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ANNE-MARIE BURNS
LA SOUS-TRAITANCE D’ACTIVITÉS MILITAIRES PAR L’ÉTAT AU SECTEUR PRIVÉ : UNE ENTORSE AUX
RÈGLES DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE?
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en droit pour l’obtention du grade de Maître en droit (L.L.M.)
FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2011 © Anne-Marie Burns, 2011
i
Résumé
Depuis la fin des années 1990, les États confient à des entreprises privées des
activités militaires autrefois exercées par l’armée, amenant ces dernières à
intervenir dans des conflits armés. Les règles du droit international humanitaire
régissant les conflits armés internationaux n’ayant pas été conçues pour ce type
d’intervenants, leur application n’est pas sans poser certains problèmes,
notamment lorsqu’il s’agit de déterminer quel est le statut des employés
d’entreprises militaires privées au regard des Conventions de Genève. Eu égard à
la confusion que l’implication d’acteurs au statut incertain ou difficilement
déterminable engendre sur l’application du droit international humanitaire, ce
travail de recherche vise à déterminer si les États respectent l’ensemble de leurs
obligations lorsqu’ils sous-traitent des activités militaires à des entreprises privées.
En d’autres termes, il s’agit de déterminer si le respect du principe de distinction
entre combattants et personnes civiles ne poserait pas certaines limites à une telle
pratique.
ii
Abstract
Since the 1990’s, States outsource military activities once performed by their army
to private companies, leading the latter to intervene in armed conflicts. The rules of
Humanitarian Law applicable in international armed conflicts were not conceived
for these non-state actors, making them difficult to apply in this context, notably
when it comes to determining the status of the employees of private military
companies under the Geneva Conventions. Considering that the involvement of
these actors whose status is uncertain or hard to determine causes confusion on
the application of Humanitarian Law, this research project aims at determining
whether States fulfil all their obligations when they outsource military activities to
private companies. In other words, it inquires whether the obligation to respect the
principle of distinction between combatants and civilians entails limitation to this
practice.
iii
Merci à Olivier Delas, qui m’a guidée et
encadrée dans la réalisation de ce projet.
Merci à Pierre Rainville pour son support et
ses encouragements, ainsi qu’à Marjolaine
Caron pour sa constante collaboration.
Merci aussi à André, Jérémy, Jacqueline et
Robert pour leur soutien inébranlable et leur
patience de tous les jours.
« Travailler c’est œuvrer à réaliser une
parcelle du rêve qui vous fût attribué quand
naquit ce rêve, le plus ancien de la terre. »
Khalil Gibran, Le prophète
Grâce à ces études de maîtrise, mon rêve de
travailler pour la justice pénale internationale
est devenu réalité.
Ce travail de recherche a bénéficié du
soutien financier du Conseil de recherches
en sciences humaines du Canada (CRSH) et
du Fonds québécois de la recherche sur la
société et la culture (FQRSC).
iv
Table des matières
LISTE DES ABRÉVIATIONS ...................................................................................................... vii
LISTE DES IMAGES ........................................................................................................................ x
INTRODUCTION ............................................................................................................................. 1
Partie 1 : La confusion entourant le régime juridique applicable aux employés d’entreprises militaires privées en droit international humanitaire ................................... 15
Chapitre I. L’entente entre les Hautes Parties contractantes aux Conventions : le principe de distinction entre combattants et personnes civiles .................................................................................... 15
1. La nécessité de distinguer les combattants des civils .......................................................................... 15
2. Les statuts de combattants et de personnes civiles et les privilèges y associés ....................... 18
2.1 Les combattants ............................................................................................................................................... 18
2.2 Les personnes civiles ..................................................................................................................................... 22
Chapitre II. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des combattants privilégiés ........................................................................................................................................... 25
1. Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au conflit ............................................................................................................................................................................. 26
1.1 L’hypothèse de l’adhésion individuelle des employés d’entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit ...................................................................................................... 27
1.2 L’hypothèse de l’incorporation des entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit ..................................................................................................................................... 29
2. Le statut de combattant de facto : l’appartenance à un groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions ............................................................................................................ 31
2.1 Les conditions d’obtention du statut de combattant de facto ...................................................... 31
2.2 La faculté pour les États d’avoir recours à des combattants de facto ....................................... 32
2.2 L’examen du respect des conditions d’obtention du statut de combattant de facto par les employés d’entreprises militaires privées ............................................................................................ 35
2.2.1 Les conditions applicables au groupe ........................................................................................... 35 i) Un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités ....................... 35 ii) Agir au nom d’une Partie au conflit ................................................................................................ 37 iii) Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime de discipline .......................................................................................................................................................... 40 iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre ............................................................................... 55
2.2.2 Les conditions applicables aux individus .................................................................................... 56 i) Porter un uniforme ou un signe distinctif ................................................................................... 56 ii) Porter ouvertement les armes.......................................................................................................... 60
2.3 Conclusion sur la possibilité d’obtenir le statut de combattant de facto ................................. 62
2.4 La perte du statut de combattant : le cas du mercenaire ................................................................ 63
2.4.1 Les facteurs d’inclusion ................................................................................................................... 65 2.4.2 Les facteurs d’exclusion ................................................................................................................... 67
v
Chapitre III. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des civils protégés ..................................................................................................................................................... 69
1. Les personnes civiles .......................................................................................................................................... 69
2. Le cas particulier du civil qui accompagne les forces armées .......................................................... 70
2.1 Les critères d’obtention du statut de civil qui accompagne les forces armées ..................... 71
2.1.1 Dispenser des services aux troupes militaires .......................................................................... 71 2.1.2 L’autorisation d’accompagner les forces armées ..................................................................... 73
Conclusion de la partie 1 : Une distinction fondée essentiellement sur la participation aux hostilités ........................................................................................................................................................................ 75
Partie 2 : L’impact de la sous-traitance d’activités militaires à des entreprises militaires privées sur le respect des Conventions ............................................................................................ 77
Chapitre I. Le civil qui participe aux hostilités .............................................................................................. 83
1. L’ambiguïté entourant la notion de participation directe aux hostilités ..................................... 83
1.1 La difficulté à identifier les activités visées .......................................................................................... 85
1.1.1 Un acte hostile ......................................................................................................................................... 86 1.1.2 Un lien de causalité ................................................................................................................................ 87 1.1.3 Un acte commis au bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment d’une autre ..... 90
1.2 L’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités ................................................. 92
1.3 L’absence d’un consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité ................... 92
1.3.1 La théorie du combattant illégal .................................................................................................. 94 1.3.2 La théorie du civil non protégé .................................................................................................... 94 1.3.3 La théorie du membre des forces armées ............................................................................... 95
2. La difficulté à faire la distinction en pratique .......................................................................................... 98
3. La participation aux hostilités : un critère de distinction inapproprié ...................................... 104
Chapitre II. Le respect du principe de distinction comme condition de la mise en œuvre des Conventions ............................................................................................................................................................... 108
1. L’intention des Parties : la lutte armée par l’intermédiaire des forces armées ..................... 108
2. L’absence de participation de civils aux hostilités comme condition du respect des obligations découlant des Conventions ............................................................................................................. 110
2.1 L’obligation de protéger la population civile .................................................................................... 110
2.1.1 L’obligation de protection envers les employés d’entreprises militaires privées . 111 2.1.2 L’obligation de protection envers la population civile en général ................................ 114
2.2 L’obligation de respecter la population civile ................................................................................... 115
2.3 Le contrôle de l’État sur les forces armées et la mise en œuvre de sa responsabilité .... 117
2.3.1 Les exigences posées par les Conventions ............................................................................... 117 i) Le contrôle .............................................................................................................................................. 118 ii) La responsabilité ................................................................................................................................. 120
2.3.2 Le respect de ces exigences lorsque des entreprises militaires privées sont impliquées .......................................................................................................................................................... 121
i) Le manque de contrôle sur les entreprises militaires privées ........................................ 121 ii) La mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour les violations du DIH commises par des entreprises militaires privées ............................................................................................. 128
vi
3. L’obligation de prévenir les violations du DIH et l’application de bonne foi des Conventions 131
Conclusion de la partie 2 : Les mesures à prendre lors de l’embauche des entreprises militaires privées pour assurer une application de bonne foi des Conventions ........................... 134
1. L’intégration aux forces armées lorsque les activités confiées peuvent conduire à la participation directe aux hostilités ............................................................................................................ 134
2. L’identification des employés d’entreprises militaires privées .................................................... 141
3. Les restrictions quant au port d’armement ........................................................................................... 142
4. La définition des règles d’engagement ..................................................................................................... 143
5. L’information des employés d’entreprises militaires privées quant à leurs droits et obligations ............................................................................................................................................................ 143
CONCLUSION.............................................................................................................................. 145
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 150
vii
Abréviations
Adel. L.R. Adelaide Law Review AG Assemblée générale A.F.L. Rev. Air Force Law Review B.C. Int’l & Comp. L. Rev. Boston College International & Comparative Law
Review B.C.L. Rev. British Columbia Law Review Cal. W. Int’l L.J. California Western International Law Journal CICR Comité international de la Croix-Rouge Chic. J. Int’l L. Chicago Journal of International Law CIA Central Intelligence Agency C.I.J. Cour internationale de Justice C.I.J. Rec. Cour internationale de Justice: Recueil des arrêts, avis
consultatifs et ordonnances Cir. Circuit Court of Appeals (federal) C.P. Conseil Privé Colum. J. Transnat’l L. Columbia Journal of Transnational Law Comm. Interam. D.H. Commission interaméricaine des Droits de l’Homme Convention III Convention de Genève relative au traitement des
prisonniers de guerre du 12 août 1949 Convention IV Convention de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949 CRS Congressional Research Service D.C. District of Columbia DIH Droit international humanitaire
viii
EMP Entreprise militaire privée EMSP Entreprise militaire et de sécurité privée F.3d Federal Reporter, Third Series F.Supp.2d Federal Supplement, Second Series GAO Government Accountability Office Hasting Int’l & Comp. L. Rev. Hasting International and Comparative Law Review HCJ High Court of Justice IPOA International Peace Operations Association Isr. L.R. Israel Law Review Int’l & Comp. L.Q. International and Comparative Law Review J.L. Soc’y Journal of Law and Society J.I.C.J. Journal of International Criminal Justice KBR Kellog, Brown and Root LOGCAP Logistics Civil Augmentation Program Melb. J. Int’l L. Melbourne Journal of International Law Mil. L. R. Military Law Review Non-State Act. & Int’l Law Non-State Actors and International Law OEA Organisation des États américains ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OUA Organisation de l’unité africaine PMC Private Military Company PPS Personal Protective Services
ix
PSC Private Security Company Protocole I Protocole additionnel aux Conventions de Genève du
12 août 1949 relatif à protection des victimes des conflits armés internationaux
Protocole II Protocole additionnel aux Conventions de Genève du
12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux
Pub. Cont. L.J. Public Contract Law Journal Règlement de La Haye Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre
sur terre, Annexe à la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre du 18 octobre 1907
R.I.C.R. Revue internationale de la Croix-Rouge R.T.N.U. Recueil de traités des Nations Unies Stan J. Int’l L. Stanford Journal of International Law TPIY Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie TPIR Tribunal pénal pour le Rwanda NU Nations Unies UCMJ Uniform Code of Military Justice Yale Hum. Rts & Dev. L.J. Yale Human Rights and Development Law Journal
x
LISTE DES IMAGES
Image 1 Un employé du secteur privé tel que vu par un irakien…………….. 59
Image 2 Des membres de Blackwater patrouillent le ciel de Bagdad, début 2007……………………………………………………………………….
59
Image 3 Des employés de Blackwater à Bagdad…………………….............. 60
Image 4 Des membres de la société américaine Blackwater échangent des tirs avec des partisans de Moqtada al-Sadr qui s'approchent d'un bâtiment défendu par des soldats américains et espagnols, à Najaf, en 2004……………………………………………………………
60
INTRODUCTION
Le conflit actuel iraquien a permis de mettre au jour que les conflits armés ne sont
plus l’unique apanage des États mais que des acteurs privés – sous la forme
d’entreprises militaires privées (ci après, « EMP ») – y sont désormais
massivement impliqués. Quoi que les EMP opéraient bien avant l’éclatement de ce
conflit, c’est en Irak qu’elles ont attiré l’attention de la presse sur leurs activités et,
par voie de conséquence, celle du public en général. L’Irak accueille depuis
l’invasion américaine le plus grand marché militaire privé de l’histoire moderne,
lequel fait également office de laboratoire où sont testées les limites de la sous-
traitance d’activités militaires par les États.
Au 31 décembre 2009, plus de 100 035 employés du secteur privé étaient
déployés sur le sol iraquien par le Département de la défense américain, dont
11 095 assuraient des services dits « de sécurité »1. Représentant le deuxième
contingent en importance après l’armée américaine, les employés du secteur privé
se sont vus confier une grande variété de tâches par les forces de la Coalition :
support logistique, entretien et opération de systèmes d’armement, services de
renseignements, interrogatoires de prisonniers de guerre, protection de personnes
et d’installations et, dans certains cas, assistance au combat2. Évidemment, le rôle
majeur qu’ont joué les EMP dans le conflit iraquien n’est pas étranger à l’attention
1 É.-U., Department of Defence, Contractors Support of U.S. Operations in USCENTROM AOR, Iraq, and
Afghanistan, février 2010, aux pp. 1 et 2, en ligne:
<http://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=http://www.acq.osd.mil/log/PS/p_vault/5A_Februa
ry2010.doc&ie=UTF-8&oe=UTF-8> [Contractors Support of U.S. Operations]. Pour des statisques de 2006,
voir É.-U., Government Accountability Office, Rebuilding Iraq: Actions Still Needed to Improve Use of
Private Security Providers, Témoignage devant le Subcommittee on National Security, Emerging Threats,
and International Relations, Committee on Government Reform, 13 juin 2006, GAO-06-865T, à la p. 2, en
ligne : <http://www.gao.gov/new.items/d06865t.pdf>. Selon Scott Horton, professeur à l‟Université
Columbia, 100 000 employés du secteur privé étaient déployés en Irak à l‟automne 2007: Alissa J. Rubin et
Paul Von Zielbauer, « Blackwater Case Highlights Legal Uncertainties »
The New York Times (11 octobre 2007) A1, en ligne :
<http://www.nytimes.com/2007/10/11/world/middleeast/11legal.html> [Rubin et Von Zielbauer].
2 Michael N. Schmitt « Humanitarian Law and Direct Participation in Hostilities by Private Contractors or
Civilian Employees » (2005) 5 Chic. J. Int‟l L. 511 aux pp. 512-514 [Schmitt, « Direct Participation in
Hostilities »].
2
qui leur a été portée depuis quelques années, mais ce sont surtout les incidents
auxquels elles ont été mêlées qui leur ont valu de faire les manchettes.
En avril 2003, des employés de Blackwater se sont livrés à une intense bataille
contre des insurgés qui avaient pris d’assaut le quartier général de l’Autorité
provisoire de la coalition à Najaf3. En avril 2004, quatre employés américains de
Blackwater ont été brutalement mutilés et exécutés à Falloujah4. Des employés de
la compagnie CACI Internationale ont été impliqués dans le scandale du mauvais
traitement des prisonniers iraquiens à la prison d’Abou Grahib5. Le 30 mai 2007,
quatre employés britanniques de la compagnie montréalaise GardaWorld ont été
enlevés dans les bureaux du ministère de l’Intérieur à Bagdad6.
En septembre 2007, des employés de Blackwater qui protégeaient un convoi de
diplomates à Bagdad ont ouvert le feu sur la population civile, enlevant la vie à
17 civils iraquiens non armés et faisant 24 blessés. Selon l’enquête réalisée par le
FBI, les tirs contre 14 de ces civils étaient injustifiés7. Cette tragédie est à l’origine
de certains changements concrets que plusieurs réclamaient depuis longtemps. À
la suite de ces événements, le gouvernement iraquien a révoqué la licence
permettant à Blackwater d’exercer ses activités en Irak8, la secrétaire d’État
américaine a commandé une étude revoyant la pratique du Département d’État
3 Robert Y. Pelton, Licensed to Kill, New York, Crown Publishers, 2006 aux pp. 149-150 [Pelton].
4 Sami Makki, « Sociétés militaires privées dans le chaos irakien » Le Monde diplomatique (novembre 2004)
22 [Makki].
5 Lindsay Cameron, « Private military companies : their status under international humanitarian law and its
impact on their regulation » (2006) 88 R.I.C.R. 573 à la p. 574 [Cameron].
6 Audrey Gillan et Jilian Borger, « Elaborate operation inside ministry stirs fears of new tactics »
The Guardian (30 mai 2007).
7 James Glanz et Alissa J. Rubin, « From Errand to Fatal Shot to Hail of Fire to 17 Deaths »
The New York Times (3 octobre 2007), en ligne: <http://www.nytimes.com/2007/10/03/world/middleeast/03fi
refight.html> ; Sabrina Tavernise, « U.S. Contractors banned by Iraq after shooting » The New York Times
(18 septembre 2007), en ligne : <http://www.nytimes.com/2007/09/18/world/middleeast/18iraq.html?fta=y>
[Glanz et Rubin]; David Johnston et John M. Broder, « F.B.I. Says Guards Killed 14 Iraqis Without Cause »
The New York Times (14 novembre 2007), en ligne : <http://www.nytimes.com/2007/11/14/world/middleeast/
14blackwater.html?ex=1352696400&en=4d3e7a7a4fbc5721&ei=5088&partner=rssnyt&emc=rss>
[Johnston].
8 Joshua Partlow et Walter Pincus, « Iraq Bans Security Contractors » The Washington Post
(18 septembre 2007) A1.
3
américain en matière de sécurité en Irak et un amendement à la législation
américaine a été adopté pour soumettre les employés du secteur privé au Uniform
Code of Military Justice (ci-après, le « Code de justice militaire américain »). Cet
incident semble aussi être à l’origine de la demande du gouvernement iraquien à
l’effet que son entente avec le gouvernement américain sur le retrait des troupes
américaines d’Irak prévoit que les entrepreneurs privés mandatés par les États-
Unis seront désormais soumis aux lois iraquiennes9.
Bien qu’il ne semble pas y avoir de données officielles sur le nombre de morts et
de blessés parmi les employés du secteur privé opérant en Irak, certaines sources
indiquent que le Département du travail américain aurait reçu 1 292 réclamations
pour des décès d’entrepreneurs privés en Irak et en Afghanistan et 9 610 pour des
blessures, incluant des entrepreneurs locaux10. Suivant d’autres sources, plus de
900 employés du secteur de la sécurité privée avaient, à la fin 2007, trouvé la mort
en Irak11.
Ces événements laissent perplexes considérant que, suivant une conception
moderne du droit international public, l’on s’attend, à tort ou à raison, à ce que les
États livrent bataille au moyen de leurs forces armées. Le conflit iraquien a ainsi
amené le juriste à s’intéresser aux EMP qui, jusqu’alors, avaient davantage retenu
l’attention des politologues dont certains considèrent que l’implication des EMP a
un effet positif sur le respect des droits humains dans les conflits armés alors que
d’autres, s’appuyant sur les bévues qui ont été commises, souhaiteraient voir leurs
activités davantage encadrées. Cet intérêt du juriste s’explique non seulement par
l’ampleur qu’a pris le phénomène de la privatisation des conflits en Irak, mais aussi
par le fait qu’il s’agit du premier conflit armé international dans lequel des EMP,
telles que nous les connaissons aujourd’hui, sont impliquées. Dans la mesure où
9 Steven L. Mayer et Sam Dagher, « Agreement With Iraq Over Troops Is at Risk » The New York Times
(19 septembre 2008) A6, en ligne: <http://www.nytimes.com/2008/09/19/world/middleeast/19diplo.html?ref=
world>.
10 Michael N. Schmitt, « The Interpretative Guidance on the Notion of Direct Participation in Hostilities: A
Critical Analysis » 1 Harvard National Security Journal 5 à la p. 9 [Schmitt, « The Interpretative Guidance »].
11 David Pallister, « A multibillion dollar industry built on the most dangerous jobs in the world »
The Guardian (30 mai 2007), en ligne: <http://www.guardian.co.uk/world/2007/may/30/iraq.davidpallister>.
4
les EMP interviennent dans des conflits qui sont régis par des règles juridiques – le
droit international humanitaire (ci-après, le « DIH ») – il revient au juriste de se
questionner sur la façon dont ce système normatif réagit à l’arrivée de ce nouvel
acteur dans les conflits armés.
L’industrie militaire privée
Les EMP, telles que nous les connaissons aujourd’hui, ont fait leur entrée sur le
marché de la guerre au début des années 1990, en s’impliquant d’abord dans les
conflits internes africains, notamment en Angola, au Sierra Leone et en République
démocratique du Congo. Connaissant un certain succès, elles ont par la suite été
mandatées pour intervenir dans différents types de conflits, notamment pour
entraîner la police et les militaires dans les Balkans et fournir un soutien logistique
aux forces de l’OTAN, pour prêter main forte aux États-Unis dans leur lutte contre
le trafic de la drogue en Colombie et pour appuyer les forces de la coalition dans
leurs activités en Afghanistan.
Contrairement au mythe longtemps véhiculé par la presse, les autorités publiques
et les EMP elles-mêmes, ces sociétés ne sont pas que des entreprises de sécurité
dont les services se limiteraient à la protection des personnes ou des lieux à
caractère civil; certaines d’entre elles offrent des services relevant du domaine
militaire, soit des services traditionnellement assurés par des armées nationales,
encore que les services varient énormément d’une société à l’autre12. Les activités
des EMP étaient autrefois concentrées autour du soutien logistique comme les
services de transport, les télécommunications, les services alimentaires et de
buanderie et d’autres services administratifs, ainsi que l’installation de bases
militaires temporaires13, des tâches qui traditionnellement avait été confiées au
secteur privé par les États. Ces entreprises participent cependant de plus en plus à
12
Peter W. Singer, Corporate Warriors : The Rise of the Privatized Military Industry, Ithaca, Cornell
University Press, 2003 aux pp. 73 et 88 [Singer, « Corporate Warriors »].
13 Deborah D. Avant, The Market for Force – The Consequences of Privatizing Security, Cambridge,
Cambridge University Press, 2005 à la p. 20 [Avant].
5
« des activités qui les placent au centre même des opérations militaires »14. Selon
le Comité international de la Croix-Rouge (ci-après, le « CICR »), « ces activités
comprennent notamment la protection du personnel et des ressources militaires, la
formation des forces armées et les services-conseil, la maintenance des systèmes
d'armement, l'interrogatoire des détenus et, parfois même, par la participation aux
combats ».15 À cela, s’ajoutent également des services de renseignements, des
services de conseils militaires stratégiques et tactiques, de même que des services
relatifs aux choix, à l’approvisionnement, à l’entretien, au transport, à
l’entraînement et à l’opération de systèmes d’armement16.
Aussi, certaines EMP offrent-elles des services opérationnels pour répondre à
différentes situations de crises comme des insurrections et des actes terroristes.
Ces entreprises promettent ainsi de répondre à ce type de situations par des actes
offensifs, lesquels sont perpétrés par du personnel armé17. Les services « de
sécurité » en zone de conflit, que certaines compagnies se targuent d’offrir, se
situent souvent aux confins du maintien de l’ordre, normalement assuré par les
forces de police, et du rôle de combat des forces armées. Ainsi, les entreprises
soi-disant embauchées pour fournir un support opérationnel ou assurer la sécurité
intérieure sur le territoire iraquien ont joué un rôle majeur dans la lutte contre les
insurgés iraquiens, celles-ci intervenant parfois avec de lourds armements18.
Certaines de ces activités, bien qu’elles n’impliquent pas nécessairement une
participation au combat, sont néanmoins susceptibles d’être considérées comme
une participation directe aux hostilités ou de constituer le premier pas qui y
conduit. Le gardiennage de prisons militaires en est un bon exemple.
14
CICR, Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains, XXXe
Conférence de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève, octobre 2007, 30IC/07/8.4 à la p. 28 [CICR,
« XXXe Conférence »]; Emanuela-Chiara Gillard, « Business goes to war : private military/security
companies and international humanitarian law » (2006) 88 R.I.C.R. 525 à la p. 526 [Gillard].
15CICR, « XXX
e Conférence », supra note 14 à la p. 28.
16 Avant, supra note 13 aux pp. 16-19.
17 Ibid. à la p. 21.
18 Ibid. aux pp. 21-22.
6
De par la grande variété de services qu’elles offrent, les EMP s’attirent une
clientèle variée. Différents opérateurs privés, tels des multinationales, des ONG,
voire le CICR, les mandatent pour leur fournir des services essentiellement reliés à
la protection de personnes, de biens ou de lieux. Évidemment, les principaux
donneurs d’ouvrage des EMP demeurent les États, notamment les grandes
puissances occidentales, qui leur sous-traitent des fonctions de plus en plus près
du cœur des activités militaires. Il convient également de noter que l’Organisation
des Nations Unies (ci-après, « ONU ») leur confie des opérations de déminage qui,
traditionnellement, étaient effectuées par des armées régulières19.
Il n’existe, à ce jour, aucune définition légale de ce qu’est une entreprise militaire
privée, non plus que de consensus parmi les auteurs sur le sens exact que revêt
cette expression. De fait, l’industrie des services liés à la guerre est si vaste et
diversifiée qu’elle pose un véritable défi à ceux qui tentent de la définir ou de la
catégoriser. Les sociétés offrant des services militaires se distinguent les unes des
autres à plusieurs égards, notamment par le type de services qu’elles offrent, leur
degré de spécialisation, le marché qu’elles visent, leur structure corporative, leur
capitalisation boursière, leurs liens d’affaires, leurs lieux d’opérations et
d’incorporation ainsi que le nombre, la qualification et l’expérience de leurs
employés20.
Afin de mieux comprendre l’industrie et d’élaborer des théories à son endroit,
certains auteurs proposent de classer les EMP suivant les catégories de services
qu’elles offrent. L’analyse la plus souvent citée est celle du professeur Peter
Warren Singer qui propose de classer les EMP en trois catégories, lesquelles se
distinguent en fonction de la proximité des activités exercées par rapport à la ligne
de front : Military Provider Firms, Military Consultant Firms et Military Support
19
Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 82.
20 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 88; Fred Schreier et Marina Caparini, Privatizing
Security : Law, Practice and Governance of Private Military and Security Companies, Genève, Geneva
Centre for the Democratic Control of the Armed Forces (DCAF), Occasional paper no.6, mars 2005, à la p. 33
[Schreier et Caparini].
7
Firms21. Les Military Provider Firms agissent dans le cadre de l’environnement
tactique et prennent part aux combats, en intégrant une unité de combat ou en en
assurant la commande et le contrôle22. Les Military Consulting Firms dispensent
pour leur part des services-conseil et d’entraînement constituant une partie
intégrante des opérations militaires et ayant notamment pour objectif la
restructuration des forces armées de leurs clients23. Enfin, les Military Support
Firms se concentrent sur les services accessoires tels l’assistance à caractère non
offensif, les services de renseignements, le support technique ainsi que les
services d’approvisionnement et de transport24.
Il existe également une tendance selon laquelle les sociétés militaires privées sont
distinguées des sociétés de sécurité privées, mais, encore là, la nature de la
distinction varie suivant les auteurs. Alors que certains définissent les sociétés de
sécurité privées comme des organisations offrant des services liés à la sécurité
intérieure et à la protection25, d’autres estiment qu’elles se caractérisent par le fait
qu’elles offrent des services dits de « sécurité passive » dans un environnement à
haut risque26. Quoi qu’il en soit, plusieurs s’accordent à dire que la ligne de
démarcation entre société militaire privée et société de sécurité privée est loin
d’être étanche et que la distinction perd son sens en contexte de conflit armé27. En
effet, non seulement plusieurs sociétés privées offrent-elles à la fois des services
de nature militaire et des services de protection privée, mais il importe également
de mentionner que le rôle d’assurer la sécurité dans une zone de conflit armé est
21
Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 14-15. Deborah D. Avant reprend l‟analyse de Singer
mais propose de s‟attarder au contrat réalisé plutôt qu‟à l‟entreprise elle-même : Avant, supra note 13 aux pp.
16-17. Voir également les autres études recensées par Schreier et Caparini : Schreier et Caparini, supra note
20.
22 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 92.
23 Ibid., à la p. 95.
24 Ibid., à la p. 97.
25 Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 26.
26 Doug Brooks, « Messiahs or Mercenaries? The Future of International Private Military Services » (2000) 7
International Peacekeeping 129.
27 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 89-90; Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 30;
Alexandre Faite, « Involvement of Private Contractors in Armed Conflict : Implications under International
Humanitarian Law » (2004) 4 Defence Studies 166 aux pp.168-169 [Faite].
8
bien différent de celui de garder un centre commercial local qui relève,
traditionnellement, du domaine public.
Lorsqu’il s’agit d’appliquer le DIH, ce sont les activités exercées sur le terrain par
les individus qui importent et non le qualificatif que l’on peut donner à la société qui
les emploie. Dans ce contexte, il nous serait peu utile de tenter de classifier les
EMP en catégories ou même de s’attarder à la distinction entre compagnie militaire
privée et compagnie de sécurité privée. Pour les fins de la présente étude, nous
emploierons la définition donnée dans le « Document de Montreux sur les
obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en ce qui
concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant
pendant les conflits armés » (ci-après, le « Document de Montreux ») qui
mentionne que « [q]uelle que soit la façon dont elles se décrivent, les
« EMSP [entreprises militaires et de sécurité privées] » sont des entités
commerciales privées qui fournissent des services militaires et/ou de sécurité »28.
Le guerrier privé dans l’histoire
Alors que l’implication des EMP dans les conflits armés semble bouleverser l’ordre
actuel des choses et suscite de multiples réactions, il convient de rappeler que
l’intervention d’acteurs privés dans les conflits a, à l’origine, été la norme plutôt que
l’exception. Les puissances publiques ont, pendant des millénaires, mené leur lutte
au moyen de guerriers privés. Ainsi, certains diront que le fait d’engager des
étrangers pour livrer bataille en son nom est aussi vieux que la guerre elle-
même29. Que l’on pense à la Compagnie catalane, aux condottieri ou à la
Compagnie des Indes orientales, l’histoire regorge d’exemples où des entités
privées ont pris part à des conflits auxquels elles étaient étrangères pour servir
28
Document de Montreux sur les obligations juridiques pertinentes et les bonnes pratiques pour les États en
ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits
armés, Doc off. AG NU, 63e sess., Annexe, point 76, Doc. NU A/63/467 (2008) à la p. 7
[Document de Montreux].
29 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 19.
9
leurs propres intérêts financiers. Le mercenariat n’a d’ailleurs pas toujours eu la
mauvaise presse qu’on lui attribue aujourd’hui.
Avec les Traités de Westphalie au milieu du 17e siècle, le droit international public
contemporain a opéré un renversement en concentrant la puissance entre les
mains des États. Au moment où les États se sont tranquillement emparés du
monopole de l’emploi de la force30, ont été constituées, en Europe, les premières
armées officielles, loyales à la nation31. Ainsi, à la fin du 18e siècle, le modèle de
l’armée étatique formée de citoyens a remplacé celui des armées composées
d’étrangers louées par les plus offrants32.
Le droit international a donc été conçu avec cette idée que la guerre est l’apanage
de l’État, qui la livre au moyen de son armée – qu’elle soit royale, impériale ou
nationale – formée de citoyens, volontairement enrôlés ou conscrits. Toutefois,
bien que les États se constituent des armées professionnelles, auxquelles ils
adjoignent, lorsque nécessaire, des citoyens conscrits, ils continuent d’utiliser des
acteurs privés pour accomplir des missions considérées comme étant moins
nobles, auxquelles ils ne souhaitent pas mêler leur propre armée. Dès lors, les
opérateurs privés ne sont utilisés que discrètement, en marge de l’armée régulière,
ce qui les rend d’autant plus utiles. Il est également pratique courante que des
États recourent à des acteurs privés pour accomplir des tâches secondaires visant
à assurer un support aux troupes, comme le support logistique, afin de permettre
aux troupes de se concentrer sur leur mission : combattre.
Pendant la période de décolonisation, les puissances coloniales ont eu
massivement recours à des mercenaires pour lutter contre les mouvements de
libération nationale. Le manque de professionnalisme de ces mercenaires, le peu
de respect qu’ils ont démontré envers les droits humains, de même que les
dérapages auxquels leurs activités ont donné lieu, allaient sonner le glas des
30
Ibid.
31 Ibid. à la p. 29.
32 Ibid. aux pp. 29-30.
10
mercenaires33. Surnommés « Les Affreux », les mercenaires seront, à partir de ce
moment, considérés comme une menace pour le droit à l’autodétermination des
peuples et s’attireront la réprobation de la communauté internationale, laquelle
condamnera progressivement leurs activités à compter des années 1970.
Lorsqu’à la fin de la Guerre froide, des soldats démobilisés souhaiteront offrir leurs
services sur le marché privé à des États aux prises avec des conflits internes et
dépourvus face au désengagement des grandes puissances militaires, ils auront
tout naturellement le souci de se distinguer des mercenaires. Ainsi, la structure
corporative des EMP, le fait qu’elles soient détenues par de grandes entreprises
multinationales, leur professionnalisme ainsi que les liens étroits que la plupart
d’entre elles entretiennent ouvertement avec des gouvernements légitimes leur
permettront de se distinguer des « Affreux » et de gagner en respectabilité.
L’avènement de technologies de plus en plus sophistiquées pour mener la guerre
a notamment contribué à rendre les EMP indispensables à plusieurs États qui
aspirent à privatiser leurs opérations.
La prise en compte des acteurs privés par le DIH
Au cours des deux siècles derniers, les États ont fait l’effort d’encadrer la conduite
des hostilités pour tenter de réduire les maux causés par la guerre. Ils ont, de
concert, élaboré les règles du jeu applicables aux conflits armés dans l’objectif
d’éviter que la population civile ne paie le prix de leurs différends. Les États ont
convenu d’un principe fondamental : pour protéger la population civile, il fallait à
tout prix distinguer les civils des combattants. Le DIH établit donc un régime
juridique basé sur une distinction entre ces deux groupes, qui régit la conduite des
hostilités lors de conflits armés internationaux. D’un côté, les combattants se voient
conférer le droit de participer légalement aux hostilités, dans le respect de
certaines règles propres à assurer notamment la protection de la population civile
ainsi qu’une lutte loyale entre les forces opposées et, en contrepartie, ils peuvent
33
Philippe Chapleau, Sociétés militaires privées – Enquête sur les soldats sans armées, Monaco, Éditions du
Rocher, 2005 aux pp. 31-33 [Chapleau].
11
être légalement pris pour cibles. De l’autre côté, les civils, qui bénéficient d’une
protection contre les attaques, ne peuvent légalement prendre part aux hostilités.
S’ils le font, puisqu’ils ne bénéficient pas du statut de prisonnier de guerre, les
actes qu’ils commettent sont passibles de poursuites pénales.
Sur la base d’une conception westphalienne, l’on considérait au moment d’élaborer
les règles du DIH que les États mèneraient normalement la guerre au moyen de
leur armée, de telle sorte que le statut de combattant a d’abord été réservé aux
membres réguliers des forces armées des Parties au conflit, incluant les entités
civiles qui y sont rattachées comme les milices et les corps de volontaires. Avec le
temps, cette notion a évolué pour prendre en compte de nouvelles réalités et
permettre à des groupes qui aspiraient à devenir un État, en prendre le contrôle ou
à lutter contre l’occupation étrangère de prendre légalement part aux conflits. Ainsi,
le statut de combattant a été élargi pour inclure, dans un premier temps, les
résistants et, ensuite, les guérilleros.
Il n’a pas été envisagé, du moins officiellement, lors de la rédaction des
Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels (ci-après, les
« Conventions ») que des individus mandatés par des personnes morales
étrangères au conflit accomplissent, à la demande d’États, des tâches
traditionnellement dévolues aux militaires nationaux à qui le statut de combattant a
été accordé. Dès lors, il relève d’un véritable tour de force d’appliquer aux
employés d’EMP le régime juridique actuel du DIH régissant les conflits
internationaux. Il semble en effet que, dans une majorité de cas, les employés
d’EMP ne s’insèrent convenablement dans aucune des deux catégories prévues,
ce qui est susceptible de causer une grande confusion sur le champ de bataille et
de remettre en cause le principe fondamental de discrimination entre civils et
combattants.
Or, les États qui ont ratifié les Conventions se sont non seulement engagés à les
appliquer de bonne foi, mais également à les faire respecter par leurs propres
citoyens, voire par d’autres États. Lorsqu’ils font intervenir dans les conflits armés
internationaux un acteur qu’il est difficile de classer dans l’une ou l’autre des deux
12
catégories prévues par les Conventions, il y a lieu de se demander si les États ne
remettent pas en cause le principe cardinal de la distinction entre civils et
combattants et, ce faisant, si une telle pratique constitue une application de bonne
foi des Conventions. La question faisant l’objet de la présente étude est donc la
suivante : En mandatant des EMP pour intervenir dans des conflits armés
internationaux, les États, à titre de Hautes Parties contractantes des Conventions
de Genève et de leurs Protocoles additionnels, se conforment-ils à l’ensemble de
leurs obligations?
La question qui nous préoccupe met en cause l’application de la Convention de
Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949 (ci-après,
la « Convention III »)34, de la Convention de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre du 12 août 194935 (ci-après, la
« Convention IV ») et du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du
12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux
(ci-après, le « Protocole I »)36. Nous avons choisi de limiter notre étude aux conflits
armés internationaux puisque la problématique de l’implication d’EMP dans les
conflits armés non internationaux requiert une toute autre analyse. Ces conflits
opposant, par essence, une force étatique à des groupes armés ou des groupes
armés entre eux, les règles les régissant, telles que codifiées par le Protocole
additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des
victimes des conflits armés non internationaux (ci-après, le « Protocole II »)37,
n’établissent pas formellement de distinction entre les personnes civils et les
combattants38. Ces règles, beaucoup moins développées que celles applicables
34
Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 135.
[Convention III].
35 Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949,
75 R.T.N.U. 287 [Convention IV].
36 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des
conflits armés internationaux (Protocole I), 1125 R.T.N.U. 3 [Protocole I].
37 Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des
conflits armés non internationaux (Protocole II), 1125 R.T.N.U. 609 [Protocole II].
38 Notons cependant qu‟en vertu du droit coutumier, plusieurs règles énoncées dans la Convention III et le
Protocole I, dont le principe de distinction entre les personnes civiles et les combattants, pourraient trouver
13
dans le cadre des conflits armés internationaux, ont pour objectif d’offrir une
protection minimale aux personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. Le
statut de prisonnier de guerre n’existe pas de sorte que les individus qui
commettent, dans le cadre du conflit, des actes jugés criminels en regard du droit
interne ne jouissent d’aucune immunité.
