Langue Française Manuel du Professeur des Ecoles. Anscombre Elites 1950 - Copie
La révolte des elites
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Rubrique : Médiathèque / A La Une
« La révolte des élites / Et la trahison de la démocratie » par Christopher Lasch
Christopher Lasch, à travers plusieurs ouvrages, a analysé les évolutions et mutations de la société
étasunienne de la seconde moitié du XXe siècle. A contre-courant de la pensée dominante, il identifie les
changements comportementaux des différentes composantes de cette société, leur impact économique,
politique et social et les risques que ceux-ci font courir à la société américaine et finalement à la
démocratie que les Etats-Unis incarnent depuis deux siècles.
C’est dans son dernier ouvrage : « La révolte des élites et la trahison de la démocratie » qu’il expose et
structure définitivement son observation critique. Il y aborde et y développe des thèmes et situations
communs à l’ensemble des sociétés occidentales . Christopher Lasch pose la question de la survie de la
démocratie et les options pour préserver les valeurs qui non seulement sont à la base de notre organisation
politique mais plus largement à l’origine de notre civilisation occidentale.
Les titres des chapitres choisis par C.Lasch sont éloquents et énoncent clairement ses conceptions
politiques et sociales. Nous respecterons donc son approche en retenant ces titres et l’articulation de sa
pensée dans la conception de l’ouvrage.
Le chapitre introductif aborde d’emblée le malaise de la démocratie.
Le malaise dans la démocratie
Les nouvelles élites sociales, où figurent les dirigeants d’entreprises et toutes les professions qui
produisent et manipulent de l’information sont beaucoup plus internationales et migrantes que leurs
prédécesseurs. Pour progresser dans les affaires et les professions intellectuelles, elles sont prêtes à suivre
les opportunités. Jamais la réussite n’a été plus étroitement associée à la mobilité. Pour C.Lasch, son
avènement au XXème est une indication importante de l’érosion de la démocratie car elle ne s’inscrit plus
dans la perspective d’égalité des conditions sociales mais plutôt dans la promotion sélective dans la classe
professionnelle managériale.
Ces nouvelles élites sont en rébellion contre « l’Amérique du milieu ». Ceux qui aspirent à appartenir à la
nouvelle aristocratie cultivent leurs attaches avec le marché international par l’argent hyper-mobile. On
peut se demander s’ils se pensent encore américains tant ils tendent à se distinguer de la communauté.
Cette communauté s’est d’ailleurs morcelée depuis l’après seconde guerre mondiale et la perte de
responsabilité des hommes et des femmes autrefois indépendant de l’Etat est la marque du déclin qui
remet en cause l’avenir de la démocratie. Considérant cette perte de responsabilité, la nouvelle élite est
sceptique quant à la capacité des citoyens ordinaires à saisir des problèmes complexes et à produire des
jugements critiques. L’époque du « citoyen omnicompétent » est finie. Nous sommes dans une époque de
spécialisation où les questions sont laissées aux experts. Désormais, selon Lasch, l’information tend non
pas à promouvoir le débat mais à y couper court. Ainsi l’absence d’échanges démocratiques au travers du
débat public écarte le stimulant qui pourrait pousser les individus à maîtriser le savoir qui ferait d’eux des
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citoyens capables. De même, cette élite cosmopolite combat contre « l’ordre dominant » c'est-à-dire celui
de l’homme blanc euro-centrique et fait naître par réaction une politique identitaire pour les minorités et
une promotion de la diversité où l’opinion devient relative en fonction de l’identité raciale et ethnique, du
sexe ou de la préférence sexuelle.
Pour C.Lasch, ici réside un des points clé du malaise dans la démocratie. Quand l’argent parle, tout le
monde est condamné à écouter. Pour cette raison une société démocratique ne peut autoriser une
accumulation illimitée du capital. L’égalité sociale et civique présuppose que l’on s’approche de l’égalité
économique.
L’intensification des divisions sociales
La révolte des élites
Selon Ortega y Gasset, qui a publié son célèbre essai La Révolte des masses en 1930, ce qui caractérisait
l’esprit de la masse était « la haine mortelle de tout ce qui n’est pas elle-même ». Incapable
d’émerveillement et de respect, l’homme de la masse était « l’enfant gâté de l’histoire humaine ». La
thèse de Christopher Lasch est que toutes ces attitudes mentales sont davantage caractéristiques
aujourd’hui des niveaux supérieurs de la société que des niveaux inférieurs ou médians. Mais leur seule
exigence cohérente vise à être inclus dans les structures dominantes plutôt qu’à une transformation
révolutionnaire des rapports sociaux.
