de cette étude puisqu'ils ne sont

pas particuliers à une firme mais concernent l'ensemble des banques d'un pays ou d'une zone

donnés. Les facteurs microéconomiques constituent le cœur de l'analyse présente en raison de

l'étude d'un cas précis, celui de Citigroup. Herrero Garcia et Navia Simon répartissent leurs

différents facteurs en quatre catégories comme le montre le schéma 1.

Schéma 1. Catégories de facteurs empiriques d'internationalisation telles qu'envisagées par

Garcia Herrero et Navia Simon.

Comme l'expriment les deux auteurs, certains facteurs ont été abondamment étudiés tandis

que d'autres doivent toujours être validés empiriquement et les auteurs sont divisés quant à

leur validité.

Le facteur stratégique recouvre les phénomènes relevant de la structure du marché dans le

pays d'origine de la banque. Ainsi l'internationalisation d'un groupe bancaire dans un pays

donné pourrait engendrer un mouvement de réactions stratégique qui conduirait l'ensemble du

Page 31: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

25

secteur dans ce même pays à suivre le premier compétiteur, notamment car les marchés

bancaires sont souvent en situation oligopolistique. La décision de s'internationaliser par un

des membres de l'oligopole entraine un nouveau tour d'alignement stratégique pour aboutir à

un équilibre oligopolistique plus ou moins stable. Pourtant ce facteur manque de précision

pour comprendre comment les banques concurrentes réagissent en termes de pays ciblés.

S'établissent-elles dans des pays différents pour chacune conserver leur pré carré? Ou

prolongent-elles la concurrence nationale en s'installant sur les mêmes marchés étrangers? Les

études empiriques sur le sujet ont produit des résultats contrastés et ne permettent pas de

trancher de manière claire. Par ailleurs ce facteur peut être lié à d'autres facteurs comme par

exemple l'origine commune qui sera développée plus loin. Si les banques espagnoles ont

massivement investi en Amérique latine, est-ce dû à une réaction oligopolistique? Ou

seulement à un contexte culturel proche? Une combinaison de ces deux facteurs, ou d'autres

facteurs est-elle démontrable? Le facteur stratégique pourra être considéré dans le cas de

Citigroup, étant donné que Citigroup fut le premier groupe à adopter la stratégie du one-stop

shop et à se lancer avec une ampleur aussi grande dans la troisième vague

d'internationalisation des banques. On peut alors se questionner sur le caractère stratégique de

cette décision. Est-ce un moyen de se dégager de la concurrence nationale, alors que Citibank

n'était pas forcément un des plus grands acteurs aux Etats-Unis? Cependant la forte

internationalisation des groupes bancaires américaines depuis plusieurs décennies rend

difficile une analyse systématique du facteur stratégique.

La diversification des risques constitue un autre aspect envisagé par la littérature empirique

sur l'internationalisation des banques. L'internationalisation de ses activités permet à une

institution bancaire de diversifier le risque auquel elle fait face, notamment en termes de

risque de crédit et ainsi de réduire son exposition à une certaine catégorie de risques, dans le

cas présent les risques liés au pays d'origine. La diversification internationale permet une

amélioration du couple risque-rendement des banques multinationales, comme l'ont montré

certains auteurs. La sélection des investissements internationaux se ferait donc en fonction de

la probabilité de rendement et de l'insertion dans le portefeuille d'activités déjà détenues par la

banque. Par ailleurs, la réalisation de la diversification par la banque elle-même plutôt que par

les investisseurs individuels révèle une efficacité supérieure. En effet les investisseurs

individuels ne peuvent pas tirer avantage des imperfections du marché de la façon dont une

banque a la faculté. La diversification des activités, notamment en terme géographique à

travers un groupe bancaire produit des synergies à l’intérieur du groupe que les investisseurs

ne peuvent trouver en détenant ces mêmes actifs de manière isolée. Cet élément a également

peu été testé empiriquement et il est possible d'émettre des réserves quant à sa pertinence.

Page 32: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

26

L'efficacité supérieure qu'une banque peut obtenir en s'internationalisant a été abondamment

documentée par la littérature économique. Les éléments qui ont été envisagés par les

différents auteurs tirent leur source directement dans les théories de l'internationalisation et

ont souvent été testés par les auteurs de ces théories eux-mêmes. Herrero Garcia et Navia

Simon évoquent trois déterminants liés à une efficacité, des rendements supérieurs. Tout

d'abord il a été démontré que la taille d'un groupe bancaire lui permet, dans une certaine

mesure, de gagner une efficacité supérieure. Les économies d'échelle donnent aux banques

internationales une supériorité sur les banques locales avec une taille bien inférieure. Les

banques multinationales peuvent transférer leurs économies d'échelle pour un coût

relativement faible. Cependant Herrero Garcia et Navia Simon soulignent que l'effet de taille

ne joue que sur certaines activités. Ainsi une présence internationale fondée sur la banque de

détail a un potentiel faible pour dégager des rendements d'échelle. Ceci est renforcé par le fait

que la taille critique est atteinte à des niveaux de taille bien inférieurs à ceux des banques

multinationales. Certaines études ont par exemple démontré que des banques régionales d'une

certaine envergure aux Etats-Unis avaient déjà atteint la taille critique au-delà de laquelle les

économies d'échelle deviennent négligeables. Il apparaît alors clair que les grands groupes

multinationaux ne réalisent des économies d'échelle qu'à la marge au niveau global. De plus,

au niveau local, les nouveaux entrants étrangers sur un marché sont d'abord de petits acteurs

face aux concurrents locaux et on peut s'interroger sur les économies d'échelle qu'ils dégagent

par rapport à ces concurrents locaux. Il s'agit aussi d'évaluer la possibilité d'économies

d'échelle au niveau global par rapport aux économies d'échelle au niveau local. En effet, les

réseaux de banque de détail fonctionnent souvent sur un mode national, en raison des

régulations et des pratiques bancaires locales. Il convient donc de s'interroger sur le degré

d'économies d'échelle qui peut être obtenu au niveau global.

Dans les activités de banque d'investissement, l'internationalisation permet d'atteindre une

taille critique nécessaire pour répondre au besoin de financement de grands groupes tout en

maximisant le profit. La détention de succursales dans divers pays permet de développer des

solutions de financement ou d'investissement pour des clients avec un coût marginal faible

alors qu'une banque locale aura des difficultés et fera face à des coûts difficilement

surmontables pour acquérir les compétences techniques et humaines et les ressources

financières afin de répondre au besoin de ces mêmes clients. Ce facteur apparaît également

pertinent dans le cas de Citigroup qui a entendu projeter à l'international un spectre très large

d'activités, banque de détail et d'investissement, comme cela sera détaillé plus loin. Nous

tenterons donc d'évaluer la pertinence du facteur taille pour expliquer la stratégie

internationale de Citigroup. Ce facteur, et notamment la distinction qui est faite par les auteurs

Page 33: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

27

entre banque de détail et banque d'investissement, est intéressant à étudier empiriquement car

il donne à comparer les différentes stratégies des acteurs bancaires internationaux, Citigroup

contre d'autres concurrents ayant focalisé leur internationalisation sur différentes activités.

En lien avec cet argument, le degré d'internationalisation peut apparaître comme un

déterminant d'IDE bancaires. L'expérience internationale d'une banque semble être un facteur

qui la pousse vers toujours plus d'internationalisation, comme l'ont démontré plusieurs

auteurs. Cette expérience rend la conduite d'une nouvelle opération internationale moins

coûteuse car certains coûts ont déjà été surmontés, comme par exemple de l'intégration de

plusieurs systèmes législatifs dans le fonctionnement de la banque, ou encore le coût inhérent

au travail ensemble d'équipes relevant de cultures diverses. Par ailleurs la présence dans une

multiple de pays donne un profil de risque très diversifié pour la banque et rend ainsi une

nouvelle opération moins risquée. Une forte internationalisation depuis de nombreuses années

semble conduire à toujours plus d'internationalisation comme l'ont montré de nombreux

modèles, au-delà du secteur bancaire, avec par exemple le modèle Uppsala pour

l'internationalisation des PME. À l'aube d'une période de forte dérégulation au niveau

international, comme c'est le cas à la fin des années 90, la détention d'une expérience

internationale semble être un facteur poussant les banques déjà fortement internationales à

capitaliser sur cet avantage pour poursuivre leur croissance, car elles font face à des coûts

moins élevées et sont donc plus efficaces.

Enfin Garcia Herrero et Navia Simon font référence à un troisième déterminant reposant sur

l'efficacité d'une firme bancaire, l'efficacité en termes de produits et de canaux de distribution.

L'expérience que possède une banque en termes de produits et d'organisation de la distribution

lui donne un avantage pour pénétrer sur des marchés étrangers généralement moins

développés et moins bancarisés. L'utilisation de méthodes de distribution ayant fait leurs

preuves sur des marchés matures, la maitrise des produits distribués en termes de risque, de

profil des clients ciblés donne aux banques multinationales l'opportunité de développer un

réseau d'agences plus efficaces, avec un profil de rendement-risque meilleur que des

concurrents locaux. Certains auteurs ont ainsi démontré que les banques des pays de l'OCDE

préfèrent s'internationaliser dans des pays en développement dans lesquels le système

bancaire est moins performant, avec par exemple des taux de créances douteuses élevés par

rapport aux standards des pays de l'OCDE. On observe également le phénomène inverse, des

banques de l'OCDE qui s'implantent dans d'autres pays développés pour par exemple

bénéficier de la maturité de ces marchés, de la sophistication des produits et des canaux de

distribution. Cette efficacité sur les modes de distribution concerne essentiellement la banque

de détail et contraste ainsi l'argument évoqué précédemment.

Page 34: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

28

L'efficacité supérieure de certaines banques est couplée avec des avantages comparatifs.

Herrero Garcia et Navia Simon ont établi une classification des déterminants empiriques qui

permet de guider l'étude des banques multinationales. Cependant les différents déterminants

sont souvent très liés les uns aux autres et il peut être difficile de faire une distinction claire.

En lien avec l'efficacité sur les produits et les canaux de distribution, les banques

multinationales développent des avantages compétitifs en formulant des produits innovants et

en utilisant des technologies supérieures. Le contenu en technologie des activités bancaires a

connu un essor important avec le développement des technologies de l'information et de la

communication. Si dans les pays développés, l'avantage technologique est faible, en raison de

la diffusion rapide des innovations, l'introduction de nouvelles technologiques sur des

marchés émergents peut représenter un vrai avantage pour des banques étrangères. Il est

possible d'évoquer ici l'introduction des guichets automatiques, le développement des plates-

formes de gestion en ligne ou encore des cartes de crédit. Il en va de même pour l'innovation

sur les produits bancaires en eux-mêmes. Bien que les activités de service par nature ne

conservent que brièvement les innovations sur les produits, une banque peut être incitée à

entrer sur un marché étranger car elle possède une technologie, à la fois externe vers les

clients et interne dans la gestion de l'activité et du risque, et des produits innovants par rapport

aux concurrents locaux. Ces concurrents ont peu d'incitation à adopter ces innovations avant

l'entrée de banques étrangères car le marché local est peu développé et la situation

oligopolistique du marché pousse peu à l'introduction des innovations. Une banque étrangère

peut alors surmonter les désavantages auxquels elle fait face et capter une clientèle locale sur

la base de produits plus performants et avec un coût moindre.

L'origine commune constitue un autre élément évoqué par Herrero Garcia et Navia Simon. La

proximité culturelle, réglementaire ou encore linguistique rend l'entrée sur un marché étranger

moins risquée et diminue certains coûts d'entrée. La décision de procéder à des IDE peut être

motivée par ces liens culturels qui existent entre le pays visé et le pays d'origine de la banque

multinationale. Ces liens permettent à la banque étrangère d'entrer sur le nouveau marché

avec une incertitude plus faible puisque la clientèle du nouveau marché a des caractéristiques

communes avec la clientèle nationale. La banque multinationale peut ainsi utiliser sa

connaissance de sa propre clientèle pour la réutiliser vis-à-vis de clients nouveaux. On se

place ici directement dans le cadre de l'internalisation. La firme maximise un avantage

informationnel, à savoir la connaissance de la culture des clients et leurs pratiques bancaires.

Les auteurs ont largement validé sur le terrain cet argument. Par exemple, les banques

espagnoles ont été les premières à investir en Amérique latine et elles sont aujourd'hui les plus

présentes dans cette région. Les auteurs soulignent que la proximité culturelle vient souvent

Page 35: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

29

des liens avec les anciennes colonies. On peut cependant s'interroger sur la pertinence de ce

déterminant dans le cas des banques américaines comme Citigroup. Avec quelles zones

géographiques les banques américaines peuvent-elles trouver une proximité culturelle? La

présence important de communautés immigrées aux Etats-Unis donnent-elles aux banques

américaines une connaissance multiple sur les pratiques de ces communautés? Il semble

intéressant d'examiner comment ce facteur peut être validé dans le cas de Citigroup.

Le dernier déterminant présenté par Herrero Garcia et Navia Simon est constitué par le fait

pour des banques de suivre leurs clients à l'étranger. Cet argument est l'un des plus étudiés

dans le cas de l'internationalisation des banques. Pour ne pas perdre une opportunité à

l'étranger, mais également la connaissance du client sur le marché d'origine, plusieurs auteurs

ont fait l'hypothèse que les banques suivent l'internationalisation de leurs clients, s'engageant

ainsi dans une « réaction défensive ». La connaissance qui a été produite sur un certain client,

et qui est un intrant intermédiaire dans l'activité bancaire serait perdue si à l'étranger, une

autre banque entre dans une relation bancaire avec ce même client et développe sa propre

connaissance du client. Plus loin encore, cette nouvelle relation bancaire menace la relation

qu'a la banque initiale du client puisque la connaissance produite par sa concurrente peut

ensuite être réutilisée sur le marché d'origine, et plus largement au niveau global. La réalité

empirique a produit des résultats contrastés. Au niveau macroéconomique, on constate une

influence des IDE en général ou du commerce bilatéral sur les IDE du secteur financier.

Pourtant ce phénomène est surtout valable entre pays développés. Pour les pays en

développement un phénomène inverse semble se produire. La faiblesse des services financiers

apparaît comme un frein aux IDE et les IDE financiers, qui permettent un développement du

secteur financier local seraient donc un préalable à l'entrée de firmes d'autres secteurs. Enfin

au niveau des firmes bancaires elles-mêmes, certains auteurs ont montré que les financements

accordés par les banques multinationales à l'étranger n'allaient pas à leurs clients de leur pays

d'origine. Le déterminant « suivre le client » semble donc discutable. Par ailleurs il convient

de noter qu'il s'applique uniquement pour les activités de banque de financement. Une

hypothèse similaire peut cependant être émise pour la banque de détail. On peut s'interroger

sur le poids des expatriés dans la décision d'une banque d'investir dans un pays donné, par

exemple dans le cas de banques chinoises servant la diaspora. La présence d'une clientèle de

détail à l'étranger doit néanmoins être conséquente pour pousser une banque à entrer dans un

pays. Ce déterminant ne doit pas être négligé, nous tenterons d'en vérifier son application dans

le cas de Citigroup. Cependant devant l'ampleur de l'étude nécessaire pour comprendre les

relations bilatérales entre deux pays, l'analyse du facteur « suivre le client » restera limitée

pour se concentrer sur d'autres facteurs.

Page 36: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

30

L'article de Herrero Garcia et Navia Simon apparaît comme un guide empirique intéressant

pour l'étude d'une stratégie bancaire internationale. Les différents déterminants envisagés

peuvent ensuite être rattachés aux théories de l'internationalisation pour nourrir le débat sur le

modèle le plus capable de comprendre les phénomènes en présence. Chercher à valider ces

déterminants dans la stratégie de Citigroup semble être un moyen efficace de contribuer à la

littérature sur le sujet de l'internationalisation des banques.

Section 2- la matrice d'analyse de Smith et Walter

Smith et Walter15 ont développé leur propre modèle pour comprendre les stratégies globales

des groupes bancaires. Bien que leur matrice d'analyse n'ait pas été largement diffusée et

utilisée pour penser l'internationalisation des banques, elle donne cependant un cadre

d'analyse alternatif et enrichit le débat théorique. De plus ce modèle semble particulièrement

adapté pour l'étude de Citigroup et nous permettra d'apporter un éclairage supplémentaire à la

stratégie de cette banque. La matrice de Smith et Walter est en effet directement ancrée dans

la réalité empirique.

Matrice C-A-P telle que représentée par Smith et Walter16

Cette matrice tridimensionnelle repose sur trois types de critères pour analyser une stratégie:

Client, Arena et Product (modèle dit « C-A-P »). Chacune de ses trois variables peut prendre

15 Smith R. C., Walter I., Global Banking, 2003 16 idem

Page 37: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

31

différentes caractéristiques et ainsi en combinant les particularités de chacune, il est possible

d’identifier la stratégie particulière d'une banque. Chaque combinaison constitue ce que les

deux auteurs désignent par « cell », un segment de marché qui peut viser la firme bancaire.

Ces segments déterminent la structure compétitive du marché et sont fonction d'autres

variables environnementales comme les régulations en vigueur ou le fonctionnement

économique du marché. Smith et Walter arguent que la dérégulation et l'ouverture des

marchés au niveau global offrent des opportunités pour entrer sur un champ plus vaste de

segments de marché, de « cells ». La dimension « client » va plus loin que la simple

distinction entre banque de détail et banque de financement. Cinq catégories de client sont

identifiés par Smith Walter: les clients souverains (Etats et entités gouvernementales), les

entreprises non-financières, les entreprises financières concurrentes ou appartenant à des sous

groupes différents, les individus à très haut revenus (« high net worth individuals » ou HNWI)

et enfin les clients et foyers relevant de la banque de détail de masse. La dimension « arena »

est envisagée de manière moins stricte. Pour Smith et Walter, la distinction première est à

faire entre le marché national et l'extérieur. Mais ils conçoivent la zone géographique

pertinente pour définir un marché comme une zone homogène réglementairement, en termes

de politique concurrentielle ou encore d'autorité monétaire. Ainsi « l'arena » est de fait très

liée à un Etat mais d'autres niveaux peuvent être pertinents par exemple dans un Etat fédéral

ou encore dans l'Union Européenne. Enfin la dimension « product » est constituée des

diverses catégories de produits bancaires. La dérégulation et le développement technologique

ont permis de nombreuses innovations financières et Smith et Walter soulignent la grande

diversité de produits qui existent aujourd'hui. Cependant les activités de crédit et de prêt

restent le cœur de l'activité bancaire, avec l'apparition de formes plus sophistiquées comme

les financements structurés. Les deux auteurs évoquent également d'autres activités.

L'ingénierie financière s'articule autour de la structuration de produits complexes,

spécifiquement mis en œuvre pour les besoins du client, allant du simple conseil en

financement à la vente d'un ensemble de services et de produits à un même client pour couvrir

toutes ses demandes. A travers les activités de risk management, les banques portent un

certain nombre de risques (crédit, change, liquidité...) soit elles-mêmes, soit à travers des

engagements, souvent enregistrés en hors-bilan. La prise de risque fait également partie des

activités historiques des banques et a évolué sous des formes de plus en plus complexes. Le

dernier type de produits détaillé par Smith et Walter est lié à l'arbitrage et à la prise de

position sur des actifs pour tirer avantage de la situation sur les marchés.

Chaque segment est défini par une combinaison des valeurs possibles pour chaque dimension.

Smith et Walter analysent ensuite ces segments de façon classique, selon le « diamant » de

Page 38: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

32

Porter. L'originalité de leur approche tient à leur analyse des liens (« linkages ») que peuvent

faire les firmes bancaires pour maximiser leurs avantages et leur profil de risque-rendement.

Ces liens doivent conduire à la création d'un réseau de segments qui permettent à la banque de

bénéficier d'économies d'échelle. Ainsi le fait pour une banque d'être en mesure de servir une

certaine classe de clients plus efficacement que ses concurrentes grâce à sa connaissance d'une

autre classe de clients constitue un lien centré sur le client que la firme peut exploiter. Des

liens similaires peuvent exister pour les deux autres dimensions, par exemple lorsqu'une

banque peut produire un nouveau service financier proche d'un service qu'elle offre déjà ou

lorsqu'elle peut offrir ses produits sur une zone géographique nouvelle du fait de sa présence

dans une autre zone. La compréhension des liens que fait un établissement bancaire entre les

différentes dimensions permet d'expliquer la stratégie internationale de cet établissement.

Smith et Walter précisent que la stratégie de la banque doit s'articuler sur ses compétences

principales, ce qu'elle sait faire de mieux, tout en tenant compte des économies d'échelle

potentielles, de la diversification possible et sa capacité à mettre en œuvre l'orientation

choisie. La démarche stratégique repose sur sept questions principales selon les deux auteurs:

la position stratégique de l'entreprise, quels segments de marché sont porteurs pour

elle

la structure des marchés visés et leur évolution future possible

les compétences qui font la force de l'entreprise

les économies d'échelle et l'efficacité que la firme peut tirer de ces nouveaux marchés

les synergies au niveau des revenus et la diversification que peut lui apporter son

entrée sur des marchés étrangers

la configuration institutionnelle qui donne la meilleure organisation à la firme pour

être efficiente

la capacité de la firme bancaire à mettre en œuvre tous les moyens envisagés pour

faire réussir sa stratégie

C'est en menant une réflexion sur ces sept aspects que la firme doit déterminer la conduite

stratégique à adopter, d'après Smith et Walter.

Bien que le niveau maximal d'économies d'échelle soit atteint pour une taille bien inférieure à

celle des grands groupes internationaux, Smith et Walter reconnaissent que le regroupement

d'activités financières diverses permet d'obtenir des économies d'envergure à travers le

« cross-selling », le fait pour un client d'acheter plusieurs produits financiers auprès d'une

seule et même institution financière. Les coûts fixes étaient élevés dans le secteur bancaire,

Page 39: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

33

particulièrement le coût de production de l'information, la création de « one-stop shops »

semble être une opportunité de développement dans la perspective d'entrer sur des nouveaux

segments de marché. Cependant ces économies d'envergure doivent être contrebalancées par

la décote que peuvent subir les conglomérats financiers. Si la diversification permet un

abaissement du niveau de risque, les conglomérats financiers subissent néanmoins une décote

dans leur valorisation financière car les investisseurs préfèrent assembler par eux-mêmes un

portefeuille d'activités diversifiés par la détention d'actifs plutôt que d'investir dans des

conglomérats financiers qui finalement peuvent être vus comme un « fond d'investissement

sur une large catégorie d'actifs », selon la formule de Smith et Walter. Cet aspect semble

particulièrement intéressant dans le cadre de ce mémoire puisqu'il est question des mérites du

conglomérat financier. Or la stratégie de Citigroup, comme il sera développé plus tard, peut

s'apparenter à la formation d'un conglomérat financier.

Pour se positionner dans les différentes cellules de la matrice C-A-P, les firmes bancaires

peuvent s'appuyer sur diverses sources d'avantages compétitifs qui sont très proches de celles

développées par d'autres auteurs. Smith et Walter mettent en avant l'importance fondamentale

des avantages informationnels. En effet l'information est la seule ressource qui puisse

réutiliser pour la production de services différents en simultané. De plus dans un

environnement globalisé de plus en plus complexe, la production, le traitement et

l'exploitation de l'information constituent un avantage déterminant pour une banque. La

possession de spécialistes et la capacité à diffuser les connaissances de ces spécialistes sont un

challenge qui conditionne la réussite d'une banque. Cette maitrise de l'information est

également liée à la possession de ressources humaines efficaces. L'accélération des échanges

et le caractère continu du fonctionnement des marchés financiers contraignent les groupes

financiers à prendre des décisions rapides tout en évaluant les risques de ces décisions. La

qualité des ressources humaines est alors clé pour faire la différence dans l'environnement

compétitif. Cette remarque s'est révélée particulièrement vraie au cours de la crise financière

où les opérateurs de marché ont dû faire face à des situations extrêmes inédites. Goldman

Sachs a su tirer profit amplement de cette crise faisant aussi honneur à la réputation de grande

qualité de ses équipes. La détention de ressources humaines de qualité va de paire avec

l'implantation dans des centres décisionnels de la planète financière. On peut ainsi faire

l'hypothèse que par leur implantation à Wall Street, les banques américaines bénéficient

d'avantages informationnels et d'avantages de ressources humaines.

Un autre facteur clé lié aux avantages informationnels évoqué par Smith et Walter est la

capacité à innover et à incorporer des technologies innovantes dans l'activité bancaire. En

raison de la facilité à imiter les innovations bancaires, une firme bancaire souhaitant rester

Page 40: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

34

compétitive doit avoir la capacité d'innover sans cesse. Cet élément est généralement évoqué

par tous les auteurs ayant réfléchi sur les stratégies bancaires. Smith et Walter lient cet aspect

à la qualité du management et des équipes de la firme car c'est le management qui a la

capacité d'impulser une culture d'innovation et la qualité des équipes fait émerger des

innovations efficaces pour le processus de production. La technologie incorporée dans

l'activité bancaire se décompose en deux éléments: la technologie qui sera directement fournie

aux clients, par exemple avec l'introduction de nouveaux moyens de paiement, et la

technologie qui permettra à la banque d'être plus efficace dans son processus de production

mais qui ne sera pas directement utilisée dans un service en particulier.

Smith et Walter détaillent un avantage peu étudié dans la littérature, celui de la réputation d'un

groupe. La confiance est au cœur de l'activité bancaire et elle a dicté de nombreuses

évolutions dans le secteur bancaire. Si au 19ème et au début du 20ème les banques

cherchaient à inspirer la confiance en bâtissant d'imposantes agences dans les centres-villes, la

réputation passe aujourd'hui par l'établissement de marques reconnues internationalement et

par les opérations réussies avec de grands comptes (à travers la publication de « tombstones »

plaquette résumant une opération majeure menée par l'institution bancaire). La force de sa

marque constitue un déterminant de la capacité de la banque à réussir une opération

internationale. Comme le soulignent Smith et Walter « des clients de première classe sont

servis par des instituions de première classe ».