Plan du mémoire
Dans la première partie, nous analyserons le statut juridique des employés d’EMP
qui prennent part à des conflits armés internationaux au regard de la
Convention III et du Protocole I, afin de déterminer le régime juridique qui leur est
applicable. Nous verrons d’abord comment les États se sont entendus pour établir
un régime juridique suivant lequel les combattants et les civils sont assujettis à des
droits et obligations particuliers (Chapitre I). Nous passerons ensuite en revue les
différentes possibilités qu’ils obtiennent, soit de jure ou de facto, le statut de
combattant privilégié (Chapitre II). Ceci nous amènera à étudier chacune des
conditions d’obtention du statut de combattant et à vérifier si, à la lumière de la
littérature, les employés d’EMP sont actuellement susceptibles de remplir ces
conditions. Nous nous demanderons, en outre, si les employés d’EMP peuvent
être considérés comme des mercenaires, ce qui aurait eu pour effet de leur faire
perdre le droit de revendiquer le statut de combattant privilégié, à supposer qu’ils
l’aient préalablement obtenu. Puisqu’il n’y a pas de vide en DIH, nous verrons que
les employés d’EMP qui ne satisfont pas aux conditions nécessaires à l’obtention
du statut de combattant seront considérés comme des civils ou des civils
accompagnant les forces armées (Chapitre III). Or, il semble que plusieurs d’entre
eux ne correspondent pas au type de civils que les Hautes Parties contractantes
entendaient protéger par l’adoption des Conventions. Certains pourraient être
considérés comme des civils participant directement aux hostilités, ce qui fait en
application dans le cadre de conflits armés non internationaux. Puisque le statut de combattant n‟existe pas et
qu‟il est, dans le contexte de conflits armés non internationaux, impossible d‟appliquer les définitions
applicables en cas de conflits armés internationaux, la distinction est alors fondée sur la participation aux
hostilités. Voir Jean-Marie Henckaerts et al, Customary International Humanitarian Law, Cambridge,
Cambridge University Press, 2005, vol. 1 aux pp. 5-8, 12 et 13 [Henckaerts].
14
sorte que leurs protections ne varieraient plus uniquement en fonction de leur
statut mais serait aussi influencé par les activités qu’ils exercent.
Dans la seconde partie, nous étudierons les effets concrets qu’entraîne la
détermination des droits et obligations des employés d’EMP en fonction de leur
participation aux hostilités plutôt qu’en fonction de leur statut sur l’application du
DIH. Nous verrons d’abord que la notion de participation directe aux hostilités n’a
pas vocation à servir de critère de distinction et que son utilisation à cette fin
entraîne une grande confusion et une perte de protection des personnes civiles
(Chapitre I). Ceci nous amènera à nous demander si une application de bonne foi
des Conventions n’exigerait pas, implicitement, que les États s’abstiennent de faire
intervenir des personnes civiles dans le cœur des opérations militaires (Chapitre
II). Cette démarche nous amènera à identifier des limites au droit des États
d’embaucher des EMP pour intervenir dans des conflits armés internationaux et à
proposer des mesures à prendre par ceux-ci pour assurer le respect de leur
obligation d’appliquer les Conventions de bonne foi.
15
Partie 1 : La confusion entourant le régime juridique applicable aux employés d’entreprises militaires privées en droit international humanitaire
Chapitre I. L’entente entre les Hautes Parties contractantes aux Conventions : le principe de distinction entre combattants et personnes civiles
1. La nécessité de distinguer les combattants des civils
Le DIH qui a pour principal objectif d’épargner la population civile des maux de la
guerre prescrit un ensemble de règles visant à s’assurer que, dans la mesure du
possible, les conflits armés internationaux se déroulent exclusivement entre les
combattants appartenant aux Parties au conflit39. Comme le rappelait récemment
la Cour suprême d’Israël, le DIH constitue un délicat compromis entre les
nécessités militaires et les exigences d’humanité40. Il impose des limites suivant
lesquelles les nécessités militaires cèdent le pas aux exigences d’humanité41. En
d’autres mots, le but du DIH est de limiter les effets de la guerre sur la population
civile à ce qui est nécessaire au niveau militaire, en protégeant la population civile
autant que faire se peut pour laisser aux États le droit de faire la guerre42. Le
principe de distinction entre civils et combattants, qui vise à déterminer qui peut
légalement participer aux hostilités et qui doit en être épargné, constitue la pierre
angulaire de ce régime juridique. Il sert à établir la ligne de démarcation nécessaire
à la protection de la population civile en temps de conflit armé.
39
Yoran Dinstein, The Conduct of Hostilities under the Law of International Armed Conflict, Cambridge,
Cambridge University Press, 2004 à la p. 37 [Dinstein].
40 HCJ 769/02, Public Committee against Torture in Israel c. Government of Israel, (2007) 40 Isr. L.R. 213
(Israel, H.C.J.) au para. 22 [Targeted Killings].
41 Emily Camins, « The past as prologue : the development of the „direct participation‟ exception to civilian
immunity » (2008) 90 R.I.C.R. 853 à la p. 854 [Camins].
42 Knut Ipsen, « Combatants and Non-Combatants » dans Dieter Fleck, The Handbook of Humanitarian Law
in Armed Conflicts, Oxford, Oxford University Press, 1999, 65 à la p. 118 [Ipsen]; Dinstein, supra note 39 à
la p. 82.
16
Le principe de distinction trouve ses origines dans les écrits de Grotius qui disait
déjà, en 1625, qu’il n’était pas « correct » ou « honorable » lors de conflits armés
de causer la mort, même par accident, de personnes « innocentes », bien qu’à
cette époque cela n’était pas formellement interdit puisque les sujets d’un État
étaient perçus par l’adversaire comme des ennemis43. L’idée de distinguer
formellement les États de leurs sujets et d’éviter que les citoyens non combattants
deviennent les objets de la guerre s’est développée avec Rousseau qui écrivait
que « la guerre n'est donc point une relation d'homme à homme, mais une relation
d'État à État [...]. » À cette époque du XVIIIe siècle où la guerre était l’affaire
d’armées professionnelles, l’idée d’une immunité pour le non-combattant a été
lancée44. Elle allait cependant souffrir un recul avec la transformation des guerres
dynastiques en conflits où la population est mobilisée pour supporter l’effort de
guerre et aux cours desquelles la réponse envers ceux qui participent au conflit
sans porter l’uniforme a été féroce. S’en sont suivis un besoin et une volonté des
États d’encadrer leurs rapports lors de conflits armés, notamment de clarifier les
effets qu’entraînait la participation aux hostilités par ceux qui ne font pas partie des
forces armées45.
C’est dans ce contexte que Lieber a été mis à l’effort pour discuter du sort des
membres de la guérilla et qu’il a produit un code de conduite militaire basé
essentiellement sur l’idée de la lutte armée ouverte. Ce code de conduite prévoit,
en son article 22, l’immunité des civils, sujette aux exigences de la guerre46. Ses
travaux allaient ensuite servir de base à l’élaboration des Conventions de La Haye
de 1907 où allait être adoptée la définition du combattant, qui comporte des
conditions visant à assurer une lutte ouverte et à éviter les méthodes de guerre
perfides47.
43
Camins, supra note 41 aux pp. 855-856.
44 Ibid. à la p. 858.
45 Ibid. aux pp. 860-861.
46 Ibid. aux pp. 862-863.
47Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la Convention concernant les lois
et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907, reproduit dans Adam Roberts et Richard Guelff,
17
Cependant, l’absence dans les Conventions d’une immunité claire en faveur des
non-combattants a, dans le contexte des conflits du XXe siècle où la population a
été appelée à participer à l’effort de guerre, rendu une partie de cette population
civile vulnérable en tant que cible légitime, dont l’attaque était justifiée par des
motifs de nécessités militaires. La population civile travaillant dans les usines de
fabrication d’armement a été particulièrement touchée pendant les deux guerres
mondiales, plaçant la question de la protection de ceux qui participent à l’effort de
guerre au centre des préoccupations du CICR dans son projet d’améliorer la
protection des civils après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Celui-ci adopta,
en 1965, une résolution à l’effet « [q]u'il faut en tout temps faire la distinction entre
les personnes qui prennent part aux hostilités et les membres de la population
civile, afin que ces derniers soient épargnés dans toute la mesure possible »48,
laquelle a été endossée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 196849.
Les efforts du CICR aboutissent finalement à l’adoption des articles 48 et 51 du
Protocole I en 1977 où le principe de distinction – déjà à l’époque considéré
comme partie du droit coutumier50 – est enfin codifié, de concert avec l’adoption
d’une définition du civil et l’enchâssement du principe de son immunité. Ainsi,
l’article 48 du Protocole I prévoit désormais :
Article 48 – Règle fondamentale
En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre les objectifs militaires.
Documents on the Law of War, 2
e éd., Oxford, Clarendon Press, 1989 à la p. 48, art. 1
[Règlement de La Haye].
48 Résolution XXVIII de la XX
e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, Vienne,
1965.
49 Respect des droits de l’homme en période de conflit armé, Rés. AG 244, Doc. Off. AG NU, 23
e sess.,
supp. 18, Doc. NU A/7518 (1969) au para. 1(c); Principes fondamentaux touchant la protection des
populations civiles en période de conflit armé, Rés. AG 2675, 25e sess. au para. 2.
50 Yves Sandoz et al., Commentaires des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève
du 12 août 1949, Genève, Martinus Nijhoff Publishers, 1986 aux para. 1863-1871 [Sandoz].
18
La Cour internationale de Justice a rappelé le caractère fondamental du principe
de distinction dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires :
Les principes cardinaux contenus dans les textes formant le tissu du droit humanitaire sont les suivants. Le premier principe est destiné à protéger la population civile et les biens de caractère civil, et établit la distinction entre combattants et non-combattants; les États ne doivent jamais prendre pour cibles des civils, ni en conséquence utiliser des armes qui sont dans l'incapacité de distinguer entre cibles civiles et cibles militaires51.
Comme l’a affirmé la Cour internationale de Justice, « ces règles fondamentales
s’imposent d’ailleurs à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les instruments
conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes
intransgressibles du droit international coutumier »52.
2. Les statuts de combattants et de personnes civiles et les privilèges y associés
En application du principe de distinction, les Conventions distinguent explicitement
deux catégories d’intervenants dans les conflits armés internationaux les
combattants et les civils , auxquels sont rattachés, en principe, des privilèges
particuliers.
2.1 Les combattants
Les combattants qui répondent aux critères d’obtention de ce statut, tels que
définis par les Conventions, bénéficient du droit de participer aux hostilités tout en
étant à l’abri de poursuites pénales pour les actes qu’ils commettent dans le
respect du droit des conflits armés (ci après, les « combattants privilégiés »).
Depuis 1907, le Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la
guerre sur terre (ci-après, le « Règlement de La Haye ») reconnaît à l’armée, aux
51
Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Avis consultatif, [1996] C.I.J. Rec. 226 à la p. 257
[Avis sur les armes nucléaires].
52 Ibid. au para. 79.
19
milices et aux corps de volontaires la capacité d’exercer « les droits et devoirs de
la guerre »53. Le deuxième paragraphe de l’article 43(2) du Protocole I reprend ce
principe en édictant explicitement que « [l]es membres des forces armées d’une
Partie à un conflit (…) sont des combattants, c’est-à-dire ont le droit de participer
directement aux hostilités ». L’article 44 mentionne également que « [t]out
combattant, au sens de l’article 43, qui tombe au pouvoir d’une partie adverse est
prisonnier de guerre ». Il bénéficie par conséquent des protections offertes par la
Convention III, incluant la protection contre les poursuites pénales pour les actes
commis dans le respect du droit des conflits armés. Il est cependant passible d’être
détenu jusqu’à la fin des hostilités54. Ainsi, la notion de combattant est-elle
intimement liée, dans le texte des Conventions, au statut de prisonnier de guerre,
quoi que ces deux notions ne soient pas parfaitement équivalentes puisque les
prisonniers de guerre, tels que définis à l’article 4 de la Convention III, ne sont pas
tous des combattants, comme c’est le cas notamment du civil qui accompagne les
forces armées55.
La notion de combattant s’est développée sur la base de cette idée qu’elle doit
permettre la mise en oeuvre du principe de distinction, en s’assurant que les
combattants sont clairement identifiés et qu’ils seront tenus responsables des
violations du DIH qu’ils commettent, dont les règles visent essentiellement le
respect des personnes protégées. Le texte du Règlement de La Haye et de la
Convention III établissaient initialement, pour les fins de l’octroi du statut de
prisonnier de guerre et, par conséquent, de combattant, une distinction entre les
forces armées régulières et les « autres milices et corps de volontaires »,
prévoyant que ces derniers devaient respecter certaines conditions pour se voir
octroyer le droit de combattre. Ainsi, ces textes distinguaient les combattants
de facto, par opposition aux membres des forces armées régulières, considérés
53
Règlement de La Haye, supra note 47, art. 1.
54 Convention IV, supra note 35, art. 42 et 43.
55 Le premier paragraphe de l‟article 50 du Protocole I mentionne que les catégories de personnes énumérées
aux paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l‟article 4(A) de la Convention III sont des civils, ce qui signifie, a contrario,
que les autres sont des combattants.
20
comme combattants de jure. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 4(A)(2) de la
Convention III, qui reprennent les termes de l’article 1 du Règlement de la Haye
prévoient :
A. Sont prisonniers de guerre, au sens de la présente Convention, les personnes qui, appartenant à l'une des catégories suivantes, sont tombées au pouvoir de l'ennemi :
1) les membres des forces armées d’une Partie au conflit, de même que les membres des milices et des corps de volontaires faisant partie de ces forces armées;
2) les membres des autres milices et les membres des autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance organisés, appartenant à une Partie au conflit et agissant en dehors ou à l’intérieur de leur propre territoire, même si ce territoire est occupé, pourvu que ces milices ou corps de volontaires, y compris ces mouvements de résistance organisés, remplissent les conditions suivantes :
a) d’avoir à leur tête une personne responsable pour ses subordonnés;
b) d’avoir un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance;
c) de porter ouvertement les armes;
d) de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre.
Les conditions définissant le statut de combattant de facto, énoncées à
l’article 4(A)(2), sont l’expression des règles qui, traditionnellement, ont gouverné
les armées étatiques56. Il y a tout lieu de croire qu’elles s’appliquent également aux
armées régulières sans qu’il n’ait été nécessaire de le mentionner dans le texte
des Conventions57. C’est d’ailleurs la position qu’ont adoptée le Conseil privé
56
Ibid. à la p. 526; Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Dinstein, supra note 39 à la p. 36; Ingrid Detter, The
Law of War, 2e éd., Cambridge, Cambridge University Press, 2000 à la p. 136 [Detter].
57 Michael Bothe et al, New Rules for Victims of Armed Conflicts, Boston, Martinus Mijhoff, 1982 à la p. 234
[Bothe]. Voir l‟opinion à l‟effet contraire exprimée par le CICR : Nils Melzer, Interpretative Guidance on the
Notion of Direct Participation in Hostilities under International Humanitarian Law, Genève, CICR, 2009 à
la p. 22, en ligne: CICR<http://www.icrc.org/Web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/p0990/$File/ICRC_002_0990.PD
F>. [Nils Melzer, « Guide interprétatif »]. La traduction française du Guide interprétatif, bien qu‟annoncée,
n‟était pas disponible au moment d‟écrire les présentes.
21
britannique et la Cour suprême des États-Unis58. Plusieurs dispositions du
Protocole I laissent penser que les Hautes Parties contractantes présumaient que
les armées régulières satisfont d’office aux conditions énoncées à l’article 4(A)(2)
de la Convention III59. Celles-ci ont d’ailleurs été substantiellement reprises,
quoique sous une forme légèrement assouplie, par les articles 43 et 44 du
Protocole I qui définissent la notion de forces armées d’une Partie au conflit de
façon à inclure à la fois l’armée régulière et les groupes armés.
La notion de combattant a évolué au fil des guerres, non pas tant par une remise
en question des critères ayant pour fonction d’assurer le respect du principe de
distinction, mais en raison du fait que la notion de « forces armées d’une Partie au
conflit » à laquelle réfère l’article 43(2) du Protocole I a dû être adaptée pour tenir
compte de la transformation des forces en présence dans les conflits modernes,
dont l’avènement des guérilleros. Pour répondre aux exigences des nouveaux
conflits et aux problèmes que pouvaient poser le respect des conditions formulées
à l’article 4(A)(2) pour le guérilleros, le Protocole I a supprimé cette distinction
entre combattants de jure et de facto en édictant, à son article 43 :
Les forces armées d’une Partie au conflit se composent de toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette Partie (…). Ces forces armées doivent être soumises à un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du droit international applicable dans les conflits armés.
Ainsi, les forces armées d’une Partie au conflit englobent-elles, suivant le
Protocole I, non seulement les forces armées régulières mais également les
groupes armés qui, de facto, appartiennent à une Partie au conflit. L’obtention du
statut de combattant demeure quant à elle soumise à l’exigence du respect de
certaines conditions énoncées aux articles 43 et 44 du Protocole I qui, bien que
formulées de façon différente, expriment essentiellement la même idée que la
58
Ali c. Prosecutor, [1969] A.C. 430 (R.-U., C.P.) et Ex parte Quirin, 317 U.S. 1 (1942), cités dans Dinstein,
supra note 39 à la p. 36.
59 Voir Protocole I, supra note 36, art. 43(1), 44(2), (3) et (7), 86(2) et 87.
22
Convention III 60, tout en assouplissant légèrement les règles notamment quant à
l’obligation de se distinguer de la population civile et de porter ouvertement les
armes.
2.2 Les personnes civiles
Les personnes civiles sont pour leur part définies par la négative, le paragraphe
premier de l’article 50 du Protocole I mentionnant qu’« [e]st considérée comme
civile toute personne n’appartenant pas à l’une des catégories visées aux
paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l’article 4(A) de la Convention III et à l’article 43 du
présent Protocole », donc tous ceux qui ne sont pas des combattants. Suivant le
texte des Conventions, il n’y aurait pas de vide : par défaut, un individu qui n’est
pas un combattant serait considéré comme un civil. L’article 51, qui codifie une
règle de droit coutumier61, protège la population civile et les personnes civiles
contre « les dangers résultant d’opérations militaires », sauf « si elles participent
directement aux hostilités et pendant la durée que dure cette participation ». L’idée
est fort simple, et pour cause : les individus qui ne sont pas des combattants sont
en principe protégés des attaques ennemies; ils ne perdront leur protection que
s’ils participent aux hostilités, pendant la durée de cette participation.
Le texte des Conventions laisse ainsi penser qu’un individu est soit un combattant
privilégié, c’est-à-dire qu’il a le droit de prendre part aux hostilités, soit une
personne civile protégée contre les effets de la guerre tant et aussi longtemps
qu’elle ne participe pas directement aux hostilités. Les Conventions semblent
envisager uniquement une participation sporadique, voire spontanée ou
accidentelle aux hostilités par le civil, laquelle aurait pour effet de lui faire perdre
momentanément le bénéfice de la protection normalement accordée aux
personnes civiles. Ceci s’inscrit dans une logique suivant laquelle les États ont, à
notre avis, implicitement convenu de livrer bataille au moyen de leurs forces
armées, comme nous le verrons en deuxième partie du mémoire. S’il a sans doute
60
Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Detter, supra note 56 à la p. 137.
61 Targeted Killings, supra note 40 au para. 26.
23
été envisagé que des individus participeraient de façon plus soutenue aux
hostilités sans pour autant respecter les conditions d’obtention du statut de
combattant, les Conventions sont restées muettes sur cette situation. De deux
choses l’une : ou les États n’ont pas pu s’entendre sur la façon de traiter ces
individus ou ils ont cru bon ne pas créer une brèche dans le régime visant à
assurer la protection des civils. À tout événement, l’entente à laquelle en sont
arrivés les États semble clairement exprimée dans le texte des Conventions : les
individus qui respectent les conditions d’obtention du statut de combattant seront
considérés comme tels et pourront participer aux hostilités. Les autres seront des
civils qui bénéficient, en principe, d’une protection contre les effets de la guerre, à
moins qu’ils ne participent eux-mêmes aux hostilités, auquel cas ils perdront le
bénéfice de la protection pendant le temps de leur participation aux hostilités.
Nous verrons en deuxième partie que de nouvelles théories sur la distinction entre
combattants et personnes civiles, remettant en question à certains égards les
principes énoncés ci-haut, ont récemment été avancées afin de répondre à la
réalité des conflits modernes, plus particulièrement, à la place grandissante de
deux acteurs privés dans les conflits – les terroristes et les employés du secteur
privé62. Ces thèses visent en fait à réinterpréter le texte des Conventions pour
tenter de remédier à une situation où des individus exercent des fonctions
combattantes de façon soutenue sans pour autant respecter les conditions
d’obtention du statut de combattant, en les empêchant de bénéficier de la
protection accordée aux personnes civiles. Il est en effet difficile de concevoir qu’ils
puissent se trouver protégés contre les attaques ennemies en dehors des
intervalles où ils prennent directement part aux hostilités et ainsi bénéficier du
meilleur des deux mondes. C’est la situation du civil le jour et guerrier la nuit. Il ne
s’agit plus ici de retirer momentanément sa protection à un civil qui prend
spontanément et de façon isolée part aux hostilités, mais plutôt de protéger un
individu qui y prend part sur une base continue, tout en faisant défaut de respecter
les conditions d’obtention du statut de combattant.
62
Voir infra Partie 2, Chapitre I, section 1.3.
24
Dans le cadre de notre analyse, qui vise à déterminer si les États respectent
l’ensemble de leurs obligations aux termes des Conventions lorsqu’ils mandatent
des EMP pour accomplir des tâches traditionnellement dévolues aux forces
armées, il nous semble approprié d’analyser le statut des employés d’EMP à la
lumière du texte des Conventions, qui se veut un reflet de l’intention des Hautes
Parties contractantes. Par ailleurs, les nouvelles théories seront plutôt étudiées en
deuxième partie du mémoire, afin de démontrer les difficultés qu’engendre
l’implication d’acteurs privés dans les conflits armés quant à l’application du régime
mis en place par les Conventions.
25
Chapitre II. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des combattants privilégiés
Tel que discuté au chapitre précédent, les Conventions prévoient deux façons
distinctes pour un individu d’obtenir le statut de combattant : en adhérant
formellement aux forces armées régulières d’une Partie au conflit, il se voit
conférer de jure le statut de combattant63, tandis que son appartenance à un
groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions64 ou à un
mouvement de levée en masse65 peut lui permettre d’obtenir de facto ce statut.
D’emblée, la possibilité que des employés d’EMP agissant à la demande d’un État
puissent acquérir le statut de combattant en participant à une levée en masse au
sens de l’article 4(A)(6) de la Convention III doit être exclue. Cette disposition vise
exclusivement la population d’un territoire non occupé qui, à l’approche de
l’ennemi, prend spontanément les armes pour le combattre, sans avoir eu le temps
de se constituer en forces armées régulières. Il va sans dire qu’une EMP n’a rien
d’un mouvement de citoyens créé de façon informelle dans le but spécifique de
repousser un ennemi qui tente d’envahir leur pays. Par ailleurs, le fait que l’EMP
préexiste à l’arrivée de l’ennemi et qu’elle ait pris le temps de négocier un contrat
avec un État ou avec un tiers, lui-même lié par contrat à l’État, s’oppose à toute
notion de spontanéité. Aussi, l’article 4(A)(6) exige que la population n’ait pas eu le
temps de s’organiser afin d’avoir à sa tête une personne responsable pour ses
subordonnés et un signe distinctif reconnaissable à distance, ce qui permet au
mouvement de levée en masse d’être relevé de l’obligation de respecter ces deux
conditions normalement imposées aux groupes armés pour obtenir de facto le
statut de combattant66. Le recours à une entreprise déjà organisée et structurée
63
Convention III, art. 4(A)(1) et Protocole I, art. 43(1) et (3).
64 Convention III, art. 4(A)(2) et Protocole I, art. 43(1).
65 Convention III, art. 4(A)(6).
66 Jean de Preux, Commentaire de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative au traitement des
prisonniers de guerre, éd. par Jean Pictet, Genève, CICR, 1958 aux pp. 76-77.
26
avant l’arrivée de l’ennemi fait échec au respect de cette condition67. Qui plus est, il
importe de souligner que le champ d’application de l’article 4(A)(6) est
extrêmement restreint quant à sa portée et sa durée : il ne vise que le cas
particulier de la lutte d’une population contre un envahisseur étranger et cesse de
trouver application dès que l’occupation est établie68.
1. Le statut de combattant de jure : l’intégration aux forces armées régulières d’une Partie au conflit
L’article 4(A)(1) de la Convention III confère le statut de combattant aux membres
réguliers des forces armées des Parties au conflit, soit tous les militaires69 faisant
organiquement partie des forces armées70, incluant les milices et les corps de
volontaires qui, dans certains pays, se distinguent de l’armée proprement dite, bien
qu’ils fassent partie des forces armées71. Sont visés non seulement les membres
des forces armées qui ont des fonctions combattantes, mais également ceux qui
accomplissent des tâches administratives72. L’article 43(3) du Protocole I offre par
ailleurs aux Parties au conflit la possibilité d’intégrer dans leurs forces armées
« une organisation paramilitaire ou un service armé chargé de faire respecter
l’ordre », pour autant qu’elles le notifient aux autres Parties au conflit. Afin que les
employés d’une EMP acquièrent de jure le statut de combattant, il faudrait donc,
soit qu’ils deviennent individuellement membres des forces armées d’une Partie au
conflit, soit que l’EMP qui les emploie y soit elle-même intégrée.
67
Ipsen, supra note 42 à la p. 79.
68 Éric David, Principes de droit des conflits armés, 3
e éd., Bruxelles, Bruylant, 2002 à la p. 422. (Si la
population veut continuer sa lutte une fois l‟occupation établie, elle doit respecter les conditions applicables
aux mouvements de résistance ou être incorporée dans les forces armées de l‟autorité dont elle dépend ou se
réclame) [David].
69 De Preux, supra note 66 à la p. 58.
70 David, supra note 68 à la p. 419.
71 De Preux, supra note 66 à la p. 58.
72 David, supra note 68 à la p. 421.
27
1.1 L’hypothèse de l’adhésion individuelle des employés d’entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit
Les Conventions laissent une grande marge de manœuvre aux États qui,
souverains en regard de leurs affaires internes, décident de l’organisation de leurs
forces armées et des conditions à satisfaire pour en devenir membres73. Elles ne
donnent pas d’indications claires permettant de déterminer qui peut être considéré
comme membres des forces armées régulières d’un État. Il faut donc se référer en
la matière au droit interne et au système politique de chaque Partie au conflit74. La
plupart des États ont élaboré des procédures d’enrôlement et de conscription qui
permettent ou imposent à des individus de joindre les rangs de leur armée et de
les soumettre à son commandement. Certains États sont cependant beaucoup
moins formels, quelques-uns acceptant même qu’un individu soit membre de ses
forces armées dès qu’il prend part au combat75. En l’absence de dispositions dans
le droit national sur le sujet, il n’y a pas de critères fixes qui permettent d’établir, à
coup sûr, qu’un individu fait partie des forces armées d’une Partie au conflit au
sens de l’article 4(A)(1) de la Convention III. Toutefois, quelques indices peuvent,
sans être probants en soi, être révélateurs d’une telle appartenance comme le port
de l’uniforme, la soumission à la chaîne de commandement militaire,
l’assujettissement au code de discipline et au code pénal militaire et la possession
d’une carte d’identité prévue par la Convention III76.
La démarche consiste donc à vérifier si l’État qui sous-traite des tâches militaires à
une EMP a accompli les formalités nécessaires, en vertu de son droit interne, pour
intégrer les employés de cette compagnie au sein de ses forces armées.
Rappelons à cet égard qu’il n’existe, à la base, aucun lien direct entre la Partie au
conflit et les employés du secteur privé, qui sont plutôt liés par contrat à une
73
Nicki Boldt, « Outsourcing War – Private Military Companies and International Humanitarian Law »
(2004) 47 German Yearbook of International Law 502 à la p. 515 [Boldt].
74 Ibid. à la p. 515; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 524.
75 Schmitt, ibid (Schmitt cite l‟exemple de l‟armée des Talibans en Afghanistan).
76 Gillard, supra note 14 à la p. 533.
28
corporation77. Le simple fait que des employés d’EMP exercent des tâches
militaires au profit d’une Partie au conflit ne suffisant généralement pas en vertu du
droit national à en faire des membres de ses forces armées78, les employés d’EMP
ne pourront être considérés comme des membres des forces armées d’un État
sans que celui-ci ne pose un geste positif en ce sens. Si cette intégration apparaît
techniquement possible79, il en va de la volonté des États de la mettre en œuvre. À
ce jour, cette solution n’a été retenue que de façon exceptionnelle; il n’est toutefois
pas exclu qu’elle soit davantage utilisée dans l’avenir. Notons à cet égard, que les
États occidentaux semblent envisager les choses différemment de ceux dont la
puissance militaire est moins développée.
L’un des principaux objectifs poursuivis par les États occidentaux qui sous-traitent
des tâches militaires à des EMP est de réduire la taille de leurs forces armées en
privatisant une partie de leurs opérations, ce qui s’oppose, à première vue, à ce
qu’ils intègrent des employés du secteur privé au sein de leurs forces armées
régulières. Ainsi, la tendance actuelle parmi les États occidentaux est de ne faire
aucune démarche pour intégrer les employés d’EMP dans leurs forces armées et
de les considérer comme des civils80, à l’exception du Royaume-Uni qui, avant-
gardiste en la matière, a élaboré une solution novatrice en permettant à l’armée de
sous-traiter certaines activités à des EMP pourvu qu’une proportion de leurs
employés servent dans la « Sponsored Reserve »81 et puissent donc être déployés
77
Avril McDonald, « The Legal Status of Military and Security Subcontractors » dans Roberta Arnold et
Pierre-Antoine Hildbrand, dir., International Humanitarian Law and the 21st Century’s Conflicts, Genève,
Édis, 2005, 215 aux pp. 226-227 [McDonald].
78 Voir en ce sens Gillard, supra note 14 à la p. 533; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note
2 à la p. 525.
79 Voir notamment Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 524; Boldt, supra note
73 aux pp. 515-516; Michael E. Guillory, « Civilianizing the Force : Is the United States Crossing the
Rubicon? » (2001) 51 A.F.L. Rev. 111 à la p. 141 [Guillory]; Rebecca R.Vernon, « Battlefield Contractors :
Facing the Tough Issues » 33 Pub. Cont. L.J. 369 à la p. 421 [Vernon]; Cameron, supra note 5 à la p. 583.
Voir cependant McDonald, supra note 77 aux pp. 226-227.
80 Cameron, supra note 5 à la p. 584; Boldt, supra note 73 à la p. 513.
81 Reserve Forces Act 1996 (R.-U.), 1996, c. 14.
29
comme des membres des forces armées au besoin82. Ainsi, ces employés d’EMP
membres de la « Sponsored Reserve » travaillent comme civils pour l’EMP et,
lorsque nécessaire, servent pour les forces armées à titre de réservistes.
À l’inverse des grandes puissances militaires, certains États qui disposent de
capacités militaires plus limitées et qui cherchaient ainsi à combler un manque de
ressources et d’expertise faisant défaut au sein de leurs propres forces armées ont
vu un avantage particulier à intégrer les employés du secteur privé au sein de leurs
forces armées83. Ce fut notamment le cas d’un certain nombre de pays africains
aux prises avec des conflits internes depuis les années 1990. Ainsi, le
gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée a-t-il intégré les employés de
Sandline à ses forces armées en leur accordant le statut de « Special
Constables »84. Certains auteurs affirment également que des employés
d’Executive Outcomes auraient été intégrés aux forces armées de la
Sierra Leone85.
1.2 L’hypothèse de l’incorporation des entreprises militaires privées aux forces armées d’une Partie au conflit
Puisque ce n’est qu’exceptionnellement que des employés d’EMP soient
individuellement intégrés aux forces armées d’une Partie au conflit, il y a lieu de se
demander si l’EMP ne pourrait pas, en tant qu’entité, être considérée comme une
milice, un corps de volontaires86, un groupe ou une unité87 qui fait de jure partie
des forces armées. Là encore, les Conventions cèdent le pas au droit national
82
The British Army, The Reserve Forces Act 1996 – Mobilisation and call out issues, en ligne :
<http://www.armedforces.co.uk/army/listings/l0135.html>.
83 Boldt, supra note 73 à la p. 516.
84 Voir le contrat entre Sandline et le gouvernement de la Papouasie Nouvelle-Guinée daté du 31 janvier
1997, reproduit par Peter W. Singer : Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 249; Foreign and
Commonwealth Office, Private Military Companies : Options for Regulation, London, Stationery Office,
2002 à la p. 7, en ligne : <www.fco.gov.uk/Files/kfile/mercenaries,0.pdf>.
85 Juan Carlos Zarate, « The Emergence of a New Dog of War : Private International Security Companies,
International Law, and the New World Disorder » [1998] Stan. J. Int‟l L. 75 à la p. 124 [Zarate].
86 Convention III, art. 4(A)(1).
87 Protocole I, art. 43(1).
30
puisqu’elles ne donnent aucun détail sur les conditions que doivent satisfaire ces
groupes pour faire partie des forces armées d’une Partie au conflit. Il semble
toutefois qu’une affiliation formelle aux forces armées soit nécessaire88. En effet, il
ressort des commentaires relatifs à l’article 4(A)(1) de la Convention III que les
milices et corps de volontaires, bien que distincts de l’armée proprement dite, font
partie des « forces armées »89 et sont donc intégrés à sa structure organique90.
Par ailleurs, l’article 43(3) du Protocole I prévoit que les États qui souhaitent
intégrer au sein de leurs forces armées des organisations paramilitaires ou
services armés chargés de faire respecter l’ordre doivent le notifier aux autres
Parties au conflit, ce qui suppose l’existence d’un acte formel d’incorporation91.
Comme le disait le professeur Michael N. Schmitt, il serait pour le moins incongru
qu’un État soit tenu d’incorporer formellement à son armée ces groupes, qui sont
des entités gouvernementales par essence, et qu’il n’ait pas à le faire pour des
compagnies privées92.
Le simple fait qu’une EMP se voit confier, par contrat, des tâches de nature
militaire ou qu’elle assiste les forces armées dans leur travail apparaît donc
insuffisant pour qu’elle fasse partie de celles-ci et que ses employés se voient
octroyer, de jure, le statut de combattant93. Cette incorporation pourrait, suivant les
exigences du droit national, devoir se faire au moyen d’une loi nationale qui
soumettrait l’EMP à la chaîne de commandement militaire94. Aussi, une notification
88
Henckaerts, supra note 38 à la p. 17.
89 De Preux, supra note 66 à la p. 58; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525;
Gillard, supra note 14 à la p. 532; Boldt, supra note 73 aux pp. 523-524.
90 David, supra note 68 à la p. 419.
91 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525; Cameron, supra note 5 à la p. 583;
Centre universitaire de droit international humanitaire, Expert meeting on private military contractors : Status
and state responsibility for their actions, Genève, 29-30 août 2005 à la p. 12, en ligne :
<http://www.ucihl.org/communication/private_military_contractors_report.pdf> [Centre universitaire de droit
international humanitaire].
92Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 525. Voir au même effet Centre
universitaire de droit international humanitaire, ibid.
93 Schmitt, ibid; Cameron, supra note 5 à la p. 584.
94 Voir également Henckaerts, supra note 38 à la p. 17 (l‟intégration aux forces armées se fait normalement
par un acte formel d‟incorporation, tel un acte du parlement).
31
au sens de l’article 43(3) du Protocole I serait requise afin que l’ennemi puisse
savoir qui fait partie des forces armées, qui lui sont opposés95.
Nous n’avons recensé aucun cas précis où des EMP, en tant qu’entités, auraient
été formellement intégrées aux forces armées d’une Partie à un conflit96.
Évidemment, une telle incorporation apparaît, au même titre que l’intégration
individuelle des employés, contraire aux objectifs qui sous-tendent la privatisation
par les États occidentaux, à moins qu’elle ne puisse se faire sur une base très
temporaire, ce qui est loin d’être certain. Il est en outre assez difficile d’imaginer
comment une entreprise privée pourrait être intégrée à la structure militaire d’un
État à moins qu’elle ne soit nationalisée.
2. Le statut de combattant de facto : l’appartenance à un groupe armé satisfaisant aux conditions énoncées aux Conventions
2.1 Les conditions d’obtention du statut de combattant de facto
L’article 4(A)(2) de la Convention III et les articles 43 et 44 du Protocole I énoncent
plusieurs conditions qu’un groupe, en tant qu’organisation, et ses membres,
individuellement, doivent satisfaire afin que ces derniers obtiennent le statut de
combattant sans pour autant être formellement intégrés aux forces armées.
Puisque les règles régissant l’octroi du statut de combattant formulées dans la
Convention III et le Protocole I expriment essentiellement la même idée97, nous
analyserons simultanément le statut des employés d’EMP au regard de ces deux
instruments, tout en soulignant, lorsqu’il y a lieu, les différences possibles. Il
importe de préciser que nous avons divisé, pour les fins de notre analyse, les
exigences des conventions en un certain nombre de conditions. Cette division
95
Cameron, supra note 5 à la p. 583.
96 Certains auteurs mentionnent que des EMP sont régulièrement assimilées aux forces armées, sans toutefois
donner d‟exemples ou de références. Notons cependant qu‟ils font cette affirmation dans le cadre de leur
questionnement à savoir si leurs employés sont des mercenaires; ils n‟affirment pas que ces derniers auraient
le statut de combattant. Voir notamment Zarate, supra note 85, à la note 124 dont les propos sont repris par
Nathaniel Stinnett, « Regulating the Privatization of War : How to stop Private Military Firms from
committing Human Rights Abuses » (2005) 28 B.C. Int‟l & Comp. L. Rev. 212 à la p. 216.
97 Henckaerts, supra note 38 à la p. 15; Detter, supra note 56 à la p. 137.
32
n’est cependant pas étanche et les conditions doivent s’analyser les unes par
rapport aux autres, chacune d’entre elles ayant une influence l’une sur l’autre.
Le statut de combattant, bien qu’il bénéficie ultimement à des individus, s’évalue
d’abord sur une base collective, en fonction d’un groupe98. Ainsi, pour déterminer
si un individu bénéficie du statut de combattant, il faut, dans un premier temps,
vérifier si le groupe dont il fait partie satisfait aux critères énoncés aux
Conventions. Si tel est le cas, il sera, a priori, considéré comme combattant et
exclu de la catégorie des personnes civiles. Par contre, si cet individu fait défaut de
respecter les conditions individuelles requises pour l’octroi du statut de combattant,
il perdra alors son droit à bénéficier des privilèges associés à ce statut. Ainsi, nous
proposons d’énoncer les conditions d’obtention du statut de combattant de facto de
la façon suivante.
Les conditions applicables au groupe :
i) Remplir un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités;
ii) Agir au nom d’une Partie au conflit;
iii) Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime
de discipline et
iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre.
Les conditions applicables à l’individu :
i) Porter un uniforme ou un signe distinctif et
ii) Porter ouvertement les armes.
2.2 La faculté pour les États d’avoir recours à des combattants de facto
Avant de se livrer à l’examen du respect ou non des conditions d’obtention du
statut de combattant de facto par les employés d’EMP, il convient de s’interroger
sur la possibilité que des employés d’entreprises privées mandatées par un État
puissent potentiellement revendiquer l’application des critères d’octroi propres au
98
Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11.
33
statut de combattant de facto plutôt que ceux réservés aux forces armées
régulières. Si tel était le cas, ceci pourrait permettre aux États de remplacer une
partie de leurs forces armées régulières (ou, dans certains cas, en augmenter les
effectifs) par des combattants de facto sous contrat avec des entreprises privées
qui, bien que mandatées par une Partie au conflit, opèreraient, dans une certaine
mesure, en marge de ses forces armées régulières. A priori, une telle pratique
apparaît s’opposer à la tradition westphalienne suivant laquelle il est généralement
acquis que les États, dès lors qu’ils disposent de forces armées régulières, livrent
bataille par l’intermédiaire de celles-ci. Le statut de combattant de facto s’est ainsi
développé pour couvrir des groupes d’individus qui opèrent en marge de la
structure étatique.
Le statut de combattant de facto (membres des forces armées irrégulières) prévu
par la Convention III, laquelle reprend les principes du Règlement de La Haye, a
été initialement conçu pour couvrir les membres des mouvements de résistance99.