A la moindre opposition, ils deviennent irritables et intolérants. Ils méprisent ceux qui refusent de voir la
lumière. Aux Etats-Unis « l’Amérique du milieu » en est venue à symboliser tout ce qui se dresse sur la
route du progrès. Les Américains du milieu sont désespérément minables, ringards, provinciaux et
vaguement menaçants.
Ainsi pour Lasch, l’évolution générale va vers une société en deux classes où un petit nombre de
privilégiés monopolise les avantages de l’argent, de l’éducation et du pouvoir. C’est sur la crise de la
classe moyenne, et non pas seulement sur l’abîme croissant entre richesse et pauvreté, qu’il nous faut
mettre l’accent pour analyser avec sang-froid ce qui attend notre société. En effet, la structure de classe
change aux Etats-Unis ; les 20% d’Américains qui détiennent les revenus les plus importants contrôlent à
présent la moitié de la fortune du pays. La classe moyenne régresse et l’apport du revenu supplémentaire
fourni par l’entrée des femmes sur le marché du travail est devenu une nécessité.
De surcroît, mis à part ses revenus en hausse rapide, cette bourgeoisie aisée se définit par un mode de vie
qui la distingue, d’une manière de moins en moins équivoque, du reste de la population. Ce qui la
distingue de la grande bourgeoisie d’antant, c’est l’investissement réalisé dans l’éducation et
l’information, par opposition à la propriété. Toutefois, le fait le plus significatif est l’ampleur
internationale du marché dans lequel opèrent ces élites.
Selon Robert Reich, ces dernières vivent dans un monde de concepts et de symboles abstraits qui se
spécialisent dans l’interprétation et le déploiement de l’information symbolique. Leurs enfants acquièrent
des diplômes dans les meilleures universités du monde. Ils travaillent dans des équipes et leur travail
dépend largement de la constitution de réseaux. Ils s’installent dans des « poches géographiques
spécialisées » habitées par leurs semblables. Par là, les cercles du pouvoir – finance, Etat, art,
divertissement – se chevauchent et deviennent de plus en plus interchangeables.
La classe nouvelle doit préserver la fiction selon laquelle son pouvoir repose sur sa seule intelligence. Elle
se juge comme une élite qui s’est faite seule. Il semble toutefois qu’il soit plus correct d’associer ces
habitudes de penser à la montée de la méritocratie qu’à la « révolte des masses ». Cette méritocratie ouvre
des occasions de promotion sociale, du moins en théorie. Ainsi, la probabilité de voir ces élites exercer le
pouvoir de manière irresponsable est forte parce qu’elles se reconnaissent peu d’obligation envers leurs
prédécesseurs ou envers les communautés qu’elles font profession de diriger. Ce qui les intéresse, c’est
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d’échapper au sort commun.
Le résultat est la ségrégation des classes sociales, le mépris pour le travail manuel, le déclin des écoles
pour tous, la disparition de la culture commune. Ceux qui ont été laissés en arrière, sachant qu’ « ils ont eu
toutes les occasions » ne peuvent pas légitimement se plaindre de leur sort. De cette façon, souligne
Lasch, « pour la première fois, l’inférieur ne dispose de rien sur quoi appuyer sa considération de
lui-même ». Il n’est pas étonnant alors que la méritocratie engendre aussi un souci obsessionnel de «
l’estime de soi ».
Par ailleurs, les élites ne sont pas disposées à contribuer directement et personnellement au bien public.
Comme tout le reste, l’obligation a été dépersonnalisée ; elle s’exerce par l’intermédiaire de l’action de
l’Etat.
Les liens des classes privilégiées avec une culture internationale rendent beaucoup de leurs membres
profondément indifférents à la perspective du déclin national. Au royaume de l’économie mondiale,
l’argent a perdu tous ses liens avec la nationalité.
Les mêmes tendances sont à l’œuvre dans le monde entier. Ainsi en Europe, les référendums soulignent la
faille entre la population et ses élites. Celles-ci réagissent alors par la programmation de la fin des nations
qui engendre un tribalisme moderne qui renforce par contre coup l’internationalisme chez les élites.
