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1 UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN - STRASBOURG III FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES LA SOUMISSION DES ACTES DE PUISSANCE PUBLIQUE AU DROIT FRANÇAIS DE LA CONCURRENCE Mémoire présenté en vue de l’obtention du D.E.A. de droit des affaires 1999-2000 Par: Jean-Philippe KOVAR Sous la direction de Monsieur le Professeur P. MARCHESSOU

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UNIVERSITE ROBERT SCHUMAN - STRASBOURG III

FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES

LA SOUMISSION DES ACTES DE PUISSANCE PUBLIQUE AU DROIT FRANÇAIS DE LA CONCURRENCE

Mémoire présenté en vue de l’obtention du D.E.A. de droit des affaires

1999-2000

Par: Jean-Philippe KOVAR Sous la direction de Monsieur le Professeur P. MARCHESSOU

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La soumission des actes de puissance publique au droit français de la concurrence

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PLAN Ière partie: Une applicabilité sélective des règles de l’ordonnance aux actes de puissance publique

Titre I : L’exclusion des actes administratifs du champ des règles processuelles

Chapitre 1 : Le conflit de compétence entre le juge administratif et les autorités du marché

Chapitre 2 : Le partage des compétences entre le juge administratif et les autorités du marché

Titre II : L’inclusion des actes administratifs dans le champ des règles matérielles

Chapitre 1 : Des doctrines controversées

Chapitre 2 : Une jurisprudence hésitante IIe partie : Une application effective du droit de la concurrence aux actes de puissance publique

Titre I : Les actes de puissance publique associés à un comportement d’entreprise

Chapitre 1 : L’application des règles de l’ordonnance aux actes de puissance publique Chapitre 2 : La violation des règles de l’ordonnance par un acte de puissance publique

Titre II : Les actes de puissance publique dissociés de tout comportement d’entreprise

Chapitre 1 : L’affirmation du principe de libre concurrence en droit administratif Chapitre 2 : L’application du principe de libre concurrence aux actes administratifs

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TABLEAU DES ABREVIATIONS

1ère civ……………………………..Première chambre civile de la Cour de cassation. ADP…………………………. …….Aéroports de Paris.

AJDA……………………………….Actualité juridique de droit administratif .

BNIC……………………………….Bureau national interprofessionnel du cognac.

BOCC………………………. …….Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.

Bull. civ…………………….. …….Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Chambres civiles.

C.A…………………………………Cour d’appel.

C.A.A………………………………Cour administrative d’appel.

Cass. com. …………………………Chambre commerciale de la Cour de cassation.

C. civ. ……………………………..Code civil.

C.E. ……………………………….Conseil d’Etat.

C.E. ass……………………………Conseil d’Etat (assemblée du contentieux).

C.E. sect…………………….. ……Conseil d’Etat (section du contentieux).

CJCE……………………….. ……Cour de justice des Communautés européennes.

CJEG……………………….. ……Cahiers juridique de l’électricité et du gaz.

CNAVMA…………………………Caisse nationale d’assurance-vieillesse mutuelle agricole.

Contrats, conc., consom…….. …...Contrats, Concurrence, Consommation.

D. …………………………………Recueil Dalloz.

Dr. adm…………………………...Droit administratif.

Gaz. Pal…………………….. ……Gazette du Palais.

JCP………………………….. …..Jurisclasseur périodique. La semaine juridique.

JCP éd. E……………………. ….Jurisclasseur périodique. La semaine juridique, édition entreprise.

J.O…………………………… ….Journal Officiel.

LNF………………………….. ….Ligue nationale de Football.

LPA………………………….. ….Les Petites Affiches.

Mon. TP……………………… …Moniteur des Travaux Publics.

PUF………………………….. ….Presses universitaires de France.

Rec……………………………….Recueil des arrêts du Conseil d’Etat.

Rec. CC…………………………..Recueil des décisions du Conseil constitutionnel.

Rec. CJCE………………………..Recueil des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes.

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Rev. adm…………………….. ….Revue administrative.

Rev. conc., cons………………….Revue de la concurrence et de la consommation.

RDP…………………………. ….Revue de droit public.

RFDA……………………….. ….Revue française de droit administratif.

RTD com………………………...Revue trimestrielle de droit commercial.

RTDE…………………………. ..Revue trimestrielle de droit européen.

S………………………………. ..Recueil Sirey.

T.A……………………………. .Tribunal administratif.

T. conflits……………………….Tribunal des conflits.

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Introduction

1. - En l’espace d’une décennie, la soumission des actes de puissance publique au droit de la

concurrence est devenue l’une des questions essentielles du droit public économique.

L’abondante doctrine qui lui est consacrée en est la preuve. Elle s’inscrit dans une réflexion

critique sur la distinction historique du droit privé et du droit public. Elle invite le juriste à

s’interroger sur la coexistence, souvent conflictuelle, des deux ordres de juridictions. Elle

exprime enfin un intérêt renouvelé pour l’étude des rapports juridiques entre l’Etat et le marché.

Ce sujet présente ainsi une importance théorique évidente. Les principales lignes de fracture du

droit français s’y retrouvent. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait pu inspiré autant d’auteurs

publicistes que privatistes. La rencontre de ces deux traditions juridiques a bien évidemment

suscité de nombreuses controverses. Mais, elle a aussi été à l’origine d’une transformation

profonde des relations unissant le droit administratif au droit du marché. Or, si cette question

n’est pas nouvelle, elle n’en demeure pas moins actuelle.

Sous l’influence du droit communautaire et des mutations économiques contemporaines,

l’esprit de concurrence habite désormais très largement le droit public français. La disparition du

« service public à la française » ou la modernisation du droit des marchés publics et des

délégations de service public en constituent des illustrations manifestes. La soumission des actes

de puissance publique au droit de la concurrence participe de cette évolution. Elle semble même

en être l’aboutissement ultime. Elle implique, en effet, une large réécriture du droit administratif

aux conséquences futures inestimables. Il s’agit d’une construction incertaine se heurtant

continuellement aux obstacles conceptuels nés de l’histoire, de la politique et du droit. Les

fluctuations de la jurisprudence témoignent de ces difficultés. Le nombre de décisions s’y

rapportant, la diversité de leurs auteurs et la pluralité des solutions proposées révèlent des enjeux

qui dépassent largement la simple technique juridique. Le Conseil de la concurrence, le juge

judiciaire, le Conseil d’Etat et le Tribunal des conflits se sont tous prononcés sur cette question.

Leurs réponses ont pu tour à tour converger ou diverger, se compléter ou s’opposer selon des

considérations souvent empreintes de subjectivité et de dogmatisme. Mais les autorités du

marché et les juridictions administratives ne sont pas les seules instances à s’y être intéressées.

L’administration, le gouvernement, le législateur et les institutions communautaires ont aussi

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apporté leur contribution à un débat de plus en plus confus. Les médias eux-mêmes semblent

vouloir y participer. En devenant un sujet de polémiques, la soumission des actes de puissance

publique au droit de la concurrence n’a, de loin, pas gagné en clarté. Or, celle-ci s’avère

nécessaire. Outre sa dimension doctrinale, cette question soulève nombre d’interrogations

pratiques. L’essor du contentieux de la concurrence impliquant les personnes publiques appelle

des solutions directement applicables. Il s’agit, en effet, d’un domaine en pleine expansion. Il

s’insère dans les transformations de l’économie française. Caractérisée par un fort dirigisme

étatique, elle s’adapte désormais au modèle libéral d’une économie de marché fondée sur la libre

concurrence. Cette évolution n’est pas dépourvue de conséquences sur le contrôle juridique des

interventions économiques des personnes publiques. De nouvelles règles de droit leur sont

opposables. Les agents sur le marché contestent plus volontiers la légitimité de l’action publique.

Même la figure de l’Etat ne permet plus de brider l’imagination des juges de la concurrence. Le

secteur public est désormais largement aux prises avec les exigences du marché. Le droit

administratif ne peut plus ignorer le droit de la concurrence et les instances chargées de le faire

respecter. Il convient donc de développer des techniques juridiques adaptées aux activités

publiques et suffisamment efficaces pour garantir les droits des opérateurs sur le marché.

Touchant aux fondements théoriques du droit administratif, ce sujet n’est pas non plus sans

implications concrètes. S’il appelle des réponses précises, celles-ci ne peuvent s’abstraire

totalement des présupposés doctrinaux qui constituent le soubassement du système juridique

français.

2. - La soumission des actes de puissance publique au droit de la concurrence est, en effet,

« chargée d’une dimension politique et théorique prégnante et d’évolutions historiques

contraignantes »1. Elle renvoie aux rapports complexes qu’entretiennent l’Etat et le marché dans

la tradition française. La théorie libérale d’origine anglo-saxonne voit dans le marché le

prolongement économique de la société civile. Sa prospérité et sa cohésion dépendent

directement du libre jeu de l’offre et de la demande. Les mécanismes du marché permettent ainsi

d’atteindre l’optimum social et de satisfaire l’intérêt général. L’Etat ne disparaît pas mais il est

cantonné dans l’exercice de ses fonctions régaliennes. Cette conception du rôle de l’Etat est de

loin contraire aux idéaux de la pensée révolutionnaire. Elle définit l’Etat comme une entité

abstraite et permanente exprimant la volonté générale du corps politique au travers de la loi.

1 M.-A. FRISON-ROCHE, « Le poids des idées dans la répartition des compétences entre juges judiciaire et administratif en matière de concurrence au regard de la loi du 8 février 1995 », Gaz. Pal., 1995, 1, Doctr., p. 755.

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Placé au-dessus de la société civile, il est soustrait aux conflits qui déchirent ses diverses

composantes2. Lui seul est susceptible de ramener à l’unité une société parcourue de tensions

nées de la poursuite d’intérêts particuliers. L’Etat est le dépositaire de l’intérêt général, le garant

de l’ordre et de la cohésion sociale. Il se crée donc « une distance infinie entre l’Etat et les autres

personnes »3. Hissé tout en haut du pouvoir normatif, l’Etat ne voit plus dans le marché « qu’un

espace mineur livré aux jeux quelque peu dégradants et compromettants des intérêts privés »4. Il

lui revient d’y mettre de l’ordre et de la vertu au nom de l’intérêt général. Pour y parvenir, il lui

suffit d’utiliser le droit de la concurrence tel un instrument de police économique en vue de

réguler le bon fonctionnement du marché. Introduit en France par l’ordonnance du 30 juin 1945

portant réglementation des prix, le droit de la concurrence est perçu, à son origine, comme le

complément du contrôle des prix et d’une organisation planifiée de l’économie. Il n’est alors que

la « branche cadette d’une réglementation des prix au service de laquelle la compétition des

entreprises était volontairement placée »5. La concurrence n’est pas une fin en soi mais un

moyen visant à satisfaire des objectifs sociaux et économiques. L’Etat se doit d’intervenir si elle

ne peut les atteindre ou si elle risque de les compromettre. Il n’est pas question de libre

concurrence mais d’un système de concurrence administrée, caractérisé par un taux élevé

d’incitation, un contrôle public renforcé et une réglementation abondante.

Auteur du droit de la concurrence, l’Etat estimait n’y être pas soumis. Pourtant en un siècle,

ses interventions sur le marché n’avaient cessé de se multiplier. Le XIXe siècle avait été marqué

par la séparation du secteur public et du marché, reflet de l’opposition entre le société civile et

l’Etat6. Le droit administratif était le monde du monopole et le droit privé, celui de la

concurrence7. Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie interdisait à la collectivité

publique de pénétrer sur le marché afin de concurrencer les entreprises privées. Elle pouvait

certes être amenée à produire des biens et des services mais elle n’était pas censée les vendre au

public et intervenir sur le marché. Il n’y avait donc pas lieu de lui appliquer les règles de la

concurrence8. D’autant plus que l’administration du siècle dernier ne se mêlait guère d’activités

économiques.

2 J., CHEVALLIER, « L’ETAT », Dalloz, 1999, p. 16. 3 M.-A. FRISON-ROCHE,art. préc. 4 J. CAILLOSSE, « Le droit administratif français saisi par la concurrence ? », AJDA, 2000, p. 99. 5 J.-J. MOUSSERON et V. SELINSKY, « Le droit français nouveau de la concurrence », Litec, 1987, n°8, p. 10. 6 M. BAZEX, « Problématique générale de l’intervention des opérateurs publics dans une économie de concurrence », LPA, 1988, n°100, p. 5. 7 D. LINOTTE, « Le droit public de la concurrence », AJDA, 1984, p. 60. 8 En ce sens, concl. G. BRAIBANT, sous C. E., 29 avril 1970, Société Unipain, AJDA, 1970, p. 430 : « le principe de la liberté du commerce et de l’industrie ne joue que si la collectivité publique vend des produits ou fournit des

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Cette situation devait toutefois évoluer avec l’avénement du socialisme municipal et de

l’interventionnisme public. L’immixtion des personnes publiques dans la sphère économique prit

alors une forme plus systématique et idéologique. Il ne s’agissait pas tant de concurrencer les

acteurs privés agissant sur le marché que de satisfaire directement des besoins d’intérêt général.

L’intervention de l’Etat était justifiée par les carences de l’initiative privée et l’existence d’un

intérêt public local. Elle se traduisait par la création de nouveaux services publics dans des

secteurs réservés jusqu’alors aux entreprises privées. La jurisprudence administrative ne cacha

pas son hostilité à une doctrine qui lui semblait contraire aux principes du libéralisme. Soucieuse

de préserver les opérateurs privés contre la concurrence déloyale des collectivités publiques, elle

interpréta la liberté du commerce et de l’industrie comme interdisant de manière générale aux

personnes publiques de faire acte d’industrie ou de commerce9. Le secteur public ne pouvait donc

concurrencer les activités privées qu’à titre d’exception limitée et sous couvert d’une mission de

service public.

Cette limitation prétorienne des interventions économiques de l’Etat ne put survivre au

développement de l’économie dirigiste. L’éclatement du principe de spécialité des établissements

publics, l’extension de la notion d’intérêt général, la diversification des services publics et la

décentralisation du pouvoir d’intervention en matière économique en furent largement la cause.

Une véritable confusion des activités publiques et privées se substitua alors à la distinction

originelle entre service public et marché concurrentiel. Mais, une telle extension du secteur

public ne pouvait se concevoir sans une soumission au moins partielle aux règles de concurrence.

Les principes de l’économie de marché et les exigences du droit communautaire l’imposaient. Le

silence des dispositions de l’ordonnance du 30 juin 1945 le permettait. La Commission de la

Concurrence10 fut ainsi amenée à se prononcer sur des comportements civils ou commerciaux

imputables à des acteurs publics. Elle accepta d’examiner au regard de l’ordonnance l’activité

économique des ordres professionnels ou des établissements publics industriels et commerciaux.

Mais la soumission des personnes publiques au droit français de la concurrence n’est consacrée

expressément que depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

3. - Instituant un « nouveau droit » de la concurrence, ce texte à valeur législative proclame la

liberté des prix et de la concurrence. S’il demeure un instrument de régulation du marché, il n’est

services au public et intervient sur le marché. Il cesse de recevoir application dès lors que la collectivité publique fabrique ses produits pour elle-même ». 9 C. E. Sect., 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce de détail de Nevers, Rec. p. 583. 10 Ancêtre du Conseil de la concurrence.

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cependant plus au service d’une conception dirigiste de l’économie. Il adhère à un modèle

économique libéral fondé sur le libre jeu de l’offre et de la demande, la dépénalisation des

pratiques anticoncurrentielles et l’attribution d’un pouvoir de sanction à une autorité

administrative indépendante, le Conseil de la concurrence. Mais surtout, l’article 53 de

l’ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que « les règles définies par la présente ordonnance

s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles

qui sont le fait de personnes publiques »11. L’Etat devient ainsi tour à tour auteur et sujet du droit

de la concurrence. Dès lors qu’il accomplit des actes de production, de distribution ou de

services, il se doit de respecter la réglementation des ententes et abus de position dominante. A

l’instar des opérateurs privés, il relève alors de la compétence du Conseil de la concurrence. Le

principe de neutralité du statut qui inspire le droit de la concurrence interdit désormais de

distinguer les opérateurs publics des entreprises privées. Leurs activités sont saisies sur le

fondement de l’ordonnance selon des considérations purement économiques et indépendamment

de la nature juridique de ceux qui les exercent. Il en résulte une normalisation des activités

économiques des personnes publiques. Mais, loin de heurter les principes du droit administratif,

un tel traitement s’inscrit en réalité dans une longue tradition jurisprudentielle. Le Tribunal des

conflits considère ainsi que le fonctionnement des services publics industriels et commerciaux

relève des juridictions judiciaires, chargées de lui appliquer le droit privé12. Le principe de

neutralité du statut impose, en effet, de soumettre au même droit et au même juge des activités

qui fonctionnent dans des conditions similaires. S’il en est ainsi du droit commun, pourquoi n’en

serait-il pas de même du droit commun de la concurrence ? L’article 53 ne heurte donc pas les

fondements du droit public en proclamant la soumission des opérateurs publics aux dispositions

de l’ordonnance.

4. - L’application du droit de la concurrence aux personnes publiques ne soulevait guère de

difficultés tant qu’elle ne concernait que les seules activités de production, de distribution et de

services. Mais, l’ordonnance du 1er décembre 1986 ne se limite pas à un ensemble de

dispositions techniques. Elle fait de la libre concurrence une préoccupation constante des

personnes publiques et privées. L’Etat voit désormais dans le « droit du marché de libre

concurrence un idéal social, un modèle juridicisé »13. L’économie de marché apparaît toute aussi

11 Depuis la loi n°95-127 du 8 février 1995, l’article 53 a été complété comme suit : « … notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ». 12 T. conflits, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain , Rec. p. 91. 13 J. CAILLOSSE, art. préc.

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susceptible de satisfaire l’intérêt général que le service public. Pour y parvenir, la concurrence

doit pouvoir se déployer librement, sans entraves publiques excessives. Or, les personnes

publiques interviennent sur le marché tant matériellement que juridiquement. Elles sont à la fois

des opérateurs publics et des autorités publiques. L’action économique d’une collectivité

publique s’accompagne ainsi de l’utilisation de procédés de puissance publique14. L’ordonnance

elle-même s’intéresse à l’exercice du pouvoir normatif15.

Le droit de la concurrence ne pouvait donc ignorer plus longtemps les conséquences

économiques des actes de puissance publique. Celles-ci sont d’autant plus importantes que la

notion d’acte de puissance publique doit être entendue lato sensu. La doctrine du XIXe siècle y

voyait le cœur de l’action administrative, par opposition aux activités de gestion des personnes

publiques. Dorénavant, il ne s’agit plus simplement de l’exercice d’un pouvoir de

commandement mais plus largement, de l’usage de prérogatives exorbitantes du droit commun.

La puissance publique dépassant l’idée d’autorité, recouvre désormais l’activité de gestion

publique. Les concepts de puissance publique et de service public semblent de plus en plus

imbriqués. La puissance publique est même considérée comme l’un des éléments de la définition

moderne du service public, à tel point que « chaque fois que le juge utilise la notion de service

public, il fait indirectement application de celle de puissance publique »16. Les actes de

puissance publique ne sont plus réductibles aux seules interventions de l’Etat par voie de

prescriptions ou de prohibitions. Il s’agit d’actes émanant de personnes publiques17 pris dans des

conditions tellement différentes de celles que régit le droit privé, qu’elles doivent se voir

appliquer le régime dérogatoire du droit administratif. L’acte de puissance publique est donc

synonyme d’acte administratif.

L’usage de leurs prérogatives de puissance publique par l’Etat et les collectivités publiques se

traduit par l’édiction d’actes administratifs unilatéraux ou conventionnels. Or, les interventions

de la puissance publique peuvent affecter le fonctionnement du marché lorsqu’elles revêtent deux

formes particulières. Tel est le cas des mesures d’organisation. Elles ont pour objet l’organisation

et la gestion du service ou du domaine public. Elles emportent délégation de service public,

concession de parcelles du domaine public ou désignation d’un cocontractant de l’administration.

L’intervention de la puissance publique peut aussi consister en des mesures de réglementation.

14 D. BERLIN, « Les actes de la puissance publique et le droit de la concurrence », AJDA, 1995, p. 259. 15 Articles 5 et 6 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986. 16 C. DEBBASCH, J.-C. RICCI, « Contentieux administratif », Dalloz, Précis, 1999, n°102, p. 109. 17 Il s’agit tant de personnes de droit public que de personnes de droit privé investies de missions de service public et dépositaire de prérogatives de puissance publique.

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L’autorité publique agit alors par voie d’interdictions, d’obligations ou d’incitations sur les

conditions d’accès au marché, les modalités de commercialisation de certains produits ou

l’exercice d’activités économiques. Ces actes sont tous susceptibles de fausser le libre jeu de la

concurrence. Une entente illicite peut être à l’origine d’une concession de service public.

L’occupation d’une parcelle du domaine public peut amener une entreprise à abuser de sa

position dominante. Une réglementation publique est à même de restreindre la concurrence. Il

convenait dès lors de s’interroger sur l’applicabilité de l’ordonnance aux actes de puissance

publique. Elle devait permettre de protéger le marché contre les interventions excessives de la

puissance publique. Mais, elle se heurtait aussi aux principes historiques du droit administratif.

5. - L’ordonnance a été conçue comme un ensemble unitaire. L’article 53 qui définit son

champ d’application renvoie à des règles tant matérielles que processuelles. Les premiers

commentateurs ont estimé, de ce fait, que seules les autorités du marché étaient compétentes pour

appliquer l’ordonnance. Or dès l’entrée en vigueur de l’ordonnance, le législateur est intervenu

afin de transférer le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence à la Cour d’appel de

Paris et par voie de recours à la Cour de cassation. L’applicabilité de l’ordonnance, prise dans

son unité, aux actes administratifs aurait abouti indirectement à un contrôle judiciaire des

décisions de la puissance publique. Le juge administratif aurait été déssaisi de pans entiers du

contentieux économique alors même que le législateur n’avait prévu qu’un aménagement précis

et limité de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridictions. Appliquer les

dispositions processuelles de l’ordonnance aux actes de puissance publique revenait à nier le

privilège de juridiction de l’administration. Mais, telle n’était pas la seule difficulté. L’inclusion

des actes administratifs dans le champ des règles matérielles de l’ordonnance était perçue comme

une atteinte grave à la spécificité de l’action administrative. Le droit de la concurrence est destiné

à réguler le comportement des opérateurs sur le marché. Même si l’article 53 s’adresse

expressément aux personnes publiques, il ne vise que des activités de production, de distribution

et de services. Or, la tradition juridique française refuse de voir dans l’organisation du service

public ou la gestion du domaine public des activités à caractère économique. Il s’agit de missions

d’intérêt général qui échappent aux lois du marché. Admettre l’applicabilité du droit de la

concurrence aux actes administratifs impliquait une banalisation du rôle de l’Etat dans

l’organisation de la société.

Ces arguments ont bien évidemment été critiqués par les partisans de la soumission des actes

de puissance publique au droit de la concurrence. Il s’en est suivi une véritable cacophonie

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doctrinale favorisée par l’imprécision et la versatilité de la jurisprudence. Une solution équilibrée

a pu, toutefois, être trouvée par deux arrêts de principe du Tribunal des conflits et du Conseil

d’Etat. Le premier, concernant l’affaire « ville de Pamiers »18, a permis au Tribunal des conflits

de réaffirmer la compétence exclusive des juridictions administratives sur les actes de puissance

publique. Le second, rendu à l’occasion de l’affaire « Million et Marais »19, a consacré

l’applicabilité du droit de la concurrence aux actes administratifs. Même à ce jour, l’application

de ces principes n’est pas sans poser certaines difficultés. Toutefois, l’incompétence des autorités

du marché et l’invocabilité du droit de la concurrence sont désormais admises dès lors qu’il est

question d’actes administratifs.

6. - Mais, l’applicabilité du droit de la concurrence aux actes de puissance publique n’est pas

une fin en soi. Elle n’est qu’un préalable à une application effective visant à sanctionner toute

atteinte aux droits légitimes des opérateurs sur le marché. Il convient donc de développer des

techniques permettant au juge administratif d’annuler des actes de puissance publique

directement contraires aux règles issues de l’ordonnance. Celles qui nous intéressent concernent

plus particulièrement les pratiques anticoncurrentielles définies aux articles 7 et 8 de

l’ordonnance. Or, ces dispositions ne mentionnent que des comportements d’entreprise

constitutifs d’ententes ou d’abus de position dominante. L’article 53 se limite d’ailleurs à

énoncer des activités purement économiques. Le Conseil d’Etat ne s’est pas arrêté à des

considérations aussi formelles. Dépassant la controverse doctrinale née de l’interprétation de

l’article 53, il a préféré asseoir la soumission des actes de puissance publique au droit de la

concurrence sur le principe de la légalité administrative. Si la puissance publique n’est pas

directement visée par les articles 7 et 8 de l’ordonnance, elle ne peut pour autant contribuer à leur

violation par un opérateur sur le marché. Cette solution a été largement influencée par des

précédents tirés du droit communautaire de la concurrence. Il importe donc de s’y intéresser

compte tenu des relations étroites qui unissent l’ordre juridique communautaire à l’ordre

juridique français. Mais, la démarche retenue par le Conseil d’Etat s’inspire aussi d’une

jurisprudence ancienne développée tant à l’égard du droit civil que du droit pénal. Sur ce

fondement, l’application effective des articles 7 et 8 de l’ordonnance aux actes administratifs

devient possible sous réserve de leur association à un comportement d’entreprise. Si celui-ci fait

18 T. conflits, 6 juin 1989, Préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris c/ Cour d’appel de Paris, S.A.E.D.E. c/ S.L.E. et ville de Pamiers, AJDA, 1989, p. 467. 19 C.E. Sect., 3 novembre 1997, Sté Million et Marais, RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1240.

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défaut, les dispositions précises de l’ordonnance ne devraient plus trouver à s’appliquer. Or, la

puissance publique intervient sur le marché indépendamment de toute pratique d’entreprise. Le

refus d’une concession de domaine public peut produire les mêmes effets qu’un abus de position

dominante. L’acte ne peut alors être saisi par l’intermédiaire d’un comportement d’entreprise

distinct des agissements de l’administration. Lui appliquer l’article 8 reviendrait à la considérer

comme une entreprise alors même qu’elle accomplit une activité de puissance publique.

L’autorité publique peut-aussi fausser le jeu de la concurrence dans l’exercice de son pouvoir

normatif sans que l’acte en question ne soit rattachable à une pratique d’entreprise. Il est vrai,

que dans toutes ces hypothèses le respect du principe de la liberté du commerce et de l’industrie

pourrait être invoqué. Mais, le droit de la concurrence permet l’analyse concrète du marché ce

qu’ignore la jurisprudence administrative en matière de liberté du commerce et de l’industrie.

L’application des règles de concurrence issues de l’ordonnance permettrait d’enrichir et

d’approfondir le contrôle du juge administratif. Le Conseil d’Etat semble d’ailleurs ne pas y être

hostile, puisqu’il a tiré de l’ordonnance un principe de libre concurrence ayant vocation à

s’appliquer à de telles situations.

Ainsi, force est de constater que l’applicabilité sélective des règles de l’ordonnance aux actes

de puissance publique (Première Partie) ne s’oppose pas une application effective du droit de la

concurrence (Deuxième Partie).

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Première partie

Une applicabilité sélective des règles de l’ordonnance aux actes de puissance publique

7. - L’ordonnance du 1er décembre 1986 comprend deux catégories de règles. Les premières

portent principalement sur l’organisation, le fonctionnement et la procédure du Conseil de la

concurrence et les modalités d’un recours devant les juridictions de l’ordre judiciaire. Il s’agit

donc de règles processuelles. Les secondes ont trait notamment aux pratiques

anticoncurrentielles, aux pratiques restrictives de concurrence ainsi qu’aux concentrations. Ces

règles matérielles forment l’essentiel du droit français de la concurrence. Toutes ces dispositions

ont, a priori, vocation à s’appliquer conjointement. Il revient ainsi aux autorités du marché

d’examiner la conformité d’un comportement d’entreprise aux titres III, IV et V de l’ordonnance.

Celle-ci semble donc constituer un ensemble unitaire. L’unité des règles de l’ordonnance

disparaît, cependant, dès lors qu’il n’est plus question d’activités économiques mais d’actes de

puissance publique. L’application de l’ordonnance doit alors s’effectuer dans le respect des

principes du contentieux administratif. Or, ceux-ci exigent que les actes de puissance publique

relèvent exclusivement de la compétence du juge de l’administration. Il en résulte, que les actes

administratifs échappent nécessairement aux règles processuelles de l’ordonnance (Titre I).

Mais, cette spécificité contentieuse n’interdit pas pour autant la soumission des actes de

puissance publique au droit de la concurrence. La réserve de compétence du juge administratif

étant respectée, l’applicabilité des dispositions matérielles de l’ordonnance aux actes de

puissance publique semble désormais acceptée (Titre II).

Titre I : L’exclusion des actes administratifs du champ des règles processuelles

8. - L’applicabilité des dispositions procédurales de l’ordonnance aux actes de puissance

publique a suscité une importante controverse jurisprudentielle. Le juge de l’administration et les

autorités du marché se sont ainsi disputés le contentieux des actes administratifs en droit de la

concurrence. De ce conflit de compétence, il ressort que seul le juge administratif peut connaître

de l’acte lui-même (Chapitre 1). Mais, la mise en œuvre de ce principe n’est pas toujours aussi

aisée que l’on pourrait le croire. En effet, un acte de puissance publique n’est souvent que le

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support d’activités économiques imputables à des entreprises. Celles-ci sont plus ou moins

dissociables de l’acte dont la validité est contestée. Il convient alors d’opérer une stricte

répartition des compétences entre le juge administratif et les autorités du marché (chapitre 2).

Chapitre 1 : Le conflit de compétence entre le juge administratif et les autorités du marché

9. - L’attribution du contentieux des actes de puissance publique en droit de la concurrence a

été à l’origine d’un profond débat doctrinal. Les arguments les plus divers furent avancés. Il

s’agissait en réalité d’un conflit de logiques juridiques, dont la solution pouvait varier selon que

l’on privilégiait la séparation des ordres de juridictions ou une conception unitaire de la

concurrence (Section 1). La saisine du Tribunal des conflits permit d’y mettre fin par

l’affirmation de la compétence exclusive du juge administratif. La Cour de Paris, après quelques

réticences, semble vouloir s’y conformer (Section 2).

Section 1 - Des divergences conceptuelles inconciliables

10. - Selon certains auteurs, l’application du droit de la concurrence aux actes de puissance

publique relevait de la réserve de compétence du juge administratif (§ 1). Pour d’autres, l’unité

de la concurrence supposait la compétence plénière des autorités du marché instituées par les

dispositions de l’ordonnance (§ 2).

§ 1 - La compétence des juridictions administratives, une exigence d’ordre constitutionnel

11. - L’existence d’une réserve de compétence au profit du juge administratif est un principe à

valeur constitutionnelle. Tel est du moins ce qu’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision

n°86-224 DC20. Celle-ci portait précisément sur la conformité à la Constitution de la loi du 20

décembre 1986 transférant le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence à la Cour

d’appel de Paris21. Les saisissants reprochaient au législateur d’avoir attribué au juge judiciaire le

contentieux sur recours des décisions du Conseil de la concurrence. Selon eux, il s’agissait d’une

atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, censé impliquer celle des autorités

20 Conseil constitutionnel, décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Rec. CC, p.8. 21 Le Conseil constitutionnel censura cette loi parce qu’elle ne garantissait pas suffisamment les droits de la défense. Le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence fut finalement transféré au juge judiciaire par la loi n°87-499 du 6 juillet 1987.

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administratives et judiciaires. Le Conseil de la concurrence étant une autorité administrative

indépendante, ses décisions ne pouvaient relever que du juge administratif. En y dérogeant, le

législateur aurait violé une règle constitutionnelle. Il est vrai que la doctrine rattachait

traditionnellement la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III à l’article 16 de la

Déclaration des droits de l’homme et du citoyen22. Elle en déduisait l’existence d’une clause de

compétence générale au profit de la juridiction administrative pour tout ce qui touchait

l’administration.

Or, le Conseil constitutionnel condamna cette interprétation de la séparation des pouvoirs23. Il

excluait ainsi du bloc de constitutionnalité tout principe général de séparation des autorités

administratives et judiciaires. Le Conseil s’autorisait par là-même à rechercher une légitimité

propre à l’existence d’une juridiction administrative24. Dès lors, la dualité des ordres

juridictionnels devait supplanter la séparation des autorités en tant qu’expression institutionnelle

de la séparation des pouvoirs. Par l’un de ses considérants historiques, le Conseil a non

seulement constitutionnalisé l’existence de la juridiction administrative mais lui a aussi reconnu

une compétence exclusive: « conformément à la conception française de la séparation des

pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République

celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève

en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la

réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les

autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la

République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ».

12. - L’existence d’une réserve de compétence au profit du juge administratif doit ainsi

prévaloir quelle que soit la nature du litige, dès lors qu’un acte de puissance publique est en

cause. Le droit de la concurrence ne saurait donc y échapper25. Mais selon certains auteurs26,

l’étendue de cette réserve de compétence serait restreinte. Elle ne concernerait que l’annulation et

22 Article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». 23 Le Conseil constitutionnel a ainsi déclaré : « Considérant que les dispositions des articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III qui ont posé dans sa généralité le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires n’ont pas en elles-mêmes valeur constitutionnelle ». 24 Sur l’existence de la juridiction administrative : Conseil constitutionnel, décision n°80-119 DC, 22 juillet 1980, Rec . CC, p. 15. 25D’autant plus qu’en l’espèce, la loi examinée visait à modifier certaines dispositions procédurales de l’ordonnance du 1er décembre 1986. 26 V. notamment, L. FAVOREU, L. PHILIP, « Les grandes décisions du Conseil constitutionnel », Dalloz, 10e éd. , p. 463.

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la réformation des actes administratifs. Seul entrerait donc dans son champ, le contentieux de

l’annulation et non ceux de pleine juridiction, de l’appréciation de légalité ou de l’interprétation.

