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Journal de Biologie Médicale / Volume 3-Numéro 10 / Juill-Sept 2014 Innovations technologiques 94 Le Virus de l’hépatite C (VHC), virus à ARN découvert en 1988, est à l’origine d’hépatites aiguës spontanément résolutives dans 1/3 des cas. Ce taux élevé de chronicité à 70 % explique qu’environ 170 millions d’individus dans le monde aient une infection chronique par le VHC [1]. Le VHC est, au moins dans les pays industrialisés, l’une des causes principales de transplantation hépatique et de carcinome hépatocellulaire dont l’augmentation est prévue jusqu’à environ 2030 [2-3]. La véritable révolution thérapeutique à laquelle on assiste aujourd’hui est unique, à la fois par la rapidité de développement de nouveaux traitements constamment plus efficaces et mieux tolérés et par l’agrément des agences d’enregistrement de mettre sur le marché des molécules testées sans groupe contrôle. Ceci est sans doute lié au fait que d’une part l’infection par le VHC est la seule infection chronique dont on puisse espérer guérir et que d’autre part, le foie a une capacité unique de régénération. Par ailleurs, la fibrose est en permanence remodelée par des enzymes hépatiques, ce qui permet d’observer sa régression si l’activité nécrotico-inflammatoire est modeste ou absente. Ces progrès invitent à un dépistage élargi par un accès plus large aux traitements les plus efficaces. L’infection virale C chronique : une maladie systémique L’histoire naturelle de l’infection virale C est marquée par trois types d’atteinte : hépatique, vasculaire via la vascularite cryoglobulinémique et générale. L’atteinte hépatique, principalement immuno-médiée, est responsable d’une hépatite chronique [4] qui peut, dans 1/3 des cas, aboutir à une fibrose extensive ou une cirrhose qui favorise la survenue du carcinome hépatocellulaire (la capacité transformante de certaines protéines virales est discutée) (Figure 1). Le lymphotropisme du VHC, explique la présence d’une cryoglobulinémie, majoritairement mixte de type II (contingent polyclonal IgG et monoclonal IgM kappa) chez 40 % des patients infectés; 5 à 10 % des patients peuvent avoir des manifestations cutanées (purpura vasculaire), rhumatologiques (polyarthrite), néphrologiques (glomé- rulonéphrite membranoproliférative) ou neurologiques (polyneuropathie périphérique) par dépôts dans les artères de moyen calibre de complexes antigène/anticorps anti- VHC et de facteur rhumatoïde. Il existe aussi un risque de sélection clonale avec l’apparition d’un lymphome, notamment de lymphome splénique villeux [5]. Enfin, d’autres manifestations extra-hépatiques pourraient témoigner de l’inflammation chronique associée à l’infection virale C (activation lymphocytaire comme observée dans l’infection par le VIH): un risque accru de diabète non insulindépendant de 1,5 à 1,8 ; d’atteintes cardio-vasculaires de 2 à 2,5 ; d’atteintes cérébro- vasculaires de 2,5 à 3 et aussi de cancers hépatiques mais aussi extra-hépatiques (Figure 1). Les manifestations hépatiques et extra-hépatiques, dont la fatigue et le retentissement physico-psychique de l’infection chronique souvent au premier plan, constituent l’indication au traitement antiviral. Le traitement du virus de l’hépatite C 1- Pourquoi traiter ? L’infection virale C est la seule infection virale chronique dont il soit possible de guérir : il n’y a pas de réservoir viral La révolution du traitement de l’hépatite C S. Pol Université Paris Descartes. Inserm U.1016. Unité d’Hépatologie, APHP, Hôpital Cochin, Paris Figure 1 : Histoire naturelle de l’infection virale C Les flèches indiquent les moments où il est recommandé de traiter (>A1F1 signifie que pour l’indication de traitement pour des raisons hépatiques, il est recommandé de traiter les patients ayant un score Metavir > A1F1) CHC : carcinome hépatocellulaire Contamination A>1 F>1 Hépatite aiguë Lymphome Guérison Vascularite Cryoglobulinémie Lymphotropisme Cirrhose CHC Hépatite chronique Infection chronique <30 % >95 % 1 à 2 % 40 % > 20 % >70 %

