La Russie et l’OMC : dernière ligne droite · 2014. 12. 1. · Si vous souhaitez être informé...

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La Russie et l’OMC : dernière ligne droite Julien Vercueil Février 2007 Centre Russie/NEI

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  • La Russie et l’OMC : dernière ligne droite

    Julien Vercueil

    Février 2007

    Centre Russie/NEI

  • L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche,d’information et de débat sur les grandes questions internationales.Créé en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une associationreconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucunetutelle administrative, définit librement ses activités et publierégulièrement ses travaux. En 2005, l’Ifri a ouvert une branche européenne à Bruxelles. Eur-Ifriest un think tank dont les objectifs sont d’enrichir le débat européenpar une approche interdisciplinaire, de contribuer au développementd’idées nouvelles et d’alimenter la prise de décision. Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que laresponsabilité de l’auteur.

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    Russie.Nei.Visions

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    - Vladimir Milov, « Le dialogue énergétique UE-Russie : concurrence contre monopoles », Russie.Nei.Visions, n°13, septembre 2006.

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    Auteur

    Julien Vercueil est actuellement directeur du Département de Gestion de l’IUT Jean Moulin de Lyon. Il consacre ses travaux de recherche à l’étude de l’évolution des institutions et à leur impact sur les trajectoires économiques des pays d’Europe centrale et orientale et de la Russie. Il a publié notamment Transition et ouverture de l’économie russe (1992-2002). Contribution à une économie institutionnelle du changement (L’Harmattan, 2002, coll. Pays de l’Est), De la chute du mur à la nouvelle Europe. Économie politique d’une métamorphose (L’Harmattan, 2004, coll. Pays de l’Est, en collaboration avec J.-P. Pagé) et Nouvelles Europes. Trajectoires et enjeux économiques (Presses de l’UTBM, 2007, en collaboration avec P. Koleva et N. Rodet-Kroichvili).

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    Sommaire

    Sommaire ..................................................................................................... 3 Résumé ........................................................................................................ 4 Introduction ................................................................................................. 5 Place de la Russie dans l’économie mondiale : ses conséquences sur les négociations .......................................................................................... 7 Bénéfices d’une intégration réussie de la Russie à l’OMC .................... 9 Influence des négociations sur les réformes en Russie ...................... 12 Etat des négociations .............................................................................. 17 Conditions d’un accord final ................................................................... 22

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    Résumé

    a Russie entre désormais dans la phase finale des négociations en vue de son accession à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

    Menées durant quatorze ans, les discussions ont indiscutablement contribué à la transformation de l’économie russe et à la modernisation de son appareil législatif. S’il reste encore des questions non résolues au début de l’année 2007, le caractère asymétrique des négociations risque d’amener la Russie à faire de nouvelles concessions à ses partenaires pour accélérer la conclusion de l’accord. A plus long terme, le principal défi pour les autorités russes reste d’assurer la mise en oeuvre sur le terrain des textes déjà entrés en vigueur.

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    Introduction

    « L’OMC est un instrument. Celui qui sait s’en servir devient plus fort ».

    Vladimir Poutine∗

    a Russie a présenté sa candidature au GATT en 1993. Quatorze ans après, l’économie russe s’est profondément transformée. La trajectoire

    parcourue durant la période récente a façonné une économie très différente de ce qu’elle était au début des négociations : les processus de marchés, bien que revêtant des formes particulières dans bien des secteurs, s’y sont imposés de manière irréversible. Dans le même temps, le GATT est devenu l’OMC, le cycle de l’Uruguay a cédé la place à celui de Doha, les conditions d’accès en sont devenues plus complexes et le nombre d’Etats membres est passé de 113 à 1501, contribuant à modifier la nature même des négociations.

    Que faut-il attendre de l’année 2007 ? La Russie, qui a pu sembler un temps condamnée, comme l’Achille de la parabole de Zénon d’Elée, à courir éternellement après l’OMC, finira-t-elle par la rejoindre ? A quelles conditions ?

    Si l’issue – positive – du processus ne fait de doute pour personne depuis longtemps, l’exemple de la Chine est là pour tempérer les impatiences : il a fallu quinze ans pour faire aboutir les négociations entre la dernière grande puissance dotée d’un régime communiste et les membres de l’organisation internationale emblématique du capitalisme occidental. L’état actuel des négociations entre la Russie et les pays membres incite pourtant à l’optimisme : les obstacles restants à franchir paraissent moins difficiles que ceux qui ont déjà été surmontés. Les discussions les plus ingrates sont derrières les négociateurs : les échanges bilatéraux avec les

    ∗ Discours du Président de la Fédération de Russie à l’Assemblée Fédérale, 18 avril 2002. 1 En janvier 2007, le Vietnam est devenu le 150ème membre de l’OMC.

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    Etats-Unis se sont achevées sur un accord en novembre 2006. La perspective de la fin du deuxième mandat de Vladimir Poutine devrait accélérer le processus du côté russe, dans un domaine qui a été érigé au rang de priorité par le Président.

    Toutefois, les négociations ont lieu dans un contexte marqué, notamment en Russie, par de vives controverses politiques. Les déboires de la politique de transition, menée dans les années 1990 sous l’impulsion des organisations financières internationales, imprègnent encore les esprits. Pour certains, l’intégration à l’OMC apparaît comme une concession supplémentaire aux tenants de la doxa libérale anglo-saxonne2, d’autant plus inutile que les principaux atouts économiques dont la Russie peut se prévaloir sur la scène internationale – des ressources énergétiques et minérales de première importance – n’entrent pas complètement dans le champ de compétence de l’organisation. Pour d’autres, la Russie ne peut plus se permettre de rester en marge de l’organisation et des cercles de décision internationaux au risque d’aggraver sa marginalisation vis-à-vis des flux mondiaux d’affaires3.