L'intérêt majeur de l'apport de Smith et Walter pour notre étude est que les deux auteurs

consacrent de nombreux exemples au cas de Citigroup. Publié en 2003, leur ouvrage ne prend

pas en compte les dix ans de vie de de Citigroup. Cependant Smith et Walter abordent des

éléments intéressants concernant le groupe. L'étude des segments de la matrice au regard des

avantages compétitifs propres à la firme doit conduire à la prise d'une décision stratégique et

pour cela les deux chercheurs envisagent plusieurs possibilités comme la croissance interne,

la domination de marchés, la fusion stratégique ou encore la croissance par acquisition

continue, qui concerne Citi. L'objectif de cette stratégie est d'obtenir instantanément des

clients tout en réduisant les coûts. Sandy Weill, artisan de la création de l'ensemble Citigroup

est permis de créer la « première vraie banque universelle d'Amérique », selon les mots de

Smith et Walter. S'ils soulignent que Citi a réussi à convaincre le marché de sa capacité à

intégrer de nouveaux clients tout en agissant significativement sur les coûts, ils émettent des

réserves quant à la soutenabilité du modèle. Ils soulignent les problèmes de ressources

humaines et de management que représente cette stratégie. L'objectif est clairement d'acheter

de nouveaux clients, mais les équipes ne sont quant à elles pas un actif clé. Par ailleurs Smith

et Walter mettent en avant la difficulté à gouverner des groupes aussi grands que Citigroup

Page 41: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

35

dans l'environnement bancaire qui demande beaucoup de réactivité et d'adaptation au

changement. En outre les deux chercheurs s'interrogent sur la réalité du « cross-selling ». De

fait aucune étude n'a validé leur existence.

En 2003, il n'était pas possible de vérifier ces hypothèses. Aujourd'hui, alors que Citigroup

subit une profonde réorganisation, il semble intéressant de revenir sur les dix années écoulées

et de reprendre certains éléments avancés par Smith et Walter pour apporter un nouvel

éclairage à leurs travaux. Contrairement aux auteurs évoqués précédemment, Smith et Walter

ne font pas référence aux modèles de l'internationalisation des firmes ou des banques en

particulier mais ils partent d'une étude empirique des stratégies bancaires pour construire leur

propre modèle. La matrice C-A-P semble adaptée pour comprendre les comportements

stratégiques des banques, mais n'offre pas un cadre général théorique pour

l'internationalisation des firmes. Cette matrice peut être employée au coté des autres

déterminants empiriques tels que décrient par Garcia Herrero et Navia Simon. Il est possible

de constater une certaine homogénéité dans les déterminants empiriques des IDE financiers.

Nous appliquerons tous ces éléments au cas de Citigroup en gardant à l'esprit la théorie qui les

sous-tend. Ainsi en partant de faits empiriques, il sera possible d'apporter une contribution

modeste au débat théorique.

Page 42: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

36

Chapitre 3- la réactivation de la banque universelle dans le

contexte de la dérégulation financière du 21ème siècle

Depuis les années 80, le monde de la finance et de la banque a connu des évolutions

profondes, tant technologiques que réglementaires. Le « big bang » technologique, qui a

entrainé une dématérialisation totale des échanges sur les marchés boursiers et la fin des

échanges « à la corbeille » s'est accompagné de changements législatifs et réglementaires tout

aussi importants. Le paysage bancaire issu de la crise de 1929 et de l'après-guerre a été

modifié pour tenir compte des évolutions de la mondialisation et la compétition internationale

entre les places financières tout en améliorant la fluidité des échanges et en laissant la porte

ouverte à des innovations financières sans précédent.

La crise de 1929 avait entrainé dans tous les pays développés l'introduction de législation

interdisant le regroupement d'activités de banque de détail et de banque d'investissement dans

un même établissement avec l'emblématique Glass-Steagall Act17 de 1933 aux Etats-Unis. Le

modèle de banque universel était la norme au 19ème siècle et jusqu'à la crise de 1929 avant

d'être banni suite à cette crise. Les chercheurs en science économique ont débattu avec

vigueur sur les mérites de la séparation des activités de détail et de financement ou au

contraire de leur regroupement. Certains auteurs mettent en doute les bénéfices du

regroupement de deux types d'activités. Cela serait la cause d'une augmentation du risque

systémique pour des économies d'échelle nulles ou presque. Ce débat a ressurgi au cours de la

crise financière de 2007-2009 et l'on s'est interrogé sur l'opportunité de revenir au

cloisonnement des activités avec un ton très politique. Beaucoup questionnent en particulier

les conflits d'intérêts qui peuvent survenir lorsqu'une même institution participe au placement

de titres pour le compte de certains clients et propose des produits d'investissement pour

d'autres, notamment des clients de détail vis-à-vis desquels l'asymétrie d'information est forte.

En outre se pose le problème du financement d'activités risquées par les dépôts.

En effet à la fin des années 90, l'Union européenne a mis fin à la séparation des activités de

banque de financement et de banque de détail. Aux Etats-Unis, ce décloisonnement fut plus

long et n'aboutit qu'en 1999 avec la révocation du Glass-Steagall Act par le Graham-Leach-

Bliley Act18. À partir de cette date, les activités bancaires ne sont plus soumises à aucune

restriction concernant la combinaison de banque de dépôt et de banque d'investissement. Il

17 Banking Act of 1933 ou Glass-Steagall Act voté par le 73ème Congrès américain et promulgué le 16 juin 1933 par le Président Franklin D. Roosevelt 18 Financial Services Modernization Act of 1999 ou Gramm-Leach-Bliley Act voté par le 106ème Congrès américain et promulgué le 12 novembre 1999 par le Président Bill Clinton

Page 43: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

37

semble très intéressant de noter que la fusion entre Citicorp et Travelers Group est intervenue

juste avant le vote de cette loi et que les maitres d'œuvre de cette fusion ont fortement poussé

à l'adoption du Graham-Leach-Bliley Act, ayant même eu l'opportunité de donner leur avis

sur le projet de loi. Dès l'origine, Citi a donc défini sa stratégie comme le retour à la banque

universelle, comme l'ont souligné Smith et Walter. Cette décision s'appuie sur la supposition

que réunir toutes les activités financières (bancaires et non-bancaires telle que l'assurance)

serait plus efficiente. L'hypothèse centrale de cette décision est que le « one-stop shop »

permet au client de réaliser des économies en n'ayant qu'un seul interlocuteur, qu'une seule

firme face à lui pour réaliser l'ensemble des transactions financières dont il a besoin.

L'expression « supermarché financier » exprime parfaitement cette idée que mettre au service

du client l'ensemble des services dont il pourrait avoir besoin de manière simple et avec un

coût moindre, à l'image de ce que les supermarchés ont apporté au commerce de détail en

remplaçant les petits commerçants grâce à un éventail de produits larges à un prix bien

inférieur. Il s'agit alors de réaliser des économies du coté de l'offre. Ces économies ont été

contestées empiriquement dans le cas des banques internationales. Ainsi Vander Vennent19

soutient que les économies d'échelle pures ne peuvent justifier la formation de conglomérats

financiers, car les économies d'échelle maximales sont atteintes lorsqu'une banque détient des

actifs pour un montant de 25 milliards de dollars, comme l'ont démontré Walter et Saunders20.

Ces conclusions sont cependant contestées et d'autres montants maximums ont été calculés

sur d'autres marchés, par exemple en Allemagne. L'avantage de coût de la banque universelle

reste donc à prouver. Berger, Hancock et Humphrey21 montrent quant à eux que les banques

de plus grandes tailles sont plus efficaces. Cependant leur analyse montre également qu'il

existe de larges différences entre des établissements de taille similaire et ils concluent donc

que la façon dont la banque est tenue compte plus que sa forme organisationnelle.

Du coté des avantages en terme de revenus, certains auteurs ont ainsi démontré que le client

pouvait donner une valeur supérieure à une offre combinée de services financiers plutôt que

de devoir être en relation avec plusieurs firmes en raison des coûts d'information et de

transaction. Par ailleurs la banque universelle, et au-delà le supermarché financier rassemblant

des activités financières plus diverses permettent une diversification des sources de revenus et

donc une réduction du risque comme le montrent Walter et Saunders (1994)22. Benston23 se

19 Vander Vennet R., « Cost and Profit Efficiency of Financial Conglomerates and Universal Banks in Europe », Journal of Money. Credit and Banking, vol 34, n1, Fevrier 2002, p 254-282 20 Saunders A., Walter I., Universal Banking in the United States: What could we gain? What could we lose?, New York, Oxford University Press, 1994 21 Berger, A. N., Hancock D., Humphrey D., « Bank Efficiency Derived from the Profit Function. », Journal of Banking and Finance, 17, 1993, p. 317-347 22 Saunders A., Walter I., Universal Banking in the United States: What could we gain? What could we lose?, New York, Oxford University Press, 1994

Page 44: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

38

base sur des exemples datant d'avant le passage du Glass-Steagall Act pour soutenir que les

firmes bancaires impliquées dans les activités d'assurance n'ont pas connu de faillite plus

importante que les firmes non impliquées. Vander Vennet24 pour sa part démontre que les

conglomérats financiers obtiennent une efficacité supérieure aux banques spécialisées dans un

seul type d'activités. Elles arrivent à cette supériorité opérationnelle notamment grâce à leurs

activités non-bancaires. En effet certains auteurs ont montré que les activités financières non-

bancaires sont peu corrélées en termes de risque avec les activités bancaires. L'alliance

d'activités d'assurance avec des activités bancaires classiques comme le crédit n'augmenterait

pas le risque présent dans la banque tout en permettant une efficacité supérieure. Ainsi en

combinant les avantages informationnels qu'elles acquièrent au travers des diverses activités

financières qu'elles exercent, les banques universelles connaissent d'autant mieux leurs clients

et pourraient ainsi mieux les servir, tout en évaluant de façon plus sûre le risque que

renferment ces clients car leur connaissance de ces derniers est plus profonde. Pour faire

référence aux théories évoquées plus haut, les banques auraient tout intérêt à proposer des

activités financières annexes à leur cœur de métier car par ce moyen elles internalisent des

externalités de connaissance.

La stratégie du « one-stop shop » semble bien être un retour à la banque universel et au

conglomérat financier, avec une focalisation sur le service du client. Alors qu'à l'heure

actuelle, on envisage de rétablir des contrôles sur les possibilités de lier des activités de

banque de dépôt et de banque d'investissement, les dix ans d'existence de Citigroup

permettent d'évaluer les apports du modèle de banque universelle pour l'internationalisation

d'une banque. Citigroup a eu l'ambition d'être le fournisseur de services financiers le moins

cher de la planète. Quelle réussite a rencontré cette stratégie? Des éléments théoriques

macroéconomiques poussent à douter de la pertinence du modèle de banque universelle. En

effet la formation de groupes bancaires très larges pose la question de la concentration des

risques dans un nombre faible d'institutions. La notion de « too big to fail » a montré ses

limites au cours de l'année 2008 lorsque de très grands établissements financiers, dont

Citigroup, ont dû faire face à une situation très critique nécessitant l'intervention massive de

l'Etat fédéral. Bien que ce débat entre tenants de la banque universelle et ceux de la séparation

des activités soit essentiel pour envisager le futur du secteur bancaire à l'international, dans le

cadre de ce mémoire l'intérêt porte sur la pertinence de cette stratégie pour un groupe en

particulier. Si tous les avantages posés ci-dessus sont réels et maitrisés par Citigroup, leur

utilisation dans le cadre d'une organisation « one-stop shop » permet-elle un profil risque-

23 Benston, G. J., « Universal Banking », The Journal of Economic Perspectives, vol. 8 n3, 1994, p 121-14 24 Vander Vennet R., « Cost and Profit Efficiency of Financial Conglomerates and Universal Banks in Europe », Journal of Money. Credit and Banking, vol 34, n1, Fevrier 2002, p 254-282

Page 45: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

39

rendement meilleur? Bénéficie-t-elle au client? À l'actionnaire? Par ailleurs, le supermarché

financier peut-il être une solution stratégique pour l'implantation sur des marchés étrangers?

Si le cas particulier de Citi ne permet pas de tirer une conclusion générale, son caractère

précurseur et son ampleur donnent des pistes de réflexion sur cette stratégie.

A travers cette première étape du développement, un ensemble de modèles théoriques divers a

été étudié pour ensuite développer des déterminants empiriques directement vérifiables. La

complexité de l'activité bancaire d'une part, et des phénomènes d'internationalisation des

firmes d'autre part rendent difficile l'élaboration d'un cadre théorique unifié. Pour cela, le

recours à plusieurs ensembles théoriques permet de saisir l'internationalisation sous plusieurs

points de vue. La perte de cohérence théorique semble pouvoir être compensée par une

appréhension plus large des phénomènes étudiés. Ainsi le recensement des déterminants

empiriques effectué par Herrero Garcia et Navia Simon permet d'intégrer les deux ensembles

théoriques, l'internalisation et le paradigme OLI. L'étude de Citigroup utilise ces déterminants

pour comprendre de façon extensive le cas de cette firme, et notamment au regard de la crise

financière.

En effet l'exemple de Citigroup apparaît être à l'intersection de plusieurs tendances touchant le

secteur bancaire au niveau global. Son rôle dans la dérégulation et son adoption du modèle de

banque universelle sont emblématiques des évolutions de ce secteur. En conséquence, le

corpus théorique sur lequel il est possible de s'appuyer est vaste. Cependant les éléments

évoqués semblent à même de pouvoir guider l'étude de ce mémoire.

Page 46: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

40

Deuxième Partie- Le supermarché financier de Citigroup:

un spectre très large d'activités bancaires projeté

systématiquement sur de nombreux marchés étrangers

La possession d'un cadre théorique permet désormais d'aborder la stratégie de Citigroup en

détail. Dans la perspective d'apporter une modeste contribution à la littérature empirique sur le

thème de l'internationalisation des banques, il semble intéressant de s'appuyer sur les

déterminants étudiés par Herrero Garcia et Navia Simon et de vérifier leur validité dans le cas

de Citigroup. Cette étape de l'étude doit permettre de dresser un portrait de

l'internationalisation de Citi, depuis sa formation en 1998 jusqu'à l'éclatement de son modèle

au cours de la crise de 2008-2009. Au-delà d'une simple description, ce panorama donne

l'occasion de s'interroger sur les ressorts du développement de Citigroup. Quels atouts de la

banque ont permis ce développement international rapide et poussé qui a propulsé Citi du

statut de banque moyenne aux États-Unis à celui de géant financier international?

La fusion et ses motifs ont été un élément majeur dans la définition du cap stratégique de la

décennie suivante. L'ensemble du processus de fusion, de ses objectifs jusqu'au conglomérat

formé représente un événement unique dans le paysage bancaire en termes d'envergure

internationale. Cette fusion a non seulement consacré l'adoption du modèle de supermarché

financier mais également l'internationalisation poussée du groupe. Il est donc possible de

valider la pertinence de certains déterminants empiriques à travers l'étude de la fusion et du

conglomérat bancaire qu'elle a produit. Puis il semble intéressant d'étudier l'évolution de cet

ensemble en examinant comment le développement international a été mis en œuvre suite à la

fusion. Certaines caractéristiques de Citigroup lui ont permis de s'étendre à très grande échelle

sur le globe.

Chapitre 1- La fusion de Citicorp et de Travelers Group: la

construction d'une banque universelle internationale répondant à la

pression de la concurrence nationale

Section 1- Deux groupes à l’histoire bien différente

En 1998, Citicorp et Travelers Group n'étaient que deux groupes d'envergure – relativement –

moyenne à l'échelle des Etats-Unis avec une présence internationale limitée, bien que déjà

Page 47: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

41

assez poussée dans le cas de Citicorp. La fusion de ces deux groupes a représenté un

événement inédit dans le secteur financier. Les deux ensembles apparaissaient éloignés dans

leurs activités, leur présence géographique et leur stratégie.

A. De City Bank of New York à Citicorp, l’évolution d’une banque

américaine de premier plan

Citicorp était essentiellement une banque de détail, avec une présence moyenne aux Etats-

Unis et un fort degré d'internationalisation pour une banque de détail américaine. Fondée au

début du 19ème siècle à New York sous le nom de « City Bank of New York », elle a connu

des fortunes diverses au gré des nombreuses crises bancaires qu'ont connu les Etats-Unis. Elle

est la première banque américaine à ouvrir une succursale à l’étranger en 1897 et dès le milieu

du 19ème siècle, alors que les premiers câbles transatlantiques sont posés, la City Bank of New

York adopte le sigle « CITIBANK » pour ses échanges par câble, nom qui est officialisé bien

plus tard en 1976.

Face au morcellement du marché bancaire et au très grand nombre d’acteurs sur le marché,

c'est principalement à travers des acquisitions que Citicorp s'est développée, tant au plan

national qu'au plan international. Aux Etats-Unis elle grossit par des rachats successifs de

concurrentes dans la région de New York. Pourtant à la veille de la fusion sa présence

américaine, bien que large, en faisait une banque moyenne, focalisée sur les clients de détail

et le crédit à la clientèle. Il est vrai que la taille du marché américain et le fédéralisme ont

plutôt poussé à la constitution de banques régionales, voire locales et ce n’est que à la fin du

20ème que des grandes banques nationales ont émergé. Au début des années 20, la banque

dépasse le milliard de dollars d’actifs, première banque des Etats-Unis à franchir ce cap. A la

fin des années 20, « Citibank » était déjà la plus grande banque américaine, voire la plus

grande banque au monde. C'est à cette période que Citibank amorce une spécialisation dans la

banque de détail. Au cours de cette décennie, Citibank s'intéresse à une source de fonds peu

utilisée à l'époque, l'épargne personnelle. Elle lance des comptes épargne puis plus tard des

prêts à la consommation. Pourtant elle ne délaisse pas les activités de banque d'affaires, et

tente de développer un modèle de banque universelle.

Après l'adoption du Glass-Steagall Act en 1933, elle fait définitivement le choix de se tourner

vers la banque de dépôt pour se séparer de ses activités de banque d’affaires, alors qu’elle

avait commencé à développer un modèle de banque universelle avec des services à la clientèle

de particuliers et des produits pour les entreprises et les institutions. Citibank souffre de cette

crise qui l’a mise en danger et qui la contraint à partir dans une nouvelle direction. Après la

deuxième Guerre mondiale, la banque tente de nouveau de s'insérer sur le marché du prêt aux

entreprises mais se retrouve confrontée à un manque de fonds pour financer ces

Page 48: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

42

développements et les régulations bancaires de l’époque l’empêchent de se tourner vers

l’épargne provenant de l’extérieur de New York.

Face à cette contrainte, la banque de New York fait preuve d’innovation et introduit en 1961

un produit d’épargne qui a depuis connu un succès immense, le « Certificate of Deposit »,

appelé communément CD. Ce dépôt à terme a une maturité et un taux d’intérêt fixes, dans sa

version classique. Dans la plupart des cas, le client peut retirer son dépôt à tout moment mais

il perd alors le bénéfice d’un taux d’intérêt plus élevé. A nouveau Citibank tente de contourner

les régulations bancaires pour étendre son spectre d’activités. Elle constitue une holding

bancaire, à laquelle la banque Citibank est rattachée mais qui lui permet aussi de se

développer dans des activités financières alors interdites aux banques. Rapidement le congrès

américain réagit à cette pratique et empêche cette extension à des activités annexes. Toujours

dans un effort d’innovation, Citibank introduit de manière massive les cartes de crédit, avec

un contrôle des risques médiocres qui entraine de fortes pertes pour la banque.

En 1974, la holding adopte le nom « Citicorp » et le préfixe « Citi » commence à être décliné

sur l’ensemble des gammes de produits. Au cours des années 70 et 80, Citibank fait face à de

nombreux revers. Au plan national, sa division de banque de détail ne parvient plus à être

rentable. Le développement du premier réseau de distributeurs automatiques et l’adoption

d’une stratégie non plus basée sur les taux d’intérêt mais sur les frais facturés aux clients

devaient permettre à la banque de renouer avec les profits. Citibank profite également de

changements dans la régulation bancaire américaine pour se développer à l’extérieur de l’Etat

de New York dans l’ensemble des Etats-Unis. Enfin, les dirigeants de la firme décident d’axer

son développement sur l’assurance et l’information.

Le début des années 90 ne permet pas le redressement escompté et Citibank aggrave ses

difficultés à travers notamment des portefeuilles de crédits commerciaux ou hypothécaires de

mauvaise qualité. Citibank est également en perte sur les activités d’information (services de

cotation par exemple). John Reed, plus tard grand artisan de la fusion avec Travelers Group,

tente de redresser le groupe avec une politique choc alliant désinvestissement massif à

l’étranger et coupes dans les coûts, notamment les coûts des ressources humaines.

En parallèle de son développement national, Citibank poursuit dès le début du 20ème une

stratégie résolument tournée vers l’international. Elle se heurte alors à la législation

américaine qui jusqu’en 1913 empêche les banques bénéficiant d’une charte fédérale de

s’engager dans des activités internationales. Le Federal Reserve Act de 191325 autorise enfin

dans son article 25 l’expansion internationale des banques membres de la Réserve fédérale.

25 Federal Reserve Act of 1913 voté par le Congrès américain et promulgué par le Président Woodrow Wilson

Page 49: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

43

Dès lors Citibank s’étend à l’international, de manière bien plus poussée que ses concurrentes.

Au début du 20ème, Citicorp procède à des acquisitions en Amérique latine, notamment à

Haïti et en Argentine, Etats où les entrepreneurs américains réalisent de nombreux

investissements en ce début de siècle.

L'ouverture internationale de Citigroup est donc ancienne. En 1918 Citicorp rachète

entièrement l'International Banking Corporation (IBC) ce qui lui donne accès à un réseau

international de succursales, de Londres à Singapour. Citibank obtient une présence

instantanée dans de nombreux pays: Inde, Chine, Japon... On constate déjà une volonté forte

des dirigeants de Citicorp d'axer le développement de la banque sur l'international. Il semble

donc que l'argument de l'internationalisation d'une banque comme facteur

d'internationalisation encore plus poussée soit valable dans le cas de Citigroup. L'expérience

internationale de Citibank remonte au début de son histoire et constitue une stratégie

délibérée.

Alors qu’elle n’est présente que dans l’Etat de New York, Citibank est déjà mondialement

connue et a des activités sur tous les continents. A la fin des années 70, l’essentiel de

l’expansion internationale de Citibank a été réalisé. La banque maintient une présence dans

tous les pays occidentaux. Cependant ses difficultés sur le plan américain remettent en cause

son développement international et elle se sépare d’activités en Europe (France, Italie) pour se

focaliser sur les marchés émergents. En 1991-1992, les profits issus de la banque de détail

dans les pays émergents dépassent ceux réalisées dans les pays du Nord (Japon, Europe et

Amérique du Nord). Dans la plupart des cas, Citibank procède d’abord par l’ouverture de

succursales dédiées aux clients « corporate », aux grandes entreprises. Puis elle étend ses

activités à la banque de détail, parfois en rachetant des concurrents locaux. Cette stratégie

devient d’autant plus importante après la fusion avec Travelers comme il sera évoqué plus

loin.

B. Un conglomérat financier : The Travelers Group

Travelers Group pour sa part était au moment de la fusion un ensemble financier plus

diversifié en termes d'activités. De manière beaucoup plus poussée que Citicorp, Travelers

Group a été bâti sur l'agrégation par rachat de sociétés financières, essentiellement à la fin des

années 80 et au début des années 90, ce qui correspond au début de la dérégulation financière.

En 1998, au moment de la fusion, le groupe Travelers rassemble en son sein plusieurs entités

acquises par fusion-acquisition. Fondée en 1864, The Travelers Life and Accident Insurrance

Company a eu une évolution relativement stable jusqu'aux années 80. Elle a introduit de

nombreuses innovations en matière d'assurance. Elle est notamment la première entreprise à

proposer des polices d'assurance pour automobile, dès 1897. Cette innovation sera la première

Page 50: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

44

d'une longue série. Travelers Insurance se positionne très tôt dans une perspective

d'innovation constante.

Travelers Group devient réellement un ensemble diversifié lors de sa fusion avec Primerica.

Les deux entreprises distribuaient leurs produits d'assurance à travers un large réseau de

représentants et de distributeurs qui faisait leur force. Primerica est une firme plus diversifiée

que Travelers Company. Primerica offrait des produits d'assurance, mais également

d'investissement et d’assurance-vie à travers plusieurs fonds mutuels. A la fin des années 80,

Primerica rachète Smith Barney, une firme spécialisée dans le « brokerage », le courtage

d'actifs financiers. Primerica devient par cet achat une société de services financiers, sortant

du cadre unique de l'assurance. La fusion entre Primerica et Travelers a lieu en 1989 et la

nouvelle entreprise prend le nom de Travelers Group Inc. en 1995. L'ensemble est un groupe

financier diversifié. L'assurance représente encore une part importante de l'activité. Cependant

Travelers Group multiplie ses incursions dans la banque d'affaires et le management d'actifs.

En 1993 la firme rachète les activités de brokerage et d'asset management de Shearson

Lehman Brothers qui appartenait auparavant à American Express. Enfin Travelers Group se

dote d'une branche banque d'affaires avec l'achat en 1997 de Salomon Brothers, grande

banque d'investissement à Wall Street.

A la veille de la fusion, Travelers Group a essentiellement une présence aux Etats-Unis, bien

que la globalisation financière et les rachats successifs poussent naturellement la firme à

posséder des implantations dans les grands centres financiers. La base de la clientèle est

majoritairement constituée des clients de détail aux Etats-Unis et dans une moindre mesure au

Canada. La force de vente du groupe est alors son plus grand actif. Elle permet une diffusion

très large des produits financiers sans avoir la contrainte de maintenir un réseau d'agences

puisque les représentants sont indépendants et le groupe leur accorde une licence de

distribution de ses produits. Mais le groupe commence à avoir une forte présence sur les

marchés financiers, avec ses fonds d'investissement qu'il distribue à travers son réseau de

représentants. Au-delà de son marché de détail, Travelers Group obtient par ses rachats une

clientèle de grands comptes qui peuvent également souscrire ses produits d'investissement.

Sandy Weill, lui aussi grand artisan de la fusion entre Travelers Group et Citicorp a d'abord

activement participé à la formation de Travelers Group. En 1997, avant la « méga » fusion, il

est à la tête d'un groupe financier dont les limites sont difficilement visibles. Parti d'une

société d'assurance, Travelers Group est en fait devenu un fournisseur de produits

d'investissement. L'ensemble est renommé Travelers Group, mais il n'y a pas de fusion des

entités sous une marque unique. Les activités de courtage conservent le nom Smith Barney (le

nom Salomon Brothers disparaît progressivement). De même les activités de Primerica et

Page 51: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

45

Travelers continuent d'opérer sous leur nom respectif.

Travelers group a eu une trajectoire de développement assez différente de celle de Citicorp.

Bien que la banque se soit étendue par des rachats, elle forme un ensemble plus homogène

que Travelers group. En termes de présence géographique, les deux groupes marquent

également leur opposition. Citicorp est très présente à l’international, même si les dernières

décennies ont permis un développement marqué aux Etats-Unis. Travelers group est très

largement présent aux Etats-Unis avec un réseau de distributeurs américains parmi les plus

larges au monde. Cependant sa présence à l’international dans les activités de détail est

limitée au Canada.