Plus précisément, le paragraphe 4(A)(2) de la Convention III confère le statut de
prisonnier de guerre aux « membres des autres milices et (…) membres des
autres corps de volontaires, y compris ceux des mouvements de résistance
organisés, appartenant à une Partie au conflit [nos italiques] ». Ce paragraphe
étant placé immédiatement après celui qui octroie le statut de prisonnier de guerre
aux forces armées régulières, les combattants de facto sont souvent définis
comme des membres de milices ou corps de volontaires qui sont indépendants de
ces forces armées bien qu’ils appartiennent à une Partie au conflit100.
Quant à savoir ce que signifie concrètement cette indépendance, les opinions
divergent. Selon le professeur Schmitt, l’indépendance se mesure par le degré
d’autonomie avec lequel le groupe opère puisqu’en l’absence d’autonomie, le
groupe ne saurait se distinguer des forces régulières et tomberait donc sous le
99
David, supra note 68 à la p. 422.
100 Bothe, supra note 57 à la p. 233.
34
coup de l’article 4(A)(1) de la Convention III101. À son avis, plus les entrepreneurs
privés seront soumis au contrôle des forces armées régulières, moins ils en seront
indépendants. À l’inverse, plus une EMP aura le contrôle de ses opérations, moins
elle appartiendra à une Partie au conflit. Dans cette perspective, le critère
d’indépendance s’opposerait à ce qu’un État remplace son armée régulière par
des combattants de facto102.
D’autres estiment plutôt que si les groupes armés devaient nécessairement être
indépendants des forces armées régulières, au niveau de leur organisation, il leur
serait vraisemblablement impossible d’appartenir à une Partie au conflit et, par
conséquent, le statut de combattant de facto perdrait tout effet utile103. Une simple
indépendance de jure serait suffisante, celle-ci étant acquise dès lors que la milice
ou le corps de volontaires n’est pas formellement intégré aux forces armées
régulières104. Cette interprétation nous apparaît davantage conforme à l’esprit de la
Convention et à l’interprétation donnée par le CICR105. Elle trouve également appui
dans l’affaire Le Procureur c. Tadić du Tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie (ci-après, « TPIY ») où la Chambre d’appel a mentionné que les États
ont accepté, en pratique, que les belligérants aient recours à des unités
paramilitaires et des forces irrégulières dans la mesure où ils sont disposés à
assumer toute responsabilité pour les violations du droit humanitaire que
pourraient commettre ces forces106.
101
Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 528-529; Cameron, supra note 5 à la
p. 585. Voir également Michael Bothe qui fait référence à la condition d‟indépendance, dans un contexte plus
large : Bothe, supra note 57 aux pp. 233-234.
102 Voir également Cameron, supra note 5 (« It could in fact be argued that when states make a conscious
choice to engage non-military personnel from the private sector to perform certain tasks, then to qualify those
persons somehow as a kind of paramilitary force for the purposes of Article 4(A)(2) flies in the face of
logic. » à la p. 585).
103 Boldt, supra note 73 à la p. 526.
104 Ibid.
105 Bothe, supra note 57 aux pp. 232-234; Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57. Emanuela-
Chiara Gillard adopte une position différente: Gillard, supra note 14 à la p. 534).
106 Le Procureur c. Tadić, IT-94-1, Arrêt (15 juillet 1999) au para. 94 (TPIY, Chambre d‟appel) [Tadić].
35
À tout événement, cette question de l’indépendance des combattants de facto ne
saurait poser problème sous le régime du Protocole I, celui-ci ayant éliminé la
distinction entre les membres des forces armées régulières et ceux des forces
irrégulières en les regroupant sous un vocable commun – celui de membres des
forces armées. À la lumière de ce qui précède, il ne nous semble pas exclu,
a priori, que des États puissent choisir de remplacer une partie de leurs forces
armées régulières par des combattants de facto, dans la mesure évidemment où
les critères mentionnés à l’article 4(A)(2) de la Convention III ou aux articles 43 et
44 du Protocole I, selon le cas, sont satisfaits.
2.2 L’examen du respect des conditions d’obtention du statut de combattant de facto par les employés d’entreprises militaires privées
2.2.1 Les conditions applicables au groupe
Nous examinerons, dans un premier temps, si les employés d’EMP, en tant que
groupe, i) accomplissent un mandat pouvant impliquer une participation directe aux
hostilités; ii) agissent au nom d’une Partie au conflit; iii) sont soumis à un
commandement responsable mis en force par un régime de discipline et iv)
respectent les lois et coutumes de la guerre.
i) Un mandat pouvant impliquer une participation directe aux hostilités
Bien qu’il ne s’agisse pas de l’une des conditions posées en termes exprès, le
libellé des articles 4(A)(2) de la Convention III107 et de l’article 43 du Protocole I 108
suggère que le statut de combattant est destiné à s’appliquer à des groupes
« armés ». Ceci suppose, selon les différents auteurs, que le groupe doit se livrer à
des actes hostiles envers l’ennemi109, participer aux combats110, exercer des
107
L‟article 4(A)(2) de la Convention III réfère « aux milices et corps de volontaires » qui sont, par définition,
des groupes armés, et pose la condition de porter ouvertement les armes.
108 L‟article 43 du Protocole I définit les forces armées d‟une Partie au conflit comme étant « toutes les forces,
tous les groupes et toutes les unités armés (…) ».
109 Henckaerts, supra note 38 à la p. 15.
110 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11.
36
activités proches du cœur des opérations militaires111, conduire les hostilités pour
une Partie au conflit112 ou encore participer directement aux hostilités113.
Peu importe la terminologie employée, il nous semble logique de penser que le
statut de combattant est intrinsèquement lié à la participation aux hostilités,
considérant que l’intérêt de distinguer les combattants des civils repose justement
sur la nécessité d’identifier ceux qui peuvent légalement prendre part aux hostilités
et ceux qui doivent en être épargnés. C’est d’ailleurs ce qui distingue les
combattants des civils qui accompagnent les forces armées, visés au paragraphe
4(A)(4) de la Convention III114. Ainsi, sommes-nous d’avis qu’un groupe d’individus
oeuvrant pour une EMP et affecté à une mission particulière constituera un groupe
armé dans la mesure où il s’est vu confier des tâches suffisamment proches du
cœur des activités militaires pour être exposé à prendre part directement aux
hostilités. Il n’apparaît pas nécessaire que les termes du mandat octroyé ou les
directives émises ultérieurement impliquent d’emblée une participation aux
hostilités, mais les tâches confiées devraient, de par leur nature, être susceptibles
d’entraîner une telle participation.
Selon Emanuela-Chiara Gillard, conseillère juridique au CICR, cette exigence
d’être mandaté pour exercer des activités près du cœur des opérations militaires
aurait pour effet d’exclure une large majorité d’entrepreneurs privés du statut de
combattant puisqu’il existerait un consensus parmi les États à l’effet que ces
activités ne devraient pas être confiées au secteur privé115. S’il est vrai que les
États semblent, dans leur discours officiel ou leur législation116, réticents à confier
111
Gillard, supra note 14 aux pp. 534-535.
112 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 33.
113 Boldt, supra note 73 aux pp. 517-523.
114 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11; Boldt, supra note 73 aux
pp. 516-517.
115 Gillard, supra note 14 à la p. 535.
116 É.-U., Department of Defence, Contractor Personnel Authorized to Accompany the U.S. Armed Forces,
Instruction no 3020.41, 3 octobre 2005 au para. 6.1.5, en ligne:
<http://www.dtic.mil/whs/directives/corres/pdf/302041p.pdf> [Directive no 3020.41]; É.-U., Department of
Defence, Policy and Procedure for determining workforce mix, Instruction no 1100.22, 7 septembre 2006
[Directive no 1100.22].
37
d’emblée des contrats liés aux combats à des EMP, il n’en demeure pas moins
que la littérature révèle plusieurs exemples où des EMP ont réalisé des missions
impliquant clairement une participation directe aux hostilités, tel qu’il sera discuté
en partie 2 du mémoire117. Là encore, ce sont les activités exercées dans les faits
et non les termes du contrat ou d’une législation qui doivent prévaloir. Ainsi, le
contexte dans lequel les EMP sont appelées à intervenir et la nature des missions
qui leur sont confiées pourraient, dans certains cas, en faire des groupes armés.
Cette question de la participation d’EMP aux hostilités, vu sa complexité et son
importance pour notre propos, sera plus amplement abordée dans une section
distincte du présent mémoire118.
ii) Agir au nom d’une Partie au conflit
L’article (4)(A)(2) de la Convention III exige que le groupe « appartienne » à une
Partie au conflit119. Il ne fait désormais aucun doute qu’une simple liaison de fait,
incluant un accord tacite, soit suffisante120. Ce qui importe, c’est que le caractère
des opérations exercées par le groupe en question permette d’identifier la Partie
au conflit pour laquelle il agit121. L’article 43 du Protocole I, qui pose la définition
des « forces armées d’une Partie au conflit » [nos italiques], ne semble avoir
apporté aucun changement à cette condition, les Hautes Parties contractantes
demeurant soucieuses d’éviter qu’un groupe quelconque ne soit admis à faire une
« guerre privée »122.
Suivant la jurisprudence du TPIY, un groupe appartiendra à une Partie au conflit
au sens de l’article 4(A)(2) de la Convention III s’il est dépendant de cette Partie
117
Voir infra, Partie 2, Chapitre I.
118 Voir infra Partie 2, Chapitre I.
119 De Preux, supra note 66 aux pp. 64-65.
120 De Preux, supra note 66 aux pp. 64-65. Voir également David, supra note 68 aux pp. 422-423.
121 De Preux, ibid. à la p. 64. Voir également Gillard, supra note 14 à la p. 534 et Schmitt, « Direct
Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 527.
122 Bothe, supra note 57 à la p. 519; Sandoz, supra note 50 au para. 1672; Henckaerts, supra note 38 à la
p. 15.
38
ou, en d’autres termes, soumis à son contrôle123. En l’absence de règle issue du
DIH sur cette question, la Chambre d’appel du TPIY s’est référée aux règles
relatives à la responsabilité des États. Elle estime qu’il s’agit concrètement de
déterminer si le groupe peut être considéré, de droit ou de fait, comme un organe
de cette Partie au conflit124. Lorsqu’il s’agit d’un groupe organisé, comme ce serait
le cas d’une EMP, la Chambre estime qu’un contrôle global est suffisant pour
considérer que le groupe agit au nom de l’État, rejetant le test plus étroit formulé
par la Cour internationale de Justice dans l’Affaire des activités militaires et para-
militaires au Nicaragua et contre celui-ci125. Ce contrôle doit aller au-delà d’une
simple assistance financière, de la fourniture d’équipement militaire ou de
l’entraînement, sans qu’il ne soit toutefois requis que l’État n’émette des ordres
spécifiques ou ne dirige chacune des opérations126. Suivant la Chambre d’appel,
« [l]e degré de contrôle requis en droit international peut être considéré comme
avéré lorsqu’un État (ou, dans le contexte d’un conflit armé, une Partie au conflit)
joue un rôle dans l’organisation, la coordination ou la planification des actions
militaires du groupe militaire, en plus de le financer, l’entraîner, l’équiper ou lui
apporter son soutien opérationnel »127. Notons toutefois que cette interprétation
élargie de la notion de contrôle qui sert à déterminer l’appartenance à une partie
au conflit a vocation à s’appliquer uniquement en droit pénal international; la Cour
internationale de Justice a réitéré dans l’Affaire relative à l’application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide qu’un
123
Tadić, supra note 106 aux para. 94-95. Il convient de noter que l‟analyse de la Cour s‟inscrit dans le
contexte où celle-ci devait statuer sur l‟existence d‟un conflit armé international et donc se demandait si les
forces des Serbes de Bosnie pouvaient être considérées comme des organes de fait de la République fédérale
de Yougoslavie.
124 Ibid. aux para. 91-96.
125 Affaire des activités militaires et para-militaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-
Unis), [1986] C.I.J. Rec. 14.
126 Tadić, supra note 106 au para. 137.
127 Ibid. au para. 137.
39
contrôle plus étroit était nécessaire pour engager la responsabilité de l’État au
niveau international128.
Il fait peu de doute qu’une EMP agira au nom d’une Partie au conflit lorsqu’elle
conclut un contrat directement avec une Partie au conflit, ce contrat constituant un
mandat exprès de l’État d’entreprendre certaines opérations en son nom,
lesquelles seront, de façon plus ou moins détaillées, définies dans le contrat.
L’octroi d’un contrat implique inévitablement un financement des activités exercées
par l’EMP et, dans une mesure susceptible de varier suivant les circonstances, un
rôle dans l’organisation, la coordination ou la planification des actions militaires du
groupe. À cet égard, il est intéressant de souligner que les employés d’EMP sous
contrat avec le Département de la Défense américain se voient émettre une carte
attestant de ce fait129, témoignant ainsi de la reconnaissance expresse du lien qui
les uni à l’État américain.
La situation peut cependant s’avérer plus délicate lorsqu’une EMP se voit octroyer
un contrat en sous-traitance par une autre EMP qui a elle-même été mandatée par
un État, une pratique notamment répandue en Irak. À titre d’exemple, les États-
Unis avaient accordé un contrat à Kellogg, Brown and Root (ci-après, « KBR »)
pour gérer, sur une base globale, les services de support aux troupes américaines,
incluant la tâche d’assurer la sécurité des individus et des biens impliqués, désigné
sous le vocable Logistics Civil Augmentation Program (ci-après, « LOGCAP »).
KBR a eu recours à un important réseau de sous-traitants pour exécuter les
différentes facettes du contrat, qui ont, à leur tour, eu recours à des sous-traitants
et ainsi de suite. Il n’est pas rare qu’un sous-traitant soit le quatrième
intermédiaire130. La condition d’appartenance à une Partie au conflit pourrait être
satisfaite même en cas de sous-traitance, dans la mesure où l’EMP exécute des
128
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzegovine c. Serbie-et-Monténégro), [2007] C.I.J. Rec. au para. 403 [Affaire relative à la
Convention sur le génocide].
129 Louise Doswald-Beck, « Private military companies under international humanitarian law » dans
Simon Chesterman et Chia Lehnardt, From Mercenaries to Market – The Rise and regulation of private
military companies, Oxford, Oxford University Press, 2007, 115 à la p. 119 [Doswald-Beck].
130 Pelton, supra note 3 aux pp. 119-120.
40
activités inhérentes au contrat octroyé par l’État131. Dans ce cas, l’EMP agissant
comme sous-traitante poursuit non seulement un objectif d’une Partie au conflit
mais exécute, de fait, un mandat en son nom. Ses actes sont inévitablement la
résultante d’une certaine planification de cet État et sont financés par celui-ci,
constituant, à tout le moins, une approbation tacite de sa part à agir en son nom.
iii) Être soumis à un commandement responsable mis en force par un régime de discipline
Afin que le DIH ne demeure pas lettre morte et qu’il soit effectivement respecté sur
le terrain, les Hautes Parties contractantes ont prévu que les troupes devraient
opérer à l’intérieur d’un cadre hiérarchique imposant un lien de subordination entre
ceux qui ont pour mission de diriger les opérations et ceux qui les exécutent, le
respect de ce cadre hiérarchique devant être assuré par un régime de discipline.
Ainsi, l’article 4(A)(2)(a) de la Convention III impose-t-il aux membres des autres
milices et corps de volontaires « d’avoir à leur tête une personne responsable pour
ses subordonnés ». Cette exigence, bien que formulée en termes différents, a été
reprise par l’article 43 du Protocole I, lequel exige des forces armées d’une Partie
au conflit qu’elles soient « placées sous un commandement responsable de la
conduite de ses subordonnés devant cette Partie » et qu’elles soient « soumises à
un régime de discipline interne qui assure, notamment, le respect des règles du
droit international applicable dans les conflits armés ».
Traditionnellement, les États assujettissent leurs forces armées régulières à la
chaîne de commandement militaire, laquelle établit d’étroits rapports de
subordination entre chacun des membres des forces armées et définit de façon
précise les responsabilités qui leur incombent. Le respect de cette chaîne de
commandement est assuré par la mise en place d’un régime de discipline militaire
assorti de sanctions pénales. Ainsi, chaque membre des forces armées est
légalement tenu d’obéir aux ordres que lui donne le commandant de qui il relève.
Le commandant est pour sa part chargé de veiller à ce que ses subordonnés
131
Voir également en ce sens Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 528; Boldt,
supra note 73 à la p. 525.
41
respectent ses ordres et le code de discipline. En cas de désobéissance, il est
habilité à imposer des sanctions.
Si les exigences d’un commandement responsable et d’un régime de discipline ne
semblent soulever aucune difficulté dans le contexte militaire traditionnel, leur
portée s’avère beaucoup plus difficile à circonscrire lorsque des entités privées
entrent en jeu. Gouvernées pour la plupart par d’anciens militaires, plusieurs EMP
sont organisées suivant le modèle militaire et donc régies par un cadre
hiérarchique relativement strict132. Un régime disciplinaire est aussi généralement
mis en place au sein de ces compagnies133. Aussi, plusieurs EMP ont adhéré au
Code de conduite adopté par l’International Peace Operations Association (ci-
après, « IPA ») par lequel elles s’engagent notamment à respecter le DIH134. Par
contre, les employés d’EMP étaient, jusqu’à récemment, généralement tenus à
l’écart de la chaîne de commandement militaire et des lois pénales militaires135.
Cette situation pourrait bien être en train de changer pour les 100 000
entrepreneurs qui travaillent actuellement sous contrat avec les États-Unis. Depuis
janvier 2007, les entrepreneurs privés qui accompagnent les forces armées
américaines sur le terrain sont, suivant toute vraisemblance, soumis au Code de
justice militaire américain, soit au même régime juridique que les membres des
forces armées. Ils tomberaient donc désormais sous le coup de la juridiction de la
Cour martiale et seraient soumis à la chaîne de commandement militaire. Au
moyen d’un très bref article noyé dans l’immense Loi sur le budget de 2007, les
États-Unis ont subtilement amendé l’article 2(a)(10) du Code de justice militaire
américain pour y soumettre les personnes qui accompagnent les forces armées
sur le terrain non plus seulement en temps de guerre déclarée, comme c’était le
132
Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 529.
133 Ibid.
134 International Peace Operations Association, IPOA Code of conduct, version 10, adopté le 31 mars 2005, en
ligne : <http://www.ipoaonline.org/en/standards/code.htm>.
135 Doswald-Beck, supra note 129 aux pp. 120-121. Jennifer K. Elsea et al, Private Security Contractors in
Iraq: Background, Legal Status, and Other Issues, CRS Report for Congress, 25 août 2008, à la p. 21, en
ligne: <http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/RL32419.pdf> [Elsea].
42
cas avant l’amendement, mais également lors d’opérations de contingence. Avant
cet amendement, les entrepreneurs privés n’étaient pas soumis au Code de justice
militaire puisque le Congrès n’avait pas fait de déclaration de guerre au cours des
65 dernières années.
La légalité et la réelle portée de cet amendement demeurent toutefois incertaines.
Notons que certains avocats mettent déjà en doute la constitutionalité de cet
amendement136. Le professeur Singer suggère pour sa part que différentes
interprétations relativement aux personnes et aux actes qui seraient visés sont
susceptibles d’être retenues par les tribunaux. Il est notamment envisageable
selon lui que seuls les employés sous contrat avec le Département de la Défense
américain soient visés et que l’ensemble du droit militaire ne soit pas applicable137,
de telle sorte que certains demeureraient à l’abri de toute poursuite pénale138. Il
n’en demeure pas moins qu’il s’agit certainement du plus important développement
législatif visant à résoudre les problèmes juridiques qui rendaient difficile, dans
certains cas, impossible, de poursuivre en justice les entrepreneurs privés, une
problématique décriée depuis plusieurs années139. Il est pour le moins ironique que
cet amendement se soit fait si subtilement qu’il soit presque passé inaperçu.
Dans la mesure où des employés d’EMP sont soumis à un code de justice militaire
ou, de façon générale, à la chaîne de commandement militaire et aux lois pénales
militaires, ils respectent certainement les exigences d’être soumis à un
« commandement responsable » et à un « régime de discipline ». L’amendement
au Code de justice militaire américain pourrait donc régler cette question à l’égard
de plusieurs milliers d’entrepreneurs. Par contre, tous ne travaillent pas sous
136
Voir les propos rapportés par Peter W. Singer, qui ne partage toutefois pas cet avis : Peter W.
Singer, Frequently Asked Questions on the UCMJ Change and its Applicability to Private Military
Contractors, The Brookings Institution, 12 janvier 2007, en ligne:
<http://www.brookings.edu/opinions/2007/0112defenseindustry_singer.aspx> [Singer, « Frequently Asked
Questions on the UCMJ »]; Elsea, supra note 135 aux pp. 21, 25-30.
137 Singer, ibid. Voir également Rubin et Von Zielbauer, supra note 1.
138 Elsea, supra note 135 à la p. 21.
139 É.-U., Report of the Secretary of State’s Panel on Personal Protective Services in Irak (octobre 2007) à la
p. 4, en ligne: <http://www.state.gov/documents/organization/94122.pdf> [Report of the Secretary of State’s
Panel].
43
contrat avec les États-Unis et nous n’avons identifié aucun autre État qui aurait, à
l’heure actuelle, emprunté cette voie140. Il convient donc de se demander s’il est
possible pour des employés d’EMP de remplir l’exigence d’être soumis à un
commandement responsable et à un régime de discipline sans pour autant être
soumis à la chaîne de commandement militaire et assujettis aux lois militaires.
Sur cette question, la doctrine est fondamentalement divisée. Certains auteurs
sont d’avis que l’assujettissement à la chaîne de commandement et aux lois
militaires est nécessaire pour que les employés du secteur privé puissent être
considérés comme des combattants141. D’autres ont une vision différente et
estiment qu’il est suffisant que l’EMP agisse sur les instructions, les directives ou le
contrôle d’une Partie au conflit, au sens de l’article 8 du Projet d’articles sur la
responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après, le « Projet
d’articles sur la responsabilité de l’État »)142, et que l’EMP, en tant qu’entité
corporative, soit responsable des actes de ses employés envers cet État aux
termes d’un contrat143. Certains auteurs estiment même qu’il serait suffisant que
l’EMP exécute en sous-traitance une partie d’un contrat octroyé par un État à une
autre EMP et engage ainsi la responsabilité de cet État au sens de l’article 8 du
Projet d’articles sur la responsabilité de l’État144. Quelques auteurs considèrent
pour leur part que l’existence d’un cadre hiérarchique et d’un régime de discipline,
au sein même de la compagnie, serait suffisante, en autant par ailleurs que l’EMP
« appartienne à une Partie au conflit »145. Enfin, selon d’autres, le fait que l’EMP
140
Notons toutefois le cas du Royaume-Uni qui prévoit, tel que discuté précédemment, l‟intégration d‟un
certain nombre d‟employés d‟EMP aux forces armées, avec comme corollaire leur assujettissement aux lois
militaires.
141 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 11; McDonald, supra note 77
aux pp. 226-227, 229.
142 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Rapport de la
Commission du droit international sur les travaux de sa 53e session, Doc. off. AG NU, 56
e sess., supp. n
o 10,
Doc. NU A56/10 (2001) 388.
143 Boldt, supra note 73 aux pp. 526-528; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note
91 à la p. 11.
144 Voir Boldt, supra note 73.
145 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2, aux pp. 529-530; Gillard, supra note 14 à la p.
535.
44
soit soumise à la juridiction criminelle ou civile (au terme d’un contrat) de l’État qui
la mandate serait suffisant146.
S’il est clair qu’un cadre hiérarchique dont le respect est assuré par un régime de
discipline soit requis, la divergence d’opinions parmi les auteurs nous semble
résulter du fait que ceux-ci envisagent différemment le fondement de l’exigence
d’un « commandement responsable ». Alors que certains lient l’exigence d’un
commandement responsable à la mise en œuvre de la responsabilité de l’État,
d’autres l’envisagent plutôt dans le contexte où elle aurait pour but d’assurer la
mise en œuvre de la responsabilité des supérieurs. L’exégèse des articles 4(A)(2)
de la Convention III et 43 du Protocole I nous porte à favoriser cette seconde
interprétation, la mise en œuvre de la responsabilité de l’État étant d’ailleurs déjà
couverte par l’exigence précédente d’appartenir à une Partie au conflit. Nous
analyserons, dans un premier temps, l’exigence du commandement responsable,
et, ensuite, celui du régime de discipline.
- Le commandement responsable
En faisant expressément référence à une relation de commandant et subordonné,
la Convention III et le Protocole I renvoient directement à la notion de
responsabilité des supérieurs développée par la jurisprudence issue de la
Deuxième Guerre mondiale et désormais considérée comme faisant partie du droit
coutumier147. En font notamment foi les Commentaires relatifs à l’article 4(A)(2)(a)
de la Convention III, qui énoncent :
La responsabilité du chef s'entend des actes qu'il a ordonnés comme de ceux qu'il n'a pu empêcher. Sa compétence doit être appréciée d'une manière analogue à celle d'un chef militaire. Au surplus, le respect de cette règle est une garantie en elle-même de la discipline qui doit régner dans les corps de volontaires, et qui doit ainsi donner
146
Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 121.
147 Antonio Cassese, International Criminal Law, Oxford, Oxford University Press, 2003, aux pp. 203-205
[Cassese].
45
des assurances raisonnables que les autres conditions ci-dessous seront observées148.
Le Protocole I poursuit sur la même lancée en liant étroitement les conditions de
commandement responsable et de régime de discipline au devoir qui incombe aux
Parties au conflit de veiller à ce que leurs commandants imposent le respect du
DIH à leurs subordonnés149. Plus précisément, les Parties au conflit doivent exiger
de leurs commandants qu’ils instruisent les troupes placées sous leurs ordres
quant aux obligations que leur impose le DIH, qu’ils en empêchent les violations et
qu’ils répriment ou dénoncent toute violation aux autorités compétentes150. Pour
s’assurer que les commandants s’acquitteront de leur tâche, l’article 86 du
Protocole I prévoit qu’ils doivent être passibles de sanctions pour les violations du
DIH commises par leurs subordonnés.
Un groupe sera ainsi soumis à un « commandement responsable » si les membres
des échelons supérieurs sont, en vertu d’un cadre hiérarchique et d’un régime de
discipline, en charge de superviser la conduite de leurs subordonnés sur le
terrain151. Ces deux éléments confèrent aux commandants l’autorité nécessaire
pour permettre de les rendre personnellement responsables des violations du DIH
commises par les troupes placées sous leur commandement. À cet effet, il est
désormais acquis que les supérieurs engageront leur responsabilité pour les
violations du DIH commises par leurs subordonnés dès lors i) qu’ils ont le pouvoir
de contrôler leurs actions, ii) qu’ils ont connaissance de l’infraction ou aptitude à la
connaître et iii) qu’ils ont le pouvoir de la prévenir ou de la réprimer152. Il n’est par
ailleurs pas requis que la personne en autorité soit militaire153 ni qu’elle réponde de
148
De Preux, supra note 66 aux pp. 66-67; Bothe, supra note 57 au para. 2.3.1.1.
149 Henkaerts, supra note 38 à la p. 16.
150 Protocole I, art. 87.
151 Dinstein, supra note 39 à la p. 39.
152 David, supra note 68 à la p. 664; Cassese, supra note 147 aux pp. 208-209.
153 De Preux, supra note 66 à la p. 67; Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187
R.T.N.U. 38544, art. 28 b) [Statut de Rome]; Le Procureur c. Bagilishema, ICTR-95-1A-A, Arrêt (3 juillet
2002) au para. 52 (TPIR, Chambre d‟appel).
46
ses actes devant une Partie au conflit154. Bien qu’une relation hiérarchique formelle
ne soit pas requise155, il doit à tout le moins exister, de facto, un rapport d’autorité
impliquant le pouvoir de donner des ordres et l’obligation d’y obéir semblable au
degré de contrôle qu’exercent les commandants militaires. Il s’agit plus
particulièrement d’appliquer le test du contrôle effectif « c’est-à-dire la capacité
matérielle d’empêcher ou de punir un comportement criminel, quelle que soit la
manière dont elle s’exerce »156.
Si plusieurs EMP semblent suffisamment organisées à l’interne pour assurer que
les employés placés en position de commande soient responsables des actes
commis par ceux qui leur sont subordonnés, la situation se complique dès lors que
des employés d’EMP interagissent avec des membres des forces armées sans
pour autant être soumis à la chaîne de commandement militaire. La nature des
mandats qui leur sont confiés appelle, dans bien des cas, les employés d’EMP à
agir en collaboration ou coordination avec les forces armées de l’État mandataire.
À titre d’illustration du type de relations que peuvent entretenir les États avec les
EMP, Peter Singer identifie deux types de contrats généralement offerts par les
EMP : le premier est un contrat clé en main (« overall unit packages ») alors que
le second vise à renforcir les forces armées en place par l’addition de forces
spécialisées (« specialized force multipliers »)157.
Dans le premier cas, l’EMP offre une unité militaire vouée à opérer de façon
autonome, pour remplir une mission particulière. Il y a dès lors très peu
d’interactions entre les militaires et les employés du secteur privé. Le meilleur
exemple est sans doute le mandat réalisé par Executive Outcomes au
Sierra Leone où l’entreprise a déployé sur le terrain une unité d’hommes de la taille
d’un bataillon, supportée par un lourd arsenal militaire, qui opérait
154
Voir notamment de Preux, supra note 66 à la p. 66; Gillard, supra note 14 à la p. 535.
155 Il est suffisant que le supérieur soit de facto en position d‟exercer un certain contrôle ou une autorité à
l‟égard de ses « subordonnés » : Cassese, supra note 147 à la p. 208 (référant à la jurisprudence du TPIY).
156 Le Procureur c. Delalic, IT-96-21-A, Arrêt (20 février 2001) au para. 256 (TPIY, Chambre d‟appel).
157 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 93-94. Voir également Boldt, supra note 73 à la
p. 527.
47
indépendamment des forces armées étatiques, voire en remplacement de celles-
ci158.
Dans le second cas, le plus fréquent selon Singer, les employés du secteur privé
se joignent aux forces militaires pour réaliser certaines tâches précises comme,
par exemple, l’opération de systèmes d’armement complexes ou le pilotage de jets
sophistiqués, agissant alors de concert avec les forces armées étatiques,
normalement sous leurs instructions159. Les employés d’EMP sont également
parfois répartis au sein des forces armées pour agir à titre de « mini généraux »
afin qu’un plus grand nombre d’unités puissent bénéficier de leur leadership et
expérience, ce qui les amène alors à agir en commande160.
Évidemment, il s’agit-là d’un exercice de catégorisation et la ligne de démarcation
entre ces deux cas typiques est loin d’être étanche. Le caractère imprévisible des
événements en contexte de conflit armé fait en sorte que la relation entre l’État
donneur d’ouvrage et l’EMP est en constante mouvance et sujette à changement.
L’attaque du siège de l’Autorité provisoire de la Coalition à Najaf, en Irak, en est un
bon exemple. Alors que des insurgés avaient pris les lieux d’assaut, les huit
employés de Blackwater qui étaient en charge de la sécurité de l’immeuble sont
montés sur le toit de celui-ci pour répliquer aux coups de feu. Un militaire
américain qui se trouvait fortuitement dans l’immeuble s’est joint à eux dans leurs
efforts à défendre les lieux. Fort de son entraînement militaire, il a demandé
l’autorisation d’ouvrir le feu sur un insurgé qu’il avait ciblé. Puisqu’il était seul avec
huit (8) employés de Blackwater, cette autorisation lui a été accordée par l’un
d’entre eux161. Ainsi, un employé du secteur privé s’est trouvé de facto à donner
des ordres à un militaire sans avoir nécessairement l’autorité pour le faire. Cette
situation apparaît aussi s’être produite dans le cas de l’interrogatoire de prisonniers
158
Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 93-94.
159 Ibid.
160 Ibid. aux pp. 94-95.
161 Pelton, supra note 3 aux pp. 149-150.
48
à la prison d’Abu Grahib, où les employés de la Titan Corporation auraient
supervisé les militaires américains162.
À notre avis, il n’est théoriquement pas exclu que des commandants militaires
puissent, en certaines occasions, se retrouver de facto à donner des instructions,
voire des ordres, à des employés d’EMP, ou vice-versa. Par contre, en l’absence
de soumission à la chaîne de commandement ou, à tout le moins, de
l’établissement d’un rapport de subordination au sein du contrat, la relation
commandant/subordonné fera vraisemblablement défaut puisque les individus en
cause relèveront de régimes d’autorité distincts, sans avoir de rapport de
subordination entre eux. La pratique révèle d’ailleurs à la fois un flagrant manque
de coordination entre les forces armées et les EMP163 et un pouvoir limité des
commandants militaires à exercer un contrôle sur les actes des employés
d’EMP164. La relation entre l’État et l’EMP est normalement sous l’emprise de
l’officier contractant qui est loin du champ de bataille, de sorte que les employés
d’EMP échappent au contrôle du commandant militaire sur le terrain165. Le
sénateur Patrick Kennedy mentionnait en octobre 2007 dans son rapport intitulé
Report of the Secretary of State’s Panel on Personal Protective Services in Irak :
U.S. government personal security detail (PSD) contractors in Iraq, including those of the Department of State, operate in an overall environment that is chaotic, unsupervised, deficient in oversight and accountability, and poorly coordinated166.
162
Chia Lehnardt, « Private Military Companies and State Responsibility » dans Simon Chesterman et
Chia Lehnardt, From mercenaries to market – The rise and regulation of private military companies, Oxford,
Oxford Universtiy Press, 2007, 139 à la p.150 [Lehnardt].
163 Report of the Secretary of State’s Panel, supra note 139 à la p. 4; É.-U., Government Accountability
Office, Military Operations – Contractors Provide Vital Services to Deployed Forces but Are Not Adequatly
addressed in DOD Plans, GAO-03-695, juin 2003, en ligne: <http://www.gao.govnew.items/d03695.pdf>.
Voir au même effet Pelton, supra note 3 à la p. 107.
164 Singer, “Corporate Warriors”, supra note 12 à la p. 152. Voir aussi Gillard, supra note 14
(« Consequently, it is unlikely that state representatives will have the necessary control over the actions of
PMC/PSC employees for superior responsibility to arise », à la p. 556).
165 Vernon, supra note 79 aux pp. 382-384, 388-389.
166 Report of the Secretary of State’s Panel, supra note 139 à la p. 4.
49
L’aptitude d’un commandant militaire à prévenir ou réprimer les violations
commises par les employés d’EMP, qui ne sont pas soumis à la chaîne de
commandement militaire, est encore plus incertaine. Ses recours semblent se
limiter à faire un rapport aux autorités civiles compétentes, si tant est qu’il y en ait,
à révoquer la carte de sécurité de l’employé délinquant, à exiger son
congédiement ou l’imposition d’une mesure disciplinaire par l’EMP167 ou encore, à
imposer une pénalité monétaire à l’EMP. Le commandant militaire n’a aucun
recours direct contre l’employé d’une EMP168. La mise en œuvre de la
responsabilité des supérieurs nous apparaît extrêmement difficile, voire
impossible, dans ces circonstances.
Dès lors, nous sommes d’avis que lorsque les employés du secteur privé opèrent
de concert avec les forces armées, l’exigence d’un commandement responsable
ne sera généralement pas remplie si les employés du secteur privé ne sont pas
soumis à la chaîne de commandement militaire. Par contre, si elles opèrent de
façon autonome, sans avoir à se coordonner avec les forces armées, les EMP qui
ont mis en place une structure hiérarchique interne pourraient possiblement
satisfaire à cette condition.
- Le régime de discipline
Dans le contexte militaire traditionnel, l’expression « régime de discipline » couvre
les domaines du droit disciplinaire militaire et du droit pénal militaire169. Par contre,
si tel était le sens strict que devait revêtir cette exigence, les partisans et membres
de la guérilla se verraient d’emblée dénier le statut de combattant. Ainsi, cette
condition doit-elle être interprétée de façon à permettre aux groupes armés qui ne
disposent pas de l’appareil étatique, lequel est nécessaire pour assurer le respect
de certaines obligations, de se qualifier comme combattants170. Il apparaît donc
167
Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 aux pp. 159-160.
168 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 516.
169 Sandoz, supra note 50 au para. 1675.
170 Ibid. au para. 1678; Gillard, supra note 14 à la p. 535.
50
suffisant que le groupe soit régi par une organisation de type militaire qui assure le
respect des règles du droit international applicables lors de conflits armés171.
Selon les Commentaires au Protocole I, les violations graves du DIH doivent
pouvoir être réprimées par des sanctions pénales, alors qu’il est acceptable que
les autres violations ne soient passibles que de sanctions disciplinaires172. En ce
qui concerne les mesures disciplinaires, il n’apparaît pas nécessaire qu’elles
relèvent d’une Partie au Protocole; il est admis qu’elles puissent être du ressort de
l’autorité dont dépend l’auteur de l’infraction173. Évidemment, les sanctions pénales
relèvent, pour leur part, nécessairement de l’État ou de la justice internationale.
Il nous apparaît donc que le critère du régime de discipline soit satisfait dans la
mesure où, premièrement, l’EMP dispose d’un régime de discipline interne et,
deuxièmement, les employés sont passibles de sanctions pénales pour les
violations graves du DIH qu’ils commettent174.
Sans qu’il ne s’agisse d’une règle générale, la littérature révèle que plusieurs EMP
disposent de régimes de discipline relativement stricts, comparables, à certains
égards, à ceux dont disposent les forces armées régulières175. Quant aux
sanctions pénales, notons, qu’en principe, les violations graves des Conventions
constituent des infractions criminelles dans la plupart des systèmes de droit
nationaux de même que suivant le droit pénal international. A priori, les individus
qui commettent des infractions graves aux Conventions devraient donc être
passibles de poursuites pénales devant les juridictions nationales et/ou
internationales176. Le problème demeure d’exercer, en pratique, cette juridiction
dès lors que l’infraction a eu lieu hors du territoire de l’État mandataire et/ou dans
171
Sandoz, ibid. aux para. 1672, 1675, 1681; De Preux, supra note 66 aux pp. 65-67.
172 Sandoz, ibid. au para. 3542.
173 Ibid. au para. 3539.
174 Voir notamment Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 529-530.
175 Ibid. à la p. 529.
176 Statut de Rome, art. 5 et 8.
51
le cas où les auteurs ne sont pas ressortissants de cet État177. Des immunités de
poursuites sont également susceptibles de faire échec aux poursuites.
Ainsi, des immunités de poursuites sont parfois octroyées dans le cadre d’accords
entre États et ont, en certaines occasions, pour effet, de soustraire les employés
d’EMP à toute juridiction178. Même si la légalité de ces immunités est douteuse
compte tenu de l’obligation qui incombe aux États de poursuivre les auteurs de
violations graves du DIH179, elles sont révélatrices d’une intention de ne pas
poursuivre et favorisent l’impunité. Cette problématique s’est notamment posée en
Irak où la très controversée Ordonnance 17 délivrée par Paul Bremer accordait
aux employés d’EMP une immunité de poursuite devant les tribunaux iraquiens :
Contractors shall be immune from Iraqi legal process with respect to acts performed by them pursuant to the terms and conditions of a Contract or any sub-contract thereto. Nothing in this provision shall prohibit [Multinational Force] Personnel from preventing acts of serious misconduct by Contractors, or otherwise temporarily detaining any Contractors who pose a risk of injury to themselves or others, pending expeditious turnover to the appropriate authorities of the Sending State. In all such circumstances, the appropriate senior representative of the Contractor’s Sending State in Iraq shall be notified 180.