    Cet arrière-plan est l’une des causes profondes du caractère arythmique des négociations, qui alterne les phases d’accélération (1996-1998, 2001-2003) et de crispation (1998-2001, 2004-2005), altérant la crédibilité des analystes et des acteurs qui se hasardent à des pronostics datés sur l’issue du processus.

    Nous nous proposons de dresser un état de la situation en ce début 2007. Après un rappel des paramètres structurels du mode d’insertion de l’économie russe dans l’économie mondiale, l’article propose une évaluation des bénéfices et des risques encourus par l’accession de l’économie russe à l’OMC. Il aborde ensuite les principales étapes des négociations en cours et les points d’achoppement des discussions. Il conclut par des observations sur le stade final des discussions qui s’engagent à présent.

    2 Cet argument cache, chez certains industriels russes (par exemple, ceux dont les intérêts sont liés à l’industrie automobile), la crainte de voir leur marché intérieur s’ouvrir davantage à la concurrence étrangère et menacer leurs positions. 3 C’est, notamment, la position défendue par l’exécutif russe.

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    La place de la Russie dans l’économie mondiale et ses conséquences sur les négociations

    ormellement, la Russie est une économie ouverte sur le reste du monde : en 2005, le commerce extérieur représentait 56 % de son PIB.

    Cette ouverture se double de revenus très confortables en provenance du reste du monde. L’excédent commercial a atteint ces dernières années des montants records (120 milliards de dollars en 2005, soit près de 16 % du PIB). Mais les faits sont têtus : année après année, en dépit des déclarations répétées des gouvernements successifs sur la nécessité de diversifier l’économie, la Russie continue de démontrer, dans la structure de son économie comme dans ses relations commerciales extérieures, le même profil de spécialisation sur les matières premières. Cette spécialisation est fortement orientée vers le secteur des hydrocarbures. Celui-ci peut être considéré comme une manne pour l’économie : il contribue pour 25 % au PIB national, pour 40 % aux recettes du budget de l’État, pour 60 % aux exportations ; c’est ce secteur qui explique l’essentiel de l’excédent de la balance des transactions courantes ; c’est aussi lui qui, pour une large part, a permis à l’État de réduire sa dette extérieure de 88 à 10 % du PIB entre 1999 et 2006, ouvrant la voie à une amélioration significative de la notation du pays par les agences internationales. En revanche, mesuré par les indices usuels4, le commerce intra-branche de la Russie, qui reflète la profondeur de l’insertion du tissu productif national dans la division internationale du travail, reste l’un des plus faibles d’Europe5. Les données sectorielles disponibles sur les investissements directs étrangers (IDE) en Russie ne laissent pas augurer d’un renversement de la tendance à moyen terme6.

    Le mode d’intégration de l’économie russe dans l’économie mondiale n’est donc pas éloigné de celui d’un « état pétrolier ». La croissance des prix mondiaux de l’énergie depuis 1999 a exercé une pression irrésistible en faveur de la montée en puissance du secteur dans l’économie. Tout au plus, les deux mandats présidentiels de Vladimir Poutine auront pu ramener une 4 En particulier, l’indice Grubel-Lloyd. 5 B. Algieri, « Trade Specialisation Patterns: The Case of Russia », Bofit discussion papers, n° 19, 2004. 6 J. Vercueil, « L’ouverture aux IDE: cadre institutionnel, politiques et stratégies », in P. Koleva, N. Rodet-Kroichvili, J. Vercueil (dir.), Nouvelles Europes. Trajectoires et enjeux économiques, Presse de l’UTBM, 2007.

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    partie du secteur dans l’orbe étatique, après la perte presque totale de contrôle public sur celui-ci du temps de Boris Eltsine. Si les avantages comparatifs de la Russie se situent, aujourd’hui comme hier, dans le secteur des matières premières, et si les industries à forte valeur ajoutée restent absentes de son profil de spécialisation, cela s’explique, en grande partie, par l’absence de réels efforts entrepris dans ce sens depuis 1992.

    Compte tenu de ce contexte, la Russie a-t-elle réellement intérêt à intégrer l’OMC ? Certains observateurs russes – non pas seulement les représentants des intérêts industriels nationaux – continuent de poser la question7. L’accession à l’OMC implique en effet une concurrence accrue pour les industries manufacturières russes. Les conséquences en termes d’emploi, si elles sont difficiles à mesurer avec précision, ne sont pas négligeables, en particulier sur les secteurs industriels traditionnels et les régions de Russie qui y sont liées. Si, en contrepartie, les avantages en termes d’accès aux marchés des principaux consommateurs de matières premières énergétiques ne sont pas garantis, parce qu’ils échappent au contrôle de l’OMC, où se trouve, pour la Russie, l’intérêt d’intégrer cette organisation ?

    7 L’une des figures politiques de l’opposition à l’accession à l’OMC est l’ancien député à la Douma Constantin Remtchoukov.

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    Les bénéfices d’une intégration réussie de la Russie à l’OMC

    utre la littérature classique présentant les bénéfices attendus d’une libéralisation du commerce, les arguments suivants sont généralement

    avancés pour justifier l’accession de la Russie à l’OMC :

    • Bénéficier des institutions de l’OMC : l’accession permettrait à la Russie de bénéficier des accords multilatéraux qui y sont attachés (clause de la nation la plus favorisée, lutte contre le dumping, réduction des barrières tarifaires et éradication des barrières non tarifaires). A moyen terme, les conditions commerciales offertes à la Russie par ses partenaires seront plus favorables si elle intègre l’OMC que dans le cas contraire.