Autant de matières dont les autorités du marché pourraient se saisir. Cette conclusion découle

toutefois d’une lecture purement littérale de la décision n°86-224 DC. Elle ne coïncide pas

parfaitement avec l’état des règles déterminant la compétence du juge judiciaire à l’égard des

actes administratifs. Le juge civil27 ne peut ainsi connaître par voie d’exception de la légalité des

actes de l’administration que dans des cas limités correspondant « aux matières réservées par

nature à l’autorité judiciaire »28. Aussi, les autorités du marché ne seraient-elles pas habilitées à

apprécier, même par voie d’exception, la légalité d’un acte de puissance publique au regard du

droit de la concurrence.

Ces mêmes auteurs soulignent la présence d’une seconde limite à la réserve de compétence du

juge administratif. Elle ne porterait, en effet, que sur l’examen en dernier ressort de la validité

des actes administratifs. Aux termes de la décision n°86-224 DC, les actes de puissance publique

ne peuvent relever, en dernière instance, que du juge administratif, sauf dérogation législative.

Rien n’interdit a priori, au Conseil de la concurrence de contrôler la conformité de tels actes à

l’ordonnance, puisque ses décisions sont susceptibles de recours. L’effet dévolutif d’un tel

recours s’y oppose toutefois, dès lors qu’il relève du juge judiciaire29. Saisie d’une décision du

Conseil de la concurrence portant sur un acte administratif, la Cour d’appel serait à même d’en

apprécier la conformité à l’ordonnance. Le juge judiciaire empiéterait ainsi sur le contrôle de

légalité des actes de puissance publique. La compétence sur recours de la Cour de Paris,

risquerait de priver le juge administratif de ses droits exclusifs. Or, cette conséquence résulte

directement de la saisine du Conseil de la concurrence puisque le contentieux de ses décisions

relève nécessairement de la Cour d’appel. Dès lors, il apparaît que l’existence pratique d’une

réserve de compétence administrative implique que l’on prive le Conseil de la concurrence de

toute autorité sur les actes de puissance publique. Même si la formulation de la décision n°86-

224 DC ne l’exige pas expressément, l’incompétence des autorités du marché en découle

27 A l’inverse du juge civil, le juge pénal a une compétence beaucoup plus large afin d’apprécier la légalité des actes administratifs invoqués devant lui. Il a ainsi une plénitude de juridiction à l’égard des règlements administratifs mais reste en principe incompétent pour apprécier la légalité des actes administratifs individuels (T . conflits., 5 juillet 1951, Avranche et Desmarets, S. 1952, II, 6623). 28 Les tribunaux civils ont le droit d’apprécier eux-mêmes, par voie d’exception, la légalité des mesures réglementaires comportant des atteintes à la liberté individuelle ou au droit de propriété (T. conflits, 30 octobre 1947, Barinstein, D. 1947, J, 477). 29Article 15 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 : « Les décisions du Conseil de la concurrence (…) sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l’économie, qui peuvent, dans le délai d’un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris ».

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assurément. Seul le juge administratif peut apprécier la conformité à l’ordonnance des actes de

puissance publique.

13. - Ainsi interprétée, la jurisprudence constitutionnelle s’opposait à l’existence même d’un

ordre économique unique. Elle conduisait, en effet, à une application sélective de l’ordonnance

aux actes administratifs. L’incompétence des autorités du marché impliquait un traitement

différencié entre les règles procédurales et matérielles. Une telle distorsion semblait heurter la

logique apparemment unitaire du droit commun de la concurrence.

§ 2 - La compétence des autorités du marché, une conséquence de l’unité de la concurrence

14. - En attribuant compétence à la Cour de Paris, le législateur avait voulu unifier le

contentieux de la concurrence dans un souci de bonne administration de la justice. Certains

auteurs30 en avaient déduit qu’il appartenait aux seules autorités du marché de faire application

de l’ordonnance. C’était oublier que la loi de 1987 ne visait que le contentieux sur recours des

décisions du Conseil de la concurrence. Elle ne s’intéressait pas à sa compétence mais à celle de

la Cour d’appel. Dès lors, l’unification du contentieux de la concurrence ne concernait que le

seul contentieux sur recours. Aucune conséquence ne pouvait en découler à l’égard des actes de

puissance publique. Rien ne permettait d’en déduire que les autorités du marché avaient une

compétence exclusive pour appliquer l’ordonnance. D’autant plus, que le Conseil de la

concurrence se déclarait systématiquement incompétent en présence d’actes de puissance

publique31.

Ces auteurs n’y voyaient toutefois qu’une obéissance déplacée aux critères du contentieux

administratif. La simple transposition de solutions acquises leur semblait artificielle32, eu égard

aux spécificités du droit économique. La logique matérielle de l’ordonnance interdisait, selon

eux, de distinguer les actes des pratiques. Seule comptait l’existence d’une action sur le marché,

quelle que soit sa forme ou son auteur. Cette notion fut utilisée par la Cour d’appel dans le seul

dessein de se voir reconnaître une compétence générale d’application du droit de la concurrence.

Elle lui associait une conception purement unitaire de l’ordonnance, perçue comme un ensemble

30 V. notamment, F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX, « La soumission des personnes publiques au droit de la concurrence », D., 1989, Chron., p. 63. 31 Conseil de la Concurrence, décision n° 89-D-58, 11 juillet 1989, relative à une saisine de l’Association des éleveurs de taureaux de race Camargue sur la délibération d’un conseil municipal définissant les modalités d’organisation d’un service public local, B.O.C.C. du 28 juillet 1989, p. 193. 32 Y. GAUDEMET, note sous T. conflits, 6 juin 1989, aff. préc., RDP, 1989, p. 1780.

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indivisible. Dès lors, la compétence des autorités du marché profitait de l’extension du champ

d’application de l’ordonnance. Le critère de l’action sur le marché permettait de saisir une

infinité de comportements. Ceux-ci se voyaient appliquer l’ordonnance dans sa totalité. Il n’y

avait pas lieu de distinguer entre son applicabilité aux actes de puissance publique et leur

justiciabilité des autorités du marché. La compétence normative impliquait la compétence

contentieuse. Seules les autorités de la concurrence pouvaient appliquer l’ordonnance et toute

action sur le marché devait en relever. Il ne s’agissait donc pas d’un conflit de juridictions mais

de la simple détermination du droit applicable. Les autorités du marché étaient compétentes,

puisque le litige portait sur le respect des règles de l’ordonnance, dont le contrôle avait été confié

par la loi au Conseil de la concurrence et, par voie de recours, à la Cour de Paris 33.

Cette interprétation fut consacrée par l’arrêt SAEDE du 30 juin 198834 rendu à l’occasion de

l’affaire « ville de Pamiers »35. La Cour se déclara compétente pour connaître d’un contrat

d’affermage suspecté d’être contraire aux dispositions de l’ordonnance. Selon la Cour d’appel, la

commune avait agi sur le marché en recourant à la procédure d’appel d’offres. Elle s’était ainsi

placée dans le champ de l’ordonnance et ne pouvait y déroger, ses dispositions étant d’ordre

public36. L’ordonnance formant un ensemble indivisible, l’acte litigieux relevait des autorités du

marché. La compétence universelle de la Cour et du Conseil était préservée.

15. - Cette conception unitaire revenait à nier l’autonomie des articles 1937 et 53 de

l’ordonnance38. Leur objet est pourtant distinct. Le premier s’intéresse au champ de compétence

33 M.-Ch. BOUTARD-LABARDE, note sous C.A. Paris, 30 juin 1988, Gaz. Pal., 1988, Doctr.,p. 733. 34 C.A. Paris, 30 juin 1988, AJDA, 1988, J., p.744. 35 En exécution d’une délibération du conseil municipal de la ville de Pamiers, le contrat de gérance en vertu duquel la Société d’exploitation et de distribution d’eau (SAEDE) assurait l’alimentation en eau de la commune a été résilié. Le réseau a été affermé, dès le lendemain, à la Société Lyonnaise des eaux. Estimant que son éviction à l’issue de l’appel d’offres ouvert pour le choix du fermier était la conséquence d’une concertation entre certains conseillers municipaux et la Lyonnaise des eaux, la SAEDE a demandé au Conseil de la concurrence de prononcer les mesures conservatoires déterminées, en cas de pratiques anticoncurrentielles, par l’article 12 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. Sa demande ayant été rejetée par décision du 17 mai 1988, la SAEDE a introduit un recours devant la Cour d’appel de Paris . 36 La Cour d’appel a ainsi jugé : « Considérant (..) qu’en faisant appel à plusieurs entreprises spécialisées afin de choisir celle à qui serait confiée la distribution d’eau la ville de Pamiers a exercé une action sur le marché; dès lors, elle ne pouvait, de son fait, porter atteinte aux règles de la libre concurrence qui s’imposent à tous et dont le contrôle a été confié par la loi au Conseil de la concurrence et, par voie de recours, à la Cour d’appel de Paris, afin d’unifier les règles de compétence juridictionnelle, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice; ». 37 Article 19 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 : « Le Conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable s’il estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence ou ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants ». 38 V. en ce sens, L. NICOLAS-VULLIERME, « Débats autour des règles de compétence en droit de la concurrence », Contrats, conc., consom., juin 1998, p. 4.

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du Conseil de la concurrence. Le second détermine les activités régies par l’ordonnance. Sa

rédaction entretient cependant une certaine confusion. En effet, l’article 53 renvoie aux

dispositions qui le précédent sans distinguer entre les règles procédurales et matérielles. On

pourrait en déduire que l’applicabilité de l’ordonnance emporte nécessairement la compétence

des autorités du marché. Mais, cette compétence n’est ni exclusive ni absolue. D’ailleurs, le

Conseil de la concurrence ne peut pas appliquer toutes les dispositions de l’ordonnance. L’article

9 est ainsi interprété par la doctrine comme ne s’adressant qu’au seul juge. Le Conseil de la

concurrence ne peut donc s’en prévaloir. En outre, l’ordonnance appartient aux sources de la

légalité et peut dès lors être invoquée devant toute autorité chargée de les faire respecter. Le droit

des pratiques anticoncurrentielles est donc dissociable de la compétence des autorités du marché.

Il intéresse aussi le juge, quel que soit l’ordre auquel il appartient.

16. - En se fondant sur la notion d’action sur le marché39, la Cour de Paris commettait un acte

d’«autodétermination de compétence »40 d’autant plus grave qu’il niait le principe même de la

répartition des compétences entre les ordres de juridictions. En se déclarant compétente, la Cour

d’appel s’érigeait implicitement en juge des actes de puissance publique. Certes, sa compétence

se limitait au seul droit de la concurrence. Mais cette exception ne reposait sur aucune

disposition législative. Quelle que soit la portée de l’ordonnance, elle n’implique pas la

compétence universelle des autorités du marché41. Celle-ci contrevient aux exigences

constitutionnelles et aux règles jurisprudentielles qui président à la répartition des compétences

entre les ordres de juridictions. Elle s’avère, en outre, inutile afin d’assurer l’unité de la

concurrence. En effet, la compétence du juge administratif ne préjuge en rien de l’inapplicabilité

du droit de la concurrence aux actes de puissance publique. Ces constatations incitèrent le

Tribunal des conflits, saisi de l’affaire, à conclure en l’incompétence de la Cour d’appel. Celle-ci

dut finalement s’incliner en acceptant la compétence du juge administratif.

39 Il est à noter que la notion « d’action sur le marché » ne figure pas dans l’ordonnance. Elle était employée à l’article 419 de l’ancien code pénal, abrogé par l’article 57 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, qui punissait ceux qui exerçaient une « action sur le marché dans le but de se procurer un gain qui ne serait pas le résultat du jeu naturel de l’offre et de la demande ». 40 M.-A. SABIRAU PEREZ, « Secteur public et concurrence », Presses universitaires de Perpignan, 1998, n°426, p. 317. 41 R. CHAPUS, « Activités des personnes publiques, droit de la concurrence et compétence juridictionnelle », RFDA, janvier-février 1989, p. 80.

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Section 2 - Des convergences jurisprudentielles appréciables

17. - L’intervention du Tribunal des conflits permit de consacrer la compétence exclusive du

juge administratif sur les actes de puissance publique (§ 1). La Cour de Paris dut s’y conformer

en infléchissant sa jurisprudence (§ 2).

§ 1 - L’affirmation explicite de la compétence administrative par le juge des conflits

18. - Saisi à la suite du rejet d’un déclinatoire de compétence par la Cour d’appel de Paris42, le

Tribunal des conflits dut se prononcer sur l’affaire SAEDE. Il trancha le conflit de compétences

en faveur du juge administratif: « Considérant qu’il résulte de l’article 53 de l’ordonnance du

1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux personnes publiques

qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services; que

l’organisation du service public de la distribution de l’eau à laquelle procède un conseil

municipal n’est pas constitutive d’une telle activité; que l’acte juridique de dévolution de

l’exécution de ce service n’est pas, par lui-même, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de

fausser le jeu de la concurrence sur le marché, et qu’il n’appartient en conséquence qu’aux

juridictions de l’ordre intéressé de vérifier la validité de cet acte au regard des dispositions de

l’article 9 de l’ordonnance susvisée;

Considérant que, dès lors que l’allégation de pratiques anticoncurrentielles qui la fonde ne tend,

en réalité qu’à faire échec à l’exécution de la décision d’une collectivité territoriale prise dans

l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, la demande de la S.A.E.D.E. ressortit aux

juridictions de l’ordre administratif; »43.

19. - L’arrêt « ville de Pamiers » attribue clairement compétence au juge administratif. Il

résout ainsi l’une des principales difficultés nées de l’ordonnance. Les actes de puissance

publique échappent aux autorités du marché même s’ils sont susceptibles de fausser la

concurrence. Mais, cette solution a soulevé nombre d’interrogations. Certains auteurs lui ont

reproché son incohérence. D’autres ont contesté sa légitimité.

Nul doute que le raisonnement du Tribunal des conflits est affecté d’une certaine confusion.

Citant l’article 53, il rappelle ses dispositions et déclare que l’organisation du service n’est pas

42 Le conflit est élevé par arrêté préfectoral en date du 3 février 1989. 43 T. conflits, 6 juin 1989, aff. préc.

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une activité de production, distribution et de services. Il en conclut implicitement que le Conseil

de la concurrence est incompétent. Or, il ajoute qu’il appartient aux juridictions de l’ordre

intéressé d’appliquer les sanctions prévues à l’article 944. Il paraissait pourtant évident que

l’article 53 avait pour objet de définir les matières régies par l’ordonnance. Comment expliquer

dès lors qu’un acte relevant d’une activité y échappant soit sanctionnable sur le fondement de

celle-ci ?45.

Le Tribunal se contredit. Dans une première proposition, il parait adhérer à la conception unitaire

de l’ordonnance sans pour autant se référer à la notion d’action sur le marché. L’article 53

définirait le champ d’application de l’ordonnance et la compétence des autorités du marché.

L’activité d’organisation n’y étant pas mentionnée, elle devrait y échapper. Selon les principes de

l’interprétation unitaire, les dispositions procédurales et matérielles de l’ordonnance sont

indissociables. L’incompétence du Conseil de la concurrence emporterait donc l’inapplicabilité

de l’ordonnance et inversement. Or, dans une seconde proposition, le Tribunal invite le juge

administratif à appliquer l’article 9. Elle se justifie si l’on reste dans les limites du pur

contentieux. Le Tribunal a conclu implicitement en l’incompétence de la Cour d’appel et par

conséquent, il attribue compétence aux juridictions administratives. Le contrat d’affermage est

un acte de puissance publique et relève des seuls tribunaux de l’ordre administratif. Mais sur le

fond, l’arrêt reste énigmatique. L’invitation adressée au juge administratif ne peut se concevoir

dans une conception unitaire de l’ordonnance. Elle implique une certaine dissociation entre ses

règles de fond et de procédure. Les deux propositions formulées par le Tribunal sont donc

contradictoires. Deux interprétations ont pu être avancées:

- Soit le juge des conflits fait de l’article 53 le critère de compétence du Conseil de la

concurrence. Il a pu notamment y être incité par sa rédaction46. Or, le législateur y voit le champ

d’application du droit de la concurrence. En ce cas, la compétence du Conseil de la concurrence

se confondrait avec le champ d’application des règles matérielles de l’ordonnance. Dès lors, si un

acte échappe à l’article 53 cela vaudrait pour l’ensemble des dispositions de l’ordonnance. Il n’y

44 Article 9 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 : « Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles 7 et 8 ». 45 Sur cette incohérence, J.-Y. CHEROT, « La soumission d’actes de droit public au droit de la concurrence n’est pas contraire à la Constitution », D., 1991, Chron., p. 163: « ce faisant, la position du Tribunal est intenable. Il admet que le juge administratif puisse se prononcer sur le contrat d’affermage au titre de l’article 9 de l’ordonnance au regard des articles 7 et 8, ce qui implique nécessairement que l’acte de délégation entre dans le champ d’application de l’ordonnance. C’est pourtant ce que le Tribunal des conflits nie par ailleurs ». 46 Il faut rappeler que l’article 53 renvoie à l’ensemble des dispositions de l’ordonnance et donc ses règles processuelles.

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aurait pas à distinguer entre les règles de fond et de procédure. Le juge administratif ne pourrait

donc pas appliquer l’article 9.

- Soit le Tribunal opère une révision implicite de l’ordonnance. L’article 53 n’a plus pour

fonction de délimiter son champ d’application mais seulement d’énoncer les activités

contrôlables par le Conseil de la concurrence47. Il devient ainsi une simple règle de conflit de

juridictions. L’activité d’organisation échappant à l’article 53, les autorités du marché sont

incompétentes et le juge administratif peut alors appliquer l’ordonnance.

Cette incohérence tient à une regrettable confusion entre les compétences normative et

contentieuse. Le Tribunal n’a pas su s’affranchir de la conception unitaire de l’ordonnance. Or,

celle-ci ne résulte pas du texte de la loi mais d’une simple interprétation jurisprudentielle et

doctrinale. Le juge des conflits pouvait s’en écarter. Il était libre de distinguer les dispositions

matérielles de l’ordonnance de ses règles procédurales. L’invitation faite au juge administratif

d’appliquer l’article 9 aurait été justifiée.

20. - Les critiques formulées à l’encontre de l’arrêt « ville de Pamiers » ne s’arrêtaient pas à sa

seule incohérence formelle. Certaines allaient même jusqu’à contester son bien fondé. La

solution du Tribunal aurait dépassé les exigences constitutionnelles. La réserve de compétence

administrative consacrée par le Conseil constitutionnel ne portait que sur l’annulation et la

réformation des actes de puissance publique. L’attribution au juge administratif de l’ensemble du

contentieux de la concurrence des actes d’organisation était excessive. Il est vrai que les autorités

du marché peuvent prendre des mesures conservatoires48, ordonner aux intéressés de mettre fin

aux pratiques anticoncurrentielles49 ou infliger des sanctions pécuniaires. Mais elles ne peuvent

annuler un acte contraire à l’ordonnance50. La doctrine considère unanimement que l’article 9

n’est applicable que par le juge du contrat ou de la décision illicites. Dès lors, le Conseil de la

concurrence ne risquait pas d’empiéter sur les pouvoirs exclusifs des juridictions

47 S. BLAZY, « Les actes normatifs des autorités publiques et les règles de concurrence », Gaz. Pal., 1997, 1, Doctr., p.279. 48 Article 12 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986: « Le Conseil de la concurrence peut, après avoir entendu les parties en cause et le commissaire du gouvernement, prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées par le ministre chargé de l’économie, par les personnes mentionnées aux deuxième alinéa de l’article 5 ou par les entreprises ». 49 Article 13 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986: « Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions ». 50 M. BAZEX, note sous T. conflits, 6 juin 1989, AJDA, 1989, p. 467.

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administratives51. Le contentieux de la concurrence, à l’exclusion de tout contrôle de validité,

aurait dû incomber aux seules autorités du marché52. Appliquée à l’affaire « ville de Pamiers »,

cette solution aurait eu pour conséquence un partage des fonctions contentieuses entre le Conseil

de la concurrence et le juge administratif. Au premier, le contrôle de la conformité de l’acte de

dévolution aux articles 7 et 8 de l’ordonnance. Au second, leur annulation en cas d’illégalité.

Ce partage fonctionnel des compétences n’aurait cependant pas été sans effet sur les

prérogatives du juge administratif53. En apparence, les autorités du marché ne se seraient pas

immiscées dans la sphère de compétence des juridictions administratives. Mais en réalité, en

constatant la violation des dispositions de l’ordonnance, elles auraient établi la matérialité de

cette illégalité. La décision du juge administratif risquait de ne plus avoir qu’un effet déclaratif.

L’existence même d’une réserve de compétence administrative était menacée. Un partage

fonctionnel des compétences revenait à priver de son plein effet la décision n°86-224 DC. Une

atteinte indirecte aux principes constitutionnels était à craindre. Le Tribunal des conflits préféra

donc s’en tenir aux règles traditionnelles qui président à la répartition des compétences entre les

ordres de juridictions54. La soumission des personnes publiques au droit de la concurrence n’y

appelle aucune dérogation. Le juge judiciaire ne pouvait en prendre prétexte pour s’immiscer

dans le contentieux des actes de puissance publique.

§ 2 - L’acceptation implicite de la compétence administrative par le juge judiciaire

21. - Le Conseil de la concurrence pouvait aisément se conformer aux exigences du Tribunal

des conflits. Ses décisions respectaient précisément les critères du contentieux administratif. Il

s’était toujours refusé de connaître des actes de puissance publique qui lui étaient déférés. Mais,

tel n’était pas le cas de la Cour de Paris. L’arrêt «ville de Pamiers » infirmait clairement son

51 Conseil de la concurrence, décision n°87-D-42, 14 octobre 1987, relative à une saisine émamant de l’union des acheteurs en criées des Côtes-du-Nord, BOCC du 21 novembre 1987, p.337: « Considérant que le Conseil de la concurrence n’a pas compétence pour procéder à l’annulation d’actes administratifs à caractère réglementaire ni de décisions individuelles prises sur le fondement de tels actes ». 52 En ce sens: J. - Y. CHEROT, art. préc.; M. BAZEX, note. préc. 53 Le Conseil de la concurrence peut notamment prononcer des injonctions. Or, le Tribunal des conflits a jugé que « le pouvoir d’adresser des injonctions à l’administration qui permet de priver les décisions de celle-ci de leur caractère exécutoire, est de même nature que celui consistant à annuler ou réformer les décisions prises par elle dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique », T . conflits, 12 mai 1997, Préfet de police c/Tribunal de grande instance de Paris, Gaz. Pal., 1997 , 1, J, p. 386, concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA. 54 Le critère de distinction entre organisation et fonctionnement du service public utilisé pour régler la répartition des compétences dans le contentieux des services publics industriels et commerciaux et du service public de la justice. Dans ces contentieux les actes relatifs à l’organisation du service restent de la compétence de la juridiction administrative. Voir en ce sens : T. conflits, 15 janvier 1968, Cie Air France c/ Epoux Barbier, Rec. p. 789 ; T. conflits, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, Rec. p. 642.

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interprétation de l’ordonnance. Elle ne pouvait que s’y plier, en s’alignant sur le juge des conflits.

Elle dut ainsi se résoudre à infléchir sa jurisprudence. Elle le fit à l’occasion de l’arrêt

Grandperrin55, mais non sans ambiguïté.

En se déclarant incompétent en l’espèce, le Conseil de la concurrence s’était interdit de

contrôler les conditions du non-renouvellement, par la SNCF, de la concession d’un local qui lui

appartenait56. Saisie en appel, la Cour de Paris a elle aussi refusé d’appliquer l’ordonnance. Mais,

à la différence du Conseil, elle ne s’est pas prononcée sur sa propre compétence. Celui-ci avait

conclu en son incompétence au motif que l’acte litigieux relevait de prérogatives de puissance

publique. Le Conseil en concluait qu’il revenait au juge administratif d’en connaître. Il appliquait

en cela les principes de l’arrêt « ville de Pamiers »57. Or, la Cour de Paris ne s’est pas souciée de

la nature de l’acte attaqué. Elle s’est limitée à en apprécier les effets sur le marché: «

Considérant toutefois que les conventions par lesquelles, elle (la SNCF) choisit les entreprises

chargées de fournir les services s’incorporant à sa propre activité n’ont pas en elles-mêmes pour

objet de fausser le jeu de la concurrence sur les marchés spécifiques concernés; qu’en l’espèce il

n’est pas soutenu que la convention litigieuse ait eu un quelconque effet sur le marché de la

croissanterie ». S’inspirant pour partie des termes mêmes de l’arrêt « ville de Pamiers », la Cour

exclut l’application de l’ordonnance au contrat de concession. Elle y parvient après avoir

envisagé ses incidences sur la concurrence. Elle relève que l’acte n’est pas susceptible en lui-

même de fausser la concurrence et surtout qu’aucun effet anticoncurrentiel n’a été allégué par les

parties. La Cour en conclut « qu’en conséquence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les

moyens tirés de son caractère administratif , le contrat (...) ne tombe manifestement pas sous le

coup de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ». Le contrat litigieux étant sans effet

sur la concurrence, il n’y a pas lieu de s’interroger plus longtemps sur l’application de

l’ordonnance. Celle-ci ne trouvant pas à s’appliquer, il importe peu dès lors de se prononcer sur

la juridiction compétente.

Ce raisonnement permet à la Cour de ne pas devoir se déclarer incompétente. En statuant sur

le fond du droit avant même d’avoir apprécié la recevabilité du recours, elle élude une question

bien dérangeante. Les principes de la procédure civile enseignent pourtant qu’une juridiction ne

peut se prononcer sur le fond qu’après s’être reconnue compétente. L’examen de la nature de

55 C. A. Paris, 31 octobre 1991, D., 1992, J., p. 312. 56 Conseil de la concurrence, décision n°91-D-20, 24 avril 1991, relative à une saisine de Madame Yvette Grandperrin, BOCC du 11 mai 1991, p. 133. 57 V. SELINSKY, note sous C.A. Paris, 31 octobre 1991, aff . préc., D, 1992, J, p. 312.

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l’acte attaqué était un préalable nécessaire. D’autant plus que les parties le demandaient. A

l’instar du Conseil de la concurrence, la Cour d’appel aurait ainsi pu rejeter le recours sans même

statuer sur son bien fondé. Mais, cela revenait à accepter les principes de l’arrêt « ville de

Pamiers ». Une telle solution aurait signifié un abandon total de l’arrêt SAEDE. La Cour ne

pouvait s’y résigner aussi promptement. Elle n’osait toutefois s’opposer ouvertement au

Tribunal.

22. - L’arrêt Grandperrin peut être considéré comme une acceptation implicite de la

compétence des juridictions administratives. Saisie d’un acte de puissance publique, la Cour ne

s’est certes pas déclarée incompétente mais elle a confirmé la décision d’irrecevabilité rendue par

le Conseil de la concurrence en estimant qu’il n’y avait pas, en l’espèce, d’atteinte à la

concurrence. Or, cette solution n’est pas restée isolée. Dans l’affaire du « port de

Gennevilliers », la Cour de Paris a ainsi confirmé une décision d’irrecevabilité du Conseil de la

concurrence rendue à propos d’une concession de domaine public. Le Conseil avait été saisi de

pratiques anticoncurrentielles reprochées à un groupement d’intérêt économique concessionnaire

de parcelles du domaine public portuaire. Celui-ci pouvait autoriser des entreprises à occuper les

parcelles qui lui avaient été concédées en vue d’exploiter un terminal de conteneurs. La société

requérante arguait de ce que certaines conditions purement commerciales prévues au contrat de

sous-concession et détachables des modalités d’organisation du service public, avaient pour effet

de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Il s’agissait essentiellement de stipulations

relatives à l’activité de manutention des conteneurs dont le GIE s’était réservé l’exercice. Or, la

manutention de conteneurs faisant partie de la concession de domaine public accordée au GIE, la

Cour d’appel et la Cour de cassation en ont conclu que « le fait que ce dernier se soit réservé

l’usage de cette prestation ne pouvait avoir un caractère anticoncurrentiel »58. A la différence

du Conseil de la concurrence59, le juge judiciaire ne s’est pas déclaré incompétent au motif que la

demande portait, en réalité, sur un acte d’occupation du domaine public. Il a simplement

considéré qu’il n’y avait pas, en l’espèce, d’atteinte à la concurrence.

Depuis lors, le juge judiciaire s’est très largement aligné sur la position du Conseil de la

concurrence. Il a notamment jugé que la décision prise par le gestionnaire du domaine public de

58 Cass. com., 29 mars 1994, BOCC du 4 mai 1994, p. 165. 59 Le Conseil de la concurrence a ainsi déclaré la saisine irrecevable et rejeté la demande de mesures conservatoires au motif que l’acte par lequel le GIE avait autorisé une entreprise à occuper une partie du domaine public est une décision relative à l’organisation du service qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

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soumettre l’exploitation de distributeurs automatiques dans le périmètre du marché de Rungis à

une convention d’installation et à une redevance « constitue un acte de gestion du domaine

public (…) dont l’appréciation de la légalité relève du juge administratif »60. C’est donc du fait

de leur incompétence que les autorités du marché n’ont pas appliqué l’ordonnance et non en

raison de l’absence d’effets anticoncurrentiels de la décision contestée.

23. - Malgré les clivages doctrinaux, les autorités de la concurrence semblent avoir accepté le

principe de l’arrêt « ville de Pamiers ». Mais, le juge des conflits ne pouvait pas se limiter à

affirmer la compétence exclusive du juge administratif sur les actes de puissance publique. Il

devait désormais l’organiser dans le respect des missions imparties aux autorités du marché.

L’équilibre du contentieux de la concurrence en dépendait.

Chapitre 2 : Le partage des compétences entre le juge administratif et les autorités du marché

24. - Le Tribunal des conflits s’efforça d’établir des rapports équilibrés entre le juge

administratif et les autorités du marché. Il préconisa un partage matériel des compétences dans le

traitement du contentieux de la concurrence61. Une même affaire peut en effet impliquer des

actes administratifs et des comportements d’entreprise directement ou indirectement imputables

à l’administration. Il s’agit de les distinguer en vue d’attribuer les actes au juge administratif et

les pratiques aux autorités du marché. Cette répartition des compétences a permis une

coexistence apaisée entre les ordres de juridictions (Section 1). Mais elle semble désormais

appelée à évoluer (Section 2).

60 Cass. com., 16 mai 2000, D., 6 juillet 2000, J., p. 315. Pour un précédent, V. notamment, Cass. com., 14 décembre 1993, Dr. adm., août-septembre 1994, p. 1.En l’espèce, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi formé à l’encontre d’un arrêt d’appel confirmant une décision d’irrecevabilité du Conseil de la concurrence. Elle s’est fondée exclusivement sur le caractère administratif de la décision contestée. Mais, cet arrêt témoigne surtout des incertitudes de la jurisprudence judiciaire. En effet, dans l’affaire « Port de Gennevilliers », qui lui est pourtant postérieure, le juge judiciaire a préféré s’inspirer de la solution dégagée à l’occasion de l’affaire Grandperrin. Il a ainsi statué sur le fond du droit alors même qu’il aurait du se déclarer incompétent. 61 V., A. GUEDJ, « Juge administratif, juge judiciaire et Conseil de la concurrence », LPA, 27 avril 2000, n°84, p. 4 ; N. CHARBIT, « Secteur public et droit de la concurrence », Joly édition, Pratique des affaires, 1999, p. 27 et s.

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Section 1 - Une répartition des compétences qui se voulait équilibrée

25. - Les comportements d’entreprise qui accompagnent les actes de puissance publique en

sont souvent dissociables (§1). Mais ils leur sont parfois tellement attachés qu’ils en deviennent

inséparables (§2).

§ 1 - Le critère de la détachabilité

26. - Les actes de puissance publique s’intègrent nécessairement dans un ensemble de

comportements aux incidences multiples sur le marché. Ceux-ci peuvent s’en détacher

suffisamment pour qu’il soit possible de les faire échapper à la juridiction des tribunaux

administratifs. Ils retombent alors sous l’emprise des autorités de la concurrence. C’est

implicitement ce qu’a jugé le Tribunal des conflits dans son arrêt CAMIF du 4 novembre 199162:

« dès l’instant que la demande ne vise pas à contester la légalité d’actes administratifs relatifs à

la nature, l’organisation et les conditions d’exploitation de ce dernier organisme (UGAP), mais

tend seulement à obtenir réparation du préjudice causé par ces pratiques commerciales, elle

ressort de la compétence du juge judiciaire »63. Les pratiques entourant les actes de puissance

publique en sont a priori détachables . Elles échappent ainsi au juge administratif et relèvent du

Conseil de la concurrence. Leur contrariété à l’ordonnance ne risque pas d’affecter la légalité

d’un acte administratif. Il en résulte un partage matériel des compétences. Les juridictions

administratives connaissent de la légalité des actes de puissance publique. Parallèlement, les

autorités du marché contrôlent la conformité à l’ordonnance des pratiques qui leur en sont

dissociables.

27. - Cette distinction est apparue clairement à l’occasion de l’affaire Guy Couach Plascoa.

Confirmant la décision du Conseil de la concurrence64 et l’arrêt de la Cour de Paris65 en ce qu’ils

avaient considéré que « la fourniture d’une vedette par la Direction des constructions navales de

62 T. conflits, 4 novembre 1991, CAMIF, Rec. p. 476. 63 Dans une autre affaire, le juge des conflits a jugé que si l’acquisition d’un logiciel par la LNF auprès d’une société informatique peut être regardée comme une convention passée entre personnes privées, la décision d’unifier, par ce logiciel, la billetterie des clubs professionnels constitue une prérogative de puissance publique. Il en a déduit que les autorités du marché pouvaient légitimement connaître de cette convention en raison de sa détachabilité ; T. conflits, 4 novembre 1996, Sté Datasport c/ Ligue nationale de football, JCP, 1997, II, 22802. 64 Conseil de la concurrence, décision n°91-D-25, 29 mai 1991, 29 mai 1991, Sté Guy Couach Plascoa, Dr. adm. novembre 1991, n°471 p. 6. 65 C. A. Paris, 6 novembre 1991, BOCC du 26 novembre 1991, p. 316.