C. La « méga-fusion » donnant naissance à Citigroup

En 1998, Travelers Group et Citicorp décident de fusionner pour donner naissance à

Citigroup, alors présenté comme le plus grand groupe financier mondial. La fusion est

autorisée par le régulateur américain mais à la condition que le groupe se sépare de ses

activités d'assurance, la loi américaine interdisant à ce moment-là à une banque de détenir une

compagnie d'assurance et vice-versa. Une période de grâce de deux ans est donnée à

Citigroup pour vendre ses activités d’assurance. Pourtant les dirigeants des deux groupes

n’ont pas l’intention de se plier aux demandes de la Réserve Fédérale car cette possibilité de

combiner banque de détail, banque d’investissement et compagnie d’assurance est une

volonté délibérée qui sous-tend la fusion.

Celle-ci a été fortement impulsée par les dirigeants des deux groupes, Sandy Weill pour

Travelers et John Reed pour Citicorp. Sandy Weill a été le bâtisseur du conglomérat Travelers

Group et il joue un rôle très important dans l’alliance avec Citicorp et dans la stratégie

adoptée par la suite par Citigroup Inc. Parti d’une petite firme dont il était un des fondateurs,

il a œuvré pour la construction de Travelers en poussant à la diversification du groupe et en

menant sa politique de rachats. En 1998, plusieurs Etats européens ont déjà supprimé les

barrières à la constitution de groupes financiers réunissant des activités bancaires et

d’assurance. Sandy Weill y voit une opportunité d’étendre « son empire », bien qu’aux Etats-

Unis, le Glass-Steagall Act soit toujours en vigueur et empêche la fusion de ces deux types

d’activités. Dans un climat de dérégulation, les artisans de la fusion ont usé de toutes leurs

capacités de lobbying pour démanteler les dernières restrictions à la constitution de leur

ensemble. Ces efforts sont par la suite couronnés de succès puisque fin 1999 le Congrès

américain adopte une nouvelle législation qui supprime toute restriction à la conduite

d’activités financières par un même groupe, validant de fait la formation de l’ensemble

« Citigroup », tel que ses dirigeants le souhaitaient.

Page 52: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

46

Si aujourd’hui tous les groupes bancaires se sont diversifiés et opèrent des domaines variés de

la finance, en 1998 ceci constitue une nouveauté. Les grands groupes bancaires rivaux de

Citigroup qui serviront d’éléments de comparaison pour cette étude, JPMorgan et Bank of

America ne sont au moment de la fusion Traveler-Citicorp pas les conglomérats financiers

d’aujourd’hui. Bank of America est alors une des plus grandes banques de détail, sans activité

d’assurance et avec des activités de banque d’affaires réduites. Par ailleurs Bank of America

est à cette époque très peu présente à l’international, remarque toujours valable aujourd’hui.

Le groupe JPMorgan Chase n’est pas encore réellement constitué, il ne le sera qu’en 2000. JP

Morgan & Co. est à cette époque une banque de détail avec une forte présence dans la banque

d’affaires. En 1933 avec le passage du Glass-Steagall Act, elle a été contrainte de se séparer

de sa banque d’investissement qui est devenue Morgan Stanley. Cependant avec les premières

mesures de dérégulation, JP Morgan opère un retour sur les activités de banque d’affaires et

remonte dès le début des années 90 dans le top 5 des banques d’investissement. La deuxième

entité constitutive du groupe JP Morgan Chase, la Chase Manhattan Bank est avant la fusion

de 2000 essentiellement une banque de détail. L’expansion internationale de JP Morgan & Co.

est forte de part la nature des activités de banque d’affaires. En banque de détail, Chase

Manhattan Bank et JP Morgan & Co. n’ont en 1998 pas de présence marquée à l’étranger.

La fusion de Citicorp et Travelers constitue en 1998 un développement important de la

finance très bien accueillie par les marchés et les acteurs de la finance. Au point de vue

opérationnel, Travelers Group débourse 70 milliards de dollars pour racheter la totalité des

actions de Citicorp, fusionne les deux sociétés et émet des actions Citigroup. L’ensemble vaut

140 milliards de dollars au moment de la fusion, avec des actifs au bilan d’une valeur proche

des 700 milliards de dollars. L’annonce de la fusion crée 30 milliards de dollars de

capitalisation boursière supplémentaire ce qui témoigne de l’engouement des investisseurs

pour cette fusion.

Cet enthousiasme est porté par les déclarations et les prévisions des dirigeants des deux

groupes alliés et particulièrement Sandy Weill qui est la principale force derrière cette fusion.

Après avoir participé à la montée en force de Travelers Group, il engage une nouvelle étape

forte dans le développement de son groupe. Lui comme les autres dirigeants des deux firmes

sont convaincus qu’elles pourront pleinement créer des synergies. En effet, les activités des

deux groupes se recoupent peu, tant en termes de secteurs et de produits qu’en termes de

présence géographique. Travelers pourra mettre à disposition de Citicorp son réseau de

distribution très large pour distribuer des produits d’investissement ou encore des crédits.

Pour Citicorp, c’est l’occasion d’intégrer l’expertise de Travelers en matière de produits

assurantiels dans ses agences, aux Etats-Unis et à l’international ainsi que les produits

Page 53: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

47

d’investissement, tels que les assurances-vie. En outre, Citicorp peut s’étendre dans la banque

d’affaires avec l’apport du broker Smith Barney.

L’idée de « cross-selling » sous-tend cette opération. Grâce à une relation bancaire initiale, la

banque entend placer d’autres produits issus de filiales différentes. En rassemblant une

gamme très large de produits financiers, la banque est en mesure d’utiliser toute relation de

clientèle pour proposer d’autres produits. Dans cette approche, le conseiller clientèle gère la

relation avec son client et fait appel aux diverses filiales ou services spécialisés pour offrir à

ses clients des produits financiers autres que leurs besoins initiaux. Cette stratégie peut être

appliquée à tous les niveaux : en banque de détail où la standardisation des produits est très

forte comme en banque d’investissement et de financement où les besoins des clients sont

étudiés de manière beaucoup plus approfondie. Elle doit permettre de vendre plus de produits

à un même client en lui fournissant des solutions globales, du compte courant au produit

d’épargne retraite en passant par l’assurance auto et les prêts étudiants. Les synergies sont

donc doubles. D’une part des synergies de coûts peuvent être réalisées puisque un même

produit pourra être diffusé plus largement et donc bénéficier d’économies d’échelle. D’autre

part des synergies de revenus sont envisageables puisqu’en mettant en œuvre le cross-selling,

la banque espère augmenter le Produit Net Bancaire par client, c’est-à-dire le revenu par

client.

Cet historique des deux ensembles et de leur fusion permet d’appuyer plusieurs constats sur

les déterminants empiriques de l’internationalisation bancaire tels que développés par Garcia

Herrero et Navia Simon. La trajectoire des deux groupes, avant la mise en œuvre de la fusion

et l’adoption de la stratégie « one-stop shop », apporte des éléments pour analyser les ressorts

de l’internationalisation qui a suivi la fusion-acquisition.

Section 2- Les déterminants de l’internationalisation à la

fusion

En s’appuyant sur le schéma proposé par Garcia Herrero et Navia Simon, il est possible

d’examiner plusieurs avantages à partir des éléments évoqués ci-dessus. Les autres avantages

peuvent être étudiés par la suite, après l’analyse des dix ans de vie commune entre Citicorp et

Travelers au sein de Citigroup.

A. Une histoire et une culture internationales

Tout d’abord il est possible de remarquer aisément que l'internationalisation de la banque est

ancienne. Dès 1893, Citicorp acquière ses premières expériences avec l'étranger, puis elle

Page 54: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

48

s'étend très rapidement à l'international jusqu'à pousser à des changements de la régulation

américaine pour poursuivre son expansion hors des Etats-Unis. Citigroup a déjà été

confrontée aux thématiques de l'internationalisation à plusieurs reprises dans son histoire et

elle a participé aux vagues d'internationalisation précédentes. Contrairement à nombre de ses

concurrentes aux Etats-Unis mais également en Europe, Citicorp ne s'est pas contentée

d'ouvrir des succursales dans les centres financiers mondiaux. En effet la banque qui ne dort

jamais comme le dit son slogan a ouvert des agences pour servir la clientèle locale et n'a pas

seulement servi une clientèle de grands groupes. Pour beaucoup de banques, être présent à

l'étranger est apparue comme une nécessité avec le développement des échanges

internationaux. Être présent dans les grandes places financières permet un accès aux marchés

de capitaux, de dette et de devises, comme l'ont souligné de nombreux auteurs. Citicorp est

allé au-delà de cette simple expansion pour accéder aux matières premières de l'activité

bancaire et est réellement entrée sur de nouveaux marchés, ceux de la banque de détail dans

des pays étrangers. A travers l'achat de l’International Banking Corporation, Citibank obtient

instantanément une large présence internationale. La crise de 1929, la régulation née du

Glass-Steagall Act et la deuxième guerre mondiale ont mis en sommeil le développement

international de la banque. A partir des années 50 mais surtout dans les années 70 et 80, elle

reprend son expansion dans des pays très variés qui ne sont pas nécessairement des grandes

puissances émergentes. En 1974, Citibank s'installe au Guatemala et Indonésie, en 1977 en

Finlande... Entre 1970 et 1980, une vingtaine de nouveaux pays entrent dans le périmètre de

la banque.

Incontestablement, Citicorp s'est inscrite dans une dynamique d'expansion internationale très

tôt dans son histoire. Cette expérience a un effet d'entrainement. La banque n'est pas en

situation d'incertitude forte, ses coûts pour mener une nouvelle internationalisation sont

moindres. Elle est présente sur tous les continents, elle fait face à la diversité culturelle de

façon poussée. On peut donc valider l'argument avancé par Garcia Herrero et Navia Simon

selon lequel l'internationalisation s'auto-entretient. En 1998, Citibank a une présence au moins

aussi importante à l'étranger qu'aux Etats-Unis. Cette expérience peut être appréhendée

comme un actif que Citicorp a apporté lors de la fusion avec Travelers. A contrario, Bank of

America et JP Morgan Chase se sont peu étendus à l'international, en dehors des grands

centres financiers tels que Londres ou Hong Kong. On peut donc en conclure que cet actif

possédé par Citicorp antérieurement à la fusion a été un déterminant de l'évolution de

l'ensemble Citigroup après la fusion. Citigroup a ainsi bénéficié dès sa création d'un avantage

sur ses concurrentes américaines ou aux autres banques internationales visant les mêmes pays

que Citi. Par rapport aux banques locales, l'expérience internationale n'est pas un avantage

Page 55: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

49

comparatif puisque les banques locales connaissent leur marché national. L'expérience

internationale permet à la banque d'être avantagé par rapport aux autres banques étrangères et

de surmonter ses désavantages par rapport aux banques locales.

Ce constat d'une internationalisation ancienne de Citicorp permet d'examiner un autre

déterminant envisagé par Garcia Herrero et Navia Simon, celui de la proximité culturelle

comme déterminant de l'internationalisation. Les deux auteurs s'appuient sur un corpus de

recherche qui a démontré la validité de ce critère. Pourtant dans le cas de Citicorp, ce

déterminant apparaît peu pertinent.

La proximité culturelle peut être un facteur poussant à l'internationalisation car les pratiques

bancaires sont très liées à la culture de la zone en question. On constate ainsi que les

populations n'ont pas toutes le même rapport à l'argent, à la banque, au crédit... Cette situation

est apparue très évidente ces dernières années avec des pays anglo-saxons où l'on recourt

massivement au crédit en contraste avec des pays asiatiques à très forte épargne, par exemple

au Japon. En s'implantant dans un pays proche culturellement, la banque réduit l'incertitude

liée à l'entrée sur un marché inconnu. Ainsi elle se rapproche du niveau de connaissance des

banques locales de leur marché. Pourtant dans le cas de Citigroup, la proximité culturelle

comme facteur d'internationalisation semble difficilement prouvable.

En effet les premières incursions de Citibank à l'étranger ont été réalisées en Amérique latine,

puis avec le rachat de l'International Banking Corporation Citibank s'est implantée sur tous les

continents simultanément. L'expansion au Canada, pays le plus proche culturellement et bien

sûr géographiquement n'a lieu qu'en 1925, bien après que Citibank ait obtenu une présence

large dans toute l'Amérique latine. L'Irlande, pays qui peut être considéré comme proche

culturellement des Etats-Unis et particulièrement à New York, région d'origine de Citibank ne

voit cette dernière s'installer sur son territoire qu'en 1965. L'expansion au Royaume-Uni a lieu

dès 1902 à travers l'International Banking Corporation. Cependant en raison de l'importance

de la City dans la finance mondiale et ce dès la fin du 19ème siècle, on peut douter que la

proximité culturelle joue un rôle majeur dans la décision de s'implanter à Londres. Une

présence à la City semble être une sorte d'impératif pour toute banque qui entend développer

des activités internationales ou accéder à un marché de capitaux et de dette parmi les plus

importants au monde.

Il semble intéressant de noter que l'expansion de Citibank n'a pas suivi une logique

géographique ou culturelle. Citibank ne semble pas avoir visé une certaine aire géographique

mais plutôt avoir suivi un développement tous azimuts. Si le facteur « proximité culturelle » a

été validé dans le cas d'autres banques, il semble impossible d'en dire autant du cas de

Citigroup. Après la fusion, la poursuite du développement international n'a pas plus suivi de

Page 56: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

50

logique culturelle. En 1998, Citigroup était déjà si internationale qu'il est difficile de la

rattacher à une culture particulière. La culture américaine est bien entendue prédominante,

mais la présence internationale ancienne a doté Citigroup d'une connaissance, voire d'une

imprégnation des nombreuses cultures et façons d'appréhender la relation bancaire.

En effet la proximité culturelle comme facteur d'internationalisation n'est valable que dans la

toute première étape d'internationalisation. Une fois que la banque a procédé à une période

expansion internationale, l'importance de la distance comme déterminant culturelle se réduit.

S'il est plus facile en termes de proximité culturelle pour une banque japonaise de s'implanter

en Corée que pour une banque américaine, une fois que les deux banques se sont installées

dans le pays, la proximité culturelle ne joue plus puisque désormais les deux banques sont

dans le pays et ont une connaissance de la culture locale.

B. L’internationalisation comme réponse à une pression concurrentielle

La deuxième série de déterminants qu'il est possible d'étudier suite à l'historique des deux

entités avant la fusion a trait à la situation du marché américain au moment de la fusion.

La fin des années 80 a été marquée par une forte dérégulation et de nombreuses innovations

financières. En 1998, l'Europe a déjà supprimé toutes les barrières à la constitution de banques

universelles. Aux Etats-Unis le mouvement est en marche et certaines régulations ont déjà été

abolies. Le secteur financier est donc dans une période de consolidation, comme on peut le

voir dans le cas de Travelers Group qui est devenu un conglomérat financier dans la première

moitié des années 90. Cette dérégulation va également de pair avec une nouvelle phase de

globalisation de la finance. Enfin le secteur financier a connu plusieurs crises qui ont conduit

à la faillite de nombreuses institutions, particulièrement aux Etats-Unis avec la crise des

« savings and loans ». Alors que le marché bancaire américain est resté longtemps très

morcelé avec des banques limitées à un Etat voire à quelques villes, des grands groupes

opérant de l'Atlantique au Pacifique émergent. Citicorp est alors une des plus importantes de

ces banques mais elle fait face à de multiples difficultés.

A l'international, le Mexique est touché en 1994 par une crise économique puis c'est au tour

de l'Asie de connaître une grave crise qui touche fortement le secteur financier. Tous ces

éléments ont certainement affecté la situation du marché bancaire aux Etats-Unis. Citicorp est

en difficulté dans la décennie 90 et essuie plusieurs trimestres de perte. Par ailleurs sa

présence relativement limitée à l’échelle des Etats-Unis au regard de l’immensité du marché

est une menace pour la banque. Travelers Group quant à lui affiche une bonne réussite comme

en témoigne sa boulimie d'acquisition. Cependant les activités de l'assureur restent centrées

sur les Etats-Unis.

Page 57: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

51

On trouve derrière cette fusion d’une part la volonté d’obtenir une taille critique sur les divers

marchés où le groupe opère et d’autre part la volonté de précéder la concurrence dans le

mouvement de concentration. La levée progressive des restrictions a représenté une menace

pour les deux groupes et particulièrement Citibank qui rencontrait des difficultés. En 1995 est

adoptée une loi qui permet aux banques d’acquérir des concurrentes banque de détail dans

d’autres états américains. Compte tenu de cet environnement, la consolidation du secteur

semble alors inéluctable. C’est donc un doublement mouvement qui pousse à la fusion : la

préemption de la concurrence qui peut représenter une menace, et la recherche de l’obtention

d’un avantage de « first-mover » qui est alors une opportunité.

Face à la menace de la concurrence, la solution de l'alliance entre les deux groupes devait

permettre à l'ensemble de dépasser les problèmes évoqués précédemment en termes de

diversification géographique et d'activités. A travers la recherche de synergies, la notion

d'économie d'échelle semble partiellement induite. La distribution de produits financiers à une

plus large échelle en combinant les deux réseaux doit conduire à des économies sur les coûts

de production de ces produits. Citicorp et Travelers ont également cherché à peser au plan

national, avant que d’autres concurrents ne fassent de même. Pourtant, de nombreux auteurs26

ont démontré que la taille critique pour les activités de banque de détail est dépassée à un

niveau bien inférieur à celui de l’ensemble Citigroup. Bien qu’il n’existe pas de consensus sur

le montant de la taille critique, les analyses des auteurs la situent entre quelques centaines de

millions de dollars d’actifs au bilan jusqu’à quelques milliards. Or en 1998, les actifs de

Citigroup approchent les 700 milliards de dollars, et dépasseront par la suite le millier de

milliards de dollars. Si les acteurs du dossier ont utilisé ces possibles économies d’échelle

comme un des facteurs conduisant à la fusion, la taille critique ne semble pas être un facteur

justifiant la fusion, et donc par la suite l’expansion internationale du groupe. Des centaines de

banques régionales aux Etats-Unis ont continué à être profitables et le sont toujours

aujourd’hui. La taille de Citigroup n’était donc pas une contrainte déterminante pour sa

survie.

En adoptant le point de vue du pays d’accueil, la taille critique ne semble pas non plus

pertinente. En effet, Travelers Group était peu présent à l’international. L’alliance des deux

groupes n’a donc pas permis à l’ensemble d’obtenir une taille critique sur des marchés

étrangers en particulier. Par ailleurs Casson27 a démontré qu'en banque de détail, les

économies d'échelle sont difficilement transférables au niveau local. Les coûts fixes et les

26 Berger A. N., Hanweck G. A., Humphrey, D. B. « Competitive viability in banking: scale, scope, and product mix economies, » Research Papers in Banking and Financial Economics, 1986, 82 27Casson M., « Evolution of multinational banks: a theoritical perspective » in Jones G. dir, Banks as Multinationals, Londres, Routledge Publishing, 1990, p. 14-29

Page 58: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

52

coûts d'entrée sur un marché sont élevés dans la banque de détail, la taille du groupe au niveau

mondial ne permet de les réduire qu'à la marge et c'est sûrement l'expérience internationale du

groupe qui est importante pour réduire ces coûts, plus que la taille du groupe. En banque

d'affaires, la possession d'une taille critique peut être un facteur d'internationalisation plus

pertinent. En effet, sur ce marché les clients diffèrent moins d'un pays à l'autre. Les grands

groupes font face à des problématiques semblables de financement quel que soit leur pays

d'implantation. Les économies d'échelle sont alors plus facilement transférables aux marchés

étrangers pour permettre à la banque étrangère d'opérer avec des coûts moindres par rapport

aux clients locaux. Les marchés étrangers peuvent en outre être un moyen d'atteindre la taille

critique puisque les activités de banque d'affaires sont des marchés plus étroits en dehors des

grands centres financiers.

Dans le cas de Citigroup, deux constats peuvent être faits. Bien que Citigroup possède une

banque d'investissement, son activité est historiquement plutôt centrée sur la banque de détail,

aux Etats-Unis comme à l'international. Ensuite en étant présente aux Etats-Unis en banque

d'affaires, elle est sur un marché suffisamment large pour obtenir une taille critique sur on

marché national. L'argument de la taille critique comme facteur d'internationalisation semble

donc modérément pertinent dans le cas de Citigroup. D'une part Citigroup a atteint une taille

critique bien avant la fusion et la phase d'expansion internationale qui a suivi. D'autre part, la

possibilité d'utiliser cette taille pour opérer à moindre coût à l'international semble limitée en

raison de la nature des activités bancaires en général et de celles de Citigroup en particulier.

L'obtention d'une taille critique comme moteur de la fusion ou de l'internationalisation ne

semble pas être un facteur économiquement valable. La combinaison de Citicorp et Travelers

a pu permettre une efficacité supérieure de l'ensemble, mais cette efficacité ne se situe pas au

niveau de la taille critique, plutôt de la combinaison d'activités complémentaires ou de

synergies liées à la fusion. Il s'agit alors plutôt de bénéfices relevant de l'économie des

fusions-acquisitions. Dans une perspective d'internationalisation du groupe, la taille critique

n'apparait pas comme un facteur déterminant.

L'idée d'une taille critique pour l'internationalisation peut cependant être appréhendée sous un

autre angle, à la lumière des événements de la crise financière mais aussi de la suppression du

Glass-Steagall Act. Si le groupe disposait dès la fusion d'une taille suffisante pour être

efficient économiquement, d'autres éléments ont pu rentrer en ligne.

Ainsi la fusion est intervenue avant la suppression des barrières réglementaires, comme il a

déjà été évoqué. Citigroup n'a pourtant jamais envisagé de se délester des activités que le

régulateur bancaire américain lui demandait de vendre. Les dirigeants ont ardemment

combattu pour l'adoption de nouvelles régulations et la taille du nouveau Citigroup peut être

Page 59: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

53

vue comme un moyen de pression sur les décideurs politiques. Il ne s'agit alors pas de se

protéger d'une potentielle concurrente mais de porter le premier coup pour bénéficier d'un

avantage, en l'occurrence l'avantage d'être le premier à développer un modèle de banque

universelle. On peut s'interroger sur l'influence de cette fusion sur le processus d'adoption de

nouvelles lois en matière bancaire. Dans le cas américain, le poids du groupe dans la sphère

financière a pesé dans les négociations sur la dérégulation. Citigroup a déployé de grands

moyens de lobbying pour s'assurer de la défense de ses intérêts au Congrès américain. S'il est

plus difficile de le mesurer, on peut imaginer que Citigroup a déployé des moyens semblables

dans les différents pays où elle s'est implantée, notamment les pays en développement où la

réglementaire financière peut être très contraignante, en Chine ou en Inde par exemple. S'il est

difficile de mesurer cet élément, on peut néanmoins émettre l'hypothèse que la taille qu'a

acquise la banque Citigroup au niveau global lui donne du poids sur des marchés étrangers,

même si sa présence au niveau local dans le pays est limitée.

Enfin un dernier élément qui peut être évoqué concernant la taille de Citigroup est apparu au

cours de la crise avec la notion de « too big to fail ». La taille nécessaire à des économies

d'échelle maximales a certes été dépassée depuis longtemps par Citi et des banques de taille

bien inférieure ont été tout aussi rentables que le géant. Mais au cours de la crise de 2007-

2009, des centaines de petites banques ont fait faillite alors que les grandes banques ont été

massivement renflouées par le gouvernement américain et la Réserve fédérale. Cette notion

de « too big to fail » n'était pas apparente jusqu'aux difficultés des dernières années.

Cependant il est possible aujourd'hui d'analyser la croissance internationale de Citigroup à

l'aide de cette notion. A l'issue de la fusion, Citigroup a été désignée comme une « méga-

banque », la plus grande banque mondiale. Clairement cette taille lui a permis au cours de la

crise d'avoir une assurance tacite de la part du gouvernement américain qui ne pouvait laisser

un ensemble si vaste faire faillite. On se trouve donc en présence d'un aléa moral. Avec

comme garantie d'obtenir un soutien du gouvernement en cas de graves difficultés, Citigroup

a pu prendre plus de risques qu'elle n'en aurait dû, sans faire face au risque de faillite. Dans

une stratégie internationale, cela peut avoir deux conséquences.

La banque peut s'étendre à l'international plus facilement que ses compatriotes qui n'ont pas

cette garantie implicite du gouvernement car elles n'ont pas une taille susceptible de mettre en

danger le système financier et l'économie. Citigroup pourrait supporter le risque représenté

par l'internationalisation et ce d'autant plus qu'en cas de graves difficultés, le gouvernement

devrait lui assurer son salut, comme cela a été le cas depuis 2007. Le rôle de l’aléa moral dans

la prise de risque de la dernière décennie n'a été évoqué que récemment et le « too big to fail »

n'a pas été envisagé comme un problème économique avant les difficultés des dernières

Page 60: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

54

années. Pourtant on peut supposer que la taille du groupe et sa place centrale dans le système

financier américain ont pu pousser les dirigeants de Citigroup à s'engager à l'international plus

facilement, sachant qu'en cas de difficulté le gouvernement des Etats-Unis ne laisserait pas le

groupe s'effondrer. La taille du groupe lui a donné une position qui elle-même a permis à la

banque de s'engager de façon plus poussée à l'international. Si ce n'est pas un déterminant en

soi de l'internationalisation, la taille du groupe facilite l'internationalisation en dotant le

groupe d'avantages dont les concurrents ne disposent pas. La deuxième conséquence de cet

aléa moral est que Citigroup pourrait théoriquement prendre des risques supérieurs dans ses

opérations à l'étranger par rapport aux banques locales et ainsi offrir des produits plus

compétitifs. Ces éléments seront étudiés plus en détail ultérieurement.

La fusion a permis à Citigroup de disposer d'un statut de « first mover » qui lui donne des

avantages au plan national ainsi que pour son expansion internationale future. Ce statut de

« first mover » n'est pas lié à un changement de technologie qui bouleverse l'équilibre d'un

marché dans le cas classique. La dérégulation a lentement changé la configuration du marché

bancaire aux Etats-Unis, et de manière identique sur les marchés étrangers suivant cette vague

de dérégulation. Désormais une même entreprise peut apporter à un client l'ensemble des

produits financiers dont il a besoin. La relation bancaire peut être utilisée de façon plus large.

Avec la suppression des barrières à la pratique de différentes activités financières par une

même entreprise, il est donc possible pour cette entreprise d’utiliser au maximum la

connaissance qu’elle a de ses clients pour lui fournir des produits autres que le produit fourni

en première instance. Ces nouvelles possibilités d'utiliser la connaissance peuvent être

appréhendées comme un nouvel actif disponible pour la production de services financiers.