    • Porter la voix de la Russie dans les enceintes internationales : intégrer une arène de négociation multilatérale puissante permettrait aux autorités russes de faire valoir leur position dans les cycles de négociation futurs et, de cette façon, peser sur leurs résultats.

    • Obtenir la défense des intérêts de la Russie sur une base indépendante : l’accession à l’OMC ouvrirait l’accès à l’Organe de règlement des différends (ORD) qui donne la possibilité d’un traitement indépendant des contentieux commerciaux. Même lorsqu’il n’est pas utilisé, l’ORD exerce une pression sur les comportements des pays membres en les forçant à rechercher des positions de compromis, comme l’ont montré plusieurs contentieux récents impliquant les États-Unis.

    • Mettre fin à des pratiques discriminatoires en matière commerciale : en intégrant l’OMC, la Russie espère obtenir l’abrogation des procédures anti-dumping unilatérales lancées par plusieurs partenaires commerciaux (Union européenne, États-Unis, etc.) à son encontre, qui coûtent à son économie entre 2 et 4 milliards de dollars par an8.

    • Bénéficier d’un ancrage extérieur contraignant pour les réformes internes : les réformes structurelles exigées de la Russie dans le cadre des négociations d’accession sont destinées à améliorer et stabiliser le système légal qui encadre les activités économiques et à garantir son

    8 Ces estimations proviennent du Ministère du commerce et du développement économique de Russie. Les secteurs les plus touchés sont les métaux ferreux, l’industrie chimique, les produits manufacturés et les engrais. Cf. B. Lissovolik, Y. Lissovolik, « Russia and the WTO: the “Gravity” of an Outsider’s Status », IMF Working Paper 04/159, August 2004.

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    application effective sur le territoire national. Les conséquences directes et indirectes d’une telle stabilisation institutionnelle sont d’une importance cruciale pour le développement à moyen terme de la Russie, notamment par leur effet sur le climat d’investissement. En moyenne, sur les vingt dernières années, l’accession à l’OMC s’est traduite pour les économies concernées par une accélération des flux d’investissements directs étrangers (IDE) de 4 milliards de dollars annuels9.

    • Développer les relations commerciales internationales de la Russie : l’ouverture accrue des marchés étrangers doit offrir davantage d’opportunités aux exportateurs nationaux ; dans le même temps, l’intensification de la pression concurrentielle sur l’économie nationale est susceptible de favoriser la baisse des prix, l’amélioration de la qualité des produits et services et plus généralement de l’allocation des ressources. Selon certains commentateurs, seul l’aiguillon de la concurrence internationale serait à même de provoquer les restructurations nécessaires de l’économie russe10.

    • Contribuer à orienter la Russie vers une économie fondée sur la connaissance : par la protection des droits de propriété intellectuelle qu’elle exige, la participation à l’OMC devrait permettre à la Russie d’offrir un cadre légal favorisant l’épanouissement des secteurs intensifs en recherche et développement, et de maintenir la main d’œuvre qualifiée et le potentiel scientifique sur le territoire national11.

    De nombreuses estimations quantitatives des gains à attendre de l’accession ont été proposées. Les modèles testés ont mis en évidence les effets de l’amélioration de l’accès aux marchés étrangers, une allocation plus efficace des ressources de l’économie, les effets de l’importation de capitaux et de technologies étrangères sur la productivité de l’industrie et des services, l’augmentation du rendement des investissements. Les résultats sont relativement contrastés : ils varient entre 0,4 et 4 points de croissance annuelle à moyen terme12. A long terme, les effets positifs sur la consommation atteindraient 7 % par an, du fait de la réduction des tarifs douaniers et, surtout, de l’amélioration de l’accès des investisseurs étrangers au secteur des services13.

    9 K. Yudaeva, « Joining the WTO: Is a Political Decision the Only Hope? », Post-Soviet Economies in Transition Briefing Paper, vol. 5, n° 6, June 2003. 10 E. Bessonova, K. Kozlov, K. Yudaieva, « Trade Liberalization, Foreign Direct Investment, and Productivity of Russian Firms », Communication au colloque CEFIR Negociating Russia’s WTO accession: Strategic Lessons from Multilateral Trade Liberalization and Club Enlargement, Moscow, September 2003. 11 K. Yudaeva, 2003, op.cit. 12 Vishaya Shkola, « Development of forecasts of socio-economic consequences of Russia’s WTO accession », Report for the Ministry of Economic Development and Trade, Moscou, 2002; J. Jensen, T. Rutherford, and D. Tarr, Economy-Wide and Sector Effects of Russia's Accession to the WTO, Mimeo, 2004, consultable sur . 13 T. Rutherford, D. Tarr, O. Shepotylo, « The Impact on Russia of WTO Accession and the Doha Agenda: the Importance of Liberalization of Barriers Against Foreign Direct Investment in Services for Growth and Poverty Reduction », in T. W. Hertel, A. Winters (eds), Poverty

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    Les estimations des conséquences de l’accession sur l’emploi sont également différenciées14. En théorie, la réallocation des ressources liées à l’ouverture doit déboucher sur des créations d’emplois dans les secteurs les plus compétitifs et des destructions dans ceux qui le sont moins. Mais les travaux d’Akhmedov et alii15, constatant une forte viscosité des flux intersectoriels de travailleurs, font apparaître une certaine inertie de la structure de la production aux changements de prix relatifs susceptibles d’intervenir en cas d’accession à l’OMC. Globalement, pour ces auteurs l’impact de l’accession sur l’emploi ne devrait pas dépasser 0,5 à 1 % du volume de l’emploi industriel. Ces résultats sont globalement confirmés par les autres travaux sur la question16.