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Lorient en réponse à un appel d’offres constitue un acte de production qui relève de l’article 53

de l’ordonnance », la Cour de cassation a toutefois tenu à préciser que la « décision

administrative par laquelle le ministre, à l’issue d’une procédure d’ouverture des plis faite en

application des dispositions du Code des marchés publics, attribue le marché à un des

soumissionnaires, relève de la compétence de la juridiction administrative »66.

Les autorités de la concurrence ont confirmé, depuis lors, cette solution. La Cour de Paris a

ainsi estimé que les pratiques liées à l’activité de distribution de carburéacteur sont

indépendantes des contrats d’occupation du domaine public et de concession de service public67.

De même, les activités de location de véhicules exercées sur un aéroport se distinguent de

l’autorisation d’occupation du domaine public68. Un accord de parrainage publicitaire conclu

entre la société Adidas et la L.N.F. doit être regardé comme détachable des dispositions du

règlement de la Ligue69. La Cour d’appel de Paris a jugé, plus récemment, que les moyens tirés

de la nature administrative de certains contrats sont sans incidence sur l’examen des pratiques

reprochées à E.D.F. à l’occasion de l’achat d’électricité à des producteurs autonomes70. Le

Conseil de la concurrence s’est déclaré compétent pour connaître de pratiques concernant

l’élaboration, par le groupe Decaux, de conventions comportant des clauses-types tendant à

étendre abusivement la durée des contrats administratifs conclus par les collectivités locales71.

Enfin, alors même que les décisions de l’Agence française du sang revêtent un caractère

administratif dont l’appréciation de la légalité ne relève que de la juridiction administrative, le

Conseil a reconnu sa compétence sur les pratiques ayant consisté, pour un centre de transfusion

sanguine, à cesser ses livraisons de produits sanguins à usage thérapeutique72.

En revanche, toute répartition des compétences est écartée lorsque les pratiques reprochées se

confondent avec une décision administrative. Les autorités du marché risquent alors de connaître

indirectement de la légalité d’un acte de puissance publique. Ces agissements, inséparables des

actes qui les ont engendrés, doivent échapper aux autorités de la concurrence.

66 Cass. com., 14 décembre 1993, aff. préc. 67 C. A. Paris, 6 juillet 1994, BOCC du 29 juillet 1994, p. 299. 68 Conseil de la concurrence, décision n°95-MC-16 du 5 décembre 1995, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les sociétés EDA et Générale de location marseillaise, BOCC du 28 février 1996, p. 72; Conseil de la concurrence, décision n°96-MC-01, 16 janvier 1996, relative à une demande de mesures conservatoires présentées par la société EDA, BOCC du 16 mars 1996, p. 105. 69 Conseil de la concurrence, décision n°97-D-71, 7 octobre 1997, relative à une saisine par les société Asics France et autres, BOCC du 31 décembre 1997, p. 894. 70 C. A. Paris, 27 janvier 1998, BOCC du 17 février 1998, p. 54. 71 Conseil de la concurrence, décision n°98-D-52, 7 juillet 1998, relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain, BOCC du 7 octobre 1998, p. 582. 72 Conseil de la concurrence, décision n°99-MC-03, 1er décembre 1999, relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentée par la SARL Reims Bio, BOCC du 20 mars 1999, p. 106.

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§ 2 - Le critère de l’indivisibilité

28. - Il existe des actes et des pratiques tellement liés qu’ils deviennent indivisibles. Ils

justifient alors une exception au principe de la répartition matérielle des compétences. Cette

dérogation ne profite qu’au juge administratif. Elle vise en réalité à préserver son domaine de

compétence. Il s’agit d’éviter que les autorités du marché ne puissent se prononcer sur des actes

de puissance publique sous couvert de l’examen de pratiques anticoncurrentielles. Une telle

préoccupation avait d’ailleurs inspiré le Tribunal des conflits dans son arrêt « ville de Pamiers ».

La société requérante se plaignait d’une collusion entre les conseillers municipaux et le

concurrent retenu. Elle y voyait une entente prohibée par l’ordonnance. Ces allégations visaient

en fait le contrat d’affermage conclu entre la commune et le délégataire. Il était l’indice et le

résultat d’une telle entente. Les agissements dénoncés et la convention qui en résultait étaient

pratiquement indissociables, alors même que les faits reprochés se distinguaient

intellectuellement du contrat d’affermage. Leur proximité était telle, que le Tribunal ne pouvait

concevoir un partage des compétences entre le juge administratif et les autorités du marché. Il

attribua compétence aux juridictions administratives en considérant que par-delà les pratiques

alléguées, seul l’acte était visé73. Elles participaient de l’acte et en devenaient indissociables.

29. - Le critère de l’indivisibilité a été récemment réaffirmé par le Tribunal des conflits dans

l’arrêt Aéroports de Paris (ADP) du 18 octobre 199974. A l’occasion de la réorganisation des

aérogares de Paris-Orly, ADP avait procédé à une réaffectation des locaux destinés aux

compagnies aériennes. Certaines d’entre elles ont alors reproché à Aéroports de Paris de s’être

concerté avec le groupe Air France. Le Conseil de la concurrence s’est déclaré compétent au

motif qu’Aéroports de Paris assurait des services d’assistance en escale et la fourniture

d’installations aéroportuaires constituant des activités économiques entrant dans le champ de

l’ordonnance du 1er décembre 198675. Saisie d’un déclinatoire de compétence, la Cour de Paris a

73 « Dès lors que l’allégation des pratiques anticoncurrentielles (…) ne tend en réalité qu’à faire échec à l’exécution de la décision d’un établissement public prise dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique, la demande ressortit aux juridictions de l’ordre administratif ». 74 T. conflits, 18 octobre 1999, Préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris c/ Cour d’appel de Paris, Aéroports de Paris et Air-France, AJDA, 1999, p. 1029. 75 Conseil de la concurrence, décision n°98-D-34, 2 juin 1998, relative à des pratiques mises en oeuvre par Aéroports de Paris dans le secteur de l’hôtellerie à la périphérie de l’aéroport de Paris Roissy-Charles-de-Gaulle, BOCC 20 mars 1999, p. 101. En l’espèce, le Conseil de la concurrence avait notamment été saisi d’une demande de l’APHPAR (une association d’hôtelliers) reprochant à Aéroports de Paris de favoriser l’accès aux seuls hôtels avec

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confirmé la décision du Conseil de la concurrence76. Le conflit a alors été élevé devant la haute

juridiction.

Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement a contesté le bien fondé de l’arrêt de

la Cour d’appel en ce qu’il estimait que le litige ne portait pas directement sur l’appréciation de

la légalité d’un acte administratif77. Selon lui, les consultations préparatoires entre Aéroports de

Paris et le groupe Air France étaient inséparables de la décision de regrouper les compagnies par

aéroport. Celle-ci émanait d’un établissement public agissant sous la tutelle du ministre des

transports. Il s’agissait donc d’un acte administratif portant sur la gestion du domaine public

aéroportuaire. Les autorités du marché ne pouvaient manquer d’en apprécier la validité, dès lors

qu’elles s’intéressaient à ses modalités d’élaboration et à ses effets. L’examen des pratiques

situées en amont ou en aval d’un acte de puissance publique ne peut se faire en occultant

totalement l’acte lui-même. Le commissaire du gouvernement en a conclu que le Conseil de la

concurrence et la Cour d’appel avaient outrepassé leurs compétences en s’immiscant dans le

contrôle de la légalité d’un acte administratif.

Dans son arrêt, le Tribunal des conflits a suivi les conclusions du commissaire du

gouvernement. Il a ainsi rappelé que la décision de regrouper les installations des compagnies

aériennes et le refus d’autoriser certains opérateurs à ouvrir de nouvelles lignes participaient de

la gestion du domaine public. Or, la concertation reprochée à ADP était indissociable de la

décision de réorganiser les aérogares d’Orly. Dès lors, le juge administratif était seul compétent

pour connaître du litige, cette décision constituant l’usage de prérogatives de puissance publique.

Le critère de l’indivisibilité trouvait à s’appliquer, les pratiques alléguées n’étant pas détachables

d’une mesure d’organisation du domaine public. Mais, tel n’était pas le cas de l’obligation faite

aux compagnies aériennes d’utiliser le personnel d’Aéroports de Paris pour bénéficier des

services d’assistance en escale. Le juge des conflits attribua compétence aux autorités du marché

au motif que les pratiques invoquées étaient, ici, effectivement détachables de l’appréciation de

la légalité d’un acte administratif78.

lesquels ont été conclues des conventions d’occupation du domaine public en excluant toutes indications ou signalisations susceptibles d’orienter les passagers vers les hôtels installés à proximité, mais en dehors de son domaine public. ADP a refusé à l’APHPAR l’accès à une signalisation implantée dans l’aérogare ou à la sortie de l’aérogare indiquant aux voyageurs les points de passage de leurs navettes. 76 C.A. Paris, 23 février 1999, BOCC du 18 février 2000, p. 65. 77 M. SCHWARTZ, concl . sous T. conflits, 18 octobre 1999, CJEG, janvier 2000, p. 18. 78 La Cour d’appel de Paris a pris acte de l’arrêt du Tribunal des conflits en annulant la décision du Conseil de la concurrence quant à la réorganisation des aérogares: C. A. Paris, 14 mars 2000, Contrats-conc.-consom., mai 2000, p. 22.

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30. - La décision du Tribunal des conflits repose sur l’application conjointe des critères de la

détachabilité et de l’indivisibilité. Elle illustre parfaitement la répartition des compétences issue

de l’arrêt « ville de Pamiers ». Certains auteurs lui ont toutefois reproché de malmener gravement

le droit de la concurrence et de créer une impunité totale des acteurs économiques, publics ou

privés, ayant eu l’intelligence de faire entériner par une décision administrative leur entente

anticoncurrentielle79. De telles affirmations sont toutefois exagérées. L’incompétence des

autorités du marché ne signifie pas que le droit de la concurrence ne puisse pas s’appliquer. Le

juge de l’administration pourrait ainsi annuler un acte de puissance publique de nature à

renforcer les effets d’une entente prohibée. Si l’arrêt du Tribunal des conflits a été critiqué, c’est

surtout en raison de ses implications sur le domaine de compétence des autorités du marché.

Celles-ci se sont parfois déclarées compétentes sans se soucier de l’existence de prérogatives de

puissance publique. Le Conseil de la concurrence n’a pas hésité à assimiler la gestion du

domaine public à une activité économique en considérant par sa décision n°98-D-77 du 15

décembre 1998 qu’«alors même que la décision par laquelle Aéroports de Paris accorde ou

refuse une autorisation d’occupation du domaine public ou un service dont la prestation

implique l’utilisation d’une partie du domaine public revêt le caractère d’un acte administratif

dont l’appréciation de la légalité ne relève que de la juridiction administrative, cette décision

n’en est pas moins prise en l’espèce par Aéroports de Paris en vue d’exercer une activité de

production, de distribution ou de services au sens de l’article 53 de l’ordonnance du 1er

décembre 1986 ». De même, dans l’affaire ADP relative à la réorganisation des aérogares de

Paris-Orly, la Cour d’appel a jugé qu’« Aéroports de Paris exerce une activité de services, de

nature économique telle que celles visées par l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre

1986, peu important au regard de ce texte, qui fait expressément entrer dans son champ

d’application les activités de production, de distribution et de services émanant des personnes

publiques, que le gestionnaire soit investi de prérogatives de puissance publique ou gère une

partie du domaine public ». Or, les autorités du marché ne pouvaient éviter de se prononcer sur

la validité d’un acte administratif dès lors qu’elles se déclaraient compétentes pour connaître de

pratiques liées à la gestion du domaine public. Dans sa décision n°98-D-77 du 15 décembre

1998, le Conseil de la concurrence a ainsi constaté l’illégalité d’une mesure d’organisation en

enjoignant à Aéroports de Paris d’en adopter une nouvelle conformément à la demande de

79V. notamment, P. SARGOS, « Le droit de la concurrence gravement malmené », Le Monde, 15 décembre 1999, p. 17 ; pour une critique moins virulante, M. BAZEX, note sous T. conflits, 18 octobre 1999, AJDA, 1999, p.1030 ; A. LOUVARIS, note sous T. conflits, 18 octobre 1999, D, 2000, J, p.607.

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l’association requérante80. De telles solutions ne pouvaient conduire les autorités de la

concurrence qu’à empiéter sur la compétence du juge administratif. Le Tribunal des conflits s’est

donc limité à restaurer la réserve de compétence des juridictions administratives. Il a d’ailleurs

été suivi par le Conseil de la concurrence qui s’est fondé sur l’arrêt ADP pour déclarer que « les

décisions qui se rattachent à la gestion du domaine public constituent l’usage de prérogatives de

puissance publique » et échappent, de ce fait, à sa compétence81. Mais, les autorités du marché

restent libres d’appliquer l’ordonnance aux pratiques qui sont effectivement détachables de

l’appréciation de la légalité d’un acte de puissance publique. La Cour de Paris a ainsi récemment

jugé que la mise à disposition de moyens de signalisation à des opérateurs privés afin d’informer

les usagers de leur existence et de leur localisation à proximité d’un aéroport, contre redevance,

constitue une activité économique ne relevant pas de prérogatives de puissance publique82.

31. - Le critère de l’indivisibilité permet de faire échapper à la compétence des autorités du

marché les modalités d’élaboration et les effets d’un acte administratif. Ceux-ci intervenant tant

en amont qu’en aval de l’acte lui-même, ils en constituent à la fois l’origine et le résultat. En les

qualifiant de pratiques d’entreprise, le Conseil de la concurrence serait nécessairement amené à

examiner le contenu de l’acte de puissance publique. Or, cela serait contraire à la répartition des

compétences entre le juge administratif et les autorités du marché telle qu’issue de la

jurisprudence du Tribunal des conflits.

Si le principe reste la détachabilité des pratiques et des actes, l’exception consiste en leur

indivisibilité. La répartition matérielle des compétences voulue par le Tribunal des conflits

trouve ainsi un certain équilibre, bien que celui-ci ne soit pas intangible.

Section 2 - Une répartition des compétences qui serait appelée à évoluer

32. - Le partage de compétences entre le juge administratif et les autorités du marché serait

sujet à une double évolution. D’une part, l’émergence d’une véritable coopération

juridictionnelle favoriserait leur rapprochement (§1). D’autre part, certains auteurs ont pu déceler

80 « Dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, Aéroports de Paris fera à l’APHAR des propositions de nature à répondre à sa demande de signalisation des points d’arrêts des navettes desservant les hôtels de la périphérie ». 81 Conseil de la concurrence, décision n°99-D-72, 1er décembre 1999, relative à une saisine de la société 3MCE, BOCC du 31 janvier 2000, p. 27. 82 C. A. Paris, 8 février 2000, JCP éd. E, 2000, pan., p. 393.

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dans la jurisprudence récente du Tribunal des conflits l’amorce d’une redistribution des

compétences. Celle-ci demeure toutefois bien incertaine (§2).

§ 1 - Vers une véritable collaboration entre les instances

33. - Au-delà de la simple répartition des compétences contentieuses entre les juridictions

judiciaire et administrative, le Tribunal des conflits oeuvre en faveur d’une véritable

collaboration juridictionnelle. L’application uniforme du droit de la concurrence ne peut en effet

tolérer des jurisprudences par trop discordantes. Le juge répartiteur a ainsi invité les autorités

concernées à user de la technique traditionnelle de la question préjudicielle83. Dans l’arrêt

Chronopost84, le Tribunal a notamment déclaré « que ce litige, qui ne met pas en cause l’exercice

des prérogatives de puissance publique du service postal, ressortit à la compétence des

juridictions de l’ordre judiciaire, sous réserve d’éventuelles questions préjudicielles sur

l’appréciation de la légalité d’actes administratifs relatifs à l’organisation et aux conditions

d’exploitation de ce service »85. Cette solution est conforme à l’interprétation donnée par les

juridictions judiciaires de l’article 49 du nouveau Code de procédure civile86. La Cour de

cassation a en effet jugé que l’interprétation et le contrôle de la légalité des actes administratifs

individuels relèvent de la seule compétence des juridictions administratives87.

34. - Le Conseil d’Etat, lui-même, n’a pas hésité à saisir pour avis, par deux fois, le Conseil de

la concurrence88. Ces décisions n’ont rien de bien singulier, puisque l’article 26 alinéa 2 de

l’ordonnance organise une telle saisine89. Mais elles témoignent d’un assouplissement de la

83 La compétence du juge administratif saisi par voie d’exception au titre d’une question préjudicielle est cependant critiquée par une partie de la doctrine. V. notamment, Y. LAIDIE, « Brèves observations sur les difficultés de la dévolution du contentieux de la concurrence », RFDA, mai-juin 2000, p. 567. 84 T. conflits, 19 janvier 1998, Préfet de la région d’Ile-de-France c/ Tribunal de commerce de Paris et autre, D.,1998, J., p.329., concl. J. ARRIGHI DE CASANOVA. Pour un exemple de question préjudicielle, V. CE, 3 novembre 1997, aff. préc. 85 Etait en cause le fait de savoir si l’assistance logistique et commerciale consentie par la Poste à SFMI et Chronopost, sans contrepartie sérieuse, constituait une aide d’Etat et si les sociétés en question avaient commis des actes de concurrence déloyale. 86 « Toute juridiction saisie d’une demande de sa compétence connaît, même s’ils exigent l’interprétation d’un contrat, de tous les moyens de défense à l’exception de ceux qui soulèvent une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction ». 87 Civ. 1ère, 16 avril 1953, JCP,1954, J., II. 7617. 88 C. E., 15 mars 2000, CEGEDIM, Dr. adm, avril 2000, p. 13; C. E. Sect ., 26 mars 1999 Sté Hertz France et autres, Sté EDA, AJDA, 1999, p. 434. 89Article 26 alinéa 2 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986: « Le Conseil peut être consulté par les juridictions sur les pratiques anticoncurrentielles définies aux articles 7, 8 et 10.1 et relevées dans les affaires dont elles sont saisies ».

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position du juge administratif. Ne craignant plus pour le respect de ses compétences, il lui

apparaît désormais concevable de bénéficier du concours du Conseil de la concurrence. Il aurait

été regrettable de se priver plus longtemps de la compétence technique d’une telle autorité.

Cette consultation du Conseil de la concurrence n’a pas simplement des implications

techniques. Elle annonce surtout l’avénement d’une répartition fonctionnelle des compétences

entre les autorités du marché et les juridictions administratives. Les premières seraient

consultées sur la conformité des actes contestés aux articles 7 et 8 de l’ordonnance. Les secondes

pourraient seules les annuler en vertu de l’article 9 de l’ordonnance. S’il est vrai que l’avis rendu

par le Conseil ne liera pas le juge administratif, celui-ci s’en inspirera très largement. Le contrôle

exercé par les juridictions administratives pourrait donc devenir purement formel.

35. - Une telle évolution reste toutefois hypothétique. A ce jour, la coopération

juridictionnelle permet essentiellement de préserver l’unité du droit de la concurrence. Mais

désormais, cette unité se veut plus modeste dans son expression. Il n’est plus question d’édifier

un ordre juridique économique ou d’appliquer un droit uniforme sous l’autorité d’une juridiction

unique. Il s’agit avant tout d’une unité conceptuelle, de donner un sens identique aux notions de

marché, de concurrence ou d’activité. L’objectif est d’éviter l’émergence de conceptions

autonomes ou contradictoires. Cette unité minimale ne saurait toutefois empêcher la persistance

des clivages historiques. Ceux-ci pourraient d’ailleurs être accentués par une récente décision du

Tribunal des conflits.

§ 2 - Vers une éventuelle redistribution des compétences

36. - La répartition des compétences entre le juge administratif et les autorités du marché

repose sur la distinction des actes de puissance publique et des pratiques d’entreprise. Le juge de

l’administration connaît ainsi des actes, les pratiques relevant du Conseil de la concurrence.

Certaines pratiques indétachables d’un acte de puissance publique peuvent certes échapper à la

compétence des autorités du marché. Mais, elles se confondent tellement avec l’acte considéré

qu’elles n’en sont plus que le prolongement ou l’accessoire. L’allégation de pratiques

anticoncurrentielles n’est alors qu’un prétexte en vue de faire échec à l’exécution d’une décision

administrative. Le critère de l’indivisibilité révèle l’acte caché derrière les pratiques reprochées

en attribuant compétence au juge administratif. Il s’agit d’un simple correctif à la répartition

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matérielle des compétences. Il en irait différemment si les juridictions administratives pouvaient

connaître de pratiques indissociables de prérogatives de puissance publique mais qui ne se

confondraient pas pour autant avec un acte administratif. Le partage des compétences dans le

contentieux de la concurrence en serait modifié. Il ne suffirait plus simplement de distinguer les

actes administratifs des pratiques d’entreprise. Il conviendrait aussi d’opposer les pratiques

d’entreprise à celles résultant de l’usage de prérogatives de puissance publique.

37. - Une telle redistribution des compétences pourrait s’inspirer, pour partie, du raisonnement

adopté par le Tribunal des conflits dans l’arrêt ADP du 18 octobre 1999. Les autorités du marché

s’étaient déclarées compétentes pour examiner des pratiques anticoncurrentielles imputées à

Aéroports de Paris. Le juge des conflits a annulé l’arrêt de la Cour d’appel au motif que certaines

de ces pratiques ne pouvaient être dissociées de l’appréciation directe de la légalité d’un acte

administratif. Le Tribunal s’est limité à appliquer le critère de l’indivisibilité, les pratiques

alléguées se confondant avec des actes de puissance publique. Le litige portait donc

nécessairement sur la validité de mesures d’organisation du domaine public. Mais, la formulation

de l’arrêt amène à considérer que le juge des conflits n’a pas vu dans les pratiques alléguées un

simple prétexte afin de contester la légalité d’actes administratifs devant les autorités du marché.

Plus précisément, il n’a pas nié que le litige portait tant sur les pratiques que les actes eux-

mêmes. Il a simplement déclaré que les pratiques relevées par le Conseil de la concurrence

étaient « en réalité indissociables de la réorganisation des aérogares d’Orly décidée par

l’établissement public puis approuvée (…) par le ministre ». Par extrapolation, le Tribunal des

conflits pourrait ainsi admettre l’existence de pratiques indétachables des prérogatives de

puissance publique mais matériellement distinctes d’un acte administratif déterminé. La gestion

du domaine public relevant de prérogatives de puissance publique, l’activité du gestionnaire

serait contrôlée par le juge de l’administration chargé de lui appliquer le droit de la concurrence.

Il ne lui appartiendrait plus simplement de vérifier la légalité d’un acte mais de sanctionner des

pratiques anticoncurrentielles commises dans l’exercice d’une activité de puissance publique. La

compétence contentieuse dévolue au juge administratif respecterait ainsi la logique matérielle de

l’ordonnance conçue pour s’appliquer aux activités des personnes privées ou publiques dès lors

qu’elles sont susceptibles de fausser la concurrence.

38. - Cette redistribution des compétences exigerait cependant de modifier les fonctions

exercées par le juge administratif dans le contentieux de la concurrence. Il ne serait plus saisi de

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recours pour excès de pouvoir mais de recours de pleine juridiction lui permettant d’indemniser

les requérants. Il devrait aussi se voir accorder un véritable pouvoir de sanction pécuniaire à

l’instar du Conseil de la concurrence. Certaines réformes procédurales seraient ainsi nécessaires

afin de rapprocher le contrôle effectué par les juridictions administratives de celui accompli par

les autorités du marché. Mais, cela nécessiterait l’intervention préalable du législateur90.

39. - Il est désormais avéré que les actes de puissance publique échappent aux dispositions

procédurales de l’ordonnance. Cela n’implique pas pour autant qu’ils se voient appliquer un

régime dérogatoire au droit commun de la concurrence. La jurisprudence admet ainsi, en

principe, l’inclusion de ces actes dans le champ des règles matérielles de l’ordonnance.

Titre II : L’inclusion des actes administratifs dans le champ des règles matérielles

40. - L’applicabilité aux actes de puissance publique des règles de fond issues de l’ordonnance

a fait l’objet de vives controverses doctrinales. Les auteurs se sont principalement intéressés à la

portée de l’article 53, censé déterminer le champ d’application du droit français de la

concurrence. Quels que soient leurs mérites, aucune des conceptions proposées n’a permis

d’apporter de réponse véritablement décisive (Chapitre 1). Seule la jurisprudence administrative

pouvait le faire. Malgré certaines hésitations, elle y est parvenue en s’écartant quelque peu de

l’article 53 (Chapitre 2).

Chapitre 1 : Des doctrines controversées

41. - La doctrine a formulé deux interprétations91 opposées de l’article 53. La conception

restrictive réservait l’applicabilité de l’ordonnance aux seuls opérateurs économiques (Section 1)

tandis que l’interprétation extensive l’étendait à la puissance publique (Section2).

90 Il est à noter que le Conseil d’Etat n’a pas hésité à enjoindre à un établissement public de résilier des conventions d’occupation domaniale. V. C.E. Sect., 26 mars 1999, Sté Hertz, France, Rec. p. 95. 91 Sur les interprétations en droit de la concurrence, V., G. LHUILIER, « Le critère jurisprudentiel d’application du droit de la concurrence », RTD com., 1994, p. 645.

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Section 1 La conception restrictive ou l’applicabilité de l’ordonnance aux opérateurs économiques

42. - La conception restrictive92 de l’article 53 reposait sur des interprétations littérale (§ 1),

politique (§ 2) et systématique (§ 3).

§ 1 - L’interprétation littérale

43. - L’ordonnance du 1er décembre 1986 régit toute activité de production, de distribution et

de services. Tel est du moins ce qui ressort de l’article 53. Le champ du droit français de la

concurrence est donc vaste mais reste circonscrit. En effet, quelle que soit la généralité de

l’article 53, il n’envisage pas l’ensemble des activités économiques. Le législateur n’a donc pas

entendu saisir toutes les atteintes à la concurrence93. Il existe ainsi des limites à l’applicabilité de

l’ordonnance, tout ce qui n’y est pas expressément visé devant y échapper. Son champ

d’application peut être défini a contrario. Plutôt que de rechercher ce que sont réellement les

activités de production, distribution ou services, certains auteurs ont proposé de ne s’intéresser

qu’à celles qui n’en sont pas94. Tel serait le cas de l’activité normative. L’édiction d’actes

réglementaires ou individuels ne pourrait s’analyser en une activité de production, de

distribution et de services. Il en irait de même de l’organisation des services ou du domaine

public. Les actes de puissance publique relèveraient ainsi d’activités étrangères à l’article 53. Ils

ne pourraient donc se voir appliquer l’ordonnance.

44. - L’interprétation littérale préconisait l’exclusion des actes de puissance publique du droit

français de la concurrence au motif qu’ils ne seraient pas rattachables à une activité visée à

l’article 53. Certes, tel est le cas des actes normatifs. L’activité réglementaire n’est pas réductible

à de simples comportements économiques. Mais, il n’en va pas de même des mesures

d’organisation. Elles sont censées relever de l’activité d’organisation du service ou du domaine

public. Or, cette notion est artificielle et surtout étrangère au droit de la concurrence.

La conclusion d’un contrat de concession du service public ou d’occupation du domaine

public n’est jamais une fin en soi. Ces actes ne sont que des instruments juridiques visant à

92 V. en ce sens, P. TERNEYRE, « Le droit applicable aux conventions de délégation de service public : quelques précisions du Conseil d’Etat », note sous C.E., 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux, RFDA, mars-avril 1994, p. 252. 93 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX, art. préc. 94 D. BERLIN, « L’article 53 de l’ordonnance n°86-1243 vrais problèmes -fausses solutions », Rev. conc., cons, mars-avril, 1997, p. 52.

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réaliser une activité économique qui intéresse tant le délégant que son délégataire. D’ailleurs, le

délégant profite souvent directement de la rentabilité financière des activités du délégataire95.

Dès lors, les mesures d’organisation participent bien d’une activité de production, distribution ou

services. Elles entrent de ce seul fait dans le champ de l’ordonnance. L’autonomie juridique de

l’activité d’organisation du service ou du domaine public en ressort affaiblie96.

45. - La notion d’organisation du service est, en outre, étrangère à la logique matérielle de

l’ordonnance. Elle renvoie à la distinction opérée par le Tribunal des conflits entre l’organisation

et le fonctionnement des services publics industriels et commerciaux97. En vertu d’une

jurisprudence constante, leur fonctionnement relève du juge judiciaire qui lui applique le droit

privé. A l’inverse, l’organisation du service est régie par le seul droit administratif. Dérogeant au

droit civil, les actes d’organisation devraient tout autant échapper aux règles de l’ordonnance.

Tel est du moins le raisonnement défendu par les tenants de la thèse restrictive. Mais, il ne se

justifie que si l’on admet une influence réciproque du droit administratif et du droit de la

concurrence. La règle de neutralité impliquerait alors que les autorités du marché puissent

également s’inspirer des principes du droit civil. En effet, la nature juridique des agents

économiques est sans incidence sur l’applicabilité de l’ordonnance. Or, le droit administratif a

été conçu essentiellement au profit des personnes publiques98. Il tire son caractère dérogatoire de

ce qu’il s’applique prioritairement à l’Etat et à ses démembrements. Il apparaît comme un

privilège normatif, fondé sur une logique tant ratione personae que ratione materiae. En ce sens,

l’interpénétration du droit administratif et du droit de la concurrence serait contraire au principe

de neutralité du statut99. Celui-ci interdit qu’un agent sur le marché soit traité différemment en

raison de sa seule nature juridique. Les concepts du droit administratif ne seraient donc

transposables au droit de la concurrence, que s’il en allait de même des principes du droit privé.

La neutralité suppose au minimum l’égalité entre le droit des particuliers et celui de

95 Par la perception de rémunérations dans le cadre d’une concession. 96 Pourtant, dans son arrêt « ville de Pamiers », le Tribunal des conflits n’a pas hésité à déclarer « qu’il résulte de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services; que l’organisation du service public de la distribution de l’eau (...) n’est pas constitutive d’une telle activité ». 97 V. supra n°12. 98 D. BERLIN, art. préc.: «Encore convient-il de préciser qu’en droit français, la notion de personne publique renvoie non seulement aux personnes de droit public (administrations centrales, collectivités territoriales, établissements publics), mais également aux personnes de droit privé appartenant au secteur public ». 99 Sur le principe de neutralité du statut, V., O. GUEZOU, « Première application par le juge administratif de la jurisprudence ville de Pamiers », LPA, 8 juillet 1994, n°91, p. 15.

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l’administration100. Or, les autorités du marché privilégient l’intégrité de l’ordonnance même si

elles doivent pour cela s’écarter des principes du droit civil101. Pourquoi n’en-irait-il pas ainsi des

règles du droit administratif ?

Seule l’idée d’une certaine spécificité des actes de puissance publique pourrait justifier une

solution inverse. L’interprétation littérale de l’article 53, masque en réalité des considérations

éminemment politiques.

§ 2 - L’interprétation politique

46. - Nombre d’auteurs considèrent qu’il existe une antinomie théorique entre l’Etat et le

marché concurrentiel102. Celui-ci aurait pour vocation de neutraliser la spécifité de l’Etat, dont

les interventions économiques seraient assimilées à de simples comportements d’entreprise. Les

lois informelles du marché suffisant à garantir la cohésion et la prospérité, l’Etat ne pourrait plus

dès lors se présenter comme l’instrument de l’intérêt général. Ses immixtions dans la sphère

économique en deviendraient suspectes, puisque de nature à fausser l’équilibre du marché. Dès

lors, admettre la soumission de la puissance publique aux règles de concurrence reviendrait à nier

son existence même.

47. - L’Etat ne saurait donc être réduit à la fonction d’agent économique. Il s’en distinguerait

plus particulièrement dans l’exercice de son pouvoir d’organisation des services publics. Son

action relèverait alors de l’ordre du politique et ses actes ne sauraient se confondre avec ceux

d’un opérateur économique103. En effet, les droits en vertu desquels sont organisés les services

ont pu être qualifiés de droits régaliens et assimilés à des droits de police104. Or, la police

administrative participe des missions d’autorité publique qui doivent échapper aux règles du

100 La transposition des principes du droit privé et du droit administratif en droit de la concurrence pourrait toutefois heurter là règle de la neutralité du statut. En effet, leur application dépendrait de la nature juridique des personnes concernées. 101 Elle a ainsi jugé qu’une société de gestion de droits d’auteurs entre dans le champ de l’ordonnance, au motif qu’une telle entreprise effectue de façon autonome et parfois exclusive de nombreuses activités de services. Pourtant, une société de gestion de droits d’auteurs agit en vertu d’une délégation de pouvoirs (Cass. com., 5 nov. 1991, Société SDRL c/ Société France Loisirs, D., 1993, J., p. 63). La Cour aurait pu en déduire qu’elle se limitait à exercer ces prérogatives patrimoniales pour le compte d’autrui, sans accomplir d’activité propre. Ce qu’elle avait d’ailleurs fait à propos de la SACEM (Cass. com., 5 novembre 1985, Bull. Civ. IV, n°263). 102 M.-A. FRISON-ROCHE, art. préc. 103 R. CHAPUS, art. préc. 104 M. HAURIOU, Précis de droit administratif, 12e éd., 1933, p. 545 et 546.

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marché105. Sinon, de nombreuses mesures en matière de circulation ou de stationnement,

d’hospitalisation privée, d’ouverture de pharmacies ou d’urbanisme commercial risqueraient

d’entrer dans le champ de l’ordonnance, en raison de leurs effets sur le marché106. Il en résulterait

une véritable paralysie de l’action administrative, d’autant moins justifiée qu’il n’existe pas en

tant que tel de principe constitutionnel de libre concurrence. La justification fondamentale de

l’immunité des mesures d’organisation ne résiderait pas dans leur absence d’effets sur le marché,

mais au contraire en ce que leur effet anticoncurrentiel tirerait sa source exclusive d’un acte de

puissance publique107. La soumission générale des personnes publiques à un droit de la

concurrence écrit pour des opérateurs privés108 ne pourrait résulter que d’un engagement

politique exprès, de la responsabilité du législateur109. A défaut, les actes de puissance publique

devraient échapper au droit commun de la concurrence . Cette solution serait d’ailleurs, selon les

mêmes auteurs, conforme à l’esprit de l’ordonnance.