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Journal de Biologie Médicale / Volume 3-Numéro 10 / Juill-Sept 2014

Innovations technologiques

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Le Virus de l’hépatite C (VHC), virus à ARN découvert en 1988, est à l’origine d’hépatites aiguës spontanément résolutives dans 1/3 des cas. Ce taux élevé de chronicité à 70 % explique qu’environ 170 millions d’individus dans le monde aient une infection chronique par le VHC [1]. Le VHC est, au moins dans les pays industrialisés, l’une des causes principales de transplantation hépatique et de carcinome hépatocellulaire dont l’augmentation est prévue jusqu’à environ 2030 [2-3]. La véritable révolution thérapeutique à laquelle on assiste aujourd’hui est unique, à la fois par la rapidité de développement de nouveaux traitements constamment plus efficaces et mieux tolérés et par l’agrément des agences d’enregistrement de mettre sur le marché des molécules testées sans groupe contrôle. Ceci est sans doute lié au fait que d’une part l’infection par le VHC est la seule infection chronique dont on puisse espérer guérir et que d’autre part, le foie a une capacité unique de régénération. Par ailleurs, la fibrose est en permanence remodelée par des enzymes hépatiques, ce qui permet d’observer sa régression si l’activité nécrotico-inflammatoire est modeste ou absente. Ces progrès invitent à un dépistage élargi par un accès plus large aux traitements les plus efficaces.

L’infection virale C chronique : une maladie systémiqueL’histoire naturelle de l’infection virale C est marquée par trois types d’atteinte : hépatique, vasculaire via la vascularite cryoglobulinémique et générale. L’atteinte hépatique, principalement immuno-médiée, est responsable d’une hépatite chronique [4] qui peut, dans 1/3 des cas, aboutir à une fibrose extensive ou une cirrhose qui favorise la survenue du carcinome hépatocellulaire (la capacité transformante de certaines protéines virales est discutée) (Figure 1). Le lymphotropisme du VHC, explique la présence d’une cryoglobulinémie, majoritairement mixte de type II (contingent polyclonal IgG et monoclonal IgM kappa) chez 40 % des patients infectés; 5 à 10 % des patients peuvent avoir des manifestations cutanées (purpura vasculaire), rhumatologiques (polyarthrite), néphrologiques (glomé-rulonéphrite membranoproliférative) ou neurologiques (polyneuropathie périphérique) par dépôts dans les artères

de moyen calibre de complexes antigène/anticorps anti-VHC et de facteur rhumatoïde. Il existe aussi un risque de sélection clonale avec l’apparition d’un lymphome, notamment de lymphome splénique villeux [5].Enfin, d’autres manifestations extra-hépatiques pourraient témoigner de l’inflammation chronique associée à l’infection virale C (activation lymphocytaire comme observée dans l’infection par le VIH): un risque accru de diabète non insulindépendant de 1,5 à 1,8 ; d’atteintes cardio-vasculaires de 2 à 2,5 ; d’atteintes cérébro-vasculaires de 2,5 à 3 et aussi de cancers hépatiques mais aussi extra-hépatiques (Figure 1). Les manifestations hépatiques et extra-hépatiques, dont la fatigue et le retentissement physico-psychique de l’infection chronique souvent au premier plan, constituent l’indication au traitement antiviral.

Le traitement du virus de l’hépatite C1- Pourquoi traiter ?L’infection virale C est la seule infection virale chronique dont il soit possible de guérir : il n’y a pas de réservoir viral

La révolution du traitement de l’hépatite C S. PolUniversité Paris Descartes. Inserm U.1016. Unité d’Hépatologie, APHP, Hôpital Cochin, Paris

Figure 1 : Histoire naturelle de l’infection virale CLes flèches indiquent les moments où il est recommandé de traiter (>A1F1 signifie que pour l’indication de traitement pour des raisons hépatiques, il est recommandé de traiter les patients ayant un score Metavir > A1F1)CHC : carcinome hépatocellulaire