Le fait pour Citigoup de former un groupe diversifié peut apparaître comme un mouvement de

préemption de la concurrence pour saisir cet actif qui pourrait lui échapper avec la

suppression des barrières. En reprenant les apports du modèle C-A-P de Smith et Walter, il est

possible d'analyser ce développement comme une stratégie qui se fonde sur la clientèle

comme base d'extension à de nouvelles cellules, de nouveaux marchés. En servant un même

client, Citigroup se développe sur de nouveaux marchés car elle fournit de nouveaux produits,

en combinant les apports de Citicorp et de Travelers. Puis cette compétence acquise en termes

de produits et de clientèle est utilisée dans de nouvelles « arenas », de nouvelles régions

géographiques.

Enfin, en effectuant le passage à la banque universelle avant ses concurrentes, elle met en

place certains coûts de changement de fournisseur de services financiers pour ses clients. Si

l'on est client d'une même institution pour l'ensemble de ses besoins en services financiers, il

Page 61: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

55

devient beaucoup plus difficile de changer d'institution financière car les coûts sont alors

élevés. Ce dernier argument repose sur l'hypothèse que les clients verront des bénéfices à

effectuer toutes les activités financières au sein d'un supermarché financier. C'est l'hypothèse

retenue par les artisans de la fusion et c'est celle que l'ensemble des acteurs en 1998

semblaient privilégier étant donné l'euphorie qui a entouré la fusion. Cette hypothèse semble

difficilement vérifiable empiriquement et c'est ce qui a causé les difficultés du modèle du

supermarché financier, comme il sera détaillé plus loin.

Pourtant le facteur stratégique a joué un rôle dans la stratégie de Citigroup. Face à une

nouvelle configuration du marché, ou plutôt à l'anticipation de cette nouvelle situation la

banque a tenté de devancer ses concurrentes et effectué un mouvement stratégique pour

s'introduire sur de nouveaux segments, au plan national, puis par la suite à l'international dans

un mouvement très similaire. En 1998, année de la fusion, Bank of America a été créée par

l’alliance de Nationsbank et BancAmerica. En 2000, c’est JP Morgan qui s’allie avec Chase

Manhattan. La fusion s’inscrit donc un contexte de consolidation du secteur. A la différence

de ses concurrentes, Citicorp ne se marie pas avec une autre banque mais avec un assureur ce

qui témoigne également du pari caractéristique des « first movers » que fait le groupe.

On peut noter ici la difficulté qui existe pour discerner entre les différents déterminants

avancés par Garcia Herrero et Navia Simon. La réponse stratégique à la pression sur le

marché a été d'adopter un nouveau modèle organisationnel. Mais l'adoption d'un nouveau

modèle organisationnel est également susceptible d'ouvrir des opportunités de mouvement

stratégique en modifiant la donne entre les acteurs. L’adoption du modèle one-stop shop

semble avoir été un moyen de préempter la concurrence nationale pour s’en démarquer et

profiter d’une rente de first-mover.

Le mouvement stratégique entrepris par Citi a donné lieu à un tour d’ajustement des banques

aux Etats-Unis. A l’international, Citi a aussi cherché à préempter ses concurrentes de façon

identique. On peut considérer que le facteur stratégique a joué un rôle important dans le

développement de Citigroup, et notamment dans la fusion entre Citicorp et Travelers Group.

Il a été possible d’étudier les conditions et les ressorts de la fusion et ainsi d’analyser la

pertinence de certains des déterminants de l’internationalisation de Citigroup. Le facteur

d’une internationalisation antérieure à la phase d’internationalisation étudiée ici est assez

visiblement pertinent dans le cas présent tandis que le facteur culturel est plus difficile à

valider. Le facteur de la taille critique a été abondamment étudié par la plupart des auteurs

sous le point de vue des économies d’échelle. Dans le cas de Citi, la taille critique n’est pas

Page 62: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

56

une raison de l’expansion internationale étant donné que le groupe était déjà la banque la plus

grande monde. La poursuite de l’implantation à l’étranger ne pouvait avoir pour but d’obtenir

une taille permettant une efficacité économique supérieure. Néanmoins la taille de l’ensemble

a une pertinence dans l’analyse de la stratégie de Citi puisqu’elle la dote d’avantages tels que

la capacité à peser sur le pouvoir politique ou encore de bénéficier d’un effet de hasard moral

avec la constitution d’un géant « too big to fail », trop important dans le financement de

l’économie pour faire faillite. Enfin la réaction stratégique semble également un élément

ayant contribué à la fusion Citicorp-Travelers Group puis à l’expansion internationale. Sous la

contrainte d’un marché concurrentiel en évolution, le groupe a mis en œuvre une stratégie lui

permettant de se démarquer et de retrouver un chemin de croissance.

L’analyse de la fusion permet de comprendre un certain nombre d’éléments de la stratégie

internationale de Citigroup. Les autres déterminants évoqués par Garcia Herrero et Navia

Simon peuvent être analysés à travers l’étude du fonctionnement de Citi pendant la décennie

qui a suivi la formation du groupe.

Page 63: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

57

Chapitre 2- Dix années d'expansion internationale de

Citigroup: de puissants avantages vecteurs d'une stratégie

d'internationalisation à très grande échelle

Les dix années qui ont suivi la fusion et qui se sont conclues par la crise financière ont été

l'occasion d'une phase d'expansion internationale sans précédent. Dès le milieu des années 90

commence la troisième vague d'internationalisation des banques, comme l'expriment Garcia

Herrero et Navia Simon. Alors que le premier chapitre de cette partie s'est essentiellement

focalisé sur la situation de Citigroup sur son marché national et la situation concurrentielle

aux Etats-Unis, ce second chapitre portera de façon plus marquée sur l'attrait que présentent

les marchés étrangers pour le développement de Citi.

Section 1- Le développement international de Citigroup

pendant ses dix premières années d’existence

Au lendemain de la fusion, Citigroup est présent sur tous les continents, dans un très grand

nombre de pays et sur toute la palette de produits financiers. L'expansion internationale n'a

pas tant concerné l'entrée dans de nouveaux pays, mais plutôt l'entrée sur des segments où elle

était absente auparavant.

Comme évoqué précédemment, Citigroup est un conglomérat financier. Son activité est

répartie en plusieurs divisions dont il semble intéressant de dresser un panorama pour

comprendre la réalité du supermarché financier. Si ce panorama apparaît aujourd'hui

semblable à celui de presque n'importe quelle banque en France, dix ans auparavant il

constituait une nouveauté. Par ailleurs le paysage bancaire américain diffère de ce qui existe

en Europe, et notamment en France. Les grandes banques d'affaires cohabitent avec des

grandes banques de réseau ainsi que de banques locales très petites, situation que l'on ne

retrouve pas en France où le marché est dominé aujourd'hui par des banques universelles

nationales. Par ailleurs les banques mutualistes ont une grande importance en France, elles

sont inexistantes aux Etats-Unis pour ce qui est des grands groupes.

La banque de détail de Citigroup, dénommée 'Global Consumer Group' est héritée des

positions de Citicorp. Elle distribue comme toute banque de détail des prêts à la

consommation, des prêts immobiliers, des cartes de crédit ou credit revolving. Particularité du

marché américain, Citigroup a créé un pôle spécifique désigné « Consumer Finance » qui

propose des produits pour les clientèles dites « subprime », c'est-à-dire avec une situation

Page 64: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

58

financière délicate. Aux Etats-Unis, ces produits sont distribués à la fois dans le réseau

classique sous la marque « Citibank » et dan un réseau d’agences dédiées, « Citi Financial ».

Avec l'aide des activités de Travelers, les agences de Citigroup distribuent des produits

d'assurance de toute sorte, allant de l'assurance à proprement parler jusqu'à l'assurance vie et

les fonds d'investissement. En application du supermarché financier, tous les produits

financiers sont disponibles pour la clientèle de détail dans les agences. La clientèle cible de

cette branche est naturellement les particuliers ainsi que les petites et moyennes entreprises.

La division des cartes de crédit est aussi un élément fort du groupe. Les cartes et les

instruments de crédit liés sont non seulement distribués dans le réseau d'agences, mais

Citigroup gère également la distribution de cartes de crédit pour le compte d'autres

entreprises, par exemple des chaines de supermarché ou des compagnies aériennes. Cette

activité est dénommée « CitiCard ». Le pôle de banque de détail est également subdivisé en

grandes régions ou continents pour gérer les activités internationales.

Citigroup possède également une banque privée pour les clients à hauts revenus qui entre dans

le pôle « Global Wealth Management ». Sa filiale Salomon Smith Barney joue le rôle

d'intermédiaire financier pour proposer des solutions d'investissement à la clientèle, de détail

jusqu'à la clientèle de grandes entreprises et investisseurs institutionnels mais avec un

positionnement axé sur les grandes fortunes et les clients institutionnels. Ce pôle a constitué

un des points forts de Citigroup durant les dix années qui ont suivi la fusion.

Enfin le troisième pôle regroupe l'ensemble des activités de banque d'affaires de Citigroup. Il

s'agit des solutions de financement et d'investissement, sur les marchés ou par des

financements bancaires. Citi est également un poids lourd au niveau mondial dans la

recherche et l'analyse des sociétés et produits d'investissement. Les succursales du pôle

« Institutional Clients Group » offre toute la palette de produits dont ont besoin les grandes

entreprises, au quotidien pour gérer leur activité comme de façon plus ponctuelle pour se

financer et mettre en œuvre des projets de développement.

Suite à la crise, Citi a été remaniée pour opérer un changement stratégique. La présentation ici

donnée reprend l'organisation telle qu'elle était avant ce revirement car cette organisation a été

celle qui a accompagné le développement international pendant ces dix années. Depuis début

2009, le groupe est organisé en deux pôles, Citicorp et Citi Holdings. Ce dernier pôle a

vocation à être totalement liquidé. Il renferme les activités trop risquées qui ont mis le groupe

au bord de la faillite ainsi que des activités que le groupe n'estime plus stratégiques ou sur

lesquelles la stratégie n'est plus axée. Les activités de gestion de fortune, bien que très

rentables ont par exemple vocation à être cédées et le processus est déjà engagé au moment de

la rédaction de ce mémoire. Cet aspect sera évoqué dans le prochain chapitre.

Page 65: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

59

Au moment de la fusion, Citigroup est déjà présent dans la très grande majorité des pays où sa

stratégie internationale prendra effet dans les dix années suivantes. Comme évoqué

précédemment, Citi était déjà très internationale depuis de nombreuses années et puisqu'il

s'agit de la troisième vague d'internationalisation bancaire, elle ne s'effectue plus dans de

nouveaux pays qu'à la marge. A l'été 2009, Citigroup avait une présence dans plus de cent

quarante pays. Cette présence est au minimum matérialisée par un bureau de représentation,

mais généralement il s'agit d'une filiale de banque d'affaires. On constate que c'est la nature

des activités qui est désormais le cœur de la stratégie d'internationalisation. Les dix premières

années d'existence de Citigroup sont l'occasion de projeter le supermarché à l'international.

L'expansion internationale de Citicorp puis Citigroup a suivi un schéma très homogène. Après

l'ouverture d'un bureau de représentation, la banque commence des activités de banque

d'affaires en offrant de services aux grandes entreprises internationales présentes dans le pays

concerné. L'étape d'internationalisation qui a commencé au milieu des années 90 chez

Citicorp et qui se poursuit plus amplement après la fusion réside dans le développement

d'activités de détail, ou liées à la clientèle grand public. Après la fusion, Citigroup a créé dans

une vingtaine de pays son réseau d'agences à partir de sa filiale en banque d'investissement.

C'est par exemple le cas en Égypte. Après avoir ouvert un bureau de représentation en 1955,

Citicorp a été établie une banque pour les grandes entreprises en 1975. Puis en 1999,

Citigroup ouvre sa première agence de détail au Caire. De même en Roumaine avec une

agence pour entreprises et institutions ouverte en 1995 et une première agence de détail en

2003. La croissance en interne avec une création d'un réseau d'agences est une des options

prises par Citigroup. L'implantation d'un réseau de détail commence par la proposition d'une

offre dédiée à une clientèle haut de gamme, dans un nombre restreint d'agences, préservant

ainsi le caractère privé de la banque. Puis le développement du réseau permet d'élargir l'offre.

L'introduction de cartes de crédit, souvent commercialisées en partenariat avec une grande

entreprise locale est un autre moyen de développement large vers la clientèle de détail. L'offre

de cartes de crédit est notamment un vecteur d'expansion efficace dans des pays où le marché

bancaire est encore peu développé et où ce type de cartes est une nouveauté et une innovation

par rapport aux produits proposés par les banques locales.

Le rachat de banques locales est aussi largement privilégié. Durant la seule année 2000,

Citigroup rachète quatre banques étrangères au Mexique, en Argentine et Hongrie. Chaque

année suivante est l'occasion de rachats qui se concentrent principalement sur trois zones

géographiques: l'Europe centrale et orientale, l'Amérique latine et l'Asie pacifique. C'est par

ce moyen que Citigroup entre sur le marché japonais réputé pour être difficilement pénétrable

pour des firmes étrangères. Pendant la décennie, Citigroup assemble une filiale puissante au

Page 66: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

60

Mexique, Banamex qui devient un des trois plus grands groupes bancaires du pays. Elle prend

des positions à Taiwan, rachète une des premières banques coréennes, KorAm Bank. En

termes de répartition, la majorité de l'expansion internationale en nombre de pays s'effectue

par la croissance organique et la construction d'un réseau à partir de rien. Néanmoins le rachat

d'un groupe local permet un accès immédiat à un réseau déjà constitué et large. Ainsi les

filiales issues d'une acquisition pèsent plus que les autres filiales. Les banques rachetées

restent généralement des banques de second plan, Citigroup n’obtenant pas de position de

leader sur le marché local.

Cette expansion internationale présente la particularité que Citigroup passe systématiquement

sous son enseigne toutes les nouvelles activités développées à l’étranger, aussi bien la

croissance interne que les rachats externes. Les filiales de banque d’affaires conservent

évidemment la marque Citigroup, comme c’est la pratique en banque d’investissement.

Cependant cette projection d’un même concept de banque à l’international concerne

également la banque de détail. La marque « Citi » est déclinée sur tous les produits et sur tous

les marchés avec la même identité visuelle. Chaque produit ou ligne de produits se voit accolé

« Citi », par exemple CitiMortgage pour les crédits immobiliers, CitiCards pour les cartes de

crédit ou CitiPrivate Bank pour les activités de banque privée. Cette marque est reprise dans

toute expansion internationale, à quelques rares exceptions près. Banamex au Mexique est par

exemple la seule marque d’envergure que Citigroup n’a pas fait passer sous sa marque propre

(d'autres Etats aux marchés restreints ont conservé des marques différentes de Citi,

notamment en Amérique centrale). A Taiwan, après le rachat de la « Bank of Overseas

Chinese » les agences sont toutes passées sous la marque « Citibank ». De même en Corée, ou

en Pologne. Les mêmes éléments visuels, le logo, le slogan sont utilisés pour donner tout son

sens au supermarché financier. Le nom de chaque filiale est d’ailleurs formé en utilisant le

préfixe « Citi » ou « Citibank » suivi du nom du pays, par exemple « Citibank China », « Citi

Taiwan » ou encore « Citibank Columbia ». Cette option marketing adoptée par le groupe est

symbolique du développement stratégique international, ce « supermarché financier », sur le

modèle dans la grande distribution de Walmart. Les agences, les cartes de crédit ou encore les

sites internet des filiales présentent tous les mêmes visuels, les mêmes repères et les mêmes

types d’offre.

Dans chaque pays où le groupe est implanté, toutes les activités ont graduellement été

introduites sur le modèle de ce qui a été réalisé sur le marché américain. Dès lors que

Citigroup entre sur le marché de détail, elle apporte ses cartes de crédit, ses produits d'épargne

et d'assurance, son offre dédié aux petites et moyennes entreprises « Citi Business », ainsi que

très souvent une offre de banque privée, soit le nom de Smith Barney, de Citi Private Bank ou

Page 67: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

61

de Citi Gold. On retrouve de manière très proche, voire identique cette offre globale de

produits bancaires dans les pays où Citi s'implante, de la Grèce à l'Inde. La gamme de

produits offerts est très proche d’un pays à l’autre, avec l’accent mis sur l’accessibilité partout

dans le monde, à n’importe quel moment, physiquement en agence, ou électroniquement. La

facilité pour le client est au cœur de la stratégie de Citigroup. Le groupe procède cependant à

des adaptations locales, notamment pour tenir compte des particularités réglementaires.

Il est donc possible de faire le constat d’une stratégie à l’échelle globale avec une très grande

uniformité. Citigroup a été la seule banque américaine à mettre en œuvre une telle stratégie à

l’international. Ces deux principales concurrentes JP Morgan et Bank of America ont évolué

progressivement vers une banque universelle avec une marque globale regroupant tous leurs

produits, mais elles n’ont pas suivi le développement international de Citi. Ainsi Bank of

America a pris par exemple des positions en Chine en s’alliant avec la China Construction

Bank. Néanmoins cette alliance ne s’est pas concrétisée par une entrée sur le marché chinois

de Bank of America alors que Citigroup, après avoir noué plusieurs partenariats avec des

groupes locaux a commencé la construction d’un réseau de distribution propre. Citi est la

première banque étrangère à effectuer ce type d’implantation en Chine.

Cet état des lieux du développement international de Citigroup sur la période récente donne

un aperçu de la réalité du supermarché financier et notamment de la très grande uniformité

qui préside à l’expansion de la banque. A la lumière de ces éléments, il est possible d’analyser

les autres déterminants tels que définis par Garcia Herrero et Navia Simon et qui n’ont pas été

analysés dans le chapitre précédent.

Section 2- L’expansion internationale sous l’angle des

déterminants empiriques de l’internationalisation

Le fonctionnement de Citigroup pendant la décennie suivant la fusion semble offrir un cadre

intéressant pour analyser l’importance de quatre types de déterminants de

l’internationalisation des banques. Il s’agit de la diversification du risque géographique, de

« suivre le client », des caractéristiques des produits et canaux de distribution et enfin du

caractère innovant des produits offerts.

A. Diversification du risque et conglomérat financier

D’après la théorie de la diversification du risque géographique, la banque s’étendrait à

l’international pour réduire son profil de risque tout en conservant le même niveau de

rendement. La banque internationale est appréhendée comme un portefeuille d’activités dont

Page 68: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

62

la combinaison au sein de ce portefeuille permet une efficacité supérieure à ce qu’elle pourrait

être si les actifs étaient détenus séparément par des investisseurs, par exemple en investissant

dans des firmes différentes sur le marché. En incluant de nouveaux pays dans son périmètre,

la banque d’une part réduit son exposition aux autres pays dans lesquels elle est présente et

d’autre part elle peut dégager des synergies entre ses différentes filiales ce qui fait le groupe a

une rentabilité meilleure que si les filiales qui le composent étaient des sociétés

indépendantes. Dans le cas de Citigroup, il est possible de dresser deux constats.

L’expansion internationale de Citi a réellement été globale, sans ciblage géographique précis.

Cette situation est héritée des phases d'internationalisation successives puisque le nombre de

nouveaux pays où Citi s'implante durant cette décennie reste limité. Comme noté

précédemment il s'agit plutôt d'un changement de la nature de l'internationalisation avec le

développement de nouvelles activités. Cette expansion géographique très large semble offrir à

Citi un profil de risque très diversifié. Si l’argument de la diversification n’a pas été utilisé par

les dirigeants pour soutenir la formation du one-stop shop et sa projection à l’international, il

semble que le développement international de Citi a significativement diversifié les positions

du groupe. En 2005, soit près de 6 ans après la fusion, 59%28 du chiffre d’affaires dans les

activités de banque de détail étaient réalisés aux Etats-Unis. En 2009, cette part est tombée à

31.8% avec 32.3% pour l’Asie et 29% pour l’Amérique latine. On constate donc le poids très

fort que représentait le marché américain et la dilution progressive de ce poids par l’entrée sur

de nouveaux marchés internationaux. Les pourcentages en 2009 montrent un équilibre plutôt

bon entre les différentes zones géographiques ce qui rend les expositions du groupe mieux

réparties. Le groupe n'est plus dépendant d'une seule zone géographique pour ses revenus, en

banque de détail tout du moins. Les chiffres pour la banque d'investissement ne sont pas

exploitables de la même façon et ne permettent pas une comparaison similaire. Par ailleurs,

depuis 2008 le changement d'organisation de Citi et la liquidation de certaines lignes de

métier rend difficile l'étude des revenus par zone géographique en banque d'affaires.

Banque de détail2005 2009

en millions de dollars US

Produit Net Bancaire

en % du PNB total

Produit Net Bancaire

en % du PNB total

Amérique du Nord 30107 58,6% 7246 31,8%Europe, Moyen-Orient et Afrique 6201 12,1% 1555 6,8%Amérique latine 7311 14,2% 7354 32,3%Asie 7722 15,0% 6616 29,1%Total 51341 100,0% 22771 100,0%Source: Citigroup Annual Reports

Répartition du produit net bancaire par zone géographique

28 Rapports annuels de Citigroup, www.citigroup.com

Page 69: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

63

Le deuxième constat concerne plus généralement la diversification d’un groupe, et non la

seule diversification géographique et n'est donc pas strictement en lien avec

l'internationalisation du groupe. Il semble cependant intéressant pour comprendre le

développement du groupe. Citigroup est devenu un véritable conglomérat bancaire en raison

du spectre très large d’activités financières. Cette diversification a rendu le groupe moins

dépendant d'une seule sorte d'activités financières. Une partie de la stratégie de Citigroup était

de réduire la part de ses revenus issus des intérêts sur les fonds mis à la disposition de la

clientèle et d'augmenter la part des revenus issus des commissions facturées pour la fourniture

de service. Un exemple de ces commissions peut être trouvé dans la fourniture de produits

d'investissement avec des frais fixe d'entrée pour acheter le produit. La diversification du

groupe permet cette stratégie en entrant sur des activités moins dépendantes d'un taux d'intérêt

comme la gestion de fortune. On peut également remarquer qu'avec la projection du même

modèle à l'international, Citi a également effectué une diversification de ses activités à

l'intérieur des pays où elle s'est étendue.

La diversification à Citigroup a donc pris deux voies concomitantes, une diversification

géographique et une diversification des produits. L'étude de la situation monopolistique du

marché bancaire américaine vient conforter l'idée que l'expansion internationale et le modèle

du supermarché financier ont été des éléments déterminants dans la stratégie de Citi. La crise

apporte d'autres éléments à cette hypothèse. Les difficultés des banques aux Etats-Unis

mettent en avant les avantages que peuvent retirer des banques qui ont des positions

internationales. Elles sont alors moins exposées au marché américain et auraient pu mieux

traverser une crise particulière dure pour le marché américain. L'étude des résultats de Citi

dément cette hypothèse, comme il sera étudié dans le chapitre suivant. On peut alors

s'interroger si la diversification à Citi était suffisante ou pertinente.

Enfin la présence très large de Citigroup peut jouer contre la banque pour deux raisons.

D'abord sur le plan géographique, une diversification si large réduit l'exposition à un pays ou

à une zone particulière mais dans le cas d'une crise économique globale, Citi est touchée de

façon sévère et ne peut bénéficier par exemple d'une meilleure résistance d'une zone

particulière. A diversification plus importante correspond un niveau de risque plus faible.

Mais selon la théorie financière, à un niveau de risque plus faible correspond un niveau de

rendement plus faible puisque le rendement est considéré être une fonction du risque pris par

l’investisseur. Déterminer le niveau de diversification et donc de risque optimal pour

maximiser le rendement de Citi n'est pas l'objet de ce mémoire mais le chapitre suivant

permettra d'obtenir des éléments pour déterminer si Citi a réellement établi un couple

rendement/risque meilleur que ses concurrentes.

Page 70: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

64

Le deuxième élément qui pourrait limiter le rôle de la diversification comme avantage

comparatif de la banque est constitué du « conglomerate discount ». La théorie économique a

démontré que la valorisation des conglomérats subissait une décote en comparaison à ce que

la somme des différentes activités serait si elles étaient indépendantes. Cette décote tire sa

source dans le fait qu’il est difficile de valoriser l’ensemble des activités contenues au sein

d’un même groupe ainsi que d’estimer l’importance réelle des synergies. Face à cette

incertitude sur la valeur réelle de chaque activité et leur valeur globale lorsqu’elles sont

associées dans le même groupe, les investisseurs appliquent une décote qui se justifie

historiquement par la faible performance des conglomérats en général. Si Citigroup n’est pas

un conglomérat classique puisqu’il rassemble des activités appartenant au même secteur et qui

peuvent être distribués par les mêmes canaux, on peut s’interroger sur l’efficacité de cette

diversification et la matérialisation des synergies. Cet élément sera évoqué plus amplement

dans le chapitre suivant. Néanmoins on peut ici souligner que dès 2002 Citigroup s’est séparé

d’une partie des activités d’assurance de Travelers et a mis en vente « Travelers Property and

Casualty » dont les synergies avec le reste des activités bancaires n’étaient pas à la hauteur

des espérances.

Un dernier élément à noter concernant la diversification et la constitution d’un conglomérat

financier dans le cas de Citigroup concerne la notion de « too big to fail ». Comme

l’expriment Smith et Walter29, la faillite de conglomérats financiers serait lourde de

conséquences sur le système financier et ils sont donc presque certains d’être sauvés par le

gouvernement. Leur texte écrit en 2003 se révèle particulièrement d’actualité au regard des

évènements survenus depuis 2007. S’il est possible de laisser une banque d’affaires comme

Lehman Brothers faire faillite, de laisser de petites banques locales mettre la clé sous la porte

ou de laisser un assureur comme AIG ne plus honorer ses obligations, la faillite de Citi a la

capacité d’affecter toutes les branches de la finance de manière directe et sur de nombreux

marchés. Si la diversification du risque est valable pour les expositions de Citigroup en elle-

même, elle induit paradoxalement une concentration accrue des risques pour le système

financier à l’échelle globale puisqu’une seule et même institution détient une part non

négligeable des actifs du système financier.

La diversification apparait comme un élément déterminant de la stratégie internationale de

Citigroup. Le groupe a joué sur ce facteur pour équilibrer son modèle international. Il

convient cependant de mesurer la réalité de ce déterminant en termes de résultats financiers.

Plus largement, la diversification est ici à mettre en lien avec la taille du groupe. La taille et

l’étendue des activités de Citi poussent à s’interroger sur les bénéfices face aux risques que

29 Smith R. C., Walter I., Global Banking, 2003

Page 71: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

65

cet ensemble recèle et nous ramène au débat sur la banque universelle et la création d’entités

trop grandes pour faire faillite.