§ 3 - L’interprétation systématique

48. - Les partisans de l’interprétation restrictive ont recherché au sein de l’ordonnance des

arguments susceptibles de faire échapper les actes de puissance publique au droit de la

concurrence. Il leur est apparu que l’ordonnance visait principalement les offreurs sur le marché

et qu’elle ne s’intéressait qu’aux pratiques ayant pour objet ou pour effet de fausser la

concurrence. Il suffisait donc d’assimiler l’administration à un demandeur ou de présumer de

manière irréfragable que ses actes n’ont aucun effet anticoncurrentiel.

105 Par analogie avec l’arrêt CJCE, 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft MbH c/ Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne (Eurocontrol), aff. C-364/92, Rec. CJCE, p.I-43 affirmant que « prises dans leur ensemble les activités d’Eurocontrol, par leur nature, par leur objet et par les règles auxquelles elles sont soumises, se rattachent à l’exercice de prérogatives, relatives au contrôle et à la police de l’espace publique. Elles ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité ». 106 B. STIRN, concl. sous T. conflits, 6 juin 1989, RFDA, mai-juin, 1989, p. 457; G. MATTHIEU, « L’application du droit de la concurrence aux personnes publiques », D., 1995, Doct., p. 27. 107 D. BERLIN, art. préc. 108 Cette conception du droit de la concurrence a été affirmée par de nombreux parlementaires ayant participé à l’élaboration de l’ordonnance: M. d’ORNANO concevait le droit de la concurrence comme étant « par essence un droit privé, un droit des échanges entre personnes privées » (J.O. déb., Ass. nat., 26 juin 1987, p. 676) et A. LAMASSOURE le définissait comme un droit régissant « des rapports entre intérêts privés et non pas des rapports entre l’Etat et des intérêts économiques » (J.O. déb. Ass. nat., 26 juin 1987, p. 3154). 109 Y. GAUDEMET, note s. T. conflits, 6 juin 1989, art. préc.

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49. - Le droit de la concurrence opère une distinction fondamentale entre offreurs et

demandeurs110. Le Conseil de la concurrence a ainsi déclaré, par le passé, que « le droit de la

concurrence s’adresse plus aux offreurs qu’aux demandeurs et ne limite pas la liberté de ces

derniers lorsqu’ils choisissent leurs partenaires contractuels et leurs fournisseurs de biens ou

services ». Il a par ailleurs précisé que « l’article 53 limite l’application de l’ordonnance aux

seules activités des personnes publiques pour lesquelles celles-ci interviennent sur un marché

comme offreurs ou distributeurs d’un bien ou d’un service »111. La libre expression de leurs

choix par les demandeurs contribue à l’efficience économique112. Les autorités du marché

doivent donc leur réserver un traitement particulier. Mais, il ne peut bénéficier aux seuls

demandeurs privés. Le principe de neutralité du statut implique qu’il s’étende aussi aux

demandeurs publics113. La liberté de choix des personnes publiques doit donc être préservée.

Elles doivent pouvoir désigner librement leurs cocontractants114. La puissance publique

organisatrice étant en situation de demandeur, elle devrait échapper aux règles de l’ordonnance.

Cette solution serait d’autant plus fondée que le droit de la concurrence rejoindrait ici les

principes du droit civil et du droit administratif. La liberté contractuelle interdit, en effet, de

sanctionner un contractant pour avoir retenu comme partenaire une entreprise plutôt qu’une

autre. De même, l’intuitu personae propre aux délégations de service public implique que les

collectivités publiques aient le libre choix de leur concessionnaire ou fermier115 dans les limites

de la loi116. L’inapplicabilité de l’ordonnance aux actes de puissance publique serait ainsi

justifiée. D’autant plus, qu’ils ne seraient pas susceptibles, par eux-mêmes, de fausser la

concurrence.

110 G. MATHIEU « L’application du droit de la concurrence aux personnes pubiques », D, 1995, Chron., p. 27. 111 Conseil de la concurrence, Rapport 1988, p. IX. 112 Conseil de la concurrence, Rapport 1991, p. XXVII: « Il faut en effet rappeler que la libre expression des choix par les demandeurs joue un rôle crucial dans l’économie de marché en ce sens qu’elle oriente, si elle n’est pas mise en échec par les pratiques anticoncurrentielles émanant des offreurs, les ressources vers les emplois qui sont les plus appréciés et permet ainsi d’obtenir l’efficience économique ». 113 Le Conseil de la concurrence l’a d’ailleurs reconnu en faisant échapper à l’ordonnance, le choix, par un acheteur public, des entreprises chargées de la fourniture de travaux ou de l’exécution de prestations de services (Conseil de la concurrence, décision n° 90-D-24, 4 septembre 1990, relative à une saisine de la S.A. Lazaar Electricité générale, BOCC du 26 septembre 1990, p. 82; confirmée par C. A. Paris, 7 février 1991, BOCC du 12 février 1991, p. 48). De même, ni la commande, par un établissement public, d’une tapisserie d’art à une entreprise, ni sa décision de les faire exécuter par un artiste déterminé, n’ont le caractère d’un acte de production, de distribution ou de services (Conseil de la concurrence, décision n°93-D-25, 15 juin 1993, relative à une saisine de la société Pinton, BOCC du 10 septembre 1993 p. 265, confirmée par C.A. Paris, 29 mars 1994, BOCC du 4 mai 1994, p. 166). 114 Sous réserve des dispositions du Code des marchés publics. 115 P.TERNEYRE, note sous T. conflits, 6 juin 1989, aff . préc., JCP, 1990, II, 21395. 116 Code des marchés publics et loi n°93-122 du 29 janvier 1993.

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50. - Cet argument repose sur une analyse pragmatique. L’ordonnance prévoit l’élimination de

certains agissements anticoncurrentiels. L’important, n’est pas de savoir si une pratique relève

effectivement d’une activité de production, de distribution ou de services. L’essentiel est de

pouvoir la réprimer si elle constitue un comportement prohibé. Dès lors, autant se référer

directement aux textes incriminateurs. Or, les articles 7 et 8 de l’ordonnance interdisent toute

pratique ayant pour objet ou pour effet de fausser le libre jeu de la concurrence dès lors qu’elle

relève des notions d’entente ou d’abus de position dominante. Il en ressort, que si un acte n’a pas

un tel objet ou de tels effets, il ne peut être sanctionné sur le fondement de l’ordonnance. Peu

importe donc qu’il soit lié ou non à une activité de production, de distribution ou de services.

Nier, a priori, son objet et ses effets anticoncurrentiels suffit à empêcher l’application de

l’ordonnance. L’acte de puissance publique a, en principe, un objet totalement différent de l’acte

économique. Il ne poursuit pas un but lucratif mais tend à satisfaire in fine les besoins de la

société. L’intervention économique est un moyen et non une fin. L’objet des mesures

d’organisation édictées par l’administration touche à l’intérêt général, à des préoccupations

d’ordre politique et social. Leur auteur ne cherche pas à fausser la concurrence. L’acte n’ayant

pas un objet anticoncurrentiel, il est présumé qu’il en va de même de ses effets. Certes, il n’est

jamais totalement dépourvu d’effets sur le marché. Mais ceux-ci sont souvent trop indirects pour

être pris en considération. Les actes de puissance publique devraient donc bénéficier d’une

véritable immunité à l’égard des règles de l’ordonnance117.

51. - L’applicabilité de l’ordonnance aux actes administratifs serait ainsi contraire au texte de

l’article 53, à des principes de l’ordre politique et à l’esprit du droit de la concurrence. Cette

interprétation n’a cependant pas convaincu l’ensemble de la doctrine. Certains auteurs lui ont

opposé une conception extensive justifiant la soumission des actes de puissance publique au droit

de la concurrence.

117 C’est précisément cette solution qu’a retenu le Tribunal des conflits dans son arrêt « ville de Pamiers ». Le Tribunal a ainsi jugé que « l’acte juridique de dévolution de l’exécution de ce service n’est pas, par lui-même, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché ». La délégation de service public est présumée ne pas fausser la concurrence.

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Section 2 : La conception extensive ou l’applicabilité de l’ordonnance à la puissance publique

52. - La thèse extensive118 reposait sur une interprétation analogique (§ 1) et téléologique (§ 2)

de l’article 53.

§ 1 - L’interprétation analogique

53. - La thèse extensive refusait toute interprétation a contrario de l’article 53. Stricto sensu,

il signifie que lorsque des personnes publiques ou privées se livrent à des opérations de

production, distribution et services, elles se voient appliquer les règles de concurrence issues de

l’ordonnance. Mais cela n’implique nullement que ses dispositions ne doivent s’appliquer aux

intéressés qu’autant qu’ils exécutent de telles activités119. Ainsi, le Conseil de la concurrence n’a-

t-il pas hésité à examiner des comportements d’achat au regard du titre III de l’ordonnance, alors

même qu’ils ne sont pas expressément visés par l’article 53120.

Cette solution semble contredire le traitement particulier réservé habituellement aux

demandeurs par les autorités du marché. Cependant, il ne s’agit pas tant d’une incohérence que

d’une précision apportée par le Conseil. La notion de demandeur est hétérogène. Il convient ainsi

de distinguer le consommateur final du consommateur intermédiaire121. Celui-ci accomplit un

acte d’achat s’intégrant dans une activité de production ou de distribution. Le bien n’a été acquis

qu’en vue de la réalisation d’un produit final ou de sa revente. Il ne s’agit pas d’un achat pour

soi-même. Ce n’est qu’à l’égard du consommateur final que le droit de la concurrence s’avère

clément, parce qu’il tend précisément à protéger ses intérêts en garantissant l’existence d’une

compétition entre offreurs.

Les demandeurs intermédiaires et les consommateurs finaux se distinguent aussi par

l’importance de leur pouvoir d’achat. La politique d’achat d’un groupe d’industrie ou de

118 V. en ce sens, E.B.B., note sous C.E., 29 juillet 1994, S.A. Coopérative d’achat mutualiste des instituteurs de France (CAMIF), CJEG, mars 1996, p. 116. 119 J.-H. STAHL, concl. sous C.E. Sect., 3 novembre 1997, aff. préc, RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1228. 120 De même a-t-il pu déclarer que « si le fait pour des distributeurs indépendants de se regrouper dans une centrale pour négocier des accords de référencement n’est pas en lui-même prohibé par les dispositions du titre III de l’ordonnance du 1er décembre 1986, et si la négociation ou la renégociation de tels accords est en principe licite, il importe cependant de vérifier que celles-ci ne s’appuient pas sur la mise en oeuvre de pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence entre les distributeurs ou entre les fournisseurs » (Conseil de la concurrence, décision n°94-D-60, 13 décembre 1994, relative à des pratiques relevées dans le secteur des lessives, BOCC du 18 février 1995, p.47; Conseil de la concurrence, décision n°95-D-16, 14 février 1995, relative à des pratiques relevées dans le secteur des échographes, BOCC du 13 avril 1995, p. 114). 121 Telle qu’une centrale d’achats.

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distribution, voire même d’une collectivité publique, emporte des effets sensibles sur le marché.

Leur pouvoir d’achat est incomparable à celui d’un ménage. Or, une dépendance pour cause de

puissance d’achat peut engendrer un abus de domination économique, prohibé par l’ordonnance.

Il est donc logique de soumettre certaines activités de consommation au droit de la concurrence,

alors même que la formulation de l’article 53 ne le prévoirait pas. Seule la notion de

consommateur final exclut l’application de l’ordonnance. Lorsque l’administration passe un

marché public, elle peut se comporter en demandeur final. A l’inverse, elle agit en tant

qu’intermédiaire en délégant un service public. Le consommateur final est l’administré. La

puissance publique organisatrice n’est donc pas un vrai consommateur. Ainsi, les mesures

d’organisation devraient relever de l’ordonnance même si elles sont assimilables à des actes

d’achat intermédiaire122.

L’interprétation analogique n’est en réalité qu’un contre-argument destiné à réfuter la thèse

restrictive. Elle ne peut justifier en son principe l’applicabilité de l’ordonnance aux mesures

d’organisation. Tel est précisément l’objectif de l’interprétation téléologique.

§ 2 - L’interprétation téléologique

54. - L’adoption d’un acte de puissance publique accompagne souvent l’exécution d’une

activité économique. Une mesure d’organisation peut entretenir des liens étroits avec une activité

de production, distribution ou services. Ainsi, un contrat de concession concourt-il à la

réalisation d’une activité industrielle et commerciale. Il en devient difficilement détachable. Bien

que concédé, le service reste toujours sous le contrôle du concédant123. Celui-ci n’est pas étranger

à la prestation dont bénéficie l’usager. L’opération de dévolution n’a aucune autonomie

juridique, elle s’intègre totalement dans l’activité d’entreprise du concessionnaire. En effet, l’acte

de délégation n’existe qu’en vue de satisfaire les usagers du service, demandeurs des prestations

fournies par le délégataire124. Dès lors, toute mesure d’organisation serait potentiellement

rattachable à une activité visée par l’ordonnance.

122 La Cour d’appel de Paris a ainsi considéré qu’un organisateur de salons se comporte en intermédiaire lorsqu’il donne son agrément aux entreprises de manutention auxquelles pourront s’adresser les exposants. En tant que demandeur intermédiaire, l’organisateur est soumis à l’ordonnance (C.A. Paris, 25 janvier 1994, BOCC du 9 février 1994, p.60). 123 M.-C. BOUTARD-LABARDE, L. VOGEL « Droit de la concurrence et personnes publiques », Gaz. Pal., 1989, Doctr., p. 747 ; M. BAZEX, note sous C.A. Paris, 30 juin 1988, aff. préc., AJDA , 1988, p. 745. 124 Cette analyse se comprend d’autant mieux, si l’on envisage une activité comme étant composée d’actes juridiques et d’actions matérielles accomplis dans un même but. L’article 53 ne vise pas les actes de production, distribution et services mais les activités ayant cet objet. Or, celles-ci ne sont pas exclusives d’actes d’organisation, dont l’édiction

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Tel n’est pas le cas des actes de réglementation. Certes, ils ne sont pas dépourvus d’effets sur

le marché. Mais ils ne peuvent être rattachés à une activité de production, distribution ou

services. Ces actes devraient donc échapper au droit de la concurrence.

55. - Aucune de ces interprétations n’est cependant convaincante. Les justifications formulées

à l’appui de la théorie restrictive s’apparentent souvent à de simples pétitions de principe. La

lecture a contrario de l’article 53, la spécificité naturelle des actes de puissance publique et leur

absence présumée d’effets anticoncurrentiels sont de purs arguments d’opportunité. Les tenants

de la thèse extensive ont su les réfuter efficacement. Les interprétations analogique et finaliste

ont ainsi démontré l’applicabilité de l’ordonnance aux mesures d’organisation. Mais, elles ont

aussi révélé leurs limites. En excluant les actes de réglementation du droit commun de la

concurrence, elle ont contribué à opérer une distinction au sein même des actes de puissance

publique. Dès lors, leur soumission aux règles de l’ordonnance ne pouvait qu’être partielle.

Cette question, au cœur de l’arrêt « ville de Pamiers », restait entière. Le juge des conflits avait

certes déduit de l’article 53 que l’organisation d’un service public n’est pas constitutive d’une

activité de production, distribution ou services et que l’acte de dévolution n’est pas, par lui-

même, susceptible de fausser le jeu de la concurrence. Mais, le Tribunal en avait conclu « qu’il

n’appartient qu’aux juridictions de l’ordre intéressé de vérifier la validité de cet acte au regard

des dispositions de l’article 9 de l’ordonnance ». Le juge des conflits invitait donc les

juridictions administratives à appliquer une disposition de l’ordonnance. Il en faisait

implicitement un élément de la légalité administrative applicable à une activité « dont il nous a

pourtant été dit précédemment qu’elle ne pouvait être de la nature de celles auxquelles

l’ordonnance de 1986 déclare elle-même s’appliquer»125. L’incohérence était manifeste126.

D’une part, le Tribunal des conflits affirmait qu’une mesure d’organisation ne peut entrer dans le

champ de l’article 53. D’autre part, il invitait le juge administratif à appliquer l’ordonnance en se

fondant sur l’article 9. Formulées dans un même considérant, ces deux assertions étaient

inconciliables en l’état. L’une devait nécessairement l’emporter sur l’autre. La règle posée par le

juge répartiteur appelait donc une interprétation décisive. Il revenait aux juridictions peut concourir à leur réalisation. Ces actes de puissance publique participant d’une activité d’entreprise, ils ne peuvent échapper au droit de la concurrence. 125 Y. GAUDEMET, « Conflit de compétence et droit de la concurrence sur une équivoque », Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ? , Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Dalloz, 1996, p. 121. 126 D’autant plus, que le commissaire du gouvernement semblait écarter l’applicabilité de l’ordonnance aux prérogatives de puissance publique. Il concluait en ce qu’il existait à leur égard « d’autres garanties, comparables

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administratives de trancher entre ces affirmations antagonistes. Elles y sont certes parvenues

mais au terme d’une jurisprudence hésitante.

Chapitre 2 : Une jurisprudence hésitante

56. - Le Conseil d’Etat s’efforça de rendre opérante la solution du Tribunal des conflits. Il y

vit d’abord un argument justifiant l’inapplicabilité de l’ordonnance aux actes administratifs,

rejoignant en cela les principes de l’interprétation restrictive (Section 1). Il convint ensuite de ce

qu’elle ne s’opposait pas à la soumission de tels actes au droit de la concurrence, s’inspirant ainsi

de la conception extensive de l’ordonnance. Le juge administratif n’y parvint toutefois qu’en

s’écartant délibérément du texte de l’article 53 (Section 2).

Section 1 : Une jurisprudence fondée sur les principes de l’interprétation restrictive

57. - A l’occasion de l’affaire CGE, le Conseil d’Etat proposa une interprétation sélective de

l’arrêt « ville de Pamiers »127 (§ 1). Celle-ci fut par la suite consacrée par la jurisprudence du

Tribunal des conflits (§ 2).

§ 1 - L’affirmation de la jurisprudence CGE

58. - Saisie de la légalité d’une délibération d’un conseil municipal autorisant le maire de la

commune à passer un contrat d’affermage de la distribution de l’eau, la haute juridiction s’est

très largement inspirée de l’arrêt « ville de Pamiers »128. Le Conseil d’Etat s’est limité à

reproduire l’argumentaire développé par le Tribunal des conflits129. Il ne l’a cependant pas fait de

quant à leur portée, (...) mises en oeuvre, dans un cadre de droit public et sous le contrôle de la juridiction administrative » . 127 Cette solution fut confirmée par une autre décision du même jour relative à des contrats de concession d’un service de la distribution de l’eau et d’affermage d’un service d’assainissement (C. E., 23 juillet 1993 Fédération nationale autonome de la fonction publique et des Services de santé et autres, n°126018, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. I). 128 Les faits de l’espèce étaient similaires à ceux de l’arrêt « ville de Pamiers » : une commune avait décidé de confier l’exécution du service public de la distribution d’eau à une personne privée. Une entreprise non retenue invoquait une violation de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. 129 C. E., 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux, aff. préc.: « Considérant qu’il résulte de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services; que l’organisation du service public de la distribution de l’eau à laquelle procède un conseil municipal n’est pas constitutive d’une telle activité; que l’acte juridique de dévolution de l’exécution de ce service n’est pas, par lui-même, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché... ».

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manière exhaustive. Ainsi, l’arrêt CGE ne mentionne pas l’article 9. Il retient une interprétation

restrictive de l’ordonnance en amputant l’arrêt « ville de Pamiers » d’une formule jugée

subsidiaire. Le renvoi à l’article 9 qui avait tant troublé la doctrine130 est considéré comme une

incise. L’exclusion des mesures d’organisation du champ de l’article 53 devient désormais le

considérant central et essentiel de l’arrêt131. Le juge administratif en déduit l’inapplicabilité de

l’ordonnance aux actes de puissance publique132.

59. - L’arrêt CGE n’est pas resté un cas d’espèce. Sa solution a été appliquée par le Conseil

d’Etat à l’occasion de litiges portant sur la légalité de délégations de service public. Il a ainsi été

jugé que ni la délibération d’un conseil municipal décidant de concéder à une entreprise privée le

service extérieur des pompes funèbres, ni le contrat de concession passé avec celle-ci, ne

pouvaient méconnaître les dispositions de l’ordonnance133. De même, le juge administratif a-t-il

refusé d’appliquer l’ordonnance à une convention conclue entre un établissement hospitalier et

des ambulancier agrées afin d’organiser entre eux un « tour de garde » dans l’accomplissement

de leur activité de transports sanitaires134.

Loin de s’arrêter aux seules délégations de service public, le Conseil d’Etat a étendu la

jurisprudence CGE à l’ensemble des mesures d’organisation. Saisi de la conformité à

l’ordonnance d’un acte réglementaire organisant le service des achats publics, il a réaffirmé

130 D’ailleurs, le commissaire du gouvernement avait conclu en ce qu’«il n’est pas intellectuellement admissible que la distribution de l’eau ne soit pas soumise aux règles de l’ordonnance tout en étant astreinte au respect de l’article 9 de cette ordonnance... qui n’est pas applicable aux contrats de distribution de l’eau, quel que puisse être par ailleurs le juge compétent pour connaître de ces contrats ». 131 F. S., note sous C. E., 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux, Dr. administratif, août-septembre, 1993, p. 12. 132 Le Conseil d’Etat semble d’ailleurs s’être inspiré d’un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes considérant que l’article 81 du Traité (ex-article 85) relatif aux pratiques anticoncurrentielles est inapplicable « aux contrats de concession conclus entre des communes agissant en qualité d’autorités publiques et des entreprises chargées de l’exécution d’un service public» ( CJCE, 4 mai 1988, Corinne Bodson c/ S.A. Pompes funèbres des régions libérées, aff. 30-87, Rec. CJCE, p. 2479). 133 C. E., 22 janvier 1997, Sté BC, n°116416, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. II.: « Il résulte des dispositions de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution ou de services. L’organisation du service extérieur des pompes funèbres à laquelle procède un conseil municipal n’est pas constitutive d’une telle activité. L’acte juridique de dévolution de l’exécution de ce service n’est pas, par lui-même, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Dès lors, doit être écarté le moyen tiré de ce que les dispositions de cette ordonnance seraient méconnues tant par la délibération d’un conseil municipal décidant de concéder à une entreprise privée le service extérieur des pompes funèbres de la commune et autorisant le maire à signer cette concession, que par la convention de concession ». 134 C. E., 13 juin 1997, Sté « Ambulance de la vallée », Dr. adm., août-septembre 1997, Comm. 293, p. 23. Il est vrai qu’en l’espèce il s’agissait tant de l’organisation d’un service public que d’une commande publique de prestation de service. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs précisé que l’établissement hospitalier devait se soumettre aux prescriptions du code des marchés publics.

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l’immunité des actes de puissance publique à l’égard des règles de concurrence135. Outre

l’organisation du service public, la jurisprudence CGE a aussi été appliquée à la gestion du

domaine public. La haute juridiction a ainsi fait échapper à l’ordonnance un décret portant

autorisation d’occupation du domaine public136.

Cette jurisprudence avait le mérite de rendre opérant l’arrêt « ville de Pamiers ». Elle en

altérait toutefois sensiblement la signification. Le Tribunal des conflits choisit pourtant d’y

adhérer. Il la confirma et en précisa les motivations.

§ 2 - La confirmation de la jurisprudence CGE

60. - Le Tribunal des conflits trouva dans l’affaire Datasport l’occasion de revenir sur son

arrêt « ville de Pamiers ». Le litige au fond portait sur la conformité à l’ordonnance d’une

décision de la LNF imposant aux clubs professionnels l’utilisation d’un seul et même logiciel

pour la gestion et l’édition de leur billetterie. Il en résultait que les clubs devaient utiliser de

façon exclusive le système Ticketfoot, dont les droits d’exploitation avaient été acquis par la

Ligue. Le Conseil de la concurrence ayant rejeté l’exception d’incompétence soulevée par la

LNF, sa décision fut contestée devant la Cour d’appel de Paris. Celle-ci rejeta à son tour le

déclinatoire de compétence qui lui était opposé, ce qui amena le préfet à élever le conflit.

Le Tribunal décida non seulement de la compétence du juge administratif mais aussi de

l’inapplicabilité de l’ordonnance. Il le fit en des termes particulièrement explicites. La

délibération contestée relevant de l’exercice d’une prérogative de puissance publique, elle ne

constitue pas une activité de production, de distribution ou de services. Certes, l’arrêt conclut en

ce qu’il n’appartient qu’à la juridiction administrative d’en apprécier la validité. Mais, il ne fait

135 C. E., 29 juillet 1994, aff. préc.: « Considérant qu’il résulte des termes de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services; que l’organisation, par le pouvoir réglementaire du service des achats publics, n’est pas constitutive d’une telle activité; que, dès lors, si l’UGAP est, pour les opérations auxquelles elle se livre, soumise aux règles susindiquées, la CAMIF n’est pas fondée à soutenir que les dispositions litigieuses se heurteraient à la prohibition des pratiques anticoncurrentielles définies aux articles 7 et 8; que le moyen tiré de ce que le maintien en vigueur de ces dispositions serait contraire aux prescriptions de ladite ordonnance doit pas suite être écarté ». Les motifs de la décision ne précisaient pas que l’acte attaqué n’est pas, par lui-même, susceptlible, d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Certains auteurs ont pu y voir l’annonce d’une rupture avec la solution posée par l’arrêt CGE. Voir en ce sens : M. BAZEX, note sous T. conflits 18 octobre 1999, AJDA, 1999, p. 996. 136 C.E., 13 juin 1997, Sté des Transports pétroliers par pipe-line, AJDA, 1997, p. 794: « Considérant que les dispositions de l’article 53 ne s’appliquent pas aux personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services; qu’elles ne s’appliquent pas au décret attaqué dans celles de ses dispositions qui se bornent à autoriser un opérateur à occuper et à exploiter le domaine public pour y exercer une activité privée;... ».

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aucune référence à l’article 9. Il se distingue en ceci de la décision « ville de Pamiers ».

Commentant l’arrêt du 6 juin 1989, le commissaire du gouvernement a ainsi conclu en ce que s’il

« semble considérer que le juge administratif pourrait être conduit à appliquer les règles de

l’ordonnance de 1986, il nous paraît surtout résulter des motifs qui en constituent le soutien

nécessaire que les actes administratifs unilatéraux n’y sont en réalité pas soumis »137. L’acte de

puissance publique échappe donc au droit commun de la concurrence en raison de sa nature138.

Cette justification postule l’irréductibilité des actes administratifs à ceux d’un opérateur sur le

marché. La présomption d’absence d’effets anticoncurrentiels qui bénéficiait jusqu’alors aux

mesures d’organisation est désormais inutile. La spécificité naturelle de l’acte de puissance

publique suffirait à justifier son immunité.

61. - La décision Datasport entérinait et explicitait la jurisprudence du Conseil d’Etat. Elle ne

parvenait pas cependant à lui donner une assise juridique conforme à la logique de l’ordonnance.

La nature particulière des actes administratifs y était certes affirmée, mais elle n’était pas

démontrée. Le juge des conflits ne disait rien des différences matérielles existant entre l’activité

de puissance publique et l’activité économique139. La notion de puissance publique est d’ailleurs

tellement extensive qu’il est parfois difficile de la distinguer concrètement d’une activité

d’entreprise140. Au regard du droit de la concurrence, l’exception de puissance publique peut

paraître privée de justification économique. Elle semble résulter de considérations politiques, de

pure opportunité. Son existence ou du moins sa portée sont dès lors susceptibles de varier au gré

des circonstances. Celles-ci amenèrent justement le Conseil d’Etat à reconsidérer sa

jurisprudence.

Section 2 - Un revirement inspiré par les principes de l’interprétation extensive

62. - Dès l’origine, l’arrêt CGE suscita bon nombre de critiques (§ 1). Elles incitèrent le juge

administratif à modifier sa jurisprudence afin de consacrer l’applicabilité des dispositions

matérielles de l’ordonnance aux actes de puissance publique (§ 2).

137 J. ARRIGHI de CASANOVA, concl. sous T. conflits, 4 novembre 1996, aff. préc., JCP, 1997, II, 22802. 138 Le commissaire du gouvernement conclut d’ailleurs « en ce que les actes administratifs unilatéraux n’y sont en réalité pas soumis, dès lors qu’ils ne peuvent par nature, en quelque sorte, avoir les caractères d’activités de production, de distribution ou de services, au sens de l’article 53 ». 139 Exemple de la gestion du domaine public sur lequel sont exercées des activités commerciales 140 V. infra n°104.

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§ 1 - La contestation de la jurisprudence CGE

63. - La jurisprudence CGE suscita de vives contestations. Le législateur tenta d’y mettre fin

en modifiant l’article 53. Son intervention resta cependant sans effet. Seules les exigences du

droit communautaire eurent une influence déterminante.

64. - Le législateur a, en effet, tenté de consacrer l’applicabilité de l’ordonnance à certaines

mesures d’organisation par la loi du 8 février 1995141. Elle ajoutait à l’article 53 une référence

expresse aux conventions de délégation de service public142. Justifiée par la lutte anti-corruption,

cette loi poursuivait avant tout une finalité morale. Tel n’était pas son seul objectif. Elle visait

aussi à interdire d’éventuelles ruptures d’égalité dans l’attribution des délégations de service

public. Il s’agissait de sanctionner toute atteinte à l’égalité des compétiteurs résultant d’une

pratique discriminatoire. Le législateur voulait ainsi réprimer, au travers du droit de la

concurrence, les ententes liées à des actes de corruption143. Certes, la désignation du délégataire

ne relevait toujours pas de l’ordonnance. Mais certaines pratiques connexes devaient désormais y

être assujetties. Rien n’interdit de penser qu’une délégation de service public puisse

s’accompagner de comportements anticoncurrentiels constitutifs d’ententes ou d’abus de position

dominante. La loi distinguait ainsi l’acte de dévolution lui-même, des éventuelles pratiques

discriminatoires pouvant concourir à son adoption. Seules celles-ci étaient susceptibles de se voir

appliquer l’ordonnance.

La loi du 8 février 1995 est toutefois restée sans effets. Le Conseil d’Etat a d’ailleurs

confirmé la jurisprudence CGE postérieurement à l’intervention du législateur144. Sa principale

faiblesse tenait précisément en ce qu’elle ne distinguait pas l’applicabilité du droit de la

concurrence de la compétence du Conseil de la concurrence. Certes, la révision de l’article 53 ne

visait pas les conventions de délégation elles-mêmes mais les pratiques y afférentes. Le Conseil

de la concurrence risquait, cependant, de se prononcer indirectement sur des actes administratifs

indissociablement liés aux pratiques litigieuses145. Tel était du moins le résultat espéré par les

141 Loi n°95-127 du 8 février 1995 relative aux marchés publics et aux délégations de service public. 142 La formulation de l’article 53 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 est désormais la suivante: « Les règles définies à la présente ordonnance s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ». 143 M.-A. FRISON-ROCHE, art. préc. 144 C.E., 22 janvier 1997, Sté BC, aff. préc. 145 Allocution de M. Xavier de Roux à la tribune de l’Assemblée Nationale Débats Ass. nat. 2e séance du 15 décembre 1994 p. 9196: « L’amendement que nous présentons en commun a pour objet de préciser la portée de la

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partisans de la révision. Le législateur revenait ainsi délibérément sur le partage des compétences

issu de l’arrêt « ville de Pamiers »146. Le Conseil d’Etat ne pouvait qu’y être réticent. Ses craintes

étaient d’ailleurs partagées par l’administration147 et le Sénat148.

La volonté du législateur n’ayant pu infléchir la jurisprudence du Conseil d’Etat, lui seul

pouvait s’y décider. Si rien ne semblait l’y inciter spontanément, le droit communautaire devait

toutefois l’y contraindre.

65. - En tant que juges communautaires de première instance, les juridictions administratives

ont pour mission d’appliquer le droit issu du Traité. Le Conseil d’Etat voit ainsi dans le droit

communautaire de la concurrence l’une des sources de la légalité administrative. Il est de

jurisprudence constante que les articles 81 à 89 du Traité149 sont applicables aux actes de

l’administration150. Il en résultait une situation paradoxale sous l’empire de la jurisprudence

CGE. Soumis au droit communautaire de la concurrence, ces actes échappaient aux dispositions

de l’ordonnance. Or, le Conseil d’Etat ne s’est pas limité à affirmer l’applicabilité des règles du

Traité. Il les a effectivement appliquées en annulant, par l’arrêt FFSA151 du 8 novembre 1996, un

décret relatif au régime complémentaire facultatif d’assurance vieillesse des personnes non

salariées des professions agricoles152. Statuant sur renvoi de la Cour de justice, le Conseil d’Etat

était lié par son interprétation. Il devait donc tirer toutes les conséquences contentieuses de son

arrêt interprétatif. Cette annulation affectait les fondements mêmes de la jurisprudence CGE.

règle en vigueur et d’inviter le Conseil de la concurrence à faire échec aux pratiques anticoncurrentielles qui peuvent entacher les conventions de délégation de service public, et notamment celles relatives à la distribution de l’eau ». 146 M. LONG, « Point de vue: délégation de service public et droit de la concurrence », LPA, 4 septembre 1995 n°106, p. 4. 147 Au lendemain de la loi du 8 février 1995 une note de la commission centrale des marchés réaffirmé la non-applicabilité de l’ordonnance aux actes unilatéraux décidant de la délégation d’un service public (in Moniteur des travaux publics, 3 mars 1995, p. 320). 148 La version actuelle du texte de loi émane de la Commission mixte paritaire qui n’avait pas manqué de préciser qu’il ne s’agissait que d’une « simple disposition de précision, qui ne remet pas en cause les règles de compétence entre les juridictions. La convention, par elle-même, demeure un acte administratif ressortissant à la compétence de la juridiction administrative. Seules sont soumises au Conseil de la concurrence les opérations découlant de la convention » (Déb. Sénat, séance du 23 décembre 1994 p. 8119). 149 C. E., 29 juillet 1994, S. A. Coopérative d’achat mutualiste des instituteurs de France (CAMIF), aff. préc.: « Mais considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les textes dont la CAMIF a demandé l’abrogation (...) ne contiennent aucune disposition susceptible de comporter par elle-même l’un des effets de nature à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence dans les échanges entre les Etats membres de la communauté économique européenne énumérés aux articles 85 et 86 susmentionnés; que le moyen doit par suite être rejeté ». 150 Par l’intermédiaire de l’article 10 du traité CE. 151 D. CHAUVAUX, T.-X. GIRARDOT, note sous C.E.,, 8 novembre 1996, aff. préc., AJDA, 1997, p. 142. ; J.-J. ISRAEL, « Le droit de la concurrence et le juge administratif à propos de l’énigme de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 : la réponse du Conseil d’Etat », Gaz. Pal., 1998, 2, Doctr., p. 1729. 152 C. E. Sect., 8 novembre 1996, Fédération française des sociétés d’assurance et autres, Rec. p.441.