    Dans l’ensemble, les analyses quantitatives des conséquences de l’accession de la Russie à l’OMC mettent donc en évidence des résultats positifs. Si la réduction des barrières tarifaires ne devrait pas provoquer de changements importants, les effets de la suppression des barrières non tarifaires et de la libéralisation du secteur des services sur l’efficacité de l’économie devraient être plus significatifs. Les secteurs liés à l’exploitation des ressources naturelles devraient être les principaux bénéficiaires de la libéralisation de l’accès aux marchés étrangers tandis que les secteurs intensifs en main d’œuvre, comme l’industrie légère et l’industrie agro-alimentaire, devraient faire face à une intensification de la concurrence.

    and the WTO: Impacts of the Doha Development Agenda, London: The World Bank and Palgrave MacMillan, 2006. 14 Le taux de chômage officiel en Russie est de 7,6 %, . 15 A. Akhmedov & al., « WTO Accession and the Labor Market: Estimations for Russia », CEFIR Working Paper, October 2003. 16 A. Chowdhury, « WTO accession: What’s in it for Russia? », Bofit Online, n° 10, 2003, .

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    L’influence des négociations sur les réformes en Russie

    enter d’identifier, parmi les réformes entreprises en Russie depuis 1994 celles qui sont spécifiquement liées aux négociations d’accession

    relèverait de la gageure. L’intensification des négociations depuis 2001 permet toutefois de relever dans la période récente les réformes qui ont concerné les domaines couverts par les négociations d’accession.

    Le commerce extérieur

    La période ayant suivi l’ouverture initiale de l’économie russe avait abouti à la création d’un système douanier complexe, incohérent, inefficace et miné par la corruption. La réforme de la réglementation du commerce extérieur a principalement consisté en sa simplification. Au 1er janvier 2001, le nombre des tarifs douaniers a été réduit de 7 à 417. Par la suite, le tarif moyen a été abaissé de 13 % à moins de 10 %. Une nouvelle nomenclature de produits du commerce extérieur est entrée en vigueur, qui correspond davantage aux normes internationales que la précédente. Le Code douanier, longtemps attendu, a été promulgué le 1er janvier 200418. L’administration des douanes a été restructurée avec l’aide de la Banque Mondiale. Après quinze ans d’une existence parfois troublée, elle compte désormais 60 000 fonctionnaires et collecte plus de 40 % des ressources du budget de l’État, contre 10 % en 199119. D’autres dispositions réglementaires relatives aux échanges extérieurs ont été aussi allégées : un système unique de taxation des exportations de pétrole brut a été mis en place, certaines taxes sur les

    17 Les tarifs s’étagent désormais entre 0 et 20 %. Les principaux taux sont de 5, 10, 15 et 20 %. Ils concernent 3500 produits sur les 10000 que compte la classification douanière de la Russie. Les taux de certaines sous-catégories ont été fusionnés pour éviter les fausses déclarations. Parmi les exceptions, on compte les automobiles, taxées à hauteur de 25 %, le sucre raffiné, l'alcool éthylique (ceux de plus de 80 % vol. sont taxés à 100 %) et le tabac. La structure actuelle des tarifs est consultable sur . 18 Le Code douanier de la Fédération de Russie est consultable sur . 19 « Russian customs is 15 years », 25/10/2006, consultable sur .

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    exportations de matières premières ont été supprimées20. En 2006, le contrôle des changes sur les revenus d’exportations a été totalement abandonné.

    Le droit de la concurrence et le gouvernement d’entreprise

    Les autorités russes s’étaient engagées à modifier la loi sur les faillites de 1998 qui comportait des incohérences responsables de nombreux dysfonctionnements dans les jugements portés par les tribunaux. A l’automne 2002 une version modifiée de la loi a été votée, dont l’objectif était de corriger les insuffisances du texte initial en équilibrant davantage le rapport de forces entre les créditeurs et le débiteur. Récemment, des amendements ont durci les peines encourues par les dirigeants coupables de défaut d’information ou de banqueroute délibérée21. Des amendements clarifiant la loi sur la concurrence et les prérogatives du Conseil de la concurrence ont été votés en septembre 2002. Les principaux problèmes restant à résoudre dans ces domaines concernent l’application des lois et la capacité d’action du système judiciaire russe.

    En collaboration avec la Banque Mondiale, la BERD et l'OCDE, le gouvernement a également mis en chantier en septembre 2000 une refonte du système légal encadrant le gouvernement d’entreprise, qui a débouché en 2002 sur la création d’un « Code du gouvernement d’entreprise », plusieurs fois amendé par la suite. Les dernières modifications introduites dans la législation visent à accorder davantage de droits aux actionnaires minoritaires22. Les comptes des grandes compagnies russes commencent à être présentés suivant les normes internationales.

    20 Taxes sur l'exportation d'or, de produits de la filière bois non transformés, de plusieurs catégories de papier (1er mars 2002). 21 EBRD, Commercial Laws of the Russian Federation. An Assessment by the EBRD , The European Bank for Reconstruction and Development, August 2006. 22 Un amendement entré en vigueur en juillet 2006 impose à tout acquéreur de plus de 30 % des droits de vote d’une société anonyme de faire une offre d’achat des parts restantes. Cependant, tout possesseur de plus de 95 % des droits de vote d’une société anonyme peut forcer les actionnaires minoritaires à lui vendre les parts restantes (EBRD, 2006, op.cit.).