Considérant que ni les États-Unis ni l’Irak n’ont ratifié le Statut de Rome de la Cour
pénale internationale (ci-après, le « Statut de Rome »), les tribunaux américains se
retrouvent, dans bien des cas, seuls compétents pour juger des crimes commis par
les Américains oeuvrant pour les EMP en Irak. Sans entrer dans les détails du droit
américain, notons que plusieurs auteurs ont dénoncé les difficultés juridiques et
177
Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 121.
178 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 516-517.
179 Convention III, art. 129; Protocole I, art. 86; Katja Weigelt et Frank Marker, « Who is Responsible? The
Use of PMCs in Armed Conflict and International Law » dans Thomas Jager et Gerhard Kummel, dir.,
Private Military and Security Companies – Chances, Problems, Pitfalls and Prospects, Wiesbaden, VS
Verlag, 2007, 377 aux pp. 384-385.
180 Coalition Provisional Authority, Statute of the CPA, MNF-Iraq, Certain Missions and Personnel in Iraq
(Rev.), Order 17, 27 juin 2004, section 4(3), en ligne:
<http://www.iraqcoalition.org/regulations/20040627_CPAORD_17_Status_of_Coalition_Rev_with
Annex_A.pdf>.
52
pratiques à poursuivre les employés d’EMP qui opèrent en Irak pour les violations
du DIH, une situation à laquelle l’amendement au Code de justice militaire
américain vise à remédier181.
Le journaliste Robert Pelton rapporte que les conversations qu’il a eues avec un
certain nombre d’employés d’EMP en Irak révèlent que plusieurs civils ont été tués
ou blessés par des employés d’EMP chargés d’ « assurer la sécurité », sans
qu’aucun d’entre eux n’aient pourtant fait l’objet de poursuites182. Déjà, en
novembre 2004, le professeur Singer questionnait le fait que plus d’un an et demi
après le début de leur implication en Irak, aucun employé d’EMP n’avait subi de
conséquences légales pour les dommages collatéraux causés en Irak, alors qu’il
est pourtant bien connu que la conduite d’activités militaires est un environnement
propice à la commission d’infractions183. Les suites données aux mauvais
traitements des prisonniers à la prison d’Abou Grahib sont également révélatrices
du régime d’impunité dont ont bénéficié les employés d’EMP en Irak : alors que les
militaires américains impliqués dans les mauvais traitements ont été condamnés
en cour martiale, les employés d’EMP n’ont fait l’objet d’aucune poursuite
pénale184. C’est seulement à l’initiative des victimes que ces derniers ont fait l’objet
de poursuites civiles en vertu du Tort Act américain185. Encore à ce jour, nous
181
Anthony E. Giardino, « Using extraterritorial jurisdiction to prosecute violations of the law of war :
Looking beyond the War Crimes Act » 48 B.C.L. Rev. 699.
182 Pelton, supra note 3 aux pp. 114-115.
183 Peter W. Singer, The Private Military Industry and Iraq : What have we learned and where to next?,
Geneva Center for the Democratic Control of Armed Forces, Policy Paper (novembre 2004) à la p. 12, en
ligne: DCAF <http://www.dcaf.ch/_docs/pp04_private-military.pdf> [Singer, « Policy Paper »]. Voir
également Peter W. Singer, The Law Catches Up to Private Militaries, Embeds, The Brookings Institution,
4 janvier 2007, en ligne: <http://www.brookings.edu/articles/2007/0104defenseindustry_singer.aspx> .
184 Lehnardt, supra note 162 aux pp. 141-142.
185 Saleh v. Titan Corporation, 580 F.3d 1 (D.C. Cir. 2009); Human Rights Watch, By the Numbers –
Findings of the Detainee Abuse and Accountability Project, avril 2006, en ligne:
<http://www.hrw.org/reports/2006/ct0406/3.htm>; Centre universitaire de droit international humanitaire,
supra note 91 à la p. 54.
53
n’avons recensé aucun cas de condamnation criminelle d’un employé d’une
EMP186.
Les tragiques événements survenus le 16 septembre 2007 à Bagdad, où les
employés de Blackwater auraient ouvert le feu sur la foule187, ont forcé le
gouvernement américain à réagir pour remédier au problème de l’impunité dont
bénéficient les EMP en Irak. Face à la pression du gouvernement iraquien et de
l’opinion publique dans le monde entier, la Secrétaire d’État américaine,
Condoleezza Rice, a commandé un rapport sur les pratiques du
Département d’État en matière de sécurité en Irak. Les conclusions du sénateur
Patrick Kennedy sont éloquentes : « The legal framework for providing proper
oversight of Personal Protective Services (PPS) contractors is inadequate, in that
the Panel is unaware of any basis for holding non-Department of Defence
contractors accountable under US laws »188. S’il a d’abord semblé qu’aucune
poursuite ne serait intentée contre les employés de Blackwater, les juridictions
pénales américaines ont finalement intenté des poursuites criminelles pour
meurtres et usage illégal d’armes à feu contre cinq d’entre eux189 en vertu du
Military Extraterritorial Jurisdiction Act of 2000190. Les charges d’abord ont été
rejetées par un juge fédéral en décembre 2009 au motif que le dossier du
Procureur était essentiellement fondé sur des déclarations des prévenus,
inadmissibles en preuves puisque obtenues en violation de leur protection contre
l’auto-incrimination191. Le Procureur a toutefois soumis un nouvel acte
d’accusation, que la Cour a refusé de rejeter sur requête des défendeurs et qui
186
Notons toutefois qu‟un consultant de la CIA, donc directement sous contrat avec la CIA, a été condamné à
huit ans de prison en vertu du Patriot Act après avoir été reconnu coupable d‟abus commis lors
d‟interrogatoires réalisés en Afghanistan : Josh White et Danza Linzer, « Ex Contractor Guilty of Assaulting
Detainee » Washington Post (18 août 2006) A8.
187 Glanz et Rubin, supra note 7.
188 Report of the Secretary of State’s Panel, supra note 139 à la p. 4.
189 United States v. Slough, 669 F.Supp.2d 51 (D.C. 2009) (Grand Jury Indictment).
190 Military Extraterritorial Jurisdiction Act of 2000, 18 U.S.C. §§ 3261-3267.
191 United States v. Slough, 677 F.Supp.2d 112 (D.C. 2009).
54
sera donc soumis au grand jury pour confirmation192. En réaction à la première
décision rendue rejetant le premier acte d’accusation, le gouvernement iraquien a
ordonné l’expulsion de tous les employés ou ex-employés de Blackwater,
désormais connue sous le nom de Xe193.
Si les immunités de poursuites accordées en certaines circonstances aux
employés d’une EMP devaient leur permettre, légalement ou dans les faits,
d’échapper à toute poursuite pénale pour les violations graves du DIH qu’ils sont
susceptibles de commettre, les employés d’une EMP ne pourraient, à notre avis,
remplir l’exigence d’être assujettis à un régime de discipline au sens de
l’article 4(A)(2) de la Convention III et 43 du Protocole I.
Notre analyse nous amène à conclure qu’à moins d’être soumis à la chaîne de
commandement et aux lois pénales militaires, ce qui semble exceptionnel pour le
moment, les employés d’EMP ne satisferont généralement pas aux exigences de
« commandement responsable » et de « régime de discipline » requises par la
Convention III et le Protocole I pour bénéficier du statut de combattant.
L’amendement au Code de justice militaire américain, dont la portée demeure
cependant à être circonscrite, pourrait toutefois provoquer une nouvelle tendance
et permettre aux employés du secteur privé qui travaillent pour les États-Unis de
remplir ces exigences. Dans les rares cas où l’EMP réalise un mandat de façon
autonome, sans que ses employés ne reçoivent des ordres venant des forces
armées et sans qu’ils n’aient eux-mêmes à en prodiguer, il serait également
envisageable que les conditions de commandement responsable et de régime de
discipline puissent être respectées sans que les employés ne soient soumis aux
lois militaires, dans la mesure où l’EMP a mis en place une structure de
commandement et un régime de discipline efficaces et où il n’y a pas d’immunité
de poursuites.
192
United States v. Slough, 679 F.Supp.2d 55 (D.C. 2010).
193CNN, Iraq orders ex-Blackwater employees out, 10 février 2010, en ligne :
<http://www.cnn.com/2010/WORLD/meast/02/10/blackwater.iraq/index.html>.
55
iv) Respecter les lois et coutumes de la guerre
La Convention III exige des groupes armés qui aspirent au statut de combattant
« de se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre »194.
Pour les conflits régis par la Convention III, ceci implique que l’EMP devra
respecter, en tant qu’organisation, les lois et coutumes de la guerre, dont font
partie les Conventions, pour que ses employés obtiennent le statut de
combattant195. L’exigence vise le respect des règles du DIH dans un sens large et
n’est pas limitée aux infractions qui constituent des crimes de guerre196. Des
violations du DIH commises isolément par quelques employés d’une EMP ne
seraient toutefois pas suffisantes pour faire perdre à l’ensemble des employés de
cette entreprise le statut de combattant puisque l’exigence s’applique au groupe
dans son ensemble197. L’idéologie qui sous-tend cette règle est fort simple : ce
n’est que dans la mesure où un groupe est disposé à respecter lui-même les
règles du DIH qu’il pourra en bénéficier198. Cette exigence, jugée discriminatoire à
l’égard des mouvements de résistance et membres de la guérilla, a été
abandonnée par le Protocole I, lequel impose plutôt à toutes les forces armées
d’être soumises à un régime de discipline qui assure le respect du DIH199, tel que
discuté ci-dessus.
Des violations du DIH par des employés du secteur privé ont été rapportées dans
différents contextes : attaques indiscriminées contre des civils, mauvais
traitements infligés à des détenus, emploi de techniques d’interrogatoires illégales
et crimes à caractère sexuel200. Plusieurs auteurs considèrent toutefois qu’en dépit
du fait que des actes contraires au DIH aient été commis à l’occasion par des
194
Convention III, art. 4(A)(2)(4).
195 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 531; Gillard, supra note 14 à la p. 535.
Voir cependant les propos du professeur Dinstein, qui suggère que le comportement de l‟individu en cause
doit d‟abord être pris en considération : Dinstein, supra note 39 aux p. 43-44.
196 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 531; Dinstein, ibid. à la p. 39.
197 Schmitt, ibid. à la p. 531.
198 Dinstein, supra note 39 à la p. 39.
199 David, supra note 68 aux pp. 424-426.
200 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 222.
56
employés de certaines EMP, la pratique ne révèle pas une violation systématique
des lois de la guerre201. Au contraire, les employés d’EMP seraient généralement
plus enclins à respecter le DIH que les soldats nationaux puisqu’ils ont une
certaine distance par rapport au conflit202. Cette exigence, propre à la
Convention III, sera donc généralement respectée.
2.2.2 Les conditions applicables aux individus
Ayant procédé à l’analyse du respect des conditions applicables au groupe, nous
examinerons maintenant si le non-respect des conditions applicables aux individus
pourraient faire perdre aux employés d’EMP le droit au statut de combattant, à
supposé qu’ils l’aient obtenus en ce que le groupe dont ils font parties
respecteraient les conditions énoncées ci-haut. Ainsi, les employés d’EMP
pourraient perdre le droit au statut de combattant s’ils ne portent pas un uniforme
ou signe distinctif et s’ils ne portent pas ouvertement les armes.
i) Porter un uniforme ou un signe distinctif
Suivant les exigences de la Convention III, les employés d’une EMP devraient,
pour bénéficier du statut de combattant, « avoir un signe distinctif fixe et
reconnaissable à distance »203. Ceci signifie qu’ils doivent porter un uniforme ou, à
tout le moins, un signe permettant d’identifier leur appartenance à une Partie au
conflit et de les distinguer de la population civile. Le signe doit être distinctif, en ce
qu’il doit permettre d’identifier la force qui l’utilise et, fixe, en ce qu’il ne soit pas
appelé à changer204. Si l’uniforme est évidemment le signe distinctif par
excellence, il n’est toutefois pas requis. Il suffira aux forces dites « irrégulières » de
porter un emblème distinctif : elles peuvent s’identifier par une partie de leur
habillement, comme une chemise ou une coiffure ou, encore, au moyen d’un
201
Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 531; Gillard, supra note 14 à la p. 535;
Boldt, supra note 73 à la p. 529.
202 Singer, « Corporate Warrriors », supra note 12 à la p. 217.
203 Convention III, art. 4(A)(2)(b).
204 Dinstein, supra note 39 à la p. 37.
57
insigne particulier205. Ce signe distinctif doit être porté lors de toute mission
militaire au cours de laquelle les combattants sont susceptibles d’entrer en contact
avec l’ennemi206. L’obligation consiste à être identifiable, et non pas
nécessairement à se rendre visible, le tout afin d’éviter de tromper l’ennemi.
L’article 44 du Protocole I assouplit les règles régissant le port de l’uniforme pour
tenir compte de la situation particulière de la guérilla. En fait, le Protocole I ne fait
techniquement plus de l’obligation de se distinguer de la population civile une
condition à l’octroi du statut de combattant. Il prévoit cependant la perte de ce
statut dans le cas où le combattant fait défaut de se distinguer de la population
civile lors d’actes hostiles envers l’ennemi, sauf en certaines occasions qui
demeurent à ce jour difficiles à définir. Sans entrer dans les détails de cette règle
très complexe207, il suffit de noter, pour les fins de notre analyse, que le maintien
du statut de combattant exige généralement du combattant qu’il se distingue de la
population civile de la façon mentionnée précédemment.
La littérature révèle que la pratique concernant le port d’un uniforme et d’un signe
distinctif par les employés d’une EMP varie suivant les politiques de la compagnie,
celles de l’État pour lequel elle œuvre et les tâches exécutées. Selon le
major Guillory, certaines EMP empêcheraient leurs employés de porter tout
habillement susceptible de les confondre avec des militaires, le tout pour éviter
qu’ils ne soient pris pour cibles208. Les images qui nous proviennent d’Irak
regorgent d’entrepreneurs privés revêtant toutes sortes de tenues qui ne
ressemblent en rien à un uniforme militaire. À titre d’illustration, Robert Pelton
décrit ainsi la tenue d’un employé de Blackwater lors de l’escorte de nouveaux
collègues arrivés à l’aéroport de Bagdad :
T-Boy stands off by himself « zoning », as he calls it, staying focused on the dangerous return trip to the Green Zone. T-Boy looks like he
205
Ibid.
206 Ibid.
207 Pour une discussion détaillée, voir David, supra note 68 aux pp. 426-439.
208 Guillory, supra note 79 à la p. 129.
58
has adopted a style of generic death – black helmet, black shirt, black mask, black goggles, with a large skull and crossbornes chalked on the back of his armor vest and another drawn on his Kevlar helmet. All the gear covers the skull tattoos. T-Boy mans the lead PKM light machine gun and has to stay tight since the insurgents have started a new tactic of pulling ahead and then slowing down to detonate in front of a convoy. 209
Il mentionne également que les employés de l’EMP sont identifiés par les insurgés
au moyen de leurs lunettes fumées, leurs cheveux courts, leurs vêtements de style
safari et de leurs armes210. Quant aux employés affectés à la sécurité du
président Karzai, il rapporte :
Contractors on the Karzai detail carry M-4s and Glock 19s and are each issued a personal Motorola radio for communication while on duty. Those operating the PRS [primary ring security] have to wear collared shirts or a suit and tie over their body armor, since they’re likely to be in the background during media photos, but the rest can wear whatever they want. The style of the detail still echoes the look Craige Maxim created. Some dress OGA-style with distinctive safari vests and outdoor runners, while others sport a casual look that almost says fishing or weekend hunting. They have relaxed grooming standards, and members can wear beard, goatees, and long hair. 211
À l’inverse, dans d’autres cas, les employés d’une EMP peuvent à peine être
distingués des membres des forces régulières, revêtant notamment l’habit de
combat et certains dispositifs protecteurs212. Selon la réglementation américaine,
les entrepreneurs privés ne sont en principe pas admis à porter l’uniforme militaire
américain, mais cette interdiction n’est pas absolue213. Ils sont notamment admis à
porter certains équipements de protection et, en certaines occasions, l’habit de
camouflage. Ils doivent toutefois, dans ces cas, porter un symbole identifiant leur
209
Pelton, supra note 3 à la p. 8.
210 Ibid. aux pp. 129-130.
211 Ibid. aux pp. 78-79.
212 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 530; Chapleau, supra note 33 à la p. 16;
Boldt, supra note 73 à la p. 531.
213 Guillory, supra note 79 aux pp. 128-129.
59
statut de civil214. Selon Emanuela-Chiara Gillard, l’une des principales
récriminations à l’égard de l’implication d’EMP dans les conflits iraquiens et
afghans est la difficulté à identifier leurs employés : revêtant parfois l’uniforme de
camouflage et portant des armes, ils peuvent être confondus avec les membres
des forces armées, alors que, lorsqu’ils sont habillés en civils, ils ne peuvent être
distingués des autres acteurs non militaires215.
Image 1 – Un employé du secteur privé tel que vu par un irakien. Photo de Robert Pelton
216.
Image 2 - Des membres de Blackwater patrouillent le ciel de Bagdad, début 2007. Photo de l’Agence France-Presse
217.
214
É.-U., Joints Chiefs of Staff, Doctrine for Logistic Support of Joint Operations, Joint Pub. 4-0, 2000
[Doctrine for Logistic Support].
215 Gillard, supra note 14 à la p. 535.
216 Pelton, supra note 3.
217 « Attentat contre la CIA: deux des victimes travaillaient pour Blackwater », Agence France-Presse, en
ligne : <http://www.cyberpresse.ca/international/moyen-orient/201001/06/01-936735-attentat-contre-la-cia-
deux-des-victimes-travaillaient-pour-blackwater.php>.
60
Image 3 - Des employés de Blackwater à Bagdad. Photo d’Ahmad al-Rubaye/Agence France-Presse
218
Image 4 - Des membres de la société américaine Blackwater échangent des tirs avec des partisans de Moqtada al-Sadr qui s'approchent d'un bâtiment défendu par des soldats américains et espagnols, à Najaf, en 2004. Photo d’Associated Press
219.
Suivant la pratique actuelle, il nous apparaît que les employés d’EMP ne rempliront
l’exigence de porter un signe distinctif que dans les rares cas où ils portent un
habit de combat et qu’il est possible d’identifier pour quelle Partie au conflit ils
luttent. Dans les autres cas, même si leur apparence peut soulever des doutes
quant au fait qu’ils participent aux hostilités, ils ne satisferont pas à l’exigence
d’identification à titre de combattant d’une Partie au conflit posée par les
Conventions220. L’identification comme combattant requérant un geste positif en ce
sens, il n’est pas surprenant de conclure que les employés d’EMP ne respectent
généralement pas cette exigence puisque la tendance parmi les EMP est de
considérer leurs employés comme étant des civils.
ii) Porter ouvertement les armes
L’article 4(A)(2)(c) de la Convention III impose aux groupes armés de « porter
ouvertement les armes » pour se voir octroyer le statut de combattant. Selon les
Commentaires, cette exigence ne signifie pas que les combattants doivent
218
« Blackwater Worldwide » The New York Times (29 juillet 2010), en ligne :
<http://topics.nytimes.com/top/news/business/companies/blackwater_usa/index.html>
219Nicolas Bérubé, « La face obscure de Blackwater » La Presse (13 août 2009), en ligne :
<http://www.cyberpresse.ca/international/etats-unis/200908/13/01-892448-la-face-obscure-de-
blackwater.php>.
220 Gillard, supra note 14 à la p. 535; Schreier et Caparini, supra note 20 à la p. 57; Schmitt, « Direct
Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 530; Cameron, supra note 5 aux pp. 585-586.
61
nécessairement rendre leurs armes visibles, l’élément de surprise propre aux
opérations militaires demeurant admis. L’idée est plutôt que le combattant ne doit
pas tromper l’ennemi en laissant faussement croire qu’il est civil pour, ensuite,
sortir et utiliser sournoisement son arme. Sous l’empire du Protocole I, ce n’est
que dans les cas où ils sont exemptés de l’obligation de se distinguer de la
population civile que les combattants doivent, pour conserver leur statut, porter
ouvertement les armes221. Il est utile de rappeler qu’il n’est pas nécessaire de
porter des armes pour être considéré comme combattant, mais plutôt de le faire
ouvertement.
La réglementation américaine prévoit que les entrepreneurs accompagnant les
forces armées ne recevront une autorisation de porter des armes que pour assurer
leur propre défense, et ce, seulement lorsque la protection par les forces armées
ou les autorités civiles est jugée inadéquate222. Or, il n’est pas rare de voir des
images d’employés d’EMP arborant des armes. Il semble pratique courante en Irak
pour plusieurs employés d’EMP d’être armés, parfois même lourdement223. Suivant
les données du Département de la Défense américain, 9 431 des 11 095 individus
assurant des servies de « sécurité » en Irak à la fin de l’année 2009 étaient
armés224. Des employés de Blackwater chargés d’assurer la sécurité de convois
en Irak disposeraient non seulement d’armes à feu, mais aussi « de grenades et
de projectiles ». Un convoi typique pourrait être en mesure de diriger contre
l’attaquant pas moins de 7 000 projectiles225. La tendance ne semble toutefois pas
à la dissimulation, bien au contraire. Dès lors, cette exigence, liée davantage à la
221
Marco Sassòli et Antoine Bouvier, Un droit dans la guerre, vol. 1, Genève, CICR, 2003 à la p.155 [Sassòli
et Bouvier].
222 Directive n
o 3020.41, supra note 116 aux sections 6.2.7.8 et 6.3.4. Voir aussi Guillory, supra note 79 aux
pp. 129-130 et Vernon, supra note 79 aux pp. 408-409.
223 Pelton, supra note 3 à la p. 210.
224 Contractors Support of U.S. Operations, supra note 1 à la p. 2.
225 Pelton, supra note 3 à la p. 202 [traduction libre].
62
Convention III, ne ferait pas obstacle à l’octroi du statut de combattant aux
employés de l’EMP226.
2.3 Conclusion sur la possibilité d’obtenir le statut de combattant de facto
À la lumière de ce qui précède, il nous semble peu probable, en l’état actuel des
choses, que les employés d’EMP satisfassent à chacune des conditions
nécessaires à l’obtention du statut de combattant de facto, malgré le fait qu’ils
puissent en présenter certaines caractéristiques et donner ainsi à penser à
l’ennemi qu’ils sont des combattants, notamment lorsqu’ils revêtent des habits de
camouflage ou portent des armes lourdes. La pratique à ce jour révèle que les
exigences d’un commandement responsable et du port d’un signe distinctif ne sont
généralement pas respectées. Cette conclusion n’est certes pas surprenante
compte tenu du fait que les EMP et les États qui les emploient tendent à
considérer les employés du secteur privé comme étant des civils.
Notre analyse nous amène cependant à penser que si telle était la volonté des
États et des EMP, les employés de ces dernières pourraient éventuellement se
voir octroyer le statut de combattant. Cette possibilité est d’autant plus grande
sous le régime du Protocole I qui a éliminé la distinction entre les forces régulières
et irrégulières et qui a assoupli les conditions d’obtention du statut de
combattant227. Ainsi, les employés d’une EMP qui i) seraient mandatés directement
ou indirectement par un État afin d’exercer des tâches proches du cœur des
activités militaires, ii) seraient assujettis à la chaîne de commandement et aux lois
pénales militaires ou, si elles opèrent de façon autonome, seraient assujettis à un
cadre hiérarchique et un régime de discipline interne, iii) se distingueraient de la
population civile par le port d’un uniforme ou d’une insigne et iv) porteraient
ouvertement les armes, pourraient aspirer au statut de combattant. Il s’agit, à notre
avis, plus d’une question de volonté que de possibilité. L’amendement au Code de
justice militaire américain pourrait théoriquement ouvrir la voie en ce sens;
226
Voir en ce sens Gillard, supra note 14 à la p. 535; Boldt, supra note 73 à la p. 532.
227 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 aux pp. 10-11; Detter, supra note 56
à la p. 173.
63
cependant, il n’apparaît pas pour autant refléter une intention de l’Administration
américaine de considérer les employés du secteur privé comme des combattants,
puisqu’il ne vise que les civils qui accompagnent les forces armées donc, par
essence, des individus qui ne sont pas des combattants.
2.4 La perte du statut de combattant : le cas du mercenaire
Lorsque les EMP sont apparues sur le marché de la guerre au début des
années 1990, le réflexe de plusieurs a été de se demander si leurs employés
n’étaient pas des mercenaires. De fait, certains d’entre eux, qui reçoivent des
salaires de 500 $ par jour228 voire, dans certains cas, jusqu’à 1000 $ par jour229,
pour participer à un conflit auquel ils sont étrangers, répondent assez bien à la
définition courante du mercenaire. La notion juridique revêt cependant, elle, un
sens bien précis et il semble faire peu de doute aujourd’hui que les EMP soient
suffisamment avisées pour s’assurer que leurs employés échappent à cette
qualification.
D’entrée de jeu, il importe de souligner que le DIH n’a pas pour objectif de
criminaliser le mercenaire; il vise simplement à définir son statut en cas de
capture230. Ainsi, le premier paragraphe de l’article 47 du Protocole I prévoit-il
qu’« [u]n mercenaire n'a pas droit au statut de combattant ou de prisonnier de
guerre ». En d’autres termes, ceci signifie que la Puissance détentrice n’est pas
tenue d’accorder à celui qui répond aux critères de la définition de mercenaire le
statut de combattant auquel il aurait autrement eu droit. Notre analyse consistera
donc à déterminer si les employés d’EMP qui se qualifieraient a priori comme
combattants, s’il en est, sont susceptibles de se voir dénier ce statut au motif qu’ils
seraient des mercenaires.
228
Pelton, supra note 3 aux pp. 37, 90, 94.
229 Makki, supra note 4; Pelton, supra note 3 à la p. 58.
230 Puisque notre objectif vise, à ce stade, à déterminer le statut des employés d‟EMP au regard de la
Convention III et du Protocole I, l‟analyse des conventions spécialisées sur le mercenariat serait hors du cadre
de notre propos.
64
La définition du « mercenaire » comporte six conditions cumulatives, énoncées au
deuxième paragraphe de l’article 47 du Protocole I :
Le terme « mercenaire » s'entend de toute personne :
a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé;
b) qui en fait prend une part directe aux hostilités;
c) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette Partie;
d) qui n'est ni ressortissante d'une Partie au conflit, ni résidente du territoire contrôlé par une Partie au conflit;
e) qui n'est pas membre des forces armées d'une Partie au conflit; et
f) qui n'a pas été envoyée par un État autre qu'une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État.
S’il est théoriquement envisageable qu’en certaines circonstances des employés
d’EMP répondent aux six critères cumulatifs de la définition, les chances qu’ils
soient, en pratique, qualifiés de mercenaires sont assez minces231. Ils ne sont
toutefois pas seuls dans cette situation : cette définition était tout aussi difficile à
appliquer aux mercenaires de l’époque de décolonisation auxquels elle était
pourtant destinée à s’appliquer. Presque unanimement considérée comme étant
impossible à appliquer232, cette définition n’a cessé de s’attirer la critique. Alors
que certaines conditions sont en pratique impossibles à prouver, d’autres sont
beaucoup trop faciles à contourner. L’idée d’axer la définition du mercenaire sur la
motivation d’un individu, qui requiert donc la preuve d’un élément purement
subjectif, est particulièrement contestée. Il y a certes de bonnes raisons de croire
231
CICR, « XXXe Conférence », supra note 14 à la p. 30.
232 David, supra note 68 à la p. 412.
65
que celui qui prend part à un conflit auquel il est étranger et qui reçoit une
rémunération nettement supérieure à celle versée aux membres des forces
armées de la Partie pour laquelle il œuvre le fasse pour « retirer un avantage
personnel », mais encore faut-il en faire la preuve. Celui-ci pourra toujours
argumenter qu’il prend part au conflit pour des motifs idéologiques, pour utiliser
ses compétences militaires233 ou tout simplement pour satisfaire son goût
d’aventure234. À elle seule, cette condition rend, pour plusieurs, la définition du
mercenaire impossible d’application235. Restrictive à la base de par ses
nombreuses conditions, cette définition appelle de surcroît une interprétation qui
soit, elle aussi, restrictive puisque la qualification d’un individu comme mercenaire
peut entraîner des conséquences des plus graves, incluant sa réclusion à
perpétuité ou même la peine de mort.
2.4.1 Les facteurs d’inclusion
Afin qu’un employé d’EMP puisse potentiellement être considéré comme un
mercenaire, il faudra démontrer que celui-ci a été spécialement recruté pour
« combattre » dans un conflit armé spécifique236 (paragraphe a), qu’il a
effectivement pris part aux hostilités (paragraphe b), qu’il reçoit une rémunération
nettement supérieure à celle que reçoivent les membres des forces armées et qu’il
est motivé par un pur esprit de lucre (paragraphe c).
Outre la difficulté à démontrer la motivation personnelle de l’individu à prendre part
au conflit, il semble peu fréquent que des employés du secteur privé soient
embauchés spécifiquement pour combattre, ce qui s’explique notamment par le
233
Boldt, supra note 73 à la p. 534.
234 Peter W. Singer, « War, Profits, and the Vacuum of Law : Privatized Military Firms and International
Law » (2003-2004) 42 Colum. J. Transnat‟l L. 521 à la p. 529.
235 Éric David mentionne qu‟il s‟agit « d‟un procès d‟intention » : David, supra note 68 à la p. 412. Voir
aussi The Report of the Committee of Privy Consellors Appointed to Inquire into the Recruitment of
Mercenaries, 1976, cité dans Edward Kwarka, « The Current Status of Mercenaries in the Law of Armed
Conflict » (1990-1991) 14 Hastings Int‟l & Comp. L. Rev. 67 à la p. 72 [Kwarka]; Katherine Fallah,
« Corporate actors : the legal status of mercenaries in armed conflict » (2006) 88 R.I.C.R. 599 aux pp. 605-
606 [Fallah]; Faite, supra note 27 aux pp. 169-170; Detter, supra note 56 aux pp. 145-146.
236 Boldt, supra note 73 à la p. 533; Faite, supra note 27 à la p. 170; Kwarka, supra note 235 à la p. 70.
66
fait que les États rejettent officiellement cette possibilité. La participation des
employés aux hostilités, s’il en est, découle généralement plus d’un changement
de circonstances que d’un mandat exprès à cet effet237. Aussi, faut-il préciser que
la notion de « combattre » est plus restrictive que celle de participation aux
hostilités et semble impliquer une participation physique aux combats238,
possiblement même la participation à des activités offensives239.
Quant à savoir si les employés d’EMP sont engagés pour prendre part à un conflit
armé spécifique, Peter W. Singer rapporte que la plupart de ces entreprises
embauchent très peu d’employés sur une base permanente, mais fonctionnent
plutôt avec une banque de personnes qu’elles contactent après avoir décroché un
contrat particulier240. Il serait donc théoriquement envisageable que cette condition
soit satisfaite et que des employés d’une EMP soient spécialement recrutés pour
intervenir dans un conflit spécifique. Il est cependant aisé pour les EMP d’éviter
cette situation en préparant des contrats en fonction d’une durée précise plutôt
que d’un conflit en particulier. Aussi, il arrive que des EMP recrutent des employés
sur une base plus permanente et les affectent à différents conflits, empêchant
ainsi le respect de la condition posée au paragraphe a)241. Tel aurait notamment
été le cas des employés d’Executive Outcomes qui, après leur mission en Angola,
furent apparemment redéployés au Sierra Leone242.
237
Gillard, supra note 14 à la p. 569; Boldt, supra note 73 à la p. 533. Certains auteurs mentionnent que les
employés du secteur privé ne prennent généralement pas part aux hostilités: McDonald, supra note 77 à la
p. 228, Zarate, supra note 85 à la p. 124.
238 Suivant les Commentaires relatifs à l‟article 47 du Protocole I, les techniciens et conseillers militaires
seraient exclus : Sandoz, supra note 50 au para. 1806.
239 Boldt, supra note 73 à la p. 533; Zarate, supra note 85 à la p. 124. Voir cependant Cameron, supra note 5
à la p. 581.
240 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 75.
241 Boldt, supra note 73 à la p. 533; Faite, supra note 27 à la p. 170.
242 Boldt, ibid.
67
2.4.2 Les facteurs d’exclusion
Du simple fait de leur nationalité, certains individus, pour peu qu’ils soient
ressortissants d’une Partie au conflit, échappent automatiquement à la définition
de mercenaire. C’est notamment le cas des citoyens américains, britanniques et
iraquiens qui travaillent en Irak.
Seront également exclus, les employés d’EMP qui seraient formellement intégrés
aux forces armées d’une Partie au conflit243, dans les circonstances discutées
antérieurement. Suivant un certain courant doctrinal, même les employés d’EMP
qui, sans être intégrés aux forces armées, sont considérés comme des
combattants de facto se trouvent exclus de la définition244. En fait, pour ces
auteurs, l’article 47 n’a aucune utilité pratique puisqu’en excluant les membres des
forces armées, dont font partie les combattants de facto, il empêche à des
individus de bénéficier d’un statut qu’ils n’avaient de toute façon pas au départ. Ce
raisonnement est contesté par d’autres auteurs qui affirment que le paragraphe e)
de l’article 47 ne vise que les membres des forces armées régulières245, position à
laquelle nous adhérons.
Enfin, les employés d’EMP pourraient théoriquement se trouver exclus de la
définition du mercenaire dans l’hypothèse où ils seraient envoyés en mission
officielle en tant que membres des forces armées d’un État qui n’est pas Partie au
conflit, ce qui semble toutefois peu probable246.
Ainsi, s’il n’est pas théoriquement exclu qu’en de rares occasions, les employés
d’EMP qui répondraient aux conditions d’obtention du statut de combattant
de facto, s’il en est, puissent théoriquement répondre aux critères cumulatifs de la
243
Faite, supra note 27 à la p. 170; Zarate, supra note 85 à la p. 124.
244 Gillard, supra note 14 aux pp. 561-562; Fallah, supra note 235 à la p. 606.
245 Boldt, supra note 73 à la p. 534, référant à Antonio Cassese, « Mercenaries : Lawful Combatants or War
Criminals », (1980) 40 Zeitschrift für ausländisches Öffentlliches Recht und Völkerrecht 1 à la p. 24.
246 Voir cependant Boldt, supra note 73 (l‟auteur réfère, entre autres, à l‟intervention de DynCorp en
Colombie, où celle-ci a été mandatée par le Département d‟État américain pour opérer des hélicoptères armés
dans le cadre de la campagne de lutte contre la drogue, aux pp. 531 et 535).
68
définition de mercenaire247, plusieurs voies leur sont offertes pour éviter qu’une
Puissance détentrice soit en mesure de faire la preuve du respect de ses
six conditions cumulatives248. Comme le résumait avec humour
Geoffrey Best : « any mercenary who cannot exclude himself from this definition
deserves to be shot – and his lawyer with him! 249. Dès lors, à supposer que
certains employés d’EMP puissent être considérés comme des combattants, le
risque de perdre ce statut au motif qu’ils seraient des mercenaires peut aisément
être occulté.
247
Voir les exemples cités par le Rapporteur spécial sur la question des mercenaires et Lindsay Cameron:
Enrique Bernales Ballesteros, Rapport sur la question de l’utilisation de mercenaires comme moyen de violer
les droits de l’homme et d’empêcher l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Doc. off. CES
NU, 53e sess., Doc. NU E/CN.4/1997/24 (1997) au para. 105; Cameron, supra note 5 à la p. 578.
248 Voir notamment Commission des droits de l‟homme, Rapport de la réunion d’experts sur les formes
traditionnelles et nouvelles de l’emploi de mercenaires comme moyen de violer les droits de l’homme et
d’empêcher l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, Doc. off. CES NU, 57e sess., Doc. NU
E/CN.4/2001/18 (2001) aux pp. 6-7; CICR, « XXXe Conférence », supra note 14 à la p. 30.
249 Cité dans David, supra note 68 à la p. 451.
Chapitre III. La difficulté à considérer les employés d’entreprises militaires privées comme des civils protégés
1. Les personnes civiles
Tel que mentionné précédemment, il appert du texte des Conventions que les
employés d’EMP qui ne remplissent pas chacune des conditions d’octroi du statut
de combattant, donc qui n’appartiennent pas à l’une des catégories visées aux
paragraphes 1, 2, 3 et 6 de l'article 4(A) de la Convention III et à l'article 43 du
Protocole I, sont, par défaut, des personnes civiles. À cet effet, il importe de noter
que l’article 50(1) du Protocole I énonce qu’en cas de doute sur son statut, un
individu doit être considéré comme une personne civile. La personne qui est
capturée par l’ennemi alors qu’elle prenait part aux hostilités est toutefois
présumée être prisonnière de guerre et se trouve protégée par la Convention III
jusqu’à ce que son statut soit déterminé par un tribunal compétent250.
La plupart des employés d’EMP seront donc initialement considérés, au regard des
Conventions, comme des personnes civiles. En principe, ils devraient être
considérés comme des personnes « protégées » et jouir d’ « une protection
générale contre les dangers résultant d’opérations militaires »251. Or, lorsqu’ils
portent des armes ou revêtent l’habit de combat, ils ne correspondent pas
nécessairement à l’image du civil que les Hautes Parties contractantes entendaient
protéger. Aussi, les activités qu’ils exercent sont susceptibles de leur faire perdre
la protection que devrait normalement leur conférer leur statut de personne civile
s’ils « participent directement aux hostilités et pendant la durée que dure cette
participation »252. La protection dont ils bénéficient ne dépend donc pas
uniquement de leur statut, mais est également tributaire de leur participation, ou
non, aux hostilités. Nous verrons, en deuxième partie, que les circonstances dans
lesquelles les employés d’EMP sont susceptibles de perdre leur protection et la
250
Protocole I, art. 45 et Convention III, art. 5.
251 Protocole I, art. 51(1).
252 Protocole I, art. 51(3).
70
durée de la perte de protection sont loin d’être claires, ce qui occasionne des
problèmes majeurs sur l’application du régime mis en place par les Conventions.
Ce qui est toutefois certain c’est que la plupart des employés d’EMP, puisqu’ils ne
sont pas des combattants au sens des Conventions, ne bénéficient pas du
privilège associé à ce statut et ne sont donc pas à l’abri de poursuites pénales
pour les actes qu’ils commettent dans le cadre d’un conflit armé. Ils peuvent être
poursuivis pour les actes qu’ils ont commis en prenant part aux hostilités si ceux-ci
contreviennent au droit interne de l’État sur le territoire duquel ils ont été commis
ou à celui de l’État duquel ils sont ressortissants. Ils sont également susceptibles
d’être détenus « [s]i, sur le territoire d'une Partie au conflit, celle-ci a de sérieuses
raisons de considérer [qu’ils] font individuellement l'objet d'une suspicion légitime
de se livrer à une activité préjudiciable à la sécurité de l'État ou s'il est établi
qu’ [ils] se livre[nt] en fait à cette activité »253. Ils ne bénéficient pas non plus des
protections accordées aux prisonniers de guerre par la Convention III, à moins
d’être considérés comme des civils accompagnant les forces armées.
2. Le cas particulier du civil qui accompagne les forces armées
Suivant les termes de l’article 4(A)(4) de la Convention III, « les personnes qui
suivent les forces armées sans en faire directement partie » bénéficient du statut
de prisonnier de guerre si elles tombent au pouvoir de l’ennemi « à condition
qu’elles aient reçu l’autorisation des forces armées qu’elles accompagnent ». En
tant que personnes civiles254, elles ne peuvent légalement participer aux hostilités,
mais elles bénéficient du traitement réservé aux prisonniers de guerre en cas de
capture. Suivant la position majoritaire, la participation aux hostilités entraîne la
perte de ce privilège et, par conséquent, les actes commis dans le cadre des
hostilités sont passibles de poursuites pénales255. Notons toutefois que cette
253
Convention IV, art. 5, lu en conjonction avec l‟art. 79.