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53

Comment expliquer qu’un acte puisse déroger par sa nature au droit français de la concurrence

alors qu’il est annulable sur le fondement du droit communautaire de la concurrence ? La

jurisprudence CGE était nécessairement appelée à évoluer.

66. - Ces pressions successives amenèrent le Conseil d’Etat à reconsidérer sa jurisprudence. Il

le fit d’abord implicitement à l’occasion de l’arrêt TRAPIL. Certes, il refusait toujours

d’appliquer l’ordonnance aux dispositions d’un décret qui portaient autorisation d’occupation du

domaine public. Il déclarait toutefois que « les autres dispositions ont pour objet d’éviter que cet

opérateur (le concessionnaire) n’exerce cette activité en violation de l’ordonnance (...) dont elles

ne méconnaissent aucune disposition »153. Le Conseil d’Etat sous-entendait bien que les

dispositions visées avaient été préalablement confrontées à l’ordonnance. Le commissaire du

gouvernement avait d’ailleurs conclu en ce que depuis l’arrêt FFSA « le juge de l’excès de

pouvoir peut être amené à contrôler la légalité d’un acte administratif au regard des règles de

concurrence. Les moyens tirés de la violation de l’ordonnance du 1er décembre 1986 sont donc

opérants, mais ils ne sont en l’espèce pas fondés »154. Le juge administratif admettait ainsi

implicitement que l’ordonnance faisait partie intégrante de la légalité administrative.

Cette reconnaissance tacite annonçait un revirement de jurisprudence155. Tel fut l’objet de

l’arrêt Million et Marais du 3 novembre 1997.

§ 2 - L’abandon de la jurisprudence CGE

67. - L’affaire Million et Marais156 portait une nouvelle fois sur la conformité à l’ordonnance

d’un contrat de concession du service extérieur des pompes funèbres. Rompant avec la

jurisprudence CGE, le Conseil d’Etat vérifia sa légalité au regard des règles du droit commun de

la concurrence. Il examina ainsi la conformité de l’acte attaqué aux articles 7 et 8 de

l’ordonnance. Considérant que le contrat litigieux ne violait aucune de ces dispositions, il rejeta

comme infondée l’exception d’illégalité invoquée par la société requérante.

153 C. E., 13 juin 1997, aff. préc. 154 C. BERGEAL, concl. sous C. E., 13 juin 1997, aff. préc., AJDA, 1997, p. 794. 155 Y. GAUDEMET, note sous C.E., 3 novembre 1997, aff. préc., RDP, 1998, p. 256. 156 C. E., 3 novembre 1997, Sté Yonne Funéraire; Sté Intermarbres; Sté Million et Marais RFDA novembre-décembre 1997, p. 1240 s. A l’occasion des deux premiers arrêts, il conclua en l’inapplicabilité de l’ordonnance au motif qu’elle était entrée en vigueur postérieurement à la signature des conventions. Mais tel n’était pas le cas du contrat de concession passé entre la commune de Fleury-les-Aubrais et la société Million et Marais.

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Même si le juge administratif n’a pas fait droit aux demandes des parties, il s’agit bien d’un

désaveu de la jurisprudence CGE. Les conclusions du commissaire du gouvernement sont

particulièrement explicites157. Elles commencent par énoncer, puis réfuter, les arguments

traditionnels justifiant l’inapplicabilité des règles matérielles de l’ordonnance aux mesures

d’organisation. Mais, pour le commissaire du gouvernement, ces justifications sont secondaires.

L’interprétation restrictive de l’article 53 masque en réalité des réticences idéologiques, liées à

une certaine conception du service public. Celle-ci considère les actes d’organisation comme

étant des décisions de l’autorité publique destinées à satisfaire un besoin social. Toute

intervention de la puissance publique serait a priori légitime. Seul compterait l’intérêt de

l’usager. L’impact de cette intervention sur le milieu économique extérieur ne serait

qu’accessoire. L’intérêt du public et le fonctionnement normal du service devraient primer sur les

exigences du marché. Or, selon le commissaire du gouvernement, cette doctrine occulte pour

partie la tradition jurisprudentielle du Conseil d’Etat. Le juge administratif a toujours admis que

la dévolution d’une activité de service public risque d’affecter le libre jeu de la concurrence. Il

lui appartient de vérifier que les interventions de la puissance publique ne puissent pas porter

atteinte aux droits des justiciables, et notamment à ceux tirés de l’ordonnance. A la conception

d’un service public centré sur l’usager, le commissaire du gouvernement propose donc d’ajouter

une nouvelle dimension, plus compréhensive des réalités de l’environnement économique. Selon

lui, les mutations techniques et l’ouverture des économies imposent une telle évolution. Aucun

obstacle juridique ne s’y oppose, l’interprétation extensive permettant d’y parvenir. Elle autorise

l’intégration des actes d’organisation dans le champ de l’ordonnance en les rattachant à l’une des

activités mentionnées à l’article 53 , voire même en étendant la portée de cette disposition.

Le commissaire du gouvernement incitait donc clairement le Conseil d’Etat à s’inspirer de la

conception extensive. La haute juridiction suivit ses conclusions en déclarant l’ordonnance

applicable au contrat de concession. Elle confirma par la suite son revirement158 et l’étendit à

l’ensemble des mesures d’organisation. Divers décrets relatifs à l’organisation du service public

ont notamment été contrôlés au regard des dispositions matérielles de l’ordonnance159. Le

157 J.-H. STAHL, concl. sous C. E., 3 novembre 1997, aff. préc., RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1228. 158 C. E., 30 novembre 1998, Sté Pompes funèbres européennes du Gard, n°159203, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. II. 159 C. E., 17 décembre 1997, Ordre des Avocats à la Cour de Paris, CJEG, mars 1998, p. 113; C.E., 1er avril 1998, Union hospitalière pribée et Fédération intersyndicale des établissements d’hospitalisation privée, RFDA, septembre-octobre, 1998, p. 970; C.E., 5 octobre 1998, Fédération française des pompes funèbres et Association Force ouvrière consommateurs, RFDA, novembre-décembre 1998, p. 1282.

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Conseil d’Etat a même admis leur applicabilité à un acte s’inscrivant dans une procédure qui

visait à attribuer des titres d’occupation du domaine public160.

68. - La jurisprudence Million et Marais semble désormais bien installée. Une question

demeure toutefois. Le droit de la concurrence s’applique-t-il uniquement aux mesures

d’organisation ? Qu’en est-il du régime des actes de réglementation ? Le juge administratif ne

s’est pas encore prononcé clairement. Certes, le Conseil d’Etat s’est référé à l’ordonnance lors de

l’examen de la légalité d’un arrêté interministériel fixant les caractéristiques des aliments lactés

diététiques pour nourrissons161. Mais, il s’est limité à mentionner l’ordonnance dans ses visas,

sans citer de dispositions précises. Pourtant, l’applicabilité du droit de la concurrence aux actes

de réglementation doit être admise162. Aucun principe ne s’y oppose. Des actes administratifs

réglementaires se sont déjà vus appliquer les règles issues de l’ordonnance163. L’administration a

été amenée à modifier certaines dispositions réglementaires attentatoires à la libre

concurrence164. La difficulté tient, en vérité, à l’absence de norme réellement applicable.

L’ordonnance a été conçue pour appréhender des activités d’entreprise et ses dispositions

matérielles sont difficilement transposables, en l’état, aux mesures de réglementation du marché.

La consécration d’un principe général de libre concurrence issu de l’ordonnance semble être une

solution. Fort d’une autorité supra-réglementaire, il s’imposerait à l’administration dans

l’exercice de son pouvoir normatif.

69. - L’applicabilité de l’ordonnance aux actes de puissance publique respecte la répartition

des compétences contentieuses entre les deux ordres de juridictions. Elle n’affecte en rien la

réserve de compétence du juge administratif. Il appartient à lui seul d’apprécier la conformité des

actes de puissance publique au droit de la concurrence. En dissociant l’applicabilité des règles

processuelles et matérielles de l’ordonnance, le Tribunal des conflits a choisi de résoudre

160 C. E. Sect., 26 mars 1999, Sté EDA, AJDA, 1999, p. 434. Il est vrai, qu’il l’a fait sans se départir de certaines précautions. Mais le commissaire du gouvernement a conclu en l’invocabilité des règles de concurrence dès lors qu’est en cause l’occupation du domaine public à des fins d’exploitation commerciale. 161 C.E., 26 octobre 1990, Sté Paridoc et autres, JCP, 1992, II, 21876. 162 Le Conseil de la concurrence a d’ailleurs estimé qu’en tant qu’ « acte réglementaire, l’arrêté municipal d’organisation du marché est soumis au contrôle de légalité, laquelle comprend l’ordonnace du 1er décembre 1986, dont est chargée l’autorité préfectorale qui peut, de sa propre initiative ou sur la demande de toute personne le déférer à la juridiction administrative (…) » ( Conseil de la concurrence, avis n°88-A-16, du 15 novembre 1988, relatif à des questions posées par l’Union fédérale de consommateurs de Seine et Marne sur certaines dispositions de l’arrêté réglementant le marché de détail de la ville de Chelles, BOCC du 30 novembre 1988, p. 309). 163 C.E., 1er avril 1998, aff . préc. 164 V. notamment, Conseil de la concurrence, avis n°88-A-o6, 12 avril 1988, relatif au règlement de la poissonnerie municipale de Caen, BOCC du 30 avril 1988, p. 112 .

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séparément les questions du droit applicable et de la juridiction compétente. En préservant

l’intégrité du domaine de compétence du juge administratif, le Tribunal l’a incité à admettre

l’applicabilité du droit de la concurrence aux actes de puissance publique. Le Conseil d’Etat y est

finalement parvenu, mettant ainsi un terme définitif à une longue controverse doctrinale sur le

sens et la portée de l’article 53. L’arrêt Million et Marais s’inspire, certes, des arguments avancés

par les partisans de l’interprétation extensive. Mais, ce revirement repose surtout sur un

raisonnement totalement innovant. Le Conseil d’Etat s’écarte de l’article 53. Il ne s’agit plus de

s’interroger sur l’étendue des notions d’activités de production, distribution et services mais de

constater l’appartenance de l’ordonnance à la légalité administrative165. Le droit commun de la

concurrence est issu d’un texte à valeur législative dont le respect s’impose à l’administration à

l’instar de toutes les autres lois166. Son application effective aux actes de puissance publique

n’est donc finalement qu’une question de hiérarchie normative.

165 J.-H. STAHL, concl. sous C.E. Sect., 3 novembre 1997, aff. préc., RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1228 : « En réalité, l’article 53 nous paraît sans véritable portée sur l’examen par le juge administratif de la légalité d’actes administratifs, même lorsqu’il s’agit d’actes de dévolution du service public : nous le croyons dépourvu de conséquences sur la consistance du bloc de légalité dont vous imposez le respect aux personnes publiques lorsque ces personnes se comportent comme des opérateurs économiques ; il ne concerne pas la légalité des actes administratifs (…). Vous l’aurez compris, le fondement juridique de votre jurisprudence actuelle de nous convainc pas pleinement. Notre idée serait plutôt qu’il vous appartient, en votre qualité de juge de la légalité des actes administratifs, de vous assurer de ce que les actes de dévolution des services publics respectent l’ensemble des normes qui composent le bloc de légalité, y compris celles qui résultent des articles 7,8,9 et 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 (…) ». Il semble donc que l’article 53 n’ait plus vocation qu’à déterminer le champ de compétence du Conseil de la concurrence. 166 V. en ce sens, L. RICHER, note sous C.A. Paris, 30 juin 1988, aff. préc., Gaz. Pal. , 1988, Doctr., p.656.

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Deuxième partie

Une application effective du droit de la concurrence aux actes de puissance publique

70. - Le droit français de la concurrence issu de l’ordonnance fait désormais partie de la

légalité administrative. Le juge administratif est donc amené à se prononcer sur la validité d’actes

de puissance publique suspectés de contrevenir à la réglementation des pratiques

anticoncurrentielles. Mais, l’annulation d’un acte administratif pour illégalité suppose que lui

soit reprochée la violation de dispositions précises. Or, les règles matérielles de l’ordonnance

prévues aux titres III, IV et V ne visent que des comportements d’entreprises. Les articles 7 et 8

relatifs aux ententes illicites et aux abus de position dominante ne concernent pas directement les

actes de l’administration. A priori, ces dispositions ne pourraient donc pas être invoquées à

l’appui d’un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat a cependant développé certaines

techniques contentieuses assurant l’application effective du droit de la concurrence aux actes de

puissance publique. Il y est parvenu en distinguant empiriquement les actes administratifs

associés à un comportement d’entreprise de ceux qui ne le sont pas. L’application du droit de la

concurrence aux actes de puissance publique liés à une activité économique repose sur une

technique bien éprouvée. S’inspirant du droit communautaire, le juge administratif considère

qu’un acte de puissance publique ne doit pas priver d’effet utile les règles de l’ordonnance en

contribuant à leur violation par un opérateur sur le marché (Titre I). Mais, l’application indirecte

des articles 7 et 8 de l’ordonnance s’avère plus difficile si les actes litigieux ne participent

d’aucun comportement d’entreprise. Il en est ainsi de certaines mesures d’organisation ou, plus

généralement, de toute réglementation du marché. Ces actes ne sauraient, pour autant, affecter

impunément le libre jeu de la concurrence. Le Conseil d’Etat semble vouloir surmonter cet

obstacle technique en dépassant les dispositions précises de l’ordonnance. Elles ne seraient ainsi

que l’expression formelle de la liberté de concurrence dont la consécration en un principe général

du droit imposerait le respect à tous les actes de puissance publique (Titre II).

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Titre I : Les actes de puissance publique associés à un comportement d’entreprise

71. - Les dispositions de l’ordonnance visent principalement les entreprises. Le Conseil d’Etat

admet cependant l’application indirecte des règles de l’ordonnance aux actes de puissance

publique. Dès lors qu’un acte administratif est associé à un comportement d’entreprise, il devient

possible d’invoquer à son encontre les articles 7 et 8 de l’ordonnance (Chapitre 1)167. Il convient

donc de s’intéresser aux atteintes que de tels actes seraient susceptibles de porter aux dispositions

de l’ordonnance (Chapitre 2).

Chapitre 1 : L’application des règles de l’ordonnance aux actes de puissance publique

72. - Les autorités publiques ne sont pas directement visées par les articles 7 et 8 de

l’ordonnance. Mais elles ne peuvent pas pour autant les rendre inopérants. Un acte administratif

ne saurait ainsi priver d’effet utile la réglementation des pratiques anticoncurrentielles. Son

respect s’impose désormais tant aux entreprises qu’à l’administration dans l’exercice de son

pouvoir réglementaire (Section 1). Il incombe dès lors au juge administratif d’assurer la pleine

application des règles de l’ordonnance aux actes qui lui sont déférés (Section 2).

Section 1 - L’application des règles de concurrence aux actes administratifs

73. - L’application de la réglementation des ententes et abus de position dominante aux actes

de puissance publique n’est pas une innovation dans l’ordre juridique français. La Cour de

justice des Communautés européennes et les juges de renvoi l’ont admis à l’égard des articles 81

et 82 du Traité dont les règles s’apparentent aux articles 7 et 8 de l’ordonnance (§ 1). Le juge

administratif semble pouvoir s’en inspirer en transposant utilement cette jurisprudence (§ 2).

§ 1 - Les enseignements du droit communautaire de la concurrence

74. - Les interdictions énoncées aux articles 81168 et 82169 du Traité se réfèrent exclusivement

à des comportements d’entreprise. L’Etat ne devrait donc pas y être assujetti dans l’exercice de

167 V. en ce sens, J.-J. ISRAEL note sous T. Conflits, aff . préc., D, 1990, J, p. 418. 168 Article 81 du traité CE : « Sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun…». 169 Article 82 du traité CE : « Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre Etats membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ... ».

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son pouvoir réglementaire. Le système de contrôle et de sanction organisé par les articles 83 et

85 du Traité semble d’ailleurs s’y opposer. Seules des entreprises peuvent ainsi se voir infliger

des amendes pour violation des articles 81 et 82170. De même, la procédure de notification des

accords, décisions et pratiques concertées en vue d’exemption leur est-elle réservée171.

L’Etat n’est donc soumis aux articles 81 et 82 du Traité que s’il agit en tant qu’opérateur sur

le marché172. Mais l’activité normative de l’Etat ne saurait se confondre avec de simples

comportements d’entreprise. D’ailleurs, rien dans le Traité n’interdit aux Etats membres de

manière générale d’édicter une réglementation restreignant la concurrence. Les articles 31173 et

86 paragraphe 1174 autorisent même implicitement les Etats à constituer des monopoles

nationaux à caractère commercial. Il s’agit ici d’une forme extrême de restriction de la

concurrence, si bien qu’on ne saurait leur dénier le droit de mettre en œuvre des restrictions

moins radicales175. La Cour de justice des Communautés européennes a toujours reconnu que les

articles 81 et 82 ne concernent pas les mesures législatives ou réglementaires des Etats membres

mais le comportement des entreprises. Pour autant, les autorités nationales ne peuvent totalement

ignorer ces prescriptions. Il ne serait guère concevable de sanctionner les comportements

anticoncurrentiels des entreprises tout en permettant aux Etats de provoquer ou de faciliter de tels

agissements176. L’article 10 interdit ainsi aux Etats de porter préjudice à l’application pleine et

uniforme du droit communautaire177. Or, l’existence d’« un régime assurant que la concurrence

n’est pas faussée dans le marché intérieur » est l’un des principes fondamentaux prévus par

l’article 3 g) du Traité. Dès lors, les Etats membres ne peuvent prendre ni maintenir en vigueur

des mesures susceptibles d’éliminer l’effet utile des règles de concurrence applicables aux

entreprises178. Tel est le cas lorsqu’un Etat impose ou favorise la conclusion d’ententes contraires

à l’article 81 ou renforce les effets de telles ententes. Il en va de même s’il retire à sa propre 170 Article 15 du règlement n°17/62 du Conseil du 6 février 1962. 171 Article 4 du règlement n°17/62 du Conseil du 6 février 1962. 172 Il doit aussi veiller à ce que les entreprises publiques ne manquent à aucune de ces dispositions. 173 Article 31 du traité CE : « Les Etats membres aménagent les monopoles nationaux présentant un caractère commercial, de telle façon que soit assurée, dans les conditions d’approvisionnement et de débouchés, l’exclusion de toute discrimination entre les ressortissants des Etats membres… ». 174 Article 86 paragraphe 1 du traité CE : « Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité… ». 175 DARMON, concl. sous CJCE, 17 novembre 1993, Bundesanstalt für den Güterfernvekehr c/ Gebrüder Reiff GmbH & Co. KG., aff. C-185/91, Rec. CJCE, p. I-5801. 176 D. TRIANTAFYLLOU, « Les règles de la concurrence et l’activité étatique y compris les marchés publics », RTDE, janvier-mars 1996, p. 57. 177 Article 10 paragraphe 3 du traité CE: « Ils s’abstiennent de toutes mesures susceptibles de mettre en péril la réalisation des buts du présent traité ». 178 CJCE, 16 novembre 1977, SA G.B.-INNO-B.M. c/ Association des détaillants en tabac (ATAB), aff. 13-77, Rec. CJCE, p. I-2115, att 31.

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réglementation son caractère étatique en délégant à des opérateurs privés la responsabilité de

prendre des décisions d’intervention en matière économique179. Dans ces deux hypothèses, la

lecture combinée des articles 3 g), 10, 81 et 82 permet de condamner une réglementation

nationale contribuant au maintien de situations anticoncurrentielles180. Toutefois, les

destinataires de ces dispositions restent uniquement les entreprises. Ces règles n’atteignent les

Etats que de façon indirecte par l’intermédiaire de l’article 10 qui crée une obligation

d’abstention181. La Cour admet ainsi l’illégalité d’une règle étatique contraire au droit de la

concurrence à la condition que celle-ci s’accompagne d’un comportement d’entreprise.

La jurisprudence communautaire est exemplaire. Elle permet de contester la légalité d’une

réglementation étatique sur le fondement du droit de la concurrence. Elle constitue ainsi un

précédent utile pour l’application des articles 7 et 8 de l’ordonnance aux actes de puissance

publique.

§ 2 - Des précédents utiles pour le droit français de la concurrence

75. - Le droit interne et le droit communautaire sanctionnent dans des termes assez proches les

ententes et abus de position dominante182. Il en résulte que des pratiques concertées ou des

comportements abusifs d’entreprises dominantes peuvent se trouver simultanément soumis aux

dispositions du Traité et aux règles nationales. Certaines différences formelles existent

cependant. L’article 7 de l’ordonnance diverge ainsi de l’article 81 du Traité en ce qu’il prohibe

non pas les pratiques ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, mais celles

ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’entraîner une restriction. Le droit communautaire

et le droit français de la concurrence aboutissent néanmoins à des résultats identiques. Dans les

deux cas, la preuve d’un effet anticoncurrentiel actuel n’est pas requise dès lors qu’il est établi

que la pratique considérée a un objet anticoncurrentiel ou est susceptible de produire un effet

restrictif183. La seule véritable dissemblance tient à la nature interétatique du droit

communautaire. Les articles 81 et 82 ne s’appliquent qu’aux pratiques anticoncurrentielles de

nature à exercer un effet sensible sur le jeu de la concurrence et le commerce entre Etats

179 CJCE, 21 septembre 1988, Pascal Van Eycke c/ S.A. ASPA, aff. 267/86, Rec. CJCE, p. 4769. 180 CJCE, 18 juin 1998, Commission des Communautés européennes c/ République italienne, aff. C-35/96, Rec. CJCE, p. I-3851. 181 J. SHAPIRA, G. LE TALLEC, J.-B. BLAISE, L. IDOT, « Droit européen des affaires », PUF, 5e éd., 1999, p. 47. 182 M. MALAURIE-VIGNAL, « Droit interne de la concurrence », Armand Colin, 1996, n°28, p. 32. 183 Conseil de la Concurrence, Rapport 1990, p. XXXX et s.

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membres. L’objectif du Traité était ici de décloisonner les marchés nationaux en vue de réaliser

un marché commun. Le droit communautaire de la concurrence vise ainsi l’intégration des

marchés par l’élimination de certaines pratiques anticoncurrentielles. Ces considérations sont

évidemment absentes du droit français de la concurrence. Mais cette différence n’affecte en rien

l’identité matérielle des articles 81, 82 du Traité et 7, 8 de l’ordonnance. Ceux-ci sont d’ailleurs

inspirés par une même doctrine économique. Dès lors, les raisonnements nés de l’interprétation

des règles du Traité sont de nature à influencer l’application du droit français184. Il y a donc lieu

de s’interroger sur la possibilité de transposer la jurisprudence communautaire à des situations

purement internes. Dans ses arrêts, la Cour de justice est parvenue à constater l’illégalité de

réglementations économiques sur le fondement de dispositions identiques aux articles 7 et 8 de

l’ordonnance. Mais elle n’a pu le faire qu’en associant dans un même raisonnement les articles

10 et 3 g) à la prohibition des pratiques anticoncurrentielles. Or, de telles dispositions n’existent

pas en droit français. Ceci ne saurait pour autant constituer un obstacle dirimant.

Il semble, en effet, que la Cour soit tentée d’abandonner la référence à l’article 3 g) pour ne

plus retenir que l’obligation issue de l’article 10185. Certes, ses arrêts font toujours mention à

titre préalable de la lecture combinée des articles 3 g), 10, 81 et 82186. Mais, le raisonnement de

la Cour a quelque peu évolué. Ses analyses concrètes reposent désormais exclusivement sur les

articles 10, 81 et 82 du Traité. Cette évolution est compréhensible, les dispositions des articles 81

et 82 ne faisant que reprendre et expliciter le principe de libre concurrence posé à l’article 3 g).

L’absence d’un tel texte en droit français ne s’oppose donc pas à la transposition de la

jurisprudence communautaire. D’autant plus, qu’il ne fait qu’énoncer un objectif proclamé par

l’ordonnance de 1986187.

La démarche de la Cour repose ainsi fondamentalement sur l’utilisation conjointe des articles

10, 81 et 82. Il est communément admis que l’article 10 peut être considéré comme l’affirmation

en droit communautaire du principe de « fidélité fédérale ». Cette fidélité communautaire crée

une double obligation de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation 184 Le Conseil d’Etat s’est ainsi directement inspiré de la théorie de l’abus automatique développée par la Cour de justice. V. en ce sens, J. -D. COMBREXELLE, concl. sous C.E., 3 décembre 1997, Odre des avocats à la Cour de Paris, CJEG, mars 1998, p. 105: « Pour autant, et nous nous inspirons ici de la jurisprudence de la Cour de justice de Luxembourg, il est des cas où le texte réglementaire place le service dans une situation telle qu’il sera automatiquement et nécessairement amené à abuser de sa position dominante ». 185 J. SHAPIRA, G. LE TALLEC, J.-B. BLAISE, L. IDOT « Droit européen des affaires », op. préc., p. 362. 186 La formule convenue est ici: « Sur les articles 81 et 82 lus en combinaison avec les articles 3, sous g), et 10 du Traité ». 187 Ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

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des buts du Traité et de faciliter aux institutions l’accomplissement de leur mission. En l’espèce,

seul nous intéresse l’article 10 paragraphe 3 qui interdit aux Etats membres de priver de leur effet

utile les règles de droit communautaire. Or, la Cour de justice n’a nul besoin de viser l’article 10

afin de contester la légalité d’une réglementation compromettant l’effet utile du Traité. La

primauté de l’ordre juridique communautaire interdit aux Etats de prendre ou maintenir en

vigueur une telle mesure. Certains auteurs considèrent même qu’en vertu de ce principe toute

norme interne faisant échec aux règles de concurrence issues du Traité serait directement

contraire aux articles 81 et 82, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours à l’article 10188. La Cour

a d’ailleurs adopté un tel raisonnement lorsqu’elle a jugé que « les conflits entre la règle

communautaire et les règles nationales en matière d’entente doivent être résolus par

l’application du principe de la primauté de la règle communautaire »189. Or, la primauté signifie

que les règles d’effet direct font partie intégrante, avec rang de priorité, de l’ordre juridique

applicable sur le territoire de chacun des Etats membres190. Il s’agit avant tout d’une question de

hiérarchie normative. Si une mesure de droit interne ne peut compromettre l’effet utile des

dispositions du Traité, c’est principalement parce que ces règles ont une autorité juridique

supérieure191. Il en va de même de la loi et du règlement en droit français. S’il lui est subordonné,

c’est en raison de la supériorité hiérarchique de l’acte législatif. Dès lors que le législateur a

entendu édicter une règle de portée et de valeur générale, celle-ci s’impose au juge administratif

même si elle est contenue dans un texte de droit privé192. Un acte réglementaire ne peut rendre

inopérantes des règles de concurrence ayant force de loi, pas plus qu’il ne peut attenter aux

dispositions du Traité.

188 E. PAULIS, « Les Etats peuvent-ils enfreindre les articles 85 et 86 T.C.E.E. ? », Journal des tribunaux, 1985, p. 209. 189 Dans son son arrêt CJCE, 29 janvier 1985, Henri Cullet c/ centres distributeurs Edouard Leclerc, aff. 231/83, Rec. CJCE, p. 305, la Cour de justice s’est référée au considérant 6 de l’arrêt CJCE, 13 février 1969, Walt Wilhelm et autres c/ Bundeskartellamt , aff. 14-68, Rec. CJCE, p. 1, déclarant: « que le Traité CEE a institué un ordre juridique propre intégré au système juridique des Etats membres et qui s’impose à leurs juridictions; qu’il serait contraire à la nature d’un tel système d’admettre que les Etats membres puissent prendre ou maintenir en vigueur des mesures susceptibles de compromettre l’effet utile du Traité, que la force impérative du Traité et des actes pris pour son application ne saurait varier d’un Etat à l’autre par l’effet d’actes internes sans que soit entravé le fonctionnement du système communautaire et mis en péril la réalisation des buts du Traité, que, dès lors, les conflits entre la règle communautaire et les règles nationales en matière d’entente doivent être résolus par l’application du principe de la primauté de la règle communautaire ». 190 CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, Rec. CJCE, p. 609. 191 Indépendamment de la spécificité du droit communautaire, il en est ainsi en vertu de l’article 55 de la Constitution. 192 A. de LAUBADERE, J.-C. VENEZIA, Y. GAUDEMET, « Traité de droit administratif », t 1, LGDJ, 1999, n°28, p. 37.

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76. - L’application des articles 7 et 8 de l’ordonnance aux actes administratifs ne serait donc

qu’une pure question de hiérarchie normative. Ces dispositions font désormais partie de la

légalité administrative. Il s’agit de règles législatives communes aux deux ordres juridiques et

applicables tant à l’administration qu’aux personnes privées. Tout acte individuel ou

réglementaire de nature à compromettre l’effet utile de l’ordonnance serait donc annulable193. Le

fait que les articles 7 et 8 n’envisagent que de simples comportements d’entreprises est inopérant.

La jurisprudence communautaire l’a d’ailleurs démontré à l’égard des articles 81 et 82 du Traité.

Mais ici s’arrête l’influence du droit communautaire. Seul le juge administratif a compétence

pour appliquer les règles de l’ordonnance aux actes de puissance publique. Il ne peut le faire

qu’en usant de techniques qui lui sont propres et dans le respect des principes du droit français de

la concurrence.

Section 2 - L’application des règles de l’ordonnance par le juge administratif

77. - L’appréciation de la conformité d’un acte administratif aux articles 7 et 8 de

l’ordonnance relève du contrôle de la légalité. Le juge de l’excès de pouvoir se doit d’annuler

tout acte contraire à la loi. Il peut s’agir d’une infraction directe ou d’une violation indirecte. Des

actes administratifs ont ainsi pu être censurés sur le fondement de dispositions qui ne semblaient

pas viser l’administration. Le Conseil d’Etat, s’inspirant de cette technique, s’est reconnu le

pouvoir d’annuler tout acte de puissance publique contraire aux articles 7 et 8 de l’ordonnance (§

1). Il ne peut cependant le faire que si l’acte litigieux ne résulte pas directement d’une loi (§ 2).

§ 1 - L’annulation des actes pris en violation de l’ordonnance

78. - L’application des articles 7 et 8 de l’ordonnance aux actes de puissance publique

s’effectue selon une technique bien éprouvée par la jurisprudence du Conseil d’Etat. Dans ces

précédents, il ne s’agissait pas de règles de concurrence mais de la loi pénale ou du code civil. A

l’instar des articles 7 et 8 de l’ordonnance, aucune de ces dispositions ne semblaient s’adresser

aux autorités publiques. Le juge administratif n’a cependant pas hésité à les appliquer194. La

193 V., M. BAZEX, note sous C.E., 26 octobre 1990, aff. préc., JCP, 1992, II, 21876. 194 Sur l’annulation d’un refus de majoration familiale de l’indemnité d’éloignement pour violation de l’article 213 du code civil : C.E., 6 novembre 1992, Mme Perrault, Rec. p. 398; sur l’annulation sur la base de l’article 488 du code civil d’une délibération du conseil d’administration d’un lycée subordonnant le plein exercice de leur majorité par les élèves de plus de dix-huit ans à la présentation d’une lettre signée de leurs parents : C.E., 22 mars 1996, Mmes Paris et Roignot, Rec. p. 99.

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légalité de mesures administratives a ainsi été examinée sur le fondement des articles 378195 et

184196 de l’ancien code pénal, qui punissaient respectivement les violations du secret

professionnel et les abus d’autorité197. Ces textes n’incriminaient pourtant que des actes

imputables à des personnes physiques. Ils ne visaient en rien les agissements de l’Etat. La haute

juridiction a néanmoins estimé que des règlements administratifs ne pouvaient exempter leurs

destinataires des obligations posées par la loi. Cette solution a été réaffirmée récemment, dans un

arrêt société Lambda, à l’occasion d’un litige portant sur une décision individuelle. Il s’agissait,

en l’espèce, d’un décret du président de la République nommant M. Jean-Pascal Beaufret au

poste de sous-gouverneur du Crédit foncier de France198. La société requérante, actionnaire du

Crédit foncier de France, invoquait à l’appui de son recours pour excès de pouvoir la violation de

l’article 432-13199 du nouveau code pénal incriminant la prise illégale d’intérêt par un agent

public après l’exercice de ses fonctions200. Le Conseil d’Etat a ainsi été amené à s’interroger sur

l’invocabilité, à l’encontre d’un acte administratif, d’une loi pénale appréhendant le fait d’une

personne physique. Le commissaire du gouvernement a préalablement écarté tout argument tiré

de l’autonomie du droit administratif. Rappelant que la loi pénale est une loi et que les lois

s’imposent aux décrets, il en conclut qu’un acte administratif n’est pas moins annulable sur le

fondement de la loi pénale que sur celui de n’importe quelle disposition ayant valeur

législative201.