C’est l’affaiblissement de l’Etat-Nation qui sous-tend ces deux évolutions. L’Etat ne peut plus contenir les
conflits ethniques, ni d’autre part les forces qui conduisent vers la mondialisation. Idéologiquement, le
nationalisme se trouve attaqué sur deux fronts : par les défenseurs des particularismes ethniques et raciaux
mais aussi par ceux qui soutiennent que le seul espoir de paix réside dans l’internationalisation de tout.
Le déclin des nations est étroitement lié au déclin mondial de la classe moyenne qui laisse place a des
factions rivales, une guerre de tous contre tous.
Opportunités dans la terre promise
C’est lorsque la notion d’opportunité a commencé à s’évanouir qu’elle a été identifiée au « Rêve
américain », ainsi son hégémonie à notre époque donne la mesure, non de la réalité du rêve, mais de son
recul.
Dans la description qu’en donnait le sociologue LloysWarner, le « rêve » semblait avoir une vie à part ; il
était devenu une illusion nécessaire dont la persistance réconciliait les gens avec l’existence de l’inégalité
et rendait moins pénible la contradiction avec une idéologie égalitaire et la division hiérarchique du
travail.
Ayant intériorisé le mythe de l’homme arrivé par ses seuls efforts, les ouvriers ont trop souvent sacrifié la
solidarité à l’espoir illusoire de la réussite individuelle.
Selon Carl Siracusa, autre sociologue, la persistance du « fantasme », d’illusions optimistes, ne peut
s’expliquer que par une tendance à juger l’individualisme par ses seules avantages matériels et par le
besoin de croire que les Etats-Unis échappaient au destin des autres nations. La croyance à l’égalité des
chances, pour Siracusa, représente une « idéologie ravageuse d’aveuglement social ».
De même, s’appuyant sur Eric Foner, Lasch considère la croyance dans la mobilité sociale et la croissance
économique comme étant au centre de l’idéologie du « travail libre » mis en avant par Lincoln
Après s’être référé à d’autres écrivains et sociologues Américains, C.Lasch en arrive à la conclusion qu’à
l’évolution du niveau général de compétence, d’énergie et de dévouement, la société américaine a préféré
choisir la promotion d’un recrutement plus large des élites. La mobilité ascendante est devenu l’objectif
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prédominant de la politique sociale
La démocratie mérite-t-elle de survire ?
L’isolement croissant des élites signifie entre autre chose que les idéologies politiques perdent tout contact
avec les préoccupations du citoyen ordinaire, le débat politique se restreignant aux « classes qui
détiennent la parole ».
Or, cette élite s’est fermée aux analyses sociales de la seconde moitié du XIXème siècle lorsqu’il est
devenu évident que la petite propriété disparaissait. C.Lasch estime que les libéraux pensent que la
démocratie peut se passer des vertus civiques. Ce sont les institutions libérales, et non le caractère des
citoyens, qui font fonctionner la démocratie. La démocratie ne serait donc qu’un système juridique qui
permettrait aux gens de vivre avec leurs différences.
Cependant, pour C.Lasch, si la démocratie libérale a vécu jusqu’ici, c’est parce qu’elle a vécu sur le
capital emprunté aux traditions morales et religieuses antérieures à l’avènement du libéralisme. La
question qui se pose aujourd’hui est de savoir si la démocratie libérale mérite de survivre. Quels que soient
ses attraits intrinsèques, la démocratie n’est pas une fin en soit. Elle doit être jugée à l’aune de sa réussite
à produire des biens supérieurs, un type de caractère supérieur.
Faute de normes communes, la tolérance devient indifférence et le pluralisme culturel dégénère en
spectacle esthétique. De nos jours la démocratie est plus menacée par l’indifférence que par l’intolérance.
Or le respect implique l’exercice d’un jugement discriminant et non d’une acceptation indiscriminée. Cela
va donc à l’encontre de la politique actuelle du respect des différences simplement parce qu’elles sont
différences.
Juger ces différences avant d’accorder le respect est suspecté de racisme. Pour les nouvelles élites, les
intellectuels obsédés comme d’une idée fixe par le racisme et le fanatisme idéologique, la démocratie ne
peut vouloir dire q’une seule chose : la défense de la diversité culturelle.
Communautarisme ou populisme ?
Le populisme prend ses racines dans la défense de la petite propriété considérée comme la base nécessaire
de la vertu civique. Le communautarisme a les siennes dans la cohésion sociale de présupposés communs.