254 Protocole I, art. 50(1).
255 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 14; Gillard, supra note 14 à la
p. 538; Cameron, supra note 5 à la p. 593; M.J. Davidson, « Ruck Up: An Introduction to the Legal Issues
Associated with Civilian Contractors on the Battlefield » 29 Pub. Cont. L.J. 233 à la p. 245 [Davidson], cité
71
position est contestée par l’Administration américaine qui considère que les
personnes visées par l’article 4(A)(4) conservent leur statut de prisonnier de guerre
si elles participent aux hostilités mais constituent des cibles légitimes pendant le
moment que dure leur participation256. Advenant qu’ils soient capturés, les civils
qui accompagnent les forces armées sont, en tant que prisonniers de guerre,
susceptibles d’être détenus jusqu’à la fin des hostilités257.
Il n’est certes pas surprenant que cette disposition s’applique plus aisément aux
employés d’EMP que les précédentes puisqu’elle vise justement les entrepreneurs
privés qui, suivant une pratique reconnue depuis fort longtemps, accompagnent les
forces armées. L’étendue des tâches confiées en sous-traitance est, par contre,
sans précédent, ce qui n’est pas sans poser certaines difficultés dans l’application
de cette disposition. Suivant les exigences posées par l’article 4(A)(4) de la
Convention III, un individu bénéficiera du statut de prisonnier de guerre s’il
dispense des services aux forces armées sans toutefois participer aux hostilités et
s’il a reçu l’autorisation requise de l’État en question258.
2.1 Les critères d’obtention du statut de civil qui accompagne les forces armées
2.1.1 Dispenser des services aux troupes militaires
L’article 4(A)(4) de la Convention III énumère, à titre indicatif, des catégories de
personnes qui ont historiquement accompagné des forces armées, soit « les
membres civils d’équipages d’avions militaires, correspondants de guerre,
fournisseurs, membres d’unités de travail ou de services chargés du bien-être des
forces armées ». Cette énumération n’est toutefois pas exhaustive : « le texte peut
donc viser d’autres catégories de personnes ou de services qui pourraient être
admis, dans des conditions analogues, à suivre les forces armées au cours d’un
dans Adam Sherman, « Forward unto the Digital Breach : Exploring the Legal Status of Tomorrow‟s High-
Tech Warriors » (2004-2005) 5 Chig.J.Int‟l.L. 335 à la p. 338 [Sherman].
256 Gillard, supra note 14 aux pp. 538-539; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note
91 aux pp. 14-15.
257 Convention III, art. 21.
72
conflit futur »259. S’il n’est pas aisé de déterminer quelles personnes et quels
services pourraient, par analogie, être visés par cette disposition, une chose est
certaine : les civils qui accompagnent les forces armées ne peuvent occuper des
fonctions susceptibles de les amener à participer aux hostilités. En effet, les
fonctions énumérées à l’article 4(A)(4), à l’exception des membres civils de
l’aviation, supposent que ceux qui les occupent ne participent pas aux hostilités260,
ce qui est logique puisqu’ils ne sont pas des combattants.
Le type de service importe peu, pour autant qu’il soit rendu au bénéfice des forces
armées et ne soit pas susceptible de conduire celui qui le rend à participer aux
hostilités261. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que les employés d’EMP travaillent
physiquement aux côtés des membres des forces armées, le simple fait qu’une
compagnie exécute un contrat pour un État ne permettrait pas à ses employés de
bénéficier du statut de prisonnier de guerre262. Pour respecter les exigences de
l’article 4(A)(4), ils doivent agir en support aux forces armées et non de façon
indépendante263.
Les nombreux employés d’EMP qui fournissent des services alimentaires, qui
construisent et entretiennent des bases militaires264, qui assurent des services de
transport265, voire ceux qui entretiennent des systèmes d’armement266, seront
couverts par l’article 4(A)(4). À l’inverse, les employés d’EMP qui occupent des
258
Gillard, supra note 14 à la p. 539.
259 De Preux, supra note 66 à la p. 72.
260 Sherman, supra note 255 à la p. 338; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91
aux pp. 14-15; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 532; Davidson, supra note
255 à la p. 245.
261 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 15; Gillard, supra note 14 à la
p. 537. Voir cependant Sherman, supra note 255 (qui suggère que le texte limite l‟implication des civils à des
fonctions de second ordre destinées à faciliter le travail des troupes sur le terrain, à la p. 336).
262 Centre universitaire pour le droit international humanitaire, ibid.; Gillard, ibid.
263 CICR, « XXX
e Conférence », supra note 14 à la p. 30.
264 Cameron, supra note 5 à la p. 593.
265 Sherman, supra note 255 à la p. 336. Notons cependant que le transport de munitions pourrait, en zone de
conflit, constituer une participation aux hostilités.
266 Guillory, supra note 79 à la p. 121, note 62.
73
fonctions liées de près au cœur des opérations militaires267 ou ceux qui exécutent
un mandat en marge des opérations des forces armées seront exclus. De même,
les employés d’EMP qui revêtent l’uniforme de combat et portent des armes ou de
l’équipement militaire pourraient bien ne pas répondre aux exigences de l’article
4(A)(4)268, du moins aux yeux de leurs opposants269. Notons que, suivant les
directives américaines, il n’est pas exclu qu’un entrepreneur civil accompagnant
les forces armées puisse porter un uniforme militaire ou encore des armes et de
l’équipement militaire270. Or, un tel attirail semble peu compatible avec le fait que
celui qui le porte ne remplisse pas des tâches susceptibles de l’amener à participer
aux hostilités. Le simple fait pour un civil de porter une arme légère pour assurer
sa propre défense ne compromettrait toutefois pas son statut271.
2.1.2 L’autorisation d’accompagner les forces armées
L’octroi d’un contrat par un État à une EMP, afin que cette dernière rende des
services à ses forces armées, constituera certainement une autorisation suffisante
au regard du DIH. Certains États prévoient cependant dans leur droit national des
exigences plus rigoureuses, lesquelles devront alors être respectées pour attester
de l’autorisation de l’État. La législation américaine, par exemple, prévoit que les
sous-traitants du Département de la défense doivent recevoir une approbation
écrite pour accompagner les forces armées américaines272.
Une carte d’identité devrait normalement être délivrée par l’État mandataire à
chaque employé d’une EMP qu’il autorise à accompagner ses forces armées, pour
confirmer son statut. Cette carte permettra à l’individu visé de faire la preuve de
son statut de prisonnier de guerre en cas de capture; elle ne constitue toutefois
267
Gillard, supra note 14 à la p. 539.
268 Davidson, supra note 255 à la p. 245.
269 Guillory, supra note 79 à la p. 122.
270 Directive n
o 3020.41, supra note 116.
271 Dinstein, supra note 39 à la p. 43.
272 Directive n
o 3020.41, supra note 116 à la section 6.2.7.4.
74
pas un préalable à l’acquisition de ce statut273. Suivant les directives américaines,
les employés des entreprises sous contrat avec le Département de la défense
américain se voient accorder des cartes d’identité conformes aux exigences de la
Convention III274.
L’exigence d’être « autorisés à accompagner les forces armées » ne devrait poser
aucun problème pour les employés des entreprises qui sont directement mandatés
par un État. Par contre, la question est plus délicate lorsqu’une EMP mandatée par
un État sous-traite à son tour une partie de ses opérations à un tiers. L’approbation
du sous-contrat par l’État ou la reconnaissance du sous-traitant, soit par le biais
d’une autorisation à accompagner les forces armées, soit par l’émission de cartes
d’identité aux employés, pourrait alors s’avérer nécessaire.
À la lumière de ce qui précède, il appert que, dans bien des cas, les employés
d’EMP seront considérés comme des civils accompagnant les forces armées275.
En effet, plusieurs EMP se voient octroyer par des États, directement ou par
l’entremise d’une tierce compagnie, des contrats pour dispenser des services aux
troupes militaires lesquels ne sont pas susceptibles de conduire à une participation
aux hostilités, comme les services alimentaires et de logement. Le ministère de la
Défense britannique, qui déclare n’embaucher des EMP que pour accomplir des
tâches logistiques ou de soutien, considère d’ailleurs les employés de ces
compagnies comme des civils qui accompagnent ses forces armées tombant sous
le coup de l’article 4(A)(4)276. La position du Département de la défense américain
va dans le même sens277.
273
De Preux, supra note 66 aux pp. 72-73; Gillard, supra note 14 à la p. 537.
274 É.-U., Department of Defence, Identity Cards Required by the Geneva Conventions, Instruction n
o 1000.1,
30 janvier 1974, amendée le 5 juin 1991. Voir également Directive no 3020.41, supra note 116.
275 Gillard, supra note 14 à la p. 539.
276 Ibid., à la note 56.
277 Doctrine for Logistic Support, supra note 214 au chapitre V, section 12 a). La législation américaine
restreint la possibilité de sous-traiter aux services qui ne sont pas gouvernementaux par nature (« inherently
governmental »). Est également prohibée, la sous-traitance de services logistiques essentiels (« core logistics
capabilities »), lesquels sont définis comme suit : « those capabilities that are necessary to maintain and repair
75
Conclusion de la partie 1 : Une distinction fondée essentiellement sur la participation aux hostilités
Tel que le rappelait le CICR lors de sa XXXe Conférence, les employés d’EMP
n’échappent pas aux règles du DIH actuellement en vigueur et il est inexact de dire
qu’elles opèrent dans un vide juridique278. Cependant, et le CICR le reconnaît, ces
règles, formulées de façon générale, posent certains problèmes d’ordre pratique
lorsque l’on tente de les appliquer à des employés du secteur privé279. Il s’avère
impossible de tirer une conclusion générale sur leur statut et une analyse au cas
par cas s’impose. Cette analyse nécessitera la prise en compte de certains
éléments factuels plus ou moins aisément identifiables par l’ennemi comme la
façon dont l’individu est vêtu, le fait qu’il porte des armes et les activités qu’il
exerce. Cependant, d’autres conditions plus difficilement observables doivent être
prises en compte. Ainsi faut-il également étudier la relation qui unit l’EMP à l’État
qui l’a embauchée ainsi que la structure de commandement et le régime de
discipline auxquels sont assujettis ses employés. Par conséquent, il sera souvent
impossible de déterminer avec certitude le statut d’un employé d’une EMP sur le
champ de bataille, au moment où ce statut revêt toute son importance.
Si, dans l’état actuel des choses, la plupart des employés d’EMP ne satisferont pas
à l’ensemble des conditions pour être juridiquement considérés comme des
combattants et seront donc ultimement considérés comme des civils, l’étendue de
la protection qui leur est accordée n’en est pas pour autant certaine. De par les
activités qu’ils exercent, ainsi que du fait qu’ils sont parfois armés et habillés
comme des combattants, certains employés d’EMP sont susceptibles de perdre
leur protection contre les attaques, ou encore de donner à croire aux forces
ennemies qu’ils sont des combattants. La démarche traditionnelle est inversée : la
participation aux hostilités devient le critère central pour déterminer les protections
the weapon systems and other military equipment ». Voir à cet effet Vernon, supra note 79 à la p. 407;
Directive no 3020.41, supra note 116.
278 CICR, « XXX
e Conférence », supra note 14 aux pp. 28-29.
279 Ibid.
76
dont bénéficie un individu, faisant perdre au statut juridique de combattant ou civil
une grande partie de son importance. Il convient dès lors de se demander si les
États peuvent, dans ces circonstances, mandater des EMP pour intervenir dans
des conflits armés internationaux.
77
Partie 2 : L’impact de la sous-traitance d’activités militaires à des entreprises militaires privées sur le respect des Conventions
Comme nous l’avons vu précédemment, le DIH envisage que les États puissent
intégrer des étrangers ou des entités privées, telles des EMP, à leurs forces
armées. Dans ces circonstances, les employés d’EMP peuvent légalement prendre
part aux hostilités et sont clairement à l’abri du risque de se voir considérés
comme des mercenaires. Le cas des employés d’EMP qui ne sont pas
formellement intégrés aux forces armées est cependant beaucoup plus
problématique. Il soulève la question de savoir si les États sont admis à mandater
des civils – ou des acteurs privés – pour participer aux hostilités ou à les placer en
situation susceptible de les y conduire.
Emanuela-Chiara Gillard, conseillère juridique auprès du CICR, rappelait dans un
article que le DIH ne s’intéresse pas à la légalité ou à la légitimité du recours par
les États à des EMP, mais uniquement au comportement des employés de ces
compagnies lorsqu’elles opèrent en contexte de conflit armé280. Cette affirmation
découle du principe suivant lequel le DIH ne se préoccupe pas de la légalité du
recours à la force (jus ad bellum), mais uniquement de la façon dont sont
conduites les hostilités (jus in bello) :
It should be noted at the outset that international humanitarian law is not concerned with the lawfulness or legitimacy of PMCs/PSCs per se, nor of the hiring of them by states to perform particular activities. Rather, it regulates the behavior of such companies if they are operating in situations of armed conflict. This is consistent with the approach adopted by international humanitarian law more generally. It does not address the lawfulness of resorting to armed force but instead regulates how hostilities are conducted. It does not address
280
Gillard, supra note 14 à la p. 529.
78
the legitimacy of organized armed groups but regulates how they must fight281.
En l’absence de règles au sein des Conventions traitant spécifiquement du droit
des États d’embaucher des EMP pour intervenir dans des conflits armés, certains
auteurs se sont interrogés quant à savoir si des règles d’ordre plus général du droit
international n’avaient pas pour effet d’interdire une telle pratique. S’intéressant
principalement aux règles régissant le droit des États de recourir à la force armée,
notamment aux règles régissant le mercenariat, leur analyse les a conduits sur le
terrain du jus ad bellum.
En particulier, Juan Carlos Zarate s’est demandé si les règles relatives au
mercenariat énoncées dans la Convention internationale contre le recrutement,
l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires282 et la
Convention de l'OUA sur l'élimination du mercenariat en Afrique283, qu’il considère
comme une expression du droit coutumier, n’auraient pas pour effet d’empêcher
les États d’avoir recours à des EMP. Il en est arrivé à la conclusion que les règles
régissant l’emploi de mercenaires étaient limitées quant à leur portée et visaient
uniquement à empêcher que ceux-ci ne soient utilisés pour attaquer des États
souverains, réprimer des mouvements de libération nationale ou entraver le droit
des peuples à l’autodétermination. Ces règles n’empêcheraient pas, de façon
absolue, les États d’avoir recours à des mercenaires. De ce constat, il tire la
conclusion qu’il n’est pas interdit aux États légitimes284 d’avoir recours à des EMP.
281
Gillard, ibid. Voir dans le même sens CICR, Second Expert Meeting – Direct Participation in Hostilities
under International Humanitarian Law, La Haye, 25-26 octobre 2004, aux pp. 13-14, en ligne:
http://www.icrc.org/Web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/direct-participation-article-020709/$File/2004-07-report-
dph-2004-icrc.pdf [CICR, « Second Expert Meeting »]
282 Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des
mercenaires, 4 décembre 1989, 2163 R.T.N.U. 75.
283 Convention de l'OUA sur l'élimination du mercenariat en Afrique, 3 juillet 1977, OUA Doc.
CM/433/Rev.1 Annexe 1.
284 Notons que la notion d‟État légitime est contestable en droit international et qu‟il y aurait plutôt lieu de
parler de gouvernements. Il importe également de souligner que les règles du DIH ont vocation à s‟appliquer
à tous les intervenants au conflit, peu importe leur statut au regard du droit international.
79
Ses propos laissent toutefois entrevoir que ce droit pourrait comporter certaines
limites :
In general, a total ban on the use of mercenaries is inconsistent with superseding norms of international law. Recognized states may hire mercenaries or SCs to defend themselves from external attacks or to restore order internally. As long as these regimes do not violate other norms in the employment of foreign military expertise, they are justified under international law to avail themselves of the military aid they require [nos italiques]285.
James Cockayne explique, pour sa part, comment les États, dans la poursuite de
leurs propres intérêts, ont soigneusement évité de prohiber de façon absolue toute
possibilité de recourir à des acteurs privés telles des EMP. Son analyse révèle que
les États ont plutôt négocié un ensemble de règles dont l’effet est de leur assurer
un contrôle sur les acteurs privés et de les protéger contre toute menace qu’ils
pourraient potentiellement poser envers l’État :
States have used international law to limit, control and co-opt – but not eradicate – military entrepreneuralism, subordinating it to and aligning it with the state system. The international legal system has traditionally left the means of organizing violence within the state largely to states to decide for themselves, permitting them to purchase military power from commercial entrepreneurs. However, over time, rules have developed, often in response to social and technological change, attributing liability to states in certain cases for the acts of private groups with which they are associated, to ensure that private actors cannot destabilize or even unravel the state system. As technology has changed, allowing private agents to project violence with increased ease from a state’s territory, states have agreed more restrictive interstate liability rules (moving from a weaker position on attribution of responsibility to more intrusive due diligence and effective control requirements). Yet states have never chosen to outlaw commercial military activity per se as they have chosen to outlaw some other types of privately organized violence (such as piracy and certain types of terrorism). Instead, they have bargained to a complex set of voluntary norms ensuring that military
285
Zarate, supra note 85 à la p. 75.
80
entrepreneurs do not escape control by the state system as a whole286.
Là ne s’arrête toutefois pas le débat qui nous intéresse. Dire que le mercenariat
n’est pas formellement interdit en droit international n’implique pas nécessairement
que des États peuvent avoir recours à des civils pour livrer bataille. Tel que discuté
précédemment, l’article 47 du Protocole I a pour effet de retirer à certaines
catégories de personnes le droit de revendiquer les protections associées au statut
de combattant alors qu’elles répondent aux conditions d’obtention de ce statut
(dont celles nécessaires au respect du principe de distinction), au motif qu’elles
sont étrangères au conflit et y prennent part pour des considérations financières287.
Le droit de recourir à des mercenaires signifie donc uniquement, à notre avis, que
les États ne sont pas empêchés d’engager une certaine catégorie de combattants
qui, étrangers au conflit, y prennent part pour des considérations financières. La
question de savoir si les États peuvent embaucher, pour prendre part aux
hostilités, des civils ou des personnes dont le statut juridique est incertain,
demeure donc entière.
Sans remettre en doute cette conclusion à l’effet que le droit international n’interdit
pas formellement aux États d’avoir recours à des acteurs privés dans le cadre de
conflits armés288, l’ampleur que le phénomène de la privatisation des conflits a pris
286
James Cockayne, « The global reorganization of legitimate violence : military entrepreneurs and the
private face of international humanitarian law » (2006) 88 R.I.C.R. 459 aux pp. 472-473.
287 Même si la thèse suivant laquelle l‟article 47 du Protole I s‟applique à des personnes qui n‟ont pas le statut
de combattant devait être retenue, le respect du principe de discrimination pourrait néanmoins limiter le droit
des États de recourir à des individus qui ne bénéficient pas clairement du statut de combattant. L‟article 47
vise, pour des motifs idéologiques, à dissuader certains individus étrangers à un conflit d‟y participer pour des
considérations financières; il n‟a pas pour objectif d‟assurer le principe de discrimination entre civils et
combattants.
288 Ce constat est également partagé par le CICR : Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la
p. 39. Voir également Maurice D. Voyame, « The Notion of Direct Participation in Hostilities and its
Implications on the Use of Private Contractors under International Humanitarian Law » dans Thomas Jager et
Gerhard Kummel, dir., Private Military and Security Companies – Chances, Problems, Pitfalls and
Prospects, Wiesbaden, VS Verlag, 2007, 361 à la p. 362 [Voyame]. Selon Louise Doswald-Beck, le fait de
faire participer des civils aux hostilités ne constituerait pas une violation du DIH par l‟État : Doswald-Beck,
supra note 129 à la p. 125.
81
nous amène à nous questionner quant à savoir si les États ne sont pas en train
d’aller trop loin et de remettre en cause le principe de distinction, un principe
cardinal du DIH. Ne peut-on pas penser que le fait pour un État signataire des
Conventions d’impliquer dans les hostilités, directement ou indirectement, des
acteurs n’ayant pas le statut de combattant puisse toucher la façon dont ils
conduisent les hostilités et, donc, le jus in bello? L’embauche des EMP n’est peut-
être pas illégale en soi, mais il ne nous semble pas exclu que le DIH puisse poser
certaines limites à une telle pratique. La littérature révèle d’ailleurs un malaise à
voir des employés du secteur privé qui ne sont pas intégrés aux forces armées
participer aux hostilités. À cet égard, il est intéressant de souligner que des auteurs
mentionnent, d’un côté, qu’il n’est pas interdit pour les États d’avoir recours à des
acteurs privés pour livrer la guerre et, de l’autre, disent que les employés d’EMP
ne devraient pas prendre part aux hostilités à moins d’être intégrés aux forces
armées. Témoignant de ce malaise, le Rapport de la deuxième réunion d’experts
sur la participation directe aux hostilités en DIH organisé par le CICR souligne :
Another expert pointed out that, apart from an old prohibition of privatering in the 1856 Paris Declaration, there was no other written prohibition of making use of civilians in armed conflict. Therefore, while the use of contractors exposed them to certain risks, it certainly did not violate the law of armed conflict. The clearest solution would be for governments to subject civilian contractors to military discipline and integrate them into the armed forces as soon as an international armed conflict has begun. This would of course only be possible for contractors hired by governments. One expert nevertheless contended that the extent to which military activities could be contracted out legitimately remained an important issue to clarify289.
Alors que les études précédentes se sont davantage intéressées à la légalité du
recours à des EMP en abordant la question sous l’angle du jus ad bellum, nous
nous proposons de les compléter en étudiant la question sous l’angle du
jus in bello, plus particulièrement en regard de l’impact que crée l’implication
d’acteurs privés dans les conflits sur l’application et le respect du DIH. Nous nous
demanderons si les États peuvent consentir, explicitement ou implicitement, à ce
289
CICR, « Second Expert Meeting », supra note 281 aux pp. 13-14.
82
que des individus participent aux hostilités en leur nom sans mettre en œuvre ce
qu’il faut pour s’assurer que leur statut soit clair en regard du DIH et qu’ils agissent
dans les limites des droits et obligations qui découlent de ce statut.
Évidemment, il n’est pas nouveau que des États sous-traitent certaines tâches à
des entrepreneurs privés, une situation d’ailleurs envisagée par l’article 4(A)(4) de
la Convention III. Ce qui a changé, cependant, c’est l’étendue des tâches confiées
au secteur privé, qui a évolué avec l’ère de la privatisation et la sophistication des
méthodes de guerre. Les tâches confiées en sous-traitance touchent de plus en
plus près au cœur des activités militaires. Bien que la notion de participation aux
hostilités ait toujours été difficile à circonscrire et soit en constante mouvance,
l’implication grandissante d’entrepreneurs privés dans les conflits contribue à
exacerber le problème. Les États semblent actuellement profiter de l’incertitude
entourant cette notion pour sous-traiter des tâches qui impliquent potentiellement
une participation aux hostilités. Est-ce là une application de bonne foi des
Conventions?
Nous verrons dans un premier temps comment il s’avère, d’une part, difficile de
définir les droits et obligations des intervenants dans un conflit armé en fonction de
leur participation directe aux hostilités et, d’autre part, comment l’intervention
d’acteurs privés dans les conflits armés entraîne peu à peu une interprétation de la
notion de participation directe aux hostilités qui diminue la protection des
personnes civiles. Nous verrons ensuite que certaines obligations que les
Conventions imposent aux États peuvent difficilement être respectées si les États
font intervenir dans les conflits armés des individus dont les droits et obligations
sont incertains, ce qui nous amènera à dégager certaines mesures que les États
devraient prendre pour assurer une application de bonne foi des Conventions
lorsqu’ils mandatent des EMP.
Chapitre I. Le civil qui participe aux hostilités
Tel qu’il ressort de la première partie de notre mémoire, la question centrale qui
entoure l’implication des employés d’EMP dans les conflits armés est de savoir
s’ils participent ou non aux hostilités, afin de déterminer ultimement s’ils sont des
civils protégés au sens des Conventions et donc si leur implication dans les conflits
armés est susceptible de porter atteinte à la mise en œuvre du principe de
distinction. Il convient dès lors d’examiner si les activités qu’ils exercent constituent
une participation directe aux hostilités eu égard aux critères applicables. Cette
analyse nous amènera également à étudier l’impact qu’engendre la détermination
des protections dont bénéficie le civil sur la base des fonctions qu’il exerce plutôt
qu’en fonction de son statut tel que défini par le DIH.
1. L’ambiguïté entourant la notion de participation directe aux hostilités
La notion de participation directe aux hostilités apparaît pour la première fois à
l’article 3 commun aux quatre Conventions, dans le contexte où l’on cherchait à
renforcer la protection de la population civile contre les effets des hostilités. Cet
article énonce des garanties fondamentales minimales dont doivent bénéficier les
personnes civiles dans les conflits armés non internationaux « sauf si elles
participent directement aux hostilités ». La notion de participation directe aux
hostilités se retrouvera plus tard à l’article 51(3) du Protocole I qui, tel que
mentionné précédemment, a introduit formellement dans le texte des Conventions
le principe de l’immunité des personnes civiles : « [l]es personnes civiles jouissent
de la protection accordée par la présente Section, sauf si elles participent
directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation. » Cet article
est perçu comme constituant une avancée majeure pour la protection des
personnes civiles, et ce, pour trois raisons : i) le Protocole I adopte une définition
large de la notion de personne civile, en la définissant par opposition au
combattant ; ii) seulement ceux qui participent « directement » aux hostilités
perdent leur protection ; et iii) ils perdent leur protection seulement pendant le
84
temps que dure leur participation aux hostilités290. Ce faisant, certains diront que
l’article 51(3) a opéré une transformation dans les rapports entre les nécessités
militaires et les exigences d’humanité, faisant désormais pencher la balance en
faveur des secondes291.
En dépit de son importance capitale en DIH, la notion de participation aux hostilités
n’est pas définie dans le texte des Conventions, laissant une grande marge
d’appréciation aux Parties. Du texte de l’article 51(3) se dégagent cependant trois
composantes : (i) l’existence d’hostilités, (ii) une participation « directe » ou
« active »292 et (iii) une durée (« pendant le temps que dure leur participation »).
Chacune de ces trois composantes, lorsqu’elles sont analysées concrètement,
soulève son lot de questions : Quelles sont les activités visées? Quelles sont les
conditions précises auxquelles les civils participant directement aux hostilités
perdent et retrouvent la protection dont ils jouissent contre les attaques? Quelle est
la durée de la perte de protection? Quelles sont les mesures de précautions que
doit prendre l’ennemi et les présomptions qui prévalent? Quelles sont les limites
imposées par le DIH à l’usage de la force contre les objectifs légaux et les
conséquences qu’entraîne la restauration de la protection des civils?293
Pas plus que les Conventions, la pratique ne révèle l’existence d’un consensus
quant à l’interprétation que doit recevoir la notion de participation aux hostilités294
au point où le CICR a, lors de sa XXXe Conférence, réaffirmé le besoin de clarifier
cette notion. Suivant le CICR, ces problèmes d’interprétation sont exacerbés en
outre par un déplacement des conflits vers des zones à forte concentration civile,
une utilisation de technologies sophistiquées opérées à distance et une
augmentation significative de la sous-traitance de fonctions militaires à des acteurs
290
Camins, supra note 41 à la p. 878.
291 Camins, supra note 41 à la p. 879.
292 Selon les Chambres d‟appel du TPIR et du TPIY, ces deux expressions sont synonymes : Le Procureur
c. Akayesu, ICTR-96-4-T, Jugement (1er
juin 2001) au para. 629 (TPIR, Chambre d‟appel); Le Procureur c.
Strugar, IT-01-42-A, Arrêt (17 juillet 2008) au para. 173 (TPIY, Chambre d‟appel) [Strugar].
293 CICR, « XXX
e Conférence », supra note 14 à la p. 18.
294 Targeted Killings, supra note 40 au para. 39; Henckaerts, supra note 38 aux pp. 22-23.
85
privés295. Dès 2003, le CICR a initié un processus de recherche et de réflexion,
avec l’Institut TMC Asser, au cours duquel une cinquantaine d’experts du DIH ont,
sur une période de six (6) ans, identifié plusieurs zones grises entourant la notion
de participation directe aux hostilités et proposé des principes d’interprétation.
Dans le cadre de leurs travaux, les experts ont abondamment discuté des
problèmes qu’engendre l’implication grandissante d’acteurs privés dans les conflits
armés. Ce processus a mené, en mai 2009, à l’adoption d’un Guide interprétatif
sur la notion de participation directe aux hostilités en DIH (ci-après, le
« Guide interprétatif »)296. Ce document, bien que non contraignant, propose une
interprétation destinée à clarifier les incertitudes relatives à la notion de
participation directe aux hostilités à la lumière des conflits modernes. Le
Guide interprétatif, et les rapports qui l’ont précédé, compte tenu de l’influence
qu’ils sont susceptibles d’avoir sur l’application du DIH dans les années à venir,
guideront largement notre analyse dans cette partie du mémoire où seront
discutées chacune des composantes de la notion de participation directe aux
hostilités. Nous étudierons tour à tour la difficulté à identifier les activités visées,
l’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités et l’absence de
consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité.
1.1 La difficulté à identifier les activités visées
Toute conduite empreinte d’un degré plus ou moins élevé de violence en contexte
de conflit armé n’entraîne pas nécessairement une participation directe aux
hostilités. Non seulement n’existe-t-il pas de liste des activités qui constitueraient
une participation directe aux hostilités, mais il n’y a pas, pour l’heure, de
consensus quant aux critères précis qui servent à la déterminer. Le CICR regroupe
les différents éléments dégagés par la jurisprudence et la doctrine en suggérant
qu’il doit s’agir d’un acte hostile qui a un lien de causalité avec les coups portés à
l’ennemi et qui est commis pour le bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment
d’une autre.
295
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 11-12.
86
1.1.1 Un acte hostile
Il est généralement reconnu que « [p]ar actes d'hostilité, il faut entendre les actes
qui, de par leur nature et leur but, sont destinés à frapper concrètement le
personnel et le matériel des forces armées. »297 Suivant la jurisprudence du TPIY,
de la Cour suprême d’Israël et du CICR, cela doit également inclure les hostilités à
l’encontre de personnes protégées298. Dans son Guide interprétatif, le CICR
suggère que « a specific act must be likely to adversely affect the military
operations or military capacity of a party to an armed conflict, or, alternatively, to
inflict death, injury, or destruction on persons or objects protected against direct
attack »299. Il n’est pas nécessaire que les dommages se matérialisent, mais
seulement qu’ils soient raisonnablement prévisibles dans les circonstances300. Les
actes de défense, comme par exemple la protection d’objectifs militaires, sont
également considérés comme des actes hostiles301. La participation aux hostilités
inclut bien évidemment la participation armée à des combats, une activité exercée
de façon exceptionnelle par les EMP302, mais elle n’y est toutefois pas limitée et
inclut même la commission d’actes hostiles sans l’usage d’une arme303.
Certaines activités confiées aux EMP sont susceptibles de constituer un acte
hostile comme par exemple le fait d’empêcher l’ennemi d’utiliser certains objets,
296
Ibid. Notons cependant que des experts ayant pris part aux discussions ont refusé d‟entériner le document
final, avec lequel ils sont en désaccord : Schmitt, « The Interpretative Guidance », supra note 10 à la p. 6.
297 Sandoz, supra note 50 au para. 1679; Strugar, supra note 292 au para. 173; Comm. Interam. D.H., Third
Report on the Situation of Human Rights in Colombia, O.É.A./Ser.L/V/II.102 doc. 9 rev.1 (26 février 1999)
au para. 53 [Third Report on the Situation of Human Rights in Colombia], Targeted Killings, supra note 40 au
para. 33.
298 Le Procureur c. Galic, IT-98-29-T, Jugement (5 décembre 2003) au para. 27 (TPIY, Chambre de première
instance); Le Procureur c. Srugar, IT-01-42-T, Jugement (31 janvier 2005) aux para. 282 et 289 (TPIY,
Chambre de première instance); Targeted Killings, supra note 40 au para. 33.
299 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 47.
300 Ibid.
301 L‟article 49(1) du Protocole I définit le terme « attaques » comme « des actes de violence contre
l'adversaire, que ces actes soient offensifs ou défensifs ».
302 Boldt, supra note 73 à la p. 508; Schmitt, « Interpretative Guidance », supra note 10 (qui relate que des
employés de Blackwater auraient notamment participé à des opérations visant à capturer ou à éliminer des
insurgés en Irak et en Afghanistan, à la p. 10).
303 Strugar, supra note 292 aux para. 175-176.
87
équipements et territoires à des fins militaires, de garder du personnel militaire
pour éviter qu’ils ne soient libérés par la force, d’effectuer des opérations de
déminage, de mettre sous écoute le commandement adverse et de transmettre
des informations permettant de localiser les forces adverses aux fins d’une attaque
éventuelle304.
1.1.2 Un lien de causalité
Les Commentaires relatifs aux Conventions énoncent que « la participation directe
aux hostilités implique un lien direct de cause à effet entre l'activité exercée et les
coups qui sont portés à l'ennemi, au moment où cette activité s'exerce et là où elle
s'exerce. »305 Entre la simple participation à l’effort de guerre, insuffisante pour
constituer une participation directe aux hostilités, et l’implication directe dans les
combats, s’étale tout un spectre d’activités souvent difficiles à qualifier. Il y a, en
fait, place à une certaine marge d’appréciation306, ce qui est à la fois nécessaire
pour permettre de s’adapter aux situations particulières et éviter une application
trop rigide du DIH, mais également source d’ambiguïté et d’incertitude. Le
problème est d’autant plus complexe que l’utilisation de technologies de plus en
plus sophistiquées a pour effet de déplacer le terrain de bataille dans des centres
de commandements placés à des kilomètres du conflit. Par exemple, la personne
qui analyse, à partir de Washington, la position de troupes ennemies en Irak au
moyen de l’analyse d’images satellites, participe-t-elle directement aux hostilités?
La nature exacte du lien causal, qui est au centre de la notion de participation aux
hostilités et qui sert en large partie à définir sa portée, ne fait pas consensus307.
Certains auteurs estiment que l’acte doit être indispensable à la création du
dommage308, une approche jugée trop étroite par le CICR. Le CICR propose
304
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 48.
305 Sandoz, supra note 50 au para. 1679.
306 Ibid.
307 Targeted Killings, supra note 40 au para. 33; Henckaerts, supra note 38 aux pp. 22-23.
308 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 533; Voyame, supra note 288 à la
p. 369.
88
l’approche suivante : « there must be a direct causation link between a specific act
and the harm likely to result either from that act, or from a coordinated military
operation of which that act constitutes an integral part. »309 Toujours suivant le
CICR, « [t]he harm in question must be brought about in one causal step. »310 Un
acte spécifique qui ne crée pas à lui seul le niveau de dommage requis, mais
s’inscrit dans le cadre d’une opération tactique particulière, laquelle cause ce
dommage, satisferait à l’exigence de causalité311. Ce serait notamment le cas
d’attaques perpétrées par des véhicules aériens téléguidés, auxquelles prennent
part plusieurs intervenants dont les spécialistes en informatique qui contrôlent le
véhicule à distance, ceux qui identifient la cible, collectent les renseignements
nécessaires et contrôlent le lancement de missiles, les opérateurs radio qui
transmettent les ordres et le commandant de l’opération. La Cour suprême d’Israël,
sans donner de définition du lien de causalité qui doit exister, suggère pour sa part
une interprétation plus large, en ne requérant pas que certaines activités soient
reliées à des opérations militaires spécifiques. Elle inclut notamment dans la notion
de participation aux hostilités toute collecte de renseignements relatifs à l’armée,
qu’ils soient ou non liés à la conduite des hostilités312, de même que l’entretien et
la supervision de l’utilisation de systèmes d’armement de façon générale313. Le
débat sur cette question demeure donc à être tranché.
Peu importe l’interprétation retenue, il semble faire peu de doute que certains
services de renseignements assurés par des EMP sont susceptibles de constituer
une participation directe aux hostilités lorsqu’ils permettent l’identification de cibles
ou l’analyse et la transmission d’informations tactiques menant à des attaques
contre les forces ennemies. L’interrogatoire de prisonniers de guerre, une activité à
laquelle des employés d’EMP ont notamment pris part en Irak, tomberait
309
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 51.
310 Ibid. à la p. 53.
311 Ibid. aux pp. 54-55.
312 Targeted Killings, supra note 40 au para. 35. Voir également Henckaerts, supra note 38 à la p. 22 (qui cite
les manuels militaires des États-Unis, de l‟Équateur et des Philippines en ce sens); Faite, supra note 27 à la
p. 173.
313 Targeted Killings, supra note 40 au para. 35.
89
également sous le coup de la participation directe aux hostilités lorsqu’il vise à
obtenir des renseignements permettant de planifier des opérations militaires314. Il
en va de même pour les instructions et l’assistance données aux troupes pour
l’exécution d’opérations militaires spécifiques315. Ainsi, de façon générale, il
apparaît raisonnable de conclure que les activités suivantes exercées par les EMP
constitueront vraisemblablement une participation directe aux hostilités si elles
sont exécutées dans le cadre d’une opération militaire spécifique : (i) la production,
l’entretien, le transport et l’assistance à l’utilisation de systèmes d’armement ; (ii) le
recrutement et l’entraînement de personnel militaire ; iii) les services de
renseignements et (iii) la planification et les services-conseil316. Certaines de ces
activités pourraient éventuellement être considérées comme une participation
directe aux hostilités même si elles ne sont pas reliées à une opération militaire
particulière.
La difficulté demeure de déterminer dans quelle mesure une action donnée
contribue à une opération militaire particulière. Les activités militaires sont
généralement divisées en trois niveaux d’opérations : (i) le niveau stratégique, qui
implique l’établissement de politiques de sécurité et militaires et l’allocation de
ressources; (ii) le niveau opérationnel, qui implique la prise de décision quant à la
conduite de campagnes et opérations militaires ; et (iii) le niveau tactique, qui
réfère à la planification et l’exécution de batailles particulières317. Les activités
mentionnées ci-haut constitueront généralement, au niveau tactique, une
participation aux hostilités, alors qu’elles n’en constitueront pas au niveau
stratégique. La zone grise se situe surtout au niveau opérationnel puisque c’est à
314
Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 544.
315 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 54-55; Strugar, supra note 292 au para. 177;
Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 534; Voyame, supra note 288 à la p. 376.
316 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 53-54; Schmitt, « Direct Participation in
Hostilities», supra note 2 aux pp. 542-545. Suivant la Cour suprême d‟Israël, le transport de troupes et de
munition sur les champs de bataille constitue une participation aux hostilités : Targeted Killings, supra note
40 au para. 35.
317 É.-U., Department of Defence, Dictionary of Military and Associated Terms, Joint Pub. 1-02, adopté le
12 avril 2001, tel qu‟amendé en avril 2010, en ligne: <http://www.dtic.mil/doctrine/new_pubs/jp1_02.pdf>.
90
ce niveau que se fait le lien entre la planification stratégique et sa mise en œuvre
sur le terrain318.
Une panoplie d’activités exercées par les EMP à titre de soutien logistique, qui se
limitent à la fourniture de biens et services à une Partie au conflit (électricité,
essence, matériaux de construction, services financiers319, construction et
entretien de bases militaires) ne sont pas suffisamment liées aux dommages
causés à l’ennemi pour constituer une participation directe aux hostilités. À cet
effet, il était d’ailleurs envisagé par la Convention III que les « fournisseurs,
membres d'unités de travail ou de services chargés du bien-être des forces
armées » accompagneraient les forces armées sans pour autant être des
combattants320.