195Article 378 de l’ancien code pénal : « Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens, les sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d’un emprisonnement d’un mois à six mois et d’une amende de 500 F à 15000 F (...) ». 196 Article 184 de l’ancien code pénal : « Tout fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire, tout officier de justice ou de police, tout commandant ou agent de la force publique qui agissant en ladite qualité, se sera introduit dans le domicile d’un citoyen contre le gré de celui-ci, hors les cas prévus par la loi, et sans les formalités qu’elle a prescrites, sera puni d’un emprisonnement de six jours à un an, et d’une amende de 500 F à 15000 F (...) ». 197 Concernant l’examen de la conformité à l’article 378 d’un arrêté ministériel portant approbation de la convention nationale des médecins : C.E., 12 juillet 1978, Kahn, Rec. p. 311; sur l’appréciation de la conformité à l’article 378 de deux décrets relatifs à l’organisation des professions libérales : C.E., 12 mars 1982, Conseil national de l’Ordre des médecins et autres, Rec. p. 109; sur l’annulation de deux arrêtés municipaux portant réglementation du stationnement des nomades dans la ville de Lille pour violation de l’article 184 : C.E., 2 décembre, 1983 Ville de Lille, Rec. p. 470; concernant une décision de redressement fiscal conforme à l’article 184 : C.E., 6 avril 1987, Dailloux, Rec. p. 123. 198 C.E. Ass., 6 décembre 1996, Sté Lambda, RFDA, janvier-février 1997, p. 183. 199 Article 432-13 du nouveau code pénal : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire public ou agent ou préposé d’une administration publique, à raison même de sa fonction , soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée, soit d’exprimer son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction (...) ». 200 Est ainsi visé la pratique du « pantouflage » par les agents de l’administration. 201 D. PIVETEAU, concl. sous C.E. Ass., 6 décembre 1996, aff. préc., RFDA, janvier-février, 1997, p. 173.

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Dans une affaire identique, mais rendue sous l’empire de l’ancien code pénal202, certains

auteurs avaient d’ailleurs considéré qu’une décision de nomination pouvait être annulée pour

avoir placé d’office l’intéressé en situation de délit203. Le commissaire du gouvernement avait

lui-même admis que « le fait pour l’Administration de se rendre complice de la perpétration

d’un délit en ordonnant ou autorisant ou favorisant sa commission est constitutif d’un excès de

pouvoir »204. Cela revenait à accepter qu’un acte administratif puisse être annulé pour avoir

violé, en la rendant inopérante, une disposition ne visant pas directement l’administration. Le

commissaire du gouvernement se veut encore plus explicite dans ses conclusions sous l’arrêt

société Lambda. Il affirme ainsi que l’Etat a manqué à la loi pénale en ayant méconnu « la norme

cachée qui s’adresse à lui en filigrane de l’article 432-13, la norme sous-tendue par cet article

en raison de l’esprit même du texte. Le législateur ne peut avoir voulu bannir la prise illégale

d’intérêt par un fonctionnaire précis, sans avoir voulu interdire, du même mouvement, les actes

qui organiseraient par eux-mêmes de telles confusions d’intérêts ». Il en ressort, que si l’Etat

s’est rendu coupable d’un excès de pouvoir, ce n’est pas pour avoir manqué à un principe général

du droit. Il a simplement enfreint « la norme qui se décalque de la rédaction pénale pour

s’adresser directement à lui »205.

L’arrêt société Lambda est riche d’enseignements quant à l’application des articles 7 et 8 de

l’ordonnance aux actes administratifs. Leur destination première est certes de prohiber certains

comportements d’entreprise anticoncurrentiels. Mais, le juge de l’administration pourrait en

déduire une norme impersonnelle qui s’impose à l’autorité publique. Il ne s’agirait finalement

que de respecter le sens même de l’ordonnance et le véritable but qu’elle poursuit. Le

commissaire du gouvernement dans l’affaire Million et Marais en était d’ailleurs convaincu.

Citant notamment l’arrêt société Lambda, il concluait en ce que l’article 8 cachait en réalité une

202 C.E. Ass, 27 janvier 1969, Ministre du Travail c/ Syndicat national des cadres des Organismes sociaux, Rec. p.39. Il s’agissait de la nomination d’un inspecteur de Sécurité sociale annulée pour violation de l’article 175 de l’ancien code pénal qui disposait: « Tout fonctionnaire, tout officier public, tout agent du Gouvernement, qui, soit ouvertement, soit par actes simulés, soit par interposition de personnes, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises ou régies dont il a ou avait, au temps de l’acte, en tout ou en partie, l’administration ou la surveillance, sera puni d’un emprisonnement de six mois au moins et de deux ans au plus, et sera condamné à une amende qui ne pourra excéder le quart des restitutions et des indemnités, ni être au-dessous du douzième ». 203 MM. DEWOST et DENOIX DE SAINT MARC, note sous C.E., 27 janvier 1969, aff. préc., AJDA, 1969, p. 158. 204 J. BEAUDOUIN, concl. sous C.E., 27 janvier 1969, aff. préc., Rev. adm., 1970, p. 170. 205 Ce raisonnement avait d’ailleurs déjà été implicitement suivi par le Conseil d’Etat dans de précédentes affaires. V. en ce sens sur un refus de communication d’un dossier médical examiné au regard de l’article 378 de l’ancien code pénal : C.E., 22 janvier 1982, Administration générale de l’Assistance publique à Paris, Rec. p. 32; sur l’annulation pour violation de l’article 175 d’une délibération d’un conseil municipal autorisant la location au maire de terrains communaux : C.E., 9 novembre 1984, Laborde-Casteix, Rec. p. 356.

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autre règle à la fois dérivée et consubstantielle de celle qui y était expressément affirmée. Cette

règle implicite interdit à la puissance publique de placer une entreprise en situation d’abuser de

sa position dominante.

79. - Les agents économiques demeurent toujours seuls destinataires des articles 7 et 8 de

l’ordonnance. Mais, ces règles sont indirectement applicables à l’Etat dans l’exercice de son

pouvoir réglementaire. Certains auteurs se sont référés à la notion d’ « opposabilité » pour

signifier que si les droits et obligations qui en découlent ne sont pas directement applicables à

l’administration206, il lui est interdit de porter atteinte à l’effet utile des règles de concurrence.

Cette prohibition n’est toutefois pas absolue. L’article 10.1 de l’ordonnance a ainsi été utilisé par

le juge administratif afin d’exempter des actes contraires aux articles 7 et 8 mais pris sur le

fondement d’une loi.

§ 2 - L’exemption des actes pris pour l’application d’une loi

80. - L’article 10.1 fait échapper à la réglementation des pratiques anticoncurrentielles, celles

« qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son

application ». Cette disposition s’adresse, en principe, aux autorités du marché. Le Conseil de la

concurrence est donc amené à exonérer toute entente ou abus de position dominante imposé par

la loi. Mais le juge administratif applique aussi, indirectement, l’article 10.1 aux actes de

puissance publique. Le législateur peut exempter certaines pratiques d’entreprise contraires aux

articles 7 et 8 de l’ordonnance. Dans un tel cas, les actes administratifs pris en application de la

loi ne sont pas à l’origine d’une violation illégale de l’ordonnance. L’abus de position dominante

ou l’entente qui en résulte est, en effet, couvert par la loi. L’ordonnance ayant valeur législative,

le législateur peut y déroger207. Il l’a d’ailleurs fait dans le corps même de l’ordonnance, en

206 O. GUEZOU, note sous C.E., 3 novembre 1997, aff. préc., AJDA, 1998, p.247 ; M. BAZEX, « Le droit public de la concurrence », RFDA, juillet-août 1998, p. 781. Le terme d’ « opposabilité » renvoie à la distinction opérée en droit des obligations entre la force obligatoire de la convention liant les parties et son opposabilité aux tiers. Ceux-ci ne sont pas tenus par les termes du contrat mais ne doivent rien faire qui pourrait préjudicier à sa pleine exécution. En ce sens, la notion d’« opposabilité» correspond effectivement à l’idée selon laquelle l’administration ne doit pas priver d’effet utile les règles de l’ordonnance qui régissent la situation des entreprises sur le marché. Mais l’ordonnance du 1er décembre 1986 a valeur législative. Or, à la différence d’une convention, la loi produit un effet erga omnes. Il s’agit, stricto sensu, davantage d’une question d’obligatoriété que d’opposabilité. Toutefois, compte tenu de l’usage qu’en fait la doctrine la notion d’ « opposabilité » sera utilisée par la suite comme un synonyme d’ « application indirecte ». 207 L’article 10.1 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 règle en réalité un conflit de lois. Le juge administratif aurait donc pu s’abstenir d’invoquer l’article 10 .1 pour faire échapper un acte de puissance publique

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insérant un article 60-VIII modifiant la loi du 10 juillet 1975 relative à l’organisation

interprofessionnelle agricole. Son article 2 prévoit désormais que les accords étendus conclus

dans le cadre des organisations interprofessionnelles agricoles reconnues relèvent de l’article

10.1 de l’ordonnance. Ces accords constituent matériellement des ententes prohibées au sens de

l’article 7, mais bénéficient d’une immunité légale. Il en va de même des actes administratifs pris

pour leur extension à l’ensemble de la profession concernée.

Le législateur peut aussi excepter aux règles de concurrence sans y déroger expressément. Il

suffit que la loi instaure une situation contraire aux dispositions de l’ordonnance, pour que celle-

ci profite de l’exemption de l’article 10.1. Mais son effet exonératoire ne s’arrête pas au seul

comportement d’entreprise. Les actes pris en application de la loi échappent eux aussi aux

articles 7 et 8 de l’ordonnance. Le juge administratif ne pourra donc les annuler pour avoir rendu

inopérante la réglementation des pratiques anticoncurrentielles.

Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que le contrat par lequel une commune a concédé à une

entreprise le service extérieur des pompes funèbres « ne saurait être utilement critiqué à raison

du droit exclusif d’exploitation du service public conféré à cette entreprise en vertu de l’article

L. 362-1208 du code des communes »209. En l’espèce, le recours visait les clauses du contrat

prévoyant l’existence et les conditions d’exercice de son monopole par le délégataire. Or, la

clause d’exclusivité ayant été stipulée sur le fondement d’une disposition législative, le Conseil

d’Etat a estimé, en se référant à l’article 10.1, qu’il n’y avait pas lieu de lui appliquer l’article 8

de l’ordonnance210. De même, un arrêté portant approbation de la convention nationale des

médecins généralistes a-t-il été exclu du champ d’application de l’article 7 de l’ordonnance. Il est

vrai, que la conclusion d’une telle convention était prévue par l’article L. 162-5211 du code de la

sécurité sociale212.

aux articles 7 et 8 de l’ordonnance. Il aurait pu tout simplement se réferer au principe specialia generalibus derogant, selon lequel ce qui est spécial déroge à ce qui est général. 208 Article L. 362-1 du code des communes : « Le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public (...) Cette mission peut être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée. Les communes ou leurs délégataires ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour l’exercice de cette mission. Elle peut être également assurée par tout autre entreprise ou association bénéficiaire de l’habilitation prévue à l’article L. 362-2-1 ». 209 C.E., 20 septembre 1999, Mlle Rosato, Sté Pompes Funèbres libres, n°199081, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. II ; C.E. Sect., 3 novembre 1997, aff. préc. 210 Le Conseil d’Etat a par contre examiné la conformité à l’article 8 de la clause relative aux conditions d’exercice du monopole. Il est vrai, que l’article L. 362-1 du code des communes se limitait à poser le principe d’un tel monopole sans en fixer les modalités précises. 211 Article L. 162-5 du code de la sécurité sociale : « Les rapports entre les organismes d’assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales... ». 212 C.E., 10 novembre 1999, Syndicat national des industries pharmaceutiques, LDPA, mars 2000, p.3.

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L’article 10.1 permet ainsi à l’administration d’édicter en toute impunité une réglementation

économique directement contraire aux dispositions de l’ordonnance. Mais cette exemption reste

subordonnée à l’intervention du législateur. Elle ne profite qu’aux mesures prises en application

de la loi et conformément à celle-ci213. Un règlement autonome ne saurait donc déroger aux

articles 7 et 8 de l’ordonnance. Il pourrait, sinon, être annulé par le juge administratif. Le champ

d’application de l’article 10.1 est, en outre, limité par les principes du droit communautaire. Dès

lors que le Traité a vocation à s’appliquer, toute mesure étatique contraire aux articles 81 et 82

doit être écartée par le juge national. L’acte pris en exécution d’une loi pourra certes échapper à

l’article 7 de l’ordonnance mais sera annulable sur le fondement de l’article 81 du Traité.

Rien ne s’oppose donc, a priori, à ce que le juge administratif puisse censurer un acte

contraire aux articles 7 et 8 de l’ordonnance. Il convient dès lors d’identifier précisément les

situations dans lesquelles un acte de puissance publique peut être amené à violer les règles de

l’ordonnance.

Chapitre 2 : La violation des règles de l’ordonnance par un acte de puissance publique

81. - Un acte de puissance publique peut favoriser la conclusion d’une entente contraire à

l’article 7 de l’ordonnance ou en renforcer les effets (Section 1). L’administration peut aussi

imposer ou étendre un abus de position dominante prohibé par l’article 8 de l’ordonnance

(Section 2). Dans tous les cas, et sous réserve de l’article 10.1, de tels actes sont annulables par

le juge administratif. Section 1 - Les actes de puissance publique contraires à l’article 7 de l’ordonnance

82. - Un acte administratif peut se révéler n’être que l’expression formelle d’une véritable

concertation entre entreprises instituée par les pouvoirs publics (§ 1). Plus simplement, il peut se

limiter à entériner une entente conclue spontanément par des opérateurs sur le marché (§ 2).

§ 1 - Les concertations instituées

83. - L’interdiction des ententes anticoncurrentielles est susceptible d’affecter certaines des

méthodes de l’économie concertée. Celles-ci visent à associer les opérateurs privés à la définition

213 Un règlement illégal ne saurait entrer dans le champ de l’article 10.1.

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et à l’application de la politique économique sous la forme d’une discipline négociée214. Ces

procédures consistent principalement en des concertations institutionnalisées entres les intérêts

privés et la puissance publique au sein de structures paraétatiques. Il s’agit généralement de

comités réglementaires ou tarifaires à vocation publique, composés de membres provenant des

milieux intéressés. La composition de ces comités amène le juge communautaire à n’y voir que

de simples associations d’entreprises. Leurs décisions entrent donc dans le champ de l’article 81

du Traité. La Cour a ainsi contesté la légalité d’un arrêté ministériel pris sur le fondement d’un

accord interprofessionnel conclu au sein d’un tel organisme. Il s’agissait, en l’espèce, d’un

accord relatif aux prix des vins blancs distillables et des eaux-de-vie de cognac adopté à

l’unanimité par le Bureau National Interprofessionnel du Cognac (BNIC)215. Cet organisme de

droit public était composé de représentants des professions de la production et du commerce du

cognac désignés par le ministre de l’Agriculture parmi une liste établie par les organisations

professionnelles. L’accord conclu en son sein fixait un prix minimal pour le cognac et avait été

étendu à tous les membres des professions concernées par un arrêté ministériel. La Cour l’a

qualifié d’entente, considérant que les personnes qui avaient négocié et conclu l’accord au sein

du BNIC avaient fait l’objet de propositions de désignation par les organisations professionnelles

directement concernées. Les membres du BNIC devaient être regardés, en fait, comme

représentant ces organisations, alors même qu’ils avaient été nommés par l’autorité publique. La

légalité de l’accord interprofessionnel et de l’arrêté d’extension pouvait donc être contestée sur le

fondement de la prohibition des ententes anticoncurrentielles. Le Conseil d’Etat est parvenu à

une solution identique à l’égard d’une décision ministérielle d’extension d’un accord sur les prix

conclu au sein du comité interprofessionnel du chou. La haute juridiction a, en effet, estimé

qu’un accord tendant à assurer, sur l’ensemble du territoire national, la satisfaction de la totalité

de la demande des fabricants de choucroute, tout en garantissant aux producteurs de choux à

choucroute l’écoulement de la totalité de leur production est contraire à l’article 81 du Traité. Le

Conseil d’Etat a donc annulé l’acte litigieux pris sur le fondement de l’accord illicite216.

L’identité matérielle des articles 81 du Traité et 7 de l’ordonnance incite le juge administratif

à s’inspirer de ces solutions pour les transposer au droit français de la concurrence. Dans ces

deux espèces, les arrêtés d’extension renforçaient les effets d’une entente contraire à l’article 7.

214 B. GOLDMAN, A. LYON-CAEN, L. VOGEL « Droit commercial européen » Précis, Dalloz, 5e édition, 1994, n°515, p. 387. 215 CJCE, 30 janvier 1985, Bureau national interprofessionnel du cognac c/ Guy Clair, aff. 123/83, Rec. CJCE, p.391. 216 C.E., 12 juin 1996, Sté Christ et fils, Rec. p. 223.

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Ils étaient donc, a priori, annulables. Le juge de l’excès de pouvoir n’aurait cependant pas pu les

annuler. Ces actes ayant été pris en application d’une loi, ils relevaient de l’article 10.1. Mais, le

bénéfice de l’exemption législative ne modifie en rien leurs caractères intrinsèques. Ils

n’échappent à l’annulation que par la seule volonté du législateur. Si ces actes avaient été édictés

spontanément par l’administration, les juridictions compétentes auraient pu les censurer.

84. - Nombre de décisions émanant d’organismes de droit public représentatifs d’intérêts

privés seraient ainsi, a priori, contraires à l’article 7 de l’ordonnance217. Pour autant, le droit de

la concurrence n’est pas hostile à toute structure associant les milieux intéressés à l’édiction de

normes économiques. Leur légitimité est reconnue pour peu que ces organes collectifs agissent

en représentants de l’Etat et interviennent exclusivement dans un but d’intérêt général.

L’adhésion des opérateurs privés à la réglementation économique est souvent l’une des

conditions de son application effective. Il importe donc qu’ils soient associés au processus

décisionnel. Mais si leur accord peut être recherché, il ne leur appartient pas de définir le

contenu matériel de ces règles. Elles risqueraient sinon de ne traduire que des intérêts purement

privés. Or, un organisme de droit public ne doit poursuivre que des buts d’intérêt général. Dans

le cas contraire, il pourrait se voir reprocher un détournement de pouvoir. Seuls sont donc

condamnés les accords entre entreprises conclus sous les auspices de l’Etat et revêtus de la forme

réglementaire afin de les faire échapper aux règles de concurrence. Une mesure nationale est

ainsi contraire au droit de la concurrence, lorsque l’organe qui l’a élaborée représente

directement les intérêts des opérateurs appartenant au secteur concerné. Trois critères, inspirés de

la jurisprudence communautaire, permettent de déterminer si les membres d’une commission

tarifaire ou réglementaire ne sont pas les simples représentants de catégories professionnelles:

1°) L’indépendance des intéressés: ils ne doivent pas être liés par des ordres ou des

instructions émanant des entreprises ou associations ayant proposé leur nomination218.

2°) Le respect de l’intérêt général: la loi doit les obliger à délibérer en prenant en

considération non pas seulement les intérêts exclusifs des entreprises qui les ont

désignés mais aussi l’intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou

des usagers des services en question219.

217 Il convient de souligner, cependant, que ces organismes sont le plus souvent institués par la loi. Leurs actes contrevenant, a priori, aux dispositions de l’ordonnance seront donc exemptés en vertu de l’article 10.1. 218 CJCE, 17 novembre 1993, aff. préc. 219 CJCE, 5 octobre, 1995 Centro Servizi Spediporto Srl c/ Spedizioni Marittima del Golfo Srl, aff. C-96/94, Rec. CJCE, p. I-2883.

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3°) L’existence d’un contrôle administratif: le ministre doit être en mesure de se substituer à

la commission si des raisons d’intérêt général l’exigent220.

Si l’une des ces conditions vient à manquer, les décisions émanant d’un tel organisme seraient

qualifiables d’ententes entre entreprises. Leur extension à des tiers par un arrêté ministériel les

rendrait obligatoires privant par là-même d’effet utile les règles de concurrence. L’arrêté en

question serait donc annulable sous réserve de l’article 10.1. A l’inverse, si ces critères sont

pleinement satisfaits, les actes ainsi adoptés ne pourraient pas être jugés contraires à la législation

sur les ententes. Il en ressort que l’administration est toujours à même de confier des fonctions

consultatives ou pré-réglementaires à des opérateurs privés au sein d’organismes de droit public.

Cependant, il doit s’agir d’experts indépendants exerçant leurs missions dans le respect de

l’intérêt général. Si tel n’est pas le cas, leurs décisions relèveraient de la réglementation des

pratiques concertées.

En s’inspirant des précédents communautaires, le juge administratif pourrait annuler les actes

d’un organisme public directement contraires à l’article 7 de l’ordonnance. Il en irait de même si

les décisions de l’autorité publique se limitaient à entériner des accords entre entreprises.

§ 2 - Les concertations entérinées

85. - Le droit de la concurrence s’oppose à ce que l’administration puisse étendre à tout un

secteur des dispositions dont seules certaines entreprises ont convenu. L’entente serait alors

renforcée dans ses effets. Son respect s’imposerait à des entreprises qui ne l’auraient pas

négociée. Cela reviendrait, en outre, à conférer un caractère permanent à une règle d’origine

contractuelle, puisqu’elle ne pourrait plus être abrogée par la volonté des parties221. Un acte

administratif qui approuverait une telle entente contreviendrait donc à l’article 7. Sa légalité en

serait affectée.

La Cour de justice a ainsi jugé contraire au droit communautaire de la concurrence, une

décision ministérielle portant homologation d’un tarif proposé par une compagnie aérienne et qui

le rendait obligatoire à l’égard de tous les opérateurs vendant ses billets222. La réglementation

220 CJCE 9 juin 1994 Bundesrepublik Deutschland c/ Delta Schiffahrts und Speditionsgesellschaft mbH, aff. C-153/93 Rec. CJCE, p. I-2517. 221 CJCE, 1er octobre 1986 ASBL Vereniging Van Vlaamse Reisbüreau c/ ASBL Sociale Dienst Van de Plaatselijke en Gewestelijke Overheidsdiensten, aff. 311/85, Rec. CJCE, p. 3801. 222 CJCE, 30 avril 1996, Minsitère public c/ Lucas Asjes et autres, aff. jointes 209 à 213/84, Rec. CJCE, p. I-1425; CJCE, 11 avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro GmbH c/ Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs e. V., aff. 66/86, Rec. CJCE, p. I-803.

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étatique se limitait à entériner un accord entre entreprises. Elle ne poursuivait pas un but d’intérêt

général mais visait à la seule satisfaction d’intérêts privés. En droit français de la concurrence,

cette décision d’homologation aurait été, a priori, contraire à l’article 7 de l’ordonnance s’il était

avéré que les prix résultaient d’une entente entre les opérateurs. Il est vrai qu’en l’espèce, la

procédure d’homologation était organisée par l’article L 330-3 du code de l’aviation civile. La

décision ministérielle avait donc été prise sur le fondement des règlements d’application d’une

loi223. Il n’est toutefois pas évident que l’article 10.1 de l’ordonnance ait eu vocation à

s’appliquer. L’exemption ne vaut, en effet, que si les pratiques anticoncurrentielles découlent

directement d’un texte législatif ou des règlements pris pour son exécution. Or, l’article L 330-3

n’incite pas les compagnies aériennes à conclure une entente sur les prix. Une concertation

tarifaire aurait donc été le résultat d’une décision prise en toute indépendance par les opérateurs.

Il n’y aurait pas eu d’intervention législative à son origine mais uniquement une initiative privée.

La décision d’homologation ayant renforcé les effets d’une entente illicite, sa légalité aurait pu

être contestée devant le juge administratif.

L’article 7 de l’ordonnance semble ainsi s’opposer à ce que l’administration institue ou

entérine spontanément une entente entre opérateurs sur le marché224. L’exigence d’un accord

d’entreprises limite, cependant, les hypothèses de violation de l’ordonnance par un acte

administratif. Cet obstacle disparaît dès lors qu’il ne s’agit plus de sanctionner une atteinte à la

réglementation des ententes mais à la prohibition des abus de position dominante.

Section 2 - Les actes de puissance publique contraires à l’article 8 de l’ordonnance

86. - Un acte administratif peut être à l’origine d’un abus de position dominante. Il en est ainsi

lorsqu’une entreprise est placée en situation d’abus automatique (§ 1). La puissance publique

peut aussi intervenir afin de renforcer les effets d’un abus de position dominante préexistant (§2).

223 Articles R 330-9 et R 330-15 du code de l’aviation civile. 224 Tels ne sont pas les seuls cas où un acte administratif pourrait être susceptible de violer la réglementation des pratiques concertées. La jurisprudence communautaire s’est notamment intéressée à l’hypothèse d’une délégation de pouvoir. L’Etat peut, en effet, déléguer à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d’intervention en matière économique. La Cour de justice considère alors que la réglementation ainsi édictée a perdu son caractère étatique. Son contenu n’est plus inspiré par des préoccupations d’intérêt général. Il n’est que le résultat d’une concertation entre les entreprises concernées visant à satisfaire leurs seuls intérêts privés. Cependant, quel que puisse être l’intérêt théorique d’une telle situation, il n’en existe pas véritablement d’exemple en jurisprudence. Il est

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§ 1 - La constitution d’un abus de position dominante

87. - Un abus de position dominante résulte, en principe, d’un comportement concret

d’entreprise. Mais, un opérateur peut exploiter une position dominante de manière illicite sans

pour autant qu’un comportement abusif lui soit directement imputable. Il suffit que l’entreprise

ait été placée, par l’administration, en situation d’abuser de sa position sur le marché225. La Cour

de justice admet ainsi qu’un texte réglementaire puisse amener une entreprise à violer,

automatiquement et nécessairement, les dispositions de l’article 82 du Traité. Le Conseil d’Etat a

lui-même considéré que le fait de créer une position dominante par l’octroi à une entreprise d’un

droit exclusif était incompatible avec l’article 82 si le simple exercice de ce droit devait la

conduire à exploiter sa position dominante de façon abusive. Le juge administratif a ainsi jugé

contraire à l’article 82 du Traité un décret réservant à la Caisse nationale d’assurance-vieillesse

mutuelle agricole (CNAVMA) la gestion d’un régime de retraite complémentaire. Ce régime

consistait en un mécanisme d’assurance assorti de la déductibilité du revenu professionnel

imposable des cotisations versées. Cet avantage fiscal profitait exclusivement aux adhérents à la

CNAVMA. Le décret plaçait ainsi la CNAVMA dans une position où elle pouvait entraver

substantiellement la concurrence et ne laisser subsister que des entreprises dépendantes dans leur

comportement de la stratégie qu’elle aurait elle-même retenue. Le Conseil d’Etat y vit un abus de

position dominante et annula l’acte litigieux226.

La théorie de l’abus automatique n’est donc pas propre à la Cour de justice. Elle est même

parfaitement transposable en droit français de la concurrence. Dans ses conclusions sous l’arrêt

Million et Marais, le commissaire du gouvernement a notamment précisé que certaines clauses

d’un contrat de concession peuvent placer le délégataire en situation d’abuser de sa position

dominante. Tel est le cas si la durée de la concession excède, sans justification ni motif d’intérêt

général, la durée d’amortissement des biens nécessaires à l’exploitation du service227. Une clause

d’information asymétrique sur le renouvellement de la concession, donnant au concessionnaire

une information sur les propositions de ses concurrents afin de lui permettre d’ajuster son offre toutefois possible de citer un arrêt de la Cour de justice s’en rapprochant: CJCE, 10 janvier 1985, Association des Centres distributeurs Edouard Leclerc et autres c/ SARL « Au blé vert » et autres, aff. 229/83, Rec. CJCE, p. 1. 225 CJCE, 23 avril 1991, Klaus Höfner et Fritz Elser , aff. C-41/90, Rec. p. I-1979; CJCE, 13 décembre 1991, RTT c/ GB-INNO-BM S.A., aff. 18/88, Rec. CJCE, p. I-5941. 226 C.E. Sect., 8 novembre 1996, aff. préc. 227 Il faut toutefois souligner que l’article 40 de la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques a limité la durée des délégations de service public à l’amortissement normal des installations. Dans les domaines de l’eau, de l’assainissement, des

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serait aussi contraire à l’article 8 de l’ordonnance. Le Conseil d’Etat considère ainsi que les

clauses d’un contrat administratif « ne peuvent légalement avoir pour effet de placer l’entreprise

dans une situation où elle contreviendrait aux prescriptions (…) de l’article 8 »228.

88. - Tout avantage accordé par l’autorité publique à une entreprise n’est cependant pas de

nature à placer automatiquement celle-ci en situation d’abuser de sa position dominante. La

légalité d’un décret obligeant les administrations à communiquer leurs bases de données à un

concessionnaire chargé de leur exploitation a ainsi été confirmée au motif que cet avantage était

compensé par l’existence d’obligations de service public229. Le décret étant neutre, aucune de ses

dispositions n’avait pour effet d’amener le concessionnaire à violer l’article 8 de l’ordonnance.

L’abus automatique est l’hypothèse la plus caractéristique de violation de l’ordonnance par un

acte administratif. Mais, il n’est pas nécessaire que l’administration soit à l’origine d’un abus de

position dominante pour que ses actes contreviennent aux dispositions de l’article 8. Elle peut

décider, plus simplement, de favoriser ou de renforcer un abus de position dominante

directement imputable à un opérateur sur le marché.

§ 2 - L’extension d’un abus de position dominante

89. - La jurisprudence communautaire interdit aux Etats membres d’introduire ou de maintenir

dans leur législation toute disposition de nature à favoriser l’exploitation abusive d’une position

dominante par une ou plusieurs entreprises230. Rien ne s’oppose à ce qu’un raisonnement

identique soit appliqué par le juge administratif dans l’ordre juridique interne. Un acte de

l’administration rendant possible un abus de position dominante serait ainsi contraire à l’article 8

de l’ordonnance, sous réserve de l’article 10.1. Il en irait d’ailleurs de même si la puissance

publique se limiterait à renforcer les effets d’un abus de position dominante préexistant. Tel

serait le cas d’un acte de l’autorité publique consacrant juridiquement un abus de position

dominante en lui donnant un fondement réglementaire. De même serait annulable, tout acte

visant à étendre à de nouveaux marchés l’exploitation abusive d’une position dominante.

ordures ménagères et des déchets, la loi n°95-101 du 2 février 1995 a même limité la durée des délégations à vingt années, sauf mise en oeuvre d’une procédure dérogatoire. 228 C.E., 20 septembre 1999, aff. préc.; C.E. Sect., 3 novembre 1997, aff . préc. 229 J.-D. COMBREXELLE, concl. sous C.E. Sect., 3 décembre 1997, aff. préc., CJEG, mars 1998, p. 105. 230 CJCE, 16 novembre 1977, aff. préc.

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90. - L’ordonnance du 1er décembre 1986 a été conçue en vue d’appréhender des pratiques

anticoncurrentielles imputables à de simples entreprises. Le juge administratif est toutefois

parvenu à soumettre les actes de puissance publique aux dispositions précises de l’ordonnance.

Mais, cela n’a été possible qu’en raison de l’existence d’un comportement d’entreprise induit ou

renforcé par l’acte attaqué. L’application, même indirecte, des articles 7 et 8 de l’ordonnance

suppose nécessairement la participation d’une entreprise à la violation des règles de concurrence.

Or, un acte administratif peut porter atteinte au libre jeu de la concurrence indépendamment de

tout comportement d’entreprise. Pour être effective, la soumission des actes de puissance

publique au droit de la concurrence ne peut alors se satisfaire des seules dispositions de

l’ordonnance.

Titre II - Les actes de puissance publique dissociés de tout comportement d’entreprise

91. - L’opposabilité des dispositions de l’ordonnance aux actes de puissance publique

implique un comportement d’entreprise. En son absence, les actes administratifs ne devraient

pas, pour autant, méconnaître la liberté de concurrence proclamée par l’ordonnance. La

soumission effective des actes de puissance publique au droit de la concurrence dépend alors de

l’existence d’une norme juridiquement distincte de l’ordonnance mais qui en conserve la

substance. Le Conseil d’Etat a ainsi tiré de l’ordonnance un principe général de libre concurrence

(Chapitre 1). Son application à des actes administratifs dissociés de tout comportement

d’entreprise devrait permettre de les sanctionner si leurs effets se révélaient anticoncurrentiels.

Par ce biais, des actes d’organisation et de réglementation sans liens avec les agissements d’un

opérateur sur le marché pourraient se voir appliquer le droit de la concurrence issu de

l’ordonnance (Chapitre 2).

Chapitre 1 - L’affirmation du principe de libre concurrence en droit administratif

92. - La libre concurrence constituait l’une des valeurs structurantes du système juridique

français bien avant sa consécration par le juge administratif en tant que principe général du droit.

Elle était protégée au travers de la liberté du commerce et de l’industrie et de la liberté

d’entreprendre (Section 1). La libre concurrence ne disposait pas, cependant, d’un statut

juridique propre. Elle n’était que le prolongement ou l’émanation de ces libertés. L’affirmation

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d’un principe général de la libre concurrence231 qui découle de l’ordonnance permet d’y voir,

dorénavant, une norme à part entière dans l’ordre juridique français (Section 2).

Section 1 - Une liberté protégée par le droit français

93. - La libre concurrence a longtemps été perçue comme un élément de la liberté du

commerce et de l’industrie232 (§ 1). Elle bénéficiait ainsi de la protection accordée à cette liberté

par le juge administratif. Elle se rattache désormais au principe constitutionnel de la liberté

d’entreprendre, dont elle constitue un complément nécessaire (§ 2).