Contamination

A>1 F>1

Hépatite aiguë

Lymphome

Guérison Vascularite

Cryoglobulinémie

LymphotropismeCirrhoseCHC

Hépatite chronique

Infection chronique

<30 %

>95 %1 à 2 %

40 %>20 %

>70 %

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et la réponse virologique prolongée (ou RVP) correspond à une guérison virologique : l’ARN viral devient et reste indétectable dans le foie ou les cellules mononucléées [6], il n’y a pas de rechute tardive en l’absence de ré-infection, même en cas d’immunosuppression puissante, comme après chimiothérapie ou transplantation. Ces deux dernières décennies, le traitement du virus de l’hépatite C a évolué avec un taux de RVP qui a été multiplié par 10. Depuis 1997, une injection sous-cutanée hebdomadaire d’interféron pégylé associée à la ribavirine à des posologies fixes (800 mg/j pour les génotypes 2 ou 3) ou adaptées au poids (13-15 mg/kg/j pour les génotypes 1 ou 4) (Figure 2) augmentait l’efficacité thérapeutique et depuis 1995 permettait de guérir l’infection de 45 %, 85 %, 70 %, 65 % des sujets infectés respectivement par un génotype 1, 2, 3 et 4 avec cependant de nombreux effets secondaires liés à l’interféron (syndrome pseudo-grippal, troubles neuro-cognitifs, immunostimulation de situations pré-existantes asymptomatiques, tuberculose, sarcoïdose, dysthyroïdie, diabète, hypoplasie médullaire…) ou à la ribavirine (éruptions cutanées, prurit, toux, sécheresse cutanéo-muqueuse, anémie…), d’autant plus fréquents que le traitement était prolongé de 24 (génotypes 2 et 3) à 48 (génotypes 1, 4, 5), voire 72 semaines (génotype 1 avec réponse virologique lente) [4,7].

En cas de guérison virologique, les bénéfices hépatiques et extra-hépatiques sont clairs : disparition de l’asthénie dans deux tiers des cas si préexitante, normalisation de l’hypertransaminasémie, disparition des adénopathies du pédicule cœliaque et des manifestations extra- hépatiques (cutanées, articulaires, neurologiques, rénales) de vascularite cryoglobulinémique [4]. La RVP permet

à la fibrose hépatique de se remodeler en l’absence de comorbidité hépatique (surpoids, surconsommation d’alcool) et la meilleure illustration en est la réduction significative de la mortalité hépatique surtout en cas de cirrhose pré-existante (quasi-disparition des complications non carcinomateuses de la cirrhose et réduction significative de l’incidence du carcinome hépatocellulaire ou de sa récidive) en cas de guérison virologique [8]. Remodelage et régénération hépatiques permettent d’espérer en cas de RVP une réversibilité, histologiquement prouvée, de la cirrhose qui s’accompagne d’une disparition complète des évènements hépatiques [9]. De larges cohortes de mono-infectés VHC virémiques ou non virémiques [10] ou co-infectés VIH/VHC ayant une RVP ou non [11] ont montré une réduction globale des mortalités, hépatique et extra-hépatique (cardio-vasculaire, cérébro-vasculaire ou par cancer extra-hépatique) en cas de guérison.

2- Une révolution thérapeutique

La meilleure connaissance des mécanismes d’entrée ou de relargage du VHC au cours des années 2000 et la caractérisation des protéines virales impliquées dans la réplication du VHC [12, 13] ont permis le développement d’antiviraux spécifiques du virus de l’hépatite C [14] (Figure 3).

L’étape initiale des inhibiteurs de protéases de première générationDes inhibiteurs de protéase, et notamment le télaprévir et le boceprévir, ont été les premiers mis sur le marché en France en 2011, permettant, en combinaison avec l’Interféron et la ribavirine d’obtenir une fréquence plus élevée de guérison virologique (75 % chez les sujets infectés par un génotype 1 naïfs de traitement antérieur, 85 % chez les patients précédemment rechuteurs, environ 50 % chez les répondeurs partiels et seulement 30 % chez les "répondeurs nuls" à un précédent traitement par interféron pégylé et ribavirine) avec une réduction de 48 à 24 semaines de la durée du traitement chez la moitié des patients (ceux qui ont une RVR définie par un virus indétectable après 4 semaines de traitement et le restant après 12 semaines de traitement) [15-20]. La limite principale de ces traitements est celle des effets secondaires, qui s’ajoutent à ceux liés au traitement classique : effets cutanés pour le télaprévir avec des rashs sévères dans 5 à 10 % des cas [21] et anémie pour le télaprévir ou le bocéprevir [22-23]. Des interactions médicamenteuses liées au métabolisme de ces inhibiteurs de protéases notamment par le cytochrome P4503A/4 sont possibles justifiant des suspensions ou des adaptations de co-médications pour la durée du traitement antiviral