B. « follow the client »

Le facteur « suivre le client » semble dans une mesure certaine avoir guidé le développement

international de Citi. Ce déterminant explique l’internationalisation de la banque par la

volonté de suivre son client à l’étranger pour ne pas laisser la connaissance que la banque a de

son client « s’échapper ». La banque s’installe dans les pays où ses clients s’implantent pour

exploiter la connaissance qu’elle en a au mieux et éviter que des banques concurrentes,

locales ou internationales ne récupèrent cette connaissance d’abord au niveau local, puis au

niveau global. L’étude de la stratégie qui consiste à suivre ses clients apparait pertinente à un

niveau macroéconomique en comparant par exemple les flux d’IDE et les flux d’IDE

financiers entre les Etats-Unis et des pays tiers. Ce type d’exercice n’est pas l’objet de ce

mémoire. Une étude au niveau de Citigroup en se basant sur son portefeuille de clients

institutionnels ne semble pas réalisable. Cependant l’observation du mode de développement

international permet de tirer certaines conclusions.

En effet on constate que l’expansion de Citigroup a généralement suivi le schéma de

développement international suivant : bureau de représentation-succursale de banque

d’affaires-ouverture d’agences de détail. La très grande majorité des implantations à

l’étranger ont suivi ce modèle qui comporte parfois des sous-étapes. Ainsi entre l’ouverture

d’une succursale « corporate » et la création d’un réseau de détail, on trouve souvent

l’ouverture de plusieurs succursales « corporate ». De plus avant l’ouverture d’un réseau de

détail grand public, dans certains pays Citi a d’abord ouvert un nombre limité d’agences

réservés à une clientèle d’entreprises de moyenne taille et une clientèle de particuliers

fortunés. Un tel développement semble en ligne avec le facteur « suivre le client ». Dans un

premier temps Citi a pu suivre ses clients qui sont des grandes entreprises en phase

d’internationalisation. Cette étape remonte bien avant la fusion avec Travelers. Puis la banque

a élargi sa clientèle aux entreprises locales en ouvrant de nouvelles succursales ou en créant

une offre dédiée à une clientèle de particuliers fortunés qui sont généralement très

cosmopolites et internationaux. Il peut s’agir d’expatriés ou d’élites locales ayant une

connaissance préalable de l’ensemble Citigroup à travers leurs voyages à l’étranger. Une fois

cette implantation réalisée, Citi a obtenu une connaissance du marché local suffisamment

bonne pour introduire la banque universelle et servir tout type de clients.

Suivre le client semble donc dans une certaine mesure un facteur valable dans

l'internationalisation de Citigroup. Il semble cependant difficile d'effectuer une étude précise

par pays appliquée au cas de Citigroup. Par ailleurs, comme il a été détaillé à l'étude de la

Page 72: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

66

chronologie des implantations, le facteur « suivre le client » ne peut expliquer la prise de

position dans la banque de détail. Si les liens entre certains pays et les communautés immigrés

aux Etats-Unis peuvent faciliter, la présence d'une clientèle d'expatriés n'est pas suffisante

dans la majorité des pays pour justifier une implantation rentable sur le marché. Par ailleurs,

les liens entre communautés immigrés et pays d'origine comme déterminant de

l'internationalisation pourraient être rattachés à la proximité culturelle entre le pays d'origine

et le pays d'accueil des IDE et non pas à la volonté de suivre les clients à l'étranger. Ce

déterminant de l'internationalisation de la banque a eu une importance dans les premières

vagues d'internationalisation, mais la vague présente s'étant focalisé sur la banque de détail en

majorité, dans le cas de Citigroup, ce déterminant n'apparait pas comme le plus pertinent pour

l'étude actuelle. Cependant, étant donné qu'il a eu une importance dans une étape précédente,

il reste valable pour comprendre des phénomènes actuels. En outre, l'envergure de l'expansion

de Citi rend difficile d'appliquer ce facteur à la stratégie du groupe. En effet cette expansion

n'a pas ciblé de marchés particuliers avec lesquels les Etats-Unis, ou le groupe Citigroup ont

des liens particuliers. Le choix de s'étendre dans tel ou tel pays au cours de la phase

d'expansion n'apparait comme étant déterminé par la poursuite d'une clientèle dans un pays

étranger. A la suite de Garcia Herrero et Navia Simon, il est possible de questionner la validité

de ce facteur. Il ne semble pas possible d'expliquer la stratégie de développement de Citi par

la volonté de servir une clientèle sur laquelle elle aurait déjà une connaissance avancée et

qu'elle pourrait utiliser à l'étranger. Les activités de banque d'investissement sont plus à

même de favoriser une stratégie de « suivre le client » mais la période actuelle n'a pas vu un

développement particulièrement important des activités de banque d'investissement de Citi à

l'international par rapport au développement de la banque de détail.

C. Innovation et canal de distribution

Dans le cas de Citigroup, les produits et canaux de distribution et l’innovation contenu dans

les produits offerts sont particulièrement liés puisque la banque universelle telle que proposée

était une nouveauté. Citi a démontré une forte capacité à innover depuis l'origine puisqu’elle a

été la première banque américaine à introduire des cartes de paiement sur le modèle des cartes

de crédit actuelles, puis elle a installé les premiers distributeurs automatiques aux Etats-Unis

avant d'ériger l'un des réseaux de distributeurs les plus larges du pays. Ces innovations ne se

situent pas seulement sur le plan technologique. En effet Citigroup n’a cessé d’innover dans

les produits financiers qu’elle propose et a eu un rôle précurseur dans ce domaine.

L’introduction des Certificates of Deposit ou CDs aux Etats-Unis est l’exemple le plus

emblématique de cette capacité à innover puisque ces certificats de dépôt sont devenus l’un

des produits d’épargne les plus populaires aux Etats-Unis et ils ont été adaptés à

Page 73: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

67

l’international. Citi, à l’époque Citicorp a été le premier groupe bancaire à proposer ces

produits et les a donc « inventé ».

L’innovation est un des principaux ressorts stratégique de développement d’une firme

puisqu’en introduisant une innovation, elle peut modifier les conditions d’offre sur le marché,

modifier le marché lui-même et obtenir un monopole temporaire qui lui assure une rente.

Dans le secteur bancaire et financier, cette possibilité d’obtenir une rente consécutive à une

innovation apparait plus difficile à maintenir en raison de la nature des produits bancaires,

plus particulièrement dans la banque de détail. L’essor des nouvelles technologies depuis les

années 80 a permis aux banques d’offrir de nouveaux services basés sur des technologies

innovantes. Il peut par exemple s’agir de services sur internet, ou plus récemment du

développement du paiement grâce au téléphone portable. Ces services sont cependant

rapidement repris par l’ensemble des banques concurrentes car ils sont le plus souvent

proposés par des sociétés spécialisées en technologie de développement des moyens de

paiement en partenariat avec des banques. Par ailleurs, concernant les moyens de paiement, il

est plutôt dans l’intérêt des banques d’adopter des technologies similaires pour que les

nouveaux moyens de paiement se développent, notamment puisque les technologies de

paiement nécessitent le développement de réseaux et de nouveaux standards technologiques.

Si une banque propose un nouveau moyen de paiement mais que ses clients ne peuvent

utiliser ce moyen qu’avec d’autres clients de la banque, la technologie a un intérêt limité.

La deuxième voie d’innovation pour une banque concerne l’offre de produits bancaires et

financiers nouveaux. Cette voie permet à la banque de réellement se différencier et d’attirer

des nouveaux clients. Si pour le client l’offre d’un nouveau produit bancaire se traduit

uniquement en termes financiers, pour la banque cela implique souvent un outil informatique

de gestion des risques et des flux innovant par rapport à celui de ses concurrentes, parmi

d’autres éléments comme une maitrise des éléments juridiques plus poussée par exemple.

Dans la banque de détail, la différenciation par l’innovation est généralement difficile à mettre

en œuvre car il est aisé pour les concurrents de répliquer par des offres similaires. Cette

caractéristique se retrouve dans la plupart des offres de service où le service ne peut

généralement pas faire l’objet de brevet protégeant l’innovation. La période durant laquelle la

banque bénéficie du monopole sur son innovation est de fait très réduite et les concurrentes

peuvent s’aligner très rapidement. Le savoir-faire de la banque est alors déterminant pour se

démarquer des concurrentes et c’est ce qui constitue l’avantage comparatif de la banque. C'est

dans la capacité à structurer le produit en termes de flux financiers, de documentation

juridique et de gestion risque puis à industrialiser ce produit que réside ce savoir-faire mais la

qualité du service à la clientèle.

Page 74: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

68

Cette capacité à développer une offre bancaire innovante est plus particulièrement visible

dans la banque d’investissement où la structuration des produits est beaucoup plus complexe

et requiert une expertise difficilement transférable d’une banque à l’autre. En banque de

détail, les produits sont facilement décomposables et leur montage peut être analysé assez

rapidement ce qui rend l'alignement des concurrents aisé. La banque d'investissement exige

un niveau de maitrise financière beaucoup plus avancé. Cet aspect est particulièrement visible

dans la concurrence acharnée que se livrent les grandes banques d'affaires pour attirer les

meilleurs talents dans leurs équipes. Le montage de financement exige une connaissance

poussée des aspects légaux, une maitrise parfaite de l'exécution ainsi que la confiance des

marchés dans les produits offerts. Comprendre une structure de financement est alors

beaucoup plus difficile et imiter la concurrence nécessite un investissement conséquent. En

outre les clauses de confidentialité qui accompagnent les opérations de financement et

d'investissement rendent très opaques les montages mis en œuvre.

L'innovation dans le secteur bancaire est donc un phénomène complexe qui permet à la fois à

la firme de se démarquer et de prendre le pas sur ses concurrentes mais qui est également de

courte durée. Ceci est d'autant plus valable dans le cas de Citigroup que la banque a axé son

développement international sur son réseau de détail, marché sur lequel se différencier de la

concurrence en termes d'offres et d'innovation est certainement le plus difficile. Depuis 1998,

les possibilités d'innover sur le marché américain et à une échelle plus large sur les marchés

des pays développés sont assez réduites. L'essentiel de l'innovation s'est concentrée sur le

marché dit « des subprimes », c'est-à-dire l'offre de produits de financement destinés à une

clientèle présentant un profil de risques élevés et une solvabilité moindre. Les banques ont

tenté de servir cette clientèle en proposant des produits dont le succès a été plus que relatif

tant pour les clients surendettés que pour les institutions financières dont les risques ont été

mal maitrisés, comme l'ont montré les évènements au cours de la crise. Citi a été tout

particulièrement affectée par les difficultés sur le marché des subprimes, comme il sera

analysé dans le chapitre suivant.

À l'international la marge d'innovation est beaucoup plus importante sur un certain nombre de

marchés émergents dont le secteur bancaire est peu développé en comparaison de ce qu'il est

dans les pays développés. Citigroup semble avoir exploité ces différences dans la maturité des

marchés bancaires pour soutenir sa stratégie d'internationalisation, contrairement à ses

concurrentes américaines qui semblent avoir été plus réticentes à s'engager aussi fortement à

l'international. L'histoire de Citi démontre une force d'innovation constante, on peut supposer

que c'est cette capacité à innover qui a poussé Citi à se servir d'innovations pour entrer dans la

banque de détail sur des marchés étrangers. Cet élément peut donc être rattaché d'une part au

Page 75: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

69

facteur microéconomique lié à la capacité d'une firme d'utiliser des innovations pour se

développer et d'autre part au facteur macroéconomique du différentiel de développement des

marchés bancaires à l'international.

Citigroup a utilisé la sophistication du marché de la banque de détail aux Etats-Unis pour

apporter des produits inconnus sur les marchés émergents. Un des produits qui a servi de base

de développement international pour Citi est la carte de crédit et le crédit en revolving qui lui

est attaché. Ce type de produits qui est caractéristique des Etats-Unis est peu développé à

l'international, même sur des marchés matures comme en Europe de l'Ouest. Citi a introduit

ce type de crédit et de facilité de paiement dans plusieurs pays d'Asie ou en Amérique latine.

À Taiwan par exemple Citi a introduit la carte de crédit et est devenue le leader du secteur ce

qui lui a permis de consolider ses positions en banque de détail et de racheter une banque

locale. De même au Chili ou encore en Inde, Citi s'est appuyé sur sa maitrise des cartes de

crédit pour développer une première approche du marché local. Les banques locales ne

maitrisaient que très peu ces produits ce qui a permis à Citibank de s'imposer dans le secteur.

Il faut noter que Citi a également souvent proposé des cartes de crédit par l'intermédiaire

d'autres institutions financières locales avant de les lancer sous sa propre marque dans ses

agences. Cette innovation représente plutôt une nouveauté au niveau de l'offre puisque la

technologie de paiement par carte existait bien entendu déjà dans ces pays. On peut émettre

l'hypothèse que si Citi a pu apporter cette innovation de crédit, c'est en partie grâce à son

accès à des conditions de refinancement très bonnes en raison de sa taille et sa présence sur

les marchés de capitaux américains.

D'autres innovations ont ensuite été introduites, notamment en ce qui concerne l'accès sur

internet et la possibilité de réaliser des opérations bancaires en ligne. Ce genre d’innovation a

été réellement novateur dans un certain nombre de marchés émergents où le secteur bancaire

restait très traditionnel. En outre, en raison de la faible présence physique de Citi, l’utilisation

des nouvelles technologies permet de servir la clientèle au mieux et de compenser le manque

de points physiques pour réaliser des opérations bancaires. De plus la mise en place de

systèmes de gestion en ligne de l’activité bancaire fait partie de la stratégie globale de donner

accès aux produits bancaires de la façon la plus simple, par une agence unique pour tous les

produits financiers, par un portail virtuel unique. Dans ce sens, on peut considérer que les

innovations introduites par Citi sur ses marchés étrangers s’inscrivent dans la stratégie de

supermarché financier, modèle organisationnel qui en lui-même constitue une innovation.

En effet Citi a non seulement été une des premières institutions à revenir au modèle de banque

universelle aux Etats-Unis mais également dans de nombreux autres Etats. Ce modèle en lui-

même constitue une innovation puisqu’il a permis à Citigroup de se différencier de ses

Page 76: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

70

concurrentes et d’apporter à ses clients un produit nouveau, plus précisément un ensemble de

produits dans un même lieu. Si cette organisation donne à la banque les moyens d’être plus

efficaces que ses concurrentes, elle peut aussi être appréhendée comme une innovation pour le

client qui pourra désormais satisfaire l’ensemble de ces besoins en matière bancaire à travers

un seul et unique guichet. La banque universelle, dans ce contexte représente à la fois une

innovation, un nouveau produit et un nouveau canal de distribution pour certains produits,

notamment les produits d’assurance.

Il est possible d’utiliser des éléments de comparaison pour comprendre cette différence entre

Citi et ses concurrentes locales dans des pays étrangers. Le choix de deux marchés étrangers

permet d’apporter des éléments empiriques. S’il n’est pas possible d’être exhaustif et de

d’étudier la situation des marchés bancaires de détail dans tous les pays où Citi est présent, la

comparaison de la stratégie de Citi et de deux concurrentes locales au Mexique et en Corée

peut servir d’illustration. Le choix du Mexique et de la Corée s’est fait sur plusieurs critères.

Le Mexique représente le seul marché majeur où Citi n’utilise pas sa marque mais une

marque spécifique à ce marché, Banamex. Banamex est aujourd’hui un des trois premiers

groupes bancaires au Mexique avec BBVA Bancomer et Banco Azteca. Par ailleurs, Banamex

comme ses deux concurrentes publient une information large et accessible (en anglais) sur

leurs activités ce qui permet d’exploiter facilement les données. Citibank Korea semble

intéressante au regard du développement en Asie de Citigroup. La banque a ouvert de

nombreuses filiales de détail en Asie (Taiwan, Chine, Thailande, Corée…) aussi l’étude de

Citibank Korea apparait comme d’un intérêt certain. Citibank Korea fait partie des dix

banques les plus importantes de Corée et publient également des informations financières

assez poussées en anglais, ce qui à nouveau permet un accès facile. Enfin, Banamex et

Citibank Korea sont deux filiales de Citigroup dont les données financières sont disponibles

au public, ce qui n'est pas le cas pour la plupart des filiales de Citi. En effet, la banque publie

ses résultats globaux avec un détail par grandes régions mais les résultats de la très grande

majorité de ses filiales ne sont pas ou très partiellement accessibles.

Banamex est la plus grande filiale étrangère de Citigroup, elle représente à elle seule un

groupe bancaire au sein de l’ensemble. Elle a été constituée par plusieurs rachats successifs.

Aujourd’hui Banamex propose toute la palette de produits de Citigroup, plus une offre dédiée

aux particularités du marché mexicain. Son positionnement par rapport à ses concurrentes est

plus large, puisque Banamex a une activité d’assurance poussée alors que ses concurrentes ne

proposent pas une offre aussi profonde dans ce type de produits. Si BBVA Bancomer,

désormais filiale à 100% du groupe espagnol BBVA propose une offre très proche de celle de

Banamex, cette dernière a été la première à prendre cette voie sous l’impulsion de sa maison

Page 77: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

71

mère, Citigroup. Rapidement les concurrentes de Banamex ont élargi leur offre, notamment

avec un portail internet fourni qui propose des services de gestion de compte. Cependant les

activités d'assurance restent marginales pour certaines concurrentes, comme Banco Azteca,

troisième groupe bancaire mexicain et le seul groupe dans le top 3 à ne pas être détenu par un

groupe étranger.

En Corée, CitiBank Korea a pris le pas sur ses concurrentes de la même manière, en

réunissant sous un même toit l'ensemble des activités et particulièrement les activités

d'assurance qui ont longtemps été proposé par des firmes distinctes des banques. Si l'on

compare Citibank Korea à Shinhan Bank, un des premiers groupes bancaires coréens, on

constate que les activités d'assurance n'ont été introduites qu'en 2005 tandis que Citibank les a

introduites dans ses agences coréennes dès 2001 puis ensuite plus largement lors du rachat de

KorAm Bank en 2004. Les grandes banques coréennes comme Kookmin Bank ou encore

Hana Financial Group ont suivi le modèle introduit par Citigroup. On peut néanmoins émettre

des réserves quant à l'influence de Citibank Korea sur le marché coréenne en général. En effet

la filiale de Citi en Corée est seulement le huitième acteur du secteur bancaire. On peut donc

supposer que son influence sur le marché est plutôt réduite et que si Citi a été la première à

développer ce modèle de banque universelle en Corée, elle n'a pas directement déterminé la

stratégie des acteurs locaux. Cependant, au niveau international, le supermarché financier a

été adopté par de nombreux acteurs à la suite de Citi et au gré des dérégulations dans chaque

pays. Aussi ce n'est peut être pas tant Citibank Korea qui a conduit à l'ajustement des

stratégies des banques coréennes, mais Citigroup au niveau global qui a influencé la stratégie

de l'ensemble des acteurs. Face aux promesses de rentabilité supérieure, d'efficience accrue et

de valeur ajoutée pour la clientèle qu'a apporté le modèle de banque universelle largement

défendu par Citi, un très grand nombre de banques dans tous les pays se sont converties à

cette stratégie, certainement pour ne pas rester en arrière face à ce nouveau modèle

prometteur. Par ailleurs, la présence de Citibank directement dans le pays a peut être accéléré

ce processus.

Le modèle de Citigroup a donc été un facteur d'internationalisation que l'on peut rattacher aux

avantages d'innovation et de canal de distribution. Il peut être appréhendé comme une

innovation majeure dans une longue suite d'innovations qui ont jalonné l'histoire de Citi. Citi

s'est servie de ses innovations pour gagner sa place à l'étranger et engager un développement

dans la banque de détail poussé. Si le résultat en termes financiers de cette stratégie sera

analysé dans le chapitre suivant, la mise en place de la stratégie a été une réussite au regard de

l'envergure des activités de Citi à l'international. Les avantages que possèdent Citi s'inscrivent

bien dans le cadre envisagé par Garcia Herrero et Navia Simon. On a pu cependant nuancer

Page 78: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

72

certains éléments que les deux auteurs ont évoqués et qui ont été étudiés par les auteurs ayant

travaillé sur l'internationalisation des banques. Ainsi, le facteur « suivre le client » apparaît

difficilement valable dans le cas de Citigroup, en tout cas en ce qui concerne la période

actuelle. Le facteur « innovation technologique » est quant à lui un facteur central dans

l'internationalisation de Citigroup.

Les auteurs évoqués dans le premier chapitre ont mis en lumière la difficulté d'établir une

théorie systématique et générale pour englober l'ensemble des phénomènes

d'internationalisation des banques. Ce chapitre montre cette difficulté à saisir l'ensemble des

déterminants qui pousse Citi à s'étendre à l'étranger. De plus, il est parfois peu aisé de

discerner entre les différents déterminants évoqués.

Cette étape du raisonnement a permis d'examiner comment Citigroup s'inscrit dans les cadres

théoriques et de contribuer, très modestement, à la littérature théorique en questionnant

l'application des cadres au cas du premier supermarché financier mondial. Il semble

désormais intéressant et nécessaire d'examiner la réussite de Citigroup au cours de cette

décennie pour comprendre si la stratégie a été réellement efficace et si elle a réellement

bénéficié au groupe. La crise a durement affecté Citigroup qui a du être renflouée par le

gouvernement américain ce qui a conduit Citi à reformuler profondément sa stratégie, même à

l'international.

Page 79: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

73

Troisième Partie- Le paradoxe du modèle : une phase

d’expansion réussie suivie d’une tourmente conduisant à

refonder la stratégie

Après avoir examiné les déterminants qui ont caractérisé la stratégie de Citigroup, avec

comme ressort principal de ce modèle de banque universelle, il semble désormais pertinent

d’évaluer la réussite de cette stratégie et d’en faire un bilan. Cette évaluation permet de juger

de la réalité des avantages comparatifs de Citi à l’international. Elle permet également

d’apprécier la pertinence du modèle de supermarché financier tel que choisit par Citi durant la

décennie passée. Ce chapitre montrera l’échec de la banque à mettre en œuvre ce modèle et

évaluera le poids de la stratégie d’internationalisation dans cet échec. Si Citigroup a largement

fait de mauvais choix au plan national dans certains investissements, sa stratégie

internationale présente des réussites comme cela sera détaillé en s’appuyant sur des éléments

chiffrés ainsi que sur des éléments qualitatifs. La comparaison avec des groupes bancaires

américains et étrangers permettra de situer Citi par rapport à ses concurrentes. Il est ensuite

possible d’étudier la recomposition du modèle adopté par Citigroup et de tenter d’apporter des

éléments de mise en perspective des possibles évolutions de Citi en particulier et du secteur

bancaire en général. Ainsi nous verrons le changement de cap opéré et la difficulté de gérer ce

supermarché financier à l’échelle globale. Citi semble profondément remettre en cause son

modèle sans pour autant abandonner la banque universelle.

Page 80: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

74

Chapitre 1- Des résultats financiers contrastés, entre

efficacité internationale et débâcle liée à la crise

Section 1- Résultats liés à l'international

Citigroup a été très fortement impactée par la crise qui a commencé en 2007 et s’est étendue

jusqu’en 2009. 2008 et 2009 ont été marquées par de lourdes pertes et des provisions tout

aussi colossales conduisant le gouvernement américain à injecter plusieurs dizaines de

milliards dans le groupe. Loin d’être la seule banque américaine à être touchée par cette crise,

Citigroup a été un des groupes qui a connu les plus fortes pertes et elle ne doit son salut qu’à

l’intervention du gouvernement américain. Il convient donc d’analyser de Citi et d’établir des

comparaisons avec les concurrents américains (Bank of America et JP Morgan Chase) ainsi

que des concurrents locaux dans deux pays d’implantation (Mexique et Corée).

Bank of America et JP Morgan Chase forment avec Citigroup les trois plus grands groupes

bancaires américains au regard de la plupart des indicateurs, nombre de clients, taille des

dépôts, taille du bilan, actifs sous gestion... Ces trois banques représentent par ailleurs les trois

principaux réseaux de banque de détail aux Etats-Unis avec une présence dans la très grande

majorité des Etats, sur les deux cotes. Enfin ces trois groupes ont poursuivi une stratégie de

diversification et ont adopté le modèle de banque universelle que Citigroup a introduit en

premier. Ces éléments font de Bank of America et JP Morgan Chase des ensembles

intéressants de comparaison par rapport à Citi et permettent, dans une certaine mesure

d’évaluer la réussite de Citi.

A l’international, l’étude des filiales de Citi en Corée et au Mexique apporteront à nouveau un

éclairage de la réussite de la stratégie dans les pays d’implantation. La comparaison avec des

concurrents nationaux et des concurrents locaux permet de comprendre si Citi a su d’un coté

développer une stratégie internationale lui permettant de dépasser ses concurrentes en termes

de rentabilité et d’un autre coté si Citi a su surmonter les désavantages auxquelles elle

faisaient face par rapport aux concurrents locaux déjà bien établis sur leur marché national.

Les données qui servent à la démonstration sont extraites d'une part des rapports annuels et

autres documents d'information réglementés disponibles pour le grand public et d'autre part de

la base de données Bankscope qui agrège de nombreuses données sur des banques dans le

monde entier. Cette source constitue la principale source d'analyse de la réussite de Citi. La

largesse de cette base de données permet d'extraire des informations sur des banques locales,

en Corée et au Mexique. L'objet de ce mémoire n'est pas d'établir une étude quantitative

systématique de la rentabilité de Citigroup par rapport à ses concurrentes. Il s'agit de

Page 81: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

75

comparer un certain nombre d'indicateurs pour tenter de mettre en lumière des grandes

tendances et de juger de la réussite de Citi. La comparaison entre les différentes banques se

base sur plusieurs indicateurs qui peuvent être distingués en trois catégories. Tout d'abord les

indicateurs liés au bilan des banques qui permettent de comprendre leur rythme de croissance

avec l'évolution de la distribution de prêts à travers la croissance du poste « crédit » dans

l'actif des banques. Du coté du passif, la croissance des dépôts permet également de juger du

développement de la banque de détail et semble donc pertinent au regard de l'approche

développée dans ce mémoire. La croissance des dépôts dans les pays étrangers est un

indicateur de la capacité de Citigroup à s'imposer comme un acteur local d'importance. La

deuxième série d'indicateurs provient du compte de résultat des banques et permet de juger de

la capacité de la banque à accroitre son chiffre d'affaires, en fonction de deux composantes, le

chiffre d'affaires issu des intérêts perçus sur les fonds prêtés et le chiffre d'affaires gagné par

la facturation de services ou de commissions. Ces indicateurs mesurent également la capacité

de Citi à se développer à un rythme supérieur, inférieur ou égal à ses concurrentes.