1.1.3 Un acte commis au bénéfice d’une Partie au conflit et au détriment d’une autre
Il s’agit ici de déterminer, de façon objective, le but dans lequel l’acte hostile est
commis, celui-ci devant viser à apporter un support à une Partie au conflit, au
détriment d’une autre321. Sont donc laissés à l’écart les actes violents commis
pendant un conflit, mais sans lien direct avec celui-ci. Seraient également exclus,
suivant le CICR, les actes liés à l’exercice du contrôle ou de l’autorité de la
puissance occupante sur les personnes ou un territoire qui sont passés sous son
pouvoir322. Cette position nous apparaît discutable considérant qu’un conflit armé
entre une puissance occupante et des insurgés sur un territoire occupé constitue
un conflit armé international323. La difficulté est de déterminer si un conflit armé à
318
Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 542-543.
319 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 53-54; Targeted Killings, supra note 40 aux
para. 34-35; Third Report on the Situation of Human Rights in Colombia, supra note 297 aux para. 53-56.
320 Convention III, art. 4(A)(4); Christian Schaller, « Private Security and Military Companies under the
International Law of Armed Conflict » dans Thomas Jager et Gerhard Kummel, dir., Private Military and
Security Companies – Chances, Problems, Pitfalls and Prospects, Wiesbaden, VS Verlag, 2007, 345 à la
p. 353 [Schaller].
321 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 58-59.
322 Règlement de La Haye, supra note 47 art. 43.
323 Antonio Cassese, International Law, 2
e éd., Oxford, Oxford University Press, 2005 à la p. 420.
91
caractère international est toujours en cours et si les actes en question y sont
reliés.324
La défense d’un objectif militaire pendant le conflit constituera généralement une
participation directe aux hostilités325. Par contre, les actes de légitime défense ou
de défense d’autrui contre des actes de violence prohibés par le DIH (donc à
l’encontre de biens ou personnes civiles) seraient exclus dans la mesure où
l’emploi de la force en défense est nécessaire et proportionnée326. Aussi
l’utilisation de la force armée par les autorités civiles de la puissance occupante
pour mettre fin à des émeutes ou autres formes de désordre public ou maintenir
l’ordre et la loi en situation de conflit ne constituera généralement pas une
participation aux hostilités suivant le CICR327. À cet égard, il nous semble toutefois
qu’il faille distinguer l’intervention des forces de sécurité de la puissance occupante
pour neutraliser des insurgés. Dans la mesure où la lutte contre des insurgés dans
un territoire occupé est considérée comme un conflit international, il en résulte, à
notre avis que les actes visant à les neutraliser peuvent être considérés comme
des actes commis au bénéfice d’une Partie au conflit.
Cette exigence a une incidence particulière sur les services dits de « sécurité » ou
de protection des personnes, des lieux ou des biens. Suivant l’interprétation
donnée ci-haut, les services de « sécurité » dispensés par les EMP engendreraient
une participation directe aux hostilités seulement dans la mesure où ils sont
exercés avant que ne prenne fin le conflit armé international et s’ils visent i) la
protection d’un objectif militaire ou ii) la protection de personnes, lieux ou biens à
caractère civil mais dans ce cas uniquement si l’emploi de la force va au-delà de
ce qui est nécessaire et proportionné pour assurer la légitime défense ou la
défense d’autrui. Là encore, il n’est pas aisé de déterminer ce qui constitue un
324
La question pourrait également se poser dans le cadre d‟un conflit armé non international mais, tel
qu‟annoncé en introduction, la présente étude est consacrée uniquement aux conflits armés internationaux.
325 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 538.
326 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 61; Schmitt, « Direct Participation in
Hostilities », supra note 2 aux pp. 538-539.
327 Nils Melzer, ibid., aux pp. 61-62.
92
objectif militaire et si la force employée excède la légitime défense. Dans ce
dernier cas, l’évaluation devra nécessairement se faire ex post facto.
1.2 L’incertitude quant à la durée de la participation aux hostilités
Il est généralement reconnu que les mesures préparatoires à l’exécution d’un acte
hostile spécifique, de même que le déploiement et le retour de l’endroit où cet acte
est exécuté, constituent une partie intégrante de la participation aux hostilités328.
Les mesures préparatoires doivent cependant être suffisamment liées à l’acte
devant être exécuté pour constituer une partie intégrante de celui-ci. Encore une
fois, l’acte doit être lié à une opération spécifique et non seulement à une
préparation générale pour d’éventuelles opérations non encore définies. Dans
cette optique, l’équipement, l’entraînement et le transport de personnel, la collecte
de renseignements, la préparation, le transport et le positionnement d’armement et
d’équipements constitueront généralement des actes préparatoires tombant sous
le coup de la participation aux hostilités dans la mesure où ils sont reliés à une
opération militaire spécifique329.
1.3 L’absence d’un consensus quant à la perte et au recouvrement de l’immunité
Suivant le texte de l’article 51(3) du Protocole I, qui fait désormais partie du droit
coutumier330, les personnes civiles perdent la protection dont elles bénéficient
contre les attaques pendant la durée de leur participation aux hostilités. Les civils
ne cessent pas de faire partie de la population civile, mais leur protection est
temporairement suspendue pendant le temps de leur engagement dans des actes
hostiles spécifiques, incluant la préparation et le retour de l’opération en cause. Ils
perdent et regagnent leur protection en fonction de ces intervalles où ils constituent
une menace pour l’ennemi. La Chambre d’appel du TPIY, dans l’affaire Strugar,
exprime ce principe de la façon suivante:
328
Ibid. à la p. 65; Fleck, supra note 42 à la p. 232, cité par la Cour suprême d‟Israël : Targeted Killings,
supra note 40 au para. 35.
329 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 66; Strugar, supra note 292 au para. 177 (sur la
question du transport d‟armement à proximité des opérations de combats).
93
As the temporal scope of an individual’s participation in hostilities can be intermittent and discontinuous, whether a victim was actively participating in the hostilities at the time of the offence depends on the nexus between the victim’s activities at the time of the offence and any acts of war which by their nature or purpose are intended to cause actual harm to the personnel or equipment of the adverse party331.
Ce principe du « revolving door », adopté par l’article 51(3), vise à éviter que des
civils ne soient pris pour cibles en dehors de ces moments précis où ils constituent
une menace militaire pour l’ennemi. Ce principe semble prendre pour acquis que la
participation du civil aux hostilités est spontanée, non organisée et sporadique332.
Dans ce contexte, il nous apparaît acceptable.
L’implication d’employés d’une EMP qui font partie d’un groupe organisé et qui,
pour certains, assument des tâches traditionnellement confiées à l’armée, semble
s’inscrire dans un contexte différent de celui envisagé par le texte des
Conventions. De là, la question controversée de savoir si l’individu qui ne répond
pas aux conditions d’obtention du statut de combattant, mais qui prend néanmoins
part aux hostilités de façon soutenue, peut toujours être considéré comme un civil
et bénéficier de la protection contre les attaques en dehors des moments
spécifiques où il prend directement part aux hostilités. En d’autres mots, peut-il
bénéficier du « revolving door »? L’idée qu’un civil puisse agir comme un
combattant sans pour autant respecter les conditions de ce statut et se trouver
protégé en dehors des instants spécifiques où il commet des actes directement liés
aux hostilités apparaît contraire au bon sens. Pour éviter cette situation, différentes
théories ont été avancées pour régir le cas des individus qui exercent des
fonctions combattantes de façon continue, lesquelles visent à redéfinir soit le statut
des intervenants dans les conflits armés, soit la notion de participation aux
hostilités en tant que telle.
330
Targeted Killings, supra note 40 au para. 30.
331 Strugar, supra note 292 au para. 178.
332 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 70-71.
94
1.3.1 La théorie du combattant illégal
Dans la foulée des arrestations et mises en détention qui ont suivi les événements
du 11 septembre, incluant celles des « combattants ennemis » à la prison de
Guantanamo, l’Administration américaine a adopté une position suivant laquelle
ces individus n’étaient ni des civils, ni des combattants au sens des Conventions.
Les qualifiant tantôt de « combattants ennemis », tantôt de « combattants
illégaux » ou encore de « combattants non privilégiés », l’Administration
américaine considéraient qu’ils étaient exclus du champ d’application de l’une et
l’autre des Conventions et que le DIH ne leur offrait donc aucune protection333. En
pratique, l’Administration américaine soutenait l’existence d’une troisième
catégorie d’intervenants dans les conflits armés, lesquels, par leur comportement,
étaient laissés à l’écart du DIH. Cette approche, qui a soulevé la controverse, a été
en partie rejetée par les tribunaux américains qui ont reconnu certains droits à ces
individus, dont notamment la protection offerte par l’article 3 commun aux
Conventions334.
1.3.2 La théorie du civil non protégé
Dans son jugement sur les Targeted Killings rendu en 2006, la Cour suprême
d’Israël rejette catégoriquement l’idée qu’il existerait une troisième catégorie
d’intervenants dans les conflits armés – les combattants illégaux – sur la base du
fait que ni le texte des Conventions ni le droit coutumier ne supportent l’existence
d’une telle troisième catégorie335. Elle considère que les personnes qui ne
répondent pas aux conditions d’octroi du statut de combattant, mais prennent
néanmoins part aux hostilités, même s’ils le font d’une façon soutenue, ne sont pas
333
James G. Stewart, « Rethinking Guantanamo – Unlawful Confinement as Applied in International
Criminal Law » (2006) 4 J.I.C.J. 12.
334 Hamdan v. Rumsfeld, 548 U.S. 1 (2006). Ce principe a également été reconnu par le Président Obama dans
son ordonnance du 22 janvier 2009 : É.-U., Président, Review and Disposition of Individuals Detained at the
Guantanamo Bay Naval Base and Closure of the Detention Facilities, Executive Order, 22 janvier 2009, en
ligne : <http://www.whitehouse.gov/the_press_office/closureofguantanamodetentionfacilities/>.
335 Targeted Killings, supra note 40, opinion du président Barak aux para. 27-28, 44 et opinion concurrente du
vice-président Rivlin, au para. 2.
95
des combattants, mais plutôt des civils. Le président de la Cour parle de
« [TRADUCTION LIBRE] civils qui sont des combattants illégaux », alors que le
vice-président Rivlin emploie, pour référer au même concept, l’expression
« [TRADUCTION LIBRE] civils non civilisés ».
Se fondant sur le droit international coutumier, la Cour conclut que ces civils qui
participent de façon soutenue aux hostilités ne bénéficient pas de la même
protection que ceux qui n’y participent pas336. Tant et aussi longtemps qu’ils
exercent des fonctions de combattants, ils perdent le bénéfice de la protection
associée à leur statut de civil et sont donc sujets aux risques qu’entraîne leur
participation aux hostilités337. La Cour établit une distinction entre, d’une part, le
civil qui prend part aux hostilités à une seule reprise ou sporadiquement et cesse
ensuite ces activités et, d’autre part, celui qui se joint à un groupe terroriste et qui
s’engage dans une série d’actes hostiles envers l’ennemi. Dans ce dernier cas,
elle estime que le principe du « revolving door », qui permettrait à un individu de
participer aux hostilités sans pour autant respecter les exigences du statut de
combattant et de retrouver sa protection entre les différents actes qu’il commet,
doit être évité. La Cour estime donc que tant et aussi longtemps qu’un civil assure
une fonction de combattant, il perd la protection associée à son statut.
1.3.3 La théorie du membre des forces armées
Le CICR envisage pour sa part les choses sous un angle différent. Dans son
Guide interprétatif, il propose une interprétation des Conventions suivant laquelle
le civil perd sa protection contre les attaques soit en participant aux hostilités, soit
en devenant membre d’un groupe armé appartenant à une Partie au conflit. Ainsi
lorsque la participation d’un individu aux hostilités va au-delà d’une participation
spontanée, non organisée et sporadique et qu’il se joint à un groupe armé organisé
appartenant à une Partie au conflit, la « revolving door » de la protection
commence à opérer sur la base de l’appartenance à ce groupe. L’appartenance à
336
Ibid., au para. 26.
337 Ibid. au para. 31.
96
un groupe armé prend naissance au moment où un civil commence de facto à
assurer une fonction de combat au sein du groupe et prend fin au moment où il
cesse d’occuper cette fonction338. Les fonctions de combat incluent la préparation,
l’exécution et la commande d’actes ou opérations résultant en une participation
directe aux hostilités339. Le simple fait d’exercer des activités traditionnellement
assurées par du personnel militaire n’est pas suffisant; il doit s’agir d’activités qui
impliquent une participation directe aux hostilités telles que définies plus haut340.
Pour assurer la cohérence de cette interprétation et éviter la création d’une
troisième catégorie d’intervenants dans les conflits armés, le CICR propose de
distinguer les civils par rapport aux membres des forces armées plutôt que par
rapport aux combattants. Suivant le CICR, la notion de forces armées est plus
large que celle de combattants et regroupe tous les groupes armés qui présentent
un degré suffisant d’organisation militaire et appartiennent à une Partie au conflit,
et ce, même s’ils ne répondent pas aux exigences de l’article 4(A)(2) de la
Convention III. Il s’agit, en fait, des individus qui exercent des fonctions
combattantes au sein d’un groupe qui participe aux hostilités pour et avec le
consentement d’une Partie au conflit341. Dans ce cas, ils sont, pour les fins du
principe de distinction, exclus de la catégorie des civils protégés, faisant en sorte
qu’ils constitueraient donc des cibles légitimes342 sans pour autant avoir le droit de
prendre légalement part aux hostilités343.
Appliquant concrètement ce principe aux employés du secteur privé, le CICR
établit une distinction entre, d’une part, ceux qui se voient confier des fonctions
338
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 72.
339 Ibid. à la p. 34.
340 Ibid. à la p. 39.
341 Ibid. à la p. 23.
342 Ibid. aux pp. 22 et 72-73.
343 Suivant le CICR, ces individus bénéficieraient toutefois des garanties fondamentales enchâssées à
l‟article 75 du Protocole I et, pour autant qu‟ils répondent aux exigences de nationalité, seraient considérés
comme des « personnes protégées » au sens de la Convention IV : Ibid. à la p. 22. Voir
également Knut Dörmann, « The legal situation of „unlawful/unprivileged combatants‟ » (2003) 85 R.I.C.R.
45 aux pp. 49-50.
97
traditionnellement assurées par des militaires sans toutefois impliquer une
participation directe aux hostilités et, d’autre part, ceux qui ont été incorporés aux
forces armées d’une Partie. Cette incorporation peut être formelle – c’est-à-dire
effectuée suivant la procédure particulière prévue par le droit national – ou implicite
– lorsque des individus se voient confier par une Partie au conflit des fonctions de
combat (« continuous combat function »). Alors que les premiers demeurent des
civils, les seconds seront considérés comme des membres des forces armées
pour les fins du principe de distinction344. L’emphase est mise sur l’autorisation
donnée par l’État, ou non, de participer aux hostilités. Suivant le CICR, la plupart
des employés d’EMP ne sont pas intégrés formellement aux forces armées et
n’exercent pas de fonctions combattantes continues345. Ainsi, leur perte de
protection contre les attaques, s’il en est, se fera généralement sur une base
sporadique.
Bien que différentes, les approches développées par la Cour suprême d’Israël et le
CICR se recoupent et produisent des effets similaires à l’égard de la mise en
œuvre du principe de distinction. Alors que la Cour suprême d’Israël retire à ceux
qui participent aux hostilités sur une base continue leur protection contre les
attaques, le CICR estime que ceux-ci, en raison des fonctions de combattants
qu’ils exercent, ne bénéficient pas de cette protection. Ainsi, se dessine-t-il une
nouvelle tendance en DIH à l’effet que ces individus qui n’ont pas le statut de
combattant privilégié et qui exercent sur une base continue des fonctions
impliquant une participation directe aux hostilités, qu’ils soient considérés comme
membres des forces armées ou civils non protégés, se trouveraient dépourvus de
la protection contre les attaques ennemies. Si ce principe semble en théorie
acceptable, il pose des difficultés d’application majeures.
344
Ibid. à la p. 39.
345 Ibid. à la p. 38.
98
2. La difficulté à faire la distinction en pratique
Suivant l’article 57(2)(a)(i) du Protocole I, avant et pendant une attaque, ceux qui
préparent ou décident une attaque doivent « faire tout ce qui est pratiquement
possible pour vérifier que les objectifs à attaquer ne sont [pas] des personnes
civiles (…), mais qu'ils sont des objectifs militaires au sens du paragraphe 2 de
l'article 52 », notamment s’ils participent aux hostilités. Cette détermination doit se
faire de bonne foi, sur la base de toutes les informations raisonnablement
disponibles dans les circonstances, en tenant compte notamment des
renseignements accessibles au décideur, de l’urgence de la situation et du
dommage susceptible de découler d’une décision erronée346. Il s’agit d’une
analyse au cas par cas, qui doit tenir compte des circonstances particulières de
l’individu en question au moment où l’attaque est perpétrée347. Il faut notamment
tenir compte du fait que l’individu ait cessé tout acte de combat, peu importe la
situation du groupe auquel il est associé348. Suivant le CICR, « [i]n practice, the
decisive question should be whether the conduct of a civilian, in conjunction with
the circumstances prevailing at the relevant time and place, can reasonably be
perceived as an act designed to support one party to the conflict by directly
causing the required threshold of harm to another party. »349 En cas de doute
quant à savoir si un individu participe ou non aux hostilités, il doit être présumé
qu’il bénéficie de la protection généralement offerte aux civils. Cette présomption
s’applique a fortiori s’il s’agit de déterminer si l’individu appartient à un groupe
armé350.
346
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 76. La Cour suprême d‟Israël exige davantage en
requérant que la décision d‟attaquer un civil repose sur des informations fiables et vérifiées quant à l‟identité
d‟un individu et ses activités. Si cette exigence apparaît raisonnable dans le cadre d‟une attaque planifiée
contre des civils, qui faisait l‟objet de cette affaire, elle apparaît excessive lorsqu‟il s‟agit de prendre position
sur le champ de bataille : Targeted Killings, supra note 40 à la p. 49.
347 Strugar, supra note 292 au para. 178; Henckaerts, supra note 38 (il faut déterminer, dans un contexte
donné, s‟il y a suffisamment d‟indications pour justifier une attaque, p. 24).
348 Strugar, ibid. au para. 178.
349 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 64.
350 Ibid. à la p. 76.
99
Le port d’une arme apparaît constituer un facteur particulièrement important dans
la détermination de la participation directe aux hostilités, que ce soit sur une base
continue ou sporadique. La Chambre d’appel du TPIY considère même que le fait
de porter une arme constitue, en soi, une participation directe aux hostilités351.
Cette conclusion nous apparaît discutable compte tenu de l’ensemble des critères
à satisfaire pour qu’une conduite soit considérée comme une participation aux
hostilités352. Il nous semble toutefois que le port d’une arme aura une grande
influence lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu a commis un crime de guerre
en attaquant une personne civile, surtout s’il s’agit d’une attaque non planifiée,
puisqu’il s’agit du seul élément objectivement et facilement vérifiable. Les tribunaux
seront certes réticents à conclure que l’attaque portée contre un civil qui porte une
arme dans le cadre d’un conflit armé constitue un crime de guerre, tel qu’en
témoigne notamment la position exprimée par la Chambre d’appel du TPIY.
D’ailleurs, ceci pourrait donner ouverture à une défense fondée sur l’erreur de faits,
laquelle est notamment prévue à l’article 32 du Statut de Rome.
L’analyse des différentes composantes de la notion de participation aux hostilités
ci-dessus révèle dans quelle mesure il peut s’avérer difficile de déterminer, dans
les circonstances de chaque cas particulier, si un individu participe ou non
directement aux hostilités. Cette détermination devra prendre en compte différents
éléments souvent non accessibles aux forces adverses ou difficiles à évaluer par
celles-ci comme le dommage qui est raisonnablement susceptible de découler de
l’acte, le rôle que joue exactement un individu dans une opération militaire et le lien
entre l’acte et le conflit armé. Tous ces facteurs sont encore plus difficiles à
déterminer en pratique qu’en théorie, surtout si l’évaluation se fait avant la
perpétration de l’acte en question (par exemple, lors de la phase préparatoire de
l’attaque). Lors d’actions concertées qui impliquent plusieurs intervenants,
notamment lorsqu’il s’agit d’opérations conduites au moyen d’armes de
351
Strugar, supra note 292 au para. 177. Voir également Targeted Killings, supra note 40 (la Cour suprême
d‟Israël fait pour sa part référence au port d‟une arme alors que l‟individu se rend sur les lieux où il entend
l‟utiliser contre l‟ennemi, p. 34).
352 Voir en ce sens Faite, supra note 27 (le port d‟une arme, bien qu‟un indicateur important de la
participation aux hostilités, ne serait pas déterminant, p. 173).
100
technologie de pointe opérées à distance, auxquelles des EMP participent de
façon plus ou moins étendue353, il est particulièrement difficile pour l’ennemi
d’identifier le rôle de chacun et ainsi de déterminer si un individu donné participe
ou non aux hostilités. Aussi, comment un individu peut-il déterminer si une livraison
d’armement, un entraînement ou une collecte de renseignements vise une
opération particulière ou s’inscrit dans un cadre routinier plus général? Il ne s’agit
pas là d’éléments qui se vérifient objectivement, à l’œil nu, mais plutôt de facteurs
qui nécessitent une analyse, en grande partie juridique, qui ne pourront
généralement être évalués que sur la base d’informations obtenues via des
services de renseignements sophistiqués.
La même problématique se pose lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu exerce
des fonctions combattantes sur une base continue. À moins que l’individu ne
s’identifie par le port d’un uniforme ou d’un signe distinctif, ou encore qu’il porte
certaines armes témoignant d’activités allant au-delà de la légitime défense, il
faudra déterminer s’il a pris part aux hostilités de façon répétitive, au nom d’un
groupe armé, dans des circonstances indiquant que sa conduite est continue et
non sporadique354. Notons que le contrat entre une EMP et un État ne sera
vraisemblablement d’aucun secours ; d’une part, ces contrats sont généralement
inaccessibles au public et, d’autre part, ils sont apparemment rédigés en des
termes ambigus et vagues, laissant aux deux parties une large marge
d’appréciation. Combinée à un manque de supervision et de respect pour les
politiques internes, cette imprécision peut notamment amener les missions à se
transformer au fil des événements355. Notons à titre d’exemple que des employés
de DynCorp, qui avaient été engagés pour prêter assistance aux forces de l’ordre
iraquiennes, se sont retrouvés à participer à des raids exécutés par la police
iraquienne356.
353
Schaller, supra note 320 à la p. 352.
354 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 35.
355 Lehnardt, supra note 162 à la p. 147.
356 Renae Merle, « DynCorp took part in Chalabi raid » Washington Post (4 juin 2004) A17.
101
L’environnement particulièrement volatile dans lequel les EMP réalisent certains
des mandats qui leur sont confiés revêt une importance toute particulière. Les
conflits modernes dans lesquels les EMP sont récemment intervenues ont peu en
commun avec les conflits traditionnels où des forces opposées s’affrontent
ouvertement sur un champ de bataille plus ou moins circonscrit dans l’espace.
Dans des contextes comme l’Irak, la Colombie et l’Afghanistan, ils sont plutôt
caractérisés par des attaques perpétrées par des acteurs non étatiques qui ne se
soucient guerre de la distinction entre objectifs militaires et civils. Ainsi, les
employés d’EMP sont-ils susceptibles de prendre part aux hostilités malgré le fait
que cela ne faisait pas partie de leur mandat initial ou de donner des motifs
raisonnables de croire qu’ils y participent. En l’absence d’une ligne de front claire,
la protection de personnes, d’édifices ou de biens est susceptible de glisser vers la
participation aux hostilités357, surtout si le lieu où l’objet protégé se trouve à
proximité de la zone de combat ou si sa destruction procure un avantage
militaire358. Il ne s’agit pas simplement de protéger des personnes ou des biens
contre des criminels de droit commun mais, dans certains cas, de mater l’ennemi
qui poursuit sa lutte armée contre une puissance occupante et qui, de par les
attaques qu’il mène, se procure un avantage militaire359. Par exemple, la menace
est telle en Irak que la tâche d’assurer la protection du Président Karzai confiée
aux employés du secteur privé avait peu en commun avec celle des services
secrets usuels. Ces employés du secteur privé étaient entraînés pour anticiper et
répondre à une variété illimitée d’attaques. Différentes composantes d’une
opération de type militaire étaient mises en place, comme les tireurs d’élite, les
chiens renifleurs, des postes de contrôle fortifiés, créant une petite armée
357
Lehnardt, supra note 162 à la p. 148.
358 Schaller, supra note 320 à la p. 353.
359 Ibid. Par exemple, le fait d‟ouvrir le feu contre des insurgés qui attaquent le siège de l‟Autorité provisoire
de la Coalition, un lieu ne constituant pas a priori un objectif militaire, implique-t-il une participation aux
hostilités dans le contexte où ce genre d‟endroit fait systématiquement l‟objet d‟attaques de la part d‟insurgés
dans le cadre de leur campagne militaire ? : Anthony Dworkin, Security Contractors in Iraq : Armed Guards
or Private Soldiers?, Crimes of War Poject, 20 avril 2004, en ligne :
<http://www.crimesofwar.org/onnews/news-security.html>, consulté le 20 février 2007 [Dworkin].
102
comparable à la Garde suisse chargée d’assurer la protection du Pape360. Tel que
le confirme le CICR, la ligne entre la défense d’objectifs militaires contre des
attaques ennemies, qui constitue une participation directe aux hostilités, et la
protection de ceux-ci contre des actes de violence non reliés aux hostilités, qui
tombent plutôt sous le coup du maintien de l’ordre ou de la légitime défense, est
mince361.
La proximité physique des entrepreneurs privés avec les forces armées sera
également prise en considération pour déterminer s’ils participent aux hostilités362,
bien que cet élément ne soit toutefois pas déterminant363. Des entrepreneurs
privés qui escortent des convois à travers des territoires hostiles sont en plein
cœur du champ de bataille, au même titre que les troupes militaires ; s’ils sont
armés et qu’ils revêtent un habit de combat ou encore travaillent à proximité des
troupes, il n’est certes pas exclu qu’ils donnent à penser qu’ils participent aux
hostilités, même s’ils n’y participent peut-être pas directement dans les faits.
De plus, lorsque plusieurs EMP, aux fonctions variées, se côtoient sur le terrain
sans qu’il ne soit véritablement possible de les distinguer entre elles, le risque de
confusion s’en trouve accru. Comment peut-on raisonnablement exiger de l’ennemi
qu’il fasse la différence entre ceux qui participent aux hostilités de ceux qui n’y
participent pas? Dès lors que certaines entreprises participent aux hostilités, ce
sont toutes les autres qui sont mises en danger.
D’ailleurs, des employés d’EMP ont à plus d’une reprise été pris directement pour
cibles, faisant l’objet d’attaques délibérées de la part d’insurgés. Ce fut notamment
le cas des quatre employés de Blackwater qui ont été attirés dans une embuscade
alors qu’ils protégeaient un convoi de nourriture lors d’un passage en zone hostile.
Selon Robert Pelton, il s’agirait d’une revanche des insurgés en réponse aux
360
Pelton, supra note 3 à la p. 74.
361 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 38. Voir également Doswald-Beck, supra note
129 à la p. 129.
362 É.-U., Naval Handbook au para. 830, cité dans Henckaerts, supra note 38 à la p. 24.
363 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 55.
103
combats à Falloujah peu de temps avant, où au moins 500 iraquiens auraient
perdu la vie et où la présence d’entrepreneurs privés avait attiré l’attention364. Alors
que des employés du secteur privé assuraient la protection de Paul Bremer, des
insurgés auraient offert 30 000 $ pour la vie de quelques employés affectés à cette
tâche365. Sachant qu’ils sont désormais susceptibles d’être pris pour cibles et, dans
une certaine mesure, perçus comme des forces ennemies, les employés d’EMP
sont en perpétuel état d’alerte et semblent de plus en plus prêts, non pas
seulement à défendre des biens ou des personnes à caractère civil, mais
véritablement à participer à la lutte contre l’ennemi. Les événements de
septembre 2007 à Bagdad en sont un exemple. Un rapport présenté à
l’Administration américaine dénonce le recours de Blackwater à la force comme
étant « frequent and extensive resulting in significant casualties and property
damage »366. Ce rapport mentionne qu’entre le 1er janvier 2005 et le
12 septembre 2007, des employés de Blackwater ont été impliqués dans
195 incidents impliquant l’usage d’armes. Dans 32 cas, Blackwater aurait ouvert le
feu en réponse à une attaque alors que, dans 163 cas, ses employés auraient tiré
en premier367.
À la lumière de ce qui précède, il ressort que bien que la plupart des EMP se
targuent de limiter leur intervention à des services qu’elles qualifient de « services
de sécurité » ou de support aux troupes, il n’en demeure pas moins que certaines
d’entre elles se voient confier des mandats qui impliquent, du moins partiellement,
une participation aux hostilités ou encore exercent des activités susceptibles de les
y conduire. Ainsi, plusieurs EMP se spécialisent dans la protection de personnes et
de lieux – militaires ou civils –, qui sont la cible des forces ennemies. Les
employés de certaines EMP ont pour leur part été directement impliqués dans des
combats contre des forces ennemies368, alors que d’autres sont affectés au
364
Pelton, supra note 3 aux pp. 118-130.
365 Ibid. à la p. 110.
366 Elsea, supra note 135 à la p. 12.
367 Ibid.
368 Boldt, supra note 73 à la p. 508; Dworkin, supra note 359 à la p. 1; Avant, supra note 13 aux pp. 21-22.
104
transport des munitions ou, encore, prodiguent des conseils stratégiques sur la
façon de mener les combats en cours ou collecte des renseignements à cette
fin369. S’ils ne participent pas directement aux hostilités, les employés d’EMP sont
susceptibles de donner à croire qu’ils le font, notamment lorsqu’ils portent des
armes, qu’ils revêtent l’habit de combat ou qu’ils se trouvent à proximité des forces
armées ou d’objectifs militaires.
3. La participation aux hostilités : un critère de distinction inapproprié
Les Hautes Parties contractantes aux Conventions ont prévu la perte temporaire
de la protection du civil contre les attaques ennemies basée sur la participation
momentanée d’un individu aux hostilités afin de favoriser une plus grande
protection de la population civile. Pour résoudre la difficulté créée par l’implication
grandissante dans les conflits d’acteurs non étatiques, dont certains exercent des
fonctions combattantes sur une base continue, il est désormais suggéré, non plus
seulement de distinguer les civils des combattants, mais également les civils qui
participent aux hostilités sur une base spontanée et sporadique de ceux qui y
prennent part sur une base continue. On réinterprète les Conventions pour prévoir
la perte de protection sur la base des fonctions exercées. Suivant le CICR, le statut
pourrait même, dans le cas des membres des groupes armés qui exercent des
fonctions combattantes continues, varier en fonction de la participation aux
hostilités. Ainsi, il pourrait y avoir des membres des forces armées non privilégiés
ou des civils non protégés, un scénario que la lettre des Conventions ne semblait
pas envisager. En fait, jusqu’à tout récemment, il semblait plutôt que tous ceux qui
n’étaient pas des combattants au sens des Conventions devaient être considérés
comme des civils370. À ce propos, la Chambre d’appel du TPIY cite avec
approbation les Commentaires relatifs au Protocole I:
Tous les membres des forces armées sont des combattants et seuls les membres des forces armées sont des combattants. Ainsi devrait aussi disparaître une certaine notion de « quasi combattants » que
369
Avant, supra note 13 aux pp. 16-17.
370 Voyame, supra note 288 aux pp. 366-367; Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 124.
105
l’on a parfois tenté d’accréditer sur la base d’activités en relation plus ou moins directe avec l’effort de guerre. Ainsi également disparaît toute notion de statut à temps partiel, mi-civil mi-militaire, guerrier de nuit et paisible citoyen de jour. Un civil qui est incorporé dans une organisation armée du paragraphe précédent devient un militaire et un combattant pour toute la durée des hostilités (en tout cas jusqu’à ce qu’il soit définitivement démobilisé par le commandement responsable prévu au paragraphe 1), qu’il soit au combat ou non, momentanément armé ou non; s’il est blessé, malade ou naufragé, il a droit à la protection des I
re et IIe Conventions (article 44,
paragraphe 8) et, s’il est capturé, à la protection de la IIIe Convention (article 44, paragraphe 1)371.
Dans le cas des forces armées régulières d’un État, l’appartenance est régie par le
droit interne et exprimée à travers l’intégration à des unités permanentes, qui se
distinguent par le port de l’uniforme, d’un insigne et d’équipement spécifique. Il est,
à l’œil nu, relativement aisé de les identifier, de telle sorte que les individus qui
participent aux hostilités peuvent distinguer, sur le champ, ceux qui peuvent faire
l’objet d’attaques de ceux qui doivent en être épargnés. Tel est également le cas
pour les membres des forces armées de facto, qui obtiennent le statut de
combattant en respectant certaines conditions propres à assurer leur identification
comme combattants. Lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu prend part aux
hostilités sans pour autant être un combattant privilégié (donc qui s’affiche, en
principe, comme tel), la distinction repose sur un critère fonctionnel, qui nécessite
une analyse en grande partie juridique et qui requiert l’obtention d’informations
précises sur l’identité d’un individu et les fonctions qu’il exerce soit généralement,
soit à un moment précis. Il va sans dire que le risque d’erreur est élevé. La
participation aux hostilités, qui est excessivement difficile à déterminer et qui ne
repose pas, comme le statut, sur des critères visibles, n’apparaît donc pas être un
critère de distinction approprié.
La présence de civils armés dans une zone de conflit, même s’ils ne participent
pas aux hostilités est, en soi, problématique. Plus il y en a, plus il est difficile pour
371
Sandoz, supra note 50 au para. 1677, cité dans Le Procureur c. Kordic, IT-95-14/2-A, Arrêt (17 décembre
2004) au para. 51 (TPIY, Chambre d‟appel) [Kordic].
106
les combattants de distinguer les civils qui participent aux hostilités de ceux qui
sont armés à des fins purement défensives. Comme l’écrivait le CICR, « one of the
main practical problems caused by various degrees of civilian participation in
hostilities is that of doubt as to the identity of the adversary »372. Des soldats seront
davantage enclins à employer la force contre des civils qu’ils pensent poser une
menace; à l’inverse, des combattants pourraient être réticents à employer la force
lorsque celle-ci est appropriée, de peur de commettre un crime de guerre,
assumant ainsi des risques accrus.
En semant un doute sur les protections dont bénéficie un individu en raison du fait
qu’il exerce possiblement des fonctions combattantes, une brèche est créée dans
le principe de distinction, pourtant acquis au prix de lourds sacrifices et des suites
d’un compromis difficile à atteindre. Il est bien connu que le fait de retirer à certains
civils la protection contre les attaques entraîne des effets néfastes sur la protection
qui doit bénéficier à l’ensemble de la population civile, ce pourquoi les auteurs
favorisent généralement une interprétation restrictive de la notion de participation
aux hostilités et de la perte de protection373. Par contre, l’intervention d’acteurs
privés dans les conflits armés incite à favoriser une interprétation plus large, afin
d’éviter que ceux-ci ne conservent leur protection contre les attaques tout en
participant directement aux hostilités374. Dans ce contexte, certains estiment
qu’une interprétation libérale de la notion de participation aux hostilités inciterait les
civils à se tenir loin des hostilités afin d’éviter d’être pris pour cibles ou d’engager
leur responsabilité pénale375. Tel est l’enjeu auquel faisaient face le CICR et la
Cour suprême d’Israël et qui les a incités à réinterpréter les Conventions en
élargissant, d’une certaine façon, la notion de participation aux hostilités. L’objectif
et leurs efforts sont certes louables, mais il reste que la distinction demeure difficile
à faire en pratique. S’il peut s’avérer nécessaire d’adopter une telle interprétation
372
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 74.
373 Targeted Killings, supra note 40 (référant à l‟opinion du professeur Cassese, para. 7); Doswald-Beck,
supra note 129 à la p. 129.
374 Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 à la p. 534.
375 Ibid. à la p. 535.
107
du DIH pour faire face à l’implication dans les conflits armés d’acteurs non
étatiques sur lesquels il est pratiquement impossible d’exercer un contrôle, tels les
groupes terroristes, la question se pose de savoir si la situation ne devrait pas être
évitée en ce qui concerne les entrepreneurs privés mandatés par des États,
lesquels disposent de moyens alternatifs pour livrer leur lutte armée et ont, en
outre, l’obligation de protéger les civils.
Chapitre II. Le respect du principe de distinction comme condition de la mise en œuvre des Conventions
Considérant les difficultés qu’engendre la détermination des protections dont
bénéficient les employés d’EMP sur la base de leur participation aux hostilités et
l’impact que peut avoir un élargissement de la notion de participation aux hostilités
sur la protection de la population civile en général, il convient maintenant de se
demander si les Conventions s’opposent à ce que des États mandatent des civils
pour participer aux hostilités ou qu’ils les placent dans une situation susceptible de
les y conduire. L’étude de cette question nécessite de s’attarder d’abord à
l’intention des Parties aux Conventions, pour ensuite voir comment l’exigence pour
les États de mener la lutte au moyen de leurs forces armées peut s’avérer
nécessaire au respect d’autres obligations des Conventions et, ultimement, à
l’effectivité du DIH.
1. L’intention des Parties : la lutte armée par l’intermédiaire des forces armées
L’objectif des Conventions étant de protéger les personnes qui ne participent pas
ou plus aux hostilités, elles ne criminalisent pas, en soi, la participation aux
hostilités, laissant plutôt aux États le soin de punir les responsables pour les actes
qui constituent des crimes en droit national. Il est d’ailleurs généralement admis
que le fait pour un civil de participer aux hostilités ne constitue pas, en soi, un
crime de guerre qui engagerait la responsabilité pénale de son auteur au sens des
Conventions 376.
376
CICR, XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant Rouge, Le droit international
humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains – Rapport préparé par le Comité
international de la Croix-Rouge, Genève, septembre 2003, en ligne :
<http://www.icrc.org/Web/fre/sitefre0.nsf/htmlall/5XRHA5/$File/IHLcontemp_armedconflicts_FINAL_FRA
.pdf>; Schmitt, « Direct Participation in Hostilities », supra note 2 aux pp. 520-521; Dinstein, supra note 39
aux pp. 30-31; McDonald, supra note 77 à la p. 246. Si certains auteurs sont d‟avis contraire et estiment
qu‟un civil qui participe aux hostilités commet un crime de guerre et peut être jugé en tant que combattant
illégal, cette tendance demeure marginale et vivement critiquée : Boldt, supra note 73 à la p. 513. Cette
tendance ne trouve d‟ailleurs aucun fondement dans le texte des Conventions et repose en large partie sur des
obiter dictum exprimés dans quelques jugements émanant de tribunaux nationaux, datant de plusieurs
109
Le CICR rappelle cependant, dans son Guide interprétatif, que les civils, incluant
les personnes autorisées à accompagner les forces armées, n’ont jamais été
destinés à prendre part aux hostilités au nom d’une Partie au conflit377. Cette idée
est exprimée dès 1880 dans l’Oxford Manual, qui avait pour but de codifier les
principes de l’époque : « The state of war does not admit of acts of violence, save
between the armed forces of belligerent States. Persons not forming part of a
belligerent armed force should abstain from such acts. »378 Suivant l’article 7 de ce
manuel, « [t]he contest (is) carried on by ‘armed forces’ only. »
Ainsi les États ont, par l’entremise des Conventions, inextricablement lié le droit
des individus de prendre part aux hostilités à leur statut, en permettant seulement
aux combattants d’échapper aux poursuites pénales pour les actes qu’ils
commettent lors de leur participation aux hostilités, lesquels seraient autrement
criminels. Éric David rappelle à ce propos que l’un des principes essentiels qui se
dégage du droit de Genève est à l’effet que « tout le monde ne peut pas massacrer
tout le monde »379 et que « le droit des conflits armés réserve ce délicat privilège
aux combattants reconnus comme tels »380. Ainsi, l’article 43(2) du Protocole I
procure-t-il le droit de participer aux hostilités aux seuls membres des forces
armées d’une Partie au conflit tels que définis au paragraphe 1 du même article,
auquel nous avons abondamment fait référence dans la première partie de notre
mémoire.