Figure 2 : Evolution du pourcentage de guérison virologique dans le temps selon le traitementa, b: interféron (IFN); c: bithérapie IFN et ribavirine (riba); d: bithérapie IFN pégylé (PEG) et riba; e: trithérapie de 1ère génération IFN PEG, riba et un inhibiteur de la protéase du VHC (IP) indiquent Telaprevir ou Boceprevir; f: combinaisons orales d’antiviraux oraux

a: IFN6 mois1989

6%

16%

30-40%

60-70%

> 90%

45%

c: IFN+ riba1998

f: Antiviraux oraux +riba

≥ 2014

b: IFN 12 mois

1994

e: IFN PEG +

riba + IP> 2011

d: IFN PEG + riba

2001-2011

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Figure 3 : Les antiviraux spécifiques du virus de l’hépatite Ca: Génome du VHC; b: Antiviraux

NS3 NS5A NS5B Cyclophilline A

Protéase sérine NS3/4A essentielle au processing post-traductionnel de la polyprotéine du VHC

PREVIR Boceprevir Telaprevir ABT-450/r, ACH-1625 Asunaprevir, Simeprevir, BI-201335 MK-5172

Phosphoprotéine multifunctionnelle essentielle au complexe de réplication de l’ARN VHC

ASVIR Daclatasvir Ledipasvir (GS-5885) GS-5816 ABT-267 (Ombitasvir) PPI-668

ARN Polymérase ARN dépendante NS5B spécifique du VHC

BUVIR Nucleos(t)ide analogue

Sofosbuvir, IDX-184* Non-nucleoside analogue

ABT-333 (Dasabuvir)ABT-072, BMS-791325

Protéine de l’hôte impliquée dans la réplication du VHC via l’interaction avec la protéine NS5A et la polymérase

AlisporivirSCY-635

Cibles Viralesa

b

Cibles d’Hôte

[24]. Une des limites du traitement, au moins pour les pays moins aisés que ceux de l’Europe du Nord ou les USA, est aussi celle du coût (aux alentours de 35 000 euros pour les coûts directs) et le nombre de gélules : 6 gélules pour le télaprévir et 12 gélules pour le bocévrévir, prises toutes les 8 ou 12 heures au moment d’un repas graisseux, s’additionnant aux 4 à 6 gélules de ribavirine. Ces deux antiviraux oraux ont constitué la

première étape de la révolution thérapeutique et restait le traitement de référence des infections liées au génotypes 1 (1a et 1b principalement) en 2013, indispensable notamment chez les patients ayant une cirrhose, une fibrose extensive ou une fibrose intermédiaire mais des co-morbidités hépatiques (surconsommation d’alcool, surpoids) qui favorisent une progression rapide de la fibrose [4].

Les recommandations françaises pour l’utilisation des inhibiteurs de protéases de première générationPour mieux définir la place de la trithérapie par telaprévir ou boceprevir, une réunion d’experts a été organisée par l’association française pour l’étude du foie (AFEF) au printemps 2011 en parallèle de la mise à disposition des autorisations temporaires d’utilisation (ATU) des premiers inhibiteurs de protéases. L’objectif était d’encadrer la prescription de nouvelles molécules qui sont réservées aux infections par un génotype 1. L’ensemble de ces recommandations est consultable sur le site de l’AFEF et publié dans la littérature internationale [25]. En résumé, l’éradication virologique est obtenue après traitement par interféron pégylé, ribavirine et un inhibiteur de protéase (télaprévir ou boceprévir) chez environ 70 % des patients naïfs, 75 à 85 % des patients rechuteurs, 52 à 57 %