La dernière catégorie d'indicateurs permet de tirer d'avantages de conclusion sur la réussite de

Citi puisqu’il s'agit de ratios financiers qui expriment une valeur en fonction d'une autre. Ces

ratios sont de deux types: des ratios exprimant la rentabilité, par exemple le retour sur actif ou

le taux de profit dans le chiffre d'affaires et des ratios jugeant du risque pris par les banques

pour construire leurs profits. Ces ratios expriment par exemple le pourcentage de créances

douteuses (« non-performing loans » ou encore « net charge off » dans la terminologie anglo-

saxonne). Dans le contexte de la banque et de la finance, il est nécessaire de prendre en

compte une mesure du risque pris par les banques pour se doter d'une base de comparaison

identique. La théorie financière a démontré qu’à chaque niveau de rentabilité correspond un

niveau de risque en raison de l’aversion des investisseurs pour le risque. Cette aversion

explique le fait que pour supporter un risque supérieur, les investisseurs exigent une meilleure

rentabilité pour rémunérer le risque encouru. La réciproque est également vraie, une meilleure

rentabilité ne peut être obtenue sans en payer le prix qui s’exprime en un niveau de risque.

Juger de l’efficacité d’une stratégie en s’appuyant sur des éléments financiers doit donc

inclure une évaluation du niveau de risque avec lequel le profit est réalisé. La crise des

subprimes a montré l’importance du contrôle des risques et l’influence de ces risques sur le

résultat des banques. En supposant la validité des théories financières liant le profit et le

risque, pour d’obtenir une rentabilité supérieure à la concurrence, la banque doit supporter un

risque plus élevé. Si le niveau de risque est comparable, mais que la rentabilité est meilleure,

alors il sera possible de conclure que la banque en question opère d’une manière plus efficace

que ses concurrentes.

Page 82: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

76

L’évaluation globale de l’exposition au risque des banques évoquées dans ce mémoire n’en

est pas l’objet. En effet, une étude approfondie nécessite de faire appel à un corpus théorique

sur les liens entre risque et rendement. Une analyse poussée devrait ainsi chercher à construire

un outil permettant de montrer la supériorité du couple rendement/risque de Citigroup par

rapport à la moyenne du secteur ou à certaines concurrentes. On pourrait par exemple réaliser

une courbe d'efficience associant pour chaque niveau de risque un niveau de rentabilité puis

examiner la position de Citigroup par rapport à cette courbe et ainsi évaluer sa capacité à

produire des résultats avec un niveau de risque moindre.

Cette étude apporterait une validation profonde à la réussite ou l'échec de la stratégie de

Citigroup au cours de la dernière décennie. Cependant elle est d'une envergure qui n'est pas

envisageable dans le cadre de ce mémoire. Par ailleurs, les données qui pourraient servir de

base à cette analyse pourraient être difficilement accessibles. Les données extraites de

Bankscope apportent un premier éclairage mais une approche approfondie nécessiterait des

sources plus fournies, par exemple avec des chiffres détaillés trimestriels voire même

mensuels. Les séries extraites de Bankscope sont soit directement extraites des comptes des

banques, soit construites par l'éditeur de la base de données à partir des informations

financières publiées. Les données extraites des comptes des banques proviennent du bilan et

du compte de résultat publiés en fin d'année, selon les normes comptables en vigueur dans les

pays de domiciliation des banques, à savoir les Etats-Unis, le Mexique et la Corée du Sud.

Chaque banque étant comparée à des concurrentes dans le même pays, la base comptable de

comparaison et le corpus réglementaire sont identiques. Ces données courent de 1999 à 2008,

avec parfois des interruptions notamment en Corée du Sud. Les ratios sont calculés

directement par l’éditeur de Bankscope et correspondent à des ratios classiques dont il existe

des définitions largement acceptées par les analystes financiers. Par ailleurs, ces ratios sont

également basés sur des données extraites des rapports annuels des banques. Aussi ces ratios

peuvent être considérés comme parfaitement fiables.

Le choix du Mexique et de la Corée du Sud a déjà été évoqué précédemment. A l’intérieur de

ces deux Etats, il a été nécessaire d’opérer un choix pour sélectionner les banques qui

serviront de comparaison avec Citigroup. Au Mexique, le choix s’est porté sur Banorte d’une

part et BBVA Bancomer d’autre part. Ces deux banques font partie des plus grandes banques

du pays, tout comme Banamex qui est le numéro deux du secteur. Ainsi l’environnement dans

lequel évoluent les trois banques est le plus proche possible. Elles font face à des contraintes

et des coûts très similaires et bénéficient d’économies d’échelle de même ordre. En Corée du

Sud, Shinhan Bank a été choisie pour être comparée à Citibank Korea. Toutes deux font partie

des plus importantes banques du pays, dans le top 10 mais pas dans le top 5. Par ailleurs, les

Page 83: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

77

données de Shinhan Bank sont présentes dans Bankscope, ce qui n’est pas le cas de certaines

banques coréennes. A nouveau, ce choix a été guidé par la volonté de comparer la filiale de

Citi à une concurrente proche en termes de taille et de pouvoir de marché. Ces mesures ne

sont certainement pas exemptes de biais. Cependant elles permettent de donner une mesure de

la réussite de Citi dans ces trois pays. Par souci de lisibilité, il est possible d’étudier chaque

pays plutôt que d’utiliser une comparaison par type d’indicateurs.

A. Etats-Unis

Les deux premiers graphiques ont été créés à partir des données du bilan de Citigroup, JP

Morgan et Bank of America entre 2000 et 2008. Ils présentent pour le graphique 1 la

croissance des dépôts et des sources de financement à court terme et pour le graphique 2 la

croissance des crédits distribués. Les données ont été calculées simplement en établissant la

différence entre l’année n et l’année n+1, divisée par la valeur de l’année n, calcul classique

d’un taux de croissance.

Croissance des dépôts

-40,0%

-20,0%

0,0%

20,0%

40,0%

60,0%

80,0%

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Année

BoA Citigroup JPMorgan

Graphique 1. Croissance des dépôts de Citigroup et de ses concurrentes américaines

Croissance des crédits

-40,0%

-20,0%

0,0%

20,0%

40,0%

60,0%

80,0%

100,0%

120,0%

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Année

BoA Citigroup JPMorgan

Graphique 2. Croissance des crédits de Citigroup et de ses concurrentes américaines

Les dépôts et les crédits donnent une indication de la capacité de la banque à se développer et

à croitre. La croissance des dépôts indique la capacité de la banque à collecter des fonds

auprès de sa clientèle et donc à gagner de nouveaux clients, ou à convaincre ses clients actuels

Page 84: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

78

de mettre plus d’argent sur ses comptes. La croissance des crédits quant à elle indique la

capacité de la banque à développer son activité commerciale puisque le prêt à la clientèle

constitue le cœur de métier de la banque, particulièrement en banque de détail. Ces deux

indicateurs ont peu de valeur en eux-mêmes puisque la croissance des dépôts et des crédits

peut être affectée par l’environnement économique qui peut entrainer une baisse du niveau

des fonds conservés en dépôt à vue ou réduire la demande pour le crédit. Cependant la

comparaison entre plusieurs banques évoluant dans le même environnement et soumises aux

mêmes tendances permet de donner du sens à ces indicateurs.

La lecture des graphiques 1 et 2 apporte peu d’indication quant à la supériorité de la stratégie

de Citigroup. La croissance des dépôts n’indique pas de tendance claire sur les huit années

prises en compte. Citi croit légèrement plus rapidement que ses deux concurrentes au début de

la décennie mais sans une franche tendance. Les graphiques 3 et 4 permettent de voir le

niveau relatif des dépôts et des crédits dans les trois banques. L’année 1999 représente la base

100 pour les trois banques et les années suivantes sont exprimées en fonction de ce niveau.

Evolution des crédits (indice 100 en 1999)

0

50

100

150

200

250

300

350

400

450

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

JPM organ

BoA

Cit igroup

Evolution des dépôts (base 100 en 1999)

0,0

50,0

100,0

150,0

200,0

250,0

300,0

350,0

400,0

450,0

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

BoA

Citigroup

JPMorgan

Graphiques 3 et 4. Evolution des crédits et des dépôts (base 100 en 1999).

A nouveau, il est difficile d’établir une supériorité de Citi dans son expansion. Citigroup est

clairement au-dessus de Bank of America mais la comparaison avec JP Morgan est moins

tranchée. Par ailleurs, la comparaison avec JP Morgan comporte un biais, puisque le

rapprochement de JP Morgan et de Chase Manhattan a lieu en 2004, ce qui explique

l’évolution important des dépôts et crédits. Le même phénomène se produit en 2008, année

durant laquelle JP Morgan a racheté la plupart des activités de Washington Mutual, plus

grande faillite bancaire de l’histoire. Enfin, on peut noter la forte baisse des activités de Citi

en 2008 qui finit derrière ces deux concurrentes pour la croissance des crédits comme des

dépôts. Cet élément est une première indication de la façon prononcée dont la crise financière

a touché Citi. Aucun avantage pour Citi n'apparait à l'étude de l'évolution de deux points clés

du bilan d'une banque, les dépôts et les crédits. Ces deux éléments indiquent la capacité de la

banque à se développer, ils ne présentent pas la rentabilité de la banque. Ils sont donc un

indicateur partiel de réussite.

Page 85: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

79

En effet, si la banque croit rapidement, cela peut se faire au détriment de la rentabilité ou du

niveau de risque pris. Les graphiques suivants 5 et 6 montrent la difficulté de Citigroup à se

développer par rapport à Bank of America et JP Morgan. Ces deux graphiques montrent

l'évolution des revenus d'intérêt et des autres revenus (principalement revenus de frais) avec

une base 100 en 2000.

Evolution des revenus d'intérêt (base 100 en 2001)

0,0

100,0

200,0

300,0

400,0

500,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Evolution des autres revenus (base 100 en 2001)

0,0

100,0

200,0

300,0

400,0

500,0

600,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Graphiques 5 et 6. Evolution des revenus (base 100 en 2001)

Si Citi groupe présente la meilleure croissance sur le début de la période concernant les

revenus de taux d'intérêt (différence entre les intérêts perçus et les intérêts payés), la tendance

s'inverse en 2003 tandis que Citi est tout au long de la période moins capable que ses

concurrentes de faire croitre ses revenus autres que ceux liés aux taux d'intérêts. L'écart sur le

graphique 6 ne fait que s'élargir entre 2001 et 2008. Ces deux graphiques confirment la

tendance observée sur les deux graphiques précédentes: Citi a eu des difficultés à accroitre ses

activités d'un point de vue global. Cependant le graphique 7 qui exprime l'évolution des

profits des banques (base 100 en 1999) montre que jusqu’en 2005, les profits de Citi ont

évolué mieux que ceux des concurrentes (JP Morgan reste très proche de Citi). 2005 est

marquée par une forte dégradation des profits de Citi qui s'effondrent bien en-dessous des

niveaux de Bank of America et JP Morgan.

Evolution des profits nets (base 100 en 2001)

0,0

500,0

1000,0

1500,0

2000,0

2500,0

3000,0

3500,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Graphique 7. Evolution des profits (base en 2001)

Page 86: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

80

La supériorité des profits de Citigroup apparaît également dans ses ratios de rentabilité, ce qui

confirme une certaine supériorité de Citi pour produire des résultats. La croissance de

l'activité de Citi est certes plus faible que celle de la concurrence, mais Citi réussit à être plus

rentable que ses deux rivales. Les graphiques 8 et 9 montrent l'évolution de deux ratios. Sur le

graphique 8 est représentée la marge nette d'intérêt. Elle est calculée en à partir du revenu

d'intérêt divisé par les actifs rapportant un taux d'intérêt (pour simplifier, les crédits à la

clientèle). La marge nette d'intérêt montre que Citigroup fait mieux que les deux autres

banques sur la majorité des années considérées, même en 2007 et 2008, années de crise.

Le graphique 9 présente le Return On Average Assets (ROAA), le retour sur l'actif moyen.

C'est une mesure des profits nets sur l'actif moyen de l'année. Il ne considère pas seulement le

résultat lié aux intérêts gagnés et payés mais sur l'ensemble du profit de la banque et sur

l'ensemble de son actif. Le résultat est plus nuancé. Néanmoins Citi reste dominante sur

plusieurs années, au coude à coude avec Bank of America.

Marge d'intérêt nette

0,00

1,00

2,00

3,00

4,00

5,00

6,00

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

BoA Citi JPMorgan

Retour sur l'Actif Total Moyen

-2,00

-1,50

-1,00

-0,50

0,00

0,50

1,00

1,50

2,00

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

BoA Citi JPMorgan

Graphiques 8 et 9. Evolution des ratios de rentabilités

Citigroup semble donc en mesure de mieux utiliser sa clientèle, ses produits pour dégager des

profits. On peut supposer que d'un coté, elle sait mieux maitriser ses coûts et d'un autre coté,

qu'elle a la capacité de dégager plus de résultat par client ce qui semble valider, au niveau

global une supériorité de la stratégie de Citi en termes de rendement. Néanmoins on observe

qu'à partir de 2006, les résultats de Citigroup s'effondrent, comme il sera détaillé plus loin.

Enfin, on peut noter que si JP Morgan était la meilleure en termes de croissance du bilan, on

observe que sa rentabilité est la moins bonne des trois banques étudiées. On peut émettre

l'hypothèse que Citigroup a privilégié la rentabilité à la croissance de son activité. Il faut

cependant prendre en compte le risque supporté par les activités de la banque pour mesurer la

rentabilité sur le même niveau.

Page 87: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

81

Ratio Impaired Loans / Gross Loans

0,00

1,00

2,00

3,00

4,00

5,00

6,00

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

BoA Citi JPMorgan

Graphique 10. Evolution du ratio de créances douteuses sur le total des créances accordées à

la clientèle

Le graphique 10 indique le rapport entre les créances douteuses et la valeur brute des crédits

émis par la banque. Ainsi il exprime le pourcentage de mauvaises créances dans le total des

créances au bilan de la banque. Une banque qui voit cet indicateur augmenter peut être

considérée comme réalisant des activités plus risquées. On constate que Citigroup est sur

toutes les années étudiées la banque la plus risquée au regard de ce ratio. En 2008, ce ratio de

risque explose et devient deux fois plus élevé que celui de Bank of America. Aussi si

Citigroup est plus rentable que ses deux rivales, elle réalise cette rentabilité en assumant des

risques plus élevés ce qui vient mitiger la supériorité de Citi au niveau de la rentabilité.

La stratégie de Citigroup ne semble pas lui avoir donné une avance significative sur ses deux

concurrentes américaines. Dans une première période, Citi a dépassé les deux autres banques,

mais les dernières années montrent un effondrement du résultat et un bond dans le niveau de

risque. Ces difficultés ne sont néanmoins pas liées directement à la stratégie internationale de

Citigroup mais à ses activités aux Etats-Unis essentiellement, comme cela sera évoqué plus

loin.

Le dernier graphique de cette section exprime le ratio de rendement (ROAA) en fonction du

ratio de risque (Impaired Loans / Gross Loans). Il donne une estimation du rendement par

niveau de risque. Le meilleur couple rendement / risque possible devrait se trouver proche de

zéro sur l’axe des abscisses et s’éloigner le plus possible en positif de zéro sur l’axe des

ordonnées. On constate que les relevés concernant Citi sont majoritairement situés vers le

haut des ordonnées. Cependant, par rapport à JP Morgan et surtout Bank of America, ils sont

plus éloignés du zéro des abscisses semblant ainsi montrer que le couple rendement / risque

de Citigroup est sensiblement moins bon que celui de la concurrence, sans pour autant

indiquer une tendance très nette. Si l’on se place par exemple à un ROAA de 1.5%, Bank of

America atteint ce rendement plusieurs années avec un taux de créances douteuses inférieur à

Page 88: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

82

1% tandis que pour des valeurs légèrement inférieur à 1.5% de ROAA, Citi est aux alentours

de 2% de créances douteuses. Si la mesure reste imprécise et nécessiterait une étude très

approfondie des comptes de chacun des trois banques, ces éléments chiffrés donnent une idée

assez intéressante de la situation des différents acteurs.

-2,00

-1,50

-1,00

-0,50

0,00

0,50

1,00

1,50

2,00

0,00 1,00 2,00 3,00 4,00 5,00 6,00

Citi JP Morgan Bank of America

Graphique 11. Rendement en fonction du niveau de risque

B. Mexique

Une analyse similaire à celle effectuée au niveau global peut être menée au niveau de

Banamex avec une analyse d'abord des deux postes du bilan, dépôts et crédits, du compte de

résultat et enfin des ratios de rentabilité et de risque.

Evolution des crédits (base 100 en 2001)

0,0

50,0

100,0

150,0

200,0

250,0

300,0

350,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Evolution des dépôts (base 100 en 2001)

0,0

50,0

100,0

150,0

200,0

250,0

300,0

350,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banque Banamex Banque Bancomer Banque Banorte

Graphiques 12 et 13. Evolution des crédits et des dépôts de Banamex et de ses concurrentes

mexicaines (base 100 en 2001)

Les deux indices déjà présentés dans le cas de la comparaison sur le marché américain et

repris ici dans le cas mexicain sur les graphiques 12 et 13 n'indiquent pas de tendance de

croissance favorable à Banamex, et donc à Citigroup. Banamex arrive en troisième position

sur toute la période pour les deux indicateurs. On peut noter que Banorte est la banque

mexicaine étudiée qui connait la croissance la plus fulgurante, alors que c'est la seule des trois

qui n'est pas détenue par un groupe étranger.

Page 89: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

83

Evolution des revenus d'intérêt (base 100 en 2001)

0,0

100,0

200,0

300,0

400,0

500,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Evolution des autres revenus (base 100 en 2001)

0,0

100,0

200,0

300,0

400,0

500,0

600,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Graphiques 14 et 15. Evolution des revenus (base 100 en 2001)

Au niveau des revenus, on observe un phénomène inverse pour la filiale de Citi à celui

observé au niveau global. Elle est moins performante pour dégager des revenus issus de taux

d'intérêt mais présente une performance légèrement meilleure pour ce qui concerne le revenue

issus de frais facturés aux clients. Au nouveau, comme au niveau global on observe que le

début de la période est meilleur pour la filiale de Citi, l'écart avec la concurrence se creusant

graduellement.

Evolution des profits nets (base 100 en 2001)

0,0

500,0

1000,0

1500,0

2000,0

2500,0

3000,0

3500,0

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Graphique 16. Evolution des profits

On constate qu'après le rachat de Banamex par Citi et donc la fusion de Citibank Mexico et

Banamex, les profits de Banamex ont progressé de façon plus rapide que ceux des deux

concurrentes, Banorte et Bancomer. Mais à nouveau, 2007 et 2008 sont marquées par un

effondrement des profits, baisse également notable pour Bancomer détenue par l'espagnole

BBVA tandis que Banorte semble se maintenir plutôt bien. Si cela n'est pas le sujet de ce

mémoire, il semblerait intéressant d'étudier plus en détail la performance des banques

mexicaines locales et celles détenues par des groupes étrangers.

Page 90: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

84

Retour sur l'Actif Total Moyen (ROAA)

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

4

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Marge d'Intérêt Nette

02468

1012

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Graphique 17 et 18. Ratios de rentabilité

Les graphiques 17 et 18 ne montrent qu'une supériorité relative de Banamex en termes de

rendement. Banamex apparaît en avance sur Banorte et Bancomer pour ce qui est de la marge

nette d'intérêt. Cependant cette marge était déjà supérieure à celle de la concurrence avant

2001, année du rachat de Banamex par Citi. Il semble donc difficile de tirer une conclusion

quant à la réussite de la stratégie de Citi au Mexique. Le retour sur l'actif moyen apparaît très

volatil sans tendance claire. Banamex passe de numéro en termes de ROAA à numéro 3 d'une

année à l'autre.

Ratio Impaired Loans / Gross Loan

0,00

1,00

2,00

3,00

4,00

5,00

6,00

7,00

2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Banamex Bancomer Banorte

Graphique 19. Evolution du ratio de créances douteuses sur le total des créances accordées à

la clientèle

Enfin, le graphique 19 montrant le ratio « risque » exprime que le niveau de risque de

Banamex est supérieur à celui de ses rivales. Ainsi l'ensemble des indicateurs considérés dans

cette étude ne démontre pas une supériorité notable de Banamex. Si certains éléments

semblaient donner l'avantage à Citi au niveau global, au moins sur le début de la période, dans

le cas de Banamex peu d'éléments permettent de conclure que la stratégie de Citigroup a

produit des résultats supérieurs à ceux de la concurrence. La rentabilité ne montre pas de

tendance supérieure et le risque pris dans la distribution de crédits est plus élevée.

C. Corée

La Corée présente l'intérêt d'être un pays asiatique, zone où Citigroup a effectué de

Page 91: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

85

nombreuses opérations de croissance interne et externe. Par ailleurs, la Corée est une des

implantations en banque de détail les plus anciennes de Citigroup. Enfin c'est un des rares

Etats où Citi publie les données de sa filiale de façon suffisamment détaillée pour être

exploitées, ce qui est très rare la plupart des données des filiales étant directement intégrées au

bilan global et indisponible pays par pays.

Cependant, les données extraites de Bankscope présentent des manques, certainement dus aux

exigences de publication financière des régulateurs coréens puisque ces manques se

retrouvent dans le cas de Citibank Korea comme dans le cas de Shinhan Bank, la banque de

comparaison. Les éléments extraits permettent tout de même de tirer certaines conclusions.

Les mêmes éléments utilisés précédemment seront utilisés pour obtenir la même vision

d'ensemble.

Evolutions des crédits (base 100 en 1993)

0

200

400

600

800

1000

1200

1400

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Evolution des dépôts (base 100 en 1993)

0100200300400500600700800900

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Graphiques 20 et 21. Evolution des crédits et des dépôts de Citibank Korea et Shinhan Bank

(base 100 en 2001)

Les crédits et les dépôts apportent une approche différente du cas américain ou mexicain.

Citibank Korea s'est réellement développé plus rapidement que sa concurrente. La

comparaison avec un seul acteur du secteur limite la possibilité de généraliser le résultat. Mais

le résultat apparaît différent des autres marchés étudiés. Shinhan a été choisi car elle semble

être la banque coréenne la plus proche de Citigroup. Citibank Korea est numéro huit du

secteur, Shinhan numéro 5. Par ailleurs les données de Shinhan sont les plus accessibles, avec

une information fournie en langue anglaise. La comparaison donne une indication à défaut de

donner une vision exhaustive du marché bancaire en Corée du Sud.

Evolution autres revenus (base 100 en 1993)

0,00

200,00

400,00

600,00

800,00

1 000,00

1 200,00

1 400,00

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Evolution revenus intérêt (base 100 en 1993)

0,00200,00400,00600,00800,00

1 000,001 200,001 400,001 600,001 800,00

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Page 92: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

86

Graphiques 22 et 23. Evolution des revenus (base 100 en 2001)

L'évolution des revenus montre la même tendance qu'observée au niveau du bilan. Les

revenus de Citibank Korea s'envolent par rapport à ceux de Shinhan.

Evolution profits (base 100 en 1993)

-3 000,00

-2 000,00

-1 000,00

0,00

1 000,00

2 000,00

3 000,00

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Graphique 24. Evolution des profits

Du coté des profits, l'évolution est similaire mais l'écart entre CitiKorea et Shinhan est moins

net, notamment sur les dernières années de la période étudiée, de 2006 à 2008. Le

développement de Citi en Corée du Sud semble donc très fort mais il se traduit plus

difficilement en termes de résultats.

Marge d'Intérêt Nette

0,000,50

1,001,502,00

2,503,00

3,504,00

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Retour sur l'Actif Total Moyen

-5

-4

-3

-2

-1

0

1

2

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

CitiKorea Shinhan

Graphique 25 et 26. Ratios de rentabilité

Les indicateurs de rentabilité sont difficilement interprétables en raison de leur forte volatilité.

Shinhan semble avoir une meilleure marge nette d'intérêt même si la courbe a des évolutions

rapides et contrastées. Le ROAA montre la même tendance. Citibank Korea a une moyenne

meilleure sur l'ensemble de la période car le ROAA de Shinhan descend très bas pour ensuite

remonter un peu plus haut que Citibank. La rentabilité de Citibank en Corée n'apparait pas

clairement meilleure.

Les indicateurs utilisés précédemment pour mesure le niveau de risque ne sont pas

significatifs en Corée du Sud. En effet Bankscope ne présente le ratio impaired loans / gross

loans que depuis 2006. Avec seulement trois années de données, il semble difficile de pouvoir

Page 93: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

87

mener une analyse sérieuse. Sur ces trois années, Citibank Korea ressort avec un meilleur

ratio de créances douteuses que Shinhan.

Au regard de l’ensemble des indicateurs considérés sur les différents marchés étudiés, il ne

semble pas exister de tendance claire démontrant la supériorité de la stratégie de Citigroup.

On observe qu’au début de la période, Citi a pu prendre une certaine avance sur ses

concurrents directs comme Bank of America et JP Morgan. Néanmoins les graphiques

suggèrent que le risque supporté par Citi dans les activités de crédit est également supérieur à

celui de la concurrence. Ainsi le résultat purement financier de Citigroup entre 2000 et 2008

semble plutôt mitigé. A cet égard, les mesures de risque apparaissent intéressantes puisqu’il

semble que Citigroup ait évolué à un niveau plus élevé sans pour autant dégager des résultats

supérieurs.

L’étude des données financières de Citigroup ne semble pas démontrer de supériorité réelle de

Citigroup par rapport à la concurrence. Néanmoins Citi est restée tout au long de la décennie

un groupe parfaitement rentable et dont rien n’est venu perturber le développement

international. L’analyse financière des résultats est un des outils d’appréciation de la réussite

de Citigroup et certainement le plus facilement mesurable. Pourtant Citi a continué à s’étendre

au fil des années et à être profitable sur des marchés de banque de détail qu’il est difficile de

pénétrer pour une banque étrangère. Il convient donc de nuancer la réussite de Citi. Les

avantages que Citi possède sont certains. Comme il a été évoqué dans la première partie, les

banques étrangères font face à un surcoût et à des désavantages importants lors de l’entrée sur

un marché étranger. Si Citi ne semble pas se démarquer de façon notable de la concurrence,

elle reste tout à fait performante. Les avantages qu’elle possède pour son internationalisation

semblent donc réels puisqu’elle s’est développée sans connaitre d’échec à l’international.