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    Le secteur bancaire et les services

    La réforme de la Banque Centrale de Russie (BCR) a été engagée par les autorités russes à partir d'octobre 2000, accompagnée d'autres réorganisations d'institutions financières publiques (Vneshekonombank et Vneshtorgbank, par exemple). Le Conseil National Bancaire de Russie, chargé de superviser l’activité de la BCR, a bénéficié d’un élargissement de ses pouvoirs destiné à améliorer la transparence des opérations bancaires.

    La restructuration du système bancaire a mis du temps à se dessiner, malgré les pressions constantes des organisations internationales. Le poids de la Sberbank, caisse d’épargne publique bénéficiant d’un réseau sans équivalent et d’une garantie publique sur ses dépôts, reste prédominant (la Sberbank concentre plus de 55 % des dépôts des particuliers en Russie) et suscite les plaintes des banques privées concurrentes. Les mesures prises pour restructurer le secteur ont principalement concerné la réforme de la garantie d’Etat sur les dépôts, le montant minimum de capital requis pour l'agrément des banques commerciales auprès de la BCR et les restrictions à l’accès des banques étrangères au marché russe. En novembre 2002, le plafond imposé aux participations étrangères au capital des établissements bancaires russes a été supprimé. Par ailleurs, deux lois réprimant le blanchiment des capitaux ont été votée en juillet 2001 et septembre 2002, permettant aux autorités russes d'afficher leur volonté de se conformer aux normes du GAFI23 et d’obtenir le retrait de la Russie de la « liste noire » des pays non coopératifs. L’augmentation récente du rôle du secteur bancaire dans le financement de la consommation et de l’investissement est un signe de la maturation progressive du secteur. Un pas symbolique a été franchi en février 2006 avec la vente de l’Impexbank (1,8 milliards de dollars d’actifs) à un établissement étranger24. La restructuration du secteur n’en est pas pour autant achevée : les banques privées restent sous-capitalisées, les trois plus grandes banques publiques – Sberbank, Vneshtorgbank et Gazprombank – contrôlent encore 36 % des actifs du secteur, 45 % des prêts aux particuliers et 33 % des prêts aux entreprises25, les banques étrangères ne contrôlent que 10 % des actifs bancaires du pays, contre 70 % en moyenne dans les pays d’Europe centrale.

    La question du secteur bancaire est emblématique de celle, plus générale, de l’ouverture du secteur des services, pour lequel la Russie souhaiterait maintenir un niveau de protection compatible avec le faible 23 Groupe d'Action Financière Internationale de l’OCDE chargé de surveiller les activités internationales de blanchiment des capitaux. 24 La Raffeisenbank, banque autrichienne (Bofit Russia review, n° 5, 2006). 25 Bofit Russia Review, n°3, 2006.

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    développement des entreprises nationales (en particulier, pour les secteurs de l’assurance et les télécommunications), tout en permettant l’entrée des capitaux étrangers nécessaires à sa consolidation et sa modernisation.

    Les relations entre l’État et les entreprises

    Dès l’année 2000, un plan de réforme des secteurs du transport ferroviaire, de l'électricité, des télécommunications et du gaz a été proposé, visant à placer l'ensemble de ces secteurs sous la supervision exclusive de l'État fédéral. Ce plan a été présenté en février 2001 au groupe de travail de l'OMC sur l'ouverture du capital des entreprises de télécommunications aux investisseurs étrangers. Durant la période 2001-2003, les privatisations ont été conduites dans un contexte moins opaque qu'auparavant26. Les principaux monopoles naturels (comme RAO UES, producteur d’électricité) ont fait avancer leurs programmes de restructuration élaborés sur des modèles préconisés par les organisations internationales.

    A partir de 2004 toutefois, le rythme des réformes s’est ralenti dans le domaine des relations entre l’État et les entreprises, reflétant une inflexion de la doctrine du pouvoir en la matière. La re-nationalisation de facto de Yukos a refroidi le climat d’investissement dans le pays. En 2004, la restructuration prévue de RAO UES n’a pas eu lieu, seul un plan de privatisation partiel a été élaboré. Les privatisations ont continué en 2005 mais à un rythme considéré comme trop lent par le gouvernement lui-même. En décembre 2005, un amendement a été voté à la Douma ouvrant davantage le capital de Gazprom, numéro un mondial du gaz, aux investisseurs étrangers. Mais fin 2006, le monopole de l’exportation du gaz lui a été officiellement accordé par décret présidentiel, dans un geste manifestement destiné à rappeler la mainmise du pouvoir politique sur le secteur. Le même privilège a été accordé par la suite l’entreprise d’exportation d’armement Rosoboronexport. Après plusieurs années d’hésitations, la privatisation de Svyazinvest, compagnie holding en positions dominante sur les réseaux nationaux de téléphonie fixe a été finalement repoussée au-delà de l’année 2007.

    26 Illustration de cette amélioration, la privatisation de 85 % de l'entreprise pétrolière Onako a généré 1,1 milliard de dollars de recettes pour l'Etat. Ce montant a été jugé raisonnable par les observateurs étrangers.

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    Le système légal et fiscal

    Le système légal poursuit sa transformation en direction des normes requises par l’accession à l’OMC. Entre 2003 et 2005, douze textes législatifs ont été promulgués en référence directe aux négociations d’accession. Mais, s’agissant du cas russe, un motif d’incertitude essentiel demeure quant au degré d'application effective des lois sur le territoire national. Les agences gouvernementales et les autorités locales ont-elles la capacité et la volonté de mettre en œuvre les textes législatifs émanant du pouvoir central ? Les mesures prises par le Président Poutine dès son arrivée au pouvoir ont traduit la volonté de la nouvelle administration de rétablir la « verticale du pouvoir ». Afin de réduire les risques de corruption, le nombre d'activités commerciales soumises à licence a été réduit de 450 environ à 120, les formalités administratives d'enregistrement ont été allégées et les droits des entreprises face aux inspections ont été élargis. Dans les faits, la corruption ne cesse pourtant de se répandre, selon les enquêtes régulières menées sur le terrain par des organismes internationaux ou non gouvernementaux (Banque Mondiale, Transparency International)27. En outre, la séparation des pouvoirs et plus particulièrement l’indépendance du système judiciaire vis-à-vis de l’exécutif continuent d’être régulièrement remis en cause en Russie, ce qui rend plus problématique la lutte contre la corruption28.