des patients répondeurs partiels et 31 % des patients répondeurs nuls [16-20, 27-29]. La durée des traitements peut être raccourcie chez certains patients, en particulier chez les patients ayant une réponse virologique rapide et en l’absence de fibrose sévère. Bien que ces "nouveaux" traitements soient responsables d’une augmentation des effets secondaires (anémie, effets secondaires cutanés et dysgueusie) [21-23], ils permettront une diminution de la mortalité liée à cette pathologie [8, 9, 30-33].Un an plus tard, l’AFEF, les sociétés de médecine interne et d’infectiologie ont organisé une réunion d’experts, sur le même format que la précédente, pour définir la pertinence des recommandations d’utilisation de la trithérapie dans la population co-infectée par le VIH et le VHC de génotype 1 [34]. Les recommandations sont assez comparables chez les co-infectés à celles détaillées chez les mono-infectés,

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au-delà du chapitre interactions médicamenteuses, notamment du fait des interactions inhibiteurs du VHC et antirétroviraux.

Cupic : la fédération par l’ANRS des données des ATU des inhibiteurs de protéases de première génération chez les cirrhotiques en échec de bithérapieLes données de l’autorisation temporaire d'utilisation (ATU) chez les cirrhotiques en échec d’une bithérapie par peginterféron/ribavirine et traités 48 semaines par trithérapie avec boceprevir (n = 212) ou telaprevir (n = 299) ont été récupérées [26, 35]. La guérison virologique (SVR12) était obtenue sous telaprevir chez 74,2 % des rechuteurs ou échappeurs, 40 % des répondeurs partiels et 19,4 % des répondeurs nuls, les taux étant respectivement avec le boceprevir de 53,9 ; 38,3 et 0 % (2 fois plus élevé avec le génotype 1b qu’avec le génotype 1a). Des effets secondaires sévères ont été observés chez 49,9 % des patients (décompensation ou infections sévères 10,4 % et décès chez 2,2 %: en analyse multivariée l’albuminémie initiale et le taux de plaquettes étaient les deux facteurs d’un tel risque). En résumé, un taux élevé de guérison virologique est obtenu avec la trithérapie chez la moitié des cirrhotiques en échec [35] au prix d’effets secondaires fréquents, que l’on connaissait déjà chez le cirrhotique traité par Interféron [36]. Cette étude observationnelle de la vraie vie a transformé les indications de la trithérapie : les cirrhotiques ayant des prédicteurs d’effets secondaires sévères (albuminémie < 35 g/l et plaquettes < 100.000/mm3) ne doivent pas être traités par l'interféron mais attendre les nouveaux traitements. Les progrès sont tellement rapides que ces trithérapies ne sont déjà plus recommandées en Janvier 2014 dans les recommandations américaines ou allemandes alors que l’Italie ne dispose de leur remboursement que depuis le printemps 2013 et le Portugal vient d’accepter le principe de leur remboursement au premier trimestre 2014.

3- Inhibiteurs spécifiques de deuxième vague et de deuxième génération

De nombreux autres antiviraux ont été développés, inhibiteurs de polymérase NS5B nucléos(t)idiques [37, 38] ou non nucléos(t)idiques [39], inhibiteurs du complexe de réplication NS5A [40] ou inhibiteurs de protéases de deuxième génération [41, 42]. Ces nouveaux antiviraux ont été dans un premier temps associés à l’Interféron pégylé et la ribavirine, permettant d’obtenir une guérison des patients dans 75 à 95 % des cas (Figure 4). Cette deuxième phase de progrès, marquée par un éventail élargi de nouvelles armes thérapeutiques, l’est aussi par une réduction de la durée des traitements (12 à 24 semaines) et du nombre de gélules.