§ 1 - La libre concurrence, un élément de la liberté du commerce et de l’industrie

94. - La liberté du commerce et de l’industrie trouve ses origines dans le décret d’Allarde des

2 et 17 mars 1791233. S’inspirant des lois révolutionnaires234 et des Constitutions du XIXe siècle,

le Conseil d’Etat en a fait un principe général du droit administratif235. Celui-ci postule la liberté

de choix de l’activité économique et la suppression de toutes les entraves de droit public et de

droit privé.

95. - La liberté du commerce et de l’industrie s’entendait, initialement, de la liberté

professionnelle et de la liberté d’entreprendre. En ce sens, elle constituait une rupture radicale

avec le système corporatiste de l’Ancien Régime. Principe nécessairement contingent, la liberté

du commerce et de l’industrie a évolué avec le développement de l’interventionnisme étatique.

Dès le début du XXe siècle, le Conseil d’Etat a considéré que la liberté du commerce et de

l’industrie ne pouvait se limiter au libre exercice d’un activité professionnelle236. Elle impliquait

aussi le droit d’exercer cette activité sur un marché concurrentiel. Or, une réglementation

231 V. notamment, L. IDOT, « La liberté de concurrence en France », LPA n°59, 23 mars 2000, p. 4. 232 V. notamment, M. KDHIR, « Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie : mythe ou réalité ? », D, 1994, Chron., p. 30. 233 « ... Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon... ». 234 Loi Le Chapelier sur les corporations du 14 juin 1791. 235 Article 355 de la Constitution de l’An III: « Il n’y a ni privilège, ni maîtrise, ni jurande, ni limitation de la liberté de la presse, du commerce, et à l’exercice de l’industrie et des arts de toute espèce. Toute loi prohibitive en ce genre, quand les circonstances la rendent nécessaire, est essentiellement provisoire, et n’a d’effet que pendant un an au plus, à moins qu’elle ne soit formellement renouvelée »; article 13 de la Constitution de 1848: « La Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie (...) ». 236 V. C.E., 6 mars 1914, Syndicat de la Boucherie de la ville de Châteauroux, Rec. p . 308.

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publique peut fausser le jeu de la concurrence entre les entreprises privées. La liberté du

commerce et de l’industrie interdit donc à la puissance publique d’entraver la concurrence sur le

marché par ses prescriptions ou ses prestations. Elle postule la liberté des instruments de

concurrence237. Mais, il ne s’agit pas simplement d’une limite à l’exercice du pouvoir

réglementaire. La liberté du commerce et de l’industrie apporte aussi des restrictions sévères aux

interventions économiques des personnes publiques238. Elle leur fait interdiction de concurrencer

les entreprises privées dans l’accomplissement d’activités industrielles ou commerciales239.

L’existence d’un intérêt public et la carence ou l’insuffisance de l’initiative privée peuvent

toutefois justifier l’immixtion des collectivités publiques dans la sphère économique.

L’obligation de non-concurrence, qui prévalait à l’origine, s’est vue substituer un principe

d’égale concurrence entre les opérateurs publics et privés. Les personnes publiques peuvent

concurrencer les entreprises privées mais elles doivent le faire dans des conditions identiques.

96. - La libre concurrence est ainsi apparue, dans la jurisprudence administrative, comme un

prolongement de la liberté du commerce et de l’industrie240. Elle constituait, en son sein, le

complément nécessaire de la libre entreprise. La constitutionnalisation de la liberté

d’entreprendre a naturellement conduit la doctrine à s’interroger sur la valeur et la portée

juridique de la libre concurrence.

§ 2 - La libre concurrence, un complément de la liberté d’entreprendre

97. - La liberté du commerce et de l’industrie constitue une liberté publique dont le régime est

fixé par la loi241. Il s’agit donc d’un principe a valeur législative, son appartenance en tant que

telle au bloc de constitutionnalité ayant toujours été refusée par le Conseil constitutionnel242.

Le Conseil ne dénie pourtant pas toute valeur constitutionnelle aux libertés économiques. Il a

ainsi jugé « que la liberté qui, aux termes de l’article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir

faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions

237 J. AZEMA « Le droit français de la concurrence », PUF, coll. Thémis droit, 1989, n°132, p. 98. 238 C.E., 4 juillet 1984, Département de la Meuse, RDP, 1985, p. 199; C.E., 25 juillet 1986, Commune de Mercoeur c/ Morand, Dr. adm., 1986 n°489. 239 C.E. Sect., 30 mai 1930, aff. préc. 240 P. DEVOLVE, « Droit public de l’Economie », Dalloz, Précis, 1998, n°86, p. 109. 241 C.E., 22 juin, 1951, Daudignac, Rec. p. 362; C.E. Sect., 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye, Rec. p. 570; C.E., 16 juin 1976, Confédération nationale des auxiliaires médicaux et paramédicaux, Rec. p. 309. 242 Conseil constitutionnel, décision n°81-129 DC, 30 et 31 octobre 1981, Rec. CC, p.35.

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arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre »243. Celle-ci n’est

finalement que l’extension de la liberté individuelle au domaine économique. Le législateur ne

peut ainsi supprimer la liberté qu’a tout individu de choisir l’activité qu’il entend exercer ni le

priver du droit de « tirer parti de sa propriété pour exercer ce libre choix »244. Or, la liberté

d’entreprendre a longtemps été considérée comme l’une des deux composantes de la liberté du

commerce et de l’industrie. Si la libre concurrence s’entend « de la liberté de concurrencer

autrui sans être défavorisé par rapport à lui », la liberté d’entreprendre constitue « le fondement

de l’activité que les particuliers veulent entreprendre et des droits qu’ils peuvent à cet égard

faire valoir à l’encontre des pouvoirs publics ». Ces deux notions recouvrent, pour l’essentiel, le

contenu matériel de la liberté du commerce et de l’industrie. Elles sont nécessairement

complémentaires. La constitutionnalisation de la liberté d’entreprendre n’a pourtant pas eu

d’incidence directe sur le statut de la libre concurrence. Emancipée de la liberté du commerce et

de l’industrie, la liberté d’entreprendre est devenue « la plus large et la plus haute de toutes les

libertés économiques »245. La libre concurrence, quant à elle, n’est toujours pas considérée

comme un objectif à valeur constitutionnelle246. Son statut demeure incertain. La diversification

et la singularisation des libertés économiques incitent toutefois la doctrine à s’interroger sur

l’autonomie juridique de la libre concurrence. Si elle complète utilement la liberté

d’entreprendre, elle s’en distinguent par son objet. La liberté d’entreprendre concerne le libre

choix de l’activité économique, alors que la libre concurrence « se rapporte aux moyens à l’aide

desquels l’activité librement choisie est mise en oeuvre »247. La liberté d’entreprendre crée les

conditions favorables à l’épanouissement de la libre concurrence mais elle ne garantit pas pour

autant qu’un marché concurrentiel puisse apparaître.

98. - La constitutionnalisation de la liberté d’entreprendre a permis de prendre conscience de

la singularité de chacune des libertés économiques. L’influence du droit communautaire et les

transformations du droit français de la concurrence contribuèrent à l’émancipation de la libre

concurrence. Fondée sur des textes clairs se réclamant de l’économie de marché, elle est devenue

un principe général du droit administratif.

243 Conseil constitutionnel, décision n°81-132 DC, 16 janvier 1982, Rec. CC, p.18. 244 L. FAVOREU et L. PHILIP, « Les grandes décisions du Conseil constitutionnel », Dalloz ,10e éd., 1999, p. 463. 245 P. DEVOLVE, op. préc., n°86 p. 108. 246 Conseil constitutionnel, décision n°93-335 DC, 21 janvier 1994, Rec CC, p. 576. 247 J. A. VAN DAMME « La politique de la concurrence dans la C.E.E. » éditions UGA, 1980, n°24, p. 40.

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Section 2 - Un principe consacré en droit français

99. - La consécration de la libre concurrence en tant que principe juridique a été largement

influencée par les exigences du droit communautaire. La Communauté est fondée sur une

économie de marché régulée par la libre concurrence, principes auxquels les Etats membres

doivent adhérer (§1). L’ordonnance du 1er décembre 1986 s’y conforme en proclamant la liberté

de concurrence. Le juge administratif s’en est directement inspiré en reconnaissant à la libre

concurrence l’autorité d’un principe général du droit (§2).

§ 1 - Un principe influencé par le droit communautaire de la concurrence

100. - La libre concurrence est l’une des pièces maîtresses de la Constitution économique de

la Communauté européenne. Elle apparaît comme étant un principe fondamental et nécessaire au

bon fonctionnement du Marché commun. Elle contribue à l’unité du marché intérieur en

complétant utilement la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux.

L’article 3 g) du Traité précise ainsi que la Communauté repose sur « un régime assurant que la

concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur ». Il s’agit d’éviter que les barrières

douanières ne soient remplacées par des cloisonnements de marché résultant de pratiques

commerciales restrictives ou d’interventions protectionnistes des Etats248. L’élimination des

obstacles entravant la libre concurrence est l’une des conditions du plein effet de l’ouverture des

marchés nationaux.

La première fonction dévolue au principe communautaire de la libre concurrence consiste

donc en la promotion de l’intégration économique. Mais il est davantage qu’un simple adjuvant

de la construction européenne. Les rédacteurs du Traité ont vu dans la libre concurrence le

meilleur instrument de régulation économique. Le Marché commun repose ainsi sur la libre

concurrence tant entre les Etats, qu’à l’intérieur de chaque Etat. Elle assure une allocation

optimale des ressources. Elle conduit non seulement à une meilleure productivité mais permet

aussi au consommateur d’obtenir une part équitable de cette augmentation249. L’attachement de

la Communauté à la libre concurrence est tel, que l’article 4 du Traité soumet l’action des Etats

248 A. BARAV, C. PHILIP, « Dictionnaire juridique des Communautés européennes », PUF, 1993, p. 267. 249 Commission des Communautés européennes, 20e Rapport sur la politique de concurrence, 1991, p. 11 et s.

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membres au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est

libre250.

101. – Telle qu’issue du Traité, la libre concurrence est un principe de nature politique et

juridique. Il s’agit d’un objectif pratique qui structure la jurisprudence de la Cour. Mais par-delà

l’ordre juridique communautaire, le principe de la libre concurrence pénètre aussi les ordres

juridiques internes. L’uniformité d’application du droit communautaire et des raisons strictement

économiques font de la reconnaissance du principe de libre concurrence par les autorités

nationales une exigence de cohérence du marché commun. A la suite d’autres juridictions

européennes, le juge administratif semble en convenir251.

§ 2 - Un principe inspiré des règles de l’ordonnance

102. - Le principe de libre concurrence a toujours existé, de façon latente, au sein de la liberté

du commerce et de l’industrie. Mais, le juge administratif a longuement tardé avant de le

consacrer expressément. Il se référait aux principes d’égalité ou de spécialité, refusant ainsi à la

libre concurrence un statut juridique qui lui soit propre. Il est vrai, que jusqu’à une époque

récente aucun texte ne l’affirmait précisément252. L’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er

décembre 1986 et l’arrêt « ville de Pamiers » ont incité les requérants à se prévaloir directement

du principe de libre concurrence à l’appui de leurs recours pour excès de pouvoir253.

Les juridictions administratives ont donc été amenées à se prononcer de façon récurrente sur

la conformité d’actes de puissance publique au principe de libre concurrence. Le Conseil d’Etat a

250 Article 4 du traité CE :« Aux fins énoncées à l’article 2, l’action des Etats membres et de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité, l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des Etats membres, sur le marché intérieur et sur la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. Parallélement, dans les conditions et selon les rythmes et les procédures prévus par le présent traité, cette action comporte la fixation irrévocable des taux de change conduisant à l’instauration d’une monnaie unique, l’Ecu, ainsi que la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, de soutnir les politiques économiques générales dans la Communauté, conformément au principe d’une économie de marché où la concurrence est libre (... )». 251 Dans l’ordre juridique allemand, liberté du commerce et liberté de concurrence sont considérées comme des aspects particuliers du principe supérieur de la liberté individuelle. 252 J.-L. AUTIN « Personnes publiques et concurrence », JCP éd. E, 28 juillet 1994, supplément n°3, p. 2. 253 Nous n’évoquerons pas ici l’abondante jurisprudence afférente au principe de libre concurrence en matière audovisuelle même s’il est vrai que la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication renvoie « aux règles et conditions de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ».

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notamment été saisi d’un recours demandant l’annulation pour violation du principe de la liberté

de concurrence d’un arrêté ministériel relatif à l’information du consommateur dans le domaine

de la franchise254. Ce moyen était soulevé à titre subsidiaire, la requérante invoquant

principalement une rupture d’égalité entre les commerçants franchisés et d’autres formes de

distribution intégrée. Le Conseil d’Etat l’a écarté en rappelant, sans plus de précisions, que

l’arrêté attaqué avait pour objet d’assurer l’information des consommateurs sur la différence

existant entre les commerces régis par des accords de franchise et certaines autres formes de

distribution intégrée. Il déduisait l’absence d’atteinte au principe de libre concurrence de ce que

l’acte litigieux se limitait à améliorer l’information du consommateur. Si le Conseil d’Etat n’a

pas annulé l’arrêté contesté, il n’a pas non plus nié l’existence d’un principe de libre

concurrence255. Celui-ci a de nouveau été invoqué devant la haute juridiction à l’encontre d’un

décret portant règlement d’un jeu de la loterie nationale. Le Conseil d’Etat a considéré, en

l’espèce, que le requérant ne pouvait utilement se prévaloir du principe de libre concurrence,

l’atteinte alléguée trouvant son fondement dans les prescriptions d’une loi256.

103. - Le Conseil d’Etat avait ainsi admis, implicitement, l’existence d’un principe de libre

concurrence au sein de la légalité administrative257. Mais, il n’avait rien dit de ses origines ni de

son fondement textuel. L’autonomie juridique du principe de libre concurrence exigeait que lui

soit reconnue une assise distincte de la liberté du commerce et de l’industrie. Le juge

administratif y parvint en rattachant le principe de libre concurrence aux dispositions de

l’ordonnance258. Il examina, en effet, par deux fois la conformité d’un décret « au principe de

liberté de la concurrence qui découle de l’ordonnance du 1er décembre 1986 »259. La

254 C.E., 13 novembre 1992, Fédération française de la franchise, n°135530, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. I. 255 C.E., 21 janvier 1994, Fédération P.M.A. Fédération des hopitaux généraux et assimilé, n°118858, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. II. Le Conseil d’Etat continuait à le rattacher à la liberté du commerce et de l’industrie puisqu’il se réfèrait expressément à la « liberté de concurrence et de l’industrie ». 256 C.E., 17 mars 1995, Syndicat des casinos autorisés de France, AJDA, 1995, p. 417. Pour une solution identique à l’égard d’un décret pris en application de l’article L 221-5 du code du travail: C.A.A. Paris, 15 décembre 1998, Sté L’Antiquaire d’Yerres, n°97PA02239, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. II. 257 Plus récemment le tribunal administratif de Besançon s’est référé au « principe de la libre concurrence consacré aussi bien par les principes généraux de notre droit que par ceux du droit communautaire » concernant l’intervention de la direction départementale de l’agriculture pour assurer la maîtrise d’œuvre de travaux sur un bâtiment communal (T.A. Besançon, 22 juillet 1999, Monnot, Dr. adm., octobre 1999, p.13). 258 V. notamment, E. DELACOUR, « Liberté de concurrence. Un principe général consacré en droit français », Mon. TP, 17 juillet 1998, p. 31. 259 C.E., 1er avril 1998, aff. préc. : l’ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée a modifié le régime des « cliniques ouvertes » et substitué à ces dernières des « structures médicales » dans lesquelles les malades « peuvent faire appel aux médecins (...) de leur choix autres que ceux exerçant leur activité à titre exclusif dans l’établissement (article L 714-36 du code de la santé publique). Le décret attaqué fixait les modalités d’application de l’ordonnance; C.E., 5 octobre 1998, aff. préc.: sur l’article 8 du décret du 14 novembre

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consécration d’un principe de libre concurrence issu de l’ordonnance préserve l’unité matérielle

du droit commun de la concurrence devant le juge administratif. Celle-ci n’est plus menacée, que

l’acte attaqué soit rattachable ou non à un comportement d’entreprise. Qu’il s’agisse de ses

dispositions précises ou du principe qui en découle, c’est en quelque sorte l’ordonnance qui

continue à s’appliquer.

Le juge administratif dispose désormais de deux techniques alternatives lui permettant de

contrôler la légalité des actes de puissance publique au regard du droit de la concurrence. Si

l’acte litigieux accompagne un comportement d’entreprise, le juge de l’administration peut lui

opposer les articles 7 et 8 de l’ordonnance. A l’inverse, si l’acte est indépendant de tout

agissement sur le marché, seul le principe de libre concurrence qui découle de l’ordonnance

devrait lui être appliqué. Le juge administratif n’hésite pas d’ailleurs à reformuler la requête des

parties compte tenu de cette distinction pratique. Saisi de la conformité d’un arrêté portant

extension d’un accord interprofessionnel en matière de protection sociale, le juge de

l’administration a ainsi considéré « qu’en soutenant que l’accord interprofessionnel étendu par

l’arrêté attaqué porte atteinte au principe de libre concurrence, les requérants ont entendu

invoquer le moyen tiré de la violation des articles 7 et 8 de l’ordonnance du 1er décembre

1986»260. Le juge administratif garantit par là-même la complémentarité et l’efficacité de deux

techniques essentielles pour le contentieux de la concurrence.

104. - La libre concurrence est désormais considérée comme un principe général du droit

faisant partie de la légalité administrative. Il bénéficie ainsi de la valeur supra-réglementaire

attachée aux principes généraux du droit administratif. L’administration est donc tenue de le

respecter dans l’exercice de son pouvoir normatif.

Chapitre 2 : L’application du principe de libre concurrence aux actes administratifs

105. - Le principe de libre concurrence issu de l’ordonnance a vocation à s’appliquer tant aux

mesures d’organisation dissociées de tout comportement d’entreprise (Section 1) qu’aux actes de

réglementation du marché (Section 2).

1997 portant application de l’article L 2223-39 du code général des collectivités territoriales et relatif aux chambres mortuaires des établissements de santé qui prévoit que des chambres mortuaires peuvent être créées et gérées, non seulement par les établissements de santé publics ou privés tenus de disposer d’un tel équipement en raison du nombre moyen annuel de décès qu’ils enregistrent, mais également par les autres établissements de santé ainsi que les établissements assurant l’hébergement des personnes âgées. 260 C.A.A Paris, 20 octobre 1998, Mme Laille et autres, n°95PA03547, Juridisque Lamy Vol. II E et CAA.

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Section 1 - L’application du principe de libre concurrence aux actes d’organisation

106. - L’application du principe de libre concurrence aux actes d’organisation dissociés de

tout comportement d’entreprise permet de sanctionner les atteintes à la concurrence qui en

résultent (§ 1), tout en préservant l’intégrité du droit administratif (§ 2).

§ 1 - Une solution respectueuse du droit de la concurrence

107. - Les articles 7 et 8 de l’ordonnance visent expressément des comportements

d’entreprise. Il n’est donc pas question de les appliquer directement à des actes administratifs. Le

raisonnement de l’arrêt Million et Marais repose fondamentalement sur l’existence conjointe

d’un acte de puissance publique et d’un comportement d’entreprise. Si l’acte est effectivement

saisi par le droit de la concurrence, il ne l’est qu’au travers des agissements de l’entreprise sur le

marché. L’acte administratif est sanctionnable en ce qu’il a permis la violation de la loi par une

entreprise. Dans l’arrêt Million et Marais, le contrat litigieux s’était ainsi vu reprocher le fait

d’avoir placé le concessionnaire en situation d’abuser de sa position dominante. Or, ce

raisonnement n’est pas transposable à un acte de puissance publique qui n’est rattaché à aucune

pratique d’entreprise. Il s’agit d’actes d’organisation du domaine ou du service public dont les

effets anticoncurrentiels sont directement imputables à l’administration. De tels actes ne placent

pas un opérateur sur le marché en situation d’abuser d’une position dominante, mais produisent

les mêmes effets qu’un abus de position dominante. L’acte d’organisation traduirait, de la part du

gestionnaire du domaine lui-même, un abus de position dominante . Il y a donc lieu de lui

appliquer le droit de la concurrence. Mais, les dispositions précises de l’ordonnance ne peuvent

être invoquées utilement en l’absence d’un tel comportement. L’application du principe de libre

concurrence issu de l’ordonnance semble être, alors, une solution concevable. Elle permet de

contrôler la légalité de ces actes au regard du droit de la concurrence sans pour autant solliciter à

l’excès les règles de l’ordonnance.

Le Conseil d’Etat a été confronté à une telle situation à l’occasion d’un arrêt Société EDA du

26 mars 1999 portant sur l’examen de la légalité de décisions relatives à l’occupation du domaine

public aéroportuaire par des sociétés de location de véhicules. La société requérante invoquait à

l’encontre du rejet de son offre par Aéroports de Paris la violation de l’article 8 de l’ordonnance.

Or, l’interdiction des abus de position dominante concerne les entreprises. En l’espèce, il n’y

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avait pas d’entreprise en situation d’abuser d’une position dominante. Aéroports de Paris

intervenait en tant que gestionnaire du domaine public. Les effets anticoncurrentiels allégués

découlaient directement des décisions de l’autorité administrative sans interposition d’un

comportement d’entreprise. Comme l’indiquait le Commissaire du gouvernement dans ses

conclusions, « admettre l’invocation des règles issues de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ne

résulte donc pas ici, au-delà des apparences, d’une simple application du raisonnement tenu

dans la décision Million et Marais. Pour faire jouer ici les règles issues de l’ordonnance, il est

sans doute nécessaire de solliciter davantage le texte de l’ordonnance que ne l’a fait la décision

du 3 novembre 1997 »261. Le Commissaire du gouvernement invitait finalement le Conseil d’Etat

à admettre « une certaine invocation des règles de la concurrence posées par cette ordonnance,

dès lors qu’est en cause l’occupation du domaine public à des fins d’exploitation commerciale ».

Le juge administratif doit s’assurer que les conditions accompagnant l’occupation du domaine

public ne portent pas atteinte au libre jeu de la concurrence. Une mesure d’organisation dissociée

de tout comportement d’entreprise se voit donc appliquer « des règles issues de l’ordonnance ».

Mais, il n’est plus question de l’article 8 de l’ordonnance. En l’absence d’une pratique

d’entreprise, le fondement de l’application effective du droit de la concurrence aux actes de

puissance publique ne peut être trouvé dans le texte même de l’ordonnance. Seule une

application implicite du « principe de libre concurrence qui découle de l’ordonnance »262 permet

d’expliquer la solution proposée par le commissaire du gouvernement263. Se fonder sur l’article 8

en tant que tel, reviendrait en effet à en modifier profondément la portée. Cela impliquerait, en

outre, une réécriture complète de l’article 8 dont seul le législateur pourrait être l’auteur264.

108. - L’application du principe de libre concurrence aux mesures d’organisation dissociée de

tout comportement d’entreprise respecte le texte de l’ordonnance tout en assurant une soumission

effective des actes de puissance publique au droit de la concurrence. Cette solution permet, en

outre, de préserver l’intégrité du droit administratif.

261 J.-H. STAHL, concl. sous C.E., 26 mars 1999, aff. préc., AJDA, 1999, p. 427. 262 V. en ce sens M. BAZEX note s. C.E. 26 mars 1999, aff. préc., AJDA, 1999, p. 435. 263 Le Conseil d’Etat n’a pas encore statué sur le fond, puisqu’il a préféré saisir pour avis le Conseil de la concurrence en vertu de l’article 26 de l’ordonnance. Même si la solution au fond devait reposer sur l’article 8, il n’en reste pas moins qu’il serait difficilement concevable de l’appliquer, en l’état, à un acte administratif sans lien avec un comportement d’entreprise. 264 V. cependant, S. MANSON, note sous C.E. Sect., 26 mars 1999, aff. préc., RDP, 1999, p. 1545. Selon cet auteur, l’article 8 de l’ordonnance contiendrait une règle cachée interdisant à l’autorité publique d’abuser d’une position dominante par ses actes de gestion domaniale.

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§ 2 - Une solution conforme au droit administratif

109. - L’invocation du principe de libre concurrence issu de l’ordonnance à l’encontre des

mesures d’organisation dissociées de tout comportement d’entreprise est conforme à la

distinction traditionnelle opérée par le droit administratif entre les notions d’entreprise et

d’autorité publique. L’affaire Société EDA265 en est un exemple significatif. Sa solution

dépendait largement de la nature juridique de la gestion du domaine public. Certains auteurs

préconisaient l’application directe de l’article 8 aux décisions d’Aéroports de Paris. Cela revenait

à considérer une autorité administrative gestionnaire du domaine public comme une simple

entreprise exerçant une activité économique. Cette qualification avait d’ailleurs été retenue par

les autorités du marché qui n’avaient pas hésité à considérer qu’ « Aéroports de Paris exerce une

activité de services, de nature économique telles que celles visées par l’article 53 de

l’ordonnance du 1er décembre 1986, peu important au regard de ce texte, qui fait expressément

rentrer dans le champ d’application les activités de production, de distribution et de services

émanant des personnes publiques, que le gestionnaire soit investi de prérogatives de puissance

publique ou gère une partie du domaine public»266. La gestion du domaine public devenait une

simple activité d’entreprise. Cette assimilation à une activité économique heurtait la conception

traditionnelle de la gestion du domaine public considérée comme une manifestation de l’exercice

de la puissance publique. Un refus d’occupation du domaine public ne peut être confondu avec

un comportement d’entreprise. Comme le rappelle le Commissaire du gouvernement sous l’arrêt

Société EDA, l’acte litigieux « édicté par le gestionnaire du domaine public, dans le cadre de

ses attributions domaniales et dans l’intérêt d’une bonne gestion de ce domaine, ne présente pas

le caractère d’une pratique ou d’un agissement, mais constitue un acte administratif pris dans

l’exercice de prérogatives de puissance publique. Les actes de gestion du domaine public sont,

au sein des actes administratifs, sans doute parmi ceux qui sont le plus marqués par les

prérogatives de puissance publique: les occupations privatives ne peuvent être que précaires;

elles sont révocables unilatéralement, afin de toujours permettre à l’autorité domaniale de

prendre les mesures nécessaires à la conservation et à la bonne utilisation du domaine ». Il en

ressort, qu’en gérant le domaine public aéroportuaire, Aéroports de Paris doit être considéré

comme une autorité administrative et non comme une entreprise. L’article 8 de l’ordonnance ne

265 C.E., 26 mars 1999, aff. préc. 266 C.A. Paris, 23 février 1999, BOCC du 18 février 2000, p. 65.

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lui est donc pas directement applicable. Quelle que puisse être la position des autorités

communautaires ou d’une partie de la doctrine, le gestionnaire du domaine public ne peut pas

être traité comme une entreprise en l’état actuel du droit administratif. Pour autant, les décisions

de l’autorité administrative dissociées de tout comportement d’entreprises ne sont pas exemptes

d’effets sur le marché. L’application du principe de libre concurrence devrait ainsi permettre de

sanctionner leurs effets anticoncurrentiels tout en restant dans le cadre traditionnel de la gestion

du domaine public, tel que défini par le droit administratif267.

110. - L’existence d’un principe de libre concurrence permet l’application effective de règles

issues de l’ordonnance à des actes d’organisation qui ne sont pas liés à un comportement

d’entreprise. Son utilité est tout aussi grande à l’égard des actes de réglementation. Sur son

fondement, le juge administratif peut apprécier leur légalité au regard du droit commun de la

concurrence.

Section 2 - L’application du principe de libre concurrence aux actes de réglementation

111. - L’application du principe de libre concurrence aux actes de réglementation semble

conforme à la jurisprudence administrative et à l’esprit de l’ordonnance (§ 1). Il convient donc de

s’intéresser aux normes dont la légalité pourrait être contestée sur ce fondement (§ 2).

§ 1 - La soumission des actes de réglementation au principe de libre concurrence

112. - Le juge administratif n’a guère été amené à examiner la conformité d’actes de

réglementation économique au droit commun de la concurrence. La réglementation du marché

n’est pourtant pas sans effet sur le libre jeu de la concurrence. L’un des objectifs de l’ordonnance

du 1er décembre 1986 était précisément d’éviter que des actes réglementaires ne puissent affecter

la concurrence de manière inconsidérée. Le législateur a ainsi instauré un double mécanisme

consultatif permettant de prévenir de telles atteintes à la concurrence. Ce contrôle préalable

portant sur les projets de textes réglementaires a été confié au Conseil de la concurrence. Celui-ci

dispose d’attributions consultatives en vertu des articles 5 et 6 de l’ordonnance. Il lui incombe de

donner son avis sur toute question concernant la concurrence mais il ne lui appartient pas

267 Pour une réflexion générale sur les rapports entre la gestion du domaine public et l’ordonnance V., G. GONZALEZ, « Domaine public et droit de la concurrence », AJDA, 1999, p. 387.

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d’apprécier la légalité des projets qui lui sont soumis. Dans l’exercice de ce pouvoir consultatif,

le Conseil de la concurrence ne peut pas davantage se prononcer sur les pratiques relevant du

titre III de l’ordonnance. La procédure d’avis lui permet donc d’examiner « les questions d’ordre

général concernant la concurrence » en rapport avec des projets d’actes réglementaires et à

l’exception des ententes ou abus de position dominante. Il s’agit bien d’actes de puissance

publique dissociés de tout comportement d’entreprise.

113. - L’étude des avis du Conseil de la concurrence devrait permettre de déterminer

précisément les atteintes qu’une réglementation du marché est susceptible d’apporter à la

concurrence. Elle présente un intérêt évident quant à l’application aux actes réglementaires du

principe de libre concurrence révélé par le juge administratif. Dans l’exercice de sa mission

consultative, le Conseil examine les mesures qui lui sont déférées au regard « des principes de la

concurrence ». Ceux-ci découlent de l’ordonnance à l’instar du principe de libre concurrence

consacré par le Conseil d’Etat. Les actes réglementaires relevant des articles 5 et 6 de

l’ordonnance entrent donc dans le champ du principe général de la libre concurrence. Toute

norme faisant l’objet d’un avis négatif du Conseil de la concurrence pourrait ainsi être attaquée

devant le juge administratif pour violation du principe de libre concurrence. En effet, la

consultation a priori du Conseil de la concurrence n’est pas exclusive d’un contrôle a posteriori

du Conseil d’Etat. Même si la saisine du Conseil de la concurrence est parfois obligatoire son

avis reste toujours indicatif. Le gouvernement n’est pas lié par les avis du Conseil de la

concurrence. Rien ne lui interdit d’édicter sans lui apporter aucune modification, un acte

réglementaire dont certaines des dispositions a pourtant fait l’objet d’un avis défavorable. La

consultation préalable du Conseil de la concurrence ne garantit pas l’élimination des dispositions

attentatoires à la concurrence. Celles qui subsistent pourraient être contestées devant le juge

administratif.

114. - Le Conseil d’Etat a déjà été saisi d’un recours dirigé contre un acte administratif adopté

malgré un avis négatif du Conseil de la concurrence. Il s’agissait d’un projet d’arrêté ministériel

fixant les caractéristiques des laits infantiles dont la distribution est réservée par la loi aux

pharmaciens. Consulté sur le fondement de l’article 6 de l’ordonnance, le Conseil de la

concurrence a estimé que le projet d’arrêté portait une atteinte injustifiée au libre jeu de la

concurrence. La distribution exclusive des laits de régime destinés aux enfants du premier âge

pouvait certes être justifiée par des considérations de santé publique. Ces laits étant

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habituellement consommés sur prescription médicale, le pharmacien était amené à conseiller

l’acheteur sur leur utilisation. Mais l’inclusion dans le projet d’arrêté des aliments lactés

diététiques maternisés ou non maternisés n’était motivée par aucune considération de santé

publique. Ceux-ci étaient d’ailleurs librement commercialisés dans les autres Etats membres de

la Communauté. Le Conseil de la concurrence a ainsi invité le gouvernement à supprimer

l’article 1er du projet d’arrêté relatif aux aliments lactés diététiques268. L’arrêté a pourtant été

adopté sans aucune modification. Le Conseil d’Etat a alors été saisi d’un recours demandant son

annulation. Malgré le laconisme de sa décision, il semble bien que le juge administratif ait

examiné la conformité de l’arrêté attaqué au droit commun de la concurrence. S’il n’a visé aucun

article de l’ordonnance, c’est précisément parce qu’il n’était pas reproché à l’administration une

entente prohibée ou un abus de position dominante. L’arrêté contesté ne violait aucune

disposition précise de l’ordonnance puisqu’il n’était pas rattachable à un comportement

d’entreprise. Le Conseil d’Etat s’est limité à viser l’ordonnance dans sa généralité. La doctrine

s’est donc interrogée sur le fondement juridique de l’applicabilité des règles de l’ordonnance au

cas d’espèce. Elle en a conclu qu ’« en l’absence de toute indication de texte, on ne voit guère de

recours que dans les principes généraux du droit »269. En visant l’ordonnance sans autres

précisions, le Conseil d’Etat appliquait déjà implicitement le principe de libre concurrence qu’il

allait consacrer ultérieurement.

115. - Il apparaît ainsi que le principe de libre concurrence est invocable à l’encontre des actes

réglementaires relevant notamment des articles 5 et 6 de l’ordonnance. Mais, cette corrélation est

purement indicative. L’avis du Conseil de la concurrence ne préjuge en rien de la décision du

juge administratif. Leur fonction et leurs attributions doivent être distinguées270. L’examen des

avis du Conseil de la concurrence permet simplement d’établir une typologie des actes

susceptibles d’être contestés devant le juge administratif sur le fondement du principe général de

libre concurrence. Il s’agit uniquement de déterminer, par ce biais, le champ d’application d’un

268 Conseil de la concurrence, avis n°88-A-08, 26 avril 1988, relatif au projet d’arrêté fixant les caractéristiques des laits infantiles dont la distribution est réservée aux pharmaciens en application de l’article L 512 6°) du code de la santé publique. 269 M. BAZEX, note sous C.E., 26 octobre 1990, aff. préc., JCP, 1992, II, 21876. 270 Le Conseil de la concurrence ne se prononce pas sur la légalité de l’acte projeté. Il se limite à en apprécier les effets sur la concurrence et à proposer d’éventuelles corrections. Or, toute atteinte à la concurrence n’est pas une illégalité. Dans l’arrêt « Société Paridoc », le Conseil d’Etat a d’ailleurs rejeté le recours en annulation au motif que les auteurs de l’arrêté « n’ont pas commis (...) d’erreur manifeste d’appréciation en n’opérant pas la distinction entre les aliments lactés diététiques maternisés et, d’autre part, les aliments lactés diététiques non maternisés comme le suggérait l’avis du Conseil de la concurrence en date du 26 avril 1988 ».