Aucune sortie de marchés difficiles n’est intervenue jusqu’à la crise des « subprimes ». Par

ailleurs on observe un certain bénéfice de « first-mover » puisque Citi a été plus performante

que ses rivales au tout début de la période, avant d’être rattrapée et même dépassée.

Sous contrainte de l’environnement concurrentiel et réglementaire, la stratégie du

supermarché financier peut être décrite comme une stratégie gagnante. Néanmoins, elle est

une stratégie parmi d’autres pour réaliser un développement international et ne semble pas

produire de résultats nettement supérieurs. On peut également supposer que le statut de

« first-mover » de Citi lui a certes donné des avantages, mais cela peut être un désavantage en

raison de l’inexpérience des banques dans la conduite de ce modèle organisationnel. Ainsi,

dans cette hypothèse les banques qui ont adopté le one-stop shop à la suite de Citi ont pu

apprendre des erreurs de cette dernière. Ces banques suiveuses ont perfectionné le modèle ce

Page 94: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

88

qui leur a permis d’être plus performantes.

Section 2- L’échec relatif de Citigroup

Si les avantages que la banque sont certains puisqu’elle a réussi à être rentable dans des pays

étrangers, la crise a révélé un certain nombre de difficultés pour le groupe qui ont conduit à

une reformulation de la stratégie et à de profonds changements dans le banque.

A. La crise des subprimes

Dès le début de la crise en 2007, Citigroup s’est trouvée au cœur des problèmes liés aux

« subprimes » et autres produits de titrisation dont les risques ont été mal appréhendés. En

avril 2007, Citi prenait une première mesure en annonçant la suppression de 17,000 postes

soit 5% de son effectif global. Quelques mois plus tard, ce chiffre a été doublé pour porter la

diminution de la force de travail de Citi à 10% de l’effectif total. Alors que les conditions de

marché se détérioraient, les équipes de la banque d’investissement de Citi ont continué à

réviser leurs estimations sur la valeur de certains actifs dans le bilan de la banque. Ces

dépréciations ont considérablement mis Citi dans le rouge. Les graphiques présentés dans la

partie précédentes ont montré cette large baisse des profits de Citi. JP Morgan et Bank of

America ont aussi été très touchées, mais dans une mesure moindre que Citi.

Face à ces pertes, Citi comme ses concurrentes se sont retrouvées dans une situation de faillite

virtuelle puisque les pertes ont intégralement consommé les capitaux propres de la banque. En

effet, lorsque l’actif perd de sa valeur, le passif de la banque doit être réduit d’autant pour

conserver l’équilibre du bilan et donner une valeur fidèle de la firme. Or les pertes sur les

instruments de crédit, essentiellement des CDO (« Collateralized Debt Obligations ») ont été

tellement importantes qu’elles sont devenues supérieures aux fonds propres de la banque.

Quand les fonds propres de la banque deviennent nuls ou même négatifs, elle est en faillite

virtuelle qui peut rapidement se transformer en faillite réelle si les déposants perdent

confiance dans la banque et retirent soudainement leurs avoirs. Le gouvernement américain

est alors intervenu pour injecter des fonds et maintenir la confiance dans les banques, dont

Citigroup qui fut l’une des banques nécessitant le plus de capitaux à la fois en raison de

l’ampleur de ses pertes et en raison de sa taille colossale.

Les activités qui ont mis en péril la banque sont communes à toutes les banques ayant connu

des difficultés au cours de la crise. Il s’agit de produits de titrisation et autres produits dérivés

basés sur des crédits hypothécaires en faveur d’une clientèle à la solvabilité très fragile. Ces

emprunteurs sont désignés aux Etats-Unis par l’appellation « subprimes », c’est-à-dire dans

une catégorie moins bonne que celle des meilleurs emprunteurs dénommés eux « primes ». La

Page 95: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

89

revente et la transformation de ces crédit hypothécaires a produit une dissémination des

risques sans conduire à leur réduction. Si certains acteurs ont plutôt bien su gérer leurs

expositions et tirer leur épingle du jeu, d’autres comme Citigroup ont été durement touchés.

B. Les raisons de cet échec

L’ampleur des pertes de Citi semble être liée à plusieurs facteurs, qui ont peu à voir avec

l’expansion internationale de la banque mais qui en revanche ont été très liées à la

diversification du groupe, à la constitution d'un conglomérat ainsi qu'à la maitrise des risques.

En effet si la diversification des activités permet dans la théorie financière de réduire les

risques tout en maintenant le même niveau de rentabilité, cette diversification doit être

réalisée sous certaines contraintes et n'est valable que dans une certaine limite. Les activités

de Citigroup ont atteint une telle diversité, tant en termes d'activités qu'en termes

géographiques qu'on peut s'interroger sur la capacité à être diversifié efficacement.

1. La mauvaise intégration des activités

Si l'on se place dans la théorie financière, un investissement, ou dans le cas présent une firme

est intéressant s'il offre un couple rendement / risque supérieur à celui d'un portefeuille de

référence, le « marché » qui regroupe en théorie l'ensemble des actifs qu'il est possible de

détenir. L'objectif de l'investisseur est de « battre le marché » et de réaliser un meilleur

rendement. En se plaçant uniquement sur le marché des produits financiers, une firme telle

que Citigroup qui est présente sur un grand nombre de marchés tellement important se

rapproche d'une certaine manière de ce portefeuille qui rassemble l'ensemble des activités

possibles dans le secteur financier. Ce portefeuille est le plus diversifié possible puisqu’il

rassemble, théoriquement l'ensemble des activités possibles en matière financière. En s'en

rapprochant, Citi perd tout bénéfice de rendement supérieur. Néanmoins si un investisseur

peut prendre des positions dans des firmes opérant séparément et ainsi assembler ce

portefeuille supposé efficient, il peut le faire à moindre coût. La constitution du conglomérat a

des coûts comme le montre la décennie passée de Citigroup. Les coûts de fonctionnement du

marché sont internalisés par l'entreprise et sont transformés d'une certaine manière en coût

d'agence, de coordination et de fonctionnement du groupe.

Dans le cas de Citigroup, on note une grande difficulté à mettre en œuvre l'intégration des

activités au sein d'un groupe unifié. Il s'agit d'une part de raisons propres au groupe et d'autre

part d'une vision stratégique partiellement démentie par la réalité empirique. Dès 2002,

Citigroup se sépare d'une partie des activités de l'ancien Travelers Group. Seulement deux ans

après la fusion, les dirigeants de l'ensemble estiment que les synergies prévues entre les

activités d'assurance et les activités bancaires traditionnelles ne sont pas au rendez-vous. Cette

décision rapide indique la grande déception qu'a apportée le modèle de supermarché financier

Page 96: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

90

et la nécessité d'une réaction rapide. L'ensemble du réseau de brokers et distributeurs de

produits d'assurance est abandonné par Citi et Travelers Group se reforme, cette fois

uniquement dans les activités d'assurance. L'alliance entre banque et assurance qui fondait la

stratégie de Citi est compromise. Néanmoins Citi continue à distribuer des produits

d'assurance dans son réseau bancaire puisque les activités mises en vente concernent plus

particulièrement l'assurance sur les établissements commerciaux qui étaient moins

directement au cœur de la stratégie de banque de détail du groupe.

Cette première cession est le témoin d’une problématique récurrente au sein de Citi, à savoir

le manque d’intégration entre les différentes entités. Le modèle du supermarché financier est

basé sur le cross-selling, comme moyen de proposer l’ensemble du spectre de produits

financiers sous un même toit et comme moyen de réaliser des économies. Les équipes

dirigeantes de Citi n’ont pas su gérer les rachats successifs. Chaque entité a continué à

fonctionner en autonomie avec une absence de construction d’une culture commune. De

nombreuses études ont montré la difficulté de faire émerger une culture commune lorsque

deux groupes fusionnent.

Dans le cas de Citigroup, on aurait pu penser à une intégration plus aisée car la fusion entre

Citibank et Travelers Group a été une fusion d’égal à égal, sans qu’un des deux groupes ne

prennent le dessus sur l’autre et donc sans stigmatisation d’une firme gagnante et d’une firme

perdante. Pourtant les filiales continuent d’opérer sans coordination avec leurs consœurs.

L’ensemble Citigroup a échoué à former un réel groupe où toutes les entités seraient

connectées et travailleraient ensemble alors que ce travail en commun apparaissait essentiel

pour la réussite de la stratégie décidée. En effet, le supermarché financier induit que les

différentes entités qui proposent des produits bien distincts s’associent pour que leur offre soit

combinée sous un même toit. Les systèmes informatiques ont été intégrés tardivement, voire

pas intégrés, empêchant ainsi le groupe de proposer une offre cohérente dans ses agences

« full-banking », ses supermarchés financiers. Finalement si le groupe s'est doté de l'ensemble

des activités financières, l'offre au client a été difficile à matérialiser en raison du défaut

d'intégration.

L’accueil très favorable que les investisseurs avaient réservé à la fusion Citibank-Travelers

s’est rapidement envolé. Le discount que les investisseurs attribuent généralement aux

conglomérats, comme il a été évoqué plus haut a été appliqué à Citigroup et ainsi des doutes

se font jour quant à la capacité de la banque à mettre en œuvre une stratégie efficiente. Ces

dysfonctionnements ont empêché Citi de tirer tous les bénéfices du modèle adopté et ont en

partie contribué au revirement stratégique opéré au cours de la crise des subprimes.

Bien que les résultats graphiques évoqués précédemment semblent pointer vers cette difficulté

de produire des bons résultats, les évènements de la crise ont été le facteur déclencheur de la

Page 97: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

91

recomposition du groupe. Si des analystes doutaient déjà du modèle de Citigroup, la crise a

été un catalyseur. L’ampleur des pertes s’est faite le révélateur du mauvais fonctionnement du

groupe.

2. Le défaut de maitrise des risques

Un deuxième élément qui a conduit à la chute de Citigroup est le défaut de maitrise du risque

pris par les activités de la banque. Les indicateurs graphiques analysés précédemment ont

montré que les ratios de risque de Citi étaient sensiblement plus élevés que ceux de la

concurrence. Ces indicateurs montrent une tendance au sein de Citigroup à prendre des

risques, plus que la concurrence. Citigroup possédait dans son bilan plusieurs milliards de

produits dérivés de crédit dont les risques sous-jacents avaient été largement sous-estimés.

Comme toutes les banques américaines, Citigroup a participé largement à ce vaste et juteux

marché de produits de titrisation. Cependant les fortunes des banques ont été bien diverses.

Goldman Sachs a notamment très réussi à gérer ses expositions et ainsi cette banque a

beaucoup moins souffert que Citi durant cette crise.

Ce niveau de risque et son défaut de maitrise peuvent être expliqués de différentes manières.

Il est certainement possible d'attribuer cela aux rachats successifs et à leur mauvaise

intégration. Ainsi une culture propre au groupe a pu difficilement émerger. Des équipes

récemment intégrés, des entités encore peu interconnectées ont pu ne pas saisir tous les enjeux

des produits qu'elles ont montés. La stratégie de Citigroup aux Etats-Unis a été fortement

orientée sur les emprunteurs moins solvables mais beaucoup plus rentables pour la banque.

Ces emprunteurs ayant un profil de risque bien plus élevé, les taux d'intérêts et autres frais qui

leur sont appliqués sont plus élevés et rapportent donc plus de profits à la banque. Citi a

développé aux Etats-Unis un réseau d'agences dédié à ces emprunteurs et distincts du réseau

classique. Cette clientèle très rentable était devenue, avant la crise le nouveau terrain de

chasse des banques américaines et Citi s'est montrée particulièrement déterminée à capter ces

clients. Les crédits issus de ces activités ont ensuite été transformés en produits

d'investissement, par l'intermédiaire de montages complexes de titrisation, faisant appel

notamment à des CDO. Si ces CDO ont ensuite été proposés à des investisseurs extérieurs,

Citi a, comme souvent dans ce type de montage, gardé les tranches les plus risquées. Par

ailleurs, après les premières pertes sur ces portefeuilles de crédit, les investisseurs ont souvent

exigé de la banque à l'origine des montages de leur racheter les titres risqués. Ainsi Citi a vu

le montant de ses actifs proches du défaut augmenter fortement. Au vu des pertes durant la

crise, Citigroup a effectué un revirement stratégique majeur qui la fera sortir de ces activités

trop risquées dans lesquelles elle n'a pas su être profitable. Il s'agit de réduire le profil de

risque et de se recentrer sur des activités rentables mais moins risquées, comme il sera détaillé

Page 98: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

92

dans le chapitre deux.

3. Le mythe du supermarché financier

Enfin un dernier élément que certains analystes ont mis en avant pour expliquer l'échec de

Citigroup est que le supermarché financier est un concept qui ne peut marcher en raison de

postulats de départ erronés. Citigroup souhaitait éviter à ses clients de devoir aller d'institution

en institution pour réaliser l'ensemble de leurs opérations bancaires et financières. Sous un

même toit, le client devait pouvoir effectuer toutes ses opérations et ainsi économiser de

nombreux coûts (coût de recherche, coût d'entrée dans une nouvelle relation avec un acteur

financier...). Les supermarchés avaient en leur temps permis aux consommateurs de se passer

des arrêts chez les différents commerçants pour réaliser toutes leurs courses sous un même

toit. La nature des produits financiers est cependant différente des produits physiques.

L'internet a rendu la comparaison entre les offres beaucoup plus faciles, le client peut

rapidement obtenir l'offre qui lui convient le mieux, au meilleur prix.

Ensuite la réduction des coûts qui était censée naitre du supermarché financier n'est pas

évidente. La taille du groupe a certainement conduit à des déséconomies d'échelle qui

renchérissent le prix des services offerts. Si ce surcoût n'est pas répercuté aux clients, il

diminue les marges de la banque, ce qui semble confirmé par les éléments financiers analysés

avec une rentabilité moindre. Ces déséconomies semblent renforcées par la mauvaise

intégration des différentes entités du groupe. Les synergies envisagées n'ont jamais été

réalisées, comme en témoignent les résultats trimestriels des dix années de vie de Citi qui

n'ont jamais convaincu les investisseurs et les marchés.

Par ailleurs l'hypothèse qui postule qu'en rassemblant sous un même toit toutes les activités

financières on obtient un coût plus faible pour ces produits apparaît difficilement vérifiable

empiriquement. En effet, un coût moindre pour un produit bancaire signifie que la banque

peut facturer moins pour un même niveau de risque que ses concurrentes. On peut alors

s'interroger en quoi le modèle du supermarché financier permet à la banque de mieux évaluer

le risque et donner un prix à ce risque meilleur que la concurrence. On pourrait supposer qu'en

développant une relation globale avec le client, en lui répondant à l'ensemble de ses besoins

en matière bancaire, la banque obtient une meilleure connaissance de son client, réduit donc

l'incertitude dans la relation bancaire et pourrait ainsi mieux estimer le risque du client. Cette

meilleure connaissance du client pourrait permettre de donner un meilleur prix au risque.

Pourtant Citi ne semble pas avoir été en mesure de contrôler ses risques mieux que la

concurrence, au vu de l'ampleur des pertes sur les subprimes. La mauvaise intégration des

activités a certainement également induit une mauvaise circulation de l'information ce qui a

empêché de bénéficier de cette connaissance plus poussée des clients.

Page 99: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

93

L'échec de Citigroup a été assez marqué et a conduit à une profonde réorganisation du groupe.

Cet échec semble peu lié aux activités internationales de Citi puisque l'essentiel des pertes

s'est concentré dans les activités américaines liées à des prêts hypothécaires sur une clientèle

très risquée. Les dix années d'existence de Citigroup n'ont jamais produit les bénéfices espérés

de la fusion, même si l'expansion internationale de la banque peut être considérée comme une

réussite en soi. En effet, avant Citigroup, aucune banque n'avait réussi à devenir aussi

internationale et notamment dans les activités de détail. Le changement de stratégie qui sera

détaille dans le chapitre 2 ne concerne les activités internationales qu'à la marge, ce qui

témoigne de la satisfaction qu'apportent les marchés étrangers.

L'échec de Citigroup est lié à la fois à une mauvaise appréhension des bénéfices possibles du

modèle stratégique adopté et à une mauvaise mise en œuvre de ce modèle. Depuis 2008, les

dirigeants du groupe ont pris une nouvelle direction stratégique avec des changements en

profondeur.

Page 100: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

94

Chapitre 2- Face au constat de l'échec, recomposition profonde et

recherche d'un nouveau modèle international

Dès le début de la crise, les dirigeants de Citigroup ont fait le constat de l’échec de leur

modèle ce qui les a conduit à prendre un nouveau cap stratégique. Cette nouvelle direction

s’est accélérée avec l’entrée du gouvernement américain au capital du groupe. Citi semble

avoir dans un premier temps navigué à vue pour faire face à l’urgence de la situation et éviter

une faillite. Progressivement une nouvelle stratégie semble se dessiner pour guider la banque

dans la prochaine période. Cependant le modèle de supermarché financier n’a pas été

totalement abandonné. Il a d’ailleurs été largement utilisé par d’autres banques partout dans le

monde, avec des succès divers. Le modèle de banque universelle a été par exemple adopté en

Europe, avec des adaptations. Enfin la stratégie de Citi est au cœur de nombreux débats sur la

banque universelle, sur la taille des institutions bancaires ou encore sur les conflits d’intérêt

au sein des banques.

Section 1- les changements stratégiques de Citigroup

L'annonce des premières pertes colossales pour Citigroup a entrainé des décisions de

réorganisation générale. Dans un premier temps, les dirigeants ont essentiellement cherché à

réduire les coûts et comme pour nombre d'entreprises au bord de la faillite, la réduction des

coûts est essentiellement passée par des coupes dans les équipes. Cette réponse de court terme

a ensuite été suivie d'un profond changement stratégique.

Les pertes liées aux subprimes ont contraint Citi à chercher des ressources pour renforcer son

bilan et éviter d'être de nouveau en difficulté au niveau de sa liquidité. Le renflouement du

gouvernement américain a permis de pallier aux difficultés les plus pressantes tandis que Citi

a entamé une stratégie de vente de certains actifs que les dirigeants n'estimaient plus comme

essentiels. Finalement une véritable remise en cause du supermarché financier a eu lieu. Les

dirigeants ont fait le choix de céder des activités qu'ils ne pensent plus être stratégiques pour

Citigroup. Le manque d'intégration des différentes entités a été reconnu et pour y remédier le

choix a été fait de vendre certaines filiales qui présentent le moins de possibilités d'intégration

pour reprendre le développement du groupe sur une nouvelle base et cette fois-ci proposer un

modèle de banque universelle intégrée, moins large mais plus efficace.

La réorganisation majeure a été de scinder le groupe en deux entités : Citicorp et Citi

Holdings. À la tête des deux entités ont été placées des équipes de direction distinctes pour

gérer les stratégies bien différentes que les dirigeants du groupe ont assignées à chaque

branche. Citicorp rassemble les activités que Citigroup compte garder et sur lesquelles elle

Page 101: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

95

fonde son développement futur tandis que Citi Holdings représente un portefeuille d’activités

dans le groupe souhaite se séparer.

A. Citi Holdings

Citi Holdings regroupe bien entendu toutes les activités liées aux dérivés de crédit et autres

produits de titrisation qui ont créé les pertes au cours de la crise. Ces activités sont gérées par

des équipes dédiées pour être liquidées de la meilleure façon, voire éventuellement cédées à

des investisseurs externes volontaires pour assumer les risques encore très importants

contenus dans ces portefeuilles. Ce type d’activités a été séparée du reste de la banque comme

cela a été réalisé dans toutes les banques ayant subi des pertes au cours de la crise.

Une deuxième branche d’activités qui devraient être cédées est constituée de toutes les

activités dénommées « consumer lending » ou encore « consumer finance ». Il s’agit des

offres de prêts et de facilités de financement dédiées aux clients présentant des profils de

risque plus compliqués. Citi a ainsi entrepris de fermer l’ensemble de ses agences

« CitiFinancial » et « CitiMortgage » qui étaient destinées à la clientèle dite « subprime »,

moins solvable. Les prêts risqués comme les prêts étudiants, très importants aux Etats-Unis

sont aussi amenés à sortir de l'ensemble de Citigroup. La distribution de cartes de crédit

adossées à du credit revolving a également été fortement réduite alors que Citigroup était un

des premiers distributeurs de cartes de crédit. Citi a notamment réduit son offre de cartes « co-

branded », c’est-à-dire des cartes de crédit proposées à travers des canaux indirectement, par

exemple des chaines de supermarchés, des compagnies aériennes…

Enfin la troisième branche d’activités qui ont été ou qui seront vendues par Citi semble

étonnante. Citi est sortie d’activités très rentables mais qui ne semblaient pas être intégrables

au reste des entités. Plusieurs « pétites » comme les décrivent les analystes ont été sorties du

périmètre du groupe. Ainsi le broker et gestionnaire d’actifs Smith Barney a été partiellement

cédé à Morgan Stanley dans le cadre du joint-venture dont Morgan Stanley détient la majorité

des parts. A terme, les dirigeants de Citi ont exprimé le souhait de se désengager totalement de

Smith Barney. Smith Barney était une des filiales les plus rentables du groupe. Bien que les

dirigeants aient justifiés cette vente par la difficulté d’intégrer Smith Barney au sein de

l’ensemble Citigroup, il apparait largement que la vente a été dictée par une considération

financière de court terme, à savoir récupérer des fonds pour recapitaliser le groupe. La marque

de cartes de crédit « Diners Club » a également suivi un processus similaire, ayant été vendue

en totalité à Bank of Montreal. Citi procède en outre à la vente d'activités de gestion d'actifs et

de brokerage à l'international. Ces activités semblent le moins faire sens au sein du groupe. En

banque d'investissement, Citigroup a aussi réduit ses activités les plus opaques. En 2010, la

vente de fonds d'investissement en « private equity » a été lancée.

Page 102: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

96

Au Japon, Citigroup a vendu une partie de ses activités qui étaient constitués en joint-venture.

Le Japon semble être intéressant pour la compréhension de la stratégie d'ensemble du groupe.

Citi est sortie de ses joint-ventures pour se focaliser sur ses activités en propre. Elle met

l'accent sur deux types d'activités: la gestion de fortune et le service aux grands groupes. Ces

deux éléments se retrouvent dans la nouvelle stratégie de la banque, à l'étranger comme sur le

marché domestique.

Les activités d'assurance ont été mises de coté. Après la vente de Travelers en 2002, Primerica

a été introduite en bourse en novembre 2009. Primerica est un distributeur de produits

financiers et d'investissement à travers un réseau très large de représentants indépendants

auxquels des licences sont accordées.

La logique économique qui préside à ces cessions apparait peu claire. La pression du

gouvernement américain y est certainement pour beaucoup dans ces cessions car elles

rapportent beaucoup d'argent à la banque et ont rassuré le gouvernement sur la capacité du

groupe à rembourser les prêts publics. La pression de l'opinion publique américaine est aussi

un facteur influençant fortement la direction stratégique de Citigroup. Les dirigeants ont été

fortement incités à produire des bons résultats pour rassurer l'opinion et le gouvernement et

montrer leur détermination à sortir la banque de l'ornière, bien que ces résultats semblent

relever d'une logique purement à court terme.

A l’international, Citigroup a effectué un certain nombre de changements, essentiellement

dans la banque de détail. Les filiales de détail sur certains marchés considérés comme plutôt

mûrs ont été vendus ou le seront dans les prochains mois. Ces cessions ont parfois eu lieu

dans des pays où la présence de Citi est pourtant historique. C’est ainsi le cas en Argentine,

premier pays où Citi s’est implantée à la fin du 19ème siècle. Citi a procédé un repli assez large

des marchés européens avec un retrait du Royaume-Uni dans la banque de détail, la vente de

Citibank Portugal. Avant la crise, Citigroup avait déjà vendu ses activités de détail en

Allemagne. La plupart des marchés internationaux desquels Citi souhaite se retirer sont des

marchés plutôt mûrs où le potentiel de croissance est limité et la concurrence forte. Sur ces

marchés aux mains d'oligopoles, il semble difficile pour de plus petits acteurs de se faire une

place significative qui leur permette d'être suffisamment rentables. Les activités risquées de

cartes de crédit ou des prêts à la consommation à l'international ont été également mises en

vente.

L'ensemble des activités de Citi Holdings représentait encore 38% du chiffre d'affaires du

groupe en 2009. Sur le deuxième semestre 2010, cette part est tombée à 25%, indiquant ainsi

une sortie rapide de ces activités. Les cessions ont d'abord concerné les activités les plus

risquées et moins rentables, et à l'opposé les activités les plus rentables pour redresser les

finances du groupe. Désormais la banque semble être dans une phase de recentrage

Page 103: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

97

stratégique où les cessions se font en fonction de l'orientation qui a été choisie pour reprendre

le développement après les difficultés de la crise. Trimestre après trimestre, l'équipe dirigeante

annonce de nouvelles cessions, alors que dans la période précédente, chaque trimestre

apportait des nouveaux rachats. L'objectif de liquider Citi Holdings sera rapidement atteint,

consacrant la fin du supermarché financier pour Citigroup.

B. Citicorp

Citicorp réunit les activités qui fondent le développement futur du groupe. Les dirigeants ont

fait le constat de l'échec du supermarché financier global. Si les raisons de cet échec ne sont

pas seulement liées au modèle en lui-même, mais également à la mise en œuvre du modèle

dans le groupe. L'orientation pour la période suivante se concentre d'une part sur la banque de

financement et d'investissement, et d'autre part sur la banque de détail, aux Etats-Unis et à

l'international. Les pertes pendant la crise ont fait prendre conscience aux dirigeants des trop

grands risques pris et du défaut de leur maitrise. Aussi le choix a été fait de se recentrer sur

des clientèles de meilleure qualité. La banque de détail aux Etats-Unis devrait être redéployée

dans les plus grands centres urbains pour viser une clientèle plus aisée avec des conseillers

dédiés à cette clientèle. L'accent est également mis sur la banque privée, fortement génératrice

de revenus.

À l'international, le développement de Citigroup ne semble pas avoir été mis entre parenthèses

puisque la banque a annoncé son intention de poursuivre son internationalisation en banque

de détail. L'Asie semble être le centre des attentions des dirigeants de Citi. Certains nouveaux

pays verront l'apparition d'agences Citibank, comme le Vietnam. D'autres verront le nombre

d'agences augmenter fortement, l'Inde et la Chine en particulier. Les perspectives de

croissance en Asie apparaissent très favorables et Citi semble vouloir en profiter. Comme il a

été noté précédemment, les activités internationales du groupe n'ont pas participé aux pertes

colossales durant la crise. Les filiales étrangères les moins rentables ont été vendues pour

dégager du cash et permettre l'entrée sur des marchés plus porteurs. Mais de manière générale,

la stratégie internationale a peu été remise en cause. La vente de certaines filiales va réduire

l'offre distribuée à l'international comme aux Etats-Unis, mais les banques de détail à

l'étranger n'ont guère été touchées par une nouvelle stratégie globale, à l'exception de

l'Europe.