Aujourd’hui, les prétentions à la raison universelle sont universellement suspectes. Le marché mondial
semble intensifier la prise de conscience des différences ethniques et nationales. L’unification du marché
va de pair avec la fragmentation de la culture. Le libéralisme, bien que ses promoteurs estiment qu’il n’a
pas à se baser sur les vertus et qualités des individus, ne présuppose pas seulement l’intérêt personnel mais
un intérêt personnel éclairé. D’où l’attachement à la famille qui responsabilise. Or l’abondance matérielle
a affaibli les fondements moraux et économiques de « l’Etat familiale bien ordonné ». La société familiale
a cédé la place à la société anonyme. Au lieu de servir de contrepoids au marché, la famille a donc été
envahie et minée par le marché. La discipline formatrice du caractère que constituent la famille, le
quartier, l’école et l’église est affaiblie par les intrusions du marché.
L’Etat par sa défaillance contribuera à restaurer les mécanismes informels de l’autorégulation. Les
mécanismes du marché ne répareront rien, au contraire, leur effet est tout aussi corrosif que celui de
l’Etat.
Le populisme et le communautarisme rejètent à la fois le marché et l’Etat-providence pour rechercher une
troisième voie. Voilà pourquoi ces mouvements sont difficiles à classer. C’est d’une pensée nouvelle dont
on a besoin mais il y a peu de chance qu’elle vienne de ceux qui perpétuent les vieilles orthodoxies.
Pour C.Lasch, les libéraux conçoivent les être humains comme des abstractions déracinées, entièrement
vouées à maximiser leurs avantages. Ils laissent pas de places aux liens affectifs. La confiance ou la
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conscience sont jugées « opprimantes ».
Cependant au travers du livre du sociologue et politologue Alan Wolfe, The Good Society, en attaquant le
marché mais pas l’assistanat d’Etat, le communautarisme se détourne de la troisième voie et se distingue
mal de la sociale-démocratie. Ce qui occupe les communautaristes essentiellement, c’est la «
responsabilité sociale » et non la responsabilité des individus.
D’un autre côté, pour Christopher Lasch, le populisme souscrit sans équivoque au principe du respect. Le
populisme a toujours rejeté une politique fondée sur la déférence aussi bien que sur la pitié. Il rejette une «
option préférentielle pour les pauvres » au motif que cette pauvreté porterait avec elle une présomption
d’innocence. Le populisme est la voie authentique de la démocratie. Il postule que les individus ont droit
au respect tant qu’ils ne s’en montrent pas indignes, mais qu’ils doivent assumer la responsabilité
d’eux-mêmes et de leurs actes. Le populisme est enclin aux jugements moraux, ce qui de nos jours semble
en soi péjoratif.
Les communautarismes regrettent la disparition de la confiance sociale, mais souvent sans voir que, dans
une démocratie, la confiance ne peut être fondée que sur le respect mutuel. Ils semblent plus intéressés
par la responsabilité de la communauté. Dans The Good Society, ils cherchent à éveiller en nous le sens
du bien commun et à combattre l’individualisme égoïsteDe nos jours, il y a plus de risques que la
démocratie meurt d’indifférence que d’intolérance. La tolérance et la compréhension sont des vertus
importantes mais ne doivent pas devenir un prétexte à l’apathie.
L’objection la plus forte qu’ait C. Lasch contre le point de vue communautaire est qu’il reste trop discret
sur des questions brûlantes comme la discrimination positive, l’avortement et la politique de la famille. La
morale devient de plus en plus chose privée ; ce qui est une indication supplémentaire de l’effondrement
de la communauté. Un communautarisme qui entérine cette évolution tout en réclamant en même temps
une philosophie publique ne saurait compter être pris au sérieux.
Alors, pour C.Lasch, si nous dépassons les fausses polarisations nous découvrirons que les divisions
réelles restent celles de classes. Le retour à l’essentiel pourrait signifier un retour à la lutte des classes ou
du moins à une politique dans laquelle la question de classe sociale deviendrait dominante. Ici, C.Lasch ne
développe pas assez sa thèse. La notion de classe sociale telle qu’il l’entend est-elle la même que celle
utilisée au XXème siècle dans les milieux marxistes ou lui donne-t-il une autre définition ? Si c’est le cas
qu’elle est-elle? Cette approche revient de façon récurrente, mais n’est jamais clairement exposée et laisse
penser qu’il y a chez l’auteur une capacité d’observation et d’analyse qui ne débouche pas sur une
proposition structurée ou sur une réflexion constructive. Ce point paraît être un des points essentiel de la
pensée de Lasch, mais ne donne pas lieu à l’approfondissement indispensable qui éviterait à l’analyse de
tourner court.