    Le Code fiscal et le financement de la sécurité sociale ont été revus à partir de l'été 2000. L'impôt sur le revenu a été simplifié par l'adoption d'un taux unique de 13 %, les cotisations sociales ont été fusionnées en une seule contribution, les taux de TVA ont été fixés à 10 et 20 %, l'assiette de l’impôt sur les sociétés (IS) a été revue en conformité avec les pratiques occidentales. En juillet 2001, le taux d'IS a été abaissé à 24 % et un régime fiscal allégé et simplifié a été appliqué aux petites et moyennes entreprises à partir du 1er janvier 2003.

    En matière de reconnaissance internationale, les principaux résultats des réformes accomplies par la Russie dans sa législation économique ont été l’octroi du statut d'économie de marché par l'Union Européenne29, puis par les États-Unis au printemps 2002. Son intégration de plein exercice au G8 a été officialisée au début de l'été 2002.

    27 Voir, par exemple, World Bank, « Administrative and Regulatory Reform in Russia. Addressing Potential Sources of Corruption », World Bank Policy Note, 36157-RU, October 2006, pour un panorama de l’évolution des indicateurs de corruption pour la Russie durant la dernière décennie. 28 Sur la question de l’indépendance du pouvoir judiciaire, le lecteur intéressé pourra consulter, par exemple, l’enquête d’Anna Politkovskaïa : La Russie selon Poutine. Paris, Gallimard, Coll. « Folio », 2006. 29 La décision a été annoncée au sommet russo-européen de mai 2002. Elle a pris effet en novembre 2002. Désormais, les enquêtes anti-dumping prennent pour référence les coûts des inputs des entreprises russes et non pas d’entreprises issues d’autres pays, auxquels a déjà été accordé le statut d’économie de marché (Bofit Weekly Review, n° 47, 2002).

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    L’état des négociations

    n 1995, la partie russe a soumis au groupe de travail pour l’accession de la Russie à l’OMC un « Mémorandum sur le régime de commerce

    extérieur » qui décrit sa politique en matière de commerce extérieur et dans les domaines qui y sont liés. Sur la base de ce Mémorandum, les membres du groupe de travail ont soumis des questions écrites auxquelles les négociateurs russes sont tenus de répondre. Le processus d’aller-retour ainsi engagé se développe dans le cadre de réunions multilatérales officielles. Parallèlement, des discussions bilatérales avec les membres du groupe sont menées pour déterminer les conditions particulières de l’accession (à ce jour, 30 réunions ont eu lieu depuis le début des négociations), aboutissant à la conclusion de plusieurs accords bilatéraux importants et à la rédaction du rapport du groupe de travail, qui sera soumis à l’approbation de l’ensemble des pays membres pour constituer le protocole d’accession de la Russie à l’OMC.

    Les principales difficultés de la phase finale dans laquelle la Russie est actuellement engagée se concentrent sur les prix de l’énergie, la propriété intellectuelle, l’agriculture, les réglementations sanitaires et phytosanitaires et les industries politiquement sensibles.

    La question des prix du gaz

    Le système utilisé par la Russie pour la facturation des livraisons de gaz repose sur le monopole de facto accordé à l’entreprise d’État Gazprom pour la production et la distribution. Ce monopole30, hérité de l’ère soviétique, permet de maintenir un système dual de facturation, différenciant les prix internes des prix pratiqués pour les exportations. Le tableau 1 montre l’écart actuel entre les prix facturés aux industriels russes et les prix mondiaux.

    30 Détenu à 50,01 % par l’Etat qui nomme 6 des 11 membres du Conseil d’Administration, Gazprom dispose d’une capitalisation boursière estimée à plus de 250 milliards de dollars début 2007, ce qui la place parmi les quatre premières entreprises mondiales.

    E

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    Tableau 1. Prix moyens du gaz naturel pour les clients industriels ($ par m3)

    Russie Ukraine Pologne Royaume-Uni

    France UE États-Unis

    40 90 115 125 140 145 205

    Source : Banque mondiale, « Russian Economic Report », n°10, mars 2005.

    Les partenaires de la Russie considèrent que les prix pratiqués sur le marché intérieur constituent une subvention déguisée aux industriels russes. L’OCDE a évalué le montant de ces subventions à 5 % du PIB31. Les conséquences d’un prix faible du gaz se répercutent en effet sur de nombreux secteurs, comme, par exemple, celui de la production des engrais chimiques, dans le prix de laquelle le prix du gaz entrerait pour 75 %32. C’est pourquoi plusieurs membres du groupe de travail considèrent que les prix intérieurs de l’énergie (et en particulier du gaz) devraient être sensiblement rapprochés des prix internationaux. La partie russe réplique que les prix internes reflètent les avantages comparatifs de la Russie. En outre, ils s’appliquent de manière indifférenciée à toutes les industries nationales et doivent donc, selon les négociateurs russes, être considérés comme des subventions « non actionnables » selon les règles de l’OMC contenues dans l’« accord sur les subventions et les mesures compensatoires »33. Ils ne devraient donc pas relever de la liste des subventions prohibées ou pouvant faire l’objet de mesures compensatoires de la part de plaignants34. Dans le même temps, le gouvernement a dévoilé un projet de dérégulation des prix de 25 % de la consommation nationale de gaz, principalement celle des entreprises, dès 2007. Le calendrier de la libéralisation des prix des livraisons aux particuliers serait étalé sur plusieurs années35.