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principe dont la nouveauté explique largement le peu de précédents existant au sein de la

jurisprudence administrative.

§ 2 - La violation du principe de libre concurrence par un acte de réglementation

116. - L’étude des avis du Conseil de la concurrence et des arrêts du Conseil d’Etat permet de

distinguer plusieurs catégories d’atteintes au principe de libre concurrence résultant d’un texte

normatif. Elles ont toutes pour effet de réduire le libre choix des consommateurs en faussant la

concurrence entre les entreprises par le biais de discriminations entre opérateurs ou d’une

atrophie délibérée du marché.

Il s’agit en premier lieu des réglementations ayant directement pour effet de soumettre

l’exercice d’une profession ou l’accès à un marché à des restrictions quantitatives. Elles

constituent des barrières établies à l’entrée de certains marchés afin de protéger les entreprises du

secteur en leur attribuant de facto une rente de situation271. Elles peuvent consister en

l’établissement d’un numerus clausus comme il en existe en matière de taxis ou d’officines

pharmaceutiques. Le principe de libre concurrence issu de l’ordonnance doit aussi pouvoir être

invoqué à l’encontre d’un acte réglementaire établissant des droits exclusifs dans certaines zones

afin, par exemple, d’instaurer un périmètre de protection autour d’un marché déterminé. La libre

concurrence est tout autant menacée par l’adoption d’une réglementation imposant des pratiques

uniformes en matière de prix ou de conditions de vente. Il en est de même si les mesures

contestées visent à limiter la production, les débouchés, les investissements et le progrès

technique ou à répartir entre les entreprises les marchés et sources d’approvisionnement.

117. - Ces réglementations produisent les mêmes effets qu’une entente ou un abus de position

dominante. Les ententes entre entreprises peuvent ainsi avoir pour objet ou pour effet de

restreindre l’accès à une profession272, d’entraver l’innovation et le progrès technique273, de se

répartir le marché274 ou de déterminer des conditions commerciales communes275. Si ces

271 E. SZIJ, « L’Etat et l’économie, l’apport économique de la réglementation », Les frontières de l’Etat, Cahiers français n°271, p. 68. 272 Conseil de la concurrence, décision n°97-D-54, 9 juillet 1997, relative à la situation de la concurrence dans le secteur de l’exploitation de taxis à Toulon, BOCC du 7 octobre 1997, p. 722. 273 C.A. Paris, 1er octobre 1980, Gaz. Pal., 1981, Tabl., 385. 274 Conseil de la concurrence, décision n°94-D-53, 1er octobre 1994, relative à des pratiques relevées dans le secteur des transports routiers de voyageurs dans le département du Bas-Rhin, BOCC du 9 décembre 1994, p. 526. 275 Conseil de la concurrence, décision n°93-D-40, 12 octobre 1993, relative à une saisine de la société Toutes les pièces détachées, Jac Jobriane, BOCC du 4 décembre 1993, p. 282 ; Conseil de la concurrence, décision n°94-D-O8

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pratiques sont contraires au droit de la concurrence, il peut en être de même des actes de

puissance publique qui les rendent inutiles en produisant directement les effets anticoncurrentiels

recherchés. Il est vrai que ces réglementations publiques sont généralement appréhendées au

travers de la liberté du commerce et de l’industrie. Mais le principe de libre concurrence et la

liberté du commerce et de l’industrie sont largement consubstantiels. La libre concurrence

n’était, à l’origine, qu’un élément de la liberté du commerce et de l’industrie et rien n’interdit de

penser que ces deux principes puissent être invoqués conjointement devant le juge

administratif276. Si le libre accès au marché est une composante de la liberté professionnelle, le

droit d’être concurrent participe tout autant de la libre concurrence. Elle concerne tant les

concurrents actuels que les concurrents potentiels, ceux qui ont la capacité et doivent avoir la

possibilité d’entrer sur le marché277. La distinction entre la liberté du commerce et de l’industrie

et la libre concurrence est déjà plus évidente lorsqu’il ne s’agit plus de l’accès au marché mais de

l’exercice d’une concurrence effective par des opérateurs déjà établis sur celui-ci. Toute entrave

au droit de concurrencer autrui sur le marché doit relever prioritairement du principe de libre

concurrence même si elle peut entrer subsidiairement dans le champ de la liberté du commerce et

de l’industrie. Le principe de libre concurrence se nourrit nécessairement de la liberté du

commerce et de l’industrie. Elle en est incontestablement l’émanation. Mais le principe de libre

concurrence n’est pas soluble dans la liberté du commerce et de l’industrie. Celle-ci a été conçue

contre l’Etat en vue de protéger les droits et libertés des particuliers. La libre concurrence

concerne tant les relations verticales entre l’Etat et les administrés que les rapports horizontaux

entre particuliers. La liberté de concurrence est une réaction à l’interventionnisme étatique et aux

concentrations monopolistiques nées du capitalisme moderne.

La différence entre la liberté du commerce et de l’industrie et la libre concurrence ne se limite

pas simplement à leur champ d’application. Le principe de libre concurrence implique une

transformation substantielle des méthodes d’analyse employées par le juge administratif. Il

exerce traditionnellement un contrôle de la conformité des actes de puissance publique à la

liberté du commerce et de l’industrie au regard de critères purement juridiques. Il s’intéresse et 94-D-09, 1er février 1994, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la pierre calcaire et du marbre, BOCC du 8 avril 1994, p. 144. 276 C.E., 1er avril 1998, aff. préc. 277 Conseil de la concurrence, Rapport 1989, p. XXI: « la réalisation du processus concurentiel suppose que les agents économiques soient libres d’entrer et de sortir sur le marché, soient dans l’incertitude quant aux décisions que prendront leurs concurrents réels ou potentiels, et prennent des décisions indépendantes les uns des autres... Ainsi, les textes législatifs ou réglementaires qui impliquent l’établissement d’une barrière à l’entrée sur un marché, ou ceux qui impliquent une homogénéisation des comportements des entreprises présentes sur le marché, entravent

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certes aux circonstances de temps et de lieu qui ont accompagné l’édiction de l’acte attaqué mais

il ne réalise pas une analyse économique de ses incidences sur le marché. Or, le Conseil de la

concurrence se livre bien à un examen concret du marché lorsqu’il contrôle les effets d’un projet

de texte réglementaire sur « les principes de la concurrence ». Le juge administratif réalise déjà

une telle analyse lorsqu’il applique les articles 7 et 8 de l’ordonnance aux actes de puissance

publique. L’application du principe de libre concurrence lui permettrait ainsi d’enrichir et

d’approfondir son contrôle de la réglementation publique en faisant usage d’outils d’analyse

économique plus fins et plus précis.

118. - Le juge administratif dispose, désormais, d’un ensemble de techniques contentieuses lui

permettant d'appliquer effectivement le droit de la concurrence aux actes de puissance publique.

S’il est associé à un comportement d’entreprise, un acte administratif peut être attaqué sur le

fondement des articles 7 et 8 de l’ordonnance. Les principes de l’Etat de droit interdisent à

l’administration de s’affranchir du respect de la loi. Elle ne peut pas non plus inciter les

administrés à méconnaître la légalité. Un acte administratif qui contribuerait à la violation des

articles 7 et 8 de l’ordonnance par un opérateur sur le marché serait ainsi, annulable, sous réserve

de l’article 10.1. Mais dès lors que l’acte litigieux est indépendant de tout comportement

d’entreprise, il n’est plus question d’appliquer les articles 7 et 8. Ceux-ci ont été conçus afin

d’appréhender des pratiques d’entreprises. En leur absence, rien ne permet de rattacher un acte de

puissance publique aux articles 7 et 8 de l’ordonnance. Une réglementation du marché n’est

pourtant pas sans effets sur le libre jeu de la concurrence. Certes, les prescriptions de la puissance

publique sont traditionnellement contrôlées au regard de la liberté du commerce et de l’industrie.

Mais, celle-ci protège davantage la liberté individuelle que le fonctionnement efficace du

marché. L’émergence d’un principe de libre concurrence permet de prendre en considération les

impacts sur le marché qu’implique toute réglementation publique. L’office du juge en est

profondément transformé. Cette évolution n’est cependant pas sans menacer la sécurité juridique.

A défaut de règle de raison, il existe bien un risque de censure systématique de toute décision

publique portant sur l’organisation du service ou la réglementation du marché. Si l’application du

droit commun de la concurrence aux actes de puissance publique est désormais acquise, il reste à

s’assurer qu’elle s’effectue bien dans le respect des divers intérêts privés et publics en présence.

la concurrence parce qu’ils s’opposent à la réalisation des conditions nécessaires aux conditions concurrentielles ci-dessus décrites ».

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Conclusion

119. - La soumission des actes de puissance publique au droit français de la concurrence doit

désormais se concilier avec les nécessités de l’action administrative. Le bon fonctionnement du

marché concurrentiel est assurément devenu l’une des préoccupations de l’administration dans

l’exercice de son pouvoir normatif. Mais, elle ne peut être la seule. L’invocabilité des règles de

concurrence ne signifie pas leur primauté absolue278. Dans son arrêt Société EDA, le Conseil

d’Etat a ainsi jugé qu’il appartient à l’autorité administrative gestionnaire du domaine public de

prendre en considération diverses règles, telles que la liberté du commerce et de l’industrie,

l’ordonnance du 1er décembre 1986, l’intérêt du domaine et de son affectation ou l’intérêt

général. Il incombe aussi au juge de l’excès de pouvoir de s’assurer que les actes de gestion du

domaine public “ont été pris compte tenu de l’ensemble de ces principes et de ces règles et qu’ils

en ont fait, en les combinant, une exacte application”.

120. - Selon certains auteurs279, cette nécessaire conciliation entre les exigences de la

concurrence et les nécessités de l’action administrative constituerait davantage qu’une simple

règle de raison. Cette doctrine y voit l’annonce d’un droit public de la concurrence, distinct de

l’ordonnance. La réception de l’ordre public concurrentiel par le droit administratif se serait

accompagnée d’une transformation normative substantielle. Le juge administratif aurait ainsi été

amené à concevoir des règles et des principes spécifiques aux activités de la puissance publique.

Il s’agirait en quelque sorte d’un droit spécial de la concurrence applicable aux personnes

publiques dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique.

Une telle évolution semble toutefois contestable. D’abord, elle ne peut se concevoir que si le

juge administratif reste seul compétent pour appliquer le droit de la concurrence aux actes de

puissance publique. Or, sa compétence est à nouveau menacée. Un amendement au projet de loi

n°501 relatif aux nouvelles régulations économiques propose ainsi d’étendre les compétences du

Conseil de la concurrence en révisant l’article 53 de l’ordonnance. S’il était adopté, le Conseil

278 J.-H. STAHL, concl. sous C.E., 26 mars 1999, aff. préc. 279 V. notamment, J. CAILLOSSE, « Le droit administratif saisi par la concurrence », art. préc. ; M. BAZEX, « Le droit public de la concurrence », art. préc .

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pourrait alors contrôler sur le fondement du titre III de l’ordonnance “ y compris les pratiques

revêtant la forme d’un acte ou d’un contrat administratif dont la juridiction administrative est

seule compétente pour apprécier la légalité, dès lors que de telles pratiques ont pour objet ou

peuvent avoir pour effet de fausser ou restreindre, directement ou indirectement, le jeu de la

concurrence dans une activité de production, de distribution ou de service”. La compétence des

autorités du marché à l’égard des actes de puissance publique pourrait signifier la disparition

irrémédiable d’un droit public de la concurrence conçu par le seul juge administratif.

Mais surtout, l’émergence d’un droit public de la concurrence véritablement autonome ne serait

guère souhaitable. Il en résulterait des divergences conceptuelles et des différences pratiques peu

propices à un traitement efficace du contentieux de la concurrence. Elle susciterait un conflit

permanent entre les autorités du marché et les juridictions administratives. L’interpénétration du

droit administratif et du droit de la concurrence semble une solution plus adaptée. Le Conseil

d’Etat l’a ainsi admise dès l’arrêt Million et Marais. Il y contribue en consultant pour avis le

Conseil de la concurrence en vertu de l’article 26 de l’ordonnance. Il appartient aux autorités de

la concurrence de tenir compte de l’existence de missions de service public dans l’examen des

pratiques anticoncurrentielles. Il en résulte une influence réciproque du droit administratif et du

droit du marché. Or, celle-ci constitue le préalable nécessaire à une application équilibrée des

règles de concurrence aux interventions de la puissance publique. Une telle évolution ne saurait

toutefois se concevoir sans une coopération renforcée entre le juge administratif et les autorités

du marché.

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Rec. CJCE, p.I- 2115. CJCE, 9 mars 1978, Simmenthal, aff. 106/77, Rec. CJCE, p. 609. CJCE, 10 janvier 1985, Association des Centres distributeurs Edouard Leclerc et autres c/ SARL « Au blé vert » et

autres, aff. 229/83, Rec. CJCE, p. 1. CJCE, 29 janvier 1985, Henri Cullet c/ centres distributeurs Edouard Leclerc, aff. 231/83, Rec. CJCE, p. 305. CJCE, 30 janvier 1985, Bureau national interprofessionnel du cognac c/ Guy Clair, aff. 123/83, Rec. CJCE, p. 391. CJCE, 1er octobre 1986 ASBL Vereniging Van Vlaamse Reisbüreau c/ ASBL Sociale Dienst Van de Plaatselijke en

Gewestelijke Overheidsdiensten, aff. 311/85, Rec. CJCE, p. 3801. CJCE, 4 mai 1988, Corinne Bodson c/ S.A. Pompes funèbres des régions libérées, aff. 30-87, Rec. CJCE, p. 2479. CJCE, 21 septembre 1988, Pascal Van Eycke c/ S.A. ASPA, aff. 267/86, Rec. CJCE, p. 4769. CJCE, 23 avril 1991, Klaus Höfner et Fritz Elser , aff. C-41/90, Rec. CJCE, p. I -1979. CJCE, 13 décembre 1991, RTT c/ GB-INNO-BM S.A., aff. 18/88, Rec. CJCE, p. I-5. CJCE, 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft MbH c/ Organisation européenne pour la sécurité de la navigation

aérienne (Eurocontrol), aff. C-364/92, Rec. CJCE, p . I-43. CJCE, 9 juin 1994, Bundesrepublik Deutschland c/ Delta Schiffahrts und Speditionsgesellschaft GmbH,

aff. C-153/93 Rec. CJCE, p. I-2517. CJCE, 5 octobre, 1995 Centro Servizi Spediporto Srl c/ Spedizioni Marittima del Golfo Srl, aff. C-96/94,

Rec. CJCE, p.I-2883. CJCE, 30 avril 1996, Minsitère public c/ Lucas Asjes et autres, aff. jointes 209 à 213/84, Rec. p. 1425; CJCE, 11

avril 1989, Ahmed Saeed Flugreisen et Silver Line Reisebüro GmbH c/ Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs e. V., aff. 66/86, Rec. CJCE, p. I-803.

CJCE, 18 juin 1998, Commission des Communautés européennes c/ République italienne, aff. C-35/96, Rec. CJCE

p. I-3851.

2°) Conseil constitutionnel Conseil constitutionnel, décision n°80-119 DC, 22 juillet 1980, Rec . CC, p. 15. Conseil constitutionnel, décision n°81-129 DC, 30 et 31 octobre 1981, Rec. CC, p.35. Conseil constitutionnel, décision n°81-132 DC, 16 janvier 1982, Rec. CC, p.18.

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Conseil constitutionnel, décision n°86-224 DC, 23 janvier 1987, Rec. CC, p. 8. Conseil constitutionnel, décision n°93-335 DC, 21 janvier 1994, Rec CC, p. 576.

3°) Tribunal des conflits T. conflits, 22 janvier 1921, Société commerciale de l’Ouest africain , Rec. p. 91. T. conflits., 30 octobre 1947, Barinstein, D. 1947, J, 477. T .conflits., 5 juillet 1951, Avranche et Desmarets, S. 1952, II, 6623. T. conflits, 27 novembre 1952, Préfet de la Guyane, Rec. p. 642. T. conflits, 15 janvier 1968, Cie Air France c/ Epoux Barbier, Rec. p. 789. T. conflits, 6 juin 1989, Préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris c/ Cour d’appel de Paris, S.A.E.D.E. c/

S.L.E. et ville de Pamiers, AJDA, 1989, p. 467. T. conflits, 4 novembre 1991, CAMIF, Rec. p. 476. T. conflits, 4 novembre 1996, Sté Datasport c/ Ligue nationale de football, JCP, 1997, II, 22802. T . conflits, 12 mai 1997, Préfet de police c/ Tribunal de grande instance de Paris, Rec. p. 528. T. conflits, 19 janvier 1998, Préfet de la région d’Ile-de-France c/ Tribunal de commerce de Paris et autre, D.,1998,

J., p.329. T. conflits, 18 octobre 1999, Préfet de la région d’Ile-de-France, préfet de Paris c/ Cour d’appel de Paris, Aéroports

de Paris et Air-France, AJDA, p. 1029.

4°) Cour de cassation Civ. 1ère, 16 avril 1953, JCP,1954, J., II. 7617. Cass. com., 5 novembre 1985,Bull. civ., IV, n°263. . Cass. com., 5 nov. 1991, Société SDRL c/ Société France Loisirs, D., 1993, J., p. 63. Cass. com., 14 décembre 1993, Dr. adm., août-septembre 1994, p. 1. Cass. com., 29 mars 1994, BOCC du 4 mai 1994, p. 165. Cass. com., 16 mai 2000, D., 6 juillet 2000, J., p. 315.

5°) Conseil d’Etat C.E., 6 mars 1914, Syndicat de la Boucherie de la ville de Châteauroux, Rec. p . 308. C.E. Ass., 22 juin, 1951, Daudignac, Rec. p. 362.

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C.E. Sect., 28 octobre 1960, Martial de Laboulaye, Rec. p. 570. C.E Ass.,. 27 janvier 1969, Ministre du Travail c/ Syndicat national des cadres des Organismes sociaux, Rec. p. 39. C.E., 16 juin 1976, Confédération nationale des auxiliaires médicaux et paramédicaux, Rec. p. 309. C.E., 12 juillet 1978, Kahn, Rec. p. 311. C.E., 22 janvier 1982, Administration générale de l’Assistance publique à Paris, Rec. p. 32. C.E., 12 mars 1982, Conseil national de l’Ordre des médecins et autres, Rec. p. 109. C.E., 2 décembre 1983, Ville de Lille, Rec. p. 470. C.E., 4 juillet 1984, Département de la Meuse, RDP, 1985, p. 199. C.E., 9 novembre 1984, Laborde-Casteix, Rec. p. 356. C.E., 25 juillet 1986, Commune de Mercoeur c/ Morand, Dr. adm., 1986 n°489. C.E., 6 avril 1987, Dailloux, Rec. p. 123. C.E., 26 octobre 1990, Sté Paridoc et autres, JCP, II, 21876. C.E., 6 novembre 1992, Mme Perrault, Rec. p. 398. C.E., 13 novembre 1992, Fédération française de la franchise, n°135530, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. I. C. E., 23 juillet 1993, Compagnie générale des eaux, Dr. administratif, août-septembre, 1993, p. 12. C. E., 23 juillet 1993 Fédération nationale autonome de la fonction publique et des Services de santé et autres,

n°126018, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. I.

C.E., 21 janvier 1994, Fédération P.M.A. Fédération des hopitaux généraux et assimilé, n°118858, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. II.

C.E., 29 juillet 1994, S.A. Coopérative d’achat mutualiste des instituteurs de France (CAMIF), CJEG, mars 1996, p. 116. C.E., 17 mars 1995, Syndicat des casinos autorisés de France, AJDA, 1995, p. 417. C.E., 22 mars 1996, Mmes Paris et Roignot, Rec. p. 99. C.E., 12 juin 1996, Sté Christ et fils, Rec. p. 223. C. E. Sect., 8 novembre 1996, Fédération française des sociétés d’assurance et autres, Rec. p.441. C.E. Ass., 6 décembre 1996, Sté Lambda, RFDA, janvier-février, 1997, p. 183. C. E., 22 janvier 1997, Sté BC, n°116416, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. II. C. E., 13 juin 1997, Sté « Ambulance de la vallée », Dr. adm., août-septembre 1997, Comm. 293, p. 23. II. . C.E., 13 juin 1997, Sté des Transports pétroliers par pipe-line, AJDA, 1997, p. 794. C.E. Sect., 3 novembre 1997, Sté Million et Marais, RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1240. C . E., 3 novembre 1997, Sté Intermarbres, RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1240. C. E., 3 novembre 1997, Sté Yonne Funéraire, RFDA, novembre-décembre, 1997, p. 1240.

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C. E., 17 décembre 1997, Ordre des Avocats à la Cour de Paris, CJEG, mars 1998, p. 113. C.E., 1er avril 1998, Union hospitalière privée et autres, RFDA, septembre-octobre 1998, p. 970. C.E., 5 octobre 1998, Fédération française des pompes funèbres et Association Force ouvrière consommateurs,

RFDA, novembre-décembre 1998, p. 1282. C. E., 30 novembre 1998, Sté Pompes funèbres européennes du Gard, n°159203, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. II. C. E. Sect., 26 mars 1999, Sté EDA, AJDA, 1999, p. 434. C.E. Sect., 26 mars 1999, Sté Hertz, France, Rec. p. 95. C.E., 20 septembre 1999, Mlle Rosato, Sté Pompes Funèbres libres, n°199081, Juridisque Lamy CE et CAA, Vol. II. C.E., 10 novembre 1999, Syndicat national des industries pharmaceutiques, LPDA , mars 2000, p.3. C. E., 15 mars 2000, CEGEDIM, Dr. adm, avril 2000, p. 13.

6°) Autres juridictions administratives C.A.A Paris, 20 octobre 1998, Mme Laille et autres, n°95PA03547, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. II. C.A.A. Paris, 15 décembre 1998, Sté L’Antiquaire d’Yerres, n°97PA02239, Juridisque Lamy CE et CAA Vol. II. T.A. Besançon, 22 juillet 1999, Monnot, Dr. adm., octobre 1999, p.13.

7°) Autres juridictions judiciaires

C.A. Paris, 1er oct. 1980, RTDcom, 1981, p. 791. C.A. Paris, 30 juin 1988, AJDA, 1988, J., p.744. C. A. Paris, 7 février 1991, BOCC du 12 février 1991, p. 48. C. A. Paris, 31 octobre 1991, D., 1992, J., p. 312. C. A. Paris, 6 novembre 1991, BOCC du 26 novembre 1991, p. 316. C.A. Paris, 25 janvier 1994, BOCC du 9 février 1994, p.60. C. A. Paris, 6 juillet 1994, BOCC du 29 juillet 1994, p. 299. C. A. Paris, 27 janvier 1998, BOCC du 17 février 1998, p. 54. C.A. Paris, 23 février 1999, BOCC du 18 février 2000, p. 65. C. A. Paris, 8 février 2000, JCP éd. E, 2000, pan., p. 393. C. A. Paris, 14 mars 2000, Contrats-conc.-consom., mai 2000, p. 22.

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8°) Conseil de la concurrence Conseil de la concurrence, avis n°88-A-o6, 12 avril 1988, relatif au règlement de la poissonnerie municipale de

Caen, BOCC du 30 avril 1988. Conseil de la concurrence, avis n°88-A-08, 26 avril 1988, relatif au projet d’arrêté fixant les caractéristiques des laits

infantiles dont la distribution est réservée aux pharmaciens en application de l’article L 512 6°) du code de la santé publique.

Conseil de la concurrence, avis n°88-A-16, du 15 novembre 1988, relatif à des questions posées par l’Union

fédérale de consommateurs de Seine et Marne sur certaines dispositions de l’arrêté réglementant le marché de détail de la ville de Chelles, BOCC du 30 novembre 1988, p. 309.

Conseil de la concurrence, décision n°87-D-42, 14 octobre 1987, relative à une saisine émamant de l’union des

acheteurs en criées des Côtes-du-Nord, BOCC du 21 novembre 1987, p.337. Conseil de la Concurrence, décision n°89-D-28, 11 juillet 1989, relative à une saisine de l’Association des éleveurs

de taureaux de race Camargue sur la délibération d’un conseil municipal définissant les modalités d’organisation d’un service public local, BOCC du 28 juillet 1989, p.193.

Conseil de la concurrence, décision n° 90-D-24, 4 septembre 1990, relative à une saisine de la S.A. Lazaar

Electricité générale, BOCC du 26 septembre 1990, p.82. Conseil de la concurrence, décision n°91-D-20, 24 avril 1991, relative à une saisine de Madame Yvette Grandperrin,

BOCC du 11 mai 1991, p. 133. Conseil de la concurrence, décision n°91-D-25, 29 mai 1991, 29 mai 1991, Sté Guy Couach Plascoa, Dr. adm.

novembre 1991, p. 6, n°471. Conseil de la concurrence, décision n°93-D-25, 15 juin 1993, relative à une saisine de la société Pinton, BOCC du 10

septembre 1993 p. 265. Conseil de la concurrence, décision n°93-D-40, 12 octobre 1993, relative à une saisine de la société Toutes les

pièces détachées, Jac Jobriane, BOCC du 4 décembre 1993, p. 282. Conseil de la concurrence, décision n°94-D-O8 et 94-D-09, 1er février 1994, relative à des pratiques relevées dans le

secteur de la pierre calcaire et du marbre, BOCC du 8 avril 1994, p. 144. Conseil de la concurrence, décision n°94-D-53, 1er octobre 1994, relative à des pratiques relevées dans le secteur

des transports routiers de voyageurs dans le département du Bas-Rhin, BOCC du 9 décembre 1999, p. 526.

Conseil de la concurrence, décision n°94-D-60, 13 décembre 1994, relative à des pratiques relevées dans le secteur

des lessives, BOCC du 18 février 1995, p.47. Conseil de la concurrence, décision n°95-D-16, 14 février 1995, relative à des pratiques relevées dans le secteur des

échographes, BOCC du 13 avril 1995, p. 114. Conseil de la concurrence, décision n°95-MC-16 du 5 décembre 1995, relative à une demande de mesures

conservatoires présentée par les sociétés EDA et Générale de location marseillaise, BOCC du 28 février 1996, p. 72.

Conseil de la concurrence, décision n°96-MC-01, 16 janvier 1996, relative à une demande de mesures conservatoires

présentées par la société EDA, BOCC du 16 mars 1996, p. 105. Conseil de la concurrence, décision n°97-D-54, 9 juillet 1997, relative à la situation de la concurrence dans le

secteur de l’exploitation de taxis à Toulon, BOCC du 7 octobre 1997, p. 722.

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Conseil de la concurrence, décision n°97-D-71, 7 octobre 1997, relative à une saisine par les société Asics France et autres, BOCC du 31 décembre 1997, p. 894.

Conseil de la concurrence, décision n°98-D-34, 2 juin 1998, relative à des pratiques mises en oeuvre par Aéroports

de Paris dans le secteur de l’hôtellerie à la périphérie de l’aéroport de Paris Roissy-Charles-de-Gaulle, BOCC 20 mars 1999, p. 101.

Conseil de la concurrence, décision n°98-D-52, 7 juillet 1998, relative à des pratiques relevées dans le secteur du

mobilier urbain, BOCC du 7 octobre 1998, p. 582. Conseil de la concurrence, décision n°99-MC-03, 1er décembre 1999, relative à une saisine et à une demande de

mesures conservatoires présentée par la SARL Reims Bio, BOCC du 20 mars 1999, p. 106. Conseil de la concurrence, décision n°99-D-72, 1er décembre 1999, relative à une saisine de la société 3MCE,

BOCC du 31 janvier 2000, p. 27.

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TABLE DES MATIERES

Plan………………………………………………………………………………………p. 1 Tableau des abréviations…………………………………………………………………p.2 Introduction………………………………………………………………………………p.4 Première partie : Une applicabilité sélective des règles de l’ordonnance

aux actes de puissance publique………………………………………..p.13

Titre I : L’exclusion des actes administratifs du champ des règles processuelles……………p.13

Chapitre 1 : Le conflit de compétence entre le juge administratif et les autorités du marché……….p.14

Section 1 - Des divergences conceptuelles inconciliables………………………………………….p.14

§ 1 - La compétence des juridictions administratives, une exigence d’ordre constitutionnel……………………..p.14 § 2 - La compétence des autorités du marché, une conséquence de l’unité de la concurrence ……………………p.17

Section 2 - Des convergences jurisprudentielles appréciables………………………………………p.20

§ 1 - L’affirmation explicite de la compétence administrative par le juge des conflits…………………………p.20 § 2 - L’acceptation implicite de la compétence administrative par le juge judiciaire…………………………..p.23

Chapitre 2 : Le partage des compétences entre le juge administratif et les autorités du marché……..p.26

Section 1 - Une répartition des compétences qui se voulait équilibrée………………………………..p.27

§ 1 - Le critère de la détachabilité……………………………………………………………..p.27 § 2 - Le critère de l’indivisibilité………………………………………………………………p.29

Section 2 - Une répartition des compétences qui serait appelée à évoluer……………………………...p.32

§ 1 - Vers une véritable collaboration entre les instances…………………………………….………..p.33 § 2 - Vers une éventuelle redistribution des compétences…………………………………….……….p.34

Titre II : L’inclusion des actes administratifs dans le champ des règles matérielles…………..p.36

Chapitre 1 : Des doctrines controversées…………………………………….………………p.36

Section 1 - La conception restrictive ou l’applicabilité de l’ordonnance aux opérateurs économiques………..p.37

§ 1 - L’interprétation littérale…………………………………………………………………p.37 § 2 - L’interprétation politique………………………………………………………………...p.39

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§ 3 - L’interprétation systématique…………………………………………………………………p.40

Section 2 - La conception extensive ou l’applicabilité de l’ordonnance à la puissance publique………………...p.43

§ 1 - L’interprétation analogique…………………………………………………………………...p.43

§ 2 - L’interprétation téléologique…………………………………………………………………..p.44 Chapitre 2 : Une jurisprudence hésitante………………………………………………..………..p.46

Section 1 - Une jurisprudence fondée sur les principes de l’interprétation restrictive………………………….p.46

§ 1 - L’affirmation de la jurisprudence CGE……………………………………………………………p.46

§ 2 - La confirmation de la jurisprudence CGE………………………………………………………….p.48

Section 2 - Un revirement inspiré par les principes de l’interprétation extensive…………………………….p.49

§ 1 - La contestation de la jurisprudence CGE………………………………………………………….p.50 § 2 - L’abandon de la jurisprudence CGE……………………………………………………………..p.52

Deuxième partie : Une application effective du droit de la concurrence

aux actes de puissance publique…………………………………………….p.56

Titre I : Les actes de puissance publique associés à un comportement d’entreprise………………..p.57

Chapitre 1 : L’application des règles de l’ordonnance aux actes de puissance publique………………..p.57

Section 1 - L’application des règles de concurrence aux actes administratifs………………………………..p.57

§ 1 - Les enseignements du droit communautaire de la concurrence……………………………………………p.57 § 2 - Des précédents utiles pour le droit français de la concurrence…………………………………………….p.59

Section 2 - L’application des règles de l’ordonnance par le juge administratif……………………………….p.62

§ 1 - L’annulation des actes pris en violation de l’ordonnance……………………………………………….p.62 § 2 - L’exemption des actes pris pour l’application d’une loi………………………………………………..p.65

Chapitre 2 : La violation des règles de l’ordonnance par un acte de puissance publique………………..p.67

Section 1 - Les actes de puissance publique contraires à l’article 7 de l’ordonnance…………………………..p.67

§ 1 - Les concertations instituées……………………………………………………………………p.67 § 2 - Les concertations entérinées…………………………………………………………………...p.70

Section 2 - Les actes de puissance publique contraires à l’article 8 de l’ordonnance………………………….p.71

§ 1 - La constitution d’un abus de position dominante…………………………………………………….p.72

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§ 2 - L’extension d’un abus de position dominante……………………………………………………..p.73

Titre II : Les actes de puissance publique dissociés de tout comportement d’entreprise………….p.74 Chapitre 1 : L’affirmation du principe de libre concurrence en droit administratif……………………p.74

Section 1 - Une liberté protégée par le droit français…………………………………………………p.75 § 1 - La libre concurrence, un élément de la liberté du commerce et de l’industrie………………………………p.75 § 2 - La libre concurrence, un complément de la liberté d’entreprendre………………………………………p.76

Section 2 - Un principe consacré en droit français…………………………………………………..p.78

§ 1 - Un principe influencé par le droit communautaire de la concurrence…………………………………….p.78 § 2 - Un principe inspiré des règles de l’ordonnance……………………………………………………p.79

Chapitre 2 : L’application du principe de libre concurrence aux actes administratifs………………...p.81

Section 1 - L’application du principe de libre concurrence aux actes d’organisation………………………...p.82

§ 1 - Une solution respectueuse du droit de la concurrence……………………………………………….p.82 § 2 - Une solution conforme au droit administratif……………………………………………………..p.84

Section 2 - L’application du principe de libre concurrence aux actes de réglementation……………………….p.85

§ 1 - La soumission des actes de réglementation au principe de libre concurrence…………………………….….p.85

§ 2 - La violation du principe de libre concurrence par un acte de réglementation…………………………….….p.88

Conclusion……………………………………………………………………………………...p.91 Bibliographie……………………………………………………………………………………p.93 Index…………………………………………………………………………………………...p.103 Table des matières……………………………………………………………………………….p.105