Le déclin du discours démocratique
La conversation et les arts de la cité
La vie civique demande des cadres dans lesquels les gens se rencontrent en égaux ; du fait du déclin des
institutions civiques, la conversation est presque devenue aussi spécialisée que la production du savoir.
Les classes sociales se parlent à elles-mêmes dans un dialecte qui est propre à chacune et inaccessible à
ceux qui n’en font pas partie. Même les lieux publics propres à la conversation comme les pubs sont
menacés de disparition avec le remplacement des lieux de rendez-vous de quartier par des centres
commerciaux.
Que ces lieux aient joué un rôle dans le processus de socialisation et de cohésion de la communauté est
indéniable, entendons par pub, public house, ce qui correspondrait à nos assemblées de village, mais
n’idéalisons pas trop la chose. Si cela n’a pas survécu c’est que les individus attendaient autre chose et
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que les moyens modernes autres que le centre commercial ont sapé les fondements de cette vie
communautaire. Le développement de la télévision et l’impact qu’elle a eu sur la restructuration de la
société aurait méritait une étude particulière dans cet ouvrage. Elle est en effet un des facteurs essentiels
de la disparition des institutions intermédiaires de nos sociétés. Elle est devenu le vecteur unique du «
débat ».
Politique et race à New York
C’est une erreur de croire que nous exposer à la culture du monde mène à perdre ou à renoncer à notre
culture particulière. Cette situation a amené, par le passé, à la condamnation du particularisme ou au
contraire à défendre le particularisme qui flirtait avec le séparatisme ethnique et social. Cette dernière
tendance a mené à un « nouveau tribalisme ». C’est par la violence que la minorité noire a cherché le
respect. Pour Jim Sleeper, ce dont New York a besoin, c’est d’une politique qui mette l’accent sur les
divisions de classe au lieu des divisions raciales.
Certes, C.Lasch cite Jim Sleeper, mais il semble cautionner ce genre de théorie. Encore une fois le
discours se rapproche de celui des milieux marxistes. Une clarification s’impose. Lasch ne la fait pas. Que
le capitalisme et ses privilèges soient condamnables n’entraîne pas nécessairement vers un discours
égalitariste. Ces théories et leur mise en pratique ont prouvé leur insanité ; si la majorité des citoyens
rejette le capitalisme et ses excès, elle attend certainement un autre discours que le discours marxiste.
C’est là que l’absence d’une définition claire d’une troisième voie fait défaut à l’engagement de C.Lasch.
Ces références au populisme restent floues. La classe moyenne, pour reprendre ce terme, est de plus en
plus difficile à circonscrire. Non seulement sur le plan économique mais également sur le plan social, voire
culturel. L’appartenance de classe ne semble plus être une référence solide. D’autres références admises
ou inavouées, tels que les affinités politiques, ethniques, culturelles, ont un poids égal ou même supérieur
à l’appartenance à une « classe économique ». L’auteur ne néglige pas ces réalités mais il ne semble pas
en tirer toutes les conclusions.
Les écoles pour tous
La perte de rigueur intellectuelle découlant de la suppression de l’accent mis sur les matières purement
académiques n’a pas était compensée par le développement des traits de caractère.
Toutefois, la leçon que l’on peut tirer est que les écoles ne peuvent sauver à elles seules la société. Les
enfants sont également éduqués par la rue, par la famille et la communauté.
L’art perdu de la controverse
Il y a un paradoxe entre les promesses de notre société et la réalité. C’est le déclin du débat public, et non
le système scolaire, qui fait que le public est mal informé. Ce que demande la démocratie, c’est un débat
public vigoureux et non seulement de l’information.
Le résultat aujourd’hui ést que les questions politiques jugées complexes, sont de moins en moins
soumises au jugement du peuple.
Walter Lippmann affirme que la démocratie ne demande pas que le peuple se gouverne lui-même mais
qu’il le soit par des administrateurs compétents. De son point de vue, le public est incompétent pour se
gouverner et ne se soucie même pas de gouverner. Ainsi, tant que l’on applique des règles assurant
l’équité, le public se satisfait de laisser le pouvoir à des experts pourvu que ces experts obtiennent des
résultats. Pour soutenir sa thèse, Lippmann affirme que la théorie démocratique avait ses racines dans des
conditions sociales qui n’existent plus. Dans la vision de Lippmann le rôle de la presse était de faire
circuler l’information.