    Les droits de propriété intellectuelle

    La Russie a mis en place un arsenal législatif destiné à encadrer la protection des droits de propriété intellectuelle. Le pays est membre des principales conventions encadrant la protection des droits de propriété intellectuelle et a également signé nombre d’accords bilatéraux couvrant ces questions. Le problème vient de l’application des textes sur le terrain : les

    31 OECD, Economic Surveys 2001-2002: Russian Federation, Paris, OECD, 2002. 32 W. Cooper, « Russia’s Accession to the WTO », CRS Report for Congress, n° RL31979, April 2006. 33 Les « subventions actionnables » sont les subventions attribuées à une entreprise, un groupe d’entreprises ou une industrie du pays allouant la subvention. Elles sont prohibées par les règles de l’OMC. 34 W. Cooper, 2006, op.cit. 35 Bofit Russia Review, n° 10, 2006.

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    pertes liées à la reproduction non autorisée de produits audiovisuels américains sont estimées à plus de 750 millions de dollars. Les contrefaçons d’articles américains représenteraient plus de la moitié des achats de ce type de produits par les particuliers russes. Fin 2005, le parlement américain a suspendu le maintien de la clause de la nation la plus favorisée à la Russie à l’amélioration de la lutte contre les violations des droits de propriété intellectuelle dont les entreprises américaines sont victimes. La partie russe souligne de son côté les efforts entrepris pour réduire l’ampleur du phénomène et observe que d’autres membres de l’OMC (en particulier la Chine) font face aux mêmes difficultés.

    L’agriculture

    La question des subventions à l’agriculture continue de constituer un sujet de discorde entre les parties. Tout candidat à l’accession doit formuler ses propositions quant aux tarifs douaniers prélevés sur les importations de produits agricoles, mais aussi quant aux subventions accordées au secteur (pour l’élevage, la production agricole, l’aide à l’investissement, les prêts bonifiés, l’aide au transport de produits agricoles, etc.). En conformité avec l’accord de l’OMC sur l’agriculture, la Russie doit fixer un plafond à ses interventions en prenant pour référence une période de trois années précédant son accession et s’engager à réduire ses aides de 20 % durant les six années qui suivent.

    Les propositions initiales de la Russie étaient fondées sur les chiffres de la période 1989-1992, faisant apparaître des propositions de soutien interne au secteur de 84 milliards de dollars et des subventions à l’exportations à hauteur de 1,6 milliard. Devant le rejet de ces propositions par les membres du groupe de travail, la partie russe a dû réviser plusieurs fois sa position. Ses dernières propositions ramenaient le niveau du soutien interne maximal à 9,5 milliards de dollars et celui des subventions aux exportations à 0,7 milliard. La principale opposition aux propositions russes provient des pays du groupe de Cairns36, qui souhaitent prendre comme période de base les années 1997 à 1999, durant lesquelles la crise budgétaire avait fortement réduit les subventions à l’agriculture : le montant du soutien y était compris entre 2 et 3 milliards de dollars, soit moins que le niveau minimal autorisé par les accords sur l’agriculture, correspondant à 5 % des coûts du secteur.

    36 Le Groupe de Cairns, constitué au sein de l’OMC, comprend 18 membres (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Chili, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Indonésie, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Paraguay, Pérou, Philippines, Thaïlande, Uruguay), hostiles à la pratique des subventions agricoles.

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    Le cas de l’agriculture montre le caractère asymétrique des négociations d’accession37 : la Russie n’est pas en mesure de dicter ses conditions aux membres du groupe de travail. Le rapport de négociation est, sur de nombreux points, en faveur de ces derniers, qui peuvent infléchir de manière substantielle les conditions dans lesquelles la Russie accédera finalement à l’organisation.

    Les normes sanitaires et phytosanitaires

    La Russie a été accusée de ne pas respecter les règles de l’OMC en matières de barrières non tarifaires, en édictant des normes sanitaires et phytosanitaires non justifiées. En la matière, l’interprétation des règlements dépend essentiellement de la position de l’observateur. Ainsi, les Etats-Unis ont exprimé des doutes sur la régularité des mesures prises en Russie à l’encontre des importations de poulet américain, suspectées de véhiculer le virus de la grippe aviaire. Les négociations entre les deux parties sur les protocoles d’inspection vétérinaire n’ont abouti que très récemment, la partie américaine redoutant que de telles mesures puissent être réutilisées par la suite.

    Les industries automobile et aéronautique

    Les deux secteurs partagent des caractéristiques communes : une portée symbolique forte héritée du prestige du passé (ils ont constitué les fleurons de l’industrie civile soviétique), une vulnérabilité structurelle liée à la crise subie dans les années 1990, une propension au lobbying (les représentants de ces industries ont appris à se faire écouter du pouvoir politique38) et l’inquiétude face à l’avenir (la concurrence des industriels occidentaux et asiatiques les menace directement sur leur marché domestique).

    Depuis le début des années 2000, les principes affichés par les négociateurs russes39 dans le cadre des négociations sur l’ouverture du marché des biens ont été les suivants :

    37 J. Vercueil, « Vstuplenie Rossii v VTO : Vybor Strategii » [L’accession de la Russie à l’OMC : le choix d’une stratégie], Problemy Prognozirovaniâ, n° 5, 2002, p. 75-93. 38 Tel le groupe Bazel, présidé par O. Deripaska, qui regroupe les industriels du secteur automobile. 39 Sous la direction de M. Medvedkov, négociateur en chef, en liaison avec G. Gref, Ministre du développement économique et du commerce.