On constate enfin que le recentrage de Citi semble plutôt consister en une cession de filiales

qui n'ont jamais pu être intégrées dans un ensemble cohérent mais que néanmoins, la majorité

des activités resteront dans le groupe, dans des filiales historiques du groupe. Plutôt que de

tenter à nouveau d'intégrer les entités, les dirigeants semblent avoir fait le choix de se baser

sur les forces du groupe pour se développer. C'est notamment le cas en banque

Page 104: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

98

d'investissement et de financement. Si les activités les plus risquées ont été abandonnées,

Citigroup n'a guère opéré de réorganisation de ces activités. Seules les filiales qui

n'apparaissaient pas sous la marque « Citi » et qui continuaient à opérer de façon

indépendante, telle que Smith Barney ont été cédées.

Le groupe semble clairement s'éloigner du supermarché financier, puisque le spectre

d'activités financières ne sera plus intégralement proposé dans ses agences. Certains types de

prêt risqués en seront exclus, tout comme la plupart des produits d'investissement de type

assurance-vie ou fonds mutuels. La sortie des activités de gestion d'actifs a des conséquences

sur l'ensemble de la banque, du détail à la banque d'investissement. Au-delà des volontés

affichées des dirigeants de se recentrer sur certains métiers, les limites de ce recentrage sont

parfois difficiles à saisir. Le groupe s'est séparé des activités de broker et de vente de produits

d'investissement mais il affiche sa volonté de s'étendre dans la gestion de fortunes, ce qui

passe nécessairement par l'offre de produits d'investissement.

Les contours du nouveau Citigroup sont difficiles pour l'heure à cerner. L'éloignement du

supermarché financier n'a jamais été annoncé par les dirigeants, c'est plutôt une analyse qui a

été faite par les marchés. Cependant l'offre de Citi sera, dans les faits bien moins large

puisque les produits d'assurance ne sont désormais plus proposés aux Etats-Unis et cette

situation devrait sûrement être étendue à l'ensemble des filiales internationales.

En se référant au modèle de Smith et Walter, on peut considérer que Citigroup passe d'une

stratégie visant toutes les cellules à une stratégie visant des cellules particulières, bien

identifiées. Comme l'ont analysé les deux auteurs, la mise en place d'une stratégie efficiente

nécessite de viser des cellules précises en fonction des ressources et des caractéristiques de la

banque. Le supermarché financier ne semble viser aucune cellule en particulier, du point de

vue des produits, du point de vue géographique ou de celui des clients. Cet éparpillement des

ressources semble en contradiction avec le modèle C-A-P de Smith et Walter puisque les deux

auteurs envisagent les liens entre les marchés, les « cellules » comme le moteur de l'efficacité

comme cela a été évoqué plus haut. Citigroup semble s'orienter désormais vers un type de

clientèle, celui de la banque de détail plutôt haut de gamme, avec un éventail de produits

excluant l'assurance sur une échelle globale. À l'aune du modèle de Smith Walter, on peut

supposer que la nouvelle direction du groupe sera plus porteuse grâce au « cell-targeting »

effectué qui permettra d'extraire la valeur de certains marchés en particulier.

En raison de l'évolution rapide du paysage bancaire américain, au gré des évènements sur les

marchés il semble difficile de tracer les limites du futur groupe. Il apparaît clair que Citi aura

une taille bien inférieure et que le gouvernement américain ne la laissera probablement plus

s’étendre aussi largement. Ces évolutions ne remettent pas en cause les avantages que possède

Citi dans le cadre de son internationalisation. La banque a été profondément transformée aux

Page 105: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

99

Etats-Unis, mais les changements à l'international apparaissent moins fondamentaux. Aucun

pays n'est apparu comme le mouton noir des filiales de Citigroup. Au contraire, c'est le

marché national qui a le plus endommagé la stratégie de la banque. A cet égard il semble

pertinent de rappeler qu'historiquement, Citigroup a toujours été considéré comme un géant

international mais un nain aux Etats-Unis.

Si Citi ne sera peut être plus le géant financier qu'elle était, elle restera certainement une des

rares banques globales, avec comme principale et peut être unique concurrente comparable à

l'échelle internationale HSBC. Les avantages de Citigroup lui ont véritablement permis de

surmonter ses désavantages face aux concurrentes locales et de s'implanter comme un acteur à

l'égal des autres sur des marchés étrangers. On peut même aller plus loin et s'interroger si

Citigroup ne serait pas en elle-même une banque globale et non plus une banque appartenant

à un pays en particulier, ce qui justifie l'appellation « supermarché financier global ».

Section 2- le modèle de Citigroup et le paysage bancaire

international

A l'heure où Citigroup semble s'éloigner du modèle de banque universelle, le constat pour la

concurrence montre une direction tout opposée. Alors que Citi se sépare de ses filiales, ses

concurrentes Bank of America et JP Morgan ont suivi une trajectoire inverse en profitant des

difficultés de certaines institutions financières pour étendre leurs activités. Bank of America

s'est alliée à Merrill Lynch, banque d'investissement et de gestion d'actifs au bord de la faillite.

JP Morgan a repris les activités de détail de Washington Mutual qui était, elle en faillite. Si

aux Etats-Unis les banques d'investissement et les banques uniquement de détail cohabitent,

en Europe le paysage bancaire est beaucoup plus uniforme et la quasi-totalité des banques ont

adopté le modèle de banque universelle.

En Europe, le retour à la banque universelle est intervenu plus tôt qu'aux Etats-Unis, une

directive européenne a en effet autorisé la constitution de conglomérats financiers. Les Etats-

Unis sont restés plus longtemps réticents à retirer les barrières à la constitution de ces banques

universelles en raison du traumatisme important issu de la crise de 1929. Citigroup a été un

précurseur dans la mise en œuvre de la banque universelle à l'international, mais les banques

européennes se sont tournées vers ce modèle avant elle, certes sans l'appliquer de la même

manière à l'international. La crise a ravivé le débat sur les bénéfices et les risques que la

banque universelle apporte au système financier. Les auteurs restent partagés sur le sujet et il

est difficile d'arriver à une conclusion certaine. Les études arrivent à des conclusions parfois

opposées mais beaucoup s’accordent pour conclure que les banques universelles ne présentent

pas un risque supérieur aux banques spécialisées. Cette conclusion se base notamment sur le

Page 106: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

100

fait que les activités d’assurance et les activités bancaires apparaissent peu corrélées et

l’alliance de ces deux types d’activités rend les résultats des banques plus stables. Il est sûr

que le financement d'activités hasardeuses telles que les CDO au cœur de la crise par les

dépôts de la banque de détail présente un risque majeur pour la stabilité du système financier.

Néanmoins les régulations bancaires strictes aujourd’hui en vigueur sont à même de protéger

la sphère financière de façon plus adéquate qu’en 1929 et le débat sur la banque universelle

s'est rapidement éteint.

Les déboires de Citigroup ont certainement joué un grand rôle dans la réactivation de ces

débats. La banque était l'exemple le plus abouti de banque universelle, en ce qui concerne les

Etats-Unis. Son échec largement relayé dans les médias a pu rouvrir les interrogations sur ce

modèle qui avait conduit à la crise de 1929. Mais le débat qui apparaît le plus important est

celui du « too big to fail ». Les analystes, les économistes et les chercheurs s'interrogent sur

les risques que font peser sur le système financier l'apparition d'institutions financières si

grandes que leur faillite ferait tomber la planète financière, et l'économie mondiale. Comme

cela a déjà été évoqué, cette taille gigantesque et la garantie d'un sauvetage par l'autorité

publique entrainent un risque d'aléa moral majeur. Implicitement, une telle banque ou

institution financière ne peut faire faillite. Ainsi tous les risques peuvent être pris sans jamais

en assumer les conséquences. Cette situation induit un risque considérable pour le système

puisque les gains sont privés, gagnés par la banque, mais les pertes et les risques sont portés

par la société. Par ailleurs, si les firmes les plus grandes obtiennent dans la majorité des cas un

fort pouvoir de marché, une banque trop grande pour faire faillite obtient un avantage décisif

sur ses concurrentes puisqu’elle est déchargée de tout risque. Le jeu de la concurrence est

ainsi faussé, en sus des risques que la situation fait peser sur le système financier.

Aussi le supermarché financier de Citigroup a montré la pertinence de ce débat. Les éléments

graphiques ont montré le risque supérieur pris par Citigroup, pour une rémunération qui ne

semble supérieure qu'à la marge. L'hypothèse que Citigroup a joué de cet aléa moral semble

donc plausible, même s'il semble évident que les dirigeants n'ont pas explicitement décidé de

se jouer de l'Etat américain. Le démantèlement de Citigroup semblait donc une nécessité pour

répondre aux critiques, mais aussi pour rétablir un certain équilibre sur le marché bancaire

américain, voire même international.

La taille de la banque semble donc être le facteur majeur dans sa chute. Comme l'ont

dénommé Smith et Walter, la croissance du groupe a été réalisée par « continuous motion »,

un mouvement continu qui a fait naitre ce géant financier manquant de cohérence,

d'intégration. Plus que le modèle en lui-même, il semble que ce soit la manière dont le groupe

a été créé qui est au cœur des difficultés. Or cette expansion par acquisition continuelle a peu

à voir avec le secteur bancaire. Il est possible de trouver de nombreux exemples de fusions

Page 107: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

101

qui n’ont pas produit les résultats espérés, dans des secteurs économiques très variés.

Les banques européennes ont montré leur résistance face à la crise et pourtant elles sont

majoritairement des banques universelles. Le cas français est emblématique puisque les

grandes banques françaises proposent toutes à leur clientèle une offre large tant en banque

qu'en assurance. Berger, Hancock et Humphrey30 démontrent que plus que la taille ou

l'envergure des activités, c'est la façon dont la banque est dirigée qui importe pour expliquer

sa réussite. Les banques françaises, bien que touchées par la crise n'ont pas remis en cause

leur modèle qui n'a d'ailleurs jamais été critiqué par les analystes ou les hommes politiques.

La banque universelle n’a pas été visée comme facteur de la crise. On constate même qu’à la

suite de Citigroup, ce modèle a été privilégié par toutes les banques occidentales dans leur

internationalisation, avec un cheminement très proche de celui de Citi. (Banque

d’investissement, suivi des premières agences de détail pour une clientèle haut de gamme et

enfin ouverture large à la clientèle de détail). Son avenir ne semble pas être compromis, même

aux Etats-Unis comme en témoignent les récentes acquisitions de JP Morgan et Bank of

America. La séparation entre banque d’affaires et banque de détail ne semble pas être à

l’ordre du jour. La chute de Lehman Brothers a montré qu’une banque d’investissement,

même sans base de dépôts auprès du public peut mettre en péril le système entier. La faillite

de Lehman n’a pas eu de conséquences directes sur les dépôts du grand public, mais en raison

de l’interconnexion entre toutes les institutions financières, elle a néanmoins menacé les

banques de détail, et donc indirectement les avoirs des clients de détail. La séparation de la

banque d’investissement et de la banque de détail au nom de la protection des petits

épargnants n’apparait pas comme une option valable.

Après avoir examiné les ressorts de la stratégie internationale de Citigroup dans la deuxième

partie, la troisième partie a permis de dresser le bilan de cette décennie de supermarché

financier. Ces années ont été jalonnées de difficultés qui, si elles sont restées discrètes pendant

la majorité de la période, ont éclaté au grand jour avec la crise des subprimes. Pourtant

l’expansion internationale a été une réussite et elle n’a guère été remise en cause. Ce modèle a

été adopté par de nombreux acteurs à la suite de Citigroup. Si les données financières ne

donnent pas un avantage franc à la banque rouge et bleue, le fait même que Citi n’apparaisse

pas significativement en-dessous de ses concurrentes à l’étranger, le fait qu’elle ait les moyens

de toujours poursuivre son expansion internationale en banque de détail montrent la capacité

du groupe à surmonter les désavantages face aux compétiteurs locaux.

A l’échelle globale, l’échec apparait néanmoins clair. Les raisons de cet échec sont multiples

30 Berger A., Hancock D., Humphrey D., «Banking efficiency derived from a proft function », Journal of Banking and Finance, Avril 1993

Page 108: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

102

et peuvent être trouvées à la fois dans un modèle stratégique pour partie erroné, et à la fois

dans un fonctionnement défaillant de la banque. Le problème qui apparait comme récurent est

la taille du groupe. Citi semble avoir été trop grande pour être gérée et intégrée de façon

efficace. Sa taille a certainement aussi favorisé une prise de risques à travers l’aléa moral que

son statut de « too big to fail » lui a conféré. Cette prise de risques n’a été que peu compensé

par un rendement supérieur ce qui laisse penser que le modèle one-stop shop n’a pas été à la

hauteur des attentes des dirigeants. Cependant à l’aune du succès de la banque universelle à

l’échelle globale, la voie ouverte par Citigroup semble avoir profité à l’ensemble du secteur,

particulièrement aux Etats-Unis. Citi y a été dépassée par ses concurrentes les plus proches.

Page 109: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

103

Conclusion: Après dix années de supermarché financier international, vers un nouveau

souffle dans une nouvelle ère bancaire

En l’espace de dix ans, un géant financier est né et a disparu. A la fin des années 90, l’avenir

semblait très prometteur pour les banques qui sont parties à la conquête du monde, en plein

contexte de suppression des entraves au commerce transnational. Les établissements

financiers sont entrés dans une phase d’internationalisation et Citigroup a été le précurseur de

ce mouvement.

Citigroup a été un temps le leader d'un paysage bancaire hérité d'une longue évolution qui a

trouvé son aboutissement avec le Gram-Leach-Bliley Act qui retire toute restriction à la

constitution de conglomérats bancaires aux Etats-Unis. Grâce à cette stratégie de supermarché

financier, Citigroup s'est hissée au rang de numéro un mondial, place que la banque n'occupa

pas longtemps. Dès 2007, le modèle semble se disloquer et en 2010 Citigroup n'est plus ce

one-stop shop que les marchés avaient acclamé en 1998. Le groupe dispose pourtant d'atouts

incontestables pour mener à bien son internationalisation. L'examen de ses atouts à l'aide des

outils théoriques déjà existants a permis d'apporter une contribution modeste aux approches

théoriques. La culture de Citigroup apparaît comme le facteur le plus profond pour expliquer

l'internalisation du groupe dans la période récente. Cela peut paraître paradoxal lorsque l'on

constate que les déboires actuels de Citigroup ont beaucoup à voir avec l'absence d'intégration

des différentes filiales dans un ensemble cohérent.

Pourtant la culture centenaire du groupe l'a préparé à être une firme multinationale. Depuis

presque l'origine Citi a eu des implantations internationales. En ajoutant la tradition

d'innovation qui anime les équipes de la banque, la culture de Citi lui a permis de se

confronter à la banque de détail dans des pays étrangers à l'égal des concurrentes locales. Le

groupe n'a certes pas surperformé ses concurrentes. Néanmoins il est le seule groupe

américain à posséder plus d'activités en banque de détail à l'étranger qu'aux Etats-Unis, ce qui

atteste de sa réussite dans son développement international. Certains facteurs avancés par les

auteurs de l'internalisation des banques, comme Garcia Herrero et Navia Simon semblent

difficilement valables pour le cas de Citigroup. Suivre ses clients, dans le cas de la banque de

détail a peu de sens. La proximité culturelle entre le pays d'origine du groupe et les pays visés

par la stratégie n'apparait pas non plus comme un déterminant majeur pour Citigroup. La

pertinence des facteurs liés à l’obtention d’une taille critique ou encore la diversification

géographique de la banque est plus difficile à trancher. Ces facteurs peuvent être dans une

certaine mesure des déterminants de l’internationalisation d’une banque comme Citigroup,

mais ils apparaissent plus comme des déterminants secondaires. Enfin le modèle

Page 110: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

104

organisationnel de Citigroup semble lui avoir permis de bénéficier d'un statut de first-mover,

tant aux Etats-Unis qu'à l'étranger qui a certainement été déterminant dans la poursuite du

développement international du groupe.

L'avantage du « premier joueur » n'est cependant qu'éphémère. La concurrence a été rapide à

suivre Citi dans l'adoption d'un modèle similaire. Les dirigeants de Citi ont fait preuve d'une

certaine boulimie d'acquisitions qui a nui à la rentabilité du groupe. En outre les bénéfices

attendus du supermarché financier n’ont pas été à la hauteur des attentes. L’arrivée de la crise

a bousculé la stratégie du groupe. En quelques mois, le géant financier a subis une cure

d’amaigrissement à marche forcée, sous l’impulsion directe du gouvernement américain. Sa

taille gigantesque lui a été plus défavorable que bénéfique et fait peser sur le système

financier un risque important (bien que Citi soit loin d’être la seule institution à avoir atteint

une taille mettant en danger le système financier). Cette taille a été un problème pour le

fonctionnement du groupe, entrainant déséconomies d’échelle, prise de risque trop élevé et

absence de cohérence. Si Citi était « too big to fail », trop grande pour défaillir, il s’agit de

défaillir au sens strict de faire faillite puisqu’au niveau financier, la réussite n’a été guère au

rendez-vous et le groupe a failli à dégager une rentabilité supérieure à la moyenne pour les

actionnaires.

Dix ans après la fusion entre Citibank et Travelers, le paysage bancaire international semble

entrer dans une nouvelle ère. Parler d’une décennie perdue pour Citi semble trop simple et les

déclarations des anciens dirigeants regrettant la tournure qu’ont pris les évènements

apparaissent exagérées. Au regard de l’internationalisation, Citigroup est devenue la première

banque globale, globale tant au niveau du spectre de produits proposés qu’au niveau de

l’exposition géographique. Les résultats du deuxième trimestre 2010 montrent que 70% des

profits de la banque sont issus des activités internationales, particulièrement en Asie et

Amérique du Sud. Il est probable qu’au cours de cette troisième période

d’internationalisation, Citigroup soit devenu l’archétype de la banque internationale, présente

partout et dans tous les types d’activités.

Le cas de Citigroup semble particulièrement intéressant dans le contexte actuel d’adoption de

nouvelles régulations bancaires. La banque new-yorkaise semble avoir concentré tous les

éléments tant décriés aujourd’hui. Elle a pris des risques élevés en proposant des prêts à une

clientèle peu solvable, prêts avec lesquels elle a ensuite joué sur les marchés par

l’intermédiaire de CDO. Elle a atteint une taille qui menace l’équilibre du système mondial.

Son démantèlement actuel apparait comme inévitable. Si la rentabilité n’a pas été au rendez-

vous pour les actionnaires, si les licenciements massifs sont une menace pour les employés du

groupe et si les dirigeants qui se sont succédés à la tête du groupe se sont excusés pour leur

Page 111: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

105

échec, on peut néanmoins s’interroger sur l’impact qu’a eu l’entrée de Citi sur des marchés

étrangers. L’arrivée d’un tel géant sur un marché national a certainement eu des conséquences

sur les marchés locaux, pour le secteur bancaire comme pour les consommateurs. Citi a réussi

avec succès l’entrée sur de nombreux marchés émergents, ce qui témoigne de sa capacité à

surmonter son désavantage face aux concurrents locaux, comme l’analysent les théories de

l’internationalisation des banques. Ainsi elle a dynamisé certains marchés locaux, apportant

modernisation et innovation. Elle a certainement profité au secteur de ces pays en poussant les

acteurs locaux à s’adapter aux normes de fonctionnement des grandes banques occidentales.

Des études sur l’impact de l’entrée de banques étrangères sur des marchés étrangers ont été

conduites et étudier l’impact propre de Citi sur ces marchés pourrait être une piste intéressante

pour contribuer à la compréhension des phénomènes bancaires transnationaux. Enfin,

Citigroup a également orienté et changé le paysage bancaire américain. De ses pressions pour

abroger le Glass-Steagall Act à son démantèlement, le groupe représente un moteur pour le

secteur bancaire américain qui semble s’orienter vers une version corrigée du supermarché

financier de Citi.

Citi apparait comme le symbole de la finance du début du 21ème siècle, omniprésente, ultra

puissante et difficilement contrôlable. En 2010, comme à la sortie de la crise 1929 ou dans les

années 80, Citigroup est à nouveau sur le point de se réinventer pour affronter les défis de la

prochaine période. La finance américaine a semblé vaciller tandis que les banques des pays

émergents affichent leurs ambitions, avec des introductions en bourse record. Dans cette

période de profonde réorganisation bancaire, Citi doit se trouver un nouveau souffle pour une

fois de plus sortir de l’ornière et regagner son titre de première banque globale.

Page 112: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

106

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109

Table des matières

Introduction ................................................................................................................................1

Première Partie- L'expansion internationale de Citigroup: solution pour tirer profits de ses

avantages compétitifs face aux défaillances du marché. ............................................................7

Chapitre 1- les fondements théoriques de l'internationalisation des banques, de

l'internalisation aux avantages compétitifs .............................................................................8

Section 1- S'internationaliser pour bénéficier au mieux d'avantages spécifiques ..............8

A. Hymer et Kindleberger ..............................................................................................8

B. Le cycle de vie des produits, Vernon .......................................................................10

Section 2- Le modèle de l'internalisation, comprendre les défaillances du marché ......... 11

A. Buckley et Casson....................................................................................................12

B. l'internationalisation des banques par la théorie de l'internalisation........................14

1. L'apport de Grubel ................................................................................................14

2. L'apport de Tschoegl............................................................................................. 15

Section 3- L'internationalisation, une combinaison d'avantages spécifiques à la firme,

d'avantages de localisation et d'avantages d'internalisation: le paradigme OLI ...............17

A. Dunning et le paradigme OLI ..................................................................................17

B. L'application du paradigme OLI aux banques multinationales................................19

Chapitre 2- Les déterminants empiriques des IDE financiers ..............................................23

Section 1- les déterminants microéconomiques et comportementaux tels qu'envisagés par

Garcia Herrero et Navia Simon ........................................................................................23

Section 2- la matrice d'analyse de Smith et Walter........................................................... 30

Chapitre 3- la réactivation de la banque universelle dans le contexte de la dérégulation

financière du 21ème siècle ...................................................................................................36

Deuxième Partie- Le supermarché financier de Citigroup: un spectre très large d'activités

bancaires projeté systématiquement sur de nombreux marchés étrangers ...............................40

Chapitre 1- La fusion de Citicorp et de Travelers Group: la construction d'une banque

universelle internationale répondant à la pression de la concurrence nationale...................40

Section 1- Deux groupes à l’histoire bien différente ........................................................40

A. De City Bank of New York à Citicorp, l’évolution d’une banque américaine de

premier plan..................................................................................................................41

B. Un conglomérat financier : The Travelers Group .................................................... 43

C. La « méga-fusion » donnant naissance à Citigroup .................................................45

Section 2- Les déterminants de l’internationalisation à la fusion.....................................47

Page 116: la strategie internationale de citigroup, le supermarche bancaire ...

110

A. Une histoire et une culture internationales ..............................................................47

B. L’internationalisation comme réponse à une pression concurrentielle ....................50

Chapitre 2- Dix années d'expansion internationale de Citigroup: de puissants avantages

vecteurs d'une stratégie d'internationalisation à très grande échelle ....................................57

Section 1- Le développement international de Citigroup pendant ses dix premières

années d’existence ............................................................................................................57

Section 2- L’expansion internationale sous l’angle des déterminants empiriques de

l’internationalisation.........................................................................................................61

A. Diversification du risque et conglomérat financier .................................................61

B. « follow the client » .................................................................................................65

C. Innovation et canal de distribution...........................................................................66

Troisième Partie- Le paradoxe du modèle : une phase d’expansion réussie suivie d’une

tourmente conduisant à refonder la stratégie............................................................................73

Chapitre 1- Des résultats financiers contrastés, entre efficacité internationale et débâcle liée

à la crise ................................................................................................................................74

Section 1- Résultats liés à l'international..........................................................................74

A. Etats-Unis ................................................................................................................77

B. Mexique ...................................................................................................................82

C. Corée ........................................................................................................................84

Section 2- L’échec relatif de Citigroup.............................................................................88

A. La crise des subprimes.............................................................................................88

B. Les raisons de cet échec...........................................................................................89

1. La mauvaise intégration des activités...................................................................89

2. Le défaut de maitrise des risques..........................................................................91

3. Le mythe du supermarché financier .....................................................................92

Chapitre 2- Face au constat de l'échec, recomposition profonde et recherche d'un nouveau

modèle international .............................................................................................................94

Section 1- les changements stratégiques de Citigroup .....................................................94

A. Citi Holdings............................................................................................................95

B. Citicorp ....................................................................................................................97

Section 2- le modèle de Citigroup et le paysage bancaire international...........................99

Conclusion: Après dix années de supermarché financier international, vers un nouveau souffle

dans une nouvelle ère bancaire...............................................................................................103

Bibliographie ..........................................................................................................................106

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111

Résumé

En étudiant en détail le cas de Citigroup, il est possible de s’intéresser aux déterminants de

l’expansion internationale des banques. Dans la troisième vague d’internationalisation des

institutions financières que nous vivons actuellement, Citigroup a été un précurseur en

adoptant dès 1998 le modèle du « supermarché financier » ou « one-stop shop ». Le groupe

est devenu un géant financier alliant toute la palette d’activités financières, de l’assurance à la

banque d’investissement. Durant les dix années écoulées, elle a cherché à projeter ce modèle

sur de nombreux marchés bancaires étrangers.

En 2010, deux constats sont possibles. D’une part l’international a été un domaine de réussite

pour Citi qui malgré la crise poursuit son développement. D’autre part, sur son marché

national les Etats-Unis Citigroup a été fortement malmené ce qui a profondément remis en

cause son modèle et a mis fin au « one-stop shop ».

En termes de facteurs d’internationalisation, certains apparaissent comme plus pertinents que

d’autres pour le cas de Citi. La taille colossale du groupe semble avoir joué un rôle important

dans l’expansion internationale. L’histoire et la culture de Citi, qui s’exprime à travers une

forte capacité d’innovation ont certainement contribué à faciliter le développement à

l’étranger. Ainsi cette étude permet d’apporter un nouvel éclairage aux théories de

l’internationalisation des banques à travers le cas de la plus grande banque au monde,

Citigroup.

Mots clés

Banque universelle ; internationalisation des firmes ; Citigroup ; crise des subprimes ;

supermarché financier