Lippmann oublie que le débat entraîne la recherche de l’information et que de plus le débat permet de
préciser nos propres idées. La discussion, parce qu’elle est risquée et imprévisible est éducative. Ainsi, le
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débat est l’essence de l’éducation et la démocratie la forme de gouvernement la plus éducative. De ce fait,
les petites communautés constituent le lieu classique de la démocratie parce qu’elles permettent de
prendre part aux débats publics.
La montée parallèle et simultanée de la publicité et des relations publiques contribue à expliquer la fin de
la presse d’opinion. La publicité veut toucher un public général et « responsable ». De plus une aura
d’objectivité pouvait servir la publicité elle-même. La publicité a fini par se déguiser en information et à
se substituer au débat ouvert.
Lorsque les mots deviennent de simples instruments de promotion, ils perdent de leur signification. Dès
lors, la parole ordinaire commence à ressembler au jargon des journaux et rend le débat stérile.
Le pseudo-radicalisme universitaire
La discrimination au profit des communautés a occulté une évolution plus importante, l’exclusion de la
classe moyenne et la quasi-monopolisation des collèges et universités prestigieuses par la grande
bourgeoisie. L’éducation humaniste devient le privilège des riches ainsi que d’étudiants issus des minorités
choisies. Le problème fondamental passe inaperçu : l’abandon de la démocratisation de la culture
humaniste. De plus, la spécialisation des matières ne rend la culture accessible qu’aux seuls initiés.
Cependant, les résultats des tests d’aptitude universitaire ne cessent de baisser et c’est ce qui dérange les
gens ordinaires. Doit être également pris en compte l’effondrement des valeurs morales. Comme il y a un
effondrement de la famille, il y a un effondrement de l’éducation.
Les attaques contre les méthodes classiques et la certitude dans les connaissances laisse place au
scepticisme. On retrouve la même attaque dans le domaine politique mais l’anthropologue Clifford Geertz
soutient que la critique des idéologies a eu pour effet de proscrire les énoncés politiquement utiles mais
aussi toutes les thèses non assujetties à vérification scientifique.
Aujourd’hui la politique est considérée comme synonyme de guerre et non comme un débat qui mène à la
raison ou à la vérité. Gauche et Droite sont d’accord sur ce point. Un autre point où se retrouvent Droite
et Gauche est l’aspect subversif du radicalisme universitaire. Mais pour C.Lasch, la réalité est différente
car il voit dans le contrôle des universités par les grandes entreprises la « corruption » de l’enseignement
supérieur.
L’âme dans sa nuit obscure
L’abolition de la honte
Le vocabulaire qui s’oppose à l’abolition de la honte est discrédité car trop moralisateur. La seule chose
interdite dans notre culture du dévoilement est la tendance à interdire, à fixer des limites au dévoilement.
Face à nos limites, le cynisme sert de défense et comme le fait remarquer le psycho-analyste Léon
Wurmser, c’est ce moyen de défense que constitue le cynisme éhonté qui donne aujourd’hui le ton à
l’ensemble de notre culture. La culture de l’effronterie est aussi la culture de l’irrévérence, de la
démystification et de la dévalorisation des idéaux. L’effronterie reste toutefois une stratégie mais pas une
solution.
Laisser les enfants être eux-mêmes n’est pas nécessairement une bonne chose. Ils ont besoin de se
confronter à des normes, ils ont besoin de risquer l’échec et la déception. On ne peut pas recevoir une
bonne opinion de soi ; on doit la gagner.
Cette politique commence par l’enfance puis s’étend à toute la société. Les psychanalystes se sont érigés
non seulement en médecins de patients individuels mais aussi en médecin de la société.
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Partant de là et par extension, le psychanalyste Michael Lewis affirme que les noirs et les femmes sont «
frappés de honte par la culture dans laquelle ils vivent ». Cette culture est celle de l’homme blanc
européen. La découverte de la thérapeutique de la honte trouve son expression politique dans les
programmes de réparation.
Philip Rieff et la religion de la culture
La moindre efficacité des ouvriers américains, la recherche du profit immédiat, le règne du moi font que
cette société est incapable d’engendrer un sentiment d’obligation civique. Pour beaucoup d’observateurs
le peu d’inclination à subordonner l’intérêt particulier à la volonté générale est bien près de représenter
l’essence de l’américanité.