Force est donc de constater que c’est au moyen de leurs forces armées –
régulières ou irrégulières – que les États se sont engagés, du moins officiellement,
à livrer bataille. En tant qu’organes de l’État, les membres des forces armées sont
admis à bénéficier de ce statut qui leur confère une immunité contre les poursuites
décennies. Aucun cas où un civil aurait été reconnu coupable de violation du DIH sur la seule base de sa
participation aux hostilités n‟a d‟ailleurs été recensé.
377 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 38.
378 Institute of International Law, The Laws of War on Land, 9 octobre 1880, art. 1. Voir également
Targeted Killings, supra note 40 au para. 31.
379 David, supra note 68 à la p. 380.
380 Ibid.
110
pour les actes qu’ils commettent en livrant bataille au nom d’une Partie au conflit,
un principe qui découle des relations traditionnelles entre États381. Le régime des
Conventions repose ainsi sur cette prémisse, laquelle se manifeste à deux
niveaux : i) le respect des obligations découlant des Conventions commande que
les civils ne participent pas aux hostilités et ii) les États doivent assurer un contrôle
sur leurs forces armées et assumer la responsabilité de leurs actes.
2. L’absence de participation de civils aux hostilités comme condition du respect des obligations découlant des Conventions
L’article 48 du Protocole I, qualifié de « règle fondamentale »382, impose aux
Parties l’obligation i) de respecter et ii) d’assurer la protection de la population
civile. Il impose des obligations aux deux antagonistes dans le cadre du conflit : à
l’attaquant, il impose l’obligation d’épargner la population civile de l’adversaire; au
défendeur, il impose l’obligation de protéger sa propre population ou la population
sous son contrôle. L’article 48, qui pose la règle du principe de distinction en
termes généraux, est complété par d’autres dispositions qui, elles, imposent aux
États des obligations plus spécifiques. Ces règles additionnelles sont perçues
comme étant nécessaires au respect du principe de distinction383. Cette distinction
doit être opérée en tout temps et il ne peut être dérogé à ce principe, même pour
des raisons de nécessité militaires384.
2.1 L’obligation de protéger la population civile
L’article 58 du Protocole I énonce trois obligations spécifiques qu’une Partie au
conflit doit respecter « dans toute la mesure de ce qui est pratiquement possible »
afin d’assurer la protection de la population civile sous son autorité : i) éloigner les
personnes civiles des objectifs militaires, ii) éviter de placer des objectifs militaires
à l’intérieur ou à proximité de zones fortement peuplées et iii) prendre les autres
381
Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 116.
382 Kordic, supra note 371 au para. 54.
383 Henckaerts, supra note 38 aux pp. 51-76.
384 Kordic, supra note 371 au para 54.
111
précautions nécessaires pour protéger les personnes civiles contre les dangers
résultant des opérations militaires. De ces règles se dégage une obligation positive
qui incombe aux Parties au conflit de prendre toutes les mesures de précautions
raisonnables pour protéger la population civile sous leur contrôle contre les effets
découlant des attaques, en la tenant à l’écart des hostilités.
Cette obligation se traduit de deux façons dans le contexte de l’implication des
EMP dans les conflits armés : i) une obligation de protection des États à l’égard
des civils qu’ils mandatent pour accomplir diverses fonctions dans le cadre de
conflits armés et ii) une obligation de ne pas mettre en péril la population civile en
intégrant des objectifs militaires en son sein.
2.1.1 L’obligation de protection envers les employés d’entreprises militaires privées
S’ils participent aux hostilités, les employés d’EMP deviennent des cibles militaires
légitimes. Ils peuvent légalement faire l’objet d’attaques et n’ont pas à être pris en
compte dans le principe de proportionnalité385. Ils peuvent être attaqués au
moment où ils commettent des actes spécifiques qui constituent une participation
aux hostilités incluant des actes préparatoires, le déploiement et le retour ou,
suivant l’approche mise de l’avant par le CICR, dès lors et tant et aussi longtemps
qu’ils exercent des fonctions combattantes386.
Leur position est d’autant plus précaire que s’ils sont capturés alors qu’ils
participaient aux hostilités, ils ne pourront revendiquer le statut de prisonnier de
guerre puisqu’ils ne seront vraisemblablement pas considérés comme des
combattants ou qu’ils auront perdu leur droit de revendiquer ce statut dans le cas
où ils étaient au départ considérés comme des personnes civiles accompagnant
les forces armées. Ils ne bénéficieront donc pas des privilèges et protections
énoncés à la Convention III. Seule une protection minimale d’être traités avec
humanité s’ils se retrouvent au pouvoir d’une Partie au conflit leur sera accordée
385
Targeted Killings, supra note 40 au para. 46.
386 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 70.
112
par l’article 75 du Protocole I387, qui codifie le droit coutumier388. Ils seront alors
passibles d’être jugés par la Partie qui les détiendra pour les infractions qu’ils
auraient pu commettre pendant leur participation aux hostilités et pourront même
faire face à la peine de mort si celle-ci n’a pas été abolie dans l’État où ils sont
jugés389. S’ils se trouvaient à l’intérieur d’objectifs militaires ou à proximité de ceux-
ci, lesquels constituent des cibles légitimes, les employés d’EMP ne pourraient
invoquer la légitime défense pour justifier leurs actes390. Leur comportement lors
de la participation aux hostilités peut également constituer un crime de guerre s’il
constitue une violation de certaines règles du DIH érigées en violations graves des
Conventions391, notamment s’ils ont tiré sur des personnes civiles innocentes,
comme cela pourrait avoir été le cas de Blackwater en Irak.
Compte tenu de l’ambiguïté dont souffre la notion de participation aux hostilités et
de la tendance actuelle à son élargissement, les risques qu’encourent certains
employés d’EMP sont accrus. Dans le contexte actuel, certains employés d’EMP
qui portent des armes, qui travaillent à proximité ou de concert avec les forces
armées et qui exercent des tâches susceptibles de constituer une participation aux
hostilités peuvent donner à penser qu’ils constituent une menace pour l’ennemi et
donc engendrer une riposte de la part de celui-ci. La pratique révèle qu’il ne s’agit
pas que d’une hypothèse théorique, puisque des employés d’EMP ont, à diverses
reprises, été directement pris pour cibles. Ces risques sont difficilement calculables
pour les employés d’EMP en raison du fait que leur mission est appelée à changer
rapidement et que les circonstances sont susceptibles de les entraîner sur cette
voie malgré eux. Aussi, la position généralement adoptée par les États et les EMP
elles-mêmes suivant laquelle ils sont des civils peut leur procurer un faux
sentiment de sécurité. Certains des employés d’EMP ne s’attendent pas à faire
387
Protocole I, art. 45(3).
388 Doswald-Beck, supra note 129 à la p. 125.
389 Ibid. à la p. 126.
390 Schaller, supra note 320 à la p. 355.
391 Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 aux pp. 84-85 (où il est fait référence à la jurisprudence
du TPIY et du TPIR).
113
l’objet d’attaques et n’y sont donc pas forcément préparés. Dès lors, leurs
mécanismes de protection et de réaction peuvent s’avérer déficients, au détriment
de leur sécurité.
Même s’ils ne participent pas forcément aux hostilités, les employés d’EMP
courent le risque d’être blessés, voire tués, lorsque des attaques sont perpétrées
contre des objectifs militaires à proximité desquels ils se trouvent, devenant ainsi
des dommages collatéraux392. Bien que la définition de ce que constitue un objectif
militaire ne soit pas des plus limpides et qu’elle puisse s’avérer difficile à mettre en
œuvre en pratique393, notons que les employés d’EMP seront notamment exposés
à des risques accrus lorsqu’ils fournissent un support logistique aux unités de
combat, escortent des convois militaires394, travaillent dans des centres de
commandement militaires, travaillent dans des endroits où sont fabriquées,
réparées ou entreposées des armes395. Même s’ils seront en principe pris en
compte dans le principe de proportionnalité, le risque pour leur sécurité est élevé.
En Irak, des EMP ont subi de lourdes pertes lors d’attaques par des insurgés. Les
trois fournisseurs de services de sécurité au Département d’État américain en
vertu de contrats obtenus sous le programme « Worldwide Personal Protective
Services » ont subi des pertes de vies et blessures chez leurs employés alors
qu’ils prodiguaient des services de sécurité396. Blackwater aurait perdu
32 employés en Irak, entre mars 2004 et juillet 2008, et 46 auraient été blessés397.
La protection de convois apparaît responsable d’un grand nombre de pertes de
vies chez les employés du secteur privé. D’ailleurs, il était estimé, vers la fin 2006,
392
Henckaerts, supra note 38 à la p. 23; Schaller, supra note 320 à la p. 349.
393 Schaller, ibid. aux pp. 354-355.
394 Ibid. à la p. 349.
395 Henckaerts, supra note 38 à la p. 23.
396 Elsea, supra note 135 à la p. 5.
397 Ibid.
114
que 20 % des convois faisaient l’objet d’attaques. Ce nombre serait passé à 1.5 %
en 2008398.
L’idée qu’une Partie aux Conventions puisse placer des civils dans une telle
situation semble incompatible avec son obligation de les protéger. Ainsi, certains
diront que le fait d’impliquer un individu dans les combats ou de l’exposer aux
effets de ceux-ci sans lui accorder le statut de combattant ne fait pas que porter
atteinte au principe de distinction, mais place aussi délibérément ces individus
dans une situation particulièrement dangereuse399. Il y a tout lieu de penser que si
les Parties aux Conventions se sont imposées l’obligation d’assurer la protection
des personnes, il allait de soi qu’elles n’allaient pas délibérément les placer à
proximité d’objectifs militaires et, pis encore, en faire des cibles militaires.
2.1.2 L’obligation de protection envers la population civile en général
Comme le rappelle le professeur Sassòli, il est bien connu que « [l]es civils ne
peuvent être, et ne seront respectés que si les combattants ennemis peuvent
raisonnablement s’attendre à ce que celles et ceux qui semblent être des civils ne
les attaqueront pas »400. La prohibition de la participation des civils aux hostilités
est perçue comme une précaution élémentaire qu’une Partie au conflit doit prendre
pour assurer la protection de sa population civile401. Si une Partie fait défaut de
prendre les mesures de précaution nécessaires, l’adversaire n’est pas empêché
d’attaquer l’objectif militaire dans lequel ou à proximité duquel se trouvent des
civils402.
Même si l’attaque demeure soumise au principe de proportionnalité, la population
civile risque d’être touchée lors d’attaques perpétrées contre des employés d’EMP.
En plaçant au sein de la population civile des employés des EMP, qui constituent
398
Ibid. à la p. 6.
399 Schaller, supra note 320 à la p. 349.
400 Sassòli et Bouvier, supra note 221 à la p. 149.
401 Fleck, supra note 42 à la p. 210.
402 Henckaerts, supra note 38 à la p. 71.
115
possiblement, en certaines circonstances, des cibles militaires, les États
augmentent les risques auxquels fait face la population civile, ce qui semble peu
compatible avec son obligation d’en assurer la protection.
De plus, l’implication grandissante d’acteurs privés, telles les EMP, semble
actuellement favoriser un élargissement de la notion de participation directe aux
hostilités et une diminution des protections dont bénéficient les personnes civiles,
tel que discuté précédemment403. En contribuant, par leurs actions, à la diminution
de l’immunité conférée aux personnes civiles, acquise si difficilement et après tant
d’efforts, le comportement des États est discutable eu égard à leur obligation de
protéger la population civile. Certes, l’obligation de protection des États n’est pas
absolue et est limitée aux précautions qui sont possibles dans les circonstances,
prenant en considération les exigences militaires et d’humanité404. Cependant, au
moment où l’on tente de réduire l’impact des conflits armés sur les personnes
civiles, la question se pose de savoir si l’implication d’acteurs privés dans les
conflits armés, compte tenu des conséquences qu’elle engendre sur l’immunité
accordée aux personnes civiles, répond à des exigences militaires qui devraient
l’emporter sur les exigences d’humanité.
2.2 L’obligation de respecter la population civile
L’objectif ultime du principe de distinction et, dans une large mesure, du DIH, est
d’éviter que les attaques soient dirigées contre la population civile ou que
l’attaquant néglige d’en tenir compte dans la planification et l’exécution de ses
opérations militaires. À cette fin, les articles 51 et 57 du Protocole I prévoient que
les Parties au conflit doivent i) diriger leurs attaques contre des objectifs
militaires405 (principe de discrimination) et ii) éviter « les attaques dont on peut
attendre qu'elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la
population civile [ou] des blessures aux personnes civiles […] qui seraient
403
Voir infra Partie 2, Chapitre I, section 3 ci-dessus.
404 Henckaerts, supra note 38 à la p. 70.
405 Protocole I, art. 4(a) et 57(2)(a)(i).
116
excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu »406 (principe
de proportionnalité). Concrètement, ceux qui préparent ou décident d’une attaque
ont l’obligation de « faire tout ce qui est pratiquement possible pour vérifier que les
objectifs à attaquer ne sont [pas] des personnes civiles […] mais qu'ils sont des
objectifs militaires au sens du paragraphe 2 de l'article 52, et que les dispositions
du présent Protocole n'en interdisent pas l'attaque »407.
Or, nous l’avons vu précédemment, la participation aux conflits par des acteurs
privés rend extrêmement difficile l’identification de ce qui constitue un objectif
militaire408, notamment lorsqu’il s’agit de déterminer si un individu participe ou pas
directement aux hostilités. Cette évaluation requiert, dans plusieurs cas, l’obtention
d’informations souvent difficilement accessibles et une analyse juridique dont les
principes demeurent à être clairement définis.
Alors qu’elle fait elle-même défaut d’identifier clairement ceux qui participent aux
hostilités, notamment par le respect des conditions prévues aux Conventions pour
l’octroi du statut de combattant, une Partie au conflit apparaîtrait mal venue
d’exiger de la Partie adverse qu’elle fasse cette distinction. Même si cette dernière
doit déployer certains efforts pour obtenir l’information nécessaire à déterminer si
un individu est un objectif militaire, sa décision sera fondée et, ultimement évaluée,
sur la base des informations qui lui étaient disponibles à ce moment409. Pour
assurer le respect de la population civile sous son contrôle, une Partie au conflit
doit, il nous semble, rendre accessible à l’adversaire l’information qui lui permette
de l’identifier et éviter de semer la confusion. Dès lors, le contexte dans lequel
opère actuellement une partie des employés d’EMP, empreint d’une immense
confusion est, nous semble-t-il, susceptible d’entraîner un affaiblissement de
l’obligation d’éviter les attaques indiscriminées qui ne répondent pas au critère de
406
Protocole I, art. 51(5)(b) et 57(2)(a)(iii).
407 Protocole I, art. 57(2).
408 Voir infra Partie 2, Chapitre I, section 2, ci-dessus. Voir également Michael N. Schmitt, « The Principle of
Discrimination in 21st Century Warfare » (1999) 2 Yale Hum. Rts & Dev. L. J. 143 à la p. 159
[Schmitt, « The Principle of Discrimination »].
409 Henckaerts, supra note 38 aux pp. 54-55.
117
proportionnalité, augmentant du coup les risques auxquels fait face l’ensemble de
la population410.
Cette analyse nous amène à conclure que les États peuvent difficilement respecter
leur obligation de protéger la population civile et de mettre en œuvre les conditions
nécessaires au respect, par leur adversaire, de leur obligation de ne pas diriger
d’attaques contre cette population s’ils embauchent des civils pour participer aux
hostilités ou pour accomplir des tâches qui peuvent les amener à y participer ou
donner lieu à penser qu’ils le font. De là, nous dégageons une seconde indication
à l’effet que le texte des Conventions indique que les États ne peuvent engager
des EMP pour exercer des tâches qui placeraient leurs employés au cœur des
opérations militaires sans s’assurer qu’ils obtiennent le statut de combattant et
respectent, de ce fait, le principe de distinction.
2.3 Le contrôle de l’État sur les forces armées et la mise en œuvre de sa responsabilité
En plus des obligations énoncées ci-haut, les Conventions ont entendu assurer
que les États, signataires des Conventions, soient ultimement tenus responsables
des violations du DIH que pourraient commettre leurs forces armées. Il importe
donc de voir si le recours à des EMP est susceptible de porter atteinte à ce
principe. Pour ce faire, nous examinerons dans un premier temps les exigences
posées par les Conventions eu égard au contrôle que doit assurer l’État sur ses
forces armées et à la mise en œuvre de sa responsabilité. Nous verrons ensuite
l’impact que le recours à des EMP peut avoir à cet égard.
2.3.1 Les exigences posées par les Conventions
Les Conventions exigent des États qu’ils gardent le contrôle sur les forces armées
qui livrent bataille en leur nom et, ultimement, assument la responsabilité des actes
410
En ce sens, le professeur Schmitt conclut que la sous-traitance d‟activités militaires à des EMP expose
l‟ensemble de la population à des risques accrus en raison de la difficulté de distinguer les civils qui
participent aux hostilités de ceux qui n‟y participent pas. Il relate que cette préoccupation avait justement
donné lieu à des objections sur le relâchement de l‟obligation des combattants de se distinguer de la
population civile lors de l‟adoption du Protocole I : Schmitt, « The Principle of Discrimination », supra note
408 à la p. 160.
118
de leurs forces armées. Le contrôle par l’État et la mise en œuvre de sa
responsabilité sont perçus comme étant nécessaires pour assurer le respect du
DIH par les troupes, à qui le délicat privilège de combattre l’ennemi est conféré par
les Conventions. C’est dans cette optique que le régime des Conventions prévoit
que les membres des forces armées doivent être placés sous le commandement
de l’État afin d’avoir le statut de combattant – donc le droit de participer aux
hostilités – et qu’il prévoit des obligations spécifiques requérant à l’État de
contrôler leurs actes dont il assure ultimement la responsabilité.
i) Le contrôle
Suivant l’article 80(2) du Protocole I, les États ont l’obligation de donner des ordres
et instructions propres à assurer le respect des Conventions et de leurs Protocoles
additionnels et d’en surveiller l’exécution411. Cette disposition ne vise pas
uniquement les instructions générales formulées par l’État, mais également les
instructions et ordres émis dans des circonstances données, à des destinataires
précis412. Le respect de ces ordres repose en grande partie sur la mise en place
d’une chaîne de commandement, ce qui explique l’exigence d’un régime de
discipline comme condition d’octroi du statut de combattant.
Les Conventions ont instauré un régime accordant un rôle central aux
commandants, lesquels assurent « le lien indispensable entre la Partie au conflit et
ses troupes sur le terrain » afin d’assurer le respect effectif du DIH sur le champ de
bataille413. Les commentaires relatifs à l’article 87 sont éloquents à ce propos :
Qu'il s'agisse du théâtre des opérations militaires, des territoires occupés ou des lieux d'internement, c'est au niveau de la troupe que les mesures nécessaires à la bonne application des Conventions et du Protocole doivent être prises, si l'on entend éviter qu'il y ait un écart fatal entre les engagements contractés par les Parties au conflit et le comportement des individus. Or, à ce niveau, tout repose sur les commandants et, sans vigilance de leur part, les règles ne sont guère
411
Protocole I, art. 80(2).
412 Sandoz, supra note 50 au para. 3298.
413 Ibid. aux para. 3549-3550.
119
efficaces. Sans doute le déroulement de la bataille ne permet-il pas à un commandant d'exercer un contrôle permanent sur sa troupe; mais il doit alors exiger d'elle une discipline suffisante (cf. article 43 - « Forces armées », paragraphe 1) pour que les règles des Conventions et du Protocole soient respectées, même lorsque cette troupe échappe à son regard. [citations omises]
Ainsi, l’article 87 impose-t-il aux États de « charger les commandants militaires, en
ce qui concerne les membres des forces armées placées sous leur
commandement et les autres personnes sous leur autorité, d’empêcher que soient
commises des infractions aux Conventions et au présent Protocole et, au besoin,
de les réprimer et de les dénoncer aux autorités compétentes »414. En outre, des
conseillers juridiques doivent être disponibles pour conseiller les commandants
militaires quant à l’application des Conventions et du Protocole I et à
l’enseignement à dispenser415.
Les États ont aussi l’obligation d’entraîner les forces armées et de s’assurer qu’une
formation en DIH leur soit dispensée416. L’entraînement est un élément clé pour
assurer la conduite adéquate sur le terrain; il doit couvrir un entraînement général
et spécifique, en fonction des tâches exercées417. Suivant le professeur Sassòli, il
n’est pas suffisant d’informer les troupes sur les règles très détaillées et souvent
compliquées du DIH; il faut, avant même qu’un conflit n’éclate, « intégrer [les
414
Protocole I, art. 87. Voir également les paragraphes 2 et 3 du même article, qui donnent plus de détails sur
la mise en œuvre de cette obligation. L‟article 1 de la Convention de La Haye prévoyait dans le même sens :
« Les Puissances contractantes donneront à leurs forces armées de terre des instructions qui seront conformes
au Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, annexé à la présente Convention » [nos
italiques] : Convention concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, 18 octobre 1907, reproduit dans
Adam Roberts et Richard Guelff, Documents on the Law of War, 2e éd., Oxford, Clarendon Press, 1989 à la p.
48, art. 1 [Convention de La Haye].
415 Protocole I, art. 82.
416 Convention III, art. 127; Convention IV, art. 144; Protocole I, art. 87 (qui impose aux commandants
militaires des obligations de nature préventive comme l‟entraînement); Doswald-Beck, supra note 129 aux
pp. 132-133.
417 Michael Cottier, « Elements for contracting and regulating private security and military companies »
(2006) 88 R.I.C.R. 637 à la p. 643 [Cottier].
120
règles du DIH] dans les manœuvres et entraînements classiques et ce afin de
susciter des actes réflexes »418.
ii) La responsabilité
Comme suite logique, l’article 91 du Protocole I prévoit, à l’instar de l’article 3 de la
Convention de La Haye, qu’une Partie contractante encourt responsabilité pour les
actes commis par ses forces armées : « La Partie au conflit qui violerait les
dispositions des Conventions ou du présent Protocole sera tenue à indemnité, s’il y
a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes faisant partie
de ses forces armées. »419 Évidemment, sous le Protocole I, la notion de forces
armées s’entend des forces régulières et irrégulières, lesquelles sont soumises au
contrôle de la Partie au conflit.
Comme le rappelait la Chambre d’appel du TPIY dans l’arrêt Tadić, il est apparu
essentiel, pour assurer le respect du DIH, que les Parties au conflit soient
ultimement tenues responsables des violations du DIH commises par ceux qui
livrent bataille en leur nom et dont elles doivent par ailleurs assurer le contrôle :
[…] Les dispositions de l'article 4 s'expliquent par le fait qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, tout le monde s’accordait pour admettre que les États doivent être juridiquement responsables du comportement des forces irrégulières qu’ils soutiennent. Comme l’a fait remarquer à juste titre le Tribunal militaire israélien siégeant à Ramallah dans le Jugement Kassem et consorts en date du 13 avril 1969 :
Tirant les leçons des deux guerres mondiales, les nations du monde ont jugé fondamentalement nécessaire d'exiger de surcroît que les États soient entièrement responsables des agissements des corps irréguliers, garantissant ainsi que quelqu'un réponde de leurs violations aux lois ou coutumes de la guerre.
418
Sassòli et Bouvier, supra note 221 à la p. 272.
419 Convention de La Haye, supra note 414, art. 3 (« La Partie belligérante qui violerait les dispositions dudit
Règlement sera tenue à indemnité, s‟il y a lieu. Elle sera responsable de tous actes commis par les personnes
faisant partie de sa force armée » [nos italiques]).
121
En d’autres termes, les États ont accepté en pratique que les belligérants puissent utiliser des unités paramilitaires et autres éléments irréguliers dans la conduite des hostilités, à condition qu’ils soient prêts à endosser la responsabilité de toute infraction commise par ces forces. Pour que les éléments irréguliers puissent être qualifiés de combattants légitimes, il semble que les règles internationales et la pratique des États exigent qu'une Partie à un conflit armé international exerce un contrôle sur eux et que, de même, ces irréguliers soient dépendants de cette Partie au conflit et lui aient prêté allégeance. Tels sont donc les éléments que l'on peut considérer comme constitutifs de la notion « d’appartenance à une Partie au conflit420.
Cet extrait de l’arrêt Tadić démontre bien comment la notion de contrôle qui sous-
tend l’exigence d’appartenance à une Partie au conflit comme condition d’octroi du
statut de combattant assure, ultimement, la mise en œuvre de la responsabilité de
l’État pour les violations du DIH commises par des individus lors de conflits armés,
considérée comme étant nécessaire au respect du DIH.
2.3.2 Le respect de ces exigences lorsque des entreprises militaires privées sont impliquées
S’il ne fait pas de doute que les États ne peuvent échapper à ces obligations en
mandatant des entités privées, le problème est d’assurer la cohérence du régime
et, ultimement, la mise en œuvre de la responsabilité de l’État lorsqu’une entité
privée s’immisce dans cette relation qui doit exister entre l’État et les troupes sur le
terrain et dont la force tient à la mise en place d’une chaîne de commandement.
i) Le manque de contrôle sur les entreprises militaires privées
L’objectif même du recours à des EMP est, pour l’État, de se libérer de certaines
tâches en les confiant à des tiers, impliquant dès lors cette idée de délégation qui
semble peu compatible avec le contrôle serré sur les troupes qu’exigent les
Conventions. De façon caractéristique, la sous-traitance implique que le mandant
désigne un agent pour agir en son nom. Ces deux acteurs ont des objectifs qui ne
420
Tadić, supra note 106 aux para. 93-94.
122
sont pas nécessairement les mêmes et, surtout, il est difficile pour chacun d’eux
d’obtenir une information complète, juste et précise des actes du cocontractant421.
La supervision et la communication sont d’autant plus difficiles que les événements
surviennent dans un environnement désorganisé, où la collecte d’informations
pose, en soi, un défi.
Tel que nous l’avons vu précédemment, les États ont, pour l’heure, généralement
peu de contrôle sur la façon dont sont exécutés les contrats qu’ils octroient aux
EMP422. Cette situation semble attribuable au fait que les États ont, du moins
initialement, démontré peu de volonté à contrôler les activités d’EMP qu’ils
mandatent423. L’analyse du professeur Singer révèle que les contrats sont
généralement soumis à peu de supervision et les exigences sont spécifiées en
termes flous424, permettant ainsi, présumément, une plus grande flexibilité dans les
activités à être exécutées et minimisant les coûts inévitablement associés au
contrôle.
L’établissement de règles d’engagement claires et suffisamment détaillées est
également problématique compte tenu du milieu imprévisible dans lequel les EMP
sont appelées à opérer et des tâches qui leur sont confiées425. S’il est
généralement prévu que les employés du secteur privé ne puissent recourir à la
force que pour mettre fin au contact avec l’attaquant (légitime défense)426,
l’application de cette règle n’est pas toujours simple en pratique. Par exemple, bien
que les employés de Blackwater étaient apparemment assujettis à ce type de
règles d’engagement, ils se sont retrouvés à participer, pendant plusieurs heures,
à une attaque dirigée par des centaines d’insurgés contre le siège de l’Autorité de
421
Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 151.
422 Voir infra Partie I, Chapitre 2, section 2.2.1 iii) ci-dessus.
423 Lehnardt, supra note 162 à la p. 140.
424 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 153.
425 Pelton, supra note 3 à la p. 149.
426 Directive n
o 3020.41, supra note 116.
123
la coalition que des employés protégeaient,427 De même, des employés de cette
compagnie ont ouvert le feu sur des civils iraquiens pour protéger un convoi de
diplomates428. De deux choses l’une : ou bien les employés de Blackwater n’ont
pas respecté leurs règles d’engagement, ou bien celles-ci sont inadaptées et
difficilement applicables dans le contexte dans lequel ils ont été appelés à opérer.
À ce manque de contrôle, s’ajoute une coordination inadéquate avec les
opérations de l’armée429. Déjà, lors du conflit des Balkans, l’absence d’un point
focal pour assurer la coordination des activités logistiques confiées en sous-
traitance s’était révélée problématique430. En Irak, où plusieurs EMP étaient
employées par le Département de la Défense américain, le défaut de ce dernier
d’assurer la coordination tant entre les EMP entre elles qu’avec ses forces armées
a fait l’objet de critiques virulentes. Le manque de coordination était tel qu’il s’est
traduit non seulement par des tirs des forces de la Coalition sur des entrepreneurs
qu’ils ont pris pour des insurgés, mais également par des échanges de coups de
feu par des entrepreneurs entre eux431. Face aux critiques dénonçant la situation
particulièrement chaotique en Irak, le Département de la Défense américain a
prévu la création d’un Bureau spécial au sein du Département de la défense pour
assurer la supervision de tous les entrepreneurs sous contrat avec le
Département, incluant les employés de sécurité privée déployés sur le terrain432. Il
restera à voir si ce Bureau reproduira la situation actuelle, où la coordination est
assurée par une autorité administrative peu familière avec les opérations sur le
terrain et, bien évidemment, mal placée pour assurer un commandement de type
militaire.
427
Pelton, supra note 3 à la p. 117.
428 Glanz et Rubin, supra note 7; Johnston, supra note 7.
429 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 153.
430 Ibid.
431 Pelton, supra note 3 à la p. 107.
432 Elsea, supra note 135 à la p. 6.
124
Les problèmes de coordination structurelle par l’État sont exacerbés par la
difficulté à assurer, sur le plan humain, la cohésion d’individus appartenant à
différentes organisations qui sont appelés, par la force des choses, à travailler
ensemble. L’Irak est certainement le meilleur exemple de cet environnement où
des acteurs privés et étatiques, appliquant des façons de faire et philosophies
différentes, ont été appelés à travailler en étroite collaboration, mais avec un
succès mitigé. Robert Pelton raconte comment les employés du « State
Department’s Diplomatic Security Services » considèrent les entrepreneurs privés
avec qui ils travaillent comme des « overpaid cowboys surpayés » alors que ces
derniers les considèrent comme des « loosers buraucrats ». Ces différences de
culture auraient donné lieu à des escarmouches qui auraient grandement affecté la
cohésion du groupe, pourtant essentielle lors de l’exécution d’opérations dans un
environnement à hauts risques433.
Si les États sont peu enclins à diriger les activités d’EMP, ils semblent encore plus
réticents à assurer un contrôle a posteriori de leur performance434. Cette tâche
s’avère, en pratique, extrêmement difficile à réaliser compte tenu des coûts
associés à une surveillance sur le terrain (typiquement un environnement instable,
dangereux et extrêmement complexe), de la façon dont le mandat est exécuté, du
manque de spécificité des termes du contrat, de la difficulté à établir des
paramètres d’évaluation et du manque d’expertise dans l’évaluation de ce type de
performance des individus affectés à cette tâche435. Tel que discuté dans la
section 2.2.1 iii) qui précède, les États se sont révélés peu enclins à réprimer les
abus commis par les employés d’EMP en engageant des poursuites au niveau
national436. Cette situation ne résulte pas nécessairement d’un manque de volonté
des États mais peut également s’expliquer par le fait que les règles de leur droit
433
Pelton, supra note 3 à la p. 94.
434 Elsea, supra note 135 à la p. 12.
435 Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 152.
436 Lehnardt, supra note 162 à la p. 141. Notons qu‟il ne s‟agit pas nécessairement d‟un manque de volonté
des États mais que cette problématique peut également d‟écouler d‟une difficulté à exercer leur juridiction en
raison de lacunes dans leur droit interne. Le Document de Montreux semble démontrer une volonté des États
à résoudre cette problématique : Document de Montreux, supra note 28 aux pp. 8-9.
125
interne ne leur donne pas forcément juridiction ou que ce type de poursuite peut
s’avérer difficile en pratique, notamment en raison de la difficulté à rassembler et
présenter les preuves. Les États ont par ailleurs tendance à nier tout lien avec
des EMP lorsque leur conduite aurait eu pour effet d’entraîner une violation de
leurs obligations internationales437.
Notons par ailleurs que le contrôle exercé sur les troupes est étroitement lié à
l’entraînement qui leur est dispensé puisque l’entraînement vise entre autres à
développer une relation qui permette la transmission efficace des ordres et à
assurer une réponse appropriée438. Même s’il sous-traite certaines fonctions à des
entités privées, l’État demeure tenu de respecter son obligation d’entraînement439.
La pratique révèle que l’entraînement des employés du secteur privé n’est pas
assuré par l’État, mais est plutôt laissé à la compagnie elle-même, ce qui n’est
certes pas surprenant puisqu’il s’agit précisément d’un service que les EMP offrent
couramment aux États, en entraînant leurs forces propres armées. Les États étant
de plus en plus sensibilisés aux obligations qui leur incombent, même lorsqu’ils
sous-traitent certaines activités, une tendance à prévoir des obligations
d’entraînement au sein des contrats semble généralement se développer440.
Depuis 2005, le Département de la Défense américain exige que les employés
autorisés à accompagner les forces armées valident ou complètent tout
entraînement requis, notamment sur les Conventions de Genève, le droit des
conflits armés, les standards de conduite et l’emploi de la force en défense441.
Reflétant la pratique typique en ce domaine, l’EMP Triple Canopy offre, à titre
d’exemple, une formation de cinq jours aux individus qui aspirent à figurer sur sa
liste de ressources prêtes à être déployées pour assurer des services de
« protection », lesquels possèdent déjà de l’expérience dans le domaine à titre
437
Lehnardt, ibid.
438 Directive n
o 1100.22, supra note 116 au para. E 2.1.2.2.
439 Doswald-Beck, supra note 129 aux pp. 132-133; Centre universitaire de droit international humanitaire,
supra note 91 à la p. 43; Boldt, supra note 73 à la p. 539.
440 Document de Montreux, supra note 28 à la p. 8.
441 Directive n
o 3020.41, supra note 116 au para. 6.2.7.1.
126
d’ex militaires ou d’employés d’une autre compagnie offrant des services de
sécurité. Ce cours couvre les compétences exigées par le Département d’État en
matière de protection et vise à ce que les hommes puissent travailler en parfaite
cohésion, même si les équipes sont appelées à changer. Sont passés en revue,
l’utilisation d’un GPS, les principes de sécurité, l’inspection des lieux et les
techniques de conduite. Un entraînement sur l’utilisation de différents types
d’armement est également dispensé, commençant par des pistolets M4 et évoluant
vers des armes plus lourdes comme les projecteurs de grenades442. Cet
entraînement prend place dans l’enceinte ultrasophistiquée de Triple Canopy en
Arkansas.
Il n’est pas rare que, pour certains entraînements particuliers, notamment dans le
domaine des mesures antiterroristes, les entrepreneurs privés soient entraînés de
concert avec des membres des forces armées, des agents du FBI ou des services
secrets443. Blackwater offre par exemple une formation particulièrement poussée
en ce domaine à son institution à l’allure d’une base militaire, située en Caroline
du Nord.
En soi, la sous-traitance de l’entraînement au privé ne pose pas de problème dans
la mesure où l’État s’assure de la qualité de l’entraînement dispensé, notamment
en incluant des exigences spécifiques dans le contrat et en s’adressant à des
entreprises dont la réputation est établie en cette matière d’entraînement. Par
contre, l’un des problèmes avec le recours à des EMP, qui fonctionnent
généralement sur la base de listes d’individus ou qui recrutent sur une base
ad hoc, est d’assurer l’esprit de corps et de développer ces « réflexes »
nécessaires à une conduite conforme au DIH en temps de guerre dont parle le
professeur Sassòli. Ce problème est amplifié par le fait que des individus
provenant de différentes entités – gouvernementales et privées – sont
spontanément appelés à travailler ensemble alors que l’entraînement qu’ils ont
442
Pelton, supra note 3 aux pp. 170-183.
443 Pelton, supra note 3 à la p. 183.
127
reçu, qui doit viser à assurer une cohésion parfaite444, est susceptible de varier
grandement. Aussi, les employés d’EMP recevront généralement une formation
spécifique aux tâches qui leur sont assignées, contrairement aux membres des
forces armées qui reçoivent une formation standard leur permettant plus aisément
de réagir à différentes situations survenant en contexte de conflit armé.
À la lumière de ce qui précède, il appert que la sous-traitance d’activités militaires
à des entreprises privées, surtout si cela est fait massivement, entraîne un milieu
déstructuré où le commandement est inévitablement divisé. Le contrôle n’est pas
assuré purement sur une base verticale mais se trouve, à un certain niveau, réparti
sur une base horizontale. L’État, lorsqu’il sous-traite des activités au secteur privé,
semble incapable, en l’état actuel, de garder le contrôle sur toute la chaîne des
événements se déroulant entre le moment où une décision est prise au niveau
supérieur et celui où elle est mise en œuvre concrètement sur le terrain par le
dernier maillon de la chaîne. À l’inverse, compte tenu que les attaques sont
difficiles à anticiper dans l’environnement qui caractérise les conflits modernes, il
est difficile pour l’individu qui doit réagir rapidement de remonter jusqu’à l’État pour
obtenir des instructions alors que ce type de situation implique pourtant la prise de
décisions discrétionnaires quant à l’emploi de la force. Les règles d’engagement
sont peu susceptibles de résoudre le problème puisqu’elles ne semblent pas
prendre en compte que l’individu se trouvera placé dans une telle situation445.
L’entraînement, dispensé sur une base ad hoc à des équipes distinctes dont la
composition est de surcroît appelée à changer, parvient difficilement à remplir une
partie de sa mission, à savoir assurer la cohésion au sein du groupe et la mise en
œuvre d’une relation qui assurera la bonne exécution des ordres. Il semble dès
lors difficile pour l’État de respecter pleinement ses obligations de contrôle et
d’entraînement lorsqu’il délègue des tâches militaires au privé, alors que le respect
de ces obligations s’avère pourtant essentiel à l’application effective du DIH sur le
terrain.
444
Ibid. aux pp. 172-173.
445 Pelton, supra note 3 à la p. 149.
128
ii) La mise en œuvre de la responsabilité de l’État pour les violations du DIH commises par des entreprises militaires privées
Il est généralement admis que l’État ne peut se soustraire aux obligations que lui
impose le DIH en sous-traitant des activités au secteur privé et qu’il doit demeurer
responsable des violations du DIH commises par les EMP qu’il mandate. Si ce
principe semble clair, le problème est de mettre concrètement en œuvre cette
responsabilité de l’État dans des circonstances où les violations auraient été
commises par des individus qui ne font pas partie de ses forces armées.