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    - L’accession de la Russie à l’OMC ne doit pas se traduire par une

    réduction immédiate et significative des droits de douane. Des réductions sont possibles à moyen terme sur certains secteurs explicitement identifiés40.

    - Aucun accord sectoriel facultatif ne peut être accepté comme pré-condition à l’accession à l’OMC.

    Malgré un tarif douanier sur les importations de 25 %, la part de marché des principaux constructeurs automobiles nationaux, en baisse depuis 15 ans, est désormais tombée au-dessous de 50 %. La Russie propose, en contrepartie d’un tarif élevé sur les véhicules et composants importés, des tarifs proches de zéro pour les composants destinés à l’assemblage sur des sites propriétaires sur le territoire russe, moyennant l’engagement de ces derniers à faire progressivement appel à des fournisseurs russes41.

    La situation n’est pas très différente pour l’industrie aéronautique civile. Les tarifs imposés aux importations d’avions sont fixés à 20 %. La Russie argue que son industrie ne fonctionne qu’à hauteur de 0 à 15 % de ses capacités et que sa modernisation nécessite des investissements qui ne peuvent être consentis qu’à l’abri de solides barrières douanières. L’Union Européenne et les Etats-Unis pressent la Russie de signer l’accord plurilatéral facultatif sur l’aviation civile établi dans le cadre de l’OMC. La Russie, un temps prête à signer cet accord, a depuis renoncé à cet engagement42, suivant en cela les nouveaux objectifs officiels cités précédemment. Pour autant, les négociateurs eux-mêmes ne semblent pas certains de parvenir à limiter efficacement les concessions nécessaires :

    « Les négociations bilatérales vont sans doute amener la Russie à se rapprocher fortement des termes de certains [accords facultatifs]. Mais ceci ne saurait être interprété comme un signe de la volonté de la Russie d’intégrer de tels accords »43.

    40 Les produits agricoles, matières premières, produits semi-finis ou équipements industriels de haute technologie non fabriqués sur le territoire. 41 Bofit Russia Review, n° 11, 2006. 42 W. Cooper, 2006, op.cit. 43 « Strategy of Shaping up Tariff Proposals on Market Access for Goods Within the Framework of Russia’s Accession to WTO », December 2005, .

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    Les conditions d’un accord final

    our qu’un accord général soit obtenu autour du protocole d’accession, plusieurs semaines, voire plusieurs mois de tractations multilatérales

    semblent encore nécessaires. La volonté politique manifestée au plus haut niveau en Russie est l’un des facteurs qui permettront d’accélérer l’issue des négociations. Ainsi que l’indiquait Vladimir Poutine au milieu de son premier mandat,

    « Notre pays est encore exclu du processus d’élaboration des règles modernes du commerce mondial. Nous sommes déjà dans le commerce mondial mais nous n’avons pas notre mot à dire sur les règles de ce commerce. Cette situation exerce une contrainte sur l’économie russe et la rend moins compétitive »44.

    Il reste encore à vérifier si les autorités russes sont prêtes à tirer toutes les conséquences d’un tel diagnostic. La plus importante d’entre elles est de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que les textes promulgués durant la période de négociation acquièrent une valeur effective sur le terrain.

    Depuis le début des négociations, le temps joue contre la Russie45. Le processus est par nature asymétrique, la Russie devant concéder davantage que ses partenaires. En outre, ceux-ci n’ont que peu à gagner à la laisser intégrer l’OMC à ses conditions : leurs propres lobbies46 militent depuis longtemps pour imposer les conditions les plus libérales possibles et les contreparties politiques qu’un État isolé pourrait négocier en échange de son soutien resteraient fondamentalement incertaines à moyen terme. Dans le même temps, l’intégration de nouveaux membres à l’OMC conduit mécaniquement à un élargissement du groupe de travail qui ne peut que compliquer la tâche des négociateurs russes : certains d’entre eux sont d’anciens satellites du système soviétique dont les relations avec la Russie ne sont pas des plus chaleureuses (la Géorgie en est l’exemple le plus significatif47).

    44 Discours du Président de la Fédération de Russie à l’Assemblée Fédérale, 18 avril 2002. 45 J. Vercueil, 2002, op.cit. 46 Comme par exemple l’UNICE, confédération européenne des syndicats patronaux, qui a cherché à influencer les conditions de l’accord bilatéral UE-Russie. 47 Les négociations entre la Géorgie, membre de l’OMC, et la Russie butent sur des différends politiques qui touchent, notamment, au statut de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, régions séparatistes de la Géorgie. Après une rupture au dernier trimestre 2006, les négociations bilatérales ont repris courant janvier 2007, ouvrant la possibilité d’un accord multilatéral définitif en juillet.

    P

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    Durant les cinq dernières années, analyses et déclarations politiques n’ont cessé d’osciller entre un optimisme et un pessimisme également excessifs. A l’été 2006, la perspective initiale d’une accession au cours de la période 2006-2007 semblait définitivement abandonnée. Depuis lors, le dernier accord bilatéral critique pour le processus (concernant les États-Unis) a été trouvé avec seulement quelques semaines de retard sur le calendrier prévisionnel, ouvrant la voie aux négociations multilatérales finales.

    Pour tenir ses objectifs (obtenir l’adhésion de la Russie avant la fin de son mandat), la « fenêtre de tir » du Président se situe à l’orée de l’été 2007. Il est probable que pour y parvenir, quelques concessions supplémentaires seront nécessaires.