Le déclin de la religion est l’un des facteurs majeurs de cette décomposition de la société. Malgré le
nombre de personnes professant une religion, la vie publique est nettement laïcisée. La religion s’est
retrouvée reléguée dans la coulisse du débat public.
La maladie et la santé ont remplacé la culpabilité, le péché et la pénitence comme soucis dominants. Les
psychanalystes se sont aperçus que la pratique voulait que l’on suspende tout jugement moral. Une
tournure d’esprit « non-moralisatrice », que l’on confond facilement avec la vertu libérale de la tolérance,
en est venue à être considérée comme la condition sine qua non de la sociabilité.
Le point de vue thérapeutique fut utilisé à des fins sociales et politiques. La responsabilité de l’individu est
transférée sur la société, d’où un développement de l’assistanat d’Etat. Le thérapeutique triomphe. Rieff y
voit peu d’espoir de le contester. Même si Rieff constate que le modernisme continue à vivre sur le capital
des croyances qu’il a rejetées, l’effondrement de la religion, son remplacement par la sensibilité critique et
la dégénérescence de l’ « attitude analytique » en agression frontale et totale contre les idéaux de toute
espèce ont laissé notre culture dans un triste état.
Pour Rieff, le cœur de toute culture réside dans ses interdictions. La culture est un ensemble d’exigences
morales et « d’interdits profondément gravés, inscrits en caractères supérieurs et dignes de confiance ».
Voilà pourquoi il y a du sens à décrire les Etats-Unis comme une société sans culture. C’est une société où
rien n’est sacré et donc où rien n’est interdit.
L’âme humaine sous le règne de la laïcité
L’évolution depuis la fin du XIXème siècle a été l’émancipation des individus à l’égard des conventions ;
ceux-ci se construisent eux-mêmes une identité à leur guise, menant leur vie comme si celle-ci était une
œuvre d’art.
La tradition romantique eut cependant une conscience aiguë des limites de la rationalité éclairée. Sans nier
les réussites des Lumières, elle reconnaissait le danger de voir le « désenchantement du monde », selon le
mot de Schiller, mener à un appauvrissement émotionnel et spirituel. La raison a accru le contrôle de
l’homme sur la nature, mais elle a privé l’humanité de l’illusion qui voulait que son activité ait une
signification au-delà d’elle-même. Le désenchantement du monde l’a rendu « plat, stérilisant et
malheureux ».
Par opposition aux freudiens, Jung affirmait que les besoins spirituels étaient trop pressants pour être
ignorés. Les psychanalystes découvraient donc au cours de leur pratique qu’ils ne pouvaient échapper à
des problèmes qui, à strictement parler, sont du domaine du théologien. Jung apportait du sens sans pour
autant tourner le dos à la modernité. « Seul l’homme qui a dépassé les stades de la conscience appartenant
au passé…peut atteindre une pleine conscience du présent ». Voilà pourquoi il était impossible que la
solution du problème spirituel moderne puisse résider dans un retour à des formes religieuses « obsolètes
», pas plus qu’elle ne pouvait résider dans une vision du monde purement laïque.
Ce qui rend moderne le tempérament moderne, ce n’est pas que nous ayons perdu notre sens enfantin de
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la dépendance mais que la révolte normale contre la dépendance soit plus généralement répandue qu’elle
ne l’était.
Néanmoins, maintenant que nous commençons à saisir les limites de notre maîtrise scientifique sur la
nature, cette illusion devient fort douteuse, illusion plus problématique que l’avenir de la religion.
L’état des lieux de nos sociétés occidentales dressé par C.Lasch est réaliste et édifiant. Il expose sans
ambages les maux dont souffre la démocratie et donne de nombreux éléments de compréhension utiles à
qui veut avoir une vision lucide du présent et souhaite agir pour le futur.
Les orientations qu’il donne parfois sont discutables et aucune proposition n’est clairement définie.
Ce domaine relève des « politiques » qui trouveront donc chez C. Lasch des éléments indispensables à
une juste réflexion sur l’avenir.
Bruno Odier
02/03/09
Polémia
08/03/09
Christopher Lasch « La révolte des élites/ Et la trahison de la démocratie », Flammarion, Coll. Champs, 2007, 269 p.
Christopher Lasch
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