Dans l’hypothèse où les EMP ou leurs employés seraient intégrés aux forces
armées, ils seraient considérés comme des organes de l’État et leurs actes
engageraient automatiquement la responsabilité de l’État au sens de l’article 91 du
Protocole I et de l’article 4 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État. De
même, si les employés d’EMP pouvaient être considérés comme des combattants
de facto, la responsabilité de l’État serait aussi automatiquement engagée en vertu
de l’article 91 du Protocole I, et possiblement, suivant les circonstances, par le
truchement des articles 4 ou 5 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État. En
effet, dans la mesure où une EMP, placée sous le commandement responsable de
l’État, agirait sous la « totale dépendance » de celui-ci, elle pourrait être assimilée
à un organe de l’État446 au sens de l’article 4 du Projet d’articles sur la
responsabilité de l’État. Autrement, les actes de ses employés pourraient
vraisemblablement tomber sous le coup de l’article 5 de ce Projet d’articles
puisque le fait de combattre au nom d’une Partie au conflit – condition nécessaire
à l’obtention du statut de combattant – implique nécessairement l’exercice de
prérogatives de puissance publique au sens de cet article447 et que l’obtention du
statut de combattant suppose, tel qu’énoncé précédemment, un geste positif de
l’État qui autoriserait à agir en son nom.
Par contre, si tel n’est pas le cas, la mise en œuvre de la responsabilité de l’État
n’est pas automatique. Dans la mesure où ils ne sont pas des combattants, les
446
Affaire relative à la Convention sur le génocide, supra note 128 au para. 392.
129
employés du secteur privé n’engageront la responsabilité de l’État que s’ils
i) exercent des prérogatives de puissances publiques et ont été autorisés par la loi
à ce faire (article 5 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État) ou ii) agissent
en fait sur les instructions de l’État ou sur ses directives ou sous son contrôle
(article 8 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État).
Si le fait de confier des tâches impliquant une participation directe aux hostilités
constitue, a priori, une délégation de prérogatives de puissances publiques448,
l’article 5 exige, pour engager la responsabilité de l’État, que l’entité privée ait reçu
l’autorisation d’exercer des prérogatives de puissance publique449. Bien qu’il ne
soit probablement pas nécessaire qu’une autorisation législative spécifique soit
donnée, il semble requis qu’une autorisation, quelle que soit sa nature, couvre
explicitement les activités exercées par l’entreprise en cause450. Il pourrait s’agir
par exemple d’une loi générale autorisant la délégation d’activités spécifiquement
énumérées au secteur privé et la conclusion d’un contrat par lequel l’autorité
responsable délègue à une entité donnée certaines activités spécifiques451.
Or, les États tendent à afficher une réticence, du moins officiellement, à confier des
tâches impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale au secteur privé. Par
exemple, le Département de la Défense américain prévoit dans ses directives que
des tâches impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale ne doivent pas être
confiées au secteur privé et doivent demeurer du ressort exclusif des forces
armées452. Malgré cela, la pratique révèle plusieurs exemples où des EMP ont
exercé, dans les faits, des activités constituant ou susceptibles de constituer une
participation aux hostilités. Le problème découle en partie du fait que la notion de
« prérogatives de puissances publiques » souffre de la même incertitude que celle
447
Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 13.
448 Chesterman, supra note 129 à la p. 31; Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note
91 à la p. 31.
449 Chesterman, ibid. à la p. 32.
450 Ibid.
451 Centre universitaire de droit international humanitaire, supra note 91 à la p. 18.
452 Directive n
o 1100.22, supra note 116.
130
de participation directe aux hostilités et que, à nouveau, les États semblent tirer
profit de cette incertitude. Il semble également que les circonstances sur le terrain
appellent parfois les EMP à accomplir des actes qui n’étaient pas nécessairement
envisagés au départ. Si une EMP, en raison des circonstances sur le terrain, en
vient à participer aux hostilités alors que cela ne faisait pas partie de ce que la loi
envisageait, la responsabilité de l’État ne serait vraisemblablement pas engagée
au sens de l’article 5 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État.
Enfin, les violations du DIH commises par des employés d’EMP pourraient
également engager la responsabilité de l’État si celui-ci « a spécifiquement donné
des instructions quant à la conduite de l’acteur privé » ou s’il exerçait « un véritable
contrôle effectif sur la conduite de l’acteur privé » lors des opérations spécifiques
où les violations ont été commises453. Le contrôle global ne suffit pas, suivant la
Cour internationale de Justice, pour engager la responsabilité de l’État pour les
actes d’un acteur privé454. Considérant que le manque de contrôle effectif que
l’État exerce sur les activités menées sur le terrain par les EMP est l’une des
raisons premières pour lesquelles les employés d’EMP peuvent actuellement
difficilement être considérés comme des combattants, il n’est pas certain, suivant
les circonstances en cause, que l’article 8 permettra d’attribuer une violation
commise par un employé du secteur privé à l’État mandataire.
Ainsi, il ressort de ce qui précède que la responsabilité des États sera plus diffuse
et difficile à mettre en œuvre lorsqu’ils opèrent par l’intermédiaire d’acteurs qui ne
font pas partie de leurs forces armées. Même si la délégation de prérogatives de
puissance publique ne doit pas permettre, en principe, à l’État d’échapper à sa
responsabilité, la mise en œuvre de cette responsabilité, en pratique, peut s’avérer
difficile, surtout si l’État adopte une position officielle à l’effet qu’il ne délègue pas
d’activités impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale. Alors que les
Conventions envisageaient un régime de responsabilité d’application quasi
automatique pour la violation des règles du DIH par ceux qui sont autorisés à
453
Affaire relative à la Convention sur le génocide, supra note 128 au para. 400.
454 Ibid. au para. 406.
131
prendre part aux hostilités – les forces armées –, le recours à des acteurs privés
assujettit la mise en œuvre de cette responsabilité à certaines conditions dont la
satisfaction variera en fonction des circonstances. La victime se trouve dès lors
dans une position nettement plus difficile, où la seule preuve d’une violation du DIH
n’est pas suffisante pour mettre en œuvre la responsabilité de l’État; elle doit, en
plus, démontrer que i) l’auteur de la violation exerçait des prérogatives de
puissances publiques et que l’État avait autorisé la délégation de ces fonctions à
l’entreprise pour qui il oeuvrait; ii) les instructions dans le cadre de l’opération en
cause ont été données par un représentant de l’État (ce qui revient, dans les faits,
non seulement à prouver la responsabilité de l’auteur directe de l’infraction mais
également celle de son supérieur) ou iii) l’opération en cause s’est déroulée sous
le contrôle effectif d’agents de l’État. Donc, il s’agit pour la victime de remonter la
chaîne des événements pour démontrer une implication de l’État, soit par la
délégation de prérogatives de puissance publique, soit par une implication plus
directe sur les opérations.
3. L’obligation de prévenir les violations du DIH et l’application de bonne foi des Conventions
Les problèmes que cause l’implication massive d’acteurs privés dans les conflits
armés, eu égard au respect du principe de distinction, au manque de contrôle par
l’État sur les opérations (incluant la coordination et la cohésion au sein des
différents groupes intervenant conjointement sur le terrain) et, dans une certaine
mesure, à la difficulté de mettre en œuvre la responsabilité de l’État, sont
susceptibles d’entraîner un effet néfaste sur l’application du DIH, déjà difficile à
faire respecter. Or, suivant l’article 1 commun aux Conventions, les Hautes Parties
contractantes se sont engagées à respecter et faire respecter les Conventions et
leurs Protocoles en toutes circonstances. Compte tenu des intérêts qu’elles visent
à protéger, les Conventions ne prévoient pas uniquement l’obligation pour l’État de
donner des ordres et instructions conformes au DIH, en laissant aux autorités
civiles ou militaires le soin de régler les détails de leur exécution; il a également été
132
prévu que l’État devait surveiller leur exécution455. Suivant la Cour internationale
de Justice, cette obligation est accrue lorsque l’État agit à titre de puissance
occupante. Dans ce cas, il « a le devoir de veiller au respect des règles applicables
du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international
humanitaire, de protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de
violence et de ne pas tolérer de tels actes de la part d’une quelconque tierce
partie »456. Il doit donc exercer la vigilance requise pour prévenir des violations du
DIH par des acteurs privés même s’il n’en est pas le mandataire457.
L’État, qui a un contrôle limité sur la façon dont les EMP exécutent le mandat qu’il
leur confie, peut difficilement s’assurer que les employés du secteur privé
respectent le DIH sur le terrain. Il n’est par ailleurs pas satisfaisant en DIH de dire
que l’État sera de toute façon tenu responsable; certaines obligations à caractère
préventif lui incombent (telles les obligations de donner des instructions conformes
au DIH et d’entraîner ses forces armées). Ces obligations sont tellement sensibles
et importantes pour la protection d’individus dont la situation est des plus précaires
(notamment parce qu’elles sont des personnes civiles prises au milieu des
hostilités ou des personnes aux mains de l’ennemi), qu’elles sont considérées
comme étant erga omnes, c’est à dire que « chacun [des membres de la
communauté internationale], vu l'importance des droits en cause, peut être
considéré comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient
protégés »458. Le DIH est un système cohérent voué à s’appliquer en situation de
conflit armé et donc, par essence, dans un contexte particulièrement difficile où les
forces en présence doivent, malgré le différend qui les oppose et qui impliqe une
certaine agressivité envers l’ennemi, s’efforcer d’assurer le respect de certaines
catégories de personnes protégées. Chacun doit jouer son rôle pour assurer la
lutte la plus loyale possible. Les règles se veulent donc d’application aussi simple
455
De Preux, supra note 66 à la p. 24; Sandoz, supra note 50 au para. 41.
456 Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda),
[2005] C.I.J. Rec. 178 au para. 178 [Affaire des activités armées sur le territoire du Congo].
457 Ibid. au para. 179.
458 Sandoz, supra note 50 au para. 45.
133
et universelle que possible. C’est à cette seule condition qu’elles seront
concrètement appliquées sur le champ de bataille. Si l’un des adversaires sème la
confusion, c’est tout le système qui s’en trouve affecté.
La pratique actuelle, où l’implication massive d’acteurs privés dans les conflits
armés internationaux rend difficile l’application du principe de distinction, diminue
le contrôle de l’État sur la conduite des opérations militaires sur le terrain et
complique la mise en oeuvre de sa responsabilité pour les violations du DIH,
apparaît donc difficilement compatible avec une application de bonne foi des
Conventions, tel que l’exige l’article 1 commun à ces Conventions et le principe
pacta sunt servanda codifié à l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit
des traités.
Conclusion de la partie 2 : Les mesures à prendre lors de l’embauche des entreprises militaires privées pour assurer une application de bonne foi des Conventions
Compte tenu des conséquences qu’elle entraîne sur l’application et le respect du
DIH, la sous-traitance d’activités de nature militaire au secteur privé est, à notre
avis, assujettie à certaines limites qui se dégagent implicitement des Conventions
afin d’en assurer une application de bonne foi. Les États doivent prendre, dès le
temps de paix, des mesures pour s’assurer que leur conduite est entièrement
compatible avec les obligations que leur imposent les Conventions. En ce sens, les
Commentaires à l’article 1 de la Convention III édictent : « De plus, s'il veut tenir
son engagement solennel, il doit nécessairement préparer d'avance, c'est-à-dire
dès le temps de paix, les moyens juridiques, matériels ou autres permettant, le
moment venu, d'assurer une application loyale »459.
1. L’intégration aux forces armées lorsque les activités confiées peuvent conduire à la participation directe aux hostilités
Les États devraient s’abstenir de confier au secteur privé des tâches susceptibles
d’être considérées comme constituant une participation aux hostilités ou
susceptibles d’y conduire, à moins d’incorporer les individus ou la compagnie en
cause à leurs forces armées. Il s’agit, bien évidemment, du principe de base. Il
n’exclut pas la possibilité de confier certaines tâches sensibles et susceptibles de
mener à une participation aux hostilités au secteur privé; il pose simplement
l’exigence d’une incorporation formelle aux forces armées pour la sous-traitance
de certaines activités, à l’instar de la solution retenue par le Royaume-Uni, par
exemple.
Tel que mentionné brièvement précédemment460, les Britanniques ont élaboré une
solution novatrice en amendant le Reserve Forces Act 1996461 pour y inclure une
459
Ibid.
460 Voir Partie I, Chapite II, 1.
135
« Sponsored Reserve ». Cette nouvelle catégorie de réserve militaire permet à
l’armée britannique de sous-traiter certaines tâches militaires à des compagnies
privées, pourvu que celles-ci emploient un nombre suffisant d’individus disposés à
servir dans la « Sponsored Reserve »462. Ainsi, ces employés d’EMP membres de
la « Sponsored Reserve » travaillent comme civils pour l’EMP et, lorsque
nécessaire, servent pour les forces armées à titre de réservistes. La loi prévoit le
remboursement des coûts additionnels encourus par les EMP et leurs employés
lorsque ces derniers sont mobilisés. Ainsi, les individus qui exercent des tâches
liées de près aux opérations militaires peuvent être clairement identifiés comme
des membres des forces armées. Il semblerait que le Canada, les États-Unis et
l’Australie étudient, depuis 2001, la possibilité de suivre cet exemple463, mais rien
n’indiquait, au moment de rédiger les présentes, que cette solution ait été retenue
et qu’elle serait éventuellement mise de l’avant.
Il est évidemment loin d’être acquis que les États emboîtent le pas et retiennent la
solution mise en œuvre par le Royaume-Uni. Si elle permettrait à notre avis
d’assurer un meilleur respect du DIH, une telle solution s’oppose a priori à la
réalisation du principal objectif poursuivi par les États qui sous-traitent des tâches
militaires à des EMP, surtout les États occidentaux, à savoir de réduire la taille de
leurs forces armées en privatisant une partie de leurs opérations. Notons
cependant que l’ampleur que prend la sous-traitance de fonctions militaires semble
inciter certains États à se questionner sur l’opportunité d’envisager des solutions
alternatives à la simple privatisation telle qu’elle se présente aujourd’hui464. Ces
États sont de plus en plus préoccupés par leur capacité à maintenir certains
services essentiels en temps de conflits armés, alors que les employés du secteur
privé ne sont soumis à aucune obligation militaire et pourraient refuser de
461
Reserve Forces Act 1996 (R.-U.), 1996, c. 14.
462 The British Army, The Reserve Forces Act 1996 – Mobilisation and call out issues, en ligne :
<http://www.armedforces.co.uk/army/listings/l0135.html>.
463 Bo Joyner, « The Future Total Force » Citizen Airman (avril 2001) 12 cité dans Guillory, supra note 79
aux pp. 141-142.
464 En plus du Royaume-Uni, ce serait notamment le cas du Canada et des États-Unis (Guillory, supra note 79
aux pp. 141-142).
136
poursuivre leur travail dans un environnement hostile. Ils commencent également à
entrevoir les problèmes juridiques et les risques associés à la sous-traitance de
tâches se rapprochant de plus en plus de la participation aux hostilités à des
individus qui, à leurs yeux, n’ont pas le statut de combattant et ne sont pas soumis
à la chaîne de commandement. Notons par ailleurs que l’idée d’intégrer des
individus au sein des forces armées, que ce soit sous la forme retenue par le
Royaume-Uni ou une autre, est susceptible de susciter davantage d’intérêt parmi
les États qui disposent de capacités militaires plus limitées et qui cherchent ainsi à
combler un manque de ressources et d’expertise faisant défaut au sein de leurs
propres forces armées465.
L’objectif de la présente étude n’est évidemment pas d’évaluer l’opportunité pour
les États d’intégrer des employés du secteur privé dans leurs forces armées non
plus que de proposer des façons dont ils pourraient s’y prendre puisque ceci relève
essentiellement du droit national. Il nous apparaît néanmoins intéressant de
souligner qu’il est envisageable qu’un certain nombre d’employés du secteur privé
qui exercent des fonctions liées de près à la participation aux hostilités puissent
souscrire à des obligations militaires envers une Partie au conflit, notamment en
servant comme réservistes, ou être déjà assujettis à de telles obligations, s’ils sont
retraités de l’armée par exemple466. Ainsi, sans nécessairement recourir à une
intégration formelle aux forces armées telle que traditionnellement envisagée,
certaines avenues semblent ouvertes pour assurer que les États conservent la
flexibilité qui leur est nécessaire pour parer au caractère imprévisible des conflits
modernes dans un contexte de démobilisation des forces armées régulières, tout
en assurant le respect effectif du principe de distinction. Ce type de solution
présente une avenue intéressante qui pourrait permettre de remédier aux
problèmes qu’occasionne l’implication d’acteurs privés dans les conflits armés.
Évidemment, une telle mesure pourrait nécessiter des modifications au droit
interne de l’État qui souhaite s’en prévaloir, comme ce fut notamment le cas au
465
Boldt, supra note 73 à la p. 516.
466 Guillory, supra note 79 à la p. 141; Vernon, supra note 79 à la p. 421; Boldt, supra note 73 aux pp. 515-
516.
137
Royaume-Uni. Elle comporte également ses limites. Une telle mesure ne saurait
être envisagée que pour un nombre limité d’individus, qui devraient
vraisemblablement être ressortissants de l’État envers qui ils souscriraient des
obligations militaires puisque plusieurs États attachent une importance particulière
au critère de la citoyenneté comme condition d’appartenance aux forces armées.
Des difficultés pratiques peuvent également découler du fait que certaines EMP
tendent à prendre de l’expansion ou à se fusionner entre elles pour constituer de
gigantesques multinationales et à ainsi dispenser leurs services à plusieurs États.
Aussi, la plupart des EMP font actuellement appel à des listes d’individus qu’elles
contactent au besoin, sans nécessairement les employer sur une base
permanente467. L’idée d’offrir aux États des individus qui pourraient, à demande,
devenir membres des forces armées, pourrait ainsi nécessiter certains
réaménagements dans la façon dont les EMP opèrent actuellement.
Tenant compte des incertitudes qui continuent d’entourer la notion de participation
directe aux hostilités, il nous apparaît qu’une application de bonne foi des
Conventions requiert que les activités suivantes ne soient confiées au secteur
privé que si l’entreprise ou ses employés sont intégrés aux forces armées :
- les opérations destinées à détruire ou affaiblir le personnel ou les objectifs militaires des forces ennemies, incluant les attaques perpétrées par des moyens électroniques ou informatiques contre les systèmes de communication ou de collecte de données militaires des forces ennemies;
- le transport, l’entretien et l’opération de systèmes d’armement pour les fins d’opérations militaires particulières, incluant l’opération de systèmes téléguidés opérés à distance;
- les services de renseignements visant à localiser les forces adverses aux fins d’une attaque éventuelle, de même que l’analyse et la transmission d’informations tactiques menant à des attaques contre les forces ennemies;
- le recrutement de personnel, l’entraînement et les services de conseils réalisés pour exécuter des opérations militaires particulières;
467
Singer, « Corporate Warriors », supra note 12 à la p. 75.
138
- les opérations visant à rechercher et libérer du personnel militaire, incluant les prisonniers de guerre;
- les interrogatoires lorsqu’ils visent à obtenir des renseignements de nature militaire;
- le gardiennage de prisonniers de guerre;
- les opérations de déminage alors que le conflit est toujours en cours; et
- la défense d’objectifs militaires.
Les activités suivantes pourraient aussi requérir l’intégration aux forces armées si
elles sont exercées dans une zone non contrôlée ou un environnement qui
présente une menace élevée, afin d’éviter une éventuelle participation aux
hostilités et/ou d’assurer le respect du principe de distinction :
- les services de sécurité dans un contexte susceptible de mener à une confrontation avec les forces ennemies – qu’il s’agisse des forces armées d’un autre État ou d’acteurs non étatiques – notamment lorsque ces forces opèrent de façon imprévisible, par des moyens sophistiqués ou qu’elles constituent une menace importante; et
- les opérations de sécurité exécutées en support direct à des activités de combat, tel le contrôle de la circulation sur le champ de bataille ou le maintien de la sécurité dans la région où se déroulent les combats.
Dans ce cas, il importe de tenir compte de l’évolution du conflit et de la menace en
cours afin de réévaluer, au besoin, la situation.
Plusieurs auteurs ont déjà recommandé que les États devraient envisager de ne
pas sous-traiter des tâches liées au combat468 ou constituant une participation
directe aux hostilités469 à des acteurs privés qui ne sont pas formellement intégrés
468
Voir notamment Cameron, supra note 5 à la p. 596.
469 Gillard, supra note 14 à la p. 571; Cottier, supra note 417 (Cottier envisage la possibilité de bannir
l‟emploi d‟EMP pour les contrats impliquant une partipation directe aux hostilités ou aux combats, à la p.
656); Voyame, supra note 288 aux pp. 375-376. Certains experts du Centre universitaire de droit
139
à leurs forces armées. Ils en font une recommandation alors qu’il s’agit plutôt, pour
nous, d’une prohibition470. Le Document de Montreux témoigne du fait que ce
principe que nous envisageons pour assurer l’application de bonne foi des
Conventions ne semble pas acquis, en prévoyant ce qui suit :
2. Les États contractants sont tenus de ne pas mandater des EMSP pour exercer des activités que le droit international humanitaire assigne explicitement à un agent ou à une autorité étatiques, comme exercer, conformément aux Conventions de Genève, le pouvoir de l’officier responsable sur le camp de prisonniers de guerre ou sur les lieux d’internement de civils.471
Compte tenu de l’absence de disposition expresse à l’effet que les tâches
impliquant une participation aux hostilités seraient réservées aux agents de l’État,
la portée de cet article est très limitée. Le Document de Montreux se contente de
mentionner qu’il serait de « bonne pratique » pour les États de déterminer les
services qui ne peuvent être confiés au privé, en prenant en compte « des facteurs
tels que le risque qu’un service particulier puisse impliquer la participation directe
des membres du personnel des EMSP aux hostilités », sans en faire une obligation
ni indiquer clairement que ce type de service ne pourrait être confié à des individus
qui ne font pas partie des forces armées472.
La Directive 1100.22 du Département de la Défense américain473, dont l’application
est toutefois limitée aux seules compagnies qui contractent avec cet organe, va
davantage dans le sens de notre recommandation, quoi qu’elle ne couvre pas
toutes les activités mentionnées ci-haut et, dans plusieurs cas, prévoit des critères
vagues ou laissant une large marge d’appréciation à l’officier chargé de déterminer
si, dans des circonstances données, une tâche précise peut être confiée au privé.
international humanitaire discutent aussi cette possibilité: Centre universitaire de droit international
humanitaire, supra note 91 à la p. 62.
470 Voir Dave Whyte qui avance cette thèse sans toutefois la développer : Dave Whyte, « Lethal Regulation :
State-Corporate Crime and the United Kingdom Government‟s New Mercenaries » (2003) 30 J.L. Soc‟y 575.
471 Document de Montreux, supra note 28 art. A(2).
472 Ibid. à la p. 15.
473 Directive n
o 1100.22, supra note 116.
140
Sans entrer dans tous les détails de cette directive relativement élaborée, notons
que le principe qui la sous-tend est que les tâches impliquant l’exercice de
prérogatives de puissance publique – soit de par leur nature ou en raison des
circonstances dans lesquelles elles sont exercées – ne peuvent être déléguées au
secteur privé. S’agissant d’un pas dans la bonne direction, elle laisse toutefois de
côté plusieurs activités exercées par les EMP, qui sont, à notre avis, susceptibles
de constituer une participation aux hostilités si elles sont associées à une
opération militaire particulière, comme le transport, l’entretien et l’opération de
systèmes d’armement, les services de renseignements, le recrutement de
personnel, l’entraînement et les services-conseil.
Cette directive prévoit également des restrictions importantes en ce qui concerne
la sous-traitance de services de sécurité réalisés dans une zone non contrôlée ou
dans un environnement à haut risque en prohibant la sous-traitance, dans ce
contexte, d’activités dont le succès dépend de la façon dont les opérations sont
menées et où les États-Unis sont susceptibles de se trouver liés par une conduite
donnée alors qu’il existait des actions alternatives. Ces activités incluent, par
exemple, i) la démonstration de force militaire; ii) les services de sécurité à
l’encontre de groupes militaires ou paramilitaires qui disposent de capacités
militaires si sophistiquées que seules les forces armées peuvent fournir une
défense appropriée; iii) les services de sécurité qui impliquent davantage qu’une
simple réponse aux actes hostiles et qui requièrent par conséquent l’exercice d’un
large pouvoir discrétionnaire, tels les services de sécurité dispensés dans les
zones publiques où les risques sont incertains et qui peuvent requérir l’usage de la
force mortelle susceptible d’être initiée par les forces américaines plutôt qu’en
légitime défense.
Évidemment, les règles prévues à cette directive ont pour objectif de protéger les
intérêts américains alors que des activités exercées par des acteurs privés
pourraient engager la responsabilité des États-Unis ou affecter leur politique
étrangère. Quel que puisse être l’objectif poursuivi, ces règles sont, dans une
certaine mesure, susceptibles d’avoir un effet positif sur le respect du DIH en
limitant les possibilités que des civils offrant des services de « sécurité » dans des
141
zones à risques se trouvent impliqués dans les hostilités ou donnent à penser
qu’ils y participent. La faiblesse de ces dispositions tient cependant au large
pouvoir discrétionnaire qui est accordé au commandant chargé de décider si une
activité peut être sous-traitée au privé, laquelle est motivée par des considérations
d’intérêts nationaux plutôt que pour assurer la protection des personnes civiles. La
situation en Irak où des employés du secteur privé, notamment de Blackwater, ont
été impliqués dans des incidents de violence même après l’adoption de la Directive
à la fin 2006, témoignent de l’adoption d’une interprétation restrictive des
dispositions limitant la sous-traitance d’activités au secteur privé, voire de son non
respect.
2. L’identification des employés d’entreprises militaires privées
S’ils ne sont pas incorporés aux forces armées, les États devraient s’assurer que
les employés du secteur privé ne puissent être confondus avec les membres des
forces armées. De façon générale, il s’agit simplement de voir à ce que les
employés du secteur privé ne portent pas une tenue qui donnerait à penser qu’ils
sont des combattants, tel l’uniforme de combat. Il s’agit d’une mesure de
précaution élémentaire que devraient prendre les États afin d’assurer le respect du
principe de distinction. Dans la mesure où ils ne participent pas aux hostilités, il n’y
a d’ailleurs pas de raison que des employés du secteur privé revêtent des habits
de combat, ou d’une quelconque façon, des habits semblables à ceux que portent
les forces armées. Cette même précaution doit être prise à l’égard des moyens de
transport qu’emploient les entrepreneurs privés, lesquels devraient pouvoir être
aisément distingués de ceux de l’armée.
Les États qui emploient des entrepreneurs privés appelés à opérer à proximité des
forces armées ou d’objectifs militaires – donc dans des circonstances où l’ennemi
pourrait croire qu’ils sont combattants – devraient prendre une précaution
additionnelle et exiger que ces individus affichent clairement leur statut de civil.
Cette identification devrait être visible de loin.
142
Le Document de Montreux prévoit en ce sens qu’il serait de bonne pratique pour
les employés du secteur privé de s’identifier et de se distinguer des autorités
publiques de l’État où opère l’EMP mais uniquement « si cela est conforme aux
exigences de protection des troupes et à la sécurité de la mission »474. À notre
avis, cette recommandation, qui vise à protéger les employés du secteur privé, ne
reflète pas pleinement la nécessité pour les États d’assurer le respect du principe
de distinction en permettant à l’ennemi de savoir clairement à qui il fait face.
Minimalement, il nous semble que l’obligation de se distinguer des forces armées
devrait s’appliquer en tout temps.
3. Les restrictions quant au port d’armement
Les États devraient user de circonspection lorsqu’ils autorisent des non-
combattants à porter des armes dans un contexte de conflit armé. Le port d’une
arme étant l’un des éléments pouvant indiquer la participation aux hostilités, celui-
ci devrait être limité au minimum. La possession d’une arme devrait être
expressément autorisée par l’État, qui devrait s’assurer que celle-ci est nécessaire
à l’exécution de la mission confiée et dûment enregistrée. Seules les armes
légères destinées à assurer la légitime défense ou, à la rigueur, la protection
d’autrui, devraient être autorisées. La nécessité d’utiliser des armes ou armement
plus sophistiqués indique, à notre avis, qu’il s’agit vraisemblablement de l’une de
ces tâches qui ne peut être confiée à des non-combattants puisque les risques
d’engagement avec l’ennemi sont trop élevés. Ce principe vise non seulement à
éviter que les employés d’EMP se voient confier des missions susceptibles
d’entraîner une participation aux hostilités, mais également à assurer le respect du
principe de distinction en adoptant une position ferme à l’effet que les
entrepreneurs privés, à moins d’être intégrés aux forces armées, ne constituent
pas une menace pour l’ennemi. Il est regrettable à cet égard que le
Document de Montreux ne prévoit pas expressément de limitation quant aux
armes que les employés d’EMP pourraient être autorisés à porter, se contentant
474
Document de Montreux, supra note 28 aux pp. 18-19.
143
de mentionner que les États devraient exercer un certain contrôle à cet égard en
tenant un registre475.
4. La définition des règles d’engagement
Afin d’éviter une éventuelle participation aux hostilités par les employés d’EMP, les
États devraient prévoir des règles d’engagement claires à l’effet que les employés
d’EMP ne peuvent utiliser la force que pour assurer leur propre défense ou celle
des tiers qu’ils ont pour mission de protéger. La défense de la population en
général lors d’attaques perpétrées par l’ennemi représente, à notre avis, ce point
où les employés d’EMP risquent de se transformer en soldats et être considérés
comme participant aux hostilités. Dès lors, les règles d’engagement devraient, à
notre avis, prévoir que dans une telle situation, l’employé devrait chercher à se
mettre à l’abri, avec les individus qu’il a mission de protéger, plutôt que de
chercher à mater l’ennemi en engageant un combat avec lui. Ce principe tient pour
acquis, encore une fois, que les employés du secteur privé ne devraient pas être
placés dans une situation où ils sont susceptibles de se trouver en confrontation
avec l’ennemi.
Le Document de Montreux va, en partie, en ce sens en prévoyant qu’il serait de
bonne pratique que les employés du secteur privé ne « [fassent] usage de la force
et des armes à feu uniquement si cela est nécessaire pour se défendre ou pour
défendre des tiers »476. Pour les motifs exposés ci-haut, il nous semble toutefois
que le critère de la « défense de tiers » soit trop large.
5. L’information des employés d’entreprises militaires privées quant à leurs droits et obligations
Les États devraient informer clairement les employés d’EMP de leur statut, ainsi
que des droits et obligations qui en découlent, lorsqu’ils sont appelés à intervenir
dans un conflit armé international. L’obligation des États de faire respecter le DIH
475
Ibid. à la p. 25.
476 Ibid. à la p. 19.
144
par les entreprises qu’ils mandatent pour agir dans le cadre d’un conflit armé et de
diffusion du DIH exige qu’ils s’assurent que les employés d’EMP connaissent les
limites de leur champ d’intervention afin de ne pas les outrepasser. Ceci requiert,
en amont, que les États adoptent une position claire quant à la notion de
participation directe aux hostilités.
CONCLUSION
Dans un souci de réduire leurs dépenses militaires et de s’assurer une plus grande
flexibilité pour faire face aux conflits modernes, les États voient un avantage
grandissant à sous-traiter une partie importante de leurs opérations militaires,
modifiant ainsi leur façon de faire la guerre eu égard à ce que prévoyait le texte
des Conventions. Alors que les tâches confiées au privé étaient initialement
limitées aux services de support opérationnel et logistique — une situation
explicitement envisagée par les Conventions — elles se sont progressivement
rapprochées, depuis le début des années 1990, du cœur des activités militaires.
Malgré cela, les États n’intègrent généralement pas les employés du secteur privé
à leurs forces armées régulières. Ils ne posent pas non plus les gestes
nécessaires à ce que les employés d’EMP se voient conférer, de facto, le statut de
combattant privilégié. Au contraire, leur attitude est plutôt de considérer les
employés d’EMP comme des civils. Ce faisant, les États déclarent dans leurs
discours officiels et, même dans leur législation, qu’ils ne sauraient confier des
tâches impliquant l’exercice de l’autorité gouvernementale ou une participation
directe aux hostilités à des EMP. Dès lors, un nombre important d’individus n’ayant
pas le statut de combattant privilégié, oeuvrant pour différentes entreprises privées
et affectés à des tâches variées, se retrouvent déployés sur le territoire d’États où
se déroulent un conflit armé. L’Irak en est certainement le meilleur exemple.
Certains employés d’EMP opèrent à proximité des forces armées, revêtent des
habits semblables à des militaires et sont armés, parfois lourdement, pouvant ainsi
donner à penser qu’ils sont des combattants, alors que ce n’est généralement pas
le cas au niveau juridique. Aussi, la place grandissante que confèrent les États aux
EMP dans les conflits armés amène les employés de certaines d’entre elles à
accomplir des tâches susceptibles d’être considérées comme constituant une
participation directe aux hostilités, entraînant, le cas échéant, la perte de protection
associée au statut de personne civile. Des événements largement médiatisés où
des employés du secteur privé ont pris part à des combats contre des insurgés ont
146
contribué à accentuer cette perception, particulièrement aux yeux des insurgés qui
n’ont dès lors pas hésité à prendre directement pour cibles des employés du
secteur privé.
Puisque certains employés d’EMP présentent à la fois des caractéristiques
associées aux statuts de combattants et de personnes civiles, les critères servant
normalement à établir le régime juridique auquel sont respectivement assujettis les
combattants et les personnes civiles dans les conflits armés – expressément
définis dans les Conventions –, s’appliquent difficilement aux employés d’EMP.
La confusion quant au régime juridique applicable aux employés d’EMP et la
difficulté à appliquer les critères de distinction prévus par les Conventions
qu’entraîne la pratique actuelle des États provoque une tendance à réinterpréter le
texte des Conventions pour éviter que les employés d’EMP ne bénéficient du
meilleur des deux mondes en étant protégés contre les attaques en dehors des
intervalles où ils participent aux hostilités. L’accent est désormais davantage mis
sur les fonctions exercées plutôt que sur les critères de distinction envisagés par
les Conventions, de façon similaire au régime qui prévaut dans les conflits armés
non internationaux. Ainsi, l’on propose d’exclure les individus qui exercent des
fonctions combattantes de la catégorie des personnes civiles protégées en les
considérant comme des combattants non privilégiés ou comme des personnes
civiles non protégées, des situations non envisagées par le texte des Conventions
dans les conflits armés internationaux. À cet égard, il convient de rappeler que la
perte de protection contre les attaques ne doit pas être envisagée comme une
sanction en réponse à un comportement criminel; elle est plutôt une conséquence
des nécessités militaires dans la conduite des hostilités477.
La confusion qui entoure actuellement le régime juridique applicable aux employés
d’EMP entraîne un effet néfaste sur le respect du DIH dans son ensemble puisqu’il
477
Nils Melzer, « Guide interprétatif », supra note 57 à la p. 62.
147
devient dès lors difficile pour les États de satisfaire à leur obligation d’assurer le
respect et la protection de la population civile en général et celle des employés du
secteur privé en particulier. L’implication d’acteurs privés rend également difficile le
respect par les États des obligations d’entraînement et de supervision du
comportement des troupes sur le terrain. Ultimement, la responsabilité de l’État
pour les violations du DIH commises par les troupes, qui se voulait d’application
automatique suivant le texte des Conventions, devient diffuse.
La sous-traitance par les États d’activités militaires n’est pas prohibée en soi par le
DIH. D’ailleurs, il convient de souligner que ce n’est pas la participation d’acteurs
privés dans les conflits armés qui pose problème, mais la pratique actuelle des
États, qui font défaut de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect
du principe de distinction et qui mettent ainsi à risque la protection des personnes
civiles. À l’heure où la population civile est particulièrement vulnérable dans les
conflits armés et où le CICR doit sans cesse rappeler aux belligérants leur
obligation de respecter le principe de distinction, une telle pratique par les États est
pour le moins questionnable eu égard à leur obligation d’appliquer de bonne foi les
Conventions. Cette pratique nous semble porter atteinte aux exigences d’humanité
sans pour autant répondre à une nécessité militaire puisqu’elle découle plutôt de
considérations économiques et politiques, du moins en ce qui concerne les États
occidentaux qui disposent de puissances militaires développées.
Notre analyse nous amène à conclure que la dichotomie entre la position officielle
des États et leur pratique est en grande partie responsable de la confusion
qu’entraîne l’implication d’acteurs privés dans les conflits armés. Une application
de bonne foi des Conventions exigerait à notre avis que les États fassent un choix
et agissent en conséquence : soit ils continuent de sous-traiter au privé certaines
tâches proches du cœur des activités militaires et prennent les mesures
nécessaires au respect du principe de distinction, soit ils évitent de confier au privé
certaines activités militaires susceptibles d’être considérées comme une
participation aux hostilités ou d’y conduire. Des mesures peuvent aisément être
mises en œuvre pour répondre aux exigences des États tout en assurant une lutte
148
ouverte et le respect du DIH.
Ainsi, les États qui souhaitent confier au secteur privé des tâches susceptibles
d’être considérées comme constituant une participation aux hostilités ou
susceptibles d’y conduire devraient incorporer les employés du secteur privé ou
l’EMP elle-même à leurs forces armées, afin que les employés d’EMP obtiennent
le statut de combattant privilégié. Les autres, qui ne souhaitent pas emprunter
cette voie, devraient soigneusement éviter de placer les employés d’EMP en
situation où ils pourraient être appelés à prendre activement part aux hostilités,
tenant notamment en compte les risques particuliers associés au mandat qui leur
est confié. Ils devraient également s’assurer que les employés du secteur privé ne
puissent être confondus avec les membres des forces armées et prévoir des
règles d’engagement claires à l’effet que les employés d’EMP ne peuvent utiliser la
force que pour assurer leur propre défense ou celle des tiers qu’ils ont pour
mission de protéger. Les employés d’EMP devraient être clairement informés de
leur statut, ainsi que des droits et obligations qui en découlent, lorsqu’ils sont
appelés à intervenir dans un conflit armé international.
Il est encourageant de voir qu’une partie de ces mesures ont déjà été proposées
par différents intervenants, qui prennent peu à peu conscience d’une partie des
problèmes que cause l’implication d’EMP dans les conflits armés, et qu’un effort
collectif est mis en œuvre pour tenter de trouver des solutions. À cet égard, le
Document de Montreux recommandant de « bonnes pratiques » est certes un pas
dans la bonne direction. Ce document, qui se veut un compromis entre des
groupes aux intérêts variés dont le CICR, les Nations Unies, les États et les EMP,
nous semble toutefois présenter certaines faiblesses inhérentes au contexte dans
lequel il a été adopté, notamment en ce qu’il fait défaut d’obliger les États à aligner
leur pratique sur leur discours et leur législation et à en prendre en compte
certaines limites qui s’imposent à leur pratique suivant le DIH.
Évidemment, en cette matière où il n’y a pas pour l’heure de règles régissant
explicitement la conduite des États, il est difficile de faire davantage que de les
149
inciter à revoir leur pratique eu égard aux effets qu’elle entraîne sur la protection
de la population civile dans les conflits armés et à se demander si le jeu en vaut
vraiment la chandelle, à l’heure où le modus operandi de groupes terroristes et
d’insurgés peu soucieux du respect du principe de distinction suscite la réprobation
internationale et où l’on tente de réduire les maux de la guerre dont souffre la
population civile. Nous faisons nôtre, à cet égard, les propos de Grotius :
When I first set out tho explain this part of the law of nations I bore witness that many things are said to be ‘lawful’ or ‘permissible’ for the reason that they are done with impunity, in part also because coactive tribunals lend to them their authority; things which, nevertheless, either deviate from the rule of right (whether this has its basis in law strictly so called, or in the admonitions of other virtues), or at any rate may be omitted on higher grounds and with greater praise among good men.478
478
Hugo Grotius, De jure belli ac pacis, Livre III, Chapitre X, Section I.1, traduction anglaise de Francis G.
Kelsey, Oxford, 1925.
150
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