La vraie révolution est le développement de stratégies thérapeutiques combinant des antiviraux directs s’affran-chissant de la combinaison avec l’Interféron Pegylé et ses effets secondaires propres, voire de la ribavirine [43-45]. Ces multithérapies orales ont l’avantage d’être mieux tolérées, d’autoriser une prise moindre de comprimés et une réduction de la durée des traitements de 24 à 12 semaines. Surtout, ces combinaisons orales permettent d’espérer plus de 90 % de guérison chez des patients jamais traités mais aussi chez des patients en échec de traitements antérieurs incluant même les échecs à la trithérapie de 1ère génération, par inhibiteurs de protéase, Interféron pégylé et ribavirine. On ne peut aujourd’hui résumer l’ensemble des essais en cours et leur efficacité, mais ces multithérapies orales de 12 à 24 semaines permettront à moyen terme de guérir tous les patients car : 1. elles ont une activité pangénotypique ; 2. il n’y a pas de résistance croisée entre les différentes classes d’antiviraux directs et 3. De nouvelles molécules (3ème génération) voire de nouvelles cibles (inhibiteurs d’entrée, inhibiteurs du relargage) sont en développement. D’autres antiviraux, tels que les inhibiteurs de la cyclophilline, les inhibiteurs d’entrée, les ARN anti-sens, voire la vaccinothérapie permettront dans les situations non résolues, de dépasser une non-réponse initiale à une première ligne de traitement. Le développement de ces antiviraux spécifiques du virus ou de l’hôte va réduire la place de l’interféron, incluant l’interféron lambda (dont la tolérance générale et hématologique est meilleure que celle de l’interféron alfa), dont l’utilisation va disparaître. On ne peut cependant exclure qu’il puisse garder une place en "rattrapage" d’échecs aux premières ou deuxièmes lignes de traitements antiviraux.

Figure 4 : Evolution des stratégies des traitements antivirauxIFN: interféron; IFN PEG: interféron pégylé; RBV: ribavirine; DAAs: agents antiviraux directs; IP: inhibiteur de la protéase du VHC

2012 2017 2020 > 2020

Combinaison IFN PEG - RBV Traitements avec IFN

Traitements sans IFN

DAAs

Combinaisons DAAs (IP/I Pol/NS5A) RBV...

Inhibiteurs

d’entrée ?

Vaccinothérapie ?

Inhibiteurs

Cyclophilline

Antisens?

Cytokines?

Autres immuno-modulateurs ?

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ConclusionSi 25 ans après la découverte du VHC apparaît la promesse que presque tous les patients dépistés seront guéris, de nombreux défis restent à relever. Le premier d’entre eux est le dépistage : si la France est championne du monde pour la prise en charge de l’infection virale C (dont le dépistage, puisqu’on estime à 60 % le pourcentage de sujets infectés dépistés), il reste un gros travail à effectuer dans le monde et pas uniquement dans les pays du Sud, à la fois pour le dépistage mais aussi pour l’accès aux soins spécifiques. Le deuxième est l’amélioration de l’accès aux soins, limité par de nombreuses barrières qui restent à lever. Elles sont liées aux patients, médecins ou politiques dans l’organisation des soins : les populations les plus vulnérables qui sont la cible principale de l’infection virale C (usagers de drogues, détenus, précaires, migrants…) sont encore très loin de l’accès au diagnostic et aux traitements mais on peut espérer que le développement des tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) et les nouveaux traitements mieux tolérés, plus efficaces et surtout plus faciles à prendre pourront améliorer la prise en charge. Le troisième défi est économique car les traitements coûtent cher et il nous faudra apporter la preuve aux payeurs que la guérison de l’infection virale Cest "coût-efficace" par la réduction de la morbi-mortalité hépatique mais aussi extra-hépatique. Ceci ne dispensera pas de se battre pour réduire les coûts. Le dernier défi est préventif : le développement d’un vaccin prophylactique est essentiel mais reste limité par la très grande variabilité du virus. Ainsi, si la réalité théorique permet d’espérer une éradication complète de l’infection virale C dans les pays favorisés (moins de 10 % des sujets infectés ont été traités et guéris au Royaume-Uni ou aux USA, où le dépistage systématique de l’infection virale C chez les baby-boomers a été recommandé en 2012 par le CDC), l’essentiel reste à faire pour le dépistage, la prise en charge et la guérison des patients.

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Journal de Biologie Médicale / Volume 3-Numéro 10 / Juill-Sept 2014 99

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